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Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)

L'isolement

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,


Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;


Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,


Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,


Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente


N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,


Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,


Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,


D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,


Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,


Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;


Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !

Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore,


Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,


Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

Lamartine, « l'Isolement »

C’est dans ce poème, qui est la première des Méditations poétiques, que se trouve le
célèbre vers auquel on aurait tendance aujourd’hui à réduire Lamartine : « Un seul être
vous manque, et tout est dépeuplé ! » Or, si l’on veut bien relire d’un œil neuf cette
méditation lointainement inspirée par le souvenir d’une liaison brève et intense, on y
perçoit certes tous les traits du romantisme — le lyrisme mélancolique, l’admiration pour
la nature, la solitude du poète —, mais amplifiés par un rythme binaire qui donne sa
tension aux vers et va jusqu’à les teinter d’une sorte de sens de la catastrophe : le sujet
court à sa perte — « Je ne demande rien à l’immense univers » — et sa noble
impuissance rencontre, par-delà l’histoire littéraire, le nihilisme contemporain.
Résumé

Commentaire composé niveau Lycée sur le poème de Lamartine intitulé L'isolement.

Extrait:

Ce poème est extrait du recueil Les Méditations, début de la poésie romantique dans la
littérature française. Il a été écrit par Alphonse de Lamartine. Son amante Elvire, est
morte en 1817, à travers ce poème, Lamartine analyse ses émotions (...)

Sommaire:

Introduction

I) Le cadre spatial

A. La nature magnifiée
B. L'arrivée d'un moment particulier
C. Les différents contrastes

II) Les différents états d'esprit du poète

A. Un poète triste
B. Un poète désespéré
C. Une envie de mettre fin à ses jours

III) L'isolement du poète

A. Le champ lexical de l'infini


B. Le champ lexical de la solitude
C. Un monologue

l'isolement (analyse de la
structure+interprétation par l'auteur lui
même: lamartine

Analyse d'une méditation larmartinienne


- ou la phrase comme passage

A l'heure, encore actuelle, où la borne phrastique apparaît comme maximale pour le texte dans
lequel elle s'insère :
"Pour E. Benveniste, explique M. Charolles (1988: 49), la phrase ne peut en effet servir d'unité
entrant dans une organisation supérieure car, au-delà de la phrase, il n'existe pas de règles
combinatoires stipulant comment les unités du discours doivent être agencées." Et d'ajouter
(1994: 127) que "Le discours commence là où finit le pouvoir des connexions structurales",
celles-là même qui font de la phrase la plus grande unité morphosyntaxique. Cette limitation à la
phrase se renforce par l'incidence en linguistique de disciplines voisines, comme la logique (qui
fait de la phrase une entité abstraite, du simple fait de sa décontextualisation) ou la pragmatique
(qui entend lui rendre son ancrage concret), comme si le sens phrastique devait en recevoir des
déterminations décisives et pouvait donc être étudié indépendamment d'une théorie de la
textualité.

Ainsi R. Martin (1992: 226) explique que "la distinction a été faite entre:
- la composante phrastique, lieu des conditions de vérité, où se déterminent l'acceptabilité et le
sens des phrases en tant que telles, ainsi que les relations de vérité qui les unissent (dans une
linguistique immanente et purement relationnelle);
- la composante discursive, où la phrase s'insère dans la cohésion du texte [pb. de thématisation
à la Halliday et modèle pour la grammaire de texte à la Kintsch & Van Dijk qui repose sur le cadre
structural des phrases\propositions, dans son logicisme psycholinguistique - cf. la synthèse de
Rastier 1994: 171-174];
- la composante pragmatique, lieu du vrai ou du faux, où la phrase, devenue énoncé, s'interprète
dans sa situation énonciative." Dans ce cas, "explique Benveniste, la phrase n'existe que dans
l'instant où elle est proférée et elle ne peut, par conséquent, être séparée de la situation dans
laquelle elle est communiquée. L'analyse de la phrase en tant qu'unité sémantique, et a fortiori
celle du discours, n'est donc possible que lorsqu'on les envisage comme énoncés, comme émis
dans l'intention de dire quelque chose à quelqu'un dans une certaine situation." (Charolles &
Combettes 1999: 81)

Et quand il est question d'aborder le sens trans-phrastique, généralement identifié au sens


textuel, voire discursif, le clivage demeure entre le palier local où se détermine la référence
(niveau syntaxique et sémantico-référentiel) et le palier de l'intention globale (niveau pragmatique
: "comprendre un texte, c'est saisir l'intention qui s'y exprime", Adam, 1989: 207) qui régit cette
succession de phrases que regroupe traditionnellement un texte. Citons ainsi Adam dans son
programme "Pour une pragmatique linguistique et textuelle" (1989) :
- D'une part, "énoncer ou lire une proposition, c'est construire une représentation discursive" (p.
196) et comprendre un texte implique "comment de proposition en proposition est
progressivement construite une représentation orientée" (p. 203).
- D'autre part, "à la relation linéaire de connexité intra- et inter-phrastique il faut bien ajouter une
relation non linéaire de cohésion-cohérence [...] C'est ce que je désigne comme la perception-
construction d'une macro-structure sémantique, ou thème-topic du discours" (pp. 194-195); cela
se traduit ainsi dans le sillage des sciences cognitives : "Comprendre un discours, ce n'est pas
construire progressivement un réseau de propositions, issues du traitement syntaxico-
sémantique de chaque phrase; c'est élaborer un modèle mental, progressivement remanié et
enrichi." (Caron, 1989: 221-222)
Clivage que synthétise la définition suivante due à Adam (1989: 203) : "un texte est une suite
configurationnellement orientée d'unités (propositions) séquentiellement liées et progressant vers
une fin."

Or il s'avère que ces "composantes" analytiques du sens phrastique, ainsi que la dualité
proposition locale vs orientation globale, parcellisent l'étude de contenu et empêchent son
unification. On le constate en pratique si par exemple on se penche sur cette phrase liminaire
équivalant à un quatrain, de façon systématique, dans le poème de Lamartine (1820; cf. l'annexe
ci-dessous):

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,


Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Cette adéquation entre unité syntaxique et unité métrique semble renforcer l'idée selon laquelle
"la phrase est le plus petit énoncé offrant un sens complet" (Deloffre, 1979: 15), la relative qui
sert systématiquement de clôture et de clausule aux périodes des deux premiers quatrains (cf.
"Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds." et "Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.")
accentuant le sentiment de complétude.
Or dans la perspective de Kintsch associée à l'analyse casuelle issue de Tesnière, il apparaît que
les deux verbes conjugués scindent la période en deux propositions ainsi formalisées :
- ASSEOIR (je /ergatif/; montagne + chêne /locatif spatial/; coucher du soleil /locatif temporel/);
- CONTEMPLER (je /ergatif/; plaine /accusatif/ (tableau changeant /attributif/)) Soit une micro-
structure, destinée à réduire l'information à l'essentiel pour la mémoriser, que vient compléter la
macro-structure due au genre et au titre, et que peut résumer la proposition
"Isolement romantique du poète dans la nature".
N.B.: on voit bien ici que "la postulation d'un niveau macro-structural n'est pas motivée
linguistiquement mais psychologiquement, [... de sorte qu'une macro-structure comme cette
proposition globalisante qui sert de configuration orientant le lecteur] n'est pas sans rapport avec
l'idée intuitive de thème ou de topique ("topic") d'un discours", observent Charolles & Combettes
(1999: 86).

Cette approche représentationnaliste gagne certes à être complétée par la


remarque pragmatique selon laquelle l'emploi de la première personne
instaure un pacte autobiographique sur le ton de la confidence, en
concordance avec l'emploi du présent d'habitude et narratif - on note qu'à
sa place l'emploi de l'imparfait eût introduit le monde du souvenir, ici
absent. Si bien que l'article défini de LA montagne, de LA plaine, DU vieux
chêne, auquel répondra in fine LA feuille des bois, LA feuille flétrie à
laquelle s'identifie le locuteur sur un registre pathétique, apparaît comme
un déictique renvoyant à des éléments du monde sensible (végétal) que le
lecteur est censé connaître, ce qui instaure une complicité avec le poète
dans son expérience du réel. Les accents lyriques se teintent d'une
intention intimiste et mélancolique avec l'adverbe "tristement" qui
intériorise la scène visuelle.
Mais que passe sous silence une telle analyse logico-pragmatique et psychologique, dont il
revient à Russell d'avoir entériné la dualité, et ce non pas au niveau du mot ou du texte, mais de
la phrase, ainsi conçue : "Dans toute assertion il faut séparer deux aspects. Côté subjectif,
l'assertion exprime un état du locuteur; côté objectif, elle prétend indiquer un fait et elle y réussit
quand c'est vrai." (1969: 30) ?
Thématiquement,
- la dominance quantitiative du domaine //nature//, structuré en antonymes :
'plaine' vs 'montagne' + 'chêne' (dans une noble unité puisqu'il s'agit de "ces
monts couronnés de bois sombres"), 'soleil' vs 'ombre', 'mes pieds' (allusion au
vagabondage du "voyageur") vs 'mes regards';
- le domaine //art// ('tableau', 'se déroule' - le théâtre le disputant à la peinture, laquelle est
associée au genre du poème selon le précepte d'Horace Ut pictura poésis), qui est tactiquement
comparé au dernier lexème du précédent domaine, 'plaine', au vers 3, dans une
valorisation qui constitue la chute du quatrain et de la période.
En outre, relever le présent d'habitude et narratif ne suffit pas : c'est l'isotopie
aspectuelle /itératif/ amorcée avec l'adverbe 'souvent', prolongée par /imperfectif/
de 'au hasard', 'plaine' et "le tableau changeant se déroule", qui unifient les
termes de cette comparaison entre la nature et l'art . On n'oubliera pas à ce sujet
l'instruction générique que constitue l'exergue du recueil, dédiée aux Bucoliques.
L'ensemble constitue cet ailleurs où s'évade le moi lyrique. Tel est le fond sémantique
constitué des deux domaines, ainsi aspectualisés et frappés su sceau du romantisme, sur lequel
s'enlève une forme qu'il convient de cerner. Elle se manifeste d'abord par le jeu des
antithèses. On a vu la paire /dynamisme final/ (changeant, se déroule à mes pieds) vs /statisme
initial/ (tristement je m'assieds; Je promène au hasard mes regards) respectivement corrélée à
/dysphorie/ vs /euphorie/, comme si l'ennui de l'individu au contact de la trop simple
nature devait être dissipé par son spectacle artistique , selon le topos romantique de la
vraie vie, celle de la réalité perçue à travers le prisme artistique. Le point de vue dominateur
en plongée est attesté dans maints tableaux d'inspiration romantique (on pense notamment à
C. D. Friedrich), ce qui rend très perceptible cet autre antagonisme sémique et isotopique : /vers
le haut/ (sur la montagne, soleil, chêne) vs /vers le bas/ (mes regards sur la plaine, à l'ombre,
coucher, à mes pieds, je m'assieds : un même mouvement descendant favorise la connexion
métaphorique entre le moi et le soleil, soit un hélio-égo-centrisme requis par la topique
romantique). Opposition qui ne peut cependant pas être corrélée à /supériorité/ vs /infériorité/ du
fait précisément que la latéralité du tableau qui se déroule horizontalement est valorisée par
rapport à la verticalité de la descente initiale, amorcée dès le vers 2.
N.B. : L'importance de l'axe vertical dynamique est incontestatble, s urtout si l'on se reporte
au dernier quatrain où la chute dysphorique du moi poétique suscite le désir
euphorique d'envol ("Quand la feuille des bois tombe dans la prairie, \ Le vent du soir s'élève
et l'arrache aux vallons; [...] \ Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!"), pareil à celui du son
de cloche, qui figure plus exactement une remontée vers "la cime", comme l'indique celle des
astres (lune et étoiles).

Une sémantique interprétative ne peut éluder le sens latent. De sorte que dès cette première
phrase la création d'un spectacle artistique suppose la présence du créateur, lequel ne saurait se
limiter au poète, identifié à un promeneur solitaire, mais sous-entend celui de la nature, Dieu.
Voilà pourquoi l'on peut déceler ici l'isotopie afférente /religion/, élément fréquent dans les textes
romantiques - fût-ce dans un panthéisme, voir un panvitalisme, plus ou moins christianisé. Il
faudra attendre la notation auditive "s'élançant de la flèche gothique, un son religieux", dans le
même dynamisme et la même hauteur noble que ce "dernier rayon" visuel que "jette le
crépuscule au sommet de ces monts couronnés de bois sombres", plus loin dans le poème, pour
en avoir confirmation.
D'autre part cette isotopie /noblesse/ (afférente aux hauts lieux : montagne, soleil, chêne, église),
compatible avec la simplicité du cadre et de l'expérience, est rendue perceptible aussi bien par la
lenteur due à la régularité du rythme (6-6\6-6\6-6\6-6) que par le raffinement du style dont
témoigne ce chiasme syntaxique formé par la postposition du verbe conjugué (après les c. circ. :
effet d'attente) et sa position normale consécutive : "sur la montagne [...] tristement je m'assieds;
je promène au hasard mes regards sur la plaine". Pour être discrète, l'éloquence est loin d'être
absente de ce quatrain. En tant que donnée stylistique, elle sert de déclencheur à la perception
de l'isotopie.

De telles relations cohésives, au niveau du contenu, grâce au repérage isotopique (préalable à


celui des figures rhétoriques : ici antithèse, métaphore, chiasme), nous font souscrire à l'idée
(a) que l'unité pertinente est le séme récurrent, et non la proposition (en tant qu'attribution d'un
prédicat à un sujet) ;
(b) corrélativement, que la critique de Charolles & Combettes, citant ces tenants de la cohésion
textuelle que furent Halliday & Hasan, est fondée lorsqu'ils constatent "qu'il n'y a pas, au-dessus
de la phrase, de structure linguistique intégrative [...], que l'on ne peut pas s'attendre à trouver le
même type d'intégration entre les parties d'un texte que celui qui existe entre les parties d'une
phrase ou d'une proposition" (1999: 88). Cela relativise la notion d'une grammaire textuelle,
narrative, descriptive ou argumentative que l'analyse du poème pourrait susciter. Pour ce faire, il
apparaît que le pré-requis est l'établissement de sa cohésion sémantique telle que celle que nous
tentons d'illustrer.
Pour en revenir au poème, une mise en relation génétique du quatrain avec ses deux versions
primitives (1818) - telles qu'on les a découvertes dans un manuel littéraire, sans autre précision
philologique (Anthologie, Belin, 2000, p. 439) :

Au sommet du rocher, au pied d'un chêne,


Au coucher du soleil souvent je vais
m'asseoir;
Et promène au hasard mes regards sur la
plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à
mes pieds.
Sur la cime des monts, à l'ombre du vieux
chêne,
Au coucher du soleil tristement je
m'assieds
Et promène au hasard mes regards sur la
plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à
mes pieds.
Souvent sur la montagne, à l'ombre du
vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je
m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la
plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à
mes pieds.

fait certes ressortir les remaniements qui affectent les deux premiers vers, mais aussi les
constantes au sein du changement. Ainsi par exemple il apparaît que la valeur notoire conférée
par l'article défini, qui singularise, a migré du "rocher" au vieux chêne, symbolisation qui est à
rapporter au style de l'éloquence, dont le côté artificiel contraste avec la spontanéité de la
confidence lyrique. Le style précieux laissera des traces dans la suite du poème (cf. ces
périphrases très XVIIème s. "le char vaporeux de la reine des ombres", "Que ne puis-je, porté sur
le char de l'aurore").
En revanche, au vers 3, il faudra attendre l'apparition de l'asyndète et de la
reprise du pronom JE pour apporter davantage de naturel au récit intimiste , par
rapport à la polysyndète du ET qui enchaînait de façon littéraire et artificielle.
Il en va de même de l'antéposition de l'adverbe "souvent", liminaire, qui non seulement gomme
l'effet de lassitude que comporte la paronomase "au sommet\au pied\au coucher" et la régularité
des trois localisations, mais permet un début de confidence moins abrupt. Cet itératif acquiert une
valeur de liaison.
On le voit, de telles modifications locales ont une répercussion non négligeable sur le
sémantisme global de la période. Celle-ci par ailleurs réclame l'insertion dans la cohésion du
texte. Passons ainsi à la seconde phrase\quatrain :

Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes,


Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

L'antithèse /dynamisme/ vs /statisme/ est récurrente pour équilibrer cette fois


l'espace non plus solide mais liquide (fleuve agité qui serpente, "ici" vs lac
immobile et calme, "là", dont l'immobilité est sacralisatrice : cf. plus bas "Le voyageur
s'arrête, et la cloche rustique \ Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts."). Quant à la
dualité soulignée par les deux déictiques spatiaux mis en relief - lesquels rendent la nature
proche et complice du JE énonçant - elle prolonge l'exaltation de cette nature dont
l'opposition /vers le haut/ (de 'montagne') vs /vers le bas/ (de 'plaine') n'a pas disparu, pas plus
que l'isotopie artistique. En effet, si "lointain obscur" et "dormantes" sont en continuité par rapport
au "coucher du soleil" et plus bas avec "Le crépuscule encor jette un dernier rayon", la descente
finissante (aspect /cessatif/) est contrebalancée par le début de l'ascension (aspect /inchoatif/)
qui se produit aux derniers vers : "Monte, et blanchit déjà" pour la lune, et "l'étoile du soir se lève
dans l'azur" - notons que pris isolément, ce syntagme n'induirait pas de parcours tropique, en
dépit de son illogisme. Or, à la pointe, l'effet de régularité dû à l'antithèse, traditionnel en poésie,
se produit à la surface du lac dont le reflet permis par le calme devient un azur métaphorique,
comme s'il figurait de nouveau ce "tableau changeant" du dernier vers du premier quatrain. Ainsi
favorisée par le parallélisme syntaxique de la subordonnée relative, la réécriture picturale du lac,
dans son étendue horizontale, qui reconduit verticalement au firmament permet la conjonction
des contraires dans une plénitude euphorisante et romantique (il s'agit de la perception de cette
"Unité cosmique" dont parle A. Béguin), comme au quatrain précédent. En effet l'évaluation
/dysphorie/ de l'élément liquide, linéaire et en profondeur, sombre et situé vers le bas, des deux
premiers vers ("Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes, \ Il serpente, et s'enfonce en un
lointain obscur") est contredite par /euphorie/ de l'astre nocturne lumineux montant, grâce à la
médiation de la surface lacustre, ainsi à la fois tournée vers le bas et vers le haut, statique et
dynamique.

Synthétisons la structure isotopique des deux quatrains :

/vers le haut/
/vers le bas/
'montagne', 'soleil',
'plaine', 'ombre', 'coucher'
'chêne'
/dysphorie/ + /statisme initial/ + /nature/ /euphorie/ + /dynamisme final/
+ /promenade/ + /art/
"tristement je m'assieds; Je promène au "Dont le tableau changeant se
hasard mes regards sur" déroule à mes pieds"
Univers terrestre (par la promenade axée verticalement)
/itérativité/ + /imperfectivité/ (cf. verbes, adverbes, lieux)

/dysphorie/ + /dynamisme/ /statisme/ +


+ /cessatif/ /horizontalité/ (+ /euphorie/ + /dynamisme/
"Ici, gronde le fleuve aux /euphorie/) + /verticalité/ + /inchoatif/
vagues écumantes, Il "Là, le lac immobile "Où l'étoile du soir se
serpente, et s'enfonce en étend ses eaux lève dans l'azur"
un lointain obscur" dormantes"
/vers le bas/ /vers le haut/
Univers aquatique et céleste (fleuve naturel, lac artistique par le reflet
céleste)
/itérativité/ + /imperfectivité/ (cf. verbes, adverbes, lieux)

Ainsi on le constate, les mêmes catégories sémantiques servent à l'interprétation de la cohésion


de l'ensemble des deux quatrains. Leur pertinence ne saurait ainsi se limiter à la borne
phrastique, mais concerne le poème dans sa totalité.
Elles permettent par exemple de déceler le rôle de la rime, qui, majoritairement, opère
des rapprochements lexicaux par antonymie ('écumantes' vs 'dormantes',
'obscur' vs 'azur', 'chêne' vs 'plaine'; in fine 'vallons' /douceur/ vs 'aquilons'
/violence/, 'prairie' /euphorie/ vs 'flétrie' /dysphorie/), la seule synonymie
apparaissant dans le mouvement de plongée, relativement au corps ("je
m'assieds"\"à mes pieds"; ailleurs 'sombres'\'ombre', 'aspire'\'désire').
Au niveau syntaxique, ajoutons que si le chiasme demeure ("Ici, gronde le fleuve
[...] Là, le lac étend"), les verbes au présent narratif multiplient l'animation,
l'ergativité de la nature * dans laquelle s'est dissoute l'activité du JE poétique :
'gronde', 'serpente', 's'enfonce' suggèrent un fleuve de type monstrueux, quasi-
mythologique (l'intertextualité du genre fait ainsi songer au Triton du récit de Théramène :
"Parmi des flots d'écume, un monstre furieux. [...] Sa croupe se recourbe en replis tortueux." **),
à quoi répond la sérénité lacustre par 'étend' et 'se lève'. On n'est pas loin du registre épique où
le manichéisme entre le laid et le beau aboutirait à un combat de titans; interprétation d'autant
plus fondée qu'elle s'appuie sur la reprise des articles définis singuliers à valeur notoire qui
simplifient les éléments de la nature en forces antagonistes.
Cela esquisse dans ce quatrain un univers irréel, où l'Aquatique et le Céleste, intimement liés, ne
serait-ce que par l'azur, répondent à l'univers plus réaliste du premier quatrain, mêlant le JE au
Terrestre - bien que le céleste ne soit pas absent avec le couchant; de même que 'serpente'
facilite la transition avec 'se déroule'. Cette succession illustrerait alors un passage du réalisme
empirique au réalisme transcendant - selon la terminologie de Rastier - suivant en cela une
esthétique spiritualiste. La nature esthétisée devient ainsi un paysage de l'âme selon le topos
romantique, avec les corrélats successifs de la mélancolie ("tristement"), de la contemplation
("mes regards sur le tableau"), de la terreur ("gronde, écumantes") et de l'espérance ("azur,
étoile", dans un mouvement cyclique qui reconduit /vers le haut/ "sur la montagne" initiale), avant
les sentiments d'ennui et d'abandon, célèbrement formulés : "Mais à ces doux tableaux mon âme
indifférente \ N'éprouve devant eux ni charme, ni transports, [...] Fleuves, rochers, forêts,
solitudes si chères, \ Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé."
N.B. 1 : C'est à ce titre que ce connecteur Mais (v. 17) introduit un renversement thymique dans
le poème; cela avant le basculement inverse par l'autre Mais (v. 37) - deux occurrences au total -
qui amorce une reprise d'espérance par l'évocation de l'ailleurs suprême, celui de l'au-delà,
corollaire d'un changement de mode (passage du présent de certitude à l'incertitude de "peut-
être" associé à l'hypothétique : "Si je pouvais" + conditionnels).
N.B. 2 : L'hémistiche "Un seul être vous manque", mis en relation cinq quatrains plus bas avec
"m'élancer jusqu'à toi" permet par assimilation et par recours à la topique lamartinienne d'activer
le trait /femme aimée/, alors que ce syntagme englobé dans un passage évoquant l'au-delà, les
cieux, la mort terrestre, aurait pu activer /Dieu/ dans le pronom 'toi'. Ainsi, de même que
l'activation du sème /reflet/ dans 'eaux dormantes' du 'lac immobile' et 'azur où l'étoile du soir se
lève' (soit une isotopie afférente socialement normée), cela démontre que "la mise en oeuvre
d'opérations inférentielles" requise pour l'établissement de la cohésion textuelle (Charolles, 1994:
133) dépend des contenus verbaux, lesquels ne sauraient donc être délaissés au profit des
"processus cognitifs" ou de la "continuité référentielle". Bien que ces inférences y renvoient, une
telle obsession de ces réalités mentale et physique détournent de la réalité des signifiés
linguistiques.

Ce qu'a voulu mettre en évidence cette analyse interprétative, c'est qu'une linguistique textuelle à
base de composants sémiques, établissant une cohésion au niveau du contenu, dépasse les
clivages intitutionnalisés autour de la borne phrastique.
Hagège par exemple réduit ainsi "la matière" linguistique : "Ce que l'on trouve, ce sont des
phrases, et des ensembles de phrases formant des textes" (1985: 275) - "le terme 'phrase' étant
plus adéquat qu''énoncé' dès qu'il s'agit d'une pièce au sein d'un tout cohérent" ajoute-t-il
incidemment (p. 286) -, définition minimaliste qui fait ressortir a contrario la nécessité d'une
théorie de la textualité. "La théorie des trois points de vue est le cadre proposé pour cette étude
des langues dans la réalité de leur manifestation en discours. [...] Premièrement, le point de vue
morphosyntaxique. Le deuxième relie les phrases au monde extérieur dont elles parlent [...] d'où
le nom de sémantico-référentiel pour désigner le point de vue 2. Enfin, du point de vue 3,
énonciatif-hiérarchique, la phrase est considérée dans ses rapports avec celui qui la profère [...]
le locuteur choisit une certaine stratégie ou mode de présentation" (1985: 275-276). Où l'on
retrouve le modèle sémiotique tripartite de Morris :
syntactics\semantics\pragmatics. Si Hagège reconnaît que la sémantique de la phrase peut se
fonder sur les "unités sémantiques minimales ou sèmes", c'est pour leur dénier aussitôt toute
autonomie, fût-elle relative, et les rapporter à une représentation de la réalité : "L'organisation
sémique reflète en toute langue la praxis de la société qui culturalise les référents" (p. 288). Cette
théorie qui donne le premier rôle à "l'environnement physique, social et culturel propre à chaque
langue et à chaque situation dialogale" (p. 290) laisse peu de place à la cohésion texuelle (prise
en charge par la composante discursive dont parle R. Martin) fondée sur des récurrences
sémiques.

Ainsi, pragmatiquement, si l'intention communicative de la première phrase\quatrain diffère de la


seconde, et, cognitivement, modifie par là le modèle mental qui se dégage de cet ensemble
textuel, cela dépend d'une analyse de contenu préalable. En étudiant notamment les implications
sémantiques du genre du poème romantique, et en reconnaissant les contraintes qu'exercent les
formations isotopiques sur les représentations qui s'en dégagent, on évite
- d'une part la fracture entre les niveaux configurationnel\propositionnel,
- d'autre part la confusion entre les impressions psychologiques qui se dégagent du texte et les
unités linguistiques qui les fondent.
Comme le concluait Charolles (1988: 62), "Par-delà la généralité des processus psycho et socio-
cognitifs intervenant dans l'interprétation (de la cohérence) des discours, il semble que l'analyse
des marques de relation entre les unités de composition textuelle revienne en propre aux
linguistes." Encore faut-il accorder à la construction du signifié une réalité que met en évidence
l'analyse du texte littéraire. N'est-ce pas une preuve supplémentaire plaidant en faveur de la
réconciliation entre littéraires et linguistes ?
_____________
* Selon le formalisme propositionnel :
- GRONDER, SERPENTER, S'ENFONCER (fleuve /ergatif/; ici + lointain obscur /locatif spatial/)
- ETENDRE (lac /ergatif/; eaux dormantes /accusatif/ + /locatif spatial/ (SE LEVE (étoile /ergatif/;
azur /locatif spatial/)))

** De même que plus loin dans le poème les "orageux aquilons" remémorent l'extrait célèbre de
la prose romantique de René (1802) : "La nuit, lorsque l'aquilon ébranlait ma chaumière, que les
pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu'à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner les
nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait que la vie
redoublait au fond de mon coeur, que j'aurais eu la puissance de créer des mondes. [...] Levez-
vous vite, orages désirés, qui devez emporter René vers les espaces d'une autre vie!" Ajoutons
que dans la même page on lisait cette notation : "je m'élevais sur la montagne", espace
hiérophanique, liminaire dans le poème de Lamartine.

ANNEXE

Méditations poétiques

Ab Jove principium - Virgile

I. L'isolement

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,


Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,


Le crépuscule encor jette un dernier rayon,
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,


Un son religieux se répand dans les airs,
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente


N'éprouve devant eux ni charme, ni transports,
Je contemple la terre, ainsi qu'une ombre errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,


Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m'attend.

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,


Vains objets dont pour moi le charme est envolé;
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,


D'un oeil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,


Mes yeux verraient partout le vide et les déserts;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire,
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,


Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux ?

Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire,


Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !

Que ne puis-je, porté sur le char de l'aurore,


Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi,
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

Commentaire de lamartine

J'écrivis cette première méditation un soir du mois de septembre 1819, au coucher du


soleil, sur la montage qui domine la maison de mon père, à Milly. J'étais isolé depuis
plusieurs mois dans cette solitude. Je lisais, je rêvais, j'essayais quelquefois d'écrire, sans
rencontrer jamais la note juste et vraie qui répondit à l'état de mon âme; puis je déchirais
et je jetais au vent les vers que j'avais ébauchés. J'avais perdu l'année précédente, par une
mort précoce, la personne que j'avais le plus aimée jusque-là. Mon coeur n'était pas guéri
de sa première grande blessure, il ne le fut même jamais. Je puis dire que je vivais en ce
temps-là avec les morts plus qu'avec les vivants. Ma conversation habituelle, selon
l'expression sacrée, était dans le ciel. On a vu dans Raphaël comment j'avais été attaché et
détaché soudainement de mon idolâtrie d'ici-bas.

J'avais emporté ce jour-là sur la montagne un volume de Pétrarque, dont je lisais de temps
en temps quelques sonnets. Les premiers vers de ces sonnets me ravissaient en extase
dans le monde de mes propres pensées. Les derniers vers me sonnaient mélodieusement à
l'oreille, mais faux au coeur. Le sentiment y devient l'esprit. L'esprit a toujours, pour moi,
neutralisé le génie. C'est un vent froid qui sèche les larmes sur les yeux. Cependant
j'adorais et j'adore encore Pétrarque. L'image de Laure, le paysage de Vaucluse, sa retraite
dans les collines euganéennes, dans son petit village que je me figurais semblable à Milly,
cette vie d'une seule pensée, ce soupir qui se convertit naturellement en vers, ces vers qui
ne portent qu'un nom aux siècles, cet amour mêlé à cette prière, qui font ensemble
comme un duo dont une voix se plaint sur la terre, dont l'autre voix répond du ciel; enfin
cette mort idéale de Pétrarque la tête sur les pages de son livre, les lèvres collées sur le
nom de Laure, comme si sa vie se fût exhalée dans un baiser donné à un rêve! tout cela
m'attachait alors et m'attache encore aujourd'hui à Pétrarque. C'est incontestablement
pour moi le premier poëte de l'Italie moderne, parce qu'il est à la fois le plus élevé et le
plus sensible, le plus pieux et le plus amoureux; il est certainement aussi le plus
harmonieux: pourquoi n'est-il pas le plus simple? Mais la simplicité est le chef-d'oeuvre
de l'art, et l'art commençait. Les vices de la décadence sont aussi les vices de l'enfance
des littératures. Les poésies populaires de la Grèce moderne, de l'Arabie et de la Perse,
sont pleines d'afféterie et de jeux de mots. Les peuples enfants aiment ce qui brille avant
d'aimer ce qui luit; il en est pour eux des poésies comme des couleurs: l'écarlate et la
pourpre leur plaisent dans les vêtements avant les couleurs modérées dont se revêtent les
peuples plus avancés en civilisation et en vrai goût.

Je rentrai à la nuit tombante, mes vers dans la mémoire, et me les redisant à moi-même
avec une douce prédilection. J'étais comme le musicien qui a trouvé un motif, et qui se le
chante tout bas avant de le confier à l'instrument. L'instrument pour moi, c'était
l'impression. Je brûlais d'essayer l'effet du timbre de ces vers sur le coeur de quelques
hommes sensibles. Quant au public, je n'y songeais pas, ou je n'en espérais rien. Il s'était
trop endurci le sentiment, le goût et l'oreille aux vers techniques de Delille, d'Esménard et
de toute l'école classique de l'Empire, pour trouver du charme à des effusions de l'âme,
qui ne ressemblaient à rien, selon l'expression de M. D*** à Raphaël.

Je résolus de tenter le hasard, et de les faire imprimer à vingt exemplaires sur beau papier,
en beau caractère, par les soins du grand artiste en typographie, de l'Elzevir moderne, M.
Didot. Je les envoyai à un de mes amis à Paris: il me les renvoya imprimés. Je fus aussi
ravi en me lisant pour la première fois, magnifiquement reproduit sur papier vélin, que si
j'avais vu dans un miroir magique l'image de mon âme. Je donnai mes vingt exemplaires
à mes amis: ils trouvèrent les vers harmonieux et mélancoliques; ils me présagèrent
l'étonnement d'abord, puis après l'émotion du public. Mais j'avais moins de confiance
qu'eux dans le goût dépravé, ou plutôt racorni, du temps. Je me contentai de ce public
composé de quelques coeurs à l'unisson du mien, et je ne pensai plus à la publicité.

Ce ne fut que longtemps après, qu'en feuilletant un jour mon volume de Pétrarque, je
retrouvai ces vers, intitulés: Méditation, et que je les recueillis par droit de primogéniture
pour en faire la première pièce de mon recueil. Ce souvenir me les a rendus toujours
chers depuis, parce qu'ils étaient tombés de ma plume comme une goutte de la rosée du
soir sur la colline de mon berceau, et comme une larme sonore de mon coeur sur la page
de Pétrarque, où je ne voulais pas écrire, mais pleurer.

Nait en 1790, Lamartine est un romantique français qui nous fait part de la notion de
paysage d'état d'âme mais aussi d'une reconnaissance d'une sensibilité de l'individu face à
la description de la nature accueillante qui parait un refuge et d'une médiation sur la
solitude du poète. Ce qui anime Lamartine c'est le renoncement, l'accablement, il refoule
les valeurs de la société, de la foule et garde le caractère de la retraite. On pense au livre
de Rousseau Rêveries du promeneur solitaire qui peint des paysages attrayants, montre le
lien naturel avec la nature et la solitude, en donnant des comparaisons avec les hauteurs et
l'immensité. On décèle surtout une opposition entre la nature sauvage et celle travaillée
par l'homme. On pense aussi à La Maison de Berger d'Alfred de Vigny qui parle d'abri et
de transition nomade. Il est question de l'état d'âme qui est le reflet du moi face à la
nature qui me renvoie moi-même. Malgré le charme que comporte la nature, elle est
incapable de nous réconforter.
Extrait du document:
Le premier mouvement s'étend de la première strophe à la quatrième. Nous ressentons la
présence du rapport de l'individu et du paysage mais aussi du paysage et de l'état d'âme.
Nous avons un panorama visuel et l'achèvement du mouvement se fait par le son qui est
un aspect que le poète ne peut pas traduire. Nous y décelons aussi une composition
picturale et nous pouvons le rapprocher des peintres romans avec notamment en
Allemagne les tableaux de Gaspar David Friedrich du Promeneur solitaire sur un
promontoire contemplant une mer de nuages. Et le son des « Saints concerts » nous
rappellent l'Angélus du soir comme celui que Millet a peint.

21 Octombrie 2008

Alphonse de Lamartine şi Romantismul


francez

Fragmente din volumul „Scriitori francezi”, apărut la Editura ştiinţifică şi enciclopedică,


Bucureşti, 1978 - articolul este semnat de Angela Ion:

Primul - în ordine cronologică - dintre cei patru mari poeţi ai Romantismului francez,
Lamartine a intrat în literatură la treizeci de ani, însoţit de aura succesului imediat. Micul
volum de versuri, apărut anonim, în 1820, Méditations poétiques (douăzeci şi patru de
poezii în ediţia originală), a marcat una dintre datele importante ale secolului trecut, pe
care Sainte-Beuve o evoca în aceşti termeni într-o scrisoare către Verlaine, din 19 nov.
1865: “Nu, cei care n-au fost martori n-ar putea să-şi imagineze impresia adevărată,
legitimă, de neşters pe care contemporanii au primit-o de la primele Meditaţii…”

Deşi nu revoluţiona tehnica versificaţiei şi nici nu reînnoia temele tradiţionale ale


lirismului, Lamartine aducea în poezie un accent necunoscut, o atmosferă, o manieră
unică de a vorbi despre dragoste, natură, aspiraţia spre ideal. În versurile lui, cititorii
regăseau cu încântare propriile lor sentimente, exprimate parcă de o voce cunoscută,
suavă şi melancolică, penetrantă ca o melodie de mult îndrăgită, care trezeşte amintiri
nostalgice.

Mulţi ani mai târziu, într-o prefaţă din 1849, Lamartine va încerca să definească el însuşi
genul de poezie pe care-l inaugurau Meditaţiile: un “cântec interior”, visător şi
melancolic, şi nu o artă artificială, “o alinare a propriei inimi, care se legăna cu propriile-i
suspine”. “Sunt primul care am coborât poezia din Parnas şi care am dat Muzei, în locul
unei lire cu şapte coarde convenţionale, înseşi fibrele inimii omului, înfiorate de
sentimente şi impresionate de natură” - scria Lamartine.

Poezia devenea sentiment şi emoţie, încetând să mai fie un exerciţiu al inteligenţei şi al


imaginaţiei. O poezie a emoţiilor delicate, spiritualizate, epurate de orice aluzie la viaţa
de toate zilele, versuri de o muzicalitate suavă, fluidă şi misterioasă. Cele mai izbutite
poeme ale lui Lamartine sunt adevărate “romanţe fără cuvinte”, cântece fără suport
vorbit, la care cadenţa este mai importantă decât sensul şi modulaţia mai fascinantă decât
semnificaţia (Claude Roy).
Lumea înconjurătoare devine o prelungire şi un reflex al eului poetului, un “peisaj
interior” (Ernest Zyromski). Poetul sugerează un “tablou schimbător” (L’Isolement -
Singurătatea), un peisaj arhetipal, spaţiu fără contururi precise, care se desfăşoară la
infinit şi se pierde în depărtări. Privirea melancolică şi visătoare a poetului lunecă treptat
pe deasupra obiectelor şi a formelor, atenuând sau ştergând contururile şi cuprinzând
toate elementele peisajului “într-o continuitate semnificantă care face să dispară orice
realitate semnificată cu precizie” (J.-P. Richard).

În acest spaţiu ideal şi idealizat, poetul evocă o prezenţă aproape ireală sau, mai degrabă,
o absenţă: Elvire, mitul “eternului feminin”, fiinţa ideală pe care poetul evită cel mai
adesea s-o numească, dar care pentru istoricii literaturii este Julie Charles, sau
Mariantonia Iacomino, tânăra napolitană întâlnită în Italia, în 1811-1812, sau Marianne-
Elisa Birch, care va deveni soţia poetului chiar în anul publicării Meditaţiilor poetice.

Elegiile lamartiniene nu sunt însă o poveste de dragoste, ci meditaţii despre virtuţile


înălţătoare ale iubirii, despre timpul ce trece şi ia cu el fericirea noastră, despre
fragilitatea vieţii şi eternitatea naturii, singura care poate păstra amintirea clipelor fericite.
[…] Amintirea este pentru Lamartine experienţa duratei interioare, căutarea nostalgică a
timpului pierdut, care reînvie sub impulsul unei senzaţii, prin “miracolul memoriei
afective” trăit de toţi poeţii romantici cu mult înaintea lui Proust (Georges Poulet).

Momentul pe care l-a reprezentat poezia lirică, intimistă, în creaţia lui Lamartine a fost
urmat, după 1830, de poezia de inspiraţie umanitară, deschisă spre preocupările sociale.
În consens cu mişcarea romantică, cu Victor Hugo şi Vigny, Lamartine se îndreaptă cu
pasiune spre poezia politică de o înaltă valoare morală, traversată de un suflu entuziast,
generos, de încrederea în viitorul mai bun al omenirii.

În poemul Réponse á Némésis, Lamartine afirmă dreptul şi datoria poetului de a participa


la luptele sociale, iar în Ode sur les Révolutions se proclamă un partizan hotărât al
progresului social, al ordinii republicane.

Curând evenimentele publice îl atrag complet. Prestigiul omului politic îl egalează şi-l
depăşeşte pe cel al scriitorului nu numai în Franţa, ci şi peste hotare, în Ţările Române,
de exemplu, unde Lamartine este admirat şi elogiat de paşoptişti ca simbol al revoluţiei şi
eliberării popoarelor. Eşecul în alegerile pentru preşedinţia Republicii Franceze
marchează sfârşitul carierei politice a lui Lamartine. Retras din viaţa publică după 1848,
este silit să se consacre “muncii silnice literare” pentru a-şi plăti datoriile şi scrie, cu
sufletul la gură, volume după volume de opere în proză […].

Ajuns la crepusculul vieţii, îmbătrânit şi trist, Lamartine reia lira părăsită de mulţi ani,
pentru a compune, în 1856, ultimele sale poeme lirice, Le Désert (Deşertul) şi La Vigne
et la maison (Via şi casa), tulburătoare meditaţie despre bătrâneţe şi moarte. Acest poem
simbolic, meditativ şi trist, este un imn închinat familiei, casei, satului şi muncii, o
călătorie în trecut în căutarea tinereţii pierdute, un dialog cu sine însuşi, în versuri de o
maiestate gravă şi de o admirabilă supleţe a ritmului, care fac din La Vigne et la maison
cântecul de lebădă al unui autentic poet.

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