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Chapitre 3 : Les nouvelles théories du marché du travail

I. La théorie du capital humain

La théorie du capital humain résulte de la remise en cause de l’une des hypothèses de base de
la théorie néoclassique : l’homogénéité du facteur travail. Cette hypothèse levée par Becker
(1964) a donné lieu à de nouvelles interprétations de la qualité du facteur travail. Ainsi, le
facteur travail étant hétérogène, l’investissement en capital humain fait partie des décisions et
comportements optimisateurs des agents économiques. Il facilite l’insertion et garanti une
meilleure situation socio-économique de l’individu.

On peut distinguer trois composantes du capital humain :

- L’éducation et la formation au sens large (éducation formelle, formation


professionnelle et l’éducation informel acquise au sein de la famille durant la petite
enfance et la formation sur le tas),

- La santé dans la mesure ou celle-ci est un élément du développement du bien être


physique et mentale des individus. A cet égard, elle joue un rôle important dans le
maintien voir dans l’accroissement du capital humain,

- Tous les facteurs qui permettent de mettre les individus en situation de produire.
La décision de migrer pour raison de production, est un exemple, puisqu’elle permet
de mettre les migrants en situation de produire (exploiter les aptitudes intellectuelles
des individus qui serait inexploitables dans leur pays d’origines).

Ces composantes entraînent des coûts pour chaque individu. Celui-ci les supporte dans
l’optique d’une meilleure productivité et d’une meilleure rémunération du travail. On peut
donc dire que l’acquisition du capital humain est couteuse, mais rapporte un flux de service
productif futur. En ce sens, il est considéré comme un investissement et peut de ce fait être
assimilé à un véritable capital.

1. La naissance de la théorie du capital humain

Selon Kiker (1968), on peut fixer à 1960 la date de la naissance de la théorie du capital
humain et attribuer son annonce à T. Schultz (1961). Le concept de capital humain est né de
l’idée que les individus choisissent diverses formes d’investissement en leur propre personne,
non pour en tirer une jouissance immédiate, mais parce qu’ils attendent également de ces
investissements des bénéfices futurs. Le capital humain est souvent défini comme les attributs
des individus ou de la population qui contribuent à l’activité productive future ou au bien-être
social. La théorie du capital humain établit une relation positive entre l’éducation, la
productivité et le salaire. L’éducation peut ainsi augmenter la productivité des «inputs » et en
particulier celle du travail. Elle entraîne une baisse du coût de l’information sur les technologies de
production. Ce qui permet d’améliorer l’efficacité des « inputs » en changeant leur composition et

1
celle des «outputs ». L’éducation permet également une réponse plus rapide en cas de déséquilibre dû
à une innovation productive, une modernisation du secteur ou à une mauvaise conjoncture. C’est l’idée
de Schultz lorsqu’il affirmait que l’éducation est surtout utile quand il y a modification de
l’environnement économique.

Au-delà de l’apport individuel, une revue de la pensée économique nous montre que
l’éducation à travers l’aptitude humaine est source de progrès et de développement
économique et social. Pour les mercantilistes, la population est considérée comme la
principale ressource des Etats. Les classiques d'Adam Smith à Marshall insistent sur les talents
et les capacités humaines dans le processus de production. Alfred Marshall souligne en effet,
la place de la faculté humaine par rapport à toute forme de capital, car elle rend l’individu
plus intelligent, mieux préparé et plus sûr de son travail courant. C’est surtout avec les
néoclassiques contemporains (Schultz, 1961 et Becker, 1964) que la recherche économique va
se tourner et analyser la place de l’éducation dans la croissance économique. Ils montrent en
effet, que l’éducation améliore la productivité de l’individu et la qualité de la population.
Ainsi, les impératifs du développement exigent la formation de main d’œuvre qualifiée.

Cependant, il faut utiliser efficacement cette main d’œuvre. Pour Harbison et Myers (1964), la
véritable richesse d’une nation et les possibilités de son progrès économique dépendent de sa
capacité à développer et à utiliser efficacement les aptitudes innées de son peuple.
L’éducation dans ce sens est un moyen d’adapter la main d’œuvre aux exigences nouvelles et
de contribuer au développement économique en valorisant l’apport du facteur travail.
Comment expliquer donc, le fait que malgré l’amélioration du niveau intellectuel le chômage
des jeunes et des diplômés persistent encore ? En effet, les conditions d’insertion sont de plus
en plus difficiles. Cela s’aperçoit à travers un taux de chômage élevé, des emplois instables,
des rémunérations non attrayantes. Ces faits nouveaux trouvent souvent leurs sources dans le
comportement des jeunes à travers leur idéologie ou dans les carences du système éducatif
(incompétence ou inadaptation).

2. Formalisation des modèles de capital humain

Les économistes de l’éducation (Becker, Shultz,...) ont établi une relation positive entre
éducation et revenu. La littérature empirique s’est attachée à estimer des taux de rendement de
l’éducation (Psachalopoulos, 1994). Ce taux dépend du rapport entre l’accroissement du
revenu futur lié à une augmentation du niveau d’éducation supplémentaire et des coûts subis
dans le processus de la formation.

L’éducation peut augmenter la productivité des «inputs » et en particulier celle du travail. Elle
entraîne une baisse du coût de l’information sur les technologies de production. Ce qui permet
d’améliorer l’efficacité des « inputs » en changeant leur composition et celle des «outputs ».
L’éducation permet également une réponse plus rapide en cas de déséquilibre dû à une
innovation productive, une modernisation du secteur ou à une mauvaise conjoncture. C’est
l’idée de Schultz lorsqu’il affirmait que l’éducation est surtout utile quand il y a modification
de l’environnement économique.

2
Pour analyser la rentabilité du capital humain, on utilise la méthode de calcul de la rentabilité
d’un capital fixe (TRI). Toutefois, ce taux de rendement de l’éducation utilisé pour juger de
l’efficacité du système éducatif laisse apparaître des insuffisances qui souvent surestiment ce
taux. En effet, ce taux ne peut être réaliste que si les individus ont un emploi au terme de leur
formation ; ce qui fait intervenir dans le calcul, la notion de l’insertion qui est aussi utilisée
pour apprécier l’efficacité externe du système éducatif. Ce jugement permet d’identifier les
formations les plus performantes en termes de rémunération et de facilité d’embauche.

3. La remise en cause de l’impact du capital humain sur le marché du


travail et la redéfinition du rôle du diplôme

Nombreuses sont les études, qui depuis quelques années, tentent de montrer une dégradation
de l’efficacité du capital humain dans le processus d’insertion professionnelle. Que l’on se
réfère à des indicateurs d’insertion comme la durée d’accès à l’emploi ou la probabilité d’être
recruté, à la qualification du poste obtenu ou au salaire, il semble que les données publiées
illustrent la détérioration de l’ensemble de ces conditions d’entrée dans la vie active

Un des moyens d’évaluer l’efficacité externe de la formation initiale consiste à examiner


comment les diplômes et les compétences dispensés par le système éducatif se négocient sur
le marché du travail.

Le point de départ de cette analyse est la critique du capital humain faite par la théorie du
filtre (Arrow, 1973), les modèles de signalement (Spence, 1973) et les modèles de
concurrence pour l’emploi (Lucas et Thurow, 1972). Ces Théories soulèvent les limites de la
théorie du capital humain.

Pour Arrow dans la théorie du filtre ou du crible, ni le niveau d’étude, ni le diplôme, ne


sont suffisants pour apprécier la compétence d’un individu ; mais ils révèlent les aptitudes et
les atouts de l’individu, sa capacité à comprendre certains mécanismes, à les saisir et donc à
occuper un poste donné. Ainsi, le coût de formation et le temps de formation peuvent être
minimisés lorsque l’employeur tient compte des caractéristiques de l’individu dans ses
stratégies de recrutement. Le diplôme dans cet environnement incertain peut guider le choix
de l'employeur, car celui-ci possède une idée très insuffisante de la productivité réelle des
candidats à l’embauche. Ici l’éducation, en permettant de détecter les individus les plus
formables a priori, devient un instrument de sélection qui agit comme un filtre permettant
d’identifier les personnes les plus aptes ou les plus productives. L’employeur peut utiliser la
durée du chômage comme filtre ou critère de sélection en déclarant que la productivité du
jeune est inférieure à la moyenne. Contrairement à ce que postule la théorie du capital
humain, l’éducation n’agit pas directement sur la productivité, mais servirait plutôt
d’indicateur indirect de la productivité potentielle de divers individus. Ainsi, le coût
d’acquisition de l’éducation serait inférieure pour les travailleurs les plus aptes qui utilisent
comme argument l’investissement dans une qualification élevée afin de prouver leurs
aptitudes ; mais, ces aptitudes sont de plus en plus difficiles à vérifier ou nécessitent une
évaluation dans une situation concrète de travail.

3
Le modèle de signalement est un développement de la théorie du filtre. Ce modèle soutient
que faute de pouvoir discerner d’emblée la combinaison optimale des traits individuels du
point de vue de la productivité, l’employeur utilise des signaux ou indices indirects et faciles
d’accès. Ces caractéristiques sont d’une part, une série d’indices invariables (la race, le sexe,
etc.), et d’autre part, une série de signaux variables (diplômes, nombre d’années de scolarité,
âge, qualification, etc.). Grâce à sa maîtrise du marché en matière de combinaison des signaux
et des indices, l’employeur peut faire une estimation conditionnelle de la capacité de
production du travailleur. Le salaire de celui-ci sera alors fonction d’une évaluation subjective
de sa productivité. L’équilibre est établi si l’espérance de l’employeur correspond à la
productivité réelle du salarié. L’avantage de cette démarche est que le tri se fait à partir
d’informations peu coûteuses. Cependant, le modèle ne tente pas d’identifier les
caractéristiques qui déterminent la productivité. En plus, il faut un intervalle discret nécessaire
pour évaluer la capacité réelle de production du travailleur, par conséquent, cela peut entraîner
un risque d’erreur dans la décision d’embauche.

Dans le modèle de concurrence pour l’emploi (Lucas et Thurow, 1972), la productivité est
un attribut de l’emploi et non de l’individu. En effet, les aptitudes cognitives reçues dans
l’entreprise réduisent les coûts de formation pour les postes suivants. Des travailleurs ayant
reçu ces aptitudes seront préférés aux jeunes demandeurs de premier emploi et nécessitant
des formations à coûts élevés. Ainsi, les entreprises refusent de faire les frais d’un premier
emploi et de la formation sur le tas, préférant recruter des candidats déjà bien formés et
expérimentés. De ce fait, les plus jeunes générations sortant du système éducatif, même de
plus en plus formées rencontrent des difficultés croissantes pour obtenir un emploi et surtout
correspondant à leur niveau d’étude. Dans cette situation, les jeunes ont le choix entre rester
au chômage, ce qui accroît le chômage des diplômés ou accepter un emploi en dessous de sa
qualification, ce qui accroît également le phénomène suréducation et de déclassement1. Dans
ce cas, le diplôme ne protège plus contre la précarité de l’emploi.

En plus donc du chômage, la suréducation et le déclassement, sont devenues d’autres


phénomènes qui affectent de plus en plus l’employabilité des jeunes. La suréducation est une
situation de sous-emploi de la main d’œuvre potentielle découlant de l’allongement général de
la durée des études.

Le déclassement découle de l’occupation d’un poste de travail nécessitant un diplôme d’un


niveau moins élevé. La théorie du crédentialisme a été élaborée pour prendre en compte ce
mécanisme.

II. La théorie du « Job Search ».

Cette théorie de George Stigler remet en cause l'hypothèse d'information parfaite de


l’analyse néoclassique et modernise le comportement rationnel d’un individu à la recherche
d’un emploi dans un univers incertain. Selon ses préceptes, les chômeurs refusent certains
emplois proposés car ils espèrent trouver des emplois plus intéressants. En effet, si les

1
Selon Sicherman et Galor (1990), et Sicherman (1991), le déclassement est un phénomène temporaire pour les individus
et s’inscrit clairement dans une logique d’insertion professionnelle.

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travailleurs ne sont pas parfaitement informés sur les différents emplois disponibles et leur
rémunération, ils peuvent avoir intérêt à prolonger leur période de chômage, afin de pouvoir
consacrer plus de temps à la recherche d'un emploi. Cette recherche d'emploi conditionne en
quelque sorte la durée du chômage qui va plutôt dépendre du niveau des allocations chômage
et de la richesse personnelle de l’individu. Ce dernier va donc chercher à se renseigner sur les
salaires pratiqués dans les entreprises. À noter que celles-ci vont adopter une démarche
identique en auditionnant un certain nombre de candidats afin de trouver les travailleurs les
plus aptes à répondre à leurs besoins. L'ensemble de ces démarches nécessite un certain coût
en temps et en argent car l'information n'est pas parfaite.

1. Exposé de la théorie2

La théorie du Job search part du principe que les chômeurs refusent certains emplois proposés
car ils espèrent trouver des emplois plus intéressants. En effet, si les travailleurs ne sont pas
parfaitement informés sur les différents emplois disponibles et leur rémunération, ils peuvent
avoir intérêt à prolonger leur période de chômage, afin de pouvoir consacrer plus de temps à
la recherche d'un emploi. Cette recherche d'emploi conditionne en quelque sorte la durée du
chômage qui va plutôt dépendre du niveau des allocations chômage et de la richesse
personnelle de l’individu.

Ce dernier va donc chercher à se renseigner sur les salaires pratiqués dans les entreprises. À
noter que celles-ci vont adopter une démarche identique en auditionnant un certain nombre de
candidats afin de trouver les travailleurs les plus aptes à répondre à leurs besoins. L'ensemble
de ces démarches nécessite un certain coût en temps et en argent car l'information n'est pas
parfaite. Dans le cas d'une recherche d'emploi, l'individu va procéder à la comparaison de
deux éléments :

- D'une part, ce que va coûter une visite supplémentaire d'entreprise,


- et d'autre part, ce que va lui rapporter cette visite supplémentaire, c'est-à-dire une
certaine probabilité de trouver une offre meilleure. Le comportement de recherche
d'emploi consiste donc à poursuivre les visites tant que le coût d'une visite est inférieur
aux gains estimés de cette visite.

Cette approche peut être intéressante pour analyser des inégalités : inégalités de salaires, mais
aussi tout particulièrement les inégalités en matière de chômage. Dès lors que l'on admet que
l'information n'est pas parfaite, on comprend aisément soit que tous les agents ne disposent
pas du même degré d'information, soit que le temps d'acquisition nécessaire pour obtenir cette
information n'a pas le même coût pour tous.

Le chômage n'est donc pas appréhendé comme un dysfonctionnement mais plutôt comme un
temps d'investissement permettant à l'individu d’optimiser sa recherche d'emploi. En fait,

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Point de départ : présence sur le marché d’emploi vacant et de chômeurs. Soit le chômeur n’est informé, soit
il ne désire pas postuler à un emploi si le salaire n’est pas satisfaisant. Ici, le chômeur n’est pas passif, mais
rationnel. La démarche de rationalité se déroule en deux temps : rassembler l’information sur les postes
vacants et décider de postuler aux emplois qui proposent ce qu’il recherche.

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cette théorie est une théorie acceptable du chômage qui peut exister en période de forte
croissance, mais il apparaît aujourd’hui discutable, alors que nous vivons un chômage massif,
de recourir à ce type d’argument pour expliquer le phénomène.

I. Formalisation des modèles de recherche d’emploi

Il s’agit d’analyser le processus de recherche d’emploi d’un jeune. Nous exposerons deux
types de modèles : Les modèles de recherche d’emploi et les modèles de transition
professionnelle.

1.1. Modèle de recherche d’emploi au sens du « Job search »

Ces modèles sont inspirés des travaux de Lipman et McCall (1976), Phelps et al. (1970) et
Mortensen (1986). Ces différents auteurs ont étudié la durée de séjour dans la phase de
recherche d’emploi et les déterminants de la durée de recherche d’emploi. Les travaux de
Lipman et McCall interprètent la recherche d’emploi comme, avant tout, une recherche
d’information. Il interprète le chômage non comme un blocage sur le marché du travail, mais
plutôt comme un investissement rentable. Il est peu réaliste car n’arrivant pas à expliquer les
déterminants tendanciels du chômage. Par contre, partant de cette théorie, il est plus facile de
distinguer le chômage de l’inactivité.

Ce modèle donne une règle de décision et distingue la recherche séquentielle et on


séquentielle.

Au niveau de la règle de décision, on suppose que chaque recherche apporte à l’individu un


bénéfice supplémentaire et plus on effectue une recherche, plus on a de chance de découvrir
l’entreprise qui offre le salaire le plus élevé. Mais le coût augmente aussi. La recherche
continue si le bénéfice marginal est supérieur au coût marginal.

Au niveau séquentiel, l’individu accepte de payer un cout pour obtenir le salaire et choisir un
emploi au taux offert ou bien décide de continuer : Règle d’arrêt optimal. Ici, l’individu peut
avoir un comportement de myope en rejetant toutes les offres en dessous du salaire de
réservation.

Dans la recherche non séquentielle, l’individu choisi en fonction de la distribution des taux de
salaire le nombre d’entreprise à contacter après les avoir visité et choisit l’entreprise qui offre
le salaire le plus élevé : règle de l’échantillon optimal (N entreprises et n salaires convenable)

La théorie de la prospection et l’explication de l’inactivité et du chômage

Selon Pierre Cahuc et André Zylberberg (1996), la théorie néoclassique d’offre de travail et la
théorie de la prospection diffèrent surtout au niveau de la notion d’activité et d’inactivité. La
notion d’inactivité est définie par rapport au salaire de réserve dans la théorie de l’offre de
travail néoclassique. Au niveau de la théorie de la prospection c’est plutôt le revenu alternatif
qui sert à définir l’inactivité. La théorie de l’offre de travail défini l’inactif comme un individu
dont le salaire de réserve est supérieur au salaire courant. Pour la théorie de la prospection, un
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inactif est un individu qui estime que les perspectives offertes par la recherche d’un emploi
s’avèrent insuffisantes par rapport aux gains espérés en dehors de cette approche. La théorie
de la prospection a l’avantage de pouvoir expliquer le chômage involontaire. Alors que dans
le modèle d’offre de travail néoclassique, le chômage était volontaire ou alors il n’existait pas
de chômeur dans ce modèle. Ici le chômeur est celui dont le salaire de réservation est
supérieur au revenu alternatif mais inférieur au revenu courant si bien que l’individu
recherche du travail, mais refuse de travailler parce que son salaire de réservation est
supérieur au salaire courant. Cette conception modifie sensiblement la notion de taux
d’activité.

III. Le travail comme facteur quasi fixe

Dans la fonction de demande de travail, tous les coûts associés à ces facteurs sont considérés
comme variables. Cette analyse lève l’hypothèse de la flexibilité parfaite. On remet en cause
la linéarité et la proportionnalité des coûts. Elle a été développée par Walter Oi (1962)3. On
considère ici que le coût du travail n'est pas proportionnel à la quantité de travail car il ne se
réduit pas seulement au salaire. En effet, on distingue deux types de coûts :

- les couts variables strictement liés au taux de salaires de sorte que le salaire peut être
réduit si on diminue le nombre d’heure de travail.
- Les coûts quasi-fixes4 supportés par l’entreprise et par employé, mais indépendants du
volume horaire ; on distingue :


Le coût de recrutement (annonces publicitaires de poste vacant, examen des
dossiers du candidat (screening), tests de recrutement, maintien des fichiers en
état (actualiser les fichiers) ;
 Coûts de formation pratique des nouveaux employés (job training = formation
sur le tas) pour inculquer la philosophie de la maison (coûts monétaire
explicite pour payer l’expert (formateurs) et les fournitures de bureau, coûts
implicite ou coût d’opportunité par l’utilisation des équipements en capital et
d’employés expérimentés pour mener la formation pratique et coût
d’opportunité du temps du nouvel employé durant la formation) ;
 Coûts d’emploi associés à la législation du pays (cotisation de diverses taxes
comme les charges sociales),
 Coût de séparation (indemnité de licenciement),
 les frais liés à la taille de l'entreprise (effet de seuil : comité d'entreprise pour
les firmes de plus de 50 salariés…),
 etc.
Ces coûts dépendent aussi du type d'entreprise et de son organisation, de son management.
Mais ce sont des coûts « quasi fixes » (ils ne sont pas liés strictement salaires). L’importance

3 Labor as a quasi fixed factor, JPE 70, pp 538 – 555.


4 John Barron, Dan Black et Marc Lowenstern dans « Job Matching and the job training (1982) dans une enquête auprès de
2000 employeurs ont établi le nombre d’heure utilisé pour le recrutement et la formation sur le tas par mois. Comme suit :
recrutement et examen de dossier (10 h), formation pratique (11 h), orientation et supervision dans le nouveau service (60 h),
intégration au poste (27 h), suivi du nouvel employé (53 h), soit un total de 151 heures par mois sur trois mois.

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est de savoir les effets de ces coûts fixes sur la stratégie de l’entreprise. Celle-ci a intérêt à les
amortir sur une période assez longue. L'entreprise cherche donc à fixer des salariés. Le salarié
peut avoir aussi un intérêt fixé : si le salaire est fixé, informations sur un changement valorisé
ailleurs. L'employeur renonce au licenciement en cas de mauvaise conjoncture car l'économie
de salaire qu'il pourrait réaliser ne couvre pas les frais quasi fixes. La gestion du travail se fait
sur le long terme, pour l'employeur et pour l'employé.

L’existence des coûts quasi fixes permet d’expliquer pourquoi la réaction des entreprises aux
variations de la conjoncture n’est pas un simple ajustement quantitatif de la main d’œuvre,
mais une modulation plus complexe entre chômage technique, licenciement ou heure
supplémentaire et embauches (conserver son effectif).

La conséquence immédiate qui découle de cette structure de coût est que le principe qui lie
l’équilibre, donc la PmL et w est évacué. L’introduction du coût fixe dans le modèle ne sera
possible que si l’on raisonne sur toute la période d’utilisation d’un travailleur additionnel.

IV. Les Théories du contrat implicite et du salaire d’efficience

Après avoir pris connaissance du rôle des institutions qui gouvernent le marché du travail,
certains économistes ont cherché à développer une théorie micro-économique à même d’en
expliquer l’existence et les effets.

Keynes soutenait que la rigidité des salaires face à une baisse de la demande, s’expliquait par
l’attachement des travailleurs à des disparités salariales qu’ils acceptent comme justes. Certes,
ce schéma d’interprétation est aux antipodes de celui de la théorie orthodoxe. Mais, à partir
des outils empruntés à celle-ci, une nouvelle voie d’explication associant cette rigidité à la
nature incomplète du contrat du travail, a vu jour dès la seconde moitié des années soixante-
dix.

La spécificité de la relation salariale est qu’elle comporte deux opérations distinctes : la


signature du contrat- l’échange -, et la mise en œuvre de la force de travail, postérieure à
l’échange. Au moment de l’échange, les deux parties prenantes (l’employeur et l’employé)
ignorent le résultat final de l’échange : l’employé dispose d’une marge discrétionnaire dans le
niveau de son effort, si ce dernier n’est pas parfaitement contrôlé par son employeur. A
l’inverse, l’employeur dispose d’une certaine marge discrétionnaire quant à la fixation des
salaires et les décisions d’affectation de la main d’œuvre, si les travailleurs ne sont pas
pleinement informés de l’évolution de la conjecture et de la firme. La relation de travail est
complexe (on parle d’incertitude radicale ou d’incertitude qualitative) et chaque partie
cherchera à se prémunir contre des éventualités, incertaines au moment de la transaction, mais
susceptibles d’affecter ensuite les résultats attendus.

C’est dans ce contexte que sont élaborées les deux théories que nous présenterons dans ce
chapitre, à savoir la théorie des contrats implicites et la théorie du salaire d’efficience, fondées

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sur le principe selon lequel l’analyse orthodoxe ne peut normalement s’appliquer dans le cas
du marché du travail en raison de la spécificité de la marchandise échangée.

1. La théorie des contrats implicites

Un thème central de la théorie des contrats implicites est que les salaires n’évoluent pas en
fonction des variations de la demande de travail parce que les employeurs offrent des contrats
qui ne révèlent pas les fluctuations de la valeur du produit du travail au cours du cycle
économique. On peut considérer que les employeurs offrent des contrats qui assurent le
travailleur contre ces fluctuations. Le salaire s’écarte du produit marginal (principe
d’équilibre concurrentiel) pendant la plus grande partie du cycle. Dans la phase d’expansion,
lorsque les prix du produit augmentent, les salaires restent en dessous de la valeur de la
productivité des travailleurs, et les employeurs empochent la différence comme « prime
d’assurance ». Lorsque les affaires vont moins bien, les employeurs compensent les
travailleurs en leur versant des sommes tirées de ce fonds d’assurance. Nous allons revenir ici
sur cette théorie, en présentant les deux versions initiales qui ont certes subi des améliorations
importantes au cours du temps : la théorie des contrats implicites avec information symétrique
entre les agents et la théorie des contrats implicites avec information asymétrique entre les
agents (Rouzaud, 1986).

Il importe de rappeler ici que les agents économiques ont une différence de capacité à se
prémunir contre les fluctuations conjoncturelles (Bailly, 1974 et Azariadis, 1975).
D’une part, les travailleurs ne peuvent vendre leurs services à terme et conditionnellement
afin de se protéger contre les variations de leurs revenus au cours du temps. D’autre part, les
entreprises disposent de ressources plus importantes et sont mieux placées du point de vue de
l’information, des coûts de transaction pour diversifier leur portefeuille d’actifs et en réduire
le risque global. Globalement, on peut dire que les travailleurs ont une aversion pour le risque
alors que les entreprises sont neutres vis-à-vis du risque.

Cette situation se traduira par la possibilité d’une redistribution optimale de risque entre les
travailleurs et les entreprises. En effet, les entreprises dans la mesure où elles savent que les
travailleurs redoutent les fluctuations des salaires, peuvent en tirer parti en proposant une
rémunération stable, mais inférieure en moyenne à celle qu’elles doivent verser en l’absence
de cette garantie.

2. Les théories du salaire d’efficience

A la base de cette théorie, il y a l’idée selon laquelle le niveau de rémunération du salarié va


déterminer sa productivité. En d’autres termes, les entreprises peuvent avoir intérêt à verser des
salaires relativement élevés afin d’augmenter la productivité des travailleurs. Ainsi, en pratiquant un
salaire supérieur à ce que propose la concurrence, l’entreprise va pouvoir tirer plusieurs avantages :

En effet, il est souvent très difficile de contrôler la productivité individuelle d’un salarié. De plus, a
priori, l’entreprise n’est pas sûre que le travailleur donnera le maximum de lui-même, il pourrait «

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tirer au flanc ». Aussi, la menace du chômage assorti d’une progression des salaires est de nature à
inciter les salariés à fournir un effort maximal.

Lorsque les entreprises supportent des coûts de rotation de la main d’œuvre élevés, une augmentation
des salaires devrait permettre de fidéliser les travailleurs et de réduire leur mobilité.

Si une entreprise réduit ses salaires, ses meilleurs employés vont trouver un emploi ailleurs. En
payant un salaire élevé, l’entreprise va attirer les meilleurs travailleurs car la qualité moyenne des
salariés augmente avec le salaire.

En fixant des salaires plus élevés, les entreprises vont montrer aux salariés qu’elles les traitent
correctement.

L’apport principal de cette théorie est de montrer que la rémunération contribue à l’amélioration de la
productivité et n’est pas seulement la contrepartie de la productivité comme l’indiquent les
néoclassiques ! (Rappelez-vous : « à l’équilibre, le salaire réel est égal à la productivité marginale du
travail » !). D’autre part, la théorie du salaire d’efficience permet de comprendre la fixité des salaires
pour des raisons internes aux entreprises. Toutefois, on peut affirmer que le salaire n’est pas le seul
moyen d’incitation ; on peut également songer aux promotions.

Cette réflexion n’est pas en soi innovante. Le premier à en parler c’est FORD dans les années 1910-20.
Il ne l’a pas théorisé, seulement constaté. Si on propose un salaire plus élevé, l’effort sera plus élevé
(notion de prime). Il existe une influence positive entre le salaire et la productivité. C’est au salarié de
faire l’effort. Cet argument est biologique au départ.

D’autre argumentaire ont été développé mais le secteur public et para-publique par les Professeurs
Jean Tirole et Jean Jacque Laffont dans la théorie du principal-agent (théorie des incitations dans un
environnement où prévaut une asymétrie d’information).

Finalement, un bon salaire permet à un salarié de vivre correctement notamment d’entretenir sa forme
donc d’être en efficacité physique et partant d’être productif. Pour lui il y a un facteur (le salaire) qui
explique qu’il y a un résultat (output) plus efficace grâce au salaire (input) plus important. Il existe un
lien entre efficacité ou l’efficience du travailleur et le salaire. Ce lien peut être justifié par des
arguments biologiques, il y a aussi des facteurs informels, plus psychologiques, notamment la
motivation. Est-ce qu’on peut mesurer cette relation, cette fonction qui explique le lien entre
salaire et effort ?

Dans cette section, nous développerons le modèle de base du salaire d’efficience. Au-delà,
nous aborderons les diverses versions de ce modèle, particulièrement les versions
sociologiques, d’aléa moral, de sélection adverse, de rotation de la main-d’œuvre et de
syndicat.

2.2.1. Le modèle de base du salaire d’efficience

L’idée de salaire efficient a été d’abord appliquée aux pays pauvres ou peu développés ou
l’explication était attribuée à une amélioration des niveaux de nutritions. Plus l’individu se
nourrit bien, pus il sera capable de fournir un effort important.

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Les auteurs qui se sont intéressés à ce type de modèle [LEIBENSTEIN, 1974 ; MIRLEES,
1975 ; STIGLITZ, 1976] ont mis l’accent sur le fait que, dans des pays peu développés ou la
malnutrition domine, les performances des individus dépendent directement de leur salaire
exprimé en biens de consommation. Il existe donc un seuil au-dessous duquel les entreprises
ne pourront pas baisser les salaires car, dans ce cas, elles s’exposeraient à des baisses très
fortes dans les performances dues au niveau de nutrition insuffisant (loi d’Airain des salaires).

Les modèles de salaires d’efficience ont été ensuite appliqués aux pays développés. Tout en
gardant une relation croissante entre salaire et productivité, ces modèles peuvent se concevoir
de deux manières différentes :

- D’un point de vue micro-économique : on s’intéresse essentiellement au


comportement de la firme, en particulier, sa gestion de la main d’œuvre par le biais de
la relation croissance entre salaire et productivité. On se préoccupe surtout de
l’introduction de l’effort dans la fonction de production et de ses conséquences sur le
profit de la firme.

- D’un point de vue macro-économique : on mesure les conséquences d’une gestion


efficiente de la main d’œuvre (salaires supérieurs à leur niveau concurrentiel) sur le
chômage.

La théorie du salaire d’efficience nous indique qu’il existe une relation positive entre salaire
et productivité. Comme dans la plupart des emplois, les travailleurs ont d’une part, une
certaine liberté dans leurs performances et que d’autre part, leur effort n’est pas toujours
parfaitement mesurable, les firmes ont intérêts à verser des salaires supérieurs à ceux du
marché de façon à pousser les individus à fournir le maximum d’effort. Cci va entraîner une
hausse de la productivité qui va se répercuter sur la production et donc sur le profit.

Finalement, l’augmentation des coûts due à la hausse des salaires est plus compensée (par
rapport au profit) grâce à l’accroissement de la productivité.

Dans ce cas, on explique l’existence d’un chômage involontaire par la rigidité des salaires à la
baisse. En effet, face à un excès d’offre de travail, la firme n’a pas intérêt à baisser ses salaires
car cela entraînera une baisse de la productivité, ce qui, au lieu de baisser se coûts, les
augmente de manière conséquente. Donc, même si les individus étaient prêts à travailler à un
salaire plus faible que celui qui est pratiqué par les firmes, celles-ci refuseraient quand même
de les embaucher à cause de la relation salaire productivité.

Avant de conclure ce paragraphe, on relève que les modèles du salaire d’efficience permettent
d’expliquer quatre phénomènes importants sur le marché du travail :

- La rigidité des salaires réels : face à une réduction de sa demande, la firme préférera
licencier des travailleurs plutôt que de baisser les salaires ;

- Le dualisme du marché du travail : comme il existe des relations salaire-productivité


différentes selon les secteurs, les entreprises seront amenées à pratiquer des salaires efficients
11
sur le marché primaire et des salaires concurrentiels sur le marché secondaire. Ceci entrainera
un rationnement de l’emploi sur le marché primaire mais pas sur l’autre marché expliquant
ainsi l’apparition de deux types de chômage : un chômage volontaire pour les individus qui
préfèrent rester au chômage plutôt que d’être employés sur le secteur secondaire, et un
chômage involontaire pour les personnes désirant travailler à un salaire inférieur que celui
pratiqué sur le secteur primaire mais ce sont les firmes qui refusent de les embaucher.

- l’existence d’une distribution de salaires pour des individus de même caractéristiques :


puisque la relation entre salaire et effort est différente selon les firmes, chacune d’entre elles
fixera un salaire efficient qui lui est propre. Il en résultera à l’équilibre, une distribution de
salaires offerts pour des travailleurs de mêmes caractéristiques industrielles de chaque secteur.
Ainsi, on montre que des individus identiques obtiennent des salaires différents selon le
secteur industriel dans lequel ils sont affectés [KRUEGER et SUMMERS 1988 ; DICKENS
et KATZ, 1987,].

- La discrimination sur le marché du travail : avant d’embaucher des travailleurs, la firme a


des préjugés sur les caractéristiques des individus. Elle sait, en particulier, que certains
groupes ont des coûts de travail par unité efficiente plus importante que d’autres. En
conséquence, elle embauchera donc en premier les groupes qui ont les coûts les plus faibles.

Comme sur un marché du travail efficient il existe du chômage, ce seront toujours les mêmes
groupes qui seront défavorisés et victimes de rationnement.

2.2.2 Les modèles sociologiques du salaire d’efficience


AKERLOF s’appuie sur les travaux d’un sociologue, Marcel Mauss, qui étudie les relations
d’échanges dans les sociétés primitives et qui montre que dans une société les individus les plus
performants se solidarisent avec les moins performants pour fournir collectivement un niveau d’effort
supérieur à la norme officielle.

Le modèle sociologique introduit et développé par AKERLOF tente d’expliquer la relation


croissante entre salaire et productivité en s’appuyant sur des concepts sociologiques. L’idée
de départ mise en avant par AKERLOF est de montrer que si la firme fit un « cadeau » à ses
employés en leur versant un salaire supérieur à celui du marché, les individus lui donneront
aussi en échange un « cadeau » en augmentant leur effort de manière conséquente.

Dans son exemple (« les cash posters »), le don de l’employeur est de fixer une norme d’effort
faible, de ne pas réprimander les gens qui fournissent un effort inférieur à cette norme et de
pas descendre à un niveau de salaire minimal. Le contre don des travailleurs est de fournir un
effort au-dessus de la norme. Le contrat de travail est alors vu comme un échange de dons
contre dons : il s’instaure un climat de confiance au sein de la firme et chaque agent qui a le
sentiment d’être bien traité adoptera une stratégie coopérative. A ce stade de l’analyse une
question semble se poser : puisque l’effort n’est pas mesurable, contrairement au salaire,
comment et pourquoi les individus peuvent montrer à la firme leur bonne foi ?

12
AKERLOF suppose que l’effort d’un individu dépend des normes de travail du groupe auquel
il appartient. Les firmes ont donc intérêt à établir des normes de productivité inférieures au
niveau moyen pour que les travailleurs se sentent bien traités. L’effort est perçu par référence
à la norme moyenne du groupe. Ce qui est important ici, c’est la gratification obtenue
lorsqu’un individu dépasse la norme de productivité.

La firme peut, bien sûr augmenter la norme du groupe de travail et donc l’effort moyen en
offrant un salaire supérieur (« cadeau »). En échange, les individus fournissent un niveau
d’effort supérieur à celui fixé par la norme (« retour de cadeau »). Evidemment ce type
d’argumentation repose sur une certaine moralité, et une loyauté de la part des individus.
CARMICHAEL [1990] pense que les travailleurs se sentent obligés de fournir l’effort
correspondant au surplus de salaire car il est moins coûteux pour eux de fournir ce supplément
d’effort que de le rendre sous forme pécuniaire.

La firme, de son côté, préfère un retour forme d’effort monétaire à cause du comportement de
minimisation des coûts. De plus l’entreprise qui pratique ces cadeaux (salaires élevés) va
acquérir une bonne réputation sur le marché du travail, ce qui lui permettra sans doute
d’augmenter la qualité moyenne des demandeurs d’emploi.

Il existerait donc une sorte de solidarité qu’on retrouve, pour AKERLOF, dans l’entreprise.
L’entrepreneur fixe des normes de production inférieures aux capacités des salariés tout en
maintenant un salaire relativement élevé : un salaire d’efficience. Les salariés se sentent bien
traités et en contrepartie vont se faire un devoir de dépasser les objectifs assignés. Les
salariés plus performants vont aider les moins performants a également atteindre les
objectifs de l’entreprise. Ici AKERLOF introduit une vision collective du salaire
d’efficience.

2.23. Les modèles d’incitation

On insiste plus sur l’information comme facteur explicatif du comportement des salariés.

Il y a 2 types de modèles d’incitation :


- Les modèles de sélection adverse (information cachée)
- Le modèle du risque moral (comportement caché) ou modèle du tire au flanc.

Salaire d'efficience et aléa moral (modèle du tire au flanc (STIGLITZ et SHAPIRO, 1984)

Les agents nouent des relations contractuelles dans des situations ou l’information est
imparfaite. Nous avons vu précédemment que le contrat de travail est par nature incomplet: il
ne permet pas, en particulier, de déterminer exactement quels seront les niveaux d'effort que
devront fournir les individus. Ceux-ci possèdent donc un avantage informationnel par rapport
à la firme quant à leurs aptitudes.

13
Il existe donc un problème d’action cachée (aléa moral). En effet, après l'embauche, deux
individus ayant des caractéristiques identiques peuvent se comporter de manière totalement
différente : le risque provient donc du comportement.

La firme désirant maximiser son profit, doit résoudre la question suivante : comment inciter
les individus à 1'effort alors que celui-ci n'est pas observable ? Deux types d'alternatives lui
semblent possibles:

- soit payer des salaires élevés;

- soit intensifier le contrôle ("monitoring") des travailleurs.

Les modèles d'aléa moral soutiennent que la firme doit verser des salaires efficients pour
compenser cette asymétrie d'information. Comme ce salaire sera supérieur à celui du marché,
il résultera à l'équilibre un chômage servant de mécanisme de discipline pour les travailleurs.
Dans le modèle standard Walrasien, les travailleurs n’ont aucune incitation à fournir un effort
important puisqu’aucune menace ne pèse sur eux. En effet, s’ils sont renvoyés pour n’avoir
pas été efficaces, ils trouveront immédiatement un nouvel emploi.

Donc, lorsqu’une firme pratique des salaires d’efficience, elle incite ses travailleurs à bien se
comporter et à ne pas « tirer au flan », car la personne renvoyé ne trouvera pas forcément un
emploi, surtout à ce salaire. Comme toutes les firmes sont identiques, elles auront toutes les
mêmes types de politiques salariales, ce qui entrainera une baisse de la demande de travail et
donc un niveau de chômage plus élevé.

Toute personne inemployée aura d'autant plus de difficultés à trouver un poste, puisque le
chômage est important dans l’économie.

Le chômage qui en résulte est de type involontaire car les firmes désirant garder ce
mécanisme d'incitation refusent d'embaucher des individus à un salaire inférieur. Ici, le
chômage est un dispositif nécessaire car il permet de discipliner les salariés.

On peut quand même noter que ce modèle basé sur la menace avait déjà été pressenti par K.
MARX avec l’armée de réserve des travailleurs inemployés. Bien que dans les deux
approches (néoclassique et marxiste), le travail est perçu comme une marchandise, les
rapports qui existent entre le travailleur et son employeur sont différents. Dans le premier cas,
l’individu traite d'égal à égal avec son employeur alors qu'il existe une véritable exploitation
du travailleur dans la deuxième conception.

Puisque, dans la vision marxiste, il n'y a pas de compromis possible, les capitalistes ont un
véritable pouvoir de menace sur les salariés grâce à l'existence d'une "armée de réserve
permanente" de travailleurs inemployés : celle-ci sert de mécanisme de discipline pour les
individus puisqu'en cas de renvoi, il existe un coût lié à la perte de leur emploi.

Bien que les conséquences de ces deux approches soient totalement opposées, l’idée de départ
est identique : dans les deux cas, le chômage sert comme dispositif de discipline pour les
individus.

14
Conclusion : L’information sur la capacité réelle d’un salarié est difficile à obtenir. L’existence
d’un salaire d’efficience consiste à inciter le travailleur à ne plus flâner pour inciter le salarié à
travailler le mieux possible par crainte d’un licenciement ou d’un renvoi du salarié pour trop faible
efficacité. Il y a crainte car l’entreprise fixe le salaire d’efficience au-dessus du prix du marché. Si le
salarié subit un licenciement, le salarié ne pourra pas retrouver un emploi à ce salaire donc il devra
accepter un emploi moins payer, ce qui l’inciter à faire l’effort par crainte de ne pas retrouver un
emploi au même salaire. S’il n’y avait pas de salaire d’efficience le salarié peut se dire que dans tous
les cas il retrouvera un emploi au même salaire.

2.4. Salaire d'efficience et sélection adverse

Il s'agit là aussi d'un problème d'asymétrie d'information entre le principal et l'agent. Ici, ce ne
sont pas les actions des individus qui sont cachées, mais leurs caractéristiques. Les firmes,
désirant embaucher des travailleurs, évaluent de manière imparfaite la productivité de leurs
postulants.

L’entreprise cherche à connaitre l’optimum d’information sur l’aptitude réelle des salariés. Pour inciter
le salarié à révéler cet optimum, l’entreprise offre un salaire d’efficience : un salaire de révélation.
Le salarié n’aura pas intérêt à masquer l’information sur son aptitude réelle puisque c’est l’information
que recherche l’employeur pour justifier ce salaire. Inversement : une prétention salariale élevée de la
part d’un salarié, peut être décodée par l’employeur comme un signe d’une aptitude importante.
STIGLITZ affirme que le salaire d’efficience est un moyen d’obtenir de l’information.

En premier lieu, on fait l’hypothèse que la performance des individus dépend de leur aptitude,
et que celle-ci est différente selon les travailleurs. Les entreprises ne disposant pas de
l’information nécessaire vont essayer de discriminer entre les groupes. Pour cela, les firmes
supposent que l’aptitude et le salaire de réservation sont positivement corrélés et donc que les
meilleurs candidats seront attirés par des salaires plus élevés.

Dans ce type de modèle, les firmes ne peuvent pas observer la qualité des candidats et ne
savent pas comment inciter les individus à aptitude plus élevées. Des personnes se présentant
sur le marché du travail avec des salaires relativement faibles auront ainsi peu de chance d'être
recrutées car elles fournissent aux firmes un mauvais signal. Le prix n'est pas seulement un
indicateur de rareté, mais c'est aussi un indicateur de qualité: un prix trop faible (le salaire)
peut être l'indice d'un produit (le travail) de moindre qualité [J. STIGLITZ (1987)]..

Il y a donc, à l'équilibre, apparition d'un chômage involontaire. Les firmes refuseront de


baisser les salaires car dans ce cas, des individus avec des salaires de réservation plus faibles
seront candidats à des emplois.

V. Les théories de la segmentation5 du marché du travail

5
Cette théorie relâche plusieurs hypothèses du modèle standard dont l’homogénéité du travail, la flexibilité des salaires et la
fluidité.

15
Les théories de la segmentation du marché du travail ont été élaborées dans les années
soixante aux États-Unis, suite à de nombreuses enquêtes faisant état de l’existence et, surtout,
de la permanence des inégalités entre groupes sociaux. Elles tentaient en particulier de rendre
compte de la persistance et même du développement de la pauvreté et du chômage dans les
ghettos urbains noirs, malgré la forte croissance qu’enregistrait l'économie américaine. Le
processus de marginalisation6 est par là même inhérent à ce concept.

Le marché du travail a été précédemment présenté (cf. modèle standard) comme le lieu où par
confrontation d'une offre et d'une demande de travail indépendantes, s’établit un taux de
salaire et une quantité de travail échangée d'équilibre. Certes, des aménagements ont été
apportés à ce schéma originel, notamment par une intégration des facteurs exogènes qui
donnent un sens aux inégalités entre les différents groupes identifiés sur le marché du travail.
Mais 1'essentiel de cette construction archétypique reste préservé, particulièrement ses régies
de fonctionnement ancrées sur le modèle walrasien. Elle fait abstraction au contexte social et
ignore que les mécanismes du marché du travail sont liés au système de pouvoir et aux
phénomènes de domination sociale (cf. théorie marxiste).

Si l’on change de vision en définissant le marché du travail comme formé par l’ensemble des
mécanismes ct des institutions par lesquels se trouvent confrontés vente et achat de la force de
travail, la segmentation du marché du travail peul être entendue comme le processus de la
division du marché du travail en sous-ensembles présentant des caractéristiques et des règles
de fonctionnement différentes, générateur de ce fait, de marginalisation pour certaines
fractions de la main d'œuvre salariée. Il est donc sans contexte que la segmentation est un
processus de séparation, de clivage au sein du salariat et qui implicitement s'opère par la
médiation de l’organisation du travail. Ici, on ne peut se méprendre du rôle central que y joue
la demande du travail, plus précisément l’entreprise qui, dans un contexte d’incertitude liée à
l’activité économique, segmente, divise le travail pour tirer parti des caractéristiques de celui-
ci.

Ce changement de problématique, du moins par rapport à ce que nous avons vu jusque


maintenant, fait de l’entreprise un lieu spécifique d'affectation de la main d'œuvre. Elle n'est
plus perçue simplement comme un déterminisme technologique, mais aussi comme une entité
dont le rôle dans les politiques de gestion de la main d'œuvre est prépondérant.

Nous allons dans ce chapitre aborder deux points: d’une part les éléments constitutifs des
modèles de segmentation (cf. 5.1), d’autre part les aspects possibles des modèles de
segmentation (cf.5.2).

5.1. Eléments constitutifs des modèles de segmentation

Dans ce paragraphe, nous allons d'abord présenter les origines des modèles de la segmentation
avant de recenser les hypothèses qui les fondent.

6 On entend par marginalisation, le mouvement par lequel certains emplois s’intègre à un segment particulier de la force de
travail ou leur fonctionnement à plein temps est concevable, mais où leur intégration à une forme permanente d’emplois
utilisant la totalité de leur potentiel de travail apparaît impossible (Loveridge, Mok, 1981, pp 11)

16
5.1.1 Origines des modèles de la segmentation du marché du travail

Les théories de la segmentation du marché du travail ont une filiation institutionnaliste, et «le
terme d’économie institutionnaliste [...] se réfère aux divers efforts déployés dans les années
vingt et trente. Pour introduire dans la théorie économique un plus grand réalisme que ce
qu’autorisait une approche en termes exclusifs de marché. Pour la plupart des
institutionnalistes, les institutions du capitalisme, les données de l’histoire économique et de
la vie économique contemporaine, ont constitué autant que le marché de concurrence, la
substance des progrès de la science économique ». Les principaux animateurs de ce courant
de pensée qui se développa dès la fin du 19e s aux Etats Unis furent VEBLEN,
COLEPERLMAN, etc...; ces auteurs mettaient déjà l’accent sur la négociation collective.

Après la seconde guerre mondiale, d'autres auteurs d'obédience institutionnaliste (DUNLOP,


ROSS. KERR, FISHER, etc..) qui semblent être les fondateurs de l’économie du travail - on
les appelle les néo-institutionnalistes -prennent le relais. Pour eux, le marché du travail est
balkanisé (la formule est empruntée à KERR (I954|) à cause des règles institutionnelles
ou d'autres processus sociaux. Autrement dit, la balkanisation se prête déjà comme une voie
permettant d'accommoder l’influence des forces de marché à celles des forces sociales et
institutionnelles.

Au regard de ces éléments, on peut noter que «l’approche institutionnaliste a ses racines
méthodologiques dans l’histoire, la sociologie, la science juridique, plutôt que dans la
théorie économique [...|, les institutionnalistes accordèrent une grande attention aux
syndicats et aux négociations collectives, au droit du travail, à la protection sociale et à la
gestion des ressources humaines. Ils s'intéressèrent relativement peu à l’offre de travail
et à la détermination des salaires dans le secteur non syndicalisée». Ici, la rupture par
rapport au modèle orthodoxe est manifeste et il y a la non symétrie entre les ajustements
de l'offre et de la demande, avec la primauté de celle-ci qui ne trouve de contrepartie
que dans l’action organisée des salariés stables, et non dans les comportements de
mobilité individuelle.

Les économistes institutionnels ont montré l’avantage que constituait pour les employeurs,
face à des conditions variables du marché du produit, l’établissement d'un noyau de
travailleurs "permanents" auxquels viennent s'adjoindre, pour de courtes périodes, un
certain nombre de travailleurs temporaires. Dès ce niveau, les aspects essentiels des
modèles de la segmentation du marché du travail prennent corps.

Bien entendu, la mise en œuvre pratique de la segmentation revêt un certain nombre


d'approches, bien qu'on puisse leur imputer des caractéristiques communes au travers des
hypothèses qui les fondent.

1.2 : Hypothèses des modèles de la segmentation

Le point commun aux théories de la segmentation, du moins dans leur version dualiste, c'est
l’existence au sein du système d’emploi d'une sphère de la stabilité cumulant les avantages

17
(rémunération, conditions de travail, carrière, etc...) qui est séparée d'une sphère de
l’instabilité. Ces théories ne proposent pas autre chose que des modes d'articulation plus ou
moins étroites entre inégalités et flexibilité, et derrière celles-ci l’on retrouve une hypothèse
centrale : l’incertitude accrue sur les marchés des produits, laquelle donne une importance
à la question de l’ajustement de l’emploi aux variations de la production. En effet,
l’amélioration du profit recherchée par l’entreprise nécessite de sa part un effort constant pour
réduire le coût par unité produite, notamment par une flexibilité suffisante de l’outil de
production. Afin de faire face à l’incertitude, elle organise le travail en conséquence; cette
organisation étant dictée par la nécessité d'un approvisionnement en travail et de
l’accroissement de son efficacité, il ne peut y avoir de forme unique de gestion4. L'incertitude
est donc à la racine du dualisme.

La segmentation ne peut être appréhendée simplement du point de vue dualiste. Le nombre de


segment peut être supérieur à deux, les différences entre segments étant élément capital. On
peut le voir à partir d'un découpage géographique qui met en exergue des marchés locaux du
travail, conçus chacun comme une certaine concentration de l’offre, et où les travailleurs
peuvent changer d'emploi sans changer de résidence. S'il est vrai du fait du sentiment
d'appartenance à une communauté de voisinage, de l’existence des liens juridiques (propriété
d'une maison ou d'un terrain), des facteurs affectifs (présence de la famille, des amis, etc...),
que l’individu est dans l’ensemble ancré spatialement, il reste que les pratiques des entreprises
sont au centre des mécanismes qui permettent de cerner les contours de ces marchés. On
retrouve une autre hypothèse importante de la segmentation du marché du travail: pour
qu’il y ait segmentation, il ne suffit pas seulement de préciser les contours des segments,
il faut aussi et surtout indiquer leur mode de génération qui devrait découler des
structurations du système productif.

Il ne serait donc ni nécessaire, ni suffisant de supposer que le marché du travail est divisé en
un petit nombre de segments correctement différenciés. D'après RYAN [1980]- il est
important que soient établis deux phénomènes importants :
- Le processus de fonctionnement différent à l’intérieur de chaque segment
- les barrières à la mobilité entre les segments de nature particulière.

Quant à HODSON ct KAUFMAN [1982] l'hypothèse de la segmentation repose sur quatre


éléments de base:

- un système économique structuré de façon dualiste, les deux secteurs pouvant être décrits
de multiples façons (d'un côté un secteur central, de grandes entreprises monopolistiques; de
l’autre un secteur périphérique, de petites entreprises soumises à la concurrence) l’essentiel
étant qu'une relation de dépendance est supposée entre l’un et l’autre secteur;

- un marché du travail également dualiste: l’hypothèse est faite qu’à chaque secteur de la
production, correspond un marché du travail particulier spécifié par divers critères variables,
mais toujours isolé par des barrières à la mobilité:
- des conséquences pour des travailleurs distincts dans l’un et l’autre cas, et concernant
des possibilités de mobilité ascendante, des conditions de travail et les rémunérations, la

18
conscience de classe et l'organisation collective des travailleurs pour la défense de leur intérêt
commun;
- les effets de "catégorisation" et de division sociale de la main d'œuvre selon sexe. âge,
race ou nationalité.
Par le truchement de ces hypothèses, il est dès maintenant possible d’esquisser une typologie
des modèles de la segmentation du marché du travail.

5.1.3.1. Typologie des modèles de la segmentation du marché du travail

Les modèles de la segmentation du marché du travail ont connu des schémas d'interprétation
divers aussi bien part des auteurs de tradition orthodoxe que les institutionnalistes voire les
radicaux américains.

L'interprétation de la segmentation par les auteurs orthodoxes

On peut, dans un certain sens, considérer les théories de la segmentation du marché du travail
comme des théories locales se situant à la lisière du système néo-classique et récupérées par
l’un de ses développements. Dans cette perspective, elles prennent les faits des
différenciations observées sur le marché du travail pour des données exogènes d'ordre micro-
économiques et se demandent pourquoi tel ou tel micromarché peut fonctionner avec une
discontinuité sans que la loi de l’offre et la demande ne la dissolve. Une telle démarche
n'apportera que des nuances et des qualifications aux théories néo-classiques, à l’instar des
théories du capital humain et de la recherche d'emploi.

La démarche habituelle de la théorie néo-classique c'est de commencer par supposer que le


marché du travail est homogène, et que les seuls segments résultent des limitations techniques
à la substitution entre différentes qualifications et capacités. Et peut-être du besoin de
sanctionner la qualité des qualifications [MARSDEN, 1090]. Tandis que la concurrence entre
salarié des différents sous marchés est très faible. Chaque sous marché reste une zone de
concurrence à l’intérieur de laquelle joue l’adaptation de l’offre et la demande de travail de la
manière prévue par la théorie néo-classique.

Pour les auteurs orthodoxes, le marché du travail est un espace social sur lequel le
comportement des acteurs obéit à certaines règles (celles de l’optimisation par les entreprises
et par les travailleurs et de la concurrence). Beaucoup d'entre eux conçoivent que cet espace
soit divisé en sous espaces sans pour autant renoncer à l’idée qu'ils obéissent au même
ensemble de règles d'échange façonné par les possibilités de substitution et par l’'existence de
la concurrence sur d'autres marchés, ce qui limiterait la portée de la segmentation du marché
du travail. Ils pensent donc que l’espace du marché du travail est structuré en un nombre de
sous marché à cause des imperfections de substituabilité entre catégories de travailleurs.

On est en droit de se demander sur quelle base reposent les discontinuités entre les sous
marchés. Sur ce point, PIORE [1978] voit leur origine dans les modalités d'apprentissage
différentes : «les caractéristiques des différentes strates renvoient fondamentalement aux
différents modes d'apprentissage et de compréhension du travail». Ils pensent de ce fait sur les
19
spécificités des individus - repérées ici par les modes d'apprentissage - pour tenter de rendre
compte des différents aspects de la division du travail.

Plus tard, PIORE (1980) établit toujours dans la perspective dualiste, une différence entre ce
qu’il appelle la notion minimale de la segmentation et la notion extensive de cette
segmentation6. La notion minimale s'appuie sur l’hypothèse selon laquelle l’incertitude serait
fondée sur un dualisme originel entre le travail et le capital, celui-ci étant supposé comme
facteur fixe et le premier comme facteur variable. Ainsi, une segmentation dualiste du
marché du travail apparaîtrait dès que pour une raison ou pour une autre, une fraction
de la main d’œuvre parviendrait à acquérir le statut de facteur fixe.

Un tel raisonnement pourrait parfaitement s'accommoder au schéma d'interprétation


néo-classique qui souligne que certains emplois exigent un capital humain (à travers la
formation par exemple). A ce titre, ils seraient d'autant mieux traités comme facteur
fixe, c'est-à-dire de "bons emplois", que la qualification exigée ne serait pas aisément
transférable et de ce fait serait peu appréciée sur le marché externe du travail.

Là où les auteurs néo-classiques interprètent les discontinuités du marché comme des


imperfections considérées d'exogènes au marché, les théoriciens de la segmentation insistent
sur leur caractère auto-entretenu et de renforcement mutuel.

La conception institutionnaliste de la segmentation du marché du travail

Le rôle de premier plan que jouent les entreprises dans le processus de la segmentation du
marché du travail a été déjà mis en exergue au paragraphe particulièrement dans la mise en
œuvre des politiques de gestion de personnel. Il convient de rappeler que le développement de
ces politiques conduit aussi bien à l’éclatement du marché du travail traditionnel qu'à celui de
la collectivité de travail de l’entreprise elle-même.

La collectivité de travail de l’entreprise est régie par des règles institutionnelles, établies
soit par des accords formels, soit par des pratiques informelles résultant de l’action
conjointe de l’entreprise, des syndicats voire du gouvernement. On se situe donc dans une
vision institutionnaliste du marché du travail, dont les prolongements du point de vue
"segmentationniste" nous ramènent à la notion de marché interne qui constitue le point de
départ des travaux de ces auteurs.

Le marché interne du travail se définit comme «une unité administrative à l’intérieur de


laquelle la rémunération et l'affectation du travail sont déterminés par un ensemble de règles
et de procédures administratives» [DOERINGER et PIORE; 1971]. Il se présente donc
comme la description des processus structurés - ces processus suivent la logique
administrative interne de l’entreprise - grâce aux quels une entreprise distribue le travail et le
rétribue.

Pour les auteurs institutionnalistes, le marché interne du travail est lié à trois principaux
facteurs [TREMBLAY, 1990]: la stabilité de 1'activité économique, la nécessité pour une
entreprise d'avoir recours à des qualifications spécifiques et le désir de renforcer la cohésion
sociale des salariés dans l’entreprise.

20
Du point de vue de la stabilité ou de l’instabilité de l’activité économique, on verra ici que les
stratégies adoptées par les entreprises pour y faire face contribuent à créer la segmentation. En
effet, si une entreprise domine un marché elle acquiert de ce fait un pouvoir de régulation du
marché - elle peut rejeter les aléas inhérents à l’activité économique sur d'autres en créant des
îlots de stabilité au sein de ses structures d'emploi. Cette création est d'autant plus manifeste
qu'on a vu se développer dans les économies capitalistes, les activités liées à l'administration,
à la recherche (leur poids a augmenté au détriment de celui des activités productives),
beaucoup moins soumises à la variabilité économique. Par ailleurs, elle induit des
différenciations, des ruptures, des discontinuités dans les formes d'emploi offertes par
l'entreprise. Il s'ensuit une exclusion de certains postes de travail de ces espaces protégés, et
c’est ainsi le processus de segmentation qui est à l’œuvre.

Quant aux qualifications spécifiques, il s'agit aussi d'un autre processus à la base de la genèse
du marché interne, de la segmentation du marché du travail. Elles sont liées à la spécificité de
la technologie d'une entreprise. Si l’on admet que la technologie définit au moins
partiellement le contenu des emplois, il faut alors admettre qu'une technologie donnée
définira ou limitera en partie l’éventail des qualifications requises pour faire fonctionner le
système productif, et de ce fait, favorisera souvent un système de formation interne (formation
sur le "tas") à l’entreprise, qui à son tour incitera à la mise en place d'une structure destinée à
encourager la stabilité de l’emploi des personnels ainsi formés. Ceux qui ne bénéficient pas de
telles qualifications se retrouvent dans le noyau instable de la main d'œuvre de l’entreprise.
Ainsi, des qualifications spécifiques (non transférables) constituent un stimulant à la
segmentation de l’emploi.

Enfin, une entreprise est un milieu social caractérisé par bon nombre de pratiques et de règles
informelles dont le respect paraît indispensable au maintien de la cohésion sociale dans
l’entreprise. Le marché interne facilite l’apprentissage par les nouveaux recrutés de cette
culture d'entreprise ainsi que son maintien.

La conséquence de cette analyse est que «le marché du travail interne à la firme ne s'ajuste pas
par les salaires: ceux-ci deviennent une des composantes de la grille des positions possibles au
sein de l’entreprise, et leur niveau relatif s'établit par référence à la cohérence des filières et
aux hiérarchies, il ne peut donc varier suivant les fluctuations de la productivité marginale
individuelle » [GRAZIER. ibid, p. 224).
Il s'agit donc d'une "institution" qui régule le système de gestion des ressources humaines par
le biais d'une série de règles (explicites ou implicites) souvent liées à la négociation
collective, mais aussi souvent liées à des habitudes, des coutumes ou des pratiques propres à
une entreprise. Ce marché s'oppose donc au marché externe dont le fonctionnement est à peu
près conforme au schéma décrit par le modèle standard.

La théorie date d’avant le choc pétrolier et les problèmes économiques qui ont suivi 1973. Le travail
de PIORE, La segmentation du marché du travail, appelée aussi théorie du dualisme du marché du
travail. Il montre que les transactions marchandes ponctuelles ne représentent qu'une part très faible
dans le processus d'allocation du travail. Une grande partie des allocations de travail sont le fait de

21
décision interne des entreprises. Il existe un « marché interne » qui est constitué par
l'ensemble des mécanismes d'allocation de la main-d’œuvre interne aux entreprises, qui définit
unilatéralement les postes occupées, les revenus. Ces facteurs ne sont pas négociables
individuellement et sont déconnectés des mécanismes entre offreurs et demandeurs sur le marché
externe. Il s'agit de décisions unilatérales, hiérarchiques et gestionnaires de la part de la firme.

Il n'y a pas concurrence entre le marché interne et le marché externe.

L'interprétation de ce dualisme

Dualisme : différenciation dans le traitement des salariés. Il y a donc des emplois plus favorables, car
mieux traités, et des emplois défavorables. Il existe 2 différenciations :

- une différenciation lors de l'accès au marché par rapport à l'emploi : il y a des emplois différents et
pourtant des qualifications identiques. Il y a donc une discrimination quant à l'accès à l'emploi (ex :
discrimination sexuelle)

- une différenciation jugeant le marché : le marché interne fonctionne pas parfaitement ( ex : si une
femme a accédé au marché, elle peut quand même être moins bien payée qu'un homme).

La ségrégation ne concerne pas forcément que l'accès au marché, mais peut aussi être le fait de
certaines professions (ex : la ségrégation peut provenir du statut du salarié, de l'employeur, d'un vice
de formation professionnelle...).

Les formes de segmentation

A priori, il y a deux segments dualistes :

- le marché interne : les emplois stables,


- le marché externe : les emplois précaires.

Mais il y a d'autres segments : d'après BUELSTONE, l'économie est tripartite et sur le


marché (américain) il y a :

- un segment central : grand entrepris, grandes FMN ;


- un segment périphérique : PME et entreprises concurrentielles :
- un segment irrégulier : ensemble des activités non officielles et économiquement importantes
(Travail clandestin)

La segmentation et le fonctionnement du marché du travail

Deux types de stratifications permettent d’étudier la segmentation :


- la première stratification concerne l'emploi : c'est une façon de traiter l'emploi d'un salarié et
pas le salarié directement. Ici la segmentation devrait se traduire par le mot interne : si l'emploi
est favorable, on parle de marché interne, s'il n'est pas favorable, on parle de marché externe.
- la deuxième stratification concerne le salarié : elle concerne la main-d’œuvre et non pas
l'emploi. La main-d’œuvre est favorable si elle est formée, stable, intégrée, capable d'évoluer
dans la société. Ici on est bien sur le marché primaire. Sur le marché secondaire, la main
d’œuvre est défavorable (peu formée...) et banale.

22
Il existe une complémentarité entre les deux approches : une main-d’œuvre primaire doit être
demandée sur le marché interne et vice versa. Il existe d'autres complémentarités :

- une complémentarité technico-économique : la segmentation touche l’entreprise,


- une complémentarité sociale : la segmentation porte sur des familles défavorisées, désintégrée,
ethniquement différentes, qui vont plutôt être intégrées sur le marché secondaire.

Pour certains individus, différents types de segmentation s'accumulent.

La segmentation vue par les radicaux américains

Pour les radicaux américains, la segmentation s'inscrit dans la logique du développement


historique du système productif, ainsi que des rapports de travail dans l’entreprise.
EDWARDS [1979] montre que la transformation historique de 1'organisation du travail de la
forme capitaliste est une modernisation des formes du contrôle social sur la main d'œuvre au
travail autant qu'un approfondissement de la division du travail et de la spécialisation. Il
distingue:
- un "contrôle simple" ou "hiérarchique" de la main d'œuvre, celui de l’entreprise individuelle
du 19e siècle, fondé sur l’exercice personnelle et arbitraire du pouvoir patronal.
- Un "contrôle technique”, apparente au taylorisme el fonde sur la structure physique du
procès du travail (la machine impose ses modes de travail à l’opérateur)
- Un "contrôle bureaucratique", fait de règles institutionnalisées, concernant le pouvoir et la
stratification hiérarchique, l’évaluation des performances, l’organisation des carrières.
La segmentation du marché du travail apparaît comme l'expression de l’existence simultanée
des entreprises pratiquant l’une ou l’autre de ces trois formes de contrôle social de la main
d'œuvre.
En revenant à l’évolution historique, la segmentation résulte du passage du capitalisme
concurrentiel au capitalisme monopolistique. EDWARDS [1975] l’a d'ailleurs bien
mentionné: «le dualisme de la structure industrielle a provoqué un dualisme au sein des
marchés du travail. Cc dualisme constituait un renversement net des forces qui, au cours du
dix-neuvième siècle, avaient engendré une expérience de travail de plus en plus uniforme
pour tons les travailleurs. Notamment, les grandes entreprises oligopolistiques avaient
introduit un nouveau système de gestion bureaucratique du travail qui mettait l’accent sur la
différenciation des postes plutôt que sur leur homogénéisation. Malgré la continuation de la
prolétarisation, les emplois du secteur capitaliste devenaient de plus en plus segmentés. Tout
en reflétant les divisions du processus de travail (en étant le corollaire naturel), ces marchés
ont institutionnalisé et perpétué ces divisions.

Un certain nombre de ces idées est partagé par l’école de la régulation en France [MISTRAL,
B0YER. AGLIETA]. Selon les auteurs de celte école, les cents dernières années se
caractérisent par deux modes de régulation du système économique: la régulation
concurrentielle et la régulation monopolistique. La première dominait surtout le dix-neuvième
siècle, et la seconde le vingtième siècle. Chez eux, la transformation du marché du travail joue

23
un rôle primordial dans la transition du mode concurrentiel au mode monopolistique. Et
concernant donc le marché du travail, la caractéristique du mode concurrentiel c'est la
flexibilité du salaire nominal en fonction de la conjoncture, et pour le mode monopolistique,
c'est la résistance des salaires à la baisse ainsi que l’émergence de firmes de grande dimension
et des structures de propriétés des entreprises très complexes.

La régulation monopolistique du marché du travail se développe au sein de la régulation


concurrentielle au fur et à mesure que les grandes entreprises développent leurs propres
marchés internes, et se mettent à offrir une sécurité accrue de l’emploi et du salaire à leurs
propres salariés, ce qui se fait en partie aux dépens d'autres groupes travaillant dans les
entreprises sous-traitantes qui subissent de plein fouet les fluctuations économiques. Ces
pratiques accentuent la concurrence du marché du travail en dehors des grandes entreprises.
Et de ce point de vue, la segmentation est une conséquence de l’émergence de la régulation
monopolistique.

Les différents schémas d'interprétation de la segmentation du marché du travail qui viennent


d'être présentés se conçoivent facilement dans le cadre des économies capitalistiques, aux
structures organisationnelles assez élaborées, et surtout fondamentalement dominées par le
salariat. Tel ne semble pas être le cas pour la plupart des économies en voie de
développement, ce qui nous interpelle à y envisager une autre lecture de la segmentation.

Insiders / Outsiders (LINDBECK et SNOWER, 1984)

Il s’agit d’une alternative à la théorie du salaire d’efficience. Il y a une homogénéité des catégories de
travailleurs :

- Insiders : employés formés et intégrés dans l’entreprise,


- Outsiders : chômeurs qui cherchent du travail
- Outsiders récents : ils viennent d’être embauché et qui ne sont pas encore des insiders car ils ne sont
pas encore intégrés, formés… Ils mutent entre outsiders et insiders.

Pour les différents auteurs, les insiders ont un pouvoir dans l’entreprise car ils représentent une
différence (ils ont été formés, ils sont stables, ils sont informés). Ils ont le pouvoir de menacer de
quitter l’entreprise, de ne pas faire tourner l’entreprise comme elle devrait. Ils peuvent négocier un
salaire plus important. Jusqu’à une certaine exigence l’entreprise préférera payer plus que de licencier.
Ils ont aussi un pouvoir de chantage sur les outsiders récents : un chantage de non coopération avec les
outsiders récents. Il existe un salaire qui ne correspond pas au salaire d’équilibre mais qui est le salaire
maximum au-delà duquel l’entreprise préférera embaucher quitte à supporter les coûts d’intégration.
Tant que les insiders n’ont pas atteint ce salaire limite ils peuvent continuer à demander des
augmentations de salaire. Ce salaire dépend du coût du changement dans l’entreprise. Il y a une
déconnexion du salaire et du système concurrentiel. Le salaire n’est plus connecté à l’offre et la
demande. Le salaire dépend de 2 facteurs :

- Le coût de rotation de la main d’œuvre,


- La capacité de chantage des insiders.

24
Les insiders et outsiders ne sont pas en concurrence mais en conflit (qui explique le chantage et la plus
ou moins bonne intégration des outsiders récents, intégration qui passe par les insiders).

Ce modèle apporte aussi une explication au phénomène d’hystérèse du chômage (= un taux de


chômage est étroitement lié au taux de chômage des périodes précédentes) car lorsqu'il y a du
chômage, il y a plus d'outsiders que d'insiders. Car il y a peu d’insiders, l'entrepreneur consent
plus facilement à des augmentations de salaire, ce qui se fait au détriment de l'emploi et qui donc
alimente le chômage.

VI. La théorie des négociations salariales

Cette théorie relâche toutes les hypothèses mais pas de l'idée de marché. Elle est fondée sur les
stratégies des acteurs du marché. Ce marché n'est plus considéré de façon simpliste, comme s'il était
géré par la main invisible, mais plutôt par des négociations particulières entre les acteurs (ex : en
France, 85 % des salariés sont employés dans une entreprise qui dépend d'une convention collective).
Il existe un non pas tout à fait un marché, mais un marchandage collectif entre des institutions
représentatives (ce ne sont pas les individus qui négocient et les représentants patronaux et
salariaux. Il négocie l'écurie salariale, les évolutions d'emploi...). Ces négociations s'imposent à
l'ensemble des acteurs.

En effet, les modèles de contrats implicites et du salaire d'efficience ont apporté un éclairage sur la
manière dont l'employeur et 1'employé gèrent le risque sous-jacent à l'incomplétude du contrat de
travail (la force du travail ne peut être assimilable à une simple marchandise dont les propriétés sont
complètement spécifiées). Dans ces modèles, l'idée centrale est que la durabilité de la relation entre
employés et entreprises, et, pour ces dernières, la nécessité d'inciter les salaries à améliorer leur
productivité, impliquent que la relation salariale soit organisée selon un mode tout à fait spécifique.

Derrière l'idée de la gestion et du partage du risque entre l'employeur et l'employé, se trouve celle
d'un avantage réciproque à l'accord spécifique postulé. C'est donc le lieu ici de savoir quelles sont
les modalités pratiques du partage, voire d'appropriation par l'un des partenaires de cet avantage
réciproque. Le champ d'analyse devient alors complexe, ce d'autant plus que le caractère durable de
la relation du travail conduit à la nécessité d'établir le jeu des intérêts et des contraintes qui pèsent
sur les différents partenaires à travers le temps.

Dans ce schéma, les agents adopteront des comportements calculateurs à long terme; ils anticiperont
les réactions des autres agents concernés et articuleront leur action dans un cadre donné avec des
efforts pour transformer ce cadre. Certes, les théories des contrats implicites et du salaire
d'efficience constituent le cadre originel à partir duquel certains de ces points sont déjà abordés.
Mais ils ont pour défaut majeur de saisir le contenu des contrats du travail a partir d'une négociation
entre travailleurs et entreprises individuels, occultant de ce fait leur caractère collectif ainsi que les
institutions représentatives qui leur servent de support. Autrement dit, les contrats de travail sont
fondamentalement collectifs et leurs termes «résultent non d'un accord direct entre deux agents
économiques individuels, mais d'un marchandage ou "bargaining"1 entre les institutions qui les
représentent, c'est-a-dire de manière plus concrète, entre les syndicats et des représentants du
patronat. Généralement, ces négociations ne concernent pas seulement la détermination du salaire et

25
de l'emploi, mais également certains aspects plus qualitatifs du contrat, comme les conditions du
travail par exemple» [PERROT, 1992, p. 71].

La théorie des négociations salariales se présente alors comme une voie par laquelle il est possible
de compléter les insuffisances des modèles sus-évoqués.

Dans ce chapitre, nous présenterons les deux visages des négociations salariales, puis nous
décrirons le comportement syndical, et ensuite nous analyserons le processus de négociation
dans une perspective plus formalisée.

6.1. Les deux visages des négociations salariales et la tentative de leur formalisation.

Avant d'envisager l’analyse des négociations salariales sur leur aspect plus formalisé grâce
aux instruments de la micro-économie, il semble logique de présenter un autre aspect qui
remonte aux années quarante, notamment le voice, par lequel les premiers travaux en
économie du travail liaient l'économique, le social et l’institutionnel dans une analyse
collective des relations de travail.

Les salaries et les entreprises ont des relations durables, et les négociations salariales ne
constituent qu'un des cadres dans lesquels peuvent se régler des conflits qu'impliquent ces
relations spécifiques. Sur ce point, HIRSCMAN [1973] identifie deux types de mécanismes
permettant de régler les situations conflictuelles: l’un, la défection ( exit) consiste à faire jouer
les ajustements de marché lorsque apparaît une insatisfaction ou un conflit avec l'employeur,
et donc quitter une entreprise au profit d'une autre offrant des conditions plus favorables;
l’autre, la prise de parole ( voice ), consiste à rester dans l’entreprise et d'exprimer
collectivement son désaccord afin de faire pression sur l’employeur et obtenir les
changements souhaités.

La prise de parole, au centre duquel se trouve le syndicat, peut donc être avantageuse pour les
travailleurs qui évitent le risque de ne pas trouver aisément un nouvel employeur, et pour la
firme qui dispose d'une main-d’œuvre durablement attachée. Avec la prise de parole qui sert
donc de principal mécanisme d'ajustement sur le marché du travail (ce mécanisme s'oppose
totalement au mécanisme du modèle concurrentiel), les négociations donnent la possibilité
aux salariés d'exprimer leurs revendications.

La prise de parole est efficace sous une forme collective car « de nombreux aspects de
l’organisation industrielle sont des 'biens publics' modifiant positivement ou négativement le
bien-être de chaque employé mais n'incitant pas chacun à exprimer ses préférences et à
investir du temps et de l'argent dans des changements qui profitent à tous » [ FREEMAN et
MEDOFF, 1980, p.508 ]. Aussi, les négociations collectives permettent aux salariés de se
faire représenter par les institutions qui prennent en compte les externalités induites par les
différents éléments des relations salariales.

Par ailleurs, la prise de parole réduit la mobilité volontaire des salariés, elle incite les
dirigeants des entreprises à adopter des politiques de gestion de la main-d’œuvre qui

26
favorisent la productivité du travail, elle fournit des informations sur les préférences des
salariés, ce qui facilite les politiques de gestion du personnel [ CAHUC , 1991 ]. De ce point
de vue, les négociations collectives peuvent être la source de l’efficience économique.

Si la prise de parole apparaît ici comme un important mécanisme d'ajustement, il reste qu'il
n'est pas possible à ce niveau, de relever les caractéristiques comportementales du syndicat,
ainsi que celles des entreprises. Derrière le ‘voice’, se profilent en filigrane un certain nombre
d'objectifs que poursuivent le syndicat et les entreprises lors des négociations salariales. Nous
allons par la suite essayer de les formaliser et ainsi voir comment l'équilibre économique peut
être atteint.

1.2. Les objectifs d'un syndicat

Le comportement du syndicat, du moins tel qu'il apparaîtra dans les tentatives de


formalisation qui ont été poursuivis par de nombreux économistes, trouve son origine dans la
controverse ayant opposé DUNLOP [1944] a ROSS [1948] dans les années quarante.

Pour DUNLOP, le syndicat se comporte en monopole dans la vente des services des
travailleurs et doit faire face à une courbe de demande à pente négative malgré le fait qu'il ne
vend pas lui-même ses services. Cela lui impose un choix entre le niveau de salaire auquel il
peut aspirer et le niveau d'emploi. Face a cette contrainte, il considère un certain nombre de
buts alternatifs pour le syndicat: celui de maximiser la masse salariale; celui de maximiser la
rente économique qui sera prélevée par ses membres; celui de maximiser le nombre
d'adhérents suivant une fonction qui exprime le nombre d'adhérents comme fonction de l'écart
salariale et éventuellement d'autres variables. Le syndicat est supposé maximiser ces objectifs,
sous la contrainte imposée par la courbe de demande de travail. Sous cet angle, le syndicat est
conçu comme un agent économique.

Quant à ROSS, «le syndicat est une agence politique opérant dans un environnement
économique dont les dirigeants ont pour objectif premier la survie et la croissance
institutionnelle. Le terme "politique" ici ne signifie pas connexion avec des partis politiques;
il renvoie aux enjeux de pouvoir d'une communauté et ses leaders. On ne peut dans ce cas de
figure spécifier a priori les choix syndicaux en matière salariale.

Cette controverse n'a pas disparu et reste un problème inhérent au syndicat lui-même. En
effet, si la logique de survie institutionnelle peut sembler contradictoire a la recherche de
gains purement économique, on ne peut nier que la réussite politique repose largement sur
l'efficacité économique, cet élément pouvant s'interpréter comme un point de compromis sur
les deux conceptions du syndicat [REYNOLDS et al, 1986].

Néanmoins, la controverse a plus porté sur l'objectif du syndicat que de sa nature. Et c'est
pour cette raison que des maintenant, nous présenterons les tentatives de formalisation
élaborées du point de vue des objectifs.

27
1.3. Formalisation des objectifs d'un syndicat

Apparue dans les années 80, la théorie de syndicat analyse la détermination du couple (salaire,
emploi) en utilisant les instruments empruntés à la micro-économie. L'objectif du syndicat
étant celui d'une collection d'individus, il se pose sans aucun doute le véritable problème
d'agrégation des préférences individuelles. Ce problème se comprend aisément si on le
confronte au "théorème d'impossibilité" [ARROW, 1951] qui postule qu'il est impossible
d'agréger avec cohérence les classements de plus de deux individus entre plus de deux
propositions7 . Lorsque nous faisons l'hypothèse selon laquelle les individus sont identiques
dans le syndicat -ceci nous conduit a l’identité des préférences-le problème de choix collectifs
est partiellement résolu (on conviendra qu'il s'agit d'une simplification abusive, mais elle nous
permet toutefois d'envisager une formalisation cohérente).

6.2. Les négociations salariales

En revenant aux négociations, deux grandes familles de modèles sont concevables: le modèle
de droit à gérer, qui repose uniquement sur la négociation salariale et le modèle de
négociation efficiente ou encore de "contrats optimaux" [Mac DONALD, SOLOW, 1981] qui
repose sur la négociation de l'emploi et du salaire. Deux cas particuliers se déduisent du
modèle du droit à gérer, notamment le modèle de monopole syndical et le modèle de
l'ancienneté. Il est dès à présent raisonnable d'analyser ces différents modèles, c'est-a-dire
établir pour chacun d'eux les points d'équilibre, qui résultent de la confrontation de la fonction
d'utilité définie en (E5.2) et la fonction de demande obtenue en (E5.8).

Modèle de monopole syndical

Dans ce modèle, le syndicat est en position de monopole et impose un salaire. Il cherche pour
cela à atteindre la courbe d'indifférence la plus éloignée de l'origine, afin d'accroître la
satisfaction de ses membres. Toutefois, il est contraint par la courbe de demande de
l'entreprise qu'il connaît, le volume d'emploi étant donné par le point de tangence entre la
courbe d'indifférence (la plus éloignée possible) et la courbe de demande (cf. graphique .1). II
s'agit du point E sur ce graphique :

II n'y a pas véritablement négociation, le syndicat n'ayant l’initiative que sur une seule
variable. En effet, lorsqu’il propose un salaire, il connaît les répercussions en termes d'emploi,
et choisit la courbe d'indifférence qu'il préfère (la plus éloignée possible bien sûr). Cette
situation est à l'inverse lorsque la négociation est efficiente.

28
Modèle de contrats optimaux (négociation efficiente):

Dans ce modèle, la négociation porte à la fois sur le salaire et sur l'emploi, ce qui veut dire
qu'on confronte les objectifs du syndicat et de l'entreprise. Tout dépend du pouvoir de
marchandage des acteurs : si le pouvoir des syndicats est important, ils tenteront de négocier et
l'emploi et les salaires (hausse de salaire +préservation/évolution positive de l'emploi). On est à peu
près dans une situation du monopole bilatéral: comme chacun des deux agents cherche à
maximiser son objectif pour le syndicat et pour 1'entreprise), la courbe d'indifférence ou les
courbes d'isoprofit atteintes seront les plus élevées.

Une négociation d'équilibre sera telle qu'on ne peut pas s'en écarter en améliorant
simultanément la position des deux agents (c'est l'équilibre au sens d'EDGEWORTH).

Les "contrats optimaux", c'est-à-dire l’ensemble des couples emploi-salaire résultant de la


confrontation des objectifs des syndicats et des firmes forme une courbe appelée "courbe de
contrat". Il y a donc une multitude d'équilibres possibles.

Le modèle de négociation efficiente correspond finalement à l'acceptation par 1'entreprise


d'un sureffectif, au regard de son équilibre concurrentiel, et donc à la renonciation à certains
profits.

Le modèle du droit à gérer8

Le modèle de droit à gérer [NICKELL, 1982] suppose que la négociation entre l’entreprise et
le syndicat ne porte que sur le salaire, l'emploi étant déterminé unilatéralement par la firme.
Le processus se déroule en deux temps: dans un premier temps, le salaire est négocié entre
partenaires et dans un second temps, la firme prend ce salaire comme une donnée pour
déterminer le niveau d'emploi optimal

Dans ce modèle, on suppose que les travailleurs ne sont plus tous identiques. Il en existe deux
catégories: les plus anciens et les moins anciens. On considère par ailleurs qu'il y a inégalité
en matière de sécurité d'emploi, les premiers bénéficiant des protections relatives d'emplois et
les seconds courent plus que les premiers, le risque d'être licenciés. Si le syndicat est
majoritairement composé de membres les plus anciens, ils seront dans l'ensemble insensibles
aux négociations en matière d'emploi.

Au-delà de ces résultats, il faudra rester assez prudent lorsqu'on en tirera des conclusions,
puisque les négociations mettent en jeu beaucoup plus de choses que le seul couple (salaire,
emploi). Les aménagements des horaires de travail, le reclassement du personnel de
l'entreprise, la nécessité de la formation professionnelle, la refonte de la grille salariale,
constituent autant d'aspects pouvant être pris en compte dans les négociations salariales.

8
Ces deux modèles ne sont pas exclusifs. Dans la pratique il existe d'autres formes d'action (ex : en 1992 en France ;
beaucoup d'accords ont été signés : les syndicats ont d'abord négocié l'emploi, voire parfois au détriment des salaires donc
avec une baisse du salaire pour éviter le licenciement (ex : la MAAF)).

29
Ces différents points montrent que c'est à un niveau plus global qu'il faut envisager les
négociations salariales, ceci s'expliquant aussi par le fait qu'il est difficile de multiplier les
intervenants, les variables et les contraintes en restant au niveau des décisions individuelles.
Cela semble poser des problèmes pratiques, et on retrouve des expériences qui se rapprochent
de ces exigences, notamment aux Etats-Unis avec le "pattern bargaining" qui est une situation
stratégique dans laquelle le syndicat négocie séparément avec chaque entreprise, mais
s'efforce d'obtenir les mêmes conditions de chacune d'entre elles. L'effet de ce type de
négociation, c'est une tendance à l’égalisation des salaires par secteur ou par entreprise.

On peut relever aussi une autre dimension de ces négociations avec le "bargaining structure",
ou encore structure de négociation, qui se caractérise par la plus ou moins grande
centralisation des discussions et du syndicat, mais aussi par la plus ou moins ouverture
syndicale. II s'agit, somme toute, des déterminants importants qu'un modèle de négociation ne
doit pas occulter.

Question de réflexion

1. Quelle explication donnez-vous à la rigidité des salaires à la baisse ?


2. Montrez comment la théorie ses salaires d’efficience explique l’existence simultanée
d’un chômage volontaire et d’un chômage involontaire.

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