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FONCTIONS ACADEMIQUES
EXPERIENCE INTERNATIONALE
■ Membre du Comité des Nations Unies des droits de L’Enfant, ancien Vice-président
■ Expert indépendant auprès de la Commission des droits de l’homme, chargé de la question
d’un projet de Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, 2002- 2003
■ Membre du Comité exécutif de la Société Internationale de droit du travail et de la
sécurité sociale, 1987-2000
1- OUVRAGES ET MANUELS
"الحقوق األساسية لإلنسان في العمل" ضمن الندوة الوطنية الثالثية الحوار االجتماعي حول العمل الالئق:2009
.2009 أفريل27 تونس، و ازرة الشؤون االجتماعية والتضامن والتونسيين بالخارج-من أجل عولمة عادلة
2013 : « Introduction des droits économiques, sociaux et culturels dans les stratégies de
développement des Etats de la région arabe », in Regional Panel Discussion on Human Rights in the
Arab Region 20 Years after Vienna: Achievements, Gaps and the way forward, Caire 18-19 Décembre
2013.
1er AXE : GARANTIR LE DROIT AU TRAVAIL ET A DES CONDITIONS DE TRAVAIL JUSTES ET FAVORABLES
............................................................................................................................................................... 16
2ème AXE : RENFORCER LES ORGANES DE SUIVI ET DE CONTROLE EN VUE D’ASSURER L’EFFECTIVITE
DES NORMES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME DANS LE TRAVAIL ...................................... 48
2ème AXE : MIEUX ASSEOIR LA PRESENCE SYNDICALE ET LES MECANISMES DE REPRESENTATION DES
TRAVAILLEURS AU SEIN DE L’ENTREPRISE............................................................................................. 79
1er AXE : DIVERSIFIER LES MODELES ET LES REACTIONS ET FAVORISER UNE PLUS GRANDE CAPACITE
DE MOBILITE EXTERNE DU TRAVAIL ...................................................................................................... 88
2ème AXE : FAVORISER UNE PLUS GRANDE CAPACITE DE MOBILITE INTERNE DU TRAVAIL ET
D'ADAPTATION DES TACHES ET DES COMPETENCES .......................................................................... 128
INTRODUCTION
I- CONTEXTE HISTORIQUE
2. En Tunisie, faut-il le rappeler, la politique sociale a toujours présenté la
caractéristique d’une politique assez volontariste, marquée par les phases
d’interventionnisme de l’Etat qui ont influencé durablement la législation comme
l’attitude des différents acteurs. Les premières lois sociales apparaissent dès 1910 :
c’est la naissance, dans le secteur industriel et commercial, d’un droit du travail à
visage humaniste et à contenu impératif, rebelle au droit civil et coutumier. Les
premiers textes – sous forme de décrets – portent sur les conditions spéciales du
travail des enfants du sexe masculin âgés de moins de 16 ans dans les travaux
souterrains des mines et carrières, la réglementation des établissements dangereux,
insalubres ou incommodes, l’institution du repos hebdomadaire dans les
établissements industriels et commerciaux, la surveillance et la police sanitaire des
chantiers. Mais très vite, le mouvement sera accentué suite, notamment, à la période
du Front Populaire en France : droit syndical, semaine des 40 heures, congés payés,
conventions collectives, protection contre le licenciement, procédure de règlement
des conflits, etc. Le mouvement sera de nouveau relancé au lendemain de la seconde
guerre mondiale : réglementation des heures supplémentaires, organisation des
conseils de prud’hommes, institution des comités d’entreprises.
3. Pour autant, il ne s’agissait pas tant à l’époque et de la part des autorités coloniales
de doter la Tunisie d’une législation moderne - les travailleurs tunisiens étant alors
pour la plupart occupés dans l’agriculture et les corporations artisanales qui
échappaient au droit du travail - que de favoriser un flux migratoire de la métropole
vers les colonies1.
4. Il faut attendre, par la suite, l’indépendance pour assister à une plus grande
implantation du droit du travail en Tunisie. L’Etat nouveau est un Etat à vocation
éminemment sociale et l’existence d’une réglementation protectrice des travailleurs
1
Cf. Mansour HELAL, « La formation historique du droit du travail en Tunisie », Revue
tunisienne de droit social, 1986, p. 41.
ne sera pas ressentie comme un legs difficile à assumer mais, au contraire, les
protections seront renforcées et étendues à des catégories de plus en plus larges de
la population.
5. C’est ainsi que l’Etat indépendant va intégrer, petit à petit, les normes
internationales du travail en procédant, notamment, à la promulgation, le 30 avril
1966, du Code du travail (ci-après « CT ») et en accentuant, depuis lors, le processus
d’adhésion de la Tunisie à nombre de conventions internationales du travail de
l’O.I.T, dans un souci constant d’harmonisation de la législation interne avec les
tendances majeures du droit international en ce domaine. Soixante et une (61)
conventions internationales du travail sont, à ce jour, ratifiées par la Tunisie,
comprenant notamment les huit (8) conventions se rapportant aux principes et droits
fondamentaux de l’homme au travail2, y compris la Convention (n° 87) sur la liberté
syndicale et la protection du droit syndical et la Convention (n°98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, étant précisé que la Tunisie a, également,
ratifié le 25 mai 2007 la Convention (n° 135) sur les représentants de travailleurs et
que les trois dernières ratifications, intervenues par suite de l’adoption de la loi
fondamentale n° 2013-07 du 1er avril 2013, ont concerné, successivement, la
Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes
internationales du travail, la Convention (n° 151) sur les relations de travail dans la
fonction publique et la Convention (n° 154) sur la négociation collective, marquant
tout autant le souci de l’Etat de promouvoir la négociation collective et d’asseoir
durablement les droits et garanties en faveur des acteurs du dialogue social 3.
6. Volontariste, la politique sociale a toujours été – et c’est sa seconde caractéristique
– une politique « consensuelle », depuis notamment l’adoption de la Convention
collective cadre (ci-après « CCC »), signée à Tunis le 20 mars 1973 entre l'Union
2
Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, Convention (n°
98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, Convention (n° 29) sur le travail
forcé, Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, Convention (n° 138) sur l'âge
minimum, Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, Convention (n°
100) sur l'égalité de rémunération et Convention (n° 111) concernant la discrimination
(emploi et profession).
3
La Tunisie a, également, ratifié trois (3) des quatre (4) Conventions de gouvernance, dites
prioritaires (la Convention (n° 81) sur l'inspection du travail, la Convention (n° 122) sur la
politique de l'emploi et la Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux
normes internationales du travail) et 50 Conventions techniques se rapportant à des
questions diverses touchant au travail et à la vie des travailleurs.
- Cela concerne, d’abord, le fondement même du droit du travail, souvent mal cerné
en raison d’une vision trop partielle de son histoire et de ses techniques, alors qu’il
constitue, en Tunisie comme ailleurs, un facteur d’équilibre des rapports sociaux (A) ;
- La clarification tient, ensuite, au rôle souvent exagéré attribué au droit du travail
dans le processus économique alors qu’il n’y constitue qu’un facteur dérivé (B) ;
- La clarification a trait, enfin, à la question des sources du droit du travail et de la
place qu’y occupe le droit conventionnel – les conventions collectives du travail – par
rapport au droit étatique – le Code du travail – (C).
15. L’hypothèse paraît plausible mais pourrait ne constituer, parfois, qu’une fausse
optique renvoyant à un comportement fantasmatique face au droit, et ce, au double
plan macroéconomique (1) et microéconomique (2).
Le droit du travail est en fait un facteur dérivé : « La crise renvoie moins à des solutions
en termes d’allègement du droit travail que de droit commercial, financier, du droit
d’entreprendre en somme »9.
7
A. ROUDIL, « Flexibilité de l’emploi et droit du travail : la beauté du diable », Revue de droit
social, 1985, p. 87.
8
Gérard LYON-CAEN, « Quelle flexibilité pour quel droit du travail ? » in Droit social et
emploi, Revue tunisienne de droit social, 1987.
9
A. ROUDIL, article précité.
10
Ibid.
travail est appliqué, celles où il n’est pas et apprécier la part qu’il occupe dans chaque
situation.
19. C’est dire aussi que le droit du travail est souvent la cible de critiques qui doivent
être orientées ailleurs : bureaucratie, mauvaise organisation du travail, tensions
sociales, coûts financiers dus au surendettement de bon nombre d’entreprises, etc.
(C) Au niveau des sources du droit du travail : place des conventions collectives par
rapport au Code du travail
20. C’est là une des originalités du droit du travail par rapport aux branches voisines
du droit économique. A côté du droit étatique contenu essentiellement dans le Code
du travail qui fixe les règles et principes que l’Etat tient pour essentiels dans
l’organisations des rapports de travail et qui résument, pour une bonne partie, les
règles définies dans les normes internationales du travail en ce domaine, le droit du
travail reconnait une certaine place aux partenaires sociaux pour l’aménagement
d’un droit professionnel trouvant son expression dans les conventions collectives du
travail.
21. Or, à entendre les doléances exprimées, ici où là, par les employeurs, les
difficultés auxquelles l’entreprise est confrontée proviendraient plus généralement,
non pas nécessairement du Code du travail, mais bien de ce droit conventionnel
sensé pourtant mieux répondre aux besoins du monde du travail. C’est, en d’autres
termes, l’expérience de la négociation collective, ajoutée à la montée croissante des
tensions sociales, qui se révèle déficiente, même si la part du Code du travail dans les
performances du système de relations professionnelles n’est pas négligeable.
22. Les difficultés tiennent, en fait, à des facteurs interdépendants et intimement liés,
de sorte que toute analyse juridique doit intégrer une part importante de la
représentation et de l’usage que font, dans la durée, les acteurs sociaux du système
juridique encadrant les rapports du travail et les relations professionnelles.
24. Dans cette perspective, le Code du travail est aujourd’hui appelé, avant tout, à
traduire et à mettre en œuvre les valeurs se rapportant aux droits fondamentaux de
l’homme au travail ; telles que proclamées dans le Préambule et aux articles 12, 35,
36 et 40 de la Constitution du 27 janvier 2014, et ce, en redonnant un sens aux
valeurs de liberté, d’égalité et de citoyenneté en tant que noyau irréductible de tout
système qui entend associer les relations du travail à la réalisation d’un modèle de
cohésion sociale (1ère partie).
Mais en même temps, le droit du travail est aujourd’hui appelé à renouveler ses
techniques et ses méthodes de représentation de la doctrine des relations de travail
en vue de parvenir à relever un double défi :
- Mettre en place un cadre juridique adapté permettant d’encadrer les relations
collectives du travail en vue d’apaiser les tensions sociales et de mieux asseoir le
dialogue social (2ème partie) ;
- Moderniser le cadre juridique applicable aux relations individuelles du travail et
l’adapter aux nouvelles réalités du monde du travail (3ème partie).
11
Préambule : « …Considérant le statut de l’Homme en tant qu’Être élevé en
dignité,…construisant sur notre unité nationale qui repose sur la citoyenneté, la fraternité, la
solidarité et la justice sociale ;… ».
Articles 12 : « L’Etat œuvre à la réalisation de la justice sociale… ».
Article 35 : « La liberté de constituer des partis politiques, des syndicats et des associations
est garantie.
Les partis politiques, les syndicats et les associations s’engagent dans leurs statuts et leurs
activités à respecter les dispositions de la Constitution et de la loi, ainsi que la transparence
financière et le rejet de la violence ».
Article 36 : « Le droit syndical est garanti, y compris le droit de grève.
Ce droit ne s’applique pas à l’Armée nationale.
Le droit de grève ne s’applique pas aux forces de sécurité intérieure et à la douane ».
Article 40 : « Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail. L’État prend les mesures
nécessaires afin de le garantir sur la base du mérite et de l’équité.
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un
salaire équitable ».
12
Institut Universitaire d'Etudes du Développement (IUED), Pour un développement social
différent : recherche d'une méthode d'approche, rapport d'un groupe de travail en vue du
sommet social de Copenhague, Genève, mars 1995.
26. Cette dérive de "l'économisme"14 a été poussée à l'extrême avec la mise en place,
depuis surtout les années 80 du siècle dernier, des politiques d'ajustement structurel
(PAS) dans les pays en développement sommés d'être gérés comme des firmes avec
pour but exclusif de restaurer les équilibres financiers et d'accélérer leur intégration
au marché mondial.
27. Du même coup, ces PAS se sont-ils vite écartés de leur finalité instrumentale qui,
seule, les légitime en se transformant en une sorte de doctrine de droit naturel
bénéficiant d'une vénération quasi-religieuse et revendiquant, dès lors, une
application universelle et quasi-immuable.
Le résultat a été que ces PAS se sont généralement traduits par une détérioration de
la situation sociale des populations les plus vulnérables des pays ainsi visés :
accroissement des inégalités, diminution de la part des salaires dans le revenu
national, précarisation du travail, augmentation du chômage, etc.
28. Une lecture attentive de l’évolution du doit tunisien du travail ces dernières
années montre que le législateur s’est gardé de se plier à ce dictât de la pensée
unique, exprimée ici en termes de négation totale des droits sociaux. Et dans bien
des domaines, l'on prenait résolument la décision de maintenir et de développer
encore davantage les politiques sociales, y compris les normes de protection du
travail, qui ont constitué, certainement, un des traits marquants de la Tunisie depuis
son indépendance. On avait ainsi conscience que la reprise de la croissance, pour être
nécessaire, était loin de constituer une condition suffisante du développement et
qu'elle ne pouvait à elle seule répondre aux attentes de la société, d'autant que la
réalité contemporaine nous montre, encore aujourd'hui, bien des cas de pays qui ont
renoué avec la croissance mais qui restent incapables de résorber les fractures
sociales et de mettre un frein à l'aggravation du chômage, de la pauvreté et de
l'exclusion sociale.
13
Richard KNIGHT, cité par Sophie BESSIS in De l'exclusion sociale à la cohésion sociale,
Rapport de synthèse du Colloque de Roskilde, 2-4 mars 1995, Université de Roskilde,
Danemark publication MOST (UNESCO).
14
L'expression est de Sophie BESSIS, Rapport précité.
29. La Constitution du 27 janvier 2014 vient en tout cas réaffirmer, dans son
Préambule et dans ses articles 12, 34 et 40, les principes majeurs liés aux droits
fondamentaux de l’homme au travail, sans égard aux autres droits économiques,
sociaux et culturels y consacrés, tels le droit à la santé et à la couverture sociale
(article 38), le droit à l’éducation (article 39), le droit à la culture (article 41) le droit
aux activités sportives et de loisir (article 43), le droit à l’eau (article 44) et le droit à
un environnement sain et équilibré (article 45).
30. Dans le domaine propre aux relations du travail, les principes ainsi proclamés par
la Constitution du 27 janvier 2014, en harmonie avec les tendances majeures des
conventions internationales ratifiées par la Tunisie, appellent-ils dès lors à être
effectivement traduits dans le Code du travail en vue d’associer le travail à la
réalisation d’un modèle de cohésion sociale :
- Affirmer, avant toute chose, le principe du droit au travail et à l'égalité des chances
devant le travail, tout en veillant à abolir toutes les formes de discrimination en ce
domaine et à protéger la condition de l’homme au travail (1er Axe) ;
- Renforcer les organes de contrôle en vue d’assurer l’effectivité des normes de
protection dans le travail (2ème Axe).
15
Cf. Hatem KOTRANE, La Tunisie et le droit au travail, Précis, édition SAGEP. Tunis, 1992.
16
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par
l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
Article 6 : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le
droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou
accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit.
2. Les mesures que chacun des Etats parties au présent Pacte prendra en vue d'assurer le plein
exercice de ce droit doivent inclure l'orientation et la formation techniques et professionnelles,
l'élaboration de programmes, de politiques et de techniques propres à assurer un développement
économique, social et culturel constant et un plein emploi productif dans des conditions qui
sauvegardent aux individus la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales. ».
Article 7 : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir de
conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment :
a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs :
i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction
aucune ; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont
accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même
rémunération qu'eux pour un même travail;
ii) Une existence décente pour eux et leur famille conformément aux dispositions du présent Pacte;
b) La sécurité et l'hygiène du travail;
c) La même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, à la catégorie supérieure
appropriée, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes;
d) Le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques,
ainsi que la rémunération des jours fériés. ».
33. La liberté du travail s’oppose à toute forme de travail forcé. Depuis l’abolition de
l’esclavage, jusqu’à l’interdiction de pratiques, certes moins brutales, mais somme
toute plus subtiles, utilisées à des fins de coercition politique ou dans des
programmes dits de prévention et d’éducation sociale, l’action internationale de l’OIT
contre le travail forcé est marquée par un souci constant d’assurer l’adhésion
volontaire de l’homme au travail.
34. La Convention n°29 (1930) sur le travail forcé et la Convention n°105 (1957) sur
l’abolition du travail forcé constituent les instruments de portée générale en la
matière. Cette dernière convention commande l’abolition immédiate et complète des
cinq formes suivantes de travail forcé :
« - En tant que mesure de coercition ou d’éducation politique ;
- En tant que mesure de mobilisation à des fins de développement économique ;
- En tant que mesure de discipline de travail ;
- En tant que sanction pour avoir participé à des grèves ;
35. La Tunisie a ratifié le 23 novembre 1962 la Convention (n°29), comme elle avait
ratifié, depuis le 23 décembre 1958, la Convention (n°105), et il n’existe pas dans le
Code du travail de 1966 de dispositions impliquant une forme quelconque de travail
forcé au sens de ces textes internationaux. On relèvera, cependant, les difficultés
suscitées par le décret- loi n°62-17 du 15 août 1962 sur le travail rééducatif et par la
loi n°78-22 du 8 mars 1978 sur le service civil. Destinés apparemment à prévenir des
phénomènes tels que l’oisiveté, le vagabondage ou la marginalité, ces textes étaient,
de façon constante, jugés contraires aux dispositions des Conventions n° 29 et 105
par la Commission de contrôle de l’application des Conventions et des
Recommandations de l’OIT.
Ces difficultés ont finalement été dépassées à la faveur de l’adoption de la loi n° 95- 5
du 23 janvier 1995 portant abrogation du travail rééducatif et du travail civil.
36. D’autres difficultés étaient assez souvent évoquées par la Commission dans ses
rapports et tenaient à la question du travail carcéral, considéré comme une des
formes de travail forcé au sens de la Convention (n° 105) de l’OIT, précitée. La
Commission relevait, en particulier, que l’article 13 du Code pénal prévoit des peines
de prison comportant l’obligation de travailler contre ceux qui participent à une grève
illégale, la légalité de la grève étant conditionnée par son approbation par la centrale
syndicale (art. 376 bis, alinéa 2 du Code du travail). Selon la Commission, des
sanctions comportant un travail pénitentiaire normal peuvent être infligées
uniquement dans les cas de grèves déclenchées dans le cadre de services essentiels.
Elles ne sauraient, par contre, être étendues et appliquées à des grèves rendues
illégales du seul fait qu’elles n’ont pas été approuvées par la centrale syndicale.
Ces difficultés ont été, à leur tour, dépassées depuis la modification de l’article 13 du
Code pénal par la loi n° 99-89 du 2 août 1999.
37. Il convient de soulever, également, les nouvelles difficultés suscitées par un projet
de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes et les débats qu’il a
provoqués au sein des médecins concernés et de l’opinion publique en général. La
question ne relève pas directement du Code du travail, les médecins de la santé
publique étant soumis au régime de la fonction publique. Mais il est utile de tirer des
enseignements au regard de l’application du principe de la liberté du travail et de
l’interdiction du travail forcé.
38. Il faut rappeler, à cet égard et à titre d’exemple relatif à la situation en Algérie,
que la commission d’experts sur l’application des conventions et recommandations
39. Dans son dernier rapport, le gouvernement indique que le service civil ne
concerne que les médecins spécialisés de la santé publique et qu’il a été instauré par
nécessité en vue d’apporter les soins spécialisés indispensables aux populations des
régions isolées qui n’y ont pas accès. Par ailleurs, le gouvernement signale que, lors
de la Conférence nationale sur la politique de réforme hospitalière (février 2011), une
réflexion s’est engagée en vue de la suppression du service civil pour ces médecins, et
que le but ultime serait de leur laisser le choix d’exercer leur métier dans les secteurs
public, privé ou parapublic.
40. Tout en notant ces informations, la commission « …exprime le ferme espoir que les
mesures nécessaires seront prises pour abroger ou amender les dispositions de la loi no 84-10
du 11 février 1984 relative au service civil à la lumière des conventions nos 29 et 105, et que
le gouvernement pourra prochainement faire état des mesures adoptées en ce sens ».
mesures nécessaires seront prises pour abroger ou amender les dispositions imposant le
service civil aux médecins spécialisés… »17.
18
Cf. Observation générale No 18 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
Article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Trente-
cinquième session, U.N. Doc. E/C.12/GC/18 (2006).
19
Voir pour plus de détails, Hatem KOTRANE, la Tunisie et le droit au travail, Ed. Sagep,
Tunis, 1992.
20
Préambule de la Constitution.
et mentale qu'elle soit capable d'atteindre , ainsi qu’il a été reconnu par l’article 38
de la Constitution du 27 janvier 2014. La concentration des médecins et des
structures sanitaires ou hospitalo-universitaires dans les villes du littoral crée, de
surcroît, un déséquilibre qu’il est du devoir de l’Etat de réduire au moyen d’une
politique volontariste donnant une nouvelle impulsion aux politiques sociales en
direction des régions à réanimer !
44. Notre opinion, pourtant, est que l’Etat doit constamment veiller à réaliser, ici
comme ailleurs, un arbitrage cohérent entre des préoccupations parfois
nécessairement divergentes tout en préservant l’essence de la liberté du travail
comme composante essentielle des droits fondamentaux de l’homme au travail !
(B) Droit au travail, égalité des chances devant le travail et abolition de toutes les
formes de discrimination dans l’emploi
45. Le travail rémunéré est devenu, en Tunisie comme dans le reste du monde – à des
degrés certes différents-, une denrée rare. On estime à 30% le taux moyen du
chômage mondial frappant essentiellement les pays du Sud -avec un taux moyen de
40%-, alors même que les pays du Nord ne sont plus eux-mêmes épargnés avec un
taux de chômage moyen de 10%. La croissance démographique n'est pas seule en
cause et dans le cas des pays développés en tout cas, c'est davantage l'apparition de
nouvelles technologies moins demandeuses de main-d'œuvre qui a accentué ce
découplage entre travail et production : "Pour la deuxième fois dans l'histoire, les
machines remplacent les hommes et la croissance économique est de moins en moins
créatrice d'emplois"21.
46. La Tunisie connaît pour sa part de graves difficultés en matière d'emploi, avec un
taux de chômage estimé au deuxième trimestre 2015 à 15,2% selon l’Institut National
des Statistiques (INS), ventilé comme suit : 12,4% pour les hommes, 22,2% pour les
femmes. Le nombre des diplômés chômeurs de l’enseignement supérieur est, pour sa
part, estimé à 28,6% au deuxième trimestre 2015.
Selon le même rapport de l'INS, le nombre de la population active est de 3.991.400
personnes, les hommes représentant 71,9% et les femmes 28,1%.
47. Ces quelques données montrent à quel point l'Etat est invité, plus que jamais, à
mener une politique volontariste en ce domaine, tant il est vrai qu'il ne peut rester
indifférent à l'égard des inconvénients qu'engendrent, inéluctablement, les situations
21
Sophie BESSIS, Rapport précité, p. 14.
- Sur le plan social, ensuite, l’absence de travail et le chômage qui lui est consécutif
réactivent les conflits familiaux et accentuent les tensions sociales par les
phénomènes d’inadaptation, de délinquance et de marginalité, sans égard à
l’exploitation de jeunes désœuvrés par les groupes criminels et autres mouvements
terroristes trouvant dans le chômage des jeunes le terrain favorable en vue de mener
leurs activités d’embrigadement idéologiques et religieux ;
- Sur le plan politique, enfin, le chômage est inacceptable et constitue une menace
latente pour l’Etat en ce qu’il est généralement ressenti comme l’expression de son
inefficacité, ce qui est de nature à favoriser les mouvements de contestation et
d’opposition à sa politique et à ses programmes.
48. De fait, diverses structures et techniques juridiques, économiques et financières
sont mises en œuvre par l'Etat aux fins de favoriser une politique cohérente et
dynamique et de satisfaire à la réalisation du droit au travail pour le maximum de
citoyens en quête d'emploi (1), sans égard aux techniques et mécanismes destinés à
lutter contre les discriminations dans l’emploi (2).
22
Gérard LYON-CAEN et Jean PELISSIER, Précis de droit du travail, Dalloz, p.3.
- Cité par Ahmed OMRANE, in « Du contrat de travail à la politique de l’emploi », Actes du
Colloque organisé par l’Association Tunisienne de Droit Social les 13 et 14 juin 1986, Revue
tunisienne de droit social 1987.
23
Cf. Ahmed OMRANE, article précité, p.29.
24
Loi n° 64-51 du 22 décembre 1964.
25Cf. Décret n°2011-621 du 23 mai 2011, modifiant et complétant le décret n° 2009-349 du 9
février 2009 fixant les programmes du fonds national de l’emploi, les conditions et les
modalités de leur bénéfice.
58. Ce contrat a pour objet de permettre au demandeur d’emploi non titulaire d’un
diplôme de l’enseignement supérieur d’acquérir des qualifications professionnelles
conformes aux exigences d’une offre d’emploi présentée par une entreprise privée et
qui n’a pas été satisfaite compte tenu de l’indisponibilité de la main d’œuvre requise
sur le marché de l’emploi.
59. L’entreprise peut bénéficier des contrats d’adaptation et d’insertion
professionnelle à titre individuel ou dans le cadre de conventions avec les centres
techniques, les fédérations professionnelles, ainsi qu’avec les chambres de commerce
et d’industrie, les ordres et les associations professionnelles.
60. L’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant prend en charge,
conformément à un programme de formation spécifique convenu avec l’entreprise
concernée ou avec l’un des organismes mentionnés plus haut, le coût de la formation
du stagiaire plafonné à 700 dinars dans une limite maximale de 400 heures durant la
durée du contrat.
61. Le programme de formation spécifique peut être réalisé au sein de l’entreprise
d’accueil ou dans une structure de formation publique ou privée.
Le contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle est conclu entre l’entreprise
d’accueil et le stagiaire et ce pour une période maximale de 12 mois.
62. L’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant octroie au stagiaire, et
durant toute la durée du contrat, une indemnité mensuelle d’un montant de 100
dinars.
63. L’entreprise octroie, pour sa part, obligatoirement au stagiaire une indemnité
complémentaire mensuelle durant toute la durée du contrat dont le montant est au
minimum de 50 dinars. Elle s’engage à recruter le bénéficiaire qui a achevé le contrat,
étant précisé que l’entreprise qui ne satisfait pas à ces dispositions ne peut bénéficier
à nouveau du contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle qu’après
écoulement d’au moins 24 mois consécutifs à compter de la fin du dernier contrat
dont elle a bénéficié26.
26
Un autre instrument est mis en place, qui n’est pas spécifiquement dédié aux jeunes : Le
contrat de réinsertion dans la vie active. Il a pour objet de permettre au travailleur ayant
perdu son emploi d’acquérir de nouvelles compétences conformes aux exigences d’un poste
d’emploi préalablement identifié au sein d’une entreprise privée. Il est ouvert aux
demandeurs d’emploi ayant perdu leur emploi pour des motifs économiques ou techniques
ou suite à la fermeture définitive, subite et illégale des entreprises qui les employaient.
(2) Egalité des chances devant le travail et emploi des personnes ayant un handicap
(3) Egalité des chances devant le travail et lutte contre les discriminations dans
l’emploi à l’égard des femmes
70. Depuis la promulgation du Code du statut personnel (CSP) en 1956, qui constitue
encore aujourd'hui une référence historique de ce que une société peut faire de
mieux pour l'amélioration de la condition humaine de ses ressources féminines,
27
Loi no 2008-4 du 11 février 2008, publiée au Journal officiel de la République tunisienne
(décret no 2008-1754 du 22 avril 2008).
28
CRPD/C/TUN/CO/1, 13 mai 2011, Paras. 33-34.
73. La Constitution du 27 janvier 2014 est venue, pour sa part, rappeler à l’article 21
placé en amant du chapitre II relatif aux droits et libertés ce qui suit : « Les citoyens et
les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans
discrimination.
L’État garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs.
Il leur assure les conditions d’une vie digne. ».
74. Ces dispositions ainsi formulées dans la Constitution sont, sans doute,
relativement satisfaisantes en comparaison avec les textes de projets initialement
présentés au sein de l’Assemblée nationale constituante qui étaient manifestement
en rupture par rapport aux orientations libérales de la Tunisie depuis son
indépendance dans le domaine de l’égalité des droits et de l’abolition des
discriminations à l’égard des femmes. Elles restent, cependant, à notre avis, en deçà
des espoirs exprimés tout au long du processus d’élaboration de la Constitution par
nombre d’organisations de la société civile et de militants des droits des femmes.
75. Ainsi qu’il a été relevé par Madame NAVI PILLAÏ, Haut-Commissaire des Nations
Unies aux droits de l’homme, dans une lettre adressée le 6 janvier 2014 au Président
de l’Assemblée Nationale Constituante29, soit trois semaines à peine avant l’adoption
du texte final de la Constitution, il est regrettable que l’article 46 de Constitution,
spécifiquement dédié aux droits de la femme, se limite à garantir « …l’égalité des
chances entre l’homme et la femme», alors que le principe de l’égalité des droits et de la
non-discrimination aurait été plus conforme aux standards internationaux, étant
précisé que ce principe a été, en revanche, utilement introduit dans la dernière
version de l’article 47 de la Constitution, dédié aux droits de l’enfant 30, et de son
article 48, dédié aux droits des personnes ayant un handicap 31. Convient-il de
rappeler, à cet égard, que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) est le traité international, par
excellence, consacré à la non-discrimination, de sorte que toute définition différente
ou insuffisante du principe de l’égalité des droits et de la discrimination fondée sur le
sexe par rapport à celle formulée à l’article premier de la Convention CEDAW
précitée serait interprété comme un recul en ce domaine. Madame NAVI PILLAI
concluait sa lettre, sur ce point, en appelant à « Inscrire, expressément, à l'article 46 du
projet de Constitution spécifiquement dédié aux droits de la femme le principe selon lequel «
Les hommes et les femmes sont égaux et ont droit à la pleine égalité en droit et en fait, ainsi
qu'à l'égalité des chances dans tous les domaines de la vie — qu'ils soient civils, culturels,
économiques, politiques ou sociaux —, tels que définis dans les normes internationales
relatives aux droits de l'Homme».
29
Cf. Le Journal La Presse de Tunisie, 9 janvier 2014.
30
Article 47 de la Constitution : « La dignité, la santé, les soins, l’éducation et l’instruction
constituent des droits garantis à l’enfant par son père et sa mère et par l’État. L’État doit
assurer aux enfants toutes les formes de protection sans discrimination et conformément à
l’intérêt supérieur de l’enfant ».
31
Article 48 de la Constitution : « L’État protège les personnes handicapées contre toute
discrimination.
Tout citoyen handicapé a droit, en fonction de la nature de son handicap, de bénéficier de
toutes les mesures propres à lui garantir une entière intégration au sein de la société, il
incombe à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires à cet effet ».
rapports périodiques de la Tunisie, où ledit Comité « …relève avec satisfaction que l’État
partie est résolument déterminé à instaurer l’égalité des sexes et à mettre son cadre législatif
en conformité avec les normes internationales, y compris la Convention. Il note à cet égard
que la Tunisie est considérée par bon nombre de pays arabes et musulmans comme un
exemple à suivre »32. Toutefois, le Comité « …regrette que le principe de l’égalité des
hommes et des femmes ne soit pas inscrit dans la Constitution, et qu’aucune définition de la
discrimination à l’égard des femmes n’y figure, comme prescrit à l’article premier de la
Convention ». Le Comité demande, en conséquence, à la Tunisie « …d’inscrire, dans la
Constitution ou toute autre loi nationale pertinente, le principe de l’égalité entre femmes et
hommes, conformément à l’alinéa a de l’article 2 de la Convention, ainsi qu’une définition de
la discrimination fondée sur le sexe, conformément à l’article premier de la Convention, et
d’élargir la responsabilité de l’État pour les actes de discrimination qui sont le fait du secteur
public ou privé, conformément à l’alinéa e de l’article 2 de la Convention, en vue de parvenir
à l’égalité formelle et réelle entre femmes et hommes »33.
32
CEDAW/C/TUN/CO/6, 22 octobre 2010, Para. 4.
33
Ibid., Paras. 14 et 15.
78. S’agissant des mesures prises en vue de concilier vie de famille et vie
professionnelle, le Comité « …accueille avec satisfaction les possibilités introduites par la
loi no 2006-58, qui permet aux mères de jeunes enfants ou d’enfants handicapés de travailler
à temps partiel en percevant les deux tiers de leur salaire tout en conservant intégralement
leurs droits à l’avancement, à la promotion, aux congés, à la retraite et à la couverture
sociale, mais il regrette que cette possibilité ne soit pas offerte aux pères. Le Comité constate
avec inquiétude que la pénurie de services de garderie et le retrait progressif du secteur
public en tant que prestataire de services risquent de contribuer à exclure des services en
question les familles pauvres et les familles vivant dans les zones rurales. Le Comité est
préoccupé en outre par le fait que ce facteur, conjugué à l’absence de politique générale de
soutien, pourrait faire obstacle à la participation des femmes au marché du travail. Le Comité
34
Ibid., Paras. 42 et 43.
regrette que les responsabilités liées au ménage et à la famille soient toujours principalement
à la charge des femmes ».
Le Comité encourage, dès lors, l’État partie « …à intensifier ses efforts pour aider les
hommes et les femmes à concilier les obligations familiales et professionnelles, entre autres,
par le biais de nouvelles initiatives de sensibilisation et d’éducation s’adressant tant aux
hommes qu’aux femmes, sur le partage équilibré des tâches domestiques et des soins aux
enfants, ainsi qu’en donnant la possibilité aux hommes de travailler à temps partiel, et en
leur offrant des incitations à cet effet. Le Comité invite instamment l’État partie à redoubler
d’efforts pour augmenter le nombre de places disponibles dans les garderies pour les enfants
d’âge scolaire, et en améliorer l’accessibilité et la qualité afin de faciliter l’entrée et le retour
des femmes sur le marché du travail »35.
35
Ibid., Paras. 44 et 45.
36
Pour le cas des jeunes filles occupées dans le travail domestique, voir infra, paras. 112-115.
37
Convention qui n’a reçu au mois de mai 2011 que 22 ratifications (Afrique du Sud,
Allemagne, Argentine, Belgique, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, République
Dominicaine, Equateur, Finlande, Guyana, Irlande, Italie, Maurice, Nicaragua, Panama,
Paraguay, Philippine, Portugal, Suisse et Uruguay).
80. Plus généralement, et dans la sphère même de l'emploi visible et structuré, les
femmes continuent à subir certaines restrictions empêchant leur assimilation totale
aux travailleurs du sexe masculin. Des pratiques discriminatoires peuvent être
déguisées derrière une apparence parfaitement licite, et ce, tant au niveau de l'accès
à l'emploi (a) qu'à celui de la promotion et de la qualification dans l'emploi (b)38.
38
Cf., pour plus de détails, Hatem KOTRANE, « Les discriminations sexuelles dans l’emploi »,
in « La non-discrimination à l’égard des femmes entre la Convention de Copenhague et le
discours identitaire », éd. UNESCO-CERP, Tunis 13-16 janvier 1988, p.183 et s.
39
Blanche SOUSI-ROUBI, « Réflexions sur les discriminations sexistes dans l’emploi », Revue
de droit social, janvier 1980, p. 32.
40
Ibid.
- Cité par Hatem KOTRANE, in La Tunisie et le droit au travail, ouvrage précité, p. 31.
et les hommes, accéder à tous les emplois sans discrimination dans les classifications ou
rémunérations. » (Article 11, alinéa 1er de la CCC).
84. Le Code du travail, comme les conventions collectives, reste cependant insuffisant
en l’état actuel pour assurer aux femmes une réelle possibilité de promotion dans le
déroulement de leur carrière où elles peuvent être victimes de nombreuses
discriminations :
- Celles-ci se situent, d’abord, au niveau de l’attribution d’un poste au sein de
l’entreprise. L’employeur situe, en pratique, le poste qu’il offre sur la grille des
classifications et fixe, en conséquence, le salaire. Il suffira, ensuite, de se reporter au
niveau et au coefficient correspondant aux caractéristiques ainsi dégagées et c’est là
que peut intervenir la discrimination qui consistera, généralement, à sous-qualifier le
poste de travail occupé par une femme alors que d’autres salariés effectuent le
même travail sous une qualification différente ;
- Les discriminations se situent, ensuite, au niveau de l’attribution des responsabilités
de direction des services de l’entreprise. L’employeur, qui court seul le risque de
l’exploitation, est reconnu comme seul juge de la direction de l’entreprise et du choix
de ses collaborateurs directs. Ses décisions à ce niveau peuvent être entachées de
discrimination tout en ayant un caractère apparemment licite.
89. Il est depuis longtemps admis qu’une trop longue durée de travail
compromettrait la santé des travailleurs, ainsi que leur développement intellectuel et
physique. L’évolution de la technique est, d’ailleurs, un facteur qui milite en faveur de
la réglementation en la matière. Si elle a permis de supprimer de nombreuses tâches
exigeant une importante dépense d’énergie physique, cette évolution a, en revanche,
accru la fatigue nerveuse des travailleurs du fait de l’accélération du rythme de
travail. Ces derniers ressentent, du coup, le besoin d’un temps de récupération sans
cesse croissant.
D’autres facteurs entrent en ligne de compte dont, notamment, la concentration
urbaine qui impose des sujétions pénibles aux individus : bruit, transports longs et
fatigants, etc.
90. La limitation de la durée du travail apparait, en même temps, comme une marque
de progrès social et de reconnaissance du droit de chaque travailleur de disposer
d’un temps de liberté qui lui permet de s’occuper de sa famille, en particulier de
l’éducation de ses enfants, de s’adonner à certains loisirs ou à des activités
extraprofessionnelles d’autant plus nécessaires que le travail à l’usine, sur un
93. La Tunisie a, en ce domaine, ratifié la Convention (n° 14) de l’OIT (1921) sur le
repos hebdomadaire dans l’industrie et la Convention (n° 106) de l’OIT (1957) sur le
repos hebdomadaire dans le commerce et l’industrie. Le principe, en la matière, est
que ce repos, de 24 heures consécutives, a lieu en fin de semaine d’une façon
uniforme pour tous les travailleurs. Cela correspond à un besoin à la fois
95. L’évolution des activités économiques vers une industrialisation de plus en plus
nette pose des problèmes et engendre des risques, notamment au regard des
accidents du travail et des maladies professionnelles. Aussi, le droit social s’est-il
rapidement et de façon constante saisi de ce phénomène qui constitue une de ses
préoccupations majeures. Toute la réglementation du travail est même fondée,
historiquement, sur des considérations liées aux problèmes de la santé et de la
sécurité dans le travail : depuis la protection de certaines catégories de travailleurs –
spécialement les femmes et les enfants – jusqu’à l’aménagement de prescriptions
touchant à des questions aussi diverses que la durée du travail, les conditions
d’hygiène et de sécurité, les services spécialisés de la médecine du travail, la
prévention et la réparation des accidents du travail, etc., l’histoire du droit du travail
en Tunisie, comme dans la plupart des pays qui prêtent à comparaison, est jalonnée
par cette emprise continue de la loi sur les réalités complexes du travail, en vue de
prévenir toute forme d’atteinte à l’intégrité physique des travailleurs.
96. C’est dans ce cadre que la Tunisie a développé depuis longtemps sa législation se
rapportant à la santé et à la sécurité du travail, qui se trouve constamment enrichie
et harmonisée grâce à son adhésion à nombre de conventions internationales de
l’OIT touchant spécifiquement à divers aspects des risques engendrés par le travail:
outre le régime de réparation des accidents du travail et des maladies
professionnelles, comme partie intégrante des régimes de sécurité sociale, tel que
aménagé par la loi n° 57-73 du 11 décembre 1957, puis substantiellement refondu et
amélioré par loi n° 94-28 du 21 février 1994 portant régime de réparation des
42
Cf. Abdessatar MOUELHI, Droit de la sécurité sociale, 2ème édition, 2005, p. 200 et s.
99. La loi impose en outre à l’employeur, dans toute entreprise employant 500
travailleurs au moins, de créer et d'équiper un service de médecine du travail propre
à cette entreprise. Les entreprises employant moins de 500 travailleurs sont tenues
soit d'adhérer à un groupement de médecine du travail soit de créer un service
autonome de médecine du travail (article 153 à 155 du Code du travail).
100. Les articles 289 à 324 du Code du travail ont, par ailleurs, institué l’inspection
médicale du travail et établi des dispositions spécifiques en ce qui concerne les
établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Parallèlement aux inspecteurs
du travail qui gardent compétence générale consistant à « …veiller à l'application des
dispositions légales, réglementaires et conventionnelles organisant les relations du travail ou
qui en découlent… », les médecins inspecteurs du travail sont chargés, notamment, de
« … 1) veiller à l'application de la législation relative à la santé et à la sécurité au travail en
coordination avec les inspecteurs du travail ;
2) fournir aux employeurs et aux travailleurs les renseignements et conseils techniques sur les
moyens les plus efficaces pour l'application de la législation relative à la santé et à la sécurité
au travail et informer les autorités compétentes des déficiences ou abus qu'ils ont pu
constater dans ce domaine ;
3) collecter et exploiter les données statistiques en vue d'améliorer la protection de la santé
et de la sécurité des travailleurs ;
4) contrôler les services et les groupements de médecine du travail et agréer les locaux qui
leur sont réservés ;
5) contribuer à la préparation d'un fichier physiopathologique de la main d’œuvre ;
6) statuer sur les litiges concernant les examens médicaux des travailleurs ;
7) contrôler les soins fournis aux victimes d'accidents du travail et de maladies
professionnelles ».
101. En vue d’assurer l’efficacité de leur mission, l’article 292 du Code du travail
étend aux médecins inspecteurs du travail les prérogatives attribuées aux inspecteurs
du travail, tels que définis notamment aux articles 173, 174, 175 et 177 du Code du
travail, y compris la qualité d’officiers de police judiciaire leur conférant notamment
les pouvoirs suivants :
- « …pénétrer librement sans avertissement préalable, à toute heure du jour et de la nuit,
dans tout établissement assujetti à leur contrôle, de procéder à tout examen, contrôle ou
enquête jugés nécessaires pour s'assurer que les dispositions légales ou réglementaires sont
effectivement observées… »43;
- « … prescrire des mesures destinées à éliminer les défectuosités constatées dans une
installation, un aménagement ou des méthodes de travail qu'ils peuvent avoir un motif
raisonnable de considérer comme une menace à la santé ou à la sécurité des travailleurs…»,
« …mettre en demeure l'employeur d'apporter aux installations dans un délai qui ne saurait
être inférieur à 4 jours, les modifications nécessaires pour assurer l'application stricte des
dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles concernant la santé et la sécurité
des travailleurs », « …prescrire des mesures immédiatement exécutoires dans le cas de
danger imminent pour la santé et la sécurité des travailleurs» 44 ;
- « …constater les infractions par procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire» 45 .
43
Article 174 du Code du travail.
44
Article 175 du Code du travail.
45
Article 177 du Code du travail.
Pour ce qui est du secteur agricole, le salaire minimum garanti est passé de 11,608
dinars à 12,304 par jour. Quelque 280 000 employés devraient bénéficier de ces
mesures. Il convient de préciser que cette revalorisation touchera également les
pensions de retraite du régime général de la Caisse nationale de sécurité sociale au
même taux que le salaire minimum, et que quelque 613 000 retraités recevant une
pension de retraite ou autre sont concernés par cette mesure à compter de mai
201446.
105. Les dispositions du Code du travail définissant les conditions de travail des
enfants sont, certes, conformes aux normes internationales de protection en ce
domaine. À la suite de la ratification par la Tunisie de la Convention internationale
relative aux droits de l’enfant47 et de la Convention (n° 138) de l’OIT concernant l’âge
minimum d’admission à l’emploi48, la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996 portant
modification de certaines dispositions du Code du travail a relevé l’âge minimum
d’admission à l’emploi dans toutes les activités régies par le Code à 16 ans comme
règle générale au lieu de 15 ans (article 53 du Code du travail).
106. le Code du travail prévoit certaines dérogations à l’âge minimum d’admission
des enfants au travail, elles-mêmes autorisées par la Convention (n° 138) de l’OIT.
C’est ainsi que cet âge – également fixé à 16 ans dans l’agriculture à la faveur de la loi
n° 96-62 du 15 juillet 1996, précitée – «…est abaissé à 13 ans dans les travaux agricoles
légers non nuisibles à la santé et au développement normal des enfants et ne portant pas
préjudice à leur assiduité et aptitude scolaire ni à leur participation aux programmes
d'orientation ou de formation professionnelle agréés par les autorités publiques
compétentes » (article 55 du Code du travail, tel que modifié par la loi n° 96-62 du 15
juillet 1996 susmentionnée). De même, aucun enfant âgé de moins de 16 ans ne peut
46
Cf. 3ème Rapport périodique de la Tunisie soumis en application des articles 16 et 17 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/TUN/3 30 juin
2015, Paras. 80-84, p. 18.
47
Loi n° 91-92 du 29 novembre 1991, JORT N° 82 du 3 décembre 1991, p. 1890.
48
Loi n° 95-62 du 10 juillet 1995, JORT N° 56 du 14 juillet 1995, p. 1500.
être occupé à des travaux légers pendant plus de deux heures par jour, aussi bien les
jours de classe que les jours de vacances, ni consacrer à l’école et aux travaux légers
plus de sept heures par jour au total (article 56 Code du travail, tel que modifiés par
la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996 susmentionnée). Selon le même article, l’emploi des
enfants à des travaux légers pendant les jours de repos hebdomadaire et les fêtes est
interdit.
107. Des mesures spéciales sont également prévues en vue de protéger l’enfant
contre les travaux dangereux et nuisibles. En effet, aux termes de l’article 58 du Code
du travail, l’emploi des enfants de moins de 18 ans à des travaux dangereux est
interdit. Conformément au même article, les travaux dangereux sont ceux qui sont
susceptibles, de par leur nature ou les circonstances dans lesquelles ils sont exécutés,
d’exposer la santé, la sécurité ou la moralité des enfants au danger. Ces types de
travaux sont déterminés par arrêté du Ministre chargé des affaires sociales pris après
consultation des organisations professionnelles les plus représentatives des
employeurs et des travailleurs.
108. Dans le même sens, les articles 77 et 78 du Code du travail interdisent
d’employer des enfants de moins de 18 ans aux travaux souterrains, dans les mines et
carrières et dans les établissements et chantiers où s’effectuent la récupération, la
transformation ou l’entreposage de vieux métaux.
109. Sur un autre plan, les enfants de moins de 18 ans ne peuvent effectuer des
heures supplémentaires au-delà de la durée normale du travail à laquelle ils sont
soumis (article 63-2 du Code du travail tel que modifiés par la loi n° 96-62 du 15 juillet
1996 susmentionnée).
110. S’agissant des travaux qui représentent des risques pour la santé, l’examen
médical d’aptitude à l’emploi et ses renouvellements successifs ont lieu jusqu’à 21
ans au moins, au lieu de 20 ans dans l’ancien texte (article 63 du Code du travail, tel
que modifié par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996 susmentionnée).
111. Par ailleurs, convient-il de rappeler l’institution à la faveur de la loi n° 91-65 du
29 juillet 1991 de l’enseignement de base obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, ce qui
est de nature à empêcher le travail des enfants au-dessous de l’âge minimum légal
d’admission au travail.
112. Une mention spéciale doit, enfin, être faite concernant l’emploi des enfants,
spécialement les jeunes filles, dans des travaux domestiques. En raison des
spécificités que présente le travail des employés de maison, les conditions
d’embauchage de cette catégorie de travailleurs sont régies par une loi spéciale, en
l’occurrence la loi n° 65-25 du 1er juillet 1965, modifiée par la loi n°2005-32 du 4 avril
2005. En vertu de l’article 2 (nouveau) de cette loi, « Est interdit, l’emploi d’enfants de
moins de 16 ans comme employés de maison ».
114. La Convention n° 189 de l’OIT - non ratifiée par la Tunisie - complète, ainsi, les
dispositions des Conventions nos 138 et 182, précitées, sur l’âge minimum et sur les
pires formes de travail des enfants - toutes les deux ratifiées par la Tunisie -. La
Convention 189 invite, en particulier, à prendre des mesures pour garantir que le
travail accompli par les travailleurs domestiques de moins de 18 ans, ayant dépassé
l’âge minimum d’accès à l’emploi, ne les prive pas de l’éducation obligatoire ou
n’interfère pas avec leurs possibilités de poursuivre leurs études ou leur formation
professionnelle.
La Recommandation nº 201, qui complète la Convention n°189, renforce le tout en
appelant à identifier, à interdire et à éliminer les travaux dangereux pour les enfants
et à mettre en œuvre des mécanismes pour suivre la situation des enfants qui
travaillent comme domestiques.
115. Il en résulte, à notre avis, que la fixation de l’âge minimum de travail domestique
à 16 ans n’est possible qu’accompagnée de toutes les garanties de contrôle et de
suivi que l’Etat est appelé à mettre en œuvre pour que le travail domestique
d’enfants âgés de 16 à 18 ans soit effectué dans des conditions bien définies par la
loi, adaptées à leur situation propre, avec la mise en place de mécanismes de
contrôle adéquats pour suivre la situation des enfants qui travaillent comme
domestiques.
On comprend, dans ces conditions, que l’idéal dans le cas propre de la Tunisie est de
fixer l’âge minimum d’emploi dans le travail domestique à 18 ans, tant il est vrai que
l’Etat n’est pas à même de mettre en place toutes les garanties ci-dessus décrites et
tous les mécanismes de contrôle et de suivi. Des dérogations peuvent, le cas échéant,
être apportées à l’interdiction, et ce, pour les enfants âgés de 16 à 18 ans, dans des
conditions définies par le Code du travail lui-même, adaptées à leur situation propre,
avec la mise en place de mesures de protection et de mécanismes de contrôle
adéquats, y compris notamment :
- Protection efficace contre toute forme d’abus, de harcèlement et de violence ;
- Conditions d’emploi équitables et conditions de vie décentes ;
- Les enfants travailleurs domestiques, ainsi que leurs parents, doivent être informés
des modalités et conditions de l’emploi de façon aisément compréhensible, et de
préférence par un contrat écrit ;
- Les heures de travail doivent respecter les normes fixées par la législation du travail
applicable aux enfants, avec interdiction du travail de nuit et même des heures
supplémentaires ;
- Les périodes de repos journalier et hebdomadaire, et les congés payés annuels
doivent être rigoureusement définies et respectées ;
- La rémunération, y compris le salaire minimum doivent être fixés et respectés ;
- Le paiement du salaire doit être effectué en espèces, directement au travailleur, et à
intervalle régulier ne dépassant pas un mois ;
- La sécurité et la santé et le droit à un environnement de travail sain et
sécurisé doivent être reconnus et respectés ;
- La sécurité sociale doit être redéfinie avec des conditions non moins favorables que
celles applicables aux travailleurs en général ;
- Le travail ne doit pas priver les enfants de la scolarité obligatoire, ou interférer avec
leurs possibilités d’éducation ou de formation professionnelle ;
- Conditions de vie décentes concernant les enfants travailleurs vivant chez
l’employeur, respectant la vie privée des enfants ;
- Liberté de parvenir à un accord avec leur(s) employeur(s) potentiel(s) de résider ou
non dans le ménage ;
- Aucune obligation de rester au domicile de l’employeur lors des périodes de repos
ou de congé, etc.
117. Dans ses observations finales adoptées le 11 juin 2010 à l’issue de l’examen du
troisième rapport périodique de la Tunisie, présenté en application de l’article 44 de
la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant
« …accueille avec satisfaction l’amendement législatif de 2005 et le Programme national de
lutte contre l’exploitation économique des jeunes filles employées comme domestiques ». Le
Comité, toutefois, « …réitère la préoccupation exprimée dans ses précédentes observations
finales (CRC/C/15/Add.181, par. 41) au sujet du manque de données précises et d’évaluation
des activités concernant le travail des enfants dans l’État partie ».
Le Comité, en conséquence, « …réitère ses précédentes recommandations
(CRC/C/15/Add.181, par. 42) appelant l’État partie à faire tout le nécessaire pour prévenir et
combattre avec efficacité le travail des enfants et à rendre compte dans son prochain rapport
périodique de la nature et de l’ampleur du travail des enfants ainsi que des mesures prises en
vue d’appliquer les conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT) no 138 de
1973, sur l’âge minimum d’admission à l’emploi, et no 182 de 1999, concernant l’interdiction
des pires formes de travail des enfants et l’action en vue de leur élimination immédiate » 50.
49
CRC/ C /11/Add. 2, 1er juin 1994, Para. 278.
50
UN Doc., CRC/C/TUN/CO/3, 25 May – 11 June 2010, Paras. 57-58.
118. Une refonte totale du Code du travail doit être entreprise en vue de donner
effet aux nouvelles dispositions introduites par la Constitution du 27 janvier 2014
concernant le droit au travail et à des conditions de travail justes et favorables. Notre
opinion est qu’une telle refonte devrait revêtir la forme d’une révision substantielle
du Code du travail comportant, en particulier, les éléments suivants :
(A) Portée et nature des obligations de l’Etat relatives aux droits de l’homme au
travail
120. Une lecture attentive des dispositions des articles 12, 35, 36 et 40 de la
Constitution, relatives aux droits de l’homme au travail, fait ressortir que l’Etat est en
réalité tenu - dans ce domaine comme pour l’ensemble des droits économiques,
sociaux et culturels52 consacrés par la Constitution - d’une triple série d’obligations:
obligations de respecter, de protéger et d’exécuter les différents droits ainsi
proclamés (1).
Autant d’obligations qui comportent, chacune, au regard de leur nature même, des
éléments d’obligations de moyen et d’obligations de résultat (2).
(1) Portée exacte des obligations de l’Etat : obligations de respecter, de protéger et
de mettre en œuvre les droits de l’homme au travail
121. Les droits de l’homme au travail consacrés par la Constitution du 27 janvier 2014
sont, pour l’essentiel, autant de droits définis dans les articles 6, 7 et 8 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la
51
Cf. sur l’effectivité du droit du travail, Philipe AUVERGNON, « Une approche comparative
de l’effectivité du droit du travail », in L’effectivité du droit du travail : A quelles conditions ?
Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des relations professionnelles
et de la sécurité sociale, Comptrasec- Université Montesquieu- Bordeaux IV, 2006, p.7
52
Cf. pour plus de détails, Hatem KOTRANE, « La justiciabilité des droits économiques,
sociaux et culturels », in Mondialisation, travail et droits fondamentaux, sous la direction de
Isabelle DAUGAREILH, éditions, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 231.
Tunisie. Les Directives de Maastricht énoncent les obligations des États parties au
regard des droits consacrés par le Pacte de la manière suivante 53:
- L’obligation de respecter impose aux États de ne pas entraver la jouissance des
droits économiques, sociaux et culturels ;
- L’obligation de protéger exige des États qu’ils préviennent les violations de ces
droits par des tiers ;
- L’obligation de mettre en œuvre impose aux États de prendre les mesures
législatives, administratives, budgétaires, judiciaires et autres qui s’imposent pour
assurer la pleine réalisation de ces droits.
122. Le respect par les États des obligations ainsi mises à leur charge, s’il implique
bien un caractère progressif énoncé en termes exprès par le paragraphe 1 de l’article
2 du Pacte54, ne devrait en aucun cas être interprété comme impliquant le droit de
retarder indéfiniment les mesures à prendre par les États en vue d’assurer la pleine
réalisation de l’ensemble des droits y reconnus.
Rapportées aux droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans la Constitution
tunisienne, y compris notamment les droits de l’homme au travail, ces observations
conduisent à affirmer que :
- L’Etat a l’obligation d’agir immédiatement, et en tout état de cause dans un délai
raisonnablement bref à compter de l’entrée en vigueur de la Constitution, en prenant
les mesures législatives, administratives, financières et autres, et en mettant en place
les mécanismes adéquats, propres à participer, progressivement mais activement, à
la pleine réalisation de l’ensemble des droits ainsi reconnus par la Constitution ;
- L’Etat a l’obligation de s’efforcer d’assurer la jouissance la plus large possible de
l’ensemble des droits reconnus par la Constitution, sans discrimination aucune et
dans des conditions d’égalité de chances, en prêtant une attention particulière à la
53
Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et
culturels, reproduites dans E/C.12/2000/13, par. 6.
54
Article 2, paragraphe 1er du du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels : « 1. Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son
effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans
économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer
progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les
moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives. ».
55
Principes de Limburg concernant l’application du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels Cf. E/C.12/2000/13, par. 16.
56
Ibid., par. 29 – 34.
- L’Etat a l’obligation de veiller à tenir dûment compte dans les mesures qu’il prend
en tant que membre d’organisations internationales, notamment d’institutions
financières internationales, des droits économiques, sociaux et culturels, y compris
les droits de l’homme au travail ;
- Les institutions financières internationales qui prônent des mesures d’ajustement
structurel devraient veiller à ce que ces mesures ne compromettent pas la jouissance
dès les droits économiques, sociaux et culturels, y compris les droits de l’homme au
travail, etc.
127. Tout système de suivi, de contrôle et de répression des violations des droits de
l’homme au travail est nécessairement contingent et subit les interactions du
système politique, économique et social. Or, en l’état actuel de l’évolution de
l’économie tunisienne, il semble que les efforts soient davantage orientés dans le
sens d’une plus grande création d’emplois, reléguant à un rang secondaire la
question de la qualité de l’emploi et des conditions de travail. Cela se traduit, en
particulier, par un changement d’orientation dans l’action des différents acteurs
habilités à assurer le suivi et le contrôle du respect des prescriptions du travail, y
compris notamment l’inspection du travail (1). Un équilibre doit, dans ces conditions,
être rétabli (2).
128. La Tunisie a ratifié, depuis le 25 avril 1957, la Convention (n° 81) de l’OIT (1947)
sur l’inspection du travail, qui fait partie des conventions de gouvernance
(prioritaires). Cette convention pose la règle que chaque Etat qui la ratifie doit avoir
un système d’inspection assurant, dans des conditions d’indépendance de
57
Voir supra, les paragraphes 100 et 101 relatifs aux médecins inspecteurs du travail.
132. Cette distinction, importante en droit mais encore mal perçue par la pratique,
prend une ampleur particulière lorsqu’on sait les effectifs réduits de ces agents par
rapport au nombre des entreprises.
133. Si on ajoute à tout cela les conditions tenant à une organisation administrative
obéissant à ses propres exigences lesquelles ne servent pas toujours l’efficacité,
comme la situation de subordination de l’inspecteur et l’obligation de transmettre
par voir hiérarchique les procès-verbaux58, on comprend alors l’ampleur de ce
décalage entre le droit et le fait.
58
Article 177, alinéa 2 du Code du travail :« Ces procès-verbaux sont transmis par les chefs
des inspections du travail territorialement compétent au procureur de la république aux fins
de poursuites... ».
137. La révision du système de sanctions pénales devrait aller dans le sens d’une plus
grande sévérité dans le cas des infractions les plus graves, y compris notamment
celles touchant à l’emploi illégal des enfants, surtout le cas de travail forcé des
enfants, étant précisé qu’aux termes de l’article 3 du Protocole facultatif à la
Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, ratifié par
la Tunisie, le fait de soumettre l'enfant au travail forcé doit être couvert par la loi
pénale de chaque État Partie comme cas de vente d'enfants telle que définie à
l'article 2 dudit Protocole facultatif et puni en tant que tel.
138. Des sanctions plus lourdes devraient également être aménagées dans le cas de
manquements inexcusables aux règles concernant la santé et la sécurité au travail,
ayant causé des accidents du travail.
139. Plus généralement, c’est à une prise de conscience commune des partenaires
sociaux qu’il faudrait parvenir, notamment quant au danger qu’une telle situation
présente pour la communauté nationale. Des études révèlent à cet égard que les
pertes en heures de travail, par suite d’accidents du travail dus à l’inobservation des
règles concernant la santé et la sécurité au travail, sont relativement importantes.
140. Une renforcement du rôle des organes de contrôle des prescriptions du travail,
notamment les règles relatives à la santé et la sécurité du travail et la protection de
catégories vulnérables – comme les enfants -, s’avère nécessaire en vue de réaliser,
notamment ce qui suit :
R 5- Redéfinir les fonctions de l’inspection du travail et garantir une plus grande séparation
entre les directions et services chargés du contrôle des prescriptions du travail et ceux
exerçant les fonctions de conciliation ;
R 6- Revoir le système de sanctions pénales, en revalorisant les pénalités et en les adaptant
aux objectifs de prévention des atteintes à la santé et à la sécurité dans le travail ;
R 7- Aggraver les sanctions pénales encourues pour toutes les infractions commises en
matière d’emploi illégal des enfants, surtout le cas de travail forcé des enfants, et ce,
conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif à la Convention relative
aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie mettant en scène des enfants ;
R 8- Aménager des sanctions pénales plus lourdes dans le cas de manquements
inexcusables aux règles concernant la santé et la sécurité au travail, ayant causé des
accidents du travail.
141. Un constat s’impose : celui de l’aggravation, toutes ces dernières années, des
tensions sociales et de l’incapacité des mécanismes juridiques à offrir un cadre
adapté au dialogue social et au règlement des conflits collectifs du travail, y compris
notamment au niveau de l’entreprise.
142. Deux axes de réflexion sont proposés, ci-après, qui constituent autant de
priorités pour l’avenir, en vue de parvenir à apaiser les tensions sociales et à mieux
asseoir le dialogue social au sein de l’entreprise :
- Responsabiliser les acteurs sociaux par l’endiguement de la négociation collective
et des conflits sociaux (1er Axe) ;
- Mieux asseoir les mécanismes de représentation des travailleurs au sein de
l’entreprise (2ème Axe).
143. C'est là, assurément, une des orientations les plus marquantes de l'évolution du
droit du travail comparé. Elle est assise sur l’idée essentielle que la négociation
collective doit remplir, outre sa fonction juridique en tant que source de droit du
travail, source professionnelle, dit-on, une fonction économique et sociale qui en
constitue le sens profond. Instrument d’autorégulation, de dialogue social et de
pacification des rapports sociaux, la négociation collective peut permettre une
adaptation du droit du travail aux réalités de l’entreprise et une meilleure intégration
des travailleurs à la vie de l’entreprise par le sentiment qu’ils acquièrent
progressivement de participer à une œuvre commune, élément psychologique
d’importance et souvent délaissé dans le traitement et l’analyse juridiques des
rapports sociaux (A)..
L’expérience tunisienne de la négociation collective reste, pour sa part, déficiente en
raison, notamment, de l’insuffisance de son cadre juridique (B).
59
Ibid.
représentent leurs acteurs, de sorte que toute analyse doit intégrer une part
importante de l’usage que font, dans la durée, les acteurs de leurs systèmes de
négociation. De quelle autonomie disposent-ils pour leur faire jouer des fonctions
complexes et composites ? Car si la négociation collective est l’instrument dédié à la
détermination des conditions de travail et de salaire, elle traduit et affirme aussi la
reconnaissance par des tiers de ce rôle de régulation sociétale des relations du
travail, ainsi que sa capacité de représentativité des acteurs sociaux auxquels les
arbitrages négociés prétendent s’appliquer. Production normative, légitimité
sociétale et représentativité des acteurs syndicaux entretiennent ainsi des relations
d’interdépendance complexes.
60
Cf. pour plus de détails, Xavier BLANC-JOUVAN, La négociation d’entreprise en droit
comparé, Revue de droit social, 1982, p.718.
61
Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, Evolutions et perspectives des systèmes de
négociation collective et de leurs acteurs : six cas européens (Allemagne, Espagne, France,
Grande-Bretagne, Italie, Suède), Recherche effectuée par l’Institut de recherches
économiques et sociales (IRES) dans le cadre de conventions d’études conclues avec la
Confédération française démocratique du travail (CFDT) la Confédération générale du travail
(CGT), 2010.
62
L’expression est de Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, étude précitée.
63
Bahnmüller, Verbetrieblichung der Tarifpolitik in Deutschland – oder die Metamorphose
des dualen Systems der Interessenvertretung , 2007.
- Cité par Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, étude précitée, p. 16.
64
Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, étude précitée, p. 19.
compétitivité des entreprises, reconnaissance du travail salarié de qualité avec à la clé des
salaires élevés et la promesse de sécurité de l’emploi. »65.
65
Ibid., p. 20.
mettaient pour cela l'accent sur la responsabilisation des différents acteurs sociaux.
Leur esprit général peut être résumé par deux idées, inscrites dans le rapport
Auroux66, qui les préfigurait :
- L’extension de la citoyenneté à la sphère de l'entreprise : « citoyens dans la cité, les
travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise »67 ;
66
Rapport Jean Auroux, Les droits des travailleurs, 1981.
67
Ibid., p. 4.
68
Florence CANUT, L'ordre public en droit du travail, Bibliothèque de l'Institut André TUNC,
2007, Paris.
69
Isabel ODOUL-ASOREY, La négociation collective confortée par le principe de
participation ?, Dr. Soc. 2015, p. 988.
162. D'un pays européen à l'autre, les différences sont assez fortes. Entre le modèle
danois, qui laisse aux partenaires sociaux le soin d'organiser le marché du travail par
voie conventionnelle, hors de toute intervention de l'État et hors de tout cadre
législatif, et le système espagnol, où le droit à la négociation collective est garanti par
la Constitution, mais où les accords collectifs, encadrés par la loi portant statut des
salariés, jouent un rôle encore limité, toutes les situations intermédiaires existent,
reflétant l'histoire sociale de chacun des pays concernés.
163. Une tendance assez nette consiste, dans la plupart des systèmes - ainsi,
notamment au Danemark et aux Pays-Bas, à l’instar de l’Allemagne - , à observer un
devoir de paix sociale, les partenaires s'engageant à s'abstenir de toute action
collective portant sur les matières régies par les accords collectifs pendant toute la
durée de validité de ceux-ci. De plus, en Allemagne, le devoir de paix sociale s'entend
également comme l'obligation d'épuiser toutes les possibilités de négociation avant
de recourir à la grève.
164. Le système tunisien des relations collectives du travail reste, d’abord, marqué
par l’absence de textes législatifs définissant avec précision le processus de la
négociation collective aux divers échelons national, sectoriel et celui des entreprises.
- Le TITRE III du LIVRE PREMIER du Code du travail, intitulé « LES CONVENTIONS
COLLECTIVES » se limite, à cet égard, à définir dans son Chapitre Premier
(« Dispositions générales ») l’objet de la négociation collective, à savoir la convention
collective de travail, présentée comme étant « …un accord relatif aux conditions de
travail, conclu entre, d'une part, des employeurs organisés en groupement ou agissant
individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de travailleurs. ».
Les dispositions de cette convention « … s'imposent aux rapports nés des contrats
individuels ou d'équipe, sauf si les clauses de ces contrats sont plus favorables aux
travailleurs que celles de la convention » (article 31 du Code du travail). L’article 34 pose,
de son côté, une règle importante selon laquelle « Les groupements de travailleurs ou
d'employeurs liés par une convention collective de travail sont tenus de ne rien faire qui soit
de nature à en compromettre l'exécution loyale. Ils sont garants de l'exécution de la
convention par leurs membres ».
- Le Chapitre II est consacré aux « Conventions collectives agréées » qui ont pour
objet « …de régler les rapports entre employeurs et travailleurs de l'ensemble d'une branche
d'activité » et dont la conclusion « … est subordonnée à la détermination de son champ
d'application territorial et professionnel par un arrêté du secrétariat d'Etat à la Jeunesse, aux
Sports et aux Affaires sociales, pris après avis de la commission nationale du dialogue
social.» (Article 37 du Code du travail, modifié par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996).
L’article 38 du Code du travail précise, à cet égard, qu’une telle convention collective
conclue au niveau de la branche d’activité, lus couramment qualifiée de convention
collective sectorielle, « … doit être conclue entre les organisations syndicales, patronales et
ouvrières, les plus représentatives de la branche d'activité intéressée, dans le territoire où elle
doit s'appliquer. Ses dispositions s'imposent à tous les employeurs et à tous les travailleurs
des professions comprises dans son champ d'application à compter du jour où elles reçoivent.
à la requête de la partie la plus diligente, l'agrément du secrétariat d'Etat à la Jeunesse, aux
Sports et aux Affaires sociales…» ;
Le système tunisien reste, en même temps, marqué par une prééminence du rôle de
l’Etat dans la production de normes du travail bénéficiant d’un statut
hiérarchiquement supérieur (1), reléguant à un rôle secondaire la négociation
collective, elle-même par ailleurs fortement centralisée. Cela a, pour conséquence,
notamment, un éclatement de la politique des salaires, ainsi que des conséquences
négatives au double plan économique et social (2).
L’autre difficulté du système tunisien des relations professionnelles est son incapacité
à endiguer les conflits sociaux, y compris notamment la grève (3).
166. Un des reproches que l'on fait généralement au droit tunisien du travail est,
nous semble-t-il, le retard qu'il met à saisir le mouvement de l'histoire. S'il a pu, très
tôt, s'adapter à la première étape de l'évolution en dotant la Tunisie d'une
réglementation sociale protectrice de l'homme au travail et résumant les
préoccupations majeures du droit international en ce domaine, il n'a pas encore
véritablement entamé la seconde étape de l’évolution consistant pour l’État à
renoncer de plus en plus à garder le monopole de la production des normes et à
confier l’essentiel à l’action conjointe des partenaires sociaux dans le sens de
l’aménagement d’un droit professionnel trouvant son expression dans les
conventions collectives du travail. Le système tunisien a, en particulier, maintenu la
même configuration d’un système fortement hiérarchisé, donnant la toute primauté
à l’action de l’Etat et reléguant la négociation collective à un rang inférieur. Le
système est, en même temps, fortement imprégné de l’idée de l’ordre public social et
du principe de faveur, imposant une hiérarchie des sources précise et très figée.
- Au sommet, il y a le code du travail, qui se présente impératif jusqu’à ses moindres
détails, auquel les conventions collectives ne sauraient déroger que dans un sens plus
favorable aux travailleurs ;
- Les conventions collectives, elles-mêmes, sont organisées selon la même
hiérarchisation. Le toujours plus social est la règle absolue : la Convention collective
cadre (CCC), signée à Tunis le 20 mars 1973, rappelle à cet égard dans son préambule
que « Les dispositions des conventions particulières ne peuvent être moins favorables que
celles de la convention cadre… ».
167. L’autre difficulté est liée au rôle déterminant reconnu au gouvernement dans le
déclenchement et le déroulement de tout le processus de la négociation. Certes, on
distingue habituellement et avec beaucoup d’artifices, nous semble-t-il, entre deux
périodes présentées comme différentes : celle se situant avant 1973, marquée par la
toute prééminence de l’Etat en la matière suite à l’interdiction de toute négociation
sur les salaires - L’Etat opérait alors seul par voie réglementaire après avis de
commissions de salaires, locales et centrales - et, celle amorcée depuis 1973 suite au
dégel de la négociation sur les salaires et à la suppression de l’article 51 du Code du
travail et réservant, depuis, une part importante à la négociation collective sur les
salaires, substituant ainsi les conventions collectives aux règlements sectoriels de
salaires.
168. Cette présentation doit pourtant être nuancée en ce qu’elle ne permet pas de
rendre compte de l’évolution réelle de la politique des salaires. Le bouleversement
introduit en 1973 n’est en réalité qu’apparent et une analyse juridique substantielle
permet de révéler une certaine continuité dans le rôle central de l’Etat.
171. il est incontestable que les conventions collectives n’ont pas pu réaliser leur
portée sociale consistant en une conception dynamique d’une participation
effectivement garantie des travailleurs à la vie de l’entreprise, à ses réalités et à ses
résultats économiques. La forte centralisation de la négociation collective et la nette
prééminence du gouvernement en ce domaine ont transformé les conventions
70
Cf. pour plus de détails, Hatem KOTRANE, les Instruments juridiques de la politique des
salaires : évolution et perspectives, in Revue Tunisienne de Droit Social, 1987, p.153.
71
Article 8 du Pacte: « 1. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à assurer :
174. Sur la base de ces dispositions, deux organes du système de contrôle, le Comité
de la liberté syndicale (depuis 1952) et la Commission d’experts pour l’application des
conventions et recommandations (depuis 1959), ont réaffirmé, à maintes reprises,
que le droit de grève était un droit fondamental des travailleurs et de leurs
organisations et en ont défini le champ, élaborant à ce sujet un ensemble de
a) Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au
syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation intéressée, en
vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L'exercice de ce droit ne
peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de
l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui.
b) Le droit qu'ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et
le droit qu'ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s'y
affilier.
c) Le droit qu'ont les syndicats d'exercer librement leur activité, sans limitations autres que
celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les
droits et les libertés d'autrui.
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ces
droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention de 1948
de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du
droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte -- ou d'appliquer la loi de
façon à porter atteinte -- aux garanties prévues dans ladite convention ».
72
Supra, para. 5.
principes et une vaste jurisprudence (au sens large) qui précisent la portée des
normes de la convention73.
175. Regardant la grève comme un droit et non pas simplement comme un fait social,
le Comité de la liberté syndicale précisera au fil des ans une série de points :
- Le droit de grève est un droit dont doivent jouir les organisations de travailleurs
(syndicats, fédérations, confédérations) ;
- La grève doit avoir pour but de promouvoir et de défendre les intérêts économiques
et sociaux des travailleurs. Cette règle exclut les grèves purement politiques du
champ de la protection internationale devant l’OIT sans donner d’indications directes
sur la légitimité des grèves de solidarité, lesquelles ne sauraient cependant faire
l’objet d’une interdiction absolue ;
- L’exercice légitime du droit de grève ne saurait entraîner de sanctions d’aucune
sorte, lesquelles seraient assimilables à des actes de discrimination antisyndicale ;
- Les catégories de travailleurs susceptibles d’être privées de ce droit et les
restrictions susceptibles d’être mises à son exercice par la loi ne peuvent être que
limitées.
176. S’agissant du secteur public et de la fonction publique, la convention n° 87
garantit la liberté syndicale. Il a été admis, toutefois, que «la reconnaissance du droit
syndical des agents publics ne préjuge [ait] en rien la question du droit de grève des
fonctionnaires, question qui [était] entièrement hors de cause »74. Ce point a été pris en
compte par le Comité de la liberté syndicale et par la commission d’experts, qui
considèrent en contrepartie que les fonctionnaires, s’ils ne jouissent pas du droit de
grève, doivent bénéficier de garanties appropriées pour la défense de leurs intérêts,
telles que des procédures de conciliation et d’arbitrage impartiales et rapides
auxquelles ils soient associés à toutes les étapes et qui débouchent sur des décisions
obligatoires pour les deux parties et destinées à être appliquées entièrement et sans
délai.
73
Ces principes ont trouvé une expression très complète dans l’étude d’ensemble sur la
liberté syndicale et la négociation collective effectuée par la commission d’experts en 1994
et dans le recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale.
74
BIT, 1947, p. 112.
- Quant à la Convention (no 151) de l’OIT, également ratifiée par la Tunisie le 11 février 2014
sur les relations de travail dans la fonction publique, elle ne mentionne pas, alors même
qu’elle traite du règlement des différends, l’éventuel droit de grève des agents publics.
177. Quant aux fonctionnaires à qui le droit de grève peut être refusé le cas échéant,
pour la Commission d’experts et pour le Comité de la liberté syndicale, seuls peuvent
être éventuellement privés du droit de grève «les fonctionnaires qui exercent des
fonctions d’autorité au nom de l’Etat»75.
180. Les restrictions pouvant ainsi être apportées par la loi ne nous paraissent pas, en
tout cas, de nature à être étendues à des fonctionnaires non expressément visés par
75
Recueil, para. 534; Voir aussi para. 492.
76
Ibid., paras. 537 et 538.
77
Ibid., para. 532.
78
BIT, 1984a, 233e rapport, para. 668; BIT, 1983a, 226e rapport, para. 343.
l’article 29, précité, ni à exiger, surtout, que la grève soit légitime et ait pour but de
promouvoir et de défendre les intérêts économiques et sociaux des travailleurs ou
qu’elle soit exercée dans le cadre des procédures définies par la loi ! Seule la
restriction concernant les services essentiels pourrait, à la limite, satisfaire aux
exigences entourant les restrictions aux droits et libertés, telles que définies par
l’article 49 de la Constitution, précité, dès lors que l'interruption du travail, dans le
service essentiel, « …mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des personnes dans
l'ensemble ou dans une partie de la population » (Art. 381 ter du CT).
181. Le doute est, par contre, permis et amène à se demander, dans ces conditions, si
les exigences légales entourant l’exercice du droit de grève, telles que définies par les
articles 376 à 390 du CT, demeurent, en l’état, opératoires et si elles ne sont pas
rendues anticonstitutionnelles, notamment les dispositions exigeant que toute
décision de grève soit précédée d'un préavis de 10 jours adressée au bureau régional
ou central – selon les cas – de conciliation ou à l’inspection du travail, qu’elle soit
approuvée par la centrale syndicale et qu’elle soit soumise, au préalable, aux
commissions de conciliation – régionale ou centrale, selon les cas – et aux conseils
d'arbitrage dans les conditions de délai et de forme définies par le Code du travail. Et
que dire de la qualification de la grève comme étant illicite par suite du non-respect
des procédures préalables et des conséquences y attachées, à savoir la rupture des
relations du travail (article 387 du Code du travail), sans égard aux sanctions pénales
privatives de liberté pour quiconque aura incité à la poursuite de la grève illégale,
sanctions singulièrement aggravées en cas de récidive, d’occupation des lieux du
travail, d’utilisation des machines, appareils ou instruments appartenant à
l'entreprise, à des fins autres que celles pour lesquels ils sont destinés, de
détérioration ou de tentative de détérioration des objets, machines, matières,
marchandises, appareils ou instruments appartenant à l'entreprise (article 388 du
Code du travail), ou encore les sanctions pénales prévues pour quiconque n'aura pas
déféré aux mesures de réquisition ordonnées dans les cas où la grève est de nature à
porter atteinte au fonctionnement normal d'un service essentiel (article 389 et 390
du CT) ?
182. Dans son rapport de 2013, la Commission d’Experts pour l’application des
conventions et recommandations de l’OIT « …rappelle à juste titre, à cet égard,
qu’elle formule depuis de nombreuses années des commentaires relatifs à certaines
restrictions à l’exercice du droit de grève, notamment: approbation de la centrale
syndicale pour déclencher la grève (art. 376bis, alinéa 2, du Code du travail), mention
obligatoire de la durée de la grève dans le préavis (art. 376ter du Code du travail),
détermination de la liste des services essentiels par décret (art. 381ter du Code du
travail) et possibilité d’imposer des sanctions pénales en cas de grève illégale (art. 387
et 388 du Code du travail)… La commission prie le gouvernement de prendre sans
délai les mesures nécessaires pour modifier ces articles du Code du travail afin de
garantir le respect des principes de la liberté syndicale auxquels elle se réfère depuis
de nombreuses années… »79.
183. Des réflexions sont, depuis bien des années, menées en vue d’introduire une
réforme en matière d’endiguement des relations collectives du travail et du dialogue
social. Le nouveau contrat social, signé entre le Gouvernement, l’UTICA et l’UGTT, le
14 janvier 2013 au siège de l’Assemblée nationale constituante, y fait directement
référence en comportant, parmi ses cinq principaux axes, un axe intitulé
«l’institutionnalisation du dialogue social tripartite» et en prévoyant la création d’un
« Conseil national du dialogue social », doté d’une autonomie administrative et
financière garantissant un dialogue actif et permanent entre les trois parties (UGTT,
UTICA et gouvernement) et considéré comme une structure consultative pour
l’ensemble des projets de textes de loi en lien avec les questions de portée sociale.
184. L’institution d’un Conseil national du dialogue social serait, à coup sûr, une étape
importante dans le processus d’endiguement du dialogue social et d’apaisement des
conflits sociaux et viendrait, ainsi, se substituer à la « Commission nationale du
dialogue social » dont la création est prévue par l’article 335 du Code du travail 80 et
qui n’a, à ce jour, pas été mise en place. Doté d’une autonomie et d’une intégrité
suffisantes, au double plan administratif et financier, le Conseil national du dialogue
social pourrait, dans ces conditions, être hissée au rang des hautes autorités
nationales de régulation en ce domaine, offrant un cadre privilégié au dialogue actif
79
Cf. Rapport de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des Conventions et
recommandations, OIT, 2013, p. 206.
80
Article 335 du Code du travail (modifié par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996) : « II est créé
auprès du ministère chargé des Affaires Sociales une commission dénommée "Commission
nationale du dialogue social" chargée d'émettre son avis sur les questions relatives au travail
qui lui sont soumises et notamment celles concernant la législation du travail, les normes
internationales du travail, les salaires, la classification professionnelle, les négociations
collectives et le climat social.
La composition et le fonctionnement de cette commission sont fixés par décret. ».
Tout cela est bien dit ! C'est la délégation, procédure essentielle des droits politiques,
qui résume dans l'entreprise les droits fondamentaux du citoyen travailleur et les
organes élus, à l'instar d'un parlement, les représentent et les exercent.
187. Cette explication, pour séduisante qu'elle soit sur le plan idéologique, ne peut
pourtant emporter tout à fait la conviction. En effet, si l'entreprise est bien un groupe
social au sein duquel existent des rapports de pouvoirs, cela ne justifie pas pour
autant son assimilation à la société politique, ni la transposition en son sein des
techniques utilisées en vue de donner au pouvoir un caractère plus
démocratique : "Alors que la société politique est une société nécessaire, groupant des
personnes qui ne l'ont pas choisie et qui ne sont pas libres de la quitter, les salariés ne
participent à l'entreprise qu'en raison d'une décision volontaire et peuvent, à tout moment,
décider de la quitter ou s'en trouver écartés contre leur gré. Cela confirme par conséquent
que le pouvoir dans l'entreprise ne peut émaner des seuls travailleurs considérés comme les
81
Jean Maurice VERDIER, Les réformes et le droit syndical, Revue de Droit Social, avril 1982.
188. Ainsi placée dans ses justes dimensions, la notion de participation et de dialogue
social tend, dans la plupart des pays qui prêtent à comparaison, non pas à contester
le pouvoir patronal, mais à l'équilibrer par des contre-pouvoirs reconnus à des
organes de représentation des travailleurs destinés à assurer l'intégration des
travailleurs à la vie de l'entreprise.
189. Instrument réel de participation des travailleurs à la vie de l’entreprise, ces
formes représentatives du personnel sont perçues, dans la plupart des expériences
comparées, comme des organes de contrôle et, surtout, de coopération avec le
pouvoir patronal par l’obligation continue que leur impose la loi de rester en paix
(interdiction permanente et absolue de recours à la grève).
190. Le droit comparé enseigne, cependant, que la portée de l’institution, sa réussite
ou son échec, dépendent essentiellement de l’étendue des pouvoirs qui lui sont
attribués. Aucune institution de ce genre ne peut fonctionner normalement sans des
contre-pouvoirs réels conférés aux travailleurs : depuis le simple droit à l’information
ou à la transmission des réclamations jusqu’au transfert aux travailleurs, dans
certains domaines, de pouvoirs de décision qui étaient exercés par l’employeur.
L’expérience comparée montre, également, que toute ces prérogatives sont
tributaires de leurs définitions sous forme d’obligations précises par la loi et
sanctionnées par les tribunaux.
82
Jean SAVATIER, Droit patrimonial et direction des personnes, Revue de Droit Social,
1982.p.3.
192. Contrairement aux conseils d’entreprise en Allemagne, qui sont des organes de
représentation exclusive des travailleurs, d’autres systèmes ont choisi des systèmes
de représentation à composition bipartite, comme les conseils d’entreprise en
Belgique (a) ou même tripartite, comme les comités d’entreprise en France (b).
83
Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, op.cit. p. 17 .
196. Le comité d'entreprise et les comités d'établissement ont été institués en France
par l'ordonnance du 22 février 1945 et la loi du 16 mai 1946, et ce, dans toutes les
entreprises de 50 salariés et plus. En dessous de cet effectif, le comité d’entreprise
n’est pas obligatoire. Ses attributions seront alors exercées par les délégués du
personnel dont l'élection est obligatoire pour les entreprises de 11 salariés et plus.
197. La composition du comité d'entreprise est tripartite, comprenant :
- le chef d’entreprise – ou son représentant –, qui occupe de droit la place de
président du comité d'entreprise. Il fixe l'ordre du jour avec le secrétaire du comité
d'entreprise et convoque nominativement ses membres ;
- les représentants du personnel, titulaires et suppléants, élus par les salariés ;
- les représentants des syndicats, en l’occurrence un délégué syndical lorsque
l'entreprise ne dépasse pas 300 salariés, ou un représentant par syndicat si
l'entreprise dépasse les 300 salariés.
198. Le comité d'entreprise possède des attributions diverses sur le plan économique
et social touchant à l’organisation et à la marche de l'entreprise, aux conditions de
travail, à la formation du personnel et à l’apprentissage.
199. Le Code du travail lui confère surtout un droit d’information obligatoire
et impose à l'employeur de lui communiquer un certain nombre de documents
concernant l'entreprise. L'article L2323-7 impose par exemple à l'employeur de lui
communiquer une documentation économique et financière un mois après son
élection. Certaines informations prévues par le Code du travail doivent être
communiquées de façon périodique. C'est le cas, entre autres, de celles portant sur
l'évolution générale des commandes et de la situation financière de l'entreprise qui
doivent être communiquées chaque trimestre (article L2323-46 du Code du travail).
200. Le Code du travail lui confère, également, un droit de consultation obligatoire
et impose parfois à l'employeur de le consulter avant la prise de certaines décisions.
La consultation du comité d’entreprise est, par exemple, nécessaire en cas de
mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du
travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle. Lorsqu'une
(1) Limites du rôle attribué aux organes du dialogue social dans l’entreprise
84
Cf. supra, para. 148.
210. Le modèle des relations de travail connait une évolution, et ce, par le passage
d’un modèle classique marqué par la stagnation et l'uniformisation des statuts à un
modèle plus actuel impliquant une plus grande capacité de mobilité et d'adaptation
aux besoins mouvants de l’entreprise.
Modèle classique :
211. Il correspondait à une économie tournée vers le marché local, peu ouverte sur
l’extérieur et où les entreprises bénéficient d'avantages stables et d'un quasi-
monopole leur permettant d’échapper aux risques de la concurrence internationale.
Dans ce modèle, l'emploi est stable et protégé. « Ceci correspond à la fois à l'aspiration
du salarié et à l’intérêt de l'employeur. Le salarié reçoit des avantages en fonction de son
ancienneté. L'entreprise souhaite, de son côté, que la main-d'œuvre ne "tourne pas", mais lui
soit fidèle. Les propriétaires de l'entreprise eux-mêmes sont connus et ne changent pas ou
rarement.
Bref ! Stabilité du capital, stabilité du travail font l'entreprise traditionnelle et caractérisent le
plus nettement ce modèle initial »85.
Modèle actuel :
85
Gérard LYON-CEN, « La mobilité vue de haut », Revue de droit social 1989, p.429.
- Cf. également Hatem KOTRANE, « Vers un nouveau droit de la mobilité », Revue Arabe des
Chefs d’Entreprise, 1996.
de l’échelle, est invité lui-même à la mobilité : à changer de lieu de travail ; à passer d'une
filiale à une autre.
Ainsi, mobilité du capital et mobilité du travail vont de pair, même s'il reste, de bien entendu,
qu'il est plus facile de mobiliser l'argent que de déplacer l’homme : ce dernier a des racines,
l'argent non. »86.
213. Toute la réflexion est-elle, dès lors, de savoir comment passer avec le minimum
de difficultés du modèle initial des relations du travail au modèle plus actuel.
Comment aménager la transition ?
214. La réflexion juridique peut contribuer à cette phase de transition au moyen d'un
nouveau droit de l'adaptation et de la mobilité permettant, dans le contexte de la
tertiairisation de l’économie et du développement des formes d'emploi atypiques, de
remettre en cause l’idée traditionnelle selon laquelle le concept de salariat ou de
dépendance correspond ou doit correspondre à un domaine homogène et compact. Il
en est de même de l’idée selon laquelle le droit du travail produit des traitements
uniformes, approche qui a conduit à de nombreux effets pervers et qui a
paradoxalement créé " une inégalité par l’égalité ".
215. Un renouvellement fondamental des modes de représentation et de la doctrine
du droit du travail est en cours dans plusieurs pays et permet d'introduire un point de
vue pluraliste dans les schémas normatifs en vigueur, y compris notamment le Code
du travail.
216. L'espace méthodologique qui serait ainsi créé ouvrirait la voie à un large
mouvement d'adaptation et permettrait d'aboutir, au travers d'une diversification
croissante des règles de protection, à de nouveaux critères d'unification égalitaire.
217. Un examen de quelques expériences comparées permettra de tirer quelques
enseignements à même d’expliquer et d’orienter les solutions en droit tunisien.
86
Ibid.
du travail, que « Le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est la forme normale et
générale de la relation de travail… ».
219. Les cas de recours aux contrats précaires, sous la forme d’un CDD, sont
strictement délimités en droit français. L’article L1242-1 du Code du travail dispose, à
cet égard : « Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir
ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et
permanente de l'entreprise ». L’article L1242-2 du même code dispose, pour sa part,
qu’un tel recours au CDD ne peut avoir lieu que pour l'exécution d'une tâche précise
et temporaire. Ce peut être notamment les cas suivants :
« 1° Remplacement d'un salarié » (par exemple en cas d'absence ou de suspension de
son contrat de travail);
« 2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise » ;
« 3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis
par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de
ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité
exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois » ;
« 6° Recrutement d'ingénieurs et de cadres, au sens des conventions collectives, en vue de la
réalisation d'un objet défini lorsqu'un accord de branche étendu ou, à défaut, un accord
d'entreprise le prévoit et qu'il définit :
a) Les nécessités économiques auxquelles ces contrats sont susceptibles d'apporter une
réponse adaptée ;
b) Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini
bénéficient de garanties relatives à l'aide au reclassement, à la validation des acquis de
l'expérience, à la priorité de réembauche et à l'accès à la formation professionnelle continue
et peuvent, au cours du délai de prévenance, mobiliser les moyens disponibles pour organiser
la suite de leur parcours professionnel ;
c) Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini
ont priorité d'accès aux emplois en contrat à durée indéterminée dans l'entreprise. », etc.
220. L’article L1242-3 ajoute des situations où le recours au CDD est associé à des
formes d’incitation au recrutement « …de certaines catégories de personnes sans
emploi » ou « Lorsque l'employeur s'engage, pour une durée et dans des conditions
déterminées par décret, à assurer un complément de formation professionnelle au salarié. » ;
autant dire une sorte de contrats-relais destinés à des chômeurs de longue durée ou
à des jeunes où le CDD viendrait accompagner des stages de formation.
221. Le contrat de travail temporaire (CTT), dit aussi contrat de travail intérimaire,
permet à l'entreprise de faire face à divers aléas sans porter atteinte à l'emploi
permanent. Il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et
temporaire, dénommée mission, et seulement dans les cas énumérés par la loi. Il ne
peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à
l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice (article L 1251-5 du Code
du travail).
222. A l’instar du CDD, le recours au contrat de travail temporaire est délimité. Il
peut, notamment, avoir lieu dans les situations suivantes :
- le remplacement d'un salarié soit absent, soit dont le contrat est suspendu, soit
passé provisoirement à temps partiel (pour création d'entreprise ou congé parental
d'éducation, par exemple), soit dont le départ définitif précède la suppression de son
poste de travail ;
- l'attente de l'arrivée effective d'un salarié recruté en contrat à durée indéterminée
(CDI) ;
- l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;
- l'exercice d'un emploi à caractère saisonnier ;
- l'exercice d'un emploi où l'usage exclut le recours au CDI en raison de la nature de
l'activité et du caractère temporaire de l'emploi ;
- la mission vise à favoriser le recrutement de personnes sans emploi rencontrant des
difficultés sociales et professionnelles particulières ;
- l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice s'engagent à assurer un
complément de formation professionnelle au salarié.
223. Le travail temporaire implique, ainsi, une relation triangulaire entre :
- l’entreprise de travail temporaire (ETT) qui recrute et paie le salarié ;
- le salarié temporaire envoyé en mission par l’ETT dans une entreprise ;
- l’entreprise d’accueil (ou entreprise utilisatrice) à qui l’ETT a délégué ses pouvoirs de
direction et de contrôle sur le salarié.
224. Dans un souci de sécurisation des parcours professionnels des intérimaires, un
contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est conclu entre le salarié temporaire et
son employeur, l’entreprise de travail temporaire, pour la réalisation de missions
successives. Le CDI ainsi conclu comporte des périodes d’exécution des missions et
peut comporter des périodes sans exécution de missions appelées « périodes
d’intermission ». Chaque mission donne lieu à la conclusion d’un contrat de mise à
disposition entre l’entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit
« entreprise utilisatrice » et à l’établissement, par l’entreprise de travail temporaire,
d’une lettre de mission L’article 56 de la loi du 17 août 2015 présente le détail des
règles applicables à ce « CDI intérimaire » : droit à une garantie minimale mensuelle
de rémunération, contenu du contrat, etc.
225. La rémunération du salarié est au moins égale à celle que percevrait (après
période d'essai) un autre salarié de l'entreprise utilisatrice, de qualification
équivalente et occupant le même poste de travail.
226. Une Indemnité de précarité d’emploi est, par ailleurs, prévue au terme de
chaque mission. Le salarié doit percevoir, en complément de son salaire, une
indemnité de fin de mission au moins égale à 10 % de la rémunération totale brute,
renouvellement du contrat inclus.
227. L'indemnité de précarité n'est cependant pas due dans certains cas, y compris
notamment dans le cadre des périodes passées en stages de formation, en bilan de
compétences ou en action de validation de l'expérience, ou si le contrat de mission
est conclu dans le cadre d'un contrat d'insertion-revenu minimum d'activité (CI-
RMA), ou encore dans le cadre d'emplois saisonniers ou d'emplois pour lesquels il est
d'usage de ne pas faire appel au CDI.
L'article 8241-1 du code du travail est également modifié pour exclure le portage
salarial du délit de prêt de main-d'œuvre. Les contrats de prestation conclus entre la
société de portage et ses clients sont donc pleinement sécurisés.
229. Le portage salarial consiste-t-il alors en une relation contractuelle tripartite, dans
laquelle le salarié porté, rattaché à une entreprise de portage (également appelée
société de portage), effectue une prestation pour le compte d'entreprises clientes,
consistant à :
- démarcher l'entreprise cliente et négocier le prix et la prestation ;
- fournir une prestation de service à l'entreprise cliente dont la durée ne doit pas
excéder 3 ans ;
- rendre compte de son activité à la société de portage.
230. Le portage salarial implique, ainsi, la conclusion de deux principaux contrats :
- un contrat de prestation de service, de nature commerciale, conclu entre la société
de portage et l'entreprise cliente, pour une durée maximale de 3 ans ;
- un contrat à durée indéterminé (CDI) conclu entre le salarié porté et la société de
portage.
231. Dans sa relation avec l'entreprise cliente, la société de portage :
- n'est pas propriétaire de la clientèle apportée par le salarié porté ;
- facture l'entreprise cliente et encaisse les honoraires (rémunération perçue par une
personne exerçant une profession libérale).
232. Dans sa relation avec le salarié porté, la société de portage :
- établit le contrat de travail du salarié porté et accomplit les formalités qui y sont
liées (embauche, versement des cotisations sociales) ;
- le cas échéant, rédige un avenant au contrat de travail pour chaque nouvelle
prestation de portage (montant de la rémunération, modalité de réalisation, durée
de la prestation) ;
- assure la gestion administrative ;
- contrôle l'activité du salarié porté et lui propose des prestations d'accompagnement
permettant de développer son projet professionnel ;
- rémunère le salarié porté après facturation de l'entreprise cliente 87 ;
87
Suivant le degré d'autonomie du salarié porté, celui-ci peut opter pour une convention
individuelle de forfait :
- soit en heures, dans le limite d'un forfait mensuel (d'une durée maximale de 173 heures
par mois) ou annuel (d'une durée maximale de 1 827 heures par an),
- soit en jours, avec un plafond de 218 jours par année civile, pouvant être porté à 223 jours
à la demande du salarié.
La société de portage facture le coût de la prestation à l'entreprise cliente, sous forme
d'honoraires.
Déduction faite des frais de gestion (commission variant de 5 à 15 % sur le chiffre d'affaires
du porté) et des cotisations sociales, l'entreprise de portage reverse au salarié :
- une rémunération brute minimale hors indemnité de 2 900 € par mois pour un temps plein,
- une indemnité d'apport d'affaires de 5 % (commission couvrant le temps de préparation et
de prospection du client).
En cas de convention de forfait heures, la rémunération liée au forfait doit intégrer les
majorations pour heures supplémentaires.
En début de mois, le salarié porté doit remettre à l'entreprise de portage un relevé auto-
déclaré des heures accomplies au cours du mois précédent, précisant les durées
quotidiennes et hebdomadaires de travail réalisées.
Dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours, la rémunération étant forfaitaire
sur la base de 218 jours, les journées supplémentaires (de la 219e à la 223e journée) doivent
être rémunérées avec une majoration de 50 %.
237. Au total, le droit du travail reste en France fortement dominé par la préférence
donnée à l’emploi permanent, sous forme de contrat à durée indéterminée et par la
protection des salariés contre le licenciement abusif, opéré sans cause réelle et
sérieuse, ou sans l’existence d’un motif économique.
238. On sait, par ailleurs, les difficultés rencontrées par le projet de réforme de la
« Loi Travail », dite « LOI El KHOMRI », du nom de la ministre du travail. Le projet
prévoit un certains nombre d’assouplissements :
- Admission plus large des cas de licenciement économique et leur extension à la
situation où l’entreprise est confrontée à des « mutations technologiques » ou
doit mener une réorganisation « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. » ;
- Plafonnement des indemnités que le salarié peut réclamer aux prud’hommes en cas
de licenciement « sans cause réelle et sérieuse » en fonction de son ancienneté (de
trois mois de salaire pour un salarié qui a moins de deux ans d’ancienneté à quinze
mois pour un salarié qui est dans l’entreprise depuis plus de vingt ans).
244. Depuis une loi n°32-1984 du 2 août 1984, portant statut des travailleurs, le droit
espagnol a amorcé une profonde transformation, en abandonnant le statut unitaire
du travailleur salarié protégé par la loi, et ce, du fait essentiellement de la
prolifération de nouvelles formes de travail tertiaire, se situant aux confins des
frontières du monde salarié. Le modèle conventionnel qu’est le CDI, autrefois
dominant et monolithique, laisse la place dans bien des secteurs à de nouvelles
formes d’emploi qui génèrent des types ou sous-types de contrats différents.
245. Les CDD comportent jusqu’à douze formes différentes, elles-mêmes regroupées
en plusieurs séries :
- Le CDD pour des raisons de conjonctures ou d’encouragement à l’emploi des
chômeurs inscrits à l’Agence pour l’emploi ;
- Le CDD associé à une formation comprenant les contrats de stage et les contrats de
formation de jeunes travailleurs ;
- Le CDD associé à des prestations à temps partiel. Il s’agit de contrats-relais destinés
à des chômeurs inscrits à l’Agence pour l’emploi et qui, par cette forme de contrat,
vont remplacer des travailleurs qui, à trois ans au plus de l’âge de la retraite,
acceptent une réduction du temps de travail et du salaire de 50% ;
- les formes non-contractuelles d’emploi d’assistance. Il s’agit de contrats conclus en
vertu d’accords signés entre les organismes publics et l’INEM (Institut national
espagnol pour l’emploi)88, de contrats d’emploi rural, de travaux d’utilité collective
pour les chômeurs indemnisés, etc.
246. En Allemagne il n’existe pas de Code du Travail tel qu’il est connu par exemple
en France. Le droit du travail est régi par une série de lois comme la loi sur le temps
de travail, la loi sur les congés, la loi sur le temps partiel et les contrats à durée
déterminée. Le Code Civil allemand (BGB) réglemente, quant à lui, la question des
préavis.
Par ailleurs les conventions collectives conclues entre syndicat patronal et syndicat de
salariés (Tarifverträge) et les accords d’entreprises conclus entre l’employeur et le
conseil d’entreprise (Betriebsrat) peuvent avoir des incidences sur les relations de
travail existant au sein d’une entreprise.
247. Cela étant, le recours au travail précaire est traditionnellement moins fréquent
en Allemagne que dans les autres pays européens. Le CDD est, certes, en principe
88
L'une des principales fonctions de l'INEM est la gestion des contrats de travail et des
allocations de chômage. En règle générale, et bien que la législation espagnole du travail soit
actuellement en plein processus de réforme, toute personne devant être embauchée par
une entreprise doit être inscrite à l'INEM. Toutefois, l'institut est surtout connu pour son rôle
dans la gestion des allocations de chômage et dans l'assistance aux chômeurs à la recherche
d'un emploi. L'INEM organise également des stages de reconversion.
autorisé (article 620 du Code civil). Le CDD doit, cependant, être impérativement
consigné par écrit. En l’absence de contrat écrit, il sera requalifié en CDI.
248. La jurisprudence est allée plus loin en exigeant, généralement, une « cause
objective » pour le recours au CDD: remplacement d’un travailleur permanent pour
raison de maladie ou de congé ou encore lorsqu’il s’agit de travail auxiliaire ou à
caractère saisonnier, etc. Cette jurisprudence reposait sur l’idée que la fixation d’une
durée limitée ne doit pas servir à assouplir la gestion des effectifs.
249. Cette situation a été modifiée depuis la promulgation de la loi pour la promotion
de l’emploi du 1er mai 1985 (Beschàftigungs fôr derungs gesetz). Le point central de
cette loi est la possibilité de conclure des CDD sans contrôle judiciaire pour un an et
demi (ou pour deux ans en cas de création d’entreprise) dans l’hypothèse de salariés
nouvellement embauchés. Depuis l’adoption de cette loi, le cadre légal pour la
conclusion de CDD est devenu moins restrictif qu'en France. L'évolution allemande
est telle que la part des CDD par rapport à l'ensemble de l'emploi salarié est même
devenue plus importante qu'en Grande-Bretagne, pays qui ne connaît pas de
restrictions légales concernant ce type d'emploi.
250. En contrepartie de cette flexibilité quant au recours au CDD, des garanties sont
prévues, dont notamment un salaire horaire minimum obligatoire qui, depuis le 1er
janvier 2015, est fixé à 8,50€ brut. De nombreuses exceptions et règles transitoires
ont toutefois été mises en place jusqu’à fin 2016 voire 2017. De nombreuses
branches telles que l’intérim, l’industrie textile et alimentaire, la coiffure, la
blanchisserie ou le portage de journaux ont convenu d’un salaire minimum propre.
Les stagiaires et demandeurs d’emploi de longue durée sont également exclus de
cette règlementation.
251. La loi relative à la protection contre le licenciement vise, pour sa part, à protéger
les salariés contre les licenciements abusifs. Pour les salariés embauchés depuis le 1er
janvier 2004, cette loi ne s’applique qu’aux personnes travaillant dans des entreprises
de plus de dix salariés.
262. Diversifier les modèles et les réactions a été, sans doute, à la base des réformes
substantielles ayant été introduites dans le Code du travail successivement en 1994
(loi n° 94-29 du 21 février 1994) et en 1996 (loi n° 96-62 du 15 juillet 1996) et qui ont
touché une grande partie de ce code.
Dans ce nouveau contexte, ces réformes se devaient de redonner au droit du travail
tunisien un sens à partir de données beaucoup plus complexes que par le passé. Y
sont-elles parvenues ? Ont-elles permis de surmonter dogmatisme et rigidité
intellectuelle en offrant une synthèse cohérente et un traitement objectif des
différentes situations qui se présentent ?
263. Cette contribution ne peut pas répondre à cela en détails. On se limitera, ici, à
relever les insuffisances relatives à la définition des formes juridiques d’emploi (1), y
compris les formes d’emploi dans des entreprises à structure complexe (2), et au
régime du licenciement (3).
264. Aux termes de l’article 6 du Code du travail, tel que modifié par la loi du 15
juillet 1966, « Le contrat de travail est une convention par laquelle l'une des parties appelée
travailleur ou salarié s'engage à fournir à l'autre partie appelée employeur ses services
personnels sous la direction et le contrôle de celle-ci, moyennant une rémunération.
La relation de travail est prouvée par tous moyens. ».
confère, à cet égard, à l’employeur le pouvoir de donner des ordres et des directives
se rapportant au travail, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les
manquements de son subordonné.
265. S’agissant des modalités de contrats de travail, une lecture attentive du Code du
travail, avant la réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996, précitée, révèle que le
droit tunisien donnait une nette préférence et privilégiait la formule du contrat de
travail à durée indéterminée (CDI) qui constituait ainsi l’idéal type conventionnel: une
relation bilatérale ferme avec un employeur unique, un travail à temps plein, un
même lieu de travail et, surtout, un emploi suffisamment stable par le poids des
protections légales et conventionnelles contre le licenciement.
Les conditions de travail accompagnant la conclusion d'un tel type de contrat étant,
par ailleurs, fixées par des règles essentiellement impératives, il était difficile
d'imaginer, en l’état, d'autres formules de contrats offrant une certaine
différenciation qui pourrait, pourtant, s’avérer nécessaire pour une bonne gestion de
l'entreprise : travail temporaire, à temps partiel, intermittent, etc. Seule la formule du
contrat à durée déterminée (CDD) était alors prévue par l’article 6 du Code du travail,
avant sa modification, mais elle demeurait insuffisamment réglementée, ce qui
explique l'incertitude et le flou qui imprégnaient généralement ce type de contrats.
266. L'opinion largement répandue est, pourtant, que des situations de travail
différentes exigent des mesures de protection différentes, sans que cela implique,
toutefois, une opposition totale et rigide des statuts applicables aux différents
modèles ou types de contrats. La différenciation nécessaire dans la protection ne
peut être mise en œuvre si l'on continue à imputer grossièrement des effets
totalement opposés selon que l'une (CDI) ou l'autre (CDD) des modalités du contrat
est retenue. L'atypisme ou la différenciation normative, au lieu d’être une source de
discrimination scandaleuse et intolérable, pourrait s’avérer en réalité un facteur
d'enrichissement du droit du travail.
267. C’est l’option générale qui a été à la base de la réforme du Code du travail,
introduite par la loi du 15 juillet 1966. Une lecture attentive des dispositions légales
ainsi introduites révèle pourtant que la réglementation du contrat à durée
déterminée demeure assez confuse (a), parfois même source de discrimination
intolérable, comme c’est le cas du contrat de travail dans les zones franches
économiques (b) ; alors que la réforme a omis de réglementer les différents cas de
recours au travail temporaire, où la réglementation s’avère lacunaire (c). Des
insuffisances entourent, enfin, la formule du contrat de travail à temps partiel (d).
L’article 6-2, ajouté par la loi du 15 juillet 1966, dispose à cet égard que « Le contrat de
travail est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée.
Le contrat de travail à durée déterminée peut comporter une limitation de la durée de son
exécution ou l'indication du travail dont l'accomplissement met fin au contrat. ».
269. Mais La nouveauté essentielle introduite par la loi du 15 juillet 1966 réside dans
la définition des situations dans lesquelles il peut être fait recours au CDD. Le
législateur s'est essentiellement préoccupé, à cet égard, de définir des situations
objectives et n'a pas pris en compte les secteurs d’activité et les postes ou emplois
qui, de par leur nature, auraient pu se prêter, sans limite, à la formule du C.D.D. Ces
situations objectives couvrent, aux termes de l'article 6-4-1° (nouveau) du Code du
travail, les cas suivants :
titre permanent et sans période d'essai. Dans ce cas, le contrat est conclu par écrit en deux
exemplaires, l'un est conservé par l'employeur et l'autre délivré au travailleur ».
L’article 6-4-3° (nouveau) ajoute pour sa part une disposition bénéfique, propre à
atténuer en partie les effets diamétralement opposés entre le CDD et le CDI, aux
termes delaquelle « Les travailleurs recrutés par contrats de travail à durée déterminée
perçoivent des salaires de base et des indemnités qui ne peuvent être inférieurs à ceux servis,
en vertu des textes réglementaires ou conventions collectives, aux travailleurs permanents
ayant la même qualification professionnelle ».
Première contradiction
271. Elle résulte de la durée exagérée pouvant être couverte par cette formule et
atteignant quatre années "y compris ses renouvellements".
Une telle durée se conjugue alors mal avec les dispositions précédentes du même
article qui, en définissant les situations objectives justifiant le recours au CDD,
renvoient implicitement, mais en puissance, à l’idée que le CDD ne peut avoir pour
objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale de
l'entreprise. Autrement, ces dispositions et les situations envisagées n'auraient aucun
sens: quelle utilité rationnelle y a-t-il, en particulier, à mentionner, comme cas
pouvant tolérer aux termes de l'article 6-4 1°/ le recours au CDD, celui du
« remplacement provisoire d'un travailleur permanent absent… » ou encore celui justifié
par " l'exécution de travaux saisonniers…" ou d'autres activités pour lesquelles, est-il
expressément précisé par le même texte, "il ne peut être fait recours, selon l'usage ou de
par leur nature, au contrat à durée indéterminé" si, de toute façon, il est en même temps
permis d'utiliser la formule du CDD afin de pourvoir aussi durablement un emploi qui,
de par sa nature, est paradoxalement lié à l’activité normale de l'entreprise ? Celui
qui peut le plus, ne peut-il pas le moins, comme l'affirme expressément l'article 550
de notre Code des obligations et des contrats, rangé parmi les règles générales de
droit (articles 532 et suivant du C.O.C) ?
De toute évidence, un même article ne peut pas contenir une chose et son contraire.
Entre les deux logiques, il faut choisir !
272. Notre opinion est que le législateur aurait dû choisir entre les deux options
suivantes :
Deuxième contradiction
273. Elle résulte du fait que le législateur n’a pas exigé la rédaction d’un écrit
comportant les mentions obligatoires avant le recours à la formule du CDD.
Le juriste est alors tout naturellement dérouté. Faut-il, en effet, interpréter l’option
retenue par le législateur de 1996 dans un sens qui tolèrerait la conclusion d’un CDD
par voie simplement verbale ? Mais comment, alors, concilier une telle option avec
les dispositions protectrices du licenciement aménagées par la loi n° 94-29 du 21
février 1994 laquelle - on y reviendra - , si elle a bien tempéré la rigueur et le degré
de la protection légale contre le licenciement -plafonnement des dommages-intérêts-
n’a en revanche pas affecté sa nature : une protection légale impérative et à laquelle
« il n’est pas permis de renoncer préalablement » (article 23 (nouveau) alinéa 2 du
Code du travail). Si, dans ces conditions, le salarié ne peut pas renoncer
expressément et par écrit à son droit éventuel de demander des dommages-intérêts,
C’est dire l’impérieuse nécessité d’introduire plus de clarté dans les dispositions du
Code du travail réglementant le recours au CDD.
(b) Le CDD, redevenu modèle dans les zones franches économiques : une forme de
dumping social et une source de discrimination intolérable
275. Une autre difficulté doit être réglée par le législateur en vue de reconsidérer le
régime d’exception aménagé par l’article 23 de la loi n° 92-81 du 3 août 1992, relative
aux zones franches économiques ( telle que modifiée par la loi n° 94-14 du 31 janvier
1994 et par la loi n° 2001-76 du 17 juillet 2001), aux termes duquel : "Nonobstant
tout autre texte contraire, les contrats de travail entre les salariés et les entreprises
implantées dans une zone franche économique sont librement réputés des contrats de
travail à durée déterminée quelle que soit leur séance, durée ou modalités de leur
exécution ».
Une telle disposition constitue, à elle seule, une négation des garanties légales
essentielles définies par le Code du travail et reprises par le droit conventionnel
collectif, dès lors que les salariés affectés dans une zone franche économique sont,
légalement et de façon impérative (« nonobstant toute clause contraire »), réputés
comme étant munis d’un contrat de travail à durée déterminée, auquel il peut être
mis fin « …par l’expiration de la durée convenue ou par l’accomplissement du travail
objet du contrat ». (Article 14, alinéa 1er du C.T). Il s’agit là, à coup sûr, d’une
disposition légale sibylline, voire d’une forme de dumping social, source de
discrimination intolérable, en totale opposition aux principes majeurs du droit du
travail, tant en Tunisie que dans la plupart des autres systèmes juridiques qui prêtent
à comparaison, et qui appelle à une abrogation expresse dans le sillage de la mise en
œuvre des principes de la justice sociale et du travail décent proclamés par la
Constitution du 27 janvier 2014.
276. Dans le but de lutter contre le marchandage et d’éviter les abus en ce domaine,
L’OIT a adopté en 1949 la Convention (n° 96) sur les bureaux de placement payants
(révisée) et, en 1997, la Convention (n° 181) sur les agences d'emploi privées. Cette
dernière Convention définit l’agence d’emploi privée comme étant « …toute personne
physique ou morale, indépendante des autorités publiques, qui fournit un ou plusieurs des
services suivants se rapportant au marché du travail:
(a) des services visant à rapprocher offres et demandes d'emploi, sans que l'agence d'emploi
privée ne devienne partie aux relations de travail susceptibles d'en découler;
(b) des services consistant à employer des travailleurs dans le but de les mettre à la
disposition d'une tierce personne physique ou morale (ci-après désignée comme "l'entreprise
utilisatrice"), qui fixe leurs tâches et en supervise l'exécution ».
La Convention donne aux Etats qui la ratifient la possibilité, après consultation des
organisations les plus représentatives d’employeurs et de travailleurs intéressées,
« …d’interdire, dans des circonstances particulières, aux agences d'emploi privées d'opérer à
l'égard de certaines catégories de travailleurs ou dans certaines branches d'activité
économique pour fournir un ou plusieurs des services.. » ou d’autoriser ces agences dont
le statut devra alors être déterminé conformément à la législation et la pratique
nationales et après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs les
plus représentatives (articles 2 et 3 de la Convention), en prenant les mesures
adéquates en vue de la protection des droits des travailleurs concernés, y compris
celles qui « …doivent être prises afin de veiller à ce que les travailleurs recrutés par les
agences d'emploi privées…ne soient pas privés de leur droit à la liberté syndicale et à la
négociation collective » (article 4 de la Convention).
certaines catégories de travailleurs et pour des services spécifiquement identifiés, fournis par
les agences d'emploi privées » (article 7 de la Convention) ;
services », ces formes d’emploi triangulaire ne ressortent pas des formes légales
expressément admises par la loi et ne peuvent, à cet égard, être couvertes par la
formule de la « Sous-entreprise de main-d'œuvre », telle qu’elle est accueillie et
définie par les articles 28 à 30 du Code du travail, laquelle constitue une forme de
contrat d’entreprise ou « contrat de louage d’ouvrage » au sens de l'article 828,
alinéa 2 du Code des obligations et des contrats89.
280. Les caractéristiques suivantes opposent, en effet, la formule légale de la « Sous-
entreprise de main-d'œuvre » (ou contrat de d’entreprise en droit civil) aux diverses
formes de contrat intérimaire ou de mise à disposition de personnel :
- Le maître de l’ouvrage -ici, la société utilisatrice- souscrit un contrat ayant pour
objet l’exécution de tâches nettement définies -fourniture de travaux ou de services
prédéterminés ;
- La rémunération de l’entrepreneur -entreprise prestataire - est normalement fixée
au départ à prix fait en fonction de l’importance objective des travaux à accomplir et
sans tenir compte en règle générale de l’effectif des travailleurs utilisés et du nombre
d’heures de travail qui seront en fait accomplies. L’entrepreneur assume donc, à cet
égard, le risque de l’opération ;
- L’entrepreneur prestataire est, formellement et réellement, le seul employeur du
personnel embauché, géré et rémunéré par lui, qu’il encadre et dirige dans
l’accomplissement de sa tâche, et qui demeure soumis à sa seule autorité, alors
même que l’exécution se déroule à l’intérieur de l’établissement ou du chantier du
maître de l’ouvrage. Ce critère de la subordination juridique -au sens formel et réel-
constitue le critère décisif, encore que l’application en soit parfois délicate dans des
situations comportant un degré variable d’intégration des salariés. Toujours est-il que
les juges peuvent être amenés à rechercher comment le travail a été effectivement
exécuté et plus spécialement si les salariés qui travaillent dans les locaux du maître
de l’ouvrage fournissent leur travail en suivant les instructions émanant des
dirigeants de « l’entreprise prestataire de services » ou celles émanant des dirigeants
de « l’entreprise utilisatrice ». S’il apparaît que les salariés exécutent les instructions
de dirigeants de « l’entreprise utilisatrice », l’opération peut être requalifiée en
« contrat de fourniture de main-d’œuvre » et déclarée illicite, sans parler des
89
Article 828, alinéa 2 du COC: « Le contrat de louage d’ouvrage est celui par lequel une
personne s'engage à exécuter un ouvrage déterminé, moyennant un prix que l'autre partie
s'engage à lui payer».
(d) Les formes de travail différencié (travail à temps partiel, travail intermittent) :
une règlementation insuffisante
282. Ces techniques n'ont pas pour finalité de limiter la sécurité de l'emploi, mais
visent plutôt à réduire la garantie d'un travail à temps plein qui constitue, sans doute,
une des caractéristiques majeures de l’archétype conventionnel qu'est le CDI. Ainsi
donc, l'un (l'emploi) peut être permanent, et l'autre (le travail) est à temps partiel ou
intermittent. L'atypisme de ce dernier est sans doute plus fort, puisqu'il implique, non
seulement une réduction de la durée journalière ou hebdomadaire du travail, mais la
possibilité que des périodes de non-travail succèdent à des périodes de travail :
travail à la demande ou « labour on call ». Mais pour ces deux formes d'emploi, la
nouveauté provient surtout de l'incidence inéluctable sur les salaires dus aux salariés.
283. La loi du 15 juillet 1996, portant modification de certaines dispositions du Code
du Travail, précitée, y a partiellement pourvu en ajoutant au chapitre six du titre
premier du livre deux du Code du Travail une troisième section intitulée « Travail à
temps partiel » et comprenant les articles 94-2 à 94-14.
284. Cette réforme offre-t-elle un cadre adapté et a-t-elle, en particulier, pris en
compte les difficultés inhérentes à cette forme d'emploi et qui méritent
normalement d’être constamment à l'esprit au moment de la prise d'une décision
quelconque en ce domaine :
- la première est liée à l'observation assez générale dans les différentes
expériences étrangères et selon laquelle le travail à temps partiel apparaît comme
une activité essentiellement féminine. La loi est certes dans tous les cas observée
asexuée, s'adressant indistinctement aux hommes et aux femmes; mais elle n'est pas,
par contre, neutre, ce qui explique les pourcentages fort élevés des effectifs féminins
travaillant à temps partiel et atteignant assez souvent l'ordre de 90%. Le risque est
alors, dans des pays comme la Tunisie, d'accentuer la division sexuelle de l'emploi et
d'endiguer de la sorte les efforts en vue de réaliser, en ce domaine, une plus grande
égalité entre les sexes ;
- la deuxième difficulté est plutôt liée aux implications inévitables du travail
partiel sur les revenus des salariés et de leurs familles. Si une telle forme d'emploi
permet, dans les différentes expériences étrangères observées, de réaliser une
réduction des coûts salariaux, elle peut néanmoins susciter certaines réserves dans
des pays comme la Tunisie où, en raison notamment du niveau modeste des
rémunérations, un souci majeur pourrait s'exprimer de garantir un minimum de
revenus aux salariés concernés.
Une des modalités qui pourraient être décidées en la matière serait alors de prévoir
une durée minimale de travail qui ne saurait être inférieure à 50% de la durée
normale du travail et d'accompagner une telle mesure par une neutralisation
partielle de l'incidence de cette forme d'emploi sur les cotisations de sécurité sociale.
285. La loi du 15 juillet 1996 ne s'est guère souciée de ces considérations. En
revanche, le législateur a utilement limité le travail à temps partiel par « un
maximum". L'article 94-2 (nouveau), alinéa 2, du Code du travail a en effet défini le
travail à temps partiel comme étant « …le travail effectué selon une durée de travail ne
dépassant pas 70% de la durée normale de travail applicable à l'entreprise ». Cette
disposition est sans doute bénéfique car elle permet d’éviter que l'institution ne soit
détournée de sa finalité fonctionnelle : une technique de flexibilité numérique et
organisationnelle du travail et non point un moyen de bloquer tout mouvement de
progrès social, notamment celui consistant en une limitation progressive de la durée
du travail.
286. Au demeurant, la réforme introduite par loi du 15 juillet 1996 a eu, pour
principal objectif, de réaliser un arbitrage difficile mais nécessaire entre, d'une part,
le souci d'une plus grande flexibilité en ce domaine et, d'autre part, la nécessité
d'entourer cette forme d'emploi de garanties essentielles.
C'est l'option arrêtée, à juste titre, par l'article 94-3 (nouveau) du Code du travail aux
termes duquel « Le contrat de travail à temps partiel doit être écrit et indiquer notamment
la qualification professionnelle du travailleur, les éléments de la rémunération, la durée du
travail et la modalité de sa répartition sur la semaine, le mois ou l’année ».
(2) Formes juridiques d’emploi dans les entreprises à structure complexe : contrat
de travail et groupes de sociétés
289. Aux termes de l’article 15 du Code du travail, « Le contrat de travail subsiste entre
le travailleur et l'employeur en cas de modification de la situation juridique de ce dernier,
notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise en société ».
291. Le maintien des contrats de travail en cours est une règle d’ordre public qui
s’impose aux employeurs autant qu’aux salariés de sorte qu’aucune dérogation,
qu’aucune stipulation particulière, et plus généralement qu’aucune convention ne
peut en limiter ou en restreindre l’application. La règle est applicable, par ailleurs, à
tous les contrats en cours au jour de l’opération de fusion, de cession, de transfert
d’activités d’un site à un autre, etc. Elle rend sans effet les licenciements
économiques qui viseraient à adapter les effectifs de l’entreprise à la nouvelle
organisation qui découlerait de l’opération de transfert.
De même, l’article 478 du même Code dispose-t-il que « Les procédures de faillite et de
redressement ouvertes contre l'une des sociétés appartenant au groupe de sociétés peuvent
être étendues aux autres sociétés y appartenant en cas de confusion de leurs patrimoines,
d'escroquerie ou d'abus des biens de la société faisant l'objet des procédures de faillite ou de
redressement, ou s'il est établi que la société débitrice était fictive, et que les sociétés
appartenant au groupe ont donné l'apparence d'y être associées ».
294. Aucune conséquence n’est, par contre, établie au regard des obligations
patronales lorsqu’il est établi que tel salarié - ou groupe de salariés - engagé par une
filiale du groupe effectue, en réalité, sa prestation de travail pour le compte d’autres
entreprises du même groupe de sociétés ou pour le groupe dans son ensemble, et
non pas pour l’entreprise qui l’a recruté et dont le nom figure sur son bulletin de
paye. Beaucoup d’éléments peuvent concourir, à cet égard, à accentuer l’imbrication
des éléments d’organisation du travail : centralisation de l’embauche, de la gestion
du personnel, travail en commun, mobilité à l’intérieur du groupe, etc.
L’article 162 du Code du travail envisage, pour sa part, une situation voisine, mais
bien différente, celle des entreprises ayant plusieurs filiales – au sens
d’établissements ou succursales – employant chacune un nombre de travailleurs
permanents égal ou supérieur à quarante : « Il est créé dans ces filiales des commissions
consultatives dont la composition et le fonctionnement sont identiques à ceux de la
commission consultative d'entreprise et ayant les mêmes attributions que celle-ci dans la
limite des pouvoirs conférés aux chefs des dites filiales.
Il est créé également une commission consultative centrale d'entreprise ayant pour mission la
coordination entre les actions des commissions consultatives des filiales et l'examen des
questions nécessitant une étude au niveau central. Cette commission comprend des membres
représentant les travailleurs élus par les représentants du personnel dans les commissions
consultatives des filiales et parmi eux et des membres représentant la direction de
l'entreprise désignés par celle-ci et ce compte tenu du principe de parité ».
295. En droit comparé, la solution de principe est que le salarié n’a qu’un seul
employeur, celui qui a officiellement conclu le contrat de travail : « Le salarié d’une
entreprise ferait-elle partie d’un groupe ne peut diriger une demande salariale que contre son
employeur ».90
90
Cour de cassation française. soc., 12 juill. 2006.
reconnaître la qualité d’employeur à une société autre que celle qui a signé le contrat
de travail, en l’occurrence généralement la société-mère, du fait de la dépendance de
la filiale à son égard, laquelle peut être déduite à partir d’un faisceau d’indices tels
que le contrôle financier, la présence de dirigeants de la société-mère dans le conseil
d’administration de la filiale, une activité économique exclusivement tournée vers le
groupe, l’absence d’indépendance dans la définition de la stratégie et de la fixation
des prix, la centralisation de la gestion des ressources humaines, l’accomplissement
du travail par les salariés, indistinctement pour plusieurs sociétés du groupe,
l’absence d’autonomie dans la gestion opérationnelle et administrative, etc.
296. Le droit comparé offre, en même temps, des exemples d’une reconnaissance du
groupe de sociétés relativement à l’organisation du droit d la représentation des
salariés. Ainsi en est-il, par exemple, de l’article L 2331-1 du Code du travail français,
aux termes duquel : « I. - Un comité de groupe est constitué au sein du groupe formé par
une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire
français, et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux
I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce ». L’article L 2331-2
ajoute, pour sa part, que « Le comité d'entreprise d'une entreprise contrôlée ou d'une
entreprise sur laquelle s'exerce une influence dominante au sens de l'article L. 2331-1 peut
demander, pour l'application des dispositions du présent titre, l'inclusion de l'entreprise
dans le groupe ainsi constitué. La demande est transmise par l'intermédiaire du chef de
l'entreprise concernée au chef de l'entreprise dominante qui, dans un délai de trois mois,
fait droit à cette demande ».
297. Le droit tunisien gagnerait à établir un minimum de règles garantissant les droits
individuels et collectifs des salariés employés dans des conditions qui font apparaitre
l’existence, par-delà l’indépendance juridique et formelle des diverses entités
formant le groupe de sociétés, d’une seule unité économique et sociale de
production : contrôle financier, activité réalisée au service du groupe, contrôle de
l’activité par les dirigeants du groupe, etc.
298. La réforme introduite par la loi n° 94-29 du 21 février 1994, précitée, a apporté,
sans doute, certaines améliorations par rapport à la législation antérieure, dont
notamment - l’exigence, préalablement à toute décision de licenciement, d'une cause
réelle et sérieuse le justifiant, ainsi que la nécessité de respecter les procédures
301. L’autre modification majeure apportée par la loi n° 94-29 du 21 février 1994,
précitée, consiste sans doute dans le plafonnement des dommages-intérêts dus en
cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixés depuis lors à un montant qui
« …varie entre le salaire d'un mois et celui de deux mois pour chaque année d'ancienneté
dans l'entreprise sans que ces dommages-intérêts ne dépassent dans tous les cas le salaire de
trois années » (article 23 bis, alinéa 1 (nouveau) du Code du travail).
303. Sur nombre d'autres questions, par contre, la réforme du Code du travail s’avère
insuffisante, entrainant nombre de contradictions et de différends d’interprétation
devant les tribunaux et ne parvenant pas, en définitive, à un arbitrage cohérent entre
les besoins mouvants de mobilité exprimés par les entreprises et le souci de
préserver un socle minimum de protections.
91
En France, en 1976, l'arrêt Janousek énonçait qu’à défaut de notification des motifs du
licenciement, celui-ci est réputé de manière irréfragable n’avoir jamais eu de cause réelle et
sérieuse (Cass. soc. 26 octobre 1976). Puis la position des juges s'était assouplie. Que ce soit
avant le licenciement, lors de la procédure, ou après, l'important était, qu'à un moment ou
un autre, la personne congédiée ait eu communication, par écrit, des motifs de la rupture
(Cass. Soc. 13 mai 1981). A force d'assouplissements, la loi relative à l'énonciation écrite des
motifs risquait de devenir lettre morte.
92
Modifié par la loi n°2005-32 du 18 janvier 2005- art. 77.
- Abrogé par Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007- art. 12
304. Ainsi en est-il dans le maintien d’un régime d’indemnisation double, en cas de
licenciement :
- La gratification de fin de service, d’une part, telle que définie par l’article 22 du
Code du travail, aux termes duquel : « Tout travailleur lié par un contrat à durée
indéterminée, licencié après l'expiration de la période d'essai, bénéficie, sauf le cas de faute
grave, d'une gratification de fin de service calculée à raison d'un jour de salaire par mois de
service effectif dans la même entreprise, sur la base du salaire perçu par le travailleur au
moment du licenciement, compte tenu de tous les avantages n'ayant pas le caractère de
remboursement des frais. Cette gratification ne peut excéder le salaire de trois mois quelle
que soit la durée de service effectif, sauf dispositions plus favorables prévues par la loi ou par
les conventions collectives ou particulières » ;
causes, de sorte que le législateur est amené, en toute logique, à aménager des
situations nécessairement multiples, et ce, comme suit :
1ère situation : Le salarié n’a commis aucune une faute, ou n’a-t-il commis qu’une
faute légère, de sorte que le licenciement revêt un caractère manifestement abusif et
que le salarié est en droit de réclamer, en plus du complément de salaire que
constitue la gratification de fin de service, des dommages-intérêts, comme réparation
du préjudice causé par l’initiative de l’employeur revêtant ainsi un caractère abusif ;
2ème situation : Le salarié a commis une faute suffisamment grave – « faute lourde »
était-il précisé à l’article 22 du Code du travail d’avant la réforme de 1994 –, de sorte
que le licenciement ne revêt point un caractère abusif et que le salarié sera privé non
seulement de réclamer des dommages-intérêts, mais encore la faute ainsi commise
est à ce point lourde pour le priver de son droit à la gratification de fin de service –
dite « indemnité de licenciement » par l’article 22 dans sa rédaction ancienne – ;
3ème situation : Le salarié a commis une faute suffisamment grave pour le priver du
droit de réclamer des dommages-intérêts, mais pas à ce point lourde pour le priver
de son droit à la gratification de fin de service.
307. En unifiant ainsi le régime de la faute cause de licenciement, le législateur a créé
une situation où le salarié, à l’occasion d’un licenciement, soit aura droit aux deux
indemnités à la fois, soit n’aura droit à aucune des deux indemnités. Le système
dualiste va-t-il, du même coup, perdu sa finalité fonctionnelle qui, seule, le légitime.
308. Mais la question majeure posée, en ce domaine, conduit à s’interroger s’il n’était
pas plus judicieux de limiter l'intervention du législateur au minimum, c'est-à-dire à la
fixation de la gratification de fin de service due à tous les travailleurs quel que soit la
modalité du contrat – CDD ou CDI – et, pour tout le reste, c'est-à-dire les dommages-
intérêts, d'aller au-delà d'un simple plafonnement et de confier carrément la
définition de leurs conditions d'octroi et de leur étendue à l'action conjointe des
acteurs collectifs qui y procéderaient, secteur par secteur, selon les réalités propres à
chacun d'eux. Loin de constituer une remise en cause intolérable des droits du
travailleur, une telle voie lui permet, au contraire, de faire pression par le poids de
son organisation collective reconnue juridiquement et de réaliser ainsi la protection
de ses droits dans l'autonomie.
309. Une deuxième variation devrait être introduite dans le régime juridique du
licenciement et tient à la taille de l'entreprise. Il paraît, en effet, inconcevable de
continuer à réserver le même traitement juridique à toutes les entreprises quelle
qu'en soit la taille ou le nombre de travailleurs.
La législation du travail apparaît, en effet, forcément trop rigide pour une petite
entreprise, peu rompue aux contentieux nés des licenciements et pour laquelle
l'existence d'une législation tatillonne en ce domaine est une source d'embarras
influant, dans bien des cas, sur sa stratégie d'embauche. Dans une entreprise de taille
et d'envergure suffisante, un lien fort d'entreprise unit par contre les travailleurs aux
facteurs de production permettant ainsi de forger l’unité organique de l'entreprise en
tant qu’entité économique et sociale de production. La cellule sociale n'est pas
simplement juxtaposée à la cellule économique, elle en est, en l’espèce, indissociable
; ce qui permet de justifier et d'admettre plus facilement l'apport des règles et des
tutelles protectrices du licenciement. C'est l'orientation prise, par exemple, en droit
français. Les sanctions et indemnités prévues en cas de licenciement sans cause réelle
et sérieuse ou opéré en violation des règles de procédure sont limitées aux salariés
justifiant de deux années d’ancienneté et travaillant dans une entreprise de 11
salariés au moins. Pour les autres salariés, notamment ceux des petites entreprises
(moins de 11 salariés), la violation tant du droit substantiel que du droit procédural
est sanctionnée par la technique de l'abus du droit (article L.122-13, al1 du C.T
français ) dont le régime juridique et les conséquences matérielles sont moins
contraignants pour l'entreprise: on relèvera, en particulier, que la faute même légère
du salarié justifie alors le licenciement et que le salarié supporte, dans un tel système,
la charge de la preuve.
310. Une autre variation mériterait d’être examinée et tient, cette fois-ci, à la
catégorie professionnelle à laquelle appartient le salarié. Contrairement à l'ouvrier et
à l’employé occupant un poste inférieur ou intermédiaire dans la pyramide des
emplois, pour lesquels le modèle des tutelles protectrices semble avoir été aménagé,
le cadre ou l’ingénieur paraissent plus en mesure de faire pression par la force de leur
formation et de leurs aptitudes professionnelles, de négocier librement leurs
conditions d'emploi et de protection et de réaliser, ainsi, leur émancipation dans
l'autonomie, en dehors de toute tutelle extérieure.
311. Un dernier point doit être soulevé, au terme de cette analyse du régime
juridique du licenciement, et concerne le pouvoir attribué en 1973 à la commission
consultative d'entreprise par la convention collective cadre et consacré légalement,
depuis la réforme introduite par la loi du 21 février 1994, précitée, et lui conférant la
mission de s’ériger en conseil de discipline et d'appliquer la procédure fixée par les
textes législatifs, réglementaires ou conventionnels régissant l'entreprise (article 160
(nouveau ), e) du C.T ).
L'article 37 (nouveau) de la convention collective cadre est plus explicite quant aux
différentes modalités de convocation du conseil de discipline et des règles régissant
son fonctionnement et sa procédure. Quant à l'article 38 de la même convention, il
précise bien la nature consultative des propositions et avis formulés par le conseil, et
qui "…ne fait pas obstacle au droit, pour les parties intéressées, de porter le litige devant les
tribunaux compétents".
314. Il faut rappeler, sur ce point, que l'institution du licenciement pour des raisons
économiques ou technologiques tend, de par sa finalité, à octroyer un avantage
juridique précieux à l'entreprise : si le licenciement est reconnu comme tel, le salarié
ne reçoit qu'une indemnité forfaitaire sans rapport avec les montants qu'il aurait
perçus du fait d'un licenciement pour motif personnel et injustifié. Il est dès lors
normal que l'entreprise qui cherche à bénéficier de ce régime plus souple dans ses
résultats ait à subir un certain contrôle en la matière.
315. Celui-ci prend, en droit comparé, soit la forme d'une autorisation que délivre
L’administration après consultation des représentants du personnel, soit la forme
plus souple d'une intervention de l’administration par voie simplement consultative
mais obligatoire.
316. C'est cette dernière forme, plus souple, que le droit tunisien consacre dans
l'article 21 du Code du travail (nouveau), tel que modifié récemment par la loi du 15
juillet 1996, puisqu'il n'est toujours question expressément - comme de par le passé -
que d'un avis que donne la commission - régionale ou centrale - de contrôle du
licenciement (CCL) sur l’opportunité du licenciement ou de la mise en chômage et, au
cas où la demande est acceptée, " sur la gratification de fin de service prévue par la
législation en vigueur" en s'employant, à cet égard, "à concilier les deux parties concernées
sur le montant de cette gratification et à faire procéder au règlement immédiat de celle-ci"
(article 21-10 (nouveau) du Code du travail). Cela veut dire, en termes clairs, que
l'employeur reste seul juge en définitive de l’opportunité d'une mesure de
licenciement pour motif économique ou technologique. Il lui suffit de respecter la
procédure établie par la loi et il pourra, par la suite, passer outre l'avis de la CCL : il
appartiendra alors au juge judiciaire de régler les litiges en cas d'action intentée
individuellement par tout salarié mécontent (article 21-11 (nouveau) du Code du
travail).
317. Est-il été opportun, étant données les lenteurs administratives dans
l'accomplissement de cette procédure préalable, de supprimer toute intervention de
L’administration en la matière ? C'est la solution adoptée par exemple en droit
français, depuis les lois du 3 juillet et du 30 décembre 1985: la procédure y est limitée
à une simple information a posteriori de l’administration en cas de licenciement
touchant moins de dix salariés et, pour les licenciements touchant au moins dix
salariés, un avis administratif préalable est requis, qui ne porte pas sur l’opportunité
de la mesure en elle-même mais, essentiellement, sur les mesures sociales
d'accompagnement qui doivent être obligatoirement proposées par l'entreprise (plan
social, convention de conversion). Cet avis préalable doit, par ailleurs, être donné
dans un délai assez bref (14 jours si le nombre de licenciés est inférieur à 100, 21
jours s'il est au moins égal à 100 et inférieur à 250, 30 jours s'il au moins égal à 250).
Une telle solution peut paraître, dans l’état actuel des choses, difficilement
transposable en Tunisie car elle entraînerait un afflux considérable de litiges devant
les conseils de prud'hommes. Elle reste, par ailleurs, tributaire de l’établissement
d'un système d'assurance contre le chômage qui, dans l’expérience française,
comporte des conséquences rigoureuses pour l’entreprise : outre la cotisation à
323. Une nouvelle réforme du Code du travail touchant tout à la fois les formes
juridiques d’emploi et le régime du licenciement s’avère nécessaire. Une telle
réforme devrait, à notre avis, être substantielle et se présenter comme suit :
336. Mais la loi de 1996 a, ensuite et surtout, manqué l'occasion sur ce point
d'harmoniser l'institution des heures supplémentaires avec les nouvelles dispositions
introduites dans le domaine de la flexibilité horaire, d'une part, et avec les exigences
de la politique de l'emploi, d'autre part.
337. Il aurait été indiqué, en effet, d'accompagner la flexibilité horaire introduite par
une limitation raisonnable des heures supplémentaires autorisées qui va au-delà de
la seule limite hebdomadaire fixée par l'article 93 du Code du travail aux termes
duquel "L’exécution d'heures supplémentaires ou la récupération d'heures perdues ne
peuvent avoir pour effet de porter à plus de soixante heures, non comprises les heures de
dérogation permanentes, la durée hebdomadaire du travail..." : non seulement une telle
limite sur la semaine aurait pu être révisée dans le sens d'une plus grande restriction
des heures supplémentaires autorisées, mais elle aurait pu s'accompagner, en même
temps, par une double limitation journalière et annuelle. C'est là le sens d’ équilibre
permettant de concilier entre le souci de réaliser un meilleur taux d'ajustement de
l'emploi aux besoins de la production et la nécessité de garantir, en contrepartie, un
seuil de protection minimum; sans parler des incidences d'une telle orientation sur la
politique de l'emploi en général, tant il est vrai, en Tunisie comme ailleurs, qu'un
recours immodéré aux heures supplémentaires est de nature à annihiler les efforts
de l'Etat en vue d'assurer une plus grande égalité de chances en ce domaine.
340. Les voies ouvertes par ce texte, si elles prennent soin de sauvegarder les
exigences de la concertation sociale par la consultation nécessaire des partenaires
sociaux, nous paraissent aller parfois au-delà des normes établies par les Conventions
(n° 14) concernant le repos hebdomadaire dans l'industrie et (n° 106) concernant le
repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux de l'O.I.T, ratifiées par la
Tunisie, et ce, par la possibilité conférée au Gouverneur, hors les situations
d'urgence, d'accident survenu ou imminent ou de surcroît extraordinaire du travail
provenant de circonstance particulière, de limiter le bénéfice d'un repos
hebdomadaire d'une journée entière et de le remplacer par un repos d'une demi-
journée seulement, quoique accompagné par un repos compensateur d'une autre
demi-journée pris par roulement et chaque semaine.
341. La même observation nous semble valoir encore davantage pour l'article 100
(nouveau) du Code du travail qui autorise expressément les établissements de vente
de denrées alimentaires au détail à retenir une telle option (repos d'une demi-
journée avec repos compensateur d'une autre demi-journée). Le caractère général du
texte est, alors, difficilement conciliable avec les dispositions de l'article 7 de la
Convention (n° 107) de l’OIT, précitée, qui n'autorise de telles possibilités que
relativement à "des catégories déterminées de personnes ou des catégories déterminées
d’établissements" ce qui renvoie, nécessairement, à des mesures exceptionnelles
justifiées par "la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement,
l'importance de la population à desservir ou le nombre de personnes employées " (article 7
de la Convention (n° 107) précitée) et à condition encore que ces mesures soient
prises "en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des
travailleurs intéressés".
342. S'agissant des congés payés, la réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996 n'a
apporté que de légères modifications à la législation antérieure, en maintenant pour
l'essentiel le principe de l'octroi d'un congé annuel dont la durée est déterminée,
comme de par le passé, " …à raison d'un jour par mois de travail sans que la durée du
congé exigible puisse excéder une période de quinze jours comprenant douze jours
ouvrables", durée portée pour les salariés de moins de dix-huit ans "à deux jours par
mois de travail, sans que la durée totale du congé puisse excéder une période de trente jours
dont vingt-quatre jours ouvrables" et, pour les salariés âgés de dix-huit à vingt ans, "à un
jour et demi par mois de travail sans que la durée totale du congé exigible puisse excéder
vingt-deux jours dont dix-huit jours ouvrables" (article 113 (nouveau) du Code du travail).
343. On regrettera sur ce point, en premier lieu, que le législateur n'ait pas songé à
supprimer la référence au seuil maximum que la durée totale du congé payé est, dans
chacun des cas précités, appelée à ne pas dépasser. C'est exprimer, en substance,
l’idée d'un congé annuel "maximum" alors que le propre de la législation du travail en
ce domaine, en Tunisie comme ailleurs, est toujours de définir un congé annuel payé
d'une durée minimum déterminée.
344. On relèvera, en second lieu, l'option arrêtée par l'article 114 (nouveau) du Code
du travail consistant à réviser la base de calcul, c'est-à-dire la notion de mois de
travail effectif, en le ramenant à une période équivalente à vingt-six jours ouvrables,
au lieu de vingt-quatre jours comme le stipulait l'article 114 dans sa version ancienne.
A la base, il y a semble-t-il l’idée que le mois de travail effectif équivaut, en réalité, à
une période de vingt-six jours de travail et non de vingt-quatre jours, étant considéré
que les jours de travail effectif pour une année de 365 jours sont au nombre de 313
lorsqu'on aura déduit les jours de repos hebdomadaire au nombre de 52 jours par an.
345. Cette option aurait ainsi, pour conséquence, de ramener le congé payé à une
durée légale de 12 jours, alors que la durée légale est en fait souvent dépassée et
l'institution d'un congé annuel d'au moins trois semaines est largement insérée dans
la réalité sociale, par l'effet des conventions collectives et autres statuts particuliers.
346. Mieux aurait valu, en réalité, admettre la réalité sociologique et, sur ce point,
faire montre de progrès social et réaliser, en même temps, l’équité souhaitable dans
le traitement des différentes catégories de salariés, en harmonie avec les normes
internationales de protection (Convention (n° 132), 1970), non ratifiée par la Tunisie).
347. Le fonctionnement d'une entreprise n'est pas figé. Aussi et pour rester
compétitive, elle doit progresser pour s'adapter aux évolutions économiques,
concurrentielles et technologiques, mais aussi adapter son personnel, réorganiser les
emplois, etc. Or, le Code du travail ne fixait, nulle part, la mesure dans laquelle le
Chef d'entreprise, conformément à son pouvoir de direction de l’entreprise, est
habilité à procéder à un ajustement du travail en fonction de l'aptitude du salarié, des
nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise ou de la conjoncture économique
et sociale. La loi du 15 juillet 1996, précitée, y a très partiellement pourvu en ajoutant
un article 76-2 au Code du travail, aux termes duquel : "Pour nécessité de service, le
travailleur peut être chargé d'effectuer des travaux d'une catégorie inférieure ou supérieure à
sa catégorie.
Les modalités d'application des dispositions du paragraphe précédent sont fixées par les
conventions collectives, les contrats individuels ou par arrêté du ministre chargé des Affaires
Sociales, pris après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs
concernées".
352. Que la Convention collective cadre prenne soin de prévenir les cas extrêmes
d'abus en interdisant les mesures de mobilité revêtant un caractère vexatoire ou
qu'elle définisse les mesures sociales d’accompagnement et tendant à limiter les
conséquences matérielles et sociales d'une telle mesure, l'affaire en soi est
indiscutable et digne d’intérêt. Mais, en la circonstance, l'article 22 précité va bien
au-delà, jusqu’à ignorer toute considération économique pouvant présider à la
désignation par le chef d'entreprise du salarié qui, au regard du profil nécessaire et
de l’efficacité recherchée, pourrait être le mieux à même à y répondre: le chef
d'entreprise est alors contraint à abandonner ces considérations et à rechercher,
quand la condition préalable de nécessité de service est établie, un candidat
volontaire à la mutation et, seulement en l'absence d'un tel candidat, à choisir la
personne concernée en tenant compte au surplus de conditions toutes à caractère
social, liées à sa situation professionnelle, familiale et syndicale !
353. Plus généralement, le Code du travail gagnerait à être plus explicite en précisant:
- d'une part, ce qui entre dans le pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au
salarié ;
- et d'autre part, ce qui relève des conditions essentielles et déterminantes du
contrat de travail, lesquelles ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord du salarié.
354. Le Code du travail gagnerait, ainsi, à identifier comme élément essentiel du
contrat de travail tout élément du contrat qui pouvait être déterminant pour le
salarié lors de la conclusion du contrat, y compris notamment :
- la rémunération (y compris les frais de remboursement de frais professionnels) ;
93
Cf. par exemple, Cass. soc., 12 avr. 2012, n° 11-15.971. Dans cette affaire concernant des
salariées employées dans une maison de retraite qui ont refusé leur nouvelle affectation
après la fermeture de l’établissement et le transfert de l’activité dans une ville voisine de 19
358. Une réforme du droit s’avère nécessaire, celle par laquelle les partenaires
sociaux arrivent à un arbitrage plus cohérent entre les considérations économiques
de mobilité et d'ajustement constant des prestations de travail selon l'aptitude du
salarié et les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, d'une part, et les
considérations sociales devant normalement accompagner les mesures de mobilité
interne, d'autre part.
km, sous prétexte qu’elle constituait une modification du contrat de travail que l’employeur
ne pouvait imposer sans leur accord, la Cour de cassation, confirmant la décision de la cour
d’appel, considère que le déplacement du lieu de travail se faisait dans le même secteur
géographique, et ne constituait qu'une modification des conditions de travail. En
conséquence le refus des salariées de rejoindre ce nouveau lieu de travail était fautif, et
caractérisait la cause réelle et sérieuse de licenciement.
sa classification et sa rémunération ;
- de procéder à un changement de lieu de travail dans un même secteur
géographique justifié dans l'intérêt de l'entreprise.
CONCLUSION
QUESTION FINALE : A QUAND UNE REFONTE TOTALE DU CODE DU TRAVAIL ?
RECOMMANDATION FINALE
360. La Tunisie gagne à engager, dans le cadre d’un large dialogue national entre le
gouvernement et l’ensemble des organisations représentatives des travailleurs et des
employeurs, ainsi que les autres composantes de la société civile, y compris les
organisations de la jeunesse – à qui l’avenir appartient – une réflexion profonde en
vue d’adapter la législation du travail aux nouvelles réalités: un nouveau Code du
travail alliant concision et rigueur méthodologique devrait être adopté dont l’objet
devrait porter essentiellement sur la mise en œuvre des valeurs et principes
essentiels et incontournables, ceux-là même proclamés dans le Préambule et aux
articles 12, 35, 36 et 40 de la Constitution du 27 janvier 2014, et qui résument, en
général, les tendances majeures consacrées par les conventions internationales du
travail ratifiées par la Tunisie, à savoir le droit à la justice sociale, le droit à un
travail décent sur la base du mérite et de l’équité et dans des conditions favorables
et avec un salaire équitable, le droit à la liberté syndicale et au dialogue social.
Pour tout le reste, tout ce qui a trait à la portée des engagements contractuels et
aux droits et obligations respectives des parties, le législateur devrait se limiter à
poser des règles générales, renvoyant les données techniques à l’action conjointe
des partenaires sociaux en matière de qualification des situations nouvelles, de
définition des tâches et des compétences et d’adaptation des conditions d'emploi
et de rémunération aux besoins spécifiques des différents secteurs d’activité et aux
réalités mouvantes des entreprises et de l’emploi.
négociations et les conflits qui les accompagnent. Ce serait là, à coup sûr, un
instrument idéal d’apaisement des tensions sociales permettant de les dégager de
l’emprise directe du politique en les confiant à leur juge naturel ;
R 14- Redéfinir le droit de grève, en engageant un débat responsable, au terme
duquel, les partenaires s'engagent à s'abstenir de toute action collective portant sur
les matières régies par les accords collectifs pendant toute la durée de validité de ces
accords et en instaurant un devoir de paix sociale englobant l'obligation expresse
d'épuiser toutes les possibilités de négociation avant de recourir à la grève ;
R 15- Définir une meilleure politique concertée des salaires, ayant pour finalité une
plus grande rigueur en conjuguant les différentes méthodes à même d’assurer un
équilibre entre les impératifs du développement économique et les nécessités de
sauvegarder la dynamique sociale relevant de l’action des partenaires sociaux ;
R 16- Organiser avec précision la représentation syndicale dans l’entreprise ;
R 17- Définir avec précision les obligations patronales en matière de consultation des
institutions représentatives du personnel, en l’occurrence la CCE, y compris
notamment les délais à observer avant telle ou telle décision à prendre, pour requérir
l’avis de la CCE, le contenu des informations qui lui sont fournies, etc.
R 18- Etendre, surtout, les prérogatives de la CCE dans le domaine économique, en
prévoyant notamment son information détaillée et sa consultation obligatoire sur
toutes les questions intéressant la marche de l’entreprise, y compris – on y reviendra
ci-dessous – sa consultation en matière de licenciement pour motif économique ou
technologique ;
R 19- Clarifier le régime du CDD en suivant l’une des deux options suivantes :
- Soit supprimer purement et simplement le paragraphe premier de l'article 6-4 et
toute référence aux situations objectives pouvant tolérer la conclusion exceptionnelle
d'un CDD, ces situations étant forcément couvertes par le paragraphe 2 du même
article ;
- Soit maintenir ce paragraphe premier de l'article 6-4 et le fondement implicite qui
l'anime, celui d'un recours exceptionnel au CDD couvrant des situations objectives, en
limitant alors, nécessairement, les possibilités d'un tel recours hors les situations ainsi
délimitées, et ce, en les réservant par exemple à des
formes d'incitation à l'emploi des jeunes où le CDD viendrait accompagner des stages
de formation ou en faisant une sorte de contrat-relais destiné à des chômeurs inscrits
dans les bureaux publics de l'emploi, etc.
R 20- Exiger, en toute hypothèse, la rédaction d’un écrit dès la phase du recrutement
du salarié sous la forme d’un CDD, avec obligation d’y insérer des mentions
obligatoires sur la durée du contrat, le salaire et les autres conditions du travail ;
R 21- Faire du CDD un contrat plus attractif, et ce, en adoptant notamment les
mesures suivantes :
- Limiter, d’une part, les effets diamétralement opposés qui séparent la formule de
l’emploi non protégé (CDD) de la formule d'emploi protégée (CDI) en étendant aux
salariés occupés pour une durée déterminée le bénéfice de la gratification de fin de
service ;
- Abroger, d’autre part, le régime d’exception aménagé par l’article 23 de la loi n° 92-
81 du 3 août 1992, relative aux zones franches économiques ( telle que modifiée par
la loi n° 94-14 du 31 janvier 1994 et par la loi n° 2001-76 du 17 juillet 2001) qui
constitue, à elle seule, une négation des garanties légales essentielles, voire une
forme de dumping social, en totale opposition aux principes majeurs du droit du
travail, tant en Tunisie que dans la plupart des autres systèmes juridiques qui prêtent
à comparaison, et qui appelle à une abrogation expresse dans le sillage de la mise en
œuvre des principes de la justice sociale et du travail décent proclamés par la
Constitution du 27 janvier 2014.
R 22- Réglementer les diverses formes de travail temporaire ou intérimaire ainsi que
l’activité des bureaux de placement privés afin de concilier normes et pratiques
professionnelles, conformément aux instruments internationaux de protection ;
R 23- Améliorer le régime juridique du contrat de travail à temps partiel et en faire un
contrat plus attractif, et ce, en exigeant, d’une part, une durée minimale de travail
qui ne saurait être inférieure à 50% de la durée normale du travail et en
accompagnant, d’autre part, une telle mesure par une neutralisation partielle de
l'incidence de cette forme d'emploi sur les cotisations de sécurité sociale ;
R 24- Appréhender la situation du travail et de la représentation des travailleurs dans
les groupes de sociétés, y compris notamment un minimum de règles garantissant les
droits individuels et collectifs des salariés employés dans des conditions qui font
apparaitre l’existence, par-delà l’indépendance juridique et formelle des diverses
entités formant le groupe de sociétés, d’une seule unité économique et sociale de
production : contrôle financier, activité réalisée au service du groupe, contrôle de
l’activité par les dirigeants du groupe, etc.
R 25- Reconsidérer le régime juridique du licenciement pour motif personnel en
apportant notamment les modifications suivantes :