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L’EMPLACEMENT ET L’ASSOCIATION SEMANTIQUE DES

ILLUSTRATIONS DANS CERTAINS TETRAEVANGILES MEDIO-

BYZANTINS

Elisabeth YOTA

Collaboratrice scientifique externe à l’Université de Fribourg, Suisse

Rue Aloys-Mooser, 4 - 1700 Fribourg

elyota@yahoo.fr

Abstract : Avec l’insertion de l’image dans le texte le système d’illustration dans


les manuscrits change considérablement. Par ce rapport de proximité l’image
contribue à une meilleure compréhension du texte. L’usage de la miniature en
pleine-page située au début du manuscrit éloigne l’image du texte et confère à
celle-ci une valeur supérieure. Dans les tétraévangiles médio-byzantins les
exemples ayant un tel type d’illustration sont peu nombreux mais présentent un
grand intérêt sur la conception du message que le commanditaire choisit à
transmettre à travers les scènes représentées.

Le renouveau de la dévotion auquel on assiste à l’époque médio-byzantine

génère une production importante de livres religieux abondamment illustrés. Le

tétraévangile n’échappe pas à cette règle. Son contenu christologique se prête à

cette tendance qui, loin d’être nouvelle, reflète une certaine spiritualisation de la

théologie des images. Les nombreux tétraévangiles qui surgissent à cette époque

attestent un intérêt particulier pour l’illustration de ce livre et une volonté de

personnaliser chaque livre à travers le choix et l’emplacement des scènes

illustrées. L’étude de nombreux tétraévangiles illustrés de l’époque médio-

byzantine a d’ailleurs démontré que l’illustration de chaque manuscrit répond aux

exigences d’une demande bien précise.


2

Ces constatations nous renvoient à la complexité des rapports qui unissent

l’image au texte. Le rôle de la mise en page en tant que régisseur de l’entité texte-

image devient plus significatif avec l’insertion de l’image à l’intérieur du texte.

Marginale, en frise ou en tableau encadré, l’image intervient pour compléter la

lecture textuelle et pour apporter une interprétation visuelle au message

évangélique1.

Dans le cas des illustrations marginales, la corrélation qui se crée entre le

texte et l’image est fondée sur la primauté du texte. L’image disposée dans les

marges accompagne le texte sans s’y intégrer véritablement. En revanche, avec

l’adoption du système d’illustration en frise ou en tableau encadré, l’image brise

l’unité du texte. Le rapport texte-image devient dorénavant un rapport de

complémentarité et les liens se renforcent considérablement. Avec la restriction du

nombre de scènes illustrées qui s’observe dans les tétraévangiles, surtout à partir

du XIe siècle, les images, moins nombreuses et moins exiguës, forment de

véritables tableaux munis d’un cadre qui confère à chaque image une autonomie

équivalente à celle du texte. Ce type d’illustration, qui n’est pas propre aux

tétraévangiles, jouit d’une véritable popularité à l’époque médio-byzantine2.

1 Une des premières études critiques du texte des Quatre Evangiles et de sa forme originelle a été
entreprise par H. von Soden. L’auteur a publié quatre volumes sur le texte du Nouveau Testament
et a présenté un catalogue des manuscrits répartis en familles (voir H.F. von SODEN, Die
Schriften des Neuen Testamentes. Berlin 1902, 1906, 1910 et Göttingen 1913, vol. I-IV et pour le
catalogue I, p. 45-289). A la même époque, C.R. Gregory, dans son étude sur le texte du Nouveau
Testament, développe un autre système de numérotation des manuscrits qui est sensiblement
moins compliqué que celui de von Soden (voir C.R. GREGORY, Textkritik des Neuen
Testamentes. Leipzig 1900, vol. I, p. 124-262). Citons aussi, entre autres, C.R. GREGORY, Canon
and Text of the New Testament. Edinburgh 1907; B.H. STREETER, The Four Gospels. A Study of
Origins. Londres 1924 ; B.M. METZGER, The Text of the New Testament. New York et Oxford
1968 (2e éd.); A. et B. ALAND, The Text of New Testament. Grand Rapids 1989 (2e éd.).
2 Il est d’usage également dans les Homélies de Grégoire de Nazianze, de Jacques de
Kokkinobaphos et de Jean Climaque, dans les Ménologes, les Octateuques, les Psautiers et les
livres des Prophètes. Pour ce qui est des évangéliaires, seul l’évangéliaire Mont Athos Dionysiou
gr. 587 présente ce type de format. Voir M.L. DOLEZAL, Illuminating the liturgical word : text
and image in a decorated lectionary (Mount Athos, Dionysiou Monastery, cod. 587). In: Word &
Image, 12, 1996, p. 23-60.
3

Dans cet article, à l’aide de quelques exemples puisés dans des

tétraévangiles datés ou datables des XIe-XIIe siècles, je vais mettre en exergue

l’illustration en tableau encadré. Mon attention sera tournée uniquement sur les

miniatures en tableaux encadrés situées au début et/ou à la fin du manuscrit afin

de prouver que l’image ainsi éloignée du contexte textuel devient le prélude visuel

du message évangélique, autrement dit, qu’elle acquiert le rôle du prolégomenon-

annonciateur. La disposition et l’association sémantique des scènes illustrées

montreront clairement, d’une part que la réalisation de chaque manuscrit est une

entreprise singulière dont le message dépend entièrement des exigences du

commanditaire et, d’autre part, que le cycle des Grandes Fêtes Liturgiques et les

transformations produites dans le calendrier liturgique à partir du XIe siècle ont

considérablement fait évoluer le choix et l’emplacement des scènes illustrées dans

les tétraévangiles.

Au XIIe siècle, époque à laquelle dans les tétraévangiles se développe

considérablement l’illustration à tableaux encadrés insérés dans le texte

évangélique ou au début de chaque évangile3, dans deux manuscrits, le

3 A cette époque, deux grands groupes de manuscrits se distinguent. Il s’agit du groupe


« decorative style », connu autrefois sous le nom de « groupe de Nicée », comportant environ une
centaine de manuscrits, dont de nombreux ont été réalisés dans l’aire palestino-chypriote. Hormis
les similitudes paléographiques très importantes (l’écriture du « style e » à pseudo-ligatures), les
manuscrits de ce groupe présentent une illustration à tableaux encadrés insérés dans le texte
évangélique, occupant la majeure partie du folio. Sur ce groupe, voir P. CANART, Les écritures
livresques chypriotes du milieu du XIe siècle au milieu du XIIIe et le style palestino-chypriote
« epsilon ». In : Scrittura e Civiltà, 5, 1981, p. 17-76 ; A. WEYL CARR, Byzantine Illumination,
1150-1250 : The Study of Provincial Tradition. Chicago 1987. Le second groupe est celui étudié
par C. Meredith. Les manuscrits sont illustrés de quatre scènes christologiques réalisées en pleine
page ou en tableaux encadrés, placées en tête de chaque évangile accompagnant ainsi les portraits
des évangélistes. Sur de groupe voir C. MEREDITH, The Illustration of Codex Ebnerianus and its
Relatives (thèse inédite). Londres 1964; eadem, The Illustration of codex Ebnerianus. A Study in
Liturgical Illustration of the Comnenian Period. In: Journal of the Warburg and Courtauld
Institutes, XXIX, Londres 1966, p. 419-424; A. WEYL CARR, Diminutive Byzantine
Manuscripts. In : Codices manuscripti, 6, 1980, p. 130-139. Sur l’illustration des tétraévangiles
médio-byzantins, voir E. YOTA, Le tétraévangile Harley 1810 de la British Library. Contribution
4

tétraévangile Istanbul Patriarcat Œcuménique gr. 34 et le tétraévangile Florence

Bibliothèque Laurentienne Conventi Soppressi gr. 1605, l’illustration se détache

du texte évangélique et se place aux premiers folios du codex, où les miniatures

sont en pleine-page et entourées d’un cadre.

En effet, dans le tétraévangile Istanbul Patriarcat Œcuménique gr. 36, daté

de la deuxième moitié du XIIe siècle, vers 1170, des miniatures en pleine-page

décorent les sept premiers folios précédant les Tables de Canons. Au fol. 2v est

illustrée la scène de la Déïsis et les quatre évangélistes (fig. 1). Elle est suivie de

six miniatures représentant des scènes christologiques : la Nativité (fol 3r), le

Baptême (fol. 3v), la Crucifixion (fol. 4r), l’Anastasis (fol. 4v), l’Ascension (fol.

5r), et enfin la Pentecôte (fol. 5v) (fig. 2-7). L’image de la Transfiguration (fig. 8)

se détache de cet ensemble et se situe avant l’évangile de Luc au fol. 131r7.

Dans le cycle de ce manuscrit, l’image de la Déisis, représentée en tant

que symbole de la divinité du Logos8, se combine parfaitement avec les six autres

illustrations qui suivent. De cette façon le commanditaire de ce manuscrit choisit

de reproduire la disposition des scènes christologiques des épistyles byzantins.

Sur ces derniers, la Déïsis, située au centre, est entourée de part et d’autre de

douze panneaux en bois sur lesquels sont représentées les Grandes Fêtes

à l’étude de l’illustration des tétraévangiles du Xe au XIIIe siècle, (thèse de doctorat non publiée).
Paris 2001.
4 R. NELSON, Text and Image in a Byzantine Gospel Book in Istanbul (Ecumenical Patriarchate,
cod. 3). Université de New York 1978 (avec la bibliographie antérieure).
5 E. YOTA, Un tétraévangile provincial d’origine syro-palestinienne : Florence Bibliothèque
Laurentienne Conv. Soppr. gr. 160. In : The Material and the Ideal: Studies in medieval art and
archaeology in honour of Jean-Michel Spieser, A. Cutler et A. Papaconstantinou (dir.), éd. Brill.
Leiden 2007, p. 189-203.
6 Il s’agit d’un manuscrit de 243 folios sur parchemin (178x228mm), écrit en une seule colonne de
24 lignes par folio et 30 lettres par ligne. Il est réglé selon le de type de réglure Leroy 54C1. Voir
NELSON, Text and Image, p. 265-277.
7 L’illustration de ce tétraévangile se complète avec une série de dix Tables de Canons (fol. 6r-
10v), la chronologie d’Hyppolite de Thèbes (fol. 11r-12v), le portrait d’Eusèbe (fol. 12v), les
quatre symboles des évangélistes (fol. 18r, 83r, 126v, 196v) ainsi que leurs portraits (fol. 18v, 86v,
132v, 199v) et enfin une croix au fol. 243r. Voir NELSON, op. cit., p. 261-265.
5

liturgiques. Le commanditaire du tétraévangile Istanbul Patriarcat Œcuménique

gr. 3 en choisit sept, chacune d’elles symbolisant une étape importante de la Vie

du Christ. Ainsi rassemblées, juxtaposées les unes aux autres, et entourées d’un

cadre décoratif, elles font office d’icônes portatives au même titre que les

panneaux peints de l’épistyle byzantin.

La Transfiguration se trouve à l’écart de cet ensemble, située un folio

avant le portrait de l’évangéliste Luc. L’explication d’un tel choix n’est point

facile. Cela pourrait s’expliquer uniquement par le lien liturgique entre l’épisode

de la Transfiguration et l’évangile de Luc9. En effet, l’évangile de Luc (IX, 28-36)

est lu lors de l’orthros du 6 août, jour de la fête de la Transfiguration.

L’emplacement et le choix des scènes illustrées met en relief la singularité

du manuscrit et fait apparaître clairement les sources d’inspiration du

commanditaire10. Il s’agit d’une part de la structure de l’épistyle médio-

byzantin11, et d’autre part de la décoration des psautiers dans lesquels on place

souvent la Déïsis en frontispice, accompagnée des portraits des prophètes ou

encore des scènes tirées des quatre évangiles, comme c’est le cas dans le psautier

Vat. gr. 75212. La distance entre l’image et le texte auquel elle se réfère et sa mise

en valeur dans un cadre en pleine page lui confèrent une double fonction : elle

8 Pour la place de la Déïsis dans les manuscrits, voir aussi A. WEYL CARR, Gospel Frontispieces
from the Comnenian Period. In : Gesta 21/1, 1982, p. 3-20 et plus particulièrement p. 6.
9 Voir aussi G. HABRA, La Transfiguration selon les pères grecs. Paris 1973 ; J.A. McGUCKIN,
The Transfiguration of Christ in Scripture and Tradition. Lewiston N.Y. 1986 ; A. GRABAR,
L’iconographie du ciel dans l’art chrétien de l’antiquité et du moyen-âge. In : Cahiers
Archéologiques, 30, 1982, p. 5-24.
10 NELSON, Texte and Image, p. 197-207.
11 Pour l’influence du templon sur l’iconographie du tétraévangile Istanbul Patriarcat Œcuménique
gr. 3, voir NELSON, op. cit., p. 197-199. Pour l’évolution du templon et l’emplacement des Douze
Fêtes sur l’épistyle, voir J.-M. SPIESER, Le développement du templon et les images des Douze
Fêtes. In : Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, 69, 1999, p. 131-164.
12 NELSON, Texte and Image, p. 202 et E. DE WALD, The Illustrations in the Manuscripts of the
Septuagint, III, Psalms and Odes, 2 : Vaticanus Graecus 752. Princeton 1942, p. XI-XIII.
6

devient objet de dévotion personnelle et de méditation visuelle sur la nature des

évangiles.

La mise en rapport des miniatures du tétraévangile Istanbul Patriarcat

Œcuménique gr. 3 avec une série d’épigrammes est aussi singulière que son

illustration13. En effet, bien qu’un florilège d’épigrammes se référant aux Grandes

Fêtes liturgiques se diffuse à partir du XIe siècle14, hormis le tétraévangile

Istanbul Patriarcat Œcuménique gr. 3, ils n’accompagnent quasiment jamais les

illustrations des tétraévangiles. Ceci est probablement dû au fait que l’image est

introduite le plus souvent dans le texte et que les épigrammes n’ont ainsi aucune

raison d’être citées, car le texte évangélique et, dans une certaine mesure, les titres

des chapitres, font office de commentaires au contenu de l’image.

Nous trouvons également de telles épigrammes dans un tétraévangile du

XIVe siècle, le Mont Athos Vatopédi gr. 937, qui présente une série de miniatures

en pleine page15. Ce tétraévangile reprend un type d’illustration similaire à celui

du tétraévangile Istanbul Patriarcat Œcuménique gr. 3. Dans le Vatopédi gr. 937

neuf scènes christologiques figurent en pleine page sur les folios qui précédent le

début de l’évangile de Matthieu : la Nativité (fol. 15r) (fig. 9), le Baptême (fol.

15v), la Transfiguration (fol. 16r), la Présentation du Christ au Temple (fol. 16v),

le Thrène (fol. 17v) (fig. 10), la Crucifixion (fol. 18r) (fig. 11), l’Anastasis (fol.

13 Le texte de ces épigrammes est transcrit dans NELSON, Texte and Image, p. 16-22.
14 W. HÖRANDNER, Ein Zyklus von Epigrammen zu Darstellungen von Herrenfesten und
Wunderszenen. In: Dumbarton Oaks Papers, 46, 1992, p. 107-115 ; Idem, A Cycle of Epigrams on
the Lord’s Feasts in Cod. Marc. Gr. 524. In : Dumbarton Oaks Papers, 48, 1994, p. 119-133. Voir
aussi SPIESER, Douze Fêtes, p. 149-150.
15 Pour ce tétraévangile, voir : V.J. DJURIĆ, Les miniatures du tétraévangile de Vatopédi n° 937
et leurs peintres (en russe et avec un résumé en français). In : Zograf, 1989, p. 61-73. Il s’agit d’un
manuscrit sur parchemin de 398 folios (240x165mm). Le texte évangélique est écrit à l’encre noire
sur une seule colonne.
7

18v) (fig. 12), l’Ascension (fol. 19r), la Pentecôte (fol. 19v) (fig. 13)16. Deux

folios avant le portrait de l’évangéliste Luc (fol. 203v) est représentée la scène de

l’Annonciation (fol. 201v) (fig. 14), alors que la Résurrection de Lazare (fol.

321r) (fig. 15) et l’Entrée à Jérusalem (fol. 321v) figurent aussi avant le portrait de

l’évangéliste Jean (fol. 322v). L’emplacement de la scène du Thrène avant celle

de la Crucifixion est évidemment problématique et conduit à s’interroger sur sa

réalisation. Selon une première hypothèse les miniatures du Vatopédi gr. 937

avaient été réalisées au même moment que l’achèvement du manuscrit mais

ajoutées postérieurement. Il est également possible que l’illustration ait été

réalisée au même moment que la copie du manuscrit, mais que la disposition des

miniatures ait été modifiée ultérieurement, lors de la mise en œuvre d’une

nouvelle reliure.

Quoi qu’il en soit, autant dans le tétraévangile Istanbul Patriarcat

Œcuménique gr. 3 que dans le Mont Athos Vatopédi gr. 937, le choix des scènes

illustrées ne trahit pas un souci particulier de la part du commanditaire de marquer

l’illustration de son manuscrit d’un message singulier. Comme on peut le voir

aussi dans les tétraévangiles Parme Bibliothèque Palatine gr. 517 et Péloponnèse

Mega Spileon gr. 818, les miniatures en pleine-page complètent le reste de

l’illustration dans le but de former un cycle iconographique similaire à celui

représenté dans les églises médio-byzantines ou sur l’épistyle des templa.

16 Ces scènes sont précédées du portrait de l’évangéliste Matthieu au fol. 14r. Aux fol. 17r, 129v et
317v est représenté le tétramorphe alors qu’aux fol. 129r, 203r et 322r sont peints respectivement
l’aigle, le bœuf et le lion.
17 Le tétraévangile Parme gr. 5 est un manuscrit de 283 folios en parchemin (300x231mm). Le
texte est écrit à l’encre noire en une seule colonne de 21 lignes par folio et de 29 lettres par ligne.
Voir P. ELEUTERI, (a cura), I manoscritti greci della Biblioteca Palatina di Parma. Milan 1993,
p. 3-13.
18 Il s’agit d’un tétraévangile sur parchemin de 301folios (220x175mm). Voir C. MEREDITH, The
Illustration of codex Ebnerianus. A Study in Liturgical Illustration of the Comnenian Period. In:
Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XXIX, Londres 1966, p. 421.
8

Dans le Parme Bibliothèque Palatine gr. 519 chacun des portraits des

évangélistes fait pendant à une scène évangélique,20 alors que trois miniatures en

pleine page sont placées avant l’évangile de Marc. Chacune d’elles est divisée en

quatre compartiments dans lesquels prennent place des scènes de miracles, de la

Passion et deux épisodes qui se situent après la Résurrection. Au fol. 89v sont

illustrées les Noces de Cana, la Pêche Miraculeuse, le Lavement des Pieds et la

Cène (fig. 16) ; au fol. 90r figurent le Mont des Oliviers, la Trahison de Judas, le

Reniement de Pierre, la Crucifixion et la Descente de la Croix ; enfin au fol. 90v

sont peints le Thrène, les Saintes Femmes au Tombeau, l’Ascension et la

Pentecôte (fig. 17).

Dans le tétraévangile Péloponnèse Mega Spileon gr. 8 la disposition des

miniatures est proche de celle du tétraévangile Parme gr. 5. Chaque portrait

d’évangéliste est associé à une scène christologique21 alors qu’une miniature en

pleine page est placée juste après la fin de l’évangile de Marc, comportant dans

quatre médaillons les scènes de la Transfiguration, de la Crucifixion, de

l’Ascension et de la Pentecôte (fol. 130r)22.

19 L’illustration du tétraévangile Parme Bibliothèque Palatine gr. 5 commence au fol 1r avec la


représentation d’Eusèbe et Carpien dans un en-tête, suivie de la Lettre d’Eusèbe à Carpien (fol. 1r-
2v). Au fol. 3r le texte de l’hypothesis sur l’évangile de Matthieu est décoré du Christ en gloire
entouré des quatre symboles des évangélistes ainsi que de leurs portraits, des prophètes David et
Isaïe, des apôtres Pierre, Paul, Jean et Constantin le Grand, des chérubins et des séraphins. Aux
fol. 6r-10v figurent les Tables de Canons alors qu’au fol. 12r est représentée la scène de la
Nativité.
20 En face du portrait de l’évangéliste Matthieu (fol. 12v), est illustrée la scène de la Fuite en
Egypte (fol. 13r). Le portrait de l’évangéliste Marc (fol. 91v) fait pendant à la représentation de
Jean-Baptiste baptisant un groupe d’Hébreux (fol. 92r), le portrait de Luc (fol. 136v) à celle de la
Naissance de Jean-Baptiste (fol. 137r) alors que celui de l’évangéliste Jean (fol. 213v) fait pendant
à la scène de l’Anastasis (fol. 214r).
21 Au début de chaque évangile, dans une miniature en pleine-page divisée en deux
compartiments, figurent le portrait de chaque évangéliste et une scène christologique :
l’évangéliste Matthieu et la Nativité au fol. 6v, l’évangéliste Marc et la Naissance de Jean-Baptiste
au fol. 81v, le portrait de Luc et l’Annonciation au fol. 131v et celui de Jean et l’Anastasis au fol.
208v.
22 Un peu plus tard, à la fin du XIIe-début XIIIe siècle, les tétraévangiles Washington Smithsonian
Institution 09.1685-9 et Malibu Musée Getty Ludwig II 5 sont aussi dotés d’une série des
miniatures en pleine page mais malheureusement leur état actuel ne nous permet pas de savoir quel
était leur emplacement initial. Le Washington Smiths. Inst. 09.1685-9 est conservé dans un état
9

Le souci de transmettre un message singulier à travers le choix et la mise

en place des scènes illustrées est bien plus visible dans le tétraévangile Florence

Bibliothèque Laurentienne Conv. Soppr. gr. 16023. Quatre miniatures en pleine

page entourées d’un portique à arcade sont situées, les deux premières, dans les

deux folios précédant l’évangile de Matthieu, et les deux autres dans les deux

derniers folios. Au fol. 6v figure la Pentecôte (fig. 18), qui fait pendant à l’image

de la Déïsis (fig. 19) peinte au folio 7r. Au fol. 213v est représentée la scène de la

Descente de la Croix (fig. 20) et enfin, au fol. 214r, figurent en une seule

miniature deux épisodes évangéliques qui se succèdent chronologiquement, à

savoir les Saintes Femmes au Tombeau et l’Apparition du Christ aux Saintes

Femmes (fig. 21)24.

En disposant la Pentecôte en face de la Déïsis au début du codex, le

réalisateur cherche à établir un lien visuel entre la diffusion de la parole divine par

les apôtres et la divinité du Logos. En plus du rapprochement sémantique créé

entre ces deux scènes, l’artiste forme également une homogénéité iconographique

en représentant dans les deux miniatures tous les personnages, excepté le Christ,

debout et conversant vers le centre. A la fin du codex, l’image de la Descente de

la Croix et la double image des Saintes Femmes au Tombeau et de l’Apparition du

Christ aux Saintes-Femmes faisant pendant forment un ensemble puissant qui

fragmentaire et seuls cinq folios subsistent. Pour le Ludwig II 5, nous savons qu’une grande partie
de son cycle iconographique a été ajoutée postérieurement dans des folios séparés. Voir F.
MOREY, East Christian Paintings in the Freer Collection. New York 1914, p. 31-62, pl. III-X et
A. WEYL CARR, Byzantine Illumination, 1150-1250. The Study of a Provincial Tradition.
Chicago-Londres 1987, cat. 71, p. 43-50 et 252-253.
23 Une note postérieure écrite sur le premier folio de l’évangile de Matthieu nous informe que ce
manuscrit appartenait au XVIIIe siècle au monastère des bénédictins à Florence. Ce tétraévangile
contient 214 folios de parchemin (225×200mm). Le texte des quatre évangiles est écrit à l’encre
brune en une seule colonne contenant 27 lignes et 30–35 lettres par ligne. Tous les cahiers sont
réglés selon le système 1 de J. Leroy et selon le type de réglure 44D1. Voir YOTA, Un
tétraévangile provincial d’origine syro-palestinienne, p. 189-190.
24 Le tétraévangile Florence B.L. Conv. Soppr. gr. 160 est aussi doté de dix Tables de Canons (fol.
1r-4r) et de quatre portraits des évangélistes (fol. 7v, 66v, 106v, 169v). Voir YOTA, Un
tétraévangile provincial d’origine syro-palestinienne, p. 191-192.
10

résume à la fois la souffrance de la Passion et la doctrine de la Rédemption. Grâce

à cette proximité, l’artiste met aussi en relief la juxtaposition des deux natures du

Christ. Dans la première, la raideur du corps mort qui se détache de la croix

accentue le message sacrificiel de sa vie terrestre, alors que dans la seconde, la

vivacité du corps en mouvement apporte une valeur théophanique à son

apparition.

En bref, ces quatre miniatures en pleine page détachées de leur contexte

textuel et placées l’une en face de l’autre apparaissent comme des diptyques, dont

l’association sémantique favorise la compréhension de la nature des évangiles et

du message christologique. Il n’est par conséquent pas exclu que le Conv. Soppr.

gr. 160 soit un tétraévangile à usage privé dont le décor incite son commanditaire

à prendre mieux conscience de la valeur symbolique et sacrée du texte

évangélique.

D’ailleurs, il est important de préciser ici qu’au XIIe siècle, le

tétraévangile servait très souvent de livre de dévotion et de prière personnelle au

même titre que le psautier. C’est à cette même époque que l’illustration du

tétraévangile devient bien plus sommaire et traduit uniquement les moments

importants de la Vie du Christ. Dans ce mode d’illustration, l’image, loin d’être

utilisée au profit de la narration, est choisie pour sa valeur exégétique et fait

ressortir la nature liturgique du passage auquel elle se réfère. Enfin, la

prééminence de la miniature en pleine-page dans les tétraévangiles montre que

l’on cherche à privilégier l’image en lui accordant une entière autonomie et une

force dramatique. Elle prépare visuellement le lecteur à comprendre le message de

l’Incarnation avant même de lire le texte évangélique. L’image acquiert ainsi une

valeur symbolique et sacrée égale à celle du texte et devient un objet de dévotion à

part entière.
11

SUMMARY : A l’époque médio-byzantine une production livresque

importante de manuscrits illustrés devient le résultat du renouveau de la dévotion.

Nombreux sont les tétraévangiles qui sont réalisés à cette même époque. Le choix

des scènes illustrées, l’association sémantique entre elles ainsi que leur

emplacement dans le texte, prouvent que le commanditaire de chaque livre

cherche à personnaliser son illustration et surtout le message qui en découle.

Leur illustration, marginale, en frise ou en tableau encadré, complète la

lecture textuelle en donnant une image à chaque épisode christologique important.

L’insertion de l’image dans le texte crée des liens de complémentarité entre ces

deux entités. Elle apporte à l’image un rôle égal à celui du texte puisqu’elle

devient l’interprétation visuelle du texte évangélique. Quand l’image se détache

du texte et se place au début du manuscrit, en pleine-page, elle devient

indépendante de celui-ci et acquiert un rôle du prolégomenon-annonciateur du

texte des évangiles.

Les tétraévangiles illustrés de miniatures en pleine-page situées au tout

début du manuscrit sont peu nombreux. Chacun d’eux présente une disposition et

un choix des scènes illustrées différent, ce qui prouve que le commanditaire

cherche à faire valoir un message spécifique.

Dans le tétraévangile Istanbul Patriarcat Œcuménique gr. 3, daté du XIIe

siècle, et dans celui du Mont Athos Vatopédi gr. 937, daté du XIVe siècle

l’influence de la structure de l’épistyle byzantin est bien visible. Le premier est

illustré de huit miniatures en pleine-page. Au fol. 2v figure la scène de la Déïsis et

les quatre évangélistes. Elle est suivie de de la Nativité (fol 3r), du Baptême (fol.

3v), de la Crucifixion (fol. 4r), de l’Anastasis (fol. 4v), de l’Ascension (fol. 5r), et

enfin de la Pentecôte (fol. 5v). L’image de la Transfiguration se détache de cet

ensemble et se situe avant l’évangile de Luc. Dans le Vatopédi gr. 937 neuf scènes
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christologiques figurent en pleine-page sur les folios qui précédent le début de

l’évangile de Matthieu (fol. 15r Nativité, fol. 15v Baptême, fol. 16r

Transfiguration, fol. 16v Présentation du Christ au Temple, fol. 17v Thrène, fol.

18r Crucifixion, fol. 18v Anastasis, fol. 19r Ascension, fol. 19v Pentecôte). Deux

folios avant le portrait de l’évangéliste Luc est représentée la scène de

l’Annonciation au fol. 201v, alors qu’avant le portrait de l’évangéliste Jean

figurent la Résurrection de Lazare au fol. 321r et l’Entrée à Jérusalem au fol.

321v.

La disposition et le choix des scènes illustrées ainsi que la présence de la

Déïsis dans ces deux manuscrits démontrent l’influence de la structure de

l’épistyle mais également celle de l’illustration des psautiers. Dans deux autres

manuscrits, le tétraévangile Parme Bibliothèque Palatine gr. 5 et le Péloponnèse

Mega Spiléon gr. 8 le choix des scènes illustrées est similaire à celui des

tétraévangiles susmentionnés mais la disposition des miniatures est bien

différente.

Enfin, dans le tétraévangile Florence Bibliothèque Laurentienne Conv.

Soppr. gr. 160, les scènes représentées sont beaucoup moins nombreuses. Ainsi

choisies soigneusement elles révèlent un souci véritable pour transmettre un

message précis. Quatre miniatures en pleine page entourées d’un portique à arcade

sont situées, les deux premières (la Pentecôte au fol. 6v et la Déïsis au fol. 7r)

dans les deux folios précédant l’évangile de Matthieu, et les deux autres dans les

deux derniers folios (la Descente de la Croix au fol. 213v et les Saintes Femmes

au Tombeau et l’Apparition du Christ aux Saintes Femmes au fol. 214r). Le début

du cycle iconographique de ce manuscrit commence par un lien visuel entre la

diffusion de la parole divine par les apôtres et la divinité du Logos alors que sa fin

résume à la fois la souffrance de la Passion et la doctrine de la Rédemption. Les


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miniatures jouent le rôle des diptyques et favorisent la compréhension de la nature

des évangiles et du message christologique.

Les particularités que présentent les manuscrits mentionnés ci-dessus dans

leur cycle iconographique fait penser que nombreux d’entre eux servaient de livre

de dévotion et de prière personnelle au même titre que le psautier. Dans ces

manuscrits, l’image en pleine-page gagne en autonomie et en force dramatique.

Elle prépare visuellement le lecteur à comprendre le message de l’Incarnation

avant même de lire le texte évangélique. L’image acquiert ainsi une valeur

symbolique et sacrée égale à celle du texte et devient un objet de dévotion à part

entière.

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