Vous êtes sur la page 1sur 5

21/05/2023 16:41 LA BÊTE HUMAINE - Universalis.

edu

LA BÊTE HUMAINE, Émile Zola


Fiche de lecture

AUTEUR
Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres

La Bête humaine est le dix-septième volume des Rougon-Macquart. Écrit entre mai 1889 et
janvier 1890, le roman a d’abord été publié en feuilleton dans La Vie populaire, avant de
paraître en volume chez Charpentier, en mars 1890. Si, depuis Thérèse Raquin (1867), chaque
livre d’Émile Zola (1840-1902) a été, malgré le succès public, diversement accueilli par la
critique, celle-ci se montre particulièrement sévère à l’égard du roman, accusé d’une
outrance morbide digne du Grand-Guignol. L’auteur, à dire vrai, ne pouvait guère se
plaindre d’une telle réception, lui qui présentait ainsi son projet : « Je voudrais quelque
chose d’hallucinant, d’effroyable [...], qui donne un cauchemar à toute la France ».

La Bête humaine, de J. Renoir, 1938


Jean Gabin dans «La Bête humaine» (1938) de Jean Renoir, d'après Émile Zola. 

www.universalis-edu.com.lama.univ-amu.fr/encyclopedie/la-bete-humaine/ 1/5
21/05/2023 16:41 LA BÊTE HUMAINE - Universalis.edu

Par sa noirceur, par son approche à la fois naturaliste et épique, et par les thèmes qui y sont
développés (hérédité sociale, pulsions violentes, emprise du corps...), La Bête humaine est
tenu, avec L’Assommoir, Germinal et Nana, pour l’une des œuvres les plus emblématiques de
Zola. Une adaptation cinématographique très épurée en a été réalisée par Jean Renoir, en
1938, avec Jean Gabin dans le rôle de Jacques Lantier.

« Que de sang et d’horreurs »


Séverine Roubaud révèle à son mari, sous-chef de la gare du Havre, que son parrain,
Grandmorin, riche et respectable magistrat, président de la Compagnie des chemins de fer
de l’Ouest, a abusé d’elle lorsqu’elle avait seize ans. Fou de jalousie, Roubaud décide de se
venger. Il force Séverine à écrire une lettre invitant Grandmorin à prendre le train pour la
rejoindre à Rouen. Pendant ce temps, le mécanicien Jacques Lantier se trouve à La Croix-
de-Maufras, non loin de l’ancienne maison de Grandmorin, chez sa marraine Phasie Misard,
la femme du garde-barrière. Le couple a une fille de 18 ans, Flore, qui est amoureuse de
Jacques. Leur fille cadette, Louisette, est morte quelques années plus tôt dans la cabane de
Cabuche, un homme fruste vivant dans les bois, chez qui elle s’était réfugiée après avoir été
violée et violentée par Grandmorin. Flore et Jacques se retrouvent par hasard dehors
pendant la nuit. La jeune fille se moque de son « amour exclusif » pour Lison, sa
locomotive. Troublé, il étreint la jeune fille, qui se défend mollement. Il est alors saisi d’une
pulsion meurtrière, héritage de l’alcoolisme de sa mère, Gervaise, et réussit à s’enfuir juste
avant de passer à l’acte. Tandis qu’il longe la voie ferrée, il croit voir commettre un meurtre
dans le train qui passe à côté de lui à vive allure, et apprend peu après que le corps du
président Grandmorin a été retrouvé sur la voie.

Le lendemain, au Havre, Roubaud et Séverine sont interrogés, au motif qu’ils se trouvaient


dans le train et auraient un mobile pour assassiner Grandmorin, celui-ci leur ayant légué une
maison afin d’acheter le silence de Séverine. Autre suspect : Cabuche, qui aurait pu vouloir
venger Louisette. Jacques est entendu comme témoin puis assiste à l’interrogatoire des
Roubaud, et devine qu’ils sont les assassins. Craignant d’avoir été reconnu par Jacques,
Roubaud persuade sa femme de l’accompagner à Paris et de le séduire. À Paris, Séverine
espère recueillir des informations sur l’enquête en se rendant chez Camy-Lamotte,
secrétaire général au ministère de la Justice. Celui-ci constate que l’écriture de la lettre
retrouvée sur le corps de Grandmorin est celle de Séverine. Il convainc néanmoins le juge
Denizet d’abandonner la piste Roubaud afin de ne pas salir la réputation de Grandmorin. Il
en informe Séverine, qui, soulagée, rentre au Havre. Entretemps, Jacques et elle sont
devenus amis.

www.universalis-edu.com.lama.univ-amu.fr/encyclopedie/la-bete-humaine/ 2/5
21/05/2023 16:41 LA BÊTE HUMAINE - Universalis.edu

Un mois plus tard, l’affaire paraît classée. Un véritable amour est né entre lui et Séverine. Ils
sont devenus amants. Jacques semble guéri, tandis que Roubaud commence à puiser dans
l’argent volé à Grandmorin au moment du meurtre. Séverine s’en aperçoit, le couple se
querelle violemment.

Un jour, le train conduit par Jacques est stoppé à La Croix-de-Maufras par une violente
tempête de neige. Séverine et Jacques se réfugient chez les Misard, où Flore les surprend en
train de s’embrasser. Malgré le mauvais état de la Lison, le train finit par repartir. Arrivés
tard à Paris, les amants passent la nuit ensemble, et la jeune femme raconte le meurtre en
détail. Ce récit réactive la pulsion meurtrière de Jacques, qui, sur le point d’assassiner sa
maîtresse, s’enfuit et erre dans les rues, en quête d’une victime.

Séverine pousse Jacques à les débarrasser de son mari. Une première tentative échoue,
Jacques renonçant au dernier moment. Flore, jalouse de la liaison entre Séverine et Jacques,
décide de les tuer en faisant dérailler le train. La catastrophe a lieu, faisant de nombreuses
victimes, mais Jacques et Séverine en réchappent miraculeusement. La Lison est détruite.
Flore s’enfuit et se jette sous un train.

Dans la maison de La Croix-de-Maufras, où elle soigne son amant blessé, Séverine projette
de nouveau le meurtre de Roubaud. Ils attendent son arrivée, quand Jacques, à la vue de sa
maîtresse en chemise, la poignarde à mort. Hagard, il s’enfuit, tandis que Cabuche survient
et prend le cadavre de Séverine dans ses bras, bientôt surpris par Misard.

Cabuche et Roubaud sont arrêtés, le premier pour assassinat, le second pour complicité. Au
terme d’un procès retentissant, ils sont condamnés aux travaux forcés. Jacques a repris son
service et est devenu l’amant de Philomène, la maîtresse de Pecqueux, son chauffeur. Un
soir, dans la nouvelle locomotive qui emmène vers le front un train plein de soldats, les
deux hommes se battent et tombent sur la voie, où ils sont broyés, tandis que la machine
folle fonce aveuglément dans la nuit.

Une psychopathologie romanesque


Ce récit, à la fois fortement structuré (deux parties égales, comme souvent chez Zola,
scandent ici, dans une presque unité de lieu – entre Paris et Le Havre – le destin tragique de
Séverine, de son crime à son assassinat) et extrêmement touffu, multiplie et entremêle les
intrigues primaires et secondaires au fil de ses douze chapitres. Il n’est pas interdit de
renvoyer ce chaos et cette violence paroxystiques au goût contemporain pour les
mélodrames du « boulevard du crime », les faits-divers sordides qui font les beaux jours
d’une presse à sensation florissante, et les romans-feuilletons policiers à la mode. Mais
l’intention et le propos de Zola dépassent de beaucoup ces sources d’inspiration.

www.universalis-edu.com.lama.univ-amu.fr/encyclopedie/la-bete-humaine/ 3/5
21/05/2023 16:41 LA BÊTE HUMAINE - Universalis.edu

À l’origine de La Bête humaine, il y a le projet ancien d’un roman consacré au crime et à la


justice, sur lequel viendra se greffer par la suite un intérêt pour le transport ferroviaire, en
plein essor depuis les années 1840. Le chemin de fer, avec des trains de plus en plus rapides,
a en effet donné naissance à tout un imaginaire de la modernité, ainsi qu’à une perception
nouvelle des villes et des paysages, dont les amis impressionnistes de l’auteur se font l’écho.
Comme à son habitude, Zola a multiplié les recherches préparatoires, et le livre fourmille de
termes et de détails techniques propres à restituer le plus fidèlement possible la réalité de la
vie des cheminots. 

Le projet naturaliste se double cependant d’une perspective philosophique et morale. Le


monde du rail, s’il s’inscrit dans la longue liste des milieux sociaux – la mine, les halles, les
grands magasins, la bourgeoisie affairiste parisienne, les campagnes, etc. – représentés dans
Les Rougon-Macquart, est aussi une nouvelle occasion pour l’auteur de porter un regard
ambivalent – entre fascination et effroi – sur le progrès technique, symbolisé ici par la
Lison. La locomotive, machine constamment personnifiée et seul véritable amour de
Jacques, se mue en une figure mythologique, monstre séducteur et destructeur, comme
avant elle le Voreux de Germinal ou l’alambic de L’Assommoir. Quant au monde judiciaire,
moins présent que prévu, il est essentiellement perçu sous l’angle critique de sa corruption
et de sa sujétion au pouvoir politique, au prix de l’erreur judiciaire, comme une annonce de
l’affaire Dreyfus qui éclatera quatre ans plus tard.

Quant à l’ambition naturaliste, constamment concurrencée par une vision et une écriture à
la fois épiques et fantastiques, elle ne se réduit pas à la représentation fidèle et sans
concession de milieux sociaux. En empruntant à Claude Bernard sa « méthode
expérimentale », Zola se fait à son tour physiologiste : les personnages sont vus comme
autant de « cas » dont il s’agit de diagnostiquer et d’étudier les pathologies. Pour La Bête
humaine, il a donné à Gervaise et Lantier, après Étienne (Germinal, 1885) et Claude (L’Œuvre,
1886), un troisième fils, Jacques, ainsi caractérisé : « hérédité de l’alcoolisme se tournant en
folie homicide. État de crime. Mécanicien ». Pourtant, si elle est bien présente, cette thèse
d’un déterminisme social se manifestant sous la forme de névroses héréditaires passerait
presque ici au second plan. C’est qu’au-delà du cas particulier du tueur de femmes
schizophrène (« Ce n’était plus lui qui agissait, mais l’autre ... »), au-delà de personnages tous
plus ou moins « atteints » (sexualité prédatrice de Grandmorin, jalousie destructrice de
Roubaud, Flore et Pecqueux, rapacité de Roubaud et Misard, brutalité primitive de
Cabuche...), au-delà même d’une société gangrenée, toutes classes confondues, par la
cupidité, la violence et le vice, c’est l’humanité elle-même qui apparaît, de toute éternité,
sous le fragile vernis de la civilisation, irrémédiablement gouvernée par ses pulsions. Le titre
du roman ne laisse à cet égard aucun doute, comme l’allégorie finale d’une machine fonçant
dans la nuit, emportant dans sa course folle des soldats voués à la mort.
—  Guy BELZANE

www.universalis-edu.com.lama.univ-amu.fr/encyclopedie/la-bete-humaine/ 4/5
21/05/2023 16:41 LA BÊTE HUMAINE - Universalis.edu

POUR CITER L’ARTICLE

Guy BELZANE, « LA BÊTE HUMAINE, Émile Zola - Fiche de lecture », Encyclopædia


Universalis [en ligne], consulté le 21 mai 2023. URL : http://www.universalis-edu.com.lama.
univ-amu.fr/encyclopedie/la-bete-humaine/

BIBLIOGRAPHIE

E. ZOLA, La Bête humaine, in Les Rougon-Macquart, A. Lanoux et H. Mitterrand éd., t.


IV, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1966 ; La Bête humaine, C. Reffait éd.,
Flammarion, Paris, 2018.

※ Études

C. BERTRAND-JENNINGS, L’Éros et la femme chez Zola, Klincksieck, Paris, 1977

J. BORIE, Zola et les mythes, ou de la nausée au salut, Seuil, Paris, 1971

J. NOIRAY, Le Romancier et la machine : l’univers de Zola, Corti, Paris, 1981


CLASSIFICATION

Littératures

» Œuvres littéraires

» Œuvres littéraires du XIXe s. occidental

Littératures

» Œuvres littéraires

» Œuvres littéraires par genres

» Œuvres romanesques

© 2023 - Encyclopædia Universalis


Tous droits de propriété industrielle et intellectuelle réservés.

www.universalis-edu.com.lama.univ-amu.fr/encyclopedie/la-bete-humaine/ 5/5

Vous aimerez peut-être aussi