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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

Loarer, E. (2005). Intelligence sociale et émotionnelle. In J. Lautrey et J.F. Richard (Eds),


L’intelligence. Traite des Sciences Cognitives. (pp. 91-107). Paris : Hermès.

Chapitre 5

Intelligence sociale et intelligence


émotionnelle1

Les notions d’intelligence sociale et d’intelligence émotionnelle bénéficient


actuellement d’un intérêt croissant, non seulement de la part du grand public qui y
voit des compléments indispensables voire des alternatives prometteuses à la prise
en compte de l’intelligence logique, mais également de la part des chercheurs dont
les travaux sont chaque année plus nombreux sur le sujet. Plusieurs facteurs
semblent contribuer à ce phénomène. Un premier est relatif aux usages sociaux de
ces concepts, notamment dans le champ du travail. Ce dernier subit actuellement
deux évolutions majeures : d’une part le développement rapide des activités de
services qui impliquent généralement une fréquence élevée d’activités relationnelles
et, d’autre part, l’avènement de nouvelles formes d’organisation qui accordent une
place prépondérante aux collectifs de travail et augmentent fortement les occasions
de relations interpersonnelles et de communication à travers la réalisation de projets
et le travail en équipe. Ces évolutions appellent un recours de plus en plus fréquent à
des modèles et des instruments capables de cerner les capacités relationnelles. La
seconde explication est plus épistémologique. Elle correspond à la tendance de plus
en plus affirmée à ne pas considérer l’intelligence uniquement sous l’angle de la
pensée logicomathématique et verbale mais d’accorder une place plus importante
aux différentes facettes des activités mentales qui contribuent à l’adaptation de
l’individu et à son efficacité dans les différentes sphères de ses activités. Cette
tendance s’exprime notamment dans le modèle de l’intelligence de Sternberg par la
prise en compte de formes d’intelligence dites « pratiques » ou « non académiques »

1
Chapitre rédigé par Even LOARER

1
Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

(Sternberg, 1985, 1997), ainsi que dans le modèle des intelligences multiples de
Gardner (1996, 1997).

Ce chapitre fera le point sur les concepts d’intelligence sociale et d’intelligence


émotionnelle, en précisera les définitions et les principaux modèles et donnera des
exemples d’instruments conçus pour les évaluer. Il abordera également la question
de leur validité et de leur légitimité à figurer parmi les différentes formes
d’intelligence.

5.1 L’intelligence sociale, définitions, mesures et validité

5. 1.1 Emergence et définitions du concept

Le concept d’intelligence sociale est relativement ancien puisqu’il a été


initialement proposé par Thorndike en 1920. Selon cet auteur, l’intelligence
comporte 3 facettes qui correspondent aux habiletés à comprendre et à gérer 1/ les
idées (intelligence abstraite), 2/ les objets (intelligence concrète ou mécanique) et 3/
les personnes (intelligence sociale). Cette dernière facette est plus précisément
définie par Thorndike comme la capacité de comprendre les autres et d’agir d’une
façon appropriée dans les relations interpersonnelles (1920, p.228). Elle recouvre
deux aspects distincts : la compréhension d’autrui et l’action vis-à-vis d’autrui. Une
définition assez proche fut proposée un peu plus tard par Vernon (1933) qui y voit
« l’habileté à bien s’entendre avec autrui». Il précise que cette habileté comprend la
maîtrise des comportements sociaux et l’aisance en société, la connaissance des
règles sociales, la sensibilité aux stimuli venant des autres membres d’un groupe, la
compréhension intuitive des humeurs passagères de personnes que l’on ne connaît
pas, ainsi que de leurs traits des personnalité sous-jacents. Convaincus de l’existence
de cette forme particulière d’intelligence, de nombreux auteurs ont également fait
des propositions définitoires qui présentent une certaine variété. Certains privilégient
comme Thorndike la finalité de l’action : habileté à traiter avec autrui (Hunt, 1928 ;
Moss & Hunt, 1927 ; Weschler, 1958), à avoir un fonctionnement social efficace
(Keating, 1978 ; Ford & Tisk, 1983), à s’adapter à un milieu social nouveau
(Kramer, 1963). D’autres mettent l’accent sur les processus mis en jeux :
connaissances interpersonnelles (Strang, 1930), habileté à juger les sentiments, les
humeurs et les motivations d’autrui (Wedeck, 1947), capacité à décoder les indices
non verbaux (Archer, 1980 ; Barnes & Sternberg, 1989 ; Sternberg et Smith, 1985),
a conduire un jugement moral (Rest, 1975) ou encore à être empathique (Hogan,
1969 ; Mehrabian & Epstein, 1972). Néanmoins, au-delà de ces différences, ces
auteurs ont en commun de considérer l’intelligence sociale comme la capacité à
comprendre autrui et à mener des interactions sociales adaptées et efficaces, c'est-à-
dire mettent l’accent sur la dimension finalisée de l’intelligence sociale. Si celle-ci
semble simple à définir et à différencier des autres aspects de l’intelligence

2
Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

lorsqu’on le fait en référence à son champ d’application, il s’avère cependant


nettement plus délicat d’en préciser la nature et d’élaborer des instruments capables
de la mesurer.

5.1.2 Premières mesures et premiers questionnements sur la nature de


l’intelligence sociale

Un premier instrument de mesure de l’intelligence sociale a été développé dès


1927 par Hunt et ses collaborateurs (Moss & Hunt 1927). Il s’agit du George
Washington Social Intelligence Test (GWSIT), échelle composite comprenant sept
subtests (cf. Tableau 1) et donnant lieu au calcul d’un score agrégé d’intelligence
sociale.

Jugement en situations sociales Reconnaissance d’états mentaux


derrière les mots
Mémoire des noms et des visages Reconnaissance des états mentaux à
partir d’expressions faciales*
Observation des comportements humains Information sociale*
Sens de l’humour *supprimés dans les dernière version

Tableau 1. Subtests du George Washington Social Intelligence Test (GWSIT)

Ce test a donné lieu à de nombreux travaux de validation qui ont déclenché une
controverse sur la nature des relations entre l’intelligence sociale et l’intelligence
dite « classique » ou « abstraite ». Ces études ont en effet établi l’existence de
corrélations suffisamment élevées entre le GWSIT et des épreuves d’intelligence
abstraite pour que Thorndike et Stein (1937) concluent à l’incapacité de ce test à
distinguer les différences individuelles qui relèvent des deux types d’intelligence et
Cronbach (1960), faisant quelques années plus tard le point sur les travaux réalisés
autour du GWSIT en retient que l’on ne dispose pas de preuve empirique permettant
de distinguer l’intelligence sociale mesurée par le GWSIT d’une aptitude verbale
générale. Ce test, qui devait permettre d’affirmer la spécificité et l’opérationnalité du
concept d’intelligence sociale aura en réalité été à l’origine d’un quasi abandon de
ce dernier durant un quart de siècle et à sa quasi disparition des modèles ultérieurs
de l’intelligence, notamment ceux de Spearman, de Thurstone et même de Weschler.
Ce dernier s’est bien intéressé à l’intelligence sociale et a évoqué la contribution de
ce qu’il appelait des facteurs « non-intellectifs » à l’intelligence générale (1943, p.
108), mais a finalement conclu que l’intelligence sociale n’était rien d’autre que de
« l’intelligence générale appliquée aux situations sociales » (1958, p. 75). Il
considérait d’ailleurs que le subtest « Arrangement d’images » de la WAIS pouvait

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

en fournir une mesure satisfaisante, puisqu’il nécessite de comprendre les situations


sociales qui y sont évoquées.

Il faut attendre les travaux de Guilford et de son école, à partir des années 60,
pour voir réapparaître des études sur le sujet. Guilford (1967), reprenant et étendant
le modèle de classification tripartite de Thorndike, conçoit un modèle factoriel de
l’intelligence composé de 120 habiletés intellectuelles. L’intelligence sociale y
occupe 30 habiletés relevant du domaine comportemental de l’intelligence. L’un de
ses collaborateurs, O’Sullivan a cherché à préciser les dimensions de cette cognition
comportementale. Il en a repéré six qui correspondent aux capacités de
compréhension d’autrui à travers leurs comportements (cf. tableau 2) et a élaboré les
tests permettant de les évaluer2.

Habileté à identifier les états mentaux des individus


Habileté à catégoriser les états mentaux d’autrui
Habileté à interpréter les relations entre les comportements d’autrui
Habileté à interpréter des séquences de comportements sociaux
Habileté à répondre de façon flexible à des changements de comportements
sociaux
Habileté à prédire ce qui va se passer dans une situation interpersonnelle

Tableau 2. Habiletés cognitives relevant de l’intelligence sociale selon le modèle de


Guilford (O’Sullivan, Guilford & deMille, 1965)

Par la suite, d’autres collaborateurs, Hendricks et al. (1969), se sont attachés à


définir et opérationnaliser d’autres dimensions de cette cognition
comportementale qui correspondent à la capacité à faire face à autrui et à résoudre
des problèmes sociaux. Ceux-ci requerrant la création de solutions et comportements
sociaux nouveaux, relèvent de processus de pensée divergente et sont appelés par les
auteurs « intelligence sociale créative ». Des tests de ces dimensions ont également
été construits. Plusieurs études au cours desquelles des batteries de tests
correspondant à ces différentes facettes de l’intelligence sociale ont été menées (cf.
Chen & Michael, 1993, cités par Kihlstrom & Cantor, 2000) et sont parvenues à
confirmer cette distinction, déjà présente comme nous l’avons vu dans le modèle de
Thorndike, entre les habiletés qui permettent la compréhension du comportement
d’autrui et celles qui permettent de faire face aux comportements d’autrui.

2
Un test d’intelligence sociale édité en a été tiré : le Test des Quatre Facteurs d’Intelligence Sociale de
O’Sullivan et Guilford (1976). Ce test est disponible en version française sous l’intitulé « Test
d’Intelligence Sociale » (ECPA).

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

L’essentiel des travaux de validation menés par l’école de Guilford se sont


limités à vérifier que les épreuves construites rendaient bien compte du modèle
théorique et n’étaient pas saturés par des facteurs extérieur au domaine
comportemental. Cependant, comme le soulignent Kihlstrom et Cantor (2000, p.
362), ils n’ont pas apporté d’éléments permettant d’affirmer les qualités de ces tests
à prédire des critères extérieurs d’intelligence sociale, tels que des comportements
sociaux mis en œuvre dans la vie quotidienne. Ils ont cependant eu le grand mérite
de relancer les travaux sur l’intelligence sociale. En effet, dans les années qui ont
suivi, des travaux se sont poursuivis pour continuer de tester la validité de ce
construit, sa cohérence interne et sa différentiation d’avec les construits déjà
existants.

5.1.3 Nouvelles tentatives de validation

A partir des années 70, des tentatives relativement nombreuses ont été menées
pour préciser les caractéristiques de l’intelligence sociale, notamment en utilisant la
méthode multitraits – multiméthodes décrite par Campbell et Fiske (1959). Il s’agit
alors de combiner dans une même étude l’utilisation de plusieurs épreuves du
domaine de l’intelligence sociale et de plusieurs épreuves appartenant à d’autres
domaines afin de pouvoir étudier la convergence intra-domaine et la divergence
inter-domaines. En général, les études portent sur un ensemble d’épreuves
d’intelligence sociale retenues pour être en cohérence avec le modèle défendu par
l’auteur, auquel on adjoint une batterie d’épreuves d’intelligence académique et
éventuellement un ensemble d’épreuves de personnalité. A l’occasion de ces études,
les quelques épreuves d’intelligence sociale disponibles ont été utilisées, notamment
celles issues des travaux de Guilford qui ont donné le Test des Quatre Facteurs
d’Intelligence Sociale de O’Sullivan et Guilford (1976), mais aussi le Test
d’Intuition Sociale de Chapin (1942) ou encore l’Index de Maturité Sociale de
Gough (1966). De nombreuses nouvelles épreuves sont également apparues. Parmi
elles, ont peut citer le Test d’Empathie de Hogan (1969), le test de Rest (1975)
dérivé la théorie du développement moral de Kohlberg (1963), l’échelle d’Auto-
contrôle de Snyder (1974), l’Inventaire de Compétences Sociales de Riggio (1986,
1989), plusieurs tests relatifs à la résolution de problèmes sociaux (D’Zurilla &
Nezu, 1990 ; Heppner & Petersen, 1982 ; Platt & Spivack, 1995), ainsi qu’un grand
nombre de dispositifs expérimentaux fondés sur des auto-évaluations (Marlowe,
1986 ; Riggio et al. 1991), des approches de type 360° (Brown & Antony, 1990 ;
Ford & Tisak, 1983), des tests de connaissances (Legree, Pifer & Grafton, 1996) ou
encore des batteries comportementales (Archer, 1980 ; Rosenthal, 1979 ; Sternberg
&t Smith, 1985).

Il ne résulte pas de ces études de conclusions réellement tranchées, bien que le


débat scientifique ait été vif autour de ces questions. Nous en évoquerons

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

simplement les principaux éléments (pour une revue détaillée, le lecteur pourra se
référer à Kihlstrom et Kantor, 2000). Ainsi, dans une étude utilisant un large panel
d’épreuves, Keating (1978) observe que les meilleurs prédicteurs de certaines
épreuves d’intelligence sociale sont des épreuves d’intelligence abstraite et ne
parvient pas à distinguer expérimentalement les deux formes d’intelligence. A
l’inverse, menant des études analogues, Ford et Tisak (1983) puis Marlowe (1986),
font état d’une relative indépendance des deux formes d’intelligence et observent
que les épreuves d’intelligence sociale prédisent mieux les autres épreuves
d’intelligence sociale que ne le font les épreuves d’intelligence verbales et abstraites.

Ces apparentes contradictions sont probablement dues aux difficultés rencontrées


par les chercheurs pour accéder à l’intelligence sociale. La nature fortement verbale
des épreuves d’intelligence sociale utilisées par Keating pourrait expliquer
l’indifférenciation observée. Mais il a été également avancé (Kihlstrom & Cantor,
2000) que les différences observées par Ford et Tisak ainsi que par Marlowe,
pouvait également provenir de différences dans les modalités d’évaluation
(principalement autoévaluation pour l’intelligence sociale et principalement mesure
de performances pour l’intelligence verbale et abstraite). D’autres études ont bien
tenté de dépasser ces limitations afin de parvenir à des conclusions plus franches,
notamment en privilégiant des mesures de performance de l’intelligence sociale (cf.
par exemple Frederickson, Carlson & Ward, 1984 ; Sticker & Rock, 1990 ; Wong et
al., 1995). Certaines auteurs ont également cherché à rendre aussi réaliste que
possible les supports d’évaluation en mettant les sujets face à des situation filmée
(Stricker & Rock, 1990 ; Schuler et al., 1993 ; Soidet et al. 2000), d’autres enfin ont
été jusqu’à proposer des mises en situations effectives d’intelligence sociale
(Furnham, 1985, Bourque et al., 1990) ou a observer des situations d’interactions
sociales naturelles (Libet & Lewinsohn, 1973 ; Frederickson et al., 1984).

Cependant, malgré les précautions prises par les auteurs et le dynamisme dont ils
ont fait preuve, force est de constater que nous ne disposons pas aujourd’hui de
données suffisamment convergentes pour parvenir à conclure en faveur d’une
indépendance des deux formes d’intelligence ce qui amènera Reuchlin (1990, p.
151) à affirmer qu’«on n’est jamais parvenu à définir une épreuve d’intelligence
sociale qui aurait un contenu apparemment valide et qui ne se confondrait pas avec
l’intelligence générale » (p. 151).

5.1.4. Des modélisations originales

Ces dernières décennies ont vu se développer des modélisations originales de


l’intelligence sociale parmi lesquelles nous citerons pour mémoire celles de
Marlowe, de Riggio, et de Gardner. Marlowe (1985) a proposé de distinguer
quatre grands domaines d’intelligence sociale : l’intérêt pour les autres, le

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

sentiment de compétence sociale, l’empathie et les comportements sociaux


efficaces. Il a ensuite testé la validité empirique de ce modèle (Marlowe, 1986).
Riggio (1986) a, quand à lui, proposé un modèle communicationnel de
l’intelligence sociale. Celui-ci est défini par trois classes d’habiletés
fondamentales et deux domaines d’expression. Ces trois classes d’habiletés sont :
1/ celles relatives à l’émission de l’information en situations interpersonnelles
(expressivité), 2/ celles qui sont impliquées dans la réception de l’information en
situations interpersonnelles (sensibilité), et 3/ celles qui assurent la régulation de
l’information en situations interpersonnelles (contrôle). Ces habiletés opèrent
dans les deux domaines que sont la communication verbale (ou sociale) et la
communication non-verbale (ou émotionnelle). La combinaison de ces trois
classes et de ces deux domaines permet de définir six habiletés sociales de bases
présentées dans le tableau 3.

Expressivité émotionnelle : Expressivité sociale :


Habileté à communiquer de façon non Habileté dans l’expression verbale et
verbale ses émotions aptitude à engager les autres dans une
conversation
Sensibilité émotionnelle : Sensibilité sociale :
Habileté à recevoir et décoder les Habileté dans l’observation et le
communications non verbales émises par décodage des communications verbales
d’autres. d’autrui.
Contrôle émotionnel : Contrôle social :
Habileté à surveiller et réguler sa propre Habileté à guider la direction et le
expression émotionnelle non verbale contenu de l’interaction sociale.
Diplomatie et efficacité dans la relation.

Tableau 3 : Habiletés sociales de base selon le modèle de Riggio (1986)

Quant au modèle de Gardner, il concerne bien plus que le simple périmètre de


l’intelligence sociale, puisque l’auteur ne propose rien de moins que de « parvenir à
une conception de la pensée humaine plus large et plus complète que celle admise
dans les travaux sur la cognition » (Gardner, 1996, p. 5). Il vise à intégrer dans un
modèle élargi, d’autres formes d’intelligence que celles qui fondent la pensée
scientifique et la réussite académique. Cette entreprise l’amènera à proposer le
« Modèle des Intelligences Multiple » (Gardner, 1996, 1997). L’auteur identifie sept
formes d’intelligences différenciées (et précise qu’il en existe probablement plus)
qui correspondraient à des systèmes cérébraux spécifiques et résulteraient chez
chaque individu d’une histoire développementale distincte : l’intelligence
linguistique, l’intelligence musicale, l’intelligence logico-mathématique,
l’intelligence spatiale, l’intelligence kinesthésique, l’intelligence intra personnelle et

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

l’intelligence interpersonnelle. Ces deux dernières formes d’intelligence concernent


directement notre sujet. L’intelligence interpersonnelle désigne la capacité à repérer
les humeurs, les motivations et les intentions des autres et à bien les distinguer.
L’intelligence intra personnelle est relative à l’accès à la vie affective. C’est
l’aptitude à percevoir ses propres sentiments et émotions, à les identifier et à les
utiliser pour comprendre et guider son propre comportement. Le modèle de Gardner
n’a pas fait l’objet de vérification empirique, son auteur se refusant à mettre au point
des procédures standardisées d’évaluation des différentes intelligences et
préconisant une évaluation qualitative basée sur l’observation des sujets et des
environnements dans lesquels ils sont placés. Ce découpage entre intelligences intra-
et interpersonnelle n’est pas sans analogies avec celui fait par Riggio entre les deux
domaines de communication. On le retrouvera également dans les travaux qui se
sont développés à partir des années 90 autour de la notion d’intelligence
émotionnelle.

5.2 L’intelligence émotionnelle, définitions, mesures et validité

5.2.1. L’émergence du concept et le modèle de Goleman

Le terme d’intelligence émotionnelle est apparu pour la première fois en 1990


dans deux articles scientifiques (Mayer, DiPaolo, & Salovey, 1990 ; Salovey &
Mayer, 1990) publiés par des chercheurs de l’université de Yale et du New
Hampshire. Malgré l’impact de ces publications et le caractère novateur du concept,
c’est principalement l’ouvrage de vulgarisation publié par le psychologue-journaliste
Daniel Goleman en 1995 intitulé « Emotional Intelligence »3 qui déclencha un vaste
engouement pour cette notion auprès du grand public. Il s’en suivit de nombreux
développements et opérationnalisations « sauvages » qui ont souvent contribués à
rendre le concept suspect aux yeux des scientifiques. Certains auteurs ont même
affiché des positions extrêmes, opposant de façon caricaturale deux conceptions de
l’intelligence : l'une, cognitiviste, présentée comme innéiste et incarnant la tradition
conservatrice, contre l’autre décrite comme ouverte, empiriste et progressiste, et y
ont vu la résurgence des oppositions d’antan entre stoïcisme et romantisme !

Les ouvrages de Goleman, best-sellers traduits dans de nombreuses langues,


témoignent d’une vision très extensive de l’intelligence émotionnelle.
«L’intelligence émotionnelle, précise-t-il (Goleman, 1999, p. 368) désigne notre
capacité à reconnaître nos propres sentiments et ceux des autres, à nous motiver
nous-mêmes et à bien gérer nos émotions en nous-mêmes et dans nos relations avec
autrui. » Elle couvre 25 compétences émotionnelles regroupées dans les cinq

3
L’ouvrage a été publié en langue française en 1997 sous le titre « L’intelligence émotionnelle : comment
transformer ses émotions en intelligence », Paris : Robert Laffont.

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

facettes que sont la conscience de soi, la maîtrise de soi, la motivation, l’empathie et


les aptitudes sociales (cf. tableau 4).

Domaine personnel Domaine social


1. La conscience de soi 4. L’empathie
Conscience de soi émotionnelle Compréhension des autres (sentiments,
Autoévaluation précise (forces/limites) points de vue)
Confiance en soi Passion du service (des clients)
2. La maîtrise de soi Enrichissement des autres (sentir, stimuler)
Contrôle de soi (émotions, impulsions) Exploitation de la diversité (concilier,..)
Fiabilité (honnêteté, intégrité) Sens politique (déchiffrer les émotions d’un
Conscience professionnelle groupe et les relations de pouvoir)
Adaptabilité (face aux changements) 5. Les aptitudes sociales
Innovation (ouverture aux approches, Ascendant (impressionner, persuader)
informations et idées nouvelles) Communication (messages convaincants)
3. La motivation Direction (inspirer et guider les autres)
Exigence de la perfection (s’améliorer) Cristalliser les changements (initier et gérer)
Engagement (envers le collectif) Sens de la médiation (gérer les conflits)
Initiative (saisir les opportunités) Nouer des liens (relations utiles)
Optimisme (ténacité face aux obstacles) Sens de la collaboration et de la coopération
Mobiliser une équipe (créer une synergie)

Tableau 4 : Tableau des compétences émotionnelles (d’après Goleman, 1999)

Comme on peu le constater, peu de comportements humains échappent à cette


définition et l’extension donnée au concept ne peut que le faire apparaître comme
essentiel pour la compréhension et la prédiction d’un nombre élevé de conduites. De
fait, Goleman explique que l’intelligence émotionnelle prédit beaucoup mieux que
ne peut le faire le QI la réussite professionnelle et même le bonheur dans la vie.
Cependant, à trop étendre le champ d’un concept, on le vide de sa substance. Sous le
terme d’intelligence émotionnelle, remarquent Hedlund et Sternberg (2000, p. 146),
« Goleman tend à saisir à peu près tout ce qui n’est pas le QI ». Cela, estime
Sternberg (1999) « étend la définition de l’intelligence au-delà des limites
acceptables ».

L’extension extrême du modèle de Goleman rend, comme on peut s’y attendre,


particulièrement hasardeuse la mise au point d’instruments d’évaluation. D’ailleurs,
Goleman lui-même affirme que « contrairement au QI, il n’existe pas de test simple
pour mesure l’intelligence émotionnelle, et peut-être n’y en aura-t-il jamais »
(Goleman, 1997, p.64). Pourtant, en collaboration avec Richard Boyatzis et le
groupe Hay/McBer, il développe l’Inventaire de Compétences Emotionnelles (ECI).

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

Il s’agit d’un test passé en 360° qui évalue vingt compétences dans quatre grands
domaines que sont la conscience de soi, l’autorégulation, la conscience sociale et les
compétences sociales. Le caractère extensif et hétérogène des dimensions évaluées 4
est probablement un avantage en termes de diffusion (il évalue tellement de concepts
qu’il est probable qu’il soit utile à quelque chose, conclue de façon ironique Sagan,
2003, p. 218), mais ce caractère rend également périlleux toute démarche de
validation et, même si les auteurs évoquent des travaux menés dans ce but, les
données ne sont pas accessibles à la communauté scientifique (Sagan, 2003). Ainsi,
tout comme le modèle de Goleman, cet inventaire souffre de son extrême extension.

Pourtant, la conception de Mayer et Salovey dont s’est initialement inspiré


Goleman est beaucoup plus focale et délimitée.

5.2.2. Le modèle de Mayer et Salovey

Salovey, Mayer et leurs collègues, après avoir proposé une première ébauche de
leur modèle en 1990 ont progressivement affiné leur conception de l’intelligence
émotionnelle et aboutit à une définition restrictive de l’intelligence émotionnelle
(voir Salovey, Brackett & Mayer, 2004 pour un recueil des publications témoignant
de cette évolution). Pour ces auteurs, « le terme d’intelligence émotionnelle fait
référence aux processus impliqués dans la reconnaissance, l’usage, la
compréhension et la gestion des ses propres états émotionnels et de ceux d’autrui,
pour résoudre les problèmes et réguler son comportement » (Salovey et al. 2004, p.
i). Ils définissent ainsi l’intelligence émotionnelle comme un ensemble d’habiletés
ou de capacités mentales : la capacité à percevoir précisément, à reconnaître et à
exprimer avec justesse les émotions ; la capacité à utiliser les émotions dans le cadre
des activités cognitives ; la capacité à comprendre les émotions et à en avoir une
connaissance approfondie ; et enfin, la capacité à réguler nos propres émotions ainsi
que celles des autres pour promouvoir une croissance émotionnelle et intellectuelle
(Mayer & Salovey, 1997). Le modèle décrit des liens hiérarchiques entre ces
habiletés.

5.2.3. Les épreuves issues du modèle de Mayer et Salovey

En prolongement de leur modèle, Mayer, Salovey et leurs collègues ont


développé un test d’intelligence émotionnelle appelé le Multifactor Emotional

4
Issues de la liste de compétences identifiées par Goleman (1998), du dictionnaire des compétences
génériques du groupe Hay/McBer (1996) ainsi que du questionnaire d’auto-évaluation (SAQ) de Boyatzis
(1991).

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

Intelligence Scale (MEIS5, Echelle Multifactorielle d’Intelligence Emotionnelle,


Mayer, Salovey & Caruso, 1997). Cette échelle est basée sur une évaluation des
performances liées aux traitements des informations émotionnelles. Elle comprend
12 subtests :

- quatre épreuves mesurent la capacité à identifier ses propres émotions et


celles d’autrui : les sujets doivent à partir d’expressions de visages,
d’extraits musicaux, d’images et d’histoires, estimer à quel niveau
différentes émotions sont présentes ;
- deux épreuves évaluent la capacité à tenir compte des émotions dans le
cadre d’activités cognitives ;
- quatre épreuves évaluent la capacité à comprendre les émotions (en
particulier, les émotions complexes, les enchaînements émotionnels et les
transitions émotionnelles) ;
- deux épreuves évaluent la capacité à réguler les émotions personnelles et
celles d’autrui.

Cette épreuve a fait l’objet d’études de validation. Compte tenu de la lourdeur de


la passation et de la nécessité apparue à l’analyse d’améliorer la validité de certaines
parties, une version révisée et plus courte a été mise au point par les auteurs. Le Test
d’Intelligence Emotionnelle de Mayer, Salovey et Caruso (MSCEIT, Meyer, Salovey
et Caruso Emotional Intelligence Test) consacre deux subtests pour évaluer chacun
des quatre types d’habiletés du modèle (soit huit subtests au total) et peut être
administré dans son ensemble en 35 minutes environ. Plusieurs études ont testé la
validité prédictive de ces épreuves. Ainsi, par exemple, Rice (1999) a mené une
étude sur les dirigeants du service des réclamations d’une compagnie d’assurance. Il
a constaté que les dirigeants évalués comme étant les plus efficaces dans leur travail
par leurs responsables étaient ceux qui avaient les scores au MEIS les plus élevés.
Les résultats commerciaux de l’équipe du service des réclamations de l’entreprise se
sont également avérés fortement corréler avec la moyenne des scores de l’équipe
obtenus au MEIS. Concernant le MSCEIT, Barchard (2000) constate, à capacités
cognitives et traits de personnalité constants, une relation significative entre le score
d’intelligence émotionnelle et le niveau de fin d’études atteint par des étudiants. Ces
quelques études attestent des qualités des épreuves et du modèle de Salovey et
Mayer mais certains auteurs regrettent cependant que ces épreuves n’évaluent pas
toutes les compétences contribuant à la régulation des émotions et à la réussite
interpersonnelle.

5
Une adaptation française du MEIS a été réalisée à des fins de recherche par Lubart, Mouchiroud,
Zenasni, Jacquet et Granier-Michaux (1999), appelée Echelle Multi-Factorielle d’Intelligence
Emotionnelle (EMIE).

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

Un autre auteur, Reuven Bar-On, a proposé un modèle élargi de l’intelligence


émotionnelle et un inventaire d’intelligence émotionnelle correspondant à ce
modèle.

5.2.4. Le modèle et l’inventaire d’intelligence émotionnelle de Bar-On

Bar-On définit l’intelligence émotionnelle comme une capacité générale,


nécessaire à l’adaptation émotionnelle et sociale. Pour cet auteur, l’intelligence
émotionnelle est plus qu’un ensemble d’habiletés mentales permettant de percevoir,
assimiler, comprendre et réguler les émotions ; c’est selon ses propres termes (Bar-
On, 1997) « un ensemble impressionnant de capacités non cognitives » qui influençe
les comportements des individus face aux pressions environnementales. Son modèle
identifie cinq grands domaines de compétences, chacun couvrant des habiletés
spécifiques qui contribuent au succès. Il s’agit des compétences intra personnelles
(considération pour soi, conscience de ses propres émotions, affirmation de soi,
indépendance et réalisation de soi), des compétences interpersonnelles (empathie,
responsabilité sociale et relations interpersonnelles), de l’adaptabilité (résolution de
problèmes, flexibilité et test de la réalité), de la gestion du stress (tolérance au stress
et contrôle de l’impulsivité) et de l’humeur générale (optimisme et joie de vivre). En
1977, Bar-On publie un inventaire qui mesure l’ensemble des dimensions de son
modèle, l’Inventaire de Quotient Emotionnel (EQ-I, Emotional Quotient Inventory).
Cet inventaire, contrairement à celui de Goleman et Boyatzis, a fait l’objet d’un
important effort empirique visant à établir sa validité. Ces études semblent montrer,
selon Bar-On (1997, 2000), une bonne robustesse de leur structure factorielle mais,
comme le font remarquer Hedlund et Sternberg (2000, p.147) elles manquent
d’évaluations externes et demandent à être publiés dans des revues scientifiques et
examinés par des comités de lecture indépendants. En outre, comme nous allons le
voir plus loin, la question se pose de leur redondance avec les mesures de
l’intelligence logique et surtout de la personnalité. Dans la mesure où ce modèle
combine à la fois des compétences cognitives (tels que la résolution de problème ou
la flexibilité) et des caractéristiques de personnalité (tels que l’optimisme), Mayer et
Salovey qualifie le modèle de Bar-On, tout comme celui de Goleman et Boyatzis, de
« modèle mixte », par opposition à leur propre modèle qui ne comprend que des
habiletés mentales. Au-delà de ces différences se pose la question de la validité des
modèles d’intelligence émotionnelle et en particulier celle de savoir s’ils apportent
une information différente de celle fournie par les modèles déjà existants de
l’intelligence et de la personnalité.

5.2.5. L’intelligence émotionnelle : un concept pertinent ?

La validité et l’intérêt heuristique de tout concept ne résident pas tant, du moins


en psychologie, dans l’usage social qui en est fait que dans la précision de sa

12
Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

définition et la facilité qu’il apporte à la description du fonctionnement humain.


Tout nouveau concept demande donc à être défini de façon cohérente et
soigneusement différenciée des autres concepts et sa mise en œuvre, notamment par
l’évaluation, doit apporter les preuves empiriques à la fois de cette cohérence interne
et de cette différenciation. Il en est ainsi pour le concept d’intelligence émotionnelle,
faute de quoi il risque plus d’apparaître comme un mythe que relevant de la science
(cf. Mathiews, Zeidner & Roberts, 2003).

Une grande partie des études de validation qui ont été menées a consisté, comme
c’était déjà le cas pour les épreuves d’intelligence sociale, à tester la cohérence
interne des épreuves d’intelligence émotionnelle et leur adéquation aux modèles, et à
étudier les liens qu’entretiennent les dimensions obtenues avec des épreuves
classiques d’intelligence générale et de personnalité. Nous ne ferons pas ici de
présentation de ces travaux et renvoyons le lecteur intéressé à la revue de question
très complète proposée par Sagan (2003). Nous retiendrons pour notre part de ces
travaux trois conclusions permettant d’alimenter la réflexion sur la pertinence du
concept d’intelligence émotionnelle.

On constate tout d’abord une faible convergence des mesures issues des modèles
de Bar-On et de Salovey et Mayer. Brackett et Mayer (2003) observent entre les
dimensions des deux épreuves (EQ-I et MSCEIT) des corrélations de l’ordre de .20.
Ces résultats posent la question de ce que mesurent les deux tests qui se proposent
tous les deux de mesurer l’intelligence émotionnelle. Cette faible relation peut tenir
aux conceptions différentes des auteurs sur ce qu’est l’intelligence émotionnelle
mais peut également tenir aux différences dans les modalités d’évaluation utilisées
puisque le MSCEIT mesure des performances et le EQ-I procède par autoévaluation.
On constate également que ces deux épreuves ne corrèlent pas de la même façon
avec les épreuves d’intelligence générale et de personnalité. Dans l’étude de
Brackett et Mayer, le MSCEIT présente une corrélation significative avec une
épreuve d’intelligence verbale mais pas le EQ-I. Par contre, l’épreuve de Bar-On
corrèle plus fortement que le MSCEIT avec l’ensemble des dimensions de la
personnalité (de .16 à .57) selon le modèle des Big Five. Dans d’autres études, ces
corrélations sont même plus élevées : en moyenne de .50 et montant pour certaines à
.70 (Dawda & Hart, 2000). Pourtant, les auteurs de ces épreuves font état des bonnes
capacités prédictives de leurs mesures d’intelligence émotionnelle. Nous en avons
déjà donné quelques exemples pour les épreuves de Mayer et Salovey. Bar-On
(1977, Bar-On et al. 2000) fournit également de nombreux exemples de prédiction
du statut professionnel, de la réussite académique ou encore de la façon de gérer son
stress. Cependant, ces corrélations peuvent être simplement dues au recouvrement
de la mesure d’intelligence émotionnelle avec les dimensions de la personnalité et
les études ne fournissent pas d’indications sur ce que deviennent ces coefficients de
prédiction lorsque l’on maintien constant la personnalité.

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

5.3. Conclusions

Prenant appui sur cette importante redondance de l’intelligence sociale et de


l’intelligence émotionnelle avec les construits déjà existants, plusieurs auteurs ont
conclu au faible intérêt que présentent ces concepts. Pourtant, deux voies méritent à
notre avis d’être examinées. Elles sont suggérées par Petrides et Furnham (2000,
2003) à propos de l’intelligence émotionnelle. La première est fonctionnelle. Elle
consiste à étudier soigneusement ce que les mesures d’intelligence émotionnelle
apportent à la prédiction des conduites non pas prises seules, mais au-delà de ce qui
peut être prédit d’une part par l’intelligence classique et d’autre part par la
personnalité. Les techniques de corrélations incrémentielles se prêtent bien à de
telles études : elles permettent de calculer si les données d’intelligence émotionnelle
apportent un surcroît d’explication ou si le modèle est déjà saturé sans elles. Ces
auteurs font l’hypothèse qu’au-delà du recouvrement des mesures, une fraction de
variance des épreuves d’intelligence émotionnelle peut être spécifique et contribuer
à la prédiction des comportements. La seconde est structurelle. Elle consiste à
penser la relation entre intelligence émotionnelle et personnalité dans le cadre d’un
modèle hiérarchique : l’intelligence émotionnelle serait alors située dans un tel
modèle à un niveau inférieur à celui des traits de personnalité. Elle serait en
quelques sortes alimentée par ces derniers.

Nous souscrivons à ces pistes qui valent également pour le concept d’intelligence
sociale. L’ensemble des propriétés de ces concepts, pour autant bien sûr qu’on leur
donne une extension raisonnable, laisse à penser qu’ils se situent à un niveau
d’intégration des conduites différent de celui des aptitudes intellectuelles ou des
traits de personnalité. Les relations qu’ils entretiennent avec ces derniers, le fait
(souligné en particulier par Goleman et Bar-On) qu’ils s’acquièrent et se
développent avec l’expérience, la complexité de leur structure lorsque l’on mène des
analyses factorielles, et peut-être également la difficulté rencontrée à les évaluer sont
autant de raisons de penser qu’il s’agit plus de ce que l’on appelle aujourd’hui
compétences que de ce que l’on appelait hier sans états d’âme intelligence (au sens
classique des aptitudes et capacités cognitives). Il s’agit bien de la mise en œuvre
intégrée de différentes ressources conatives, cognitives et corporelles pour faire face
à une situation donnée. Plusieurs auteurs préfèrent d’ailleurs parler de compétences
émotionnelles (cf. par exemple Scherer, 2002) ou de compétences sociales (cf. par
exemple Argyle, 1994). Mais, au-delà de la terminologie utilisée, c’est à notre avis
la prise en compte du juste niveau d’intégration de ces conduites qui peut contribuer
à clarifier les concepts et à mieux définir les contours de leur champ de validité.

Du fait de son inscription dans un modèle comprenant, à un autre niveau,


différentes ressources telles que l’intelligence logique, les connaissances et la
personnalité …, il devient cohérent que l’intelligence sociale ou l’intelligence

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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

émotionnelle corrèlent plus ou moins fortement avec les ressources qu’elles


utilisent. Leur pertinence conceptuelle n’est plus alors menacée par l’existence de
ces corrélations mais elle demeure néanmoins suspendue à la nécessité qu’elles
expliquent mieux les fonctionnements effectifs des individus. Evaluer l’intelligence
sociale ou émotionnelle plutôt que la personnalité ou l’intelligence générale serait
justifié par une meilleure capacité des premières à prédire les comportements des
individus dans les situations de la vie quotidienne. Cela restant encore largement à
prouver, des recherches sont attendues à la fois pour améliorer les mesures
d’intelligence sociale et émotionnelle et tester leur validité prédictive.

Ces recherches ne sont pas sans poser de nouveaux problèmes, en particulier


celui d’identifier la part de l’individuel et du situationnel dans les comportements
observés. Cette difficulté est particulièrement claire pour l’intelligence sociale et
pour l’intelligence émotionnelle interpersonnelles qui se manifestent dans des
situations d’interactions sociales de la vie quotidienne. Elles ne sont donc pas
uniquement dépendantes des caractéristiques individuelles mais le sont également
des caractéristiques des situations d’interactions sociales rencontrées par les
personnes, des enjeux de l’interaction et des caractéristiques des interlocuteurs. La
question est alors de savoir si le comportement observé ou décrit est un
fonctionnement lié à une situation particulière ou s’il présente une certaine stabilité
inter situationnelle, c'est-à-dire, en d’autre termes, de savoir s’il est dépendant de la
situation ou s’il renvoie à des traits latents individuels relativement indépendants de
ces situations. Comme on le voit, la question de l’existence de ces formes nouvelles
d’intelligence est loin d’être résolue et continuera à animer les débats. Même si
certains auteurs (Mathiews et al., 2003, p. 548) considèrent dans l’état actuel des
connaissances qu’elles relèvent plus du mythe que de la science, ils ajoutent aussitôt
qu’il ne faut pas sous estimer le pouvoir des mythes !

5.4. Bibliographie

Bar-On, R. (1997). Bar-On Emotional Quotient Inventory (EQ-I): A test of emotional


intelligence. Toronto: multi-Health Systems.
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Intelligence sociale et intelligence émotionnelle

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multiple intelligences). Paris : Odile Jacob.
Goleman, D. (1999). L’intelligence émotionnelle 2 : Accepter ses émotions pour s’épanouir
dans son travail. (1ère éd. 1998 : Working with emotional intelligence). Paris : R. Laffont.
Goleman, D. (1997). L’intelligence émotionnelle : comment transformer ses émotions en
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Guilford, J. P. (1967). The nature of intelligence. New York: McGraw-Hill.
Hedlund, J., & Sternberg, R. J. (2000). Too many intelligences? In R. Bar-On & J. D. A.
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