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0 Géologues Couv.

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Numéro 194 - septembre 2017 - 20 € - ISSN 0016.7916 - Trimestriel

Géologues n°194 (03 • septembre 2017)


REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE
Géosciences appliquées

Haut Atlas de Marrakech, à 10 km au NO du col de Tizi n’Tichka. Cliché : H. Ouanaimi.

REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE

Cliché : H. Ouanaimi.
Le Maroc, paradis des géologues
0 Géologues Couv.194 26/09/2017 9:55 Page 2
Éditorial

Géologues
directeur de publication : Marc Blaizot 1 , Michel Jebrak 2 ,
Sylvain CHARBONNIER Rédacteur en chef Membre de la section
de « Géologues » Substances minérales de « Géologues »
rédacteur en chef :
Marc BLAIZOT ’est unanimement et avec enthousiasme que le comité de rédaction a décidé de
chargé de missions :
Gérard SUSTRAC
C lancer ce numéro spécial intitulé « Le Maroc, paradis des géologues », reprenant le
principe des numéros régionaux sur lequel “Géologues” avait beaucoup misé, il y
a 5 à 10 ans,à la grande satisfaction de ses lecteurs qui y font toujours référence. Nous avons
comité de rédaction : « seulement » étendu le concept de région à un pays tout entier englobant du même
• section géologie de l’ingénieur coup, beaucoup de provinces géologiques, du Maroc méditerranéen au Maroc africain en
Marc BRISEBARRE passant par le Maroc atlantique et le Maroc alpin et intégrant aussi de facto, à travers cet
Marianne CHAHINE exemple particulièrement pédagogique, toute l’histoire géologique de la Planète, du
Denis FABRE Précambrien au Quaternaire.
• section eau
Jean-Pierre FAILLAT S’inscrire, à travers ce numéro « national », dans une si longue période de temps et dans un si
Anthony LE BEUX vaste et si varié territoire, c’était aussi permettre à tout géologue, dans tous ses domaines
Lahcen ZOUHRI de prédilection, de se mobiliser, soit pour être rédacteur didactique, soit pour être lecteur
• section géophysique avisé. Car au-delà de l’immense intérêt de la géologie marocaine, cela a été la raison de
Antoine BOUVIER cette escapade hors de France : diffuser plus largement la revue en étendant son lectorat au
Christian HERISSON public francophone international et faire participer une nouvelle communauté de rédacteurs,
Jean-Marc MIEHE marocains pour l’essentiel.
• section substances minérales Que nos collègues qui ont répondu si tôt et si profondément présents, en particulier André
Michel JÉBRAK
Christian POLAK Michard, cheville ouvrière de ce numéro, soient ici remerciés : sans leur implication depuis
Véronique TOURNIS plus d’un an, ce numéro n’aurait pas pu naître et n’aurait pas bénéficié de tous leurs résul-
• section énergie tats et découvertes récentes, qui en font, croyons-nous, tout son attrait. Nos collègues
Jean-Jacques JARRIGE marocains ont démontré la variété de leurs compétences et leur enthousiasme. On verra
Alain MASCLE en effet, à travers tous ces articles, que tant la géologie fondamentale que la géologie
Valérie VÉDRENNE appliquée trouvent au Maroc un champ de réflexions et d’actions privilégié et que, surtout,
• section enseignement et recherche elles se nourrissent l’une l’autre. C’est particulièrement le cas des recherches fondamentales
Christian BECK et des réalisations industrielles innombrables dont on trouvera des exemples tant en
Roselyne FRIEDENBERG aménagements qu’en hydrogéologie, qui se sont multipliés ces 20 dernières années, dans
Didier NECTOUX un pays à la croissance quasi ininterrompue.
Cyril SCHAMPER
Un peu partout, la géologie régionale a profité des données acquises et des interprétations
mise en page et couverture : réalisées dans les géosciences appliquées : qu’on songe à l’ensemble des bassins sédi-
COM’IN - 45000 ORLEANS mentaires français dont la connaissance a été amplifiée et parfois révolutionnée par
Géologues est la revue officielle de la l’exploration pétrolière et minière et les avancées majeures qu’elles ont permises en
Société Géologique de France. géologie fondamentale, géophysique, géochimie, cartographie ou modélisations dont le
Géosciences Appliquées. dernier numéro de Géologues s‘est fait largement l’écho. Le prochain pas en avant, pour
Association loi de 1901, fondée en 1830 le bassin de Paris, sera bien sûr, l’intégration des données acquises dans le cadre du
projet du Grand Paris, qui seront mises, grâce à l’action de la SGF et au soutien bienveillant
et reconnue d’utilité publique par
de la Société du Grand Paris, à la disposition des universitaires.
Ordonnance du Roi du 3 avril 1832.
Ce numéro veut ainsi participer pleinement à cette relation forte, indispensable entre
siège social : géologie fondamentale et géologie appliquée, pierre angulaire de la SGF renouvelée et
77, rue Claude Bernard - 75005 PARIS renforcée depuis sa fusion avec l’UFG. Il nous semble d’ailleurs, que c’est pour la revue
Téléphone : 01 43 31 77 35 “Géologues”, une option stratégique dont nous aurons, à travers l’enquête que nous
Télécopie : 01 45 35 79 10 allons lancer auprès de vous, fin 2017, l’occasion de reparler et de débattre.
E mail : accueil@geosoc.fr Puisse ce nouveau numéro spécial « Maroc », fruit de cette coopération internationale
Site Internet : www.geosoc.fr entre tous les géologues quelle que soit leur discipline, être une première brique et fasse
Imprimé en France par des émules pour d’autres numéros « nationaux » dans les années qui viennent ! Bonne
CHEVILLON IMPRIMEUR lecture ! Bon voyage !
89101 SENS
1
Commission paritaire
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Tirage : 700 exemplaires 1. Courriel : marc.blaizot@laposte.net
2. Courriel : jebrak.michel@uqam.ca
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Première de couverture : La série crétacée du flanc sud du synclinal d’Aït Attab (Haut Atlas central).
Voir l’article de Charrière et Haddoumi, dans ce volume (cliché A. Charrière).

Géologues n°194
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géologie fondamentale :
4 état des connaissances
et résultats récents
68 hydrogéologie
Les grandes régions géologiques du Maroc ; Apports de la géologie du Maroc à la gestion et la planification
diversité et soulèvement d’ensemble .......................................................... 4 de ses ressources en eau souterraine ........................................................ 68
André Michard, Omar Saddiqi, Yves Missenard, Omar Fassi Fihri
Mostafa Oukassou, Jocelyn Barbarand Évaluation du potentiel des ressources en eau souterraine
Rif externe : comment comprendre d’un bassin hydrogéologique d’extension régionale.
et expliquer le chaos apparent ? .................................................................. 13 Cas du bassin du Sebou (Maroc) .................................................................. 73
Dominique Frizon de Lamotte, Mohamed Najib Zaghloul, Faouziya Mohamed Sinan, Abdessadek Chtaini, J. Filali Jaouad
Haissen, Geoffroy Mohn, Remi Leprêtre, Oriol Gimeno-Vives, Utilité du monitoring des forages d’exploitation d’eau
Achraf Atouabat, Mohamed El Mourabet, Anass Abassi pour la rationalisation de l’irrigation agricole au Maroc ...................... 78
Déformation active du Rif : GPS, sismicité et géologie Fouad Amraoui
montrent l’expulsion d’un coin crustal sud-occidental ........................ 16
Apport des outils isotopiques à la compréhension
Ahmed Chalouan, Jesus Galindo-Zaldivar, Antonio J. Gil, du fonctionnement des aquifères marocains et à la quantification
Kaoutar Bargach de leurs ressources - Cas du Bassin de Sebou .......................................... 83
La Meseta, un terrain vagabond ou la marge fragmentée Soumaya Sefrioui, Omar fassi Fihri et Hamid Marah
de l’Anti-Atlas ? ............................................................................ 19
Christian Hoepffner, Hassan Ouanaimi et André Michard
La tectonique de l’Atlas : âge et modalités .............................................. 24
Hassan Ibouh et Driss Chafiki
Dater les couches rouges continentales
pour définir la géodynamique atlasique .................................................. 29
André Charrière et Hamid Haddoumi
87 aménagements
et géotechnique
Le Précambrien à la bordure nord du craton ouest-africain
(Anti-Atlas et Haut Atlas, Maroc) ................................................................ 33 Activités néotectoniques et mouvements de terrain
Abderrahmane Soulaimani, Kevin Hefferan
dans le Prérif (Secteur de l'autoroute Fès-Taza, Nord Maroc) .............. 87
Hassan Tabbyaoui, Benoît Deffontaines, Fatima El Hammichi,
Dorsale Reguibat et Massif des Oulad Dlim, Abdel-Ali Chaouni et Samuel Magalhaes
l’avancée des connaissances ........................................................................ 37
Étude de l’érosion pluviale des talus autoroutiers au Maroc
Pilar Montero, Fernando Bea, Faouziya Haissen, José Francisco
Molina-Palma, Francisco González-Lodeiro, Abdellah Mouttaqi,
et proposition d’un système de protection par arcades bétonnées :
Abdellatif Errami application aux sections Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza .......... 93
Amal Chehlafi, Azzouz Kchikach et Abdelkrim Derradji
La construction des barrages et la politique de mobilisation
des eaux de surface au Maroc .................................................................. 100
Khalid El Ghomari
Adaptations d’un projet de barrage en cours de construction :
l’exemple du barrage de Moulay Bouchta

47 métallogénie et
substances minérales
en zone de flysch altéré .............................................................................. 106
Ahmed F. Chraibi et Abdelaaziz Zaki

Géodynamique et cyclicité métallogénique au Maroc ........................ 47


Dominique Gasquet et Alain Cheilletz
Les mines et la métallogénie du Maroc .................................................... 52
Michel Jébrak
Les dérangements de la série phosphatée dans le district minier
de Khouribga (Maroc) : une esquisse de leur origine et de leurs
112 patrimoine géologique
méthodes de cartographie sous couverture quaternaire .................... 54 Patrimoine géologique marocain et développement durable :
Nadia El Kiram, Azzouz Kchikach, Mohamed Jaffal, José Antonio l’exemple du Dévonien du Tafilalt, Anti-Atlas oriental ........................ 112
Pena, Teresa Teixido, Roger Guerin, Oussama Khadiri Yazami et Ahmed El Hassani, Sarah Aboussalam, Thomas Becker,
Es-Said Jourani Mohamed El Wartiti et Farah El Hassani
Les schistes bitumineux au Maroc ............................................................ 63 Les marqueurs permiens comme patrimoine géologique
Laurent de Walque à promouvoir et à protéger dans le massif hercynien
du Maroc central ............................................................................................ 118
Mohammed El Wartiti, Mohamed Zahraoui et Ahmed El Hassani

Géologues n°194
géologie fondamentale :
état des connaissances et résultats récents

Les grandes régions géologiques du Maroc ;


diversité et soulèvement d’ensemble
André Michard 1 , Omar Saddiqi 2 , Yves Missenard 3 , Mostafa Oukassou 4 , Jocelyn Barbarand 5 .

« Maroc, le paradis des géologues ! » Le pays est tel- découvrir de préférence ? Deux ouvrages récents répondent
lement étendu du nord au sud, des chaînes méditerra- à ces questions : un ouvrage collectif en anglais (Michard
néennes au craton de l’Afrique occidentale, et son relief est et al., eds., 2008) et une série de guides géologiques en
si accentué (n’y trouve-t-on pas le plus haut sommet non français (Michard et al., eds., 2011). Ici, nous résumons
volcanique d’Afrique, le J. Toubkal, 4167 m ?) que presque d’abord les grands traits de la géologie du pays, région par
toutes les roches de nature et d’âge variés, presque toutes région, en nous appuyant sur quelques cartes et coupes
les structures s’y trouvent directement observables. Climat générales. Cette introduction servira de base aux articles
favorable, végétation pas trop dense, hospitalité prover- suivants, qui ciblent les points acquis récemment et les
biale des habitants, infrastructure routière et hôtelière chantiers en cours d’étude dans chacune de ces régions.
excellente, voici qui complète l’attrait que ce pays exerce Cependant, à la fin de cette introduction, nous nous arrê-
sur les géologues et les paléontologues du monde entier. terons aussi sur une question fondamentale, celle des
Last but not least, les études géologiques y ont été déve- mouvements verticaux qui ont affecté presque toutes les
loppées très tôt (création du premier Service des Mines et régions géologiques du Maroc au cours des temps post-her-
de la Carte géologique en 1921 sous l’impulsion de cyniens,provoquant des lacunes stratigraphiques majeures
Lyautey ; publication de six cartes au 1/500 000 couvrant et finalement un relief très contrasté. Cette question a jus-
le pays en 1952 au Congrès d’Alger ; cf. Missenard et al., tifié de nombreuses recherches ces dernières années, et a
2008 ; Medioni, 2011) et se sont poursuivies sans relâche. conduit à s’intéresser non seulement aux roches présentes
Qui veut aborder le Maroc aujourd’hui dispose d’une carte en surface, mais jusqu’aux anomalies du manteau.
d’ensemble au 1/1 000 000 (1985), de
nombreuses cartes au 1/200 000 ou
au 1/100 000, de cartes thématiques
diverses (magnétiques,géochimiques,
etc.) et surtout de cartes au 1/50 000
couvrant déjà l’essentiel du pays et
dont le lever, commencé au nord dès
l’Indépendance, se poursuit encore
activement (www.mem.gov.ma). La
bibliographie géologique du Maroc,
déjà très riche, ne cesse d’augmen-
ter du fait même de l’intérêt que le
pays présente pour les chercheurs.
Des questions stimulantes telles que
la structure des chaînes de montagne
ou les crises biologiques trouvent des
éléments de réponse dans ce pays.
Encore ne parle-t-on ici que de géo-
logie fondamentale ! Le Maroc est
aussi un pays minier, la prospection
des hydrocarbures y est active off-
shore et onshore, et les problèmes
d’hydrogéologie ou de géologie appli-
quée y sont prégnants.
Quels sont les grands traits de Figure 1. Le relief du Maroc et des pays voisins au NW de l’Afrique (Michard et al.,2008). Le Rif et les Cordillères
4 la géologie du Maroc ? Où aller la bétiques du sud de l’Ibérie forment l’arc de Gibraltar, l’un des oroclines les plus refermés au monde.

1. Professeur émérite à l’Université de Paris-Sud, ex-directeur du Laboratoire de Géologie structurale de Strasbourg. Courriel : andremichard@orange.fr
2. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, Doyen de la Faculté des Sciences Aïn Chock. Courriel : omarsaddiqi@yahoo.fr
3. Professeur à l’Université Paris-Sud, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences d’Orsay. Courriel : yves.missenard@u-psud.fr
4. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, Faculté des Sciences Aïn Chock. Courriel : mostafa.oukassou@gmail.com
5. Professeur à l’Université Paris-Sud, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences d’Orsay. Courriel : jocelyn.barbarand@u-psud.fr

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Généralités la collision paléoprotérozoïque fondatrice du craton vers


2 Ga. Ensuite, plus de trace d’orogenèse, sauf sur les bords.
Les domaines géologiques du Maroc se lisent dans Dans l’Anti-Atlas,l’histoire enregistrée débute au Paléopro-
son relief (Fig. 1). Ils sont au nombre de cinq, du sud au térozoïque (c’est le bord nord du craton), avant d’être mar-
nord : le domaine saharien, correspondant au Craton quée par le cycle orogénique panafricain qui s’étale entre
Ouest-Africain (en anglais : le WAC) ; l’Anti-Atlas et les 760 et 550 Ma. Plus au nord encore, mais aussi à l’ouest,
bassins qui le bordent localement (Sous et Ouarzazate) ; l’orogenèse hercynienne ou varisque (360-290 Ma) s’expri-
le système des Atlas (Haut Atlas, Moyen Atlas), qui s’étend me fortement dans les massifs mésétiens, dans le socle
vers l’est en Algérie et Tunisie, alors que l’Anti-Atlas est atlasique et dans les nappes des Mauritanides septentrio-
une spécificité marocaine ; les massifs anciens du domai- nales (Oulad Dlim). La chaîne varisque, comme la chaîne
ne de la Meseta, en partie cachés sous des plateaux et panafricaine avant elle,tend à se mouler sur le craton.Enfin,
qui forment le socle des Atlas ; le Rif, branche sud de l’Arc le cycle orogénique alpin va faire surgir les Atlas et le Rif au
de Gibraltar et extrémité occidentale des chaînes alpines Cénozoïque (depuis ~35-40 - Ma), avec deux styles diffé-
de Méditerranée occidentale. Cependant, à ces cinq rents : une chaîne intracontinentale dans le domaine atla-
domaines majeurs, constitutifs du continent, vient s’ajou- sique,dont les unités sont essentiellement autochtones ;une
ter un sixième domaine qui les prend tous en écharpe de chaîne alpinotype dans le Rif, dont tous les éléments sont
manière plus ou moins complexe : la marge atlantique, charriés sur la marge africaine,certains,les plus internes,pro-
dont la partie proximale est visible à terre, et qui n’est venant même de la marge européenne de la Téthys.
restée une marge passive typique qu’au sud de l’Atlas.
Les domaines géologiques si visibles dans le relief du Le domaine saharien
Maroc se calquent sur autant de domaines structuraux (Fig.2). Le domaine saharien du Maroc comporte trois par-
Tout au sud, dans le craton, l’histoire tectonique commen- ties (voir Fig. 2), d’est en ouest et du plus profond au plus
ce à l’Archéen, il y a quelque 3 Ga, pour se poursuivre par superficiel : 1) une partie orientale appartenant au Craton
Ouest-Africain, 2) une partie centrale où affleurent les
nappes des Mauritanides, charriées sur le craton, et 3) une
partie occidentale constituée des terrains d’âge Crétacé-
Tertiaire appartenant à la marge atlantique proximale.

Le craton
Il correspond à une petite partie de la Dorsale ou
Bouclier Reguibat, montrant ici les terrains archéens du
noyau du Craton Ouest-Africain, avec des âges autour de
3 Ga. Le reste de la dorsale, affleurant en Mauritanie et en
Algérie, est fait de terrains paléoprotérozoïques soudés au
noyau archéen lors de l’orogenèse éburnéenne-birri-
mienne, vers 2 Ga. Les terrains archéens de la dorsale
affleurent au Maroc autour d’Aoussert (Awsard) et Tichla
(Rjimati et al., 2011). Ils comportent un large éventail de gra-
nites, migmatites et intrusions diverses, et des éléments
de ceintures de roches vertes (Tichla). Plus au sud, en Mau-
ritanie (région du Tasiast-Tijirit-Chami), ces terrains ont
été datés récemment à 2,97 Ga pour les migmatites, à
2,96 pour les volcanites acides de la ceinture de Chami
(Key et al., 2008). La ceinture de roches vertes du Tasiast
est considérée comme charriée vers l’ouest avant 2,83 Ga
Figure 2. Les domaines structuraux du Maroc et des régions voisines, (Heron et al., 2016). Au Maroc, les roches archéennes de la
résultat d’une évolution géologique commencée il y a 3 Ga (Archéen du région d’Awsard-Tichla ainsi que celles des unités char-
Craton Ouest-Africain). Hachures: zone des Sferiat, à unités chevauchantes
archéennes découpées pendant la collision éburnéenne. FSA : Faille sud- riées les plus basses ont fait l’objet d’une cartographie au
atlasique. AAMF : Accident majeur de l’Anti-Atlas ; BC : Bloc côtier ; 1/50.000 (Rjimati et al., 2002 à 2011), puis ont été étudiées
Jb : Jebilet ; MC : Meseta centrale ; MSZ : Suture mésorifaine ; OZZ :
Ouarzazate ; R : Rehamna ; T : Tazekka ; Ta : Tamelelt. D’après Michard et en détail du point de vue géochimique et géochronolo-
al., 2011. Les traces 3 (A, B) à 8 localisent les coupes des figures suivantes. gique, comme exposé plus loin (Montero et al., ce vol.). 5

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Les nappes des Oulad Dlim-Adrar Souttouf s’intercalent entre la première nappe de socle et les quart-
zites conglomératiques de l’Ordovicien supérieur, discor-
Le massif des Oulad Dlim-Adrar Souttouf permet
dants sur l’Archéen (voir Fig. 3A). Ce n’est que plus au nord
d’observer l’extrémité septentrionale de la chaîne des
encore (Dhlou, Zemmour) que la couverture du craton
Mauritanides, une « chaîne de montagnes » qui ne dépas-
s’épaississant, une chaîne plissée d’avant-pays apparaît
se guère 400 m d’altitude, formée d’unités charriées vers
au front des nappes (Fig. 3B), annonçant le passage vers
l’est sur le bord du craton. Cette chaîne au sens tecto-
l’Anti-Atlas. La réduction extrême de la couverture du cra-
nique du terme s’allonge sur plus de 1500 km vers le sud
ton sur le transect des Oulad Dlim s’explique d’abord par
jusqu’au Sénégal, pour une largeur généralement voisine
l’érosion glaciaire ordovicienne ayant précédé le dépôt
de 150 km. L’empilement des unités qui la forment et leur
des quartzites conglomératiques, ensuite par une subsi-
charriage sur le craton résultent pour une part de l’oro-
dence particulièrement faible de la région au Paléozoïque
genèse varisque, comme le montre l’implication du Dévo-
moyen, peut-être du fait de sa position en épaulement
nien dans ses unités frontales (Fig. 3) ainsi que les mesures
de la marge de l’océan Rhéique.
K/Ar et 40Ar/39Ar de 310-290 Ma, obtenues dans les unités
internes (Villeneuve et al., 2006 ; Caby & Kiénast, 2009).
Des assemblages métamorphiques de haute pression- La marge atlantique au sud de l’Atlas
basse température,attribuables à l’orogenèse varisque,ont La marge atlantique du Maroc (Hafid et al., 2008 ;
été mis en évidence en Mauritanie (Le Goff et al., 2001 ; Klingelhofer et al., 2016) s’est formée suite au rifting du
Caby & Kiénast, 2009). Cependant, cette chaîne porte Trias lors de l’ouverture de l’Atlantique Central, rifting
aussi témoignage d’événements néoprotérozoïques culminant avec les émissions basaltiques de la CAMP
rattachés à l’évolution de la chaîne panafricaine et révé- (Central Atlantic Magmatic Province) vers 200 Ma. La
lés par la géochronologie U-Pb zircon. Montero et al. (ce partie saharienne de la marge (Fig. 4) montre les dépôts
vol.) brossent l’état des lieux concernant les nappes des synrifts du Trias, recouverts par une plateforme carbo-
Oulad Dlim,notamment la nature et l’âge de leur matériel. natée jurassique tronquée par les couches détritiques
Du point de vue structural, le transect des Oulad du Crétacé inférieur, continentales dans le domaine proxi-
Dlim est remarquable parce que les nappes crustales mal, et suivis enfin par les séries marines du Crétacé
métamorphiques se superposent directement par endroit supérieur et du Tertiaire. Au sud de l’Atlas, cette série de
sur la croûte de leur avant-pays, sans interposition d’uni- marge passive est seulement déformée par la tectonique
tés sédimentaires parautochtones. C’est le cas au sud, au salifère (Tari et al., 2003 ; Davison & Dailly, 2010). L’insta-
niveau de Tichla, tandis que vers le nord des écailles de bilité gravitaire liée aux pentes du talus détermine en
métaquartzites attribuables au Cambrien (Gärtner et al., outre la déformation des couches éocènes à quaternaires
2017) et une mince semelle siluro-dévonienne plissée (Benabdellouahed et al., 2016).

Figure 3. Le front des nappes mauritaniennes et leur avant-pays cratonique à Aousserd (A) et Guelta Zemmour (B), d’après Michard et al. (2010). Le domai-
6 ne cratonique est colorié, les nappes et les terrains paléozoïques décollés sont laissés en blanc..

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Figure 4. Coupe des séries sédimentaires de la marge atlantique à Tarfaya, dans la partie nord du bassin de Boujdour (Hafid et al., 2008).

L’Anti-Atlas Le résumé des connaissances actuelles sur la chaî-


ne panafricaine de l’Anti-Atlas est présenté plus loin par
Entre l’embouchure de l’oued Dra et la hamada du
Soulaimani et al. (ce vol.). Quant à l’orogenèse varisque, elle
Guir à l’ouest de Béchar (voir Fig. 1), l’Anti-Atlas apparaît
reste ici modérée : l’Anti-Atlas correspond à une chaîne
comme une chaîne montagneuse trapue (750 x 150 km) d’avant-pays au front des zones métamorphiques des
et d’altitude moyenne, modérée. Elle culmine à 3 200 m au Mauritanides, à l’ouest, et du domaine de la Meseta, au
J. Siroua, là où elle est collée au Haut Atlas, au sud de Mar- nord. Cette chaîne montre un style « pachydermique »
rakech (voir Fig. 2). L’axe le plus surélevé de l’Anti-Atlas est (thick-skinned) dans la mesure où la déformation implique
marqué par l’alignement des « boutonnières » (des mas- son socle (voir Fig. 5). Les accidents du socle précambrien
sifs généralement en creux) qui font affleurer le socle pré- sont réactivés au cours de l’évolution paléozoïque (Sou-
cambrien métamorphique sous les terrains paléozoïques laimani et al., 2014), d’abord en failles normales (rifting
plissés (Fig. 5). Sur le flanc nord de la chaîne, les couches cambrien), puis en failles inverses décrochantes (collision
crétacées et tertiaires des deux bassins du Sous (Agadir) varisque), aboutissant à un canevas de plis complexes. La
et de Ouarzazate montrent un pendage nord et s’appuient complexité du plissement est d’autant plus importante
en discordance sur le Paléozoïque déformé. Ainsi l’Anti- (figures d’interférence) que la direction de compression
Atlas est une « poupée-gigogne » géologique : une mon- semble tourner pendant le Carbonifère supérieur-Per-
tagne surélevée au Cénozoïque à l’instar de l’Atlas,reprenant mien inférieur, passant de la direction NW-SE (Anti-Atlas
une ancienne chaîne hercynienne,elle-même superposée à occidental) à la direction N-S puis NE-SW dans le Tafilalt
un domaine complexe où se trouvent les témoins de deux et l’Ougarta (Baidder et al., 2016).
cycles orogéniques précambriens, celui du Néoprotéro-
zoïque, qui a édifié l’immense chaîne panafricaine, et celui Le domaine mésétien
du Paléoprotérozoïque, qui a présidé à l’édification du cra- Ce domaine se définit dans les massifs anciens où
ton ouest-africain. les terrains paléozoïques sont affectés de plissements

Figure 5. Coupe du flanc sud de l’Anti-Atlas occidental, d’après Burkhard et al. (2006), modifiée in Michard et al. (2010). Localisation : Fig. 2. Abréviations :
Fig. 3, sauf PIII = ancienne désignation de l’Ediacarien supérieur discordant. 7

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

de la Meseta occidentale ou la zone de


faille du Tazekka, 2) l’étalement des
phases de compression syn-métamor-
phiques avec une phase précoce dans le
bloc Sehoul (granite à 367 Ma ;Tahiri et al.,
2010) et dans la Meseta orientale, avant
la transgression du Dinantien (Hoepff-
ner et al., 2006 ; Michard et al., 2010), 3)
l’importance du magmatisme synoro-
génique, avec un magmatisme gab-
broïque précoce, dévono-dinantien, et
un magmatisme granitique syn- à post-
tectonique. Les plus vieux terrains à
l’affleurement sont d’âge Ediacarien
supérieur. La présence d’une croûte
précambrienne ancienne de type gond-
Figure 6. A : Coupe schématique de l’orogène mésétien (Hoepffner et al., 2006). B : Coupe générale de wanien est attestée par l’âge des zircons
la chaîne varisque marocaine replaçant la coupe A dans son cadre général à la fin du Paléozoïque
(Michard et al., 2010). TFZ : Zone de faille du Tazekka, coïncidant avec la zone de racine des nappes, hérités (2000 Ma, 700 Ma), ramenés
charriées vers l’ouest. Abréviations stratigraphiques usuelles en anglais. S1, S2 : clivage schisteux par diverses roches magmatiques (e.g.,
éovarisque/varisque.
Dostal et al., 2005), bien que cette
croûte ancienne ait été profondément
intenses synmétamorphiques et recoupés par de vastes
rajeunie pendant les phases de subduction et de collision
intrusions granitiques. Il appartient à la chaîne varisque
varisque.
ou hercynienne qui s’allongeait d’Europe en Afrique
occidentale après la collision Laurussia-Gondwana. Les La chaîne mésétienne arasée au Permien constitue
terrains primaires les plus jeunes sont ceux des fossés en règle générale le socle du système des Atlas. Le Massif
permiens volcano-détritiques, liés à des ancien du Haut Atlas occidental, le massif du Tazekka, les
décrochements tardi-hercyniens. Ce socle
paléozoïque forme des massifs (Massif
central, Rehamna, Jebilet, Bloc côtier ; voir
Fig. 2) entourés par les couches discor-
dantes des bassins triasiques ou des pla-
teaux crétacés-tertiaires (dont le fameux
Plateau des Phosphates entre le Massif
central et les Rehamna), ou encore des
bassins miocènes (celui de Fès-Meknès
au nord,du Tadla et de Marrakech au sud).
Le même socle varisque se retrouve en
massifs dispersés dans le domaine atla-
sique, où ce sont des dépôts triasiques et
jurassiques qui le recouvrent. En interpo-
lant les données d’un massif à l’autre, il
est possible de proposer une coupe de
l’orogène mésétien (Fig. 6A), et de repla-
cer celle-ci dans l’ensemble de la chaîne
varisque marocaine (Fig. 6B).
Le contraste est frappant avec la
chaîne plissée d’avant-pays de l’Anti-Atlas Figure 7. Coupes du Haut Atlas central (A) et de l’Atlas de Marrakech (B), respectivement d’après
(voir Fig. 5). On note en particulier : 1) le Michard et al. (2011) et Missenard et al. (2007). C : Coupe du rift triasique sur le transect oriental de
l’Atlas de Marrakech vers la transition Trias-Lias (200 Ma), d’après El Arabi (2007), in Frizon de Lamotte
découpage de l’orogène par des failles et al. (2008). I-V : succession des séquences continentales du Permien (I) et du Trias (II-V). En vert : trapps
8 majeures comme la Zone de cisaillement basaltiques et dykes de la CAMP.

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

horsts du Moyen Atlas nord-oriental, le massif de Midelt, Tazekka, où s’enracinent les nappes varisques, et de la
le nord du Tamelelt dans l’Atlas oriental appartiennent zone faillée de Meseta occidentale.
au socle mésétien. En revanche, le socle du Haut Atlas de L’organisation des montagnes atlasiques est mar-
Marrakech présente une géologie de type anti-atlasique, quée par la prédominance de failles longitudinales, héri-
sans empreinte métamorphique varisque : c’est le « pro- tées des failles normales du rift correspondant. Ces failles
montoire de l’Ouzellarh » où se trouve le J. Toubkal. Une normales découpaient des blocs allongés et plus ou moins
faille varisque majeure le sépare de l’orogène mésétien, la basculés transversalement. Ce découpage va guider en
Faille sud-mésétienne (SMF), qui inclut à l’ouest la faille du partie la répartition des plis atlasiques, caractérisés par des
Tizi n’Test mais se poursuit vers l’est jusqu’en Algérie. Les anticlinaux aigus entre de larges synclinaux à fond plat
relations paléogéographiques entre Meseta et Anti-Atlas (Fig. 7). Le rifting triasique s’est trouvé réactivé au Lias,
ont été récemment éclairées par les études stratigra- avec une reprise du volcanisme associé. Le remplissage
phiques et structurales, comme l’exposent plus loin Oua-
marin du rift se poursuit jusqu’au Jurassique moyen, avec
naimi et Hoepffner (ce vol.).
des dépôts plus épais et en général plus profonds dans l’axe
Les couches de houille du Carbonifère supérieur du bassin. Dans le même temps, le sel triasique sous-
ont été exploitées dans la Meseta orientale (Jerada), jacent commence à fluer et à s’organiser en diapirs au-des-
et les minéralisations sulfurées liées au magmatisme sus des failles. Une régression s’installe au Jurassique
de la Meseta occidentale ont un intérêt économique moyen, enregistrée par le dépôt de couches rouges. Celles-
important. Cependant, la chaîne varisque marocaine dans ci sont célèbres par leur restes et empreintes de dino-
son ensemble offre bien des sujets d’étude de géologie saures. Les dépôts rouges se poursuivent jusqu’au Créta-
fondamentale, qu’il s’agisse de l’interprétation de la cul- cé inférieur. L’érosion de l’Atlas de Marrakech commence
mination métamorphique des Rehamna et des Jebilet dès cette époque et alimente en partie ces dépôts rouges.
(Wernert et al., 2016 ; Delchini et al., 2016), des corréla- Dans la même période se déclenche un magmatisme,
tions avec la chaîne varisque d’Europe et de la tectonique tant intrusif que volcanique, de nature gabbroïque à ten-
des plaques associée à cette orogenèse (Kroner, 2016). dance alcaline, associé à des syénites. Il traduit l’exten-
sion crustale et la remontée de l’asthénosphère (Frizon
Le système des Atlas
de Lamotte et al., 2009).
Les Atlas (Haut Atlas et Moyen Atlas, voir Fig. 2) La transgression majeure du début du Crétacé
sont des chaînes intra-continentales d’âge alpin résultant supérieur a probablement recouvert toute la chaîne.
de l’inversion de rifts d’âge triasico-jurassique (Frizon de L’émersion va se faire vers la fin de cette période et les
Lamotte et al., 2000, 2008 ; Teixell et al., 2007 ; Domène- failles vont commencer à s’inverser quand la convergen-
ch et al., 2015). Ces rifts assuraient une connexion entre le ce Afrique-Europe s’enclenchera (80 Ma). De nouveaux
rift de l’Atlantique central et la Néo-Téthys, concurrem- dépôts rouges apparaissent au début du Tertiaire. Charrière
ment au rift passant plus au nord et rattachant l’Atlantique et Haddoumi (ce vol.) reviennent sur les méthodes de
naissant à la Téthys alpine. Contrairement à leurs voisins datation de ces divers dépôts rouges et sur leur signifi-
du nord, les rifts atlasiques ont avorté au Jurassique supé- cation géodynamique.
rieur, sans aller jusqu’à l’ouverture océanique. Les rifts
atlasiques se sont ouverts dans la chaîne
mésétienne érodée et effondrée, à
l’instar du rift atlantique s’ouvrant sur
les ruines de la chaîne appalachienne-
hercynienne, en réutilisant en failles
normales nombre de failles inverses ou
de décrochements anciens. C’est ce qui
explique que le plan des chaînes atla-
siques se calque sur celui de l’orogène
mésétien. Ainsi, la Faille sud-atlasique
suit à peu près le même trajet que la
Faille sud-mésétienne, c’est une structu- Figure 8. Coupe schématique du Rif et du sud du bassin d’Alboran, d’après Chalouan et al., 2008,
re héritée typique. De même, la direction modifié. Localisation : voir Fig. 2. Abréviations : B., Beni ; C, Crétacé ; J, Jurassique inférieur-moyen ;
LCKE, Crétacé inférieur de Ketama ; LMM, Miocène inférieur-moyen ; MM, Miocène moyen ; MSZ :
NE-SW du Moyen Atlas correspond à suture mésorifaine ; Pd, Prédorsalien ; T, Trias ; Tg, Unité de Tanger ; UM, Miocène supérieur (1, Torto-
l’orientation de la zone de faille du nien anté-nappe ; 2, Tortonien-Messinien-Pliocène post-nappe) ; UJ-C, Jurassique supérieur-Crétacé. 9

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Le raccourcissement transversal des Atlas s’accen- séries y sont de plus en plus pélagiques vers le nord jus-
tue au Miocène, entraînant le chevauchement du Haut qu’au Crétacé supérieur-Eocène, puis se terminent par
Atlas et du Moyen Atlas sur leurs bordures respectives des sédiments détritiques miocènes.
(voir Fig. 7A). La géométrie des failles inverses dans le socle Or, par-dessus le Miocène mésorifain qui affleure
est encore mal connue,faute de profil de sismique réflexion. en fenêtres anticlinales,s’observe la « nappe des Senhadja »
Cependant, le massif ancien du Haut Atlas occidental révè- hétéroclite, qui inclut aussi bien des unités de couvertu-
le un découpage du Paléozoïque en blocs imbriqués, déli- re calcaire que des écailles à affinités ophiolitiques :
mités par des failles inverses en replats et rampes (Fekkak serpentinites (Beni Malek), gabbros, diabases, avec leur
et al., soumis). Le raccourcissement n’excède sans doute couverture d’ophicalcite, de brèches et de sables ophioli-
pas 15 à 25% de la largeur initiale du bassin, ce qui pose le tiques, de calcaires à clastes ophiolitiques et de radiolarites
problème de l’altitude considérable de cette chaîne presque (Michard et al., 1992, 2007, 2014 ; Benzaggagh et al., 2014).
sans racine. Ce point est discuté à la fin du présent article, C’est la suture mésorifaine, qui peut se suivre en Algérie
tandis qu’une discussion de la tectonique atlasique est au moins jusqu’en Oranais (voir Fig. 2). Cette suture est
proposée plus loin par Ibouh et Chafiki. (ce vol.). interprétée comme issue de la marge distale africaine, de
type hyper-étirée, avec exhumation du manteau, intru-
Le Rif sion et exhumation de gabbros, et présence d’allochtones
La Meseta marocaine occidentale et les plateaux continentaux (Senhadja, Intrarif). L’article de D. Frizon de
du Moyen Atlas tabulaire s’enfoncent vers le nord sous Lamotte et al. (ce vol.) montre tout l’intérêt de cette zone
les sédiments mio-plio-quaternaires du sillon sud-rifain en terme de géodynamique.
(voir Fig. 2). À partir de là, la géologie change du tout au La suture mésorifaine n’est pas la seule suture du
tout, on entre dans le domaine rifain, chaîne alpine typique Rif, il y a aussi celle que marquent les Flyschs maghrébins,
où toutes les unités rocheuses sont déplacées peu ou prou au nord de l’Intrarif. Ces flyschs sont des séries sédimen-
vers le sud ou le sud-ouest par-dessus la bordure de taires de mer profonde dont l’âge va du Crétacé inférieur
l’Afrique nord-occidentale. Les lignes qui suivent résu- au Miocène inférieur. Aujourd’hui, ils sont disposés en
ment la synthèse récente proposée par Chalouan et al. nappes au-dessus des unités intrarifaines, mais sont inter-
(2008), sauf mention particulière. prétées comme issues d’un bassin océanique étroit entre le
Les petites montagnes qui apparaissent d’abord domaine de la marge hyper-étirée mésorifaine au sud et
au nord de Fès et Meknès appartiennent encore à l’avant- le domaine d’Alboran au nord, rattaché à la marge ibé-
pays de la chaîne (Fig. 8). Ce sont les Rides prérifaines, rique sud-est. La suture des Flyschs ne montre que
dalles de roches jurassico-crétacées décollées du socle sur quelques écailles de basaltes en coussins dans le Rif, mais
les évaporites triasiques. Cette tectonique de serrage au les ophiolites font leur apparition en Algérie au sud de la
front du Rif est très récente et a contribué à fermer au Petite Kabylie, avant de se développer considérablement
cours du Messinien le sillon sud-rifain qui était l’une en Calabre, dans une situation tectonique équivalente.
des voies de communication entre la Méditerranée et Au-delà de la suture des Flyschs, se développe le
l’Atlantique. Ceci a provoqué la crise salifère de la Médi- domaine d’Alboran. Marge passive de la plaque ibérique du
terranée jusqu’à ce que s’ouvre en grand le détroit de Jurassique à l’Eocène, c’est aujourd’hui un empilement de
Gibraltar au Pliocène (e.g. Achalhi et al., 2016). nappes, affecté par un métamorphisme alpin de haut
Au-dessus de la série parautochtone des Rides, la degré dans les unités les plus profondes. Ce domaine for-
première nappe rencontrée est la nappe prérifaine, faite me aussi la croûte étirée du bassin méditerranéen d’Albo-
de marnes crétacées à Miocène supérieur ayant glissé par ran et réapparaît dans les Cordillères bétiques. Les nappes
gravité vers l’avant-fosse du sillon sud-rifain, au cours du qui le constituent sont semblables au sud et au nord du bas-
Miocène supérieur. Les masses d’évaporites y sont fré- sin, incluant de haut en bas, i) la Dorsale calcaire où sont
quentes (diapirisme crétacé à miocène). Cette nappe a empilées les unités de couverture de la paléomarge, ii) les
transporté avec elle une autre nappe, dite d’Ouezzane, Ghomarides-Malaguides, ensemble de nappes à matériel
d’origine plus interne (Intrarif). Un alignement de reliefs paléozoïque affecté par l’orogenèse varisque, et iii) les Seb-
rocheux (carbonates jurassico-crétacés) appelés « sofs » tides-Alpujarrides, incluant un matériel crustal ayant subi
marque la limite du Prérif interne. Dans ces unités, com- également l’orogenèse varisque, et un matériel manté-
me dans celles qui suivent vers l’intérieur et appartiennent lique formant les massifs de péridotites des Beni Bousera
au Mésorif (nomenclature héritée de Suter, 1980), on peut dans le Rif et de Ronda dans les Bétiques. Le métamor-
reconnaître les éléments de la marge passive proximale de phisme alpin affecte essentiellement les Sebtides, avec un
10 l’Afrique, au sud de la Téthys liguro-maghrébienne. Les pic thermique vers 20 Ma, précédant de peu l’effondre-

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

ment du cœur de la chaîne, l’ouverture du bassin d’Albo- malgré l’inversion cénozoïque. Il en est de même dans les
ran et le développement du volcanisme andésitique. bassins périphériques, comme le bassin d’Essaouira, ou
L’interprétation géodynamique de cet arc de Gibraltar si le long de la marge passive Atlantique.
resserré alimente de nombreuses controverses et des études Plus au Sud, l’Anti-Atlas subit dans le même temps
incessantes (e.g. Mazzoli & Martin-Algarra, 2014 ; Frasca et une phase d’exhumation lente mais persistante (Ruiz et
al., 2015). Les mouvements récents qui affectent cette al., 2011 ; Oukassou et al., 2013 ; Sehrt et al., 2017). Cette
région et y provoquent de fréquents séismes font l’objet de phase d’exhumation, qui va se poursuivre jusqu’au Cré-
la contribution de Chalouan et al. (ce vol.). tacé inférieur, est à l’origine de l’érosion de plusieurs kilo-
mètres de couverture paléozoïque. Les séries triasico-lia-
Les mouvements verticaux du Maroc siques n’ont jamais recouvert ce domaine. Enfin, le
et son relief actuel domaine saharien partage une histoire commune avec
l’Anti-Atlas pour cette période, puisque les données de
Les enseignements de la thermochronologie basse- thermochronologie basse température indiquent là enco-
température
re une exhumation lente mais persistante pendant le Trias
Nous avons souligné au début de cet article l’alti- et le Jurassique inférieur (Leprêtre et al., 2013).
tude particulièrement importante du relief marocain par Une étape de cette histoire est particulièrement
rapport au reste de l’Afrique du Nord (voir figure 1). La ther- intrigante : celle qui va du Jurassique supérieur au Créta-
mochronologie basse température (essentiellement par cé inférieur et voit une grande partie du Maroc affectée par
la méthode des traces de fission sur apatite) permet de une érosion majeure. Les sédiments triasico-liasiques de
préciser l’évolution du relief depuis le début du Secondaire, la Meseta occidentale sont alors totalement érodés. L’éro-
offrant ainsi un éclairage nouveau sur les lacunes sédi- sion atteint aussi 1 à 2 km dans l’Anti-Atlas. Le bouclier
mentaires qui caractérisent la Meseta et l’Atlas de Marra- Reguibat subit 3 à 4 km d’érosion à l’ouest, et 1 à 1.5 km à
kech (la « Dorsale de la Meseta occidentale », en anglais l’est. Les produits d’érosion viennent alimenter de vastes
« West Moroccan Arch ». On découvre une succession de deltas sur la marge passive atlantique, au niveau de
périodes de surrection et de périodes de subsidence durant Boujdour et de Tarfaya. Cet épisode d’érosion qui suit, à
le Méso-Cénozoïque, y compris pour les massifs anciens, plusieurs dizaines de millions d’années de distance, les
traditionnellement considérés comme « stables » depuis riftings atlantiques et téthysiens, reste une énigme. Il
l’orogenèse varisque (Leprêtre et al., 2015). s’agit probablement d’un phénomène de très grande lon-
Le démantèlement de la chaîne varisque s’achève gueur d’onde, peut-être associé à la dynamique du man-
au Permien. Dans le contexte de la fragmentation de la teau. La fin en est marquée par l’arrivée de la mer céno-
Pangée, les séries détritiques du Trias, les trapps basal- mano-turonienne sur l’ensemble du domaine,à l’exception
tiques du Trias-Lias et les carbonates du Lias ont vrai- de la partie sud de la dorsale Reguibat. À la fin du Créta-
semblablement recouvert tout le domaine atlaso-mésé- cé supérieur, les prémices des déformations alpines se
tien. De fait, l’inversion des données de traces de fission font sentir, enregistrés par des discordances locales dans
sur apatite dans les massifs mésétiens montre qu’ils ont les Atlas (Frizon de Lamotte et al., 2008, fig. 4.20). De plus,
été recouverts par des couches dont l’épaisseur a pu la totalité de la dorsale Reguibat est de nouveau livrée à
atteindre 1,5 à 3 km avant la discordance du Jurassique l’érosion, tout comme, probablement, l’Anti-Atlas. Ces
supérieur et/ou du Crétacé inférieur, suivant les lieux (Ghor- deux domaines forment ainsi des antiformes d’échelle
bal et al., 2008 ; Saddiqi et al., 2009). L’image ancienne lithosphérique, plis de grande longueur d’onde associés à
« d’îles paléozoïques » émergeant au milieu des mers épi- la convergence Afrique-Europe. Cette convergence abou-
continentales du Lias, est aujourd’hui caduque ; elle doit tit à un premier épisode d’inversion des bassins atlasiques
être remplacée par celle d’une dorsale émergée au Juras- au cours de l’Eocène moyen-supérieur: c’est la phase atla-
sique supérieur-Crétacé inférieur. La question reste posée sique, bien connue en Algérie et en Tunisie grâce aux don-
pour le Haut Atlas de Marrakech, à la croisée des rifts Atla- nées de sub-surface et à un enregistrement sédimentai-
sique et Atlantique. Il semble n’avoir pas été recouvert de re continu. Au Maroc, les données de sub-surface sont
sédiments avant le Trias supérieur (Domènech et al., 2015), parcellaires, et l’enregistrement sédimentaire dans les
et les séries jurassiques, qui s’amincissent à son pied, ne bassins est incomplet. Il faut alors utiliser, outre les traces
s’y sont jamais déposées. Dans les domaines voisins, affec- de fission sur apatite, des thermochronomètres ayant des
tés par l’extension (Haut Atlas Occidental, Haut Atlas Cen- températures de fermeture différentes (méthode U-Th/He
tral, Moyen Atlas), ce sont des séries pluri-kilométriques sur apatite), pour mettre en évidence cette phase de défor-
qui s’accumulent au Mésozoïque, et qui sont préservées mation (Leprêtre et al., 2015). 11

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

deux phases volcaniques, l’une au Miocène, entre 14,6 et


5,5 Ma, l’autre au Quaternaire, entre 1,8 et 0,5 Ma. Les
néphélinites sont ici plus rares et forment les plus
anciennes coulées, suivies par des laves moins alcalines
(basaltes subalcalins dominants). Les caractères géochi-
miques de ces laves sont compatibles avec l’idée d’un
panache asthénosphérique mis en place sous les Canaries
et le Maroc atlaso-mésétien à partir de l’Eocène (des intru-
sions sont datées de cet âge dans l’Atlas central-oriental)
et qui aurait provoqué l’érosion thermique de la base de
la lithosphère, suivant une « ligne chaude du Maroc »
allant du Siroua à Oujda.
Or, l’amincissement lithosphérique invoqué se trou-
ve bien confirmé par les études géophysiques. Dès 1996,
Seber et al. ont montré, en s’appuyant sur des données de
télésismique, que la lithosphère marocaine est particu-
lièrement chaude. Au milieu des années 2000, la confir-
Figure 9. Topographie de la limite lithosphère-asthénosphère sous le Maroc mation d’une lithosphère atypique est donnée par Mis-
et les domaines adjacents, modèle basé sur l’anomalie du géoïde (Fullea senard et al. (2006) et Fullea Urchulutegi et al. (2007).
Urchulutegui et al., 2007). La zone de lithosphère amincie concerne
l’Anti-Atlas au Sud, le Haut Atlas Central, le Moyen Atlas, et semble se L’amincissement de la lithosphère (Fig. 9) est caractérisé
poursuivre au Nord en mer d’Alboran. par : 1) une limite lithosphère-asthénosphère remontant
à 70 km localement, 2) une géométrie allongée, depuis
L’anomalie chaude de la lithosphère marocaine l’Anti-Atlas occidental jusqu’au Rif oriental, 3) une indé-
Au cours de l’Oligocène et du Miocène, tout le Maroc pendance vis-à-vis des structures crustales, 4) un mag-
au sud du Rif est caractérisé par un soulèvement qui en matisme à l’aplomb du secteur aminci, mis en place en
fait une terre émergée. Les chaînes atlasiques s’érigent et deux phases distinctes, l’une à l’Eocène, l’autre au Plio-
les molasses syntectoniques viennent alimenter des Quaternaire, sans qu’une migration dans l’espace de ce
bassins internes ou périphériques continentaux. Le ser- magmatisme puisse clairement être identifiée, et enfin 5)
rage se poursuit au cours du Pliocène et du Quaternaire, un soulèvement de la croûte de l’ordre de 1000 m, qui
déformant les premières molasses. Cependant, le rac- s’ajoute à la topographie générée par l’épaississement
courcissement des Atlas reste faible, de l’ordre de 15 % à crustal dans le Haut Atlas et le Moyen Atlas.
l’Ouest et de 25 % à l’Est, valeurs insuffisantes pour justi- Il apparaît impossible de relier cet amincissement
fier, par simple isostasie, l’altitude considérable qu’attei- lithosphérique à un phénomène de rifting, car il n’y a
gnent ces chaînes. D’où l’idée que ce soulèvement soit en aucun indice d’extension en surface. Un processus de type
partie contrôlé par des processus profonds, comme le sug- panache, évoqué plus haut, est également délicat à envi-
gérait déjà Louis Gentil en 1901 (cf. Missenard et al., 2008). sager étant donné la géométrie allongée (1000 km par
L’existence d’un volcanisme Miocène à Quaternai- 100 km) de la structure et la présence de deux épisodes dis-
re d’affinité alcaline relativement abondant dans l’Anti- tincts de magmatisme. Difficile enfin d’envisager un phé-
Atlas, le Haut Atlas Central, le Moyen Atlas, la Meseta cen- nomène de délamination (Bezada et al., 2013), qui néces-
trale et orientale (plateau du Rekkame) et le Rif oriental siterait un sur-épaississement crustal, sur-épaississement
est l’indice que des processus profonds, mantelliques, ont qui n’existe pas dans le domaine atlasique et encore moins
été à l’œuvre sous la croûte continentale marocaine (cf. dans l’Anti-Atlas, étant donné les faibles taux de raccour-
Maury, in Frizon de Lamotte et al., 2008, p. 183-188). Le vol- cissement et le faible épaississement crustal associé. Plu-
canisme est daté de 10,8 à 2,7 Ma dans le Siroua, entre les sieurs équipes se sont attachées à essayer de contraindre
bassins de Ouarzazate et du Souss, avec des éruptions les processus à l’origine de cette structure si particulière.
trachytiques, rhyolitiques, des dômes de phonolites. Les Par exemple, Missenard et Cadoux (2012), évoquent une
néphélinites et autres laves alcalines du Saghro sont de convection en bordure du craton de l’Ouest Africain, mais
même âge. Les volcans sont plus jeunes dans le Maroc on est encore loin d’une solution claire.
central (2,8-0,3 Ma autour d’Oulmès), avec le même type NB. Bibliographie reportée pour l’ensemble des
12 de roches alcalines. Dans le Moyen Atlas on reconnaît articles du chapitre géologie fondamentale en page 42.

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Rif externe : comment comprendre et expliquer le chaos apparent ?


Dominique Frizon de Lamotte 1 , Mohamed Najib Zaghloul 2 , Faouziya Haissen 3 , Geoffroy Mohn 4 ,
Remi Leprêtre 5 , Oriol Gimeno-Vives 6 , Achraf Atouabat 6 , Mohamed El Mourabet 6 , Anass Abassi 6 .

La région rifaine est la plus sep-


tentrionale du Maroc. C’est aussi la plus
complexe (Fig. 1). Du point de vue géolo-
gique, on y distingue des zones internes
dont l’origine est lointaine, européenne
en fait, une « zone des flyschs » issue de
la branche maghrébine de la Téthys (cel-
le qui connectait autrefois l’Atlantique
et la Téthys Alpine) (Zaghloul, 2002) et
des zones externes issues de l’ancienne
marge africaine de cette Téthys magh-
Figure 2. Coupe simplifiée des zones externes du Rif (localisation : voir Fig. 1). La partie sud de la cou-
rébine (voir figure 8 dans Michard et al., pe est interprétée d’après des données de subsurface. La partie nord est extrapolée à partir des cartes
ce vol.,). Disons les choses comme elles géologiques et de nos observations de terrain. Source : travail inédit des auteurs.
sont : ces zones externes sont souvent
monotones et, au premier abord, un peu déprimantes. petites écailles de calcaires jurassiques situées au nord de
C’est pourtant elles qui vont nous intéresser ici ! Fès et qui appartiennent en fait à l’Avant-pays, le Prérif est
7 constitué de collines peu élevées blanchâtres et poussié-
Depuis les travaux de Gabriel Suter , on distingue
reuses. L’acharnement des micropaléontologistes a per-
du sud au nord trois grands domaines structuraux épou-
mis d’y reconnaître des terrains allant du Crétacé Supé-
sant l’arcature de la chaîne : le Prérif, le Mésorif et l’Intra-
rieur au Miocène formant un prisme d’accrétion (la « nappe
rif (e.g.Suter,1980 ;Frizon de Lamotte et al.,2004 ;Chalouan
prérifaine » des auteurs) reposant sur le Miocène supé-
et al., 2008). Si l’on excepte les rides prérifaines, jolies
rieur de l’Avant-pays (Fig. 2 et Fig. 3). Nous
préférons cette dénomination de prisme
d’accrétion à celle, parfois utilisée, d’olis-
tostrome. En effet, malgré sa complexité
de détail, il existe une cohérence tecto-
nique certaine dans le Prérif.Comme dans
tous les prismes, on y observe des che-
vauchements mais aussi des failles nor-
males. Le jeu combiné de ces deux types
de structures permet de maintenir l’angle
critique garant de sa stabilité. Dans le Pré-
rif, la géométrie est encore compliquée
par l’extrusion d’évaporites du Trias, sous
forme de diapirs, ou bien soulignant des
contacts tectoniques. Ces « extrusions »
emportent avec elles, comme il est clas-
sique, des « blocs » variés dont des élé-
ments du socle. L’origine de ces diapirs
est à chercher sous le prisme, dans l’au-
tochtone ou parautochtone dont la
Figure 1. Carte structurale simplifiée du Rif. La carte, modifiée d’après Suter (1980), présente les grands
domaines structuraux avec quelques détails pour les zones externes. Source : d’après Chalouan et al.,
couverture mésozoïque (étonnamment
2008, redessiné et modifié. fine) plonge régulièrement vers le nord

1. Professeur de géologie à l’université de Cergy-Pontoise, France. Courriel : Dominique.Frizon-de-Lamotte@u-cergy.fr


2. Professeur de géologie à Université Abdelmalek Essaadi, Faculté des Sciences et Techniques, Tanger, Maroc. Courriel : zaghloul@geologist.com 13
3. Professeur de pétrographie à Université Hassan II de Casablanca, Faculté des Sciences Ben M’sik, Casablanca, Maroc. Courriel : faouziya.haissen@gmail
4. Maître-de-Conférences à l’université de Cergy-Pontoise, France. Courriel : Geoffroy.Mohn@u-cergy.fr
5. Post-doctorant à l’université de Cergy-Pontoise, France. Courriel : Remi.Lepretre@u-cergy.fr
6. Doctorant à l’université de Cergy-Pontoise (OGV), à l’université Abdelmalek Essaadi (AA, AA) et à Université Sultan Moulay Slimane (Beni Mellal) (MEM).
7. Gabriel Suter, de nationalité suisse, a fait toute sa carrière au Service Géologique du Maroc où il avait en charge la coordination des travaux rifains. Il
a très peu publié hormis une œuvre cartographique magnifique (de très nombreuses feuilles à 1/50 000 du Rif externe). Il est l’auteur, en 1980, d’une
carte géologique et d’une carte structurale du Rif, toutes les deux à 1/500 000 accompagnées de chartes stratigraphiques pour toutes les unités ainsi que
de coupes structurales. Ces deux documents, d’une qualité graphique exceptionnelle, constituent une base de travail indispensable et aussi un outil
culturel pour le voyageur curieux. Suite à un don de sa famille, les archives personnelles de Gabriel Suter sont actuellement conservées à la Bibliothèque
Universitaire de l’Université de Cergy-Pontoise. Un travail d’archivage est en cours pour permettre la consultation par les personnes intéressées.
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

y reviendra.L’unité de Ketama,au sens strict,ne dépasse pas,


vers le haut, le Cénomanien-Turonien. Son complément
stratigraphique se retrouve,d’une part dans l’unité de Tan-
ger-Loukkos qui la prolonge vers l’ouest et le nord-ouest
et d’autre part,dans les nappes rifaines supérieures (Aknoul,
Tsoul,Ouezzane) et dans le prisme prérifain lui-même.Ainsi,
l’Intrarif comporte des unités apparemment enracinées
(Ketama) et des unités détachées de leur substratum initial.
Celles-ci ont glissé vers l’avant de la chaîne et sont désor-
mais intégrées dans le prisme frontal.
Comme indiqué ci-dessus, l’Intrarif est constitué
aux dépens d’un bassin profond montrant des faciès péla-
Figure 3. Panorama du front de la chaîne rifaine à l’ouest de Taza (Massif giques du Jurassique supérieur jusqu’au Miocène. La natu-
de Tazzeka). Cliché : D. Frizon de Lamotte. re au moins partiellement océanique de ce bassin est
démontrée par la présence de serpentinites à sa base
jusqu’aux limites du Mésorif. Ainsi,hormis cette couverture (Massif des Beni Malek ;Michard et al., 1992, 2007). L’un des
méso-cénozoïque peu épaisse et peu déformée,le Prérif est
enjeux des travaux en cours est de comprendre les moda-
entièrement allochtone. Les faciès de bassin des séries sédi-
lités et l’âge de mise en place de ces roches mantelliques
mentaires allochtones témoignent d’une origine lointaine,
serpentinisées ainsi que les connexions paléogéogra-
intra-rifaine et pro parte méso-rifaine.
phiques avec le bassin des flyschs, situé plus au nord et qui
Sautons donc provisoirement le Mésorif et atta- est supposé, lui aussi partiellement océanique.
quons l’Intrarif. Celui-ci forme l’ossature de la haute chaî-
Entre le Prérif et l’Intrarif s’intercale le Mésorif,autre-
ne, la ligne de crêtes séparant les versants méditerranéen
fois dénommé « zone des fenêtres » (Marçais, 1936). Cette
et atlantique. Ici dominent les teintes sombres des roches
dénomination ancienne est juste, il s’agit essentiellement
schisto-gréseuses du Jurassique supérieur et du Néoco-
d’imbrications complexes apparaissant en fenêtre sous
mien. Au centre se trouve l’Unité de Ketama et ses grands
diverses unités, dont les nappes supérieures (c’est dans ces
plis couchés à vergence sud-ouest.L’unité de Ketama est bor-
régions que les premières nappes de charriage ont été iden-
dée à l’est par l’accident du Nekor, un vaste décrochement
tifiées dans le Rif : voir Missenard et al., 2008). Cependant,
sénestre d’orientation NW-SE qui forme la limite du bloc du
le message initial a été brouillé par l’identification de
Rif Central tiré vers l’ouest par la délamination de son man-
« nappes » (Senhaja,Bou Haddoud) qui ressemblent davan-
teau sub-continental (voir Chalouan et al.,ce vol.).Sur le ter-
tage à des écailles découpant les fenêtres qu’à des éléments
rain,l’accident du Nekor est souligné par une méga-brèche
d’origine lointaine comme les nappes supérieures. Dans le
à matrice gypseuse (Trias) contenant des blocs de nature
détail,le Mésorif expose un Miocène inférieur à moyen très
variée mais où abondent des marbres et des roches pluto-
épais reposant en discordance sur des terrains du Juras-
niques basiques telles que gabbros et diabases (Fig. 4). On
sique.Le Crétacé et les terrains cénozoïques anté-miocènes

14 Figure 4. Panorama illustrant les rapports structuraux entre les unités de Ketama,Temsamane et Aknoul le long de l’oued Nekor. Cliché : D. Frizon de Lamotte.

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

sont peu représentés. En ce sens le Mésorif constitue un types de brèches apparues au cours de l’évolution géodyna-
jalon entre l’autochtone ou parautochtone prérifain et le mique. Il faut aussi comprendre la signification des gab-
bassin intrarifain. Si le Jurassique supérieur (le « ferrysch ») bros eux-mêmes et là,une multitude de questions se posent.
apparaît relativement organisé, en revanche le Jurassique S’agit-il bien de gabbros océaniques ? Quel est leur encais-
inférieur et moyen,associé à tout un cortège de roches mag- sant ? Quel est leur âge précis ? Nous signalions plus haut
matiques (gabbros,diorites…),présente un aspect chaotique, la présence de marbres dans la méga-brèche du Nekor.
comme si les carbonates et les roches associées étaient Ces marbres sont attribués au Jurassique inférieur et moyen
emballés dans le « ferrysch » (Fig. 5). Cette impression a et montrent localement des plissements très intenses et
conduit certains auteurs à considérer qu’il s’agissait d’un des cisaillements à vergence nord. Habituellement, on
« mélange » ou d’une « unité chaotique », interprété com- considère que leur métamorphisme est lié au sous-
me un faciès latéral de la « nappe prérifaine ». Selon cette charriage de l’unité des Temsamane (la plus interne du
conception, les « blocs » constituant ce mélange seraient Mésorif) sous l’unité de Ketama. Des âges géochronolo-
d’origine intrarifaine et auraient glissé par gravité dans une giques et des calibrations (métamorphisme de pression
vaste avant-fosse connectée au bassin flexural frontal. intermédiaire) attestent cette histoire cénozoïque. N’est-
Cependant, le cortège des serpentinites, gabbros, il pas envisageable néanmoins qu’une part du métamor-
basaltes et brèches gabbroïques avec leur couverture propre, phisme soit, comme dans les Pyrénées, héritée de la pério-
peu à peu reconnu dans la « nappe des Senhaja », a été de de rifting et donc contemporaine de l’amincissement
identifié comme provenant d’un fond océanique d’âge Juras- extrême qui a dû précéder la mise en place des gabbros ?
sique supérieur, bordant vers le nord la marge africaine Comme on le voit, de nombreux facteurs liés aux
(Benzaggagh et al.,2014 ;Michard et al.,2014).Ce serait la tra- particularités du rifting jurassique mais aussi aux moda-
ce d’une « suture mésorifaine » qui s’étendrait au moins lités de mise en place du prisme d’accrétion cénozoïque
jusqu’en Oranie.Notre intuition,justifiant le travail en cours, contribuent à donner du Rif externe (et du Mésorif en
est que l’aspect chaotique de cette zone de suture mésori- particulier), l’image d’un incompréhensible chaos. Pour
faine et de la « nappe des Senhaja » résulte surtout de dis- sortir de ce désordre, nous mettons en œuvre une carto-
locations héritées de la période de rifting (Lias-Dogger) et graphie fine (1/10 000) de quelques secteurs-clés et
moins de l’épisode d’inversion (Miocène). Cette dernière l’acquisition de nouvelles données pétrographiques,
contribue néanmoins à la complexité puisqu’elle s’accom- géochimiques et géochronologiques.
pagne du développement de bassins « supra-prisme » du Ce programme de recherche s’inscrit dans le cadre du
Miocène supérieur en contexte extensif (voir Fig. 2). projet « Orogen » (INSU, BRGM, Total). Nous souhaitons
Nous nous intéressons en particulier à reconstrui- remercier chaleureusement André Michard qui est à l’origine
re les relations initiales entre les gabbros et la plate-forme de la formation de notre groupe de travail, constitué pour
carbonatée du Lias-Dogger et à identifier les différents poursuivre et développer les travaux qu’il avait initiés.

Figure 5. Panorama montrant l’aspect chaotique du Mésorif dans la région de Kef el Ghar. Cliché : D. Frizon de Lamotte. 15

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Déformation active du Rif : GPS, sismicité et géologie montrent


l’expulsion d’un coin crustal sud-occidental
Ahmed Chalouan 1 , Jesus Galindo-Zaldivar 2 , Antonio J. Gil 3 , Kaoutar Bargach 4 .

La convergence Afrique (Plaque nubienne)-Euro- Le cadre structural


pe se poursuit actuellement suivant une direction NNW-
SSE, avec une vitesse proche de 4 mm/an sur le transect L’arc de Gibraltar, l’un des oroclines les plus resser-
bético-rifain, d’après les modèles géotectoniques globaux rés au monde, est situé sur la zone de sismicité diffuse
(Nocquet et Calais, 2004 ; Nocquet, 2012). Or le Rif et la mer qui marque la frontière entre les plaques Eurasie et Afrique
d’Alboran font partie de la zone de déformation diffuse qui (Fig. 1A). La croûte continentale et tout le manteau supé-
accommode cette convergence de plaques (Meghraoui rieur de cette région montrent une complexité qui résul-
et Pondrelli, 2012). Nous présentons ci-dessous les conclu- te de la genèse même de l’orocline par subduction de la
sions les plus saillantes de travaux auxquels nous avons croûte océanique téthysienne sous la marge européenne.
participé sur la déformation de la croûte rifaine (Chalouan Le recul de la plaque plongeante depuis 30 Ma et l’ou-
et al., 2006 ; Chabli et al., 2014 ; Galindo-Zaldivar et al., verture arrière-arc corrélative ont entrainé l’ouverture des
2015), dans le cadre très particulier de la déformation de bassins méditerranéens et la formation de deux arcs, celui
l’arc de Gibraltar(Gil et al., 2014 ; Mancilla et al., 2012 ; de Gibraltar à l’ouest et l’arc calabrais à l’est. Les méthodes
Bezada et al., 2013 ; Van Hinsbergen et al., 2014 ; Thurner de tomographie sismique ont permis,depuis une décennie,
et al., 2014 ; Van der Woerd et al., 2014 ; Mancilla et al., de montrer la présence d’un panneau (slab) de lithosphère
2015 ; Diaz et al., 2016). mantélique plongeant sous ces deux arcs (Fig. 1B et 1C), le
reste de la lithosphère subduite,déchiré le long des marges
continentales, se trouvant enfoui vers 600 km de pro-

Figure 1. Le cadre régional à l’échelle crustale. A : Carte sismo-tectonique de la zone de limite diffuse de plaques entre Europe et Afrique dans le secteur de l’arc
de Gibraltar (extrait de Meghraoui et Pondrelli, 2012). B : Tomographie ondes P de la Méditerranée occidentale, section horizontale à 200 km de profondeur
(Spakman et Wortel, 2004). C :Tomographie ondes S de l’arc de Gibraltar, vue en 3D, montrant un slab « en cuillère » plongeant vers le nord sous le Rif, vers le
sud, sous les Bétiques occidentales, et vers l’est dans sa partie profonde (Palomeras et al., 2014). D : Modèle de la croûte continentale rifaine selon un profil
O-E (trace rouge sur la carte 1A), d’après les données gravimétriques et altimétriques (Gil et al., 2014). La faille du Nekor se situe dans la zone de changement
16 rapide d’épaisseur.

1. Professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences. Courriel : chalouan@yahoo.com
2. Professeur à l’Université de Granada, IACT (CSIC), Espagne. Courriel : jgalindo@ugr.es
3. Professeur à l’Université de Jaen, Departamento de Ingenieria Cartografica, Geodesia y Fotogrametria, Espagne. Courriel : ajgil@ujaen.es
4. Professeur à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Département de Géologie, Faculté polydisciplinaire de Taza. Courriel : kbargach50@gmail.com

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

fondeur (Spakman et Wortel, 2004). Dans l’arc de Gibral- du Rif (Fig. 2A) : la zone frontale méridionale constituée du
tar, des foyers sismiques profonds sont localisés dans le Prérif et des Rides prérifaines ; le bassin d’avant-fosse du
slab jusque vers 600 km de profondeur. Les raffinements Saïss-Gharb, sillon ou couloir sud-rifain ouvert à la fin du
les plus récents de la tomographie sismique révèlent la Miocène moyen (fin Serravallien), entre la chaîne du Rif et
géométrie complexe de ce slab (Fig. 1C), et montrent qu’il le domaine atlaso-mésétien, et enfin l’avant-pays atlaso-
est encore attaché à la lithosphère africaine sous le Rif mésétien (Meseta marocaine, Moyen Atlas).
central (Palomeras et al.,2014). Sur la base des données gra-
vimétriques, on a montré que la croûte rifaine est nette- Les mesures GPS
ment plus épaisse sous le Rif central et occidental que
Elles ont été effectuées entre 2007 et 2012 à par-
sous le Rif oriental, où la croûte inférieure semble avoir dis-
tir de six stations de mesures GPS installées au nord, à
paru par délamination de la lithosphère (Fig. 1D).
l’intérieur et au sud du bassin du Saïss (Fig. 2A). Le traite-
L’étude à laquelle nous avons participé (Bargach ment informatique des mesures GPS (logiciel Bernese 5.0
et al., 2004 ; Chalouan et al., 2006 ; Chabli et al., 2014 ; et NEVE) a donné un champ de vitesse GPS précis avec
Chalouan et al., 2014 ; Galindo-Zaldivar et al., 2015) et que un intervalle de confiance à 95%. Les mesures montrent
nous résumons ici, utilise deux autres approches, à savoir d’abord, par rapport à la plaque Afrique fixe (Fig. 2B), un
les données GPS et les données structurales de terrain. déplacement général vers le SSW, commun à toute la zone
La région concernée couvre trois domaines structuraux étudiée, c’est-à-dire les Rides prérifaines et le Prérif qui

Figure 2. L’expulsion du coin crustal du Rif central, établie par les mesures GPS et la géologie. A : réseau local de stations GPS avec leur déplacement par rap-
port à l’Afrique. B : Déplacements déduits des mesures GPS. C: Exemple de données géologiques : le plissement renversé du Jbel Trhatt sur les conglomérats
plio-quaternaires du bassin du Saïss. D : Interprétation d’ensemble: l’échappement du coin crustal rifain vers le SW. 17

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

les chevauchent, le bassin du Saïss et le Moyen-Atlas tabu- à une vitesse de l’ordre de 4 mm/an, il correspond au rejet
laire ; ce déplacement est en moyenne de l’ordre de 2 sénestre de 5 km de l’accident N30 du Bled Msika (Cha-
mm/an. Nos mesures montrent en outre des mouvements louan et al., 2014). D’autres mouvements relatifs diver-
relatifs entre des sites qui se déplacent beaucoup plus gents ont été mis en évidence à l’intérieur du bassin du
vite que d’autres, comme celui de Jbel Trhatt (point 3100) Saïss, dus à des failles normales et/ou décrochantes com-
par rapport à celui du jbel Zalarh et à ceux du centre du me les failles d’El Hajeb, du Tizi n’Tretten, de Bhalil, etc.
Bassin du Saïss (points 3300 et 3400), ou ceux du Moyen (Charrière et al., 2011).
Atlas (sites 3500 et 3600) par rapport à ces derniers.Ce sont Ainsi, le coulissement sénestre des Rides préri-
des déplacements convergents entre certains points et des faines et du Rif externe par rapport au bassin du Saïss est
déplacements divergents entre d’autres points. à attribuer à l’expulsion de tout le Rif central vers l’WSW
(Chalouan et al., 2006). Cette expulsion du « coin crustal »
L’interprétation géologique du Rif central (voir Fig. 2D) se fait par l’effet combiné des
Le déplacement commun implique l’existence jeux des failles rifaines disposées en éventail (faille du
d’une faille majeure de décrochement à l’est de tout ce bâti. Nekor-Tissa et accident Nord-Moyen atlasique - Kert,
Cette faille correspond vraisemblablement à l’Accident sénestres et orientés NE-SW ; faille de Jebha-Arbaoua à
nord-moyen-atlasique (ANMA)-Kert (Chalouan et al., rejeu récent dextre, orientée WSW-ENE ; Chalouan et al.,
2006). La partie méridionale de cet accident, l’ANMA, 2006 ; Benmakhlouf et al., 2012). Il se rattache à la fois à
orienté NE-SW, a joué en décrochement sénestre durant la compression entre les plaques Eurasie et Afrique et au
les derniers stades de la structuration des Atlas, au Plio- retrait (« roll-back ») du slab africain subduit sous le détroit
Quaternaire. Sa partie septentrionale, située entre Taza de Gibraltar (Bezada et al., 2013 ; Gil et al., 2014). L’effet de
et l’embouchure de l’oued Kert, longe les parties orien- cette expulsion s’est fait sentir, entre le Miocène supé-
tales du Saïss et du Rif. Cette rampe latérale entre les deux rieur et l’Actuel, jusque dans les parties occidentales du Rif
chaînes de montagnes, le Rif et le Moyen-Atlas, est d’en- et même dans l’avant-pays mésétien. Ainsi, dans la région
vergure crustale, voire lithosphérique. Elle est parallèle à d’Arbaoua, des failles inverses NW-SE, des décrochements
la « ligne chaude du Maroc » (Frizon de Lamotte et al., et des galets striés ont été relevés dans les formations
2008) qui traverse en direction NE-SW tout le Maroc et la villafrachiennes (Elkhdar, 2017). Dans la Meseta côtière,
mer d’Alboran (zone volcanique trans-Alboran ; Andeweg entre Rabat et Casablanca, plusieurs générations de failles
et Cloething, 2001), caractérisée par un volcanisme alca- décrochantes et de diaclases ont été observées dans les dif-
lin d’âge miocène et plio-quaternaire et par une activité férentes formations marines et éoliennes quaternaires
sismique importante (Missenard et al., 2006, 2008). Dans (Chabli et al., 2014). Le traitement de ces données a permis
la région considérée, cette faille décrochante sépare deux de mettre en évidence trois épisodes tectoniques com-
domaines aux croûtes continentales différentes, l’une à pressifs s’échelonnant entre le Quaternaire moyen et le
l’ouest (Rif central) à croûte épaisse (35 à 50 km) et l’autre Quaternaire supérieur. Chacun de ces épisodes est carac-
à l’est (Maroc oriental) à croûte relativement mince, de térisé par des contraintes différentes : le premier, par des
22-33 km (Mancilla et al., 2012 ; Mancilla et Diaz, 2015 ; Gil directions de compression horizontale WNW-ESE et ENE-
et al., 2014 ; Diaz et al., 2016). WSW ; le second, par un couple de directions de raccour-
cissement orientées NNW-SSE et NE-SW, et le dernier par
Le déplacement relatif convergent entre les stations
un raccourcissement orienté uniquement NNE-SSW.
du Jbel Trhatt et le centre du Bassin de Saïss avec une vites-
se de 2 mm/an se trouve confirmé par beaucoup d’indices En conclusion, les données GPS combinées aux
tectoniques tels que le pli dissymétrique du jbel Trhatt qui données structurales géologiques démontrent que le front
renverse la série conglomératique plio-quaternaire du bas- sud du Rif et son avant-pays mésétien sont soumis (depuis
sin du Saïss (voir Fig. 2C), la faille inverse de Skhinat-Sidi le Pliocène et jusqu’à l’Actuel) à un déplacement vers le SW,
Harazem (Bargach, 2011 ; Chalouan et al., 2014) longue de dans le cadre de la convergence Afrique-Eurasie, elle-
plus de 10km,orientée parallèlement au front sud-rifain,et même dirigée NNW-SSE. On remarque que cet effet de
affectant des formations du Quaternaire moyen (Tensif- compression-expulsion d’un coin crustal au SW se produit
tien). Le déplacement oblique du jbel Trhatt vers le SW est précisément dans la zone où la croûte rifaine est la plus
dû au jeu transpressif sénestre des accidents délimitant épaisse et où le slab téthysien résiduel est encore atta-
au sud, le Rif externe et les Rides prérifaines. ché à celle-ci (voir Fig. 1).
Quant au mouvement relatif divergent entre le Travail effectué dans le cadre du projet européen
18 Jbel Trhatt et le Jbel Zalarh, qui s’éloignent l’un de l’autre IRSES-MEDYNA.

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La Meseta, un terrain vagabond ou la marge fragmentée de l’Anti-Atlas ?


Christian Hoepffner 1 , Hassan Ouanaimi 2 et André Michard 3 .

Par « Meseta » ou « domaine mésétien », les géo- à l’instar d’Iberia (Nance et al., 2012 ; Franke et al., 2017).
logues du Maroc désignent les terrains paléozoïques sévè- En revanche, Von Raumer et Stampfli (2008) dis-
rement déformés et granitisés avant le Trias (voir Michard cutent précisément du problème. Pour eux, la Meseta se
et al., ce volume, Figs. 2 et 6). Ils affleurent dans la Mese- sépare de l’Anti-Atlas au cours du Paléozoïque inférieur et
ta marocaine (Massif central, Bloc côtier Rehamna, Jebilet), moyen et finit par se trouver à environ 1 000 km de dis-
dans le Moyen Atlas (Tazekka, Jerada) et plus à l’est (bou- tance vers le SW (coordonnées actuelles), au Dévonien
tonnières de Midelt et du Rekkame, dans la Meseta orien- moyen-supérieur, de l’autre côté d’un bras océanique
tale), et enfin dans le Haut Atlas (massif ancien du Haut paléotéthysien. En cela, ils s’opposent à la position la plus
Atlas occidental, Mougueur et Tamlelt dans le Haut Atlas anciennement adoptée par les « géologues marocains »,
oriental). C’est typiquement un segment de la chaîne her- qui favorisent une proximité constante des deux domaines
cynienne ou varisque. En cela, le domaine mésétien et envisagent la Meseta anté-varisque comme une sorte
contraste avec celui de l’Anti-Atlas, dont la série paléo- de marge étirée, fragmentée, de l’Anti-Atlas (Hollard et
zoïque est faiblement déformée. Le domaine mésétien Schaer, 1973 ; Michard, 1976 ; Piqué et Michard, 1989 ;
ou, en bref, « la Meseta » est venue s’écraser contre Hoepffner et al., 2005, 2006 ; Michard et al., 2008, 2010).
l’Anti-Atlas, au cours du Carbonifère supérieur, lors de l’oro- Pour les équipes ibéro-marocaines qui ont analysé en
genèse varisque. Depuis, tout est resté à peu près en l’état. détail les relations entre les segments ibériques et
Certes, il y a eu une tentative de rifting au
Trias-Lias, avortée au Jurassique moyen,
puis recollage des morceaux au Crétacé
supérieur-Tertiaire, d’où est sorti le Haut
Atlas,mais les déplacements relatifs n’ont
pas excédé quelques dizaines de kilo-
mètres le long de la Faille sud-atlasique
(FSA). En revanche, quid des positions réci-
proques de la Meseta et de l’Anti-Atlas
pendant le Paléozoïque ? Les avis, quand
ils s’expriment, divergent sur ce point de
manière bien peu satisfaisante !
De nombreux spécialistes de la
chaîne hercynienne limitent leur étude à
la partie européenne de celle-ci, en ne
dépassant pas vers le sud le Portugal et
l’Espagne. Ces auteurs ne discutent pas
de la Meseta. Cependant, dans les figures
qui proposent leur vision des temps
paléozoïques, l’Afrique du NW peut inclu-
re la Meseta dans sa position actuelle,
simplement séparée de l’Anti-Atlas par
la FSA (Linnemann et al., 2008, 2014 ;
Kroner et al., 2016), ou bien être tronquée
au ras du Craton Ouest-Africain
(« West African Craton », WAC), comme
si la Meseta devait constituer un des Figure 1. Les domaines varisques de l’Anti-Atlas et du promontoire de l’Ouzellarh (logs A, A’), de la
Meseta au sens strict (log B), du bloc des Sehoul (log C) et de la zone de transition dite Zone Sud-Mese-
nombreux fragments cadomiens ou ta (logs D, E). Les chiffres cerclés 1 à 5 renvoient aux périodes géodynamiques décrites dans le texte.
avaloniens détachés du Gondwana, Carte simplifiée d’après Michard et al., 2010. 19

1. Professeur honoraire à la Faculté des Sciences de l’Université Mohamed V, Rabat, Maroc. Courriel : hoepffnerchristian@yahoo.fr
2. Professeur à l’École Normale Supérieure, LGE, Université Caddi Ayyad, Marrakech. Courriel : houanaimi@gmail.com
3. Professeur émérite, Université Paris-Sud, Faculté des Sciences d’Orsay, France. Courriel : andremichard@orange.fr

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

marocains de la chaîne varisque (Simancas et al., 2005, en Meseta. Elles permettent de mieux retracer l’évolution
2009), la Meseta est restée africaine de bout en bout au géodynamique à la marge nord du WAC, entre le rifting du
Paléozoïque, à l’exception du bloc des Sehoul au nord de supercontinent Rodinia et la collision pangéenne. Ce que
Rabat (Fig. 1). Notre ambition est ici de donner quelques l’on reconstitue, c’est en somme l’histoire d’un couple qui
arguments, les uns classiques, d’autres récents, pour gui- se sépare d’abord, pour mieux se retrouver ensuite. Nous
der le lecteur entre ces thèses contradictoires. pouvons y distinguer cinq périodes.

Du nouveau pour le socle Le rifting cambrien


Voici un argument récent, tiré de datations U-Pb sur Il est enregistré par les deux domaines, suggérant
zircon. On connaissait depuis longtemps la présence de qu’ils sont alors contigus, et marqué aussi bien par les
rhyolites probablement néoprotérozoïques (semblables à dépôts que par le volcanisme associé. Celui-ci est précoce
celles de l’Ediacarien supérieur de l’Anti-Atlas) sous le et généralement tholéiitique à l’ouest, plus tardif et alca-
Cambrien de la Meseta occidentale à El Jadida, dans les lin à l’est (voir figure 1, logs A, A’, B). Le rifting progresse du
Rehamna et dans le Massif central (voir figure 1), mais Cambrien inférieur au Cambrien moyen-Furongien et de
cela ne disait rien sur le socle plus profond. La présence de l’ouest vers l’est au nord du WAC. Mais attention, on n’a
granite d’âge 600 Ma a été reconnu dans la zone faillée aucune preuve de l’existence de serpentinites exhumées par
Rabat-Tiflet (Tahiri et al., 2010), et tout dernièrement à ce rifting entre les deux domaines ! Les galets de lherzoli-
Goaïda, au cœur de la Meseta centrale (Ouabid et al., 2017). te cités par Pouclet et al. (2007) dans les calcaires cam-
Dans cette dernière localité, des granodiorites à 625±10 et briens de l’Ounein à l’ouest de l’Ouzellarh (voir figure 1, log
des granites à 552±10 Ma ont également été datés. Un A’) peuvent provenir de la suture panafricaine voisine.
granite à 625 Ma est également connu à Wirgane, dans le
massif ancien du Haut Atlas occidental (Eddif et al., 2007). La marge étirée de l’Ordovicien,
Ainsi, tout le cortège des granites édiacariens de l’Anti-
proximale dans l’Anti-Atlas, distale en Meseta
Atlas est présent dans le socle mésétien. Une tectonique extensive en blocs basculés rend
Un premier indice de la présence d’un socle éburnéen compte de la présence irrégulière du Furongien et de la dis-
et d’éléments de la chaîne panafricaine du Cryogénien sous cordance du Trémadocien dans les deux domaines (voir
la Meseta, a été fourni par la présence de zircons datés à figure 1, logs A, B). On vient de montrer (Ouanaimi et al.,
700 Ma et 2 Ga dans des xénolithes remontés par les filons 2016) la présence d’un système de fossés remplis de
de lamprophyres permiens des Jebilet (Dostal et al., 2005). couches rouges d’âge Floien en domaine mésétien et sud-
Plus frappant que ces données de « sondage naturel », des mésétien (voir figure 1, logs A’, B, D-E). La Meseta marocaine
métarhyolites à l’affleurement sous le Cambrien des Reham- est alors semblable à la Meseta ibérique et au Massif
na centraux viennent d’être datées à 2 Ga (Pereira et al., Armoricain ; les apports détritiques y arrivent plutôt de l’est
2015). C’est le premier affleurement de socle de type anti- (ceinture magmatique nord-gondwanienne de l’Ordovicien
atlasique, et plus largement gondwanien, découvert en inférieur) tandis que ceux de l’Anti-Atlas viennent du sud
domaine mésétien. A noter qu’il surgit dans la Zone de (plateforme saharienne).
Cisaillement de la Meseta Occidentale (ZCMO), cette Cependant, après le Floien, les mêmes dépôts sil-
cicatrice remarquable entre Bloc Côtier et Meseta centra- to-gréseux caractérisent les deux domaines : ils forment
le. Ainsi, il est encore trop tôt pour généraliser cette indi- une seule et immense plateforme sableuse pendant
cation,si importante soit-elle,à tout le domaine mésétien. quelque 25 Ma ! On ne les distingue qu’à l’Hirnantien, où
On ignore également si une couverture post-éburnéenne des dépôts glacio-marins caractérisent la Meseta tandis
d’âge Paléoprotérozoïque supérieur (1,7 Ga) est présente que des moraines et des planchers glaciaires subaériens
ici comme dans l’Anti-Atlas (Soulaimani, ce vol.). se développent dans l’Anti-Atlas. La bordure extrême de
cette plateforme s’annonce seulement dans la zone Rabat-
De nouvelles données stratigraphiques Tiflet,entre Meseta ss.str. et Bloc des Sehoul,par la présence
On a relevé depuis longtemps les parentés et les de coulées basaltiques sous-marines, datées de l’Ordovi-
oppositions qui caractérisent la stratigraphie paléozoïque cien moyen (voir figure 1, log B).
des domaines considérés (Hoepffner et al., 2005 ; Michard
Eustatisme et équilibration thermique du Silurien
et al., 2008). Les données récemment obtenues (Fig. 1) au Lochkovien
concernent surtout la géochimie des roches magmatiques
20 cambriennes et la présence d’une émersion ordovicienne Le Silurien débute dans les deux domaines par une

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transgression glacio-eustatique (« black shales » à et dans le Haut Atlas occidental, le Dévonien inférieur-
Graptolites). Un bassin d’équilibration thermique peu moyen à faciès « Vieux grès rouges » (conglomérats, grès,
subsident (lacunes fréquentes) va fonctionner ensuite pélites) est discordant jusque sur le Cambrien et l’Ordovi-
jusqu’au Lochkovien, se comblant de silts et de shales, les cien (voir figure 1, log B, à gauche). Une plate-forme car-
carbonates apparaissant au Silurien supérieur. La Meseta bonatée lui succède, sur laquelle le Famennien est trans-
se distingue de l’Anti-Atlas par la présence, à sa marge gressif et discordant. Plus à l’Est en Meseta centrale et
occidentale (Bloc côtier) d’un magmatisme basique orientale et dans la zone Sud-mésétienne (voir figure 1,
(basaltes alcalins intraplaques) d’âge Silurien supérieur log A, à droite et logs D-E), des calcaires à cherts et des
(log B). Cependant, un volcan sous-marin est aussi connu turbidites distales caractérisent au contraire un bassin
dans l’Anti-Atlas oriental au Lochkovien (log A), atténuant profond à la même époque.Cette paléogéographie suggère
ainsi les différences entre les deux domaines. un contexte tectonique extensif ou transtensif jusqu’au
Dévonien moyen-supérieur.
Les prémices de l’orogenèse varisque
En revanche, une première phase de plissement
C’est probablement l’époque où les deux domaines se fait sentir dans l’est du domaine mésétien durant le
se distinguent le mieux. Le domaine de l’Anti-Atlas au Famennien-Tournaisien. Cette phase éovarisque est attes-
Dévonien inférieur et moyen est caractérisé par le passa- tée par la discordance du Viséen moyen-supérieur sur les
ge graduel d’un bassin surtout détritique, à subsidence séries plissées de l’est du Massif central et de la Meseta
tectonique à l’ouest (bassin des Richs), à un bassin carbo- orientale (voir figure 1, log B, à droite ; voir aussi Michard
naté et moins subsident à l’est (Anti-Atlas oriental),où il est et al.,ce vol., fig. 6). On peut y voir l’effet, sur l’ancienne mar-
bien connu par ses mud mounds. Au Dévonien supérieur, ge gondwanienne distale, de la subduction liée à la fer-
la tectonique extensive migre dans l’Anti-Atlas oriental où meture de l’océan Rhéique, fermeture qui débute alors
un système de blocs basculés multidirectionnels définit (voir figure 2). La dislocation de la marge proximale (Anti-
des rides surélevées et des bassins subsidents à sédimen- Atlas) correspond alors à une extension dans le domaine
tation détritique et dépôts de pente (debris flows). Suite à avant-arc, attribuable à la convexion asthénosphérique.
ces mouvements de blocs,le Fammenien est discordant sur
Dans le Bloc des Sehoul, la datation à 367 Ma du
le Frasnien supérieur. En fait, l’Anti-Atlas partage en cela le
granite de Rabat (Tahiri et al.,2010),intrusif dans les schistes
sort de toute la bordure nord-gondwanienne de l’Afrique du
cambriens, montre que la structuration de ce bloc long-
Nord à l’Arabie (Frizon de Lamotte et al., 2013).
temps considérée comme calédonienne,est à rapporter en
La dislocation de la plateforme est plus importante partie à cet évènement éovarisque. Le Bloc des Sehoul se
dans la Meseta qui,elle,appartient au domaine orogénique rapprochera de la Meseta au début du Carbonifère le long
varisque (Fig.2).En Meseta occidentale (Bloc côtier et ZCMO) de la Zone de faille Rabat-Tiflet (ZFRT, voir figure 1, log C)

De la subduction à la collision varisque


La déformation liée à la convergence Laurussia-
Gondwana va se développer suivant un rythme et des
modalités très différentes entre les trois régions suivantes :
l’Est de la Meseta, l’Ouest du même domaine et enfin le
domaine de l’Anti-Atlas.
Dans l’Est de la Meseta, les plis « éovarisques »
sont recouverts d’abord par des calcaires puis par des
séries silicoclastiques. La sédimentation marine peu pro-
fonde devient lagunaire puis continentale au Westphalien
supérieur. Un magmatisme calco-alcalin orogénique se
développe du Viséen supérieur au Namurien avec des
laves (andésites, rhyolites, ignimbrites) et des granites
datés à 335-330 Ma. Il n’y a pas de plissement jusqu’au
Figure 2. Carte paléogéographique globale du Dévonien supérieur (Frizon Westphalien supérieur-Stéphanien inférieur dans ce qui
de Lamotte et al., 2013, et références citées). La région entourée d’un
tireté rouge au nord du Gondwana est affectée par la dislocation exten- apparait comme un arc magmatique relativement rigide
sive dès le Dévonien moyen, tandis que plus au nord-ouest se développent (Fig. 3). Enfin, intervient un plissement dit néo-varisque à
les prémices de l’orogenèse varisque, à la marge de l’océan Rhéique qui se
referme. NGC : Newfoundland-Gibraltar transfert zone. grande longueur d’onde (bassin houiller de Jerada). À l’in- 21

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verse, dans l’Ouest de la Meseta, des bassins se creusent que plus au nord, dans la chaîne varisque hispano-
du Famennien au Serpukhovien, d’abord dans la zone des portugaise mais ceci est une autre histoire, du reste fort
Nappes, au front de l’arc oriental, puis en Meseta centrale discutée (Pérez-Cáceres et al., 2017). Pas de nappe de char-
et occidentale.Les dépocentres sont limités par des couloirs riage, de métamorphisme ni de granite varisque dans le
de déformation de direction NE et ENE, soulignés par des domaine de l’Anti-Atlas. Les séries paléozoïques ne mon-
dépôts chaotiques (debris flows, olistostromes) passant trent qu’un plissement flexural accompagné de failles de
aux dépôts silicoclastiques de bassin. Un magmatisme décollement ou de décrochement, au-dessus d’un socle
gabbroïque est associé à ce contexte extensif/transtensif faillé (thick-skinned tectonics par inversion des paléofailles
depuis le Famenno-Tournaisien jusqu’au Viséen supérieur normales). La schistosité n’apparait que tout à l’ouest,
(log B, à gauche). Il est de nature alcaline-transitionnelle dans le prolongement des Mauritanides (voir Michard et
et tholéiitique, traduisant un amincissement crustal qui al., ce vol., Figs. 2 et 5). La déformation et l’émersion consé-
n’atteint pas l’océanisation. On peut y voir un bassin cutive se développent entre le Namurien, à l’Ouest et le
avant-arc au-dessus de la subduction rhéique. Permien inférieur, à l’Est (Sebti et al., 2009 ; Baidder et al.,
Plissement, écaillage, mise en place de nappes en 2016). L’Anti-Atlas est une chaîne plissée d’avant-pays pour
partie synsédimentaires se succèdent bientôt dans ce l’orogène mésétien comme pour les Mauritanides.
sous-domaine mésétien occidental, schistosité et méta- Ainsi, les données nouvelles sur la stratigraphie
morphisme se développant dans les unités profondes. Le paléozoïque comme les données (encore trop ponctuelles)
métamorphisme atteint le faciès amphibolite à stauroti- sur les zircons du socle mésétien plaident, i) pour une
de et disthène dans les Rehamna, où le pic de pression continuité initiale, et ii) pour une contiguïté permanente
est daté > 300 Ma (âge 206Pb/238U sur monazite), tandis au cours du Paléozoïque entre Meseta et Anti-Atlas. La
que le pic de température est daté vers 276 Ma (Wernert Meseta est restée gondwanienne malgré les atteintes du
et al., 2016). C’est la phase varisque paroxysmale dans ces rifting cambrien, qui n’a réussi l’ouverture de l’océan
régions. Des granophyres se mettent en place dès 330 Ma Rhéique qu’à l’ouest de la Meseta. Examinons encore deux
dans les Jebilet, accompagnant les gabbros, mais les intru- types de données pour achever d’asseoir cette conclusion.
sions granitiques sont essentiellement datées entre 300
et 270 Ma : elles s’étalent longuement du Stéphanien à la Structure de la limite Meseta-Anti-Atlas
fin du Permien inférieur (Autunien ; log B). C’est une
Le fort contraste de structuration varisque entre
époque de sédimentation continentale grossière, dans
Anti-Atlas et Meseta suppose un découplage entre les
des bassins sur décrochements en régime transtensif dans
deux domaines pendant l’orogenèse. Il s’est réalisé par le
un contexte post-collisionnel. Un volcanisme rhyolitique
fonctionnement d’une zone faillée, la Zone Sud-Meseta
et andésitique calco-alcalin à alcalin accompagne l’accu-
(ZSM), limitée au nord par la Faille Sud-Meseta (FSM) et au
mulation détritique dans les bassins mésétiens, mais non
sud par un front mésétien montrant localement des che-
dans le bassin d’Abadla, au sud de Béchar, prolongement
vauchements vers le sud (e.g.,Tineghir voir figure 1, log D).
du domaine anti-atlasique en Algérie.
Le Haut Atlas est superposé à la zone faillée varisque depuis
À noter que dans cette reconstitution, la suture l’Atlas de Marrakech jusqu’au Tamlelt à l’Est, ce qui ne faci-
rhéique est localisée à l’ouest de la Meseta occidentale, lite pas l’étude de la déformation paléozoïque ! Large dans
cachée sous les eaux de l’Atlantique. Elle n’est observable le Tamlelt, la ZSM s’étrangle peu à peu vers l’ouest. Dans le
Massif ancien du Haut Atlas occidental,
elle se résume à la célèbre Faille du Tizi
n’Test (FTT) que soulignent des pincées
de Trias rouge, liées à ses rejeux alpins.
Les structures synmétamorphiques sub-
méridiennes du domaine mésétien,intru-
dées par divers granites (Azegour, Tich-
ka), s’interrompent abruptement et
obliquement sur la FTT, suggérant un jeu
décrochant dextre important, pendant
l’orogenèse varisque.
Figure 3. Une interprétation du contexte géodynamique de l’orogène mésétien au Carbonifère infé-
rieur (coupe WNW-ESE en coordonnées actuelles), d’après Michard et al., 2010,modifié. Le bloc des Sehoul
En allant vers l’Est,la FSM éclate en
22 est figuré dans une position antérieure au jeu décrochant de la ZRFT (voir texte). plusieurs branches dans le promontoire

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anti-atlasique de l’Ouzellarh, sorte de poinçon à armatu- L’étude de laves cambriennes et ordoviciennes avaient
re précambrienne sur lequel le Viséen supérieur vient trans- conduit Feinberg et al. (1990) à proposer l’existence d’un
gresser (voir figure 1 log A’). On aurait là une portion de la océan de plusieurs centaines de kilomètres entre Anti-
bordure sud du bassin carbonifère de la Meseta occiden- Atlas et Meseta, océan qui se serait résorbé durant le
tale, inversée pendant la collision varisque. À l’Est du poin- Dévonien. Ces résultats ont cependant été réfutés par des
çon, les boutonnières d’Aït Tamlil et Skoura montrent assez études plus récentes (Khattach et al., 1995). Des impréci-
bien le passage entre les domaines mésétien et anti-atla- sions sur l’âge des laves ont aussi conduit à des interpré-
sique : les nappes mésétiennes d’Aït Tamlil se mettent en tations erronées, comme par exemple le modèle d’un
place dans le bassin carbonifère dont les dépôts reposent espace océanique au Dévonien basé sur l’étude de roches
sur des séries antéviséennes autochtones discordantes basiques qui se sont révélées jurassiques (Salmon et al.,
sur le socle précambrien de l’Anti-Atlas (voir figure 1, log D). 1987). Il faut enfin souligner l’importance de la réaiman-
On aurait donc là, avant la collision varisque, le schéma tation permienne qui complique, voire empêche l’inter-
simple d’un bassin d’avant-pays en contact avec sa marge prétation des mesures faites sur les roches plus anciennes.
sud. À Tineghir, la compression sub-méridienne donne des Aucune étude paléomagnétique ne permet actuellement
systèmes de plis E-O et des chevauchements vers le Sud d’argumenter le modèle d’une Paléotéthys entre la Mese-
impliquant les terrains anté-viséens et carbonifères. Plus ta et l’Anti-Atlas.
à l’Est encore, dans le Tamlelt, n’affleurent que des terrains
anté-viséens (voir figure 1, log E). La partie la plus au nord Pour conclure
du Tamlelt se rattache au domaine de la Meseta orienta-
Les avancées récentes des recherches en Meseta
le, tandis que le reste correspond à la bordure déformée de
marocaine n’ont fait que renforcer l’argumentaire, déjà
l’Anti-Atlas, affectée par des plis écaillés à vergence sud et
conséquent, en faveur de la continuité essentielle entre ce
des décrochements ductiles dextres E-O. De récentes inves-
domaine et celui de l’Anti-Atlas : tous deux représentent
tigations dans la boutonnière du Mougueur (Soulaimani
la marge nord de la plateforme saharienne du Cambrien
et al.,2016) ont mis en évidence le même type de structures
au Carbonifère inférieur, marge proximale dans l’Anti-
écaillées vers le sud et décrochantes dextres.
Atlas, marge distale en Meseta. Seul le Bloc des Sehoul,
qu’on associe souvent au terrain Meguma de Nouvelle-
Les embarras du paléomagnétisme
Ecosse, a pu appartenir à un terrain séparé de la Meseta
Pour éclairer le problème de la mobilité possible de s.s., par un couloir océanique (une ramification de l’Océan
la Meseta, on a bien sûr songé au paléomagnétisme. Rhéique) de l’Ordovicien au Dévonien moyen.

23

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La tectonique de l’Atlas : âge et modalités


Hassan Ibouh et Driss Chafiki 1 .

Le Domaine atlasique ou Système des Atlas est un de l’inversion d’un système de rifts triasico-liasiques appa-
vaste domaine de chaînes intracontinentales et de hauts rus sur la bordure de la plaque Afrique, en deçà de la mar-
plateaux qui occupe l’essentiel du Maghreb depuis l’At- ge sud-téthysienne (cf. Michard et al., ce vol.). Mais quand
lantique jusqu’à la Tunisie. Il est particulièrement élevé et donc a commencé l’inversion de ces rifts ? Les variations
large dans sa partie marocaine, où il est limité au sud par spectaculaires des séries sédimentaires sont-elles liées au
la Faille ou Front sud-atlasique, qui le sépare de l’Anti-Atlas basculement des blocs de socle, à la dynamique du man-
et du craton ouest-africain,et au nord par le front de la chaî- teau, ou au diapirisme ? Quelle est l’ampleur du serrage ?
ne rifaine (Fig.1).On s’accorde pour voir dans les chaînes atla- C’est ce type de questions que nous évoquons ici.
siques du Maroc – Haut Atlas et Moyen Atlas – le résultat
L’enregistrement
sédimentaire
La série sédimentaire atlasique
est aujourd’hui bien connue grâce aux
travaux des pionniers (e.g., Moret, 1931 ;
Choubert et Faure-Mouret, 1960-62 ; Du
Dresnay, 1979) et aux nombreux travaux
récents (voir Frizon de Lamotte et al.,
2008, et les références citées ci-après).
Une étude plus complète nécessiterait
de décrire séparément le Haut Atlas occi-
dental, tributaire du rifting atlantique,
et le domaine Haut Atlas central-oriental
et Moyen Atlas, tributaire du rifting téthy-
sien. On considèrera plus particulière-
ment ici ce dernier domaine.
Dans le Moyen Atlas et le Haut
Atlas centro-oriental, la série synrift débu-
te par des dépôts détritiques rougeâtres
à niveaux évaporitiques d’âge triasique,
sur lesquels reposent les basaltes de la
CAMP2 puis les carbonates de la plate-
forme liasique post-rift (Fig. 2). La dislo-
cation de celle-ci, à la fin du Lias moyen,
entraine l’amorce d’un dispositif en rides
et dépocentres. La sédimentation se pour-
suit avec les marnes détritiques toar-
ciennes qui scellent le dispositif prééta-
bli, les calci-turbidites aaléniennes et les
Figure 1. A : Carte géologique schématique du domaine atlasique marocain extraite de la carte
structurale du Maroc 1/2 000 000, d’après Saadi (1982). La partie offshore du Haut Atlas atlantique carbonates de la plateforme bajocienne
est complétée d’après Benabdellouahed et al., (2017). Légende. 1 : Socle paléozoïque ; 2 : Basaltes et argiles à récifs coralliens. Durant le Bajocien
roses du Trias ; 3 : Jurassique plissé, 4 : Jurassique tabulaire ; 5 : synclinaux à remplissage de couches
rouges du Jurassique et Crétacé ; 6 : Crétacé ; 7 ; Tertiaire ; 8 : Faille, 9 : Massif carbonatite de Tama-
supérieur-Bathonien, la sédimentation
zert ; 10 : Roches volcaniques néogènes ; 11 : Principaux appareils volcaniques néogène et quater- change drastiquement : c’est l’époque des
naires ; 12 : Rides diapiriques à coeur gabroïque dans le Haut Atlas central. B : Coupe crustale du « Couches rouges », épaisse série détri-
domaine atlasique d’après Ayarza et al. (2014), modifié. Localisation : voir (A). C : Coupe structurale
24 du Haut Atlas central d’après Michard et al. (2011), modifié. tique continentale à traces de dinosaures

1. Professeurs à la Faculté des Sciences et Techniques, université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc. Courriel : h.ibouh@uca.ma
2. Central Atlantic Magmatic Province (Trias supérieur-Lias inférieur).

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(Charrière et Haddoumi, ce vol.). Ces couches rouges sont


localement discordantes sur certains plis, qui ont été inter-
prétés à tort comme résultant d’une compression juras-
sique, alors qu’il s’agit de structures liées au diapirisme des
couches argilo-salifères du Trias (voir plus loin). La série ne
redevient marine qu’à l’Aptien. Les dépôts du Crétacé supé-
rieur-Eocène sont surtout préservés sur les bordures de l’At-
las tandis qu’ils sont érodés dans l’axe de la chaîne. Les
argiles rouges et les calcaires blancs de la Formation de Tas-
raft discordants sur une des rides anticlinales de la région
d’Imilchil ont été longtemps rangés dans le Jurassique et
le Crétacé supérieur, alors qu’il s’agit de Paléocène supé-
rieur-Eocène inférieur (Charrière et al., 2009 ; Charrière
et Haddoumi, ce vol.), ce qui change du tout au tout leur
signification tectonique ! On y reviendra.
Les dépôts cénozoïques débutent localement par
les couches continentales discordantes qu’on vient de
citer (Paléocène-Eocène inférieur). Sur les bordures de la
chaîne, ils se poursuivent par les dépôts carbonatés et
phosphatés de l’Eocène inférieur et moyen et s’achèvent
par des molasses continentales discordantes de l’Eocène
supérieur, de l’Oligocène (?) et du Mio-Pliocène. Ces der-
nières sont localisées essentiellement dans les bassins
qui bordent le Haut et le Moyen Atlas (voir Fig. 1) mais
sont parfois préservées dans la chaîne elle-même (Fig. 3).
Le bassin du Haouz de Marrakech peut être regardé com-
me un bassin molassique transporté avec le socle des
Jebilet. En effet, ces « petites montagnes » (leur nom en
arabe) sont bordées au nord par une faille inverse néogène.
Celle-ci se prolonge en mer où elle limite la partie défor-
mée de la marge atlantique (voir Fig. 1A).
Le Haut Atlas occidental se singularise sur plusieurs
points par rapport au Haut Atlas central. Dans sa partie la
plus élevée (Massif ancien),le Trias et le Lias sont le plus sou-
vent érodés, et le Jurassique n’est représenté que par une
série rouge à évaporites, discordante sur le socle paléo-
zoïque. La série se poursuit par les dépôts continentaux
du Crétacé inférieur, suivis à leur tour de couches marines
carbonatées ou argileuses sur lesquelles le Paléocène est
localement discordant. Cependant, près de l’Atlantique
(ancienne marge passive proximale), les dépôts continen-
taux jurassico-crétacés sont absents et la sédimentation
marine est continue. Les rides diapiriques qu’on y observe
sont dépourvues d’intrusions gabbroïques, contrairement
à ce qui s’observe dans le Haut Atlas central.

Les évènements magmatiques


Trois périodes géodynamiques majeures se trou-
vent enregistrées par la mise en place de roches magma- Figure 2. Colonne stratigraphique de l’Atlas téthysien, d’après Michard et
tiques dans le domaine atlasique. al. (2011), modifiée et complétée. 25

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15 km de profondeur (Zayane et al., 2002). Les datations K-


Ar donnent deux groupes d’âges (175-155 Ma et 135-110
Ma). Les coulées associées sont datées stratigraphique-
ment du Callovien et du Barrémien (Haddoumi et al.,2010).
Les données géochimiques (Bensalah et al., 2013) mon-
trent que les coulées du Jurassique supérieur (séquence B1)
ont une affinité modérément alcaline, tandis que celles
du Crétacé (séquence B2) sont transitionnelles. L’ensemble
de ce magmatisme est lié à la période d’émersion enre-
gistrée par les Couches rouges. On y voit un phénomène
de bombement thermique du domaine atlasique marocain
sous l’influence d’une convection asthénosphérique, dans
un contexte anorogénique (Frizon de Lamotte et al., 2009).

Figure 3. Le « Rocher Cathédrale » (Roch, 1939) expose des conglomérats du Le magmatisme alcalin synorogénique
Mio-Pliocène discordants sur la série jurassique du flanc nord-ouest de la
ride de Tazoult dans le Haut Atlas central (la discordance n’est pas visible
(Éocène à Quaternaire)
sur ce cliché). Cliché : H. Ibouh. Ce magmatisme alcalin récent vient interférer avec
l’orogenèse atlasique et reflète l’activité d’un panache man-
Les basaltes de la CAMP (Trias supérieur- télique. Sa manifestation la plus ancienne, d’âge éocène,
Lias inférieur) s’observe à Tamazert,au bord nord du Haut Atlas central,et
Les basaltes à affinité tholéiitique de la Province dans le nord des Hauts Plateaux (Rekkame). Le massif de
Tamazert abrite les plus grandes occurrences de carbonatites
magmatique de l’Atlantique central (en anglais, CAMP)
en Afrique du Nord. Outre ces roches, le massif se compose
affleurent souvent au cœur des rides anticlinales dans
de roches ultramafiques sous-saturées et de syénites alca-
l’axe des chaînes du Haut et du Moyen Atlas. Ils appa-
lines et peralcalines (Bouabdellah et al., 2010). Selon ces
raissent aussi dans le Haut Atlas de Marrakech, le Massif
auteurs, les carbonatites et roches sous-saturées de Tama-
ancien occidental et le couloir d’Argana, sous forme de
zert proviennent de la délamination de la lithosphère sous-
coulées interstratifiées entre les évaporites du Trias et les
continentale en réponse à la collision Afrique-Europe.
calcaires du Lias (Ibouh et al., 2002 ; Youbi et al., 2003).
L’événement CAMP est daté pour l’essentiel à 201±1 Ma Le magmatisme alcalin synorogénique se mani-
avec une récurrence à ~195 Ma (Marzoli et al., 1999 ; Davies feste plus intensément du Miocène supérieur au Plio-
et al., 2017). Des sills et dykes de dolérites, contemporains Quaternaire tout au long de la « Ligne chaude du Maroc»
ou légèrement antérieurs, s’observent surtout dans le qui traverse obliquement le pays du Siroua-Saghro au
socle mésétien (Jebilet) et anti-atlasique. Ce magmatisme Moyen Atlas puis au Rif oriental (voit fig. 1A) (Frizon de
est l’expression de la rupture de la croûte continentale Lamotte et al., 2008, 2009). Dans le Siroua-Saghro, les
pangéenne durant le rifting atlasique et néo-téthysien. éruptions (trachy-basaltes, trachytes, néphélinites, pho-
nolites etc.) débutent vers 10,6 Ma et s’achèvent vers 2,7
Les intrusions gabbroïques et les coulées Ma. Dans le Moyen Atlas, laves et brèches volcaniques
basaltiques alcalines (Jurassique moyen- sont datées de 1,8 et 0,5 Ma (El Azzouzi et al., 2010 et réf.
citées). Ce magmatisme est lié spatialement à la zone à
Crétacé inférieur)
lithosphère amincie mise en évidence par la modélisation
Ces intrusions se rencontrent en masses impor- géophysique (Michard et al., ce vol., fig. 9), et donc au sou-
tantes au cœur des rides anticlinales diapiriques du Haut lèvement particulier du relief marocain (Missenard et al.,
Atlas central-oriental,mais aussi en dykes recoupant les syn- 2006 ; Frizon de Lamotte et al., 2009).
clinaux voisins. Les intrusions les plus massives montrent
trois unités pétrographiques (Armando, 1999 ; Lhachmi et La tectonique atlasique, du rifting
al. 2001 ; Zayane et al. 2002) : une unité basique (troctolites
et gabbros), une unité intermédiaire (diorite et diorite
triasique à l’inversion cénozoïque
quartzique) et une unité différenciée (syénites et syénites
Le concept de rift inversé et son évolution
quartziques). Ces roches à affinité alcaline à transition-
nelle résultent d’une différenciation par cristallisation L’idée que l’Atlas dérive d’un rift triasique avorté,
26 fractionnée dans une chambre magmatique située à 10- oblique sur le rift atlantique, est ancienne (Du Dresnay,

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

1979 ;Stets et Wurster,1982).Selon ces auteurs,les failles nor-


males du rift seraient reprises en failles inverses lors de la
compression atlasique et la couverture s’adapterait à la
géométrie des blocs faillés de socle. Ce concept de base va
peu à peu évoluer. Ainsi,Schwartz et Wigger (1988) et War-
me (1988) proposent un rift symétrique limité par des failles
E-O synthétiques et antithétiques,au-dessus d’une faille de
détachement E-O à faible pendage nord émergeant le long
du Front sud atlasique. L’ouverture des bassins se ferait du
Trias au Jurassique moyen et l’inversion à partir de l’Oligo-
cène (une date trop tardive, en fait). El Kochri et Chorowicz
(1996) proposent une extension oblique sur une faille de
transfert de direction N120 ; la distension se ferait selon
Figure 4. Discordance synsédimentaire des marno-calcaires du Bajocien sur
une direction ONO-ESE au Trias-Lias, devenant N-S à NNO- les calcaires liasiques, au flanc de la ride d’Ikerzi dans le Haut Atlas
SSE au Jurassique.Laville (1985) propose un modèle de relais central (localisation : voir Fig. 1C). Cliché et interprétation : H. Ibouh.
multiples sur décrochements senestres E-O en deux
périodes, au Toarcien-Bajocien, puis au Bathonien-Juras- oriental, mais la font plonger jusqu’au Moho pour limiter
sique supérieur. Pour cet auteur, la structuration du Haut l’amorce de racine crustale suggérée par les modélisations
Atlas en sous-bassins (dépocentres) et rides (anticlinaux (voir Fig. 1B).
étroits) serait le résultat d’une compression synsédimentaire
au cours du Jurassique. On verra plus loin que ce modèle, Interférence du diapirisme et de la tectonique
repris par Fedan (1988) pour le Moyen Atlas, est aujour- compressive
d’hui caduc. Ibouh (2004) montre que la structuration du L’origine des rides et des dépocentres si typiques des
bassin du Haut Atlas central se fait par extension asymé- bassins du Haut Atlas centro-oriental et du Moyen Atlas a
trique au Jurassique inférieur, avec une extension précoce d’abord fait l’objet de deux théories opposées. Pour les uns
et intense dès le Sinémurien au sud qui se propage ensui- (Laville,1985 ;Fedan,1988 ;Laville et al.,1992),on l’a vu,les rides
te pour atteindre le bord nord au Carixien-Domérien.Confor- résulteraient d’une compression jurassique. Pour les autres
mément au modèle de Wernicke (1985),l’asymétrie du bas- (Charrière,1990,2000 ;Frizon de Lamotte et al.,2000,2008),
sin est à mettre en relation avec une faille transcrustale à ces zones à sédimentation réduite correspondraient aux
pendage faible vers le nord.La présence d’une telle faille est zones hautes des blocs basculés de socle en contexte d’ex-
admise par Frizon de Lamotte et al. (2000) pour le Haut tension.Ce n’est que récemment que le rôle du diapirisme a clai-
Atlas occidental. Ayarza et al. (2014) figurent également rement été invoqué pour expliquer les rides et leurs particu-
une faille à faible pendage nord sous le Haut Atlas central- larités structurales (Ettaki et al., 2007 ; Michard et al., 2011 ;

Figure 5. Vue axiale oblique de la ride anticlinale de Tassent dans la cluse empruntée par la route d’Imilchil (localisation : voir Fig. 1C). C’est un mur diapi-
rique dont le cœur chaotique a atteint la surface avant le dépôt des couches du Paléocène supérieur - ? Eocène inférieur discordantes. Celles-ci ont été ployées
en synclinal lors de l’écrasement du diapir par les compressions ultérieures. 27

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Ibouh et al., 2011). Depuis lors, des études détaillées ont por- jusqu’au Plio-Quaternaire. Ces stades de compression sont
té sur diverses structures diapiriques très typiques du Haut à mettre en relation avec la cinématique de l’Atlantique sud,
Atlas (Saura et al.,2014 ;Martin-Martin et al.,2016 ;Moragas le mouvement de l’Afrique vers le nord et sa collision avec
et al., 2016), démontrant ainsi que les rides se sont dévelop- la plaque eurasiatique. La direction de compression semble
pées progressivement par la mobilité des argiles et évaporites avoir évoluée entre NNE-SSO avant le Miocène et NNO-SSE
triasiques sous l’effet de la charge des séries jurassiques sus- dans la période plus récente (Amrhar, 2002 ; Qarbous et al.,
jacentes.Cette mobilité débute dès le Lias,en contexte exten- 2008). La phase compressive, initiée au Crétacé supérieur,
sionnel,comme le montre les discordances synsédimentaires est enregistrée dans le Haut Atlas occidental par la dis-
sur les flancs des coussins diapiriques (Fig. 4). Sur cette figu- cordance du Paléocène sur des brèches litées intercalées
re 4,le paléokarst sous la discordance toarcienne indique une dans le « Sénonien » (Fig. 6), au-dessous de la faille inver-
émersion temporaire de cette ride située en bordure sud du se E-O de Medinat (Froitzheim et al., 1988). Ce premier
bassin haut-atlasique. L’halocinèse (et/ou argilocénèse) se épisode compressif est actuellement daté du Maestrich-
poursuit jusqu’au Crétacé supérieur,période à la fin de laquel- tien-Paléocène inférieur (Fekkak et al., soumis). Par la
le le contexte devient compressif. Les rides les plus évoluées suite,la déformation compressive va se poursuivre au cours
se présentent comme des anticlinaux étroits de calcaires lia- de trois épisodes principaux : Eocène supérieur, Miocène
siques ou bajociens à la charnière le plus souvent crevée et inférieur-moyen, Plio-Quaternaire (El Harfi et al., 2001 ;
dont le cœur est occupé par un mélange chaotique d’argiles Frizon de Lamotte et al., 2008 ; Leprêtre et al., 2015).
roses et de basaltes triasiques, de blocs de calcaires dolomi- Pendant la compression, ce sont d’abord les paléo-
tiques liasiques et d’intrusions subvolcaniques jurassiques failles du rift triasique qui rejouent en failles inverses ou
(Fig. 5). On a vu plus haut que certaines rides de la région en décro-chevauchements suivant leur orientation. Cepen-
d’Imilchil sont scellées par des couches (Formation de Tasraft) dant, de nouvelles failles sont également créées, comme
d’âge Paléocène- ? Éocène inférieur (Charrière et al.,2009). le montrent Domènech et al., (2015) dans la zone du Tizi
À noter que l’importance du diapirisme a été recon- n’Test. Ces diverses failles découpent le socle en blocs qui
nue plus tôt dans l’Atlas occidental onshore et offshore tendent à se chevaucher et à chevaucher leurs avant-pays
(Tari et al., 2003 ; Hafid, 2006 ; Hafid et al., 2008). La recon- nord et sud, la chaîne étant à double déversement. La zone
naissance de ces phénomènes dans l’Atlas téthysien, en axiale du Haut Atlas occidental se présente ainsi comme
s’ajoutant à la datation de la formation de Tasraft du un méga pop-up (Fekkak et al., soumis). Les failles inverses
Paléocène- ? Éocène inférieur, a porté un coup fatal à la montrent une géométrie où alternent rampes et replats,
théorie d’une phase de compression jurassique. Pour ces derniers liés à des décollements dans le socle aussi
autant, on ne doit pas exclure que des basculements de bien que dans la couverture (Missenard et al., 2007 ;
blocs de socle soient aussi intervenus dans le contrôle de Fekkak et al., soumis). Le raccourcissement transversal du
la sédimentation, en particulier dans les régions où les Haut Atlas est de l’ordre de 25 % à l’est (Beauchamp et al.,
évaporites triasiques sont de faible épaisseur. 1999 ; Teixell et al., 2003), et seulement de 15 % à l’ouest
(Domènech et al.,2015 ;Fekkak et al.,soumis),ce qui explique
L’inversion : âge et modalités le faible épaississement crustal indiqué par la gravimétrie.
L’inversion tectonique a affecté le domaine atla- Ainsi, les Atlas ne seraient pas si hauts, si ce n’étaient
sique en stades successifs depuis la fin du Crétacé supérieur l’anomalie mantélique et la ligne chaude du Maroc !

Figure 6. Le célèbre synclinal déversé de Medinat, montrant les couches paléocènes ?-éocènes discordantes sur le Crétacé supérieur en éventail ouvert vers
le nord; l’ensemble est chevauché par le socle cambro-ordovicien de la zone axiale, par l’intermédiaire de la faille inverse de Medinat de direction E-W. Les
28 brèches synsédimentaires indiquent une activité de cette faille dès la fin du Crétacé supérieur (Froitzheim, 1988).

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Dater les couches rouges continentales pour définir la géodynamique


atlasique
André Charrière 1 et Hamid Haddoumi 2 .

Les dépôts marins du domaine atla-


sique marocain ont été de bonne heure
décrits en détail, qu’il s’agisse de ceux du
Jurassique inférieur-moyen (Fig. 1) ou de
ceux du Crétacé (Aptien-Turonien) (Frizon de
Lamotte et al., 2008 et références citées).
Par contre,l’articulation entre ces deux cycles
marins est restée longtemps mal définie
compte tenu de la difficulté de datation
des couches continentales fréquemment
azoïques, les « Couches rouges jurassico-
crétacées » auctoris, largement étendues
dans des cuvettes synclinales. D’autres
couches rouges discordantes sur les rides
anticlinales furent longtemps confondues
avec les premières,mais relèvent d’un cycle
paléogène. Nous montrons ici les progrès
que la datation biostratigraphique de ces
deux cycles de couches rouges a permis Figure 1. Organisation du domaine atlasique marocain au Jurassique inférieur (d’après Frizon de
de réaliser dans la compréhension de la Lamotte et al., 2008) et localisation de la zone étudiée.
géodynamique atlasique.
Comment dater les séries
rouges continentales ?
Une première approche de la posi-
tion stratigraphique de ces terrains est
possible lorsqu’il existe une intercalation
marine (littorale) qu’on peut dater par la
biostratigraphie classique basée sur des
ammonites, brachiopodes, foraminifères,
dasycladacées, etc. C’est le cas dans
quatre secteurs du domaine atlasique
téthysien (Fig. 2) : i) à la bordure septen-
trionale du HAC3 où une incursion marine
aptienne est historiquement connue ;
ii) dans les séries du MA4 avec deux récur-
rences marines datées respectivement
du Bathonien supérieur-Callovien infé-
rieur et de l’Aptien (voir in Charrière et
Haddoumi, 2016) ; iii) dans les séries
continentales du HAO5 incluant un
épisode marin du Bathonien inférieur
Figure 2. Carte schématique du domaine atlasique téthysien avec situation des principaux synclinaux (Haddoumi et al., 1998), et enfin iv) à la
à « Couches rouges jurassico-crétacées » et successions stratigraphiques régionales. Les couches rouges
tertiaires près d’Imilchil sont notées par des points rouges TA, AM, TS et TSF. Source : Charrière et bordure nord du Haut Atlas oriental
Haddoumi, 2016, modifié. (Haddoumi et al., en prép.). 29

1. Enseignant-chercheur retraité de l’Université de Toulouse ; 13 Lot. Terrasses de la Figuière, 30140 Anduze, France. Courriel : andre.charriere73@orange.fr
2. Professeur à l’Université Mohammed 1er, Département de Géologie, Faculté des Sciences ; B.P. 524 ; 60 000 Oujda, Maroc.
Courriel : haddoumihamid@yahoo.fr
3. Haut Atlas Central.
4. Moyen Atlas.
5. Haut Atlas Oriental.
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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Dans les couches continentales elles-mêmes, nous étages antérieurement méconnus comme l’Oxfordien, le
avons, pendant deux décennies, associé des études sédi- Kimméridgien et surtout le Barrémien représenté dans la
mentologiques à des recherches de microfossiles par lavages plupart des sites.Une synthèse de ces acquis dans le domai-
et tamisages des roches meubles. Parmi ceux-ci, les ostra- ne atlasique central et oriental et le Moyen Atlas vient
codes donnent généralement des indications d’âge assez d’être esquissée (Charrière & Haddoumi, 2016).
larges, mais les charophytes6 (étudiés par M. Feist et P.-O.
Mojon) sont les meilleurs marqueurs continentaux du
Mésozoïque ayant donné lieu à une échelle stratigraphique
Les « Couches rouges jurassico-créta-
assez précise (Riveline et al., 1996). Ces marqueurs biostra- cées » et la topographie dynamique
tigraphiques (Photo 1) ont révélé la présence de plusieurs du domaine atlasique téthysien
Alors que le Haut Atlas occidental a appartenu en
permanence,durant le Méso-Cénozoïque,à la marge passi-
ve de l’Atlantique central, le reste du domaine atlasique fut
d’abord structuré par le rifting de la marge continentale sud-
téthysienne (voir figure 1). Ce rifting fut particulièrement
actif au Jurassique inférieur et moyen (Ibouh and Chafiki,ce
vol.).Les « Couches rouges jurassico-crétacées » enregistrent
les étapes géodynamiques majeures postérieures au rifting.

Le Bathonien-Callovien et la fin du rift téthysien


Le bassin marin jurassique se comble de façon pro-
gressive et de nouveaux paléoenvironnements conti-
nentaux apparaissent, localement riches en bois fossiles
et ossements reptiliens. Plusieurs faciès de « couches
rouges » sont représentés (voir figure 2). Dans l’axe du
HAC, des dépôts argilo-silteux épais évoquent de vastes
marécages margino-littoraux, puis intracontinentaux,
milieux de vie des dinosauriens (Photo 2).
Sur le versant Nord du HAC, l’organisation sédi-
mentaire des dépôts gréseux et pélitiques indique une
dynamique fluviatile méandriforme ou en tresse associée
à des écoulements vers le SE ou l’E, c’est-à-dire en direction
du bassin téthysien. Dans le HAO, il s’agit de dépôts fluvio-

Photo 1. Quelques charophytes à valeur de marqueurs biostratigraphiques.


Charophytes du Paléocène supérieur (région d’Imilchil) : A1, A2 : Harrisichara
tougnetensis MASSIEUX, 1977 (Thanétien) ; B1, B2 : Sphaerochara edda
SOULIÉ-MÄRSCHE (Paleocène) ; C1, C2 : Microchara vestida (Thanétien-
Yprésien). Charophytes du Crétacé inférieur ; D1 : Atopochara trivolvis
triquetra GRAMBAST (Barrémien supérieur-Aptien inférieur) ; D2 : Globa-
tor trochiliscoides GRAMBAST. (Barrémien supérieur) ; E1 : Flabellochara
harrisi (PECK) GRAMBAST (Hauterivien-Aptien) ; E2 : Globator mutabilis
(MOJON) MOJON, (Barrémien inférieur). Charophytes du Jurassique
supérieur ; F1 : utricules de Dictyoclavator ramalhoi GRAMBAST-FESSARD Photo 2. Empreinte tridactyle d’un dinosaurien théropode de grande taille
(Clavatoracées), (Kimméridgien) ; F2 : gyrogonites de Porochara kimme- sur une dalle à rides. Bathonien- ? Callovien, au Sud d’Imilchil (noter le
ridgensis (MÄDLER) MÄDLER emend. MOJON (Porocharacées) (Oxfor- remplissage de l’empreinte par le grès sus-jacent, mettant en valeur la
30 dien?–Kimméridgien). Source : A. Charrière et al., 2011. morphologie des doigts). Cliché : A. Charrière, inédit.

6. Plantes aquatiques d’eau douce ou saumatre dont les parois cellulaires et les gamétanges femelles peuvent être fossilisés par calcification (voir photo 1).

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

deltaïques s’écoulant également vers le domaine téthy- kimméridgien identifiés dans certains synclinaux à la base
sien. Dans le MA,une lithologie diversifiée correspond à des de la Fm Iouaridène (FIO). Le domaine mésétien et atla-
environnements oscillant entre ceux de plaine littorale, sique marocain tout entier formait alors une voussure
de delta marin et localement de lagune évaporitique. émergée au sud de la zone de jonction, entre la Téthys
Du point de vue géodynamique,la période se carac- liguro-maghrébine et l’Atlantique central.
térise d’abord par des dépôts syntectoniques (bassins
dissymétriques, biseaux à proximité d’axes émersifs, Le Barrémo-Aptien et la réactivation
discordances progressives intraformationnelles), à proxi- du rift atlantique
mité de nombreuses rides anticlinales directionnelles ou de Une reprise érosive importante initie un nouveau
décrochements transverses.Ceci a conduit plusieurs auteurs cycle sédimentaire sur l’ensemble du domaine atlasique
(Jenny et al., 1981 ; Monbaron, 1982) à évoquer une « phase téthysien. La nature de la sédimentation qui se développe
tectonique médio-jurassique ». Cependant, le contexte au cours du Barrémien et de l’Aptien traduit une évolution
extensif ou transtensif des déformations médio-jurassiques paléogéographique distincte selon les secteurs (voir figure
est souligné par des évènements volcaniques ou subvol- 2). Dans le MA et le HAO, l’enregistrement sédimentaire,
caniques (magmatisme basaltique B1), sur le versant nord respectivement représenté par la Fm de Sidi Larbi (FSL) et la
du HAC. Beaucoup d’indices d’instabilité sont attribuables Fm de Dekkar (FDK), reprend avec des dépôts congloméra-
au diapirisme (Ibouh et Chafiki, ce vol.). tiques continentaux discordants sur un substratum pro-
La même période se caractérise aussi par un soulè- fondément affouillé. La sédimentation passe progressive-
vement généralisé du Maroc mésétien (voir figure 1) et atla- ment au cours du temps à des environnements fluviatiles,
sique (à l’exception de la marge atlantique), avec bascule- puis fluvio-lacustres (dans le HAO) ou fluvio-marins (dans le
ment en direction téthysienne. La régression se fait MA). Sur le versant nord du HAC, les dépôts de cette pério-
progressivement durant le Bathonien-Callovien inférieur, de sont quantitativement très importants (Haddoumi et
entre le Haut Atlas, où les derniers termes marins sont al., 2010). Les argiles évaporitiques de la Fm des Iouaridène
d’âge Bathonien inférieur, et le Moyen Atlas, où la derniè- (FIO) sont associées à des influences laguno-marines témoi-
re récurrence marine est datée du Bathonien supérieur- gnant du rattachement paléogéographique de la bordure
Callovien inférieur.Une épaisse sédimentation deltaïque se NW du HAC à la marge atlantique au Barrémien. La Fm du
poursuit corrélativement au Callovien et au début du Jbel Sidal (FJS) marque l’apparition d’un nouvel épandage
Jurassique supérieur dans l’avant-pays rifain oriental. détritique, grossier et généralisé, durant le Barrémien.
L’originalité de cette période bathonienne- Ainsi, une « tectonique extensive barrémienne »,
callovienne est de cumuler ainsi une sédimentation auparavant insoupçonnée en raison de l’absence d’iden-
importante, trahissant la subsidence des dépocentres tification de cet étage dans le MA, HAO et le HAC, s’est
dépendant du réseau tectonique régional (failles manifestée dans le domaine atlasique téthysien.Les dépôts
normales, diapirs) et correspondant aux bassins syncli- barrémiens et aptiens sont contrôlés par le rejeu du réseau
naux actuels,avec un soulèvement d’ensemble du domaine structural régional N-S et N40° dans le MA. Dans le HAO,
mésétien et atlasique combiné à un basculement vers le ils remplissent une gouttière de direction E-W, alignée au
NE. Il s’agit nécessairement d’un bouleversement de la niveau du front nord-atlasique et alimentée par le déman-
paléotopographie dynamique sous contrôle mantélique. tèlement des reliefs atlasiques situés au Sud. Dans le HAC,
l’échelonnement des différents bassins barrémiens est
Le Jurassique supérieur et le Néocomien, également sous contrôle tectonique. À l’intérieur d’un
période dominée par l’érosion bassin, on constate généralement une dissymétrie du
L’enregistrement sédimentaire est très limité, au remplissage sédimentaire barrémien. Le matériel détri-
cours de cette longue période d’érosion subaérienne entre tique de la FJS, constitué de conglomérats, de litharénites
160 et 130 Ma. La sédimentation, exclusivement conti- et de grès calcaires, est, pour partie, alimenté par les reliefs
nentale, n’est enregistrée qu’en certains points du domai- locaux.Au cours de cette période,le drainage des matériaux
ne atlasique téthysien (voir figure 2). Dans le MA et le fluviatiles s’effectue vers l’W, le NW ou le SW, c’est-à-dire
HAO, quelques dépressions locales en bordure de paléo- vers un exutoire atlantique (Souhel,1996),ce qui prouve une
reliefs pouvaient piéger temporairement des matériaux inversion de la pente paléogéographique,ayant basculé du
fluviatiles ; c’est le cas des Fm Oued el Atchane (FOA) et Fm secteur téthysien, au Dogger, vers le domaine atlantique,
Ksar Metlili (FKM). Dans des cuvettes du Haut Atlas cen- au Barrémien. La réapparition de l’activité volcanique
tral,la sédimentation est plus conséquente avec des dépôts (basaltes B2) dans le HAC et son synchronisme avec la
continentaux marécageux et lacustres d’âge oxfordien- reprise érosive sont également révélateurs de la réactiva- 31

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

tion de la tectonique extensive au cours du Barrémien. sés (Fig. 3C). Les riches associations floristiques représen-
La période barrémienne se caractérise par le mor- tées ont donné un âge Thanétien (Fig. 3D). Sur la ride
cellement du domaine précédemment émergé avec la voisine de Tassent, le haut de la série rouge a livré quelques
formation de nouveaux bassins évoluant de façon dis- charophytes du Thanétien-Yprésien. Une étude en cours
tincte selon les secteurs : i) en milieu intracontinental de micromammifères provenant du site TF 33 tendrait à
dans le HAO, ii) en liaison avec un nouveau golfe téthysien indiquer (Tabuce, comm. orale) un âge éocène encore plus
dans le MA (et probablement au front nord du Haut Atlas récent. Quoi qu’il en soit, ces dépôts ne sont pas associés
oriental), la sédimentation continentale barrémienne évo- à un cycle jurassique ou crétacé, mais au cycle sédimen-
luant vers une sédimentation margino-littorale aptien- taire paléocène-éocène, au cours duquel ils ont jalonné la
ne, iii) en liaison avec un golfe atlantique dans le HAC, la bordure méridionale du golfe atlantique des Phosphates
sédimentation fluviatile, lagunaire à margino-littorale du qui s’étendait largement en Meseta occidentale.
Barrémien, faisant place à une sédimentation franche- Le curieux dispositif géométrique de conservation
ment marine à l’Aptien. des couches rouges paléogènes en synclinaux perchés sur
les rides de la région d’Imilchil a été décrit sous le nom de
« Syncline-topped Anticlinal Ridges » (STARs) par Michard
Les « Couches rouges paléogènes » et al. (2011). Leur genèse est fondamentalement tributai-
discordantes sur les rides anticlinales re du diapirisme (Ibouh et Chafiki, ce vol.).
du Haut Atlas central et l’inversion Ainsi,les études sédimentologiques et les datations
tectonique biostratigraphiques des diverses couches rouges conti-
nentales présentes dans le domaine atlasique téthysien
Dans la région d’Imilchil située dans la partie axia- ont permis de préciser le déroulement de l’histoire géody-
le du Haut Atlas (voir figure 2), la plupart des couches namique de ce domaine, d’une part dans la période juras-
rouges continentales se rencontrent dans les aires syn- sico-crétacée, d’autre part au tout début du Tertiaire.
clinales et sont associées à la régression bathonienne,
mais sur quelques sites (TAS, TS, AM, TA) cer-
taines reposent en discordance sur des axes anti-
clinaux à cœur triasique emballant des masses
de calcaires liasiques et des intrusions magma-
tiques (Fig. 3A). Ces couches rouges fortement
discordantes ont été longtemps assimilées à
celles des synclinaux et ainsi attribuées au Juras-
sique moyen ou supérieur et/ou au Crétacé infé-
rieur, les calcaires sus-jacents étant considérés
comme du Cénomanien marin. On interprétait
alors logiquement les plis anticlinaux scellés par
ces dépôts comme liés à une phase majeure
compressive ou transpressive d’âge Jurassique
supérieur (Laville et al., 1991 ; Piqué et al., 1998).
L’étude stratigraphique détaillée des Couches
rouges discordantes sur la ride de Tasraft
(Charrière et al., 2009 ; Fig. 3B) a conduit à aban-
donner totalement la précédente hypothèse
géodynamique. Les calcaires interstratifiés dans
la série rouge et ceux de la partie sommitale
sont en fait des dépôts lacustres avec de rares
intercalations laguno-marines, sans lien avec
les calcaires marins du Cénomanien-Turonien.
Les niveaux pélitiques et marneux échantillon-
nés ont livré des microfossiles exclusivement Figure 3. Couches rouges discordantes sur le cœur de la ride de Tasraft. A : Coupes de la structu-
re et attributions stratigraphiques antérieures. B : Coupes détaillées de la série discordante. C :
continentaux, avec notamment des charophytes Position des charophytes et des ostracodes récoltés.D :Répartition stratigraphique des associations
32 réparties dans les différents épisodes superpo- de charophytes. (A) d’après Piqué et al., 1998 ; (B-D) d’après Charrière et al., 2009.

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Le Précambrien à la bordure nord du craton ouest-africain


(Anti-Atlas et Haut Atlas, Maroc)
Abderrahmane Soulaimani 1 , Kevin Hefferan 2 .

Données générales
Au cours des dernières décennies,
les nombreux travaux de cartographie au
1/50 000 réalisés dans l’Anti-Atlas et les
datations U/Pb ont apporté de très impor-
tantes précisions sur les événements sédi-
mentaires, magmatiques et tectoniques
enregistrés dans les terrains du Précam-
brien. Ces terrains sont particulièrement
bien exposés dans l’Anti-Atlas,où ils appa-
raissent en « boutonnières » (massifs
anciens souvent en creux morphologique)
sous les terrains paléozoïques (voir
Michard et al., ce volume, coupe fig. 5).
Or, ces boutonnières définissent, par les Figure 1. Carte de répartition des terrains précambriens dans l’Anti-Atlas-Ouzellarh. Source : Gasquet
terrains qu’elles font affleurer, deux et al., 2008, modifié.
domaines bien distincts, séparés l’un de
déformé de la chaîne néoprotérozoïque panafricaine. Le
l’autre, par une zone faillée précambrienne, l’Accident
long de l’accident et vers le nord-nord-est (notamment
Majeur de l’Anti-Atlas (AMAA) de direction moyenne E-O
dans le Jebel Saghro et le massif de l’Ouzellarh, promon-
(Fig. 1). Au sud-sud-ouest de cet accident, on trouve un
toire anti-atlasique inclus dans l’Atlas de Marrakech), on
domaine, formé essentiellement de granites et schistes
trouve le domaine mobile panafricain, avec des lambeaux
paléoprotérozoïques, recouvert d’une couverture paléo-
de terrains cryogéniens impliqués dans une succession de
protérozoïque et de séries volcano-clastiques de l’Ediaca-
collages d’arcs,associés à des ophiolites néoprotérozoïques
rien supérieur. C’est l’avant-pays cratonique plus ou moins
et à des turbidites de l’Ediacarien inférieur, l’ensemble
étant recouvert par les mêmes séries de l’Ediacarien supé-
rieur que plus au sud.
L’ensemble des âges U/Pb mesurés dans l’Anti-Atlas
et l’Ouzellarh montrent deux cycles magmatiques majeurs,
éburnéen (2200-1700 Ma) puis panafricain (800-500 Ma)
(Fig. 2). Les terrains archéens sont absents et le Mésopro-
térozoïque uniquement représenté par des dykes basiques.
Le cycle panafricain (850-545 Ma) englobe les processus de
fragmentation du supercontinent Rodinia puis d’amal-
gamation du Gondwana, suivi de la dislocation de sa bor-
dure nord. Au Maroc, on peut maintenant le subdiviser
en quatre phases distinctes (Hefferan et al., 2014) : i) l’ins-
tallation de la plateforme cratonique et l’édification d’arcs
océaniques au Néoprotérozoïque inférieur (850-750 Ma) ;
ii) la phase panafricaine précoce (PAN1) (760-700 Ma) ; iii)
la phase panafricaine majeure (PAN2) (680-640 Ma) ; iv)
la phase panafricaine tardive (PAN3) (620 à 585 Ma), et
Figure 2. Répartition des âges U/Pb des différentes roches magmatiques enfin v) l’édification de la chaine volcanique édiacarienne
précambriennes dans l’Anti-Atlas et le Haut Atlas. Source : Hefferan et al., 33
2014, modifié. du Groupe de Ouarzazate (580-545 Ma).

1. Professeur à l’Université Caddi Ayyad, Faculté des Sciences Semlalia, Maroc. Courriel : soulaimani @gmail.doc
2. Professeur à l’Université du Wisconsin-Stevens Point, États-Unis. Courriel : kheffera@uwsp.edu

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Le Paléoprotérozoïque et le cycle zites (Fig. 3) montre que le substratum éburnéen a été


exhumé et arasé dès avant la fin du Paléoprotérozoïque.
Eburnéen
Le substratum paléoprotérozoïque de l’Anti-Atlas est Le Mésoprotérozoïque
formé de roches méta-sédimentaires et méta-volcaniques
recoupées par des intrusions plutoniques éburnéennes. Malgré la multiplication des datations U-Pb, l’ab-
Les granitoïdes les plus anciens sont calco-alcalins et modé- sence totale de l’orogenèse grenvillienne se trouve confir-
rément potassiques, mis en place vers 2180 Ma, dans un mée dans l’Anti-Atlas. Les seules roches mésoprotéro-
probable contexte de subduction ;ils sont suivis de plutons zoïques récemment reconnues sont des dykes basiques
synorogéniques calco-alcalins et peralumineux à partir de datés sur baddeleyite à 1385-1415 Ma (El Bahat et al., 2013).
2050 Ma (Thomas et al., 2002 ; Gasquet et al., 2004 ; Blein Ces dykes témoignent seulement d’un épisode de
et al., 2014b). L’âge de certains des métasédiments déri- fracturation du craton ouest-africain.
vant de dépôts de plateforme silicoclastique distale a été
approché par celui des laves interstratifiées : 2072±8 Ma Le Néoprotérozoïque et le cycle
(Walsh et al., 2002). Ces quelques âges U-Pb donnent déjà
une idée de la complexité du cycle éburnéen !
panafricain
Après l’orogenèse éburnéenne, des dykes acides Fracturation de la plateforme cratonique et déve-
et basiques se mettent en place aux alentours de 1760
loppement d’arcs intra-océaniques (850-750 Ma).
Ma (Gasquet et al., 2004 ; Ikenne et al., 2017), annonçant
une phase d’extension liée à la dislocation de la masse Le cycle panafricain débute avec la mise en place
Columbia (Youbi et al., 2013). C’est sans doute dans ce de filons basiques dans le socle éburnéen de l’Anti-Atlas
cadre que s’installent les dépôts de plateforme du Grou- centre-occidental entre 850 et 885 Ma (Kouyaté et al.,
pe de Taghdout-Lkest (GTL), longtemps considérés d’âge 2013). Dans la boutonnière de Bou Azzer, le Groupe de
néoprotérozoïque inférieur. Cette ancienne attribution, Tachdamt-Bleïda est considéré comme fait de dépôts de
déjà questionnée par Abati et al. (2010), est définitive- plateforme du Néoprotérozoïque inférieur, prolongeant
ment remise en cause par les âges de 1710 et 1639 Ma des celle du Groupe de Taghdout-Lkest (Bouougri et Saquaque,
dykes basiques intrusifs respectivement dans les quartzites 2004). Des laves s’y intercalent, indirectement datées à 768
d’Igherm (Ikenne et al., 2017) et de Taghdout (Aït Lhana et Ma (Clauer, 1976) et associées à des tufs datés du Tonien
al., 2016), au profit d’un âge paléoprotérozoïque supé- (Bouougri, travaux en cours). Plus au nord (coordonnées
rieur. La classique discordance majeure à la base des quart- actuelles) et dans un espace océanique bordant le craton,
s’opère l’édification d’arcs volcaniques
intra-océaniques entre 770 et 750 Ma. À
Bou Azzer, des âges U-Pb de 760-770 Ma
sont mesurés dans les laves de l’arc mag-
matique Tichibanine-Ben Lgrad (Soulai-
mani et al., 2013), âges identiques à ceux
des plagiogranites de l’ophiolite de Tas-
riwine dans le Siroua (761 Ma ; Samson et
al., 2004), ou encore à ceux des proto-
lithes des métagabbros de Tazigzaout à
Bou Azzer (752 Ma., D’Lemos et al., 2006),
de l’orthogneiss de Bou Azzer (755 Ma), et
des migmatites d’Iriri dans le Siroua,
datées à 743 Ma (Thomas et al., 2002).
Un métagabbro de l’ophiolite de Bou
Azzer a été daté par SHRIMP3 à 697±8Ma
(El Hadi et al., 2010), suggérant que les
Figure 3. La discordance du Tizi n’Tarhatine, sur la route entre Ouarzazate et Taroudant, décrite dès 1938 éléments de cette ophiolite démembrée
par Neltner, sépare les orthogneiss éburnéens de leur couverture quartzitique (Groupe de Taghdout- ont été échantillonnés par la tectonique
Lkest). Cette discordance a été le siège d’un décollement majeur, probablement pendant la collision
panafricaine : elle est devenue un contact anormal entre socle rigide et couverture plissée. Cliché et d’obduction à divers endroits d’un espace
34 interprétation : A. Soulemani. océanique assez large. Notons qu’à Bou

3. Sensitive High Resolution Ion MicroProbe : outil associant microsonde ionique et spectromètre de masse utilisé pour des datations géochronologiques
U/Pb.

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

La phase panafricaine précoce


(PAN1, 770-700 Ma)
Les arcs insulaires intra-océa-
niques édifiés entre 770 et 750 Ma ont
été déformés le long de l’axe Bou-Azzer-
Siroua dans le faciès amphibolite de hau-
te température, selon une cinématique
dextre dominante (D’Lemos et al., 2006).
Les orthogneiss ainsi formés ont ensuite
été recoupés par des filons de leucogra-
nite non déformés, datés aux environs
de 700 Ma (D’Lemos et al., 2006 ; Blein
et al., 2014). Cette première phase de
déformation panafricaine correspondrait
au collage de l’arc volcanique de Tacha-
koucht-Bou Azzer contre la marge crato-
Figure 4. Le paléo-Moho néoprotérozoïque des Aït Ahmane, dans la boutonnière de Bou Azzer.
Cliché : A. Michard. nique (Fig. 4) (Hefferan et al., 2014 ;
Triantafyllou et al. 2015).
Azzer, le cisaillement basal de l’ophiolite a échantillonné
le toit du manteau lithosphérique (Fig. 4), circonstance La phase panafricaine majeure (PAN2, 560-540 Ma)
qui a permis le développement ultérieur des fameux gise- Une nouvelle accrétion d’arcs volcaniques le long
ments à cobalt, nickel, chrome, arsenic. de la marge gondwanienne est responsable de la secon-

Figure 5. Modèle géodynamique du cycle panafricain sur le transect de la boutonnière de Bou Azzer. Source : ce travail. 35

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

de phase de déformation dont les structures se superpo- toïdes post-tectoniques édiacariens (575 à 550 Ma). Le
sent à l’ancienne fabrique de la phase PAN1 (Triantafyl- long de la zone de suture, les Séries de Tiddiline et de Bou
lou et al., 2015). C’est une déformation à vergence Salda correspondent à des dépôts volcano-clastiques
cratonique, décro-chevauchante sénestre à Bou Azzer déformés entre 606 Ma, âges de laves interstratifiées
(Saquaque et al., 1989) et à vergence sud dans le Siroua (Tri- dans la Série de Tiddiline, et 580 Ma, base du Groupe de
antafyllou et al., 2015), qui s’est opérée dans le faciès des Ouarzazate (Soulaimani et al., 2013). Ces deux dernières
schistes verts de haute température (Bousquet et al., séries paraissent donc plus jeunes que le Groupe du Sagh-
2008). ro, mais toutes ces formations sont affectées par les der-
Dans la boutonnière de Bou Azzer, cette phase, res- nières compressions panafricaines entre 600 et 585 Ma
ponsable de l’obduction de l’ophiolite, est accompagnée (phase cadomienne ; Michard et al., 2017).
ou suivie de près par la mise en place d’intrusions synci-
nématiques autour de 650 Ma : Aït Ahmane, Bou Oufrou- La chaine volcanique de l’Ediacarien supérieur
kh et Tafraout à Bou Azzer (Inglis et al.,2005) et Tourtit dans (580-545 Ma)
le Siroua, (Triantafyllou et al., 2015). C’est l’âge du paroxys- En discordance angulaire sur les différents terrains
me de la déformation synmétamorphique, alors que la que nous venons de décrire, le Groupe de Ouarzazate cor-
mise en place tardi-tectonique du massif de l’Ousdrat respond à des séries volcaniques et volcano-clastiques de
(540 Ma) marque la fin des compressions panafricaines. lithologie et d’épaisseur très variables (0-2 km). Ce sont les
Dans le massif de Siroua, le pic du métamorphisme régio- restes d’une chaîne volcanique édifiée au cours de l’Édia-
nal est placé à 647 Ma, âge de grenats métamorphiques carien supérieur, à la bordure nord-ouest du craton (Tho-
de l’ophiolite de Tasriwine (Inglis et al., 2017). La polarité mas et al., 2002), associée à une intense activité hydro-
de la subduction panafricaine a longtemps été débattue thermale à l’origine de minéralisations variées (Ag, Hg,
(Leblanc, 1975 ; Saquaque et al., 1989) mais un consensus Cu, Pb, Zn, Au, Co, Ni, As). Le magmatisme est de nature cal-
sur des subductions à plongement nord (voir Fig. 5A-C) est co-alcaline fortement potassique à shoshonitique, de type
maintenant établi (Soulaimani et al., 2006 ; Walsh et al., arc volcanique (Thomas et al., 2002 ;Walsh et al., 2012). Ce
2012 ; Hefferan et al., 2014). magmatisme d’arc s’atténue rapidement aux alentours de
Notons qu’en dehors de la zone de suture, l’ab- 545 Ma lors de la première transgression cambrienne. Il est
sence de terrains du Cryogénien à l’affleurement rend dif- remplacé par les laves alcalines du J. Boho au Cambrien
ficile la mise en évidence des effets de la tectonique pan- inférieur (Ducrot et Lancelot, 1977).
africaine dans l’Anti-Atlas, où des remobilisations du Les dépôts du Groupe de Ouarzazate sont attri-
substratum éburnéen le long de zones de cisaillements bués aux phases tardives panafricaines dans un contex-
sont cependant clairement admises (Ennih et al., 2000). te tardi- à post orogénique globalement transtensif (Tho-
De plus, les terrains du Groupe de Taghdout-Lkest sont mas et al., 2002). Son magmatisme est considéré en lien
fortement plissés et recristallisés en faciès schistes vert de indirect de la subduction panafricaine antérieure (Leblanc,
bas degré. 1975 ; Ennih et al., 2001). Les nouvelles reconstructions du
pourtour gondwanien à 580-530 Ma (Linnemann et al.,
La phase panafricaine tardive (PAN3, 520-580 Ma)
2013) montrent l’occurrence d’une subduction vers le sud
Le Groupe de Saghro déposé dans les massifs du de la Proto-Téthys, configuration qui placerait l’Anti-Atlas
Siroua-Ouzellarh et du J. Saghro-Ougnat montre une sédi- dans une position arrière-arc. L’activité magmatique obser-
mentation greywackeuse turbiditique, épaisse de plus de vée serait en lien direct avec la subduction cadomienne de
8000 m et déposée au pied d’un arc andésitique (Michard type andine à l’arrière de l’arc cadomien (voir Fig. 5D ;Wal-
et al., 2017). Les âges relativement jeunes des zircons détri- sh et al., 2012 ; Hefferan et al., 2014).
tiques dans ce groupe (630 à 610 Ma ; Liégeois et al., 2006 ;
Par la suite, après la collision des blocs continentaux
Abati et al., 2010) montrent que la formation de ces bas-
avalonien et/ou cadomien avec la marge gondwanienne,
sins est postérieure à la phase majeure panafricaine et
on assiste au rifting de tout ce domaine panafricain et à
témoignent du développement de dépocentres au nord de
l’ouverture des bassins cambriens de l’Anti-Atlas et de la
la zone de suture, en réponse au collapse de la chaîne
Meseta (Hoepffner et al., ce vol.). Ces rifts cambriens avor-
panafricaine. Par la suite,ces bassins sont déformés par des
teront par la suite et l’océanisation aura lieu plus à l’ouest
plis droits synschisteux dans des conditions de méta-
au cours de l’Ordovicien inférieur (Linnemann et al., 2013).
morphisme de faible degré, puis recoupés par des grani-
36

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Dorsale Reguibat et Massif des Oulad Dlim, l’avancée des connaissances


Pilar Montero 1 , Fernando Bea 1 , Faouziya Haissen 2 , José Francisco Molina-Palma 1 , Francisco González-Lodeiro 3 ,
Abdellah Mouttaqi 4 , Abdellatif Errami 4 .

Introduction ont débuté en 2011. Le point de départ fut un projet finan-


cé par l’AECID (Université de Grenade) et coordonné par
Le secteur étudié était nommé Sahara occidental deux femmes géologues, l’une espagnole et l’autre
ou Rio de Oro sous le protectorat espagnol, qui a duré jus- marocaine, pour l’étude de la pétrologie, géochimie et
qu’en 1975. De cette période espagnole, marquée princi- géochronologie des terrains de la Dorsale Reguibat. La
palement par la découverte des mines de phosphates de première expédition a ciblé les terrains archéens de la
Bou-Kraa en 1945 (Alia-Medina, 1971), persistent des publi- zone Awserd-Tichla jusqu’à la frontière avec la Mauritanie
cations de grande qualité, dont principalement les cartes (Fig. 1). Un échantillonnage détaillé des syénites à feld-
au 1/200 000 dues à Alia-Medina et collaborateurs et la spathoïdes d’Awserd fut également réalisé. À la deman-
synthèse due à Arribas (1968). Après 1975, ce secteur fut le de et sous la supervision des géologues de l’ONHYM, les
théâtre de conflits militaires avec un minage mal locali- carbonatites de Glibat Lafhouda qui affleurent au sein
sé rendant les expéditions de terrains extrêmement dan- du massif des Oulad Dlim, charrié sur la Dorsale (voir
gereuses. Le Plan national de Cartographie géologique Michard et al., ce vol.) furent échantillonnées.
lancé en 1996 par le Ministère de l’Energie et des Mines
Lors des campagnes suivantes, les recherches ont
marocain et les travaux d’exploration de l’ONHYM n’ont
migré depuis les terrains de la Dorsale Reguibat vers ceux
rouvert l’accès de ces régions aux géologues que depuis
des Oulad Dlim. Les résultats de ces recherches ont été
deux décennies à peine.
pour la plupart publiés (Bea et al., 2013, 2014 ; Montero et
Les études géologiques menées sur la Dorsale al., 2014 ; Bea et al., 2016 ; Montero et al., 2016). Nous en
Reguibat (Sud du Maroc) par les groupes de recherche résumons ici l’essentiel, en y ajoutant quelques résultats
des universités de Grenade (Espagne) et de Casablanca remarquables en phase de publication.
(Maroc) en collaboration avec les géologues de l’ONHYM

Figure 1. Esquisse géologique de la Dorsale Reguibat et du Massif des Oulad Dlim entre la région d’Awserd-Tichla et l’océan Atlantique. Les écailles quartzi-
tiques de Tisnigaten forment une bande étroite, non individualisée ici, entre les sédiments autochtones de la Dorsale Reguibat (unité Latitabyine-Lahwida)
et l’unité des gneiss de Bu-Lautad. Source : ce travail. 37

1. Departamento de Mineralogía y Petrología, Universidad de Granada, Campus Fuentenueva, 18071 Granada, Spain. Courriels : pilar_montero@me.com,
fernando_bea@ugr.es, jfmolina@ugr.es
2. LGCA, Département de Géologie, Faculté des Sciences Ben Msik, Université Hassan II de Casablanca, Maroc. Courriel : faouziya.haissen@gmail.com
3. Departamento de Geodinámica, Universidad de Granada, Campus Fuentenueva, 18071 Granada, Espagne. Courriel : lodeiro@igme.es
4. Office National des Hydrocarbures et des Mines, 5 Avenue Moulay Hassan, Rabat, Maroc. Courriels : mouttaqi@onhym.com, errami@onhym.com

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Contexte géologique caine de la Dorsale Reguibat,d’autres en dehors du territoire


marocain. Parmi les massifs marocains, le plus grand et le
La plus grande partie de ces régions est sans relief plus représentatif est celui d’Awserd, il s’agit d’un corps
et désertique, avec de rares affleurements de mauvaise intrusif qui affleure en un anneau (ring dyke) spectaculai-
qualité. Seules font exception des zones de petites mon- re de 12x10 km (Rjimati et al., 2002). Le massif est intrusif
tagnes comme celles de l’Adrar Souttouf et des syénites dans les gneiss TTG d’Aghaylas. Il est composé principale-
d’Awserd. La zone Awserd-Tichla (selon la nomenclature ment de syénites à néphéline qui forment la partie exter-
de Rjimati et al.,2002) comprend la partie nord des terrains ne de l’anneau et de syénites à kalsilite qui en forment la
du Tasiast-Tijirit (Dorsale Reguibat) dont le contact vers partie interne. Des syénites saturées en silice, beaucoup
l’ouest avec le massif des Oulad Dlim se fait par le biais moins importantes,sont également observées dans la bor-
d’une bande étroite de terrains paléozoïques plissés (le dure sud-occidentale de l’intrusion. Les syénites à néphéli-
domaine Latitabyine-Lahwida) qui affleure principalement ne sont formées de feldspath potassique, néphéline, cli-
vers le nord (Michard et al., ce volume). Les lithologies nopyroxène, biotite et accessoirement grenat. Les syénites
prédominantes de cette zone sont : les gneiss TTG (Suite à kalsilite sont formées de feldspath potassique,kalsilite et
d’Aghaylas), la ceinture de roches vertes (« greenstone belt biotite. La géochimie indique qu’il s’agit de roches inter-
») de Tichla et les syénites à feldspathoïdes d’Awserd- médiaires à felsiques anormalement riches en K (K2O jus-
Lechuaf. Le massif des Oulad Dlim, quant à lui, est décrit qu’à 20 wt% dans quelques syénites à kalsilite) avec des rap-
comme une succession d’unités tectoniques mises en pla- ports initiaux de Sr et Nd très primitifs (87Sr/86Sr(t) ≈ 0.7022
ce durant l’orogenèse varisque : c’est le segment septen- ±0.0003), εNd(t) ≈-1,8 Ma ±0,2 dans les syénites à kalsilite
trional de la chaîne des Mauritanides (Sougy, 1969 ; Ville- et -3,5 Ma ±1,2 dans les syénites à néphéline et des âges
neuve et al., 2006, 2015 ; Michard et al., 2008, modèles de Nd (TDM) de 2,5 à 3 Ga.
2010 ; Rjimati et al., 2011).
Quatre échantillons ont été datés par U-Pb sur
zircons (deux syénites à néphéline et deux syénites à
Synthèse des données récentes kalsilite), et ces mêmes zircons ont été analysés pour les
isotopes d’oxygène. Les âges obtenus (2,46 ±0,01 Ga) sont
La Dorsale Reguibat dans la zone Awserd-Tichla identiques pour les 4 échantillons, confirmant que les
deux types de syénites sont de même âge. Cet âge (2,46
La suite d’Aghaylas est formée principalement de
±0,01 Ga) est également obtenu par Rb/Sr sur roche tota-
tonalites et trondhjemites et en moindre quantité de gra-
le provenant de 15 échantillons appartenant aux deux
nodiorites et granites (d’où le nom de suite « TTG ») affec-
types de syénites qui se projettent ainsi sur la même
tés par une migmatisation localement très intense.Les pro-
isochrone, confirmant que les deux types de roches sont
tolithes des gneiss varient entre des tonalites à biotite+
cogénétiques. Les isotopes d’oxygène sur les zircons
amphibole+épidote et des granites et trondhjemites à
donnent pour les deux types de syénites des signatures
biotite+épidote, avec invariablement une texture hypidio-
clairement mantéliques, avec ∂18O entre 4,8 et 5,5.
morphique. Leur géochimie se caractérise par un appau-
L’interprétation proposée pour la pétrogenèse de ces syé-
vrissement en HREE5, Nb, Ta et U, des rapports élevés de
nites à kalsilite est une refusion hydratée d’une couronne
Th/U et K/Rb, des rapports initiaux bas de Sr (87Sr/86Sr(t) de
leucitique formée en profondeur (Bea et al., 2013, 2014).
0.7003 à 0.7030),εNd(t) positifs (+2 à +5) et des âges modèles
de Nd (TCr) entre 3,04 et 2,92 Ga. Huit échantillons ont été La ceinture de roches vertes de Tichla est un corps
datés par U-Pb sur zircon (Université de Grenade) aboutis- allongé NNE-SSW de ≈ 90 km de long, large de 5 km au
sant dans tous les cas à des discordia par perte de Pb très bien nord et de 20 km au sud, encaissé dans les gneiss d’Aghay-
définies,avec des âges à l’intercept supérieur entre 3,04 ± 0.01 las. Il est formé par des roches basiques et ultramafiques,
et 2,92 ± 0.10 Ga.La concordance entre l’âge modèle et l’âge principalement des serpentinites, et par des métasédi-
de cristallisation indique que le principal épisode de créa- ments. Un seul échantillon a été daté par U-Pb sur zircon
tion de la croûte dans la zone étudiée a eu lieu entre 3,1 et donnant une population d’âge qui définit une discordia par
3,0 Ga. La composition chimique indique qu’il ne s’agit perte de Pb avec un âge à l’intersection supérieure de 3,02
pas de TTG juvéniles mais plutôt du résultat de la fusion ±0,01 Ga, identique à l’âge 207Pb/206Pb des points les plus
partielle de TTG juvéniles antérieurement métamorphisées concordants. L’âge obtenu est légèrement plus ancien que
(Montero et al., 2014). celui des gneiss intrusifs dans la ceinture (3,01 Ga), mais
légèrement plus jeune que celui des gneiss d’Aghaylas les
Plusieurs plutons de syénites à feldspathoïdes for-
plus anciens (3,03 Ga). L’âge de cette « greenstone belt »
38 ment le groupe d’Awserd-Lechuaf,deux dans la partie maro-
se trouverait ainsi limité entre 3,01 et 3,03 Ga. Des

5. Heavy Rare Earth Element (Groupe de l’yttrium).

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

métavolcanites acides terminant le cycle éruptif de la satellitaires mineurs de granites peralcalins à aegirine et
ceinture ont cependant fourni un âge U-Pb-TIMS zircon de riébeckite. Ces roches sont affectées par une foliation
2,965 Ga dans des affleurements situés plus au sud (Key varisque à pendage ouest (Fig. 2) et critères de cisaille-
et al., 2008). Les roches gabbroïques de Tichla présentent ment à vergence vers l’est, comme dans les micaschistes
un εNd négatif et l’âge modèle de Nd le plus ancien de de Laglat (Michard et al., 2010). Il s’agit de granites hyper-
toute la région étudiée (TCR = 3,4 Ga), impliquant ainsi solvus avec des textures agpaitiques à grain fin à moyen,
l’existence d‘une croûte plus ancienne non reconnue dans formés par feldspath mésoperthitique, quartz, riébeckite,
la suite d’Aghaylas (Montero et al., 2014). aegirine et des quantités mineures de biotite. En géochi-
mie, ils se classent comme granites de type-A1 (Eby, 1990,
Le Massif des Oulad Dlim 1992) caractérisés par de fortes concentrations de REE et
À l’ouest des sédiments paléozoïques autochtones des éléments HFS, des rapports Th/U et Nb/Ta proches
de Lititabyine-Lahwida, affleure d’abord une étroite ban- de ceux du manteau, εNd(t) = -5,2 à -6,8, très négatifs et des
de d’écailles quartzitiques (formation Tisnigaten de Rjimati âges modèles de Nd (TCR) = 1.83 Ga. Des zircons de deux
et al., 2002) attribuables au Cambrien (Gärtner et al., 2017), échantillons de granites de grain grossier (un de chaque
puis une bande large de 20 à 40 km de gneiss felsiques corps principal) et deux de dykes de grain fin ont été datés
(gneiss de Bu-Lautad, voir Fig. 1) avec de rares métasédi- par SHRIMP U-Pb. Les granites ont donné des âges de
ments et des couches d’amphibolites. Deux échantillons 525 et 527 ±3 Ma, un des dykes a donné le même âge
de ces gneiss ont été datés par U-Pb sur zircon, donnant (524 ±3 Ma) alors que l’autre a donné un âge légèrement
des discordia par perte de Pb avec un âge à l’intersection plus jeune (517 ±3 Ma). Ces âges de cristallisation sont
supérieure de 3,0 ±0,01 et 3,12 ±0,01 Ga, légèrement plus considérablement plus jeunes que les âges modèles. Ceci,
ancien que celui des gneiss autochtones d’Aghaylas (Mon- ajouté aux valeurs hautement négatives de εNd(525 Ma)
tero et al., 2014). Les gneiss de Bu-Lautad représentent laisse supposer que la source de ces roches peut résulter
donc une unité de socle archéen à la base du massif des de la fusion d’une source crustale ancienne.
Oulad Dlim. Ils sont recouverts au nord par les micaschistes La présence de complexes intrusifs de carbona-
à grenat de Laglat dont les zircons détritiques les plus tites est un caractère remarquable des Oulad Dlim. Deux
jeunes ont donné un âge de 2,84 Ga (Bea et al., 2016) et qui de ces complexes affleurent correctement et ont donc pu
sont intrudés par le granite peralcalin cambrien de être étudiés : Gleibat Lafhouda à l’est et Twihinate à l’ouest
Derraman. Au sud, les gneiss de Bu-Lautad sont intrudés (voir figure 1). Or ces intrusions diffèrent profondément
par les massifs à carbonatites paléoprotérozoïques de l’une de l’autre ! Le complexe de Gleibat Lafhouda est
Gleibat Lafhouda. intrusif dans les gneiss archéens du domaine de
Le granite peralcalin de Derraman affleure à l’est du Bu-Lautad. Il est formé de trois corps lenticulaires
massif des Oulad Dlim,dans la partie nord du domaine des sub-circulaires de magnésio-carbonatites avec un âge de
gneiss de Bu-Lautad (voir Fig. 1). Il s’agit de deux corps cristallisation U-Pb de 1,85 ±0,3 Ga, un âge modèle de Nd
principaux de ≈ 2 km de diamètre et de quelques corps (TCR) de 1,89 Ga (identique à l’âge de cristallisation) et
εNd(1.85Ga) positif entre +4,7 et +6,0 Ga. Ces carbonatites
font partie de ce que nous avons appelé la Province alca-
line occidentale des Reguibat (Montero et al., 2016). Le
complexe de Twihinate, quant à lui, est formé de calcio-
carbonatites. Il forme une structure annulaire intrusive
dans les granites déformés de Laknouk, granites que nous
avons datés du Siluro-Dévonien (voir plus loin). L’âge U-Pb
sur zircon de ces carbonatites est de 104 ±4 Ma, avec un
âge modèle de Nd (TCR) de 450 ±5 Ma (plus ancien que
l’âge de cristallisation) et εNd(104) positif ( entre +4,5 et
+5,3 Ga ). Ce deuxième type de carbonatites appartient au
« Mid-Cretaceous Peri-Atlantic Alkaline Pulse » de Matton
et Jébrak (2009). La présence de nombreux zircons hérités
Photo 1. Aspect du granite de Derraman à l’affleurement. Ce granite cam- avec des populations à ≈ 420, 620, 2 050, 2 500 et
brien est affecté par la foliation à pendage WNW liée à la mise en place 2 800 Ma implique que lors de leur ascension, les magmas
des nappes varisques sur la bordure du craton de l’Ouest africain. Les
critères cinématiques indiquent un cisaillement vers l’ENE (flèche noire). carbonatitiques ont traversé des matériaux appartenant
Cliché : A. Michard. au craton de l’Ouest Africain. 39

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Le complexe métamafique de l’Adrar Souttouf repo- Pb. Les zircons des granites de Gareg indiquent des âges
se sur les gneiss de Bu-Lautad (voir Fig. 1). C’est l’un des plus de cristallisation de 2,95 Ga alors que les gneiss et amphi-
grands affleurements de roches à hypersthène connus bolites sont datés respectivement de 2,90 Ga et 2,87 Ga
sur Terre. Il est composé de gabbros, gabbros-anortho- (données en phase de traitement). Les traits géochimiques
sites, anorthosites et charnokites associés à des affleure- et isotopiques, minéralogiques, géochronologiques et les
ments mineurs de métasédiments et gneiss granitiques, types de discordia dans les zircons sont similaires aux
tous métamorphisés sous le faciès amphibolite ou gra- termes granitiques de la suite d’Aghaylas, ce qui laisse
nulite selon les cas. Des datations LA-ICPMS U-Pb sur zir- envisager l’hypothèse que les granites de Gareg et les
con ont donné des âges entre 605 et 635 Ma (Gärtner et roches archéennes associées soient la réapparition du
al., 2016), indiquant ainsi des protolithes panafricains. Nos craton de l’Ouest Africain vers l’Ouest. Une hypothèse
données SHRIMP U-Pb confirment ces âges, mais révè- alternative est que ces terrains archéens soient la réap-
lent également que les protolithes deviennent progres- parition de ceux de l’unité des gneiss de Bu-Lautad de
sivement plus jeunes vers l’ouest. Les contacts entre le l’autre côté d’un synclinal de nappes à matériel panafri-
complexe mafique panafricain et les gneiss archéens de cain (Adrar Souttouf et séries bimodales).
Bu-Lautad semblent être des failles de détachement à Le granite de Laknouk et les terrains associés consti-
faible pendage. Vers l’Ouest, les matériaux de ce com- tuent les derniers terrains affleurant à la marge occiden-
plexe mafique deviennent de plus en plus felsiques, dio- tale des Oulad Dlim. Ils se situent entre les terrains
ritiques à tonalitiques avec des charnokites et enderbites archéens qu’on vient de décrire et les sédiments récents
plus abondantes. En plus des datations U-Pb sur zircon, de de la marge atlantique (voir Fig. 1). C’est une série de maté-
nombreuses analyses chimiques et isotopiques ont été riaux felsiques très déformés. Parmi eux, le plus repré-
réalisées ainsi que des études minéralogiques qui ont per- sentatif spatialement et le mieux étudié est le granite de
mis d’établir les conditions thermobarométriques du Laknouk, qui consiste en monzogranites à granodiorites
métamorphisme. Toutes ces données sont en phase de fortement déformés à biotite + épidote + grenat riche en
préparation pour publication. Ca. La géochimie indique des granites de type-I transi-
Des séries bimodales leucogranite-amphibolite tionnels aux granites type-A, avec des compositions iso-
apparaissent vers la bordure occidentale du complexe topiques primitives (87Sr/86Sr(415 Ma) = 0,70465, εNd(415 Ma)
mafique de l’Adrar Souttouf. Elle est composée de leuco- de -1,5 à -0,6) et des âges modèles de Nd (TCR) de 1,22
granites avec des dykes minces abondants d’amphibo- ±0,1 Ga (Montero et al., 2016). Deux faciès avec la même
lites. Nos datations SHRIMP U-Pb révèlent que les leuco- minéralogie ont été identifiés dans ces granites, un pre-
granites et les amphibolites sont panafricains et que leurs mier à grain fin dont la datation par SHRIMP U-Pb sur zir-
âges suivent la même tendance que dans le complexe con a donné un âge de 421 ±3 Ma et un autre facies à grain
mafique, devenant progressivement plus jeunes vers plus grossier intrusif dans le premier et daté à 410 ±2 Ma.
l’ouest. Cette succession s’arrête brusquement au niveau Des études thermobarométriques encore non publiées
de la faille SSW-NNE de Tageneddest, qui la met en contact ainsi que l’absence de zircons pré-magmatiques et la pré-
avec des matériaux archéens non décrits jusqu’alors : les sence de grenat riche en Ca impliquent que les granites de
granites de Gareg. Laknouk ont cristallisé à haute pression (P >10 kbar ; Green,
Les granites de Gareg affleurent dans la partie occi- 1992) à partir de matériel en fusion de haute températu-
dentale du massif des Oulad Dlim. Le terrain qu’ils carac- re (T > 820ºC), suggérant la probabilité qu’ils soient asso-
térisent compte deux corps granitiques entourés de gneiss ciés à un processus de subduction. A côté des granites de
felsiques avec des intercalations d’amphibolites. Ce terrain Laknouk, d’autres matériaux de caractéristiques et âge
est limité à l’est par la faille de Tageneddest et à l’ouest par similaires existent à la marge occidentale du massif des
des zones de cisaillement qui le mettent en contact avec Oulad Dlim, mais sont encore en phase d’étude.
des matériaux panafricains et siluro-dévoniens fortement
déformés. Les deux corps granitiques ont des dimensions Conclusion
approximatives de 28x10 et 30x14 km respectivement et
consistent en monzogranites à biotite et épidote forte- Les études pétrographiques, géochimiques et géo-
ment foliés. La géochimie indique des roches calco-alca- chronologiques que nous réalisons,depuis 2011,ont conduit
lines et magnésiennes avec des âges modèles de Nd (TDM) à une vision plus claire des relations entre le craton de
groupés autour de 3,12 ±0,04 Ga et εNd(2.9Ga) autour de l’Ouest africain et les unités charriées des Oulad Dlim.
zéro. Des zircons des deux corps granitiques, des gneiss et Cependant, ces relations gardent encore une part de leur
40 des amphibolites associées ont été datés par SHRIMP U- mystère ! Les unités des Ouled Dlim forment-elles un syn-

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

clinal de nappes métamorphiques posées sur le bord dont on ne peut que se réjouir car les unités rocheuses à
écaillé du craton, où sont-elles imbriquées systémati- identifier sont encore nombreuses. Discuter des inter-
quement d’ouest en est ? Rappelons qu’une interprétation prétations proposées par cette équipe quant à l’origine de
structurale des Oulad Dlim en synclinal de nappes a été certaines unités, considérées comme des terrains rattachés
privilégiée par Lécorché et al. (1991) avant d’être aban- initialement au super-continent Laurussia,serait en dehors
donnée par les auteurs ultérieurs au profit d’un empile- des limites de la présente contribution.
ment de nappes imbriquées d’ouest en est (Villeneuve et Remerciements : Nous remercions le Pr. André
al., 2006 ; Michard et al., 2010). Michard pour ses remarques et critiques constructives.
D’autres travaux utilisant les datations LA-ICP-MS6 Les résultats exposés dans cet article ont été financés par
sur zircon ont été réalisés depuis 2013 par une autre équi- le projet de recherche national espagnol CGL2013-40785-
pe de recherche (Gärtner et al., 2013, 2014 ; Villeneuve et P et par le projet de la Junta de Andalucía P12.RNM.2163.
al., 2015 ; Gärtner et al., 2016, 2017) dans les Oulad Dlim, ce Cet article est la publication IBERSIMS N°42.

41

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46

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Géodynamique et cyclicité métallogénique au Maroc 1


Dominique Gasquet 2 et Alain Cheilletz 3 .

Au cours des années 1980, d’ambitieux pro- les grandes mines marocaines connues depuis des siècles
grammes d’exploration minière dans la Meseta hercy- et toujours en activité, telles que celles du Djebel Aouam-
nienne et l’Anti-Atlas du Maroc réalisés par les entre- Tighza (Pb-Zn-Ag), Imiter (Ag-Hg) ou Bou Azzer (Co-Ni-
prises d’état (ONHYM) et les compagnies privées As-Au-Ag).
marocaines (groupe Managem, CMT…) ont abouti à En outre, les avancées spectaculaires réalisées
d’importantes découvertes de gisements comme, en cette dernière décennie dans les techniques de datation
particulier, les VHMS (« Volcanogenic Hosted Massive in situ par laser (Ar/Ar) ou par sonde ionique (U-Pb) ont per-
Sulfide ») de Guemassa (Ajar) et des Jebilet centrales mis de préciser, soit directement par datation des miné-
(Draa Sfar et gisements associés). Depuis ces années, les ralisations, soit indirectement par datation des encais-
programmes d’exploration intense consacrés, notam- sants, magmatiques notamment, les époques les plus
ment, à la recherche des métaux précieux (Au et Ag), ne favorables aux concentrations minéralisatrices. Suite à
sont pas parvenus à la découverte de gisements hydro- l’importante synthèse réalisée par Barodi et al. (2002),
thermaux de « classe mondiale » capables de remplacer puis celles, entre autres, de Gasquet et Cheilletz (2009) et
de Bouabdellah et Slack (2016), il est pos-
sible de : 1) rassembler les connaissances
sur les gisements métallifères du Maroc
du Nord (sans les provinces sahariennes
du Sud en cours d’exploration), pour l’es-
sentiel hydrothermaux, 2) présenter une
synthèse de la distribution spatio-tempo-
relle des principaux indices et gisements et
3) proposer,par conséquent,une aide pour
la définition de guides pour les pro-
grammes d’exploration au Maroc.

Le cadre géologique
du Maroc
Le Maroc est situé à une triple
jonction géodynamique entre le conti-
nent africain,l’océan atlantique et la chaî-
ne de collision alpine. La conséquence de
cette situation particulière est la pré-
sence de roches dont l’âge s’étend depuis
l’Archéen jusqu’au Cénozoïque, et de
contextes tectoniques variés depuis celui
des racines orogéniques métamor-
phiques jusqu’à celui des bassins sédi-
mentaires distensifs superficiels. Les prin-
Figure 1. Carte simplifiée des domaines géologiques et des principaux gisements métalliques du cipaux domaines géologiques du Maroc
Maroc du Nord (sans les provinces sahariennes du Sud). (1a) Bou Azzer I (Cr-Pt), (1b) Tiouit (Au), (1c) Ouir- (Fig. 1) dont la révision a été réalisée pour
gane (Cu,-Zn-Pb-Ag), (1d) Bleida (Cu-Au), (1e) Imiter (métaux de base), (1f) Imiter (Ag-Hg), Bou Madi-
ne Cu-Pb-Zn), Zgounder (Ag), (2) Tamlalt-Menouhou (Cu-Au), (3) Meseta occidentale (Cu-Pb-Zn), (4)
l’ambitieux programme national de car-
Iourirn (Au), El Hammam (F), Aouam-Tighza (W-Au-Pb), Bou-Azzer II (Co-Ni-As-Au) , (5a) Bou Azzer III tographie géologique (PNCG) et pour
(polymétallique), (5b) Imini (Zn), (6a) Tamazert (Terres rares), (6b) MVT Touissit-Bou Dahar (Pb-Zn), (6c) l’édition récente de synthèses géolo-
Zgounder (U). FSA : Faille Sud Atlasique, ZFAC : Zone de Faille de l’Anti-Atlas Central. Source : Gasquet
et Cheilletz (2009). giques (eg. Michard et al., 2008) sont : 47

1. Cet article a été rédigé d’après celui de Gasquet et Cheilletz (2009) avec l’autorisation du responsable de l’édition de la collection Edytem.
2. EDYTEM, Université de Savoie Mont Blanc, CNRS-UMR 5204, Campus Scientifique, Pôle Montagne. 73376 Le Bourget du Lac cedex, France. Courriel : domi-
nique.gasquet@univ-smb.fr
3. École Nationale Supérieure de Géologie, Université de Lorraine, Géoressources, CNRS-UMR 7359, BP 40, 54501 Vandœuvre-lès-Nancy, France.

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

la chaîne du Rif au Nord qui s’étend le long de la Médi- dans les photos 1 à 6) ont permis d’identifier six grandes
terranée et prolonge, au sud de la mer d’Alboran, les époques métallogéniques hydrothermales (ou magma-
cordillères bétiques alpines ; tiques-hydrothermales) caractérisées par différents para-
la Meseta et le Moyen Atlas, au sud du Rif, qui sont mètres (Gasquet et al., 2005 ; Ikenne et al., 2017) :
constitués de fragments de la chaîne hercynienne recou- Néoprotérozoïque. Les corps intrusifs dioritiques à gra-
verts par des terrains mésozoïques et cénozoïques dis- nodioritiques associés aux gisements de Tiouit (Au) dans
cordants et plissés ; l’Anti-Atlas et Ouirgane (Cu-Zn-Pb-Ag) dans le Haut Atlas
le Haut Atlas qui constitue une chaîne intracontinentale occidental, ont permis de les dater respectivement à
active où la tectonique tertiaire a porté à des altitudes 645 ±12 Ma et 625 ±5 Ma. En outre, l’âge du gisement de
de plus de 4 000 m des blocs hercyniens et précam- type Sedex (« Sedimentary exhalative ») de Bleida (Cu) est
briens préservés ; estimé à environ 600 Ma par référence à l’âge de l’en-
caissant volcano-sédimentaire (Mouttaqi,1997).Plusieurs
l’Anti-Atlas au Sud qui est composé de boutonnières
gisements de la ceinture à métaux précieux de l’Anti-Atlas
protérozoïques affleurant de part et d’autre de la Zone
et du Haut-Atlas sont datés à 564 ±15 Ma (Zgounder,Ag),
de Faille majeure de l’Anti-Atlas Central (voir figure 1) et
550 ±3 Ma (Imiter, Ag-Hg) et 552 ±5 Ma (Bou Madine,
recouvertes par des formations édiacariennes (Néo-
Cu - Pb-Zn) (Levresse et al., 2004 ; Gasquet et al. 2005) ;
protérozoïque terminal) à paléozoïques ; dans le domai-
ne nord-oriental, ces boutonnières sont constituées de Ordovicien supérieur. Les minéralisations de type IOCG
terrains néoprotérozoïques polydéformés pendant l’oro- (« Iron Oxyde, Copper, Gold ») de Tamlalt (Cu-Au) dans le
genèse panafricaine ; dans le domaine sud-occidental, Haut Atlas oriental, ont été datées à 449 ±8 Ma par
affleure un socle paléoprotérozoïque et néoprotéro- Pelleter et al., (2009) ; ces événements ordoviciens datés
zoïque, affecté par les orogenèses éburnéenne et pan- pour la première fois au Maroc, sont toutefois bien
africaine (Gasquet et al., 2005). Les deux domaines ont connus dans la chaîne varisque européenne (e.g. Val-
également subi les déformations hercyniennes bien verde-Vaquero et Dunning, 2000) ;
reconnues aujourd’hui (Burkhard et al., 2006) et le Carbonifère inférieur. Les gisements de type VMS (« Vol-
contrecoup des événements tectoniques du cycle alpin canogenic Massive Sulphide ») de la Meseta occidentale
(Frizon de Lamotte et al. 2008). (Cu-Pb-Zn) sont datés à ca 330 Ma (Belkabir et al., 2008) ;
À l’exception du Rif, ces domaines contiennent des Carbonifère supérieur-Permien. L’important événement
gisements métalliques hydrothermaux importants exploi- magmatique tardi-varisque est caractérisé par des miné-
tés pour certains (Imiter par exemple) depuis l’Antiquité. ralisations hydrothermales à W-Au-Sn datées à 295-280
Ma au Djebel Aouam-Tighza dans la Meseta, alors que
Les données temporelles dans le même gisement les minéralisations Pb-Zn-Ag
ont été datées à 254 ±16 Ma par Rossi et al., in Bouab-
Les nouvelles données géochronologiques (U-Pb,
dellah et Slack (2016). De plus, les boutonnières proté-
Ar/Ar, K-Ar, U-Th-Pb, Sm-Nd, Rb-Sr, Re-Os) récemment
rozoïques de l’Anti-Atlas contiennent deux zones de
publiées sur les gisements miniers du Maroc (illustrés

Photo 1. Minéralisation Cu-Au de Tiouit (Saghro-Anti Atlas). Source : Photo 2. Minéralisation Ag-Hg dans une brèche hydraulique (Imiter-
48 Gasquet et Cheilletz (2009). Anti-Atlas). Source : Gasquet et Cheilletz (2009).

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

daire se superposant à la minéralisation à Cu-Au ordo-


vicienne (Pelleter, 2007). Enfin, l’âge le plus fiable pour
la minéralisation (II) à Co-As de Bou Azzer est de 302
±9 Ma (Oberthur et al., 2008) ;
Trias-Jurassique. L’identification d’une période métalli-
fère liée à l’extension associée à l’ouverture de l’Atlan-
tique Nord est en cours. Un âge de 218 ±8 Ma a été obte-
nu pour les phases tardives (III) de la minéralisation de
Bou Azzer (Levresse et al., 2004) ; un âge de 205 ±1 Ma
est maintenant attribué aux minéralisations en fluorite
d’El Hammam (Cheilletz et al., 2010) ;
Tertiaire. Le gisement de Terres rares de la carbonatite
de Tamazert a probablement un âge Eocène (Mourtada
et al., 1997), les minéralisations Pb-Zn de type MVT de
Bou Dahar (Haut Atlas) et de Touissit (Maroc oriental),
encaissées dans des formations jurassiques, ont peut-
être un âge fini tertiaire (mio-pliocène, Bouabdellah et
al., 2015) ; enfin un volcanisme messinien est associé à
la minéralisation en Uranium à Zgounder.

Photo 3. Veine à quartz-hématite-limonite-Au. Tamlalt (Haut Atlas


oriental). L’échantillon, carotte de forage, mesure 5 cm de large. Source :
Gasquet et Cheilletz (2009).

Photo 5. Mine de Bou Azzer (Anti-Atlas). La minéralisation à Co-Ni-As est


polyphasée. Source : Gasquet et Cheilletz (2009).

Photo 4. Minéralisation à fluorite (verte)-calcite-adulaire de El Hammam


(Meseta). Source : Gasquet et Cheilletz (2009).

cisaillement minéralisées en or et dont l’hydrotherma-


lisme a été daté à ca. 300 Ma : Iourirn (300 ±7 Ma) et
Photo 6. Exploitation des minéralisations de type MVT de Bou Dahar
Tamlalt Menouhou-II (293 ±7 Ma) ; cette dernière étant (Haut Atlas). Les minéralisations sont localisées dans un niveau karstifié
caractérisée par une minéralisation d’or libre secon- du Lias. Source : Gasquet et Cheilletz (2009). 49

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Le caractère cyclique rozoïque au Cénozoïque. Les principaux événements mag-


matiques et les contextes géodynamiques liés à ces six épi-
de l’hydrothermalisme sodes métallogéniques illustrent les relations entre les pro-
La figure 2 présente une synthèse de la distribution cessus magmatiques, plutoniques ou volcaniques, et la
des principaux événements et des mines les plus impor- formation des différents gisements.Chaque épisode hydro-
tantes du Maroc, classés dans une section lithostratigra- thermal est corrélé à un événement tectono-magmatique
phique de la croûte continentale s’étendant du Paléoproté- orogénique,les magmas et les fluides étant transférés de la

Figure 2. Colonne lithostratigraphique des formations géologiques du Maroc avec les principaux évènements magmatiques et hydrothermaux ainsi que
50 les gisements associés. Les nombres font référence aux gisements de la figure 1.

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

profondeur vers la croûte supérieure à la faveur,la plupart du les formations ordoviciennes peuvent contenir des miné-
temps, de grandes zones de failles. Les mélanges de ces ralisations de type IOCG, comme les concentrations
fluides profonds avec des fluides superficiels ont été mis en aurifères mises en évidence à Tamlalt ; elles constituent
évidence dans plusieurs gisements (e.g. Essaraj et al. 2005). donc des cibles régionales intéressantes pour l’explo-
ration ;
Les sources de métaux les formations paléozoïques recouvrant les boutonnières
protérozoïques de l’Anti-Atlas, affectées par les phases
Les données isotopiques (Pb / Pb, Sm / Nd, Os / Re orogéniques varisques, dont le rôle est aujourd’hui bien
et Rb / Sr) et des inclusions fluides sur les sources des élé- reconnu dans l’Anti-Atlas (Michard et al., 2008), pour-
ments métalliques et des ligants (S, As…) dans les gise- raient contenir des minéralisations en métaux de base
ments types, conduisent, dans de nombreux cas, à des et métaux précieux importantes ;
interprétations complexes (e.g. El Ghorfi et al., 2006 ; Essa-
le magmatisme permo-triasique semble être fortement
raj et al., 2005). Malgré l’identification d’une source man-
impliqué dans la genèse de minéralisations du Maroc
tellique pour la minéralisation Ag-Hg à Imiter (Levresse et
central et probablement au-delà (Margoum et al., 2015) ;
al., 2004), la plupart des autres gisements Au et Pb-Zn-Cu
associés au magmatisme, montrent une signature mixte les grandes structures régionales (failles, zones de cisaille-
océanique et/ou crustale. La source mantellique de la ment) jouant le rôle de drain pour les fluides, quel que
minéralisation Ag-Hg d’Imiter est toutefois en accord avec soit leur âge, doivent être soigneusement repérées et
la géodynamique régionale en extension pendant la tran- étudiées dans tous les domaines structuraux du Maroc.
sition Précambrien-Cambrien et une croûte continentale
amincie (Gasquet et al., 2005). Références
Un schéma global qui permet d’associer la distri- Barodi E.B.,Watanabe Y.,Mouttaqi A.,Annich M.,2002.Méthodes
bution spatio-temporelle des gisements minéraux du et techniques d’exploration minière et principaux gisements au
Maroc à deux sources différentes d’éléments, peut être Maroc. Projet JICA/BRPM. ISBN: 9954-8128-0-6, 329p.
proposé : (i) soit une source juvénile de métaux prove- Bouabdellah M., Slack J.F. (Eds), 2016. Mineral deposits of Nor-
nant de sources profondes dans le cas des gisements épi- th Africa. Springer-Verlag, Berlin-Heidelberg. 595 p.
thermaux liés au volcanisme alcalin, (ii) soit de la re-mobi- Burkhard M., Caritg S., Helg U.B, Robert-Charrue C., Soulai-
lisation de métaux à partir des croûtes océanique et mani A., 2006. Tectonics of the Anti-Atlas of Morocco. C. R.
continentale supérieure pour les VMS, SEDEX, ou l’or oro- Geoscience, 338, 11-24.
génique et les gisements polyphasés à Co-Ni. La source des Frizon de Lamotte D., Leturmy P., Missenard Y., Khomsi S., Ruiz
métaux W-Au-Sn et F nécessitera encore des compléments G., Saddiqi O., Guillocheau F., Michard A., 2009. Mesozoic and
Cenozoic vertical movements in the Atlas system (Algeria,
d’études géochimiques fondamentales malgré les avan-
Morocco, Tunisia): An overview. Tectonophysics, 475, 9-28.
cées récentes (Marcoux et al., 2015 ; Margoum et al., 2015)
Gasquet D., Cheilletz A., 2009. L’hydrothermalisme : un phéno-
Les gisements de type MVT dans le Maroc oriental sont mène cyclique dans les temps géologiques conséquences pour
clairement liés à l’évolution des bassins sédimentaires, la prospection minière au Maroc. Collection EDYTEM, 9, 49-56.
encaissants de la minéralisation et à la circulation de Gasquet D.,Levresse G.,Cheilletz A.,Azizi-Samir M.R.,Mouttaqi A.,
fluides hydrothermaux (Bouabdellah et al., 2015). 2005. Contribution to a geodynamic reconstruction of the Anti-
Atlas (Morocco) during Pan-African times with the emphasis on
inversion tectonics and metallogenic activity at the Precambrian-
Les guides d’exploration minière Cambrian transition. Precambrian Research, 140, 157-182.
Les stratégies d’exploration minière au Maroc Ikenne M., Souhassou M., Arai S. (Eds), 2017. Magmatism, meta-
doivent prendre en compte les caractéristiques des morphism and associated mineralization in North Africa and
gisements connus actuellement. Les cibles d’exploration related areas. Journal of African Earth Sciences (special issue),
127, 1-252.
suivantes peuvent être proposées :
Michard A., Saddiqi O., Chalouan A., Frizon de Lamotte D. (Eds),
les terrains volcaniques et sédimentaires d’âge Ediacarien- 2008. Continental Evolution:The Geology of Morocco. Structure,
Cambrien et le magmatisme calco-alcalin fortement Stratigraphy, and Tectonics of the Africa-Atlantic-Mediterra-
potassique à alcalin, enraciné dans la croûte inférieure nean Triple Junction, Springer Verl., Berlin, Heidelberg, 33-64.
et / ou le manteau, présentent un potentiel élevé car ils Mouttaqi A., 1997. Hydrothermalisme et minéralisations asso-
apportent avec eux dans la partie supérieure de la ciées en relation avec le rifting protérozoïque supérieur:
croûte et depuis la profondeur, des fluides juvéniles et exemple du gisement de cuivre de Bleida (Anti-Atlas), Maroc.
des métaux ; Unpubl. Thesis, Univ. Marrakech 310 p. 51

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Les mines et la métallogénie du Maroc


Michel Jébrak 1 .

Le Maroc est un pays minier. C’est d’abord l’un des Silver en 2014, et celle d’Oumejrane pour le cuivre, mise en
tout premiers producteurs de phosphate (26 Mt en 2015) exploitation par Managem. Des projets ont été lancés
dans le monde, mais c’est aussi un pays où la géologie a dans la partie saharienne du Maroc où des indices de type
7
offert et offre toujours une très grande variété de gisements IOCG et des carbonatites ont été découverts.
de métaux de base, de métaux précieux et de substances Le troisième pôle minier,constitué par le secteur pri-
utiles. J’aimerais résumer en quelques paragraphes ma vé, sera abordé en présentant Managem, une filière du
perception de l’évolution de l’industrie minière (qui repré- 8
groupe ONA , devenu en 2010, un élément de la Société
sente 10% du PIB marocain et 40 000 emplois en 2015) et nationale d’investissement (SNI), une entreprise de type
des travaux métallogéniques,hors phosphates,qui s’y sont holding, composée d’actionnaires privés essentiellement
poursuivis avec intensité depuis le début du XXIe siècle. marocains. Managem exploite les mines historiques du
Sur le plan minier, le Maroc est resté un pays très Maroc, découvertes par le BRPM et cédées à Managem
stable,avec une industrie minière libéralisée avec séparation dans le cadre du processus de privatisations début des
des rôles entre le Ministère des Mines et de l’Énergie, l’ON- années 90 : cobalt de Bou Azzer, argent d’Imiter, fluorine
HYM2,l’OCP3 et le privé avec des entreprises comme MANA- d’El Hammam, métaux de base de la région de Marrake-
GEM, la grande société nationale, et CMT4, Maya G&S… ch, cuivre et argent de l’Anti-Atlas. Au cours de ces der-
Le Ministère de l’Énergie des Mines et du déve- nières années, on a assisté à l’épuisement progressif de
loppement durable du Maroc a lancé un vaste program- l’amas sulfuré volcanogène d’Hajar, le fleuron du grou-
me de cartographie du territoire en 1997, le PNCG5. Un pe, tandis que le gisement de Draa Sfar était développé
grand nombre de cartes géologiques, mais aussi des levés dans les Jebilet. Dans l’Anti-Atlas, l’exploration s’est
géophysiques et géochimiques ont été produits et ont progressivement déplacée depuis les gisements sulfurés
permis le développement de nouveaux projets. Ce pro- historiques du socle précambrien, tels Bleida, vers des
gramme a connu un certain ralentissement depuis 2005, gisements de cuivre oxydé dans la couverture fini-
et se poursuit actuellement pour compléter la couvertu- Protérozoïque, « adoudounienne », au potentiel plus
re géologique de l’ensemble du territoire marocain. Une important : Tazalaght, Tirez, Jebel Lassal, etc. Leur res-
nouvelle stratégie minière se développe en 2013 et une semblance avec la fameuse copperbelt de Zambie-RDC a
modernisation de la loi minière, visant à attirer des inves- attiré ainsi de nouveaux acteurs miniers. Des gisements
tisseurs, est votée en 2015, abrogeant la vieille loi de 1951. aux allures de porphyres ont aussi été reconnus, tel ceux
Étendant les produits de mines à de nouvelles substances, du district de Bou Skour. Managem a également élargi
cette nouvelle loi met l’accent sur le respect de l’environ- ses ambitions à l’ensemble de l’Afrique.
nement et facilite l’exploration sur des surfaces plus impor- Parmi les entreprises minières privées, on peut
tantes que les anciens permis de 16 km2. noter la fin de la production de métaux de base dans le
L’entreprise publique nationale, anciennement le Maroc Oriental (district de Touissit), et le rachat des opé-
BRPM6, est devenue en 2005 l’ONHYM avec la fusion des rations de la Compagnie Minière de Touissit par un grou-
actifs pétroliers (Office national de recherches et d’ex- pe d’investissement européen.
ploitations pétrolières, ONAREP) et miniers (BRPM) de l’É- La science métallogénique a largement suivi ces
tat. Il s’est ainsi constitué un groupe puissant, mais dont développements miniers. Plusieurs universités sont très
la capitalisation relativement faible implique la recherche actives, notamment à Marrakech, Meknès, Oujda, Rabat,
de partenariats avec des entreprises privées. Le boom du et ont permis une meilleure approche de la genèse des
prix des matières premières dans la première décennie minéralisations classiques du Maroc. Ce sont surtout les
2000 a conduit plusieurs compagnies juniors canadiennes travaux géochronologiques qui ont renouvelé notre com-
ou australiennes à s’impliquer sur des projets miniers préhension (Voir l’article de Gasquet et Cheilletz dans ce
(Fig.1) en association avec l’ONHYM : étain dans le Maroc numéro). De grandes synthèses (Mouttaqi et al., 2011 ;
Central (Achemmach), cuivre et polymétallique-or dans Bouabdellah et al., 2016) ont également permis de mieux
l’Anti-Atlas (Ighrem, Alous, Bou Madine), etc. La mine d’ar- replacer les gisements dans leur contexte géologique et
52 gent de Zgounder a pu être réouverte par Maya Gold and géodynamique. Les travaux de recherche se sont pour-

1. UQAM, UQAT, Université de Lorraine. Courriel : jebrak.michel@uqam.ca


2. Office National des Hydrocarbures et des Mines.
3. Office Chérifien des Phosphates.
4. Compagnie Minière de Touissit.
5. Plan National de Cartographie Géologique.
6. Bureau de Recherches et de Participations Minières.
7. Iron, Oxyde, Copper, Gold.
8. Omnium Nord Africain.
métallogénie et substances minérales

suivis sur les amas sulfurés volcanogènes, en particulier En conclusion, le Maroc, plus grand pays minier du
dans le district de Marrakech et sur la barytine de Bouz- Maghreb, a connu en une quinzaine d’années, à la fois
nika, près de Casablanca. Enfin, les travaux géochimiques une continuité et quelques évolutions significatives. Conti-
sur les grands filons du Maroc Central (El Hammam,Tirgh- nuité car les gisements exploités restent dans des dis-
za) ont permis de préciser les conditions de mise en pla- tricts connus, à l’exception notable des gisements de cuivre
ce de ces systèmes hydrothermaux, centrés sur des intru- de la couverture de l’Anti-Atlas. Évolution car les travaux
sions tardi-orogéniques. d’infrastructure géologique ont permis d’ouvrir de nou-
Après des décennies de modèles syngénétiques, veaux territoires, notamment au Sud. Mais, malgré le
la plupart des minéralisations encaissées dans les sédi- potentiel géologique, il manque encore des investisse-
ments au Maroc sont apparues bien plus jeunes qu’on ne ments orientés vers la découverte de nouveaux gisements
le soupçonnait, et bien plus jeunes que leur encaissant. majeurs qui ne manqueront pas d’être découverts dans un
Ainsi, le plomb-zinc de Touissit, encaissé dans le Juras- pays en plein croissance économique.
sique, s’est mis en place au Miocène. De même pour Bou
Dahar. Les gisements de zinc oxydé du Jurassique et ceux Références
de manganèse du Crétacé du Haut Atlas ont une mise en
Bouabdellah M., Slack J.F. Eds. (2016). Mineral deposits of Nor-
place polyphasée qui se poursuit actuellement… Dans le th Africa. Springer, 593 p.
socle de l’Anti-Atlas, de vives controverses ont opposé les
Mouttaqi A., Rjimati E.C., Maacha L., Michard A., Soulaimani A,
tenants d’une mise en place synvolcanique, protérozoïque, et Ibouh H. (2011). Les principales mines du Maroc.Vol. 9 Nou-
des gisements d’argent d’Imiter, à ceux partisans de veaux guides géologiques et miniers du Maroc. Notes et
circulation de saumures de bassin bien plus récente, d’âge mémoires du Service géologique, N°564, 374 p.
mésozoïque. À Bou Azzer, la complexité des âges reste Avec mes remerciements à A. Mouttaqi (ONHYM) pour sa
encore irrésolue et le mystère de leur mise en place a plu- lecture critique.
tôt tendance à s’épaissir !

Figure 1. Carte des projets miniers marocains (source : ONHYM, 2016). 53

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Les dérangements de la série phosphatée dans le district minier


de Khouribga (Maroc) : une esquisse de leur origine
et de leurs méthodes de cartographie sous couverture quaternaire
Nadia El Kiram 1 , Azzouz Kchikach 2 , Mohamed Jaffal 3 , José Antonio Pena 4 , Teresa Teixido 5 , Roger Guerin 6 ,
Oussama Khadiri Yazami 7 et Es-Said Jourani 8 .

Introduction nieurs miniers de l’Office Chérifien du Phosphate (OCP).


Ces connaissances a priori leur offriraient une meilleure
Le Maroc est l’un des plus grands pays producteurs planification des tranchées d’exploitation, leur permet-
de minerai de phosphate au monde. Ses réserves sont tant, par exemple, de les contourner lors de l’exploitation
évaluées à 85 milliards de mètres cubes et représentent des couches phosphatées. Plusieurs études géophysiques
presque les trois quarts des ressources mondiales actuel- expérimentales par profils de résistivité (Kchikach
lement reconnues. Le bassin sédimentaire des Ouled et al., 2002), sondages électromagnétiques temporels
Abdoun, situé au centre du Maroc (Fig. 1a), renferme la (Kchikach et al., 2006) et par profils combinés de tomo-
plus grande part de ces réserves. Dans ce bassin, la série graphie électrique et géoradar (El Assel et al., 2011), ont été
phosphatée d’âge Maestrichien à Yprésien est formée réalisées dans le gisement de Sidi Chennane pour tenter
d’une succession régulière de couches phosphatées et de localiser les dérangements sous couverture. L’impor-
d’intercalaires stériles marno-calcaires sur plus de 50 m tance du paramètre « résistivité électrique » a été en par-
d’épaisseur. Par endroits, dans plusieurs gisements en tie démontrée mais la faible amplitude des anomalies et
cours d’exploitation, cette régularité n’existe plus et tous la lourdeur des méthodes utilisées ne permettaient pas de
les termes de la série phosphatée se trouvent mélangés généraliser ces méthodes d’exploration à l’ensemble des
et transformés pour donner lieu, le plus souvent à des périmètres presque illimités des futures zones d’exploi-
corps stériles, qualifiés de dérangements, formés exclusi- tation des phosphates. Cet article vise une analyse syn-
vement de calcaires silicifiés ou de blocs de calcaires noyés thétique des résultats obtenus par les méthodes préci-
dans une matrice argilo-marneuse. tées et à les superposer à d’autres résultats ultérieurement
La présence des dérangements dans la série phos- obtenus par la réalisation de profils électromagnétiques
phatée (Fig. 1b) est à l’origine de deux problèmes majeurs. en domaine de fréquences « EM31 » dans les mêmes par-
D’une part, masqués par une couverture quaternaire, ils celles expérimentales.
empêchent un calcul précis des réserves de chaque gisement L’origine et les conditions géologiques d’apparition des
avant le démarrage de toute exploitation, et d’autre part, dérangements restent mal connues. Cet article vise donc à
par leur nature le plus souvent dure et compacte, ils alour- faire une mise au point sur l’état des connaissances géolo-
dissent les travaux d’exploitation. En effet, en présence giques des zones dérangées et leur voisinage immédiat en
d’un dérangement, les exploitants sont obligés de serrer présentant les résultats récents issus d’une étude macro-
la maille des forages nécessaires pour l’opération de défrui- scopique et microscopique de ces dernières.L’existence d’une
tage9 du minerai et d’augmenter la quantité d’explosif, ce série évaporitique intensément karstifiée au sommet du
qui entraîne une consommation excessive en explosif, un Sénonien, sous la série phosphatée, est démontrée et illus-
ralentissement de la chaîne cinématique de l’exploita- trée. Les karsts sénoniens sont incontestablement à l’origi-
tion et par conséquent une élévation du prix de revient de ne des dérangements ou fontis que l’on définit comme étant
l’extraction du minerai. De plus, même après les opérations des phénomènes de collapses,à l’aplomb de cavités souter-
de sautage10 et de décapage, les dérangements forment raines issues de la dissolution du gypse,à la faveur de périodes
parfois des « os » dans les chantiers d’exploitation et s’op- d’émersion et de rabattement du niveau piézométrique.
posent ainsi à la libre circulation des engins. Une ébauche du modèle de genèse des dérangements est
La cartographie et la délimitation des dérange- enfin présentée et argumentée dans cet article.
ments, sous couverture quaternaire, préoccupent les ingé-

1. Doctorante. Laboratoire L3G. Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie ». UCA. Courriel : nelkiram@gmail.com
54 2. Enseignant-chercheur. Laboratoire L3G. Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie ». UCA. Courriel : a.kchikach@uca.ma
3. Enseignant-chercheur. Laboratoire Géoressources, UCA. Courriel : ja rakech.ac.ma
4. Enseignant-chercheur. Instituto Andaluz de Geofisica. Universidad de Granada. Courriel : peruano@ugr.es
5. Enseignant-chercheur. Instituto Andaluz de Geofisica. Universidad de Granada. Courriel : tteixido@ugr.es
6. Enseignant-chercheur. UMR 7619 METIS. Université Pierre et Marie Curie. Paris. Courriel : roger.guerin@upmc.fr
7. Géologue Groupe OCP. Courriel : o.khadiriyazami@ocpgroup.ma
8. Directeur Géologie Groupe OCP. Courriel : e.jourani@ocpgroup.ma
9. En langage de mineur, opération consistant à extraire les couches de phosphate meuble.
10. En langage de mineur, opération consistant à réaliser un tir à l’explosif après avoir chargé les trous forés dans les intercalaires stériles. Le déblayage
des blocs résultants de ce tir permet l’accès aux couches phosphatées.
métallogénie et substances minérales

Figure 1. (a) Localisation des zones étudiées dans le bassin des Ouled Abdoun, (b) exemple d’une tranchée d’exploitation des phosphates montrant des
dérangements. Source : Kchikach et al., 2006 modifiée.

Description de la série phosphatée pour élaborer une description géologique précise de la


partie exploitée de la série phosphatée. L’analyse des
et de ses zones dérangées coupes stratigraphiques des nombreux puits de recon-
Les tranchées d’exploitation à ciel ouvert des phos- naissance réalisés par le groupe OCP dans le bassin des
phates offrent d’excellentes conditions d’observation Ouled Abdoun, complétée par plusieurs coupes géolo- 55

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

giques que nous avons réalisées, permettent d’étendre la Plusieurs coupes géologiques réalisées dans le bas-
description au soubassement de la série phosphatée, non sin des Ouled Abdoun (localisation, voir figure 1), en dehors
atteint par les travaux d’exploitation. des zones exploitées, ont cependant permis de décrire
La série phosphatée proprement dite (Fig. 2) d’autres faciès que celui indiqué dans presque toutes les
débute par une formation où alternent des marnes coupes de puits de reconnaissance. En effet, plusieurs sites
phosphatées et des niveaux calcaires très riches en débris étudiés montrent des évidences d’évaporites et de figures
osseux, connus sous le nom de calcaires à bone-beds d’âge sédimentaires et diagénétiques liées à la dissolution de sul-
maestrichtien (Noubhani et al., 1995 ; Suberbiola et al., fates (Fig. 2). Des couches de gypse saccharoide d’épaisseur
2003). Elle est surmontée par des couches franchement centimétrique à métrique ont été décrites pour la pre-
phosphatées, formées de phosphates meubles et de cal- mière fois dans le voisinage immédiat des gisements en
caires phosphatés à coprolithes et à nodules de silex d’âge cours d’exploitation. Des affleurements spectaculaires de
montien (Azmany et al., 1986). Cet étage est surmonté dépôts évaporitiques sont, par exemple, situés non loin de
par une alternance de bancs réguliers de calcaires marneux l’entrée de la ville d’Oued Zem et le long de la route rura-
et phosphatés, de niveaux de phosphates meubles à grains le entre Sidi Daoui et Sidi Maati. Le gypse, de couleur
grossiers,d’horizons continus de silex et,parfois,de niveaux blanche, est finement saccharoïde et pulvérulent. Il forme
silto-pélitiques d’âge thanétien à yprésien (Azmany et al., soit des bancs massifs d’épaisseur métrique, soit des
1986). Les derniers termes de la phosphatogenèse s’in- niveaux centimétriques alternant avec des lamines stro-
tercalent dans une série formée de niveaux à silex, de matolithiques, des dolomicrites laminées et des marnes
marnes et de calcaires peu phosphatés, coiffés par une grises gypseuses, jusqu’à présent appelés marnes gru-
puissante barre carbonatée, riche en gastéropodes, appe- meleuses. Des cavités de dissolution non comblées, des
lée dalle à Thersitées, d’âge lutétien (Salvan, 1963). Cette cuvettes et puits de dissolution, des structures de col-
dernière a joué, par sa résistance à l’érosion, un rôle lapses et des figures de bréchification et de pseudomor-
primordial dans la protection des termes phosphatés phose identifiées attestent du caractère franchement éva-
actuellement exploités, généralement friables. poritique du Sénonien dans le district minier de Khouribga.
Dans les niveaux épais de gypse, les cavités de dissolu-
Structuralement, la série phosphatée dans le bas-
tion non comblées, de différentes dimensions, ont été fré-
sin des Ouled Abdoun est peu affectée par les déforma-
quemment relevées (voir figure 2). De nombreuses figures
tions tectoniques du Crétacé supérieur et du Cénozoïque
de soutirage, liées à la dissolution du gypse sénonien, ont
bien matérialisées dans la chaine atlasique à l’Est de ce bas-
été observées dans les termes tendres sus-jacents de la
sin. Elle est grossièrement sub-tabulaire et ne montre que
série phosphatée. Ces dernières concernent préférentiel-
quelques flexures et petites failles, particulièrement loca-
lement les phospharénites maestrichtiennes mais aussi les
lisées dans la zone de transition latérale, entre la série
niveaux phosphatés du Paléocène, les marnes siliceuses
phosphatée saine et les dérangements.
de l’Yprésien-Lutétien, voire des formations superficielles
Cette étude a porté sur l’examen géologique du quaternaires.
soubassement sénonien, peu étudié jusqu’à présent, de la
À première vue, les zones dérangées de la série
série phosphatée Dans les bassins intracontinentaux du
Maroc, la série sédimentaire sénonienne est couramment phosphatée rappellent des structures de fontis issues de
constituée de dépôts d’environnement marin très peu l’effondrement de cavités sous-jacentes et remplies par
profond et confiné (Boujo, 1976 ; (Salvan et Farkhany, 1982 ; collapse, éboulement et soutirage des différents maté-
Hardenbol et al., 1998). Les dépôts évaporitiques, en parti- riaux encaissants (Fig.3). Le remplissage est fréquemment
culier gypseux, y sont fréquents. Ils ont été mentionnés bréchifié et silicifié. La périphérie immédiate des zones
et décrits dans de nombreuses régions du Maroc (Char- dérangées présente un amincissement des couches,
roud, 1990 ; Daoudi, 1996 ; Dogan et Özel, 2005). Dans le notamment celles d’aspect tendre. Les fontis ont un dia-
bassin des Ouled Abdoun, la série sénonienne demeure mètre compris entre 5 et 150 mètres (Kchikach et al., 2002).
très peu étudiée, étant donné que ses couches sont Ils traversent habituellement la totalité de la série phos-
dépourvues de phosphates et donc non atteintes par les phatée. Dans les endroits où la dalle à Thersitées d’âge
travaux d’exploitation. Les quelques descriptions relevées lutétien résiste à l’effondrement,on peut notamment iden-
dans les puits de reconnaissance qui ont recoupé en par- tifier des faciès bruns très altérés, formés essentiellement
tie cette série, se contentent de ranger les couches séno- d’argiles à traces de racines et de galets mous témoignant
niennes en un seul terme de marnes grumeleuses et ne probablement d’une période d’émersion locale.

56 mentionnent pas la présence de gypse. Parallèlement à la description macroscopique des

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Figure 2. Description lithostratigraphique de la série phosphatée dans le bassin des Ouled Abdoun (1) formation évaporitique sénonienne montrant plusieurs
figures de dissolution du gypse (2) phospharénites (3) calcaires à bone-beds (4) marnes phosphatées (5) phosphate meuble (6) calcaires à coprolithes (7) niveau
continu et discontinu de silex (8) marnes siliceuses peu phosphatées (9) alternance de niveaux de siltites, marnes siliceuses et calcaires peu phosphatés, le
tout coiffé par la dalle à thérisités. Source : modifié, d’après les travaux de Azmany, 1979.

dérangements, une étude microscopique a été menée sur (Figure 3 a,b,c). Les résultats plus élaborés de cette étude
une dizaine d’échantillons prélevés dans la partie centra- feront prochainement l’objet d’un article scientifique,à part.
le des fontis, dans la zone de transition et dans la série Hormis les modifications diagénétiques fines,
phosphatée normale. Les résultats préliminaires de cette toujours en cours d’étude pour préciser, à l’échelle micro-
étude permettent de mieux appréhender les processus scopique, la chronologie de formation des dérangements,
diagénétiques survenus au sein des fontis et montrent on peut déjà esquisser un modèle de formation de ces
un caractère polyphasé de la genèse des dérangements derniers. Les dérangements sont incontestablement 57

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Figure 3. Schéma illustrant le développement de fontis à l’aplomb de cavités de dissolution du gypse sénonien. Les nombreuses figures de soutirage et de
paléosols consolidées par l’étude microscopique des faciès dérangés permettent d’esquisser une évolution karstologique polyphasée des dérangements : en
haut à gauche, modèle génétique d’un dérangement ; en haut à droite, aspect superficiel et interprétation d’un dérangement. En bas : (a) différentes géné-
rations de ciments sparitique (Z1, Z2, Z3) témoin de néoformations liées à des circulations successives (polyphasées) des eaux météoriques (b) grain phos-
phaté corrodé et figures de dissolution (c) php : grain de phosphate dd : dédolomitisation. Source : travaux personnels des auteurs.

des fontis formés à l’aplomb de cavités endokarstiques, du niveau marin de base favorisant ainsi la circulation
développées dans le gypse sénonien sous-jacent à la faveur des eaux météoriques et la dissolution du gypse séno-
d’épisodes émersifs. La circulation d’eau météorique à nien ? Les modifications diagénétiques rencontrées dans
travers les diaclases dans la série phosphatée a accentué les fontis sont-elles marines ou continentales ? L’existen-
l’élargissement des cavités et donc l’effondrement des ce d’une structuration tectonique parallèle aux accidents
formations encaissantes par processus gravitaires ou majeurs du domaine mésetien marocain est suspectée.
collapses. Celle-ci aurait pu participer à la distribution des évaporites
Les travaux de recherche en cours visent à placer par la formation d’un réseau dense de diaclases accen-
le processus de mise en place des dérangements dans tuant la dissolution du gypse une fois initiée. La réponse
son contexte géologique global en répondant aux ques- à ces questions permettrait de tirer des enseignements sur
tions suivantes : quelle est la chronologie des événements la distribution et la fréquence des dérangements dans la
géodynamiques régionaux responsables de l’abaissement série phosphatée.
58

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Cartographie géophysique un milieu conducteur, un champ secondaire est généré


et détecté par le récepteur. Le rapport de la composante
des dérangements verticale du champ secondaire en quadrature par rapport
La compréhension du mode de genèse des déran- au champ primaire est proportionnel à la conductivité
gements pourrait aider à orienter les investigations vers apparente, inverse de la résistivité, exprimée en Sie-
les zones les plus potentiellement « dérangées » à l’échel- mens/mètre (Dubois, 2005). La profondeur d’investiga-
le du gisement. Il serait irréaliste d’imaginer prédire la tion des méthodes EM31 et EM 34 dépend de la distance
distribution spatiale des dérangements à l’échelle déca- entre bobines émettrice et réceptrice, de la fréquence du
métrique qui intéresse les ingénieurs miniers. Par consé- champ primaire et de la conductivité du milieu étudié
quent, le recours aux méthodes géophysiques pour loca- (Geonics, 1979 ; McNeill, 1980 ; Nabighian, 1989 ; Hauch et
liser et délimiter les dérangements sous couverture al., 2001 ; Chouteau, 2001 ; Hördt, 2008). Théoriquement,
s’impose. pour un terrain moyennement conducteur, la profondeur
Les premiers travaux géophysiques réalisés ont d’investigation est égale à 1,5 fois la distance entre bobines.
consisté en des profils de trainés électriques et l’établis- La méthode EM31 a été utilisée dans le gisement de
sement d’une carte de résistivité sur une parcelle du gise- Sidi Chennane, sur la même parcelle de 25 hectares anté-
ment de Sidi Chennane (Kchikach et al., 2002). Une autre rieurement couverte par les sondages TDEM. Des profils
parcelle de 25 hectares du même gisement a été ulté- de conductivité électrique ont été réalisés selon une maille
rieurement couverte par 2500 Sondages Electromagné- de 5 m x 5 m. Au total 50 km et 10 000 mesures ont été
tiques Temporels (TDEM) selon une maille d’échantillon- exécutées avec le système EM31 de Geonics12 en utilisant
nage de 10 m x 10 m (Kchikach et al., 2006). Des profils de une fréquence de 9600 Hz. Sachant que les travaux géo-
Tomographie Électriques (ERT) combinés avec ceux du physiques antérieurs ont montré que les termes de la
Géoradar (GPR) ont été également exécutés tout près de série phosphatée sont grossièrement moyennement
parements d’exploitation, montrant des dérangements conducteurs, le système de mesure EM31 utilisé permet-
pour tester l’efficacité de ces deux méthodes (El Assel et trait une profondeur d’investigation de l’ordre de six
al., 2011). Ces études expérimentales ont certes permis de mètres. Les résultats sont présentés sous forme de la car-
montrer l’intérêt du paramètre « résistivité électrique » et te des conductivités apparentes de la parcelle étudiée.
de définir la signature TDEM et GPR des dérangements par La carte des conductivités apparentes obtenue
rapport à la série phosphatée non dérangée mais la faible (Fig. 4) montre cinq anomalies (An1 à An5) pour lesquelles
amplitude des anomalies constatées et la lourdeur des les conductivités apparentes mesurées sont les plus faibles.
méthodes utilisées limitent la possibilité de les générali- Ces anomalies correspondraient donc à des zones à facies
ser sur des étendues presque illimitées du bassin phos- plus résistant par rapport à son encaissant. Des valeurs de
phaté des Ouled Abdoun. conductivités apparentes élevées ont été mesurées dans
Les méthodes électromagnétiques basse fréquence, la partie centrale ouest de la parcelle étudiée. Elles pour-
type EM31 et EM3411, permettent l’acquisition, sans contact raient être attribuées à des zones à teneur en eau du sous-
avec le sol, de données de conductivité électrique dont sol importante. Le reste de la carte est représenté par des
les variations traduisent les hétérogénéités et les variations valeurs moyennes de conductivités apparentes que nous
de faciès du proche sous-sol. Ces techniques sont très attribuons à la série phosphatée non dérangée.
faciles à mettre en œuvre sur le terrain et permettent un Sur la figure 4, nous avons volontairement placé la
rendement en acquisition nettement plus élevé que les carte des conductivités apparentes obtenue par le levé
méthodes TDEM, ERT et GPR précitées. Plusieurs kilo- EM31 à côté de celle antérieurement établie pour la même
mètres peuvent être couverts quotidiennement selon les parcelle grâce à la réalisation des sondages TDEM. Il en res-
conditions du site. Le dispositif de mesure peut même sort que les anomalies de faibles conductivités se super-
être monté sur chariot et tracté à une vitesse donnée. posent à celles de fortes résistivités repérées par la métho-
Le système de mesure, appelé conductivimètre, de TDEM. Les résultats des deux méthodes utilisées se
comprend un émetteur et un récepteur reliés au boitier de corroborent donc parfaitement. Ils ont aussi été contrôlés
contrôle situé au milieu du dispositif. L’émetteur génère un par des sondages mécaniques qui ont confirmé l’exis-
champ électro-magnétique primaire à une fréquence tence de dérangements à l’aplomb des anomalies sus-
donnée. Lorsque le champ primaire rencontre dans le sol mentionnées.

59

11. Les méthodes géophysiques électromagnétiques basse fréquence en champ proche, type EM31 ou EM34, permettent l’acquisition, sans contact avec le
sol, de données de conductivité électrique dont les variations traduisent les hétérogénéités et les variations de faciès du proche sous-sol.
12. Geonics est un leader mondial dans la conception et la manufacture d’instruments électromagnétiques à buts géologiques, environnementaux ou
géotechniques.

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Figure 4. Exemples de résultats des études géophysiques expérimentales réalisées dans le gisement phosphaté de Sidi Chennane (a) profil ERT combiné avec
celui du GPR réalisé à côté d’un parement d’exploitation montrant des dérangements (b) cartes des résistivités apparentes et des conductivités apparentes
obtenues respectivement pat les méthodes TDEM et EM31. Source : Geonics et les auteurs.
60

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Conclusions et perspectives gées, au cours des travaux d’extraction du phosphate.


Un programme de recherche financé par l’OCP
Cette étude a permis de préciser la nature des
vient d’être lancé en janvier 2017. Il réunit plusieurs labo-
dérangements de la série phosphatée et d’ébaucher un
ratoires de recherche des universités Cadi Ayyad-Marra-
modèle karstologique de leur genèse. Elle montre que le
kech, l’Institut Andaluz de géophysique-université de
Sénonien, qui constitue le soubassement de la série phos-
Granada, l’université Pierre et Marie Curie et l’université
phatée, est formé par une épaisse série évaporitique, pour
d’Avignon et des Pays de Vaucluse. Il porte, en particulier,
la première fois identifiée et décrite dans le bassin des
sur le développement des études géophysiques expéri-
Ouled Abdoun.
mentales réalisées pour mettre en place une approche
La distribution spatiale des dérangements affectant systémique de cartographie des dérangements sous cou-
la série phosphatée montre un lien étroit avec la distri- verture quaternaire. La réalisation de levés EM34 sur de
bution du gypse du sommet du Sénonien. Dans la région grandes superficies des futures zones d’exploitation des
d’Oued Zem, où les couches de gypse sont épaisses, les phosphates est un axe principal de ce programme de
dérangements sont nombreux. Plus à l’Ouest, dans les recherche. Les travaux du doctorat de Mme EL KIRAM, co-
tranchées d’exploitation des phosphates à Sidi Daoui où auteur de cet article, s’intègrent dans le cadre dudit pro-
les couches de gypse sont moins développées, les zones gramme. Ces travaux permettront aussi d’affiner le modè-
dérangées existent mais sont plus rares et de dimensions le de genèse des dérangements.
plus petites. Encore plus à l’ouest, dans le voisinage immé-
diat de la ville de Khouribga, les dérangements sont
absents ou rarissimes de même que les niveaux de gyp-
Remerciements
se. Les dérangements sont donc incontestablement des Les auteurs remercient les responsables de l’OCP
fontis qui se sont développés à la verticale de cavités sou- pour leur collaboration et pour l’intérêt qu’ils portent à la
terraines issues de la dissolution par endroits du gypse recherche scientifique en finançant les travaux de
sénonien (voir figure 3). Les arguments géométriques et recherche en cours. Cette étude a été réalisée grâce au
les résultats préliminaires de l’étude microscopique, tou- soutien du Comité Mixte Interuniversitaire Franco-Maro-
jours en cours, montrent une histoire de formation poly- cain (programme Toubkal 15/17, nº 32401XB).
phasée de ces derniers.
Bien que le contraste de résistivité entre la série Références bibliographiques
phosphatée normale et la zone dérangée soit assez faible, Azmany M., 1979. Évolution des faciès dans le gisement des
les résultats des travaux géophysiques expérimentaux Ouled Abdoun. Mines, Géologie et Energie, Rabat, 44, 35-38.
réalisés dans le gisement phosphaté de Sidi Chennane Azmany M., Farkhany X. et Salvan H.M., 1986. Gisement des
ont permis de définir une signature particulière des déran- Ouled Abdoun, Géologie des gîtes minéraux marocains, t. 3,
Phosphates. Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, 276, 200-249.
gements. En effet, en dépit de sa faible profondeur d’in-
vestigation, la méthode EM31 a démontré sa sensibilité au Boujo A., 1976. Contribution à l’étude géologique du gisement
de phosphates des Ganntour, Maroc occidental. Notes Mém.
problème étudié : elle offre par ailleurs, une densité de
Serv. Géol. Maroc, 262, 227 p.
mesures et un rendement en acquisition très important.
Chouteau M., 2001. Méthodes électriques, électromagnétiques
Elle pourra donc être généralisée sur de grandes superfi- et sismiques, Géophysique appliquée II, GLQ 3202. Notes de
cies du bassin des Ouled Abdoun. Cours, École Polytechnique de Montréal.
Le dispositif EM34 type Slingram de Geonics offre Charroud M., 1990. Évolution géodynamique de la partie sud-
aussi un rendement en acquisition équivalent à celui de ouest du Moyen Atlas durant le Méso-Cénozoïque. Un exemple
l’EM31. Sa mise en œuvre avec un écartement de 40 m d’évolution intraplaque.ozoïque. Un exemple d’évolution intra-
plaque. PhD Thesis, Université Mohammed 5, Rabat, 232 p.
permettra d’atteindre une profondeur d’investigation qui
couvrirait la totalité de l’épaisseur de la série phosphatée Daoudi L., 1996. Contrôle diagénétique et paléogéographique
des argiles des sédiments mésozoïques du Maroc, comparai-
(40 à 50 m). Des mesures continues avec ce dispositif en
son avec les domaines atlantiques et téthysien du Maroc.
adoptant un pas d’échantillonnage de 10 m, permettrait PhD Thesis, Université Cadi Ayyad, Marrakech, 250p.
d’élaborer des cartes des conductivités apparentes dans les Dubois J. et Diament M., 2005. Géophysique. Dunod, Paris (3e
futures zones d’exploitation des phosphates. De tels docu- édition), 227 p.
ments peuvent être directement exploités par les ingénieurs Dogan U. et Özel S., 2005. Gypsum karst and its evolution east
de l’OCP aussi bien lors du calcul des réserves de chaque of Hafik (Sivas, Turkey). Geomorphology, 71 : 373-388.
panneau d’exploitation que pour contourner les zones déran- doi:10.1016/j.geomorph.2005.04.009 Geonics (1979) – EM 16R.
61

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Operating Manual. Geonics Ltd, Mississauga. Technical Note dages électromagnétiques temporels comme outil de recon-
TN-1, 34 p. naissance du gisement phosphaté de Sidi Chennane (Maroc) :
El Assel N., Kchikach A., Durlet C., AlFedy N., El Hariri K., Char- Apport à la résolution d’un problème d’exploitation. Comptes
roud M., Jaffal M., Jourani. E. et Amaghzaz M., 2011. Mise en évi- Rendus Géoscience, 338, 289-296.
dence d’un Sénonien gypseux sous la série phosphatée du McNeill J.D., 1980. Electromagnetic Terrain Conductivity Mea-
bassin des Ouled Abdoun : Un nouveau point de départ pour surements at Low Induction Numbers. Geonics Ltd., Missis-
l’origine des zones dérangées dans les mines à ciel ouvert de sauga. Technical Note TN-6, 15p.
Khouribga, Maroc. Estudios Geológicos, 69, 47-70. Noubhani A. et Cappetta H., 1995. Les Orectolobiformes, Car-
Hardenbol J., Thierry J., Farley M.B., Jacquin T., Graciansky P.C. charhiniformes et Myliobatiformes (Elasmobranchii, Neose-
et Vail P. R., 1998. Mesozoic and Cenozoic sequence chronos- lachii) des bassins à phosphate du Maroc (Maastrichtien-Luté-
tratigraphic framework of european basins. In: Mesozoic and tien basal). Palaeo Ichthyologica, 8, 315-327.
Cenozoic Sequence Stratigraphy of European Basins. SEPM Nabighian N. M., 1989. Electromagnetic methods in applied
Special Publication 60, doi : 10.2110/pec.98.60. geophysics-theory. Volume 1, Society of Exploration Geophy-
Hauck C., Guglielmin M., Isaksen K. et Vonder Mühll D., 2001. sicists, 513 p.
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62

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Les schistes bitumineux au Maroc


Laurent de Walque 1 .

Introduction : une première définition confondre avec les sables bitumineux (appelés également
sables asphaltiques). Les sables bitumineux sont des réser-
Les schistes bitumineux (en anglais : oil shales) voirs pétroliers, constitués d’un mélange de sable, d’argi-
désignent des roches sédimentaires à grains fins, de cou- le, d’eau et de pétrole extra-lourd très biodégradé (huile
leur noire, grise ou brune, pouvant dégager une odeur de très visqueuse) ayant migré, parfois sur de longues dis-
bitume à la cassure et contenant une quantité appré- tances, depuis leur roche mère.
ciable de matière organique dénommée kérogène. Contrai-
Les ressources mondiales en schistes bitumineux
rement à leur nom, ces roches ne sont ni des schistes ni des
varient selon les sources, certaines étant incontrôlables voi-
bitumes. Ce sont généralement des marnes, des pélites
re peu réalistes. Les professionnels se réfèrent aux tra-
et/ou des argilites, non métamorphiques, exploitées en
vaux de Diny (2003)2, révisés par Nummedal et al. (2009)3
mines et/ou carrières qui renferment des substances orga-
via le Centre COSTAR4 à Golden (Co, USA) (Fig.1). Le Maroc
niques en quantité suffisante pour faire l’objet d’une valo-
se situe en 6ème position mondiale, derrière le Brésil et
risation énergétique par transformation. Cette transfor-
juste devant la Jordanie, avec des ressources de l’ordre de
mation s’effectue soit par un traitement thermique, dit
38 Gb (milliard de barils) peut-être sous-estimé (un chiffre
pyrolyse pour la production d’hydrocarbures liquides et
de 50 milliards est souvent annoncé). L’ensemble des res-
gazeux, soit par combustion directe pour la production
sources mondiales seraient supérieures à 3 000 Gb5.
d’électricité. Les résidus des schistes bitumineux peuvent
être utilisés comme matériaux de base dans les indus-
tries chimiques (engrais) et des matériaux de construction.
Localisation des gisements marocains
Par pyrolyse, la production d’un seul baril d’huile à partir Le Maroc compte plus de vingt indices de schistes
de schistes bitumineux nécessite la mise en œuvre de 2 à bitumineux répartis sur tout le territoire. Certains ont fait
3 tonnes de roches selon la teneur du minerai en huile. l’objet de travaux importants ; ce sont les deux princi-
À l’échelle mondiale, les environnements de dépôt paux gisements de Timahdit et de Tarfaya6 (Fig.2). La loca-
des schistes bitumineux sont très variés : milieux d’eau lité de Timahdit est située au cœur du Moyen Atlas à
douce,lacs fortement salins,bassins marins épicontinentaux 240 km environ au Sud-Est de Rabat et à 40 km au Sud
et milieux sub-tidaux. Les schistes bitumineux sont des d’Azrou et d’Ifrane (Photo 1). Tarfaya, bien plus au Sud-
roches mères pétrolières qui renferment de 10 à 40 % de Ouest, s’étend le long de la côte atlantique à plus de 500
matière organique et de 60 à 90 % de matière minérale.Leur km au sud d’Agadir. Ces schistes bitumineux appartiennent
âge géologique s’étend du Cambrien jusqu’au Tertiaire. à des formations d’âge Crétacé (Timahdit : Maestrichtien ;
Parmi les thématiques non
conventionnelles, il ne faut pas confondre
les schistes bitumineux (oil shales) avec
les huiles et gaz de schistes (shale oils &
shale gas). Leur point commun est le fait
que les hydrocarbures liquides et gazeux
sont piégés dans la roche et leur diffé-
rence résulte dans le fait que ces hydro-
carbures ne sont pas encore générés pour
les schistes bitumineux alors qu’ils sont
déjà générés pour les huiles de schistes et
les gaz de schistes. Leur différence dépend
donc de la maturité de la roche-mère
acquise lors des temps géologiques, en
particulier de son enfouissement et de
Figure 1. Distribution mondiale (10 premiers pays) des ressources en schistes bitumineux, d’après Diny
sa thermicité. Il ne faut pas non plus, les (2003) et Nummedal et al. (2009). 63

1. Consultant indépendant, ancien géologue PetroFina & Total. Courriel : lm.dewalque@gmail.com


2. Dyni, J.R., 2003. Geology and resources of some world oil-shale deposits. Oil Shale, vol. 20, no. 3, 2003, p. 193.
3. Nummedal, D., Bartov, Y., Sarg, R. and Boak, J., 2009. Search and Discovery Article #30083, adapted from oral presentation at AAPG International
Conference and Exhibition, Cape Town, South Africa, October 26-29, 2008.
4. COSTAR, acronyme de Center for Oil Shale Technology and Research, localisé à Golden au CSM - Colorado School of Mines-, groupe de recherche
interdisciplinaire dont les partenaires principaux sont Shell – Total – ExxonMobil.
5. United States Energy Information Administration (EIA).
6.Bencherifa,M.,2010.Moroccan oil shale :a new strategy.30th Oil shale Symposium,hosted by COSTAR,in http://www.costar-mines.org/oil_shale_symposia.html
métallogénie et substances minérales

Figure 2. Les trois principaux gisements des schistes bitumineux au Maroc. Figure 3. Nouvelles cibles identifiées. Source : ONHYM (Bencherifa,
Source / ONHYM (Bencherifa, 2010). 2010).

Tarfaya : Cénomanien). Leur matière organique est capacité journalière de 80 tonnes de minerai pour le trai-
d’origine marine (kérogène sapropélique essentiellement). tement de ce gisement du Rif.
On notera aussi, au nord du pays, les gisements Les gisements de Timahdit et de Tarfaya n’ont été
du Rif, principalement celui de Tanger,qui pourrait être plus étudiés que plus tard, durant les années soixante. Suite aux
important et susceptible d’augmenter l’étendue des res- deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et aux cycles
sources marocaines en schistes bitumineux. résultants de hausses des prix du brut, la recherche mon-
diale et le développement pour la valorisation des schistes
Historique de la recherche bitumineux ont connu un essor considérable, en particu-
lier au Maroc. Dans les années soixante-dix, les deux gise-
En fait, c’est à Tanger que les toutes premières
ments de Timahdit et Tarfaya ont fait l’objet de plusieurs
recherches pour la valorisation des schistes bitumineux
études géologiques et minières, des études de laboratoi-
marocains ont été entamées, par la création dans les
re ainsi que des tests de pyrolyse et de combustion direc-
années trente, de la SOCIÉTÉ DES SCHISTES BITUMINEUX
te. Un total de 1 500 tonnes de schistes bitumineux de
DE TANGER. Une étude préliminaire avait estimé à l’époque
Timahdit ont été testés par plusieurs procédés de pyrolyse
les réserves de ce gisement à 2 milliards de barils d’huile
à travers le monde7 et ont fait l’objet de nombreuses
en place. Entre 1939 et 1945, année de suspension du
études de faisabilité technico-économiques. Les travaux
projet, cette société avait construit une usine pilote d’une
géologiques, miniers et de laboratoire, poursuivis jusqu’en
1985, ont permis en plus de la mise en évidence des
réserves en place et de la caractérisation des schistes bitu-
mineux de Timahdit et de Tarfaya, de démontrer une valo-
risation certaine de ces schistes par pyrolyse.
Ce qui a conduit le BRPM et l’ONAREP8 à entamer dès
1979 leur propre expérience par le développement d’un pro-
cédé dénommé T39 et la construction d’une usine pilote.Ce
projet d’ingénierie a été stoppé début 1986 (nouvelle
chute des prix pétroliers).Par la suite,l’ONHYM a réactivé le
dossier des schistes bitumineux dès le début 2005 par la
signature d’accords de partenariat avec divers groupements
industriels. Enfin, indiquons que l’ONHYM a identifié cinq
Photo 1. Route d’accès au plateau de Tassemakht et aux schistes de nouvelles cibles d’exploration de schistes bitumineux :
64 Timahdit (cliché : L. de Walque). Errachidia, Ouarzazate, Agadir, Essaouira et Tadla10 (Fig.3).

7. Procédés de retorting (définition : voir note 12) américains (TOSCO II, PARAHO et UNION OIL), allemand (LURGI–RUHRGAS), estoniens (KIVITER et GALO-
TER), canadien (TACIUK) et japonais (JOSECO).
8. L’actuel Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) a été créé en 2005, par la fusion du Bureau de Recherches et de Participations
Minières (BRPM) et de l’Office National de Recherche et d’Exploitations Pétrolières (ONAREP). Depuis leur création, en 1928 pour le BRPM et en 1981 pour
l’ONAREP, ces deux organismes ont été les pionniers et les leaders au Maroc dans leurs domaines d’activité respectifs.
9. Initiales des trois gisements de Tanger, Tarfaya et Timahdit.
10. Voir note 6.
métallogénie et substances minérales

Les trois gisements principaux


Timahdit
Le gisement de Timahdit (Photo 2), d’âge Crétacé
Supérieur (Maastrichtien),se situe dans la chaîne du Moyen
Atlas à une altitude variant entre 1 700 m et 2 300 m.,
à 240 km environ au Sud-Est de Rabat. La partie nord
est couverte de basalte Quaternaire, formant le plateau de
Tassemakht.
Les séries les plus riches en matière organique ont
été divisées en quatre couches lithologiques (T, Y, X et M)
qui ont été corrélées parfaitement sur tout le gisement.
Près de 80 sondages carottés11 ont été exécutés sur le
gisement de Timahdit et ont permis de déterminer des
teneurs moyennes de plus de 60 l/t, pouvant excéder
localement des valeurs de 70 à 80 l/t. Du point de vue
géologique, le gisement est constitué par deux bassins
différents : le synclinal d’El Koubbat au nord-ouest
(250 km2) et le synclinal d’Angueur au sud-est (100 km2),
séparés l’un de l’autre par l’anticlinal de Jbel Hayane. La
zone la plus riche se trouve au centre du synclinal
d’El Koubbat et est caractérisée par les épaisseurs impor-
tantes en marnes riches en matière organique (épaisseurs
maximales de 250 m).

Tarfaya Photo 3. Affleurement côtier des schistes bitumineux de Tarfaya (cliché :


L. de Walque).
Le gisement de Tarfaya (Photo 3), d’âge Cénoma-
nien, s’étend sur une superficie d’environ 2 500 km2 à lations de silex et des nodules carbonatés. Près de 140
l’est de la ville de Tarfaya, le long de la côte atlantique, sondages carottés au total ont été forés sur le gisement
à 500 km au sud d’Agadir. Il longe la lagune de Khenifiss- de Tarfaya. La structure géologique de ce gisement consis-
Naïla, en bordure du Parc national de Khenifiss. La série te en un anticlinal érodé formant deux flancs de part et
la plus riche en matière organique est composée d’une d’autre d’une sebkha dite Sebkha Tazra. Une formation
alternance de niveaux sombres et clairs de calcaire Plio-Quaternaire variant de 8 à 12 m couvre ces séries.
crayeux. Cette couche contient également des interca- La zone R, la plus riche, a été divisée en cinq couches
lithologiques différentes dénommées : R0, R1, R2, R3, R4,
et corrélées parfaitement. Des teneurs moyennes de
l’ordre de 50 l/t ont été mesurées, pouvant être locale-
ment supérieures.

Gisements du Rif
Les gisements du Rif (plus connus sous le nom de
gisement de Tanger) se concentrent sur 400 km2 dans la
partie nord-ouest du Rif. L’affleurement le plus connu est
celui de Tanger, mais il existe d’autres affleurements à
Arba Ayach, Beni Arous, Bab Taza et Tétouan. Les épais-
seurs des banc principaux ne sont pas considérables, elles
varient de 0.1 à 3 m, avec un rendement moyen d’huile
de 25 à 83 l/t. Les schistes bitumineux du Rif n’ont pas fait
Photo 2. Affleurement des schistes bitumineux de Timahdit (cliché : L. de
l’objet d’évaluation détaillée récente ni de nouvelles esti-
Walque). mations de ressources. 65

11. 22 000 mètres de carottes récupérées.

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Études de développement
Le procédé de pyrolyse T3 à Timahdit
Historique
En 1979, le BRPM, chargé de la promotion des pro-
jets de valorisation des schistes bitumineux, a entamé un
développement d’un procédé de pyrolyse qui se voulait
simple au niveau technologique, et de faible coût. Des
premiers essais encourageants de cette pyrolyse « batch
» par combustion de carbone résiduel ont amené le BRPM
à s’allier avec SCIENCE APPLICATION Inc. aux États-Unis
pour envisager un procédé de pyrolyse in-situ dénommé
plus tard « T3 » (voir note 9). Photo 4. Vue générale de l’unité pilote T3 de Timahdit (cliché : L. de Walque).

Le procédé
Ces dernières années à Timahdit
Il s’agit d’un procédé semi-continu basé sur l’utili-
En 2009-2010 l’ONHYM a conclu un accord de par-
sation de deux fours verticaux identiques, fonctionnant
tenariat avec PETROBRAS,associé à TOTAL,visant une étude
alternativement en mode de pyrolyse et en mode de refroi-
de faisabilité et de pré-développement d’un périmètre minier
dissement. La pyrolyse est entretenue par l’injection d’air
à Timahdit.En appliquant la technologie de retorting12 Petro-
et de vapeur d’eau provenant du four en mode de refroi-
six, mise au point au Brésil. Plus récemment, l’ONHYM a
dissement. Le refroidissement des résidus s’effectue par
signé de nouveaux accords avec TAQA (Abu Dhabi National
l’injection d’un mélange d’air et d’eau pulvérisée à la base
Energy Company) et SAN LEON ENERGY plc13.
du four. La semi-continuité du procédé est assurée par la
simultanéité des opérations de pyrolyse et de refroidis- Les projets à Tarfaya
sement et le mode incrémentiel des opérations de déchar-
gement et de chargement. Historique
Unité pilote de Timahdit SHELL INTERNATIONAL PETROLEUM a travaillé sur
un projet à Tarfaya, dès 1982. Une première étude de pré-
En parallèle avec les essais par les procédés cités
faisabilité a été réalisée entre 1982 et 1984. Par la suite,
plus haut (voir note 7) et suite au pré-développement du
SHELL a entamé, dès le début 1985, une phase pré-expé-
BRPM, l’ONAREP a poursuivi le développement de ce pro-
rimentale d’une durée de deux ans portant sur des travaux
cédé de pyrolyse T3. Dans le cadre de ce projet, l’ONAREP
de terrain et des études de définition plus poussée du
a construit une unité pilote comportant deux fours de 80
projet de Tarfaya. Après une campagne exhaustive de
tonnes de capacité chacun (Photo 4).
forages, le projet s’est concentré sur une exploitation
Cette unité pilote a été construite en 1983-1984 sur le minière à ciel ouvert (Photo 5) et une étude de viabilité d’un
site même de Timahdit, à l’aide d’un prêt de la BANQUE projet commercial.
MONDIALE de 11 millions de dollars.Elle a été mise en marche
et testée à vide,entre janvier et mars 1985,et opérée à char- Ces dernières années
ge entre avril 1985 et octobre 1986.La durée de pyrolyse était En 2008-2010, le consortium PETROBRAS-TOTAL
de 18 à 36 heures avec une capacité horaire de 2,2 à 4,4 tonnes travailla sur un périmètre du gisement de Tarfaya. En 2012,
de minerai par heure.Dans le meilleur des cas,il était produit SAN LEON ENERGY, travaillant également à Tarfaya suite
de 240 à 475 litres d’huile par heure et de 850 à 1 650 m3 de à un accord de partenariat signé par l’ONHYM, contractait
gaz par heure.On peut estimer que plus de 2 500 tonnes de aux estoniens de ENEFIT OUTOTEC TECHNOLOGY (« EOT »)
schistes bitumineux ont été testées par ce procédé qui a une étude de faisabilité d’extraction des schistes de
produit 400 tonnes d’huile. L’unité commerciale de pro- Tarfaya, et leur transformation via le procédé de retorting
duction envisagée à cette époque (mais non construite) Enefit 280. EOT reprit la base de données des opérations
aurait pu produire quotidiennement 8 000 barils d’huile de SHELL et échantillonna de nouveau l’ancienne carriè-
et 200 tonnes de soufre à partir de 25 000 tonnes de re excavée par SHELL. Citons enfin ZONATEC et GLOBAL OIL
schiste brut, schiste à extraire en surface (carrière) ou en SHALE ayant signé des conventions sur Tarfaya, respecti-
66 sub-surface (technique minière) sous les basaltes. vement en 2012 et 2014, pour réaliser des essais de centrale

12. Technique destructive de cuisson et de distillation des schistes bitumineux dans des fours mécaniques autoclaves.
13. San Leon, travaillant avec les procédés estoniens d’Enefit (voir ci-après les projets à Tarfaya), a envoyé en 2014 en Allemagne 12 tonnes d’échantillons
de Timahdit pour des essais de transformation.

Géologues n°194
métallogénie et substances minérales

Tableau 1. Résumé des principales caractéristiques des schistes bitumi-


neux marocains. Source : ONHYM (Bencherifa, 2010).
Photo 5. Ancienne carrière d’exploitation de SHELL à Tarfaya (cliché : L. de
Walque).
le défi économique, l’économicité de tels projets dépen-
thermique à lit fluidisé d’une puissance de 100 à 500 MW dant du prix du brut, lesquels à l’heure actuelle ne sont
environ. guère attrayants ;
le défi technologique,quel procédé serait le plus rentable ?
Quel est le rendement énergétique15 ? Quelle quantité de
Les défis minerai à extraire pour assurer une durée de vie indus-
Suite à toutes ces études et phases pilotes, on peut trielle ? Et comment (carrière, mine, …) ;
résumer les principales caractéristiques des schistes maro- et enfin, le défi environnemental (utilisation de l’eau
cains étudiés14 dans le tableau ci-après (Tableau 1). dans des régions où la pénurie d’eau est sensible16,
Pour atteindre le stade industriel,l’industrie des schistes empreinte carbone17, défi sociétal, zones naturelles
bitumineux devra faire face à trois défis principaux : protégées…).

14. Voir référence note 6. 67


15. Le rendement énergétique (ERoEI - Energy Returned On Energy Invested -) ou en français TRE (taux de retour énergétique), est le ratio d’énergie utili-
sable acquise à partir d’une source donnée d’énergie, rapportée à la quantité d’énergie dépensée pour obtenir cette énergie. Les chiffres marocains ne sont
pas publiés. Au niveau mondial, le rendement énergétique des schistes bitumineux est faible (ERoEI moyen de 4:1, mais pouvant varier selon les sources
et les techniques de seulement 1,3:1 à 7:1 ( Hall, C. et al (2014), Energy Policy, 64, pp 141–152).
16. Les procédés de retorting sont consommateurs de grandes quantités d’eau (valeurs proches de 2,5 barils d’eau nécessaires pour la production d’1 baril
d’huile – procédé Petrosix- ; valeurs inférieures à 1 bw/bo pour la technologie d’Enefit – source TOTAL).
17. Les émissions directes de CO2 du procédé Petrosix sont de l’ordre de 80 à 90 kg CO2 / boe ; de plus de 300 kg CO2 / boe pour le procédé Enefit (source
TOTAL).

Géologues n°194
hydrogéologie

Apports de la géologie du Maroc à la gestion


et la planification de ses ressources en eau souterraine
Omar Fassi Fihri 1 .

Introduction dont les plus représentatives sont les puits reliés par des
conduites souterraines connus sous le nom de « khetta-
L’importance stratégique des ressources en eau du ra », assurant la boisson, l’irrigation et l’abreuvement du
Maroc a façonné l’évolution historique de ce pays semi-ari- cheptel. Au début du vingtième siècle, les besoins accrus
de et l’installation de sa population et de ses activités
des nouveaux centres urbains et de la modernisation
socio-économiques. Cette importance a contribué à pro-
grandissante de l’activité agricole ont stimulé la recherche
mouvoir les études hydrauliques en général et hydro-
de nouvelles ressources. Il en a résulté une analyse des
géologiques en particulier.
contextes hydrogéologiques des sources pour préparer
La situation du Maroc, à la limite du craton africain leur aménagement, une accélération de la cartographie
et de sa marge continentale, l’a positionné à la confluen- géologique, depuis les travaux d’explorateurs regroupés
ce des orogénèses panafricaine, hercynienne, alpine et par Louis Gentil (Gentil, 1912), d’une première étude géo-
rifaine. Il en a résulté un assemblage diversifié de faciès logique de la région prérifaine publiée en 1927, jusqu’aux
étalés dans les étages géologiques et dans les classes travaux de Choubert et Marçais dans les années 50. Au
pétrographiques, affectés par des déformations ductiles et total, 220 cartes géoscientifiques et 180 monographies
fragiles à différentes échelles, et structurés en domaines ont fait l’objet de publications archivées (Direction du
géologiques assez complexes au premier abord. L’hydro- Développement Minier, 2013). Les travaux de prospection
géologie marocaine a hérité de cette situation géologique commencèrent ensuite par se spécialiser, avec la premiè-
particulière, une grande diversité des systèmes aquifères, re étude géophysique par sondage électrique dans le cou-
avec des caractéristiques lithologiques, structurales et loir Fès-Taza par exemple (1949), la réalisation de forages
hydrodynamiques tranchées.Cette variation a engendré un d’eau avec la technique rotary qui ont atteint des pro-
grand nombre de problématiques qui ont nécessité le fondeurs inégalées auparavant, l’élaboration des pre-
développement, la validation et l’application d’approches mières cartes hydrogéologiques (Margat, 1960), et des
et d’outils adaptés aux résultats escomptés aussi bien au premiers documents de planification (plan directeur de
niveau de la prospection que de l’exploitation,de la gestion l’aménagement du Sebou, en 1968, par exemple). Suivant
de la planification ou de la protection,applications menées un découpage basé sur la typologie des bassins géolo-
dans le cadre d’études générales et/ou spécifiques.L’objectif giques, une première synthèse de ces travaux est publiée
de cet article est de présenter l’essentiel des résultats de sous forme de trois mémoires du Service Géologique du
ces études, en termes de compréhension du fonctionne- Maroc dans les années 70 sous l’appellation « Ressources
ment et de quantification des termes du bilan des aqui- en eau du Maroc ». Le premier tome a concerné le domai-
fères marocains. Il rappelle l’historique de ces études, les ne rifain et l’Oriental (1971), le second a concerné les bas-
méthodologies déployées et les outils utilisés, avec leurs sins atlantiques (1975) et le troisième a concerné les
résultats au niveau litho-stratigraphique, structural et domaines atlasique et sud atlasique (1977). Cette publi-
hydraulique, et les perspectives à prévoir pour la capitali-
cation a été accompagnée par la rédaction d’une liste
sation de ces résultats pour aider à la prise de décision
bibliographique regroupant les références antérieures
relative à la gestion d’une ressource stratégique pour tout
susceptibles d’aider à l’élaboration de ces ouvrages (Dion
développement socio-économique d’un pays semi-aride.
et Moussu, 1976) et a donné lieu à la publication de la
première carte hydrogéologique des nappes du Royau-
Une grande histoire hydrogéologique me en 1977. Depuis, trois accélérations des études et des
travaux hydrogéologiques peuvent être notées ; il s’agit de
Pendant l’antiquité, le Maroc a été un haut lieu de
l’accompagnement de la sécheresse de la fin des années
prospection et d’exploitation des ressources en eau. Le
70 qui a nécessité l’engagement de nouvelles ressources
savoir-faire des romains, des arabes et des andalous s’est
pour alimenter les villes, du lancement au milieu des
transcrit dans la tradition orale des artisans puisatiers et
années 90 du programme d’alimentation en eau potable
sourciers. Les seules reliques de ce savoir-faire restent
68 des populations rurales qui a nécessité l’exploration de
cependant la jurisprudence y afférant et les réalisations

1. Commission des infrastructures, de l’énergie, des mines et de l’environnement - Parlement marocain, Avenue Mohamed V, Rabat, Maroc.
Courriel : omarfassi@yahoo.fr

Géologues n°194
hydrogéologie

zones reculées, et l’obligation, après l’avènement de la loi Les conséquences hydrogéologiques


10/95, de réaliser un Plan National de l’Eau à l’échelle du
Royaume, et des Plans Directeurs d’Aménagement Intégré d’une géologie particulièrement riche
des Ressources en Eau à l’échelle des bassins versants, ce Le Maroc offre un échantillonnage varié depuis le
qui a nécessité la capitalisation de plusieurs études menées socle cristallin de l’Archéen aux terrains les plus récents
au niveau de la Direction Générale de l’Hydraulique, de ses (Michard, 1976 ; Piqué, 1994). L’analyse de la distribution des
Directions Régionales devenues des Agences de Bassins différentes formations géologiques permet de distinguer
Hydrauliques,des centres de recherche spécialisés (CNESTEN2 huit domaines différents présentés sur la figure 1 ; il s’agit
par exemple) et des universités marocaines et étrangères. de quatre domaines montagneux (rifain, atlasique, anti-

Figure 1. Carte des grands domaines géologiques du Maroc. Source : modifiée et simplifiée à partir de la carte géologique du Maroc, 1985. Notes et Mémoires
n° 260 du Service géologique du Maroc. 69

2. Centre National de l’Énergie, des Sciences et des Techniques Nucléaires.

Géologues n°194
hydrogéologie

atlasique et le socle cristallin) et quatre bassins subsi- sud-atlasique, des plaines atlasiques, du domaine orien-
dents (plaines atlasiques, domaine oriental, sillon sud- tal. Le sillon sud-atlasique est considéré comme l’avant-
atlasique et bassin de Laayoun-Dakhla). Le socle cristallin fosse entre les domaines du Haut Atlas et de l'Anti-Atlas.
a émergé au sud-ouest du Royaume suite à l’orogénèse Il est constitué d'Ouest en Est de trois cuvettes princi-
panafricaine. Ces roches n’abritent pas de ressources sou- pales que sont le Souss, le bassin d'Ouarzazate et le bas-
terraines notables. Le domaine anti-atlasique fait partie sin d’Errachidia-Boudenib. Les affleurements y sont repré-
des chaînes hercyniennes qui ont résulté de la collision sentés par des faciès post-liasiques et vont du Crétacé
entre la Laurasia et le Gondwana (domaine de l’Anti-Atlas inférieur au Quaternaire récent, généralement détritiques
et ses prolongements au sein des provinces sahariennes et dont les eaux assurent l’alimentation des populations.
en plus de la Meseta). La série qui peut dépasser les Les plaines atlasiques sont représentés par le sillon sud-
10 000 m commence par un Cambrien carbonaté avec rifain, situé entre les chaines rifaine et atlasique, regrou-
des intrusions de syénites (zone axiale de l’Anti-Atlas). pant le bassin Fès-Meknès et le couloir Fès-Taza, prolon-
L’Ordovicien est essentiellement représenté par des dépôts gé vers l’Est par la plaine de Guercif et le Couloir
détritiques quartzitiques au sein de Jbel Bani et au niveau Taourirt-Oujda, et vers l’Ouest par les nappes du Gharb et
de la moyenne vallée du Drâ. Le Silurien correspond à des de Dradère-Soueire. Il s’agit d’un système multicouches
passages de calcaires qui, lorsqu’ils sont fracturés, peuvent constitué, en fonction des aléas de la paléogéographie,
abriter des nappes locales émergeant au niveau de cer- de différentes formations de la série, avec une prédomi-
taines mines du Bas-Drâ et Bani, et parfois utilisables par nance des carbonates liasiques et des sables et calcaires
la population. Le Dévonien est caractérisé par des séries lacustres du Plio-quaternaire. Ce domaine est prolongé
calcaires récifaux, avec des séries argilo-gréseuses épaisses. plus au sud, et sur l’autre flanc de la Meseta centrale her-
Le Carbonifère inférieur débute par des argilites puis vien- cynienne ; le domaine atlantique est représenté par les
nent les grès et les calcaires, avec en particulier la mise en nappes du Plateau des phosphates, du Tadla, de la Bahira,
place de laves et d’intrusions basiques, du Viséen supérieur de Jbilete et Mouissate et du Haouz. Ces nappes coulent
et du Namurien. Dans ces formations, les ressources en eau dans des formations de même type, séparées par des
souterraines sont liées à des formations détritiques, hauts fonds plus ou moins étanches. Leur ressource a tou-
carbonatées et mêmes endogènes particulièrement jours été décisive dans l’installation des populations et
productives lorsqu’elles sont fracturées (forage de le développement de l’agriculture. En allant vers l’Atlan-
Bab Bouidir dans le massif de Tazekka, ou celui de tique, les nappes de la plaine de Berrechid et du synclinal
Tamchachate par exemple). Les terrains permiens sont d’Essaouira-Chichaoua, occupent une situation intermé-
en discordance angulaire sur les structures hercyniennes. diaire alors que les nappes de la Chaouia côtière, de Douk-
Ce sont des dépôts continentaux provenant de l’érosion kala-Abda, de Sahel de Safi à Azemmour, sont représentés
des reliefs de la chaîne hercynienne, repris au niveau des par des dépôts détritiques côtiers. Le même modèle est res-
dépressions dans des dépôts quaternaires, comme c’est le pecté au Sud-Ouest du bassin de Laayoun-Dakhla avec
cas à l’oued Seyad et l’oued Noun, du Hamada du Drâ ou un aquifère profond du Crétacé, exploité à des profon-
dans la région de Maïdère. L’importance de cette ressource deurs qui peuvent dépasser les mille mètres. Enfin, le
est à lier à l’alimentation en eau potable d’aggloméra- domaine rifain a subi une évolution plus particulière avec
tions situées dans des zones arides et éloignées des la mise en place d’une zone axiale paléozoïque de faible
réseaux régionaux de distribution. Le Mésozoïque et productivité, d’une zone rifaine dont la dorsale calcaire
le Cénozoïque sont représentés par des dépôts de plate- liasique nourrit les principales sources et rivières du Rif, de
forme épicontinentale plus ou moins tabulaires. Ainsi, le la zone des rides prérifaines multicouches alimentant
Trias est représenté par les argiles rouges et les basaltes plusieurs sources et du Pré-Rif essentiellement marneux
doléritiques, le Jurassique, marin, par les calcaires et les avec des nappes perchées assez limitées.
marno-calcaires, surmontés par une série marine littora-
le du Crétacé supérieur au Néogène. Les bassins résiduels Les développements
sont remplis par des dépôts lacustres au Plio-quaternai-
re. Les ressources en eau les plus importantes du pays
des méthodologies et des outils
sont emmagasinées dans ces formations, avec en parti- L’État marocain s’est orienté depuis les années
culier les carbonates fracturés et karstifiés du Haut et 1960 vers la maîtrise de ses ressources en eau comme
du Moyen Atlas d’où émergent les principales sources levier de son développement socio-économique. Cette
alimentant les rivières du pays. Ces nappes deviennent orientation, consolidée par la promulgation de la loi sur
70 captives et le plus souvent multicouches au sein du sillon l’eau en 1995, a permis d’instaurer les principes de la

Géologues n°194
hydrogéologie

gestion rationnelle par bassin versant, de la concertation du système aquifère pour l’amélioration de la prévision
dans la planification, de l’intégration dans les interventions, de sa réponse vis-à-vis des sollicitations externes (Fassi
et de la responsabilité dans les financements (principes Fihri et Sefrioui, 2014).
pollueur-payeur et préleveur-payeur). L’implémentation
de ces principes a nécessité la capitalisation des études
antérieures et le lancement d’études complémentaires
Conclusions et perspectives
adaptées aux questions en suspens. Un exemple de cet- Les études hydrogéologiques des aquifères maro-
te dynamique pourrait être focalisé sur le sillon sud-rifain cains présentent un exemple d’adaptation des outils et des
abritant une nappe phréatique plio-quaternaire et une méthodologies aux contextes et aux problématiques.
nappe liasique profonde captive voire artésienne par Elles ont en effet bénéficié d’une grande richesse
endroits. L’essentiel des travaux menés dans la première géologique et d’une intégration de la gestion et de la
moitié du siècle dernier s’est intéressé à la nappe phréa- planification des ressources en eau dans les stratégies de
tique accessible et essentiellement représentée dans la développement socio-économique.Après une quarantaine
partie ouest du sillon (bassin Fès-Meknès). Ces travaux d’années de la première synthèse nationale, il serait utile
ont permis de dresser la carte hydrogéologique du bassin de mener une deuxième synthèse qui permettrait une
(Margat, 1960), outil avant-gardiste à l’époque et toujours capitalisation des nouvelles connaissances pour les rendre
utilisé pour l’exploitation de cette nappe. En parallèle, les accessibles aux gestionnaires et aux usagers, une inté-
forages de reconnaissance, et en particulier les forages gration des données relatives aux provinces sahariennes,
pétroliers, ont mis en évidence la présence d’une nappe une valorisation des efforts déployés dans les différents
profonde. L’augmentation des besoins des villes du bassin aspects de gestion et de planification de ces ressources et
suite à la sécheresse de la fin des années soixante-dix a une ouverture sur les perspectives de développement à
induit la réalisation de forages d’exploitation dépassant prévoir et des études à mener pour améliorer l’état des
parfois les 1 400 m, avec une généralisation des résultats connaissances à l’avenir. Une telle synthèse pourrait être
des études géophysiques à tout le bassin (DRPE3, 1988). La basée sur l’élaboration d’une base de données sur systè-
simulation du comportement de la nappe vis-à-vis des me d’information géographique, couplée à une analyse cri-
contraintes de la recharge et de la surexploitation qui tique des différentes études, définissant les caractéris-
commençait à se faire sentir est entreprise (McDonalds, tiques intrinsèques des réservoirs souterrains et les
1990) ; elle a bénéficié des résultats des analyses isoto- évolutions temporelles des ressources en fonction des
piques pour définir les conditions aux limites de l’aquifè- changements climatiques, des aléas hydrauliques et des
re (Louvat et Bichara, 1990) et a été reprise en 2010 pour facteurs anthropiques.
intégrer les nouvelles données et préparer la concerta-
tion dans le cadre du contrat de nappe entre les différents Références bibliographiques
usagers (ABHS4, 2010). Plus à l’Est, l’étude du couloir Fès-
ABHS., 2010. Étude de modélisation de la nappe Fès-Meknès.
Taza subit la même évolution dans les années 1990, avec Rapport de la mission II.
la définition par géophysique, de la géométrie des aqui- Dion J. et Moussu P., 1976. Bibliographie des publications hydro-
fères (DRPE, 1993 ; Fassi Fihri, 1996) et la synthèse hydro- géologiques des ingénieurs du B.R.G.M, Orléans Cedex, 25p.
géologique (Fassi Fihri,1997). Ces études ont permis d’orien- Direction de la Recherche et de la Planification de l’Eau, 1988.
ter la réalisation des forages de reconnaissance puis Synthèse géophysique des bassins de Fès-Meknès et Boudnib-
d’exploitation pour satisfaire les besoins de la ville de Taza Errachidia - Projet PNUD/DTCD, MOR 86/004, C.A.G., Direc-
et du couloir qui la relie à Fès. Plus généralement et sur l’es- tion de la Recherche et de la Planification de l'Eau, 1er avril -
sentiel des bassins du Royaume, cette dynamique a per- 30 juillet, 158 p.
mis de forger une méthodologie pluridisciplinaire basée Direction de la Recherche et de la Planification de l’Eau, 1993,
sur un approfondissement de la connaissance de ces res- Etude par sismique réflexion de haute résolution du bassin de
Taza - Maroc. Rapport de la Mission CGG 350 25 35. 60 pages.
sources pour comprendre les facteurs influençant leur
Direction du Développement Minier, 2013. Catalogue des pro-
comportement (lithostratigraphie, analyse structurale,
duits du Service Géologique du Maroc. Éditions du Service
géophysique, géochimie, hydrodynamique, synthèse car- Géologique du Maroc, Rabat, 149 p.
tographique sur système d’information géographique),
Division des Ressources en Eau, 1971. Ressources en eau du
sur une quantification de leur recharge et de leur déchar- Maroc - domaines du Rif et du Maroc oriental, tome 1.
ge pour estimer leur ressource mobilisable (climatologie, Éditions du Service Géologique du Maroc, Rabat, 321 p.
hydrologie, inventaire des points d’eau, piézométrie, essais Division des Ressources en Eau, 1975. Ressources en eau du
de pompage, bilan hydraulique), et sur la modélisation Maroc - Plaines et bassins du Maroc atlantique, tome 2. 71

3. Direction de la Recherche et de la Planification et de l’Eau.


4. Agence du Bassin Hydraulique du Sebou.

Géologues n°194
hydrogéologie

Éditions du Service Géologique du Maroc, Rabat, 454 p. Gentil L., 1912. Géologie du Maroc et la genèse de ses grandes
Division des Ressources en Eau, 1977. Ressources en eau du chaines - Annales de géographie ,volume 21,numéro 116,130-158.
Maroc - domaines atlasique et sud atlasique, tome 3. Éditions Louvat D. et Bichara S., 1990. Étude de plusieurs systèmes aqui-
du Service Géologique du Maroc, Rabat, 440 p. fères du Maroc à l’aide des isotopes du milieu. AIEA-DRPE,
Division des Ressources en Eau, (1977). Carte hydrogéologique Vienne-Rabat, 30p.
des nappes du Royaume. Margat J., 1960. Carte hydrogéologique du bassin Fès-Meknès
Fassi Fihri O., 1996. Application de la méthode des sondages au 1/100 000. Rabat : Édition de l’Office des irrigations.
électriques à la prospection des eaux souterraines. Exemple Mc Donald’s et Partners, 1990. Établissement et mise au point
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Fassi Fihri O. et Feskaoui M., 1997. Étude Hydrogéologique de loppement, Nations Unis. 340 p.
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assemblée scientifique de l’Association Internationale des du Service Géologique du Maroc, 408 p.
Sciences Hydrologiques, Rabat. Piqué A., 1994. Géologie du Maroc : les domaines régionaux et
Fassi Fihri O. et Sefrioui S., 2014. Adaptation des outils géolo- leur évolution structurale - Imprimerie el Maarif al Jadida,
giques, géophysiques, hydrogéologiques et isotopiques aux Maroc. 994 - 284.
niveaux stratégique et tactique de la prospection des eaux sou- Sefrioui S., 2013. Caractérisation hydro-structurale et quanti-
terraines. Exemple du bassin de Sebou - Maroc. International fication des ressources en eau souterraine dans le bassin de
Association of Hydrogeologists IAH, the Moroccan Chapter - Sebou - Maroc. Apport des outils isotopiques et du SIG.
41st IAH International Congress « Groundwater: Challenges Thèse de Doctorat en Science, Université Moulay Ismail,
and Strategies ». Marrakech. Faculté des Sciences, Meknès, 234 p.

72

Géologues n°194
hydrogéologie

Évaluation du potentiel des ressources en eau souterraine d’un bassin


hydrogéologique d’extension régionale. Cas du bassin du Sebou (Maroc)
Mohamed Sinan 1 , Abdessadek Chtaini 2 , J. Filali Jaouad 3 .

Introduction rales principales Fig. 1) :


l’Ouergha en amont du barrage Al Wahda : constitué
Le bassin de Sebou est situé dans la partie nord-
essentiellement par des formations argilo-marneuses
ouest du Maroc, entre le littoral atlantique à l’ouest,
imperméables du Crétacé ;
le bassin de la Moulouya à l’est, la chaîne montagneuse du
Rif au nord et celle du Moyen-Atlas au sud. L’altitude les bassins du Gharb, le Saïss et le couloir de Fès-Taza
moyenne du bassin avoisine 500 m et sa superficie s’étend (contenus entre les chaînes du Rif et du Moyen Atlas) à
sur environ 40 000 km2. Le bassin du Sebou fait partie remplissage essentiellement tertiaire et quaternaire.
des bassins les plus riches en eaux souterraines du Maroc, Les deux dernières unités renferment également des
et sont contenues dans plusieurs aquifères. formations calcaires du Lias ;
Nous traiterons ici de l’amélioration et de l’actua- le Beht est constitué par des formations permo-
lisation des connaissances géologiques et hydrogéolo- triasiques et primaires imperméables ;
giques du bassin, ainsi que des éléments des bilans des le Haut Sebou (qui fait partie du domaine atlasique) est
aquifères qu’il contient. constitué essentiellement par les calcaires jurassiques.

Contextes climatiques, hydrogra- Ressources en eau des principales


phiques et géologiques nappes du bassin de Sebou
Le climat général du bassin de Sebou est de type Le bassin du Sebou fait partie des régions les plus
méditerranéen à influence océanique. La pluviométrie riches en eau souterraine du Maroc, dont le potentiel
moyenne annuelle est de 750 mm avec un minimum de s’élève à environ 800 hm3/an (20% du potentiel total
400 mm sur le Haut Sebou et un maximum de 1 800 mm mobilisable). Ces ressources sont contenues dans plu-
sur les hauteurs de la chaine du Rif. Les températures sieurs aquifères, dont les plus importants sont (Fig. 2) : le
moyennes annuelles varient selon l’altitude et la conti- Dradère-Souière, la Maâmora, le Gharb, le Sais (phréa-
nentalité entre 10 et 20°C. L’évaporation
potentielle moyenne annuelle du bassin
varie entre 1 600 mm sur la côte atlan-
tique et 2 000 mm à l’intérieur du bassin.
Le réseau hydrographique du bas-
sin de Sebou est représenté notamment
par l’oued Sebou et ses affluents. Ils
drainent donc une superficie d’environ
40 000 km2, avec des apports évalués à
environ 5 000 hm3/an4 (représentant envi-
ron 20 % du potentiel total en eau super-
ficielle du Royaume). Le débit de l’oued
Sebou est régulé par 10 grands barrages et
par 45 petits barrages ou lacs collinaires.
Parmi ces barrages, figure le barrage
Al Wahda, qui est le 2ème plus grand bar-
rage d’Afrique, avec une capacité totale
de stockage de 3,7 milliards de m3.
Géologiquement,le bassin du Sebou
peut être divisé en quatre zones structu- Figure 1. Contexte géologique général du bassin de Sebou (source : ABHS5, 2006). 73

1. Professeur. École Hassania des Travaux Publics, Casablanca, Maroc. Courriel : sinanmohamed1960@gmail.com
2. Professeur. Université Hassan II. Faculté des Sciences de Ben M’Sik, Casablanca, Maroc. Courriel : achtaini@yahoo.fr
3. Ingénieur. Secrétariat d’État Chargé de l’Eau et de l’Environnement, Rabat, Maroc. Courriel : fmjaouad@yahoo.fr
4. Un million de m3 = 106 m3 = 1 hm3 = 100 m x 100 m x 100 m.
5. Agence du Bassin Hydraulique de Sebou.

Géologues n°194
hydrogéologie

tique et profond), le couloir de Fès-Taza (phréatique et pro- depuis l’année 1998,dont la hauteur varie entre 1.5 et 2.5 m.
fond), le Causse moyen atlasique (basaltes quaternaires
et calcaires et dolomies du Lias) et le Moyen Atlas, plissé. Nappes du Gharb
Ces ressources contribuent considérablement au Le bassin du Gharb (environ 4 000 km2) refer-
développement économique et social de la population, me un important complexe aquifère, constitué par une
en assurant l’approvisionnement en eau potable et indus- nappe superficielle libre et par une nappe profonde
trielle (AEPI) d’une grande partie des centres urbains, l’AEP semi-captive. La nappe supérieure (de faible impor-
du milieu rural et la satisfaction des besoins en eau des tance) circule dans des formations silto-argileuses du
périmètres irrigués (petite et moyenne hydraulique). Quaternaire et la nappe profonde du bassin (la plus
importante) circule dans des grès, galets, sables et
Nappe de la Maâmora cailloutis du Plio-Quaternaire, caractérisées par de
Cette nappe s’étend sur une superficie d’environ bonnes caractéristiques hydrodynamiques. La profon-
1 500 km2 et circule dans des formations gréso-sableuses deur de la nappe est généralement comprise entre
(d’âge Plio-Villafranchien). La profondeur de sa surface 4 et 8 m et son écoulement général se fait du sud vers
piézométrique varie généralement entre 0 et 40 m. L’écou- le nord et de l’est vers l’ouest. L’épaisseur moyenne de
lement général de l’eau souterraine se fait du sud vers le la nappe est évaluée à environ 50 m et ses réserves en
nord et le nord-ouest, en direction de l’Océan Atlantique. eau totales sont estimées à 500 hm3.
L’épaisseur moyenne de la nappe est évaluée à 50 m et ses Le suivi piézométrique montre une baisse des
réserves totales sont estimées à environ 500 hm3. L’ali- niveaux variant entre 4 et 8 m dans les secteurs nord et
mentation de la nappe est assurée exclusivement par l’in- est de la nappe et une stabilisation dans sa partie côtiè-
filtration des eaux de pluie, dont le volume est estimé à re. L’alimentation de la nappe se fait par l’infiltration des
environ 150 hm3/an. Ses sorties sont constituées par le eaux de pluie, le retour des eaux d’irrigation et par le
déversement souterrain de l’eau dans la nappe du Gharb déversement souterrain de la nappe de la Maâmora. Les
(située plus au nord), l’écoulement vers l’Océan Atlan- sorties de la nappe sont constituées par les prélèvements
tique (à l’ouest) et l’oued Beht, et par les divers prélève- agricoles et d’AEPI et par le déversement dans l’Océan
ments (agricoles, eau potable et industrielle). Le volume Atlantique à l’ouest, avec un volume total d’environ 261
actuel de ces sorties s’élève à environ 172 hm3/an. Les eaux hm3/an. Le bilan hydraulique de la nappe enregistre un
de la nappe sont extrêmement douces, le résidu sec varie déficit annuel, évalué à environ 37 hm3/an.
entre 250 et 500 mg/l et leur faciès chimique est du type
bicarbonaté-calcique. Le bilan de la nappe est légèrement Nappe de Dradère-Souière
déficitaire d’un volume moyen annuel d’environ 12 hm3/an,
La nappe (s’étendant sur une superficie d’environ
à l’origine des légères baisses piézométriques enregistrées
600 km2) circule dans des lumachelles, des sables gréseux
du Pliocène et dans des conglomérats du
Quaternaire et du Plio-Villafranchien. Sa
profondeur varie généralement entre
0,5 et 6 m. L’écoulement de la nappe se
fait selon plusieurs directions,notamment
vers l’ouest (Océan Atlantique et Meja
Zerga) et le sud-est (l’oued Dradère et ses
affluents). Le suivi piézométrique de la
nappe montre une tendance variable dans
l’espace : stabilisation dans les secteurs
côtier, central et est, une remontée des
niveaux au nord-est et le long de l’oued
Dradère, une tendance à la baisse dans le
secteur central, au nord-est de Moulay
Bousselham et au sud de Merja Zerqa
(environ 1 m par an). Les réserves totales
de la nappe sont estimées entre 1,2 et 2,5
74 Figure 2. Carte de situation des aquifères du bassin de Sebou (source : ABHS., 2006). milliards de m3 d’eau. L’alimentation prin-

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cipale est assurée par l’infiltration des eaux de pluie et par ralisation inférieure à 0,7 g/l. Le faciès chimique de l’eau
le retour des eaux d’irrigation. Son volume total s’élève à est généralement du type bicarbonaté-magnésien,
environ 111 hm3/an. Les sorties naturelles de la nappe sont chloruré-calcique.
constituées par le drainage des oueds Dradère et Souière, L’alimentation principale de la nappe profonde se
par l’écoulement souterrain vers l’océan atlantique, par le fait par abouchement souterrain avec le Causse moyen
déversement de l’eau dans les merjas Zerga et Halloufa et atlasique le long de sa limite sud. Les sorties de la nappe
par les prélèvements agricoles et d’AEPI. Le volume total sont constituées par des sources et des oueds, la drai-
des sorties de la nappe s’élève à environ 111 hm3/an et son nance ascendante vers la nappe phréatique, les prélève-
bilan hydraulique est globalement équilibré. ments agricoles et d’AEPI. Le volume total des prélève-
ments utilisés pour l’alimentation en eau potable des
Nappes du bassin de Fès-Meknès villes de Fès et Meknès s’élève à environ 100 hm3/an. Le
Le bassin de Fès- Meknès s’étend sur une superficie bilan de la nappe est très déficitaire. Ce déficit est évalué,
d’environ 2 100 km2 et renferme deux nappes superposées. à partir des baisses des niveaux piézométriques (environ
La première est superficielle et libre et la seconde est 2 m/an), à environ 63 hm3/an. Le bilan hydraulique global
profonde,captive et artésienne par endroits.La nappe super- du système aquifère du bassin de Fès-Meknès s’élève à
ficielle circule dans des sables, grès et conglomérats du environ 100 hm3/an (3,2 m3/s).
Plio-Quaternaire, les marnes sableuses et localement dans
des calcaires lacustres karstifiés. Elle ne constitue pas un Nappe du couloir de Fès-Taza
intérêt hydrogéologique dans le bassin,en raison de sa faible Le couloir de Fès-Taza occupe sur une superficie
productivité et de la qualité généralement mauvaise de ses d’environ 1 560 km2. Sur le plan morphologique, ce couloir
eaux. Son substratum est constitué par les marnes bleues est un grand fossé compris entre deux unités monta-
du Miocène (Tortonien), dont l’épaisseur peut atteindre gneuses : le Rif au nord et le Moyen Atlas au Sud.
900 m, mettant ainsi en charge la nappe profonde du Lias. L’aquifère principal de ce couloir est contenu dans des
La nappe profonde du bassin circule principalement dolomies et calcaires du Lias moyen, découpés en horsts
dans des formations carbonatées (dolomies et calcaires) du et grabens par toute une série d’accidents, de failles à
Lias. Elle se manifeste à travers une multitude de sources rejet sensiblement vertical, d’importance variée.
(dont certaines sont chaudes, cas de la source de Moulay La profondeur de la surface de la nappe varie entre
Yaâkoub,débitant une eau avec une température comprise moins de 20 m au niveau des limites du couloir et plus de
entre 35 et 40°C) et son écoulement général se fait du sud 100 m à son centre. Le faciès chimique de l’eau est globa-
vers le NNE dans le bassin de Fès et vers le NNO dans le lement du type carbonaté-calcique. L’alimentation prin-
plateau de Meknès. La pression hydraulique en tête des cipale de la nappe se fait à partir de l’infiltration des eaux
forages varie entre quelques bars à 24 bars dans la plaine de de pluie, avec un volume estimé à environ 105 hm3/an.
Fès et entre 2 et 5 bars dans le plateau de Meknès. La nappe Les sorties de la nappe sont constituées par l’écoulement
connaît une importante baisse de ses niveaux piézomé- souterrain vers le nord-ouest et par les prélèvements
triques depuis le début des années 80, évaluée en moyen- agricoles d’AEPI. Leur volume total s’élève à environ
ne à environ 2 m/an (Fig. 3). L’épaisseur moyenne du Lias au 108 hm3/an. Le bilan hydraulique de la nappe est excé-
niveau du bassin de Fès-Meknès est d’environ 80 m et ses dentaire d’un volume moyen annuel d’environ 38 hm3/an.
réserves totales sont estimées à 2,5 milliards de m3 d’eau.
La majorité des ouvrages capte une eau de miné- Nappes du Moyen-Atlas tabulaire
Le Moyen Atlas tabulaire est encadré au nord par
le bassin de Fès-Meknès, au sud par le Haut Atlas et
la vallée de la Haute Moulouya, à l’est par la vallée de la
Moyenne Moulouya et à l’ouest par la Méséta marocaine.
La superficie totale du bassin s’étend sur environ 4 200 km2.
Il est constitué de vastes plateaux karstiques, surplom-
bant la plaine de Fès-Meknès (située au nord). Le Moyen
Atlas tabulaire est drainé par une multitude de sources
(plus d’une centaine), dont le débit total s’élève à environ
Figure 3. Historique piézométrique de la nappe du Lias du bassin de Sebou 6,4 m3/s. Les principales sources sont celles d’Ain Bittit
75
– Sud du plateau de Meknès (source : ABHS., 2006). (1,32 m3/s), Tizgdelt (0,32 m3/s), Regrag (0,30 m3/s)...

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Le Causse moyen atlasique englobe deux aquifères


principaux d’intérêt inégal ; ce sont l’aquifère des basaltes
quaternaires et celui des calcaires dolomitiques du Lias.
D’une superficie totale d’environ 980 km2, l’aquifère basal-
tique est constitué de dolérites,d’âge quaternaire,résultant
d’une intense activité volcanique. L’aquifère liasique circule
principalement dans des fissures, fractures et chenaux
karstiques des calcaires dolomitiques du Lias inférieur et
moyen.La carte piézométrique de l’aquifère liasique (Fig.4),
montre que l’écoulement général de la nappe se fait du sud
vers le nord-est et le nord-ouest et est drainé par les nom-
Figure 5. Évolution piézométrique de la nappe du Lias du bassin de Agou-
breuses sources limitant le bassin. L’alimentation totale rai (source : ABHS., 2006).
du bassin (d’origine essentiellement pluviale) s’élève à
environ 690 hm3/an et ses sorties totales s’élèvent à envi- d’environ 250 km dans le sens NNE-SSW, large de 10 à
ron 660 hm3/an. Le bilan hydraulique global du système 50 km et s’étale sur une superficie d’environ 4 200 km2.
aquifère du Moyen Atlas tabulaire est légèrement défici- Le Moyen Atlas plissé se présente sous forme de quatre
taire d’environ 30 hm3/an (soit environ un débit de 1 m3/s) grandes rides montagneuses parallèles séparées par de
à l’origine des baisses des niveaux piézométriques enre- hautes vallées. Il est drainé par de nombreuses sources,
gistrées (Fig. 5). dont le débit total s’élève à environ 8,5 m3/s (environ
266 Mm3/an). Les principales sources sont Ain Sebou
Nappes du Moyen Atlas plissé (Q= 2,5 m3/s), Ain Tataw (Q= 1,6 m3/s), Ain Slilou
Le Moyen Atlas plissé constitue un massif allongé (Q= 1,1 m3/s). Toutes les eaux souterraines ont globale-

76 Figure 4. Carte piézométrique de la nappe du Lias du Causse du Moyen Atlas – mars-avril 2005 (source : ABHS., 2006).

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une baisse continue de leurs niveaux piézométriques


(dont l’amplitude moyenne varie entre quelques cm et
plus de 2 m/an). La baisse cumulée des niveaux piézo-
métriques de la nappe du Lias du bassin de Fès-Meknès
a atteint 70 m (entre 1980 et 2003) ;
une baisse des écoulements naturels des nappes
(sources, drainage des oueds, déversement vers des lacs
naturels...) ;
une dégradation de la qualité des eaux souterraines,
notamment celles des nappes côtières (Gharb, Maâ-
mora, etc.) en raison de l’avancée du biseau salé.
Figure 6. Bilans hydrauliques des nappes du bassin de Sebou (source :
ABHS., 2006). Cette situation hydraulique difficile impose une
gestion plus rationnelle des ressources en eau du bassin
ment un faciès bicarbonaté, calco-magnésien, avec un du Sebou, en particulier par :
résidu sec inférieur à 1 g/l. L’alimentation principale de la
le renforcement du rôle de la police de l’eau et une plus
nappe est assurée par l’infiltration des eaux de pluie, avec
grande application de la loi 36/15 (notamment ses articles
un volume moyen d’environ 215 hm3/an. Les sorties de la
relatifs aux principes de préleveur-payeur et de pollueur-
nappe sont constituées principalement par des sources,
payeur) ;
par les prélèvements agricoles et d’AEP. Leur volume
total s’élève approximativement à 286 hm3/an. Le seul l’encouragement à mener auprès des agriculteurs,pour uti-
piézomètre contrôlé du bassin montre globalement une liser des techniques économes d’eau (goutte à goutte)
stabilité des niveaux de la nappe, traduisant l’équilibre en remplacement du système gravitaire (majoritaire),
de son bilan hydraulique. grand consommateur d’eau ;
la réutilisation des eaux usées épurées domestiques et
industrielles, notamment pour l’arrosage des espaces
Ressources en eau souterraines verts et pour l’irrigation des espèces agricoles adaptées ;
mobilisables dans le bassin de Sebou la multiplication des opérations de recharge artificielle
Les entrées nettes d’eaux souterraines du bassin de des nappes par des eaux superficielles hivernales excé-
Sebou s’élèvent à environ 1667 hm3/an et ses sorties nettes dentaires ;
sont évaluées à environ 1 823 hm3/an, ce qui indique un la collecte et l’utilisation des eaux pluviales et ;
déficit annuel d’environ 156 hm3/an (environ 5 m3/s). Les la rationalisation de l’utilisation des intrants chimiques
nappes actuellement déficitaires (niveaux piézométriques en agriculture (engrais et pesticides).
en baisse) sont celles de Fès-Meknès (nappe libre et
nappe profonde), du Gharb, de Maâmora, de Taza et de Bou
Agba. Seule la nappe profonde du Lias du couloir de Fès-
Références bibliographiques
ABHS., 2005. PDAIRE Sebou. Mission I.2. Évaluation des Res-
Taza est excédentaire d’un volume moyen d’environ
sources en eau du bassin de Sebou. Eau de surface.
38,5 hm3/an et celle des basaltes quaternaires du Moyen
ABHS., 2006. PDAIRE Sebou. Mission I.2. : Évaluation des Res-
Atlas tabulaire d’un volume moyen de 15 hm3/an (Fig. 6).
sources en eau du bassin de Sebou. Eau souterraine.
Amraoui F., 2005. Contribution à la connaissance des aqui-
Conclusion fères karstiques : cas du Lias de la plaine du Saïs et du Causse
moyen atlasique tabulaire (Maroc). Doctorat d’État. Univ.
Les résultats de cette importante étude hydro- Hassan II. Ain Chock. Casablanca.
géologique montrent que les nappes du bassin de Sebou Essahlaoui A., 2000. Contribution à la reconnaissance de for-
ont subi de façon significative, les impacts négatifs des mations aquifères dans le bassin de Meknès-Fès (Maroc). Pros-
années successives de sécheresse et d’accroissement des pection géoélectrique,étude hydrogéologique et inventaire des
prélèvements. En effet, les bilans hydrauliques des prin- ressources en eau.Thèse de Doctorat en Sciences Appliquées.EMI.
cipales nappes du bassin sont déficitaires d’un volume Direction de l’Hydraulique, 1975. Ressources en eau du Maroc.
annuel variant entre environ 7 hm3/an (nappe de Taza) et Tome 2. Plaines et bassins du Maroc atlantique.
100 hm3/an (système aquifère de Fès-Meknès). Ce déficit
des bilans s’est traduit par : 77

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Utilité du monitoring des forages d’exploitation d’eau


pour la rationalisation de l’irrigation agricole au Maroc
Fouad Amraoui 1 .

Introduction taire. Il joue un rôle déterminant dans les équilibres macro-


économiques du pays et supporte une charge sociale
La demande en eau souterraine a connu, au cours importante (génération de 80 % des revenus en milieu
des dernières décennies, un accroissement considérable rural). Le Maroc a fait le choix de développer et de moder-
pour répondre aux besoins des programmes de dévelop- niser plusieurs filières agricoles et ceci à travers des plans
pement,notamment agricoles.En effet,l’ambition du « Plan régionaux « Plan Maroc Vert ». Ceci passe, entre autres,
Maroc Vert » est de moderniser l’agriculture, en dévelop- par : la valorisation de dizaines de milliers d’hectares, la
pant plusieurs filières à travers le pays. Ceci passe par la libéralisation du foncier étatique, l’établissement des
valorisation de milliers d’hectares en y implantant des contrats programmes avec les opérateurs privés et la
projets irrigués, grands consommateurs d’eau, parfois ali- maîtrise des irrigations (rationalisation et suivi).
mentés uniquement à partir des eaux souterraines. Par
L’eau souterraine représente le quart du poten-
conséquent, la plupart des nappes d’eau souterraine du
tiel en eau au Maroc. Elle a l’avantage d’avoir une bonne
pays enregistre un fort déficit qui s’aggrave en continu.
répartition spatiale, une régularité assurée, une facilité
La réussite des projets agricoles irrigués passe par d’accès et un faible coût de mobilisation. Par contre, elle
une maîtrise de la ressource en eau. La pérennité de cette est vulnérable, notamment dans un contexte de change-
dernière nécessite une rationalisation et un suivi rigoureux, ment climatique, et est exposée à la surexploitation, en rai-
pour avoir une visibilité à moyen terme et pour anticiper son de la grande demande domestique, touristique, indus-
les dysfonctionnements. trielle et agricole. Ceci se traduit sur le terrain, par une
L’objet de cet article est de montrer l’utilité d’un tendance à la baisse du niveau des nappes et une dégra-
monitoring, pratiqué depuis dix ans, sur une quinzaine
d’ouvrages d’exploitation d’eau d’une ferme agricole d’oli-
viers haute densité (Fig. 1) et de vignobles d’environ 600
hectares, dont 530 irrigués. Ce monitoring permet de
contrôler l’irrigation actuelle tout en se projetant sur les
évolutions futures.

Contexte de l’étude
Le secteur agricole contribue, au Maroc, à 19 % du
PIB. Il emploie plus de 4 millions de ruraux associés à envi-
ron 100 000 emplois dans le domaine de l'agro-alimen-

Figure 2. Domaine agricole avec les points d’eau, les bassins et les conduites
78 Figure 1. Champ d’oliviers haute densité (cliché : F. Amraoui). de transfert entre bassins (source : modifié sur fond d’image Google).

1. Équipe Hydrosciences, Laboratoire Géosciences Appliquées à I’Ingénierie de l’Aménagement (G.A.I.A.). Université Hassan II de Casablanca, Faculté des
Sciences Ain Chock, Km 8, route d’El Jadida, BP 5366 Maarif, Casablanca, Maroc. Courriel : amraoui_f@hotmail.com

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Figure 3. Photo d’un chantier de forage rotary (droite), caisse de cuttings (gauche) et enregistrement GammaRay (centre) montrant la superposition des deux
aquifères, un superficiel et un plus profond (source : clichés F. Amraoui, GammaRay : rapport Les Deux Domaines, 2012).

dation parfois, de la qualité de l’eau marquée par l’appa- Les données ainsi recueillies sont traitées,et chaque
rition de teneurs alarmantes pour certains indicateurs de fin de campagne agricole donne lieu à un rapport détaillé
qualité. qui relate les points suivants :
Le domaine agricole en question (Fig. 2) est situé les principales interventions techniques sur les ouvrages
en bordure de la plaine du Saïs,à environ 20 km au sud-ouest d’eau (auscultations par caméra, réhabilitations,
de la ville de Meknès. Un projet oléicole (400 ha) et un pro- réparations ou changements de pompes, rajouts ou
jet viticole (130 ha) y sont développés à travers un contrat retraits d’éléments de refoulement, réparation des
programme public-privé,sur 3 ex unités agricoles étatiques. pannes électriques…) ;
À cet endroit, l’aquifère libre se développe en surface dans les travaux programmés pour l’exercice suivant
des grès sableux plio-quaternaires et en profondeur dans (diagnostic, nettoyage, débouchage…) ;
la molasse du Burdigalien et surtout dans des grès et les débits unitaires des ouvrages depuis le début du
schistes paléozoïques (Fig. 3). On note une forte hétérogé- suivi ;
néité spatiale qui se traduit sur le terrain par une variabi-
la production unitaire des ouvrages durant la campagne
lité importante dans le rendement des forages. Ceci a
et leur contribution relative au volume produit ;
conduit,pour gérer les irrigations,à foncer quinze ouvrages
d’eau d’exploitation, profonds de 93 à 250 m (voir figure. le volume total produit pour subvenir aux besoins des
2), et de mettre en place 4 bassins de stockage répartis sur 530 ha irrigués, la dotation moyenne à l’hectare et sa
la ferme,avec des systèmes de transfert d’eau entre bassins : comparaison avec les exercices passés ;
du B1 vers B3 (200 m3/h) et du B3 vers le B4 (230 m3/h). les heures de transfert entre bassins qui génèrent une
facture énergétique importante qu’il faut rationnaliser
au maximum ;
Méthodologie
l’importance et la répartition des pluies qui condition-
Le protocole de suivi au pas de temps de quinze nent le début de la campagne d’irrigation et
jours, permet de mieux comprendre les modalités de l’importance des prélèvements dans la nappe.
fonctionnement des aquifères et de pré-
venir tout dysfonctionnement ou réduc-
tion des volumes prélevés. Le suivi porte
sur les paramètres suivants : niveaux sta-
tiques et dynamiques,débits des ouvrages,
heures de fonctionnement des ouvrages,
transfert entre bassins et pluies journa-
lières. Pour ces mesures,une sonde piézo-
métrique, des compteurs, un débitmètre
portatif et une station météorologique
sont mises à contribution (Fig. 4). Figure 4. Sonde piézométrique, compteur, débitmètre (clichés : images Internet). 79

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Résultats niveaux des périodes humides (cas des forages Z2,Z6 et F2).
À l’échelle pluriannuelle, et bien que le suivi des
Niveau statique
niveaux statiques concerne une période bien arrosée (pluie
En dehors des périodes d’irrigation, le niveau moyenne de 578 mm entre 2007 et 2016), on note une ten-
statique traduit l’état de la nappe au repos. Son suivi dance générale à la baisse qui se chiffre entre 0.6 m/an pour
permet d’avoir une idée sur les battements de la le forage Z9 pour atteindre environ 4 m/an pour les forages
nappe à l’échelle saisonnière et pluriannuelle. Il permet Z2 et F2.Cette tendance à la baisse ne peut être imputée qu’à
également de voir la tendance générale du niveau de une surexploitation de la nappe dans laquelle on prélève des
la nappe dans la durée (stabilisation, remontée ou volumes supérieurs à ceux de la recharge annuelle.
descente), pour établir l’état d’exploitation et par consé-
quent le bilan local (équilibre, déficit ou excédent). Niveau dynamique
Les graphiques de la figure 5 montrent d’abord Ce niveau n’est mesuré qu’en période d’irrigation,
deux niveaux statiques étagés, le premier allant d’environ qui s’étale généralement du mois d’avril au mois d’oc-
13 m (forage Z9) à plus de 40 m (forages F8 et Z2), et le tobre. Le suivi permet de visualiser les fluctuations de la
second beaucoup plus bas allant de 70 à 80 m (forages Z6 nappe soumise à l’effet du pompage à l’échelle saison-
et F2). Cette dénivellation traduit le caractère mono ou nière, mais également d’une année à l’autre.
bicouche de l’aquifère. En effet, quand l’aquifère domi- La figure 6 montre que durant chaque période
nant est celui du Plio-Quaternaire, le niveau statique est d’irrigation, les niveaux dynamiques sont de plus en plus
haut, par contre quand la nappe profonde présente dans bas et finissement parfois à des niveaux proches des
les grès et les schistes paléozoïques, est développée, le calages des pompes (cas des forages Z2 et Z6). À l’échelle
niveau statique se retrouve beaucoup plus bas. pluriannuelle, on passe d’une situation de stabilité (cas
La figure 5 montre qu’en période humide, les du forage F8), à une situation de baisse modérée (cas
fluctuations saisonnières sont plus ou moins modestes des forages Z6 et Z9 avec respectivement 0,6 et 1,1 m/an),
selon les forages, par contre la période sèche est suivie par ou encore à une forte baisse (cas du forage Z2 où la bais-
des remontées spectaculaires dues aux pluies qui s’étalent se se chiffre à 6 m/an). Cette différence de comportement
généralement du mois de décembre au mois d’avril. Les des ouvrages d’eau est tributaire de leur rendement,
niveaux statiques mesurés en période sèche avant le déclen- lui-même lié aux caractéristiques hydrauliques plus ou
chement des pompages d’irrigation peuvent être très bas, moins favorables.
atteignant parfois 20 à 40 m de décote par rapport aux
Débits
En fonction de la productivité des
forages au niveau du domaine agricole,
l’équipement de pompage correspond à
trois catégories de débit : 7, 14 ou 21 l/s. La
mesure régulière des débits des ouvrages
permet de vérifier le bon rendement des
ouvrages et de détecter d’éventuels pro-
blèmes de fonctionnement.
La figure 7 montre pour chaque
ouvrage des variations de débit entre
2008 et 2015, qui marquent générale-
ment une légère baisse dans le temps,
qui peut être expliquée par le vieillisse-
ment de l’ouvrage avec un colmatage des
crépines. La multiplicité des creusements
de forages dans la région et leurs inter-
férences peut également expliquer cette
baisse de rendement.
À chaque fois que la baisse est
Figure 5. Niveaux statiques de cinq forages d’eau du domaine agricole couplés à la pluie – 2007-2016 brusque et significative, la pompe est
80 (source : suivi interne). remontée pour vérification : état des tur-

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se démarquent, notamment les forages


Z6, F2, F4, F5 et F3.
La dotation moyenne à l’hectare
pour les cultures d’oliviers et de vignobles
a varié sur cette période de suivi entre 1
900 et 3 200 m3/an. Cette variation peut
être expliquée par l’âge des cultures et
par l’importance et la répartition de la
pluie d’une année sur l’autre.

Transferts entre bassins


Compte tenu de la grande taille
de la ferme et de la mauvaise répartition
spatiale des ressources en eau, la ferme
s’est dotée de 4 bassins d’accumulation
de l’eau,deux de taille modeste (6 000 m3
au B1 et 4 000 m3 au B2) et deux de gran-
de taille (46 000 m3 au B3 et 55 000 m3 au
B4).Ces bassins permettent de mieux gérer
Figure 6. Niveaux dynamiques de quatre forages d’eau du domaine agricole couplés à la pluie – 2007- les irrigations qui concernent 530 hectares.
2016 (source : suivi interne).
Le domaine agricole est formé de
bines, raccords entre tiges, problèmes électriques… trois unités : la première située à l’Ouest est autonome et
dispose de suffisamment d’ouvrages d’eau et de ressources
Volumes produits ; les deux autres unités situées à l’Est comportent deux sys-
tèmes de transfert entre bassins (B1 vers B3 et B3 vers B4),
À partir des mesures de débit et des heures de pom-
car les forages les plus productifs sont concentrés sur l’axe
page, on peut calculer les volumes produits par chaque
sud-ouest passant par les forages F2, F5, F4 et Z6.
ouvrage d’eau et versés dans les différents bassins. Ceci
permet de : connaître la contribution de chaque ouvrage La figure 9 montre les heures de pompage de trans-
au volume total produit, calculer la dotation moyenne à fert d’eau entre bassins entre 2008 et 2016. On remarque
l’hectare à la fin de la période des irrigations et détecter des que ces transferts ont connu une forte augmentation
baisses importantes de productivité pour certains forages entre 2009 et 2013, puis une baisse significative jusqu’à
qui nécessitent alors une intervention technique. 2016. L’augmentation est due à la réponse au besoin crois-
sant des cultures qui montaient en maturation. Depuis
La figure 8 montre l’importance de ces volumes pro-
2013, un effort a été fait pour rationnaliser ce transfert,
duits par ouvrage entre 2008 et 2015.Certains bons ouvrages
notamment du bassin B3 vers le B4, en creusant des puits
de faible profondeur, munis de galeries drainantes qui

Figure 7. Débits annuels moyens des quinze ouvrages du domaine agricole Figure 8. Volumes annuels produits par les quinze ouvrages du domaine
– 2008-2015 (source : suivi interne). agricole – 2008-2015 (source : suivi interne). 81

Géologues n°194
hydrogéologie

versent directement dans le bassin B4. consommation en eau et en énergie d’une campagne
Cette optimisation des transferts d’eau, notam- agricole à l’autre, faire le parallèle entre l’importance et la
ment du bassin B3 vers le bassin B4 (230 m3/h), a eu un répartition des pluies avec la production d’eau et intervenir
impact très positif sur le plan énergétique et par consé- en amont pour que les ouvrages continuent à fonctionner
quent financier pour le domaine. correctement.

Pluie Références
La nappe étant libre, la recharge s’opère principale- Amraoui F., 2005. Contribution à la connaissance des aqui-
ment par l’infiltration des eaux de pluie. Durant la période fères karstiques : Cas du Lias de la plaine du Saïs et du Caus-
se Moyen Atlasique tabulaire.Thèse d’État, Fac. Sci., Univ. Has-
de suivi, la pluie moyenne annuelle était de 578 mm avec
san II Aïn Chock, Casablanca, 237 p.
deux années hydrologiques exceptionnelles 2009-2010 et
Amraoui F. et Moustadraf J., 2013. Nouveau plan d’action pour
2012-2013 (Fig. 10). On peut considérer les dix années de une gestion rationnelle des ressources en eaux souterraines
suivi comme une période humide, comparée à la période du Maroc. Colloque international CFH-AIH-AHSP-AGSO : Les
1980-2010 où en 30 années on a dénombré 18 années de Eaux souterraines : Hydrologie dynamique et chimique,
sécheresse. recherche, exploitation et évaluation des ressources » : quoi de
neuf ? Bordeaux 30 mai - 02 juin.
Du fait du caractère irrégulier des précipitations,
aussi bien en quantité qu’en répartition, le recours à la Institut Royal des Études Stratégiques (IRES),2013.Changement
climatique :impacts sur le Maroc et options d’adaptation globales.
nappe peut être plus ou moins important et plus ou moins
Second rapport stratégique de synthèse. Rapport inédit. 56 p.
précoce. Aussi, en année sèche les irrigations peuvent
Les Deux Domaines,2012.Auscultation des forages par caméra-
démarrer dès le mois de février et peuvent se prolonger vidéo et contrôle par diamétreur.Forage Z1.Géospec n° 09SC 12-
jusqu’au mois de novembre, alors qu’en année humide, 13 août 2012.
l’irrigation peut être retardée au mois de mai et peut Ministère de l'Agriculture et de la Pêche Maritime. Agence
s’arrêter au mois de septembre. Dans le premier cas, non pour le Développement Agricole, 2011. Projet d’Intégration du
seulement la recharge est réduite, mais en plus on soutire Changement Climatique dans la mise en œuvre du Plan Maroc
des volumes beaucoup plus importants de la nappe pour Vert (PICCPMV). Étude Cadre de l’Impact Environnemental et
satisfaire les besoins. Social. Rapport inédit. 82 p.
Ministère Délégué auprès du Ministre de l’Energie, des Mines
Conclusion de l’Eau et de l’Environnement, chargé de l’Environnement,
2016. Rapport de la 3ème Communication Nationale du Maroc
Dans un contexte de rareté de l’eau souterraine, à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements
il est impératif d’en faire une gestion rationnelle. La réus- climatiques. Rapport inédit. 285 p.
site des projets agricoles passe par une maitrise de l’irri- Ministre de l’Energie, des Mines de l’Eau et de l’Environne-
gation. À cet effet, un suivi rigoureux de la ressource en eau ment. Département de l’Eau. 2012. Politique de l’Eau au Maroc.
Rapport inédit 13 p.
permet de mieux comprendre les modalités de fonction-
nement des nappes et d’avoir une visibilité sur les évolu-
tions futures. Ce suivi permet en effet de : quantifier la

Figure 9. Heures de transfert entre bassins – 2008-2015 (source : suivi Figure 10. Pluie annuelle à Ras Jerry (pluie moyenne 2007-2016 = 578 mm)
interne). (source : suivi interne).

82

Géologues n°194
hydrogéologie

Apport des outils isotopiques à la compréhension du fonctionnement


des aquifères marocains et à la quantification de leurs ressources - Cas
du Bassin de Sebou
Soumaya Sefrioui 1 , Omar Fassi Fihri 2 et Hamid Marah 3 .

Introduction matiques ont été traitées comme l’origine de l’eau, l’ori-


gine de la salinité, l’altitude de la zone de recharge, le tra-
Le Maroc est un pays aride à semi-aride dont les res- çage des mélanges ou la datation des eaux. Les résultats
sources en eau souterraine revêtent une importance cru- ont fait l’objet d’un Atlas de synthèse publié conjointement
ciale pour tout développement socio-économique. La pros- par le Secrétariat d’État chargé de l’Eau et de l’Environ-
pection, la mobilisation, la gestion et la planification de ces nement et l’IAEA (2010). Différents contextes hydrogéo-
ressources nécessitent cependant le déploiement d’ou- logiques ont fait l’objet de telles études. Les plus impor-
tils scientifiques et techniques produisant des résultats tantes sont les nappes profondes qui représentent des
fiables, aussi bien pour comprendre le fonctionnement réserves stratégiques utilisées pour l’approvisionnement
des systèmes hydrauliques que pour quantifier et prévoir en eau potable (Bassin Fès-Meknès, par exemple), les
leur réponse aux sollicitations extérieures (Secrétariat nappes saumâtres qui représentent des réserves ultimes
d’État chargé de l’Eau et de l’Environnement, 2009). Les dans certains territoires du Royaume (Bassin de Boujdour
outils de l’hydrologie isotopique s’insèrent parfaitement au Sahara, par exemple), les nappes à ressources limitées
dans cette perspective, puisqu’ils ont contribué depuis (Tantan ou Essaouira par exemple), et les nappes kars-
les années 1960 à résoudre un nombre important de pro- tiques qui donnent naissance aux sources les plus impor-
blématiques, en utilisant des moyens relativement abor- tantes du pays (Haut et Moyen Atlas par exemple). La
dables, et un temps d’analyse et d’interprétation relati- présente étude est un essai de synthèse des résultats les
vement limité (UNESCO et IAEA4, 2001). Ces outils ont été plus marquants de l’application de ces outils à l’échelle du
introduits au Maroc dans les années 70, et sont devenus Maroc. Un intérêt particulier est donné au bassin de Sebou
plus accessibles depuis les années 90 ; il s’agit en particulier vu son importance à l’échelle nationale du point de vue des
de l’Oxygène 18, du Deutérium, du Tritium, du Carbone 13 ressources et des besoins, de sa diversité géologique et de
et 14, du Soufre 34 et du Strontium 36. Plusieurs problé- sa complexité structurale. Sa situation ainsi que les limites
de ses principales nappes sont présentées (Fig. 1).

Caractérisation isotopique du signal


d’entrée aux systèmes hydrauliques
Pour tout système hydraulique,les nouvelles pluies
constituent une entrée dont la signature isotopique va
subsister pendant tout le cycle de l’eau. La comparaison de
cette signature avec celle retrouvée dans les eaux analysées
constitue la base du traçage isotopique des phénomènes
hydrogéologiques.Vu l’importance de la caractérisation de
ce signal, un réseau dédié à cette fin est suivi par l’IAEA à
l’échelle mondiale. Au Maroc,des analyses isotopiques ont
été menées systématiquement au niveau de sept stations
météorologiques, dans le cadre de projets nationaux ou
de coopérations internationales (IAEA, 2010). La relation
δ2H = f (δ18O),établie pour l’ensemble des analyses publiées
montre que les valeurs isotopiques sont bien étalées entre
Figure 1. Répartition spatiale des nappes les plus importantes du bassin du -10 et 0‰ pour l’Oxygène 18, et entre -70 et 0‰ pour le
Sebou. Source : modifiée d’après S. Sefrioui, 2014. Deutérium, avec une tendance générale qui suit la DMM5 83

1. Société Green Hand, 1 Rue Abou El Alae El Maari, 21, Rce Tarik 2 , Et 6, 30 000, Fès, Maroc. Courriel : soumayasefrioui@hotmail.fr
2. Commission des infrastructures de l’énergie des mines et de l’environnement-Parlement marocain, Avenue Mohamed V, Rabat, Maroc.
Courriel : omarfassi@yahoo.fr
3. Laboratoire d’hydrologie isotopique, Centre National de l’Energie, des Sciences et des Techniques Nucléaires (CNESTEN), 30 km au nord du Rabat - route
de Kénitra - Maâmoura 10 000, Kénitra, Maroc. Courriel : h_marah@yahoo.com
4. International Atomic Energy Agency.
Géologues n°194
hydrogéologie

(Fig.2). Ces résultats reflètent la dominance des perturba- Altitude de recharge


tions atlantiques sur l’ensemble du pays, avec des particu-
larités locales comme des échantillons plus appauvris situés et quantification des ressources
au-dessus de la DMM,au centre du bassin de Sebou (Sefrioui La quantification de la recharge des réservoirs sou-
et al., 2011), situation retrouvée sur d’autres zones du nord terrains a toujours constitué une inconnue délicate à appré-
du Maroc et généralement attribuée à une coexistence hender en hydrogéologie. La démarche classique consistait
dans cette zone de pluies d’origine atlantique et méditer- à la déduire depuis le calcul théorique ou empirique des
ranéenne (Marah et al., 2007). Par ailleurs, l’évolution de autres composantes du cycle de l’eau.Le traçage isotopique
cette composition en fonction de l’altitude a été reconnue permet de faire une évaluation directe de cette recharge,en
pour la première fois au Maroc par A. Marcé en 1975, dans mettant en relation un exutoire et son bassin versant hydro-
une étude basée sur les données des températures. Cela a géologique. Cette zone de recharge est cartographiée et
abouti à un gradient isotopique altimétrique de l’ordre de planimétrée à l’aide d’un système d’information géogra-
- 0,286‰ par 100 m. Depuis, ce gradient a été précisé pour phique.La correspondance,au niveau de ces surfaces,entre
les eaux souterraines, au niveau du bassin d’Errachidia les données pluviométriques et le débit de l’exutoire permet
(El Ouali, 1999), au sein du Rif, puis au niveau du bassin de de remonter au coefficient d’infiltration et donc de quanti-
Tadla (Marah et al., 2007), avec une valeur de -0,27‰ par fier la ressource renouvelable moyenne du réservoir. Cette
100 m. Au niveau du bassin de Sebou, le calcul du approche est d’autant plus utile que les réservoirs sont
gradient isotopique altimétrique basé sur la composition complexes.C’est le cas par exemple des rides sud-rifaines qui
isotopique moyenne des eaux de pluie de deux stations abritent trois réservoirs superposés et compartimentés en
situées à des altitudes différentes (Fès-Saïss et Bab Bouidir) panneaux. En effet, l’analyse isotopique des eaux d’une
permet d’aboutir à la même valeur de -0,27‰ par 100 m source drainant l’aquifère liasique (Sidi Abdallah ben Taazizte)
(Sefrioui et al., 2011). Des gradients plus faibles sont cepen- permet de remonter à l’altitude de sa zone de recharge. La
dant cités par Abourida et al. (2004), pour la plaine du correspondance,au niveau de cette surface entre les données
Haouz qui l’estiment à -0,26‰ par 100m et par Winckel et pluviométriques et le débit de la source,suivis pendant trois
al. (2002) qui l’estiment à -0,25‰ par 100m, pour le Rif et années hydrologiques successives, permet de remonter au
le Moyen Atlas et à -0,18‰ par 100m,pour la zone orientale. coefficient d’infiltration estimé à 27% et donc de quantifier
Il semblerait que ces valeurs sous-estimées soient calculées la ressource renouvelable moyenne du réservoir qu’elle
en utilisant des données relatives à des points d’eau qui draine.La généralisation de ce résultat aux autres aquifères
présentent des différences notables entre les altitudes des rides,par extrapolation du coefficient d’infiltration,et son
d’émergence et celles de recharge. application à leur surface d’affleurement permet d’estimer
leur ressource (Sefrioui et al., 2014).

Traçage des mélanges


Le traçage isotopique est égale-
ment utilisé pour détecter et quantifier le
mélange entre eaux de différentes origines
au sein d’un même aquifère. Au Maroc,
des contacts latéraux ou verticaux entre
réservoirs limitrophes sont connus mais
leurs conséquences hydrogéologiques
étaient difficilement quantifiables. Deux
exemples d’apports du traçage isotopique
dans ce sens méritent d’être soulignés ;
il s’agit du mélange entre nappes super-
posées au niveau du bassin Fès-Meknès
et de l’abouchement latéral entre la nap-
pe liasique des Causses et celle,basaltique,
du bassin de Tigrigra.Au niveau du bassin
Fès-Meknès, les deux nappes sont ali-
Figure 2. Variation de l'Oxygène 18 en fonction du Deutérium dans les bassins marocains. Source :
mentées à des altitudes différentes ;
84 modifiée d’aorès S. Sefrioui et al., 2011. la nappe phréatique plio-quaternaire

5. Droite Météoritique Mondiale.

Géologues n°194
hydrogéologie

(calcaire lacustre et sables fauves) est alimentée par infil- cause aggravée par l’effet de l’évaporation le long des Oueds
tration sur sa surface d’affleurement,à des altitudes variant (Zine et al., 2001). Au niveau du bassin d’Errachidia, l’évapo-
de 300 à 900 m (Margat, 1960), alors que la nappe profon- ration est citée comme cause principale de la salinité ;elle est
de du Lias est alimentée indirectement par l’infiltration des couplée à une dissolution de l’encaissant à relier avec les
précipitations au niveau des Causses moyen-atlasiques écoulements lents des eaux (El Ouali,1999). Au niveau de la
situés à des altitudes variant de 900 à plus de 2000 m plaine du Gharb et en fonction du contexte local, la salinité
(Amraoui,2005).Les outils isotopiques ont été utilisés pour est reliée à une dissolution des roches salifères ou à un mélan-
mieux cerner cet aspect (Louvat et Bichara,1990),usage qui ge avec les eaux de surface surchargées en sel. Un essai de
a cependant été limité et manquait de discernement entre calcul des proportions de mélange montre que la contribu-
les effets de l’altitude et ceux du mélange dans la quantifi- tion des eaux de surface est comprise entre 10 et 84 % des
cation du bilan.Les travaux de Sefrioui (2013) ont permis de eaux de la nappe (Sefrioui et al., 2014).
localiser les zones du mélange entre les deux nappes et de
calculer ses proportions au niveau de chaque point d’eau ana-
lysé. Ainsi, l’analyse structurale et hydraulique du contexte
Âge des eaux
de ces points permet de généraliser les résultats aux Les isotopes radioactifs, et en particulier du Tritium
différents panneaux du bassin, avec une contribution de et du Carbone 14 ont été utilisés pour la détermination de l’âge
l’aquifère liasique profond au bilan de l’aquifère plio- des eaux de différentes nappes (Sahara, Guelmim, Souss,
quaternaire superficiel qui varie entre 0 et 94%.Par ailleurs, Errachidia,Tadla et Sebou) et de certaines sources thermales.
les basaltes quaternaires de la plaine de Tigrigra présen- Ces études ont montré que :1) le temps de transit est de plus
tent un excès de bilan avec des débits cumulés des exu- en plus long depuis la zone de recharge vers la zone confinée,
toires qui dépassent les infiltrations des eaux de pluie que les vitesses d’écoulement sont variables et évoluent du
(Sefrioui, 1999). Les travaux de Sefrioui et al (2010) permet- mm par an pour la nappe de Guelmim (Bouhlassa et Aiachi,
tent de relier l’origine de cet excédent au mélange souter- 2002) à quelques mètres par an pour la nappe de Tadla (Marah
rain des eaux, de localiser les zones d’abouchement au et al.,2007),2) que l’eau ancienne contribue de manière signi-
niveau de deux secteurs différents de la plaine (Ougmès et ficative aux réserves des nappes situées dans des régions
Tagounit) et d’estimer la contribution de la nappe liasique au semi-arides ou présentant un déficit de bilan hydraulique à
bilan hydraulique de la nappe basaltique à plus de 80 % ! cause d’une zone de recharge réduite ou d’une surexploita-
tion (Direction de la Région Hydraulique du Sahara,2006),3)
les sources thermales du domaine rifain sont rechargées à une
Salinité des eaux souterraines période postérieure à 10 000 ans (Winckel et al.,2002),4) les
La salinité des nappes d’un pays semi-aride constitue eaux des principales sources du bassin de Sebou sont assez
une limitation à leur exploitation.L’utilisation des outils iso- récentes (âge inférieur à 50 ans) puisqu’elles renferment du
topiques et chimiques permet de remonter à l’origine de la Tritium et 5) les eaux des sources situées en amont des écou-
salinité des eaux souterraines marocaines et d’aider à leur lements sont les moins âgées (Sefrioui,2013).
meilleure gestion. Pour les eaux saumâtres de la Chaouia
côtière par exemple,l’origine de la salinité est reliée à la dis-
solution de sels dans l’encaissant, aggravée par le recyclage
Conclusions et perspectives
des eaux d’irrigation et par l’évaporation (Marjoua et al., Bien que l’application des outils isotopiques en hydro-
1997). L’intrusion marine est évoquée d’une manière secon- géologie marocaine soit assez récente (moins d’une cin-
daire et localisée par Fakir et al.,2001.Au niveau de la plaine quantaine d’années),elle a contribué à mieux comprendre le
du Souss,l’évaporation et la dissolution d’évaporites ont été comportement des aquifères et à mieux préciser leur
évoquées comme causes primaires par Dindane et al.,2003. ressource. L’approche la plus efficace est pluridisciplinaire,
Les résultats isotopiques montrent aussi un mélange avec combinant l’inventaire des points d’eau,l’étude de leur contex-
l’eau de mer pour les quelques échantillons les plus proches te hydrogéologique,la création d’une base de données sur un
du littoral (Bouchaou et al.,2008). Au niveau de la plaine de système d’information géographique,les analyses chimiques
Chtouka, il paraît que la formation schisteuse qui constitue et isotopiques et l’interprétation des résultats à la lumière des
le substratum de la nappe est à l’origine des fortes teneurs données litho-stratigraphiques, structurales et hydrodyna-
en chlorures mesurées dans certaines eaux souterraines, miques. Les développements envisageables dans l’utilisa-
alors qu’un mélange limité avec l’eau de mer n’est pas exclu tion de cet outil seraient relatives à une meilleure caractéri-
(Krimissa et al.,2004).Au niveau de la nappe de Guelmim,la sation des eaux de pluie, à travers l’installation d’un réseau
dissolution semble être la cause primaire de la salinité, d’observation à long terme pour suivre l’évolution de leurs 85

Géologues n°194
hydrogéologie

teneurs isotopiques dans le temps et dans l’espace, à l’élar- Marah H., Zine N., Qurtobi M. et Zerouali A., 2007. Sens d'écou-
gissement de l’utilisation de l’hydrologie isotopique aux lement, vitesse et âge des eaux de l'aquifère turonien du
bassin de Tadla (Maroc). AJEAM-RAGEE, 12. 1-12.
nappes non encore étudiées, aux milieux karstiques et
aux domaines fissurés.De nouvelles problématiques restent Marcé A., 1975. Contributions des méthodes isotopiques à
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Vienne-Rabat.

86

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Activités néotectoniques et mouvements de terrain dans le Prérif


(Secteur de l'autoroute Fès-Taza, Nord Maroc)
Hassan Tabbyaoui 1 , Benoît Deffontaines 2 , Fatima El Hammichi 3 , Abdel-Ali Chaouni 4 et Samuel Magalhaes 5 .

Introduction ment amont, zones de transfert et zones d'accumulation


de matériel en aval) ainsi que de mettre à jour la carto-
Maillon important du réseau autoroutier natio- graphie géologique, lithologique et structurale. En outre,
nal, la nouvelle liaison autoroutière Fès-Oujda (Nord du la superposition, grâce à un système d'information géo-
Maroc) prolonge l’autoroute Rabat-Fès, pour former, à ter- graphique (SIG), des cartes géologiques détaillées dispo-
me, un grand axe structurant Est-Ouest qui s’intègre avec nibles (Taza, Tahala et Sefrou à l’échelle du 1/50 000), sur
le réseau existant et les grands projets routiers en cours les images satellitaires re-traitées, permet d'optimiser les
comme la liaison Taza-Al Hoceima et Oujda-Nador. Elle différences entre les caractéristiques et les faciès des
constitue aussi un tronçon important de l’autoroute magh- écroulements de débris et de roches. Des campagnes de
rébine transnationale qui prend son origine à Nouakchott vérification sur le terrain ont été effectuées pour valider
(Mauritanie) et dessert les principales métropoles du et préciser la délimitation de ces mouvements de masse.
Maghreb pour arriver à Tobrouk en Libye.
Le récent tracé de cette autoroute relie les deux
villes de Fès et Taza sur une distance de 127 km à travers
Cadre géologique et structural
une région collinaire argileuse, difficile d’accès et avec La nouvelle autoroute Fès-Taza traverse de l’ouest
peu/pas d'affleurements géologiques représentatifs. L’axe vers l’est, trois domaines structuraux majeurs distincts
du tracé a été choisi de façon à suivre plus ou moins les qui sont décrits ci-dessous (Fig. 1) : le Prérif situé au nord,
crêtes des collines rencontrées, afin de minimiser les tra- le bassin du Saïs et le sillon sud-rifain situés au centre et
versées des oueds (rivières avec ou sans eau) et l'exposi- le Moyen Atlas se développant au sud de l'autoroute.
tion au risque de mouvements de versants. Cependant, Le Prérif (ou Unités prérifaines) a été défini par
même en suivant autant que possible le relief sommital Marçais et Suter (in Durand-Delga et al.,1962). Il correspond
naturel,ce tracé a impliqué localement de grandes hauteurs à la partie méridionale de la zone externe du Rif marocain
de déblais (et de remblais) permettant une analyse géolo- déposé sur la marge nord de la plaque africaine (voir figu-
gique et structurale originale et unique. Le tracé franchit re 1). Il est composé de la superposition de vastes nappes
notamment plusieurs oueds dont les principaux sont : tectoniques à structure plus ou moins chaotique qui résul-
Sebou, Hamri, Bou Zemlane, Matmata, Bou Hellou, Zireg tent de la destruction du front de nappes se déplaçant
et Inaouène (trois franchissements). vers le sud lors de la compression, du Miocène supérieur
Les observations géologiques nouvelles permet- au Pliocène moyen. Dans le Prérif, au nord de Taza, Tribak
tent en particulier de mieux considérer les différences et al., (2012) montrent que les mouvements de terrain
entre les glissements de terrain et la néotectonique par le sont essentiellement des glissements boueux (mudslides)
relevé de l’orientation et du pendage des failles et des et des glissements-coulées (flowslides).
joints tectoniques observés. L'interprétation visuelle de Le bassin du Saïsconstitue,avec le bassin du Gharb,une
données par satellite (Sentinel-2 à 10m de résolution spa- grande dépression miocène (ou Sillon sud-rifain) qui s'étend
tiale ainsi que celles de haute résolution Digital Globe – de l’ouest (depuis l'Atlantique), vers l'est (jusqu’au
pixel de 60 cm – telles que GeoEye) a permis de délimiter « détroit » de Taza). Le Saïs est un bassin miocène ouvert
latéralement l'extension planimétrique hors du périmètre après l'enfoncement de l'extrémité nord de la Meseta occi-
autoroutier des différents types de mouvements de mas- dentale et du Moyen Atlas. Il s'est comporté comme un
se (glissements de terrain, écroulements et éboulements bassin marin régressant au cours du Miocène supérieur,
de roches). La différenciation des écroulements et ébou- devenant tout d’abord lacustre et émergeant progressive-
lements a été fait à l'aide de données complémentaires ment au cours du Pliocène et du Quaternaire.
telles que géologie et modèles numériques de terrain. En Le Moyen Atlas, situé au sud, forme un ensemble
effet, le drapage des images satellitaires, des cartes géo- de plateaux qui surplombent le Saïs par le biais de flexures
logiques, sur un modèle numérique de terrain permet de de direction NE-SW. Les mouvements de terrain y sont
préciser les mouvements de terrain (zones de détache- représentés par des chutes de pierres de grès, de calcaires 87

1. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Faculté Polydisciplinaire de Taza, Laboratoire Ressources Naturelles et Environnement, B.P. 1223, Taza-Gare,
Taza 35000, Maroc, hassan.tabyaoui@usmba.ac.ma.
2. Université de Paris-Est Marne-La-Vallée (UPEM), 5 Bd Descartes F-77450 Marne-la-Vallée Cedex 2 France; Laboratoire de Recherche en Géodésie - LAREG
(UDD-IPGP-IGN-UPEM)/LASTIG (IGN/UPEM); Laboratoire International Associé D3E N° 536 CNRS-MOST France-Taiwan; benoit.deffontaines@univ-mlv.fr
3. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Faculté Polydisciplinaire de Taza, Laboratoire Ressources Naturelles et Environnement, B.P. 1223, Taza-Gare,
Taza 35000, Maroc.
4. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Faculté Sciences et Techniques, B.P. 2202, Route d'Imouzzer, Fès, Maroc.
5. AlphaGéOmega, 62 rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris, France.
Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Figure 1. Cadre géologique général avec tracé de l’autoroute et situation des mouvements de terrain observés. a) Position du domaine rifain et de son avant
pays au nord du Maroc. b) les grands domaines structuraux du Nord Maroc : DI) Domaine Interne, F) domaine Des Flyschs, DE) Domaine Externe (Domaine
du Prérif), AP) Avant-Pays (Bassin du Saïs) et DA) Domaine atlasique (Moyen Atlas). c) Cartographie géologique et géomorphologique : Pz) Paléozoïque,
Mz) Mésozoïque, C) Crétacé, E-O-M) Eocène-Oligocène et Miocène, M) Miocène moyen-supérieur, M-P-Q) Mio-Plio-Quaternaire. Cercles + points : position
des mouvements de masse. Trait rouge foncé : tracé de l’autoroute Fès-Taza. Source : travail des auteurs.

et de dolomies du Jurassique et quelques glissements et du tracé de l’autoroute.L’Éocène moyen - supérieur (marnes


écroulements. et grés turbiditiques) affleure sur le bord nord de la tranchée
Dans ces trois domaines, les structures tectoniques de l’autoroute au dessus de l’unité précédente. L’Oligocène,
résultent de l’effet de la tectonique chevauchante dans le épais de plus de 350 m, forme les principales crêtes du
domaine rifain et de la tectonique cassante typique du secteur qui bordent la tranchée de l’autoroute (Koudiate
domaine atlasique. Les grandes failles traversées par l’au- Zar Amran, 731 m au nord et Koudiate Bab El Qdima, 634 m
toroute Fès-Taza sont (voir figure 1) : le front de déforma- au sud ; voir figure 2). Le Miocène inférieur - moyen affleure
tion E-O du Rif, la faille de Tahala orientée NO-SE, la zone au nord et au cœur du noyau de la structure chevauchante
de faille de Tizi n'Tretten (NE-SO), la faille de Sebou d’Oued Maleh au droit du tronçon de l’autoroute.L’ensemble
orientées NO-SE et la zone de failles de Sidi Harazem de ces unités prérifaines a glissé par un mouvement
orientée NE-SO. tangentiel sur le sillon sud-rifain et le Moyen Atlas. Les
formations du Miocène supérieur (Tortonien-Messinien)
Le tronçon étudié de l’autoroute Fès-Taza longe la
occupent le sillon sud-rifain et le bassin de Saïs. Le
partie sud du Prérif externe (nappes prérifaines) qui consti-
Quaternaire est constitué d’alluvions et de dépôts de
tue le front méridional de la chaîne du Rif au contact du
piémont le long des principaux cours d’eau.
Moyen Atlas par le sillon sud-rifain. La nappe prérifaine est
représentée dans la zone par des nappes de décollement Du point de vue tectonique, les dépôts allochtones
et glissement dont la structure est caractérisée par des plis- du Crétacé supérieur au Miocène supérieur sont répartis
sements souples et des écaillages avec rabotage basal en nappes charriées vers le sud, et reposent sur le Miocè-
(Fig. 2). Les séries sédimentaires s’échelonnent du Créta- ne supérieur autochtone. Ce contact, orienté générale-
cé supérieur ou de l’Eocène jusqu’à la limite Miocène ment E-O, est localement souligné par des écailles et
moyen-supérieur. Dans le détail, le Crétacé supérieur klippes de gypses, argiles rouges et de basaltes triasiques
affleure à proximité de la structure anticlinale de l’Oued et par quelques affleurements de sel injecté dans les zones
El Malleh (voir figure 2). Le Paléocène supérieur - Eocène de failles. Il est découpé par des failles transverses verti-
inférieur se présente sous forme d’une couche repère dans cales, d’extension kilométrique de directions NE-SO et
des sédiments de nature marneuse du Prérif, créant une NO-SE. Cette structuration s’est déroulée en plusieurs
saillie morphologique très continue et bien lisible au nord phases du Crétacé supérieur au Quaternaire. La plus récen-
88

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

te, plio-quaternaire est de type compressif et est orientée


NNO-SSE. Elle a accentué dans le sillon sud-rifain, la sur-
rection des rides, la déformation souple et la réactivation
de structures cassantes en décrochements.

Exemples de mouvements de masse


observés
Les mouvements de versant observés sur le
tronçon de l’autoroute traversant le Prérif et le sillon sud-
rifain, sont essentiellement des glissements, des tasse- Photo 1. Exemple de glissements près de Koudiate Bab El Qdima dans le
Prérif ; ils montrent l’extrême sensibilité des pentes naturelles en l’absen-
ments et des coulées boueuses. En fonction de l’impor- ce de travaux de stabilisation et/ou confortement de talus. Source :
tance des mouvements observés et de la surface de photo des auteurs.
rupture rencontrée, on distingue :
les glissements qui sont très fréquents dans le Prérif. sub-tabulaires. L’eau (précipitation et percolation) joue
Certains, de type rotationnel ont été réactivés suite un rôle important dans la mise en place et la ré-acti-
aux terrassements réalisés lors la construction de l’au- vation de ces glissements.
toroute et de ses talus. Ils sont visibles sur les versants les coulées argileuses dominent les reliefs de Koudiate
de pente assez forte (15 à 45°) constitués notamment Lahwat, dans le Prérif (voir figure 2). La coulée argileuse
de matériaux argileux ou marneux (Photos 1 et 2). est parfois de grande ampleur et constitue un risque en
D’autres, des glissements de type plan, s’observent raison de son amplitude et de son caractère dévasta-
dans le sillon sud-rifain. Ils se manifestent en surface teur. La nature géologique des terrains (argiles et marnes
par des cicatrices d’arrachement sur la voie de l’auto- grises du Miocène supérieur), la pente et la tectonique,
route et par des rides centimétriques vraisemblable- la saturation des terrains en eau (fortes précipitations)
ment associées à des processus de reptation lente. Ce jouent un rôle moteur dans le déclenchement de ces
type de glissement se développe le long de surfaces phénomènes. Ceci a conduit à des déformations irrégu-
planes représentées par les calcaires liasiques du lières de la topographie et à un endommagement des
Moyen Atlas, pentés vers le nord de plus de 25° sur ouvrages de stabilisation des talus. Du point de vue tec-
lequel glissent les formations marneuses miocènes tonique, ces faciès correspondent à une klippe (lambeau
de nappe du Miocène inférieur-
moyen, isolé par l’érosion).

Exemple d’observa-
tions néotectoniques
Nous avons constaté la
faible présence de joints tecto-
niques dans les bassins ; ils sont
en revanche bien visibles dans
les convexités sommitales des
versants des grandes vallées. Ain-
si dans la région de Bled Haricha,
un affleurement d'argile mar-
neuse du Messinien, montre
une série de fentes en échelon et
de joints tectoniques regroupés
en trois familles d’orientation et
Figure 2. Bloc diagramme montrant la géologie, les mouvements de terrain et les systèmes de failles en
coupe nord-sud dans le Prérif (d’après la carte géologique de Taza au 1/50000 et des observations de terrain). de pendages bien distincts :
1- Quaternaire le long de l'Oued Inaouene ; 2- Miocène supérieur (Tortonien-Messinien) ; 3- Miocène inférieur -
moyen (Burdigalien supérieur - Langhien inférieur) ;4- Miocène inférieur ;5- Oligocène ;6- Éocène moyen - supérieur ;
la première famille de
7- Paléocène supérieur - Eocène inférieur ; 8- Crétacé supérieur ; 9- Trias ; 10- socle paléozoïque de Tazzeka ; fentes correspond à des fentes de
11- Mouvements de masses ; 12- Déblais de l’autoroute. Source : travail des auteurs. 89
tension en échelon orientées

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Photo 3. Fentes en échelons de direction N130°E à remplissage d’argile


pédogénétique parfois indurée et joints de direction N105°E et N165°E à rem-
Photo 2. Déstabilisation du talus de l’autoroute Fès-Taza et destruction des plissage de calcite et gypse, visibles à proximité de Bled Cherada. Le ravi-
canaux d’évacuation suite aux précipitations des mois de février et mars nement emprunte les directions N130°E et souligne parfois les joints de faible
2014 près de Koudiate Lahwat, dans le Prérif. Source : photo des auteurs. extension. Source : photo et interprétation des auteurs.

N105-115°E (Photo 3) et présente des longueurs qui varient érosif. En effet ces fentes gravitaires à extension NE-SO,
de 5 m à plus de 20 m avec une ouverture de ces fentes feraient partie de la cicatrice d'arrachement amont du
comprise entre 1 à 5 cm et donnant un déplacement glissement de ce versant de la rive gauche de l’Oued Sebou.
potentiel dextre.
la deuxième famille de ces fentes en échelon est repré- Discussion et conclusion
sentée par la direction N165°E (voir photo 3) ; leurs lon-
gueurs varient entre 1 m et 20 m et leur ouverture varie Du point de vue climatique, l'autoroute Fès - Taza
de 2 à 4 cm ;ces fentes présentent un déplacement poten- est située sous un climat continental tempéré avec une
tiel sénestre. moyenne de précipitations annuelles variant de 390 mm
à 840 mm. Généralement les chutes de pluie sont assez
la troisième famille correspond à des joints tectoniques
brutales et les plus grandes précipitations sont concentrées
attribués à des fentes de tension orientées N130°E
sur seulement quelques jours en saison humide. La suc-
( voir photo 3), situés dans l’angle bissecteur des deux
cession rapprochée d'événements pluvieux exception-
familles précédentes.Ces joints sont les plus fréquents au
nels, constitue ainsi une source de risques menaçant les
niveau de cet affleurement et sont disposés de manière
infrastructures autoroutières. Ils accentuent en effet les
sériée avec des espacements de joints de quelques centi-
risques géologiques liés aux différentes structures tecto-
mètres en deux endroits espacés d’une dizaine de mètres.
niques et gravitaires observées dans les talus de déblai
Leurs longueurs dépassent les 15 m et leur ouverture varie
de l’autoroute qui peuvent être décrites de la manière
de 1 à 5 cm.
suivante :
Ces trois familles de fentes de tension en échelon et
du point de vue sédimentaire, les matériaux affectés
de joints montrent un remplissage ferrugineux de couleur
sont des marnes altérées, et contiennent une forte
rouge, issu du lessivage des formations superficielles (très
proportion d’argile. Les argiles représentent l’aspect
probablement des argiles pédogénétiques (Fig. 3). Ces
pénalisant du phénomène, compte tenu de leurs mau-
remplissages se présentent aussi sous formes de plaquettes
vaises caractéristiques mécaniques. Les analyses géo-
durcies de couleur brune et d’épaisseur inférieure à 0,5 cm.
techniques (Mouhssine et al., 2015) sur les marnes du
L’explication géologique et structurale la plus pro- tronçon autoroutier passant par le Prérif, montrent leur
bable sur l’origine de ces fentes de tension en échelon caractère cohésif, leur forte plasticité et la dépendance
serait une déformation néotectonique en régime décro- de leur comportement géotechnique à la quantité d'eau
chant où la contrainte maximale (σ1) est horizontale et qu'elles absorbent. Elles sont donc particulièrement sen-
orientée NO-SE créant les fentes de tension N130°E ; la sibles aux variations climatiques.
contrainte minimale est aussi horizontale (σ3) orientée
du point de vue tectonique, le tracé de l’autoroute est
NE-SO (Fig. 3). Les mouvements gravitaires semblent réuti-
parallèle à deux contacts tectoniques chevauchants. Ils
liser et réactiver ces joints tectoniques pré-existants situés
sont faiblement pentés voire subhorizontaux, et appa-
90 à proximité de l'Oued Sebou et de son fort potentiel
raissent sur la carte par des contours sinueux paralléli-

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

sant les courbes de niveaux. Ils sont orientés E-O La nouvelle autoroute Fès-Taza traverse une zone
(voir figure 1) et sont décalés par des failles transverses de terrains à dominante argileuse où de nombreux mou-
orientées NE-SO et NO-SE qui entaillent les pentes topo- vements de masse, de nature et de volume différents sont
graphiques.Le chevauchement situé au sud de l’autorou- observables. Les nouvelles tranchées révèlent des affleu-
te a favorisé l’apparition du Trias argileux et évaporitique. rements riches en enseignements géologiques qui
C’est dans cette partie de la nappe que se sont développés permettent de mieux contraindre les rôles et les différences
des glissements récents et des coulées de boue. entre les glissements de terrain et les structures néotec-
Concernant la déformation néotectonique du bas- toniques. La combinaison de l'interprétation des données
sin du Saïs, l'analyse des joints tectoniques, effectuée à satellites optiques haute résolution, des relevés cartogra-
toutes les échelles en termes de contraintes, confirme le phiques géologiques détaillées,de l’analyse structurale du
rôle de la néotectonique dans l’évolution du paysage MNT et enfin des campagnes de terrain, intégrés dans un
actuel et futur de cette région. La compression NO-SE à système d'information géographique (SIG) nous permettent
NNO-SSE associée à la distension NE-SO à ENE-OSO a per- de créer des documents cartographiques thématiques
sisté au cours du Quaternaire. Elle est attestée par la for- géoréférencés,utiles pour les acteurs de terrain.Par ailleurs,
mation de cônes torrentiels actuels et le décalage du il parait nécessaire de mettre en place de nouveaux moyens
réseau hydrographique dans l’avant-pays oriental rifain de surveillance des talus, tels que l’interférométrie radar
(Tabyaoui, 2000). D’autres indices de manifestations néo- (Deffontaines et al., 2015) pour déterminer l’évolution et
tectoniques ont été relevés sur les glacis et les cônes allu- l’activité des glissements proches de l’autoroute.
viaux quaternaires récents du front sud-rifain au nord de
Fès (rides de Zalagh et Trhat) par Charai et al., (2004). La Bibliographie
direction de raccourcissement est en accord avec le méca- Cherai B., Charroud M., Lahrach A. et El Moutaouakil N., 2004.
nisme géodynamique régional marqué par un régime de Le front sud rifain une expression complexe d’une tectonique
rapprochement Afrique - Europe, avec une vitesse moyen- tangentielle à la limite du bassin de Saïs au Mio-Pliocène et
ne de l’ordre de 4 à 6 mm/an (De Mets, 1993), confirmée au Quaternaire (Région de Fès, Maroc). Colloque international
A. Faure Muret, Rabat, Maroc, 13.
récemment par les champs de vitesse GPS (Tahayt et al.,
Cherkaoui T. E., 1991. Contribution à l'étude de l'aléa sismique
2008). Cette convergence est accompagnée d’une activi-
au Maroc.Thèse de l'Université Joseph Fourier, Grenoble, 246.
té sismique, quoique faible, avec des magnitudes qui ne
DeMets C.,1993. Earthquake slip vectors and models of present-
dépassent pas la valeur de 4,6 (Cherkaoui, 1991). Cependant
day plate motions, J. geophys. Res., 98, 6703-6714.
les secousses du tremblement de terre d'El Hoceima du 25
Deffontaines B., Kaveh F., Fruneau B., Arnaud A. et Duro J., 2015.
février 2004 (magnitude 6.1), ont été ressenties dans les Monitoring Swelling Soils in Eastern Paris (France) Through Din-
villes de Taza et de Fès… SAR and PSI Interferometry: A Synthesis. G. Lollino et al. (eds.),

Figure 3. Explication géologique et structurale des fentes de tensions et des fractures affectant les argiles marneuses du Messinien de la région de Bel Hri-
cha. A : 3 familles verticales : N105°E échelon dextre, « couloir » N130°E fente de tension, N165°E en échelon sénestre compatibles avec un régime décrochant
plio-quaternaire (σ1 = N130°E, σ2 = vertical, σ3 = N040°E) et B : réactivation en glissement de terrain si potentiel érosif favorable suivant les couloirs de frac-
turation des N130°E. Détachement peu profond (15-20m) matérialisé par la localisation des fentes de tension et des fentes en échelon. Source : les auteurs. 91

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aménagements et géotechnique

Engineering Geology for Society and Territory – Vol. 5, © Sprin- Radar SAR-ERS, Landsat-MSS) à la cartographie des structures
ger International Publishing Switzerland 2015. 195-202. géologiques du Maroc nord-oriental. Tectonique cassante,
Durand Delga M., Hottinger L., Marçais J., Mattauer M., Milliard cinématique et contexte géodynamique du Trias à l'Actuel.
Y. et Suter G., 1962. Données actuelles sur la structure du Rif. Thèse Doct. Nationale, Mohammed V, Rabat, 338.
Mém. Soc. géol. France [h. s.), 399-422. Tahayt A., Mourabit T., Rigo A., Feigl K.L., Fadil A., McClusky S.,
Mouhssine M.,Touzani A., Zinoune S. et Mahtal A., 2015.Terras- Reilinger R., Serroukh M., Ouazzani-Touhami A., Ben Sari D. et
sements sur terrains marneux sensibles aux glissements : Vernant P., 2008. Mouvements actuels des blocs tectoniques
cas des terrains et remblais autoroutiers entre Oued Amlil et dans l’arc bético-rifain à partir des mesures GPS entre 1999 et
Taza (Rif, Maroc). Physio-Géo, Vol. 9, 1, 61-80. 2005. C. R. Geoscience, 340, 400-413.
Suter G., 1965. La région du Moyen Ouerrha (Rif. Maroc) : Étu- Tribak A., El Garouani A. et Abahrour M., 2012. L’érosion hydrique
de préliminaire sur la stratigraphie et la tectonique. Notes dans les séries marneuses tertiaires du prérif oriental : agents,
Mém. Serv. Géol. Maroc, 183. 7-17. processus et évaluation quantitative. Rev. Mar. Sci. Agron.Vét.
(2012) 1:47-52.
Tabyaoui H., 2000. Apport des données satellitaires (Spot-XS,

92

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Étude de l’érosion pluviale des talus autoroutiers au Maroc


et proposition d’un système de protection par arcades bétonnées :
application aux sections Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza
Amal Chehlafi 1 , Azzouz Kchikach 2* et Abdelkrim Derradji 3 .

Les tracés autoroutiers au Nord et à l’Est du Maroc de ruissellement. Ceci conduit à des zones inondées si ces
traversent des zones montagneuses générant une série de voies ne sont pas régulièrement récurées et génère un
déblais et remblais parfois de grandes hauteurs. Les déblais alourdissement du coût d’exploitation de l’ouvrage.
sont généralement établis dans des sols pélitiques et mar- La protection des talus autoroutiers et routiers
neux très vulnérables à l’érosion pluviale. Sous l’effet des contre l’érosion externe est donc nécessaire pour limiter
changements climatiques, les précipitations sont très irré- tous les effets précités et assurer une bonne rentabilité de
gulières et se caractérisent par des averses souvent agres- l’ouvrage. L’objectif de cet article est de présenter et dis-
sives. Ces dernières engendrent des pertes en terres cuter les résultats de l’étude de l’érosion pluviale sur les
importantes qui peuvent compromettre la sécurité et la talus de déblais des autoroutes Tanger-Port Tanger Med
durabilité des ouvrages autoroutiers. La Société Nationa- et Fès-Taza (Fig. 1a). La méthode originale de protection
le des Autoroutes du Maroc, déploie un important pro- employée a été celle des arcades bétonnées dont le fonc-
gramme de recherche et des travaux de terrain pour mai- tionnement et le dimensionnement sont développés ci-après.
triser et lutter contre l’érosion hydrique des talus. Cette
étude concerne l’évaluation des pertes en terres de ces
talus dans les sections autoroutières de Tanger-Port
Tanger Med et Fès-Taza. Elle est basée sur l’adaptation de
l’équation universelle des pertes en terres définie par les
agronomes à l’échelle du talus autoroutier. Ceci permet de
proposer une méthode de dimensionnement d’un système
d’arcades bétonnées pour les protéger. La stabilité des talus
de déblais,plusieurs années après la mise en place des arcades
témoigne de l’efficacité de ce système de protection.

Importance du problème
L’érosion et l’instabilité des masses rocheuses frac-
turées ou tendres qui constituent les talus autoroutiers et
routiers est un phénomène récurrent auquel s’affronte
le projeteur, notamment au regard des problèmes de
maintenance des infrastructures routières et de gestion
des risques. Les mécanismes d’instabilité en jeu sont sou-
vent complexes et nécessitent des réflexions pluridisci-
plinaires en vue de les prendre en compte dès la concep-
tion et durant toute la vie des ouvrages. Dans les régions
où les affleurements sont dominés par une alternance de
couches tendres argileuses, marneuses ou de flyschs et de
barres rocheuses, l’érosion externe du talus autoroutier est
souvent à l’origine de chutes de cailloux et blocs qui peu-
vent parfois s’étaler à des distances considérables sur la Figure 1. (a) : Localisation des sections autoroutières étudiées.Exemples
d’érosion pluviale des talus observée dans certains déblais de la section auto-
chaussée avec des risques pour les personnes et des routière Tanger-Port Tanger Med ; à gauche (b), un ravinement important
entraves à la circulation. Cette érosion engendre aussi un avec éboulement des matériaux et comblement de la cunette du pied du
déblai au PK4 27 ; à droite, (c) des ravinements constatés plusieurs années
dysfonctionnement du réseau d’assainissement routier après la mise en place d’arcades bétonnées sur le talus du déblai situé au
par le colmatage des voies destinées à acheminer l’eau PK10. Source : les auteurs. 93

1. Doctorante, Laboratoire L3G, Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie), UCA. Courriel : chehlafi.amal@gmail.com
2. Enseignant chercheur, Laboratoire L3G, Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie), UCA. Courriel : a.kchikach@uca.ma * Auteur correspondant.
3. Chef de division du développement technologique et relation avec l’extérieur, ADM. Courriel : derradji.abdelkrim@adm.co.ma
4. Point Kilométrique.

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aménagements et géotechnique

Les premiers essais expérimentaux au Maroc dans sion peut être quantifiée par des méthodes directes telles
l’utilisation des arcades bétonnées pour protéger les talus que les mesures topographiques sur parcelles expérimen-
autoroutiers contre l’érosion pluviale ont été réalisés par tales (avec ou sans simulation de pluie), étude du trans-
la Société Nationale des Autoroutes du Maroc (ADM) au port solide ou de la sédimentation dans les retenues (Sabir,
niveau des déblais situés au PK 10 et au PK 27 de l’autoroute 1986 ;Wall et al., 2002 ; Reiffsteck, 2004 ;Yjjou, 2014). Nous
Tanger-Port Tanger Med (voir figure 1a). Des arcades d’un avons développé un modèle de calcul basé sur l’équation
rayon de 25 m ont été arbitrairement utilisées. Les obser- universelle des pertes en terres (USLE : Universal Soil Loss
vations faites quelques années après leur mise en place Equation,Wischmeier 1960),utilisée dans le domaine agri-
montrent que pour diminuer considérablement le taux cole pour évaluer le taux d’érosion des bassins versants. La
d’érosion du talus, la dimension des arcades doit être simplification et l’adaptation de cette équation à l’échelle
adaptée au type de sol constituant le talus. C’est dans ce du talus autoroutier a permis d’en déduire la quantité
cadre qu’une étude visant l’élaboration d’un modèle numé- annuelle de terre érodée. Contraint par un seuil de tolé-
rique de conception et de dimensionnement des systèmes rance fixé au comblement du tiers de la hauteur du fossé
de protection des talus autoroutiers par arcades béton- du pied du talus autoroutier, nous avons déterminé le dia-
nées a été entreprise en collaboration entre l’équipe de mètre optimal des arcades en fonction du type de sol consti-
recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie » de l’universi- tuant le talus. L’étude a montré que la pente et la texture
té Cadi Ayyad-Marrakech et l’ADM. du sol sont les facteurs les plus déterminants dans les taux
des pertes en terres d’un talus autoroutier.
Évaluation de l’érosion L’équation des pertes en terres est une relation
d’un talus autoroutier empirique qui donne la perte de sol annuelle par hecta-
re (A) comme le produit de six facteurs :
L’érosion pluviale des sols des talus a jusqu’à pré-
sent été étudiée par les agronomes et pédologues (Renard A = R.K.L.S.C.P
et al., 1997) qui ont analysé le phénomène et proposé des A : perte de sol annuelle moyenne possible à long terme
démarches expérimentales pour tenter de la quantifier. (t/ha.an) ;
Très sommairement, on peut schématiser l’analyse qu’ils R : indice d’érosivité des pluies (MJ5.mm/ha.h.an) ;
en ont faite, en disant que ce phénomène est un proces- K : facteur d’érodibilité (t.h/MJ.mm) ;
sus qui, une fois amorcé, s’accélère tant que les condi-
L : longueur de l’arcade selon la pente (m) ;
tions de pluie qui l’ont initié, ne régressent pas et qui,
lorsqu’il est interrompu, peut reprendre dès que ces condi- S : facteur d’inclinaison de pente (adimensionnel) ;
tions sont à nouveau retrouvées. Le résultat, est l’appari- C : indice de culture (adimensionnel) ;
tion dans le talus de petites griffes ou rigoles de quelques P : facteur de pratiques antiérosives (adimensionnel).
centimètres de largeur et profondeur qui se développent
L’analyse fine des paramètres de l’équation USLE
pour donner des ravines plus larges et plus profondes sus-
permet de s’approcher au mieux des réalités du terrain. La
ceptibles de mettre sérieusement en péril la stabilité du
véracité des résultats a été prouvée par plusieurs études
talus (Fig. 1b et c).
de cas. Les données intégrées dans cette équation sont
Les gouttes de pluie frappant le sol, mis à nu par les généralement disponibles ou acquises lors des études
travaux de terrassement, délogent les particules miné- d’avant-projet liées aux projets autoroutiers et routiers.
rales et organiques alors que le ruissellement de surface
transporte ces dernières jusqu’aux zones de sédimenta-
tion. Le potentiel érosif des pluies dépend de leur inten-
Application au dimensionnement
sité, de la taille moyenne des gouttes et de la vitesse de des arcades bétonnées utilisées pour
chute. La vélocité du ruissellement de surface est pro- la protection des talus des déblais
portionnelle à la pente du terrain. La force érosive et la
capacité de transport des particules augmentent avec la
des sections autoroutière Tanger-
vitesse d’écoulement de l’eau. Les sols tendres à faible Port, Tanger-Med et Fès-Taza.
cohésion (argiles, marnes, pélites, flysch, sable, terre L’étude de l’érosion pluviale des talus autoroutiers
rocailleuse, etc.) sont plus vulnérables à l’érosion. basée sur l’adaptation de l’équation USLE à l’échelle de la
Il existe plusieurs méthodes d’évaluation de l’érosion superficie des talus des déblais a été réalisée dans le cadre
des sols. Ces méthodes varient en fonction de l’objectif de de la construction des autoroutes Tanger-Port Tanger Med
94 l’étude et des échelles spatio-temporelles considérées.L’éro- et Fès-Taza. La plupart des déblais sont établis dans des

5. Megajoule.

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Figure 2. (a) : Subdivision de la superficie du talus en plusieurs parcelles et pertes en terres annuelles globales pour chaque subdivision ; (b) : Nombre d’ar-
cades à mettre en place pour chaque subdivision ; (c) : Dimensions des arcades et technique de mise en place ; (d) : Vue panoramique des arcades mises en
place sur le talus de déblai au PK 228 de la section autoroutière Fès-Taza. Source : les auteurs. 95

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

formations pélitiques pour le premier cas et dans des les quantités des terres érodées. Pour ce faire, nous avons
marnes grises plus au moins compacts pour le second pris un talus d’une superficie de 1 ha que nous avons sub-
cas. L’indice d’érosivité « R » moyen a été calculé par la divisée en de petites parcelles carrées successivement de
formule de Wischmeier (1978), en considérant les intensités 100, 50, 25, 20, 15, 10, 5, 3, 2 et 1 m de côté. On calcule tout
maximales des pluies (mm/h) extraites des données plu- d’abord les pertes en terres générées par chaque petite par-
viométriques des vingt dernières années fournies par les celle, en considérant les paramètres R et K préalablement
agences des bassins hydrauliques de Loukous et de Sebou. déterminés, puis on les additionne pour trouver la quan-
Les valeurs d’indice d’érosovité obtenues sont très com- tité annuellement érodée pour toute la superficie du talus.
parables pour les deux régions étudiées. Nous avons rete- La figure 2 illustre la méthode adoptée pour définir les
nu la valeur R = 312 MJ.mm/ha.h.an, pour le calcul des arcades mises en place pour protéger les talus des déblais
pertes annuelles en terre. contre l’érosion pluviale.
L’érodibilité du sol représente sa vulnérabilité à Les pertes en terres varient énormément avec la
être érodé par la pluie. Elle est essentiellement liée à sa tex- longueur de la pente (Fig.3) : la quantité annuellement
ture. L’effet de cette dernière a été analysé à l’échelle du érodée diminue, par exemple, de presque 40% en pas-
talus autoroutier en superposant la codification utilisée sant d’une longueur de pente de 100 m à 25 m. Ce para-
par l’équation USLE à la classification selon le Guide de Ter- mètre est donc un facteur déterminant du taux d’érosion
rassement Routier Marocain (GTRM) des sols étudiés, pluviale des sols. L’érosion est d’autant plus élevée que la
adapté de la classification générale française GTR 92. Les longueur du ruissellement est importante. La réduction de
pélites de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med la longueur de ruissellement de l’eau selon la pente du
constituent une formation rocheuse de classe « C »6. Une talus peut donc être un bon moyen pour limiter le taux
fois altérés,ces matériaux se délitent complétement et leur d’érosion de ce dernier.
granulométrie évolue vers la fraction fine et deviennent La mise en place des arcades, réduit en réalité un
« A2/A3 ». Les essais d’identification effectués sur les peu la surface du talus exposée à l’érosion. Nous avons ain-
marnes grises, dans lesquelles sont établis la plupart des si déterminé pour chaque subdivision de la superficie du
déblais de la section autoroutière Fès-Taza, permettent talus du déblai, le nombre d’arcades à mettre en place et
de les classer « B1 » à « B3 » selon le GTRM. Le pourcenta- la surface réellement concernée par l’érosion. Le tableau 1,
ge des différentes fractions granulométriques des deux montre à titre d’exemple, quelques résultats obtenus.
matériaux précités a été déterminé puis comparé aux
Le choix du diamètre optimal des arcades a été
codes utilisés dans l’équation USLE pour calculer le facteur
déterminé en tolérant un colmatage instantané du tiers
d’érodibilité des sols.
de la hauteur de la cunette du pied du déblai. Pour un
Les calculs effectués montrent que les sols de type talus carré de 100 m de côté, une section de la cunette de
A, qui contiennent plus d’éléments fins, sont générale- 0.5 m2 et un poids volumique du charriage de 20 kN/m3,
ment facilement érodables. Pour un même sol, l’érodibi- on trouve un seuil tolérable de :
lité diminue lorsque la teneur en argile augmente. Les
A = 1/3 x 0.5x 100x 20 = 33,33 tonnes.
valeurs parfois élevées du facteur d’érodibilité K des sols
de type B peuvent être expliquées par leur structure hété- Ce seuil correspondrait à un diamètre d’arcades
rogène qui favorise le détachement des particules fines. de 7 m et par conséquent à une mise en place de 52 arcades
Nous avons ainsi retenu les valeurs maximales de K= 0,072
t.h/MJ.mm et K = 0,054 t.h/MJ.mm pour calculer les pertes
en terres, respectivement pour les pélites de Tanger et
pour les marnes grises du couloir Fès-Taza.
Les facteurs d’érosivité R et d’érodibilité K étant
déterminés, on attribue la valeur de 1 aux paramètres « C
» et « P » de l’équation USLE considérés sans influence à
l’échelle du talus nu du déblai. La quantité des pertes en
terres est alors uniquement fonction de la pente et de la
longueur selon la plus grande pente du talus. Sachant
que le calcul de stabilité au glissement préalablement
réalisé pour les ouvrages en déblai dans les deux sections Figure 3. Variations de la perte en terres (tonnes/an) pour un talus de 1ha
de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med en fonction de la lon-
autoroutières donne en général une pente de 3H/1V (33%), gueur de la pente L (m). (pente de talus S = 33% ; érosivité R = 312
96 il reste à analyser l’effet de la longueur selon la pente sur MJ.mm/ha.h.an ; érodibilité K = 0.072 t.h/MJ.mm). Source : les auteurs.

6. Sols argileux : A ; sols intermédiaires : B ; formations rocheuses : C.

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Parcelle Nombre Superficie Pertes ment de 10 à 40 cm et de 40 à 70 cm. De même la largeur


d’arcades concernée par en terres des perrés maçonnés varie avec de le diamètre de 0,4 à 1 m.
l’érosion (m2) A (T/an)
Une fois mises en place, des raccordements en béton
Parcelle sans arcades - 10000 345 arcs/cunette du déblai sont réalisés.
Parcelle avec arcades 2 9300 201, 81
La protection des talus de déblais par le système
de 50 m de diamètre
d’arcades bétonnées a amélioré considérablement la sta-
Parcelle avec arcades 8 8700 123,30
de 25 m de diamètre bilité des talus (Fig. 4a et 4b). De plus, ADM a développé
Parcelle avec arcades 32 7650 72,03 dans le cadre de programmes de recherche, des tech-
de 10 m de diamètre niques ingénieuses de fixation des sols basées sur le génie
Parcelle avec arcades 52 6970 36,24 biologique. Il s’agit de fixer le sol en le couvrant avec des
de 7 m de diamètre canisses de roseaux ou pailles. Les canisses sont formées
de matériaux biodégradables et permettent de limiter
Tableau 1. Nombre d’arcades pour chaque subdivision adoptée pour un talus l’érosion pluviale en attendant la poussée des semences
de 1 ha et pertes en terres annuelles correspondantes.
qu’ils abritent. Une autre technique consiste à ensemen-
cer le talus avec des espèces herbacées autochtones fine-
pour couvrir la totalité de la superficie du talus. En réali-
ment choisies (Fig. 4c). Le couvert d’herbacés est consoli-
té, le seuil ainsi déterminé est surestimé, car nous avons
dé par la plantation d’arbres et arbustes qui s’adaptent au
considéré un talus parfaitement nu, sans végétation et
climat de chaque région.
ignoré la reprise des sédiments déposés dans la cunette7
à la faveur de précipitations successives. La mise en pla-
ce des arcades réduit la surface exposée à l’érosion et la Conclusions et perspectives
plantation et/ou la poussée d’herbacés font diminuer Cette étude a permis de mieux appréhender le pro-
considérablement les pertes en terres annuelles. blème de l’érosion pluviale des talus autoroutiers dans
Les calculs des pertes en terres ont permis de fixer les régions Nord et Est du Maroc. Elle montre que le taux
le seuil tolérable pour deux talus de déblais représenta- des pertes en terres à l’échelle du talus de déblai est essen-
tifs, choisis respectivement dans les sections autorou- tiellement lié à la texture du sol le constituant et à la lon-
tières Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza. Pour tenir comp- gueur du ruissellement selon sa pente. L’analyse de ces
te de la poussée spontanée des herbacés sur les talus, deux paramètres a permis d’esquisser un modèle de
nous avons pris la valeur de C= 0.8 pour le facteur du cou- dimensionnement d’un système d’arcades bétonnées
vert végétal indiqué dans l’équation USLE. Les talus ne pour protéger les talus de déblais contre l’érosion hydrique.
contiennent pas de risbermes8, le facteur P de l’équation Des arcades de 10 m de diamètre ont été conçues et mises
universelle est pris égal à 1. Les résultats des calculs don- en place sur les talus de plusieurs déblais des sections
nent respectivement un diamètre de 11,2 m pour le talus autoroutières Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza. Les cal-
de flysch (Tanger) et de 7,36 m pour le talus de marnes (Fès- culs des pertes en terres annuelles intégrant les données
Taza). pluviométriques et la nature des sols in situ, donnent une
Tenant compte des résultats de cette étude, l’ADM réduction d’environ 40% si des arcades sont mises en pla-
a opté pour la conception et l’utilisation d’arcades de 10 m ce. La stabilité des talus, plusieurs années après l’expéri-
de diamètre. Des travaux de construction et de mise en pla- mentation de ce système de protection, témoigne de son
ce de ces arcades pour protéger contre l’érosion pluviale efficacité.
les sols pélitiques et marneux des deux sections auto- La détermination des paramètres de l’équation
routières étudiés ont été ainsi lancés (Fig. 2c et 2d). L’ADM universelle des pertes en terres et du diamètre optimal cor-
compte généraliser ce système de protection des talus respondant au seuil d’érosion tolérable nécessite des cal-
pour tous les futurs projets autoroutiers du Maroc. culs parfois lents. Nous avons programmé une petite appli-
Les arcades se présentent sous forme d’arcs en cation qui permet d’avoir rapidement les résultats des
béton armé coulé en place ou acheminés au chantier en calculs avec possibilité de les reprendre si nécessaire sans
éléments préfabriqués.La partie en voûte est prolongée par que cela ne soit contraignant. Cette application permet
des longrines9 selon la pente. Des perrés10 maçonnés entre d’estimer les pertes en terres sur un talus nu sans
éléments verticaux et éléments de voûtes complètent le protection, puis de calculer le diamètre des arcades qui
dispositif. La largeur et la hauteur des longrines varient en permettrait de ramener ces pertes au seuil toléré.
fonction du diamètre des arcades. Elles sont respective- Le coût de fabrication et de mise en place des 97

7. Canal d’évacuation de l’eau pratiqué le long d’une chaussée.


8. Replat intermédiaire dans un talus.
9. Poutre rectangulaire de support.
10. Revêtement en béton autour d’une arcade (voir figure 4b).

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aménagements et géotechnique

Figure 4. (a) : Photographies montrant un talus nu érodé et sa continuité latérale intacte où ont été mises en places des arcades au PK 185 de l’autoroute
Fès-Taza et (b) état du déblai au PK 27 de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med avant et après mise en place des arcades ; (c) : Fixation du sol par
végétalisation moyennant l’ensemencement du talus avant ou après la mise en place des arcades. Clichés : les auteurs.
98

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

arcades peut apparaître assez élevé. D’autres techniques Renard K. G., Foster G. R., Weesies G. A., McCool D. K. et Yoder
antiérosives, notamment le développement d’un couvert D. C., 1997. Predicting Soil Erosion by Water: A Guide to Conser-
végétal à base d’espèces autochtones, pourront être com- vation Planning with the Revised Universal Soil Loss Equa-
tion (RUSLE). Agricultural Handbook, N703, US Department
binées aux arcades pour diminuer le coût global de la pro- of Agriculture, Washington DC, 212 p.
tection du talus. Par ailleurs, elles n’offrent une protec-
Sabir M., 1986. Ressources en eau et aménagement : l’érosion
tion contre l’érosion que sur des talus dont on a vérifié la hydrique et sa quantification. Mémoire de DEA, université
stabilité interne. Paris 6, Département d’hydrologie, 183 p.
Wall G.J., Coote D.R., Pringle E.A. et Shelton I.J., 2002. RUSLE-CAN :
Remerciements Équation universelle révisée des pertes de sol pour application au
Canada. Manuel pour l’évaluation des pertes de sol causées par
Les auteurs remercient les responsables de l’ADM l’érosion hydrique au Canada.Direction générale de la recherche,
pour leur collaboration et pour l’intérêt qu’ils portent à la Agriculture et Agroalimentaire Canada, AAC2244F, 117 p.
recherche scientifique et au partenariat avec les univer- Wischmeier W.H., 1960. A rainfall erosion index for a univer-
sités. Cette étude a été réalisée grâce au soutien du comi- sal soil loss equation. Soil Sci. Soc. Am. Proc., 23, 246-249.
té mixte interuniversitaire franco-marocain (programme Wischmeier W.H. & Smith D.D., 1978. Predicting rainfall erosion
Toubkal 15/17, nº 32401XB) losses. A guide to conservation planning, U.S.Department of
agriculture, Handbook n°537, 58 p.
Yjjou M., 2014. Modélisation de l’érosion hydrique via les SIG
Références bibliographiques et l’équation universelle des pertes en sol au niveau du bas-
sin versant de l’Oum Er-Rbia.The International Journal of Engi-
Reiffsteck Ph., 2004. Érodabilité des sols dans le cadre des
neering and Science (IJES), 14, 85-97.
terrassements. Journées Nationales de Géotechnique et de
Géologie de l’ingénieur, Lille 2004, 65-72.

99

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

La construction des barrages et la politique de mobilisation


des eaux de surface au Maroc
Khalid El Ghomari 1 .

La construction des barrages au Maroc La période de 1956 à 1966 a été marquée par la
réalisation de trois barrages à savoir : Mohamed V sur la
Moulouya, Nakhla au Nord et la digue de Safi.
Les premiers barrages
Cette décennie peut être considérée comme une
L'eau de surface subit des fluctuations d'apports phase de transition qui a permis d'évaluer les ressources en
importantes selon l'hydraulicité de l'année. Pour assurer eau du pays et de définir les objectifs permettant d'activer
la permanence de la fourniture d'eau, il est nécessaire de le développement du secteur de la mobilisation de l'eau.
maîtriser les apports d'eau des années humides pour pou-
Ainsi, dans l'ensemble jusqu'en 1966, la politique
voir faire face aux besoins en eau des années sèches. C'est
de mobilisation de l'eau est restée assez timide puisqu'en
à cette fin que sont réalisés les grands barrages réservoirs
38 ans, n'ont été construits que 16 ouvrages d'une capa-
et les adductions régionales de transfert d'eau au Maroc.
cité totale de 2,2 milliards de m3.
C’est en effet, dans les années 1920 que l’intro-
duction des aménagements modernes a débuté avec la Le développement de la construction
réalisation des premiers grands barrages réservoirs. L’ob- des barrages (1967-1986)
jectif de ces barrages était principalement orienté vers la
fourniture d’eau potable, d’eau pour l’irrigation et la pro- C'est à partir de 1967 que FEU SA MAJESTE LE ROI
duction d’électricité. HASSAN II a donné une impulsion nouvelle et décisive à
la politique des barrages, en décidant la construction
Le développement de la mobilisation des eaux de
immédiate de 6 grands ouvrages devant constituer la pre-
surface au moyen des grands barrages est passé par
mière phase d'un vaste et ambitieux programme dont
plusieurs étapes.
l'objectif principal devait aboutir à l'irrigation d'un mil-
Durant la période allant de 1925 à 1956, la politique lion d'hectares avant l'an 2000.
de mobilisation de l'eau consistait à construire des barrages
Au cours de cette même année, la Direction Géné-
dans les régions à fortes potentialités en eau de surface
rale de l'Hydraulique fut créée pour se charger de l'éva-
pour assurer la production d'énergie électrique et dans
luation, la planification et la mobilisation des ressources
les régions à centres urbains importants pour répondre aux
en eau du pays, ainsi que de la mise en application de la
besoins en eau potable.
législation de l'utilisation des eaux et de la sauvegarde
Ainsi jusqu' à 1956, le bilan des équipements en du patrimoine hydraulique. Les principaux barrages réser-
matière de barrages et de grande hydraulique en général voirs ainsi mis en service durant cette période sont les
a été très faible eu égard aux potentialités disponibles. En suivants :
effet, en 30 années, il n'a été construit que 13 barrages au
Barrage Moulay Youssef, 1970, destiné à l'irrigation de la
total qui permettaient de stocker environ 1,8 milliards de m3
Tessaout. Avec une hauteur de 100 m, sa retenue est
et de régulariser un volume de 1,5 milliards de m3,chiffre qui
d’une capacité de près de 190 millions de m3 (hm3) ;
représente moins de 10% du volume des eaux de surface
régularisables estimé à environ 15 milliards de m3. Barrage Hassan Addakhil, 1971, destiné à l'irrigation de
la vallée du Ziz. Avec une hauteur de 85 m, il constitue
Le premier barrage à but énergétique, fut construit
un réservoir de 350 hm3 ;
en 1925 à Sidi Saïd Maâchou sur l'Oum Er R'bia pour être
mis en eau en 1929. Le premier grand barrage à but agri- Barrage Mansour Eddahbi, 1972, destiné à l'irrigation
cole, à savoir Kasba Tadla, fut achevé en 1931. de la vallée de Drâa. Avec une hauteur de 70m, il dispose
d’une retenue de 530 hm3 ;
Le plus grand barrage construit durant cette pério-
de, en l’occurrence Bin El Ouidane sur Oued El Abid, fut mis Barrage Youssef Ben Tachfine, 1972, destiné à l'irriga-
en eau en 1953. Il permettait avec la capacité utile de sa tion de la plaine du Massa. Avec une hauteur de 85 m,
retenue de 1,4 milliards de m3 d'assurer une production il permet le stockage de près de 300 hm3 ;
100 annuelle de 500 millions de kWh. Barrage Idriss Premier, 1973, destiné à l'irrigation de la

1. Directeur des Aménagements Hydrauliques (DAH), Ministère des Mines de l’Eau et de l’Environnement, rue Hassan Ben Chekroun, Agdal, Rabat, Maroc.
Courriel : elghomari@water.gov.ma

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aménagements et géotechnique

plaine du Gharb. Haut de 72 m, il constitue une rete- complexe assure le renforcement de la régularisation des
nue d’une capacité de 1 200 hm3 ; eaux du Sebou pour l’irrigation, la production d’énergie
Barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah, 1974, destiné à et l’AEPI ;
l‘AEPI de la zone Kénitra-Casablanca. Avec une hauteur Barrage Smir, 1991, d’une hauteur de 45 m et de 43 hm3
de 98 m, sa retenue est de près de 486 hm3. Sa surélé- de capacité, il assure l’alimentation en eau potable de
vation achevée en 2007 a permis de porter sa capacité la région de Tétouan ;
de stockage à 1 025 hm3. Barrage Garde de Sebou, 1991 : c’est un ouvrage mobile
Entre 1975 et 1986, la mobilisation des eaux de sur- qui permet la limitation des pertes d’eau en mer et
face a été renforcée par la mise en service de cinq impor- maintient un plan d’eau au profit des pompages
tants ouvrages hydrauliques : destinés à l’irrigation ;
Barrage Al Massira, 1979, il permet avec une hauteur de Barrage Aoulouz, 1991, ouvrage en BCR (béton compac-
82 m de constituer une retenue de près de 2 700 hm3 au té au rouleau) de 79 m de hauteur et de 110 hm3 de
profit du périmètre de Doukkala ; capacité. Il permet la réalimentation de la nappe du
Barrage Oued El Makhazine, 1979, avec une hauteur de Souss qui souffre d’une intense surexploitation à des fins
67 m, la capacité de sa retenue est de 710 hm3. Il est agricoles ;
destiné à l'irrigation du périmètre du Loukkos, l'appro- Barrage 9 Avril 1947, mis en service en 1995, avec 52 m
visionnement en eau potable des centres urbains de la de hauteur, il permet le stockage de 300 hm3, et est
région et la production d'électricité ; destiné à l’AEPI de la ville de Tanger ;
Barrage Abdelmoumen, 1981, il permet avec une hauteur Barrage Sidi Chahed, 1997, d’une hauteur de 60 m, il
de 94 m de stocker 216 hm3 au profit de l'irrigation dans permet la régularisation d’un volume annuel de 80 hm3
la plaine du Souss ; pour le renforcement de l’AEPI de la région de Meknès,
Barrage Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, 1981, l’irrigation et le soutien des débits d’étiage.
avec une hauteur de 40 m et une capacité de stockage Ce programme de réalisation de grands barrages
de 36 hm3, il permet l'irrigation de la plaine du Neckor a été couronné par la réalisation du grand Barrage
et dessert en eau potable la ville d'Al Hoceïma ; Al Wahda (Photo 1) inauguré par FEU SA MAJESTE LE ROI
Barrage Hassan Premier, 1986, il permet avec une HASSAN II le 20 mars 1997.
hauteur de 145 m de mobiliser 262 hm3 au profit de Ce barrage, le plus important du Maroc avec une
l'irrigation de la Tessaout – aval et de l'eau potable de retenue de 3 800 hm3 et le deuxième plus grand barrage
la ville de Marrakech. d'Afrique, a fait accroître la capacité de stockage des grands
En parallèle avec les grands barrages, et en vue de barrages de près de 40%. Il permet d'assurer l'irrigation de
favoriser un accès équilibré à l'eau sur l'ensemble du pays, 100 000 ha dans la plaine du Gharb,de produire en moyen-
FEU SA MAJESTE LE ROI HASSAN II a initié en 1984 le lan- ne 400 millions de kWh par an et d'assurer la protection
cement d'un programme de construction de petits et de la plaine du Gharb contre les inondations. À ce titre, sa
moyens barrages. De nombreux ouvrages ont ainsi été mise en eau est venue à point nommé puisqu'il a permis
édifiés à travers le Royaume dans les zones dépourvues
d'eau souterraine en vue de répondre à des besoins locaux
d'eau potable, d'irrigation ou pour protéger les personnes
et les biens publics et privés contre les inondations.

Un barrage par an depuis 1986


À partir de 1986, et pour consolider cette politique
de barrages, FEU SA MAJESTE LE ROI HASSAN II décida la
réalisation d'un grand barrage par an afin de renforcer la
mobilisation de l'eau. Cette période a connu la réalisation
de grands ouvrages structurants, dont :
Complexe Allal Al Fassi, 1991, composé du barrage d’une
capacité de 82 Mm3, de la galerie de Matmata d’un débit
de 38 m3/s et du bassin de compensation de 1,5 Mm3. Ce Photo 1. Barrage de El Whada – région du Gharb. Source : cliché DAH. 101

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de laminer les crues de décembre 1996 et janvier 1997 et tra et Casablanca.


d'éviter ainsi des dégâts aux infrastructures en aval et à Barrage Tanger-Med, 2007, 80 m de hauteur et 25 hm3
la production agricole. de capacité. Ce barrage est destiné à l’alimentation en
En confirmation de son rôle stratégique pour le eau potable du complexe portuaire de Tanger-Médi-
pays, la politique des barrages a été consolidée par SA terranée ainsi que sa protection contre les inondations.
MAJESTE LE ROI MOHAMMED VI. Ainsi, parmi les plus Barrage Yacoub Al Mansour, 2008, 70 m de hauteur et
importants ouvrages structurants mis en service ces der- 70 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné au renfor-
nières années on peut citer : cement de l’alimentation en eau potable de Marrakech.
Barrage Oued Za,1998,barrage voûte de 61 m de hauteur Barrage Abou Al Abbas Sebti, 2013, 75 m de hauteur et
et 275 hm3 de capacité, destiné à l’AEPI des villes d’Oujda 24,5 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné principa-
et Taourirt, à l’irrigation de 4000 ha en plus de la pro- lement au renforcement de l’alimentation en eau
tection du Barrage Mohamed V contre l’envasement. potable de la ville de Chichaoua et sa région ainsi que
Barrage Mokhtar Soussi, 2001, avec une hauteur de 61 m l’irrigation de près de 5 200 ha.
et une retenue de 50 hm3 ; ce barrage permet de cou-
vrir les besoins en eau d'irrigation d'appoint pour la Des barrages en chantier
sauvegarde du périmètre de Sebt El Guerdane.
La priorité ainsi donnée,depuis plusieurs décennies,
Barrage Ahmed al Hansali, 2001, 101 m de hauteur et au développement des ressources en eau de surface a permis
740 hm3 de retenue. Associé au barrage Aït Messaoud, de doter le pays d'un patrimoine d'infrastructures hydrau-
il assure l'irrigation de 35 000 ha dans le Tadla, la pro- liques composé de 140 grands barrages d'une capacité de
duction de 170 GWh et fournit 65 hm3 d'eau potable stockage de l'ordre de 17,6 milliards de m3 et de 13 systèmes
aux villes de Beni Mellal,Khouribga,Oued Zem,Kasba Tad- de transfert d'eau d'une longueur totale de près de 785 km
la et Boujaâd. et d'une capacité totale de transport de 175 m3/s.
Barrage Aït Messaoud, 2003, avec une hauteur de 34 m Actuellement, et sous les hautes instructions de
et une retenue de 13 hm3, il assure la compensation des SA MAJESTE LE ROI MOHAMMED VI, le Royaume poursuit
débits turbinés par l’usine Dchar El Oued destinés à l'ir- la construction des barrages.
rigation de 35 000 ha dans le Tadla.
Ainsi, l’effort entrepris pour la mise en place de
Barrage Prince Moulay Abdellah, 2002, avec une hauteur l’infrastructure hydraulique du Royaume se traduit par la
de 65 m et une retenue de 110 hm3, il permet d’assurer construction en cours de 12 grands barrages d’une capa-
l’AEPI de la ville d’Agadir. cité totale de stockage de 2,4 milliards de m3 et dont les
Barrage Moulay Hassan Ben El Mehdi, 2005, ouvrage en plus importants sont :
terre zonée de 49 m de haut et d’une retenue de 30 hm3. Barrage Oued Martil, 100 m de hauteur et 120 hm3 de
Il contribue à l‘AEPI de Tétouan et sa région côtière. capacité, ce barrage (photo 2) permettra d’assurer l’ali-
Barrage Tamesna, 2005, ouvrage en BCR2 de 60 m de mentation en eau potable de la ville de Tétouan et sa zone
hauteur et d’une capacité de stockage de 57 hm3 ; des- côtière jusqu’à l’horizon 2030, ainsi que l’irrigation de
tiné à la protection de la ville de Mohammedia contre 1 000 ha et la contribution à la protection de la ville
les inondations, l’irrigation et l’alimentation en eau de Tétouan et la vallée de Martil contre les inondations.
potable des centres avoisinants.
Barrage Hassan II, 2006, 123 m de haut, 400 hm3 de
capacité. Ce barrage est destiné au soutien du volume
régularisé par le complexe Mohamed V-Mechrâa
Hommadi pour l'irrigation, la protection contre les crues
et le renforcement de l’AEPI.
Surélévation du barrage Sidi Mohammed Ben Abdel-
lah, 2007, Ce barrage a été construit en 1974 et a été
conçu pour être surélevé. La surélévation de cet ouvra-
ge a permis de porter la hauteur du barrage de 87,5 m
à 95 m et sa capacité de stockage de 486 hm3 à 1.025 hm3
d’eau destinée au renforcement de l’alimentation en Figure 1. Bilan actuel de la construction des barrages au Maroc. Nombre
102 eau potable de la côte Atlantique entre la ville de Kéni- et capacités cumulés (capacités en milliards de m3). Source : DAH.

2. Béton Compacté au Rouleau.

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

de 185 hm3, ce barrage permettra le renforcement


du système existant d’alimentation en eau potable
de la région de Tanger, constitué essentiellement des
barrages Ibn Batouta, 9 avril 1947 et Tanger-Med ainsi
que la nappe de Charf El Akab.
Barrage Mdez, 109 m de hauteur. D’une capacité prévue
de 700 hm3, cet ouvrage assurera l’alimentation en eau
potable des centres avoisinants et la protection contre
les inondations des zones situées à l’aval. Il permettra
également l’alimentation des exploitations du Saïss en
eau d’irrigation.
Aussi, et tout récemment à savoir au courant de
Photo 2. Barrage en construction de l’Oued Martil (région de Tétouan). l’année 2015, trois grands barrages d’une capacité totale
Source : cliché DAH.
de plus de 1 milliard de m3, sont en cours de lancement. Il
Barrage Zerrar, 73 m de hauteur, 67 hm3 de capacité. Ce s’agit de :
barrage est destiné à l'alimentation en eau potable et Barrage Kaddoussa, 62 m de hauteur. D’une capacité
industrielle de la ville d'Essaouira, du projet touristique prévue de 220 hm3, cet ouvrage assurera le renforce-
Mogador faisant partie du Plan Azur et des centres avoi- ment de l’alimentation en eau potable de la ville de
sinants jusqu’à l’horizon 2030. Il permettra également Boudnib et des centres avoisinants, le développement
d’irriguer le périmètre de Ksob d’une superficie de 1 500 de l’irrigation des périmètres aval ainsi que la protection
ha et enfin à protéger la baie et la plage d'Essaouira des zones situées à l’aval contre les inondations.
contre les inondations et la pollution dues aux crues Barrage Tiddas, 106 m de hauteur. Avec une capacité de
de l’oued Ksob. 507 hm3, ce barrage permettra l’amélioration de la régu-
Barrage Dar Khrofa,71 m de hauteur et 480 hm3 de capa- larisation des apports du bassin de l’oued Bouregreg et
cité. Ce barrage est destiné principalement à l’irrigation l’augmentation du potentiel du barrage Sidi Mohammed
du périmètre de Rissana-Souaken d’une superficie de Ben Abdellah, la contribution à la protection de la val-
18 000 ha. Il permettra également d’assurer l’approvi- lée de Bouregreg contre les inondations, l’irrigation des
sionnement en eau potable de 16 communes et au ren- périmètres situés à l’aval ainsi que la production de
forcement du système d’alimentation en eau potable l’énergie électrique.
du Tangérois.Enfin,il contribuera à la protection de la plai- Barrage Targa Oumadi, 116 m de hauteur. Avec une capa-
ne du Loukkos contre les inondations en complément cité de 287 hm3,ce barrage assurera l’alimentation en eau
du rôle assuré par le barrage Oued El Makhazine. potable de la ville de Guercif et des centres avoisinants,
Barrage Tamalout, 61 m de hauteur. Cet ouvrage, d’une le développement de l’irrigation des périmètres de la
capacité de stockage de 50 hm3, assurera l'irrigation région de Guercif, la protection des zones aval contre les
d'un périmètre de plus de 5 000 ha planté d'arbres frui- inondations, la limitation de l’envasement du barrage
tiers à l'aval du barrage et l'alimentation en eau potable Mohamed V et enfin, la production de l’énergie élec-
des agglomérations avoisinantes. trique.
Barrage Ouljet Essoltane, 99 m de hauteur. Cet ouvrage, Barrage Agdez, 110 m de hauteur. Avec une capacité de
d’une capacité de stockage de 510 hm3,contribuera au ren- 317 hm3, ce barrage assurera l’alimentation en eau
forcement de l’alimentation en eau potable de la ville de potable de la ville de Zagora et des centres avoisinant,
Meknès et les zones avoisinantes ainsi qu’à la sécurisa- l’irrigation des périmètres à l’aval et la protection contre
tion de l’alimentation en eau potable des villes de les inondations des zones aval.
Khémisset et Tiflet.Aussi,il est destiné à la production de Barrage Toudgha, 67 m de hauteur. Avec une capacité de
l’énergie hydroélectrique et au renforcement de l’irriga- 33 hm3, ce barrage assurera la protection de la vallée
tion des périmètres de la grande hydraulique du Beht et de Toudgha contre les inondations, la sauvegarde du
de la PMH située à l’aval. Et enfin, il contribuera à l’amé- site touristique des gorges de Toudgha, l’irrigation des
lioration de la protection de la région du Gharb contre les terrains cultivés à l’aval et l’alimentation en eau potable.
inondations importantes et récurrentes et à la protec- Les cartes présentées (Fig.2 et 3) montrent l’implan-
tion du barrage Al Kansera contre l’envasement. tation des barrages actuels,en cours et projetés dans tous les
Barrage Kharroub, 56 m de hauteur. Avec une capacité bassins versants de la région Nord et du Bassin du Sebou. 103

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Figure 2. Carte des barrages de la Région Nord. Source : MAH.

Importance de la Géologie ce au développement important qu’a connu ce secteur.


Actuellement, l’accès à l’eau potable est généralisé
La connaissance du contexte géologique et géo-
en milieu urbain avec un taux de branchement individuel
technique dans lequel s’intègre un projet de barrage est
au réseau de 94% contre 57% en 1975. Le reste de la popula-
d’une importance capitale dans la phase des études d’au-
tion, située dans les quartiers périphériques en zone semi-
tant qu’elle a pour objectif le choix du meilleur site pré-
urbaine, est desservie par des bornes fontaines.
sentant des caractéristiques favorables à la faisabilité de
l’ouvrage ainsi que du type du barrage le mieux adapté au L’alimentation en eau potable des populations
site. À cet effet, la détermination de la nature et de la rurales s’est développée notamment à partir de 1995 avec
structure géologique de la fondation à diverses échelles, le lancement du Programme d’Approvisionnement Grou-
voire régionale pour la cuvette et locale pour l’ouvrage et pé en Eau potable des populations Rurales (PAGER). Le
ses appuis, s’avère indispensable. D’autre part, l’étude taux d’accès à l’eau potable, qui n’excédait pas les 14% en
régionale détaillée visant la prospection des gisements 1994, dépasse les 94% actuellement.
des matériaux de construction, l’analyse de la stabilité Les ressources en eau de surface ont joué, grâce
des versants et la connaissance de l’aléa sismique de la aux barrages, un rôle prépondérant dans la sécurisation
zone en question sont des facteurs à considérer pour se de l’approvisionnement en eau potable notamment en
prononcer sur la faisabilité du projet. milieu urbain dont la contribution atteint 66%.
Par ailleurs,et lors de l’exploitation de l’ouvrage,plu- Irrigation
sieurs problèmes prennent place tel l’alluvionnement qui
influe négativement sur la capacité utile de la retenue L’irrigation est l’utilisateur principal de l’eau
pouvant mettre en cause la sécurité des organes hydrau- au Maroc. Le potentiel des terres irrigables s’élève à
liques et compromettre également la qualité de l’eau 1 660 000 ha dont près de 1 360 000 ha d’irrigation
stockée. pérenne et 300 000 ha d’irrigation saisonnière et
d’épandage des eaux de crue.
Bienfaits des barrages À la veille de l’indépendance, la superficie irriguée
ne dépassait guère les 65 000 ha. L’objectif d’un million
Approvisionnement en eau potable d’hectares irrigués fixé par Feu Sa Majesté le Roi Hassan
La sécurisation de l’approvisionnement en eau II en 1967 a constitué un véritable tournant pour le domai-
potable a été un des premiers soucis de la politique de ne de l’irrigation.
l’eau adoptée par le Maroc. Cet objectif a été assuré mal- Depuis, des efforts importants ont été consentis
104 gré la multiplication des années de sécheresse et ce grâ- pour le développement de l’irrigation. Actuellement, la

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Figure 3. Carte des barrages du Bassin du Sebou. Source : MAH.

superficie irriguée équipée par les soins de l’Etat dépasse La poursuite du développement de la
1 million d’hectares dont 682 600 ha en grande hydraulique.
politique des eaux de surface au Maroc
Énergie hydroélectrique Pour accompagner le développement socio-
Les efforts déployés en matière de réalisation d’in- économique du pays et consolider les acquis en matière
frastructures ont réservé une place importante à la valo- de mobilisation des ressources en eau, le Plan National de
risation de l’eau mobilisée pour la production de l’énergie l’Eau (PNE), qui constitue un prolongement de la stratégie
hydroélectrique. Cette production joue un rôle appréciable nationale de l’eau, propose des actions qui combinent la
dans la satisfaction des besoins énergétiques du pays. gestion et le développement de l’offre, aussi bien des
Une part importante de la puissance appelée durant les ressources en eau conventionnelles que non convention-
heures de pointe pourrait être satisfaite à partir des usines nelles, la gestion de la demande en eau, la valorisation et
hydroélectriques, en particulier lors des périodes où la la préservation des ressources en eau.
demande en eau d’irrigation est maximale. Concernant la gestion et développement de l’offre,
Les usines hydroélectriques réalisées jusqu’en 2014 l’effort de mobilisation des ressources en eau de surface
totalisent une puissance installée de l’ordre de 1 730 MW. sera consolidé pour maximiser la mobilisation des eaux de
surface et développer l’offre en eau par :
La production hydroélectrique peut atteindre en année
hydrologique normale plus de 2 500 GWh, soit près de la poursuite de la mobilisation des eaux de surface avec
10% de la production totale d’électricité du pays. la construction d’une quarantaine de grands barrages
à raison de trois ouvrages par an jusqu’à 2030 ;
Protection contre les inondations le transfert de l’eau à partir des bassins du Nord-Ouest
En plus de la satisfaction des besoins en eau, du vers les bassins du Centre-Ouest ;
développement agricole et de la production énergétique, le dessalement de l’eau de mer avec une capacité en
la politique des barrages a contribué d’une manière signi- 2030 estimée à près de 500 hm3/an ;
ficative, à la protection des personnes et des biens contre la réutilisation des eaux usées épurées essentiellement
les inondations grâce au rôle prépondérant des barrages dans l’agriculture irriguée et l’arrosage des espaces
dans l’écrêtement des crues. verts. 105

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

Adaptations d’un projet de barrage en cours de construction :


l’exemple du barrage de Moulay Bouchta en zone de flysch altéré
Ahmed F. Chraibi 1 et Abdelaaziz Zaki 2 .

Historique du projet initial. Elle vise notamment à montrer l’importance de


l’évacuateur de crue comparé à la digue. Cette concep-
Le projet initial tion avait été retenue dans le souci de réduire au mieux
Le barrage Moulay Bouchta est situé dans le Nord du la hauteur du barrage en assurant une grande capacité à
Royaume du Maroc (Fig. 1),à environ 12 km au N-W de la vil- l’évacuateur de crue.
le de Chefchaouen. Les premières études en 1999 débou-
Le démarrage des travaux
chèrent en 2002 sur un avant-projet suivi d’une consulta-
tion des entreprises en 2008 avec démarrage des travaux Il convient de noter que la conception de l’éva-
en 2010. cuateur était en cours et que les formes hydrauliques
devaient faire l’objet d’une étude sur modèle pour exa-
Avec une capacité de stockage de 13 hm3, le barra-
miner notamment la forme d’entonnement et les dispo-
ge Moulay Bouchta doit permettre :
sitions à adopter au coude. C’est d’ailleurs pour cette rai-
l’alimentation en eau potable de la ville de Chefchaouen son que le phasage d’exécution des travaux prévoyait
et des centres avoisinants ; d’engager en premier, les fouilles amont de l’évacuateur,
la protection du barrage Ali Thailat contre l’envasement ; en attendant la finalisation du design.
l’irrigation des terres agricoles situées à l’aval du barrage, Mais dès leur démarrage, sur les 5 m supérieurs
et la constitution d’une réserve d’eau pour lutter contre couvrant toute l’emprise amont de l’évacuateur (voir
les incendies de forêts. figure 2), des fissures d’ouverture parfois pluri-décimé-
Les principales caractéristiques du projet initial trique, dont certaines sensiblement parallèles aux courbes
sont les suivantes : de niveau, sont apparues. Elles traduisaient clairement
digue en remblai à noyau argileux de l’ordre de 60 m de une instabilité généralisée du versant et évoluaient de
hauteur maximale sur fondation, avec des recharges jour en jour.
en alluvions et enrochements ; Des expertises ont alors été engagées en urgence,
parements réglés suivant une pente de 2.5H/1V à l’aval car les mouvements de terrain commençaient à mena-
et 3H/1V à l’amont ; cer les habitations et une ligne haute tension en haut du
versant, en dehors de la zone expropriée. Il a été immé-
évacuateur de crue à seuil libre en arc de cercle de
diatement décidé de remettre en place la totalité des
130 m de longueur développée, disposé en rive droite ;
matériaux excavés pour redonner au versant sa configu-
dérivation provisoire en conduite sous remblai à deux per- ration initiale. Deux autres dispositions ont été adoptées :
tuis dont un est transformé en vidange en fin de travaux ;
3 prises pour l’alimentation en eau potable insérées
dans une structure posée sur le versant gauche.
La figure 2 ci-après donne la vue en plan du projet

Figure 2. Vue en plan selon la conception originale avec l’évacuateur de crues


en rive droite. Source : publication au congrès Africain 2017 : Hydropower
106 Figure 1. Carte de situation du barrage. Source : Google Earth. and Dams.

1. Consultant. Courriel : ach@damtech.ma


2. Direction des Aménagements Hydrauliques. Courriel : zakiabde@hotmail.com

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la mise en place d’un drainage au droit du talus de fouilles du fait de la nature géologique des formations concer-
provisoires et le remplissage gravitaire de certaines s nées. Au droit de l’axe du barrage, le fond de vallée est
grosses fissures à l’aide d’un coulis de ciment. large d’environ 120 m, le versant de la rive droite présen-
La stabilisation a ainsi été atteinte rapidement, te une pente douce et régulière de l’ordre de 4.5 H/1V. La
laissant le temps pour un examen détaillé de la situation. rive gauche a une pente irrégulière voisine de 2.7 H/1V.
Il s’est avéré que la zone concernée par les glissements
n’avait pas fait l’objet d’investigations et il a fallu lancer Hydrologie
un programme de reconnaissances approprié pour mieux Le bassin versant de l’oued Moulay Bouchta a une
comprendre le contexte géologique et géotechnique local. surface d’environ 64 km2, avec des apports annuels de
Ainsi, des forages carottés avec suivi piézométrique 25 Mm3/an. L’aire de la retenue au niveau normal est
ont été réalisés. Ils ont montré que les terrains de cou- 0,68 km2,avec une capacité de retenue de l’ordre de 13 Mm3.
verture atteignaient plus de 30 m d’épaisseur dans la zone Les apports solides annuels sont estimés à 190 000 m3/an.
concernée et que la nappe était très proche de la surface Des mesures visant à réduite l’importance de ces apports
alors que c’était la saison sèche. Le maître d’ouvrage a sont en cours d’examen.
alors décidé d’arrêter les travaux et s’est associé le concours Les principales caractéristiques hydrologiques sont
d’une autre ingénierie pour une revue complète de la les suivantes :
conception. Il en a profité également pour revoir l’hydro-
module interannuel : 0.84 m3/s (période 1945 à 2002) ;
logie tenant compte des données disponibles depuis
l’achèvement des études antérieures, couvrant notam- apport moyen annuel : 26 Mm3 ;
ment des années plus pluvieuses que la moyenne. minimum : 0.08 m3/s (année 1998) ;
Pour se prémunir contre toute autre déconvenue,des maximum : 2.36 m3/s (année 1962) ;
investigations additionnelles ont été réalisées sur l’en- crues :
semble du site,en dehors même de l’emprise des ouvrages.
Période de retour (en ans) 10 50 100 1000 10 000
Fort heureusement le contrat d’exécution comportait une
rubrique ayant permis d’engager ces travaux sans délai. Débit de pointe (m3/s) 300 490 575 865 1200
3
Pour aller vite,jusqu’à 6 ateliers de perforation travaillaient Volume (Mm ) 4.2 6.8 8.0 12.0 16.6
simultanément en fond de vallée et sur les rives. cote de la retenue normale : 372 NGM3
La prise en compte des résultats obtenus condui- aire de la retenue au niveau normal : 0.682 km2
sit au maintien d’un barrage en remblai à noyau argileux,
mais avec des adaptations comportant entre autres : volume de la retenue normale : 12.25 Mm3

déplacement de l’axe du barrage de plusieurs dizaines


Géologie du site du barrage
de mètres vers l’amont principalement côté rive droite
pour échapper à la zone de forte épaisseur des terrains Le barrage est situé dans le Rif occidental au Nord
de couverture ; du Maroc. La fondation est constituée de flyschs gréso-
déplacement de l’évacuateur de crues en rive gauche ; pélitiques avec une couverture argileuse instable, très
développée en rive droite (épaisseur atteignant 20 à 30 m),
introduction d’une paroi moulée pour assurer l’étan-
peu présente en rive gauche (moins de 1 m).
chéité de la fondation en vallée, évitant ainsi la réalisa-
tion de fouilles profondes susceptible d’avoir une inci- C’est l’altération superficielle du substratum, conju-
dence sur la stabilité des versants ; guée avec la présence de terrains de couverture à forte
substitution du pertuis de dérivation provisoire par un composante argileuse et gorgés d’eau, qui a conduit aux
chenal à ciel ouvert au pied de la rive gauche et introduc- instabilités importantes de la rive droite, apparues dès le
tion d’une vidange avec tour de vannage et de prise d’eau. démarrage des fouilles de l’évacuateur suivant sa concep-
tion initiale.
Le site du barrage En fond de vallée la couverture est constituée
d’alluvions grossières dont l’épaisseur peut atteindre 13m.
Topographie Les flyschs du substratum sont à prédominance argileuse,
Le barrage Moulay Bouchta se trouve sur l’oued comme pour tout le reste de l’environnement du site du
Moulay Bouchta qui coule selon une direction générale barrage. L’armature rocheuse est constituée de bancs de
Nord-Sud, avec une pente moyenne relativement forte grès disloqués, discontinus et plus ou moins écrasés par la
de 2,4%. Les versants de la vallée sont relativement abrupts tectonique polyphasée qui a affecté cette région au cours 107

3. Altitude 372 m. Nivellement Général du Maroc.

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de son histoire géologique. Il en résulte un substratum seur des terrains de couverture et montre notamment la
argilo-gréseux dans différents états mécaniques en profon- nouvelle implantation de l’axe du barrage au droit de la
deur, relativement rigide et schistosé par endroits, ou zone de plus faible épaisseur de la couverture. Aussi bien
écrasé aux passages des failles. En rive droite, la tranche à l’aval qu’à l’amont, l’épaisseur augmente notablement
altérée résiduelle,présente sous la masse de glissement,est (couleur rouge) où elle atteint localement les 35 m.
de l’ordre de 10 m d’épaisseur en général, localement plus.
Les vitesses sismiques mesurées sur ce site sont de
Choix de conception
300 à 800 m/s dans les zones superficielles des glissements Les conditions géologiques du site principalement
(2 à 10 m),jusqu’à 1 800 m/s dans les zones inférieures de ces en rive droite imposent pratiquement un barrage en
glissements, entre 1 800 et 2 800 m/s dans les zones d’al- remblai. En rive gauche le substratum est partout sub-
tération du substratum et de plus 3 600 m/s dans le sub- affleurant. Les vitesses sismiques rappelées ci-dessus,
stratum en place.Cela confirme,s'il en était besoin,le carac- traduisent en effet un terrain côté rive droite à forte défor-
tère particulièrement décomprimé des terrains de couverture mabilité qui ne peut en aucun cas s'accommoder d'une
à l'origine de leurs faibles caractéristiques mécaniques. variante rigide, à moins de la fonder à grande profondeur.
En dehors des volumes importants d'excavation et de béton
La nouvelle conception de l’ouvrage que cela exigerait,l'instabilité des fouilles côté rive droite res-
terait un handicap incontournable pour une telle variante.
Reconnaissances complémentaires La solution la mieux appropriée est donc une digue
Des investigations géologiques (sondages carottés), en remblai à noyau argileux. Elle bénéficie en plus de la
géophysiques et géotechniques ont permis entre autres remontée locale du substratum côté rive droite (voir
de déterminer les courbes de niveau du toit du substratum figure 3), d’où l’implantation retenue pour le nouvel axe.
en rive droite. La figure 3 donne les variations de l’épais- En ce qui concerne les ouvrages annexes, le seul choix

Figure 3. Épaisseurs des terrains de couverture selon les résultats des investigations additionnelles. Nord orienté vers le bas. Source : publication au congrès
108 Africain 2017 : Hydropower and Dams.

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d'implantation possible est la rive gauche,


évitant ainsi toute excavation de gran-
de profondeur dans les terrains de cou-
verture de l’autre rive.
Une paroi moulée est introduite
pour l’étanchéité des alluvions de fond de
vallée et au pied de la rive droite. Ce choix
a été motivé par la volonté d’éviter toute
excavation profonde au pied de la rive droi-
te de peur d’y créer des instabilités diffi-
ciles, voire même impossibles à contenir. Figure 5. Coupe type de la digue. 1A : noyau -2A : filtre - 2C : drain - 1B : alluvions - 3 : transition - A4 : pro-
tection aval - 4B :rip-rap - 9 :drain.Source :publication au congrès Africain 2017 :Hydropower and Dams.
La profondeur de fouilles maximum consi-
dérée a été limitée à moins de 10m conservant sous le rem-
un filtre et un drain cheminée chacun de 2,50 m de lar-
blai une partie importante du manteau de couverture,mal-
geur horizontale disposés à l'aval du noyau. À l'amont
gré les tassements dont ils peuvent faire l’objet. Le type de
du noyau une transition grossière, d'une épaisseur hori-
barrage et la hauteur des remblais sont jugés compatibles
zontale de 4 m.
avec ces tassements.
des recharges en alluvions naturelles ;
La figure 4 ci-après donne une vue 3D du barrage
et de ses ouvrages annexes suivant la nouvelle conception. des protections sur les deux parements.
La continuité de l'étanchéité à travers les alluvions
Conception de la digue en fond de vallée et au pied de la rive droite,où une tranche
La coupe type de la digue est classique avec un importante des terrains de couverture subsiste, est assu-
noyau central argileux relativement mince,encadré par des rée par une paroi moulée en béton souple.
transitions et des recharges en alluvions. En dehors du Il convient de noter que la recharge amont est consti-
rip-rap, les matériaux utilisés sont prélevés sur le site, le tuée d’alluvions grossières considérées comme matériau
long du cours d’eau. Deux importantes bermes ont été semi-perméable.Pour garantir son essorage total à la vidan-
introduites pour optimiser le volume des recharges tout ge rapide de la retenue, des drains horizontaux ont été
en assurant la stabilité du barrage, une de 22 m à l'amont introduits à intervalle régulier au-dessus de la cote 355NGM,
et une autre de 25 m à l'aval, côté rive droite, compte tenu correspondant au niveau minimal du réservoir.
de la qualité de la fondation. Les bermes disposées sur les deux parements ont
Le profil du barrage (Fig. 5) comporte : une largeur de 22 m à l’amont et de 25 m à l’aval, côté rive
un noyau argileux mince symétrique, droite, réduite à 5 m côté rive gauche. Cela se justifie par
la nature de la fondation nettement plus
favorable en rive gauche, s’accommodant
d’une pente moyenne plus raide qu’en
rive droite. De plus, une tranchée drai-
nante de 5 m de profondeur a été réalisée
dans cette rive pour y abaisser le niveau
de saturation dans l’emprise de la rechar-
ge aval et assurer ainsi des conditions de
stabilité satisfaisantes.

Ouvrages annexes
Pendant les travaux,l’oued emprun-
te un chenal de dérivation provisoire à ciel
ouvert,implanté au pied de la rive gauche.
Ce chenal est dimensionné pour passer le
débit de pointe de la crue de période de
Figure 4. Vue 3D du barrage depuis l'amont rive gauche (Nord vers le bas). Source : publication au congrès retour de 50 années. Il a une longueur de
Africain 2017 : Hydropower and Dams. 260 m et une pente de 1,5%. Le chenal a 109

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

une section trapézoïdale de 12 m de largeur à la base et des plantation de l'évacuateur. Le coursier d’une largeur de
bajoyers au fruit de 1.5H/1V côté droit (oued) et de 1H/1V côté 10m a un tracé rectiligne et se termine par un élargisse-
rive gauche.Il a été jugé nécessaire de le revêtir sur toute sa ment et une cuillère équipée de redents visant à disper-
longueur compte tenu de la vitesse d’écoulement atteignant ser le jet. La mise au point des formes hydrauliques de
les 13 m/s au passage de la crue de chantier. l’évacuateur et de la cuillère de la vidange de fond a fait
La digue est ainsi réalisée en deux phases, dont la l’objet d’une étude sur modèle réduit hydraulique.
première correspond à la réalisation de la paroi moulée et
des remblais côté rive droite et la seconde à la fermeture côté Paroi moulée
rive gauche, comme cela est schématisé dans la figure 6. La paroi moulée dont la justification est détaillée
La vidange de fond est conçue en conduite sous- dans ce qui précède,est en béton souple capable de s’adap-
remblai avec une tour de prise et de vannage accessible ter aux déformations de la fondation sans se fissurer. Pour
depuis la crête à l’aide d’une passerelle à deux travées,cha- lui assurer un ancrage suffisant dans le noyau, avec un
cune de 17 m de longueur (voir figure 4).La galerie a une sec- gradient hydraulique inférieur à 4, la paroi remonte dans
tion rectangulaire de 2,50 m de hauteur et de 2 m de largeur le noyau de 4 m. Elle a une épaisseur de 1,20 m largement
avec des goussets aux 4 coins. La section est agrandie à suffisante pour les charges en présence.
l’aval de la vanne de réglage du fait de la perturbation de Elle est réalisée à partir d’une plateforme à la cote
l’écoulement dans cette zone et de l’arrivée du conduit d’aé- 337,00 obtenue moyennant 5 m de remblai argileux de
ration. Le seuil de la vidange est calé à la cote 345,60 NGM, la nuance la plus plastique destinée à la réalisation du
soit environ 10 m au-dessus du fond de l’oued au droit de noyau, de sorte à obtenir les 4 m d’ancrage exigés, après
l’axe. Au-dessous de cette cote, le volume stocké est négli- recépage du mètre supérieur juste avant d’engager la
geable et devra être rapidement comblé par les sédiments. mise en œuvre en grand des remblais susjacents. La paroi
La vidange est partout fondée au rocher et comporte des a une profondeur maximale voisine de 20 m et une
talus extérieurs adoucis dans l’emprise du noyau. longueur de 156 m. Elle est ancrée dans le substratum de
L’évacuateur de crue est conçu en seuil libre calé à 1,20 m minimum. Une injection de liaison paroi substra-
la cote 372,00, de forme circulaire, d’une longueur déve- tum est réalisée par forages.
loppée de 25 m. Il permet de laminer la crue de projet d’un La mise au point de la composition du béton souple
débit de pointe de 1 200 m3/s à 915 m3/s sous une charge a nécessité de nombreux essais visant à lui conférer les
d’environ 7,20 m. La longueur relativement faible du seuil paramètres spécifiés, à savoir une perméabilité inférieu-
se justifie par l'espace très réduit disponible pour l'im- re à 10-9m/s et un module d’Young à 90 jours entre 300 et
700 MPa dans un domaine de déformation inférieur à
0,5%. La résistance mécanique à la compression arrêtée
après l’exécution des essais d’étude a été fixée à 1 MPa.

Déroulement des travaux


Dès la mise au point du nouveau projet, les tra-
vaux ont repris et se sont déroulés dans d’excellentes
conditions. Pratiquement aucun incident majeur n’a eu
lieu. De nombreux glissements de faible extension se sont
produits en rive gauche, là où le substratum est très alté-
ré, comme cela est illustré par la photo 1.
Côté rive droite où les craintes étaient bien réelles,
aucune instabilité n’a eu lieu,grâce notamment au phasage
d’exécution adopté. Celui-ci consistait à réaliser dans un
premier temps une tranchée étroite à la pelle,visant à drai-
ner le terrain et à vérifier si les conditions réelles sont bien
conformes aux prévisions. La tranchée a ensuite été élargie
aux dimensions finales des fouilles en plan. Une nouvelle
tranchée étroite est ensuite réalisée dans le prolongement
Figure 6. Phasage d'exécution des remblais : vue en plan en haut (Nord vers
le haut) ; vue en coupe en bas. Source : publication au congrès Africain 2017 : de la première et ainsi de suite. Les photos 2 ci-après mon-
110 Hydropower and Dams. trent une des nombreuses surfaces de glissement relevées

Géologues n°194
aménagements et géotechnique

contexte géologique et géotechnique difficile, marqué


par la présence de flyschs à forte composante argileuse,
notamment en rive droite. L’insuffisance des reconnais-
sances effectuées à l’avant-projet est la principale cause
des problèmes rencontrés au démarrage des travaux.
Les décisions prises, suite à l’apparition de mouve-
ments de terrain concernant l’ensemble du versant rive
droite, se sont révélées payantes. Il s’agit de l’arrêt des tra-
vaux en cours, de la reconstitution à l’origine du versant,
et de la revue de la conception du barrage et de ses
ouvrages annexes, basée sur de nouvelles investigations
géologiques et géotechniques. Il a ainsi été possible de
mieux adapter le projet aux conditions particulières du site
tout en préservant la même capacité de stockage et en se
Photo 1. Exemple d'instabilité survenue en rive gauche. Source : cliché des
auteurs. maintenant dans le budget initial.
sur les talus. Elles n’ont fort heureusement pas eu d’inci- La relation de partenariat développée entre les parties,
dence sur les travaux car elles étaient parallèles au versant à l’occasion de leurs nombreuses collaborations sur d’autres pro-
et avaient une composante pratiquement horizontale sui- jets,a été le facteur principal derrière la réussite de ce projet.
vant les talus de fouilles de la tranchée d’ancrage du noyau. Le barrage et ses ouvrages annexes ont eu un com-
De plus, elles avaient préalablement été bien drainées. portement très satisfaisant depuis la mise en eau inter-
Mis à part le contrat spécifique concernant la paroi venue à la fin de l’année 2013. Aucun signe d’instabilité des
moulée, tous les autres travaux ont été menés dans le appuis ou de la digue n’a été observé. La paroi moulée est
cadre du contrat relatif à la première conception. Ils ont été d’une efficacité remarquable, attestée par les mesures de
achevés en 2014. Les adaptations du projet ont finale- pression interstitielle : à l’amont la pression est pratique-
ment abouti à un ouvrage répondant parfaitement à ment confondue avec la charge de la retenue et en suit
l’usage auquel il était destiné avec la même capacité de fidèlement les variations, alors qu’à l’aval, elle est faible et
stockage, tout en s’inscrivant dans le budget prévu stable, voisine de la cote de pose des cellules.
initialement. La date d’achèvement a connu une année de
retard, ce qui est tout à fait normal compte tenu de l’ar- Remerciements
rêt des travaux durant plus de 6 mois et de l’introduction Ce travail est une adaptation faite par les auteurs
de la paroi moulée dans le projet. d’une publication au Congrès « Africa 2017, Hydropower &
Dams, Marrakech, March 2017 ».
Bilan général Les auteurs tiennent à remercier la Direction des
Aménagements Hydrauliques du Royaume du Maroc qui les
Le barrage Moulay Bouchta est situé dans un a autorisés à publier cet article.

Photos 2. A (à droite) et 2B (à gauche) : Surface de glissement identifiée dans les talus de fouilles de la tranchée du noyau en rive droite. Source : clichés des auteurs. 111

Géologues n°194
patrimoine géologique

Patrimoine géologique marocain et développement durable :


l’exemple du Dévonien du Tafilalt, Anti-Atlas oriental
Ahmed El Hassani 1 , Sarah Aboussalam 2 , Thomas Becker 3 , Mohamed El Wartiti 4 et Farah El Hassani 5 .

Introduction globe (de l’Archéen, 3 Ga, au Quaternaire). Il présente, à ce


titre, un intérêt majeur pour la communauté scientifique
La notion de patrimoine géologique dérive de la internationale, ce qui lui vaut d’être régulièrement visité
notion de patrimoine naturel qui reconnaît que des élé- par un grand nombre de géologues des cinq continents.
ments de la nature font partie des biens communs, tels que
En plus de la grande diversité des terrains géolo-
les richesses géologiques, minéralogiques et paléontolo-
giques, plusieurs stratotypes et groupes de fossiles repré-
giques. En tant que patrimoine naturel, le patrimoine géo-
sentatifs à l’échelle planétaire, ont été identifiés au Maroc.
logique doit être considéré comme un bien commun d’une
collectivité, d’un groupe d’hommes, de l’humanité, et com- Le Maroc présente également plusieurs curiosités
me un héritage transmis par les ancêtres. (paysages) géologiques rares de par le monde (exemple :
les mud-mounds Dévoniens de Hamar Lakhdad dans le
La géologie marocaine présente des affleurements
Tafilalet, les péridotites de Beni Bousera dans le Rif inter-
reconnus mondialement parmi les meilleurs et les plus
ne, les nombreuses grottes, …).
complets sur une très longue période de temps géolo-
gique. Cependant, les richesse/ressources naturelles, dont Ces richesses restent de nos jours, méconnues par la
dispose le pays, subissent une détérioration irréversible : majorité des marocains,y compris les gestionnaires des espaces
fossiles et minéraux faisant l’objet actuellement de pilla- naturels, voire la communauté scientifique non spécialisée.
ge, d’exploitation abusive, de vente et d’exportation. Les Ceci incite à des études de type « inventaire » auxquelles les
mesures réglementaires sont elles suffisantes pour sa géologues se livrent rarement, mais qui ont un rôle fonda-
protection, sa valorisation et sa préservation ? Ou bien mental dans la sensibilisation du public à la sauvegarde, à la
s’agit-il d’un système intégré où interviennent divers fac- valorisation et à l’utilisation rationnelle de ce patrimoine.
teurs humains à différents niveaux ? Il s’agit là d’une pro- Il résulte de cette ignorance, une faible sensibili-
blématique complexe nécessitant, de notre part, d’émettre sation à l’échelle nationale envers la conservation et/ou la
un avis scientifique pour faire connaître ce patrimoine, le valorisation respectueuse des « sites patrimoniaux ».
valoriser et surtout le protéger pour que le Maroc demeu-
re une référence mondiale en géologie. Présentation de quelques exemples
La présente note s’intéressera aux merveilleuses suc- du patrimoine géologique marocain :
cessions de couches géologiques dévoniennes de la région
du Tafilalt (Anti Atlas oriental) et représente une contribu- le Dévonien du Tafilalt
tion qui veut encourager la préparation d’un inventaire Les coupes du Dévonien de l’Anti Atlas sont parmi
national des espaces géologiques (autre que dévoniens) et les meilleures au monde, car elles permettent de suivre,
des espèces (minérales et fossiles) nécessitant une conser- sans interruption notable, les affleurements sur plusieurs
vation ou une gestion rationnelle. Cet inventaire, en plus kilomètres. Leur étude tardive les a malheureusement
des mesures réglementaires susmentionnées,comblera une exclues d’être élues « stratotypes » et l’on ne se réfère
grande lacune qui persiste dans le Plan Directeur des Aires qu’à une seule coupe adoptée par la Subcommission de
Protégées du Maroc, récemment établi à l’initiative de Stratigraphie du Dévonien (SDS) ; celle de Mech Irdane
l’Administration Forestière Marocaine. pour la limite Eifélien-Givétien (Walliser et al., 1995).

Mech Irdane
Contexte et intérêt pour la sauvegarde
Le jbel portant le même nom, englobe le GSSP (Glo-
du patrimoine géologique bal Stratotype Section and Point) après recommandation
Pour donner envie de protéger, il faut d’abord fai- de la SDS en séminaire (1991) puis ratification par IUGS en
re connaître le patrimoine. Le Maroc, comme on peut le lire 1994 (Walliser et al., 1995). Le jbel Mech Irdane est une
sur les cartes géologiques, est parmi les pays qui couvrent structure synclinale située dans la partie SE du Tafilalt à
112 de manière la plus complète, l’histoire géologique du 12 km au SW de la ville de Rissani. Comme partout ailleurs

1. Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Maroc. Courriel : a.elhassani@academiesciences.ma


2. Institut für Geologie und Paläontologie, Münster, Allemagne. Courriel : taghanic@uni-muenster.de
3. Institut für Geologie und Paläontologie, Münster, Allemagne. Courriel : rtbecker@uni-muenster.de
4. Université Mohammed V de Rabat, Maroc. Courriel : wartiti@hotmail.com
5. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Maroc. Courriel : elhassanifarah@gmail.com

Géologues n°194
patrimoine géologique

Photo 1. Le Jbel Mech Irdane, son stratotype et ses événements géolo-


giques (Photo : El Hassani). Photo 2. La série dévonienne au Jbel Amelane. (Photo : El Hassani).

dans le Tafilalt, la coupe peut être entamée dès les niveaux partie centrale de la zone varcus, et avec la séquence de cal-
calcaires à Scyphocrinites, caractérisant, dans l’Anti Atlas, caires fins noduleux, caractéristiques de la partie supé-
la limite Silurien - Dévonien (Photo 1). rieure comprenant les genres Maenioceras, notamment le
La partie Dévonien inférieur est très bien repré- M. terebratum et Pharciceras amplexum. Les calcaires à
sentée et riche en fossiles (Goniatites notamment) : les cal- Pharciceras, qui coïncident avec l'ancienne zone à lunuli-
caires à Mimagoniantites avec le groupe des Anetoceras, costa du Dévonien supérieur, sont absents dans cette cou-
dont Nowakia cancellata, apparaît dans la transition pe. Au dessus de cette lacune, affleurent les calcaires à
calcaires-schistes noirs du Dalejien. Manticoceras dans un faciès crinoïdique.
Au jbel Mech Irdane, les calcaires eiféliens sont très Quelques exemples d’affleurements
fossilifère, avec d’abondants trilobites, des pélécypodes du à intérêts scientifique et géo-touristiques
groupe « Panenka », des orthocône céphalopodes et des
goniatites, en particulier Subanarcestes et Cabrieroceras, On ne peut pas parler du Tafilalt sans avoir en
mais aussi Werneroceras, Fidélites, Agoniatites. mémoire les merveilleux affleurements dévoniens et leur
richesse en fossiles qui font le trésor des bazars et le bon-
La limite Eifélien-Givétien est située au niveau du
heur des visiteurs/collectionneurs.Vu l’énorme variété et
banc 117, limite attestée aussi bien par des méthodes
la richesse des coupes géologiques, nous ne donnons ici
paléontologiques (Walliser et al., 1995) que magnéto-stra- que quelques exemples de ce riche patrimoine naturel
tigraphiques (Ellwood et al., 2011). marocain, telles les séries stratigraphiques du jbel
Le Givétien montre une large séquence de calcaires Boutchrafine, du jbel Amelane et de Ouidane Chebbi à
noduleux et lamellaires avec deux niveaux de pumilio6 la frontière avec l’Algérie et les mud-mounds de Hamar
(provoquées par les tsunamis) situés à la base et dans la Lakhdad (Photos 2 à 5).

Photo 3. La série siluro-dévono-carbonifère du Jbel Bou Tchrafine (Photo : El Hassani). 113

6. Niveau calcaire à très nombreuses Terebratula pumilio.

Géologues n°194
patrimoine géologique

L’analyse de la coupe géologique du Jbel Amelane nom que l’on donne localement au couscoussier tradi-
(voir Photo 2), située à 25 km au SO d’Erfoud, très facile- tionnel qui décrit parfaitement la morphologie de ces édi-
ment accessible par la route goudronnée allant à Msissi fices : conique, à base subcirculaire et sommet pointu pour
et Alnif, permet de suivre une série complète depuis la la majorité d’entre eux. Ils sont au nombre de 46, étalés sur
fin du Silurien jusqu’au Famennien où l’on observe (au 7km en direction E-W et dont la hauteur est comprise entre
bord de la route goudronnée) de longs orthocères et des 3 et 45 m avec des pentes variables de 15 à 60°, mais géné-
goniatites de grandes tailles qu’on retrouve dans les bazars ralement plus fortes vers le Nord.
du Tafilalt (tables d’Erfoud : Photo 6). Cette coupe pré- Ces structures constituent un exemple classique
sente plusieurs curiosités géologiques, mais l’évènement de monticules de boue en eau profonde (démontré par
Kellwasser (KW event)7 reste le plus important dans la l’absence d’algues vertes) liés à l’hydrothermalisme. Elles
région par ses deux niveaux inférieur et supérieur. ont été créées par des éruptions volcaniques sous-marines
Le jbel Bou Tchrafine (voir Photo 3) et le jbel Ame- au Dévonien inférieur. Ces infiltrations hydrothermales
lane sont des témoins d’une période géologique complè- ont persisté pendant une longue période, depuis la fin du
te pour tout le Dévonien, ce qui leur vaut d’être visités Praguien jusqu’au début du Frasnien. La réactivation des
par de nombreuses équipes de géologues de divers pays. processus magmatiques vers la fin de l’Emsien a permis
Les affleurements situés dans la partie orientale du la formation de structure en dômes du complexe volca-
Tafilalt, à Ouidane Chebbi (voir Photo 4), montrent éga- nique, recouvrant des strates sédimentaires, et en consé-
lement une coupe complète du Dévonien avec le passage quence création d’un réseau de failles. Ces failles servent
au Tournaisien (Carbonifère). Les terrains crétacés et néo- alors de conduits pour les fluides chauds qui migrent sur
gènes de la Hamada du Guir sont en discordance angulaire le fond marin. Les données géochimiques suggèrent que
sur le Paléozoïque. les carbonates des monticules de boue se sont formés
par un mélange de fluides hydrothermaux et l'eau de mer
L’une des curiosités géologiques majeures du patri-
(Belka et al., 2015).
moine litho-stratigraphique marocain reste manifestement
les monticules dévoniens de Hamar Lakhdad dans le Tafila- L'un des traits caractéristiques de ces monticules
let, à l’Est d’Erfoud (voir Photos 5) qui sont visités chaque de boue est la présence d'un grand nombre de cavités qui
année tant par les scientifiques que par les touristes. sont des fragments de plus grands espaces libres. À l'ori-
gine, ils constituent un système complexe de fissures, de
Ces structures, assez particulières, ont été décrites
cheminées et d’espaces ouverts remplis de sédiments
dès le début du siècle dernier par Nicolas Menchikoff, géo-
laminés micritiques à grains fins et à ciments de calcite.
logue pétrolier franco-russe, comme une accumulation
Bien que les phases de leur formation ne corresponde
d’origine récifale (Roch, 1934), divers termes ayant été
qu’à une courte période (une seule zone de conodontes),
utilisés par la suite par nombre d’auteurs :
ces monticules sont restés un lieu d'activité animale inten-
protubérances ou bulles pleines (Roch, 1934) ; se. En effet, les parties supérieures de ces structures, offrant
curieux pitons récifaux (Massa et al., 1965) ; une meilleure circulation des eaux, ont été colonisées par
formations récifales du Dévonien inférieur (Hollard, des communautés diverses de Coraux tabulés, de Bivalves,
1963) ; de Crinoïdes, et de Brachiopodes. Les cavités et les fissures,
récifs du Dévonien inférieur (Hollard, 1974, Michard,
1976) ;
mud mounds (Gendrot, 1974 ; Brachert et al., 1992, Hüss-
ner, 1994, Belka, 1998) ;
buildups, reef-mounds ou mud mounds (Tönebohn,
1991) ;
venues hydrothermales localisées au droit du massif
magmatique de Hmar Lakhdad (Mounji et al., 1996,
Belka, 1998) ;
monticules de boue (Belka et al., 2015).
Il s’agit en fait d’accumulations de carbonate du
Dévonien, affleurant dans la partie est de l'Anti-Atlas (Tafi- Photo 4. Le passage Dévonien-Carbonifère à Ouidane Chebbi (partie est
114 lalt), connues sous le nom des monticules « Kess-Kess », du Tafilalt) (Photo : El Hassani).

7. Une des cinq extinctions massive de l’histoire de la Terre à la fin du Dévonien.

Géologues n°194
patrimoine géologique

Et hors site
Les collections des musées peuvent servir à
l’éducation relative à la conservation du patrimoine envi-
ronnemental (au niveau des écoles) en permettant de
conserver une partie de ce patrimoine. Mais, dans l’état
actuel, au vu de la rareté des musées, des magasins
(bazars) se sont développés un peu partout au Maroc,
particulièrement dans la région du Tafilalt (Erfoud,
Rissani, Alnif, Ouarzazate, …). Ces édifices offrent de jolis
spécimens mis à la vente, bien qu’une bonne partie ait
été façonnée d’une manière peu conventionnelle (voir
Photo 5. Vue générale des mud-mounds (au nombre de 48) dévoniens de photo 6, à droite).
Hamar lakhdad (kess-kess) et différents aspects de ces mud-mounds en 3D
et en coupes (Photo : El Hassani). Cependant, dans le Tafilalt, de petits musées ont
été également élaborés par des particuliers : on peut y
admirer tant la richesse de la région que celles d’autres
régions grâce à l’exposition de pièces rares, de valeurs
scientifiques inestimables telles des copies de dino-
saures, de reptiles et de poissons du plateau des phos-
phates (de Khouribga) ou des météorites de tailles et
types différents. L’un des plus importants se situe au
cœur d’une des principales palmeraies entre Erfoud et
Rissani dans une bâtisse traditionnelle montrant, à
l’extérieur, une emblématique copie de dinosaure. Ce
musée comprend une partie exposition et une partie
Photo 6. Exposition de fossiles dans un Bazar à Erfoud (Photo : El Hassani). magasin de vente. Les espèces rares sont jalousement
gardées. Son objectif est de vulgariser ce type de pro-
anciennes voies de migration de fluides, sont devenues le duits en le rapprochant d’un public large et diversifié
lieu de développement du biotope,avant d’être remplies par (écoliers, touristes, scientifiques).
des sédiments. En outre, ces cavités ont été visitées pério-
Dans le Tafilalt, le commerce des fossiles est une
diquement par des centaines de trilobites (Scutellum,
source de revenu pérenne appréciable pour bon nombre
Harpes) qu’on retrouve actuellement à l’état fossile.
de familles et permet d’attirer des touristes (dont des
Cet environnement fait de cette région un lieu excep- scientifiques). La mise au jour de la réalisation de pièces
tionnel dans le monde,méritant d’être conservé et protégé. mises en vente nécessitent un travail acharné par des
équipes de spécialistes (de fortune), pendant plusieurs
La protection de ce patrimoine jours, voire plusieurs semaines, pour dégager un trilobite,
un crinoïde ou une goniatite.
géologique doit être envisagée
Cette richesse en fossiles et minéraux est menacée
de surexploitation ; seul prime ici, en effet, le prix de ven-
D’abord sur site
te alors que la valeur scientifique est trop souvent laissée
La création de réserves naturelles ou géo-parcs, de côté. Et pourtant, le Tafilalt figure dans le réseau mon-
permettra d’interdire la collecte d’échantillons à des fins dial des réserves de biosphère de l’UNESCO ! Il s’inscrit donc
autres que scientifiques, de valoriser des sites géologiques dans la convention de 1970 concernant les mesures à
par la création d’itinéraires guidés (qu’on peut tirer des prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'ex-
excellents documents des Notes et Mémoires du Service portation et le transfert illicites de biens culturels qui cite
Géologique du Maroc), et la réalisation de panneaux expli- dans son article premier (paragraphe a) les fossiles com-
catifs à fixer sur les géo-sites, en organisant des confé- me biens naturels à protéger. Cette convention a été rati-
rences grand public, en confectionnant et en mettant en fiée par le Maroc en février 2003, mais pour le moment,
vente des moulages (à buts éducatif et économique),et en aucune action sérieuse pour la protection de ce patri-
réalisant des films documentaires. moine n’est visible.
115

Géologues n°194
patrimoine géologique

Mesures de protection De telles initiatives permettront la description des


sites et de leur richesse par la cartographie, par système
du patrimoine naturel d’information géographique (SIG) et aussi par l’élaboration
Pour mieux protéger, il faudrait donc envisager des de programmes d’inventaires et de documentation scienti-
mesures et des lois pour la conservation et l’utilisation ration- fique. Elle permet également la vulgarisation des connais-
nelle des ressources géologiques. Ceci passe par l’établisse- sances et sa médiatisation grâce à l’organisation de col-
ment d’un inventaire national, sous forme de base de don- loques,de séminaires thématiques et de rencontres avec les
nées, des sites géologiques à valeur patrimoniale et élus et les populations locales.
également, la nécessité d’établir des sites web traitant et Cela entraînera, sans nul doute, des impacts et des
faisant connaître le patrimoine géologique du Maroc. Ces retombées :
sites devraient comprendre toutes les propositions de lois et scientifiques : contribution à l’avancement des connais-
des mesures prises par l’administration en charge de cette sances sur le patrimoine géologique marocain et à sa
tâche (Ministère de la Culture, Ministère de l’Énergie et des conservation en tant que valeur scientifique interna-
Mines) pour une meilleure gestion de ces ressources. tionale en facilitant l’accès aux données « patrimoniales »
De telles initiatives nécessitent des mesures régle- via la base de données et le site Web.
mentaires et incitatives dont certaines sont déjà prises par socio-économiques : contribution à une exploitation durable
le Ministère de l’Énergie et des Mines. Celui-ci a lancé une des ressources géologiques à caractère patrimonial du
étude pour l’établissement de mesures réglementaires Maroc,tout en proposant de nouvelles formes de mise en
pour remédier à la disparition progressive du patrimoine exploitation à valeurs éducatives et touristiques.
géologique national (par l’établissement de listes de fos-
Ces retombées permettront aussi la participation
siles, minéraux et sites à protéger). Le Plan Directeur des
au développement durable par la création d’activités et
Aires Protégées, établi par le Haut Commissariat aux Eaux
d'emploi rémunérés autour des géo-sites.
et Forêts et à la Lutte contre la Désertification, qui a iden-
tifié un large réseau de SIBE (Sites d’Intérêt Biologique et
Ecologique) évoque, de temps en temps, les valeurs géo- Conclusions
logiques comme contribuant à la connaissance, la préser-
L’étude du patrimoine géologique marocain nous
vation et la protection de ce patrimoine.
permet de constater que l’histoire de la Terre et l’histoire de
la vie sur terre sont marquées par plusieurs épisodes enre-
Les mesures urgentes se résument gistrés dans les couches stratigraphiques et leurs conte-
comme suit : nus en minéraux et fossiles. Elle nous apprend et confirme
en même temps, que les constituants de la Terre bougent
réaliser un inventaire national pour combler cette lacune et (plaques tectoniques),que les climats et le niveau des mers
compléter le travail élaboré par l’administration forestière ; changent sans cesse, que la flore et la faune évoluent
veiller à l’application des mesures établies par le Minis- constamment et que l’on s’achemine très probablement
tère de l’Énergie et des Mines et par le dahir (loi) de vers la sixième extinction. Celle-ci, à la différence des cinq
2002 relatifs à l’exploitation des carrières, en collabo- précédentes, serait complètement due à la présence de
ration avec Ministère de l’Équipement ; l’homme et à l’impact de ses actions sur les écosystèmes,
mettre l’accent sur les moyens d’exploitation durable des dont le plus grave reste le réchauffement climatique qui pro-
ressources et sur les mises en valeur conservatrices de voquerait l’élévation du niveau de la mer par suite de la
ces ressources. fonte des glaces de l’Arctique et de l’Antarctique.
Des partenariats avec les institutions éducatives Il est donc du devoir des hommes de science et des
(ou de recherche) sont à encourager dans le cadre de pro- sociétés savantes d’informer les responsables et les déci-
jets intégrés pouvant impliquer les universités (Facultés deurs de ce que nous savons de l’état de la planète Terre.Dans
des Sciences), les AREF (Académies Régionales de l’Édu- ce contexte, la connaissance du patrimoine géologique
cation et de la Formation), le Ministère de l’Énergie et des marocain et sa conservation sont des valeurs scientifiques
Mines (Patrimoine Géologique), les Autorités et Collecti- internationales inestimables qu’il faut préserver à tout prix.
vités locales, les Sociétés savantes et la Société civile. Tous Le futur musée national d’archéologie et des sciences de la Ter-
doivent se rendre compte qu’il s’agit d’un patrimoine dont re, à Rabat, est, en ce sens, une excellente idée qu’il faudrait
l’exploitation abusive est irréversible et dont l’utilisation démultiplier dans la majorité des régions du Maroc, avec
116 rationnelle est devenue aujourd’hui plus que nécessaire. probablement, une spécificité associée à chaque région.

Géologues n°194
patrimoine géologique

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117

Géologues n°194
patrimoine géologique

Les marqueurs permiens comme patrimoine géologique


à promouvoir et à protéger dans le massif hercynien du Maroc central
Mohammed El Wartiti 1 , Mohamed Zahraoui 1 et Ahmed El Hassani 2 .

Préambule l’unité de Fourhal-Telt : Carbonifère ;


le bassin carbonifère d'Azrou-Khénifra, à nombreuses
Dans la Nature, au fil des siècles, l’Homme a puisé
unités allochtones.
pour ses besoins de survie et son développement. Actuel-
lement,dans la trilogie Nature – développement durable – Associé aux unités de ce massif central, on trouve
environnement, on se doit de tracer des limites rouges, car un large spectre de minéralisations génétiquement bien
une dégradation irréversible, due à une exploitation irrai- différenciées ayant fait l'objet d'exploitation : étain, tung-
sonnée, a été constatée. Peut-on agir à travers des mes- stène, or, plomb, zinc, cuivre, argent, fluorine, barytine,
sages scientifiques explicites et ciblés pour remédier à ces antimoine, etc...
dégâts, en montrant l’importance de la géologie au public Cette période géologique très favorable aux miné-
c’est-à-dire en la rendant populaire tout en la préservant ? ralisations,renferme aussi des gisements fossilifères de paléo-
botanique, à la fois assez fréquents géographiquement
mais aussi exceptionnels en termes de biodiversité, témoi-
Introduction : Patrimoine géologique
gnant du positionnement du territoire marocain dans une
Le massif hercynien du Maroc central est le plus ceinture paléoclimatique tropicale. Sa valorisation et sa
gros noyau paléozoïque des hercynides marocaines. Il est protection sont particulièrement légitimes, puisqu'il est
circonscrit dans une couverture méso-cénozoïque, repo- avéré que les assises argileuses contenant ces végétaux
sent sur un socle cratonique précambrien similaire à celui fossiles sont en cours de disparition :exploitation pour usa-
de l'Anti-Atlas. Les seuls vestiges à l'affleurement de ce ge de briqueteries, de céramique,de poterie,de matériaux
craton sont : le granite de Taïcha(situé au SW de Tiflet), le de construction, d'aménagement urbain, etc...
granite de Goâïda, ainsi que les rhyolites et les andésites
de Bou Acila dans le Maroc central orien-
tal (Fig. 1).
Les principales unités structurales
de ce massif ont été rapprochées au cours
de l’orogenèse hercynienne.Elles sont limi-
tées par des failles et/ou des cisaillements.
On distingue de l’Ouest vers l’Est :
le Bloc côtier : Cambrien à Dévonien ;
la zone de cisaillement de la Meseta
occidentale appelée également zone
de l'Oued Cherrat ;
le Bloc calédonien des Sehoul ;
la zone de Rabat-Tiflet : Ordovicien à
Viséen ;
le bassin de Sidi Bettache : Dévonien
supérieur à Carbonifère ;
la zone de chevauchement Tsili-
Tafoudeit ;
l’unité de Khouribga-Oulmès : Ordovi-
cien inférieur à Carbonifère ;
la zone de faille Smaala-Oulmes ; Figure 1. Carte géologique du Massif Central Hercynien (source : rapport inédit ONHYM, Bled
118 Jmeâ-Moulay Bou Azza, 2002).

1. Université Mohammed V de Rabat, Maroc. Courriel : wartiti@hotmail.com


2. Université Mohammed V de Rabat et Académie Hassan II des Sciences et Techniques du Maroc. Courriel : a.elhassani@academiesciences.ma

Géologues n°194
patrimoine géologique

Géodynamique et traits
principaux du Permien
L’époque permienne est marquée
par la création de bassins intra-monta-
gneux comblés par d'épaisses séries
volcano-sédimentaires (Fig.2) ;elle est res-
ponsable de l’essentielle de l’architectu-
re actuelle du Maroc central. En effet, la
chaîne varisque qui vient d'être créée, est
injectée d'importantes masses magma-
tiques qui remontent plus ou moins haut,
au cœur de la chaîne en la réchauffant. Il
s’en est suivi un découpage en plusieurs
blocs à géométrie différenciée,limités par
des failles profondes qui servent de drains
à une importante circulation de fluides
hydrothermaux chargés en éléments poly-
métalliques,et qui finissent par précipiter
dans plusieurs paragenèses de forte,
moyenne et faible température. Figure 2. Litho-stratigraphie du Permien du Maroc (source : El Wartiti, 1990).
La reconstitution géodynamique
de l'époque tardi-hercynienne est souvent problématique, nique et volcanisme associé) de chacun des bassins
dans la mesure où le magmatisme, calco-alcalin à alcalin, dans un contexte régional.
est considéré comme un marqueur de cet épisode de l'his-
Au Maroc, les dépôts permiens sont continentaux
toire varisque au Maroc. L'origine de ce magmatisme oro-
et reposent en discordance angulaire sur un substratum
génique est interprétée dans un modèle qui fait interve-
cambrien à carbonifère structuré par la phase asturienne.
nir le découpage de la croûte continentale par de grandes
Selon les bassins, ils sont surmontés, à leur tour, en dis-
déchirures crustales cisaillantes permettant la genèse de
cordance angulaire, par les dépôts du Trias supérieur ou par
ce magmatisme (Boushaba et al., 1987 ; El Wartiti,1990).
des terrains plus récents.
Le premier cycle du magmatisme basique est un
L'étude litho-stratigraphique ainsi que l'analyse
marqueur de la distension viséo-namurienne. Le deuxième
séquentielle et sédimentologique effectuée dans chacun
cycle est calco-alcalin à alcalin, d'âge permien et termine
des bassins permiens de la Meseta occidentale, montrent
l'histoire hercynienne du Maroc. Ce n'est qu'au Trias supé-
des ressemblances et des différences dans leur mode de
rieur qu'auront lieu d'autres manifestations basiques, de
remplissage et leur évolution géodynamique.
type tholeïtique, annonciatrices du rifting atlantique.
Les produits rouges, souvent carbonatés, dominent.
Géologie des bassins permiens Ils sont toujours continentaux, à dominante détritique et
s'organisent en séquences, le plus souvent positives, de
L'objectif de cette note sur l'étude du Permien conti-
conglomérats-grès-argile.Des cônes alluviaux de piedmont
nental du Maroc est d’actualiser les connaissances acquises
ou des coulées boueuses, apparaissent au début de la sédi-
à la lumière des nombreuses et récentes découvertes d'élé-
mentation ou sur les bordures.Au centre,les produits fins de
ments de datation. Ces nouveaux résultats se répartissent
plaines d'inondation dominent ; ils sont localement asso-
en trois catégories principales (El Wartiti, 1981 ; 1990) :
ciés à des carbonates lacustres (calcaires à ostracodes de
la première résume l'évolution verticale et latérale de la Mechraâ Ben Abbou), à des dépôts palustres (Freytet et
sédimentation continentale en relation avec les varia- al.,1992),et à des horizons pédogénétiques (Tiddas-Khénifra-
tions paléo-climatiques et tectoniques ; Chougrane),parfois à des niveaux charbonneux et à cinérites
la deuxième regroupe les données paléontologiques de décantation (Bou Achouch).La sédimentation fluviatile est
qui sont intimement liées à des étages bioclimatiques largement représentée dans la plupart des bassins par des
bien déterminés ; cours d'eau en tresse (Tiddas,Khénifra,Chougrane,Mechraâ
la dernière retrace l'évolution géodynamique (tecto- Ben Abbou),qui véhiculent le matériel arraché aux reliefs,sou- 119

Géologues n°194
patrimoine géologique

vent proches,vers le centre des bassins.Les variations d'épais- dances progressives,d’épaississements de séries vers le centre,
seur et de faciès sont brusques,la subsidence soulignée par la présence de petits horsts et grabens, etc.
la succession de petites séquences,montrent que les bassins La subsidence est également accentuée par une
sont alimentés en majorité par le substratum (Cambrien à activité permanente des failles bordières en transtension
Carbonifère) environnant,alors en relief :mais localement le avec une composante verticale qui rajeunit les reliefs nour-
matériel provenant des plutons granitiques et de leur auréo- riciers. Les limites des différents bassins permiens sont
le métamorphique participe aussi à ce comblement carac- toujours des contacts anormaux subrectilignes (Khénifra,
téristique de la fin de l’orogénèse hercynienne. Chougrane, Mechraâ Ben Abbou, Tiddas et Bouterhella) ;
La présence de niveaux lacustres à ostracodes et de les marqueurs tectoniques observés dans le substratum à
nappes phréatiques oscillantes (marmorisation),l'abondance proximité des bordures de bassin indiquent un jeu coulis-
des dépôts fluviatiles et l'existence d'empreintes de gouttes sant dextre pour tous les bassins tardi-hercyniens.
de pluie et de restes végétaux,montrent que le climat n'était Nous savons actuellement que les dernières phases
pas aride, mais sans doute en ceinture équatoriale, avec varisques de raccourcissement entre l'Amérique du Nord,
périodes humides et sèches plus ou moins longues. l'Afrique et l'Europe du SO ont induit la surrection d'une
L'ouverture des bassins permiens est toujours accom- chaîne de montagnes, qui est en partie permienne (pha-
pagnée de manifestations volcaniques sous forme d'appa- se alléghanienne) dans les Appalaches du Sud. Il s’ensuit
reils greffés sur des failles profondes.Les bassins étudiés ont une tectonique tardive essentiellement décrochante
connu des distensions selon des directions NNO-SSE à NO- (grands linéaments transformant E-O) correspondant vrai-
SE. Ces dernières sont mises en évidence par l'existence de semblablement à la réponse de cette hypercollision conti-
failles syn-sédimentaires observées dans tous les bassins. De nentale. C'est dans ce contexte compressif global qu'on ver-
nombreux marqueurs mettent en évidence l'enfouissement rait s'ouvrir des bassins permiens intracontinentaux des
des bassins avec plusieurs épisodes de comblement. Il faut régions péri-atlantiques dans un contexte géodynamique
noter la présence de failles syn-sédimentaires et de discor- de transpression-transtension.

a b
Figure 3. Position géographique du bassin permien de Khénifra et sa stratigraphie (source : El Wartiti, 1990).
a- Colonne stratigraphique du Permien dans le compartiment méridional du bassin de Khénifra.
120 b- Carte géologique simplifiée du bassin Permien de Khénifra.

Géologues n°194
patrimoine géologique

indispensable à la compréhension des mécanismes ayant


abouti à la constitution de la Pangée permienne suite à la
surrection de la chaîne hercynienne. Or,en raison même de
sa situation géographique exceptionnelle, l'Afrique du
Nord, et particulièrement le Maroc, constitue un domaine
privilégié pour que des études paléobotaniques, replacées
dans leur contexte sédimentaire et structural, puissent
déboucher sur des résultats phytogéographiques suscep-
tibles d'être utilisés, avec un grand profit, pour appuyer
certains modèles géodynamiques, proposés par différents
auteurs pour l'époque permienne (Broutin et al.,1986).

Photo 1. Vue générale du bassin permien de Khénifra, ville construite sur


les gisements fossilifères (source : El Wartiti, 1990).
Analyses détaillées des bassins
de Tiddas, Bou Achouch et Khénifra
Paléontologie Nous présentons ici les données liholostratigraphiques
et paléobotaniques des trois bassins du Maroc Central :
L’étude paléobotanique des gisements fossilifères
Khénifra (Fig.3 et Photo 1),Bou Achouch (Fig.4 et Photos 2 et
végétaux (El Wartiti et al.,1986,1987,1990,Aassoumi,1994,
3) et Tiddas (Fig. 5 et Photo 4). Ces bassins ont livré des don-
2007, Aassoumi et al., 1992, 1995) nous a servi d'outil pour,
nées paléontologiques particulièrement importantes,en tant
d'abord, dater avec précision les formations continentales
qu’outils de corrélation, notamment paléobotanique, paly-
du Permien du Maroc,et ensuite,avec les données structu-
rales,replacer le Maroc dans un modèle géodynamique. Ce
sont les gisements de Bou Achouch, de Tiddas et Khénifra,
de Chougrane et de Bouterhella qui ont livré de 1986 à 2000
le plus de données nouvelles ; tous les végétaux fossiles,
replacés dans leur contexte sédimentaire, ont permis de
rapporter le Permien du Maroc central à de l'Autunien et
cela sans ambiguïté. Les ostracodes d'eau douce extraits
des calcaires lacustres de Méchraâ Ben Abbou ont donné un
âge permien inférieur. Les bassins de Bou Achouch, Boute-
rhella,Tiddas et Khénifra se ressemblent tellement,que l'on
pourrait faire d'eux un seul et grand bassin, ou des bassins
très proches l'un de l'autre au sein du Massif central qui
venait d'être édifié.Il est essentiel de faire ressortir qu'à cet-
te époque, ces associations végétales sont clairement eur- Photo 2. Table cinéritique riche en végétaux fossiles (source : Bou Achouch,
américaines et appartiennent donc au domaine laurasien.Le El Wartiti et al., 1987).
paléoclimat était celui d'une ceinture équatoriale. Les
empreintes de pattes de Vertébrés, les toutes premières
découvertes dans le Permien inférieur du Maroc (bassin de
Tiddas ;El Wartiti et al.,1986),se rapprochent exclusivement
des formes de la province euraméricaine.
Les données paléobotaniques constituent un
paramètre essentiel pour les reconstitutions phytogéo-
graphiques et paléogéographiques du domaine médi-
terranéen occidental. Ceci d'autant plus que ces flores
continentales se sont développées dans des conditions
très similaires aux flores contemporaines décrites dans
le sud de l'Espagne (Broutin et al.,1986).
Photo 3. Complexe conglomératique associé à des Vulcanites riches en
La connaissance paléontologique et chronologique végétaux de Bou Achouch, reposant sur les schistes du Viséo-Namurien
approfondie du Permien du Maroc apparaît absolument (Maroc Central septentrional ; Termier 1936 ; El Wartiti, 1990). 121

Géologues n°194
patrimoine géologique

Figure 4. Position géographique du bassin permien de Bou Achouch et sa stratigraphie (source : El Wartiti, 1990).

nologique et palichnologique. Les paléoflores, abondantes ce), ont été récemment réinterprétés (Hmich et al., 2006).
et diversifiées,sont dominées par des Conifères,des Ptérido- La présence de végétaux hygrophiles dans les
spermes,des Cordaïtes et des Ginkgophytes,accompagnées pélites grises et rouges contemporaines, indique un envi-
de Filicophytes et Sphénophytes.Elles sont contemporaines ronnement à périodes humides. Ceci est confirmé par la
aux paléo-flores du Permien inférieur de l'Europe occiden- structure d'un bois (Aassoumi et al., 1996).
tale. Des éléments gondwaniens,cathaysiens et angaridiens
Le bassin de Khénifra a livré aussi des empreintes
ont été trouvés ; il s’agit donc d’une flore « mixte ».
de pistes de Vertébrés, attribuées à Limnopus, Dromopus
Les pélites rouges du bassin de Tiddas ont livré des et Batrachichnus (Hmich et al., 2006). Les premiers os de
empreintes de pistes d'Invertébrés, de pas de Vertébrés, et vertébrés amniotes, bien adaptés à la vie terrestre, ont été
de gouttes de pluie, (El Wartiti et al., 1986 ; Broutin et al., découverts (Hmich, 2004 ; Hmich et al., 2006). Le même
1987). Les genres Amphisauroides, Gilmoreichnus, du Per- gisement a fourni des végétaux méso-xérophiles et
mien inférieur du bassin de Thuringe (Allemagne), Hyloi- xérophiles adaptées à la sécheresse, indiquant un climat
dichnus, qui sont bien connus dans les formations Hermit semi-humide. L'unique association sporo-pollinique, à
122 (Grand Canyon,Arizona) et Rabejac (Bassin de Lodève,Fran- caractère mixte, provenant de Khénifra indique un âge

Géologues n°194
patrimoine géologique

Figure 5. Position féographique du bassin permien de Tiddas-Sebt Aït ikkou (source : El Wartiti, 1981).

« saxonien » à fin Rotliegend (Broutin et al., 1998).


Les trois bassins Tiddas,Bou Achouch et Khénifra ont
fournis des spores fossiles (macrospores et microspores),
diversifiées et abondantes (Planches 1 et 2). L'ensemble de
ces associations a été corrélé avec celles connues dans les
bassins continentaux du Permien inférieur de l'Europe occi-
dentale. C'est notamment avec les spores du bassin
d'Autun (France), que des similitudes ont été remarquées,
principalement avec les associations floristiques de l'assise
de Millery. Les deux associations montrent la même domi-
nance et la diversification des Calliptéridés (organes végé-
tatifs surtout), des Cordaïtes et des Conifères.
Photo 4. Vue du bassin permien de Tiddas de direction SW-NE, situé en Des similitudes étroites avec les spores du bassin de
contre-bas des reliefs viséens (source : El Wartiti, 1990). Guadalcanal situé au sud-est de l'Espagne, (Broutin et al., 123

Géologues n°194
patrimoine géologique

1998) ont été remarquées,surtout au niveau des groupes de Conclusion : le Permien marocain, un
Conifères et de Ginkgophytes qui présentent de nombreuses
espèces en commun. Ces deux sites, se caractérisent aussi patrimoine géologique à sauvegarder
par la présence des formes particulières caractérisant le Les gisements fossilifères découverts dans les séries
Permien cathaysien. Ce qui confère aux spores de ces deux continentales permiennes, en particulier dans les trois
régions leur caractère mixte.Enfin,la présence des organes bassins de Khénifra, Bou Achouch, Tiddas doivent être
reproducteurs du groupe des Peltaspermaceae dans le Maroc identifiés, valorisés et protégés, parce qu'ils constituent
central est très importante. Ce groupe a été initialement quelques chapitres essentiels de la mémoire de la Terre.
considéré comme caractéristique du Mésozoïque. Il a été La sensibilisation du grand public, toutes catégories
découvert à l'origine dans le Trias supérieur du Groenland. confondues, vis-à-vis de l’importance de sauvegarde de ce
Puis, ces végétaux ont été reconnus dans le Permien supé- patrimoine géologique est la responsabilité de tous. Les
rieur de l'Europe du Sud, de Russie et de Chine, ainsi que exemples pris ici, visent à faire des bassins permiens des
dans le Permien inférieur de Chine (Broutin et al., 1998). sites protégés, vu leur grande richesse scientifique qui
nous permet de remonter dans le temps jusqu’à –285 Ma

Planche 1. 1- Culmitzschia laxifolia ; 2- Feysia minutifolia ; 3- Calamites gigas ; 4- Mostotchkia (Dycranophyllales) ; 5- Feysia sp. ; 6- Annularia cf. hunanen-
sis ; 7- Walchia piniformis ; 8- Plagiozamites sp. ; Ullmania sp. ; 9- Cône mâle de Conifères ; 10- Walchia sp. ; 11- Ginkgophyllum sp. ; 12- Organe reproducteur
124 de conifère detype Darneyella.

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patrimoine géologique

Planche 2. 1- morceaux de tige et de racine de Mesopityoxylon tiddasense ; 2 et 3- Cônes mâles de Conifères ; 4- Pecopteris cf. aspidioides ; 5- Section trans-
versale d'une racine à encroûtement centrifuge ; 6- Rachiphyllum sp. (Peltaspermacées) ; 7- Peltaspermum sp. (Peltaspermacées) ; 8- Empreintes de pattes
d’« Antichnium salamandroides » ; 9- Sphenopteris gemanica.

(Fig.6) et d’en reconstituer la


vie sous une ceinture paléo-
climatique équatoriale à sai-
sons humides. Ces recherches
vont certainement permettre
la découverte de nouvelles
données qui enrichiront les col-
lections paléobotaniques et
faunistiques, ainsi que le débat
scientifique sur cette période.
L’inventaire et la typolo-
gie des sites géologiques fossi-
lifères et géomorphologiques à
Figure 6.Reconstitution paléogéographique de bassins permiens marocains sur bloc diagramme (source :les auteurs). 125
multiples valeurs dans ces bas-

Géologues n°194
patrimoine géologique

sins permiens marocains sont nécessaires pour permettre, tral). C.R. Acad. Sci. Paris, 305, II : 143-148.
à la fois, une exploitation de toutes substances utiles et une Broutin J., Aassoumi H., El Wartiti M., Freytet P., Kerp H., Quesa-
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Géologues n°194
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Numéro 194 - septembre 2017 - 20 € - ISSN 0016.7916 - Trimestriel

Géologues n°194 (03 • septembre 2017)


REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE
Géosciences appliquées

Haut Atlas de Marrakech, à 10 km au NO du col de Tizi n’Tichka. Cliché : H. Ouanaimi.

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Cliché : H. Ouanaimi.
Le Maroc, paradis des géologues

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