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Professeur Hatem KOTRANE

FONCTIONS ACADEMIQUES

■ Professeur à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis- Université


Tunis, depuis 1988
■ Directeur de l’Institut National du Travail et des Etudes Sociales, 1991-1997
■ Directeur scientifique du Master Professionnel sur les droits de l’enfant dans les pays
arabes- Université du Liban, 2005-2011
■ Professeur Invité : Université de Montesquieu Bordeaux IV (1989), Université de Nice
(1990), Université de Paris 7 (1992), Université Aix-Marseille 2 (1997), Ecole Nationale
d’Administration de Strasbourg (2006), Université de Genève (2012-2014).

EXPERIENCE INTERNATIONALE
■ Membre du Comité des Nations Unies des droits de L’Enfant, ancien Vice-président
■ Expert indépendant auprès de la Commission des droits de l’homme, chargé de la question
d’un projet de Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, 2002- 2003
■ Membre du Comité exécutif de la Société Internationale de droit du travail et de la
sécurité sociale, 1987-2000

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■ Expert Consultant auprès de l’OIT : plusieurs missions se rapportant à la révision des


législations du travail et à la mise en œuvre des Normes Internationales du travail dans les
pays arabes

PRINCIPALES PUBLICATIONS EN RAPPORT AVEC LE SUJET

1- OUVRAGES ET MANUELS

1992 : La Tunisie et le droit au travail, Précis, édition SAGEP. Tunis.


1994 : Introduction à l’étude du droit, édition du Centre d’Études, de Recherches et de
Publications, Tunis.
1999 : Le code de protection de l’enfant (annoté), publication de l’Unicef, Tunis.
2000 : Mondialisation de l’économie et défi de la cohésion sociale- Le cas de la Tunisie,
édition du Centre de Publication universitaire (CPU), Tunis.
2005 : Guide des droits économiques, sociaux et culturels, publication de l’Institut arabe des
droits de l’homme, Tunis.
2012: Importance de l’insertion des droits économiques, sociaux et culturels dans les
constitutions des pays arabes, publication du Réseau des ONG arabes pour le
Développement (Arab NGO’s Nertwork for Development- ANND), Novembre 2012, Beyrouth
(Liban).
2015 : Les droits de l’enfant dans les législations des États arabes, 25 ans après ! Publication
de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant (ONDE), Rabat, Maroc, février 2015.

2- AUTRES CONTRIBUTIONS EN DROIT DU TRAVAIL ET MATIERES CONNEXES


1984: « La pratique des contrats de travail à l’essai en droit tunisien », Revue tunisienne de
droit, CERP, Tunis, 1984.
1985: « Les instruments juridiques de la politique des salaires », Revue tunisienne de droit,
CERP, TUNIS, 1985.
1987: « La responsabilité pénale de l’employeur en droit tunisien », Revue tunisienne de droit
social, 1987.
1989 : «Les principes du droit du travail à l’épreuve du discours identitaire : le cas des pays
du Maghreb », in Liberté, égalité, fraternité : actualité en droit social , publication du
Comptrasec, Université de Montesquieu, Bordeaux IV.
1990 : « Les discriminations sexuelles dans l’emploi », in « la non-discrimination à l’égard des
femmes », publication CERP/UNESCO, Tunis 1989.
1990: « Droit du travail, besoins de l’entreprise et politique de l’emploi », in L’entreprise et
l’environnement social, Journées de l’entreprise, Sousse 1990, publication de l’Institut arabe
des chefs d’entreprise.

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1992: «L’Etat, l’Entreprise et le droit du travail », Journées de l’entreprise, Sousse 1992,


publication de l’Institut arabe des chefs d’entreprise.
1995: «Protection of the child in tunisian labor law: current situation and prospects, in Public
hearings on international child labor , U.S Department of labor, Washington, 1995.
1995: « Législation du travail, flexibilité du marché du travail et besoins de l’entreprise », in
Travaux préparatoires au IX ème plan de développement économique, Etude stratégique n°
10, Tunis.
1997: « Vers un nouveau droit de la mobilité », in Journées de l’entreprise, publication de
l’Institut arabe des chefs d’entreprise.
1998: « La clause sociale, vue d’en bas », in Dimension sociale de la mondialisation de l’Economie,
publication du Comptrasec, Université de Montesquieu, Bordeaux IV.
2000: « Le droit tunisien du travail et les mutations internationales » in Mélanges offerts au
Professeur Habib AYADI, Centre de Publications Universitaires, Tunis.
2001: « Liberté, égalité, solidarité : actualité en droit du travail », in Mélanges offerts au Professeur
Mohamed CHARFI, Centre de Publications Universitaires, Tunis.
2002: Rapport sur la question d’un projet de protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Doc. UN, E/CN.4/2002/57, 12 février 2002).
2005: « La justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels », in Les droits sociaux de
l’homme, ouvrage collectif sous l’égide du Comptrasec, Université de Montesquieu, Bordeaux IV.
2005 : « Les droits économiques, sociaux et culturels dans la Charte arabe des droits de l’homme », in
la Charte arabe des droits de l’homme, ouvrage collectif sous l’égide de l’Institut de science politique
de Messine (Italie).
2006: « Quel modèle de dialogue social en droit du travail tunisien », in Le Consensus social : Discours
et pratique, Colloque régional organisé par l’ARFORGHE et la Fondation KONRAD ADENAUER, Tunis 5
– 6 mai 2006.
2009 : «Les objectifs mondiaux pour le développement (OMD) et l’appel constant à la solidarité », in
Célébration du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Tunis.

‫ "الحقوق األساسية لإلنسان في العمل" ضمن الندوة الوطنية الثالثية الحوار االجتماعي حول العمل الالئق‬:2009
.2009 ‫ أفريل‬27 ‫ تونس‬،‫ و ازرة الشؤون االجتماعية والتضامن والتونسيين بالخارج‬-‫من أجل عولمة عادلة‬

2013 : « Introduction des droits économiques, sociaux et culturels dans les stratégies de
développement des Etats de la région arabe », in Regional Panel Discussion on Human Rights in the
Arab Region 20 Years after Vienna: Achievements, Gaps and the way forward, Caire 18-19 Décembre
2013.

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Table des matières


INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 5

I- CONTEXTE HISTORIQUE ....................................................................................................................... 5

II- CLARIFICATION DES TERMES ............................................................................................................... 7

III- OBJECTIFS ET AXES FONDAMENTAUX DE L’ETUDE .......................................................................... 11

1ERE PARTIE- PRINCIPES GENERAUX ET DOMAINE D’APPLICATION DU CODE DU TRAVAIL : ................ 13

TRADUIRE LES VALEURS CONSTITUTIONNELLES SE RAPPORTANT AUX DROITS FONDAMENTAUX DE


L’HOMME AU TRAVAIL .......................................................................................................................... 13

1er AXE : GARANTIR LE DROIT AU TRAVAIL ET A DES CONDITIONS DE TRAVAIL JUSTES ET FAVORABLES
............................................................................................................................................................... 16

2ème AXE : RENFORCER LES ORGANES DE SUIVI ET DE CONTROLE EN VUE D’ASSURER L’EFFECTIVITE
DES NORMES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME DANS LE TRAVAIL ...................................... 48

2ème PARTIE- RELATIONS COLLECTIVES DU TRAVAIL : METTRE EN PLACE UN CADRE JURIDIQUE


ADAPTE PERMETTANT D’APAISER LES TENSIONS SOCIALES ET DE MIEUX ASSEOIR LE DIALOGUE
SOCIAL ................................................................................................................................................... 56

1er AXE : RESPONSABILISER LES ACTEURS SOCIAUX PAR L’ENDIGUEMENT DE LA NEGOCIATION


COLLECTIVE ET DES CONFLITS SOCIAUX................................................................................................ 57

2ème AXE : MIEUX ASSEOIR LA PRESENCE SYNDICALE ET LES MECANISMES DE REPRESENTATION DES
TRAVAILLEURS AU SEIN DE L’ENTREPRISE............................................................................................. 79

3ème PARTIE- RELATIONS INDIVIDUELLES DU TRAVAIL : MODERNISER LE DROIT DU TRAVAIL ET


L’ADAPTER AUX NOUVELLES REALITES DU MONDE DU TRAVAIL ......................................................... 87

1er AXE : DIVERSIFIER LES MODELES ET LES REACTIONS ET FAVORISER UNE PLUS GRANDE CAPACITE
DE MOBILITE EXTERNE DU TRAVAIL ...................................................................................................... 88

2ème AXE : FAVORISER UNE PLUS GRANDE CAPACITE DE MOBILITE INTERNE DU TRAVAIL ET
D'ADAPTATION DES TACHES ET DES COMPETENCES .......................................................................... 128

CONCLUSION ....................................................................................................................................... 139

SYNTHESE DES RECOMMANDATIONS ................................................................................................. 140

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INTRODUCTION

1. Le 30 avril 2016, le Code du travail vient d’avoir 50 ans !


Quel sens peut-on encore donner aujourd’hui aux valeurs du travail décent, de la
justice sociale et du dialogue social, valeurs proclamées dans la Constitution du 27
janvier 2014 et inscrites au nouveau contrat social, signé entre le Gouvernement,
l’UTICA et l’UGTT le 14 janvier 2013 ?

I- CONTEXTE HISTORIQUE
2. En Tunisie, faut-il le rappeler, la politique sociale a toujours présenté la
caractéristique d’une politique assez volontariste, marquée par les phases
d’interventionnisme de l’Etat qui ont influencé durablement la législation comme
l’attitude des différents acteurs. Les premières lois sociales apparaissent dès 1910 :
c’est la naissance, dans le secteur industriel et commercial, d’un droit du travail à
visage humaniste et à contenu impératif, rebelle au droit civil et coutumier. Les
premiers textes – sous forme de décrets – portent sur les conditions spéciales du
travail des enfants du sexe masculin âgés de moins de 16 ans dans les travaux
souterrains des mines et carrières, la réglementation des établissements dangereux,
insalubres ou incommodes, l’institution du repos hebdomadaire dans les
établissements industriels et commerciaux, la surveillance et la police sanitaire des
chantiers. Mais très vite, le mouvement sera accentué suite, notamment, à la période
du Front Populaire en France : droit syndical, semaine des 40 heures, congés payés,
conventions collectives, protection contre le licenciement, procédure de règlement
des conflits, etc. Le mouvement sera de nouveau relancé au lendemain de la seconde
guerre mondiale : réglementation des heures supplémentaires, organisation des
conseils de prud’hommes, institution des comités d’entreprises.
3. Pour autant, il ne s’agissait pas tant à l’époque et de la part des autorités coloniales
de doter la Tunisie d’une législation moderne - les travailleurs tunisiens étant alors
pour la plupart occupés dans l’agriculture et les corporations artisanales qui
échappaient au droit du travail - que de favoriser un flux migratoire de la métropole
vers les colonies1.
4. Il faut attendre, par la suite, l’indépendance pour assister à une plus grande
implantation du droit du travail en Tunisie. L’Etat nouveau est un Etat à vocation
éminemment sociale et l’existence d’une réglementation protectrice des travailleurs
1
Cf. Mansour HELAL, « La formation historique du droit du travail en Tunisie », Revue
tunisienne de droit social, 1986, p. 41.

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ne sera pas ressentie comme un legs difficile à assumer mais, au contraire, les
protections seront renforcées et étendues à des catégories de plus en plus larges de
la population.
5. C’est ainsi que l’Etat indépendant va intégrer, petit à petit, les normes
internationales du travail en procédant, notamment, à la promulgation, le 30 avril
1966, du Code du travail (ci-après « CT ») et en accentuant, depuis lors, le processus
d’adhésion de la Tunisie à nombre de conventions internationales du travail de
l’O.I.T, dans un souci constant d’harmonisation de la législation interne avec les
tendances majeures du droit international en ce domaine. Soixante et une (61)
conventions internationales du travail sont, à ce jour, ratifiées par la Tunisie,
comprenant notamment les huit (8) conventions se rapportant aux principes et droits
fondamentaux de l’homme au travail2, y compris la Convention (n° 87) sur la liberté
syndicale et la protection du droit syndical et la Convention (n°98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, étant précisé que la Tunisie a, également,
ratifié le 25 mai 2007 la Convention (n° 135) sur les représentants de travailleurs et
que les trois dernières ratifications, intervenues par suite de l’adoption de la loi
fondamentale n° 2013-07 du 1er avril 2013, ont concerné, successivement, la
Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes
internationales du travail, la Convention (n° 151) sur les relations de travail dans la
fonction publique et la Convention (n° 154) sur la négociation collective, marquant
tout autant le souci de l’Etat de promouvoir la négociation collective et d’asseoir
durablement les droits et garanties en faveur des acteurs du dialogue social 3.
6. Volontariste, la politique sociale a toujours été – et c’est sa seconde caractéristique
– une politique « consensuelle », depuis notamment l’adoption de la Convention
collective cadre (ci-après « CCC »), signée à Tunis le 20 mars 1973 entre l'Union
2
Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, Convention (n°
98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, Convention (n° 29) sur le travail
forcé, Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, Convention (n° 138) sur l'âge
minimum, Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, Convention (n°
100) sur l'égalité de rémunération et Convention (n° 111) concernant la discrimination
(emploi et profession).
3
La Tunisie a, également, ratifié trois (3) des quatre (4) Conventions de gouvernance, dites
prioritaires (la Convention (n° 81) sur l'inspection du travail, la Convention (n° 122) sur la
politique de l'emploi et la Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux
normes internationales du travail) et 50 Conventions techniques se rapportant à des
questions diverses touchant au travail et à la vie des travailleurs.

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Générale Tunisienne du travail (ci-après « UGTT ») et l’Union Tunisienne de


l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat ((ci-après « UTICA »)4 et modifiée depuis,
sur certains points, par les avenants successifs qui lui ont été apportés 5. La CCC a été
relayée par cinquante et une (51) conventions collectives nationales sectorielles
couvrant la plupart des activités du secteur productif, avec un rôle souvent
omnipotent de l’Etat amenant les partenaires sociaux à la conclusion d’accords
collectifs tendant à réaliser une sorte d’équilibre entre des intérêts parfois
nécessairement divergents.
7. Tout cela est aujourd’hui bien connu. Quel impact les changements survenus ces
dernières années peuvent-ils néanmoins entraîner au plan de la politique sociale
jusque-là suivie en Tunisie ? Sont-ils de nature à menacer la cohésion sociale et à
livrer les relations du travail aux effets pervers du tout marché ?

II- CLARIFICATION DES TERMES


8. Sans abandonner cette quête de justice sociale, la plupart des systèmes modernes
de relations du travail tendent à établir de nouvelles formes de partenariat Etat-
acteurs sociaux rompant avec le centralisme dans lequel l'Etat providence est
considéré comme le seul agent du changement social pour une perspective où les
acteurs sociaux jouent réellement un rôle déterminant dans les relations du travail.
9. C’est l’opinion qui a été au cœur du nouveau contrat social, signé entre le
Gouvernement, l’UTICA et l’UGTT le 14 janvier 2013. Il ne s'agit pas de faire l'écho du
mot d'ordre appelant au désengagement systématique de l'Etat car, plus que jamais,
l'Etat est engagé dans la vie économique et sociale. Il s'agit plutôt de redéfinir les
modalités d'intervention de l'Etat, appelé à redynamiser le dialogue social et à
redonner, ainsi, un sens à la démocratie, jusque-là strictement contournée dans le
champ politique et qui gagnerait en réalité à être étendue aux domaines économique
et social, dimensions vitales de l'activité humaine.
Dans le domaine propre du droit au travail, cette option appelle à une clarification du
débat et de ses termes :
4
Approuvée par l'arrêté du ministre des Affaires Sociales du 29 mai 1973, paru au JORT des
25-29 Mai - 1er Juin 1973, page n° 852.
5
Avenant n°1 du 17 novembre 1984, Avenant n°2 du 15 octobre 1992 et Avenant n° 3 du 20
avril 2004.

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- Cela concerne, d’abord, le fondement même du droit du travail, souvent mal cerné
en raison d’une vision trop partielle de son histoire et de ses techniques, alors qu’il
constitue, en Tunisie comme ailleurs, un facteur d’équilibre des rapports sociaux (A) ;
- La clarification tient, ensuite, au rôle souvent exagéré attribué au droit du travail
dans le processus économique alors qu’il n’y constitue qu’un facteur dérivé (B) ;
- La clarification a trait, enfin, à la question des sources du droit du travail et de la
place qu’y occupe le droit conventionnel – les conventions collectives du travail – par
rapport au droit étatique – le Code du travail – (C).

(A) Au niveau du fondement : le droit du travail facteur d’équilibre des rapports


sociaux

10. On présente souvent le droit du travail comme étant, fondamentalement, en


rupture avec l’ordre libéral, en se présentant sous la forme de règles impératives,
exorbitantes du droit commun des contrats, qui sont tournées vers la protection
exclusive des intérêts des travailleurs. Les explications se fondaient jusqu’ici sur
l’inégalité sociale et économique qui caractérise la relation-employeur-salarié. Les
postulats de l’égalité et de la liberté, piliers de l’ordre libéral, se heurtent ici, dit-on, à
une réalité contraire d’inégalité, de non liberté. Dès lors, la relation du travail est
présentée comme ayant des caractéristiques propres et répugne à être réduite à une
simple affaire de contrat. De surcroît, la discussion n’intervient pas, en ce domaine,
entre des contractants conçus in-abstracto et discutant sur un pied d’égalité, mais
entre un salarié n’ayant que sa force de travail et ne pouvant attendre au lendemain
et un patron mieux armé par ses capitaux et son instruction plus poussée, et qui dicte
en fait seul ses conditions. Le Contrat de travail est reconnu, dans ces conditions,
comme étant un contrat d’adhésion, dont le trait caractéristique est résumé dans le
lien de subordination juridique, ainsi qu’il est rappelé par l’article 6 du Code du travail
aux termes duquel : « Le contrat de travail est une convention par laquelle l'une des parties
appelée travailleur ou salarié s'engage à fournir à l'autre partie appelée employeur ses
services personnels sous la direction et le contrôle de celle-ci, moyennant une
rémunération… ».

11. Ces explications restent, pourtant, insuffisantes et ne font que conforter la


confusion. Elles ne permettent pas de rappeler que le droit du travail accorde à
l’employeur des droits et pouvoirs tout aussi exorbitants et que ne permet
d’expliquer aucune des théories libérales et aucun des fondements classiques du
droit privé des contrats. Parmi ces pouvoirs exorbitants figurent, en première ligne, le
pouvoir règlementaire et le pouvoir disciplinaire, conférant à l’employeur le droit de

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donner des ordres et d’exercer une autorité au sein de l’entreprise. Ni le droit de


propriété qui attribue à son titulaire une tutelle sur les biens, non sur les personnes,
ni le contrat qui constitue, habituellement, la source de droits et d’obligations
pécuniaires - droits de créance, dit-on - ne permettent de fournir une assise juridique
cohérente au lien de subordination, lequel implique un véritable assujettissement
d’une personne à une autre et qui recouvre autre chose que la simple exécution
d’obligations ordinaires de droit civil.
12. C’est bien le droit du travail, en réalité, qui a construit ce lien particulier de
subordination qui distingue le contrat de travail de l’ensemble de contrats voisins de
droit économique. Le Législateur est conscient, pour ainsi dire, que l’entreprise n’est
pas réductible à une somme de contrats liant individuellement l’employeur à chacun
de ses salariés. L’entreprise est, aussi, une unité économique et sociale de production
qui nécessité un pouvoir fort de direction à même de l’associer, au-delà la satisfaction
d’intérêts individuels, à la réalisation de la politique de développement économique
et social dans son ensemble.
13. C’est dire et rappeler, également, que « le droit du travail n’est autre chose que cette
branche du droit économique définissant une sorte d’équilibre des rapports sociaux, à même
d’associer l’entreprise, noyau de l’activité économique, à l’effort de développement
économique et social. Il légalise la classe ouvrière et l’encadre, légitime le pouvoir patronal et
explique, en contrepartie, les protections assurées aux salariés. Remettre en cause le droit du
travail dans ses fondements propres reviendrait, en d’autres termes, à renier le pouvoir
patronal et à ébranler un pur édifice de l’ordre libéral »6.

(B) Au niveau de la place du droit du travail dans le processus économique : le droit


du travail facteur économique dérivé

14. Le marché du travail doit-il redevenir le marché libre d’une marchandise


quelconque et les rapports de travail une simple affaire de contrat ? Il est nécessaire,
en réalité, de relativiser l’idée toujours présente, celle du droit du travail qui serait
par essence antiéconomique : il empêcherait la régulation de fonctionner et nuirait,
en définitive à l’emploi, d’où la nécessité qu’il y aurait de l’assouplir sensiblement en
vue de favoriser une relance économique spectaculaire accompagnée, à coup sûr, par
une création substantielle d’emplois.
6 Cf. Hatem KOTRANE, « Droit du travail, besoins de l’entreprise et politique de l’emploi », in
L’entreprise et l’environnement social, Journées de l’entreprise, Sousse 1990, publication de
l’Institut arabe des chefs d’entreprise, p. 87.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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15. L’hypothèse paraît plausible mais pourrait ne constituer, parfois, qu’une fausse
optique renvoyant à un comportement fantasmatique face au droit, et ce, au double
plan macroéconomique (1) et microéconomique (2).

(1) Au plan macroéconomique

16. Il est connu qu’un processus économique se structure autour de plusieurs


phénomènes. S’il connait des difficultés, le droit du travail y tient-il une place et
laquelle ? « Sauf erreur, le système productif se structure sur autre chose que la production
du droit du travail ou sa non production »7. On cite, à cet égard, l’exemple de nombre de
pays qui connaissent des crises graves alors que le droit du travail ne s’y avère pas
nécessairement contraignant.
17. L’économie tunisienne connait, pour sa part, des difficultés et limites structurelles
qui la placent, pour des années encore, dans l’incapacité de faire coïncider offre et
demande du travail. Traiter le droit du travail en variable négative par rapport à
l’économie et à l’emploi et agir sur lui pour surmonter les difficultés apparaît dès lors
comme une fausse optique : « Qui peut le prouver ? Qui a la charge de la preuve ? Que se
passera-t-il si demain les chômeurs vont camper sur les ruines du droit du travail ? »8.

Le droit du travail est en fait un facteur dérivé : « La crise renvoie moins à des solutions
en termes d’allègement du droit travail que de droit commercial, financier, du droit
d’entreprendre en somme »9.

(2) Au plan microéconomique

18. Le droit du travail est-il un coût susceptible de conditionner la survie de


l’entreprise ? « Personne ne peut répondre avec certitude à cette question car les moyens
de la vérifier n’existent pas »10. L’on sait, par contre, qu’une bonne gestion peut
relativiser le coût alors qu’une mauvaise l’accroître. En fait, il faudrait connaître parmi
les entreprises en expansion, en stagnation ou qui ont disparu, celles où le droit du

7
A. ROUDIL, « Flexibilité de l’emploi et droit du travail : la beauté du diable », Revue de droit
social, 1985, p. 87.
8
Gérard LYON-CAEN, « Quelle flexibilité pour quel droit du travail ? » in Droit social et
emploi, Revue tunisienne de droit social, 1987.
9
A. ROUDIL, article précité.
10
Ibid.

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travail est appliqué, celles où il n’est pas et apprécier la part qu’il occupe dans chaque
situation.
19. C’est dire aussi que le droit du travail est souvent la cible de critiques qui doivent
être orientées ailleurs : bureaucratie, mauvaise organisation du travail, tensions
sociales, coûts financiers dus au surendettement de bon nombre d’entreprises, etc.

(C) Au niveau des sources du droit du travail : place des conventions collectives par
rapport au Code du travail

20. C’est là une des originalités du droit du travail par rapport aux branches voisines
du droit économique. A côté du droit étatique contenu essentiellement dans le Code
du travail qui fixe les règles et principes que l’Etat tient pour essentiels dans
l’organisations des rapports de travail et qui résument, pour une bonne partie, les
règles définies dans les normes internationales du travail en ce domaine, le droit du
travail reconnait une certaine place aux partenaires sociaux pour l’aménagement
d’un droit professionnel trouvant son expression dans les conventions collectives du
travail.
21. Or, à entendre les doléances exprimées, ici où là, par les employeurs, les
difficultés auxquelles l’entreprise est confrontée proviendraient plus généralement,
non pas nécessairement du Code du travail, mais bien de ce droit conventionnel
sensé pourtant mieux répondre aux besoins du monde du travail. C’est, en d’autres
termes, l’expérience de la négociation collective, ajoutée à la montée croissante des
tensions sociales, qui se révèle déficiente, même si la part du Code du travail dans les
performances du système de relations professionnelles n’est pas négligeable.
22. Les difficultés tiennent, en fait, à des facteurs interdépendants et intimement liés,
de sorte que toute analyse juridique doit intégrer une part importante de la
représentation et de l’usage que font, dans la durée, les acteurs sociaux du système
juridique encadrant les rapports du travail et les relations professionnelles.

III- OBJECTIFS ET AXES FONDAMENTAUX DE L’ETUDE


23. Sous le bénéfice des développements précédents permettant une clarification des
termes du débat, la réflexion sur le Code du travail pourra être bien recadrée et
appellera à engager un débat nécessaire portant, non pas sur les fondements propres
de ce Code et du droit du travail dans son ensemble, mais bien sur son contenu et
son degré d’adaptation aux changements politiques, économiques et sociaux et aux
nouvelles réalités mouvantes du monde du travail.

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24. Dans cette perspective, le Code du travail est aujourd’hui appelé, avant tout, à
traduire et à mettre en œuvre les valeurs se rapportant aux droits fondamentaux de
l’homme au travail ; telles que proclamées dans le Préambule et aux articles 12, 35,
36 et 40 de la Constitution du 27 janvier 2014, et ce, en redonnant un sens aux
valeurs de liberté, d’égalité et de citoyenneté en tant que noyau irréductible de tout
système qui entend associer les relations du travail à la réalisation d’un modèle de
cohésion sociale (1ère partie).
Mais en même temps, le droit du travail est aujourd’hui appelé à renouveler ses
techniques et ses méthodes de représentation de la doctrine des relations de travail
en vue de parvenir à relever un double défi :
- Mettre en place un cadre juridique adapté permettant d’encadrer les relations
collectives du travail en vue d’apaiser les tensions sociales et de mieux asseoir le
dialogue social (2ème partie) ;
- Moderniser le cadre juridique applicable aux relations individuelles du travail et
l’adapter aux nouvelles réalités du monde du travail (3ème partie).

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1ERE PARTIE- PRINCIPES GENERAUX ET DOMAINE D’APPLICATION DU CODE DU


TRAVAIL :
TRADUIRE LES VALEURS CONSTITUTIONNELLES SE RAPPORTANT AUX DROITS
FONDAMENTAUX DE L’HOMME AU TRAVAIL
25. Appeler à mettre en œuvre les valeurs et principes liés aux droits fondamentaux
de l’homme au travail, consacrés dans le Préambule et aux articles 12, 35, 36 et 40 de
la Constitution11, y compris notamment « la citoyenneté, la fraternité, la solidarité et la
justice sociale, …le droit au travail sur la base du mérite et de l’équité, le droit syndical, y
compris le droit de grève…, ainsi que le droit de tout citoyen et toute citoyenne au travail
dans des conditions favorables et avec un salaire équitable », ce n'est pas méconnaître
l'importance des nouvelles réalités économiques qui se mettent progressivement en
place. Il s'agit plutôt d'attirer l'attention sur les risques majeurs engendrés, ici ou là,
par cette dérive d'une logique économiste montée en puissance et illustrée par " une
inversion fréquente des priorités entre objectifs et moyens qui fait de la survie du système
économique lui-même une fin en soi, alors qu'il ne se justifie que comme instrument de
satisfaction des besoins des hommes"12.

11
Préambule : « …Considérant le statut de l’Homme en tant qu’Être élevé en
dignité,…construisant sur notre unité nationale qui repose sur la citoyenneté, la fraternité, la
solidarité et la justice sociale ;… ».
Articles 12 : « L’Etat œuvre à la réalisation de la justice sociale… ».
Article 35 : « La liberté de constituer des partis politiques, des syndicats et des associations
est garantie.
Les partis politiques, les syndicats et les associations s’engagent dans leurs statuts et leurs
activités à respecter les dispositions de la Constitution et de la loi, ainsi que la transparence
financière et le rejet de la violence ».
Article 36 : « Le droit syndical est garanti, y compris le droit de grève.
Ce droit ne s’applique pas à l’Armée nationale.
Le droit de grève ne s’applique pas aux forces de sécurité intérieure et à la douane ».
Article 40 : « Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail. L’État prend les mesures
nécessaires afin de le garantir sur la base du mérite et de l’équité.
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un
salaire équitable ».
12
Institut Universitaire d'Etudes du Développement (IUED), Pour un développement social
différent : recherche d'une méthode d'approche, rapport d'un groupe de travail en vue du
sommet social de Copenhague, Genève, mars 1995.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


14

La pensée économique dominante ne se préoccupe en fait guère de l'humain, les


chiffres lui suffisent, ce que un auteur résume en ces termes : "Si les économistes
connaissent le prix de chaque chose, ils ne savent la valeur de rien"13.

26. Cette dérive de "l'économisme"14 a été poussée à l'extrême avec la mise en place,
depuis surtout les années 80 du siècle dernier, des politiques d'ajustement structurel
(PAS) dans les pays en développement sommés d'être gérés comme des firmes avec
pour but exclusif de restaurer les équilibres financiers et d'accélérer leur intégration
au marché mondial.
27. Du même coup, ces PAS se sont-ils vite écartés de leur finalité instrumentale qui,
seule, les légitime en se transformant en une sorte de doctrine de droit naturel
bénéficiant d'une vénération quasi-religieuse et revendiquant, dès lors, une
application universelle et quasi-immuable.
Le résultat a été que ces PAS se sont généralement traduits par une détérioration de
la situation sociale des populations les plus vulnérables des pays ainsi visés :
accroissement des inégalités, diminution de la part des salaires dans le revenu
national, précarisation du travail, augmentation du chômage, etc.
28. Une lecture attentive de l’évolution du doit tunisien du travail ces dernières
années montre que le législateur s’est gardé de se plier à ce dictât de la pensée
unique, exprimée ici en termes de négation totale des droits sociaux. Et dans bien
des domaines, l'on prenait résolument la décision de maintenir et de développer
encore davantage les politiques sociales, y compris les normes de protection du
travail, qui ont constitué, certainement, un des traits marquants de la Tunisie depuis
son indépendance. On avait ainsi conscience que la reprise de la croissance, pour être
nécessaire, était loin de constituer une condition suffisante du développement et
qu'elle ne pouvait à elle seule répondre aux attentes de la société, d'autant que la
réalité contemporaine nous montre, encore aujourd'hui, bien des cas de pays qui ont
renoué avec la croissance mais qui restent incapables de résorber les fractures
sociales et de mettre un frein à l'aggravation du chômage, de la pauvreté et de
l'exclusion sociale.

13
Richard KNIGHT, cité par Sophie BESSIS in De l'exclusion sociale à la cohésion sociale,
Rapport de synthèse du Colloque de Roskilde, 2-4 mars 1995, Université de Roskilde,
Danemark publication MOST (UNESCO).
14
L'expression est de Sophie BESSIS, Rapport précité.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


15

29. La Constitution du 27 janvier 2014 vient en tout cas réaffirmer, dans son
Préambule et dans ses articles 12, 34 et 40, les principes majeurs liés aux droits
fondamentaux de l’homme au travail, sans égard aux autres droits économiques,
sociaux et culturels y consacrés, tels le droit à la santé et à la couverture sociale
(article 38), le droit à l’éducation (article 39), le droit à la culture (article 41) le droit
aux activités sportives et de loisir (article 43), le droit à l’eau (article 44) et le droit à
un environnement sain et équilibré (article 45).
30. Dans le domaine propre aux relations du travail, les principes ainsi proclamés par
la Constitution du 27 janvier 2014, en harmonie avec les tendances majeures des
conventions internationales ratifiées par la Tunisie, appellent-ils dès lors à être
effectivement traduits dans le Code du travail en vue d’associer le travail à la
réalisation d’un modèle de cohésion sociale :
- Affirmer, avant toute chose, le principe du droit au travail et à l'égalité des chances
devant le travail, tout en veillant à abolir toutes les formes de discrimination en ce
domaine et à protéger la condition de l’homme au travail (1er Axe) ;
- Renforcer les organes de contrôle en vue d’assurer l’effectivité des normes de
protection dans le travail (2ème Axe).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


16

1er AXE : GARANTIR LE DROIT AU TRAVAIL ET A DES CONDITIONS DE TRAVAIL


JUSTES ET FAVORABLES15

Paragraphe 1er- ANALYSE DE LA SITUATION

31. Aux termes de l’article 40 de la Constitution du 27 janvier 2014: « Tout citoyen et


toute citoyenne a droit au travail. L’État prend les mesures nécessaires afin de le garantir sur
la base du mérite et de l’équité.
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un
salaire équitable ».
Ces dispositions constitutionnelles reprennent, en substance, les dispositions des
articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels16, adopté par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16

15
Cf. Hatem KOTRANE, La Tunisie et le droit au travail, Précis, édition SAGEP. Tunis, 1992.
16
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par
l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
Article 6 : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le
droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou
accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit.
2. Les mesures que chacun des Etats parties au présent Pacte prendra en vue d'assurer le plein
exercice de ce droit doivent inclure l'orientation et la formation techniques et professionnelles,
l'élaboration de programmes, de politiques et de techniques propres à assurer un développement
économique, social et culturel constant et un plein emploi productif dans des conditions qui
sauvegardent aux individus la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales. ».

Article 7 : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir de
conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment :
a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs :
i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction
aucune ; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont
accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même
rémunération qu'eux pour un même travail;
ii) Une existence décente pour eux et leur famille conformément aux dispositions du présent Pacte;
b) La sécurité et l'hygiène du travail;
c) La même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, à la catégorie supérieure
appropriée, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes;
d) Le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques,
ainsi que la rémunération des jours fériés. ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


17

décembre 1966. Elles sont, en même temps, la traduction de nombre de conventions


internationales du travail adoptées par l’OIT.
32. Le Code du travail doit-il, dès lors, traduire les principes ainsi affirmés par la
Constitution en autant de droits précis et d’obligations invitant l’Etat, en pleine
concertation avec les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, à
prendre un certain nombre de mesures législatives, de mécanismes de suivi et de
contrôle, à même d’assurer ce qui suit :
- Garantir expressément, avant toute chose, un régime de liberté du travail et
interdire toute forme de travail forcé(A) ;
- Assurer l’égalité des chances devant le travail sur la base du mérite et de l’équité et
abolir toutes les formes de discrimination dans l’emploi (B);
- Protéger l’homme dans le travail et assurer le travail dans des conditions favorables
et avec un salaire équitable (C) ;
- En finir définitivement avec l’exploitation économique des enfants et le travail des
enfants (D).

(A) Droit au travail, liberté du travail et interdiction du travail forcé

33. La liberté du travail s’oppose à toute forme de travail forcé. Depuis l’abolition de
l’esclavage, jusqu’à l’interdiction de pratiques, certes moins brutales, mais somme
toute plus subtiles, utilisées à des fins de coercition politique ou dans des
programmes dits de prévention et d’éducation sociale, l’action internationale de l’OIT
contre le travail forcé est marquée par un souci constant d’assurer l’adhésion
volontaire de l’homme au travail.
34. La Convention n°29 (1930) sur le travail forcé et la Convention n°105 (1957) sur
l’abolition du travail forcé constituent les instruments de portée générale en la
matière. Cette dernière convention commande l’abolition immédiate et complète des
cinq formes suivantes de travail forcé :
« - En tant que mesure de coercition ou d’éducation politique ;
- En tant que mesure de mobilisation à des fins de développement économique ;
- En tant que mesure de discipline de travail ;
- En tant que sanction pour avoir participé à des grèves ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


18

- En tant que mesure de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse ».

35. La Tunisie a ratifié le 23 novembre 1962 la Convention (n°29), comme elle avait
ratifié, depuis le 23 décembre 1958, la Convention (n°105), et il n’existe pas dans le
Code du travail de 1966 de dispositions impliquant une forme quelconque de travail
forcé au sens de ces textes internationaux. On relèvera, cependant, les difficultés
suscitées par le décret- loi n°62-17 du 15 août 1962 sur le travail rééducatif et par la
loi n°78-22 du 8 mars 1978 sur le service civil. Destinés apparemment à prévenir des
phénomènes tels que l’oisiveté, le vagabondage ou la marginalité, ces textes étaient,
de façon constante, jugés contraires aux dispositions des Conventions n° 29 et 105
par la Commission de contrôle de l’application des Conventions et des
Recommandations de l’OIT.
Ces difficultés ont finalement été dépassées à la faveur de l’adoption de la loi n° 95- 5
du 23 janvier 1995 portant abrogation du travail rééducatif et du travail civil.
36. D’autres difficultés étaient assez souvent évoquées par la Commission dans ses
rapports et tenaient à la question du travail carcéral, considéré comme une des
formes de travail forcé au sens de la Convention (n° 105) de l’OIT, précitée. La
Commission relevait, en particulier, que l’article 13 du Code pénal prévoit des peines
de prison comportant l’obligation de travailler contre ceux qui participent à une grève
illégale, la légalité de la grève étant conditionnée par son approbation par la centrale
syndicale (art. 376 bis, alinéa 2 du Code du travail). Selon la Commission, des
sanctions comportant un travail pénitentiaire normal peuvent être infligées
uniquement dans les cas de grèves déclenchées dans le cadre de services essentiels.
Elles ne sauraient, par contre, être étendues et appliquées à des grèves rendues
illégales du seul fait qu’elles n’ont pas été approuvées par la centrale syndicale.
Ces difficultés ont été, à leur tour, dépassées depuis la modification de l’article 13 du
Code pénal par la loi n° 99-89 du 2 août 1999.
37. Il convient de soulever, également, les nouvelles difficultés suscitées par un projet
de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes et les débats qu’il a
provoqués au sein des médecins concernés et de l’opinion publique en général. La
question ne relève pas directement du Code du travail, les médecins de la santé
publique étant soumis au régime de la fonction publique. Mais il est utile de tirer des
enseignements au regard de l’application du principe de la liberté du travail et de
l’interdiction du travail forcé.
38. Il faut rappeler, à cet égard et à titre d’exemple relatif à la situation en Algérie,
que la commission d’experts sur l’application des conventions et recommandations

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


19

de l’OIT se dit, depuis plusieurs années, préoccupée du fait de « l’incompatibilité avec


la convention (n° 29) sur le travail forcé de la loi du 11 février 1984 relative au service civil,
modifiée et complétée par la loi du 19 août 1986 et par la loi du 14 novembre 2006, qui
permettent d’imposer aux personnes ayant reçu un enseignement ou une formation
supérieurs un service d’une durée de un à quatre ans avant de pouvoir exercer une activité
professionnelle ou obtenir un emploi ».

La commission note également « …qu’aux termes des articles 32 et 38 de la loi, le refus


d’accomplir le service civil et la démission de l’assujetti sans motif valable entraînent
l’interdiction d’exercer une activité pour son propre compte… De même, aux termes des
articles 33 et 34 de la loi, tout employeur privé est tenu de s’assurer, avant tout recrutement,
que le candidat au travail n’est pas concerné par le service civil ou qu’il l’a accompli sur
pièces justificatives… Ainsi, et bien que les assujettis au service civil bénéficient de conditions
de travail semblables à celles de travailleurs réguliers du secteur public (rémunération,
ancienneté, promotion, retraite, etc.), ils participent à ce service sous la menace d’être
frappés, en cas de refus, de l’incapacité d’accéder à toute activité professionnelle
indépendante et à tout emploi dans le secteur privé, ce qui fait entrer le service civil dans la
notion de travail obligatoire au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la convention. En outre,
dans la mesure où il s’agit de la contribution des assujettis au développement économique du
pays, ce service obligatoire est également incompatible avec l’article 1 b) de la convention
(no 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, également ratifiée par l’Algérie ».

39. Dans son dernier rapport, le gouvernement indique que le service civil ne
concerne que les médecins spécialisés de la santé publique et qu’il a été instauré par
nécessité en vue d’apporter les soins spécialisés indispensables aux populations des
régions isolées qui n’y ont pas accès. Par ailleurs, le gouvernement signale que, lors
de la Conférence nationale sur la politique de réforme hospitalière (février 2011), une
réflexion s’est engagée en vue de la suppression du service civil pour ces médecins, et
que le but ultime serait de leur laisser le choix d’exercer leur métier dans les secteurs
public, privé ou parapublic.
40. Tout en notant ces informations, la commission « …exprime le ferme espoir que les
mesures nécessaires seront prises pour abroger ou amender les dispositions de la loi no 84-10
du 11 février 1984 relative au service civil à la lumière des conventions nos 29 et 105, et que
le gouvernement pourra prochainement faire état des mesures adoptées en ce sens ».

Se référant à l’ordonnance no 06-06 du 15 juillet 2006, modifiant et complétant la loi


no 84-10 du 11 février 1984 sur le service civil, la commission « …réitère l’espoir que les

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


20

mesures nécessaires seront prises pour abroger ou amender les dispositions imposant le
service civil aux médecins spécialisés… »17.

41. L’exposé de ces observations de la Commission de contrôle de l’application des


Conventions et des Recommandations de l’OIT permet de souligner, une fois de plus,
l’impérieuse nécessité de respecter, en toute circonstance, le principe de la liberté du
travail qui trouve appui dans les Convention n°29 et n°105 de l’OIT, précitées, mais
également dans les dispositions expresses de l’article 6 du Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, également ratifié par la Tunisie, aux
termes duquel « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui
comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un
travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder
ce droit …».

Selon, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le droit au travail


implique nécessairement « l’obligation des États parties de garantir aux individus leur
droit à un travail librement choisi ou accepté... Cette définition illustre le fait que le respect
de l’individu et de sa dignité passe notamment par la liberté de l’individu quant au choix de
travailler tout en soulignant le rôle du travail dans son épanouissement personnel ainsi que
dans son intégration sociale et économique »18.

42. La Convention (n ° 122) de l’OIT concernant la politique de l’emploi (1964),


également ratifiée par la Tunisie, évoque pour sa part le «plein emploi, productif et
librement choisi», liant l’obligation de l’État partie de créer les conditions du plein
emploi à l’obligation de veiller à l’absence de travail forcé19.
43. D’aucuns penseraient que les mobiles à la base dudit projet de loi sont tout à fait
louables en permettant de lutter contre les « déserts médicaux » et d’assurer une
plus grande « égalité de tous les citoyens et citoyennes … et l’équité entre les régions »20 en
vue de satisfaire au droit qu'a tout citoyen de jouir du meilleur état de santé physique
17
Voir le rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et
recommandations de l’OIT, 2013, page 235.

18
Cf. Observation générale No 18 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
Article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Trente-
cinquième session, U.N. Doc. E/C.12/GC/18 (2006).
19
Voir pour plus de détails, Hatem KOTRANE, la Tunisie et le droit au travail, Ed. Sagep,
Tunis, 1992.
20
Préambule de la Constitution.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


21

et mentale qu'elle soit capable d'atteindre , ainsi qu’il a été reconnu par l’article 38
de la Constitution du 27 janvier 2014. La concentration des médecins et des
structures sanitaires ou hospitalo-universitaires dans les villes du littoral crée, de
surcroît, un déséquilibre qu’il est du devoir de l’Etat de réduire au moyen d’une
politique volontariste donnant une nouvelle impulsion aux politiques sociales en
direction des régions à réanimer !
44. Notre opinion, pourtant, est que l’Etat doit constamment veiller à réaliser, ici
comme ailleurs, un arbitrage cohérent entre des préoccupations parfois
nécessairement divergentes tout en préservant l’essence de la liberté du travail
comme composante essentielle des droits fondamentaux de l’homme au travail !

(B) Droit au travail, égalité des chances devant le travail et abolition de toutes les
formes de discrimination dans l’emploi

45. Le travail rémunéré est devenu, en Tunisie comme dans le reste du monde – à des
degrés certes différents-, une denrée rare. On estime à 30% le taux moyen du
chômage mondial frappant essentiellement les pays du Sud -avec un taux moyen de
40%-, alors même que les pays du Nord ne sont plus eux-mêmes épargnés avec un
taux de chômage moyen de 10%. La croissance démographique n'est pas seule en
cause et dans le cas des pays développés en tout cas, c'est davantage l'apparition de
nouvelles technologies moins demandeuses de main-d'œuvre qui a accentué ce
découplage entre travail et production : "Pour la deuxième fois dans l'histoire, les
machines remplacent les hommes et la croissance économique est de moins en moins
créatrice d'emplois"21.

46. La Tunisie connaît pour sa part de graves difficultés en matière d'emploi, avec un
taux de chômage estimé au deuxième trimestre 2015 à 15,2% selon l’Institut National
des Statistiques (INS), ventilé comme suit : 12,4% pour les hommes, 22,2% pour les
femmes. Le nombre des diplômés chômeurs de l’enseignement supérieur est, pour sa
part, estimé à 28,6% au deuxième trimestre 2015.
Selon le même rapport de l'INS, le nombre de la population active est de 3.991.400
personnes, les hommes représentant 71,9% et les femmes 28,1%.
47. Ces quelques données montrent à quel point l'Etat est invité, plus que jamais, à
mener une politique volontariste en ce domaine, tant il est vrai qu'il ne peut rester
indifférent à l'égard des inconvénients qu'engendrent, inéluctablement, les situations

21
Sophie BESSIS, Rapport précité, p. 14.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


22

de chômage et de sous-emploi. Et quels que soient les mérites de l’économie de


marché et le regain d’intérêt dont elle semble bénéficier de nouveau aujourd’hui, « le
marché de travail ne peut être totalement confié à l’autorégulation, ni être traité comme le
marché libre d’une marchandise quelconque »22.

- Sur un plan individuel d’abord, et outre les troubles somatiques consécutifs au


stress émotionnel, le chômage entraîne des troubles psychologiques tels que
« …sentiment de rejet, de détérioration, d’atteinte à l’intégrité personnelle, de sa propre
inutilité ». Cela est alors de nature à entraver, spécialement pour le jeune, « …une
certaine affirmation de soi et le prive des moyens d’autonomisation, ce qui a pour effet de
prolonger la période d’adolescence »23 ;

- Sur le plan social, ensuite, l’absence de travail et le chômage qui lui est consécutif
réactivent les conflits familiaux et accentuent les tensions sociales par les
phénomènes d’inadaptation, de délinquance et de marginalité, sans égard à
l’exploitation de jeunes désœuvrés par les groupes criminels et autres mouvements
terroristes trouvant dans le chômage des jeunes le terrain favorable en vue de mener
leurs activités d’embrigadement idéologiques et religieux ;
- Sur le plan politique, enfin, le chômage est inacceptable et constitue une menace
latente pour l’Etat en ce qu’il est généralement ressenti comme l’expression de son
inefficacité, ce qui est de nature à favoriser les mouvements de contestation et
d’opposition à sa politique et à ses programmes.
48. De fait, diverses structures et techniques juridiques, économiques et financières
sont mises en œuvre par l'Etat aux fins de favoriser une politique cohérente et
dynamique et de satisfaire à la réalisation du droit au travail pour le maximum de
citoyens en quête d'emploi (1), sans égard aux techniques et mécanismes destinés à
lutter contre les discriminations dans l’emploi (2).

(1) Egalité des chances devant le travail et emploi des jeunes

49. En ratifiant la Convention (n° 142) de l’OIT sur le rôle de l’orientation et de la


formation professionnelle dans la mise en valeur des ressources humaines, la Tunisie

22
Gérard LYON-CAEN et Jean PELISSIER, Précis de droit du travail, Dalloz, p.3.
- Cité par Ahmed OMRANE, in « Du contrat de travail à la politique de l’emploi », Actes du
Colloque organisé par l’Association Tunisienne de Droit Social les 13 et 14 juin 1986, Revue
tunisienne de droit social 1987.
23
Cf. Ahmed OMRANE, article précité, p.29.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


23

s’est engagée à adopter et à développer des politiques et des programmes complets


et concrets d’orientation et de formation professionnelle en établissant, en
particulier grâce aux services de l’’emploi, une relation étroite entre l’orientation et la
formation et l’emploi.
50. De fait, plusieurs politiques et programmes ont constitué, depuis l’indépendance,
des préoccupations majeures de l’Etat. L’institution depuis 1964 d’un Conseil
National de la Formation Professionnelle et de l’Emploi24 et la création, en 1990, d'un
Ministère de la Formation Professionnelle et de l'Emploi marquaient, sans doute, la
volonté de l'Etat de parvenir à ouvrir les programmes de formation professionnelle
au plus grand nombre de jeunes en quête de qualification, d'assurer l'adéquation et
l'orientation de la formation professionnelle sur les secteurs d'emploi et de garantir,
ainsi, aux jeunes des chances d'acquérir les qualifications nécessaires pour occuper
les emplois qui leur conviennent.
51. Des mesures incitatives à la création d'emploi ont été, en même temps,
développées toutes ces dernières années pour faciliter l'insertion professionnelle des
jeunes, tels les stages d'initiation à la vie professionnelle pour les sortants du
supérieur (SIVP1) et pour les sortants du secondaire long (SIVP2), ainsi que la mise en
place, ces dernières années, de nouveaux modes de contrats d’insertion, notamment
en direction des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur dont les difficultés
d'insertion au marché du travail commandent, à ce stade de l'évolution, un vrai
questionnement sur l’ensemble des politiques mises en œuvre, y compris le système
universitaire et les politiques de formation jusque-là suivies et leur adéquation par
rapport aux besoins du marché. Autant de questions et de solutions à inventer ou à
réinventer pour que l'université ne soit plus accusée d'être devenue la plus grosse
machine à découragement social !
52. Parmi les nouveaux instruments d’incitation à l’emploi des jeunes, figurent
notamment le contrat d’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur (a) et le
contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle (b)25.

24
Loi n° 64-51 du 22 décembre 1964.
25Cf. Décret n°2011-621 du 23 mai 2011, modifiant et complétant le décret n° 2009-349 du 9
février 2009 fixant les programmes du fonds national de l’emploi, les conditions et les
modalités de leur bénéfice.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


24

(a) Le contrat d’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur

53. Ce contrat a pour objet de permettre au bénéficiaire d’acquérir des qualifications


professionnelles en alternance entre une entreprise privée et une structure de
formation publique ou privée, et ce conformément aux exigences d’un poste
d’emploi pour lequel ladite entreprise s’engage à le recruter. Le contrat est ouvert
aux demandeurs d’emploi de nationalité tunisienne titulaires d’un diplôme de
l’enseignement supérieur ou d’un diplôme équivalent et dont la période de chômage
excède deux ans à compter de la date d’obtention du diplôme concerné.
54. Le contrat d’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur est conclu pour
une période maximale d’une année sur la base d’un programme de formation
spécifique arrêté à cet effet entre l’entreprise d’accueil, le stagiaire et l’Agence
Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant.
55. Le programme de formation spécifique peut être réalisé soit au sein de
l’entreprise d’accueil ou dans une structure de formation publique ou privée.
L’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant prend en charge le coût
de la formation du stagiaire plafonnée à 1800 dinars dans la limite maximale de 400
heures durant toute la durée du contrat.
56. L’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant octroie au stagiaire,
durant la durée du contrat, une indemnité mensuelle dont le montant est de 150
dinars. Elle octroie, en outre, au stagiaire qui réside hors du gouvernorat
d’implantation de l’entreprise d’accueil, une indemnité mensuelle supplémentaire
dont le montant ne dépasse pas 50 dinars, et ce pendant toute la durée du contrat.
57. L’entreprise octroie, pour sa part, obligatoirement au stagiaire une indemnité
complémentaire mensuelle durant toute la durée du contrat dont le montant est au
minimum de 150 dinars. Elle s’engage à recruter le bénéficiaire qui a achevé le
contrat, étant précisé que l’entreprise qui ne satisfait pas à ces dispositions ne peut
bénéficier à nouveau du contrat d’insertion des diplômés de l’enseignement
supérieur qu’après écoulement d’au moins 24 mois consécutifs à compter de la fin du
dernier contrat dont elle a bénéficié.

(b) Le contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle

58. Ce contrat a pour objet de permettre au demandeur d’emploi non titulaire d’un
diplôme de l’enseignement supérieur d’acquérir des qualifications professionnelles
conformes aux exigences d’une offre d’emploi présentée par une entreprise privée et

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


25

qui n’a pas été satisfaite compte tenu de l’indisponibilité de la main d’œuvre requise
sur le marché de l’emploi.
59. L’entreprise peut bénéficier des contrats d’adaptation et d’insertion
professionnelle à titre individuel ou dans le cadre de conventions avec les centres
techniques, les fédérations professionnelles, ainsi qu’avec les chambres de commerce
et d’industrie, les ordres et les associations professionnelles.
60. L’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant prend en charge,
conformément à un programme de formation spécifique convenu avec l’entreprise
concernée ou avec l’un des organismes mentionnés plus haut, le coût de la formation
du stagiaire plafonné à 700 dinars dans une limite maximale de 400 heures durant la
durée du contrat.
61. Le programme de formation spécifique peut être réalisé au sein de l’entreprise
d’accueil ou dans une structure de formation publique ou privée.
Le contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle est conclu entre l’entreprise
d’accueil et le stagiaire et ce pour une période maximale de 12 mois.
62. L’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant octroie au stagiaire, et
durant toute la durée du contrat, une indemnité mensuelle d’un montant de 100
dinars.
63. L’entreprise octroie, pour sa part, obligatoirement au stagiaire une indemnité
complémentaire mensuelle durant toute la durée du contrat dont le montant est au
minimum de 50 dinars. Elle s’engage à recruter le bénéficiaire qui a achevé le contrat,
étant précisé que l’entreprise qui ne satisfait pas à ces dispositions ne peut bénéficier
à nouveau du contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle qu’après
écoulement d’au moins 24 mois consécutifs à compter de la fin du dernier contrat
dont elle a bénéficié26.

26
Un autre instrument est mis en place, qui n’est pas spécifiquement dédié aux jeunes : Le
contrat de réinsertion dans la vie active. Il a pour objet de permettre au travailleur ayant
perdu son emploi d’acquérir de nouvelles compétences conformes aux exigences d’un poste
d’emploi préalablement identifié au sein d’une entreprise privée. Il est ouvert aux
demandeurs d’emploi ayant perdu leur emploi pour des motifs économiques ou techniques
ou suite à la fermeture définitive, subite et illégale des entreprises qui les employaient.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


26

(2) Egalité des chances devant le travail et emploi des personnes ayant un handicap

64. Il est aujourd'hui admis que l'analphabétisme, la sous-qualification,


l'appartenance à une catégorie marginalisée, barrent pour des milliers de personnes
ainsi concernées l'accès à la sphère du travail visible et rémunéré. Des stratégies
cohérentes et complémentaires sont-elles, dès lors, nécessaires pour permettre aux
groupes les plus démunis et les plus vulnérables d'acquérir les outils indispensables à
leur intégration sociale et économique. Dans cette perspective, les domaines de la
santé, de l'éducation, de la lutte contre l'analphabétisme et la pauvreté, de la
promotion des droits des personnes ayant un handicapé, devraient être considérés
comme prioritaires par l'Etat et bénéficier, de façon constante, d'une attention et de
soins particuliers.
65. En ratifiant le 22 février 1989 la Convention (no 159) de l’OIT sur la réadaptation
professionnelle et l’emploi des personnes handicapées, la Tunisie s’est engagée,
entre autres, à donner effet au droit au travail de cette catégorie de citoyens pour
lesquels le principe d’égalité de chances devant le travail se heurte à une réalité
contraire d’inégalité. Une la loi d’orientation no 2005-83 du 15 août 2005, relative à la
promotion et à la protection des personnes handicapées, a été adoptée portant
modification de textes antérieurs. Cette loi se caractérise par sa portée globale
puisqu’elle inclut les activités de prévention, de protection et d’intégration sous tous
leurs aspects. Il s’agit d’une loi d’orientation, qui constitue un cadre propice à la mise
en œuvre des politiques, des plans, des programmes et des mécanismes adoptés par
l’État dans le domaine de la promotion et de la protection des personnes
handicapées.
66. Dans le domaine propre du travail, l’article 30 de la loi susmentionnée fait
obligation à toute entreprise employant 100 travailleurs et plus de réserver 1 % au
moins des postes de travail à des personnes ayant un handicap. L’article 34 prévoit,
également, des incitations en faveur des entreprises consistant, notamment, à les
exonérer, pour chaque personne handicapée employée, du paiement de la moitié,
des deux tiers ou de la totalité (en fonction de la carte de handicap, c’est-à-dire selon
qu’il s’agit d’un handicap léger, moyen ou profond), des contributions de l’employeur
au régime de sécurité sociale de la taxe sur la formation professionnelle et de la
contribution au Fonds de promotion des logements sociaux. Le législateur a, en
outre, prévu pour la première fois des sanctions en cas de non-respect des
dispositions relatives à l’emploi obligatoire des personnes handicapées (sous la forme
d’amendes qui sont alourdies en cas de récidive) et a désigné l’Inspection du travail

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


27

en tant qu’organisme chargé de constater les contraventions et d’établir des procès-


verbaux.
67. Par ailleurs, en cas de handicap résultant d’un accident du travail, l’employeur
est tenu de maintenir le travailleur à son poste ou de l’affecter à un autre poste
adapté à ses capacités et aux spécificités de son handicap. En cas d’incapacité totale
de travail, le travailleur concerné est mis en retraite conformément au règlement en
vigueur. Dans un tel cas, la Commission administrative paritaire ou la Commission
consultative des entreprises, selon le secteur, est obligatoirement consultée.
68. La ratification, le 11 février 2008, de la Convention relative aux droits des
personnes handicapées 27 a donné un nouvel essor à l’engagement de la Tunisie en
vue de garantir tous les droits reconnus à ces personnes, y compris notamment leur
droit au travail sur un pied d’égalité avec les autres citoyens.
69. Dans ses observations finales adoptées à l’issue de l’examen, les 12 et 13 avril
2011, du rapport initial de la Tunisie sur l’application de la Convention, le Comité des
personnes handicapées « …prend note des efforts déployés par l’État partie pour favoriser
l’emploi de personnes handicapées dans les services publics. Cependant, il continue d’être
préoccupé par le faible degré d’intégration des personnes handicapées dans le secteur
privé ».

Le Comité recommande, en conséquence, à l’État partie : « a) De veiller à la mise en


œuvre des mesures d’action positive prévues par la législation relative à l’emploi des femmes
et des hommes handicapés ;
b) D’accroître la diversité des possibilités d’emploi et de formation professionnelle qui
s’offrent aux personnes handicapées ;
c) D’assurer la participation des personnes handicapées et des organisations qui les
représentent aux activités de l’Inspection du travail et des commissions de conciliation »28.

(3) Egalité des chances devant le travail et lutte contre les discriminations dans
l’emploi à l’égard des femmes

70. Depuis la promulgation du Code du statut personnel (CSP) en 1956, qui constitue
encore aujourd'hui une référence historique de ce que une société peut faire de
mieux pour l'amélioration de la condition humaine de ses ressources féminines,

27
Loi no 2008-4 du 11 février 2008, publiée au Journal officiel de la République tunisienne
(décret no 2008-1754 du 22 avril 2008).
28
CRPD/C/TUN/CO/1, 13 mai 2011, Paras. 33-34.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


28

l'histoire moderne de la Tunisie peut, assurément, être lue et appréciée au travers


cette longue et constante percée des femmes ainsi placées au cœur du
développement durable et témoignant d'une volonté politique ardemment défendue
par les femmes elles-mêmes et les autres forces vives de la nation.
71. Dans le domaine de l’égalité et de la non-discrimination en matière d’emploi, la
Tunisie a ratifié tant la Convention (n° 100) de l’OIT sur l’égalité de rémunération que
la Convention (n° 111) de l’OIT sur la discrimination en matière d’emploi et de
profession. La Tunisie a, également, ratifié la Convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), adoptée le 18 décembre
1979 par l’Assemblée générales des Nations Unies et qui constitue l’instrument
international de référence en ce domaine.
72. Dans le cadre de l’harmonisation de la législation interne avec les règles et
principes formulés par l’ensemble de ces instruments internationaux, une loi n° 93-66
du 5 juillet 1993 est venue ajouter un article 5. Bis au Code du travail, aux termes
duquel : « Il ne peut être fait de discrimination entre l'homme et la femme dans l'application
des dispositions du présent Code et des textes pris pour son application ».

73. La Constitution du 27 janvier 2014 est venue, pour sa part, rappeler à l’article 21
placé en amant du chapitre II relatif aux droits et libertés ce qui suit : « Les citoyens et
les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans
discrimination.
L’État garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs.
Il leur assure les conditions d’une vie digne. ».

L’article 46 de la Constitution ajoute : « L’État s’engage à protéger les droits acquis de la


femme et veille à les consolider et les promouvoir.
L’État garantit l’égalité des chances entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses
responsabilités et dans tous les domaines… ».

74. Ces dispositions ainsi formulées dans la Constitution sont, sans doute,
relativement satisfaisantes en comparaison avec les textes de projets initialement
présentés au sein de l’Assemblée nationale constituante qui étaient manifestement
en rupture par rapport aux orientations libérales de la Tunisie depuis son
indépendance dans le domaine de l’égalité des droits et de l’abolition des
discriminations à l’égard des femmes. Elles restent, cependant, à notre avis, en deçà
des espoirs exprimés tout au long du processus d’élaboration de la Constitution par
nombre d’organisations de la société civile et de militants des droits des femmes.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


29

75. Ainsi qu’il a été relevé par Madame NAVI PILLAÏ, Haut-Commissaire des Nations
Unies aux droits de l’homme, dans une lettre adressée le 6 janvier 2014 au Président
de l’Assemblée Nationale Constituante29, soit trois semaines à peine avant l’adoption
du texte final de la Constitution, il est regrettable que l’article 46 de Constitution,
spécifiquement dédié aux droits de la femme, se limite à garantir « …l’égalité des
chances entre l’homme et la femme», alors que le principe de l’égalité des droits et de la
non-discrimination aurait été plus conforme aux standards internationaux, étant
précisé que ce principe a été, en revanche, utilement introduit dans la dernière
version de l’article 47 de la Constitution, dédié aux droits de l’enfant 30, et de son
article 48, dédié aux droits des personnes ayant un handicap 31. Convient-il de
rappeler, à cet égard, que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) est le traité international, par
excellence, consacré à la non-discrimination, de sorte que toute définition différente
ou insuffisante du principe de l’égalité des droits et de la discrimination fondée sur le
sexe par rapport à celle formulée à l’article premier de la Convention CEDAW
précitée serait interprété comme un recul en ce domaine. Madame NAVI PILLAI
concluait sa lettre, sur ce point, en appelant à « Inscrire, expressément, à l'article 46 du
projet de Constitution spécifiquement dédié aux droits de la femme le principe selon lequel «
Les hommes et les femmes sont égaux et ont droit à la pleine égalité en droit et en fait, ainsi
qu'à l'égalité des chances dans tous les domaines de la vie — qu'ils soient civils, culturels,
économiques, politiques ou sociaux —, tels que définis dans les normes internationales
relatives aux droits de l'Homme».

76. La formulation finale de l’article 46 de la Constitution s’avère ainsi insuffisante.


Elle ne répond qu’en partie, également, aux recommandations qui étaient
préalablement formulées par le Comité sur l’élimination des discriminations à l’égard
des femmes à l’issue de l’examen, le 7 octobre 2010, des cinquième et sixième

29
Cf. Le Journal La Presse de Tunisie, 9 janvier 2014.
30
Article 47 de la Constitution : « La dignité, la santé, les soins, l’éducation et l’instruction
constituent des droits garantis à l’enfant par son père et sa mère et par l’État. L’État doit
assurer aux enfants toutes les formes de protection sans discrimination et conformément à
l’intérêt supérieur de l’enfant ».
31
Article 48 de la Constitution : « L’État protège les personnes handicapées contre toute
discrimination.
Tout citoyen handicapé a droit, en fonction de la nature de son handicap, de bénéficier de
toutes les mesures propres à lui garantir une entière intégration au sein de la société, il
incombe à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires à cet effet ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


30

rapports périodiques de la Tunisie, où ledit Comité « …relève avec satisfaction que l’État
partie est résolument déterminé à instaurer l’égalité des sexes et à mettre son cadre législatif
en conformité avec les normes internationales, y compris la Convention. Il note à cet égard
que la Tunisie est considérée par bon nombre de pays arabes et musulmans comme un
exemple à suivre »32. Toutefois, le Comité « …regrette que le principe de l’égalité des
hommes et des femmes ne soit pas inscrit dans la Constitution, et qu’aucune définition de la
discrimination à l’égard des femmes n’y figure, comme prescrit à l’article premier de la
Convention ». Le Comité demande, en conséquence, à la Tunisie « …d’inscrire, dans la
Constitution ou toute autre loi nationale pertinente, le principe de l’égalité entre femmes et
hommes, conformément à l’alinéa a de l’article 2 de la Convention, ainsi qu’une définition de
la discrimination fondée sur le sexe, conformément à l’article premier de la Convention, et
d’élargir la responsabilité de l’État pour les actes de discrimination qui sont le fait du secteur
public ou privé, conformément à l’alinéa e de l’article 2 de la Convention, en vue de parvenir
à l’égalité formelle et réelle entre femmes et hommes »33.

77. Dans le domaine propre aux discriminations en matière d’emploi, le Comité


« …félicite l’État partie des mesures qu’il a introduites dans sa stratégie pour l’emploi en vue
de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes sur le marché du travail, mais regrette
l’absence de mesures législatives visant à concrétiser sur le plan de l’égalité des sexes son
engagement en faveur de l’égalité en général. Le Comité demeure préoccupé par le faible
pourcentage que représentent les femmes dans la main-d’œuvre (25,3 % en 2008), malgré
leur niveau d’études élevé, par le fort taux de chômage qui touche les femmes, ainsi que par
la ségrégation professionnelle tant horizontale que verticale. Il relève en outre que les
femmes sont concentrées dans les emplois faiblement qualifiés, mal rémunérés et
caractérisés par de mauvaises conditions de travail, tels que le secteur textile et habillement,
ainsi que dans le secteur informel. Le Comité s’inquiète de l’écart de rémunération qui
perdure entre les hommes et les femmes, ces dernières gagnant 78 % de ce que gagnent les
hommes, et il s’inquiète aussi de la faible représentation des femmes dans les postes de
direction ainsi que dans les conseils d’administration des sociétés privées. Il relève aussi avec
inquiétude que les accords salariaux ne respectent pas le principe de l’égalité de
rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale. Tout en
notant que la législation du travail reconnaît le congé de maternité, il s’inquiète de constater
que cette législation n’est pas pleinement conforme à la Convention no 89 (1948) de l’OIT
relative au travail de nuit des femmes employées dans l’industrie et que la durée du congé de
maternité n’est pas la même dans le secteur public et le secteur privé. Le Comité regrette
l’absence d’informations sur l’application effective de la législation du travail et des
conventions collectives et sur la manière dont l’inspection du travail en assure le respect ».

32
CEDAW/C/TUN/CO/6, 22 octobre 2010, Para. 4.
33
Ibid., Paras. 14 et 15.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


31

Le Comité, en conséquence, « …invite instamment l’État partie d’adopter une politique et


des mesures législatives concrètes pour accélérer l’élimination de la discrimination à l’égard
des femmes en matière d’emploi et de s’employer à garantir aux femmes, sur le marché du
travail, une réelle égalité des chances à tous les niveaux. Le Comité demande à l’État partie
de redoubler d’efforts pour relever les salaires dans les branches du secteur public où l’emploi
féminin prédomine. Il encourage l’État partie à renforcer l’inspection du travail, notamment
dans le secteur privé et le secteur informel, afin que les femmes travaillant dans ces secteurs
ne soient pas exploitées et bénéficient effectivement de la sécurité sociale et d’autres
prestations sociales. Le Comité invite en outre instamment l’État partie à veiller à mettre en
place des systèmes d’évaluation des emplois fondés sur des critères intégrant le souci
d’égalité entre les sexes, l’objectif étant de réduire les écarts de salaire entre hommes et
femmes et d’appliquer le principe de l’égalité de rémunération (à travail égal, salaire égal)
conformément à sa recommandation générale no 13 (1989), relative à l’égalité de
rémunération pour un travail de valeur équivalente, et à la Convention no 100 (1951) de l’OIT
concernant l’égalité de rémunération entre les travailleuses et les travailleurs pour un travail
de valeur équivalente. Le Comité recommande aussi à l’État partie de recourir davantage aux
mesures temporaires spéciales prévues au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et
dans sa recommandation générale no 25, en appliquant des objectifs chiffrés assortis de
délais ou des quotas concernant l’accès des femmes au marché du travail, y compris leur
accès à des emplois non traditionnels, et concernant la promotion des femmes aux échelons
supérieurs dans les secteurs public et privé. Il invite l’État partie à faire figurer dans son
prochain rapport périodique des informations concernant l’usage qu’il aura fait des mesures
temporaires spéciales sur le marché du travail, et les résultats obtenus, ainsi que sur les
mesures prises pour assurer l’application et le respect dans les faits de la législation du travail
et des accords professionnels»34.

78. S’agissant des mesures prises en vue de concilier vie de famille et vie
professionnelle, le Comité « …accueille avec satisfaction les possibilités introduites par la
loi no 2006-58, qui permet aux mères de jeunes enfants ou d’enfants handicapés de travailler
à temps partiel en percevant les deux tiers de leur salaire tout en conservant intégralement
leurs droits à l’avancement, à la promotion, aux congés, à la retraite et à la couverture
sociale, mais il regrette que cette possibilité ne soit pas offerte aux pères. Le Comité constate
avec inquiétude que la pénurie de services de garderie et le retrait progressif du secteur
public en tant que prestataire de services risquent de contribuer à exclure des services en
question les familles pauvres et les familles vivant dans les zones rurales. Le Comité est
préoccupé en outre par le fait que ce facteur, conjugué à l’absence de politique générale de
soutien, pourrait faire obstacle à la participation des femmes au marché du travail. Le Comité

34
Ibid., Paras. 42 et 43.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


32

regrette que les responsabilités liées au ménage et à la famille soient toujours principalement
à la charge des femmes ».

Le Comité encourage, dès lors, l’État partie « …à intensifier ses efforts pour aider les
hommes et les femmes à concilier les obligations familiales et professionnelles, entre autres,
par le biais de nouvelles initiatives de sensibilisation et d’éducation s’adressant tant aux
hommes qu’aux femmes, sur le partage équilibré des tâches domestiques et des soins aux
enfants, ainsi qu’en donnant la possibilité aux hommes de travailler à temps partiel, et en
leur offrant des incitations à cet effet. Le Comité invite instamment l’État partie à redoubler
d’efforts pour augmenter le nombre de places disponibles dans les garderies pour les enfants
d’âge scolaire, et en améliorer l’accessibilité et la qualité afin de faciliter l’entrée et le retour
des femmes sur le marché du travail »35.

79. De fait, les analyses et les études révèlent la persistance de discriminations


spécifiques dont souffrent encore beaucoup de femmes occupées dans les activités
agricoles à des tâches essentielles mais dites "non visibles", car nos reconnues encore
comme un véritable travail. L’article premier du Code du travail, figurant dans les
« DISPOSITIONS GENERALES » (articles 1 à 5 bis), semble exclure nombre de
travailleurs occupés dans des activités non structurées, en limitant son champ
d’application comme suit : « Le présent Code s’applique aux établissements de l'industrie,
du commerce, de l'agriculture et à leurs dépendances, de quelque nature qu'ils soient, publics
ou privés, religieux ou laïques, même s'ils ont un caractère professionnel ou de bienfaisance.
Il s'applique également aux professions libérales, aux établissements artisanaux, aux
coopératives, aux sociétés civiles, syndicats, associations et groupements de quelque nature
que ce soit ». Une telle formulation est alors propre à laisser hors du champ de la
protection légale tous les travailleurs du secteur informel, y compris notamment les
femmes et les filles36 occupées dans la sphère des activités domestiques ou de
l'économie familiale et dont les tâches appellent, en réalité, à être élevées au rang
d'un véritable travail ouvrant droit à certaines garanties minima, telles que définies
par la dernière Convention nº 189 de l’OIT (2011), sur les travailleuses et travailleurs
domestiques, non ratifiée par la Tunisie37.

35
Ibid., Paras. 44 et 45.
36
Pour le cas des jeunes filles occupées dans le travail domestique, voir infra, paras. 112-115.
37
Convention qui n’a reçu au mois de mai 2011 que 22 ratifications (Afrique du Sud,
Allemagne, Argentine, Belgique, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, République
Dominicaine, Equateur, Finlande, Guyana, Irlande, Italie, Maurice, Nicaragua, Panama,
Paraguay, Philippine, Portugal, Suisse et Uruguay).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


33

80. Plus généralement, et dans la sphère même de l'emploi visible et structuré, les
femmes continuent à subir certaines restrictions empêchant leur assimilation totale
aux travailleurs du sexe masculin. Des pratiques discriminatoires peuvent être
déguisées derrière une apparence parfaitement licite, et ce, tant au niveau de l'accès
à l'emploi (a) qu'à celui de la promotion et de la qualification dans l'emploi (b)38.

(a) Au niveau de l’accès à l’emploi

81. Le principe de non-discrimination est loin d’avoir en pratique l’efficacité requise


et cela pour des raisons diverses qui tiennent, en bonne partie, au large pouvoir
détenu par l’employeur en matière d’embauchage, rendant aisé le fait de refuser
l’emploi d’une femme en prétextant qu’elle ne répond pas au « profil désiré ». « Un
refus discriminatoire peut facilement être déguisé derrière une apparence parfaitement
licite »39.

82. Parfois, la discrimination prend d’ailleurs un aspect parfaitement déclaré et


s’exerce, notamment, dans certaines offres d’emploi publiées dans les journaux et
autres moyens de diffusion, mentionnant, parmi les conditions exigées, le sexe du
candidat : « Recherchons un homme pour diriger service commercial » et , de façon plus
insidieuse : « Recherchons ingénieur dégagé des obligations militaires »40.

(b) Au niveau de la promotion et de la qualification dans l’emploi

83. Les dispositions concernant les promotions et les qualifications professionnelles,


telles qu’aménagées dans les conventions collectives ne font certes aucune
distinction entre les hommes et les femmes. Les coefficients affectant les différents
échelons et les critères de classifications sont neutres. L’un des principes définis par
la Convention collective cadre de 1973, précitée, est ainsi formulé : « La présente
convention s'applique indistinctement aux travailleurs de l'un et l'autre sexe. Les jeunes filles
et les femmes remplissant les conditions requises pourront au même titre que les jeunes gens

38
Cf., pour plus de détails, Hatem KOTRANE, « Les discriminations sexuelles dans l’emploi »,
in « La non-discrimination à l’égard des femmes entre la Convention de Copenhague et le
discours identitaire », éd. UNESCO-CERP, Tunis 13-16 janvier 1988, p.183 et s.
39
Blanche SOUSI-ROUBI, « Réflexions sur les discriminations sexistes dans l’emploi », Revue
de droit social, janvier 1980, p. 32.
40
Ibid.
- Cité par Hatem KOTRANE, in La Tunisie et le droit au travail, ouvrage précité, p. 31.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


34

et les hommes, accéder à tous les emplois sans discrimination dans les classifications ou
rémunérations. » (Article 11, alinéa 1er de la CCC).

84. Le Code du travail, comme les conventions collectives, reste cependant insuffisant
en l’état actuel pour assurer aux femmes une réelle possibilité de promotion dans le
déroulement de leur carrière où elles peuvent être victimes de nombreuses
discriminations :
- Celles-ci se situent, d’abord, au niveau de l’attribution d’un poste au sein de
l’entreprise. L’employeur situe, en pratique, le poste qu’il offre sur la grille des
classifications et fixe, en conséquence, le salaire. Il suffira, ensuite, de se reporter au
niveau et au coefficient correspondant aux caractéristiques ainsi dégagées et c’est là
que peut intervenir la discrimination qui consistera, généralement, à sous-qualifier le
poste de travail occupé par une femme alors que d’autres salariés effectuent le
même travail sous une qualification différente ;
- Les discriminations se situent, ensuite, au niveau de l’attribution des responsabilités
de direction des services de l’entreprise. L’employeur, qui court seul le risque de
l’exploitation, est reconnu comme seul juge de la direction de l’entreprise et du choix
de ses collaborateurs directs. Ses décisions à ce niveau peuvent être entachées de
discrimination tout en ayant un caractère apparemment licite.

(C) Droit au travail et protection de l’homme dans le travail

85. La reconnaissance des droits fondamentaux de l’homme au travail, comme partie


intégrante des droits de l’homme, exige de tout Etat d’œuvrer au-delà des exigences
formulées par la politique de l’emploi et d’offrir plus que des moyens destinés à en
garantir jouissance pour toutes les personnes en quête d’emploi, sur la base de
l’égalité des chances et sans discrimination. Une des préoccupations majeures du
droit du travail contemporain consiste, en effet, à protéger l'homme dans le travail et
d’assurer à l'ensemble des travailleurs le droit à des conditions de travail justes et
favorables.
86. l’aménagement de conditions de travail justes et favorables est, à cet égard, au
cœur de l’action d’organismes internationaux, ayant à leur tête l’OIT, qui œuvre sans
cesse à l’instauration d’une conscience internationale commune en ce domaine. Et à
l’heure même où le mot d'ordre lancé, somme toute à juste titre, est la réhabilitation
du travail en tant que valeur essentielle, il est utile de rappeler que cette
préoccupation majeure liée à l'amélioration de la productivité du facteur travail n'est
pas incompatible avec le souci constant et sans cesse renouvelé d'assurer une plus

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


35

grande humanisation des conditions du travail et qu'illustrent les dispositions


expresses de la Constitution du 27 janvier 2014 et le nombre important de
conventions internationales du travail ratifiées par la Tunisie.
87. Ces remarques nous paraissent importantes, car elles rappellent, au cas où on
aurait parfois tendance à l'oublier, que le travailleur visé par les lois du travail est
cette même personne visée par les lois de la famille, de même que les députés qui
votent les lois sur le travail sont ceux-là mêmes qui votent les autres lois relatives aux
obligations familiales et sociales des parents, de sorte que, pour la cohérence de la
politique législative d'ensemble, un lien doit être constamment maintenu entre ces
lois apparemment différentes mais qui participent, en réalité, du même souci de
cohésion sociale.
88. Aménagement du temps du travail (1), protection de la santé dans le travail (2) et
garantie d’un salaire équitable (3) sont-ils, dès lors, autant d'axes prioritaires pour
toute politique sociale qui entend lutter contre les phénomènes de précarisation des
conditions de l'humain au travail et associer le travail à la réalisation d'un modèle de
cohésion sociale.

(1) Aménagement du temps du travail

(a) Limitation de la durée du travail

89. Il est depuis longtemps admis qu’une trop longue durée de travail
compromettrait la santé des travailleurs, ainsi que leur développement intellectuel et
physique. L’évolution de la technique est, d’ailleurs, un facteur qui milite en faveur de
la réglementation en la matière. Si elle a permis de supprimer de nombreuses tâches
exigeant une importante dépense d’énergie physique, cette évolution a, en revanche,
accru la fatigue nerveuse des travailleurs du fait de l’accélération du rythme de
travail. Ces derniers ressentent, du coup, le besoin d’un temps de récupération sans
cesse croissant.
D’autres facteurs entrent en ligne de compte dont, notamment, la concentration
urbaine qui impose des sujétions pénibles aux individus : bruit, transports longs et
fatigants, etc.
90. La limitation de la durée du travail apparait, en même temps, comme une marque
de progrès social et de reconnaissance du droit de chaque travailleur de disposer
d’un temps de liberté qui lui permet de s’occuper de sa famille, en particulier de
l’éducation de ses enfants, de s’adonner à certains loisirs ou à des activités
extraprofessionnelles d’autant plus nécessaires que le travail à l’usine, sur un

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


36

chantier ou au bureau, revêt souvent un caractère parcellaire, voire monotone.


L’évolution de l’automation et les progrès de l’ergonomie ont, d’ailleurs, incité la
plupart des Etats à adhérer à ce mouvement, la réduction de la durée du travail étant
admise comme un moyen privilégié de développement économique et de progrès
social en ce qu’elle permet, accompagnée d’une rationalisation dans l’organisation du
travail, d’éviter le surmenage de la main-d’œuvre et d’améliorer ainsi son rendement.
91. La limitation de la durée du travail est l’une des préoccupations majeures de l’OIT
depuis sa création. Après la journée de 8 heures et la semaine de 48 heures adoptées
en 1919 dans l’industrie, puis élargies au domaine du commerce et bureaux, on
s’achemina, petit à petit, vers l’adoption d’une durée hebdomadaire de 40 heures,
considérée comme la norme sociale à atteindre par la Convention (n° 47) des
quarante heures (1935), qui n’est entrée en vigueur qu’en 1947 et qui n’a recueilli,
jusqu’au mois de mai 2016 que 15 ratifications41.
92. Ce faible taux de ratification de la Convention (n° 47) des quarante heures, y
compris dans les pays européens, traditionnellement acquis au mouvement en faveur
du progrès social, est un facteur important à prendre en considération dans
l’évaluation de la situation prévalant en droit du travail tunisien. La Tunisie n’a, en
effet, ratifié aucune des conventions de l’OIT relatives à la limitation de la durée du
travail - ni la Convention (n° 47) des quarante heures, précitée, ni les conventions qui
l’ont précédée, à savoir la Convention (n° 1) de l’OIT (1919) sur la durée du travail
(industrie) et la Convention (n° 30) de l’OIT (1930) sur la durée du travail (commerce
et bureaux)-, et ce, alors même que le Code du travail est, en bonne partie, en
harmonie avec nombre de prescriptions contenues dans ces conventions
internationales et se trouve constamment amélioré dans les dispositions des
conventions collectives sectorielles et dans les statuts particuliers.

(b) Repos hebdomadaire et congés payés

93. La Tunisie a, en ce domaine, ratifié la Convention (n° 14) de l’OIT (1921) sur le
repos hebdomadaire dans l’industrie et la Convention (n° 106) de l’OIT (1957) sur le
repos hebdomadaire dans le commerce et l’industrie. Le principe, en la matière, est
que ce repos, de 24 heures consécutives, a lieu en fin de semaine d’une façon
uniforme pour tous les travailleurs. Cela correspond à un besoin à la fois

Australie, Azerbaïdjan, Belarus, République de Corée, Finlande, Kirghizistan, Lituanie,


41

Moldova, Norvège, Nouvelle-Zélande, Ouzbékistan, Russie, Suède, Tadjikistan et Ukraine.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


37

psychologique et social en ce qu’il permet une détente de tout l’organisme et assure,


en même temps, le développement de la vie familiale et sociale.
94. La Tunisie a, également, ratifié la Convention (n° 52) de l’OIT (1936) sur les congés
payés. Cette convention vise à dégager les travailleurs de l’état de fatigue physique et
de tension nerveuse inhérents au travail et à leur accorder ainsi un congé s’étalant
sur plusieurs jours consécutifs, qui leur permet de s’évader de leur lieu de travail
pour donner cours à leurs aspirations au loisir et à la détente et pour s’occuper avec
plus d’attention de leurs affaires de famille, parfois difficilement entretenues tout au
long de l’année. Un congé annuel assorti d’une continuation de la rémunération est
alors seul à même de contribuer à assurer cet objectif.

(2) Protection de la santé dans le travail

95. L’évolution des activités économiques vers une industrialisation de plus en plus
nette pose des problèmes et engendre des risques, notamment au regard des
accidents du travail et des maladies professionnelles. Aussi, le droit social s’est-il
rapidement et de façon constante saisi de ce phénomène qui constitue une de ses
préoccupations majeures. Toute la réglementation du travail est même fondée,
historiquement, sur des considérations liées aux problèmes de la santé et de la
sécurité dans le travail : depuis la protection de certaines catégories de travailleurs –
spécialement les femmes et les enfants – jusqu’à l’aménagement de prescriptions
touchant à des questions aussi diverses que la durée du travail, les conditions
d’hygiène et de sécurité, les services spécialisés de la médecine du travail, la
prévention et la réparation des accidents du travail, etc., l’histoire du droit du travail
en Tunisie, comme dans la plupart des pays qui prêtent à comparaison, est jalonnée
par cette emprise continue de la loi sur les réalités complexes du travail, en vue de
prévenir toute forme d’atteinte à l’intégrité physique des travailleurs.
96. C’est dans ce cadre que la Tunisie a développé depuis longtemps sa législation se
rapportant à la santé et à la sécurité du travail, qui se trouve constamment enrichie
et harmonisée grâce à son adhésion à nombre de conventions internationales de
l’OIT touchant spécifiquement à divers aspects des risques engendrés par le travail:
outre le régime de réparation des accidents du travail et des maladies
professionnelles, comme partie intégrante des régimes de sécurité sociale, tel que
aménagé par la loi n° 57-73 du 11 décembre 1957, puis substantiellement refondu et
amélioré par loi n° 94-28 du 21 février 1994 portant régime de réparation des

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


38

préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles 42, le


droit tunisien a mis en place, dans le Code du travail, les règles et prescriptions
portant prévention des risques portant atteinte à l’hygiène et à la sécurité des
travailleurs.
97. De fait, diverses dispositions du Code du travail, constamment améliorées par des
textes réglementaires et conventionnels, imposent des mesures tendant à tenir les
établissements dans un état constant de propreté, à y assurer les conditions
d’hygiène et salubrité nécessaires à la sauvegarde de la santé du personnel. L’article
152-2 du Code du travail, ajouté par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996, dispose à cet
effet : « Tout employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires et appropriées pour la
protection des travailleurs et la prévention des risques professionnels. Il doit notamment :
- veiller à la protection de la santé des travailleurs sur les lieux du travail ;
- garantir des conditions et un milieu de travail adéquats ;
- protéger les travailleurs des risques inhérents aux machines, au matériel et aux produits
utilisés ;
- fournir les moyens de prévention collective et individuelle adéquats et initier les travailleurs
à leur utilisation ;
- informer et sensibiliser les travailleurs des risques de la profession qu'ils exercent. ».

98. Mais le Code du travail va plus loin et introduit, à la faveur de la réforme


introduite par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996, précitée, des dispositions bénéfiques
imposant des obligations spécifiques au travailleur lui-même, comme un des acteurs
clés du système portant aménagement des règles de la santé et de la sécurité au
travail et prévention des risques d’accidents du travail et de maladies
professionnelles. En effet, aux termes de l’article 152-3 (nouveau) du Code du travail,
« Le travailleur est tenu de respecter les prescriptions relatives à la santé et à la sécurité au
travail et de ne pas commettre aucun acte ou manquement susceptible d'entraver
l'application de ces prescriptions. Il est tenu notamment de ce qui suit :
- exécuter les instructions relatives à la protection de sa santé et de sa sécurité ainsi que
celles des salariés travaillant avec lui dans l’entreprise ;
- utiliser les moyens de prévention mis à sa disposition et veiller à leur conservation ;
- participer aux cycles de formation et aux activités d'information et de sensibilisation
relatives à la santé et à la sécurité au travail que l'entreprise organise ou y adhère ;
- informer immédiatement son chef direct de toute défaillance constatée susceptible
d'engendrer un danger à la santé et à la sécurité au travail ;

42
Cf. Abdessatar MOUELHI, Droit de la sécurité sociale, 2ème édition, 2005, p. 200 et s.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


39

- se soumettre aux examens médicaux qui lui sont prescrits. ».

99. La loi impose en outre à l’employeur, dans toute entreprise employant 500
travailleurs au moins, de créer et d'équiper un service de médecine du travail propre
à cette entreprise. Les entreprises employant moins de 500 travailleurs sont tenues
soit d'adhérer à un groupement de médecine du travail soit de créer un service
autonome de médecine du travail (article 153 à 155 du Code du travail).
100. Les articles 289 à 324 du Code du travail ont, par ailleurs, institué l’inspection
médicale du travail et établi des dispositions spécifiques en ce qui concerne les
établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Parallèlement aux inspecteurs
du travail qui gardent compétence générale consistant à « …veiller à l'application des
dispositions légales, réglementaires et conventionnelles organisant les relations du travail ou
qui en découlent… », les médecins inspecteurs du travail sont chargés, notamment, de
« … 1) veiller à l'application de la législation relative à la santé et à la sécurité au travail en
coordination avec les inspecteurs du travail ;
2) fournir aux employeurs et aux travailleurs les renseignements et conseils techniques sur les
moyens les plus efficaces pour l'application de la législation relative à la santé et à la sécurité
au travail et informer les autorités compétentes des déficiences ou abus qu'ils ont pu
constater dans ce domaine ;
3) collecter et exploiter les données statistiques en vue d'améliorer la protection de la santé
et de la sécurité des travailleurs ;
4) contrôler les services et les groupements de médecine du travail et agréer les locaux qui
leur sont réservés ;
5) contribuer à la préparation d'un fichier physiopathologique de la main d’œuvre ;
6) statuer sur les litiges concernant les examens médicaux des travailleurs ;
7) contrôler les soins fournis aux victimes d'accidents du travail et de maladies
professionnelles ».

101. En vue d’assurer l’efficacité de leur mission, l’article 292 du Code du travail
étend aux médecins inspecteurs du travail les prérogatives attribuées aux inspecteurs
du travail, tels que définis notamment aux articles 173, 174, 175 et 177 du Code du
travail, y compris la qualité d’officiers de police judiciaire leur conférant notamment
les pouvoirs suivants :
- « …pénétrer librement sans avertissement préalable, à toute heure du jour et de la nuit,
dans tout établissement assujetti à leur contrôle, de procéder à tout examen, contrôle ou

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


40

enquête jugés nécessaires pour s'assurer que les dispositions légales ou réglementaires sont
effectivement observées… »43;

- « … prescrire des mesures destinées à éliminer les défectuosités constatées dans une
installation, un aménagement ou des méthodes de travail qu'ils peuvent avoir un motif
raisonnable de considérer comme une menace à la santé ou à la sécurité des travailleurs…»,
« …mettre en demeure l'employeur d'apporter aux installations dans un délai qui ne saurait
être inférieur à 4 jours, les modifications nécessaires pour assurer l'application stricte des
dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles concernant la santé et la sécurité
des travailleurs », « …prescrire des mesures immédiatement exécutoires dans le cas de
danger imminent pour la santé et la sécurité des travailleurs» 44 ;

- « …constater les infractions par procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire» 45 .

(3) Garantie d’un salaire équitable

102. Aux termes de l’article 40 de la Constitution du 27 janvier 2014, précité : « …Tout


citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un salaire
équitable ». L’article 134-2 du Code du travail, tel qu’ajouté par la loi n° 96-62 du 15
juillet 1996, définit le salaire minimum garanti comme étant « … le seuil minimum au-
dessous duquel il n'est pas possible de rémunérer un travailleur chargé d'accomplir des
travaux ne nécessitant pas une qualification professionnelle ».

103. Il existe, faut-il le rappeler, un salaire minimum garanti interprofessionnel et un


salaire minimum garanti pour le secteur agricole. Le salaire minimum garanti selon
les secteurs est fixé par décret du Chef du Gouvernement après consultation des
organisations syndicales les plus représentatives des employeurs et des travailleurs. Il
est tenu compte du taux d’inflation, du taux de croissance du PIB et de la productivité
lors des négociations afin de préserver le pouvoir d’achat des travailleurs touchant le
salaire minimum.
104. À la suite de l’adoption du principe de revalorisation du salaire minimum garanti
dans les secteurs agricole et industriel à la fin mars 2014, le salaire minimum dans les
différents secteurs professionnels a été porté à 348 096 dinars pour le régime des
quarante-huit heures par semaine et à 302 751 dinars pour le régime des quarante
heures par semaine.

43
Article 174 du Code du travail.
44
Article 175 du Code du travail.
45
Article 177 du Code du travail.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


41

Pour ce qui est du secteur agricole, le salaire minimum garanti est passé de 11,608
dinars à 12,304 par jour. Quelque 280 000 employés devraient bénéficier de ces
mesures. Il convient de préciser que cette revalorisation touchera également les
pensions de retraite du régime général de la Caisse nationale de sécurité sociale au
même taux que le salaire minimum, et que quelque 613 000 retraités recevant une
pension de retraite ou autre sont concernés par cette mesure à compter de mai
201446.

(D) En finir définitivement avec le travail des enfants

(1) Harmonisation des dispositions du Code du travail avec les normes


internationales de protection

105. Les dispositions du Code du travail définissant les conditions de travail des
enfants sont, certes, conformes aux normes internationales de protection en ce
domaine. À la suite de la ratification par la Tunisie de la Convention internationale
relative aux droits de l’enfant47 et de la Convention (n° 138) de l’OIT concernant l’âge
minimum d’admission à l’emploi48, la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996 portant
modification de certaines dispositions du Code du travail a relevé l’âge minimum
d’admission à l’emploi dans toutes les activités régies par le Code à 16 ans comme
règle générale au lieu de 15 ans (article 53 du Code du travail).
106. le Code du travail prévoit certaines dérogations à l’âge minimum d’admission
des enfants au travail, elles-mêmes autorisées par la Convention (n° 138) de l’OIT.
C’est ainsi que cet âge – également fixé à 16 ans dans l’agriculture à la faveur de la loi
n° 96-62 du 15 juillet 1996, précitée – «…est abaissé à 13 ans dans les travaux agricoles
légers non nuisibles à la santé et au développement normal des enfants et ne portant pas
préjudice à leur assiduité et aptitude scolaire ni à leur participation aux programmes
d'orientation ou de formation professionnelle agréés par les autorités publiques
compétentes » (article 55 du Code du travail, tel que modifié par la loi n° 96-62 du 15
juillet 1996 susmentionnée). De même, aucun enfant âgé de moins de 16 ans ne peut

46
Cf. 3ème Rapport périodique de la Tunisie soumis en application des articles 16 et 17 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/TUN/3 30 juin
2015, Paras. 80-84, p. 18.
47
Loi n° 91-92 du 29 novembre 1991, JORT N° 82 du 3 décembre 1991, p. 1890.
48
Loi n° 95-62 du 10 juillet 1995, JORT N° 56 du 14 juillet 1995, p. 1500.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


42

être occupé à des travaux légers pendant plus de deux heures par jour, aussi bien les
jours de classe que les jours de vacances, ni consacrer à l’école et aux travaux légers
plus de sept heures par jour au total (article 56 Code du travail, tel que modifiés par
la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996 susmentionnée). Selon le même article, l’emploi des
enfants à des travaux légers pendant les jours de repos hebdomadaire et les fêtes est
interdit.
107. Des mesures spéciales sont également prévues en vue de protéger l’enfant
contre les travaux dangereux et nuisibles. En effet, aux termes de l’article 58 du Code
du travail, l’emploi des enfants de moins de 18 ans à des travaux dangereux est
interdit. Conformément au même article, les travaux dangereux sont ceux qui sont
susceptibles, de par leur nature ou les circonstances dans lesquelles ils sont exécutés,
d’exposer la santé, la sécurité ou la moralité des enfants au danger. Ces types de
travaux sont déterminés par arrêté du Ministre chargé des affaires sociales pris après
consultation des organisations professionnelles les plus représentatives des
employeurs et des travailleurs.
108. Dans le même sens, les articles 77 et 78 du Code du travail interdisent
d’employer des enfants de moins de 18 ans aux travaux souterrains, dans les mines et
carrières et dans les établissements et chantiers où s’effectuent la récupération, la
transformation ou l’entreposage de vieux métaux.
109. Sur un autre plan, les enfants de moins de 18 ans ne peuvent effectuer des
heures supplémentaires au-delà de la durée normale du travail à laquelle ils sont
soumis (article 63-2 du Code du travail tel que modifiés par la loi n° 96-62 du 15 juillet
1996 susmentionnée).
110. S’agissant des travaux qui représentent des risques pour la santé, l’examen
médical d’aptitude à l’emploi et ses renouvellements successifs ont lieu jusqu’à 21
ans au moins, au lieu de 20 ans dans l’ancien texte (article 63 du Code du travail, tel
que modifié par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996 susmentionnée).
111. Par ailleurs, convient-il de rappeler l’institution à la faveur de la loi n° 91-65 du
29 juillet 1991 de l’enseignement de base obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, ce qui
est de nature à empêcher le travail des enfants au-dessous de l’âge minimum légal
d’admission au travail.
112. Une mention spéciale doit, enfin, être faite concernant l’emploi des enfants,
spécialement les jeunes filles, dans des travaux domestiques. En raison des
spécificités que présente le travail des employés de maison, les conditions
d’embauchage de cette catégorie de travailleurs sont régies par une loi spéciale, en

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


43

l’occurrence la loi n° 65-25 du 1er juillet 1965, modifiée par la loi n°2005-32 du 4 avril
2005. En vertu de l’article 2 (nouveau) de cette loi, « Est interdit, l’emploi d’enfants de
moins de 16 ans comme employés de maison ».

113. Ces dispositions restent, cependant, insuffisantes et sont manifestement en


deçà des garanties définies dans la dernière Convention nº 189 de l’OIT (2011), sur les
travailleuses et travailleurs domestiques, aux termes de laquelle : « 1. Tout Membre
doit fixer un âge minimum pour les travailleurs domestiques qui doit être compatible avec les
dispositions de la convention (no 138) sur l'âge minimum, 1973, et de la convention (nº 182)
sur les pires formes de travail des enfants, 1999, et ne pas être inférieur à celui qui est prévu
par la législation nationale applicable à l'ensemble des travailleurs ».
2. Tout Membre doit prendre des mesures pour veiller à ce que le travail effectué par les
travailleurs domestiques d'un âge inférieur à 18 ans et supérieur à l'âge minimum
d'admission à l'emploi ne les prive pas de la scolarité obligatoire ni ne compromette leurs
chances de poursuivre leurs études ou de suivre une formation professionnelle ».

114. La Convention n° 189 de l’OIT - non ratifiée par la Tunisie - complète, ainsi, les
dispositions des Conventions nos 138 et 182, précitées, sur l’âge minimum et sur les
pires formes de travail des enfants - toutes les deux ratifiées par la Tunisie -. La
Convention 189 invite, en particulier, à prendre des mesures pour garantir que le
travail accompli par les travailleurs domestiques de moins de 18 ans, ayant dépassé
l’âge minimum d’accès à l’emploi, ne les prive pas de l’éducation obligatoire ou
n’interfère pas avec leurs possibilités de poursuivre leurs études ou leur formation
professionnelle.
La Recommandation nº 201, qui complète la Convention n°189, renforce le tout en
appelant à identifier, à interdire et à éliminer les travaux dangereux pour les enfants
et à mettre en œuvre des mécanismes pour suivre la situation des enfants qui
travaillent comme domestiques.
115. Il en résulte, à notre avis, que la fixation de l’âge minimum de travail domestique
à 16 ans n’est possible qu’accompagnée de toutes les garanties de contrôle et de
suivi que l’Etat est appelé à mettre en œuvre pour que le travail domestique
d’enfants âgés de 16 à 18 ans soit effectué dans des conditions bien définies par la
loi, adaptées à leur situation propre, avec la mise en place de mécanismes de
contrôle adéquats pour suivre la situation des enfants qui travaillent comme
domestiques.
On comprend, dans ces conditions, que l’idéal dans le cas propre de la Tunisie est de
fixer l’âge minimum d’emploi dans le travail domestique à 18 ans, tant il est vrai que
l’Etat n’est pas à même de mettre en place toutes les garanties ci-dessus décrites et

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


44

tous les mécanismes de contrôle et de suivi. Des dérogations peuvent, le cas échéant,
être apportées à l’interdiction, et ce, pour les enfants âgés de 16 à 18 ans, dans des
conditions définies par le Code du travail lui-même, adaptées à leur situation propre,
avec la mise en place de mesures de protection et de mécanismes de contrôle
adéquats, y compris notamment :
- Protection efficace contre toute forme d’abus, de harcèlement et de violence ;
- Conditions d’emploi équitables et conditions de vie décentes ;
- Les enfants travailleurs domestiques, ainsi que leurs parents, doivent être informés
des modalités et conditions de l’emploi de façon aisément compréhensible, et de
préférence par un contrat écrit ;
- Les heures de travail doivent respecter les normes fixées par la législation du travail
applicable aux enfants, avec interdiction du travail de nuit et même des heures
supplémentaires ;
- Les périodes de repos journalier et hebdomadaire, et les congés payés annuels
doivent être rigoureusement définies et respectées ;
- La rémunération, y compris le salaire minimum doivent être fixés et respectés ;
- Le paiement du salaire doit être effectué en espèces, directement au travailleur, et à
intervalle régulier ne dépassant pas un mois ;
- La sécurité et la santé et le droit à un environnement de travail sain et
sécurisé doivent être reconnus et respectés ;
- La sécurité sociale doit être redéfinie avec des conditions non moins favorables que
celles applicables aux travailleurs en général ;
- Le travail ne doit pas priver les enfants de la scolarité obligatoire, ou interférer avec
leurs possibilités d’éducation ou de formation professionnelle ;
- Conditions de vie décentes concernant les enfants travailleurs vivant chez
l’employeur, respectant la vie privée des enfants ;
- Liberté de parvenir à un accord avec leur(s) employeur(s) potentiel(s) de résider ou
non dans le ménage ;
- Aucune obligation de rester au domicile de l’employeur lors des périodes de repos
ou de congé, etc.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


45

(2) Les normes protectrices de l’enfance au travail, à la recherche de leur propre


effectivité

116. Impératives et souvent même répressives, les dispositions protectrices de


l’enfance sont destinées à être effectives. Et pourtant, l’opinion selon laquelle ces
dispositions sont rendues de plus en plus ineffectives est largement partagée. La
Tunisie le reconnaissait déjà dans son rapport initial soumis au Comité des Nations
Unies des droits de l’enfant et imputait cet état de choses à l’éparpillement des
tâches des inspecteurs du travail – notamment la double fonction de conciliation et
de contrôle qu’ils assument-, à l’insuffisance de leur nombre par rapport à celui de
plus en plus croissant des entreprises, s’ajoutent celles liées à l’attitude des enfants
eux-mêmes et de leurs parents : «… Tant que les enfants et leurs parents perçoivent le
travail comme une faveur et un privilège qu’il convient de sauvegarder, les moyens qui leur
sont offerts par la loi pour vaincre l’inertie et saisir directement la justice resteront
insuffisants : la précarité de leur situation affecte, pour ainsi dire, leur combativité et leur
dicte une attitude passive en ce domaine »49.

117. Dans ses observations finales adoptées le 11 juin 2010 à l’issue de l’examen du
troisième rapport périodique de la Tunisie, présenté en application de l’article 44 de
la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant
« …accueille avec satisfaction l’amendement législatif de 2005 et le Programme national de
lutte contre l’exploitation économique des jeunes filles employées comme domestiques ». Le
Comité, toutefois, « …réitère la préoccupation exprimée dans ses précédentes observations
finales (CRC/C/15/Add.181, par. 41) au sujet du manque de données précises et d’évaluation
des activités concernant le travail des enfants dans l’État partie ».
Le Comité, en conséquence, « …réitère ses précédentes recommandations
(CRC/C/15/Add.181, par. 42) appelant l’État partie à faire tout le nécessaire pour prévenir et
combattre avec efficacité le travail des enfants et à rendre compte dans son prochain rapport
périodique de la nature et de l’ampleur du travail des enfants ainsi que des mesures prises en
vue d’appliquer les conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT) no 138 de
1973, sur l’âge minimum d’admission à l’emploi, et no 182 de 1999, concernant l’interdiction
des pires formes de travail des enfants et l’action en vue de leur élimination immédiate » 50.

49
CRC/ C /11/Add. 2, 1er juin 1994, Para. 278.
50
UN Doc., CRC/C/TUN/CO/3, 25 May – 11 June 2010, Paras. 57-58.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


46

Paragraphe 2ème : RECOMMANDATIONS

118. Une refonte totale du Code du travail doit être entreprise en vue de donner
effet aux nouvelles dispositions introduites par la Constitution du 27 janvier 2014
concernant le droit au travail et à des conditions de travail justes et favorables. Notre
opinion est qu’une telle refonte devrait revêtir la forme d’une révision substantielle
du Code du travail comportant, en particulier, les éléments suivants :

R 1- Adopter un nouveau Code du travail, en y aménageant une partie – ou un


chapitre - préliminaire portant révision de ses dispositions générales telles que
formulées dans les articles 1 à 5 bis du Code actuel, et ce, en vue mettre en œuvre
les droits fondamentaux de l’homme au travail, tels que proclamés notamment aux
articles 36 et 40 de la Constitution du 27 janvier 2014 et dans les conventions
internationales pertinentes, y compris notamment :
- La liberté du travail et l’interdiction de toute forme de travail forcé ;
- Le droit au travail et à l'égalité des chances devant le travail ;
- la non-discrimination entre l’homme et la femme en matière d’emploi et l’égalité
de rémunération pour un travail de valeur égale ;
- le droit à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical ;
- le droit d’organisation et de négociation collective.

R 2- Redéfinir, dans cette même partie – ou un chapitre préliminaire – le champ


d’application du Code du travail en vue d’intégrer des catégories de travailleurs
occupés dans des tâches "non visibles", car nos reconnues comme un véritable
travail, y compris notamment les travailleurs domestiques dont les droits
fondamentaux à un salaire équitable et à des conditions de travail justes doivent
être spécialement définis, en harmonie avec la dernière Convention n° 189 de l’OIT
(2011), sur les travailleuses et les travailleurs domestiques, dont il est recommandé
de procéder à la ratification par la Tunisie.
R 3- Définir un régime d’interdiction du travail domestique pour les enfants, assorti
de dérogations pour les enfants âgés de 16 à 18 ans, dont l’emploi à un travail
domestique doit être effectué dans des conditions bien définies par le Code du
travail lui-même, adaptées à leur situation propre, avec la mise en place de mesures
de protection et de mécanismes de contrôle adéquats, y compris notamment :
- Protection efficace contre toute forme d’abus, de harcèlement et de violence ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


47

- Conditions d’emploi équitables et conditions de vie décentes ;


- Les enfants travailleurs domestiques, ainsi que leurs parents, doivent être informés
des modalités et conditions de l’emploi de façon aisément compréhensible, et de
préférence par un contrat écrit ;
- Les heures de travail doivent respecter les normes fixées par la législation du travail
applicable aux enfants, avec interdiction du travail de nuit et des heures
supplémentaires ;
- Les périodes de repos journalier et hebdomadaire, et les congés payés annuels
doivent être rigoureusement définies et respectées ;
- La rémunération, y compris le salaire minimum doivent être fixés et respectés ;
- Le paiement du salaire doit être effectué en espèces, directement au travailleur, et
à intervalle régulier ne dépassant pas un mois ;
- La sécurité et la santé et le droit à un environnement de travail sain et
sécurisé doivent être reconnus et respectés ;
- La sécurité sociale doit être redéfinie avec des conditions non moins favorables que
celles applicables aux travailleurs en général ;
- Le travail ne doit pas priver les enfants de la scolarité obligatoire, ou interférer avec
leurs possibilités d’éducation ou de formation professionnelle ;
- Conditions de vie décentes concernant les enfants travailleurs vivant chez
l’employeur, respectant la vie privée des enfants ;
- Liberté de parvenir à un accord avec leur(s) employeur(s) potentiel(s) de résider ou
non dans le ménage ;
- Aucune obligation de rester au domicile de l’employeur lors des périodes de repos
ou de congé, etc.
R 4- Réaffirmer et redéfinir le droit des personnes ayant un handicap à des mesures
d’action positive en vue d’accroître leur accès aux possibilités de formation
professionnelle et d’emploi.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


48

2ème AXE : RENFORCER LES ORGANES DE SUIVI ET DE CONTROLE EN VUE


D’ASSURER L’EFFECTIVITE DES NORMES DE PROTECTION DES DROITS DE
L’HOMME DANS LE TRAVAIL

Paragraphe 1er- ANALYSE DE LA SITUATION

119. Les dispositions du Code du travail aménageant le droit au travail et à des


conditions de travail justes et favorables sont normalement destinées à être
effectives51 surtout après leur consécration constitutionnelle à la faveur de l’article 40
de la Constitution du 27 janvier 2014. Ceci appelle, notamment, à préciser la portée
et la nature des obligations de l’Etat relatives aux droits de l’homme dans le travail,
ainsi proclamées par le texte constitutionnel (A). Des mesures particulières doivent, à
cet égard, être prises afin de renforcer les organes de suivi et de contrôle (B).

(A) Portée et nature des obligations de l’Etat relatives aux droits de l’homme au
travail

120. Une lecture attentive des dispositions des articles 12, 35, 36 et 40 de la
Constitution, relatives aux droits de l’homme au travail, fait ressortir que l’Etat est en
réalité tenu - dans ce domaine comme pour l’ensemble des droits économiques,
sociaux et culturels52 consacrés par la Constitution - d’une triple série d’obligations:
obligations de respecter, de protéger et d’exécuter les différents droits ainsi
proclamés (1).
Autant d’obligations qui comportent, chacune, au regard de leur nature même, des
éléments d’obligations de moyen et d’obligations de résultat (2).
(1) Portée exacte des obligations de l’Etat : obligations de respecter, de protéger et
de mettre en œuvre les droits de l’homme au travail
121. Les droits de l’homme au travail consacrés par la Constitution du 27 janvier 2014
sont, pour l’essentiel, autant de droits définis dans les articles 6, 7 et 8 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la

51
Cf. sur l’effectivité du droit du travail, Philipe AUVERGNON, « Une approche comparative
de l’effectivité du droit du travail », in L’effectivité du droit du travail : A quelles conditions ?
Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des relations professionnelles
et de la sécurité sociale, Comptrasec- Université Montesquieu- Bordeaux IV, 2006, p.7
52
Cf. pour plus de détails, Hatem KOTRANE, « La justiciabilité des droits économiques,
sociaux et culturels », in Mondialisation, travail et droits fondamentaux, sous la direction de
Isabelle DAUGAREILH, éditions, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 231.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


49

Tunisie. Les Directives de Maastricht énoncent les obligations des États parties au
regard des droits consacrés par le Pacte de la manière suivante 53:
- L’obligation de respecter impose aux États de ne pas entraver la jouissance des
droits économiques, sociaux et culturels ;
- L’obligation de protéger exige des États qu’ils préviennent les violations de ces
droits par des tiers ;
- L’obligation de mettre en œuvre impose aux États de prendre les mesures
législatives, administratives, budgétaires, judiciaires et autres qui s’imposent pour
assurer la pleine réalisation de ces droits.
122. Le respect par les États des obligations ainsi mises à leur charge, s’il implique
bien un caractère progressif énoncé en termes exprès par le paragraphe 1 de l’article
2 du Pacte54, ne devrait en aucun cas être interprété comme impliquant le droit de
retarder indéfiniment les mesures à prendre par les États en vue d’assurer la pleine
réalisation de l’ensemble des droits y reconnus.
Rapportées aux droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans la Constitution
tunisienne, y compris notamment les droits de l’homme au travail, ces observations
conduisent à affirmer que :
- L’Etat a l’obligation d’agir immédiatement, et en tout état de cause dans un délai
raisonnablement bref à compter de l’entrée en vigueur de la Constitution, en prenant
les mesures législatives, administratives, financières et autres, et en mettant en place
les mécanismes adéquats, propres à participer, progressivement mais activement, à
la pleine réalisation de l’ensemble des droits ainsi reconnus par la Constitution ;
- L’Etat a l’obligation de s’efforcer d’assurer la jouissance la plus large possible de
l’ensemble des droits reconnus par la Constitution, sans discrimination aucune et
dans des conditions d’égalité de chances, en prêtant une attention particulière à la

53
Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et
culturels, reproduites dans E/C.12/2000/13, par. 6.
54
Article 2, paragraphe 1er du du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels : « 1. Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son
effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans
économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer
progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les
moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives. ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


50

protection des droits des catégories les plus vulnérables de la population et à


l’utilisation équitable et effective des ressources disponibles ;
- L’Etat a l’obligation de lever immédiatement toutes les formes de discrimination
résultant des textes et d’agir en vue de combattre, par des moyens actifs et
appropriés, celles résultant de pratiques et traditions empêchant l’égale jouissance
par toutes les citoyennes et tous les citoyens de l’ensemble des droits reconnus par la
Constitution.
123. S’agissant des obligations afférentes aux relations internationales, le
paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels dispose que l’assistance et la coopération internationales sont
l’un des moyens par lesquels les États peuvent mettre en œuvre les droits
économiques, sociaux et culturels. Les Principes de Limburg adoptés par le Comité
des droits économiques, sociaux et culturels55 énoncent que «la coopération et
l’assistance internationales doivent être centrées sur l’établissement d’un ordre social et
international dans lequel les droits et libertés énoncés dans le Pacte puissent pleinement
s’exercer». En outre, cette coopération devrait avoir lieu quel que soit le système
politique, économique et social dont les États se réclament et être fondée sur
l’égalité souveraine de ceux-ci. Non seulement les États devraient coopérer à la
réalisation des droits reconnus dans le Pacte, mais encore le rôle des organisations
internationales et des organisations non gouvernementales devrait être présent à
l’esprit56.
124. Le Comité a examiné les aspects internationaux des droits économiques, sociaux
et culturels dans ses observations générales sur certains droits donnés. Plus
précisément, il a dégagé certains grands domaines pertinents pour les obligations
internationales qu’impose le Pacte. Rapportées aux droits de l’homme au travail
énoncés dans la Constitution tunisienne, ces observations conduisent à affirmer ce
qui suit :
- En ce qui concerne la négociation et la ratification d’accords internationaux, l’Etat
devrait prendre des mesures pour faire en sorte que ces accords n’aient pas
d’incidences négatives sur les droits économiques, sociaux et culturels, y compris les
droits de l’homme au travail ;

55
Principes de Limburg concernant l’application du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels Cf. E/C.12/2000/13, par. 16.
56
Ibid., par. 29 – 34.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


51

- L’Etat a l’obligation de veiller à tenir dûment compte dans les mesures qu’il prend
en tant que membre d’organisations internationales, notamment d’institutions
financières internationales, des droits économiques, sociaux et culturels, y compris
les droits de l’homme au travail ;
- Les institutions financières internationales qui prônent des mesures d’ajustement
structurel devraient veiller à ce que ces mesures ne compromettent pas la jouissance
dès les droits économiques, sociaux et culturels, y compris les droits de l’homme au
travail, etc.

(2) Nature des obligations de l’Etat : obligations de moyens et obligations de


résultat

125. Les obligations sociales incombant à l’Etat au titre de la Constitution se


présentent, parfois, en raison de leur objet même, non pas comme des obligations de
résultat, mais comme des obligations de moyen, ce qui signifie que l’Etat ne peut être
tenu pour unique responsable des difficultés éprouvées dans la satisfaction des
besoins vitaux de la population en matière de satisfaction du droit au travail, comme
en matière de satisfaction des autres droits économiques, sociaux et culturels
proclamés par la Constitution. L’Etat n’aura souvent contracté, pour ainsi dire, qu’une
obligation générale de diligence, consistant à mettre tout en œuvre en vue de la
réalisation progressive des droits énoncés dans la Constitution. En somme, L’Etat
voudrait bien réaliser tout ce qui est humainement et socialement souhaitable, mais
il ne pourra garantir réellement et durablement que ce qui est économiquement
possible.
Il reste, cependant, que L’Etat a l’obligation fondamentale minimale d’assurer la
satisfaction de l’essentiel de chacun des droits consacrés par la Constitution. Le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels a noté, à cet égard, qu’une
interprétation du Pacte d’où ne ressortirait pas cette obligation fondamentale
minimale viderait largement celui-ci de son sens (E/1991/23, par. 10).
126. En tout état de cause, également, toute violation par l’Etat du principe de non-
discrimination constitue une violation par action, contraire aux dispositions expresses
du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, aux termes duquel « Les États parties
s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination
aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou
toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre
situation». En d’autres termes, si des ressources existent pour permettre dans une
certaine mesure la jouissance d’un droit donné, celui-ci doit se faire dans des

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


52

circonstances n’impliquant aucune discrimination, et l’État aura manifestement failli


à une obligation de résultat chaque fois qu’il aura pris ou maintenu des mesures,
d’ordre législatif, administratif ou autre, empêchant des personnes ou des groupes de
personnes de jouir également de l’un quelconque des droits reconnus dans le Pacte.
Comme on le voit, le respect d’un tel principe fondamental n’est pas fonction de
ressources, et l’obligation de l’Etat est alors par nature mesurable et donc
normalement non susceptible de gradation. L’Etat ne peut pas s’être engagé,
relativement au principe de non-discrimination, à uniquement faire son possible en
vue de ne pas violer ce principe. L’obligation est méconnue dans sa totalité et le
principe en question est atteint dès l’instant où l’État a fait ce qu’il est prohibé de
faire.
Pour tout le reste, chaque fois que les obligations contractées consistent à agir, «à
faire quelque chose» – ce qui renvoie, sans doute, à un registre plus étendu des
engagements souscrits par les États parties au titre du Pacte –, les violations de telles
obligations renvoient à des violations par omission et ressortent, selon le cas, d’une
violation de véritables obligations de résultat ou de simples obligations de moyens
selon la latitude et les moyens objectivement offerts à l’État en vue de la satisfaction
des droits dont il a la charge.

(B) Organes de suivi et de contrôle de l’application des droits de l’homme au travail

127. Tout système de suivi, de contrôle et de répression des violations des droits de
l’homme au travail est nécessairement contingent et subit les interactions du
système politique, économique et social. Or, en l’état actuel de l’évolution de
l’économie tunisienne, il semble que les efforts soient davantage orientés dans le
sens d’une plus grande création d’emplois, reléguant à un rang secondaire la
question de la qualité de l’emploi et des conditions de travail. Cela se traduit, en
particulier, par un changement d’orientation dans l’action des différents acteurs
habilités à assurer le suivi et le contrôle du respect des prescriptions du travail, y
compris notamment l’inspection du travail (1). Un équilibre doit, dans ces conditions,
être rétabli (2).

(1) Le rôle de l’inspection du travail

128. La Tunisie a ratifié, depuis le 25 avril 1957, la Convention (n° 81) de l’OIT (1947)
sur l’inspection du travail, qui fait partie des conventions de gouvernance
(prioritaires). Cette convention pose la règle que chaque Etat qui la ratifie doit avoir
un système d’inspection assurant, dans des conditions d’indépendance de

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


53

l’inspecteur vis-à-vis de toute influence extérieure indue, l’application des normes


légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs.
129. De fait et conformément aux dispositions de la Convention (n° 81) précitée, le
Code du travail dote les inspecteurs du travail de pouvoirs apparemment assez larges
leur permettant d’exercer efficacement les missions qui leurs sont dévolues (droit
d’entrée dans les établissements, droit d’enquête et surtout pouvoir de constater les
infractions par établissement de procès-verbaux (articles 174 et suivants du Code du
travail)57.
130. Ce système se heurte pourtant à des limites couvrant tant les pouvoirs
d’investigation que de décision des inspecteurs du travail et qui tiennent
essentiellement à la double fonction qu’ils assument. Ce sont des agents de
conciliation avant d’être des agents de répression. Dans l’exercice de leurs
attributions, ils ne peuvent perdre de vue cette réalité.
L’énoncé de mesures contraignantes peut être analysé par l’inspecteur du travail
comme ayant un caractère antiéconomique contraire aux objectifs de la politique de
l’emploi, par le poids des charges financières et le risque de dégradation du climat
social qui en résultent pour l’entreprise. Il préfère alors souvent différer ces mesures,
les tempérer, voire les abandonner.
131. Ce sont ces mêmes considérations liées au souci de l’emploi qui amènent
l’inspecteur du travail à intervenir, de plus en plus, dans les conflits du travail, en
proposant aux protagonistes les moyens de parvenir à une conciliation. Le Code du
travail, lui-même, leur confère un rôle important en matière de règlement des
conflits collectifs du travail et les charge, également, de la mission de contrôle des
licenciements pour motif économique ou technologique, dans des conditions qui
prêtent – on y reviendra – de plus en plus à discussion. Bien plus, le rôle de
conciliation ne s’est pas limité aux seuls conflits collectifs et la pratique révèle que
l’inspecteur du travail est couramment entraîné sur le terrain des relations
individuelles du travail et des litiges qu’ils engendrent. Or, l’inspecteur du travail – et
ceci est important - n’est pas « juge » du contrat de travail, de son interprétation et
de son application entre les parties. Il est gardien du statut des travailleurs dans les
domaines qui lui sont délimités par la législation répressive du travail.

57
Voir supra, les paragraphes 100 et 101 relatifs aux médecins inspecteurs du travail.

- Cf. pour plus de détails, Hatem KOTRANE, « La responsabilité pénale de l’employeur en


droit tunisien : une pénologie hésitante », Revue tunisienne de droit social, 1986, p. 68 et s.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


54

132. Cette distinction, importante en droit mais encore mal perçue par la pratique,
prend une ampleur particulière lorsqu’on sait les effectifs réduits de ces agents par
rapport au nombre des entreprises.
133. Si on ajoute à tout cela les conditions tenant à une organisation administrative
obéissant à ses propres exigences lesquelles ne servent pas toujours l’efficacité,
comme la situation de subordination de l’inspecteur et l’obligation de transmettre
par voir hiérarchique les procès-verbaux58, on comprend alors l’ampleur de ce
décalage entre le droit et le fait.

(2) Un équilibre à établir

134. Il ne saurait être question, à ce stade de l’analyse, et sous peine de méconnaître


les fonctions mêmes du droit pénal du travail, d’en souhaiter une application stricte
et systématique. Cela reviendrait à confondre entre effectivité de la loi pénale et
effectivité de la loi sociale. La loi pénale, en fait, n’existe pas en ce domaine pour elle-
même, mais en vue d’une fin qui est le respect de la loi sociale. Par conséquent, si les
organes chargés du contrôle des prescriptions du travail parviennent à faire respecter
ces prescriptions par voie d’avertissements adressés au chef d’entreprise, la loi
pénale du travail aura rempli le rôle dissuasif qui est le sien. On ne saurait, par suite,
regretter que les inspecteurs du travail soient investis d’un pouvoir d’appréciation
dans le contrôle des prescriptions du travail et qu’ils préfèrent assez souvent obtenir
leur respect par voie d’avertissements plutôt que par des procès-verbaux.
135. L’équilibre souhaité réside, en réalité, dans la nécessaire limitation des fonctions
de l’inspection du travail et une plus grande séparation des organes créés au sein de
ce corps, entre les directions et services chargés du contrôle des prescriptions du
travail et ceux exerçant les fonctions de conciliation.
136. Il conviendrait, en même temps, de revoir le système de sanctions pénales, en
revalorisant les pénalités définies au Livre VI du Code du travail (articles 233 à 241 du
Code du travail), sous la forme d’amendes dont le taux n’a connu aucune
augmentation depuis plus de vingt ans et est devenu trop dérisoire et inadapté aux
objectifs de prévention poursuivis par la loi.

58
Article 177, alinéa 2 du Code du travail :« Ces procès-verbaux sont transmis par les chefs
des inspections du travail territorialement compétent au procureur de la république aux fins
de poursuites... ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


55

137. La révision du système de sanctions pénales devrait aller dans le sens d’une plus
grande sévérité dans le cas des infractions les plus graves, y compris notamment
celles touchant à l’emploi illégal des enfants, surtout le cas de travail forcé des
enfants, étant précisé qu’aux termes de l’article 3 du Protocole facultatif à la
Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, ratifié par
la Tunisie, le fait de soumettre l'enfant au travail forcé doit être couvert par la loi
pénale de chaque État Partie comme cas de vente d'enfants telle que définie à
l'article 2 dudit Protocole facultatif et puni en tant que tel.
138. Des sanctions plus lourdes devraient également être aménagées dans le cas de
manquements inexcusables aux règles concernant la santé et la sécurité au travail,
ayant causé des accidents du travail.
139. Plus généralement, c’est à une prise de conscience commune des partenaires
sociaux qu’il faudrait parvenir, notamment quant au danger qu’une telle situation
présente pour la communauté nationale. Des études révèlent à cet égard que les
pertes en heures de travail, par suite d’accidents du travail dus à l’inobservation des
règles concernant la santé et la sécurité au travail, sont relativement importantes.

Paragraphe 2ème : RECOMMANDATIONS

140. Une renforcement du rôle des organes de contrôle des prescriptions du travail,
notamment les règles relatives à la santé et la sécurité du travail et la protection de
catégories vulnérables – comme les enfants -, s’avère nécessaire en vue de réaliser,
notamment ce qui suit :
R 5- Redéfinir les fonctions de l’inspection du travail et garantir une plus grande séparation
entre les directions et services chargés du contrôle des prescriptions du travail et ceux
exerçant les fonctions de conciliation ;
R 6- Revoir le système de sanctions pénales, en revalorisant les pénalités et en les adaptant
aux objectifs de prévention des atteintes à la santé et à la sécurité dans le travail ;
R 7- Aggraver les sanctions pénales encourues pour toutes les infractions commises en
matière d’emploi illégal des enfants, surtout le cas de travail forcé des enfants, et ce,
conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif à la Convention relative
aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie mettant en scène des enfants ;
R 8- Aménager des sanctions pénales plus lourdes dans le cas de manquements
inexcusables aux règles concernant la santé et la sécurité au travail, ayant causé des
accidents du travail.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


56

2ème PARTIE- RELATIONS COLLECTIVES DU TRAVAIL : METTRE EN PLACE UN


CADRE JURIDIQUE ADAPTE PERMETTANT D’APAISER LES TENSIONS SOCIALES
ET DE MIEUX ASSEOIR LE DIALOGUE SOCIAL

141. Un constat s’impose : celui de l’aggravation, toutes ces dernières années, des
tensions sociales et de l’incapacité des mécanismes juridiques à offrir un cadre
adapté au dialogue social et au règlement des conflits collectifs du travail, y compris
notamment au niveau de l’entreprise.
142. Deux axes de réflexion sont proposés, ci-après, qui constituent autant de
priorités pour l’avenir, en vue de parvenir à apaiser les tensions sociales et à mieux
asseoir le dialogue social au sein de l’entreprise :
- Responsabiliser les acteurs sociaux par l’endiguement de la négociation collective
et des conflits sociaux (1er Axe) ;
- Mieux asseoir les mécanismes de représentation des travailleurs au sein de
l’entreprise (2ème Axe).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


57

1er AXE : RESPONSABILISER LES ACTEURS SOCIAUX PAR L’ENDIGUEMENT DE


LA NEGOCIATION COLLECTIVE ET DES CONFLITS SOCIAUX

Paragraphe 1er- ANALYSE DE LA SITUATION

143. C'est là, assurément, une des orientations les plus marquantes de l'évolution du
droit du travail comparé. Elle est assise sur l’idée essentielle que la négociation
collective doit remplir, outre sa fonction juridique en tant que source de droit du
travail, source professionnelle, dit-on, une fonction économique et sociale qui en
constitue le sens profond. Instrument d’autorégulation, de dialogue social et de
pacification des rapports sociaux, la négociation collective peut permettre une
adaptation du droit du travail aux réalités de l’entreprise et une meilleure intégration
des travailleurs à la vie de l’entreprise par le sentiment qu’ils acquièrent
progressivement de participer à une œuvre commune, élément psychologique
d’importance et souvent délaissé dans le traitement et l’analyse juridiques des
rapports sociaux (A)..
L’expérience tunisienne de la négociation collective reste, pour sa part, déficiente en
raison, notamment, de l’insuffisance de son cadre juridique (B).

(A) Enseignement du droit comparé

144. L’observation du droit comparé montre, à cet égard, que la négociation


collective ne peut remplir ses fonctions économiques et sociales qu’entre un patronat
ouvert et un salariat organisé et discipliné et reste tributaire d’une orientation qui
doit faire de l’entreprise, noyau de l’activité économique, le cadre privilégié de la
négociation.
145. Deux observations doivent d’emblée être apportées à ce stade :
- D’une part, les expériences de dialogue social restent, bien entendu, contingentes
et il ne s’agit nullement de les transposer d’un pays à un autre, tant il est vrai que
« toute expérience ne vaut que dans un certain cadre et compte tenu de certaines
traditions. Il reste que l’on peut tirer profit, parfois, d’une expérience qui a pu être
chèrement acquise »59 ;
- D’autre part, il convient de reconnaître que les performances des systèmes de
négociation collective ne se déduisent pas de leurs configurations institutionnelles et
juridiques. En fait, les systèmes sont peu autonomes par rapport à ce que

59
Ibid.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


58

représentent leurs acteurs, de sorte que toute analyse doit intégrer une part
importante de l’usage que font, dans la durée, les acteurs de leurs systèmes de
négociation. De quelle autonomie disposent-ils pour leur faire jouer des fonctions
complexes et composites ? Car si la négociation collective est l’instrument dédié à la
détermination des conditions de travail et de salaire, elle traduit et affirme aussi la
reconnaissance par des tiers de ce rôle de régulation sociétale des relations du
travail, ainsi que sa capacité de représentativité des acteurs sociaux auxquels les
arbitrages négociés prétendent s’appliquer. Production normative, légitimité
sociétale et représentativité des acteurs syndicaux entretiennent ainsi des relations
d’interdépendance complexes.

(1) Droit américain : une expérience modèle

146. L’expérience américaine de la négociation collective (Collective bargaining) est


reconnue comme une expérience modèle. Elle gouverne les relations
professionnelles aux Etats-Unis depuis très longtemps et a été systématisée plus tard,
en 1935, par le législateur du New-Deal. C’est la National Labor Relations Act (NLRA)
ou Wagner Act, modifiée en 1947 par la Taft Hartley Act et, sur certains points, en
1959, par le Landrun Griffin Act.
147. Il n’y a dans ce système de place ni à la représentation institutionnelle (Comité
d’entreprise), ni à la formule allemande de la cogestion. On reconnaît le droit de la
direction de diriger « The right of Management to manage », mais, en contrepartie, la
négociation est entendue d’une façon tellement large et précise qu’elle englobe
pratiquement toutes les autres formes de participation. En voici, brièvement, les
principales caractéristiques :
- La première est liée à l’unité de négociation. C’est en principe l’entreprise
elle-même, quoi qu’il arrive parfois que l’unité rassemble plusieurs entreprises ou, à
l’inverse, un établissement ;
- La deuxième caractéristique consiste dans le monopole de négociation
accordé au syndicat choisi par la majorité des salariés au cours d’un vote à bulletin
secret. L’employeur ne peut négocier ni avec un autre syndicat, ni avec une autre
formation représentative élue, ni avec le personnel directement, même pris
individuellement. Il y aurait dans de telles pratiques une discréditation syndicale. En
contrepartie, le syndicat est tenu de représenter tous les salaires de l’unité de
façon égale et loyale ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


59

- La troisième caractéristique est une pièce maîtresse du système, c’est le devoir


de négocier de bonne foi. C’est un devoir organisé par la loi et précisé par les
tribunaux. En l’occurrence, le National Labor Relations Board (NLRB) est une
juridiction chargée de mettre en œuvre la législation des relations professionnelles.
Sans aller jusqu’à l’obligation de conclure, ce devoir va plus loin qu’une simple
obligation de se réunir. C’est l’obligation d’adopter un certain comportement se
traduisant par des actes objectifs : pas de mesures unilatérales de la part de
l’employeur sans la demande d’ouverture de négociation, pas de préalable à la
négociation, fourniture des informations nécessaires, signature d’un écrit créant des
obligations et des engagements précis. Le juge peut aussi analyser le comportement
de façon subjective : y a-t-il une volonté sincère de négocier et d’arriver à un accord ?
(Appréciation des prétentions et de leur caractère raisonnable) ;
- Une quatrième caractéristique découle de l’objet de la négociation : au début,
la loi ne parlait que des salaires, durée du travail et autres conditions d’emploi, mais
les tribunaux ont interprété d’une façon très large les textes au point de toucher tout
le domaine économique : l’investissement, la fermeture d’établissement, la
modification des structures avec effet sur l’emploi, etc. ;
- Ce devoir de négociation de bonne foi, et c’est là une autre caractéristique du
système, est sanctionné : sa violation constitue une pratique déloyale du travail
« unfair labor practice», qui expose son auteur à une condamnation pour atteinte à la
cour « Comtempt of court »60.

60
Cf. pour plus de détails, Xavier BLANC-JOUVAN, La négociation d’entreprise en droit
comparé, Revue de droit social, 1982, p.718.

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60

(2) La situation en Europe61

(a) Le système allemand, « promu modèle »62

148. L’Allemagne doit à son statut de première puissance économique européenne le


privilège de voir – encore aujourd’hui – érigé en « modèle » son système de relations
professionnelles. La stabilité – des institutions, des acteurs et des pratiques – est le
maître mot des relations professionnelles. La concurrence syndicale est, en même
temps, bannie des lieux de travail organisés selon le principe de l’implantation
syndicale unique (« Une entreprise, un syndicat »), avec une implantation majoritaire
d’une grande confédération, le DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund), regroupant de
nombreuses fédérations de branche, avec comme affiliés des salariés des secteurs
privé et public, indépendamment de leur statut professionnel (ouvriers ou employés)
et de leurs sensibilités politiques ou religieuses.
149. La chute du mur de Berlin en 1989 suivie en 1990 par la réunification allemande
a entrainé une extension à l’identique de l’ensemble du droit social allemand et du
système de relations professionnelles, y compris notamment le système de la
négociation collective, dans l’objectif très consensuel de créer un espace social unifié.
150. Par ailleurs, la cogestion paritaire, instituée en 1951 suivant le principe d’égalité
des représentants des salariés et des actionnaires dans les instances dirigeantes des
entreprises, n’a pas eu en Allemagne le retentissement escompté et est restée
limitée aux secteurs de la sidérurgie et des mines dont le poids dans l’économie
allemande ne cesse de diminuer. Du même coup, la négociation collective est-elle
devenue l’instrument d’intervention privilégié des syndicats, avec pour centre
stratégique les fédérations professionnelles. Celles-ci sont, avec leurs homologues –
les fédérations patronales –, les acteurs de la négociation collective organisée à partir
d’une logique essentiellement sectorielle.

61
Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, Evolutions et perspectives des systèmes de
négociation collective et de leurs acteurs : six cas européens (Allemagne, Espagne, France,
Grande-Bretagne, Italie, Suède), Recherche effectuée par l’Institut de recherches
économiques et sociales (IRES) dans le cadre de conventions d’études conclues avec la
Confédération française démocratique du travail (CFDT) la Confédération générale du travail
(CGT), 2010.

62
L’expression est de Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, étude précitée.

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61

151. Plus synthétiquement, le système allemand des relations professionnelles peut


être résumé autour de deux caractéristiques majeures et intimement liées :
- La première est liée au niveau de la négociation, marqué par l’existence d’un
système dual de négociation collective, conférant aux syndicats la négociation de
branche et aux instances élues, composées de délégués du personnel, syndiqués ou
non, la représentation des salariés dans les établissements. Chaque niveau définit les
acteurs de la négociation, son objet, ses modalités et les modes de résolution de
conflits spécifiques63. A la branche est confiée la mission de construire des marchés
du travail professionnel unifiés, susceptibles de faciliter la mobilité intra-sectorielle.
Au niveau des établissements sont élaborées les règles concrètes assurant l’efficacité
tant économique que sociale des espaces productifs. Les deux niveaux s’inscrivent
dans un rapport d’articulation hiérarchisée. La dualité du système de négociation
apparaît comme un atout maître, à côté du choix historique des organisations
représentatives en faveur de l’unité et de la concentration des forces. « En combinant
« coordination centralisée puissante et pouvoirs décentralisés substantiels », le système dual
a permis aux syndicats allemands de faire preuve de « flexibilité stratégique » dans des
temps difficiles »64.

- La deuxième caractéristique du système allemand de relations professionnelles est


que la grève comme le lock-out sont des moyens licites pour résoudre les conflits,
mais dans un cadre tout à fait organisé. Droit collectif et non pas individuel, l’arme de
la grève est confiée aux seuls syndicats de branche qui, eux-mêmes, ne peuvent
l’utiliser en dehors de la renégociation de conventions collectives. Après la signature,
la paix sociale s’impose. Les normes conventionnelles sont contraignantes pour les
acteurs signataires.
152. Cette répartition des champs, des compétences et des responsabilités est un
élément clé de la régulation professionnelle en Allemagne et explique, en grande
partie, le recours limité à la grève. « Engagés dans des négociations parfois rugueuses,
patronat et syndicats s’imposent le chemin du compromis qu’ils font accepter par leurs bases
respectives. Le conflit éventuellement ouvert a pour toile de fond la reconnaissance de la
légitimité des intérêts de l’autre partie : maintien de la viabilité économique et de la

63
Bahnmüller, Verbetrieblichung der Tarifpolitik in Deutschland – oder die Metamorphose
des dualen Systems der Interessenvertretung , 2007.
- Cité par Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, étude précitée, p. 16.
64
Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, étude précitée, p. 19.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


62

compétitivité des entreprises, reconnaissance du travail salarié de qualité avec à la clé des
salaires élevés et la promesse de sécurité de l’emploi. »65.

(b) La négociation collective en France : un système en construction

153. Le système français des relations professionnelles est reconnu,


traditionnellement, comme un système de crise profonde, où l’Etat, intervenant par
les lois et règlements du travail, joue un rôle prépondérant, laissant peu de place aux
acteurs collectifs. A la sortie de la deuxième guerre mondiale, la France se préoccupe
plus de la mise en place d’éléments protecteurs du statut salarial que de la
construction d’un système de négociation ou les acteurs collectifs auraient un rôle
prépondérant en matière de création de normes et de régulateur des relations du
travail. Une loi du 23 décembre 1946 fixe, à cet égard, un rôle restreint à la
négociation collective. Les salaires sont exclus de son champ et les conventions
collectives sont soumises à un agrément préalable. Plus tard, succède une loi de
1950, qui redonne de l’espace aux conventions collectives en supprimant l’agrément
ministériel et en réintroduisant les salaires dans leur champ de responsabilité. Au
même moment, un salaire minimum interprofessionnel, le SMIG, est créé dont le
montant et les évolutions sont fixés par l’Etat.
154. Depuis lors et jusqu’au début des années 1980, le système français est crédité
d’une véritable cohérence interne, celle d’un système donnant la toute primauté à
l’action de l’Etat et reléguant la négociation collective à un rang inférieur. L’ordre
public social est mis en avant et impose une « hiérarchie des sources du droit »
précise et respectée. Au sommet, le cadre législatif s’impose aux accords collectifs
lesquels sont organisés de façon tout autant hiérarchisée, les accords conclus à un
niveau supérieur s’imposant - pour peu qu’ils aient été validés par l’Etat - aux accords
de niveau inférieur, notamment les conventions d’entreprise, avec introduction en
1973 du principe de faveur selon lequel l’accord de niveau inférieur ne déroge à la
règle de hiérarchie que s’il améliore pour les salariés les termes d’un accord de
niveau supérieur.
155. Il faut attendre les lois Auroux promulguées en 1982, qui modifièrent le Code du
travail dans une proportion d'environ un tiers, soit plus de 300 articles, pour voir
amorcé un tempérament à cette construction hiérarchisée. Les lois Auroux avaient
comme ambition de transformer profondément les relations de travail en France et

65
Ibid., p. 20.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


63

mettaient pour cela l'accent sur la responsabilisation des différents acteurs sociaux.
Leur esprit général peut être résumé par deux idées, inscrites dans le rapport
Auroux66, qui les préfigurait :
- L’extension de la citoyenneté à la sphère de l'entreprise : « citoyens dans la cité, les
travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise »67 ;

- La reconnaissance de la place des acteurs collectifs en droit du travail, notamment


leur rôle actif au sein de l’entreprise.
156. La loi n° 82-957 relative à la négociation collective et au règlement des conflits
du travail, promulguée le 13 novembre 1982, s’inscrit dans ce sens et confirme la
brèche dans la construction juridique antérieure, à savoir que des accords peuvent ne
pas respecter les prescriptions de rang supérieur. Cette loi inclut, en particulier, des
obligations annuelles ou pluriannuelles de négociation, tant au niveau des branches
que des entreprises.
157. Un retour à la toute prééminence du rôle de l’Etat a interrompu cette évolution
en 1999, suite à la décision du gouvernement de Lionel Jospin de recourir à la loi pour
organiser la réduction à 35 heures de la durée du travail. Mais très vite, La loi du 4
mai 2004, portant réforme du dialogue social, dite loi Fillon, marque un nouveau
tournant en rappelant, dans l’exposé de ses motifs, « l’engagement solennel de renvoyer
à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au
droit du travail ». En même temps, cette loi pose, en principe, que l’accord de niveau
inférieur est susceptible de déroger à l’accord de niveau supérieur, apportant ainsi un
tempérament à la hiérarchie des sources et au principe de faveur 68. Mais aucun des
niveaux ne peut conclure un accord dérogeant à la loi si cette dernière n’en ouvre pas
la possibilité.
158. Un nouveau processus de promotion de la négociation collective et de son
statut, parmi les sources du droit du travail s’en est suivi. Ce processus a été
consolidé depuis l’adoption de la réforme du droit syndical et du droit de la
négociation collective, à la faveur de la loi n°2008-789, portant rénovation de la
démocratie sociale, qui a favorisé une nouvelle articulation des rapports entre la
convention collective et la loi, d’une part, et des accords collectifs entre eux, d’autre
part, en posant, notamment, les règles suivantes :

66
Rapport Jean Auroux, Les droits des travailleurs, 1981.
67
Ibid., p. 4.
68
Florence CANUT, L'ordre public en droit du travail, Bibliothèque de l'Institut André TUNC,
2007, Paris.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


64

- La convention collective, à quelque niveau qu’elle se situe, ne peut déroger aux


dispositions d'ordre public du droit du travail. Ainsi, elle ne peut modifier la
compétence des agents publics ; elle ne peut priver le salarié de son droit de saisir la
justice, etc. ;
- Les accords de branche, mais aussi les accords d'entreprise, peuvent contenir des
dispositions dérogatoires à la loi si elles sont expressément permises par ladite loi.
Les accords dérogatoires peuvent, ainsi, concerner l'indemnité de fin de contrat des
contrats à durée déterminée (CDD), la période d'essai, l'indemnité de fin de mission,
pour les contrats de mission ;
- Les accords d'entreprise comportant des clauses salariales peuvent déroger aux
stipulations salariales des accords de branche sous réserve de respecter
l'augmentation de la masse salariale totale et les salaires minima hiérarchique ;
- l'accord de niveau inférieur peut comporter des dispositions moins favorables que
l'accord de niveau supérieur à condition que ce dernier ne l'interdise pas
expressément.
159. Le Conseil constitutionnel a joué, pour sa part, un rôle décisif dans le
dévoilement des potentialités de la négociation collective dans la production
normative du droit du travail : « Sous son impulsion, le principe de participation a été
évoqué au soutien de l’élargissement de l’espace de négociation et, plus récemment, du
renforcement de l’autorité de l’accord collectif de travail »69.

160. Ce nouveau souffle donné à la négociation collective est conforté, en même


temps, par le devoir de négociation annuelle, aménagé par l’article L2241-1 du Code
du travail français, tel que modifié par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 et, plus
récemment, par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et aux termes duquel : « Dans les
entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations
représentatives, l'employeur engage :
1° Chaque année, une négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la
valeur ajoutée dans l'entreprise ;
2° Chaque année, une négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes et la qualité de vie au travail ;
3° Tous les trois ans, dans les entreprises d'au moins trois cents salariés mentionnées au
premier alinéa de l'article L. 2242-13, une négociation sur la gestion des emplois et des
parcours professionnels… ».

69
Isabel ODOUL-ASOREY, La négociation collective confortée par le principe de
participation ?, Dr. Soc. 2015, p. 988.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


65

161. Toutefois, en dépit de cette évolution, le système français de négociation


collective reste largement déficient, et ce, au moins pour deux raisons :
- La première est liée à l’absence de contrainte précise aménagée par la loi,
emportant des obligations clairement définies, assorties de sanctions précises ;
- La deuxième est liée au fait qu’aucun devoir de paix sociale ne vient accompagner le
devoir de négociation, les travailleurs et les syndicats gardant entier leur droit de
déclencher une grève à tout moment du processus de négociation !

(c) La négociation collective dans les autres pays de l’Europe

162. D'un pays européen à l'autre, les différences sont assez fortes. Entre le modèle
danois, qui laisse aux partenaires sociaux le soin d'organiser le marché du travail par
voie conventionnelle, hors de toute intervention de l'État et hors de tout cadre
législatif, et le système espagnol, où le droit à la négociation collective est garanti par
la Constitution, mais où les accords collectifs, encadrés par la loi portant statut des
salariés, jouent un rôle encore limité, toutes les situations intermédiaires existent,
reflétant l'histoire sociale de chacun des pays concernés.
163. Une tendance assez nette consiste, dans la plupart des systèmes - ainsi,
notamment au Danemark et aux Pays-Bas, à l’instar de l’Allemagne - , à observer un
devoir de paix sociale, les partenaires s'engageant à s'abstenir de toute action
collective portant sur les matières régies par les accords collectifs pendant toute la
durée de validité de ceux-ci. De plus, en Allemagne, le devoir de paix sociale s'entend
également comme l'obligation d'épuiser toutes les possibilités de négociation avant
de recourir à la grève.

(B) Etat du droit tunisien : cadre juridique insuffisant

164. Le système tunisien des relations collectives du travail reste, d’abord, marqué
par l’absence de textes législatifs définissant avec précision le processus de la
négociation collective aux divers échelons national, sectoriel et celui des entreprises.
- Le TITRE III du LIVRE PREMIER du Code du travail, intitulé « LES CONVENTIONS
COLLECTIVES » se limite, à cet égard, à définir dans son Chapitre Premier
(« Dispositions générales ») l’objet de la négociation collective, à savoir la convention
collective de travail, présentée comme étant « …un accord relatif aux conditions de
travail, conclu entre, d'une part, des employeurs organisés en groupement ou agissant
individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de travailleurs. ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


66

Les dispositions de cette convention « … s'imposent aux rapports nés des contrats
individuels ou d'équipe, sauf si les clauses de ces contrats sont plus favorables aux
travailleurs que celles de la convention » (article 31 du Code du travail). L’article 34 pose,
de son côté, une règle importante selon laquelle « Les groupements de travailleurs ou
d'employeurs liés par une convention collective de travail sont tenus de ne rien faire qui soit
de nature à en compromettre l'exécution loyale. Ils sont garants de l'exécution de la
convention par leurs membres ».

- Le Chapitre II est consacré aux « Conventions collectives agréées » qui ont pour
objet « …de régler les rapports entre employeurs et travailleurs de l'ensemble d'une branche
d'activité » et dont la conclusion « … est subordonnée à la détermination de son champ
d'application territorial et professionnel par un arrêté du secrétariat d'Etat à la Jeunesse, aux
Sports et aux Affaires sociales, pris après avis de la commission nationale du dialogue
social.» (Article 37 du Code du travail, modifié par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996).
L’article 38 du Code du travail précise, à cet égard, qu’une telle convention collective
conclue au niveau de la branche d’activité, lus couramment qualifiée de convention
collective sectorielle, « … doit être conclue entre les organisations syndicales, patronales et
ouvrières, les plus représentatives de la branche d'activité intéressée, dans le territoire où elle
doit s'appliquer. Ses dispositions s'imposent à tous les employeurs et à tous les travailleurs
des professions comprises dans son champ d'application à compter du jour où elles reçoivent.
à la requête de la partie la plus diligente, l'agrément du secrétariat d'Etat à la Jeunesse, aux
Sports et aux Affaires sociales…» ;

- Le Chapitre III est, pour sa part, consacré aux « Conventions collectives


d’établissement ». L’article 44 précise à cet égard que, sauf dérogation prévue par
arrêté du Ministre chargé des affaires sociales, de telles conventions collectives
concernant un établissement ou un groupe d'établissements ne peuvent être
conclues « …que lorsqu'une convention collective agréée est déjà applicable à
l'établissement ou au groupe d'établissements considérés ». Le même article ajoute que
« Les conventions collectives d'établissements ne peuvent contenir des dispositions moins
favorables pour les travailleurs que celles des conventions collectives agréées qui sont
applicables aux établissements ».

165. Mais à l’instar du système français qui constitue, historiquement, sa première


source, le droit tunisien reste marqué par l’absence de tout cadre juridique
définissant le processus de la négociation, ses différentes étapes, les devoirs et
obligations respectives des parties, etc. On a alors l’impression que le législateur
tunisien s’intéresse plus au produit de la négociation - la convention collective
sectorielle ou d’établissement- qu’à la négociation collective elle-même.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


67

Le système tunisien reste, en même temps, marqué par une prééminence du rôle de
l’Etat dans la production de normes du travail bénéficiant d’un statut
hiérarchiquement supérieur (1), reléguant à un rôle secondaire la négociation
collective, elle-même par ailleurs fortement centralisée. Cela a, pour conséquence,
notamment, un éclatement de la politique des salaires, ainsi que des conséquences
négatives au double plan économique et social (2).
L’autre difficulté du système tunisien des relations professionnelles est son incapacité
à endiguer les conflits sociaux, y compris notamment la grève (3).

(1) Prééminence du rôle l’Etat dans la production des normes du travail

166. Un des reproches que l'on fait généralement au droit tunisien du travail est,
nous semble-t-il, le retard qu'il met à saisir le mouvement de l'histoire. S'il a pu, très
tôt, s'adapter à la première étape de l'évolution en dotant la Tunisie d'une
réglementation sociale protectrice de l'homme au travail et résumant les
préoccupations majeures du droit international en ce domaine, il n'a pas encore
véritablement entamé la seconde étape de l’évolution consistant pour l’État à
renoncer de plus en plus à garder le monopole de la production des normes et à
confier l’essentiel à l’action conjointe des partenaires sociaux dans le sens de
l’aménagement d’un droit professionnel trouvant son expression dans les
conventions collectives du travail. Le système tunisien a, en particulier, maintenu la
même configuration d’un système fortement hiérarchisé, donnant la toute primauté
à l’action de l’Etat et reléguant la négociation collective à un rang inférieur. Le
système est, en même temps, fortement imprégné de l’idée de l’ordre public social et
du principe de faveur, imposant une hiérarchie des sources précise et très figée.
- Au sommet, il y a le code du travail, qui se présente impératif jusqu’à ses moindres
détails, auquel les conventions collectives ne sauraient déroger que dans un sens plus
favorable aux travailleurs ;
- Les conventions collectives, elles-mêmes, sont organisées selon la même
hiérarchisation. Le toujours plus social est la règle absolue : la Convention collective
cadre (CCC), signée à Tunis le 20 mars 1973, rappelle à cet égard dans son préambule
que « Les dispositions des conventions particulières ne peuvent être moins favorables que
celles de la convention cadre… ».

167. L’autre difficulté est liée au rôle déterminant reconnu au gouvernement dans le
déclenchement et le déroulement de tout le processus de la négociation. Certes, on
distingue habituellement et avec beaucoup d’artifices, nous semble-t-il, entre deux

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


68

périodes présentées comme différentes : celle se situant avant 1973, marquée par la
toute prééminence de l’Etat en la matière suite à l’interdiction de toute négociation
sur les salaires - L’Etat opérait alors seul par voie réglementaire après avis de
commissions de salaires, locales et centrales - et, celle amorcée depuis 1973 suite au
dégel de la négociation sur les salaires et à la suppression de l’article 51 du Code du
travail et réservant, depuis, une part importante à la négociation collective sur les
salaires, substituant ainsi les conventions collectives aux règlements sectoriels de
salaires.
168. Cette présentation doit pourtant être nuancée en ce qu’elle ne permet pas de
rendre compte de l’évolution réelle de la politique des salaires. Le bouleversement
introduit en 1973 n’est en réalité qu’apparent et une analyse juridique substantielle
permet de révéler une certaine continuité dans le rôle central de l’Etat.

(2) Eclatement de la politique des salaires

169. La politique de la négociation collective n’a pas réalisé suffisamment ses


objectifs économiques et sociaux et a même abouti à un éclatement inéluctable de la
politique des salaires et une pression accentuée sur l’Etat, ainsi amené à varier ses
décisions au gré de la conjoncture, ce qui est de nature à engendrer des
conséquences négatives au double plan économique (a) et social (b).

(a) Au plan économique

170. La centralisation de la révision des salaires et son uniformisation quasi-totale ont


marqué une nette déviation par rapport à certains principes essentiels, notamment la
capacité de l’entreprise et l’amélioration de la productivité. Cela engendre, en
particulier, des distorsions sensibles et affecte la capacité de paiement de certains
secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et des petites entreprises. Il devient alors
difficile d’éviter l’institution de pratiques économiques malsaines, où certaines
entreprises ne peuvent survivre qu’en sous payant leur personnel.

(b) Au plan social

171. il est incontestable que les conventions collectives n’ont pas pu réaliser leur
portée sociale consistant en une conception dynamique d’une participation
effectivement garantie des travailleurs à la vie de l’entreprise, à ses réalités et à ses
résultats économiques. La forte centralisation de la négociation collective et la nette
prééminence du gouvernement en ce domaine ont transformé les conventions

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


69

collectives en un acte ressenti par les partenaires sociaux de l’entreprise comme


relevant des prérogatives du gouvernement à tel point que l’on pourrait l’insérer,
sans grands artifices, dans la liste des actes réglementaires classiques70.

(3) Incapacité à endiguer les conflits sociaux, y compris notamment la grève

172. L’autre difficulté du système tunisien des relations professionnelles est sa


difficulté à endiguer les conflits sociaux. Le Code du travail prend, certes, le soin
d’organiser l’exercice du droit de grève et du lock-out, en posant en particulier que
« Toute décision de grève ou de lock-out doit être précédée d'un préavis de 10 jours, adressé
par la partie intéressée à l'autre partie et au bureau régional de conciliation ou, à défaut, à
l'inspection régionale du travail territorialement compétente…En outre, la grève, ou le lock-
out, doit être approuvé par la centrale syndicale ouvrière ou par l'organisation centrale des
employeurs ». Ces dispositions, assorties de sanctions civiles et pénales, restent
pourtant insuffisantes à instaurer une paix sociale, tant il est vrai, en Tunisie comme
ailleurs, que la capacité d’un système de relations professionnelles à infléchir le
comportement des acteurs ne se déduit pas de sa configuration formelle que de
l’usage que font les acteurs du dialogue social des moyens de lutte et de pression
utilisés sur le terrain. La Constitution du 27 Janvier 2014 viendra consacrer cet état
des choses, en élevant le droit de grève au rang d’un droit constitutionnel absolu. En
effet, aux termes de l’article 36 de la Constitution, « Le droit syndical est garanti, y
compris le droit de grève …». La seule restriction apportée à ce droit est qu’il ne
s’applique pas à l’Armée nationale ni aux forces de sécurité intérieure et aux
douanes. Aucune autre restriction n’est apportée expressément à ce droit.
173. Ces dispositions, convient-il de le mentionner, vont au-delà des garanties
apportées en droit comparé. Il n’est pas d’usage qu’une constitution consacre une
conception absolutiste du droit de grève, ainsi élevé par la Constitution Tunisienne au
rang d’un droit quasiment inviolable et sacré, bénéficiant d’une vénération quasi-
religieuse ! Même les instruments internationaux de référence, auxquels il est si
souvent fait référence, de façon erronée, ne confèrent pas au droit de grève autant
de latitude !
- Ainsi en est-il du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, qui reconnait expressément, à l’article 8 71, le droit syndical, y compris, le

70
Cf. pour plus de détails, Hatem KOTRANE, les Instruments juridiques de la politique des
salaires : évolution et perspectives, in Revue Tunisienne de Droit Social, 1987, p.153.
71
Article 8 du Pacte: « 1. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à assurer :

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


70

droit de grève en apportant la précision suivante « …d) Le droit de grève, exercé


conformément aux lois de chaque pays…» ;
- Ainsi en est-il, également, et bien avant l’adoption du Pacte international précité, de
la Convention (n° 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit
syndical (1948). Cette Convention, qui fait partie, ainsi qu’il a été rappelé en
introduction72, des huit (8) conventions se rapportant aux principes et droits
fondamentaux de l’homme au travail, ne fait quant à elle aucune mention expresse
au droit de grève. Elle affirme, en revanche, le droit des organisations de travailleurs
et d’employeurs : « …de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des
employeurs » (art. 10), «…d’organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur
programme d’action» (art. 3.1).

174. Sur la base de ces dispositions, deux organes du système de contrôle, le Comité
de la liberté syndicale (depuis 1952) et la Commission d’experts pour l’application des
conventions et recommandations (depuis 1959), ont réaffirmé, à maintes reprises,
que le droit de grève était un droit fondamental des travailleurs et de leurs
organisations et en ont défini le champ, élaborant à ce sujet un ensemble de

a) Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au
syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation intéressée, en
vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L'exercice de ce droit ne
peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de
l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui.
b) Le droit qu'ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et
le droit qu'ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s'y
affilier.
c) Le droit qu'ont les syndicats d'exercer librement leur activité, sans limitations autres que
celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les
droits et les libertés d'autrui.
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ces
droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention de 1948
de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du
droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte -- ou d'appliquer la loi de
façon à porter atteinte -- aux garanties prévues dans ladite convention ».
72
Supra, para. 5.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


71

principes et une vaste jurisprudence (au sens large) qui précisent la portée des
normes de la convention73.
175. Regardant la grève comme un droit et non pas simplement comme un fait social,
le Comité de la liberté syndicale précisera au fil des ans une série de points :
- Le droit de grève est un droit dont doivent jouir les organisations de travailleurs
(syndicats, fédérations, confédérations) ;
- La grève doit avoir pour but de promouvoir et de défendre les intérêts économiques
et sociaux des travailleurs. Cette règle exclut les grèves purement politiques du
champ de la protection internationale devant l’OIT sans donner d’indications directes
sur la légitimité des grèves de solidarité, lesquelles ne sauraient cependant faire
l’objet d’une interdiction absolue ;
- L’exercice légitime du droit de grève ne saurait entraîner de sanctions d’aucune
sorte, lesquelles seraient assimilables à des actes de discrimination antisyndicale ;
- Les catégories de travailleurs susceptibles d’être privées de ce droit et les
restrictions susceptibles d’être mises à son exercice par la loi ne peuvent être que
limitées.
176. S’agissant du secteur public et de la fonction publique, la convention n° 87
garantit la liberté syndicale. Il a été admis, toutefois, que «la reconnaissance du droit
syndical des agents publics ne préjuge [ait] en rien la question du droit de grève des
fonctionnaires, question qui [était] entièrement hors de cause »74. Ce point a été pris en
compte par le Comité de la liberté syndicale et par la commission d’experts, qui
considèrent en contrepartie que les fonctionnaires, s’ils ne jouissent pas du droit de
grève, doivent bénéficier de garanties appropriées pour la défense de leurs intérêts,
telles que des procédures de conciliation et d’arbitrage impartiales et rapides
auxquelles ils soient associés à toutes les étapes et qui débouchent sur des décisions
obligatoires pour les deux parties et destinées à être appliquées entièrement et sans
délai.

73
Ces principes ont trouvé une expression très complète dans l’étude d’ensemble sur la
liberté syndicale et la négociation collective effectuée par la commission d’experts en 1994
et dans le recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale.
74
BIT, 1947, p. 112.
- Quant à la Convention (no 151) de l’OIT, également ratifiée par la Tunisie le 11 février 2014
sur les relations de travail dans la fonction publique, elle ne mentionne pas, alors même
qu’elle traite du règlement des différends, l’éventuel droit de grève des agents publics.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


72

177. Quant aux fonctionnaires à qui le droit de grève peut être refusé le cas échéant,
pour la Commission d’experts et pour le Comité de la liberté syndicale, seuls peuvent
être éventuellement privés du droit de grève «les fonctionnaires qui exercent des
fonctions d’autorité au nom de l’Etat»75.

Comme il ressort de cette définition, le critère à retenir n’est pas la législation


applicable au personnel considéré (le statut de la fonction publique), mais la nature
des fonctions.
178. L’Etat pourra ainsi restreindre le droit de grève des fonctionnaires des ministères
ou des départements comparables ou celui des fonctionnaires du pouvoir judiciaire,
voire leur interdire la grève76, sans qu’il en aille de même pour le personnel des
entreprises publiques, par exemple.
Le Comité de la liberté syndicale a été amené à désigner expressément, dans les
affaires dont il a été saisi, certaines catégories qui ne peuvent être considérées
comme exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat. Ce sont, par exemple, les
employés publics des entreprises commerciales ou industrielles de l’Etat 77, les
travailleurs des entreprises pétrolières, les employés des établissements bancaires,
les agents des transports métropolitains, le personnel de l’enseignement et, de façon
générale, le personnel des sociétés ou entreprises publiques78.
179. Nous mesurons, dans ces conditions, à quels points la Constitution tunisienne
est allée au-delà de tous les instruments internationaux de référence. Certes, l’article
49 prend le soin de prévoir, relativement aux différents droits et libertés énoncés et
garantis dans le Chapitre II de la Constitution (articles 21 à 49), que la loi peut y
apporter des restrictions. Mais il est tout de suite précisé que ces restrictions ne
sauraient porter atteinte à leur essence et qu’elles « ne peuvent être décidées qu’en cas
de nécessité exigée par un Etat civil et démocratique et dans l’objectif de protéger les droits
d’autrui, la sécurité publique, la défense nationale, la santé publique ou la morale publique,
en respectant le principe de la proportionnalité des restrictions à l’objectif recherché … ».

180. Les restrictions pouvant ainsi être apportées par la loi ne nous paraissent pas, en
tout cas, de nature à être étendues à des fonctionnaires non expressément visés par

75
Recueil, para. 534; Voir aussi para. 492.
76
Ibid., paras. 537 et 538.
77
Ibid., para. 532.
78
BIT, 1984a, 233e rapport, para. 668; BIT, 1983a, 226e rapport, para. 343.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


73

l’article 29, précité, ni à exiger, surtout, que la grève soit légitime et ait pour but de
promouvoir et de défendre les intérêts économiques et sociaux des travailleurs ou
qu’elle soit exercée dans le cadre des procédures définies par la loi ! Seule la
restriction concernant les services essentiels pourrait, à la limite, satisfaire aux
exigences entourant les restrictions aux droits et libertés, telles que définies par
l’article 49 de la Constitution, précité, dès lors que l'interruption du travail, dans le
service essentiel, « …mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des personnes dans
l'ensemble ou dans une partie de la population » (Art. 381 ter du CT).

181. Le doute est, par contre, permis et amène à se demander, dans ces conditions, si
les exigences légales entourant l’exercice du droit de grève, telles que définies par les
articles 376 à 390 du CT, demeurent, en l’état, opératoires et si elles ne sont pas
rendues anticonstitutionnelles, notamment les dispositions exigeant que toute
décision de grève soit précédée d'un préavis de 10 jours adressée au bureau régional
ou central – selon les cas – de conciliation ou à l’inspection du travail, qu’elle soit
approuvée par la centrale syndicale et qu’elle soit soumise, au préalable, aux
commissions de conciliation – régionale ou centrale, selon les cas – et aux conseils
d'arbitrage dans les conditions de délai et de forme définies par le Code du travail. Et
que dire de la qualification de la grève comme étant illicite par suite du non-respect
des procédures préalables et des conséquences y attachées, à savoir la rupture des
relations du travail (article 387 du Code du travail), sans égard aux sanctions pénales
privatives de liberté pour quiconque aura incité à la poursuite de la grève illégale,
sanctions singulièrement aggravées en cas de récidive, d’occupation des lieux du
travail, d’utilisation des machines, appareils ou instruments appartenant à
l'entreprise, à des fins autres que celles pour lesquels ils sont destinés, de
détérioration ou de tentative de détérioration des objets, machines, matières,
marchandises, appareils ou instruments appartenant à l'entreprise (article 388 du
Code du travail), ou encore les sanctions pénales prévues pour quiconque n'aura pas
déféré aux mesures de réquisition ordonnées dans les cas où la grève est de nature à
porter atteinte au fonctionnement normal d'un service essentiel (article 389 et 390
du CT) ?
182. Dans son rapport de 2013, la Commission d’Experts pour l’application des
conventions et recommandations de l’OIT « …rappelle à juste titre, à cet égard,
qu’elle formule depuis de nombreuses années des commentaires relatifs à certaines
restrictions à l’exercice du droit de grève, notamment: approbation de la centrale
syndicale pour déclencher la grève (art. 376bis, alinéa 2, du Code du travail), mention
obligatoire de la durée de la grève dans le préavis (art. 376ter du Code du travail),

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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détermination de la liste des services essentiels par décret (art. 381ter du Code du
travail) et possibilité d’imposer des sanctions pénales en cas de grève illégale (art. 387
et 388 du Code du travail)… La commission prie le gouvernement de prendre sans
délai les mesures nécessaires pour modifier ces articles du Code du travail afin de
garantir le respect des principes de la liberté syndicale auxquels elle se réfère depuis
de nombreuses années… »79.

Paragraphe 2ème : RECOMMANDATIONS

183. Des réflexions sont, depuis bien des années, menées en vue d’introduire une
réforme en matière d’endiguement des relations collectives du travail et du dialogue
social. Le nouveau contrat social, signé entre le Gouvernement, l’UTICA et l’UGTT, le
14 janvier 2013 au siège de l’Assemblée nationale constituante, y fait directement
référence en comportant, parmi ses cinq principaux axes, un axe intitulé
«l’institutionnalisation du dialogue social tripartite» et en prévoyant la création d’un
« Conseil national du dialogue social », doté d’une autonomie administrative et
financière garantissant un dialogue actif et permanent entre les trois parties (UGTT,
UTICA et gouvernement) et considéré comme une structure consultative pour
l’ensemble des projets de textes de loi en lien avec les questions de portée sociale.
184. L’institution d’un Conseil national du dialogue social serait, à coup sûr, une étape
importante dans le processus d’endiguement du dialogue social et d’apaisement des
conflits sociaux et viendrait, ainsi, se substituer à la « Commission nationale du
dialogue social » dont la création est prévue par l’article 335 du Code du travail 80 et
qui n’a, à ce jour, pas été mise en place. Doté d’une autonomie et d’une intégrité
suffisantes, au double plan administratif et financier, le Conseil national du dialogue
social pourrait, dans ces conditions, être hissée au rang des hautes autorités
nationales de régulation en ce domaine, offrant un cadre privilégié au dialogue actif

79
Cf. Rapport de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des Conventions et
recommandations, OIT, 2013, p. 206.
80
Article 335 du Code du travail (modifié par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996) : « II est créé
auprès du ministère chargé des Affaires Sociales une commission dénommée "Commission
nationale du dialogue social" chargée d'émettre son avis sur les questions relatives au travail
qui lui sont soumises et notamment celles concernant la législation du travail, les normes
internationales du travail, les salaires, la classification professionnelle, les négociations
collectives et le climat social.
La composition et le fonctionnement de cette commission sont fixés par décret. ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


75

et permanent et un haut lieu de mise en place concertée des axes prioritaires de la


politique sociale, par les avis qu’il serait appelé à émettre, à la demande du
Gouvernement, ou par sa propre initiative, sur toutes les questions relatives au
travail et au déroulement de la négociation collective aux divers échelons, national,
sectoriel et celui de l’entreprise.
Notre opinion est, toutefois, que le Conseil national du dialogue social, une fois
officiellement crée et mis en place, devrait en toute hypothèse rester un haut lieu de
concertation, d’analyse et de propositions regroupant le gouvernement et les
principales organisations représentatives des travailleurs et d’employeurs – en
l’occurrence, l’UGTT et l’UTICA, mais également les autres organisations dotées d’une
représentation suffisante dans des conditions à définir –. Il ne saurait se transformer,
comme il est parfois proposé ici ou là, au risque de perdre toute sa raison d’être, en
un organe de règlement des conflits collectifs survenant dans le cours de la vie sociale
et de ses vicissitudes ou à l’occasion du déroulement des processus de négociation.
C’est dire aussi la nécessité que la réforme du dialogue social aille bien au-delà et
revête la forme d’une révision substantielle du Code du travail comportant, en
particulier, les éléments suivants :
R 9- Activer la création du Conseil national du dialogue social, doté d’une autonomie
administrative et financière, et le hisser au rang des hautes autorités nationales de
régulation dans le domaine social et du travail, offrant un cadre privilégié au
dialogue actif et permanent entre le gouvernement et les organisations
représentatives des travailleurs et d’employeurs en vue de la mise en place
concertée des axes prioritaires de la politique sociale et du travail ;
R 10- Conférer au Conseil national du dialogue social un rôle consultatif large, lui
reconnaissant le pouvoir de donner des avis, à la demande du Gouvernement, ou par
sa propre initiative, sur toutes les questions relatives au travail et au déroulement de
la négociation collective aux divers échelons, national, sectoriel et celui de
l’entreprise ;
R 11- Adopter dans le cadre du Code du travail une approche d’ensemble de la
négociation collective et des relations professionnelles définissant, avec précision :
- les acteurs du dialogue social aux différents niveaux, en réservant une place
prioritaire à la négociation d’entreprise ;
- les différentes étapes de la négociation ;
- les devoirs des parties tout au long du processus de négociation, en établissant un

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


76

devoir de négociation de bonne foi pendant toutes ses étapes.


R12- Reconsidérer le principe de faveur en procédant à une nouvelle articulation
entre les sources légales et les sources conventionnelles, d’une part, et entre les
accords collectifs entre eux d’autre part, et ce, en appliquant les règles suivantes :
- Autoriser expressément que les conventions collectives, à quelque niveau qu’elles
se situent – y compris la convention d’établissement (ou convention d’entreprise) -,
si elles ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public du droit du travail,
pourraient par contre contenir des dispositions dérogatoires à la loi si celles-ci sont
permises par ladite loi ;
- Garantir une adaptation des accords sectoriels aux réalités des entreprises, et ce,
en autorisant expressément que les accords d'entreprise puissent comporter des
clauses salariales dérogeant aux stipulations salariales sous réserve de respecter
l'augmentation de la masse salariale totale et les salaires minima hiérarchiques ;
- Convenir que l'accord de niveau inférieur puisse comporter des dispositions moins
favorables que l'accord de niveau supérieur à condition que ce dernier ne l'interdise
pas expressément ;
R 13- Procéder à la création, dans les principales concentrations économiques, de
tribunaux qui, en parallèle avec les conseils de prud’hommes, seraient spécialisés
dans les relations collectives du travail et veilleraient, à la demande de l’une ou
l’autre des deux parties, à lever les difficultés entravant le cours normal des
négociations et les conflits qui les accompagnent. Ce serait là, à coup sûr, un
instrument idéal d’apaisement des tensions sociales permettant de les dégager de
l’emprise directe du politique en les confiant à leur juge naturel ;
R 14- Redéfinir le droit de grève, de façon conforme aux dispositions de l’article 36
de la Constitution du 27 janvier 2014 et aux recommandations de la Commission
d’experts de l’OIT pour l’application des Conventions et recommandations, en
veillant en particulier à lever les restrictions à l’exercice du droit de grève, y compris
notamment la possibilité d’imposer des sanctions pénales en cas de grève illégale
(art. 387 et 388 du Code du travail) et en engageant un débat responsable, au terme
duquel, les partenaires s'engagent à s'abstenir de toute action collective portant sur
les matières régies par les accords collectifs pendant toute la durée de validité de ces
accords et en instaurant un devoir de paix sociale englobant l'obligation expresse
d'épuiser toutes les possibilités de négociation avant de recourir à la grève ;
R 15- Définir une meilleure politique concertée des salaires, ayant pour finalité une
plus grande rigueur en conjuguant les différentes méthodes à même d’assurer un

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


77

équilibre entre les impératifs du développement économique et les nécessités de


sauvegarder la dynamique sociale relevant de l’action des partenaires sociaux.
Trois méthodes peuvent, sur ce point, être conjuguées : l’incantation, l’exemple de
l’Etat et les incitations des entreprises.
• L’incantation
Elle consiste, pour l’Etat, à indiquer de manière plus ou moins précise et selon des
formes qui varient dans le temps ses objectifs chiffrés en matière d’évolution
salariale. Des normes, présentées comme ayant une simple valeur indicative,
peuvent figurer dans les discours des membres du gouvernement devant les
parterres les plus variés ou dans des recommandations adressées aux partenaires
sociaux.
Cette méthode a un avantage : sans prendre des mesures normatives obligatoires,
un gouvernement pourrait, en affichant simplement un objectif chiffré, obtenir des
en concertation avec les partenaires sociaux des résultats non négligeables.
Cette méthode présente, cependant, des inconvénients. L’alignement sur une
orientation générale méconnait, en particulier, les réalités et possibilités des
entreprises qui sont, sans doute, différentes selon leur situation et leur productivité.
Or, plus que jamais, la diversification des réactions d’une entreprise à une autre, doit
être considérée comme l’un des moyens les plus sûrs d’une politique dynamique des
salaires.
• L’exemple de l’Etat
Il s’agit pour l’Etat, responsable au premier chef de la politique salariale dans le
secteur public et parapublic, de conduire là où il gouverne directement une politique
harmonieuse et exemplaire, qui puisse servir d’instrument de démonstration de ses
propres objectifs pour le secteur privé. La politique de rigueur salariale ne serait en
d’autres termes crédible que si l’Etat arrivait à l’appliquer d’abord aux agents qui
dépendent directement de lui.
Or, une telle rigueur n’est pas toujours facile à atteindre. L’arbitrage du
gouvernement se heurte bien vite à des résistances syndicales qui sont d’autant plus
fortes que la valeur exemplaire des décisions litigieuses est plus grande.
Cette méthode de l’exemplarité du secteur public devrait, par ailleurs, éviter le
risque de conduire l’Etat, recherchant une rigueur extrême, à recourir à des
décisions unilatérales et à mettre en échec l’axe relatif à « l’institutionnalisation du
dialogue social tripartite », composante essentielle du nouveau contrat social, signé

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


78

entre le Gouvernement, l’UTICA et l’UGTT le 14 janvier 2013.


• Les incitations des entreprises
C’est le troisième groupe de méthodes : il a pour finalité d’inciter les entreprises,
d’une façon directe ou indirecte, à suivre les recommandations définies, de façon
tripartite, dans le cadre du Conseil national du dialogue social.
- Le moyen le plus directe consiste dans le blocage pur et simple des salaires.
C’est un moyen sûr mais assez contestable, car il fige les disparités interentreprises
et ne tient pas compte de la dynamique sociale et des nécessaires promotions ou
mutations. Il ignore, par ailleurs, que la croissance économique supporte mal le
« blocage » dans toutes ses formes, méthode décourageante par excellence. Enfin,
la modération recherchée peut être détruite, dès la sortie du blocage, par
l’expression véhémente de revendications.
- Une autre méthode, indirecte et moins rigide, peut consister à contrôler les
politiques des salaires en amenant les entreprises à se conformer à la politique
salariale de l’Etat en liant leur marge de manœuvre en matière salariale à une
nécessaire augmentation de la productivité. Cette nécessaire liaison au lieu de
prendre la forme de règles impératives et formelles, serait alors la conséquence
immanente de la politique menée par l’Etat en matière de prix. Il s’agit d’une
politique autoritaire des salaires qui ne dit pas son nom. La politique fiscale peut
d’ailleurs, autant que la politique des prix, permettre de contrôler les politiques des
salaires.
Aucune de ces méthodes n’est à elle seule tout à fait satisfaisante. L’Etat est alors
conduit à les conjuguer, à faire des dosages variés afin de rechercher un équilibre,
lui-même variant dans le temps, entre les impératifs de la politique économique et
les nécessités de sauvegarder la dynamique sociale relevant de l’action des
partenaires sociaux.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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2ème AXE : MIEUX ASSEOIR LA PRESENCE SYNDICALE ET LES MECANISMES DE


REPRESENTATION DES TRAVAILLEURS AU SEIN DE L’ENTREPRISE

Paragraphe 1er- ANALYSE DE LA SITUATION

(A) Enseignements du droit comparé

185. Promouvoir la participation et l’intégration des travailleurs à la vie de


l’entreprise est, aujourd’hui, une orientation incontournable de toute politique
sociale concertée, seule en mesure de favoriser la paix et la cohésion sociales,
condition majeure du développement de l’entreprise et de l’ensemble de ses
composantes.
186. Au niveau de l'entreprise, la participation des salariés tend ainsi à y transposer la
notion de "citoyenneté". Le salarié, dit-on, doit posséder dans l'entreprise les droits
du citoyen au niveau de la société : il doit pouvoir exercer, outre sa liberté
individuelle, ses libertés publiques : « Dans l'entreprise, siège d'un pouvoir privé qui
demeure fort, les droits individuels resteraient lettre morte sans les droits collectifs reconnus
aux salariés. Le mandat collectif ou syndical des représentants élus ou désignés en constitue
un mode d'exercice effectif. Le droit de représentation des travailleurs récapitule dans
l'entreprise les libertés et droits fondamentaux du citoyen en général, lesquels, sans ce
complément et ce prolongement collectif, seraient tenus en lisière"81.

Tout cela est bien dit ! C'est la délégation, procédure essentielle des droits politiques,
qui résume dans l'entreprise les droits fondamentaux du citoyen travailleur et les
organes élus, à l'instar d'un parlement, les représentent et les exercent.
187. Cette explication, pour séduisante qu'elle soit sur le plan idéologique, ne peut
pourtant emporter tout à fait la conviction. En effet, si l'entreprise est bien un groupe
social au sein duquel existent des rapports de pouvoirs, cela ne justifie pas pour
autant son assimilation à la société politique, ni la transposition en son sein des
techniques utilisées en vue de donner au pouvoir un caractère plus
démocratique : "Alors que la société politique est une société nécessaire, groupant des
personnes qui ne l'ont pas choisie et qui ne sont pas libres de la quitter, les salariés ne
participent à l'entreprise qu'en raison d'une décision volontaire et peuvent, à tout moment,
décider de la quitter ou s'en trouver écartés contre leur gré. Cela confirme par conséquent
que le pouvoir dans l'entreprise ne peut émaner des seuls travailleurs considérés comme les

81
Jean Maurice VERDIER, Les réformes et le droit syndical, Revue de Droit Social, avril 1982.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


80

citoyens de l'entreprise et que la démocratisation de l'entreprise ne peut se réaliser


complètement sur le modèle de la société politique"82.

188. Ainsi placée dans ses justes dimensions, la notion de participation et de dialogue
social tend, dans la plupart des pays qui prêtent à comparaison, non pas à contester
le pouvoir patronal, mais à l'équilibrer par des contre-pouvoirs reconnus à des
organes de représentation des travailleurs destinés à assurer l'intégration des
travailleurs à la vie de l'entreprise.
189. Instrument réel de participation des travailleurs à la vie de l’entreprise, ces
formes représentatives du personnel sont perçues, dans la plupart des expériences
comparées, comme des organes de contrôle et, surtout, de coopération avec le
pouvoir patronal par l’obligation continue que leur impose la loi de rester en paix
(interdiction permanente et absolue de recours à la grève).
190. Le droit comparé enseigne, cependant, que la portée de l’institution, sa réussite
ou son échec, dépendent essentiellement de l’étendue des pouvoirs qui lui sont
attribués. Aucune institution de ce genre ne peut fonctionner normalement sans des
contre-pouvoirs réels conférés aux travailleurs : depuis le simple droit à l’information
ou à la transmission des réclamations jusqu’au transfert aux travailleurs, dans
certains domaines, de pouvoirs de décision qui étaient exercés par l’employeur.
L’expérience comparée montre, également, que toute ces prérogatives sont
tributaires de leurs définitions sous forme d’obligations précises par la loi et
sanctionnées par les tribunaux.

(1) Les conseils d’établissement en Allemagne

191. Le système allemand constitue, à cet égard, un exemple en conférant de larges


pouvoirs, dans l’établissement, aux conseils d’établissement (Betriebsräte, BR). Elus
(tous les quatre ans) par l’ensemble des salariés, les BR sont formellement
autonomes des syndicats. Les élus disposent d’un simple droit d’information en
matière économique. Mais la loi leur reconnaît d’importants moyens en matière de
détermination de la vie quotidienne au travail. Les Betriebsräte ont un droit de regard
sur les embauches, les licenciements et mutations ; ils sont codécideurs en matière
d’organisation des horaires, de systèmes de rémunération, de formation

82
Jean SAVATIER, Droit patrimonial et direction des personnes, Revue de Droit Social,
1982.p.3.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


81

professionnelle. Les heures supplémentaires nécessitent autant leur approbation


formelle que la rédaction du règlement intérieur. L’employeur ne peut édicter un
plan social auquel l’accord du BR ferait défaut. Le droit de grève toutefois est refusé
aux délégués d’établissement. En cas de conflit, une commission de conciliation est
formée dont l’arbitrage s’impose aux deux parties83.

(2) Autres exemples : les conseils d’entreprises en Belgique et les comités


d’entreprise en France

192. Contrairement aux conseils d’entreprise en Allemagne, qui sont des organes de
représentation exclusive des travailleurs, d’autres systèmes ont choisi des systèmes
de représentation à composition bipartite, comme les conseils d’entreprise en
Belgique (a) ou même tripartite, comme les comités d’entreprise en France (b).

(a) Les conseils d'entreprise en Belgique

193. La loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l'économie, telle que


modifiée par la loi du 4 décembre 2007, prévoit l'institution de conseils d'entreprise
dans toutes les entreprises qui occupent 100 travailleurs et son renouvellement dans
toutes les entreprises qui occupent 50 travailleurs.
194. Le conseil d'entreprise belge est une formation bipartite et se compose de
représentants des travailleurs élus lors des élections sociales et de représentants de
la direction, désignés par l'employeur dont le nombre ne peut pas être supérieur à
celui des travailleurs. Le conseil d'entreprise est présidé par l'employeur ou par un de
ses représentants alors que le secrétariat est assuré par un représentant des
travailleurs.
195. Les missions du conseil d'entreprise sont diverses et comprennent, outre
l’élaboration ou la modification du règlement de travail en vigueur dans l'entreprise,
de larges prérogatives touchant au fonctionnement de l'entreprise. Le Conseil
d’entreprise est habilité, à cet égard, à :
- donner des avis et formuler des suggestions de nature à améliorer le
fonctionnement de l’entreprise et à assurer le respect des lois et règlements qui
protègent les travailleurs ;

83
Christian DUFOUR et Adelheid HEGE, op.cit. p. 17 .

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


82

- recevoir des informations sur la situation économique de l'entreprise (carnet de


commande, perspectives économiques, effectifs...), de façon à lui permettre de
formuler des avis, des suggestions ou des objections.

(b) Les comités d'entreprise en France

196. Le comité d'entreprise et les comités d'établissement ont été institués en France
par l'ordonnance du 22 février 1945 et la loi du 16 mai 1946, et ce, dans toutes les
entreprises de 50 salariés et plus. En dessous de cet effectif, le comité d’entreprise
n’est pas obligatoire. Ses attributions seront alors exercées par les délégués du
personnel dont l'élection est obligatoire pour les entreprises de 11 salariés et plus.
197. La composition du comité d'entreprise est tripartite, comprenant :
- le chef d’entreprise – ou son représentant –, qui occupe de droit la place de
président du comité d'entreprise. Il fixe l'ordre du jour avec le secrétaire du comité
d'entreprise et convoque nominativement ses membres ;
- les représentants du personnel, titulaires et suppléants, élus par les salariés ;
- les représentants des syndicats, en l’occurrence un délégué syndical lorsque
l'entreprise ne dépasse pas 300 salariés, ou un représentant par syndicat si
l'entreprise dépasse les 300 salariés.
198. Le comité d'entreprise possède des attributions diverses sur le plan économique
et social touchant à l’organisation et à la marche de l'entreprise, aux conditions de
travail, à la formation du personnel et à l’apprentissage.
199. Le Code du travail lui confère surtout un droit d’information obligatoire
et impose à l'employeur de lui communiquer un certain nombre de documents
concernant l'entreprise. L'article L2323-7 impose par exemple à l'employeur de lui
communiquer une documentation économique et financière un mois après son
élection. Certaines informations prévues par le Code du travail doivent être
communiquées de façon périodique. C'est le cas, entre autres, de celles portant sur
l'évolution générale des commandes et de la situation financière de l'entreprise qui
doivent être communiquées chaque trimestre (article L2323-46 du Code du travail).
200. Le Code du travail lui confère, également, un droit de consultation obligatoire
et impose parfois à l'employeur de le consulter avant la prise de certaines décisions.
La consultation du comité d’entreprise est, par exemple, nécessaire en cas de
mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du
travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle. Lorsqu'une

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


83

consultation du comité d’entreprise s'impose, l'employeur doit lui fournir des


informations écrites concernant la décision envisagée afin de permettre au comité de
formuler un avis motivé.
201. Le comité d'entreprise dispose, par ailleurs, d'un droit d'alerte en matière
économique. Lorsqu'il a connaissance de faits de nature à affecter de manière
préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à
l'employeur de lui fournir des explications dans les conditions prévues par le Code du
travail.

(B) Etat du droit tunisien : cadre juridique laconique

(1) Limites du rôle attribué aux organes du dialogue social dans l’entreprise

202. Dans le sillage de l’évolution du droit comparé de la représentation des


travailleurs dans l’entreprise, le droit du travail tunisien a connu les expériences du
comité d’entreprise et, depuis 1973, des commissions paritaires consultatives. De
telles expériences ont eu une portée toute timide. La loi du 21 février 1994, portant
révision de certaines dispositions du Code du travail, a fusionné utilement ces deux
institutions en un organe unique : la commission consultative d’entreprise (CCE).
La loi est, sans doute, d’un apport intéressant sur un certain nombre de questions. On
citera, notamment, l’élargissement des interventions de la CCE dans les domaines
sociaux : sa consultation sur les questions relatives à l’organisation du travail dans
l’entreprise, les questions se rapportant aux œuvres sociales, les programmes relatifs
à l’apprentissage et à la formation professionnelle, son intervention également par
voie d’avis sur les questions intéressant la carrière du personnel (promotion et
reclassement professionnel), son intervention, par ailleurs, en tant que conseil de
discipline avec, faut-il le rappeler, un rôle essentiellement consultatif (article 160)
(nouveau) du Code du travail, son implication directe, enfin, dans les questions
relatives à la santé et à la sécurité au travail, où elle s’érige en « un comité de santé et
de sécurité au travail » auquel la loi confie notamment la responsabilité d’élaborer les
projets de règlements et de prescriptions en ce domaine, d’assurer les tâches
d’information, de sensibilisation et de formation nécessaires et de proposer les
mesures de prévention des risques professionnels au sein de l’entreprise (article 161
(nouveau) du Code du travail).
203. Pourtant, la réforme introduite par la loi n°94-29 du 21 février 1994 reste en
substance lacunaire. Cela ne tient nullement, nous semble-t-il, au choix du
paritarisme qui semble avoir emporté l’adhésion du législateur. Il n’est pas nécessaire

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


84

pour un bon fonctionnement d’un comité d’entreprise qu’il soit à formation


homogène groupant les seuls travailleurs, à l’instar du comité allemand ou du comité
d’entreprise tunisien dans la formule désuète consacrée par la législation d’avant le
réforme de 1994, précitée.
Ainsi qu’il a été brièvement exposé précédemment, le droit comparé offre des
exemples relativement réussis de comités d’entreprise régis par le principe du
paritarisme (Belgique) ou même celui de la triple représentation : employeur ou son
représentant, élus du personnel et représentants syndicaux (France).
204. Les lacunes du texte de la réforme de 1994, qui perpétuent dans le contexte
actuel le caractère creux de cette institution, peuvent être ramenées à deux idées
complémentaires :
- La mauvaise formulation du texte et l’imprécision des obligations qu’il édicte ;
- Le caractère par trop timide des prérogatives de la CCE dans le domaine
économique, le texte ne comportant pratiquement aucune prérogative si ce n’est
qu’il invite la CCE à concourir à l’amélioration de la production et de la productivité.
Bien sûr, l’article 161 bis (nouveau) du Code du travail précise, in fine, que
« L’employeur informe la commission de la situation économique et sociale de
l’entreprise et de ses programmes futurs ». Mais ce texte reste, en l’état, assez
lacunaire.

(2) Insuffisance de l’organisation de la présence syndicale dans l’entreprise

205. D’autres insuffisances affectent le système tunisien de la représentation des


travailleurs marqué, notamment, par l’insuffisance de règles organisant la présence
syndicale dans l’entreprise. Les articles 242 à 256, insérés dans un chapitre I (« Les
syndicats professionnels ») du Livre VII du Code du travail (« DISPOSITIONS
SPECIALES »), sont restés inchangés depuis l’adoption du Code en 1966 et se limitent,
à cet égard, à définir les syndicats, leur objet consistant exclusivement en « … l'étude
et la défense des intérêts économiques et sociaux de leurs adhérents » (article 243 du Code
du travail), ainsi que les conditions générales de leur constitution et de leur
dissolution.
La Convention collective cadre, reprise à ce niveau par l’ensemble des conventions
collectives sectorielles, a supplée, en partie, au manque laissé par le législateur en
définissant les modes d’exercice du droit syndical dans l’entreprise :
- L’articles 5 (nouveau), intitulé « Droit syndical et liberté d’opinion », reconnait, en
particulier, la liberté des travailleurs « …d'adhérer à une organisation syndicale

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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légalement constituée », définit les devoirs de l’employeur tenu, notamment, de ne


point prendre en considération, pour arrêter une décision quelle qu'elle soit à l'égard
de tout travailleur y compris le licenciement ou la mutation, « … le fait de son
appartenance ou sa responsabilité syndicale ou l'exercice de ses droits syndicaux légaux …».
En même temps, il est pris soin de préciser les conditions d’exercice du droit syndical
qui « …ne doit, en aucun cas, avoir pour conséquence des actes ou des agissements de
la part de l'une des deux parties dans l'entreprise qui soient contraires aux lois. ». De
même, l'employeur est-il tenu de reconnaître l'organisation syndicale légalement
constituée représentée par ses délégués dans l'entreprise dûment mandatés : « Il
respecte également les attributions légales et légitimes du syndicat qui exerce ses missions
dans le respect des attributions des structures légales représentant le personnel au sein de
l'entreprise…, reçoit sur leur demande les délégués syndicaux de l'entreprise dûment
mandatés, une fois par mois et toutes les fois qu'il y a besoin…
L'employeur s'emploie avec diligence à réserver au syndicat de son entreprise un local
meublé s'il en a les moyens et compte tenu des besoins des services de l'entreprise.
Il met également à sa disposition des tableaux pour les affiches syndicales placés dans les
locaux les plus fréquentés par les travailleurs.
Il est accordé aux responsables syndicaux dans l'entreprise le temps nécessaire à l'exercice de
leurs fonctions et à la participation aux cycles de formation organisés par le syndicat…
Le syndicat de l'entreprise peut, après accord de l'employeur, tenir des réunions générales
avec les travailleurs sur les lieux de travail dans le local convenant aux deux parties. Ces
réunions se tiennent en dehors des heures de travail, sauf accord des deux parties sur des
dispositions contraires... » ;

- L’article 6 (nouveau), définit pour sa part les conditions de réception des


représentants syndicaux en prévoyant, en substance, que « L'employeur reçoit les
représentants des structures de l'organisation syndicale centrale dûment mandatés sur leur
demande. Cette demande qui devra mentionner l'objet de l'entrevue, sera présentée soit
directement soit par l'entremise des responsables syndicaux de l'entreprise qui peuvent être
associés à l'entrevue à la demande de l'organisation. L'employeur fixera la date de l'entrevue.
L'employeur pourra se faire assister d'un représentant de son organisation syndicale ».
206. Les dispositions du droit conventionnel sont certainement d’une utilité certaine.
Elles appellent à être renforcées et précisées dans le Code du travail, en vue
notamment de garantir la stabilité des institutions, des acteurs et des pratiques. La
concurrence syndicale doit, en même temps, être bannie des lieux de travail lesquels
devraient, en toute hypothèse, être organisés selon le principe de l’implantation
syndicale unique « Une entreprise, un syndicat », à l’instar du modèle allemand

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


86

présenté ci-haut84, avec une implantation conférant au syndicat majoritaire le


monopole de représentation syndicale.

Paragraphe 2ème- RECOMMANDATIONS

207. La plupart des analyses portant sur les institutions et mécanismes de


représentation des travailleurs dans l’entreprise s’accordent généralement pour
recommander ce qui suit :
R 16- Garantir la stabilité des institutions, des acteurs et des pratiques de la
représentation syndicale dans l’entreprise en procédant à son organisation précise
dans le code du travail, tout en veillant à bannir la concurrence syndicale des lieux de
travail lesquels devraient, en toute hypothèse, être organisés selon le principe de
l’implantation syndicale unique « Une entreprise, un syndicat », avec une
implantation conférant au syndicat majoritaire le monopole de représentation
syndicale ;
R 17- Définir avec précision les obligations patronales en matière de consultation
des institutions représentatives du personnel, en l’occurrence la CCE, y compris
notamment les délais à observer avant telle ou telle décision à prendre, pour
requérir l’avis de la CCE, le contenu des informations qui lui sont fournies, etc..
R 18- Etendre, surtout, les prérogatives de la CCE dans le domaine économique, en
prévoyant notamment son information détaillée et sa consultation obligatoire sur
toutes les questions intéressant la marche de l’entreprise, y compris – on y reviendra
ci-dessous – sa consultation en matière de licenciement pour motif économique ou
technologique.

84
Cf. supra, para. 148.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


87

3ème PARTIE- RELATIONS INDIVIDUELLES DU TRAVAIL : MODERNISER LE DROIT


DU TRAVAIL ET L’ADAPTER AUX NOUVELLES REALITES DU MONDE DU
TRAVAIL
208. Sans perdre de vue les principes et valeurs qui constituent le fondement de la
politique sociale dans le domaine de la protection de l'homme dans le travail, de la
lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité des chances devant
le travail, la Tunisie doit aujourd’hui relever un nouveau défi, qui interpelle et
associe l’Etat et l'ensemble des partenaires sociaux, celui qu'exprime la volonté
consciente et délibérée de gagner le pari de la relance de l'économie tunisienne,
dont l'entreprise et ses ressources humaines constituent le noyau irréductible.
209. Deux axes de réflexion sont proposés, ci-après, en vue de répondre à la
question centrale posée et de parvenir, ainsi, autant que faire se peut, à
moderniser les relations du travail et à les adapter aux réalités mouvantes du
monde du travail :
- Diversifier les modèles et les réactions et favoriser une plus grande capacité de
mobilité externe du travail (1er Axe) ;
- Assurer l’adaptation des tâches et des compétences et favoriser une plus grande
capacité de mobilité interne du travail (2ème Axe).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


88

1er AXE : DIVERSIFIER LES MODELES ET LES REACTIONS ET FAVORISER UNE


PLUS GRANDE CAPACITE DE MOBILITE EXTERNE DU TRAVAIL

Paragraphe 1er- ANALYSE DE LA SITUATION

(A) Tendances actuelles en droit comparé : l’appel à plus de flexisécurité

210. Le modèle des relations de travail connait une évolution, et ce, par le passage
d’un modèle classique marqué par la stagnation et l'uniformisation des statuts à un
modèle plus actuel impliquant une plus grande capacité de mobilité et d'adaptation
aux besoins mouvants de l’entreprise.

Modèle classique :

211. Il correspondait à une économie tournée vers le marché local, peu ouverte sur
l’extérieur et où les entreprises bénéficient d'avantages stables et d'un quasi-
monopole leur permettant d’échapper aux risques de la concurrence internationale.
Dans ce modèle, l'emploi est stable et protégé. « Ceci correspond à la fois à l'aspiration
du salarié et à l’intérêt de l'employeur. Le salarié reçoit des avantages en fonction de son
ancienneté. L'entreprise souhaite, de son côté, que la main-d'œuvre ne "tourne pas", mais lui
soit fidèle. Les propriétaires de l'entreprise eux-mêmes sont connus et ne changent pas ou
rarement.
Bref ! Stabilité du capital, stabilité du travail font l'entreprise traditionnelle et caractérisent le
plus nettement ce modèle initial »85.

Modèle actuel :

212. Il correspond à une économie qui s'ouvre résolument aux exigences de la


concurrence internationale et au libre échange des produits et des services qui
s'opposent aux formes diverses de protectionnisme et de monopole.
« Dans ce modèle, le capital est mobile, fugace: il s'investit, se désinvestit. Les propriétaires
changent à une cadence plus rapide. Le travailleur salarié, surtout si l'on monte vers le haut

85
Gérard LYON-CEN, « La mobilité vue de haut », Revue de droit social 1989, p.429.
- Cf. également Hatem KOTRANE, « Vers un nouveau droit de la mobilité », Revue Arabe des
Chefs d’Entreprise, 1996.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


89

de l’échelle, est invité lui-même à la mobilité : à changer de lieu de travail ; à passer d'une
filiale à une autre.
Ainsi, mobilité du capital et mobilité du travail vont de pair, même s'il reste, de bien entendu,
qu'il est plus facile de mobiliser l'argent que de déplacer l’homme : ce dernier a des racines,
l'argent non. »86.

213. Toute la réflexion est-elle, dès lors, de savoir comment passer avec le minimum
de difficultés du modèle initial des relations du travail au modèle plus actuel.
Comment aménager la transition ?
214. La réflexion juridique peut contribuer à cette phase de transition au moyen d'un
nouveau droit de l'adaptation et de la mobilité permettant, dans le contexte de la
tertiairisation de l’économie et du développement des formes d'emploi atypiques, de
remettre en cause l’idée traditionnelle selon laquelle le concept de salariat ou de
dépendance correspond ou doit correspondre à un domaine homogène et compact. Il
en est de même de l’idée selon laquelle le droit du travail produit des traitements
uniformes, approche qui a conduit à de nombreux effets pervers et qui a
paradoxalement créé " une inégalité par l’égalité ".
215. Un renouvellement fondamental des modes de représentation et de la doctrine
du droit du travail est en cours dans plusieurs pays et permet d'introduire un point de
vue pluraliste dans les schémas normatifs en vigueur, y compris notamment le Code
du travail.
216. L'espace méthodologique qui serait ainsi créé ouvrirait la voie à un large
mouvement d'adaptation et permettrait d'aboutir, au travers d'une diversification
croissante des règles de protection, à de nouveaux critères d'unification égalitaire.
217. Un examen de quelques expériences comparées permettra de tirer quelques
enseignements à même d’expliquer et d’orienter les solutions en droit tunisien.

(1) Droit français

(a) Prédominance du contrat à durée indéterminée (CDI)

218. En droit français, en dépit d’une certaine tendance à la normalisation du travail


atypique (le contrat à durée déterminée (CDD) par une loi n°72-11 du 3 janvier 1972 ;
le contrat de travail temporaire (CTT) par une loi n°79-11 du 3 janvier 1979), le
principe demeure fortement ancré, ainsi qu’il est prévu par l’article L1221-2 du Code

86
Ibid.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


90

du travail, que « Le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est la forme normale et
générale de la relation de travail… ».

(b) Recours limité au contrat à durée déterminée (CDD)

219. Les cas de recours aux contrats précaires, sous la forme d’un CDD, sont
strictement délimités en droit français. L’article L1242-1 du Code du travail dispose, à
cet égard : « Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir
ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et
permanente de l'entreprise ». L’article L1242-2 du même code dispose, pour sa part,
qu’un tel recours au CDD ne peut avoir lieu que pour l'exécution d'une tâche précise
et temporaire. Ce peut être notamment les cas suivants :
« 1° Remplacement d'un salarié » (par exemple en cas d'absence ou de suspension de
son contrat de travail);
« 2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise » ;
« 3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis
par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de
ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité
exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois » ;
« 6° Recrutement d'ingénieurs et de cadres, au sens des conventions collectives, en vue de la
réalisation d'un objet défini lorsqu'un accord de branche étendu ou, à défaut, un accord
d'entreprise le prévoit et qu'il définit :
a) Les nécessités économiques auxquelles ces contrats sont susceptibles d'apporter une
réponse adaptée ;
b) Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini
bénéficient de garanties relatives à l'aide au reclassement, à la validation des acquis de
l'expérience, à la priorité de réembauche et à l'accès à la formation professionnelle continue
et peuvent, au cours du délai de prévenance, mobiliser les moyens disponibles pour organiser
la suite de leur parcours professionnel ;
c) Les conditions dans lesquelles les salariés sous contrat à durée déterminée à objet défini
ont priorité d'accès aux emplois en contrat à durée indéterminée dans l'entreprise. », etc.

220. L’article L1242-3 ajoute des situations où le recours au CDD est associé à des
formes d’incitation au recrutement « …de certaines catégories de personnes sans
emploi » ou « Lorsque l'employeur s'engage, pour une durée et dans des conditions
déterminées par décret, à assurer un complément de formation professionnelle au salarié. » ;
autant dire une sorte de contrats-relais destinés à des chômeurs de longue durée ou
à des jeunes où le CDD viendrait accompagner des stages de formation.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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(c) Encadrement du recours aux diverses formes de travail triangulaire

221. Le contrat de travail temporaire (CTT), dit aussi contrat de travail intérimaire,
permet à l'entreprise de faire face à divers aléas sans porter atteinte à l'emploi
permanent. Il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et
temporaire, dénommée mission, et seulement dans les cas énumérés par la loi. Il ne
peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à
l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice (article L 1251-5 du Code
du travail).
222. A l’instar du CDD, le recours au contrat de travail temporaire est délimité. Il
peut, notamment, avoir lieu dans les situations suivantes :
- le remplacement d'un salarié soit absent, soit dont le contrat est suspendu, soit
passé provisoirement à temps partiel (pour création d'entreprise ou congé parental
d'éducation, par exemple), soit dont le départ définitif précède la suppression de son
poste de travail ;
- l'attente de l'arrivée effective d'un salarié recruté en contrat à durée indéterminée
(CDI) ;
- l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;
- l'exercice d'un emploi à caractère saisonnier ;
- l'exercice d'un emploi où l'usage exclut le recours au CDI en raison de la nature de
l'activité et du caractère temporaire de l'emploi ;
- la mission vise à favoriser le recrutement de personnes sans emploi rencontrant des
difficultés sociales et professionnelles particulières ;
- l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice s'engagent à assurer un
complément de formation professionnelle au salarié.
223. Le travail temporaire implique, ainsi, une relation triangulaire entre :
- l’entreprise de travail temporaire (ETT) qui recrute et paie le salarié ;
- le salarié temporaire envoyé en mission par l’ETT dans une entreprise ;
- l’entreprise d’accueil (ou entreprise utilisatrice) à qui l’ETT a délégué ses pouvoirs de
direction et de contrôle sur le salarié.
224. Dans un souci de sécurisation des parcours professionnels des intérimaires, un
contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est conclu entre le salarié temporaire et
son employeur, l’entreprise de travail temporaire, pour la réalisation de missions

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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successives. Le CDI ainsi conclu comporte des périodes d’exécution des missions et
peut comporter des périodes sans exécution de missions appelées « périodes
d’intermission ». Chaque mission donne lieu à la conclusion d’un contrat de mise à
disposition entre l’entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit
« entreprise utilisatrice » et à l’établissement, par l’entreprise de travail temporaire,
d’une lettre de mission L’article 56 de la loi du 17 août 2015 présente le détail des
règles applicables à ce « CDI intérimaire » : droit à une garantie minimale mensuelle
de rémunération, contenu du contrat, etc.
225. La rémunération du salarié est au moins égale à celle que percevrait (après
période d'essai) un autre salarié de l'entreprise utilisatrice, de qualification
équivalente et occupant le même poste de travail.
226. Une Indemnité de précarité d’emploi est, par ailleurs, prévue au terme de
chaque mission. Le salarié doit percevoir, en complément de son salaire, une
indemnité de fin de mission au moins égale à 10 % de la rémunération totale brute,
renouvellement du contrat inclus.
227. L'indemnité de précarité n'est cependant pas due dans certains cas, y compris
notamment dans le cadre des périodes passées en stages de formation, en bilan de
compétences ou en action de validation de l'expérience, ou si le contrat de mission
est conclu dans le cadre d'un contrat d'insertion-revenu minimum d'activité (CI-
RMA), ou encore dans le cadre d'emplois saisonniers ou d'emplois pour lesquels il est
d'usage de ne pas faire appel au CDI.

(d) Introduction du portage salarial


228. Nouvelle forme d'emploi atypique, le portage salarial a été reconnu par le Code
du travail français à la faveur de la Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant
modernisation du marché du travail et son article 8 qui crée un article L.1251-64 du
code du travail aux termes duquel : « Le portage salarial est un ensemble de relations
contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des
entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la
rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits
de la personne portée sur son apport de clientèle ».

L'article 8241-1 du code du travail est également modifié pour exclure le portage
salarial du délit de prêt de main-d'œuvre. Les contrats de prestation conclus entre la
société de portage et ses clients sont donc pleinement sécurisés.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


93

229. Le portage salarial consiste-t-il alors en une relation contractuelle tripartite, dans
laquelle le salarié porté, rattaché à une entreprise de portage (également appelée
société de portage), effectue une prestation pour le compte d'entreprises clientes,
consistant à :
- démarcher l'entreprise cliente et négocier le prix et la prestation ;
- fournir une prestation de service à l'entreprise cliente dont la durée ne doit pas
excéder 3 ans ;
- rendre compte de son activité à la société de portage.
230. Le portage salarial implique, ainsi, la conclusion de deux principaux contrats :
- un contrat de prestation de service, de nature commerciale, conclu entre la société
de portage et l'entreprise cliente, pour une durée maximale de 3 ans ;
- un contrat à durée indéterminé (CDI) conclu entre le salarié porté et la société de
portage.
231. Dans sa relation avec l'entreprise cliente, la société de portage :
- n'est pas propriétaire de la clientèle apportée par le salarié porté ;
- facture l'entreprise cliente et encaisse les honoraires (rémunération perçue par une
personne exerçant une profession libérale).
232. Dans sa relation avec le salarié porté, la société de portage :
- établit le contrat de travail du salarié porté et accomplit les formalités qui y sont
liées (embauche, versement des cotisations sociales) ;
- le cas échéant, rédige un avenant au contrat de travail pour chaque nouvelle
prestation de portage (montant de la rémunération, modalité de réalisation, durée
de la prestation) ;
- assure la gestion administrative ;
- contrôle l'activité du salarié porté et lui propose des prestations d'accompagnement
permettant de développer son projet professionnel ;
- rémunère le salarié porté après facturation de l'entreprise cliente 87 ;

87
Suivant le degré d'autonomie du salarié porté, celui-ci peut opter pour une convention
individuelle de forfait :
- soit en heures, dans le limite d'un forfait mensuel (d'une durée maximale de 173 heures
par mois) ou annuel (d'une durée maximale de 1 827 heures par an),

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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- souscrit pour le compte du salarié porté une assurance de responsabilité civile


professionnelle ;
- souscrit une garantie financière pour garantir le paiement du salarié porté et le
versement des cotisations sociales.
233. Certes, le portage salarial est applicable à toutes les entreprises par suite de la
publication au Journal officiel, en juin 2013, de l'arrêté d'extension de l'accord
national professionnel du 24 juin 2010, qui encadre l'activité de portage salarial.
Toutefois, la société de portage doit :
- exercer de manière exclusive l'activité de portage salarial et être répertoriée sous le
code NAF 78.30Z ;
- accepter uniquement des missions de services (expertise dans des domaines tels
que la communication, la finance, les ressources humaines).
234. S’agissant de l’entreprise cliente, celle-ci ne peut recourir au portage salarial que
pour des tâches occasionnelles ou ponctuelles, ne relevant pas de son activité
normale et permanente ou nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas en
interne.

- soit en jours, avec un plafond de 218 jours par année civile, pouvant être porté à 223 jours
à la demande du salarié.
La société de portage facture le coût de la prestation à l'entreprise cliente, sous forme
d'honoraires.
Déduction faite des frais de gestion (commission variant de 5 à 15 % sur le chiffre d'affaires
du porté) et des cotisations sociales, l'entreprise de portage reverse au salarié :
- une rémunération brute minimale hors indemnité de 2 900 € par mois pour un temps plein,
- une indemnité d'apport d'affaires de 5 % (commission couvrant le temps de préparation et
de prospection du client).
En cas de convention de forfait heures, la rémunération liée au forfait doit intégrer les
majorations pour heures supplémentaires.
En début de mois, le salarié porté doit remettre à l'entreprise de portage un relevé auto-
déclaré des heures accomplies au cours du mois précédent, précisant les durées
quotidiennes et hebdomadaires de travail réalisées.
Dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours, la rémunération étant forfaitaire
sur la base de 218 jours, les journées supplémentaires (de la 219e à la 223e journée) doivent
être rémunérées avec une majoration de 50 %.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


95

235. Dans sa relation avec le salarié porté, l'entreprise cliente :


- s'assure des compétences du salarié porté ;
- est responsable des conditions d'exécution du travail et des questions liées à la
santé et à la sécurité sur le site de travail du salarié porté, pendant la durée de la
prestation.
236. Dans sa relation avec la société de portage, l'entreprise cliente :
- verse à l'entreprise de portage, le prix de la prestation de service ;
- informe la société de portage de tout événement qui pourrait avoir un impact sur la
pérennité de la prestation.

(e) Résistance à l’introduction de plus de flexisécurité

237. Au total, le droit du travail reste en France fortement dominé par la préférence
donnée à l’emploi permanent, sous forme de contrat à durée indéterminée et par la
protection des salariés contre le licenciement abusif, opéré sans cause réelle et
sérieuse, ou sans l’existence d’un motif économique.
238. On sait, par ailleurs, les difficultés rencontrées par le projet de réforme de la
« Loi Travail », dite « LOI El KHOMRI », du nom de la ministre du travail. Le projet
prévoit un certains nombre d’assouplissements :
- Admission plus large des cas de licenciement économique et leur extension à la
situation où l’entreprise est confrontée à des « mutations technologiques » ou
doit mener une réorganisation « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. » ;
- Plafonnement des indemnités que le salarié peut réclamer aux prud’hommes en cas
de licenciement « sans cause réelle et sérieuse » en fonction de son ancienneté (de
trois mois de salaire pour un salarié qui a moins de deux ans d’ancienneté à quinze
mois pour un salarié qui est dans l’entreprise depuis plus de vingt ans).

(2) Droit italien

239. En droit italien, la tendance est traditionnellement à l’opposition aux diverses


formes de contrats précaires, y compris les CDD, depuis notamment une loi n°230 du
18 avril 1962.
240. Des tempéraments ont été, progressivement, introduits autorisant le recours au
CDD, hormis les cas classiques – nature saisonnière de l’activité, remplacement de
travailleurs absents, exécution d’un travail à caractère exceptionnel, travaux en

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


96

phases successives nécessitant des ouvriers de qualifications différentes –, dans les


secteurs du spectacle, de la radio et télévision, du transport aérien et des services
d’aéroport.
241. Plus récemment, le 3 décembre 2015, le Sénat italien s’est prononcé en faveur
du Jobs Act, une réforme du marché du travail orientée vers plus de flexisécurité
voulue par le gouvernement de Matteo RENZI. La réforme majeure a porté sur
l’article 18 du Code du travail italien, qui protège les salariés des entreprises de moins
de 15 employés en cas de licenciement abusif, en ordonnant leur réintégration dans
l’entreprise. En vertu de la réforme, l’obligation de réintégration des salariés licenciés
est remplacée par une indemnisation.
242. D’autres réformes sont introduites par le texte consistant notamment en des
incitations fiscales pour les employeurs proposant des contrats à durée indéterminée,
tout en conférant les possibilités de licenciement les trois premières années de
l’embauche: c’est la nouveauté la plus importante consistant justement dans
l'introduction d'un nouveau type de contrat à durée indéterminée mais "à garanties
croissantes", puisqu'il prévoit que le licenciement, facilité pendant 3 ans, devienne
de plus en plus compliqué et coûteux ensuite. L'objectif était d'encourager les
entreprises à abandonner la pratique -devenue un fléau social en Italie- de la
souscription de contrats précaires.
243. Par suite des réformes ainsi introduites, pendant le premier semestre 2015, les
souscriptions de nouveaux contrats à durée indéterminée ont augmenté de 36% par
rapport à la même période de 2014, relève l'Institut national de la prévoyance
sociale. Dans le même sens, selon l’Observatoire de la précarité de l’Institut national
de la prévoyance sociale italien, le premier semestre 2015 a vu les nouveaux CDI
augmenter de 36%, et les conversions d'anciens contrats précaires en CDI croître de
30,6%, par rapport à la même période de 2014.

(3) Droit espagnol

244. Depuis une loi n°32-1984 du 2 août 1984, portant statut des travailleurs, le droit
espagnol a amorcé une profonde transformation, en abandonnant le statut unitaire
du travailleur salarié protégé par la loi, et ce, du fait essentiellement de la
prolifération de nouvelles formes de travail tertiaire, se situant aux confins des
frontières du monde salarié. Le modèle conventionnel qu’est le CDI, autrefois
dominant et monolithique, laisse la place dans bien des secteurs à de nouvelles
formes d’emploi qui génèrent des types ou sous-types de contrats différents.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


97

245. Les CDD comportent jusqu’à douze formes différentes, elles-mêmes regroupées
en plusieurs séries :
- Le CDD pour des raisons de conjonctures ou d’encouragement à l’emploi des
chômeurs inscrits à l’Agence pour l’emploi ;
- Le CDD associé à une formation comprenant les contrats de stage et les contrats de
formation de jeunes travailleurs ;
- Le CDD associé à des prestations à temps partiel. Il s’agit de contrats-relais destinés
à des chômeurs inscrits à l’Agence pour l’emploi et qui, par cette forme de contrat,
vont remplacer des travailleurs qui, à trois ans au plus de l’âge de la retraite,
acceptent une réduction du temps de travail et du salaire de 50% ;
- les formes non-contractuelles d’emploi d’assistance. Il s’agit de contrats conclus en
vertu d’accords signés entre les organismes publics et l’INEM (Institut national
espagnol pour l’emploi)88, de contrats d’emploi rural, de travaux d’utilité collective
pour les chômeurs indemnisés, etc.

(4) Droit allemand

246. En Allemagne il n’existe pas de Code du Travail tel qu’il est connu par exemple
en France. Le droit du travail est régi par une série de lois comme la loi sur le temps
de travail, la loi sur les congés, la loi sur le temps partiel et les contrats à durée
déterminée. Le Code Civil allemand (BGB) réglemente, quant à lui, la question des
préavis.
Par ailleurs les conventions collectives conclues entre syndicat patronal et syndicat de
salariés (Tarifverträge) et les accords d’entreprises conclus entre l’employeur et le
conseil d’entreprise (Betriebsrat) peuvent avoir des incidences sur les relations de
travail existant au sein d’une entreprise.
247. Cela étant, le recours au travail précaire est traditionnellement moins fréquent
en Allemagne que dans les autres pays européens. Le CDD est, certes, en principe

88
L'une des principales fonctions de l'INEM est la gestion des contrats de travail et des
allocations de chômage. En règle générale, et bien que la législation espagnole du travail soit
actuellement en plein processus de réforme, toute personne devant être embauchée par
une entreprise doit être inscrite à l'INEM. Toutefois, l'institut est surtout connu pour son rôle
dans la gestion des allocations de chômage et dans l'assistance aux chômeurs à la recherche
d'un emploi. L'INEM organise également des stages de reconversion.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


98

autorisé (article 620 du Code civil). Le CDD doit, cependant, être impérativement
consigné par écrit. En l’absence de contrat écrit, il sera requalifié en CDI.
248. La jurisprudence est allée plus loin en exigeant, généralement, une « cause
objective » pour le recours au CDD: remplacement d’un travailleur permanent pour
raison de maladie ou de congé ou encore lorsqu’il s’agit de travail auxiliaire ou à
caractère saisonnier, etc. Cette jurisprudence reposait sur l’idée que la fixation d’une
durée limitée ne doit pas servir à assouplir la gestion des effectifs.
249. Cette situation a été modifiée depuis la promulgation de la loi pour la promotion
de l’emploi du 1er mai 1985 (Beschàftigungs fôr derungs gesetz). Le point central de
cette loi est la possibilité de conclure des CDD sans contrôle judiciaire pour un an et
demi (ou pour deux ans en cas de création d’entreprise) dans l’hypothèse de salariés
nouvellement embauchés. Depuis l’adoption de cette loi, le cadre légal pour la
conclusion de CDD est devenu moins restrictif qu'en France. L'évolution allemande
est telle que la part des CDD par rapport à l'ensemble de l'emploi salarié est même
devenue plus importante qu'en Grande-Bretagne, pays qui ne connaît pas de
restrictions légales concernant ce type d'emploi.
250. En contrepartie de cette flexibilité quant au recours au CDD, des garanties sont
prévues, dont notamment un salaire horaire minimum obligatoire qui, depuis le 1er
janvier 2015, est fixé à 8,50€ brut. De nombreuses exceptions et règles transitoires
ont toutefois été mises en place jusqu’à fin 2016 voire 2017. De nombreuses
branches telles que l’intérim, l’industrie textile et alimentaire, la coiffure, la
blanchisserie ou le portage de journaux ont convenu d’un salaire minimum propre.
Les stagiaires et demandeurs d’emploi de longue durée sont également exclus de
cette règlementation.
251. La loi relative à la protection contre le licenciement vise, pour sa part, à protéger
les salariés contre les licenciements abusifs. Pour les salariés embauchés depuis le 1er
janvier 2004, cette loi ne s’applique qu’aux personnes travaillant dans des entreprises
de plus de dix salariés.

(5) Droit anglais

252. En Grande-Bretagne, la loi laisse habituellement une liberté quasi-totale à


l’employeur de définir ses relations contractuelles. Le travail flexible et précaire
concerne une proportion importante de la population active employée comme
travailleurs indépendants, à temps partiel ou temporaires.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


99

253. Plus, l’intervention du législateur, loin de limiter la liberté de l’employeur de


choisir le contrat adapté aux besoins de l’entreprise, joue au contraire le rôle
d’incitation à l’usage de formes d’emploi flexibles, et ce, en multipliant les avantages
de tout genre accompagnant ces formes d’emploi : règles plus avantageuses en
matière de licenciement, de sécurité sociale, de fiscalité, etc.

(6) Droit américain

254. Aux Etats-Unis, le poids de la législation du travail est, traditionnellement,


quasiment inexistant. A la différence des pays européens, les Etats-Unis n’ont en fait
jamais promulgué des dispositions légales fondées sur un modèle type de relation du
travail. Le droit du travail aux États-Unis est, en fait, caractérisé par son imbrication
entre lois fédérales et lois des États fédérés, ainsi que par la grande flexibilité du
marché du travail, notamment en matière de licenciement.
255. De fait, historiquement, l’emploi est gouverné par la doctrine de l’emploi à
discrétion (at-will employment), toujours en vigueur dans de nombreux États. Cette
doctrine considère, qu'à moins de disposition expressément contraire incluse dans le
contrat de travail, l'employeur ou l'employé peut mettre fin à tout moment au
contrat, sans avoir à en justifier la raison.
256. Le Wrongful Discharge from Employment Act de 1987 du Montana est, à cet
égard, une exception notable. Trente-sept États acceptent la doctrine du contrat
implicite de fait (implied-in-fact contract), qui considère qu'un contrat de travail peut
être créé par un simple accord oral et peut, le cas échéant, restreindre les possibilités
de mettre fin au contrat.
257. Malgré ce cadre général très flexible, un certain nombre d'États ont mis en place
des législations protégeant les employés contre les licenciements abusifs. Les
conditions et la définition de ce que peut constituer un licenciement abusif sont
cependant très restrictives.
258. Depuis 1988, le Worker Adjustment and Retraining Notification Act (WARN Act)
impose aux entreprises de plus de 100 salariés un préavis minimum de 60 jours avant
tout licenciement collectif de masse (en cas de fermeture d'usine, etc.). Plusieurs
exceptions à ce délai de préavis sont toutefois prévues.

(7) Droit japonais

259. Au Japon, les politiques traditionnelles de gestion de la main-d’œuvre étaient


fondées sur une distinction nette entre deux catégories de salariés : il y a, d’une part,

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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les salariés «réguliers», noyau dur de l’entreprise et qui bénéficient du «système


d’emploi à vie», c’est-à-dire d’un système où l’employeur garantit un emploi à ses
salariés jusqu’à l’âge de la retraite avec un salaire progressant automatiquement avec
l’ancienneté et un certain nombre d’avantages en nature (logement, maison de
vacances, etc.) et, d’autre part, les salariés «irréguliers», occupés à des tâches plus ou
moins marginales et occasionnelles et laissés en dehors du système de protection.
260. Par suite aux changements structurels qui ont affecté depuis les années 80 du
siècle dernier la société japonaise sur les plans économique, social et culturel, de
nouvelles formes d’emploi connaissent un développement fort et libre. A la base, on
évoque surtout les causes suivantes : stagnation économique, développement de
nouvelles technologies, tertiarisation, transformation des caractéristiques
démographiques de la main-d’œuvre (féminisation, vieillissement, allongement de la
scolarité).
261. Les nouvelles formes d’emploi vont concerner tout autant, mais avec des
modalités différentes, les salariés « réguliers » et les salariés « irréguliers » :
- S’agissant des salariés « réguliers », les entreprises ont développé diverses
pratiques, dont la suppression pure et simple de certains emplois sans rapport direct
avec la production (gardiennage, nettoyage, informatique, etc.) et leur substitution
par des emplois temporaires ou par un recours à la sous-traitance, ainsi que le
développement de la mobilité interentreprises de l’ensemble du personnel,
notamment les cadres et agents de maitrise. Le champ de mobilité des salariés est,
par ailleurs, élargi de l’entreprise au groupe d’entreprises, et ce, grâce à une
interprétation du système d’emploi à vie impliquant une garantie d’emploi non plus
au sein d’une même entreprise, mais au sein du groupe dans son ensemble. Enfin, il y
a lieu d’évoquer le recours, de plus en plus fréquent, par les entreprises à la pratique
du changement de poste et qui concerne souvent les ouvriers et les employés, alors
qu’il était réservé traditionnellement aux cadres ;
- S’agissant des salariés « irréguliers », ils seront encore plus touchés par les nouvelles
formes d’emploi. Parmi elles, il faut citer le travail temporaire réglementé par une loi
du 5 juillet 1985 et qui connait un développement important depuis dans divers
secteurs, notamment ceux de l’informatique, les emplois de bureaux et les activités
de gardiennage. La réduction des effectifs permanents et des coûts salariaux sont
parmi les principales motivations à la base de la stratégie en ce domaine.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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(B) Etat du droit tunisien : réformes confuses et inachevées

262. Diversifier les modèles et les réactions a été, sans doute, à la base des réformes
substantielles ayant été introduites dans le Code du travail successivement en 1994
(loi n° 94-29 du 21 février 1994) et en 1996 (loi n° 96-62 du 15 juillet 1996) et qui ont
touché une grande partie de ce code.
Dans ce nouveau contexte, ces réformes se devaient de redonner au droit du travail
tunisien un sens à partir de données beaucoup plus complexes que par le passé. Y
sont-elles parvenues ? Ont-elles permis de surmonter dogmatisme et rigidité
intellectuelle en offrant une synthèse cohérente et un traitement objectif des
différentes situations qui se présentent ?
263. Cette contribution ne peut pas répondre à cela en détails. On se limitera, ici, à
relever les insuffisances relatives à la définition des formes juridiques d’emploi (1), y
compris les formes d’emploi dans des entreprises à structure complexe (2), et au
régime du licenciement (3).

(1) Formes juridiques d’emploi

264. Aux termes de l’article 6 du Code du travail, tel que modifié par la loi du 15
juillet 1966, « Le contrat de travail est une convention par laquelle l'une des parties appelée
travailleur ou salarié s'engage à fournir à l'autre partie appelée employeur ses services
personnels sous la direction et le contrôle de celle-ci, moyennant une rémunération.
La relation de travail est prouvée par tous moyens. ».

Cette définition du contrat de travail a l’avantage de mettre en avant les éléments


constitutifs du contrat de travail, à savoir :
- Les « services personnels » consistant en la prestation de travail que le travailleur
s’engage à réaliser personnellement, qu’il s’agisse d’une prestation - ou tâche -
physique ou intellectuelle ;
- La « rémunération » appelée aussi salaire, qui permet de distinguer le contrat de
travail du bénévolat ;
- Le lien de subordination juridique, le travailleur devant effectuer le travail « …sous la
direction et le contrôle » de « l'autre partie appelée employeur ». C'est le critère
déterminant qui permet de distinguer le travail salarié du travail indépendant et de
l’ensemble des autres contrats de prestation de services, dits plus
couramment contrat d’entreprise ou « contrat de louage d’ouvrage » au sens de
l'article 828, alinéa 2 du Code des obligations et des contrats. Le lien de subordination

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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confère, à cet égard, à l’employeur le pouvoir de donner des ordres et des directives
se rapportant au travail, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les
manquements de son subordonné.
265. S’agissant des modalités de contrats de travail, une lecture attentive du Code du
travail, avant la réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996, précitée, révèle que le
droit tunisien donnait une nette préférence et privilégiait la formule du contrat de
travail à durée indéterminée (CDI) qui constituait ainsi l’idéal type conventionnel: une
relation bilatérale ferme avec un employeur unique, un travail à temps plein, un
même lieu de travail et, surtout, un emploi suffisamment stable par le poids des
protections légales et conventionnelles contre le licenciement.
Les conditions de travail accompagnant la conclusion d'un tel type de contrat étant,
par ailleurs, fixées par des règles essentiellement impératives, il était difficile
d'imaginer, en l’état, d'autres formules de contrats offrant une certaine
différenciation qui pourrait, pourtant, s’avérer nécessaire pour une bonne gestion de
l'entreprise : travail temporaire, à temps partiel, intermittent, etc. Seule la formule du
contrat à durée déterminée (CDD) était alors prévue par l’article 6 du Code du travail,
avant sa modification, mais elle demeurait insuffisamment réglementée, ce qui
explique l'incertitude et le flou qui imprégnaient généralement ce type de contrats.
266. L'opinion largement répandue est, pourtant, que des situations de travail
différentes exigent des mesures de protection différentes, sans que cela implique,
toutefois, une opposition totale et rigide des statuts applicables aux différents
modèles ou types de contrats. La différenciation nécessaire dans la protection ne
peut être mise en œuvre si l'on continue à imputer grossièrement des effets
totalement opposés selon que l'une (CDI) ou l'autre (CDD) des modalités du contrat
est retenue. L'atypisme ou la différenciation normative, au lieu d’être une source de
discrimination scandaleuse et intolérable, pourrait s’avérer en réalité un facteur
d'enrichissement du droit du travail.
267. C’est l’option générale qui a été à la base de la réforme du Code du travail,
introduite par la loi du 15 juillet 1966. Une lecture attentive des dispositions légales
ainsi introduites révèle pourtant que la réglementation du contrat à durée
déterminée demeure assez confuse (a), parfois même source de discrimination
intolérable, comme c’est le cas du contrat de travail dans les zones franches
économiques (b) ; alors que la réforme a omis de réglementer les différents cas de
recours au travail temporaire, où la réglementation s’avère lacunaire (c). Des
insuffisances entourent, enfin, la formule du contrat de travail à temps partiel (d).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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a) Le contrat à durée déterminée : une réglementation confuse

268. Le contrat de travail à durée déterminée (CDD) est au cœur de la réforme


introduite par la loi du 15 juillet 1996 qui était, sans doute, animée par un souci
d’équilibre en vue de parvenir à réaliser un arbitrage délicat entre protection des
salariés et flexibilité nécessaire pour la gestion et l'adaptation de l'entreprise aux
fluctuations et aux changements économiques et technologiques.

L’article 6-2, ajouté par la loi du 15 juillet 1966, dispose à cet égard que « Le contrat de
travail est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée.
Le contrat de travail à durée déterminée peut comporter une limitation de la durée de son
exécution ou l'indication du travail dont l'accomplissement met fin au contrat. ».

269. Mais La nouveauté essentielle introduite par la loi du 15 juillet 1966 réside dans
la définition des situations dans lesquelles il peut être fait recours au CDD. Le
législateur s'est essentiellement préoccupé, à cet égard, de définir des situations
objectives et n'a pas pris en compte les secteurs d’activité et les postes ou emplois
qui, de par leur nature, auraient pu se prêter, sans limite, à la formule du C.D.D. Ces
situations objectives couvrent, aux termes de l'article 6-4-1° (nouveau) du Code du
travail, les cas suivants :

« - l'accomplissement de travaux de premier établissement ou de travaux neufs ;


- l'accomplissement de travaux nécessités par un surcroît extraordinaire de travail ;
- le remplacement provisoire d'un travailleur permanent absent ou dont le contrat de
travail est suspendu ;
- l'accomplissement de travaux urgents pour prévenir des accidents imminents, effectuer
des opérations de sauvetage ou pour réparer des défectuosités dans le matériel, les
équipements ou les bâtiments de l'entreprise ;
- l'exécution de travaux saisonniers ou d'autres activités pour lesquelles il ne peut être fait
recours, selon l'usage ou de par leur nature, au contrat à durée indéterminée. ».

Hormis les situations objectives ci-dessus indiquées, l'article 6-4-2° (nouveau) du


Code du travail autorise le recours au C.D.D comme formule de départ pour tout
salarié, par accord des deux parties. En effet, aux termes dudit article 6-4-2° : « Le
contrat de travail à durée déterminée peut également être conclu, dans des cas autres que
ceux indiqués au paragraphe précédent, sur accord entre l'employeur et le travailleur et à
condition que la durée de ce contrat n'excède pas quatre ans y compris ses renouvellements;
tout recrutement du travailleur concerné après l'expiration de cette période sera effectué à

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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titre permanent et sans période d'essai. Dans ce cas, le contrat est conclu par écrit en deux
exemplaires, l'un est conservé par l'employeur et l'autre délivré au travailleur ».

L’article 6-4-3° (nouveau) ajoute pour sa part une disposition bénéfique, propre à
atténuer en partie les effets diamétralement opposés entre le CDD et le CDI, aux
termes delaquelle « Les travailleurs recrutés par contrats de travail à durée déterminée
perçoivent des salaires de base et des indemnités qui ne peuvent être inférieurs à ceux servis,
en vertu des textes réglementaires ou conventions collectives, aux travailleurs permanents
ayant la même qualification professionnelle ».

270. On regrettera, toutefois, certaines options arrêtées quant au régime juridique


gouvernant la formule du CDD et comportant, au moins, deux contradictions
majeures :

Première contradiction

271. Elle résulte de la durée exagérée pouvant être couverte par cette formule et
atteignant quatre années "y compris ses renouvellements".
Une telle durée se conjugue alors mal avec les dispositions précédentes du même
article qui, en définissant les situations objectives justifiant le recours au CDD,
renvoient implicitement, mais en puissance, à l’idée que le CDD ne peut avoir pour
objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale de
l'entreprise. Autrement, ces dispositions et les situations envisagées n'auraient aucun
sens: quelle utilité rationnelle y a-t-il, en particulier, à mentionner, comme cas
pouvant tolérer aux termes de l'article 6-4 1°/ le recours au CDD, celui du
« remplacement provisoire d'un travailleur permanent absent… » ou encore celui justifié
par " l'exécution de travaux saisonniers…" ou d'autres activités pour lesquelles, est-il
expressément précisé par le même texte, "il ne peut être fait recours, selon l'usage ou de
par leur nature, au contrat à durée indéterminé" si, de toute façon, il est en même temps
permis d'utiliser la formule du CDD afin de pourvoir aussi durablement un emploi qui,
de par sa nature, est paradoxalement lié à l’activité normale de l'entreprise ? Celui
qui peut le plus, ne peut-il pas le moins, comme l'affirme expressément l'article 550
de notre Code des obligations et des contrats, rangé parmi les règles générales de
droit (articles 532 et suivant du C.O.C) ?
De toute évidence, un même article ne peut pas contenir une chose et son contraire.
Entre les deux logiques, il faut choisir !
272. Notre opinion est que le législateur aurait dû choisir entre les deux options
suivantes :

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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- Soit supprimer purement et simplement le paragraphe premier de l'article 6-4


et toute référence aux situations objectives pouvant tolérer la conclusion
exceptionnelle d'un CDD, ces situations étant forcément couvertes par le paragraphe
2 du même article. Dans cette optique, le CDD jouirait d'une autonomie et d'une
intégrité suffisante et, pour en faire une forme d'emploi attractive, il serait alors
indiqué de limiter les effets diamétralement opposés qui séparent la formule
d'emploi protégée (CDI) de la formule d'emploi non protégée (CDD) en étendant aux
salariés occupés pour une durée déterminée le bénéfice, au moins, de la gratification
de fin de service laquelle, à la différence des dommages-intérêts, ne poursuit aucune
finalité de protection contre les licenciements abusifs et se présente davantage
comme un complément de salaire, une sorte de prime à la fidélité à l'entreprise ;
- Soit maintenir ce paragraphe premier de l'article 6-4 et le fondement implicite
qui l'anime, celui d'un recours exceptionnel au CDD couvrant des situations
objectives, en limitant alors, nécessairement, les possibilités d'un tel recours hors les
situations ainsi délimitées, et ce, en les réservant par exemple à des
formes d'incitation à l'emploi des jeunes où le CDD viendrait accompagner des stages
de formation ou en faisant une sorte de contrat-relais destiné à des chômeurs inscrits
dans les bureaux publics de l'emploi, etc.
En toute hypothèse, la durée du CDD serait, dans cette deuxième optique, limitée à
un temps raisonnable - 18 à 30 mois -, sachant que l’employeur peut toujours faire
précéder la conclusion d’un CDD ou d’un CDI par une période d’essai dont la durée, y
compris le renouvellement, varie selon la catégorie à laquelle appartient le salarié.

Deuxième contradiction

273. Elle résulte du fait que le législateur n’a pas exigé la rédaction d’un écrit
comportant les mentions obligatoires avant le recours à la formule du CDD.
Le juriste est alors tout naturellement dérouté. Faut-il, en effet, interpréter l’option
retenue par le législateur de 1996 dans un sens qui tolèrerait la conclusion d’un CDD
par voie simplement verbale ? Mais comment, alors, concilier une telle option avec
les dispositions protectrices du licenciement aménagées par la loi n° 94-29 du 21
février 1994 laquelle - on y reviendra - , si elle a bien tempéré la rigueur et le degré
de la protection légale contre le licenciement -plafonnement des dommages-intérêts-
n’a en revanche pas affecté sa nature : une protection légale impérative et à laquelle
« il n’est pas permis de renoncer préalablement » (article 23 (nouveau) alinéa 2 du
Code du travail). Si, dans ces conditions, le salarié ne peut pas renoncer
expressément et par écrit à son droit éventuel de demander des dommages-intérêts,

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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pourra-t-on en toute logique et sans heurter l’harmonie d’ensemble interpréter


l’inexistence de toute trace écrite comme pouvant parfois laisser entendre le choix
d’une forme d’emploi -le CDD- impliquant une dérogation totale au régime légal
protecteur ?
274. Mais les contradictions apportées par le texte de l’article 6-4 (nouveau) ne
s’arrêtent pas là et, contrairement à la plupart des solutions retenues en droit
comparé, l’écrit est paradoxalement exigé à l’expiration de la période de quatre ans
comme condition de recrutement à titre permanent du salarié. Option curieuse qui
tend à faire brutalement du CDD l’idéal type conventionnel alors que, pour
l’harmonie de l’ensemble, il aurait été plus judicieux d’exiger la forme écrite au
départ en maintenant, par contre, la transformation automatique du CDD en CDI par
la seule expiration de la période tolérée par la loi. Comment, autrement, concilier
cette exigence de l’écrit à l’expiration de la période de quatre ans couverte par le
CDD avec les dispositions de l’article 17 du Code du travail, inchangées par la
réforme, disposant que « Lorsqu’à l’expiration du terme établi, le salarié continue à rendre
ses services sans opposition de l’autre partie, le contrat se transforme en un contrat à durée
indéterminée » ?

C’est dire l’impérieuse nécessité d’introduire plus de clarté dans les dispositions du
Code du travail réglementant le recours au CDD.

(b) Le CDD, redevenu modèle dans les zones franches économiques : une forme de
dumping social et une source de discrimination intolérable

275. Une autre difficulté doit être réglée par le législateur en vue de reconsidérer le
régime d’exception aménagé par l’article 23 de la loi n° 92-81 du 3 août 1992, relative
aux zones franches économiques ( telle que modifiée par la loi n° 94-14 du 31 janvier
1994 et par la loi n° 2001-76 du 17 juillet 2001), aux termes duquel : "Nonobstant
tout autre texte contraire, les contrats de travail entre les salariés et les entreprises
implantées dans une zone franche économique sont librement réputés des contrats de
travail à durée déterminée quelle que soit leur séance, durée ou modalités de leur
exécution ».
Une telle disposition constitue, à elle seule, une négation des garanties légales
essentielles définies par le Code du travail et reprises par le droit conventionnel
collectif, dès lors que les salariés affectés dans une zone franche économique sont,
légalement et de façon impérative (« nonobstant toute clause contraire »), réputés
comme étant munis d’un contrat de travail à durée déterminée, auquel il peut être
mis fin « …par l’expiration de la durée convenue ou par l’accomplissement du travail

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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objet du contrat ». (Article 14, alinéa 1er du C.T). Il s’agit là, à coup sûr, d’une
disposition légale sibylline, voire d’une forme de dumping social, source de
discrimination intolérable, en totale opposition aux principes majeurs du droit du
travail, tant en Tunisie que dans la plupart des autres systèmes juridiques qui prêtent
à comparaison, et qui appelle à une abrogation expresse dans le sillage de la mise en
œuvre des principes de la justice sociale et du travail décent proclamés par la
Constitution du 27 janvier 2014.

(c) Le contrat de travail temporaire : une réglementation lacunaire

276. Dans le but de lutter contre le marchandage et d’éviter les abus en ce domaine,
L’OIT a adopté en 1949 la Convention (n° 96) sur les bureaux de placement payants
(révisée) et, en 1997, la Convention (n° 181) sur les agences d'emploi privées. Cette
dernière Convention définit l’agence d’emploi privée comme étant « …toute personne
physique ou morale, indépendante des autorités publiques, qui fournit un ou plusieurs des
services suivants se rapportant au marché du travail:
(a) des services visant à rapprocher offres et demandes d'emploi, sans que l'agence d'emploi
privée ne devienne partie aux relations de travail susceptibles d'en découler;
(b) des services consistant à employer des travailleurs dans le but de les mettre à la
disposition d'une tierce personne physique ou morale (ci-après désignée comme "l'entreprise
utilisatrice"), qui fixe leurs tâches et en supervise l'exécution ».

La Convention donne aux Etats qui la ratifient la possibilité, après consultation des
organisations les plus représentatives d’employeurs et de travailleurs intéressées,
« …d’interdire, dans des circonstances particulières, aux agences d'emploi privées d'opérer à
l'égard de certaines catégories de travailleurs ou dans certaines branches d'activité
économique pour fournir un ou plusieurs des services.. » ou d’autoriser ces agences dont
le statut devra alors être déterminé conformément à la législation et la pratique
nationales et après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs les
plus représentatives (articles 2 et 3 de la Convention), en prenant les mesures
adéquates en vue de la protection des droits des travailleurs concernés, y compris
celles qui « …doivent être prises afin de veiller à ce que les travailleurs recrutés par les
agences d'emploi privées…ne soient pas privés de leur droit à la liberté syndicale et à la
négociation collective » (article 4 de la Convention).

277. D’autres garanties sont prévues par la Convention, y compris notamment :


- Les agences d'emploi privées « ne doivent mettre à la charge des travailleurs, de
manière directe ou indirecte, en totalité ou en partie, ni honoraires ni autres frais »,
sauf les dérogations apprtées dans l'intérêt des travailleurs concernés, « …pour

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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certaines catégories de travailleurs et pour des services spécifiquement identifiés, fournis par
les agences d'emploi privées » (article 7 de la Convention) ;

- L’obligation de mettre en place « des mécanismes et des procédures appropriés


associant, le cas échéant, les organisations d'employeurs et de travailleurs les plus
représentatives, aux fins d'instruire les plaintes et d'examiner les allégations d'abus et
de pratiques frauduleuses, concernant les activités des agences d'emploi privées » »
(article 10 de la Convention) ;
- La définition des responsabilités des agences d'emploi privées et des entreprises
utilisatrices en matière de protection adéquate aux travailleurs employés en matière
de liberté syndicale, négociation collective, salaires minima; horaires, durée du travail
et autres conditions de travail; prestations légales de sécurité sociale; accès à la
formation, sécurité et santé au travail, réparation en cas d'accident du travail ou de
maladie professionnelle, indemnisation en cas d'insolvabilité et protection des
créances des travailleurs, protection et prestations de maternité, protection et
prestations parentales » (articles 11 et 12 de la Convention), etc.
278. La Tunisie, qui n’a pas ratifié ni la Convention (n° 96) sur les bureaux de
placement payants (révisée) ni la Convention (n° 181) sur les agences d'emploi
privées, a pourtant choisi la formule de la suppression pure et simple des bureaux de
placement privés gratuits ou payants (article 285 du Code du travail). La réforme
introduite par loi n°96-62 du 15 juillet 1996, précitée, a maintenu cette interdiction
mais elle a apporté, en contrepartie, quelques tempéraments à la rigueur des textes
antérieurs qui conféraient aux services publics de l’emploi un monopole total en
matière de placement de la main-d’œuvre. Il en résulte, notamment, que « les
travailleurs, qu’ils soient permanents ou non permanents, sont recrutés soit par
l’intermédiaire des bureaux publics de placement soit directement... » (article 280, alinéa
1er (nouveau) du Code du travail). Les annonces des offres et des demandes d’emploi
par les moyens d’information sont, par ailleurs, autorisées sans qu’elles aient
désormais besoin d’être revêtues d’un visa préalable des bureaux publics de
placement (article 282 (nouveau) du Code du travail).
279. Certaines difficultés demandent néanmoins à être relevées et tiennent au
développement de formes diverses de travail triangulaire qui paraissent, parfois,
contredire les règles et l’esprit de la législation du travail en Tunisie, dès lors qu’elles
peuvent dissimuler de réelles formes de « marchandage » ou de « trafic de main-
d’œuvre », que répriment les articles 280 et suivants du Code du travail. Qu’il s’agisse
des formes de travail dit, parfois, « intérimaire » ou « de mise à disposition » ou
encore des formes de travail prenant l’appellation de « contrat de prestation de

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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services », ces formes d’emploi triangulaire ne ressortent pas des formes légales
expressément admises par la loi et ne peuvent, à cet égard, être couvertes par la
formule de la « Sous-entreprise de main-d'œuvre », telle qu’elle est accueillie et
définie par les articles 28 à 30 du Code du travail, laquelle constitue une forme de
contrat d’entreprise ou « contrat de louage d’ouvrage » au sens de l'article 828,
alinéa 2 du Code des obligations et des contrats89.
280. Les caractéristiques suivantes opposent, en effet, la formule légale de la « Sous-
entreprise de main-d'œuvre » (ou contrat de d’entreprise en droit civil) aux diverses
formes de contrat intérimaire ou de mise à disposition de personnel :
- Le maître de l’ouvrage -ici, la société utilisatrice- souscrit un contrat ayant pour
objet l’exécution de tâches nettement définies -fourniture de travaux ou de services
prédéterminés ;
- La rémunération de l’entrepreneur -entreprise prestataire - est normalement fixée
au départ à prix fait en fonction de l’importance objective des travaux à accomplir et
sans tenir compte en règle générale de l’effectif des travailleurs utilisés et du nombre
d’heures de travail qui seront en fait accomplies. L’entrepreneur assume donc, à cet
égard, le risque de l’opération ;
- L’entrepreneur prestataire est, formellement et réellement, le seul employeur du
personnel embauché, géré et rémunéré par lui, qu’il encadre et dirige dans
l’accomplissement de sa tâche, et qui demeure soumis à sa seule autorité, alors
même que l’exécution se déroule à l’intérieur de l’établissement ou du chantier du
maître de l’ouvrage. Ce critère de la subordination juridique -au sens formel et réel-
constitue le critère décisif, encore que l’application en soit parfois délicate dans des
situations comportant un degré variable d’intégration des salariés. Toujours est-il que
les juges peuvent être amenés à rechercher comment le travail a été effectivement
exécuté et plus spécialement si les salariés qui travaillent dans les locaux du maître
de l’ouvrage fournissent leur travail en suivant les instructions émanant des
dirigeants de « l’entreprise prestataire de services » ou celles émanant des dirigeants
de « l’entreprise utilisatrice ». S’il apparaît que les salariés exécutent les instructions
de dirigeants de « l’entreprise utilisatrice », l’opération peut être requalifiée en
« contrat de fourniture de main-d’œuvre » et déclarée illicite, sans parler des

89
Article 828, alinéa 2 du COC: « Le contrat de louage d’ouvrage est celui par lequel une
personne s'engage à exécuter un ouvrage déterminé, moyennant un prix que l'autre partie
s'engage à lui payer».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


110

conséquences en découlant relativement aux responsabilités salariales, sociales et


autres, définies aux articles 28 à 30 du Code du travail. Si au contraire, les salariés
travaillent sous le contrôle effectif des dirigeants de « l’entreprise prestataire de
services », celle-ci devra conserver obligatoirement le pouvoir de direction des
personnes chargées d’exécuter cette prestation.
281. C’est dire, en définitive, l’impérieuse nécessité de réglementer les diverses
formes et pratiques de travail intérimaire ou temporaire qui ne peuvent à l’évidence
faire l’économie d’une réforme omise par la loi du 15 juillet 1996, précitée, afin de
concilier normes et pratiques professionnelles et d’encadrer, ainsi, les diverses
formes de recours à ces formes d’emploi.

(d) Les formes de travail différencié (travail à temps partiel, travail intermittent) :
une règlementation insuffisante

282. Ces techniques n'ont pas pour finalité de limiter la sécurité de l'emploi, mais
visent plutôt à réduire la garantie d'un travail à temps plein qui constitue, sans doute,
une des caractéristiques majeures de l’archétype conventionnel qu'est le CDI. Ainsi
donc, l'un (l'emploi) peut être permanent, et l'autre (le travail) est à temps partiel ou
intermittent. L'atypisme de ce dernier est sans doute plus fort, puisqu'il implique, non
seulement une réduction de la durée journalière ou hebdomadaire du travail, mais la
possibilité que des périodes de non-travail succèdent à des périodes de travail :
travail à la demande ou « labour on call ». Mais pour ces deux formes d'emploi, la
nouveauté provient surtout de l'incidence inéluctable sur les salaires dus aux salariés.
283. La loi du 15 juillet 1996, portant modification de certaines dispositions du Code
du Travail, précitée, y a partiellement pourvu en ajoutant au chapitre six du titre
premier du livre deux du Code du Travail une troisième section intitulée « Travail à
temps partiel » et comprenant les articles 94-2 à 94-14.
284. Cette réforme offre-t-elle un cadre adapté et a-t-elle, en particulier, pris en
compte les difficultés inhérentes à cette forme d'emploi et qui méritent
normalement d’être constamment à l'esprit au moment de la prise d'une décision
quelconque en ce domaine :
- la première est liée à l'observation assez générale dans les différentes
expériences étrangères et selon laquelle le travail à temps partiel apparaît comme
une activité essentiellement féminine. La loi est certes dans tous les cas observée
asexuée, s'adressant indistinctement aux hommes et aux femmes; mais elle n'est pas,
par contre, neutre, ce qui explique les pourcentages fort élevés des effectifs féminins

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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travaillant à temps partiel et atteignant assez souvent l'ordre de 90%. Le risque est
alors, dans des pays comme la Tunisie, d'accentuer la division sexuelle de l'emploi et
d'endiguer de la sorte les efforts en vue de réaliser, en ce domaine, une plus grande
égalité entre les sexes ;
- la deuxième difficulté est plutôt liée aux implications inévitables du travail
partiel sur les revenus des salariés et de leurs familles. Si une telle forme d'emploi
permet, dans les différentes expériences étrangères observées, de réaliser une
réduction des coûts salariaux, elle peut néanmoins susciter certaines réserves dans
des pays comme la Tunisie où, en raison notamment du niveau modeste des
rémunérations, un souci majeur pourrait s'exprimer de garantir un minimum de
revenus aux salariés concernés.
Une des modalités qui pourraient être décidées en la matière serait alors de prévoir
une durée minimale de travail qui ne saurait être inférieure à 50% de la durée
normale du travail et d'accompagner une telle mesure par une neutralisation
partielle de l'incidence de cette forme d'emploi sur les cotisations de sécurité sociale.
285. La loi du 15 juillet 1996 ne s'est guère souciée de ces considérations. En
revanche, le législateur a utilement limité le travail à temps partiel par « un
maximum". L'article 94-2 (nouveau), alinéa 2, du Code du travail a en effet défini le
travail à temps partiel comme étant « …le travail effectué selon une durée de travail ne
dépassant pas 70% de la durée normale de travail applicable à l'entreprise ». Cette
disposition est sans doute bénéfique car elle permet d’éviter que l'institution ne soit
détournée de sa finalité fonctionnelle : une technique de flexibilité numérique et
organisationnelle du travail et non point un moyen de bloquer tout mouvement de
progrès social, notamment celui consistant en une limitation progressive de la durée
du travail.
286. Au demeurant, la réforme introduite par loi du 15 juillet 1996 a eu, pour
principal objectif, de réaliser un arbitrage difficile mais nécessaire entre, d'une part,
le souci d'une plus grande flexibilité en ce domaine et, d'autre part, la nécessité
d'entourer cette forme d'emploi de garanties essentielles.
C'est l'option arrêtée, à juste titre, par l'article 94-3 (nouveau) du Code du travail aux
termes duquel « Le contrat de travail à temps partiel doit être écrit et indiquer notamment
la qualification professionnelle du travailleur, les éléments de la rémunération, la durée du
travail et la modalité de sa répartition sur la semaine, le mois ou l’année ».

287. Mais la garantie essentielle en ce domaine tient à l'affirmation du principe de


l’égalité des travailleurs à temps partiel avec les travailleurs à temps plein :

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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rémunération et indemnités, congés payés et repos hebdomadaire, prise en compte


des travailleurs à temps partiel dans l'effectif global des travailleurs de l'entreprise
pour toutes les réglementations tenant compte du seuil d'effectif, ainsi que la priorité
d’accès au travail à temps plein pour les salariés à temps partiel. Toutes ces garanties
ont été utilement prévues par la loi de 1996 et insérées dans les articles 94-4 à 94-14
(nouveau) du Code du travail.

(2) Formes juridiques d’emploi dans les entreprises à structure complexe : contrat
de travail et groupes de sociétés

288. Le modèle classique de la relation du travail, autour duquel gravite l’essentiel


des règles du Code du travail, renvoie à l’existence d’un employeur unique, quel que
soit par ailleurs la taille de l’entreprise. Seule la question de la modification de la
situation juridique de l’employeur est envisagée en vue d’assurer, à juste titre, le
maintien des contrats de travail en cours (a), alors que la question des relations de
travail dans les groupes de sociétés est totalement omise (b).

(a) Maintien des contrats de travail en cours suite à la modification de la situation


de l’employeur

289. Aux termes de l’article 15 du Code du travail, « Le contrat de travail subsiste entre
le travailleur et l'employeur en cas de modification de la situation juridique de ce dernier,
notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise en société ».

Certes, le texte parle de modification de la « situation juridique » de l’employeur,


mais doctrine et jurisprudence s’accordent pour une application large de ce texte,
dérivée de l’usage du terme « notamment », ce qui donne lieu à l’appliquer, outre les
cas expressément visés « succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise
en société » , à des situation de transfert de salariés d’un établissement à un autre,
d’un site à un autre, etc.
290. Convient-il de préciser que ce principe est, à titre d’exemple, également affirmé
par nombre de systèmes de droit comparé, y compris par exemple en droit français
par l’article L1224-1 du Code du travail et en droit communautaire européen, par une
directive 2001/23/CE du 12 mars 2001, JOCE L 82 du 22.3.2001 qui reprend les
directives 77/187/CEE du 14 février 1977 et 98/50/CEE du 29 juin 1998,
communément appelées directives transfert d’entreprise.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


113

291. Le maintien des contrats de travail en cours est une règle d’ordre public qui
s’impose aux employeurs autant qu’aux salariés de sorte qu’aucune dérogation,
qu’aucune stipulation particulière, et plus généralement qu’aucune convention ne
peut en limiter ou en restreindre l’application. La règle est applicable, par ailleurs, à
tous les contrats en cours au jour de l’opération de fusion, de cession, de transfert
d’activités d’un site à un autre, etc. Elle rend sans effet les licenciements
économiques qui viseraient à adapter les effectifs de l’entreprise à la nouvelle
organisation qui découlerait de l’opération de transfert.

(b) Réglementation lacunaire de la question des relations de travail dans les


groupes de sociétés

292. Le développement des groupes de sociétés a multiplié le nombre de salariés qui,


simultanément ou successivement, exécutent leurs prestations au service
d’entreprises présentant des personnalités morales distinctes, mais entretenant des
liens directs et indirects principalement financiers mais aussi fréquemment
organisationnels, économiques ou commerciaux. C’est le phénomène de groupes de
sociétés que le législateur tunisien a fini par appréhender en ajoutant, à la faveur
d’une loi n° 2001-117 du 6 décembre 2001, un Titre six au Code des sociétés
commerciales (articles 461 à 479).
L’article 461 du Code des sociétés commerciales définit, à cet égard, le groupe de
sociétés comme étant : « … un ensemble de sociétés ayant chacune sa personnalité
juridique, mais liées par des intérêts communs, en vertu desquels l'une d'elles, dite société
mère, tient les autres sous son pouvoir de droit ou de fait et y exerce son contrôle, assurant,
ainsi, une unité de décision…». Le même article ajoute, in fine, que « Le groupe de
sociétés ne jouit pas de la personnalité juridique».

293. La réglementation du groupe de sociétés est, toutefois, restée limitée aux


rapports entre associés et créanciers des différentes entités formant le groupe de
sociétés. Ainsi, l’article 476 du du Code des sociétés commerciales permet au
créancier d'une société appartenant à un groupe de sociétés de réclamer le
payement de ses créances – normalement opposable à la seule société débitrice – à
une autre société appartenant au même groupe ou aux deux sociétés solidairement
dans certains cas limitativement définis, à savoir :
« - s'il établit que l'une de ces sociétés a agi de manière à faire croire qu'elle contribue aux
engagements de la société débitrice appartenant au groupe ;
- lorsque la société mère ou l'une des sociétés appartenant au groupe s'est sciemment
immiscée dans l'activité de la société débitrice dans ses rapports avec les tiers ».

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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De même, l’article 478 du même Code dispose-t-il que « Les procédures de faillite et de
redressement ouvertes contre l'une des sociétés appartenant au groupe de sociétés peuvent
être étendues aux autres sociétés y appartenant en cas de confusion de leurs patrimoines,
d'escroquerie ou d'abus des biens de la société faisant l'objet des procédures de faillite ou de
redressement, ou s'il est établi que la société débitrice était fictive, et que les sociétés
appartenant au groupe ont donné l'apparence d'y être associées ».

294. Aucune conséquence n’est, par contre, établie au regard des obligations
patronales lorsqu’il est établi que tel salarié - ou groupe de salariés - engagé par une
filiale du groupe effectue, en réalité, sa prestation de travail pour le compte d’autres
entreprises du même groupe de sociétés ou pour le groupe dans son ensemble, et
non pas pour l’entreprise qui l’a recruté et dont le nom figure sur son bulletin de
paye. Beaucoup d’éléments peuvent concourir, à cet égard, à accentuer l’imbrication
des éléments d’organisation du travail : centralisation de l’embauche, de la gestion
du personnel, travail en commun, mobilité à l’intérieur du groupe, etc.
L’article 162 du Code du travail envisage, pour sa part, une situation voisine, mais
bien différente, celle des entreprises ayant plusieurs filiales – au sens
d’établissements ou succursales – employant chacune un nombre de travailleurs
permanents égal ou supérieur à quarante : « Il est créé dans ces filiales des commissions
consultatives dont la composition et le fonctionnement sont identiques à ceux de la
commission consultative d'entreprise et ayant les mêmes attributions que celle-ci dans la
limite des pouvoirs conférés aux chefs des dites filiales.
Il est créé également une commission consultative centrale d'entreprise ayant pour mission la
coordination entre les actions des commissions consultatives des filiales et l'examen des
questions nécessitant une étude au niveau central. Cette commission comprend des membres
représentant les travailleurs élus par les représentants du personnel dans les commissions
consultatives des filiales et parmi eux et des membres représentant la direction de
l'entreprise désignés par celle-ci et ce compte tenu du principe de parité ».

295. En droit comparé, la solution de principe est que le salarié n’a qu’un seul
employeur, celui qui a officiellement conclu le contrat de travail : « Le salarié d’une
entreprise ferait-elle partie d’un groupe ne peut diriger une demande salariale que contre son
employeur ».90

Néanmoins, il arrive que l’indépendance juridique des sociétés ne résiste pas à


l’examen des faits. Le salarié demandeur peut alors fournir des éléments de nature à
faire condamner d’autres sociétés du groupe en qualité de Co-employeurs ou faire

90
Cour de cassation française. soc., 12 juill. 2006.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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reconnaître la qualité d’employeur à une société autre que celle qui a signé le contrat
de travail, en l’occurrence généralement la société-mère, du fait de la dépendance de
la filiale à son égard, laquelle peut être déduite à partir d’un faisceau d’indices tels
que le contrôle financier, la présence de dirigeants de la société-mère dans le conseil
d’administration de la filiale, une activité économique exclusivement tournée vers le
groupe, l’absence d’indépendance dans la définition de la stratégie et de la fixation
des prix, la centralisation de la gestion des ressources humaines, l’accomplissement
du travail par les salariés, indistinctement pour plusieurs sociétés du groupe,
l’absence d’autonomie dans la gestion opérationnelle et administrative, etc.
296. Le droit comparé offre, en même temps, des exemples d’une reconnaissance du
groupe de sociétés relativement à l’organisation du droit d la représentation des
salariés. Ainsi en est-il, par exemple, de l’article L 2331-1 du Code du travail français,
aux termes duquel : « I. - Un comité de groupe est constitué au sein du groupe formé par
une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire
français, et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux
I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce ». L’article L 2331-2
ajoute, pour sa part, que « Le comité d'entreprise d'une entreprise contrôlée ou d'une
entreprise sur laquelle s'exerce une influence dominante au sens de l'article L. 2331-1 peut
demander, pour l'application des dispositions du présent titre, l'inclusion de l'entreprise
dans le groupe ainsi constitué. La demande est transmise par l'intermédiaire du chef de
l'entreprise concernée au chef de l'entreprise dominante qui, dans un délai de trois mois,
fait droit à cette demande ».

297. Le droit tunisien gagnerait à établir un minimum de règles garantissant les droits
individuels et collectifs des salariés employés dans des conditions qui font apparaitre
l’existence, par-delà l’indépendance juridique et formelle des diverses entités
formant le groupe de sociétés, d’une seule unité économique et sociale de
production : contrôle financier, activité réalisée au service du groupe, contrôle de
l’activité par les dirigeants du groupe, etc.

(3) Le régime juridique du licenciement

(a) Le licenciement pour motif personnel

298. La réforme introduite par la loi n° 94-29 du 21 février 1994, précitée, a apporté,
sans doute, certaines améliorations par rapport à la législation antérieure, dont
notamment - l’exigence, préalablement à toute décision de licenciement, d'une cause
réelle et sérieuse le justifiant, ainsi que la nécessité de respecter les procédures

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


116

légales, réglementaires ou conventionnelles, faute de quoi le licenciement est


considéré comme étant abusif (article 14 ter (nouveau) du CT).
299. Le législateur met ainsi fin à l’hésitation quant à la nature de la faute justificative
du licenciement et consacre une jurisprudence bien établie, bien avant la réforme,
selon laquelle le licenciement n’est pas réduit à l’exercice d’un droit de résiliation
unilatérale du contrat à durée indéterminée, mais bien une mesure reconnue au chef
d’entreprise dans le cadre d’une politique étatique et professionnelle de l’emploi.
300. Le législateur renforce cette position en posant la règle selon laquelle « La faute
grave est considérée comme l'une des causes réelles et sérieuses justifiant le licenciement »
et en dressant une liste indicative de cas considérés comme fautes graves selon les
circonstances dans lesquelles elles ont été commises, à savoir : « 1) l'acte ou la carence
volontaire de nature à entraver le fonctionnement de l'activité normale de l'entreprise ou à
lui causer un dommage au patrimoine ;
2) la réduction du volume de production ou de sa qualité due à une mauvaise volonté
évidente ;
3) l'inobservation des prescriptions d'hygiène et de sécurité durant le travail ou la négligence
de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du personnel dont il est
responsable ou pour sauvegarder les objets qui lui sont confiés ;
4) le refus injustifié d'exécuter les ordres relatifs au travail émanant formellement des
organes compétents dans l'entreprise employant le travailleur ou de son supérieur ;
5) le fait d'avoir d'une façon illicite obtenu des avantages matériels ou accepté des faveurs en
rapport avec le fonctionnement de l'entreprise ou au détriment de celle-ci ;
6) le vol ou l'utilisation par le travailleur, pour son propre intérêt ou pour celui d'une tierce
personne, de fonds, de titres ou d'objets qui lui sont confiés en raison du poste de travail qu'il
occupe ;
7) le fait de se présenter au travail en état d'ébriété manifeste ou de consommer des boissons
alcoolisées pendant la période de travail ;
8) l'absence ou l'abandon du poste de travail d'une façon évidente, injustifiée et sans
l'autorisation préalable de l'employeur ou de son représentant ;
9) le fait de se livrer, pendant son travail ou sur les lieux du travail, à des actes de violence ou
de menace dûment constatés contre toute personne appartenant ou non à l’entreprise ;
10) la divulgation d'un des secrets professionnels de l'entreprise, hormis les cas autorisés par
la loi ;
11) le refus dûment établi de prêter assistance en cas de danger imminent touchant
l'entreprise ou les personnes qui s'y trouvent » (article 14 quater (nouveau) du CT).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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301. L’autre modification majeure apportée par la loi n° 94-29 du 21 février 1994,
précitée, consiste sans doute dans le plafonnement des dommages-intérêts dus en
cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixés depuis lors à un montant qui
« …varie entre le salaire d'un mois et celui de deux mois pour chaque année d'ancienneté
dans l'entreprise sans que ces dommages-intérêts ne dépassent dans tous les cas le salaire de
trois années » (article 23 bis, alinéa 1 (nouveau) du Code du travail).

302. Le législateur clarifie, en même temps, la question du licenciement qui a eu lieu


pour une cause réelle et sérieuse mais sans respect des procédures légales ou
conventionnelles : « Le montant des dommages-intérêts varie entre le salaire d'un mois et
celui de quatre mois. L'évaluation des dommages-intérêts est effectuée compte tenu de la
nature des procédures et des effets de celles-ci sur les droits du travailleur » (article 23 bis,
alinéa 2 (nouveau) du Code du travail). Ce faisant, le législateur met fin à une
jurisprudence bien établie qui considérait, non sans raison, que le licenciement
irrégulier en la forme est réputé irrégulier quant au fond91. Convient-il de noter, sur
ce point, que le législateur a été innovant sur ce point, par rapport à son homologue
français, qui est intervenu plus tard pour modifier l’article L122-14-4 du Code du
travail français92.

303. Sur nombre d'autres questions, par contre, la réforme du Code du travail s’avère
insuffisante, entrainant nombre de contradictions et de différends d’interprétation
devant les tribunaux et ne parvenant pas, en définitive, à un arbitrage cohérent entre
les besoins mouvants de mobilité exprimés par les entreprises et le souci de
préserver un socle minimum de protections.

91
En France, en 1976, l'arrêt Janousek énonçait qu’à défaut de notification des motifs du
licenciement, celui-ci est réputé de manière irréfragable n’avoir jamais eu de cause réelle et
sérieuse (Cass. soc. 26 octobre 1976). Puis la position des juges s'était assouplie. Que ce soit
avant le licenciement, lors de la procédure, ou après, l'important était, qu'à un moment ou
un autre, la personne congédiée ait eu communication, par écrit, des motifs de la rupture
(Cass. Soc. 13 mai 1981). A force d'assouplissements, la loi relative à l'énonciation écrite des
motifs risquait de devenir lettre morte.
92
Modifié par la loi n°2005-32 du 18 janvier 2005- art. 77.
- Abrogé par Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007- art. 12

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


118

304. Ainsi en est-il dans le maintien d’un régime d’indemnisation double, en cas de
licenciement :
- La gratification de fin de service, d’une part, telle que définie par l’article 22 du
Code du travail, aux termes duquel : « Tout travailleur lié par un contrat à durée
indéterminée, licencié après l'expiration de la période d'essai, bénéficie, sauf le cas de faute
grave, d'une gratification de fin de service calculée à raison d'un jour de salaire par mois de
service effectif dans la même entreprise, sur la base du salaire perçu par le travailleur au
moment du licenciement, compte tenu de tous les avantages n'ayant pas le caractère de
remboursement des frais. Cette gratification ne peut excéder le salaire de trois mois quelle
que soit la durée de service effectif, sauf dispositions plus favorables prévues par la loi ou par
les conventions collectives ou particulières » ;

- Les dommages-intérêts pour licenciement abusif, d’autre part, « …qui ne se


confondent pas avec l'indemnité due pour inobservation du délai de préavis ou avec la
gratification de fin de service visée à l'article 22 du présent Code. » (Article 23 du Code du
travail) et dont le montant « …varie entre le salaire d'un mois et celui de deux mois pour
chaque année d'ancienneté dans l'entreprise sans que ces dommages-intérêts ne dépassent
dans tous les cas le salaire de trois années. L'existence et l'étendue du préjudice résultant de
ce licenciement sont appréciés par le juge compte tenu notamment de la qualification
professionnelle du travailleur, de son ancienneté dans l'entreprise, de son âge, de son salaire,
de sa situation familiale, de l'impact du dit licenciement sur ses droits à la retraite, du respect
des procédures et des circonstances de fait. » (Article 23 bis du Code du travail).

305. La difficulté, dans ce système dualiste au niveau de l’indemnisation, provient du


fait que la réforme introduite par la loi n° 94-29 du 21 février 1994 a, en même
temps, unifié le régime de la faute cause du licenciement en exigeant, pour l’une
comme pour l’autre des deux formes d’indemnisation ci-dessus présentées, que le
salarié n’ait pas commis de faute grave :
- L’article 22 du Code du travail est explicite en ce sens, puisque la gratification de fin
de service est attribuée « …sauf le cas de faute grave » ;
- Quant à l’article 23 bis du Code du travail, il précise que les dommages-intérêts sont
dus « en cas de licenciement abusif », étant rappelé que l’article 14 ter du même Code
considère comme abusif « …le licenciement intervenu sans l'existence d'une cause réelle et
sérieuse le justifiant » et que l’article 14 quater du même Code définit, pour sa part, la
faute grave «… comme l'une des causes réelles et sérieuses justifiant le licenciement».
306. Or, dans les systèmes aménageant une double indemnisation, les indemnités
octroyées n’ont pas le même régime juridique et ne se fondent pas sur les mêmes

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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causes, de sorte que le législateur est amené, en toute logique, à aménager des
situations nécessairement multiples, et ce, comme suit :
1ère situation : Le salarié n’a commis aucune une faute, ou n’a-t-il commis qu’une
faute légère, de sorte que le licenciement revêt un caractère manifestement abusif et
que le salarié est en droit de réclamer, en plus du complément de salaire que
constitue la gratification de fin de service, des dommages-intérêts, comme réparation
du préjudice causé par l’initiative de l’employeur revêtant ainsi un caractère abusif ;
2ème situation : Le salarié a commis une faute suffisamment grave – « faute lourde »
était-il précisé à l’article 22 du Code du travail d’avant la réforme de 1994 –, de sorte
que le licenciement ne revêt point un caractère abusif et que le salarié sera privé non
seulement de réclamer des dommages-intérêts, mais encore la faute ainsi commise
est à ce point lourde pour le priver de son droit à la gratification de fin de service –
dite « indemnité de licenciement » par l’article 22 dans sa rédaction ancienne – ;

3ème situation : Le salarié a commis une faute suffisamment grave pour le priver du
droit de réclamer des dommages-intérêts, mais pas à ce point lourde pour le priver
de son droit à la gratification de fin de service.
307. En unifiant ainsi le régime de la faute cause de licenciement, le législateur a créé
une situation où le salarié, à l’occasion d’un licenciement, soit aura droit aux deux
indemnités à la fois, soit n’aura droit à aucune des deux indemnités. Le système
dualiste va-t-il, du même coup, perdu sa finalité fonctionnelle qui, seule, le légitime.
308. Mais la question majeure posée, en ce domaine, conduit à s’interroger s’il n’était
pas plus judicieux de limiter l'intervention du législateur au minimum, c'est-à-dire à la
fixation de la gratification de fin de service due à tous les travailleurs quel que soit la
modalité du contrat – CDD ou CDI – et, pour tout le reste, c'est-à-dire les dommages-
intérêts, d'aller au-delà d'un simple plafonnement et de confier carrément la
définition de leurs conditions d'octroi et de leur étendue à l'action conjointe des
acteurs collectifs qui y procéderaient, secteur par secteur, selon les réalités propres à
chacun d'eux. Loin de constituer une remise en cause intolérable des droits du
travailleur, une telle voie lui permet, au contraire, de faire pression par le poids de
son organisation collective reconnue juridiquement et de réaliser ainsi la protection
de ses droits dans l'autonomie.
309. Une deuxième variation devrait être introduite dans le régime juridique du
licenciement et tient à la taille de l'entreprise. Il paraît, en effet, inconcevable de
continuer à réserver le même traitement juridique à toutes les entreprises quelle
qu'en soit la taille ou le nombre de travailleurs.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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La législation du travail apparaît, en effet, forcément trop rigide pour une petite
entreprise, peu rompue aux contentieux nés des licenciements et pour laquelle
l'existence d'une législation tatillonne en ce domaine est une source d'embarras
influant, dans bien des cas, sur sa stratégie d'embauche. Dans une entreprise de taille
et d'envergure suffisante, un lien fort d'entreprise unit par contre les travailleurs aux
facteurs de production permettant ainsi de forger l’unité organique de l'entreprise en
tant qu’entité économique et sociale de production. La cellule sociale n'est pas
simplement juxtaposée à la cellule économique, elle en est, en l’espèce, indissociable
; ce qui permet de justifier et d'admettre plus facilement l'apport des règles et des
tutelles protectrices du licenciement. C'est l'orientation prise, par exemple, en droit
français. Les sanctions et indemnités prévues en cas de licenciement sans cause réelle
et sérieuse ou opéré en violation des règles de procédure sont limitées aux salariés
justifiant de deux années d’ancienneté et travaillant dans une entreprise de 11
salariés au moins. Pour les autres salariés, notamment ceux des petites entreprises
(moins de 11 salariés), la violation tant du droit substantiel que du droit procédural
est sanctionnée par la technique de l'abus du droit (article L.122-13, al1 du C.T
français ) dont le régime juridique et les conséquences matérielles sont moins
contraignants pour l'entreprise: on relèvera, en particulier, que la faute même légère
du salarié justifie alors le licenciement et que le salarié supporte, dans un tel système,
la charge de la preuve.
310. Une autre variation mériterait d’être examinée et tient, cette fois-ci, à la
catégorie professionnelle à laquelle appartient le salarié. Contrairement à l'ouvrier et
à l’employé occupant un poste inférieur ou intermédiaire dans la pyramide des
emplois, pour lesquels le modèle des tutelles protectrices semble avoir été aménagé,
le cadre ou l’ingénieur paraissent plus en mesure de faire pression par la force de leur
formation et de leurs aptitudes professionnelles, de négocier librement leurs
conditions d'emploi et de protection et de réaliser, ainsi, leur émancipation dans
l'autonomie, en dehors de toute tutelle extérieure.
311. Un dernier point doit être soulevé, au terme de cette analyse du régime
juridique du licenciement, et concerne le pouvoir attribué en 1973 à la commission
consultative d'entreprise par la convention collective cadre et consacré légalement,
depuis la réforme introduite par la loi du 21 février 1994, précitée, et lui conférant la
mission de s’ériger en conseil de discipline et d'appliquer la procédure fixée par les
textes législatifs, réglementaires ou conventionnels régissant l'entreprise (article 160
(nouveau ), e) du C.T ).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


121

L'article 37 (nouveau) de la convention collective cadre est plus explicite quant aux
différentes modalités de convocation du conseil de discipline et des règles régissant
son fonctionnement et sa procédure. Quant à l'article 38 de la même convention, il
précise bien la nature consultative des propositions et avis formulés par le conseil, et
qui "…ne fait pas obstacle au droit, pour les parties intéressées, de porter le litige devant les
tribunaux compétents".

312. C'est l'institution du conseil de discipline qui pose, en réalité, difficulté.


Institution de droit public, notamment du droit de la fonction publique, elle apparaît
en substance inadaptée à l'entreprise privée et y constitue un "corps étranger" et, en
tout cas, une atteinte réelle à l'un des pouvoirs inhérents à la qualité d'employeur et
qui en constitue même le fondement : le pouvoir disciplinaire.
L'autre inconvénient lié à l'institution du conseil de discipline est traduit une
déviation par rapport à la finalité fonctionnelle d'une structure voulue comme le
cadre d'une collaboration directe et d'une coopération fructueuse des travailleurs à la
vie de l'entreprise.
313. Mieux vaut alors supprimer l'institution du conseil de discipline et, à l'instar de la
plupart des expériences de droit comparé, rétablir l'employeur dans ses fonctions
traditionnelles en l'invitant, toutefois, à respecter certaines formalités essentielles
avant la décision finale de licenciement, telle la convocation du salarié à un entretien
préalable, par lettre recommandée lui notifiant les griefs qui lui sont reprochés et lui
indiquant la date, l'heure et le lieu de l'entretien ainsi que la possibilité de se faire, le
cas échéant, assister par une personne de son choix. L'employeur qui après cet
entretien préalable qui doit se dérouler de façon contradictoire, décide de licencier le
salarié, devrait être obligé, également, d'adresser à ce dernier une lettre de
notification, en recommandé, etc.

(b) Le licenciement pour des raisons économiques ou technologiques

314. Il faut rappeler, sur ce point, que l'institution du licenciement pour des raisons
économiques ou technologiques tend, de par sa finalité, à octroyer un avantage
juridique précieux à l'entreprise : si le licenciement est reconnu comme tel, le salarié
ne reçoit qu'une indemnité forfaitaire sans rapport avec les montants qu'il aurait
perçus du fait d'un licenciement pour motif personnel et injustifié. Il est dès lors
normal que l'entreprise qui cherche à bénéficier de ce régime plus souple dans ses
résultats ait à subir un certain contrôle en la matière.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


122

315. Celui-ci prend, en droit comparé, soit la forme d'une autorisation que délivre
L’administration après consultation des représentants du personnel, soit la forme
plus souple d'une intervention de l’administration par voie simplement consultative
mais obligatoire.
316. C'est cette dernière forme, plus souple, que le droit tunisien consacre dans
l'article 21 du Code du travail (nouveau), tel que modifié récemment par la loi du 15
juillet 1996, puisqu'il n'est toujours question expressément - comme de par le passé -
que d'un avis que donne la commission - régionale ou centrale - de contrôle du
licenciement (CCL) sur l’opportunité du licenciement ou de la mise en chômage et, au
cas où la demande est acceptée, " sur la gratification de fin de service prévue par la
législation en vigueur" en s'employant, à cet égard, "à concilier les deux parties concernées
sur le montant de cette gratification et à faire procéder au règlement immédiat de celle-ci"
(article 21-10 (nouveau) du Code du travail). Cela veut dire, en termes clairs, que
l'employeur reste seul juge en définitive de l’opportunité d'une mesure de
licenciement pour motif économique ou technologique. Il lui suffit de respecter la
procédure établie par la loi et il pourra, par la suite, passer outre l'avis de la CCL : il
appartiendra alors au juge judiciaire de régler les litiges en cas d'action intentée
individuellement par tout salarié mécontent (article 21-11 (nouveau) du Code du
travail).
317. Est-il été opportun, étant données les lenteurs administratives dans
l'accomplissement de cette procédure préalable, de supprimer toute intervention de
L’administration en la matière ? C'est la solution adoptée par exemple en droit
français, depuis les lois du 3 juillet et du 30 décembre 1985: la procédure y est limitée
à une simple information a posteriori de l’administration en cas de licenciement
touchant moins de dix salariés et, pour les licenciements touchant au moins dix
salariés, un avis administratif préalable est requis, qui ne porte pas sur l’opportunité
de la mesure en elle-même mais, essentiellement, sur les mesures sociales
d'accompagnement qui doivent être obligatoirement proposées par l'entreprise (plan
social, convention de conversion). Cet avis préalable doit, par ailleurs, être donné
dans un délai assez bref (14 jours si le nombre de licenciés est inférieur à 100, 21
jours s'il est au moins égal à 100 et inférieur à 250, 30 jours s'il au moins égal à 250).
Une telle solution peut paraître, dans l’état actuel des choses, difficilement
transposable en Tunisie car elle entraînerait un afflux considérable de litiges devant
les conseils de prud'hommes. Elle reste, par ailleurs, tributaire de l’établissement
d'un système d'assurance contre le chômage qui, dans l’expérience française,
comporte des conséquences rigoureuses pour l’entreprise : outre la cotisation à

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


123

l'ASSEDIC, elle encourt des sanctions diversifiées (indemnités de licenciement,


remboursement à l'ASSEDIC de tout ou une partie des indemnités de chômage, etc.).
318. Une telle option est envisagée dans le nouveau contrat social et devrait, donc,
être activement étudiée et intégrée dans le système tunisien de protection contre le
licenciement économique.
En attendant, la voie adoptée par le législateur dans la réforme introduite par la loi
du 15 juillet 1996, précitée, nous paraît contenir une solution adaptée à l’économie
générale du système actuel. Elle consiste à impartir à l’administration un délai de
rigueur -quinze jours pour une première tentative de conciliation à l’initiative de
l'inspection du travail territorialement compétente ou la Direction Générale de
l'Inspection du Travail, selon le cas, et quinze jours supplémentaires pour un examen
de la demande de licenciement par la CCL à partir de la date de sa saisine par
l'inspection du travail, laquelle intervient nécessairement dans les trois jours qui
suivent l'accomplissement de la tentative de conciliation -. Ce dernier délai de quinze
jours imparti à la CCL peut toutefois être prolongé par accord des deux parties (article
21-3 (nouveau) du Code du travail).
319. Mais la réforme se devait, en même temps, d’élargir expressément l’éventail des
mesures pouvant être proposées par l'entreprise dans la gestion de la mobilité
professionnelle et la conduite des plans sociaux. A la différence des événements
conjoncturels (évolution des marchés, modifications réglementaires), les
changements liés à la mise à niveau suite, notamment, à l'introduction de nouvelles
technologies, offrent normalement plus de temps pour gérer les relations avec
l'emploi, ce qui permet d'aller au-delà des mesures de licenciement pour des raisons
économiques, parfois rendues nécessaires, pour un plan social plus global permettant
d'identifier suffisamment à l'avance les évolutions des emplois, de détecter les
besoins de formation correspondant aux nouvelles compétences requises, de
favoriser les promotions et d'anticiper les conversions et les reclassements qui
s’avéreraient nécessaires.
320. La réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996 est, sur ce point, d'un apport
significatif en permettant à la CCL de proposer un éventail de solutions comprenant
notamment :
a- le rejet motivé de la demande ;
b- la possibilité d’établir un programme de reconversion ou de recyclage des travailleurs ;
c- la possibilité d'orienter l’activité de l'entreprise vers une production nouvelle nécessitée par
les circonstances ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


124

d- la suspension provisoire de tout ou d'une partie de l’activité de l'entreprise ;


e- la révision des conditions de travail, telle que la réduction du nombre des équipes ou des
heures de travail ;
f- la mise à la retraite anticipée des travailleurs qui remplissent les conditions requises ;
g- l'acceptation motivée de la demande de licenciement ou de mise en chômage, dans ce cas,
la commission tient compte des éléments suivants :
- la qualification et la valeur professionnelles des travailleurs concernés ;
- la situation familiale ;
- l’ancienneté dans l'entreprise. (Article 27-9 (nouveau) du Code du travail).

321. Une amélioration devrait, toutefois, être introduite consistant à reconsidérer


l'organe administratif compétent en ce domaine. Certes, un projet de licenciement
pour des raisons économiques annonce généralement le début d'un conflit social, de
sorte que l'inspection du travail se trouve forcément concernée, de par la mission
générale de conciliation qui lui est -dans des conditions qu'il convient d'ailleurs de
redéfinir -reconnue. Mais il ne faut pas oublier que le conflit latent n'est qu'une
conséquence probable du projet de licenciement pour motif économique ; il n'en est
pas l’essence ou le fondement. Continuer à régir de telles situations avec une logique
de crise et de conflit ne permet pas de parvenir à un traitement efficace des
questions réellement posées et aboutit à dévier l'institution du licenciement pour des
raisons économiques ou technologiques de ses objectifs et de ses finalités
fonctionnelles.
322. Le fait, d'ailleurs, que dans l’expérience actuelle l'on parvient souvent à concilier
les parties et à trouver des solutions négociées n'est pas, forcément, le signe d'une
efficacité des structures existantes. Il est, au contraire, l'expression nette de la
confusion des tâches et des rôles attribués aux différents intervenants en la matière.
Un projet de licenciement pour des raisons économiques ou technologiques, n’étant
pas, dans ses fondements propres, le résultat d'un conflit collectif, même s'il peut,
parfois, y déboucher, il a besoin d’être examiné, non pas par des instances de
conciliation ou de règlement des conflits, mais plutôt par des organes compétents et
spécialisés dans l'analyse du marché de l'emploi et de ses réalités, qui donneraient
leur avis motivé sur le projet présenté par la direction de l'entreprise et les mesures
sociales d'accompagnement, après avoir recueilli, entre autres, l'avis des
représentants des travailleurs, lequel pourrait être formulé dans le cadre de la
commission consultative d'entreprise, dont il constituerait ainsi une des prérogatives
principales.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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Paragraphe 2ème- RECOMMANDATIONS

323. Une nouvelle réforme du Code du travail touchant tout à la fois les formes
juridiques d’emploi et le régime du licenciement s’avère nécessaire. Une telle
réforme devrait, à notre avis, être substantielle et se présenter comme suit :

R 19- Clarifier le régime du contrat de travail à durée déterminée (CDD) en suivant


l’une des deux options suivantes :
- Soit supprimer purement et simplement le paragraphe premier de l'article 6-4
et toute référence aux situations objectives pouvant tolérer la conclusion
exceptionnelle d'un CDD, ces situations étant forcément couvertes par le paragraphe
2 du même article ;
- Soit maintenir ce paragraphe premier de l'article 6-4 et le fondement implicite
qui l'anime, celui d'un recours exceptionnel au CDD couvrant des situations
objectives, en limitant alors, nécessairement, les possibilités d'un tel recours hors les
situations ainsi délimitées, et ce, en les réservant par exemple à des
formes d'incitation à l'emploi des jeunes où le CDD viendrait accompagner des
stages de formation ou en faisant une sorte de contrat-relais destiné à des chômeurs
inscrits dans les bureaux publics de l'emploi, etc.
R 20- Exiger, en toute hypothèse, la rédaction d’un écrit dès la phase du recrutement
du salarié sous la forme d’un CDD, avec obligation d’y insérer des mentions
obligatoires sur la durée du contrat, le salaire et les autres conditions du travail.
R 21- Faire du CDD un contrat plus attractif, et ce, en adoptant notamment les
mesures suivantes :
- Limiter, d’une part, les effets diamétralement opposés qui séparent la formule de
l’emploi non protégé (CDD) de la formule d'emploi protégée (CDI) en étendant aux
salariés occupés pour une durée déterminée le bénéfice de la gratification de fin de
service ;
- Abroger, d’autre part, le régime d’exception aménagé par l’article 23 de la loi n° 92-
81 du 3 août 1992, relative aux zones franches économiques ( telle que modifiée par
la loi n° 94-14 du 31 janvier 1994 et par la loi n° 2001-76 du 17 juillet 2001) qui
constitue, à elle seule, une négation des garanties légales essentielles, voire une
forme de dumping social, en totale opposition aux principes majeurs du droit du
travail, tant en Tunisie que dans la plupart des autres systèmes juridiques qui prêtent
à comparaison, et qui appelle à une abrogation expresse dans le sillage de la mise en

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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œuvre des principes de la justice sociale et du travail décent proclamés par la


Constitution du 27 janvier 2014.
R 22- Réglementer les diverses formes de travail temporaire ou intérimaire ainsi que
l’activité des bureaux de placement privés afin de concilier normes et pratiques
professionnelles, conformément aux instruments internationaux de protection.
R 23- Améliorer le régime juridique du contrat de travail à temps partiel et en faire
un contrat plus attractif, et ce, en exigeant, d’une part, une durée minimale de
travail qui ne saurait être inférieure à 50% de la durée normale du travail et en
accompagnant, d’autre part, une telle mesure par une neutralisation partielle de
l'incidence de cette forme d'emploi sur les cotisations de sécurité sociale.
R 24- Appréhender la situation du travail et de la représentation des travailleurs
dans les groupes de sociétés, y compris notamment un minimum de règles
garantissant les droits individuels et collectifs des salariés employés dans des
conditions qui font apparaitre l’existence, par-delà l’indépendance juridique et
formelle des diverses entités formant le groupe de sociétés, d’une seule unité
économique et sociale de production : contrôle financier, activité réalisée au service
du groupe, contrôle de l’activité par les dirigeants du groupe, etc.
R 25- Reconsidérer le régime juridique du licenciement pour motif personnel en
apportant notamment les modifications suivantes :
- Limiter l'intervention du législateur au minimum, c'est-à-dire à la fixation de la
gratification de fin de service due à tous les travailleurs, quel que soit la modalité du
contrat de travail (CDD ou CDI) ;
- Déterminer les dommages-intérêts en cas de licenciement abusif suivant un
système à protection progressive dont la définition des conditions de bénéfice doit
être confiée à l'action conjointe des acteurs collectifs qui y procéderaient, secteur
par secteur, selon les réalités propres à chacun d'eux, compte dûment tenu de la
taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié ;
- Supprimer l'institution du conseil de discipline et, à l'instar de la plupart des
expériences de droit comparé, inviter l’employeur à respecter certaines formalités
essentielles avant la décision finale de licenciement, telle que la convocation du
salarié à un entretien préalable, par lettre recommandée lui notifiant les griefs qui lui
sont reprochés et lui indiquant la date, l'heure et le lieu de l'entretien ainsi que la
possibilité de se faire, le cas échéant, assister par une personne de son choix, ainsi
que l’obligation de notification par écrit de toute décision finale de licenciement.
R 26- Améliorer le régime juridique du licenciement pour des raisons économiques

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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ou technologiques, en vue notamment de :


- Procéder à la définition précise des situations pouvant donner lieu à des
licenciements pour motif économique ;
- Donner effet à l’option inscrite dans le nouveau contrat social en vue de mettre en
place un régime d’assurance contre le chômage comportant un système de
cotisation, en entourant un tel système de garanties nécessaires.
R 27- Reconsidérer l'organe administratif compétent en matière de contrôle du
licenciement pour motif économique en confiant cette mission, non pas à des
instances de conciliation ou de règlement des conflits, mais plutôt à des organes
compétents et spécialisés dans l'analyse du marché de l'emploi et de ses réalités, qui
donneraient leur avis motivé sur le projet présenté par la direction de l'entreprise et
les mesures sociales d'accompagnement, après avoir recueilli, entre autres, l'avis des
représentants des travailleurs, lequel pourrait être formulé dans le cadre de la
commission consultative d'entreprise, dont il constituerait ainsi une des prérogatives
principales.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


128

2ème AXE : FAVORISER UNE PLUS GRANDE CAPACITE DE MOBILITE INTERNE DU


TRAVAIL ET D'ADAPTATION DES TACHES ET DES COMPETENCES

Paragraphe 1er- ANALYSE DE LA SITUATION

324. Parler de mobilité interne revient à s'interroger sur les prorogatives de


l'employeur, inhérentes à sa qualité de chef d'entreprise assumant la responsabilité
et les risques de production, en vue d'affecter les ressources humaines et matérielles
disponibles aux activités et aux besoins mouvants de l'entreprise.
325. Les possibilités d'introduire une certaine fléxisécurité en ce domaine sont
forcément plus limitées car, contrairement aux normes relatives à la gestion du
contrat de travail, ci-dessus exposées (formes juridiques d'emploi, licenciement) et
qui sont plus facilement ouvertes aux exigences de la mobilité, les normes relatives à
l'organisation du travail dans l'entreprise suscitent habituellement des questions plus
largement imprégnées des exigences de l'ordre public social et sont d'ailleurs elles-
mêmes souvent la traduction de conventions internationales du travail ratifiées par la
Tunisie.
326. La recherche d'une plus grande mobilité se trouve, par ailleurs, limitée du fait
que nous nous trouvons dans un domaine où la réglementation intégrait, bien avant
la réforme de 1996, une très grande part de flexibilité. En effet, impératives et très
souvent répressives, les normes protectrices du travail laissaient à l'employeur une
large latitude d'adapter les exigences légales et formelles aux réalités propres de
l'entreprise et de concilier ainsi la protection nécessaire des travailleurs avec les
besoins de la production.
327. La réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996 tentera pourtant d'aller au-delà
en vue de déceler les possibilités d’intégrer une plus grande mobilité en ce domaine,
et ce, tant au niveau des normes portant mobilité du temps du travail (A) qu’au
niveau de celles portant mobilité fonctionnelle et une certaine adaptation des tâches
aux besoins de l’entreprise (B).

(A) Législation du travail et mobilité du temps de travail

(1) Aménagement de la durée du travail

328. L'analyse révèle que la législation antérieure à la loi de 1996 conciliait


généralement en ce domaine le souci de flexibilité et la protection nécessaire des
travailleurs. Une plus grande adaptation de cette législation aux besoins de

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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l'entreprise pouvait pourtant être réalisée tout en conservant ce souci d’équilibre


entre objectifs parfois nécessairement divergents.
329. Une des voies généralement souhaitée était, sans doute, de réviser les
dispositions des articles 79 et 80 du Code du travail et d'introduire ainsi une
harmonisation de la durée maximum de travail applicable dans les différents secteurs
d’activité non agricole. Il était en effet devenu inévitable de rompre avec ce système
dualiste de la durée maximum de travail, car le propre d'une réglementation légale
ou réglementaire, en la matière, est toujours de déterminer une norme générale et
unique dans le sens d'une fixation d'une durée maximum de travail, sorte de
minimum social protecteur, laissant aux partenaires sociaux la latitude d’adapter
cette durée maximum aux possibilités et aux exigences propres de chaque secteur
d’activité, voire de chaque entreprise prise isolément.
330. Tout cela militait en faveur d'une révision des articles 79 et 80 du Code du travail
et l'adoption d'une norme générale devant se situer entre 40 heures et 48 heures de
travail par semaine, sachant que la norme internationale en ce domaine est, faut-il le
rappeler, la semaine des 40 heures (Convention (n° 47) des quarante heures, 1935,
non ratifiée par la Tunisie).
331. En contrepartie et à mesure que la norme générale se serait rapprochée des 40
heures, la loi pouvait introduire une mobilité fonctionnelle, et ce, en autorisant les
partenaires sociaux -et même, en les incitant -à adopter une base de calcul annuelle
de la durée maximum de travail équivalente. C'est là, assurément, le sens d’équilibre
permettant, tout à la fois, de réaliser un progrès social, grâce à la réduction de la
durée maximum de travail, et une plus grande adaptation des tâches accomplies aux
exigences mouvantes de la production.
332. La réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996 n'a pas permis, nous semble-t-
il, d'introduire une cohérence parfaite en ce domaine. Si elle a introduit la mobilité
fonctionnelle souhaitée en permettant d'adopter une base de calcul annuelle de la
durée du travail, elle n'a pas permis d’équilibrer cette mesure par une redéfinition de
la durée maximum de travail, ni abouti à dépasser de façon cohérente le système
dualiste, ci-dessus évoqué :
- La loi a maintenu la durée maximum de travail à 48 heures par
semaine ou une durée équivalente "établie sur une période autre
que la semaine sans que la durée de cette période ne puisse être
supérieure à une année " (article 79, alinéa 1 (nouveau) du Code du travail) ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


130

- La loi de 1996 a, en même temps, autorisé une réduction de cette


durée maximum de travail, par voie d'accords collectifs ou de
textes réglementaires, en prenant soin, toutefois, d'ajouter que cette
réduction ne peut "être inférieure à 40 heures par semaine ou une
limitation équivalente établie sur une période de temps autre que la
semaine et ne dépassant pas une année" (article 79, alinéa 2
(nouveau) du Code du travail).
333. C'est cette dernière disposition qui prête, nous semble-t-il, à confusion. Que la
loi n'ait réalisé aucun progrès social en contrepartie de la flexibilité horaire ci-dessus
évoquée -fixation de la durée maximum de travail sur une période de temps autre
que la semaine -en optant pour une durée maximum de travail de 48 heures, la chose
en soi peut trouver quelque explication. Mais que l'on prétende interdire aux
partenaires sociaux ou au pouvoir réglementaire de ramener la durée maximum de
travail à une durée inférieure à 40 heures, sachant que nombre de secteurs d’activité
adoptent depuis longtemps la semaine des 40 heures maximum, cela aboutit à
ignorer que le propre de toute législation du travail en ce domaine est, dans tous les
systèmes qui prêtent à comparaison, de se limiter à fixer "une durée maximum de
travail". En fixant dès lors une sorte de "durée minimum de travail", le législateur ne
se borne pas à méconnaître la finalité de la notion de durée de travail, il fige tout
progrès social pour l'avenir et porte un coup dur à la liberté contractuelle elle-même.
Que se passerait-il si, sur un autre plan, celui des salaires par exemple et suivant la
même logique, l'on était amené à fixer à côté du "salaire minimum" une sorte de "
salaire maximum" ?
334. Au total, la réforme n'est pas véritablement parvenue à offrir un cadre cohérent
et harmonisé en matière de fixation de la durée maximum de travail qui aurait
pourtant pu permettre une autre harmonisation touchant au régime applicable aux
heures supplémentaires.
335. Sur ce dernier point, la loi de 1996 a, d'abord et du même coup, maintenu le
système dualiste antérieur concernant la rémunération de ces heures :
- Majoration de 75% de toute heure de travail supplémentaire
pour le régime de travail de 48 heures par semaine ;
- Majoration de 25% pour les heures supplémentaires portant la
durée du travail à 48 heures par semaine et de 50% pour les
heures supplémentaires effectuées au-delà de cette durée, pour
les régimes de travail inférieurs à 48 heures (article 90
(nouveau) du Code du travail).

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


131

336. Mais la loi de 1996 a, ensuite et surtout, manqué l'occasion sur ce point
d'harmoniser l'institution des heures supplémentaires avec les nouvelles dispositions
introduites dans le domaine de la flexibilité horaire, d'une part, et avec les exigences
de la politique de l'emploi, d'autre part.
337. Il aurait été indiqué, en effet, d'accompagner la flexibilité horaire introduite par
une limitation raisonnable des heures supplémentaires autorisées qui va au-delà de
la seule limite hebdomadaire fixée par l'article 93 du Code du travail aux termes
duquel "L’exécution d'heures supplémentaires ou la récupération d'heures perdues ne
peuvent avoir pour effet de porter à plus de soixante heures, non comprises les heures de
dérogation permanentes, la durée hebdomadaire du travail..." : non seulement une telle
limite sur la semaine aurait pu être révisée dans le sens d'une plus grande restriction
des heures supplémentaires autorisées, mais elle aurait pu s'accompagner, en même
temps, par une double limitation journalière et annuelle. C'est là le sens d’ équilibre
permettant de concilier entre le souci de réaliser un meilleur taux d'ajustement de
l'emploi aux besoins de la production et la nécessité de garantir, en contrepartie, un
seuil de protection minimum; sans parler des incidences d'une telle orientation sur la
politique de l'emploi en général, tant il est vrai, en Tunisie comme ailleurs, qu'un
recours immodéré aux heures supplémentaires est de nature à annihiler les efforts
de l'Etat en vue d'assurer une plus grande égalité de chances en ce domaine.

(2) Repos hebdomadaire et congés payés

(a) Repos hebdomadaire

338. Les possibilités de réforme en ce domaine étaient normalement fort réduites


tant la législation antérieure paraissait peu rigide. Une plus grande souplesse pouvait
néanmoins être envisagée en confiant la possibilité aux partenaires sociaux de fixer,
exceptionnellement, le repos hebdomadaire à n'importe quel jour de la semaine, et
ce, selon les besoins et réalités propres au secteur ou à la profession, à la région ou à
certaines localités.
339. La loi du 15 juillet 1996, précitée, tout en conférant aux deux parties dans
l'entreprise la possibilité d’arrêter un autre jour du repos hebdomadaire que le
vendredi, le samedi, le dimanche ou le jour du marché hebdomadaire (article 106
(nouveau) du Code du travail), est allée plus loin en conférant au Gouverneur - à la
demande de l'une des organisations syndicales des employeurs ou des travailleurs la
plus représentative de la profession dans la région et après consultation des autres
organisations professionnelles - la possibilité de fixer les modalités d'application du

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


132

repos hebdomadaire pour une profession, un ensemble de professions dans la


région, une ville ou une localité déterminée. Il peut à cet effet, aux termes de l'article
97 (nouveau) du Code du travail :
"...1/ décider que, pour une profession ou un ensemble de professions, le repos sera pris le
même jour de la semaine dans la région entière ou seulement dans certaines localités ;
2/ fixer pour le repos un autre jour que le vendredi, le samedi ou le dimanche ;
3/ décider que le repos aura lieu :
a- à compter de midi d'un jour de la semaine jusqu’à midi du jour suivant ;
b- le vendredi, le samedi ou le dimanche après-midi avec un repos
compensateur d'une autre demi-journée pris par roulement et chaque semaine ;
c- par roulement de tout ou partie du personnel ;
4/ autoriser les entreprises d'une profession déterminée à accorder le repos par un
roulement préétabli pour toutes les entreprises concernées ".

340. Les voies ouvertes par ce texte, si elles prennent soin de sauvegarder les
exigences de la concertation sociale par la consultation nécessaire des partenaires
sociaux, nous paraissent aller parfois au-delà des normes établies par les Conventions
(n° 14) concernant le repos hebdomadaire dans l'industrie et (n° 106) concernant le
repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux de l'O.I.T, ratifiées par la
Tunisie, et ce, par la possibilité conférée au Gouverneur, hors les situations
d'urgence, d'accident survenu ou imminent ou de surcroît extraordinaire du travail
provenant de circonstance particulière, de limiter le bénéfice d'un repos
hebdomadaire d'une journée entière et de le remplacer par un repos d'une demi-
journée seulement, quoique accompagné par un repos compensateur d'une autre
demi-journée pris par roulement et chaque semaine.
341. La même observation nous semble valoir encore davantage pour l'article 100
(nouveau) du Code du travail qui autorise expressément les établissements de vente
de denrées alimentaires au détail à retenir une telle option (repos d'une demi-
journée avec repos compensateur d'une autre demi-journée). Le caractère général du
texte est, alors, difficilement conciliable avec les dispositions de l'article 7 de la
Convention (n° 107) de l’OIT, précitée, qui n'autorise de telles possibilités que
relativement à "des catégories déterminées de personnes ou des catégories déterminées
d’établissements" ce qui renvoie, nécessairement, à des mesures exceptionnelles
justifiées par "la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement,
l'importance de la population à desservir ou le nombre de personnes employées " (article 7
de la Convention (n° 107) précitée) et à condition encore que ces mesures soient

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


133

prises "en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des
travailleurs intéressés".

(b) Congés payés

342. S'agissant des congés payés, la réforme introduite par la loi du 15 juillet 1996 n'a
apporté que de légères modifications à la législation antérieure, en maintenant pour
l'essentiel le principe de l'octroi d'un congé annuel dont la durée est déterminée,
comme de par le passé, " …à raison d'un jour par mois de travail sans que la durée du
congé exigible puisse excéder une période de quinze jours comprenant douze jours
ouvrables", durée portée pour les salariés de moins de dix-huit ans "à deux jours par
mois de travail, sans que la durée totale du congé puisse excéder une période de trente jours
dont vingt-quatre jours ouvrables" et, pour les salariés âgés de dix-huit à vingt ans, "à un
jour et demi par mois de travail sans que la durée totale du congé exigible puisse excéder
vingt-deux jours dont dix-huit jours ouvrables" (article 113 (nouveau) du Code du travail).

343. On regrettera sur ce point, en premier lieu, que le législateur n'ait pas songé à
supprimer la référence au seuil maximum que la durée totale du congé payé est, dans
chacun des cas précités, appelée à ne pas dépasser. C'est exprimer, en substance,
l’idée d'un congé annuel "maximum" alors que le propre de la législation du travail en
ce domaine, en Tunisie comme ailleurs, est toujours de définir un congé annuel payé
d'une durée minimum déterminée.
344. On relèvera, en second lieu, l'option arrêtée par l'article 114 (nouveau) du Code
du travail consistant à réviser la base de calcul, c'est-à-dire la notion de mois de
travail effectif, en le ramenant à une période équivalente à vingt-six jours ouvrables,
au lieu de vingt-quatre jours comme le stipulait l'article 114 dans sa version ancienne.
A la base, il y a semble-t-il l’idée que le mois de travail effectif équivaut, en réalité, à
une période de vingt-six jours de travail et non de vingt-quatre jours, étant considéré
que les jours de travail effectif pour une année de 365 jours sont au nombre de 313
lorsqu'on aura déduit les jours de repos hebdomadaire au nombre de 52 jours par an.
345. Cette option aurait ainsi, pour conséquence, de ramener le congé payé à une
durée légale de 12 jours, alors que la durée légale est en fait souvent dépassée et
l'institution d'un congé annuel d'au moins trois semaines est largement insérée dans
la réalité sociale, par l'effet des conventions collectives et autres statuts particuliers.
346. Mieux aurait valu, en réalité, admettre la réalité sociologique et, sur ce point,
faire montre de progrès social et réaliser, en même temps, l’équité souhaitable dans
le traitement des différentes catégories de salariés, en harmonie avec les normes
internationales de protection (Convention (n° 132), 1970), non ratifiée par la Tunisie).

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134

(B) Législation du travail et mobilité fonctionnelle (Adaptation des tâches et des


qualifications, mutation)

347. Le fonctionnement d'une entreprise n'est pas figé. Aussi et pour rester
compétitive, elle doit progresser pour s'adapter aux évolutions économiques,
concurrentielles et technologiques, mais aussi adapter son personnel, réorganiser les
emplois, etc. Or, le Code du travail ne fixait, nulle part, la mesure dans laquelle le
Chef d'entreprise, conformément à son pouvoir de direction de l’entreprise, est
habilité à procéder à un ajustement du travail en fonction de l'aptitude du salarié, des
nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise ou de la conjoncture économique
et sociale. La loi du 15 juillet 1996, précitée, y a très partiellement pourvu en ajoutant
un article 76-2 au Code du travail, aux termes duquel : "Pour nécessité de service, le
travailleur peut être chargé d'effectuer des travaux d'une catégorie inférieure ou supérieure à
sa catégorie.
Les modalités d'application des dispositions du paragraphe précédent sont fixées par les
conventions collectives, les contrats individuels ou par arrêté du ministre chargé des Affaires
Sociales, pris après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs
concernées".

348. Doctrine et jurisprudence s'accordent, toutefois, pour affirmer un principe


général selon lequel l'employeur, maître de l'organisation et du bon fonctionnement
de ses services, peut plus largement, et sans engager sa responsabilité, apporter,
dans les limites de son pouvoir de direction, des aménagements dans l’exécution de
la prestation du travail, dès l'instant où il ne porte pas atteinte pour autant aux
"éléments substantiels du contrat" ou ne lui apporte pas de "modification
essentielle" touchant à la qualification, aux attributions principales, aux conditions de
travail ou à la rémunération.
349. Le droit conventionnel a comblé, en partie, le silence du Code de travail en
prévoyant des dispositions explicites couvrant, notamment, deux situations majeures
pouvant s'apparenter à des cas de modifications essentielles de la prestation de
travail :
- la première résulte de l'utilisation des travailleurs dans les fonctions autres
que celles de leur grade (article 15 (nouveau) de la Convention Collective Cadre) ;
- la deuxième résulte du changement de résidence ou de la mutation du salarié :
(article 22 (nouveau) de la Convention Collective Cadre).
350. Il n'est pas utile d'analyser, dans les détails, le contenu de ces dispositions
introduites par l'avenant n°1 à la Convention Collective Cadre, signé le 17 novembre

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


135

1984, et généralement reprises dans les conventions sectorielles. Force est


cependant de reconnaître qu'elles ont porté de sérieuses restrictions à ces diverses
formes de mobilité, en faisant largement prévaloir les considérations sociales sur les
besoins économiques de l'entreprise.
351. L'exemple de la mutation donne un exemple des difficultés introduites par le
droit conventionnel en ce domaine. L'article 22 de la CCC dispose à ce sujet : " Les
changements de résidence ou mutations ne peuvent être décidés que par nécessité de service
et dans la mesure où il n'existe pas de volontaires parmi les travailleurs remplissant les
conditions requises.
Dans ce cas, il sera tenu compte de l’ancienneté du travailleur, de sa condition familiale et
d'habitation, ainsi que de sa responsabilité syndicale.
Dans tous les cas, tous les frais engendrés directement par ce changement de résidence ou
cette mutation seront à la charge de l'employeur ".

352. Que la Convention collective cadre prenne soin de prévenir les cas extrêmes
d'abus en interdisant les mesures de mobilité revêtant un caractère vexatoire ou
qu'elle définisse les mesures sociales d’accompagnement et tendant à limiter les
conséquences matérielles et sociales d'une telle mesure, l'affaire en soi est
indiscutable et digne d’intérêt. Mais, en la circonstance, l'article 22 précité va bien
au-delà, jusqu’à ignorer toute considération économique pouvant présider à la
désignation par le chef d'entreprise du salarié qui, au regard du profil nécessaire et
de l’efficacité recherchée, pourrait être le mieux à même à y répondre: le chef
d'entreprise est alors contraint à abandonner ces considérations et à rechercher,
quand la condition préalable de nécessité de service est établie, un candidat
volontaire à la mutation et, seulement en l'absence d'un tel candidat, à choisir la
personne concernée en tenant compte au surplus de conditions toutes à caractère
social, liées à sa situation professionnelle, familiale et syndicale !
353. Plus généralement, le Code du travail gagnerait à être plus explicite en précisant:
- d'une part, ce qui entre dans le pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au
salarié ;
- et d'autre part, ce qui relève des conditions essentielles et déterminantes du
contrat de travail, lesquelles ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord du salarié.
354. Le Code du travail gagnerait, ainsi, à identifier comme élément essentiel du
contrat de travail tout élément du contrat qui pouvait être déterminant pour le
salarié lors de la conclusion du contrat, y compris notamment :
- la rémunération (y compris les frais de remboursement de frais professionnels) ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


136

- la qualification, le poste et le grade ;


- les responsabilités et les attributions ;
- la durée du travail ;
- le type de contrat de travail, et
- le lieu de travail, s’il emporte modification du secteur géographique.
La modification d'un de ces éléments essentiels du contrat de travail ne peut être
imposée par l'employeur, mais seulement proposée au salarié concerné lequel est en
droit de refuser la modification, sans que son refus ne constitue une faute grave
justificative de licenciement.
355. Le Code du travail gagnerait, en même temps, à reconnaitre expressément à
l’employeur le pouvoir d’imposer au salarié, dans le cadre de son pouvoir de
direction, un changement des conditions ordinaires du travail, y compris
notamment le droit :
- de procéder à la réorganisation des tâches et des responsabilités confiées à un
salarié, dès lors qu'elles sont conformes à sa qualification et que restent inchangées
sa classification et sa rémunération ;
- de procéder à un changement de lieu de travail dans un même secteur
géographique justifié dans l'intérêt de l'entreprise.
356. Dès lors que la modification du lieu de travail s’effectue dans un même secteur
géographique, elle ne constitue qu’une modification des conditions de travail que
l’employeur peut imposer aux salariés. Le changement de lieu de travail constitue
une modification du contrat de travail si et seulement si le nouveau lieu de travail se
situe dans un secteur géographique différent.
357. S’agissant de la notion de secteur géographique différent, le droit conventionnel
ou la jurisprudence seraient mieux à même d’en préciser le sens et le contour suivant
les circonstances propres à chaque secteur d’activité, voire à chaque entreprise. Mais
il est évident que plus la distance du nouveau lieu de travail sera grande, plus cela
risque d'être considéré comme une modification du contrat de travail. Ainsi, en droit
français par exemple, il semble selon la jurisprudence qu'un déplacement inférieur à
20 km est généralement considéré comme faisant partie du même secteur
géographique93.

93
Cf. par exemple, Cass. soc., 12 avr. 2012, n° 11-15.971. Dans cette affaire concernant des
salariées employées dans une maison de retraite qui ont refusé leur nouvelle affectation
après la fermeture de l’établissement et le transfert de l’activité dans une ville voisine de 19

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


137

Paragraphe 2ème- RECOMMANDATIONS

358. Une réforme du droit s’avère nécessaire, celle par laquelle les partenaires
sociaux arrivent à un arbitrage plus cohérent entre les considérations économiques
de mobilité et d'ajustement constant des prestations de travail selon l'aptitude du
salarié et les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, d'une part, et les
considérations sociales devant normalement accompagner les mesures de mobilité
interne, d'autre part.

R 28- Réviser les articles 79 et 80 du Code du travail concernant la durée maximum


du travail dans le sens de l'adoption d'une norme générale devant se situer entre 40
heures et 48 heures de travail par semaine et harmoniser, en même temps,
l'institution des heures supplémentaires avec les exigences de la politique de
l'emploi, et ce, par l’introduction d’une limitation raisonnable, journalière,
hebdomadaire et annuelle.
R 29- Reconsidérer la durée légale du congé annuel payé dans le sens d’un congé
d'au moins trois semaines, largement inséré dans la réalité sociale, par l'effet des
conventions collectives et autres statuts particuliers.
R 30- Reconsidérer le régime légal et conventionnel de la mobilité fonctionnelle, en
précisant, d'une part, ce qui relève des conditions essentielles et déterminantes du
contrat de travail, lesquelles ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord du salarié, à
savoir la rémunération, la qualification, le poste et le grade, les responsabilités et les
attributions, la durée du travail, le type de contrat de travail, et le lieu de travail, s’il
emporte modification du secteur géographique, et, d’autre part, ce qui entre dans
le pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au salarié, y compris notamment
le pouvoir de l’employeur :
- de procéder à la réorganisation des tâches et des responsabilités confiées à un
salarié, dès lors qu'elles sont conformes à sa qualification et que restent inchangées

km, sous prétexte qu’elle constituait une modification du contrat de travail que l’employeur
ne pouvait imposer sans leur accord, la Cour de cassation, confirmant la décision de la cour
d’appel, considère que le déplacement du lieu de travail se faisait dans le même secteur
géographique, et ne constituait qu'une modification des conditions de travail. En
conséquence le refus des salariées de rejoindre ce nouveau lieu de travail était fautif, et
caractérisait la cause réelle et sérieuse de licenciement.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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sa classification et sa rémunération ;
- de procéder à un changement de lieu de travail dans un même secteur
géographique justifié dans l'intérêt de l'entreprise.

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CONCLUSION
QUESTION FINALE : A QUAND UNE REFONTE TOTALE DU CODE DU TRAVAIL ?

359. Il convient de rappeler, en conclusion, que le Code du travail du 30 avril 1966


n’est autre chose que l’addition de textes épars, apparus depuis 1910 et regroupés en
1966 selon une certaine logique dans un code unique qui est devenu depuis, et à la
faveur des réformes qui s’y sont ajoutées, un amas de dispositions disparates, sans
cohérence d’ensemble, difficiles à lire et à comprendre, et donc à appliquer, même
par les personnes rompues aux discussions et aux techniques juridiques.

RECOMMANDATION FINALE

360. La Tunisie gagne à engager, dans le cadre d’un large dialogue national entre le
gouvernement et l’ensemble des organisations représentatives des travailleurs et des
employeurs, ainsi que les autres composantes de la société civile, y compris les
organisations de la jeunesse – à qui l’avenir appartient – une réflexion profonde en
vue d’adapter la législation du travail aux nouvelles réalités: un nouveau Code du
travail alliant concision et rigueur méthodologique devrait être adopté dont l’objet
devrait porter essentiellement sur la mise en œuvre des valeurs et principes
essentiels et incontournables, ceux-là même proclamés dans le Préambule et aux
articles 12, 35, 36 et 40 de la Constitution du 27 janvier 2014, et qui résument, en
général, les tendances majeures consacrées par les conventions internationales du
travail ratifiées par la Tunisie, à savoir le droit à la justice sociale, le droit à un
travail décent sur la base du mérite et de l’équité et dans des conditions favorables
et avec un salaire équitable, le droit à la liberté syndicale et au dialogue social.
Pour tout le reste, tout ce qui a trait à la portée des engagements contractuels et
aux droits et obligations respectives des parties, le législateur devrait se limiter à
poser des règles générales, renvoyant les données techniques à l’action conjointe
des partenaires sociaux en matière de qualification des situations nouvelles, de
définition des tâches et des compétences et d’adaptation des conditions d'emploi
et de rémunération aux besoins spécifiques des différents secteurs d’activité et aux
réalités mouvantes des entreprises et de l’emploi.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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SYNTHESE DES RECOMMANDATIONS

R 1- Adopter un nouveau Code du travail, en y aménageant une partie – ou un


chapitre - préliminaire mettant en œuvre les droits fondamentaux de l’homme au
travail tels que proclamés notamment aux articles 36 et 40 de la Constitution du 27
janvier 2014 et dans les conventions internationales pertinentes, y compris
notamment :
- La liberté du travail et l’interdiction de toute forme de travail forcé ;
- Le droit du droit au travail et à l'égalité des chances devant le travail ;
- la non-discrimination entre l’homme et la femme en matière d’emploi et l’égalité de
rémunération pour un travail de valeur égale.

R 2- Redéfinir, dans cette même partie – ou un chapitre préliminaire – le champ


d’application du Code du travail en vue d’intégrer des catégories de travailleurs
occupés dans des tâches "non visibles", car nos reconnues comme un véritable
travail, y compris notamment les travailleurs domestiques dont les droits
fondamentaux à un salaire équitable et à des conditions de travail justes doivent être
spécialement définis, en harmonie avec la dernière Convention n° 189 de l’OIT
(2011), sur les travailleuses et les travailleurs domestiques, dont il est recommandé
de procéder à la ratification par la Tunisie.
R 3- Définir un régime d’interdiction du travail domestique pour les enfants, assorti
de dérogations pour les enfants âgés de 16 à 18 ans, dont l’emploi à un travail
domestique doit être effectué dans des conditions bien définies par le Code du travail
lui-même, adaptées à leur situation propre, avec la mise en place de mesures de
protection et de mécanismes de contrôle adéquats, y compris notamment :
- Protection efficace contre toute forme d’abus, de harcèlement et de violence ;
- Conditions d’emploi équitables et conditions de vie décentes ;
- Les enfants travailleurs domestiques, ainsi que leurs parents, doivent être informés
des modalités et conditions de l’emploi de façon aisément compréhensible, et de
préférence par un contrat écrit ;
- Les heures de travail doivent respecter les normes fixées par la législation du travail
applicable aux enfants, avec interdiction du travail de nuit et des heures
supplémentaires ;
- Les périodes de repos journalier et hebdomadaire, et les congés payés annuels
doivent être rigoureusement définies et respectées ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


141

- La rémunération, y compris le salaire minimum doivent être fixés et respectés ;


- Le paiement du salaire doit être effectué en espèces, directement au travailleur, et à
intervalle régulier ne dépassant pas un mois ;
- La sécurité et la santé et le droit à un environnement de travail sain et
sécurisé doivent être reconnus et respectés ;
- La sécurité sociale doit être redéfinie avec des conditions non moins favorables que
celles applicables aux travailleurs en général ;
- Le travail ne doit pas priver les enfants de la scolarité obligatoire, ou interférer avec
leurs possibilités d’éducation ou de formation professionnelle ;
- Conditions de vie décentes concernant les enfants travailleurs vivant chez
l’employeur, respectant la vie privée des enfants ;
- Liberté de parvenir à un accord avec leur(s) employeur(s) potentiel(s) de résider ou
non dans le ménage ;
- Aucune obligation de rester au domicile de l’employeur lors des périodes de repos
ou de congé, etc.
R 4- Réaffirmer et redéfinir le droit des personnes ayant un handicap à des mesures
d’action positive en vue d’accroître leur accès aux possibilités de formation
professionnelle et d’emploi ;
R 5- Redéfinir les fonctions de l’inspection du travail et garantir une plus grande
séparation des entre les directions et services chargés du contrôle des prescriptions
du travail et ceux exerçant les fonctions de conciliation ;
R 6- Revoir le système de sanctions pénales, en revalorisant les pénalités et en les
adaptant aux objectifs de prévention des atteintes à la santé et à la sécurité dans le
travail ;
R 7- Aggraver les sanctions pénales encourues pour toutes les infractions commises
en matière d’emploi illégal des enfants, surtout le cas de travail forcé des enfants, et
ce conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif à la
Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants ;
R 8- Aménager des sanctions pénales plus lourdes dans le cas de manquements
inexcusables aux règles concernant la santé et la sécurité au travail, ayant causé des
accidents du travail ;

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


142

R 9- Activer la création du Conseil national du dialogue social, doté d’une autonomie


administrative et financière, et le hisser au rang des hautes autorités nationales de
régulation dans le domaine social et du travail, offrant un cadre privilégié au dialogue
actif et permanent entre le gouvernement et les organisations représentatives des
travailleurs et d’employeurs en vue de la mise en place concertée des axes
prioritaires de la politique sociale et du travail ;
R 10- Conférer au Conseil national du dialogue social un rôle consultatif large, lui
reconnaissant le pouvoir de donner des avis, à la demande du Gouvernement, ou par
sa propre initiative, sur toutes les questions relatives au travail et au déroulement de
la négociation collective aux divers échelons, national, sectoriel et celui de
l’entreprise ;
R 11- Adopter dans le cadre du Code du travail une approche d’ensemble de la
négociation collective et des relations professionnelles définissant, avec précision, les
acteurs du dialogue social aux différents niveaux, en réservant une place prioritaire à
la négociation d’entreprise, ainsi que les différentes étapes de la négociation et en
établissant un devoir de négociation de bonne foi pendant toutes ses étapes ;
R12- Reconsidérer le principe de faveur en procédant à une nouvelle articulation
entre les sources légales et les sources conventionnelles, d’une part, et entre les
accords collectifs entre eux d’autre part, et ce, en appliquant les règles suivantes :
- Autoriser expressément que les conventions collectives, à quelque niveau qu’elles
se situent – y compris la convention d’établissement (ou convention d’entreprise) -, si
elles ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public du droit du travail,
pourraient par contre contenir des dispositions dérogatoires à la loi si celles-ci sont
permises par la dite loi ;
- Garantir une adaptation des accords sectoriels aux réalités des entreprises, et ce, en
autorisant expressément que les accords d'entreprise puissent comporter des clauses
salariales dérogeant aux stipulations salariales sous réserve de respecter
l'augmentation de la masse salariale totale et les salaires minima hiérarchiques ;
- Convenir que l'accord de niveau inférieur puisse comporter des dispositions moins
favorables que l'accord de niveau supérieur à condition que ce dernier ne l'interdise
pas expressément.
R 13- Procéder à la création, dans les principales concentrations économiques, de
tribunaux qui, en parallèle avec les conseils de prud’hommes, seraient spécialisés
dans les relations collectives du travail et veilleraient, à la demande de l’une ou
l’autre des deux parties, à lever les difficultés entravant le cours normal des

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


143

négociations et les conflits qui les accompagnent. Ce serait là, à coup sûr, un
instrument idéal d’apaisement des tensions sociales permettant de les dégager de
l’emprise directe du politique en les confiant à leur juge naturel ;
R 14- Redéfinir le droit de grève, en engageant un débat responsable, au terme
duquel, les partenaires s'engagent à s'abstenir de toute action collective portant sur
les matières régies par les accords collectifs pendant toute la durée de validité de ces
accords et en instaurant un devoir de paix sociale englobant l'obligation expresse
d'épuiser toutes les possibilités de négociation avant de recourir à la grève ;
R 15- Définir une meilleure politique concertée des salaires, ayant pour finalité une
plus grande rigueur en conjuguant les différentes méthodes à même d’assurer un
équilibre entre les impératifs du développement économique et les nécessités de
sauvegarder la dynamique sociale relevant de l’action des partenaires sociaux ;
R 16- Organiser avec précision la représentation syndicale dans l’entreprise ;
R 17- Définir avec précision les obligations patronales en matière de consultation des
institutions représentatives du personnel, en l’occurrence la CCE, y compris
notamment les délais à observer avant telle ou telle décision à prendre, pour requérir
l’avis de la CCE, le contenu des informations qui lui sont fournies, etc.
R 18- Etendre, surtout, les prérogatives de la CCE dans le domaine économique, en
prévoyant notamment son information détaillée et sa consultation obligatoire sur
toutes les questions intéressant la marche de l’entreprise, y compris – on y reviendra
ci-dessous – sa consultation en matière de licenciement pour motif économique ou
technologique ;
R 19- Clarifier le régime du CDD en suivant l’une des deux options suivantes :
- Soit supprimer purement et simplement le paragraphe premier de l'article 6-4 et
toute référence aux situations objectives pouvant tolérer la conclusion exceptionnelle
d'un CDD, ces situations étant forcément couvertes par le paragraphe 2 du même
article ;
- Soit maintenir ce paragraphe premier de l'article 6-4 et le fondement implicite qui
l'anime, celui d'un recours exceptionnel au CDD couvrant des situations objectives, en
limitant alors, nécessairement, les possibilités d'un tel recours hors les situations ainsi
délimitées, et ce, en les réservant par exemple à des
formes d'incitation à l'emploi des jeunes où le CDD viendrait accompagner des stages
de formation ou en faisant une sorte de contrat-relais destiné à des chômeurs inscrits
dans les bureaux publics de l'emploi, etc.

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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R 20- Exiger, en toute hypothèse, la rédaction d’un écrit dès la phase du recrutement
du salarié sous la forme d’un CDD, avec obligation d’y insérer des mentions
obligatoires sur la durée du contrat, le salaire et les autres conditions du travail ;
R 21- Faire du CDD un contrat plus attractif, et ce, en adoptant notamment les
mesures suivantes :
- Limiter, d’une part, les effets diamétralement opposés qui séparent la formule de
l’emploi non protégé (CDD) de la formule d'emploi protégée (CDI) en étendant aux
salariés occupés pour une durée déterminée le bénéfice de la gratification de fin de
service ;
- Abroger, d’autre part, le régime d’exception aménagé par l’article 23 de la loi n° 92-
81 du 3 août 1992, relative aux zones franches économiques ( telle que modifiée par
la loi n° 94-14 du 31 janvier 1994 et par la loi n° 2001-76 du 17 juillet 2001) qui
constitue, à elle seule, une négation des garanties légales essentielles, voire une
forme de dumping social, en totale opposition aux principes majeurs du droit du
travail, tant en Tunisie que dans la plupart des autres systèmes juridiques qui prêtent
à comparaison, et qui appelle à une abrogation expresse dans le sillage de la mise en
œuvre des principes de la justice sociale et du travail décent proclamés par la
Constitution du 27 janvier 2014.
R 22- Réglementer les diverses formes de travail temporaire ou intérimaire ainsi que
l’activité des bureaux de placement privés afin de concilier normes et pratiques
professionnelles, conformément aux instruments internationaux de protection ;
R 23- Améliorer le régime juridique du contrat de travail à temps partiel et en faire un
contrat plus attractif, et ce, en exigeant, d’une part, une durée minimale de travail
qui ne saurait être inférieure à 50% de la durée normale du travail et en
accompagnant, d’autre part, une telle mesure par une neutralisation partielle de
l'incidence de cette forme d'emploi sur les cotisations de sécurité sociale ;
R 24- Appréhender la situation du travail et de la représentation des travailleurs dans
les groupes de sociétés, y compris notamment un minimum de règles garantissant les
droits individuels et collectifs des salariés employés dans des conditions qui font
apparaitre l’existence, par-delà l’indépendance juridique et formelle des diverses
entités formant le groupe de sociétés, d’une seule unité économique et sociale de
production : contrôle financier, activité réalisée au service du groupe, contrôle de
l’activité par les dirigeants du groupe, etc.
R 25- Reconsidérer le régime juridique du licenciement pour motif personnel en
apportant notamment les modifications suivantes :

Cahier de l’ITES N°3 : Le droit du travail 50 ans après ©ITES 2016


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- Limiter l'intervention du législateur au minimum, c'est-à-dire à la fixation de la


gratification de fin de service due à tous les travailleurs, quel que soit la modalité du
contrat de travail (CDD ou CDI) ;
- Déterminer les dommages-intérêts en cas de licenciement abusif suivant un
système à protection progressive dont la définition des conditions de bénéfice doit
être confiée à l'action conjointe des acteurs collectifs qui y procéderaient, secteur par
secteur, selon les réalités propres à chacun d'eux, compte dûment tenu de la taille de
l’entreprise et de l’ancienneté du salarié ;
- Supprimer l'institution du conseil de discipline et, à l'instar de la plupart des
expériences de droit comparé, inviter l’employeur à respecter certaines formalités
essentielles avant la décision finale de licenciement, telle que la convocation du
salarié à un entretien préalable, par lettre recommandée lui notifiant les griefs qui lui
sont reprochés et lui indiquant la date, l'heure et le lieu de l'entretien ainsi que la
possibilité de se faire, le cas échéant, assister par une personne de son choix, ainsi
que l’obligation de notification par écrit de toute décision finale de licenciement.
R 26- Améliorer le régime juridique du licenciement pour des raisons économiques ou
technologiques, en vue notamment de :
- Procéder à la définition précise des situations pouvant donner lieu à des
licenciements pour motif économique ;
- Donner effet à l’option inscrite dans le nouveau contrat social en vue de mettre en
place un régime d’assurance contre le chômage comportant un système de
cotisation, en entourant un tel système de garanties nécessaires.
R 27- Reconsidérer l'organe administratif compétent en matière de contrôle du
licenciement pour motif économique en confiant cette mission, non pas à des
instances de conciliation ou de règlement des conflits, mais plutôt à des organes
compétents et spécialisés dans l'analyse du marché de l'emploi et de ses réalités, qui
donneraient leur avis motivé sur le projet présenté par la direction de l'entreprise et
les mesures sociales d'accompagnement, après avoir recueilli, entre autres, l'avis des
représentants des travailleurs, lequel pourrait être formulé dans le cadre de la
commission consultative d'entreprise, dont il constituerait ainsi une des prérogatives
principales.
R 28- Réviser les articles 79 et 80 du Code du travail concernant la durée maximum
du travail dans le sens de l'adoption d'une norme générale devant se situer entre 40
heures et 48 heures de travail par semaine et harmoniser, en même temps,
l'institution des heures supplémentaires avec les exigences de la politique de

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l'emploi, et ce, par l’introduction d’une limitation raisonnable, journalière,


hebdomadaire et annuelle.
R 29- Reconsidérer la durée légale du congé annuel payé dans le sens d’un congé d'au
moins trois semaines, largement inséré dans la réalité sociale, par l'effet des
conventions collectives et autres statuts particuliers ;
R 30- Reconsidérer le régime légal et conventionnel de la mobilité fonctionnelle, en
précisant, d'une part, ce qui relève des conditions essentielles et déterminantes du
contrat de travail, lesquelles ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord du salarié, à
savoir la rémunération, la qualification, le poste et le grade, les responsabilités et les
attributions, la durée du travail, le type de contrat de travail, et le lieu de travail, s’il
emporte modification du secteur géographique, et, d’autre part, ce qui entre dans
le pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au salarié, y compris notamment
le pouvoir de l’employeur :
- de procéder à la réorganisation des tâches et des responsabilités confiées à un
salarié, dès lors qu'elles sont conformes à sa qualification et que restent inchangées
sa classification et sa rémunération ;
- de procéder à un changement de lieu de travail dans un même secteur
géographique justifié dans l'intérêt de l'entreprise.

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