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ANNE BEYAERT
La fenêtre
Rapprocher le lointain
[Renoir] fut surpris de voir que ce ton foncé ne venait pas au premier plan, mais
restait bien à la distance indiquée par sa position dans la pièce _ Mais comment
faites-vous donc ? Si je mettais un noir comme ça dans mon tableau, ce noir
viendrait en avant?6
Un espace tensif
La rythmique énonçante
Une telle rythmique serait marquée par une intensité tout à fait
remarquable, concevable de façon isolée, quand elle s’attache à chaque
plage chromatique, mais aussi dans le rapport mutuel des plages. Si on
les observe une par une, les couleurs de Matisse apparaissent en effet
saturées et ‘vives’, deux caractéristiques assez générales productrices de
contrastes chromatiques forts. Mais surtout, et cette caractéristique serait
plus essentielle, elles sont pures, jamais rompues par le gris ou une
complémentaire.
Avec un peu d’attention, on trouverait, çà et là, des contrastes de clair-
obscur et de couleurs complémentaires,11 toutefois les contrastes fondés
sur la couleur en soi prédominent largement et génèrent des effets de sens
de dissonance. Car c’est le rapport des couleurs qui prime sur le choix de
telle ou telle. Matisse n’est pas attaché à un bleu, un rouge ou un vert
précis et peut très bien les remplacer par d’autres couleurs, ce qu’il fit
d’ailleurs pour La Chambre rouge où l’harmonie de bleus initiale fut
transformée en harmonie de rouge. Celui qui dirait ‘c’est une autre
peinture’, ne comprend rien à la peinture, aurait dit Matisse à son propos,
ce n’est pas un autre tableau, seules les forces et l’équilibres des forces
y sont changés.
Chaque couleur se conçoit sous l’angle de l’intensité mais leur rapport
mutuel la recherche aussi. Et pour assurer cette assertion, on appellerait
au témoignage de Guila Ballas (1997: 134) qui, décrivant l’usage de la
couleur chez les peintres modernes, explique que le recourt aux couleurs
pures suscite des réactions en chaı̂ne qui imposent de ‘hausser toutes les
couleurs du tableau à une gamme plus élevée et unie’. En intensifiant
toutes les couleurs, et comme l’avait enseigné Van Gogh, on retrouvait
le calme et l’harmonie, dit-elle.
On voit se profiler quelques éléments de définition de la rythmique
énonçante. Une rythmique imprimée d’intensité, faite de contrastes forts
et ignorant à peu près les transitions tonales. Si l’on croise les notions de
spatialité et de temporalité, la rythmique ainsi esquissée peut se concevoir
Rivalité actantielle
Sérialité
Conclusion
‘L’expression, affirme Matisse, ne réside pas dans la passion qui éclatera sur un
visage ou qui s’affirmera par un mouvement violent. Elle est dans toute la
disposition de mon tableau : la place qu’occupent les corps, les vides qui sont
autour d’eux, les proportions, tout cela y a sa part. La composition est l’art
d’arranger de manière décorative les divers éléments dont le peintre dispose pour
exprimer ses sentiments’.15
Notes
3. L’espace figural et l’espace figuratif ont été définis, notamment, par Floch (1985): le
figuratif ‘impliquerait le découpage usuel du monde naturel, sa connaissance et son
exercice de la part de celui qui reconnaı̂t dans l’image objets, personnages, gestes
et situations’. La catégorie fut également promue par Fontanille (1989) et envisagée
alors en regard d’une modalisation cognitive de l’espace. Malgré les critiques, et si
l’on peine à trouver une définition satisfaisante du figural (que Floch identifie au
‘figuratif _ abstrait’), la distinction figural/figuratif conserve son intérêt heuristique.
4. Nous renvoyons le lecteur à Saint-Martin (1987: 167–173).
5. Ce rapprochement de la figure dans la distance a été observé précisément dans Beyaert
(2001) où l’on montre que le frêle profil du chien de Goya parvient ainsi à toucher
l’observateur, au propre comme au figuré, le pathémique s’associant au proxémique.
6. Cité par Y.-A. Bois (1993: 17).
7. Saint-Martin (1987: 171) explique que ‘par une simple continuation de la centration,
une région qui était vue à l’avant, bascule à l’arrière et la région qui était située
à l’arrière avance vers le devant’. Nous renvoyons à ses définitions.
8. Carani (1991) analyse quelques-uns de ces systèmes et s’attache notamment à une toile
de la période parisienne du peintre québécois P.-E. Borduas.
9. Cité par G. Deleuze (1984: 28).
10. Marin (1997 [1977]: 200) cite en ces termes un texte de Dufresnoy.
11. Ces accords chromatiques constituent des systèmes localisés qui complexifient la
perspective. Nous avons déjà observé deux incrustations exemplaires: le damier de
La Famille de peintre (contraste clair-obscur) et le rideau dans l’encoignure de la porte de
L’Intérieur aux aubergines (contraste de couleurs complémentaires).
12. Cité par Guila Ballas (1997: 135).
13. Cité par Y.-A. Bois (1993: 27). Le propos est tiré d’une lettre de 1935.
14. L’iconographie se conçoit ici avec l’acception de Daniel Arasse (1997: 11) lorsqu’il
explique: ‘L’iconographie constitue _ un instrument privilégié pour identifier les
thèmes dont jouent les images en fonction des objets qu’elles représentent et associent’.
15. Cité dans Fourcade (1972: 42– 43), 1908.
Références
Anne Beyaert (b. 1960) is affiliated with Limoges University and does research with the
CELAT (Centre d’étude sur les lettres, les arts et les traditions) at Laval University
5AnBeyaert@aol.com4. Her research interests include the semiotics of twentieth-century
art. Her numerous publications have been printed in such journals as Visio, Protée, Les
Nouveaux Actes Se´miotiques, and Communication et Langage.