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Chapitre 5
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Chapitre rédigé par Even LOARER
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
(Sternberg, 1985, 1997), ainsi que dans le modèle des intelligences multiples de
Gardner (1996, 1997).
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
Ce test a donné lieu à de nombreux travaux de validation qui ont déclenché une
controverse sur la nature des relations entre l’intelligence sociale et l’intelligence
dite « classique » ou « abstraite ». Ces études ont en effet établi l’existence de
corrélations suffisamment élevées entre le GWSIT et des épreuves d’intelligence
abstraite pour que Thorndike et Stein (1937) concluent à l’incapacité de ce test à
distinguer les différences individuelles qui relèvent des deux types d’intelligence et
Cronbach (1960), faisant quelques années plus tard le point sur les travaux réalisés
autour du GWSIT en retient que l’on ne dispose pas de preuve empirique permettant
de distinguer l’intelligence sociale mesurée par le GWSIT d’une aptitude verbale
générale. Ce test, qui devait permettre d’affirmer la spécificité et l’opérationnalité du
concept d’intelligence sociale aura en réalité été à l’origine d’un quasi abandon de
ce dernier durant un quart de siècle et à sa quasi disparition des modèles ultérieurs
de l’intelligence, notamment ceux de Spearman, de Thurstone et même de Weschler.
Ce dernier s’est bien intéressé à l’intelligence sociale et a évoqué la contribution de
ce qu’il appelait des facteurs « non-intellectifs » à l’intelligence générale (1943, p.
108), mais a finalement conclu que l’intelligence sociale n’était rien d’autre que de
« l’intelligence générale appliquée aux situations sociales » (1958, p. 75). Il
considérait d’ailleurs que le subtest « Arrangement d’images » de la WAIS pouvait
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
Il faut attendre les travaux de Guilford et de son école, à partir des années 60,
pour voir réapparaître des études sur le sujet. Guilford (1967), reprenant et étendant
le modèle de classification tripartite de Thorndike, conçoit un modèle factoriel de
l’intelligence composé de 120 habiletés intellectuelles. L’intelligence sociale y
occupe 30 habiletés relevant du domaine comportemental de l’intelligence. L’un de
ses collaborateurs, O’Sullivan a cherché à préciser les dimensions de cette cognition
comportementale. Il en a repéré six qui correspondent aux capacités de
compréhension d’autrui à travers leurs comportements (cf. tableau 2) et a élaboré les
tests permettant de les évaluer2.
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Un test d’intelligence sociale édité en a été tiré : le Test des Quatre Facteurs d’Intelligence Sociale de
O’Sullivan et Guilford (1976). Ce test est disponible en version française sous l’intitulé « Test
d’Intelligence Sociale » (ECPA).
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
A partir des années 70, des tentatives relativement nombreuses ont été menées
pour préciser les caractéristiques de l’intelligence sociale, notamment en utilisant la
méthode multitraits – multiméthodes décrite par Campbell et Fiske (1959). Il s’agit
alors de combiner dans une même étude l’utilisation de plusieurs épreuves du
domaine de l’intelligence sociale et de plusieurs épreuves appartenant à d’autres
domaines afin de pouvoir étudier la convergence intra-domaine et la divergence
inter-domaines. En général, les études portent sur un ensemble d’épreuves
d’intelligence sociale retenues pour être en cohérence avec le modèle défendu par
l’auteur, auquel on adjoint une batterie d’épreuves d’intelligence académique et
éventuellement un ensemble d’épreuves de personnalité. A l’occasion de ces études,
les quelques épreuves d’intelligence sociale disponibles ont été utilisées, notamment
celles issues des travaux de Guilford qui ont donné le Test des Quatre Facteurs
d’Intelligence Sociale de O’Sullivan et Guilford (1976), mais aussi le Test
d’Intuition Sociale de Chapin (1942) ou encore l’Index de Maturité Sociale de
Gough (1966). De nombreuses nouvelles épreuves sont également apparues. Parmi
elles, ont peut citer le Test d’Empathie de Hogan (1969), le test de Rest (1975)
dérivé la théorie du développement moral de Kohlberg (1963), l’échelle d’Auto-
contrôle de Snyder (1974), l’Inventaire de Compétences Sociales de Riggio (1986,
1989), plusieurs tests relatifs à la résolution de problèmes sociaux (D’Zurilla &
Nezu, 1990 ; Heppner & Petersen, 1982 ; Platt & Spivack, 1995), ainsi qu’un grand
nombre de dispositifs expérimentaux fondés sur des auto-évaluations (Marlowe,
1986 ; Riggio et al. 1991), des approches de type 360° (Brown & Antony, 1990 ;
Ford & Tisak, 1983), des tests de connaissances (Legree, Pifer & Grafton, 1996) ou
encore des batteries comportementales (Archer, 1980 ; Rosenthal, 1979 ; Sternberg
&t Smith, 1985).
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
simplement les principaux éléments (pour une revue détaillée, le lecteur pourra se
référer à Kihlstrom et Kantor, 2000). Ainsi, dans une étude utilisant un large panel
d’épreuves, Keating (1978) observe que les meilleurs prédicteurs de certaines
épreuves d’intelligence sociale sont des épreuves d’intelligence abstraite et ne
parvient pas à distinguer expérimentalement les deux formes d’intelligence. A
l’inverse, menant des études analogues, Ford et Tisak (1983) puis Marlowe (1986),
font état d’une relative indépendance des deux formes d’intelligence et observent
que les épreuves d’intelligence sociale prédisent mieux les autres épreuves
d’intelligence sociale que ne le font les épreuves d’intelligence verbales et abstraites.
Cependant, malgré les précautions prises par les auteurs et le dynamisme dont ils
ont fait preuve, force est de constater que nous ne disposons pas aujourd’hui de
données suffisamment convergentes pour parvenir à conclure en faveur d’une
indépendance des deux formes d’intelligence ce qui amènera Reuchlin (1990, p.
151) à affirmer qu’«on n’est jamais parvenu à définir une épreuve d’intelligence
sociale qui aurait un contenu apparemment valide et qui ne se confondrait pas avec
l’intelligence générale » (p. 151).
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
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L’ouvrage a été publié en langue française en 1997 sous le titre « L’intelligence émotionnelle : comment
transformer ses émotions en intelligence », Paris : Robert Laffont.
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
Il s’agit d’un test passé en 360° qui évalue vingt compétences dans quatre grands
domaines que sont la conscience de soi, l’autorégulation, la conscience sociale et les
compétences sociales. Le caractère extensif et hétérogène des dimensions évaluées 4
est probablement un avantage en termes de diffusion (il évalue tellement de concepts
qu’il est probable qu’il soit utile à quelque chose, conclue de façon ironique Sagan,
2003, p. 218), mais ce caractère rend également périlleux toute démarche de
validation et, même si les auteurs évoquent des travaux menés dans ce but, les
données ne sont pas accessibles à la communauté scientifique (Sagan, 2003). Ainsi,
tout comme le modèle de Goleman, cet inventaire souffre de son extrême extension.
Salovey, Mayer et leurs collègues, après avoir proposé une première ébauche de
leur modèle en 1990 ont progressivement affiné leur conception de l’intelligence
émotionnelle et aboutit à une définition restrictive de l’intelligence émotionnelle
(voir Salovey, Brackett & Mayer, 2004 pour un recueil des publications témoignant
de cette évolution). Pour ces auteurs, « le terme d’intelligence émotionnelle fait
référence aux processus impliqués dans la reconnaissance, l’usage, la
compréhension et la gestion des ses propres états émotionnels et de ceux d’autrui,
pour résoudre les problèmes et réguler son comportement » (Salovey et al. 2004, p.
i). Ils définissent ainsi l’intelligence émotionnelle comme un ensemble d’habiletés
ou de capacités mentales : la capacité à percevoir précisément, à reconnaître et à
exprimer avec justesse les émotions ; la capacité à utiliser les émotions dans le cadre
des activités cognitives ; la capacité à comprendre les émotions et à en avoir une
connaissance approfondie ; et enfin, la capacité à réguler nos propres émotions ainsi
que celles des autres pour promouvoir une croissance émotionnelle et intellectuelle
(Mayer & Salovey, 1997). Le modèle décrit des liens hiérarchiques entre ces
habiletés.
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Issues de la liste de compétences identifiées par Goleman (1998), du dictionnaire des compétences
génériques du groupe Hay/McBer (1996) ainsi que du questionnaire d’auto-évaluation (SAQ) de Boyatzis
(1991).
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
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Une adaptation française du MEIS a été réalisée à des fins de recherche par Lubart, Mouchiroud,
Zenasni, Jacquet et Granier-Michaux (1999), appelée Echelle Multi-Factorielle d’Intelligence
Emotionnelle (EMIE).
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
Une grande partie des études de validation qui ont été menées a consisté, comme
c’était déjà le cas pour les épreuves d’intelligence sociale, à tester la cohérence
interne des épreuves d’intelligence émotionnelle et leur adéquation aux modèles, et à
étudier les liens qu’entretiennent les dimensions obtenues avec des épreuves
classiques d’intelligence générale et de personnalité. Nous ne ferons pas ici de
présentation de ces travaux et renvoyons le lecteur intéressé à la revue de question
très complète proposée par Sagan (2003). Nous retiendrons pour notre part de ces
travaux trois conclusions permettant d’alimenter la réflexion sur la pertinence du
concept d’intelligence émotionnelle.
On constate tout d’abord une faible convergence des mesures issues des modèles
de Bar-On et de Salovey et Mayer. Brackett et Mayer (2003) observent entre les
dimensions des deux épreuves (EQ-I et MSCEIT) des corrélations de l’ordre de .20.
Ces résultats posent la question de ce que mesurent les deux tests qui se proposent
tous les deux de mesurer l’intelligence émotionnelle. Cette faible relation peut tenir
aux conceptions différentes des auteurs sur ce qu’est l’intelligence émotionnelle
mais peut également tenir aux différences dans les modalités d’évaluation utilisées
puisque le MSCEIT mesure des performances et le EQ-I procède par autoévaluation.
On constate également que ces deux épreuves ne corrèlent pas de la même façon
avec les épreuves d’intelligence générale et de personnalité. Dans l’étude de
Brackett et Mayer, le MSCEIT présente une corrélation significative avec une
épreuve d’intelligence verbale mais pas le EQ-I. Par contre, l’épreuve de Bar-On
corrèle plus fortement que le MSCEIT avec l’ensemble des dimensions de la
personnalité (de .16 à .57) selon le modèle des Big Five. Dans d’autres études, ces
corrélations sont même plus élevées : en moyenne de .50 et montant pour certaines à
.70 (Dawda & Hart, 2000). Pourtant, les auteurs de ces épreuves font état des bonnes
capacités prédictives de leurs mesures d’intelligence émotionnelle. Nous en avons
déjà donné quelques exemples pour les épreuves de Mayer et Salovey. Bar-On
(1977, Bar-On et al. 2000) fournit également de nombreux exemples de prédiction
du statut professionnel, de la réussite académique ou encore de la façon de gérer son
stress. Cependant, ces corrélations peuvent être simplement dues au recouvrement
de la mesure d’intelligence émotionnelle avec les dimensions de la personnalité et
les études ne fournissent pas d’indications sur ce que deviennent ces coefficients de
prédiction lorsque l’on maintien constant la personnalité.
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
5.3. Conclusions
Nous souscrivons à ces pistes qui valent également pour le concept d’intelligence
sociale. L’ensemble des propriétés de ces concepts, pour autant bien sûr qu’on leur
donne une extension raisonnable, laisse à penser qu’ils se situent à un niveau
d’intégration des conduites différent de celui des aptitudes intellectuelles ou des
traits de personnalité. Les relations qu’ils entretiennent avec ces derniers, le fait
(souligné en particulier par Goleman et Bar-On) qu’ils s’acquièrent et se
développent avec l’expérience, la complexité de leur structure lorsque l’on mène des
analyses factorielles, et peut-être également la difficulté rencontrée à les évaluer sont
autant de raisons de penser qu’il s’agit plus de ce que l’on appelle aujourd’hui
compétences que de ce que l’on appelait hier sans états d’âme intelligence (au sens
classique des aptitudes et capacités cognitives). Il s’agit bien de la mise en œuvre
intégrée de différentes ressources conatives, cognitives et corporelles pour faire face
à une situation donnée. Plusieurs auteurs préfèrent d’ailleurs parler de compétences
émotionnelles (cf. par exemple Scherer, 2002) ou de compétences sociales (cf. par
exemple Argyle, 1994). Mais, au-delà de la terminologie utilisée, c’est à notre avis
la prise en compte du juste niveau d’intégration de ces conduites qui peut contribuer
à clarifier les concepts et à mieux définir les contours de leur champ de validité.
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
5.4. Bibliographie
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle
Gardner (1999. Les formes de l’intelligence (1ère éd. 1983 : Frames of mind:the theory of
multiple intelligences). Paris : Odile Jacob.
Goleman, D. (1999). L’intelligence émotionnelle 2 : Accepter ses émotions pour s’épanouir
dans son travail. (1ère éd. 1998 : Working with emotional intelligence). Paris : R. Laffont.
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