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UNIVERSITE DE BOURGOGNE

École doctorale LISIT – UMR ARTeHIS

THÈSE
Pour obtenir le grade de
Docteur de l’Université de Bourgogne en Histoire de l’art médiéval
décembre 2014

par
Clémentine Denèle

L’iconographie de saint Michel archange


dans les peintures murales et les panneaux peints en Italie
(1200 – 1518)
- Volume 1 -

Sous la direction de Daniel Russo

Membres du jury :

M. Maurice BROCK, professeur d’histoire de l’art moderne au Centre d’Études Supérieures


de la Renaissance et à l’Université François Rabelais de Tours (rapporteur)
Mme Anna FONTÈS, professeur de langue, littérature et civilisation italiennes du Moyen
Âge à l’Université de Sorbonne Nouvelle, Paris 3 (rapporteur)
M. Alessandro ROVETTA, professeur de l’histoire de la critique d’art à l’Università
Cattolica di Milano
M. Daniel RUSSO, professeur d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Bourgogne,
Dijon, Membre sénior de l’IUF (directeur)
M. André VAUCHEZ, professeur émérite d’histoire du Moyen Âge, Université Paris Ouest
La Défense, Membre de l’Institut.
Peinture en filigranne page de couverture :
Francesco Traini, Saint Michel (détail), Lucques, Museo Nazionale di Villa Guinigi, peinture sur panneaux,
autour de 1350.

Peinture en filigranne page d’introduction :


Carlo Crivelli, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Londres, National Gallery, peinture sur panneaux, 1476.

Peinture en filigranne page du chapitre 1. :


Maitre des anges rebelles, Chute des anges rebelles (détail), Paris, Louvre, peinture sur panneaux, 1330-1345.

Peinture en filigranne page du chapitre 2. :


Andrea di Bartolo, Saint Michel (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1410.

Peinture en filigranne page du chapitre 3. :


Agnolo Gaddi, Apparition à Rome (détail), Rome, Pinacoteca Vaticana, peinture sur panneaux, 1380-1390.

Peinture en filigranne page de conclusion :


Parri Spinelli, Saint Michel (détail), Museo Statale di Arte Medievale et Moderna d’Arezzo, peinture murale
déposée, 1404.

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3
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Remerciements

Je tiens avant tout à exprimer ma sincère reconnaissance à mon directeur de


recherches, le professeur Daniel Russo, pour ses conseils avisés, sa disponibilité et sa
réactivité face à mes questions, malgré la distance qui nous a séparé tout au long de mes
recherches, et pour m’avoir proposé ce sujet qui m’a passionné. Je le remercie également pour
son soutien et son optimisme constant autour de mon travail, qui ont bien souvent permis
d’insuffler une dynamique nécessaire dans le déroulement de mes recherches.
Pour m’avoir transmis le goût des « Primitifs italiens » lors de mes années de licence et de
Master, je remercie également le professeur Laurence Rivière Ciavaldini, qui m’a, en outre,
accordé sa confiance pour des charges d’enseignements à l’Université de Grenoble II, me
permettant ainsi de confirmer mes choix professionnels.
Je remercie vivement les membres du jury, qui ont accepté d’évaluer ce travail.
Cette recherche n’aurait pu aboutir sans des séjours réguliers en Italie, rendus
possibles par les trois bourses de l’École Française de Rome qui m’ont été accordées. Je
remercie ainsi M. Stéphane Gioanni, directeur des études médiévales, pour son accueil et les
discussions intéressantes que nous avons eues, et Mme Grazia Perrino, secrétaire des études
médiévales, qui a toujours simplifié mes séjours par sa gentillesse et sa disponibilité. Je
remercie particulièrement l’ancien conservateur de la Bibliothèque de l’EFR, M. Yannick
Nexon, qui m’a permis l’accès aux riches collections du Palais Farnèse, dès ma première
année de Master, lors d’un séjour Erasmus. Je tiens également à remercier tous les
conservateurs des bibliothèques romaines qui m’ont permis l’accès à leur établissement,
notamment la Bibliotheca Apostolica Vaticana, la British School at Rome et l’American
Accademy. Je tiens à exprimer également ma reconnaissance au personnel et aux membres du
laboratoire ArteHis, et de l’École doctorale LISIT, de l’Université de Bourgogne, notamment
à Mmes Brigitte Colas, Laëtitia Bassereau et Emmanuelle Gredin, qui m’ont volontiers aidé à
distance.
Mes pensées vont également aux membres de l’Institut Indisciplinaire, pour nos
réflexions, dans le cadre de nos séminaires, de nos colloques, ou de nos rencontres plus
informelles, autour de l’art, de notre discipline, de nos indisciplines et de nos méthodes.
Je remercie chaleureusement mes amis doctorants, jeunes docteurs, archéologues, pour
leurs conseils et leur présence, qui m’ont permis de me sentir moins seule dans cette longue et
éprouvante épreuve ; et tous les autres, pour leurs encouragements et leur soutien. Je remercie
ma famille, Sébastien, Justine, Matthieu, Carine, Jeanne et Laurent, soutiens moraux
indéfectibles ; et mon fils, Augustin, qui m’a donné l’envie et le courage de terminer. Je
remercie spécialement mes relecteurs assidus, Jeanne, Justine, Gwenaëlle, Carine, Estelle et
surtout Sébastien. Enfin je remercie particulièrement mes parents, sans qui tout ce travail et la
disponibilité qu’il a demandé, n’aurait pas été envisageable, matériellement et moralement, et,
pour les mêmes raisons, Sébastien, qui m’a en plus apporté une oreille attentive en toutes
circonstances, des plus désespérées aux plus passionnées.

5
Résumé

Cette thèse est une enquête sur les peintures murales et les panneaux peints
représentant l’archange saint Michel en Italie, entre 1200 et 1518. Elle propose une large mise
au point historiographique et un panorama du développement du culte et de l’iconographie
michaélique entre Orient et Occident des origines à 1200. À travers un corpus de plus de 500
images, les représentations de l’archange sont étudiées dans les moindres détails, et leur
évolution générale est située dans un cadre spatio-temporel, propre à faire ressortir les
spécificités italiennes de l’iconographie de saint Michel à la fin du Moyen Âge et au début de
l’époque moderne. Cette analyse révèle l’exceptionnalité de l’archange, figurée dans les
peintures à travers ses qualités d’être angélique, de figure en mouvement, de proche de Dieu
et de guerrier céleste, et montre une simplification de l’iconographie italienne dans sa
cristallisation autour du guerrier qui s’opère dès le milieu du XIVe siècle. Au niveau formel et
iconographique, la figure de Michel est partagée entre évocation de la spiritualité de sa nature
et monstration de sa force physique, parfois brutale, à forme humaine. Cette étude considère
en outre la peinture en tant qu’objet fabriqué, pensé, reçu et utilisé. La ductilité de la figure de
l’archange et des significations qu’elle porte, donnent une physionomie éclectique au groupe
des commanditaires et au groupe des peintres qui en créent les images, même si certains
ateliers semblent être les instigateurs d’une spécialité michaélique. L’universalité des actions
de Michel est véhiculée dans son iconographie, et transforme parfois l’image archangélique
en une suite véritable d’« événements symboliques »1 du combat du bien contre le mal et de la
justice divine. Les évolutions iconographiques participent de surcroît à la sanctification de
l’archange, et sont au cœur d’expériences visuelles mêlant images peintes, représentations et
visions miraculeuses de l’archange. Parce que Michel est un être sans apparence réelle, sa
représentation est un reflet de sa perception par les hommes. Les images de sa lutte contre le
mal et de son implication dans les divers épisodes eschatologiques, font de la figure
michaélique un acteur particulièrement efficace dans l’au-delà intermédiaire, lieu de transition
entre la mort et la fin des temps, organisé et géré par l’Église, dont les institutions reposent
désormais sur un système pénitentiel qui affirme la nécessité des sacrements dans l’accès au
salut. Malgré cette participation indéniable à la pastorale de la peur instaurée par le clergé, les
représentations du plus humain des anges et du plus céleste des saints, n’en sont pas moins un
moyen de penser l’homme, dans sa relation avec l’Église, avec Dieu, et surtout dans la
perception de l’homme par lui-même, de son rôle et de sa responsabilité au moment même du
salut.

Mots clés : saint Michel archange – iconographie – peinture – Italie – XIIIe-XVe siècle –
jugement – au-delà – salut – mal – vision.

1
AVRIL, 1971, p. 40.
6
Abstract

This work is an investigation into murals and panel paintings depicting Archangel
Michael in Italy, between 1200 and 1518. It presents a broad historiographical update and an
overview of the development of the michaelic cult and iconography, between East and West,
from its origins to 1200. With a corpus of over 500 paintings, the images of the Archangel are
scrutinized in their finest details and their general evolution is put back into a spatiotemporal
framework, so as to bring out the Italian specifics of St. Michael's iconography in the late
Middle Ages and early Modern Times. This study reveals the uniqueness of the Archangel,
depicted as an angelic person, as a figure in motion, as close to God and as an heavenly
warrior. This study shows how the Italian iconography simplifies itself: in the middle of the
fourteenth century, it crystallises around the image of the warrior. On both formal and
iconographical levels, Michael's figure is split between evoking his spiritual nature and
showing his physical strength, sometimes brutal, in human form. This study considers a
painting to be a manufactured object, a thought-through object, a received object, an used
object. The ductility of the Archangel's image and of its pertaining meanings give a somewhat
eclectic appearance to the group of patrons and to the group of painters who created those
images, even if some workshops seem to have specialized in michaelic forms.
The universality of his actions is held within Michael's iconography and sometimes
transforms the archangelic image into true "symbolic events" of the fight of Good against Evil
or divine justice. The iconographic developments play a role in the archangel's sanctification
and are at the heart of visual experiences using painted images, representations and
miraculous visions of the archangel. Michael has no real figure, therefore his representation is
a reflection of how men perceive him. The images of his fight against Evil and his
involvement in various eschatological events make him a particularly efficient agent in the
intermediate afterlife. The immediate afterlife: this place of transition between Death and the
End of Times, organised and managed by the Church, whose institutions are then based on a
penitential system which asserts that sacraments are needed to gain salvation.
Despite the undeniable taking part in this pastoral of fear set up by clergymen, the
representations of the most human of angels and the most heavenly of saints, are no less than
a way of thinking Man itself, in his relationship with the Church, with God, and especially in
the way Man perceives himself, perceives his role and his responsibility when time of
salvation arises.

Tags: Archangel Michael - iconography - painting - Italy - thirteenth to fifteenth century -


Judgement - Afterlife - Salvation - Evil - vision.

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Table des Matières

MEMBRES DU JURY : ........................................................................................................................ 1


Remerciements ...................................................................................................................... 5
Résumé ................................................................................................................................... 6
Abstract .................................................................................................................................. 7
Table des Matières ................................................................................................................. 9

INTRODUCTION .............................................................................................................................. 17

CHAPITRE 1: LES ORIGINES D’UNE IMAGERIE ..................................................................... 29

I- Étudier l’archange : la figure de Michel dans l’histoire et l’histoire de l’art .................... 33


I.1- Les sanctuaires michaéliques : un moteur pour la recherche franco-italienne ............ 33
I.1.1. Jusqu’aux années 1960, une thématique « injustement négligée » .................................................. 33
I.1.1.1. Un intérêt ponctuel pour la figure de l’archange ....................................................................... 33
I.1.1.2. Un intérêt en histoire de l’art disparate mais des entrées dans les premiers dictionnaires
iconographiques ..................................................................................................................................... 34
I.1.2. Une redécouverte autour du Mont-Saint-Michel et du Mont Gargan ............................................... 35
I.1.2.1. 1966, le millénaire du Mont-Saint-Michel : le début de l’intérêt pour l’archange en France .... 35
I.1.2.2. Une première impulsion autour des images de Michel .............................................................. 36
I.1.2.3. Le Mont Gargan et le Centro di Studi micaelici e garganici moteurs de la recherche autour de
l’archange en Italie ................................................................................................................................. 37
I.1.2.4. L’iconographie de saint Michel : un intérêt encore limité .......................................................... 38
e
I.1.2.5. D’autres initiatives autour des images de saint Michel à la fin du XX siècle ............................. 39
I.1.3. Des recherches franco-italiennes : un savoir historique qui suit l’axe du pèlerinage médiéval......... 40
I.1.3.1. Les années 2000 : l’âge d’or des études michaéliques ............................................................... 40
I.1.3.2. La Bibliotheca Michaelica ........................................................................................................... 41
I.1.3.3. Une place grandissante des études iconographiques et d’histoire de l’art dans ces volumes ... 42
I.1.3.4. Dynamisme des collectivités locales et des associations ............................................................ 44
I.1.3.5. Des sanctuaires plus modestes promoteurs de recherches autour de l’archange ..................... 46
I.2- Les débats historiographiques autour de l’image de Michel ......................................... 47
I.2.1. Autour de la formation de l’iconographie michaélique ..................................................................... 47
I.2.1.1. Michel, un ange comme les autres dans les écrits sur l’art paléochrétien ................................. 47
I.2.1.2. Les origines d’une iconographie ................................................................................................. 49
I.2.2. Le développement de l’iconographie michaélique dans l’Occident médiéval en question ............... 55
I.2.2.1. Importance des études sur une scène isolée ou un type de représentation.............................. 55
I.2.2.2. Ou des études au sein de grands épisodes dont il est acteur ..................................................... 56
I.2.2.3. L’iconographie de Michel à la fin du Moyen Âge en Italie : un sujet peu étudié ........................ 57
I.3- Saint Michel au cœur d’études plus larges .................................................................... 58
I.3.1. Autour de l’angélologie et des pratiques dévotionnelles ................................................................... 58
I.3.1.1. Une redécouverte de l’angélologie ............................................................................................. 58

9
I.3.1.2. Études sur les sanctuaires italiens .............................................................................................. 59
I.3.1.3. Études sur les pèlerinages .......................................................................................................... 60
I.3.1.4. Études sur les objets dévotionnels liés au culte de saint Michel ................................................ 61
I.3.1.5. Études sur les lieux de culte et les peintures rupestres.............................................................. 63
I.3.1.6. Études sur les inscriptions murales dans les sanctuaires michaéliques ..................................... 63
I.3.2. L’archange du jugement : débats autour de la spiritualité, de l’eschatologie, de l’au-delà et de la
mort à la fin du Moyen Âge ......................................................................................................................... 64
I.3.2.1. Étude sur la sainteté et l’évolution de la spiritualité .................................................................. 64
I.3.2.2. La mort, manière d’appréhender les sociétés passées et présentes .......................................... 65
I.3.2.3. L’au-delà, la fin des temps et le millénarisme ............................................................................ 67
I.3.2.4. La culpabilisation des fidèles et l’instrumentalisation de la peur de l’au-delà par l’Église ......... 68
I.3.2.5. Les débats autour de la naissance et du développement du Purgatoire.................................... 69
I.3.2.6. La question du rapport entre Jugement dernier et jugement de l’âme ..................................... 70
I.3.2.7. Une double eschatologie révélatrice de la montée de l’individualisme ? .................................. 71

II- Origines, développement et nature du culte des anges et de saint Michel au Moyen Âge
....................................................................................................................................... 73
II.1- Saint Michel et les anges dans la Bible et les Apocryphes ............................................ 73
II.1.1. La Bible .............................................................................................................................................. 73
II.1.1.1. Les anges avant la Bible ............................................................................................................. 73
II.1.1.2. Michel et les anges de l’Ancien Testament ............................................................................... 75
II.1.1.3. Michel et les anges dans le Nouveau Testament ....................................................................... 78
II.1.1.4. Les actions bibliques attribuées à l’archange ............................................................................ 81
II.1.1.5. Les mauvais anges dans la Bible ................................................................................................ 82
II.1.2. Les textes Apocryphes ....................................................................................................................... 85
II.1.2.1. Le livre d’Hénoch ....................................................................................................................... 85
II.1.2.2. Légendes juives apocryphes sur la vie de Moïse ....................................................................... 88
II.1.2.3. Le Testament d’Abraham ........................................................................................................... 88
II.1.2.4. Histoire de Joseph le charpentier .............................................................................................. 90
II.1.2.5. L’Apocalypse apocryphe de Paul ............................................................................................... 91
II.1.2.6. Le Livre du passage de la Très Sainte Vierge Marie ................................................................... 93
II.1.2.7. L’Évangile de Barthélemy ........................................................................................................... 94
II.1.2.8. Autres textes apocryphes .......................................................................................................... 96
II.2- Origines de la dévotion aux anges et à saint Michel .................................................. 101
II.2.1. L’angélologie et les pratiques liées à la dévotion aux anges ........................................................... 103
II.2.1.1. L’angélologie chez les penseurs chrétiens et dans l’Église ...................................................... 103
II.2.1.2. Les manifestations de la dévotion aux anges au Moyen Âge .................................................. 114
II.2.2. Un double berceau oriental pour le culte de saint Michel .............................................................. 120
II.2.2.1. La Phrygie et l’Asie Mineure .................................................................................................... 121
II.2.2.2. Alexandrie et la Vallée du Nil ................................................................................................... 124
II.2.2.3. Saint Michel à Constantinople et dans l’Empire byzantin ....................................................... 128
II.2.2.4. Nature du culte originel de saint Michel en Orient ................................................................. 131
II.3- Le culte de saint Michel en Occident .......................................................................... 137
II.3.1. Histoire et géographie du culte michaélique en Occident .............................................................. 138
II.3.1.1. Le culte italien de saint Michel ................................................................................................ 139
II.3.1.2. Du Mont Gargan au Mont-Saint-Michel : diffusion du culte michaélique dans le reste de
l’Occident .............................................................................................................................................. 150
10
II.3.2. Nature du culte de saint Michel dans l’Occident médiéval ............................................................. 159
II.3.2.1. Saint Michel, les hommes, les anges et le saints ..................................................................... 159
II.3.2.2. Saint Michel en ses lieux .......................................................................................................... 165
II.3.2.3. Un archange au caractère polysémique .................................................................................. 176
Conclusion ................................................................................................................................................. 183

III- Saint Michel, l’homme ailé : origines et représentations des anges et de Michel au
Moyen Âge ....................................................................................................................185
III.1- Représenter l’ange : origines et problèmes de mise en image de l’ange au Moyen Âge
............................................................................................................................................ 185
III.1.1. Immatérialité et représentation ..................................................................................................... 185
III.1.1.1. Les problèmes de représentation d’un être incorporel .......................................................... 185
III.1.1.2. Un être vu donc représentable ............................................................................................... 187
III.1.2. L’apparence des anges dans la Bible et la théologie chrétienne .................................................... 187
III.1.2.1. Des créatures sous forme humaine envoyées par Dieu ......................................................... 188
III.1.2.2. Le sexe et l’âge des anges ....................................................................................................... 189
III.1.2.3. Un homme ailé........................................................................................................................ 190
III.1.3. La naissance de l’iconographie angélique ...................................................................................... 192
III.1.3.1. Les premiers témoignages dans l’art paléochrétien ............................................................... 192
III.1.3.2. Affirmation d’une iconographie ptérophore .......................................................................... 197
III.1.3.3. La question des origines païennes de la figure ailée .............................................................. 201
III.1.3.4. Les anges et la querelle des images ? ..................................................................................... 206
III.1.4. Les anges à la fin du Moyen Âge .................................................................................................... 207
III.1.4.1. Évolutions de la représentation angélique aux derniers siècles du Moyen Âge .................... 207
III.1.4.2. La différenciation des catégories angéliques .......................................................................... 214
III.2- Généalogie de l’image michaélique au Moyen Âge jusqu’à 1200 ............................. 215
III.2.1. L’invention de l’image de Michel « tra Roma e Costantinopoli » (Ve-VIe siècles) ......................... 217
III.2.1.1. Les premiers témoignages orientaux ...................................................................................... 217
III.2.1.2. Les premiers témoignages occidentaux .................................................................................. 222
e
III.2.2. Évolution chrono-typologique de l’iconographie de Michel en Occident jusqu’au XIII siècle ...... 228
e e
III.2.2.1. Les images lombardes (VII -VIII ) et le développement de l’iconographie militaire de Michel
.............................................................................................................................................................. 229
III.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal ................................... 232
III.2.2.3. Saint Michel et la balance ....................................................................................................... 247
III.2.2.4. Apparitions et miracles de saint Michel ................................................................................. 256
e
III.2.2.5. Les images italiennes de saint Michel à l’aube du XIII siècle ................................................. 259
III.1.1. Conclusion ...................................................................................................................................... 264

CHAPITRE 2: ENTRE L’ANGE ET L’HOMME. DESCRIPTION DE L’IMAGE DE MICHEL


EN ITALIE ENTRE 1200 ET 1518............................................................................................267

I- Les portraits de saint Michel .......................................................................................269


I.1- Présentation du corpus ................................................................................................ 269
I.1.1. La compilation du corpus ................................................................................................................. 269
I.1.1.1. La traque des images de saint Michel ....................................................................................... 269
I.1.1.2. Nature des représentations de notre corpus ........................................................................... 270

11
I.1.2. Tri du corpus et typologie ................................................................................................................. 272
I.1.2.1. Description de la base de données ........................................................................................... 273
I.1.2.2. Utilisation de la base de données ............................................................................................. 275
I.1.2.3. Présentation de la typologie du corpus .................................................................................... 275
I.2- Une image d’un sur-homme ailé. Les éléments invariables de son iconographie ...... 278
I.2.1. Le sexe et l’âge de Michel ................................................................................................................. 279
I.2.2. Le portrait de l’archange .................................................................................................................. 280
I.2.2.1. La beauté des anges.................................................................................................................. 280
I.2.2.2. Le visage de Michel ................................................................................................................... 281
I.2.2.3. Les Cheveux de l’archange ........................................................................................................ 294
I.2.2.4. Autour du visage de Michel, accessoires et attributs ............................................................... 297
I.2.3. Le corps de saint Michel ................................................................................................................... 306
I.2.3.1. Un corps puissant mais caché ................................................................................................... 306
I.2.3.2. Un corps en mouvement .......................................................................................................... 316
I.2.3.3. Un corps ailé ............................................................................................................................. 343
I.3- « L’habit fait le moine ». Des vêtements comme marqueurs des types
iconographiques de l’ange, de l’archange byzantin et du saint guerrier ailé .................... 362
I.3.1. Michel l’ange .................................................................................................................................... 363
I.3.1.1. L’ange classique ........................................................................................................................ 363
I.3.1.2. L’ange-clerc ............................................................................................................................... 371
I.3.2. Michel l’archange byzantin ............................................................................................................... 381
I.3.2.1. Saint Michel et le basileus ........................................................................................................ 381
I.3.2.2. Le lôros ...................................................................................................................................... 382
I.3.2.3. Les autres éléments de type byzantin ...................................................................................... 388
I.3.3. Michel guerrier ................................................................................................................................. 394
I.3.3.1. Les trois types de l’archange guerrier ....................................................................................... 394
I.3.3.2. Évolution des types de l’archange guerrier .............................................................................. 424
III.1.2. Conclusion sur les vêtements : une figure à part dans des groupes plus larges ........................... 428

II- Autour de l’archange. Objets, personnages et mise en scène ......................................431


II.1- Les attributs de Michel. Un archange aux mains pleines ........................................... 431
II.1.1. Les objets de l’archange .................................................................................................................. 431
II.1.1.1. Les armes et les attributs militaires ......................................................................................... 432
II.1.1.2. La balance ................................................................................................................................ 461
II.1.1.3. L’orbe ....................................................................................................................................... 477
II.1.1.4. Les attributs secondaires ......................................................................................................... 482
II.1.2. Les attributs-agissants ..................................................................................................................... 492
II.1.2.1. Les adversaires de l’archange. Dragons, démons et autres formes du mal ............................ 493
II.1.2.2. Les petits humains de la balance ............................................................................................. 516
II.2- Nature de la représentation de Michel. Le degré de narrativité en question ............ 522
II.2.1. Saint Michel en état ......................................................................................................................... 523
II.2.1.1. Saint Michel en représentation ............................................................................................... 523
II.2.1.2. Saint Michel actif en état ......................................................................................................... 526
II.2.1.3. Une place à part pour le saint Michel actif en état.................................................................. 527
II.2.1.4. Saint Michel actif devant un fond paysagé .............................................................................. 530
II.2.2. Michel en scène ............................................................................................................................... 533

12
II.2.2.1. Les scènes de combats de l’archange ...................................................................................... 534
II.2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts ................................................ 542
II.2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint Michel ................................. 558
II.3- Autour de l’archange, contexte figuré ........................................................................ 572
II.3.1. La figure de Michel et le thème iconographique principal .............................................................. 572
II.3.1.1. La présence écrasante de la Vierge dans nos images .............................................................. 573
II.3.1.2. Saint Michel et le Christ ........................................................................................................... 579
II.3.1.3. Michel, figure principale .......................................................................................................... 583
II.3.1.4. Les associations originales ....................................................................................................... 586
II.3.2. Dans le ciel ou sur terre. La représentation des fonds derrière l’archange .................................... 588
e e
II.3.2.1. Au XIII et au XIV siècle, un archange dans l’univers céleste .................................................. 588
e
II.3.2.2. Au XV siècle, Michel dans un espace plausible ....................................................................... 590
II.3.3. Les personnages qui accompagnent Michel .................................................................................... 595
II.3.3.1. Michel un ange parmi les anges .............................................................................................. 595
II.3.3.2. Michel un saint parmi les saints............................................................................................... 607
II.3.3.3. Les images des hommes « normaux » ..................................................................................... 620
Conclusion de la partie II. Autour de l’archange. Objets, personnages et mise en scène . 623

III- L’iconographie de saint Michel dans le temps, dans l’espace et dans l’art ..................625
III.1- Dans le temps, étude chrono-typologique ................................................................ 625
e
III.1.1. Au XIII siècle : l’archange byzantin armé ....................................................................................... 626
e
III.1.2. Au XIV siècle : la militarisation de la figure archangélique ............................................................ 628
e
III.1.3. Au XV siècle : le guerrier ailé dans un combat réactualisé ............................................................ 630
e
III.1.4. Dans le premier tiers du XVI : un soldat idéal et hors du temps ................................................... 634
III.2- Dans l'espace : une étude à différentes échelles....................................................... 636
III.2.1. L’Italie et le reste du monde médiéval ........................................................................................... 637
III.2.1.1. L’iconographie de Michel entre Orient et Occident ............................................................... 637
III.2.1.2. L’échelle « nationale » et l’iconographie de saint Michel dans le reste de l’Occident ........... 640
III.2.1.3. Une iconographie de pèlerinage ? .......................................................................................... 647
III.2.2. À l’intérieur de l’Italie ..................................................................................................................... 650
III.2.2.1. L’échelle régionale .................................................................................................................. 650
III.2.2.2. L’échelle locale : l’image de saint Michel dans la commune et dans le lieu de culte ............. 654
III.2.3. L’iconographie sur les autres supports ........................................................................................... 656
III.2.3.1. Les manuscrits ........................................................................................................................ 656
III.2.3.2. La sculpture monumentale ..................................................................................................... 660
III.2.3.3. Les objets de culte et de dévotion .......................................................................................... 664
III.3- Iconographie et forme : y-a-t-il un style michaélique?.............................................. 667
III.3.1. L’iconographie et les formes de saint Michel ................................................................................. 667
III.3.1.1. Des formes et un style angéliques ? ....................................................................................... 668
III.3.1.2. Des formes et un style michaéliques ? ................................................................................... 668
III.3.2. Histoire de l’art, histoire des formes, histoire religieuse ............................................................... 672
III.3.2.1. L’image de saint Michel, un objet d’histoire de l’art .............................................................. 672
III.3.2.2. Représentation et réel. L’image de Michel en perspective .................................................... 674
III.3.2.3. Des formes nouvelles au service d’une nouvelle spiritualité.................................................. 676
III.1- Conclusion du chapitre 2. L’image de Michel en Italie entre 1200 et 1518 .............. 678

13
CHAPITRE 3: UNE IMAGE FABRIQUÉE.
CRÉATION, SENS ET RÉCEPTION DE L’IMAGE DE SAINT MICHEL................................679

I- Autour de la création des images de saint Michel ........................................................683


I.1- Du rapport entre texte et image .................................................................................. 684
I.1.1. Les textes sacrés et chrétiens anciens et l’iconographie de saint Michel entre 1200 et 1518 ......... 684
I.1.2. L’iconographie de saint Michel et les légendes et écrits chrétiens de la fin du Moyen Âge ............ 688
I.1.3. Les mots dans l’image : la question de la notoriété de Michel ........................................................ 692
I.2- La commande ............................................................................................................... 697
I.2.1. Typologie des commanditaires de saint Michel ............................................................................... 698
I.2.1.1. Les prélats ................................................................................................................................. 698
I.2.1.2. Les autres religieux .................................................................................................................. 700
I.2.1.3. Les laïcs ..................................................................................................................................... 702
I.2.2. Saint Michel, une figure pour tous ................................................................................................... 705
I.3- Le travail des peintres entre création et production ................................................... 707
I.3.1. Le poids des traditions, de la commande et de l’atelier. La créativité des peintres en question .... 707
I.3.2. Les séries iconographiques de saint Michel ..................................................................................... 709
I.3.2.1. Les ateliers florentins ................................................................................................................ 709
I.3.2.2. Dans l’Italie centrale (Marches et Ombrie), un saint élégant ................................................... 717
I.3.2.3. Des séries régionales ................................................................................................................ 719
III.1.1.1. Conclusion............................................................................................................................... 720

II- Des raisons de représenter l’archange. significations de l'iconographie michaélique ...723


II.1- Affirmer la toute-puissance de Dieu ........................................................................... 724
II.2- Rappeler la lutte violente et permanente du bien contre le mal ............................... 726
II.2.1. Michel contre son adversaire, une représentation symbolique de la lutte du bien contre le mal . 726
II.2.2. Le mouvement et le temps : l’image de Michel entre représentation d’un signe et représentation
d’un événement réel ................................................................................................................................. 730
II.2.2.1. L’illustration d’un événement réel, passé, et futur ................................................................. 731
II.2.2.2. L’affirmation de la permanence et de la proximité de la lutte contre le mal .......................... 732
II.2.3. Une image violente : une participation émotive par la brutalité et une justification religieuse d’une
certaine violence ....................................................................................................................................... 735
II.3- Affirmer l’inéluctabilité de la justice divine ................................................................ 739
II.3.1. L’archange acteur de la psychostasie, une allégorie de la justice divine ........................................ 740
II.3.2. Archange surveillant le partage au Jugement dernier. L’utilisation des armes contre les hommes 745
II.3.3. Michel, l’archange punitif de l’Italie ................................................................................................ 747
II.4- Le choix de l’archange pour des raisons plus particulières ........................................ 749
II.4.1. Promotion du culte de saint Michel et des sanctuaires michaéliques ............................................ 750
II.4.2. Une iconographie au service de la politique et de la légitimation des actions guerrières .............. 751
II.4.2.1. Un exemple d’image michaélique comme support à la politique internationale ................... 752
II.4.2.2. Une caution religieuse pour les actions guerrières des commanditaires laïques.................... 754
II.4.3. Michel, le représentant du commanditaire ou du lieu qui reçoit son image .................................. 757
III.1.1.2. Conclusion............................................................................................................................... 759

III- Représentations de saint michel et public : usages, perception et efficacité d’une


« image-objet » .............................................................................................................761
14
III.1- Des usages de l’image médiévale entre représentation et matérialité .................... 762
III.1.1. Usages et fonctionnements autour des images de Michel ............................................................ 762
III.1.2. La re-présentation, la vérité et la matérialité ................................................................................. 765
III.1.3. Des images qui invitent à une participation émotive ..................................................................... 767
III.2- Efficacité de l’image michaélique .............................................................................. 769
III.2.1. Michel ou la sanctification par l’iconographie................................................................................ 769
III.2.2. Des usages des images michaéliques différents ? .......................................................................... 772
III.2.3. Le démon abîmé : un exemple de l’efficacité de l’« image-objet » au sein de notre corpus ......... 774
III.3- De la re-présentation à la vision. L’image de saint Michel comme expérience visuelle
accessible à tous ................................................................................................................. 776
III.3.1. L’image, une forme privilégiée pour la perception de l’être angélique ......................................... 777
III.3.2. Des formes peintes au service d’une expérience visionnaire surnaturelle .................................... 779
III.3.3. L’image source de l’expérience visionnaire, « à l’écart des modèles écrits » ................................ 780
Conclusion ............................................................................................................................................ 782

IV- Image, spiritualité et imaginaire : L’iconographie de saint Michel, représentation d’une


société passée ? .............................................................................................................783
IV.1- L'image de l’ange comme média entre les hommes du passé et nous ..................... 783
IV.1.1. Une étude sur l’imaginaire. L’idée que se construit l’homme de l’ange ........................................ 783
IV.1.2. Un archange de l’au-delà reflet de l’importance de l’angoisse eschatologique ?.......................... 785
IV.1.3. Michel n’est pas un archange de la mort ....................................................................................... 787
IV.2- Le double jugement de Michel : une image de temporalités imbriquées pour
l’homme entre 1200 et 1518 ............................................................................................. 788
IV.2.1. Michel, participant à la définition de l’espace de l’au-delà ........................................................... 788
IV.2.2. Michel, les hommes et le temps .................................................................................................... 788
IV.2.3. Saint Michel au cœur d’une double eschatologie .......................................................................... 790
IV.3- L’iconographie de saint Michel : une mise en scène de l’homme de la fin du Moyen
Âge face à l’Église, face à Dieu, face à son salut ................................................................ 791
IV.3.1. L’iconographie de saint Michel, un reflet du rôle que s’attribue l’Église dans le salut de l’homme
................................................................................................................................................................... 791
IV.3.2. Michel comme médiateur entre l’homme et Dieu ......................................................................... 793
IV.3.3. Michel, une iconographie anthropocentriste ? .............................................................................. 795

CONCLUSION : FIGURER L’ARCHANGE POUR REPRÉSENTER L’HOMME ..........803

BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................................................812
Sources imprimées .................................................................................................................................... 814
Travaux d’études ...................................................................................................................................... 815

TABLES ET INDEX ........................................................................................................................878


Table des illustrations hors-corpus .................................................................................... 880
Table des documents et schémas ...................................................................................... 884
Index ................................................................................................................................... 886
Liste des peintures du corpus ............................................................................................ 894
15
16
INTRODUCTION

17
18
« Alors, il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses Anges combattirent le
Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges, mais ils eurent le dessous et furent
chassés du ciel. On le jeta donc, l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou
le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre
et ses Anges furent jetés avec lui. »

Il n’est certes pas original de débuter une étude sur l’archange par le chapitre 12, 7-9
de l’Apocalypse de saint Jean. Pourtant, rappelons qu’il contient des éléments décisifs pour la
détermination des fonctions de l’archange, des caractères de son culte et de son iconographie.
Outre l’affirmation manifeste du rôle martial de Michel et de la variété des formes du mal
combattues par l’archange, ce passage biblique lie également un événement apocalyptique du
futur, à une référence au passé, celle de l’épisode de la chute des anges rebelles, imbriquant
son action dans deux temporalités, de la naissance à la fin définitive du mal, en affirmant le
rôle emblématique de Michel dans l’Histoire du salut, liant le destin de l’homme à celui de
l’archange. L’iconographie michaélique2 en Italie reprend, avec force, ces caractéristiques.
Étudier l’image de saint Michel, ce n’est pas seulement considérer sa forme et les sens qu’elle
a pu porter, dans le prisme d’une utilisation intéressée et utilitaire de l’Église, mais c’est
également plonger corps et âme dans une imagerie dynamique, à la croisée du céleste et de
l’humain.
« L’histoire du culte de saint Michel est, à coup sûr, un des sujets les plus dignes d’attirer
l’attention et de fixer la patience d’un érudit ; mais c’est tout un livre et un très gros livre
qu’on pourrait écrire »3. Si depuis les années 1930, la lacune historiographique apparaissant
en filigrane dans cet extrait d’Henri Leclercq, a été dissipée par la parution de nombreux
volumes autour du culte de l’archange4, il semble que ce constat puisse se porter à présent sur
ses représentations. Malgré l’engouement pour la figure michaélique et le colloque portant sur
les « Représentations du Mont et de l’archange saint Michel dans la littérature et les arts »5, il
n’y a pas eu de recherches approfondies et systématiques sur ses images, notamment en Italie
à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Cette recherche souhaite, par
ailleurs, unir ce renouvellement historiographique autour de l’archange, à l’intérêt pour
l’étude de la perception de la mort et de la vie dans l’au-delà et de ses représentations. Le
thème principal de cette recherche - l’iconographie de saint Michel – a ainsi, principalement,

2
Néologisme inspiré de l’usage italien, adjectif signifiant « relatif à saint Michel ».
3
LECLERCQ, 1933, p. 904.
4
Si nous ajoutons aux cinq tomes du Millénaire monastique (de 1967 à 1993), les six volumes de la Bibliotheca
Michaelica (de 2007 à 2011) et celui publié par l’École Française de Rome en 2003, nous parvenons à un total de
douze livres publiés sur saint Michel, ce qui est largement supérieur à la prévision du « très gros livre » prévu
par Henri Leclercq !
5
Sous la direction de Pierre BOUET, Giorgio OTRANTO, André VAUCHEZ et Catherine VINCENT, Bari,
Edipuglia, 2011.
19
une raison d’être historiographique, qui fait l’objet du premier volet du chapitre 16. La
définition plus précise du cadre de l’enquête s’articule autour de plusieurs choix liés au
contexte artistique, religieux, politique, ou culturel de notre champ d’étude.

Délimiter le cadre de l’enquête

Le choix de la période retenue – 1200-1518 – qui traverse ainsi les XIII, XIV et XVe
siècles, se justifie au niveau spirituel, historique, matériel ainsi qu’au niveau iconographique
et en tant que phase cohérente dans une étude d’histoire de l’art. Les derniers siècles du
Moyen Âge, le Duecento et le Trecento, sont marqués, dans le monde de la peinture italienne,
par ce que l’on appelle les « primitifs italiens ». Ce terme fait référence aux peintres,
sculpteurs et architectes qui sont, encore aujourd’hui, considérés comme les pionniers d’une
nouvelle manière qui aboutit à l’abandon de la « manière grecque », à l’invention de la
perspective et donc à la pleine Renaissance7. Ce terme péjoratif les oppose aux créateurs du
plein Moyen Âge connotés d’une vision négative fortement véhiculée par Vasari, en même
temps qu’il subordonne anachroniquement leurs créations et leur inventivité à celles des
peintres du Quattrocento, de la première Renaissance. Nous ne sommes ainsi pas en accord
avec ce terme dépréciatif, même si nous reconnaissons la cohérence de la période dans
l’histoire de l’art. Il nous a semblé important d’inclure dans notre étude le XVe siècle qui
menait en quelques sortes les germes de la militarisation de l’archange du Trecento et les
transformations formelles de sa figure, à leur paroxysme. Les XIII, XIV et XVe siècles
marquent un accroissement sans précédent de l’iconographie michaélique au niveau
quantitatif. Cette période correspond également à un cycle de renouveau spirituel8 qui prend
corps avec la réforme franciscaine9 et s’achève avec la montée du protestantisme.
À mesure de l’avancement de notre travail, nous avons choisi d’affiner ce créneau temporel.
Pour le terminus post quem de notre corpus, une précision semblait difficile. Aucun date
historique symbolique ne marquait vraiment le début du renouveau spirituel que nous venons
d’évoquer. De plus, nous ne pouvons dater précisément aucune création avant le panneau de
Coppo di Marcovaldo (1250-1255). Une date relative à un épisode artistique ne pouvait donc
nous servir non plus de borne plus précise. Nous avons donc choisi de garder l’année 1200
comme point de départ de notre corpus. Le « début du XVIe siècle » comme terminus ante
quem du corpus paraissait, par contre, une borne arbitraire car, contrairement aux créations du
début de corpus, les datations des peintures de la fin de notre période sont beaucoup plus
précises. La peinture de Raphaël du Louvre s’est alors imposée comme une œuvre susceptible
de servir de terminus ante quem pour notre travail. En effet, elle constitue un tournant
iconographique sans précédent dans l’étude de la figure michaélique, et reflète également

6
Intitulé Étudier l’archange : la figure de Michel dans l’histoire et l’histoire de l’art.
7
ANTOINE, 1988, p. 541.
8
CHASTEL, 1995, p. 99.
9
Saint François a vécu de 1182 à 1226 et est rapidement canonisé en 1128. L’Ordre des Frères Mineurs est
instauré en 1210 et la spiritualité franciscaine est déjà largement diffusée au moment de la mort du fondateur.
20
parfaitement les évolutions artistiques de la Renaissance, tout en coïncidant au tournant
historico-religieux marqué par le début du protestantisme. En effet, Raphaël termine sa
peinture en 1518, alors qu’en octobre 1517, Luther placarde ses 95 thèses sur les portes de
l’église de Wittenberg. La chronologie artistique, historique et religieuse, semblent donc
coïncider pour former un cadre cohérent à notre étude, entre 1200 et 1518, soit la fin du
Moyen Âge et le début de l’époque moderne. Enfin, les changements iconographiques qui
touchent lentement la figure de saint Michel au cours du XIIIe siècle et qui se poursuivent aux
siècles suivants confirment la cohérence de ces choix chronologiques.

Le cadre géographique est celui de l’Italie dans ses frontières actuelles. Même si elle
ne correspond pas à un territoire unifié politiquement à la fin du Moyen Âge et au début de
l’époque moderne, son unité est dictée par les frontières naturelles des deux mers et de l'arc
Alpin10 qui en font un ensemble cohérent géographiquement. Entre 1200 et 1518, la mobilité
des artistes entre les différentes régions italiennes, atteste d’une cohérence culturelle à
l’échelle de la Péninsule autant que d’une perméabilité de ces ensembles territoriaux. Enfin ce
territoire acquiert une certaine cohérence dans la diversité politique, telle une mosaïque
d’entités indépendantes, aux frontières mouvantes, qui finissent par créer un tout face aux
organisations politiques des territoires voisins de l’Occident. Les contacts avec ces derniers
n’en restent pas moins importants et déterminants dans certains aspects culturels.

L’essor quantitatif souligné précédemment, n’est bien sûr que le reflet de l’explosion
globale du nombre des commandes et des réalisations artistiques, marquée, en Italie, par un
développement considérable de la technique picturale. Le mur et le panneau de bois (relayé
ensuite par la toile11) sont les deux supports privilégiés de cette multiplication des images,
relativement proches dans leur mise en œuvre, dans leur diffusion publique, et sont, pour ces
raisons, les deux supports pris en compte dans le cadre de cette étude. Nous avons, de ce fait,
exclu la sculpture qui, par rapport aux techniques picturales, a une mise en œuvre et un
rapport à l’espace foncièrement différent12. La mosaïque n’a pas été intégrée dans le champ de
notre étude en ce qu’elle ne correspond pas non plus à la même mise en œuvre, ni au même
rapport avec son support, et est, en outre, peu présente après le milieu du Trecento. Nous
excluons également les peintures de manuscrits et tout autre objet pouvant recevoir une
iconographie de l’archange (objets de pèlerinages, crosses épiscopales, tout objet
liturgique…) qui, par des formats et des modes de diffusion différents, nous semblent à l’écart
des expériences engendrées par les peintures monumentales.
10
CROUZET-PAVAN, 2001, p. 12.
11
Nous avons intégré dans notre catalogue une quinzaine de peinture, tempera ou huile, sur toile réalisée à partir
des années 1460, puisque ce passage du bois à la toile ne détermine pas ici de changements considérables dans
l’iconographie de saint Michel.
12
L’effet visuel général va considérablement varier entre une surface peinte et une surface sculptée. La sculpture
impose des différences liées à sa mise en œuvre : la dureté du matériau ou sa fragilité, son coût et le savoir-faire
liés aux matériaux. L’effet même de présence de la figure humaine représentée produit par la sculpture est
difficilement égalable par la peinture. La sculpture est également souvent située à des endroits différents de ceux
adoptés pour la peinture, et entretient un rapport privilégié avec l’architecture qui la porte.
21
L’image, à la fois source et objet

L’image est au centre de notre propos, et est étudiée comme source et objet d’étude.
En tant que source, l’intérêt majeur de la peinture monumentale est lié à sa destination à un
public varié et à sa large diffusion. La représentation figurée a l’avantage de pouvoir être lue
par tous, au moins dans une certaine mesure, et cette lisibilité correspond avant tout à une
faculté innée chez l’homme, qui s’inscrit dans un processus complexe de compréhension de
l’image13. L’image possède une immédiateté dans sa perception qui lui permet d’être un
média particulièrement adapté à toutes les strates du groupe pour lequel elle est créée. Elle est
destinée à toucher une société, même si elle n’en est pas pour autant un reflet réel et sans
déformations, et adapte ainsi nécessairement son langage pour atteindre cet objectif,
garantissant son efficacité. Elle est alors pour nous révélatrice de certains aspects qui
définissent le groupe d’homme qui l’a imaginée, peinte ou regardée, et est à ce titre un objet
au centre d’un faisceau de relations, artistiques, culturelles, cultuelles, parfois politiques. Car
l’image n’est pas seulement une représentation, elle est également un objet, et se situe ainsi à
mi-chemin entre le discours et l’usage14. Hélène Toubert précise bien que l’image est « un des
lieux capables de révéler les formes et les mutations de la vie spirituelle »15. Mais elle
distingue clairement l’analyse iconographique de l’analyse stylistique, qu’elle juge trop
hasardeuse et qu’elle n’inclut pas comme « symptôme de quelque autre chose »16. Cette
démarche n’est pas la notre, et la différence se situe essentiellement dans la place que l’on
donne à l’image dans une étude historique. Le champ de l’image ne constitue plus aujourd’hui
un territoire jalousement gardé par l’historien de l’art. Les objets artistiques sont de plus en
plus souvent utilisés par l’historien au même titre que toute autre source pour étudier le réel
passé, et il est rassurant de voir que ces sources ne sont pas circonscrites à un cloisonnement
entre disciplines. Mais l’image n’est pas seulement pour nous une source, et nous ne
souhaitons pas borner l’iconographie à une évaluation dans un sens uniquement documentaire
de l’image, qui limite son utilisation à des éléments considérés comme « fidèles » et
« objectifs »17 et en renie à ce titre des pans entiers. Pour nous, l’image est un objet d’étude
qu’il faut comprendre dans son intégralité. Nous n’excluons pas pour autant l’utilisation
d’autres sources, ou « documents culturels », comme moyen de régulation des conclusions
auxquelles nous ont amené l’analyse iconographique, tel que le préconisait Erwin Panofsky18.
Outre la Bible et les écrits Apocryphes19, nous avons confronté nos images aux récits des
fondations des grands sanctuaires michaéliques à l’origine du développement du culte de saint
Michel en Occident, et de certaines images de notre corpus20. La première partie concède
13
MITCHELL, 2009, p. 139 et p. 152.
14
À propos de la distinction entre image et picture, voir en particulier MITCHELL, 2009. Sur la définition de
« l’image-objet », voir BASCHET, 2008 ( 1).
15
TOUBERT Hélène, Iconographie et spiritualité, Revue d’Histoire de la Spiritualité, tome 50, 1974, p. 260.
16
Selon l’expression d’Erwin Panofsky, PANOFSKY, 1967, p. 21.
17
BIALOSTOCKI, 1985, pp. 163-177.
18
PANOFSKY, 1967, p. 26.
19
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1. Saint Michel et les anges dans la Bible et les Apocryphes.
20
Voir notamment l’introduction du chapitre II. 3. Le culte de saint Michel en Occident.
22
également une place importante aux écrits patristiques et aux théologiens21. Des références
aux textes liturgiques seront faites ponctuellement dans notre étude, et les écrits
contemporains à la réalisation des peintures étudiées, seront, eux, évoqués dans le chapitre 3.
Ces documents historiques interviennent comme des éléments de compréhension des images :
« ainsi, l’histoire de l’art procède du réel vers l’œuvre-monument, tandis que l’histoire
procède de l’œuvre-document vers le réel »22. Pourtant, nous n’excluons pas, dans notre
démarche, le fait de pouvoir « tirer » de nos analyses sur l’image, des éléments de
compréhension de la société qui l’a créé, puisque tous ces aspects sont, de toute façon,
inextricablement liés au phénomène de création et de réception de l’image. Ce qui nous
amène alors « vers un intérêt non pas seulement esthétique de l’œuvre d’art, mais plutôt dirigé
vers les valeurs historiques et religieuses de la civilisation dans laquelle est produite l’œuvre
d’art »23. C’est ainsi que nous justifions la présence du quatrième volet de notre troisième
chapitre, dernière partie de notre travail, qui tente de voir dans l’iconographie de saint Michel
des aspects de l’imaginaire des hommes de la fin du Moyen Âge.

L’analyse iconographique, une étude d’histoire de l’art

Dans son Essais d’iconologie, Erwin Panofsky distingue, en 1939, trois niveaux de
signification de l’œuvre d’art : le niveau pré-iconographique, avec la description « primaire et
naturelle » des objets et des événements en termes de formes et de styles ; le niveau
iconographique avec l’analyse des « thèmes ou des concepts spécifiques » exprimés par les
objets et les événements (image, histoire, allégorie) d’après les sources littéraires et selon leur
type et leur époque ; et le niveau iconologique où se situe le cadre du contexte culturel au sens
le plus large, des symboles en général et des « tendances essentielles de l’esprit humain »24.
L’auteur allemand précise cependant, dans la préface de la version française de ce même
ouvrage, qu’« aujourd’hui, en 1966, j’aurais peut-être remplacé le mot-clé du titre, iconologie,
par iconographie, plus familier et moins sujet à discussion », et c’est bien en général le terme
d’analyse iconographique qui est employé à présent. Dans cette évolution de la discipline qui
fait de l’iconologie l’iconographie, ce type d’étude ne consiste pas seulement à identifier un
sujet ou un thème, et à regrouper les représentations de ce sujet pour le décrire, mais
correspond à un processus qui regroupe, décrit et analyse ces images, et qui examine pour cela
les rapports entre ces thèmes, leur traitement, les formes qu’ils prennent, les compositions
dans lesquelles ils s’insèrent. L’analyse stylistique fait, à ce titre, et sans lui être subordonnée,
partie de l’analyse iconographique en ce qu’elle met en lumière le lien entre forme, thème et
sens, central dans la compréhension d’une image. Les « modalités de l’expression visuelle »25

21
En particulier dans le chapitre 1 .II. 2. 1. L’angélologie et les pratiques liées à la dévotion aux anges.
22
BASCHET, 1997, pp. 101-135.
23
BIALOSTOCKI, 1985, p. 167.
24
PANOFSKY, 1967, pp. 17-22.
25
BASCHET Jérôme, « les images : des objets pour l’historien ? », dans Le Moyen Âge aujourd’hui, sous la
direction de Jacques LE GOFF et Guy LOBRICHON, Paris, Le Léopard d’or, vol. 7, 1997, p. 116.
23
d’une image sont inextricables du thème qu’elle porte, et participent ainsi à l’élaboration du
sens. À partir de la notion de pensée figurative élaborée par Pierre Francastel, Jérôme Baschet
note que « les procédés formels cessent d’apparaitre comme de simples habillages de
conceptions pré-élaborées ; ils sont en eux-mêmes signifiants, et participent à la production du
sens. On peut parler d’ « indissolubilité de la forme et du fond » »26. Si elle a servi de base à
toute une réflexion autour de l’étude iconographique, la conception d’Erwin Panofsky de
1933, qui dissociait le fond et la forme, n’est plus acceptable aujourd’hui. L’auteur lui-même
revient d’ailleurs sur cette conception en 1996, quand il écrit que « dans une œuvre d’art, la
forme ne peut se dissocier du contenu »27. Dans l’introduction de ce même ouvrage, Bernard
Teyssèdre précise à ce titre que « qui prétend comprendre une forme sans s’inquiéter du sens
ne fait que jouer au dilettante ; mais qui prétend interpréter ce que l’œuvre dit sans voir ce
qu’elle montre n’est pas un historien de l’Art »28.
L’étude simultanée des données proprement iconographiques, mises en lumière par une
typologie, couplée à une analyse formelle et confrontée à des données d’ordre culturel, cultuel
ou historique, vont amener à certaines remarques qui participent alors à la compréhension de
l’image dans un premier temps, à l’évolution de l’art ensuite, mais également à la
compréhension d’autres aspects plus généraux sur la société qui l’a pensée, commandée,
produite et reçue. Les objectifs de cette enquête sont alors les mêmes que ceux énoncés par
Pina Belli d’Elia, lorsqu’elle étudie le thème iconographique michaélique du miracle du
taureau dans un article paru en 1994, où elle propose de « rilevare le connessioni esistenti tra
temi icografici e interpretazioni formali e ad inserire gli uni e le altre nei diversi contesti
storici »29.

Le corpus et l’analyse sérielle

En sciences humaines, un corpus est un regroupement de documents selon des critères


préétablis, afin de les étudier scientifiquement. La constitution d’un corpus est au cœur de
toute étude iconographique. Le rassemblement des 505 peintures italiennes (murales ou sur
panneaux) figurant saint Michel entre 1200 et 1518, a été réalisé à partir des ouvrages
disponibles en bibliothèques, notamment les catalogues de musées ou les monographies de
lieux et de peintres, et a pris un caractère plus systématique, par l’utilisation des outils mis à
disposition au sein des Universités et des musées. L’Index of Christian Art de l'Université de
Princeton a proposé, dès 1917, un classement de reproductions photographiques d’objets
chrétiens de la période médiévale, selon le thème iconographique de l’image qu’ils portent,
leur technique de réalisation et leur lieu de conservation. Cet index, aujourd’hui disponible
dans une version numérique, est à la base de la constitution de notre corpus 30. Il se concentre

26
BASCHET, 1997, p. 111.
27
PANOFSKY, 1996, p. 277.
28
TEYSSÈDRE, dans l’introduction à l’ouvrage de PANOFSKY, 1996, p. 15.
29
BELLI D’ELIA, 1994, p. 576.
30
Que nous avons consulté à l’Université d’Utrecht, puisqu’il s’agit de l’une des versions complètes, à jour,
24
particulièrement sur l’iconographie italienne, ce qui constitue un grand avantage pour notre
étude. Le développement des dictionnaires iconographiques, et en premier lieu, celui de Louis
Réau31, a également insufflé un élan primordial dans le classement des images selon une
logique thématique. Enfin, le développement du réseau internet a fourni un cadre exceptionnel
à la diffusion des savoirs et des images. Un nombre impressionnant de reproductions de
peintures médiévales ou modernes sont aujourd’hui disponibles sur les réseaux universitaires,
institutionnels, locaux, voire personnels. La mise en ligne de base de données et de catalogues
de musées, a donné à notre corpus une physionomie qu’elle n’aurait jamais eue sans
l’existence de ces médias. Citons particulièrement le catalogue en ligne de la Fondazione
Federico Zeri, hébergé sur le site de l’Université de Bologne qui regroupe un nombre très
important de peintures32. L’outil numérique a également été au centre de la compilation et du
classement du corpus33, à la base de tout travail iconographique, par la création d’une base de
données, qui a ensuite donné la forme actuelle à notre catalogue, disponible sur le CD joint à
ce volume. Un grand nombre de détails ou de peintures entières ont, par ailleurs, été
reproduites au sein du texte, afin de rendre plus explicites les analyses présentées, ainsi que
d’autres reproductions hors-corpus, à titre de comparaison. Les dispositifs informatiques ont
constitué des outils centraux dans la constitution et la compilation de notre corpus, passage
obligé de l’analyse iconographique.
Précisons cependant que, si elles constituent des instruments remarquables de regroupement
d’images, puis de classifications, les bases de données ne peuvent remplacer le contact direct
avec une peinture. Ainsi, des voyages et déplacements réguliers en Italie34, afin de se
confronter à l’objet in situ, ont été salutaires pour ne pas basculer dans une acception trop
virtuelle de l’image, et se rappeler qu’elle demeure un objet au cœur d’une expérience à vivre,
et non pas seulement à analyser froidement à partir d’un écran. Christian Heck mettait ainsi en
garde contre une utilisation exclusive de ces bases de données dans une recherche
iconographique, en précisant que « l’historien de l’art ne doit pas rêver de travailler avec des
ciseaux et de la colle »35.

La mise en commun de données en ligne participe à l’agrandissement des corpus, se


rapprochant d’une idéale exhaustivité, et permet, dans le cadre d’analyses sérielles, de réduire
la subjectivité du groupe, liée aux vicissitudes du temps et aux conditions plus ou moins
hasardeuses du rassemblement, pour étudier aussi bien les faits stables et communs, que les

disponibles en Europe.
31
RÉAU, 1955, 1956, 1957, 1958 et 1959.
32
Disponible sur : http://www.fondazionezeri.unibo.it/ ; voir à ce propos le chapitre 2. I. 1.1.2. Nature des
représentations de notre corpus.
33
Grâce à l’utilisation du programme de création de base de données, File Maker. Voir à ce propos le chapitre 2.
I. 1. Présentation du corpus.
34
Notamment grâce aux trois bourses obtenues à l’École Française de Rome en 2007, 2010 et 2014.
35
Lors de l’introduction aux journées du Groupe de Recherches en Iconographie Médiévale, sur le thème
« Fréquence ou rareté des thèmes iconographiques : entre l’unicum et la série », qui a eu lieu à Paris, à l'Institut
National d'Histoire de l'Art, le 22 mars 2011.
25
exemples les plus originaux36. Michel Vovelle avait déjà justifié cette approche dans le cadre
de ses études sur les attitudes devant la mort, et sur l’histoire de mentalités, précisant que
l’analyse sérielle (dans son cas de testaments, de cimetières ou d’images) permettait de
dégager une normalité moyenne d’une époque et de solliciter ainsi un inconscient collectif37.
L’analyse quantitative nous semble, dans ce cadre, intéressante, et sera abordée sous la forme
de schémas dans l’étude des attributs de l’archange38. Mais précisons également ses limites,
puisqu’elle n’est qu’un point de départ d’une analyse sérielle, et doit être largement atténuée
par une étude plus globale des faits qui peuvent entrer en compte dans la variation du nombre
d’images. Par exemple, le nombre de peintures recensées pour une période donnée, ne peut
être l’objet d’une conclusion trop hâtive sur la popularité du culte de Michel, par exemple, car
il est tout autant déterminé par d’autres facteurs multiples et complexes, qui devront
également être pris en compte. Précisons enfin, que nous ne nous attachons pas
particulièrement aux distinctions d’ordre qualitatif dans ce travail entre les images réalisées
par des peintres de renom ou celles qui correspondent davantage à une production à
rayonnement local. Nous considérons ainsi, comme André Grabar, que « c’est l’ensemble de
ces œuvres qui apporte le témoignage le plus autorisé pour juger de l’iconographie typique
d’un milieu donné »39. La variété des qualités au sein du corpus sont les garantes d’une
analyse plus objective des phénomènes iconographiques.

Décrire, interpréter et analyser

Nous avons donné à la description une large place dans ce travail, car elle nous semble
centrale dans la pratique de notre discipline. Décrire une image, ce n’est pas seulement
paraphraser, mais c’est déjà construire une représentation de l’objet d’étude. L’acte descriptif
n’est pas pour nous un simple préalable à l’analyse de l’image, mais fait bien partie intégrante
de cette analyse. La nécessité de choix, opérés pendant la description, indique qu’elle est déjà
acte interprétatif. Le terme interpréter est d’ailleurs attaché à une démarche de traduction
d’un langage dans un autre, ce qui prouve bien que la description est déjà, dans une large
mesure, une interprétation. Enfin l’analyse, inclut une idée de démembrement de l’objet dans
le but d’étudier les parties pour mieux comprendre l’ensemble. C’est également notre
démarche, lorsque nous décrivons, dans le deuxième chapitre, chaque élément de la figure
archangélique pour comprendre le fonctionnement de son image peinte ; puis, lorsque nous
étudions les différents acteurs de la création artistique pour mieux saisir le phénomène de
création de l’iconographie michaélique dans son ensemble. Nelson Goodman indique
d’ailleurs que « la représentation et la description efficaces réclament l’invention. Elles sont

36
À propos de la question de l’analyse sérielle, voir BASCHET, 1997, p. 116 et la troisième partie de
BASCHET, 2008, « Pour une iconographie sérielle », pp. 251-342.
37
Michel VOVELLE, « Les attitudes devant la mort, front actuel de l’histoire des mentalités », dans Archives
des sciences sociales des religions, n° 39, 1975, p. 22.
38
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1. Les attributs de Michel. Un archange aux mains pleines.
39
GRABAR, 1994, p.395.
26
créatrices. »40. En tant que création, le travail de recherche s’inscrit dans une approche
subjective.

La question de l’objectivité se pose à tout chercheur s’interrogeant sur ses pratiques et ses
méthodes. Dans le cadre de notre étude, il faut prendre en compte les subjectivités qui
s’insinuent dans les différentes strates de l’analyse et avant tout dans notre objet. La création
artistique n’est pas une démarche qui se veut objective, dans le sens où elle n’est pas
application stricte d’un langage, connu de tous et déchiffrable grâce à des règles
préalablement établies. En ce sens, elle se module notamment en fonction des désirs ou des
goûts du commanditaire ou du peintre, qu’il faut réussir à isoler dans l’image. En outre, le
corpus en lui-même est déjà un objet subjectif, par son manque d’exhaustivité et les modalités
de sa création qui comprennent toujours un fort degré de circonstances fortuites. Mais la
subjectivité est surtout liée à nos propres limites, déterminées par l’histoire de l’image, son
état de conservation, la documentation qui l’accompagne, mais également par la limite de nos
connaissances, et surtout par notre vision largement influencée inconsciemment par la société
dans laquelle nous vivons, les questions qu’elle pose, l’historiographie qu’elle produit, et,
dans une certaine mesure, l’histoire personnelle et la sensibilité du chercheur. Le risque de
surinterprétation est alors grand dans une étude d’histoire de l’art des sociétés passées, et il
faut, autant que possible, éviter l’« artifice des remarques qui font de l'image le reflet pur et
simple de l'évolution générale »41. Les méthodes utilisées dans ce travail sont principalement
mises en œuvre pour tenter de les éviter, et c’est pour cette raison que nous avons appuyé
notre démonstration sur un premier chapitre qui replace solidement notre travail dans un
champ d’étude vaste.

***

Le premier chapitre rassemble ainsi les éléments nécessaires à l’étude de


l’iconographie de Michel : par l’inscription de notre recherche dans un contexte
historiographique large ; par l’étude des origines, de la nature et du développement du culte
de saint Michel au Moyen Âge ; et par un parcours diachronique et thématique autour des
représentations de l’archange réalisées avant 1200. La taille considérable de ce qui pourrait
apparaître comme un simple préalable à notre analyse, se justifie par la ductilité de la portée
de la figure de l’archange, qui s’insert dans des intérêts historiographiques divers, depuis les
thématiques proprement michaéliques, jusqu’à la question de la perception de la mort et de
l’au-delà, en passant par le culte angélique. L’histoire de la formation de son culte et de son
iconographie, dont l’originalité est étroitement liée à sa nature angélique, nécessitait
également une focalisation sur ce point, qui met, en outre, en relief les particularités de notre
corpus.

40
GOODMAN, 1990, p. 58.
41
RUSSO, 1987, p.1.
27
Un deuxième et large pan de notre enquête est constitué par la description des peintures
italiennes de saint Michel entre 1200 et 1518. L’image a ici été dépecée en différentes strates
– le visage, la coiffure, le corps, les ailes, les vêtements, les attributs, les positions, les mises
en scènes, les compositions – mises en lumière par une typologie et analysées une par une
dans leurs types, leurs formes, leurs évolutions spatiales et temporelles. Malgré une apparente
diversité des formules iconographiques, cette analyse montre une certaine simplification de
l’iconographie italienne de l’archange entre la fin du Moyen Âge et le début de l’époque
moderne par une cristallisation autour du type du guerrier. Le dernier volet de chapitre réunit
ces différents segments d’analyse, et les situe dans un cadre spatio-temporel, propre à en tirer
des conclusions pour l’ensemble de la figure de l’archange.
Si cette deuxième partie est centrée exclusivement sur les peintures, limitant nos réflexions au
cadre de sa représentation, le troisième chapitre se penche davantage sur ce qu’il se passe
autour de l’image. Le phénomène de création est appréhendé dans son rapport avec les textes,
et dans la rencontre de différentes personnalités qui participent à la fabrication d’un produit
unique en ce qu’il s’adapte à chacun des acteurs de la création. Malgré une simplification
iconographique, les sens portés par les représentations de Michel sont multiples et
déterminent les raisons de la présence de l’archange dans l’image. En tant qu’ange, être éthéré
et immatériel, la figure de Michel interroge le rapport de la représentation avec sa dimension
matérielle, dans une acception qui considère les images comme des objets, au centre d’usages,
de perception et d’expériences religieuses où la vision est centrale dans le cas de l’archange.
Enfin, le dernier volet de cette investigation examine les peintures de Michel comme
représentations de la société qui les a fabriquées. L’image de l’ange est une création pure dans
le sens où ses formes ne peuvent s’attacher à représenter une apparence physique qu’il ne
possède pas. Dans cette optique, plus que pour toute autre figure chrétienne, la représentation
de Michel est un reflet de sa perception par les hommes, de l’idée qu’ils se font des anges en
général, et de Michel en particulier. La fonction de médiateur et l’implication de l’archange
dans la lutte contre le mal et dans les épisodes eschatologiques, en font un acteur de premier
ordre dans les images de l’au-delà intermédiaire. Michel participe donc, dans ce lieu de
transition entre la mort et la fin des temps organisé et géré par l’Église - dont les institutions
reposent désormais sur un système pénitentiel - à la culpabilisation du fidèle et à l’affirmation
de l’indispensabilité des sacrements dans l’accès au salut, et, du même coup, à la nécessité du
dispensateur de ces rites. Mais, malgré cette participation à la pastorale de la peur instaurée
par le clergé, ces images n’en sont pas moins un moyen de penser l’homme. Ainsi, au terme
de cette démonstration, nous aurons démontré comment, à travers l’iconographie, ses
permanences et ses évolutions chrono-géographiques, les représentations du plus humain des
anges et du plus céleste des saints, sont un moyen de penser l’homme, dans sa relation, alors
en pleins bouleversements, avec l’institution ecclésiale, avec Dieu, et surtout dans la
perception de l’homme par lui-même, de son rôle et de sa responsabilité au moment du salut.

28
CHAPITRE 1:
LES ORIGINES D’UNE IMAGERIE

29
30
Le premier chapitre est constitué d’une analyse des phénomènes dont la connaissance
est nécessaire à la compréhension de l’apparition et de la diffusion de l’iconographie de saint
Michel. La première partie fait un point indispensable sur les recherches récentes autour de
l’angélologie et de l’archange qui ont rendues cette étude possible. La suivante rend compte
des premières mentions de Michel dans les écrits chrétiens bibliques et apocryphes, source du
caractère de l’archange qui façonnera ensuite son image ; de l’origine du culte des anges et de
celui de Michel en Orient, puis son transfert et son développement en Occident ; et des
caractéristiques du culte et des dévotions rendus à l’archange dans l’Occident médiéval.

31
32
I- ÉTUDIER L’ARCHANGE : LA FIGURE DE MICHEL DANS L’HISTOIRE ET
L’HISTOIRE DE L’ART

I.1- Les sanctuaires michaéliques : un moteur pour la recherche franco-italienne

La figure des anges dans la spiritualité, son culte et ses représentations, constituaient
dans les années 1980 pour Philippe Faure, « une thématique spirituelle, injustement négligée
ou sous-estimée »42, qui connait toutefois un regain d’intérêt ces quarante dernières années de
la part de chercheurs en histoire religieuse ou en histoire de l’art. Dans cette dynamique, la
figure de Michel jouit d’un succès particulier et sera l’objet d’un certain nombre de colloques,
publications et rencontres.

I.1.1. Jusqu’aux années 1960, une thématique « injustement négligée »

I.1.1.1. Un intérêt ponctuel pour la figure de l’archange

Les quelques articles d’historiens de la fin du XIXe et du début du XXe que nous avons
consulté sur la figure de l’archange, concernent en général le culte de saint Michel. Ils
résument le plus souvent l’apparition de la dévotion aux anges et à l’archange, puis le
développement de son culte aux premiers temps du Moyen Âge. Les auteurs dégagent ensuite
les grandes caractéristiques du culte michaélique : culte aérien, chapelles hautes, protection
des portes, rôle de médiateur43. Plusieurs s’attachent à prouver que les anges en général et
saint Michel en particulier, sont les successeurs de divinités païennes44. Olga Rojdestvensky
consacre en 1922 un ouvrage entier sur Le culte de saint Michel et le Moyen Âge latin45 où
elle aborde également la question de la filiation entre l’archange et Mercure. L’ouvrage
s’intéresse particulièrement aux origines orientales du culte et à son transfert dans le monde
latin en définissant précisément les caractéristiques de la figure michaélique.
Au cours du XXe siècle, les recherches sur les anges sont souvent restées circonscrites à des
notices dans les dictionnaires de spiritualité, de théologie ou de liturgie. Le Dictionnaire de
Théologie Catholique, commencé en 1930, est particulièrement détaillé en ce qui concerne les
anges, dont les notices sont principalement réalisées par Jean Michel Alfred Vacant, directeur

42
FAURE, 1988, p. 31.
43
CROSNIER, 1862, pp.693-700 ; VALLERY-RADOT, 1929, pp. 453-478 ; LECLERCQ, t.XI, 1, 1933, pp.903-
907 ; JANIN, 1934, pp. 28-50.
44
SAINTYVES, 1907 ; POISSON, 1916, pp.6-15 ;
45
ROJDESTVENSKY, 1922.
33
du dictionnaire46. La thématique angélique est abordée à travers les écrits bibliques,
patristiques, théologiques, philosophiques et conciliaires. Dans ces encyclopédies et
dictionnaires, saint Michel possède également ses entrées47, preuves de son caractère
spécifique dans l’angélologie.
Les études autour des anges et de l’archange restent éparses et liées à des intérêts personnels
de certains chercheurs plus qu’à un intérêt général pour l’angélologie. Mais il s’agit ici de
formes et d’organisation caractéristiques de la recherche de la fin du XIXe siècle et des
cinquante premières années du XXe siècle qui ne se rassemble pas encore, comme cela sera le
cas à partir des années 1960, les chercheurs en groupes de travail autour de thématiques
communes et organisant régulièrement des colloques, journées d’études et ouvrages collectifs.

I.1.1.2. Un intérêt en histoire de l’art disparate mais des entrées dans les premiers
dictionnaires iconographiques

Au milieu du XIXe siècle, l’intérêt encyclopédique pour la religion, l’art et


l’archéologie a laissé plusieurs notices sur les anges et leurs images et propose un premier
point sur les origines des images des anges et leur évolution48. Léon Lecestre étudie les
différentes formes d’armes portées par saint Michel49. Dans les années 1940, Jeanne Villette
s’intéresse aux anges dans l’art des XII et XIVe siècles et ne manque pas de rappeler la genèse
de l’iconographie angélique50. Si des ouvrages ou articles évoquent les représentations de
saint Michel, ce n’est en général que dans le cadre d’études plus larges portant, par exemple,
sur la psychostasie avec la série d’articles d’Alfred Maury dans les années 184051 et les deux
articles de Mary Phillips Perry en 1912-191352 ; les anges en général53 ; le Jugement dernier54
ou d’autres épisodes bibliques dans lesquels il apparaît. Les études centrées sur les

46
Dictionnaire de Théologie Catholique, sous la direction de Jean Michel Alfred Vacant, 1930. Les notices
suivantes ont été écrites par Jean Michel Alfred Vacant : « Angélologie de saint Thomas d’Aquin et des
scolastiques postérieurs », t.I, 1, pp.1228-1248 ; « Angélologie parmi les averroïstes latins », t.I, 1, pp.1260-
1264 ; « Angélologie dans les conciles et doctrine de l’Église sur les anges », t.I, 1, pp.1264-1271 ; « Ange », t.I,
1, pp.1189-1192 ; « Angélologie dans l’Église latine depuis le temps des Pères jusqu’à saint Thomas d’Aquin »,
t. I, 1, pp.1222-1227.
47
LECLERCQ, 1933, pp.903-907.
48
VAN DRIVAL, 1866, pp.281-294 ; pp.337-352 ; pp.425-436 ; DIDRON, 1851, p347-362 ; t.12, 1852, p.168-
176 ; t.18, 1858, p.33-48.
49
LECESTRE, 1920.
50
VILLETTE, 1940.
51
MAURY, avril – septembre 1844, pp. 235-249 (premier article) ; 291-307 (second article) ; MAURY, octobre
1844 – mars 1845, pp. 501-524 (premier article) ; pp. 581-601 (second article, première partie) ; pp. 657-677
(second article, seconde partie) ; et avril – septembre 1845, pp. 229-242 (troisième article, première partie) ; pp.
289-300 (troisième article, seconde partie) , MAURY, octobre - mars 1846, pp. 707-717.
52
PERRY, 1913, p.208-218.
53
VILLETTE, 1940.
54
COCAGNAC, 1955.
34
représentations de saint Michel restent encore rares55, pourtant, l’importance de la figure
michaélique et la multiplicité de ses images font de lui un personnage qui possède une entrée
particulière dans les grands dictionnaires iconographiques qui fleurissent au milieu du XXe
siècle56. La place singulière de l’archange est illustrée par l’utilisation de l’image de saint
Michel comme d’une sorte d’emblème par Louis Réau sur l’édition des années 1950 de son
Dictionnaire iconographique : sur chaque volume, une silhouette de saint Michel transperçant
le dragon se dessine57.
Saint Michel reste un personnage incontournable dans les dictionnaires touchant à
l’iconographie ou à l’art du Moyen Âge. Nous le retrouvons par exemple en 1997 dans
l’Enciclopedia dell’arte medievale, dont la notice, écrite par Elena Federico, résume la place
de saint Michel dans la Bible et ses fonctions, l’histoire de son culte, les différents types
iconographiques de ses représentations, leurs origines et leur diffusion.

I.1.2. Une redécouverte autour du Mont-Saint-Michel et du Mont Gargan

I.1.2.1. 1966, le millénaire du Mont-Saint-Michel : le début de l’intérêt pour l’archange en


France

A l’occasion du millénaire du Mont-Saint-Michel, une série de publications est


entreprise autour du site normand. Michel Nortier, conservateur en chef de la bibliothèque
nationale, dirige la collection du Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, qui sera
publiée en cinq tomes de 1967 à 199358. Bien sûr, ces ouvrages sont centrés sur le Mont
normand et son histoire et ne sont donc pas directement liés à notre propre étude. Pourtant, le
troisième volume nous a particulièrement intéressé puisqu’il traite plus généralement du culte
de l’archange et de sa diffusion, comme dans l’article de Marcel Baudot sur les
« Caractéristiques du culte de saint Michel »59 ou celui de François Avril sur
l’« Interprétations symboliques du combat de saint Michel et du dragon »60, et concerne
même parfois notre aire d’étude - géographique et temporelle - avec l’article d’Armando
Petrucci sur l’« Origine e diffusione del culto di San Michele nell’Italia medievale »61. Il faut
noter que ces contributions traitent davantage l’origine du culte de saint Michel et son

55
Nous pouvons tout de même citer l’article de Guillaume DE JERPHANION qui centre son propos sur
« L’origine copte du type de saint Michel debout sur le dragon », 1938, pp. 367-381.
56
RÉAU, 1957 ; KAFTAL, 1952 ; 1965 ; 1978 ; 1985.
57
Ce dessin est inspiré du tympan de l’église Saint-Michel-d’Entraigues (Charente) du XIIe siècle.
58
Tome 1 : Histoire et vie monastique, Paris, 1967 ; tome 2 : Vie montoise et rayonnement intellectuel du Mont-
Saint-Michel, Paris, 1967 ; tome 3 : Culte de Saint-Michel et pèlerinages au Mont, Paris, 1971 ; tome 4 :
Bibliographie générale et sources, Nogent-sur-Marne, 1977; tome 5 : Études archéologiques, 1993.
59
BAUDOT, 1971, p.15-34.
60
AVRIL, 1971, p.39-52.
61
PETRUCCI, 1971, p.339-352.
35
développement en Occident durant le Haut Moyen Âge. Nous ne nous étendrons pas
davantage sur l’historiographie du Mont-Saint-Michel et nous renvoyons à l’introduction de
Pierre Bouet au volume Culto e santuari di san Michele nell’Europa medievale62 qui fait le
point sur la bibliographie du Mont de 1966 à 2006. Nous ajouterons simplement que l’étude
de saint Michel et de son sanctuaire normand dans les années 1960 fut à l’origine d’une
redécouverte de l’archange. Dans les années 1980, l’impulsion gagna les anges en général et
l’historiographie voit fleurir à cette époque des articles et des ouvrages sur les anges et
Michel, leur culte, leurs images, leur symbolique.

I.1.2.2. Une première impulsion autour des images de Michel

Dans les volumes du Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, quelques articles


portent sur les représentations de l’archange. Pierre Bourguet insiste sur la portée générale de
l’iconographie principale de Michel et tente d’en trouver les origines dans l’art pharaonique et
grec63. Colette Lamy-Lassalle propose deux contributions autour des images de l’archange :
elle étudie dans la première les enseignes de plomb retrouvées vers le Mont-Saint-Michel64 et
elle reprend dans la seconde un thème déjà traité par plusieurs chercheurs sur les
représentations de saint Michel contre le dragon. Elle défend la thèse d’une origine
carolingienne et dresse une typologie des premiers témoignages français65. Pour Jean
Fournée, c’est l’iconographie qui lie et simplifie deux aspects fondamentaux du culte de saint
Michel : celui de peseur d’âme et celui de triomphateur du mal. Selon cet auteur, cette
restriction du rôle de l’archange est à imputer à la piété populaire dont l’image médiévale est
le reflet66. André Grabar propose une description et une analyse de la porte byzantine du Mont
Gargan67.
D’autres articles, s’ils traitent principalement du culte de l’archange, font une place
importante aux images : elles sont étudiées en tant que témoignages visibles de la dévotion
portée à Michel. François Avril étudie le symbolisme du combat de saint Michel contre le
dragon et analyse à ce titre les images de cet épisode puisque par leurs formes, leurs
développements, leur iconographie, elles nous apprennent ce que cette scène évoquait pour les
contemporains de ces créations68. Il est surtout question dans cet article des parallèles
symboliques et iconographiques entre saint Michel sauroctone et le Christ crucifié à l’époque
carolingienne et romane. Marcel Baudot, dans un article sur le culte de l’archange, évoque

62
BOUET Pierre, « Introduzione, Quarant’anni di ricerche nei santuari di Mont-Saint-Michel e del Gargano »,
dans Culto e santuari di san Michele nell’Europa medievale, a cura di Pierre BOUET, Giorgio OTRANTO et
André VAUCHEZ, Bari, Edipuglia, 2007, pp. 13-30.
63
BOURGUET, 1971, pp. 37-38.
64
LAMY LASSALLE, 1971 (1), pp. 271-286.
65
LAMY LASSALLE 1971 (2), pp. 53-64.
66
FOURNEE, 1971, pp. 65-91.
67
GRABAR, 1971, pp. 355-368.
68
AVRIL, 1971, p. 42.
36
plusieurs fois l’iconographie de saint Michel pour confirmer le succès de certains aspects de
la dévotion que lui portaient les hommes du Moyen Âge69. Enfin, Armando Petrucci
considère les particularités iconographiques comme des signes visibles des stratifications à
l’œuvre dans le développement d’un culte, définissant et individualisant un personnage saint
en fonction des aires culturelles dans lesquelles s’inserent ces manifestations70.
Le Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel constitue bien une première impulsion dans
l’étude des images et de l’iconographie de saint Michel en Occident. Ces écrits se concentrent
particulièrement sur les origines de ces témoignages artistiques et sur la signification,
principalement religieuse, de ceux-ci.

I.1.2.3. Le Mont Gargan et le Centro di Studi micaelici e garganici moteurs de la recherche


autour de l’archange en Italie

Parallèlement aux initiatives françaises autour du Mont, matérialisées par les volumes
du Millénaire monastique du Mont Saint-Michel, les Italiens s’intéressent également à cette
thématique. Dès les années 1960, les fouilles archéologiques au Mont Gargan mettent à jour
et restaurent les premiers éléments architecturaux à l’origine du sanctuaire71 et les premières
contributions de valeur scientifique sont publiées. A l’automne 1975, les membres de
l’Istituto di Letteratura Cristiana Antica de l’Université de Bari (épigraphistes, archéologues,
linguistes, historiens) apportent des approfondissements à ces premières recherches qui
donnent lieu à un premier colloque international à Monte Sant’Angelo en 1978 publié sous la
direction de Giorgio Otranto et Carlo Carletti : Il Santuario di S. Michele sul Gargano dal VI
al IX secolo. Contributo alla storia della Langobardia meridionale72, puis un second en 1992,
toujours sous la direction de messieurs Otranto et Carletti, Culto e insediamenti micaelici
nell’Italia meridionale fra tarda antichità e Medioevo, publié en 199473. Ces années 199074,
porteuses de nouvelles initiatives dans la recherche michaélique italienne, correspondent à la
période de célébration du XVe centenaire de l’apparition de Michel sur le Mont (fixé selon la
tradition entre 490 et 493)75. C’est d’ailleurs en 1995, que Giorgio Otranto fonde le « Centro
di studi micaelici e garganici », département détaché à Monte Sant’Angelo de l’Université de

69
BAUDOT, 1971, p.15-34.
70
PETRUCCI, 1971, pp. 339-352.
71
Voir à ce propos l’historique du Centro di studi micaelici e garganici sur le site officiel :
http://www.dscc.uniba.it/strutture/centro_studi_micaelici_e_garganici.htm
72
Bari, 1980.
73
Culto e insediamenti micaelici nell’Italia meridionale fra tarda antichità e Medioevo, sous la direction de
Carlo CARLETTI et Giorgio OTRANTO, Atti del Convegno internazionale Monte Sant’Angelo, 18-21
novembre 1992, Bari, Edipuglia, 1994.
74
Nous pouvons également citer la monographie sous la direction de Giorgio OTRANTO et Carlo CARLETTI
sur le sanctuaire du Mont Gargan publiée en 1990 : Santuario di San Michele arcangelo sul Gargano dalle
origini al X secolo, Bari, Edipuglia.
75
Voir à ce propos l’historique du Centro di studi micaelici e garganici sur le site officiel :
http://www.dscc.uniba.it/strutture/centro_studi_micaelici_e_garganici.htm
37
Bari, qui a pour objectif « lo studio e la valorizzazione della complessa documentazione
storica, archeologica, architettonica, epigrafica, letteraria, agiografica, artistica, etno-
antropologica legata al Santuario di san Michele Arcangelo e al territorio garganico
soprattutto di epoca altomedievale »76. Ce centre permet, par son implantation au cœur des
territoires michaéliques, de mettre en relation les chercheurs de l’université de Bari avec les
populations locales, porteuses des traditions liées encore aujourd’hui à l’archange,
l’administration communale de Monte-Sant’Angelo, et les bénédictins de Montevergine,
guides du sanctuaire.
Dans ce but, est organisée la « Settimana di Studi tardoantichi e romanobarbarici » dont la
quinzième session s’est déroulée en septembre 2012. Comme son nom l’indique, ces
interventions se concentrent sur la période du IVe au VIIIe siècle.
Des années 1960 à nos jours, la recherche italienne n’a cessé de cultiver son intérêt pour
l’archange et le sanctuaire à l’origine de son culte en Europe Occidentale.

I.1.2.4. L’iconographie de saint Michel : un intérêt encore limité

Dans leur volume sur le sanctuaire de saint Michel sur le Mont Gargan des origines au
e
X siècle, Giorgio Otranto et Carlo Carletti étudient les origines du culte et du sanctuaire
italien77. Nous pouvons cependant remarquer l’importance du corpus de photographies
représentant les témoignages artistiques présents au Mont ou dans les alentours. En fait, la
présence des peintures et reliefs des épisodes garganesques est centrale dans la première partie
sur « le origini del culto et l’ « Apparitio » »78. Le Liber de apparitione sancti Michaelis in
monte Gargano permet en effet de retracer les origines légendaires du sanctuaire, et, plus
qu’une simple illustration, les peintures représentant ces épisodes, en tant que symbole du
culte michaélique, montrent l’étendue de l’intérêt porté à l’archange entre Italie, France et
Espagne79. Dans le reste de l’ouvrage, l’iconographie est régulièrement invoquée pour
confirmer certains aspects dans le développement du culte de l’archange. Giorgio Otranto
avait déjà abordé le sujet du lien entre présence des images du miracle du taureau et insertion
du culte de l’archange dans les sanctuaires proches du Mont Gargan dans un article publié en
198580.
L’ouvrage collectif Culto e insediamenti micaelici nell’Italia meridionale fra tarda antichità
e Medioevo81, présente quelques articles monographiques sur un site ou une décoration
précise82 mais ne comporte qu’un seul article à proprement parler sur l’iconographie

76
Description du site de la ville de Monte Sant’Angelo : http://www.montesantangelo.it/la_citta.php?Rif=157
77
Bari, 1980.
78
CARLETTI et OTRANTO, 1990, pp. 13-31.
79
CARLETTI et OTRANTO, 1990, p. 19.
80
OTRANTO, 1985, pp. 397-407.
81
Sous la direction de Carlo CARLETTI et Giorgio OTRANTO, Atti del Convegno internazionale Monte
Sant’Angelo, 18-21 novembre 1992, Bari, Edipuglia, 1994.
82
D’ARIENZO, 1994, pp. 191-245 ; D’ANGELA, 1994, pp. 247-260 ; BERTELLI, 1994, pp. 427-452 ;
38
michaélique : il s’agit de celui de Pina Belli D’Elia sur « Il toro, la montagna, il vescovo.
Considerazioni su un tema iconografico »83. C’est encore les images illustrant le Liber de
apparitione sancti Michaelis in monte Gargano, qui sont le centre de son étude. Elle étudie
les premiers témoignages et le développement de cette série d’images en Italie et en Espagne
jusqu’à la période moderne.
Le champ d’étude privilégié reste le Haut-Moyen Âge et le culte de saint Michel plus que ses
représentations picturales ou sculpturales.

I.1.2.5. D’autres initiatives autour des images de saint Michel à la fin du XXe siècle

Malgré l’importance de l’impulsion franco-italienne dans l’historiographie


michaélique, toutes les initiatives ne sont pas forcément liées aux groupes formés autour des
principaux sanctuaires. Gunnar Berefelt, dans un ouvrage de 1968, étudie par exemple
l’iconographie angélique sous le prisme de la représentation de leurs ailes 84. Mais les images
des êtres célestes ne semblent plus avoir ensuite intéressé les spécialistes avant la fin du XXe
siècle85, tournant dans l’historiographie sur les anges qui correspond à l’apparition d’un
intérêt plus général pour la figure angélique et pour saint Michel dans les années 1980-1990,
dont nous avons déjà parlé plus haut86. Dans la dernière décennie du XXe siècle, plusieurs
articles sur les représentations des anges paraissent dans des revues diverses 87 et plusieurs
chercheurs proposent des ouvrages sur la question. Barbara Bruderer Eichberg, spécialiste des
images des neuf chœurs angéliques, présente la tradition littéraire et les formes
iconographiques de cette hiérarchie dans différents écrits entre 1992 et 200088. Puis en 1995,
Nancy Grubb offre un large panorama sur les figures d’anges du Moyen Âge à nos jours89
alors qu’Yves Cattin et Philippe Faure, dans leur ouvrage paru en 1999, se concentrent
essentiellement sur la période médiévale90. L’ouvrage collectif de Marco Bussagli et Mario
D’Onofrio sur les anges font une large part à l’iconographie à toutes les périodes91. Fabrizio

GIULIANI, 1994, pp. 487-506.


83
BELLI D’ELIA, 1994, pp. 575-618.
84
BEREFELT, 1968.
85
Traitant de l’iconographie angélique, nous pouvons tout de même citer l’article de Jacques BOUSQUET, « Le
thème des « archanges à l’étendard » de la Catalogne à l’Italie et à Byzance », 1974, pp. 7-27.
86
Nous avons déjà évoqué le colloque sur l’Ange de Pont-à-Mousson de 1981, dans lequel notamment intervient
Dominique COSTA, sur les « Aspects de l’iconographie de l’ange en France au Moyen Âge et à la
Renaissance », 1981.
87
DARCHEVILLE, 1994, p.26-35 ; DIEGO BARRADO, 1997, pp.133-144 ; KOWALSKI, 1997, pp.49-62 ;
88
BRUDERER EICHBERG, 1992 ; 1998 ; 2000, pp. 40-43.
89
GRUBB, 1995.
90
CATTIN et FAURE, 1999.
91
BUSSAGLI Marco, 2000 (1), pp. 23-35 ; GELAO, 2000, pp. 87-92 ; GNISCI, 2000, pp. 93-104 ; GULLI
GRIGIONI, 2000, pp. 105-107 ; SPERA, 2000, pp. 155-158.
39
Bisconti détaille les origines de l’iconographie paléochrétienne des anges dans son
dictionnaire paru en 200092.
Après avoir développé, indépendamment les uns des autres, un intérêt pour l’archange à
travers ses sanctuaires, les chercheurs français et les chercheurs italiens réunissent leurs
connaissances autour de rencontres internationales dans les premières années du XXIe siècle.

I.1.3. Des recherches franco-italiennes : un savoir historique qui suit l’axe du


pèlerinage médiéval

I.1.3.1. Les années 2000 : l’âge d’or des études michaéliques

En septembre 2000, sur l’initiative d’André Vauchez - alors directeur de l’École


Française de Rome - a lieu le premier colloque international à Cerisy-la-Salle, réunissant
chercheurs français et italiens, intitulé « Culte et pèlerinage à saint Michel en Occident. Les
trois monts dédiés à l’Archange » et dont les actes sont parus en 2003, aux éditions de l’École
Française de Rome. Les trois plus grands sanctuaires michaéliques – le Mont Gargan, le
Mont-Saint-Michel et Saint-Michel-de-la-Cluse - sont alors pour la première fois comparés à
travers l’étude des analogies dans les récits de fondation, dans la configuration des sites et
dans les formes architecturales. Ces lectures croisées s’attachent à l’étude des territoires qui
ont été choisis par l’archange, de la typologie de ces lieux de culte, des circonstances
historiques qui ont marqué leur fondation mais également à l’analyse des productions
littéraires ainsi engendrées, des manifestations de la dévotion à saint Michel, des pèlerinages.
Les recherches autour de saint Michel prennent alors une dimension internationale sans
précédent, tant au niveau de l’organisation des rencontres et des collaborations entre
différentes institutions universitaires93 qu’au niveau des thèmes abordés qui le sont à l’échelle
européenne. Ces études franco-italiennes dans les années 2000 sont également l’occasion
d’ouvrir le champ chronologique des recherches michaéliques jusqu’alors circonscrites au
Haut Moyen Âge, période des origines du culte et de la fondation des sanctuaires. Les thèmes
abordés dans l’ouvrage collectif Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident : les trois
monts dédiés à l’archange, concernent aussi bien le début94 ou la fin du Moyen Âge95 que
l’époque moderne96.

92
BISCONTI, 2000, pp. 106-109 pour l’entrée sur l’ange.
93
Le colloque « Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident : les trois monts dédiés à l’archange », qui s’est
tenu du 27 au 30 septembre 2000 au Centre culturel de Cerisy-la-Salle et au Mont-Saint-Michel, a été préparé et
organisé par l’École Française de Rome, le Centro di studi Micaelici e Garganici de l’Université de Bari et
l’Office universitaire d’études normandes de l’Université de Caen Basse-Normandie.
94
BOUET, 2003, pp. 65-90.
95
BÉRIOU, 2003, pp. 203-217.
96
JULIA, 2003, pp. 271-320.
40
I.1.3.2. La Bibliotheca Michaelica

Cette collaboration entre les Universités de Bari97 et de Caen Basse-Normandie98 à


laquelle s’ajoutent celles de l’Université de Paris X-Nanterre99 et de l’Université Turin100,
donne lieu à la création d’un Comitato scientifico di studiosi del culto micaelico qui organise
un projet triennal prenant la forme de trois rencontres dans les grands sanctuaires
michaéliques. Le premier colloque a eu lieu à l’Université de Bari et au Monte-Sant’Angelo
du 6 au 8 avril 2006 et s’intitule « Culte et sanctuaires de saint Michel dans l’Europe
médiévale »101. Le deuxième, « Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident
médiéval », a eu lieu à la Sacra di San Michele du 26 au 29 septembre 2007102. Enfin le
troisième et dernier colloque international sur les « Représentations du Mont et de l’archange
saint Michel dans la littérature et dans les arts », s’est déroulé au Centre culturel de Cerisy-la-
Salle du 29 septembre au 3 octobre 2008, à l’occasion du XIIIe centenaire du Mont-Saint-
Michel103.
Afin de réunir les actes de ces rencontres et d’autres recherches entrant dans ce champ
d’études (monographies, ouvrages d’intérêts historiographiques et éditions de fonds grecs et
latins), Giorgio Otranto et son équipe proposent de créer une nouvelle collection « Bibliotheca
Michaelica » éditée par la Casa Editrice « Edipuglia » 104. La collana a déjà publié 7 volumes
dont le dernier, paru en 2011, est une monographie sur le sanctuaire des Alpes, l’abbaye
Saint-Michel-de-la-Cluse105.

Le premier colloque s’intéresse surtout à la typologie des sanctuaires, à l’histoire de leur


implantation et à leur rôle dans la diffusion du culte michaélique. Les interventions du
deuxième colloque se développent autour de la question du pèlerinage et des chemins
empruntés par les fidèles, qui conduisent à mettre en évidence les caractéristiques communes
dans la typologie des lieux dédiés à l’archange. Le troisième, s’intéresse aux représentations
de saint Michel et de ses sanctuaires dans les arts et la littérature, qu’elles soient d’origines
bibliques et traditionnelles ou qu’elles se développent au cours du Moyen Âge, mettant en
avant les fonctions de l’archange privilégiées par la piété populaire.

97
Au sein du centro di studi Micaelici e Garganici dirigé par Giorgio Otranto.
98
Au sein de l’Office universitaire d’études normandes dirigé par Pierre Bouet.
99
Au sein du Centre d’histoire sociale et culturelle dirigé par André Vauchez et Catherine Vincent.
100
Au sein du Centro di Ricerce sulle Istituzioni e le Società medievali dirigé par Giuseppe Sergi.
101
Culto e santuari di san Michele nell’Europa medievale, a cura di Pierre BOUET, Giorgio OTRANTO et
André VAUCHEZ, Bari, Edipuglia, 2007.
102
Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident médiéval, sous la direction de Giampietro
CASIRAGHI et Giuseppe SERGI, Bari, Edipuglia, 2009.
103
Représentations du Mont et de l’archange saint Michel dans la littérature et dans les arts, sous la direction de
Pierre BOUET, Giorgio OTRANTO, André VAUCHEZ et Catherine VINCENT, Bari, Edipuglia, 2011.
104
Les actes du premier colloque correspondent au premier volume de la collection. Le deuxième colloque est
publié dans le cinquième volume de la Bibliotheca Michaelica et le troisième colloque, dans le sixième.
105
SERGI, 2011.
41
Un aspect fondamental se révèle dans l’ensemble de ces ouvrages collectifs : la
pluridisciplinarité. La variété des chercheurs qui ont participé à ces rencontres est probante :
historiens, littéraires, archéologues, historiens de l’art, épigraphistes… Cette diversité des
approches permet de saisir la complexité de la personnalité de l’archange, la singularité de ses
sanctuaires et des pèlerinages qui y mènent, et d’étudier la spiritualité liée à Michel dans son
côté multiforme. Par ailleurs, différentes échelles géographiques ont été adoptées et se
révèlent nécessaires à la compréhension de phénomènes aussi bien locaux qu’internationaux
puisque, des dévotions locales aux grands pèlerinages entre Mont-Saint-Michel et Mont
Gargan, les manifestations autour de la figure de l’archange s’expriment elles-mêmes sur ces
différents plans spatiaux. Mais quelque soit l’échelle choisie, ces études montrent l’ancrage
très fort des dévotions à saint Michel et de ses expressions dans un territoire portant la marque
de l’archange qui y a laissé son empreinte par ses apparitions. Enfin, tout comme dans les
actes de la première rencontre en septembre 2000, les interventions des trois colloques
internationaux autour de sanctuaires de saint Michel présentent un axe temporel élargi
puisque, s’il concerne principalement tout le Moyen Âge, certains chercheurs travaillent sur
des périodes beaucoup plus proches de nous106.

I.1.3.3. Une place grandissante des études iconographiques et d’histoire de l’art dans ces
volumes

Les grandes rencontres internationales qui ont eu lieu de 2000 à 2008 ont permis un
élargissement temporel du champ d’étude qui s’étire désormais jusqu’à la fin du Moyen Âge
et les époques successives. En 2000, lors du premier colloque à Cerisy-la-Salle, outre les
études portant sur l’architecture et l’archéologie, seule une intervention traite directement des
peintures et sculptures de l’archange : il s’agit encore une fois de la contribution de la
spécialiste italienne de l’iconographie michaélique, Pina Belli D’Elia 107. Elle examine à
nouveau la question de la relation entre les textes de l’Apparitio et les représentations de cette
légende en Italie, en France et en Espagne108, et aborde également celles des origines des
images de saint Michel combattant le dragon, débat déjà ouvert dont nous résumerons les
différents points de vue dans la partie suivante.
En 2007, dans le premier volume de la Bibliotheca Michaelica, le seul article portant sur des
images concerne des enseignes de plomb. Mais ici, Denis Bruna centre son propos sur la
provenance des enseignes et leur utilisation sans aborder la question des formes ou de
l’iconographie de ces objets. Il faut tout de même noter la contribution de Mario Sensi sur les
« Santuari e culto di S. Michele nell’Italia centrale » qui aborde les images votives de l’Italie

106
D’ARIENZO, 2007, pp. 303-337 ; JUHEL, 2011, pp. 309-329.
107
BELLI D’ELIA, 2003, pp. 523-530.
108
Elle avait déjà écrit en 1994 une contribution sur « Il toro, la montagna, il vescovo, considerazioni su un tema
iconografico », dans Culto e insediamenti micaelici nell’Italia meridionale fra tarda antichità e Medioevo, Bari,
Edipuglia, pp. 575-602.
42
centrale comme témoignage du succès du culte de saint Michel le long des routes de
pèlerinage vers le Mont Gargan et où l’iconographie est une manière de mieux appréhender
les fonctions que lui attribuaient les hommes du Moyen Âge109. En ce qui concerne les
contributions en histoire de l’art, il est tout de même probant de voir que dans ces premiers
actes, tous les articles traitant de témoignages artistiques se retrouvent à la fin des ouvrages.
Les volumes deux, trois et quatre de la collana ne concernent pas les images de l’archange et
se concentrent essentiellement sur le culte de saint Michel en Campanie110, sur les abbayes et
les réseaux monastiques des Alpes111 et sur les chemins de pèlerinage112.
Dans le volume cinq sur les Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident
médiéval, l’image semble prendre une place grandissante dans les réflexions autour de
l’archange. Trois chercheurs mettent l’iconographie au centre de leur propos : nous retrouvons
Pina Belli D’Elia113, mais également Saverio Lomartire114 et Dominique Rigaux115. Pina Belli
D’Elia s’intéressent non pas aux images de l’archange, mais aux images des pèlerins et des
pèlerinages et seule Dominique Rigaux revient sur l’iconographie michaélique. Elle étudie les
choix iconographiques adoptés dans plusieurs chapelles alpines et ce qu’ils impliquent dans la
signification donnée à ces images. Elle revient également sur la proximité de saint Michel
avec d’autres figures sanctifiées dans les programmes picturaux qui affine la définition du
culte et de la dévotion rendue à l’archange.
À la fin des années 2000, la troisième rencontre internationale porte sur les Représentations
du Mont et de l’archange saint Michel dans la littérature et dans les arts et débute par une
introduction de Fabrizio Bisconti, historien de l’art paléochrétien, sur l’iconographie des
anges116. Même si le terme de « représentation » est traité au sens propre de sa définition
(celle de rendre quelque chose d'absent présent, aussi bien par les arts visuels, littéraires ou
autres) deux des trois sections qui compartimentent les actes de ce colloque sont centrées sur
les représentations dans les arts117 et la deuxième concerne plus particulièrement les arts au
Moyen Âge. Christian Davy étudie l’iconographie de saint Michel dans les peintures murales
françaises, manifeste des différentes fonctions de l’archange, aussi bien combattant, défenseur
de l’espace divin, acteur du jugement dernier ou psychopompe118. C’est également à des
œuvres françaises qu’est consacrée la contribution d’Esther Dehoux qui centre son propos sur

109
SENSI Mario, 2007, pp. 241-280.
110
CAMPIONE, 2007 (1).
111
Attraverso le Alpi : S. Michele, Novalesa, S. Teofredo e altri reti monastiche, sous la direction de Frederi
ARNEODO et Paola GUGLIELMOTTI, Bari, Edipluglia, 2008.
112
INFANTE, 2009.
113
BELLI D’ELIA, 2009, pp. 441-475.
114
LOMARTIRE, 2009, pp. 545-572.
115
RIGAUX, 2009, pp. 577-597.
116
BISCONTI, 2011, pp. 11-22.
117
La première concerne « Les représentations du Mont et de l’archange dans la littérature et dans les textes »
(pp. 25-91), le deuxième « Les représentations du Mont et de l’archange dans les arts au Moyen Âge » (pp. 95-
261) et la troisième « Les représentations du Mont et de l’archange dans les arts à l’époque moderne et
contemporaine » (pp. 263-371).
118
DAVY, 2011, pp. 95-108.
43
la polymorphie de l’iconographie michaélique définissant une nouvelle fois les diverses
fonctions de l’archange119. Elle explique les transformations iconographiques du guerrier et
du porteur de balance à la lumière des évolutions politiques, sociales et religieuses survenues
entre le Xe et le XIIIe siècle. Lindy Grant se penche elle sur les Jugements derniers français de
l’époque gothique dans lesquels saint Michel s’impose en position centrale 120. Ilona Hans-
Collas détermine les aspects iconographiques des peintures françaises dans l’Est de la France
à la fin du Moyen Âge tout en insistant sur l’importance de l’archange dans la quête du salut,
comme en témoignent les images121. François Neveux et Juliane Hervieu cosignent un article
sur les images de saint Michel en contexte funéraire en Basse Normandie qui, sans
abandonner la nature guerrière de sa figure, exaltent sa fonction de psychopompe et en font un
ange gardien des défunts122. Ils relient cette recrudescence des images de l’archange aux
événements politiques et militaires dans le contexte de l’occupation anglaise. Denis Bruna et
Françoise Labaune-Jean reviennent sur le thème des enseignes de pèlerinage suite à la
découverte récente de moules au Mont-Saint-Michel123. Du point de vue iconographique, les
auteurs précisent que les enseignes montoises n’ont pas de caractère exceptionnel, que le type
le plus courant reste celui de saint Michel au dragon mais qu’aucun renseignement visuel
n’évoque le sanctuaire. Costantino P. Charalampidis propose une contribution sur
l’iconographie byzantine de l’archange entre le Xe et le XVIIe siècle en précisant le peu de
succès de l’image dynamique de saint Michel combattant le dragon en Orient et l’adoption
tardive de la psychostasie124. Pina Belli d’Elia écrit à nouveau sur l’iconographie de saint
Michel dans les peintures rupestres de l'Italie du sud125.
Depuis la fin de la première décennie des années 2000, l’image de l’archange a rejoint les
textes des apparitions, les écrits bibliques ou liturgiques, les témoignages épigraphiques ou
archéologiques, dans l’intérêt des chercheurs universitaires en histoire de l’art ou autre
science historique.

I.1.3.4. Dynamisme des collectivités locales et des associations

Nous voudrions à présent préciser que les démarches réalisées par ces institutions
universitaires sont souvent accompagnées, voir précédées par celles des collectivités locales
ou des associations liées aux lieux de culte et aux pèlerinages.

L’association des Amici della Sacra di San Michele a été créée pour contribuer à la
restauration du sanctuaire en 1986. Elle se consacre dès 1995 à l’approfondissement de la

119
DEHOUX, 2011, pp. 109-133.
120
GRANT, 2011, pp. 135-143.
121
HANS-COLLAS, 2011, pp. 145-162.
122
NEVEUX et HERVIEU, 2011, pp.163-183.
123
BRUNA et LABAUNE-JEAN, 2011, pp. 183-197.
124
CHARALAMPIDIS, 2011, pp. 199-211.
125
BELLI D’ELIA, 2011, pp. 213-236.
44
connaissance autour de la Sacra en organisant conférences et colloques 126 et en publiant des
écrits sur l’archange, le sanctuaire piémontais et son territoire127. Une autre association autour
de la Sacra se crée dès février 1993 dans le but d’aider la communauté religieuse des Pères
Rosminiani dans la conservation de l’édifice, sa connaissance, l’entretien de la bibliothèque
et l’accueil des publics. C’est en partie grâce à leurs actions que la Sacra est classée en
décembre 1994 monument symbole du Piémont par la Région. Ils participent également à
l’organisation des Convegni Sacrense qui se tiennent régulièrement au sein du sanctuaire128.
La communauté religieuse de la Sacra est elle-même à l’origine de ces rencontres, dont ils
publient les actes aux Edizioni Rosminiane129.

L’Association des chemins du Mont-Saint-Michel s’était donnée pour mission de


retrouver et de promouvoir les anciens chemins qui menaient au sanctuaire. Créée en 1998,
elle mène ses investigations sur le terrain et dans les archives sous la responsabilité de
Vincent Juhel, Julianne Hervieu et Julien Deshayes. Elle organise ensuite rencontres et
publications pour diffuser les résultats de ces recherches. Elle a à présent pour vocation de
réunir les grands sites michaéliques en créant un réseau européen 130. Elle organise par
exemple des expositions itinérantes entre France et Italie qui permettent de réunir
virtuellement à travers les arts (photographies des sanctuaires, d’œuvres d’art, d’objets de
pèlerinages) les trois monts ou d’autres sanctuaires dédiés à l’archange. Enfin, les Chemins du
Mont-Saint-Michel organise également tous les deux ans environ des Rencontres historiques
au prieuré d’Ardevon autour du thème du pèlerinage131. Son caractère fédérateur entre les
différents monts européens se matérialise par le changement de nom de l’association en
2009 : les « Chemins du Mont-Saint-Michel » devient les « Chemins de saint Michel ».

La Comunità Montana del Gargano a également participé activement à la mise en


valeur de son sanctuaire sud-italien notamment en réalisant des expositions132 et en participant
à l’organisation des rencontres scientifiques et à la publication des résultats obtenus.

126
La liste de ces rencontres est disponible sur le site de l’association :
http://www.amicidellasacra.it/index.asp?sez=2&dsez=convegni&sezioneaschede=False&lang=ITA
127
La liste des publications est disponible sur le site de l’association :
http://www.amicidellasacra.it/userfiles/file/pubblicazioni(2).pdf
128
Le XXII Convegno Sacrense aura lieu en septembre 2013 sur le thème « Regole e spiritualità monastiche ».
129
Nous pouvons citer par exemple le volume qui regroupe les interventions du VII Convegno sacrense : Il fari
di San Michelet tra angeli e pellegrini, sous la direction d’Antonio SALVATORI, Stresa, Edizioni Rosminiane,
1999.
130
Voir la carte du réseau réalisée sur le site de l’association :
http://www.lescheminsdumontsaintmichel.com/spip/spip.php?article77
131
Les actes de ces rencontres sont publiés par l’association avec le soutien du conseil régional de Basse-
Normandie. Consulter à ce propos le site de l’association :
http://www.lescheminsdumontsaintmichel.com/spip/spip.php?article141
132
Avec la collaboration du Centro di Studi micaelici e garganici, elle a organisé du 25 septembre au 5 novembre
1999 une exposition au Museo « G. Tancredi » de Monte Sant’Angelo : « L’angelo, la Montagna, il Pellegrino »
dont le catalogue homonyme a été publié chez Claudio Grenzi Editore en 1999 sous la direction scientifique de
Pina Belli D’Elia.
45
I.1.3.5. Des sanctuaires plus modestes promoteurs de recherches autour de l’archange

Le phénomène de promotion de la recherche autour de saint Michel et de ses abbayes


ne touche pas seulement les grands sanctuaires franco-italiens, mais également d’autres plus
modestes, également lieux de pèlerinage, tels que l’abbaye Saint-Michel de Cuxa et l’église
Saint-Michel d’Aiguilhe.

L’Association culturelle de Cuxa a été fondée en 1967 par Pierre Respaut et organise
tous les ans les Journées romanes, séminaires d’études sur l’art préroman et roman
(conférences et visites des monuments de la région et des régions voisines). Les actes de ces
journées sont édités dans les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa revue scientifique sur l’art,
l’architecture, la civilisation préromane et romane en Europe méridionale et méditerranéenne
et particulièrement en Catalogne, Roussillon et Cerdagne, qui paraît tous les ans depuis 1969.
Plus que l’étude de la personnalité de l’archange, de l’apparition de son culte et son
développement, ces études sont avant tout orientées vers l’étude locale des phénomènes
artistiques régionaux à la période préromane et romane. Pourtant les publications des cahiers
rassemblent quelques articles susceptibles d’apporter des informations importantes sur
l’angélologie. Nous pouvons citer à ce titre l’article de Philippe Faure, « L’homme
accompagné. Origines et développement du thème de l’ange gardien en Occident »133, ou
celui de Robert Cabié, « Les anges dans la liturgie »134. Sur l’iconographie des anges ou de
saint Michel, Lourdes Diego Barrado étudie « Le rôle des anges dans l’iconographie de la
Rome byzantine »135 et Catherine Jolivet-Lévy le « Culte et iconographie de l’archange
Michel dans l’Orient byzantin : le témoignage de quelques monuments de Cappadoce »136.

A l’instar de ce qui s’était fait pour les grands sanctuaires, la municipalité d’Aiguilhe a
souhaité attirer l’intérêt des scientifiques sur son rocher. L’association Autour de Saint-Michel
d’Aiguilhe a donc été créée en septembre 2009 et souhaite, en promouvant leur sanctuaire par
le biais de rencontres et de publications, participer à la construction d’un réseau des sites
dédiés à saint Michel et au développement de l’itinéraire culturel européen des chemins de
saint Michel137.

Des associations et des collectivités locales attachées aux grands sanctuaires, aux passionnés
œuvrant autour des sanctuaires plus modestes, tous permettent de créer un véritable lien entre
leur sanctuaire, son territoire, la communauté religieuse qui l’occupe parfois encore, les
133
FAURE, 1997 (1), pp. 199-211.
134
CABIÉ, 1997, pp. 5-10.
135
DIEGO BARRADO, 1997, pp.133-144.
136
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp.187-198.
137
Voir les statuts de l’association en ligne : http://www.aiguilhe.fr/annuaires-de-la-mairie-d-aiguilhe/comite-de-
jumelage/autour-de-saint-michel-daiguilhe-a141.html#.UV2ST6Lxo1I
46
institutions locales, les chercheurs universitaires, les populations et le public. Elles ont par
ailleurs aujourd’hui un caractère fédérateur entre les différents sites michaéliques européens et
favorisent les échanges internationaux.
C’est à partir d’une volonté de protection, de mise en valeur et de connaissance de leur
sanctuaire respectif que chercheurs ou simples passionnés, français ou italiens ont donné une
réelle impulsion à l’étude de saint Michel. Les sanctuaires michaéliques, de part leur sacralité
imprimée par la présence de l’archange, constituent de véritables moteurs dans l’étude de
saint Michel, des lieux où il a choisi d’apparaître mais également de sa personnalité, de ses
fonctions, de la dévotion qu’il engendre.

I.2- Les débats historiographiques autour de l’image de Michel

Cette partie expose la teneur des grands débats qui ont eu lieu autour de la question
des images de l’archange : premières représentations des anges et de l’archange, origines de
l’iconographie michaélique, lien avec des figures païennes, relation avec l’iconographie
byzantine, développement des images occidentales.

I.2.1. Autour de la formation de l’iconographie michaélique

I.2.1.1. Michel, un ange comme les autres dans les écrits sur l’art paléochrétien

Les historiens ou historiens de l’art intéressés par les origines de l’iconographie


michaélique doivent avant tout s’intéresser à l’iconographie angélique. Les premières
représentations de Michel ne possèdent pas de caractère assez marqué pour mener une étude
isolée, ainsi la formation et la diffusion des images de l’archange au temps des premiers
chrétiens ne peuvent se comprendre sans celles des anges en général.
La reconnaissance des premières représentations angéliques dans les figures d’assistants ou de
messagers aptères peints dans les catacombes dès la fin du IIe siècle ne fait pas débat138. Les
auteurs s’accordent à reconnaitre les premiers anges dans ces personnages masculins, jeunes
ou matures, imberbes ou barbus, souvent vêtus du pallium et portant parfois un rouleau139.
L’apparition des ailes à la fin du IVe siècle est également un fait généralement admis par
l’ensemble des érudits s’étant penchés sur la question, ainsi que le fait qu’il restera un élément

138
À propos des origines de l’iconographie des anges voir DUHR, t.I, 1937, pp. 580-625 ; Marco Bussagli
précise que la première représentation d’ange conservée est celle présente dans l’Annonciation de la Catacombe
Sainte Pricille de Rome. BUSSAGLI Marco, 2000 (1), pp. 23-35. L’historique de la formation de l’iconographie
angélique est résumé dans le dictionnaire de Fabrizio Bisconti, 2000, pp.107-109.
139
BISCONTI, 2000, p. 107.
47
figuratif constant dans l’art chrétien140. Chacun y voit une formulation iconographique
tardive141. Les débats historiographiques se situent autour des raisons qui ont fait des
premières représentations d’anges des figures d’hommes comme les autres, puis des raisons
qui ont conduit peintres et sculpteurs à ajouter cet organe de vol à leurs personnages célestes.

Dans la Bible, les anges volent142 mais ils apparaissent aux hommes sous la forme
humaine et leur physionomie n’y est pas décrite143 : les anges de l’Ancien et du Nouveau
Testament ne portent pas d’ailes. Selon Marco Bussagli, il semblerait que, faute d’aile, ce soit
la tenue portée par les anges, généralement le pallium, et l’action qu’ils accomplissent, qui
sont déterminantes dans leur identification avant la fin du IVe siècle144. Ainsi, n’était-il pas
nécessaire de leur adjoindre cet organe de vol. Pourtant cette tenue était portée par la majorité
des personnages bibliques sur les murs des catacombes, comme le précise Fabrizio Bisconti
qui privilégie le contexte biblique comme principal indice pour identifier une figure
angélique145. Certains historiens insistent sur un autre aspect qui aurait pu freiner les peintres
et sculpteurs à parer leurs anges d’ailes : il s’agirait d’une peur de ces derniers de voir les
messagers de Dieu confondus avec des divinités païennes souvent ailées (tels par exemple la
victoire, Éros, Iris, Hermès…)146. En fait, comme le précise Lourdes Diego Barrado, il était
moins grave de les confondre avec des hommes plutôt qu’avec des divinités païennes147.

Pendant deux siècles, les anges resteront aptères. Pourquoi alors ajoute-t-on à la fin du
e
IV siècle cet élément iconographique ? La question de l’identification des anges puis de
l’absence et de l’adjonction des ailes intrigue dès les premières découvertes des catacombes et
leur décor peint148. Au milieu du XXe siècle, Jeanne Villette voit dans l’adjonction d’ailes une
manière de ne plus confondre l’homme et l’ange qui lui est supérieur149 et d’ajouter ainsi
quelque chose de surnaturel dans la figure angélique. Elle note que ce tournant
iconographique s’accompagne également d’une métamorphose sur le corps lui-même de
l’ange qui sera désormais autant que possible asexué et d’âge moyen150. Selon Marco
140
GRUBB, 1995, p. 85 ; CORRENTE, 2000, pp. 17-20 ; DIEGO BARRADO, 1997, pp.133-144.
141
Fabrizio BISCONTI insiste particulièrement sur cet aspect dans Temi di iconografia paleocristiana, 2000, p.
107.
142
Marco Bussagli cite en particulier les passages de Daniel (9,21) et de l’Apocalypse (14,6) qui indique que les
séraphins et les chérubins volent, dans BUSSAGLI, 2000, p. 33.
143
COSTA, 1981, p. 111.
144
BUSSAGLI, 2000, p. 34.
145
BISCONTI, 2011, p. 22.
146
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 85 ; CORRENTE, 2000, pp. 17-20.
147
DIEGO BARRADO, 1997, p. 134.
148
Fabrizio BISCONTI évoque par exemple les débats des XVIII et XIX e siècles à propos de la reconnaissance
de l’archange Gabriel et donc de l’identification de la scène de la catacombe de Sainte-Priscille comme d’une
Annonciation, 2011, op. cit ., p. 12.
149
VILLETTE, 1940, p. 51.
150
VILLETTE, 1940, p. 53.
48
Bussagli, si les ailes avaient été omises pour éviter des confusions entre les figures païennes et
celles d’une religion clandestine et menacée, les images de la période successive sont créées
dans un contexte où le christianisme est devenu religion d’État151 et l’erreur d’identification
entre personnages païens et chrétiens est moins problématique. Il parle d’« apposizione
iconografica » d’ailes aux figures angéliques car la figure de l’ange en elle-même ne change
pas152. Fabrizio Bisconti trouve quant à lui dans la lutte contre l’arianisme une raison qui rend
les ailes nécessaires dans les images d’anges. En effet, alors que l’indétermination
iconographique ne gênait pas l’orthodoxie pré-nicéenne, la montée de l’arianisme oblige les
penseurs chrétiens à définir plus précisément la nature divine ainsi que celle de chaque être
créé par Dieu : les anges ne peuvent plus être pris pour des hommes153.

I.2.1.2. Les origines d’une iconographie

Mais ce qui retient le plus longuement historiens des religions et historiens de l’art,
plus que de savoir comment et pourquoi les anges deviennent des personnages ailés, c’est de
déterminer d’où viennent ces ailes, à qui elles appartenaient et ce que cela apprend sur les
phénomènes de transmission d’idées, de croyances et d’images. Dans ce domaine, les études
sur les cultes et les représentations artistiques se fondent souvent pour se répondre ou se
justifier.
Sans revenir sur toutes les filiations possibles entre figures angéliques et divinités païennes,
nous focalisons à nouveau notre attention sur Michel qui est au centre de plusieurs études
l’assimilant, dans les croyances ou les images, à des divinités païennes : égyptiennes,
grecques, romaines ou autres. Selon Olga Rojdestvensky, plusieurs études des XVIIe et
XVIIIe siècles étaient dominées par la volonté de trouver des filiations entre Mercure et saint
Michel154. Alfred Maury, dès les années 1840, écrit plusieurs articles sur la psychostasie et les
divinités psychopompes dans lesquels il attribue à Michel les mêmes fonctions que Toth,
Hermès, Mithra et Mercure155. Même s’il ne pense pas à une simple transposition dans les
images chrétiennes de ces divinités psychopompiques en la personne de l’archange – qui
correspondrait à une copie irraisonnée des premiers artistes chrétiens - il admet que certaines
similitudes iconographiques sont certainement liées à une reprise de croyances, d’idées autour
de la pesée des âmes et de la destinée de ces dernières dans l’au-delà156. Dans les mêmes
années, Jean De Witte répond dans la même revue qu’il ne lui semble pas possible de
rapprocher la psychostasie homérique de la pesée des âmes égyptienne puis chrétienne car
selon lui, la nature de la pesée n’est pas la même157.

151
BUSSAGLI, 2000, p. 34.
152
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
153
BISCONTI, 2000, p.107 et 2011, pp. 11-22.
154
ROJDESTVENSKY, 1922.
155
MAURY, 1844, p.305.
156
MAURY, 1845, pp. 581-601 (second article, première partie), p. 595.
157
DE WITTE, octobre - mars 1845, pp. 647-656.
49
Un demi-siècle plus tard, au début du XXe siècle et pour les décennies suivantes, plusieurs
articles rapprochent Michel de divinités anciennes, tantôt pour en faire un continuateur des
figures païennes 158, tantôt pour souligner des influences lointaines au culte michaélique en
insistant surtout sur une filiation de fonctions entre anges et dieux antiques, en particulier
dans le contexte de la psychostasie et du combat du bien contre le mal 159. Cette question est
largement débattue dans les années 1970160 avec en particulier une série d’articles dans les
volumes du Millénaire monastique du Mont Saint-Michel161.
Outre les similitudes de fonctions, ce sont les consécrations de certains anciens lieux de culte
païens à Mercure162, Wuotan163, Attis164 ou encore Calchas et Podalire165, nouvellement
dédiés à saint Michel, qui poussent les historiens à s’interroger sur la continuité entre les
cultes païens et celui de l’archange166. Il existerait selon ces auteurs un lien entre la typologie
d’un site dédié à une divinité et les croyances qui s’y rattachent : c’est alors la particularité
des implantations des sanctuaires michaéliques qui participe à faire de lui un descendant de
divinités plus anciennes167.
Les historiens des religions et les historiens de l’art sont en général tous d’accord pour
admettre des rapprochements entre Michel et d’anciennes divinités. La nuance se fait dans le
degré de ces rapprochements, de filiation directe à une simple rencontre de croyances ou
d’iconographie. Dans tous les cas, il semblerait que ces multiples associations soient le
résultat du caractère universel de la figure de l’archange, ou plutôt des actions qu’il
accomplit : accompagnateur des âmes dans l’au-delà et vainqueur du dragon. Guillaume De
Jerphanion parlait déjà en 1938 de « tendance universelle de l’esprit humain »168 qui pousse
les hommes à reproduire certains thèmes religieux fondamentaux, comme le combat du bien
et du mal dans lequel s’était illustré Horus, puis saint Michel alors successeur également de ce
guerrier ancien. Ces idées sont reprises dans les années 1970 par Pierre Bourguet169 puis dans

158
SAINTYVES, 1907 ; Louis REAU écrit dans son dictionnaire que le culte de saint Michel « a remplacé celui
des divinités païennes : du dieu égyptien Anubis et particulièrement de Mercure », 1956, p. 44.
159
CUMONT, 1915, pp.157-182.
160
FISCHETTI, 1973.
161
BOURGUET, 1971, pp. 37-38 ; FOURNEE, 1971, pp. 65-91 ; LAMY LASSALLE, 1971 (2), pp. 53-64 ;
BAUDOT, 1971, pp. 15-34 ; PETRUCCI, 1971, pp. 339-352.
162
POISSON, 1916, pp. 6-15.
163
ROJDESTVENSKY, 1922.
164
MANGO, 1986, pp. 39-62.
165
PETRUCCI, 1971, pp. 339-352 ; CARLETTI et OTRANTO, 1990, pp. 13-14 ; BELLI D’ELIA, 2000, pp.
123-125.
166
Giorgio OTRANTO résume ces filiations autour du sanctuaire du Mont Gargan, « Genesi, caratteri e
diffusione del culto micaelico del Gargano », 2003, pp. 43-64.
167
Georges POISSON aborde particulièrement cette question dans « Saint Michel, successeur du Dieu gaulois du
soleil. », 1916, op. cit ., pp. 6-15.
168
DE JERPHANION, 1938, p. 381. Cette idée d’une filiation possible par l’universalisme des thèmes illustrés
dans l’iconographie de saint Michel (combat du bien contre le mal) est reprise par Pierre BOURGUET, 1971, pp.
37-38.
169
BOURGUET, 1971, pp. 37-38.
50
les années 2000 par Pina Belli d’Elia dans le contexte des rencontres franco-italiennes170.
Depuis les années 1970, on insiste de toute façon sur le fait que la religion chrétienne n’agit
pas en rupture mais dans la continuité des anciennes croyances et idées païennes171.

À travers la figure de saint Michel, les parallèles avec les divinités païennes se font à
plusieurs niveaux : ce sont des liens de fonctions à travers le rôle de psychopompe, d’acteur
de la psychostasie, de messager, de vainqueur du mal qu’endosse l’archange qui l’associe aux
figures de Toth, de Mercure, d’Héraclès, de Wuotan ou de Lug ; des liens iconographiques
qui l’associent aux figures d’Attis, de Niké ou des génies ailés ; des liens dans la typologie de
ses sanctuaires qui l’associent aux divinités des sommets, de la lumière ou des sources
curatives comme Mithra Calchas et Podalire. Le polymorphisme et l’universalisme de la
figure, des fonctions et du culte de l’archange le placent volontiers au chœur d’études sur le
dialogue entre anciennes religions et christianisme naissant qui sont considérables pour saisir
le fonctionnement de l’imagerie michaélique.
Revenons alors sur les débats autour des origines de l’iconographie de Michel.

Tout comme son culte, l’iconographie de saint Michel tire en partie ses origines de
l’orient byzantin.
Les origines orientales du culte de saint Michel étant attestées aujourd’hui par l’ensemble des
auteurs ayant écrit sur le sujet, il n’est pas étonnant de voir plusieurs recherches porter sur les
images orientales, et surtout byzantines, de l’archange. En outre, l’importance des formules
byzantines dans la formation de l’imagerie chrétienne occidentale explique le fait qu’un
certain nombre de spécialistes de l’iconographie médiévale interroge, au préalable d’une
étude sur un type d’image, les possibles origines byzantines. Mais il existe également des
articles et ouvrages qui étudient l’iconographie orientale pour elle-même, ses origines et ses
développements. C’est le cas de Catherine Jolivet-Lévy172, spécialiste de l’architecture et de
l’art byzantin, qui propose un article sur le culte et l’iconographie de saint Michel en
Cappadoce en 1997 et un autre en 1998 sur les archanges en costume impérial dans
l’iconographie byzantine173. C’est en tant que figure principale des sanctuaires de l’Orient
byzantin que cette chercheuse s’intéresse à la figure michaélique et ses images dont elle
souligne la monumentalité174 . Elle porte une attention particulière aux représentations du
miracle de Chônai, tout comme Smiljka Gabelić175 qui travaille sur un cycle de saint Michel
exceptionnel du XIVe siècle conservé à Lesnovo (Macédoine). Costantino P. Charalampidis

170
BELLI D’ELIA, 2000, pp. 123-125.
171
FOURNEE, 1971, pp. 65-91 ; Francesco Paolo FISCHETTI parle de période « d’incubation » pour les
premiers siècles chrétiens, 1973.
172
JOLIVET-LÉVY, 1997,.187-198.
173
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), pp. 121-128.
174
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp.187-198.
175
GABELIĆ, 1989 (2), p.95-103; 1989 (1), p.58.
51
propose une contribution lors du dernier colloque franco-italien sur l’iconographie byzantine
de saint Michel entre le Xe et le XVIIe siècle176.

Les discussions les plus nombreuses autour du dialogue entre iconographie


michaélique byzantine et iconographie occidentale, portent sur les origines d’un des thèmes
principaux de l’iconographie de saint Michel : l’archange foulant aux pieds le dragon. Émile
Mâle, au début du XXe siècle, affirme que « le saint Michel debout sur le dragon, que l’art
byzantin ne connait pas, est le saint Michel du Mont Gargano. C’est là qu’il a dû naître dès les
temps carolingiens, et c’est de là qu’il s’est répandu en Europe »177 . Pour l’auteur,
l’iconographie du Michel sauroctone est une création italienne. Sans soutenir que le premier
saint Michel au dragon ait été créé en territoire byzantin, Guillaume De Jerphanion considère
que le modèle garganesque reproduirait un type iconographique copte 178 d’un personnage
(aptère) transperçant de sa lance un dragon, visible encore aujourd’hui sur plusieurs morceaux
de tissus égyptiens du VIe, conservés à Londres et à Athènes179. André Grabar, avait déjà
signalé que l’iconographie chrétienne du Christ foulant aux pieds l’aspic et le basilic était un
dérivé du thème impérial du vainqueur foulant aux pieds le vaincu180. Pour lui, le type
triomphal païen de l’empereur victorieux se transforme une première fois en thème impérial
christianisé par la substitution de la lance ou du labarum par la croix. Ce motif passe ensuite
dans l’iconographie chrétienne au Ve siècle avec les images du Christ marchant sur l’aspic et
le basilic. En 1971, Colette Lamy-Lassalle prolonge la recherche d'André Grabar autour du
thème impérial de l’empereur vainqueur foulant son adversaire aux pieds en proposant de voir
dans l’iconographie de saint Michel au dragon, une continuité de ce motif181. Cet avis est
partagé pas Yves Christe182 et André Bonnery183quelques années plus tard, mais pour autant,
aucun de ces chercheurs ne reprend les discussions autour des origines - italienne, byzantine
ou copte - des premières images de saint Michel sauroctone.
Mario Rotili était pourtant revenu sur cette question à partir de la datation de reliefs du Mont
Gargan184 qu'il situe autour du VIIIe et du IXe siècle et qu'il considère comme faisant partie

176
CHARALAMPIDIS, 2011, pp. 199-211.
177
Selon lui, il existait, d’après les textes du moine Bernard en pèlerinage au Mont Gargan au IXe siècle (voir
l’Itinerarium Bernardi monachi franchi), une grande icône peinte sur les murs de l’église dont le saint Michel
sculpté sur la chaire serait une copie, MÂLE, 1998 (1e édition 1922), p. 259. La chaire en question est visible
dans le catalogue d’exposition L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, 1999, notice 15, pp. 76-79.
178
L’Égypte est alors sous domination de l’Empire byzantin, jusqu’au VII e siècle.
179
DE JERPHANION, 1938, pp. 367-381.
180
GRABAR, 1936.
181
LAMY LASSALLE, 1971 (2), pp. 53-64.
182
CHRISTE, 1973, p. 47.
183
BONNERY, 1997, pp. 11-20.
184
Il s'agit d'un bas-relief sur une plaque de la cathèdre représentant saint Michel foulant au pied le dragon et le
transperçant de sa lance ; d'un autre bas-relief appartenant peut-être à une architrave représentant saint Michel
debout sur un dragon et le transperçant de sa lance avec la main droite ; ainsi que d'un dernier bas-relief
appartenant au même ensemble que le précédent et représentant Michel foulant aux pieds le dragon et le
transperçant de sa lance et portant dans la main gauche une balance dans les plateaux desquels se trouvent deux
petits bustes.
52
des premiers témoignages de saint Michel transperçant le dragon, dont l'iconographie serait
apparue dans ce même sanctuaire au VIIe siècle185. Plusieurs autres auteurs avancent des dates
précoces pour ces images, preuves d’une origine garganesque du type 186, mais la critique
récente adopte des datations plus tardives : ces reliefs sont estimés par Gioia Bertelli et Silvia
Bettocchi comme des productions de la fin du XIe et du début du XIIe187. Les anciens
arguments permettant de considérer le Mont Gargan comme le foyer de l’iconographie de
saint Michel au dragon étaient basés sur des datations aujourd’hui remises en cause. Mais
pour autant, cela n’empêche pas les chercheurs de ces dernières années de voir le sanctuaire
michaélique comme créateur de ce type iconographique. Pina Belli D’Elia estime que la
quantité de représentations de saint Michel au dragon autour du Mont Gargan fait de ce
sanctuaire un berceau probable de cette image188. Cependant le caractère tardif de ces
témoignages, non antérieurs au XIe siècle, la pousse à admettre l’hypothèse d’une création au-
delà des Alpes, puisque le type est attesté dès l’époque carolingienne (ivoire de Leipzig), et
repris par les normands alors conquérant de l’Italie méridionale189. En 2000, elle opposait déjà
l'iconographie statique et aulique du saint Michel byzantin à l'interprétation dynamique du
combat de l'archange qui se développe dans l'Occident carolingien (en faisant un crochet par
le monde celtique et germanique) : c'est ce qu'elle nomme la « derivazione apocalittica della
figura di san Michele »190. Pour elle, l’image de saint Michel combattant le dragon découle
d’un syncrétisme iconographique de l’archange avec d’autres divinités guerrières
germaniques, devenant métaphore du triomphe du christianisme sur les cultes païens. En
2011, elle affirme qu’il est maintenant légitime de considérer le thème de saint Michel au
dragon comme franc et carolingien191, même si le développement de cette iconographie se
poursuit bien du Mont Gargan vers le reste de l’Occident dans le contexte des invasions
normandes des Pouilles des premières années du XIe siècle192.
Elle souligne également le caractère proprement occidental, des représentations des
apparitions de la légende garganesque193.

La continuité entre une iconographie politique impériale byzatine et les représentations


de saint Michel vêtu du lôros est également au cœur des débats dans une série de chapitres et
d’articles des années 1980-1990. Si l’origine orientale de l’archange portant une chlamyde et
le lôros dans les images occidentales semble évidente, ce sont les raisons de cet habillement

185
ROTILI, 1966. Pour une bibliographie autour de ces questions de datation, voir BERTELLI G., 1986, note 3,
pp. 131-132.
186
Giovanni Tancredi et Ciro Angelillis avancent tous les deux la date du IX e-Xe siècle, TANCREDI, 1932 ;
ANGELILLIS, 1955-56, pp. 266-273.
187
Ces reliefs sont datés par Gioia Bertelli et Silvia Bettocchi de la fin du XI e et du début du XIIe siècle, dans
L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, 1999, notices 15, 16 et 17, pp. 76-82.
188
BELLI D’ELIA, 2003, p. 524.
189
BELLI D’ELIA, 2003, p.525.
190
BELLI D’ELIA, 2000, p. 123.
191
BELLI D’ELIA, 2011, p. 225.
192
BELLI D’ELIA, 2000, p. 125.
193
BELLI D’ELIA, 2000, p. 125.
53
qui suscitent des questionnements. Ce qui étonne les historiens d’art, c’est de voir les
archanges - en particulier Michel et Gabriel - revêtir un vêtement réservé à l’empereur. Or,
comme le précise Cyril Mango « only God could be described as the equivalent of the
emperor »194. Selon lui, les contemporains ne percevaient pas la signification de cet habit et
l’iconographie de saint Michel en lôros viendrait du fait que l’archange ait remplacé la
divinité phrygienne Attis et donc hérité de certains aspects de son iconographie195. Henry
Maguire196 met l’accent sur les similitudes formelles qui accompagnent les analogies
iconographiques entre empereurs byzantins et archanges qui partagent non seulement le même
vêtement, mais également la même attitude - raide, immobile et frontale - et le même style. À
l’appui de plusieurs textes comparant empereurs et archanges, il montre que cette proximité
formelle et iconographique dans les images est révélatrice d’une même proximité avec Dieu et
favorise ainsi la glorification de l’empereur en en faisant, tout comme l’étaient déjà les
archanges, un membre de la cour céleste197. L’interprétation de Catherine Jolivet-
Lévy198 diffère légèrement de celle de l’auteur américain car, plus qu’une façon d’augmenter
le prestige de l’empereur, le rapprochement de ce dernier avec Michel se justifie selon elle par
une analogie de fonction et de statut : tous deux grands princes et protecteurs du peuple
chrétien, porteurs de la gloire divine mais également subordonnés au souverain céleste199.
L’iconographie de l’archange vêtu du lôros est une façon de réaffirmer visuellement la
souveraineté universelle du Christ dans un contexte de défense des images et de
l’orthodoxie200.
L’iconographie de saint Michel au lôros est très diffusée dans la peinture byzantine de l’Italie
méridionale, en particulier dans les Pouilles à partir du IXe siècle selon Gioia Bertelli201 et lors
de la seconde hellénisation de l’Italie ionique et adriatique de la fin du Xe et du début du XIe
siècle selon Pina Belli D’Elia202. Cette dernière précise que les formes byzantines ont existé
de manière moins déterminante dans l’aire campanienne, et que par contre, le lôros se
transforme progressivement dans les Pouilles et la Basilicate pour devenir une fine écharpe
qui n’a plus grand-chose à voir avec la tradition de cour203 : la tradition iconographique
byzantine est lentement absorbée dans les formules italiennes.

Si l’art byzantin a donné les premiers témoignages de représentations de saint Michel et les
premières formules iconographiques, les historiens de l’art - s’ils soulignent encore l’apport

194
MANGO, 1986, p. 39.
195
L’archange aurait hérité de certains aspects iconographiques du dieu Attis, invictus et kosmokrator, MANGO,
1986, p. 55.
196
MAGUIRE, 1989, pp. 217-231.
197
MAGUIRE, 1989, p. 224.
198
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp.187-198.
199
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p. 121.
200
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p. 123.
201
BERTELLI G., 1986, p. 148.
202
BELLI D’ELIA, 2011, p. 222.
203
BELLI D’ELIA, 2011, p. 223.
54
oriental - s’accordent surtout aujourd’hui à souligner les spécificités occidentales qui se
mettent en place dès le Haut Moyen Âge.

I.2.2. Le développement de l’iconographie michaélique dans l’Occident médiéval en


question

Au sein des articles étudiés et des différentes contributions de colloques que nous
venons d’évoquer, nous aurons remarqué que les recherches autour des images de l’archange
se concentrent principalement sur la question des origines, de leur lien avec l’iconographie
païenne puis byzantine et sur leur développement au Haut Moyen Âge, essentiellement autour
de quelques types iconographiques majeurs. En ce qui concerne la période de notre étude - le
Bas Moyen Âge - et son aire géographique - l’Italie - les études se font plus rares ou moins
précises. Ainsi, les auteurs traitent des images de saint Michel soit en limitant l’étude à un
seul type iconographique (le saint Michel combattant le dragon, le saint Michel de la
psychostasie…) soit en limitant à un seul type de support (peintures des grottes, images des
enseignes de pèlerinage…) ou encore à un monument précis ou une région particulière. La
figure de l’archange est aussi souvent étudiée dans le cadre d’études iconographiques
(principalement eschatologiques) sur un thème dont il est l’acteur et où, s’il n’en est pas le
sujet principal, il peut prendre une place décisive.

I.2.2.1. Importance des études sur une scène isolée ou un type de représentation

Hormis les dictionnaires iconographiques dont c’est la finalité, il n’existe presque


aucun écrit généraliste résumant les grands traits de l’iconographie de saint Michel en Italie
en plein Moyen Âge. Seule Pina Belli D’Elia apporte plusieurs éléments à travers les divers
articles qu’elle a produits sur l’archange204. Elle centre souvent son attention sur un type
iconographique particulier dont elle retrace les origines et / ou le développement : dans son
article de 1994 par exemple, elle étudie les images des apparitions de saint Michel au Mont
Gargan205.
Si elles ne traitent pas de l’iconographie dans toute l’Italie, certaines contributions apportent
des éclaircissements sur une région ou un monument donné. C’est ce que fait Dominique
Rigaux dans sa contribution au colloque de 2006 en étudiant les images de l’archange dans les
chapelles de l’Arc Alpin206.

204
BELLI D’ELIA, 1994, pp. 575-602 ; 2000, pp. 123-125 ; 2003, pp. 523-530 ; 2009, pp. 441-475 ; 2011, pp.
213-236.
205
BELLI D’ELIA, 1994, pp. 575-602.
206
RIGAUX, 2009, pp. 577-597.
55
Enfin plusieurs articles concernent directement la période envisagée mais sur des aires
géographiques différentes, en particulier la France. C’est le cas des écrits de Lindy Grant pour
la France gothique207, Ilona Hans-Collas pour l’Est de la France208 ou François Neveux et
Juliane Hervieu pour la Basse-Normandie209.

I.2.2.2. Ou des études au sein de grands épisodes dont il est acteur

Même s’il existe des études uniquement consacrées à son image, la bibliographie nous
révèle que les auteurs ont surtout développé un intérêt pour l’iconographie michaélique au
sein d’études plus larges. Cela ne veut pas dire que la figure de l’archange est secondaire,
mais plutôt qu’elle prend son sens au sein de programmes plus vastes auxquels elle appartient
et dans lesquels elle est signifiante : elle est un maillon dans certains programmes
iconographiques.

À ce titre, l’un des thèmes iconographiques dont Michel est un acteur incontournable est
l’Apocalypse. Chaque ouvrage sur cet épisode décrit la scène où, selon le texte biblique,
« saint Michel et ses anges combattirent le dragon »210. Pour autant, comme nous pouvons le
constater dans les ouvrages de Frédéric Van Der Meer211 de Nancy Grubb212, de Laurence
Rivière-Ciavaldini213 ou d’Yves Christe214, la figure de l’archange n’est pas une pièce
maîtresse dans les études d’iconographie apocalyptique, la représentation évoluant assez peu
au cours du Moyen Âge et n’apparaissant que comme un épisode parmi les autres. De plus, le
caractère très narratif par la multiplication des épisodes successifs, en fait un thème peu
adapté au support mural ou aux panneaux215 : les représentations de l’Apocalypse se
retrouvent principalement dans les manuscrits et restent rares dans l’iconographie des
peintures murales et des retables italiens, ce qui n’est pas le cas du Jugement dernier.

La représentation des Jugements derniers est quasiment incontournable dans les programmes
iconographiques peints des églises et chapelles de la fin du Moyen Âge en Italie. Son analyse
iconographique a fait l’objet de nombreuses études216, dont Jérôme Baschet217 et Yves

207
GRANT, 2011, pp. 135-143.
208
HANS-COLLAS, 2011, pp. 145-162.
209
NEVEUX et HERVIEU, 2011, pp. 183-197.
210
Apocalypse 12, 9.
211
VAN DER MEER, 1978.
212
GRUBB, 1997.
213
RIVIÈRE-CIAVALDINI, 2007.
214
CHRISTE, 1996.
215
Voir à propos du rapport entre décors monumentaux et cycles narratifs apocalyptiques, CHRISTE Yves, 1996,
op. cit ..
216
BOUILLET, 1894 ; COCAGNAC, 1955 ; KLEIN, 1992 ; MÜLLER-EBELING, RÄTSCH et
ZLATOHLAVEK, 2001.
217
BASCHET, 1983, pp. 15- 36 ; 1985, pp. 185-207 ; 1990, pp.551-563 ; 1991 (3) ; 1993 ; 1995, pp. 159-203 ;
56
Christe218 sont les principaux spécialistes. Marcello Angheben consacre ses recherches
récentes (publiées en 2007 et 2013) aux images des jugements et de l’au-delà219. Il est, bien
évidemment, question des images de saint Michel dans ces ouvrages. Certaines analyses
s’arrêtent un moment sur l’archange ou plus généralement sur la psychostasie, sur la façon
dont cette scène est représentée, la place qu’elle prend, le rapport que les acteurs (Michel et
les démons) entretiennent avec les élus ou avec les damnés. Pourtant, si Michel est cité et
décrit comme un personnage indispensable des compositions occidentales, les descriptions de
la psychostasie deviennent rarement la clé de voute de l’analyse, qui se concentre alors plus
volontiers sur la figure du Christ, sur la représentation du collège apostolique, des élus ou de
l’enfer.
Même au sein des articles traitant d’une distinction du jugement dernier et du jugement
personnel, Jérôme Baschet donne une place déterminante aux représentations de la balance et
de la psychostasie en général, tout en évoquant seulement Michel comme le porteur de
l’instrument de pesée sans que sa figure soit, elle, signifiante dans la scène en général220.

Ainsi si la figure de l’archange est centrale au sein des représentations de Jugement dernier -
en tant qu’acteur incontournable et dans la place qu’il occupe dans les compositions - la place
accordée à la figure même de Michel, ses attitudes, ses attributs, prouvent le développement
d’un intérêt limité pour l’iconographie de l’archange.

I.2.2.3. L’iconographie de Michel à la fin du Moyen Âge en Italie : un sujet peu étudié

Nous avons pu observer que les premières recherches françaises ont centré leur intérêt
sur l’étude du culte de l’archange, de son sanctuaire et des pèlerinages qui lui étaient rendu.
L’objectif du département « Centro di studi micaelici e garganici », dès sa fondation en 1995,
était clairement l’étude historique, archéologique, épigraphique, littéraire, hagiographique et
artistique « soprattutto di epoca altomedievale »221, ce que confirme l’instauration de la
« Settimana di Studi tardoantichi e romanobarbarici » qui concentre son intérêt sur une
période allant du IVe au VIIIe siècle. Les rencontres franco-italiennes des années 2000 sont
l’occasion d’élargir le champ d’investigation au niveau temporel, géographique et
disciplinaire. Si une place grandissante est faite aux études sur les images de saint Michel,
l’intérêt pour la figure de l’archange reste limité pour la période de la fin du Moyen Âge et
nous impose une étude large : étudier dans les peintures l’ensemble des types iconographiques

2008 (2), pp. 103-123.


218
CHRISTE, 1973 ; 1999 ; De l’art comme mystagogie, iconographie du jugement dernier et des fins dernières
à l’époque gothique, sous la direction d’Yves CHRISTE, Actes du Colloque de la fondation Hardt tenu à Genève
du 13 au 16 février 1994, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 1996.
219
ANGHEBEN et PACE, 2007.
220
BASCHET, 1995, pp. 159-203 ; 2008 (2), pp. 103-123.
221
Extrait de la description du site de la ville de Monte Sant’Angelo :
http://www.montesantangelo.it/la_citta.php?Rif=157
57
de saint Michel, dans tous les types de bâtiment, sur tout le territoire italien, pour l’ensemble
des trois derniers siècles du Moyen Âge.

I.3- Saint Michel au cœur d’études plus larges

D’autres recherches entreprises dans la seconde moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours
- même si elles ne concernent pas directement la figure de l’archange ou les sanctuaires qui
lui sont dédiés - sont au cœur de nos réflexions puisqu’elles portent sur des thèmes qui nous
permettent de mieux comprendre la dévotion à Michel, les pratiques qui y sont attachées et les
systèmes de représentations auxquels participe l’archange de la psychostasie. Ainsi la nature
et la polyvalence de la figure michaélique nous conduit à l’angélologie, à l’étude des
pèlerinages, à celles des manifestations religieuses et cultuelles qui y sont attachées et à celles
portant sur la spiritualité médiévale et les représentations liées à la mort ou à l’au-delà. Ces
différents champs d’étude nous ont permis d’appréhender au mieux les images de saint
Michel dans leur contexte.

I.3.1. Autour de l’angélologie et des pratiques dévotionnelles

I.3.1.1. Une redécouverte de l’angélologie

La dynamique autour de l’archange n’est sans doute pas étrangère au regain d’intérêt
pour la figure de l’ange en général. En 1981, un colloque sur « L’ange », organisé par le
centre européen d’art sacré de Pont-à-Mousson, marque le début de l’intérêt pour les figures
angéliques222. A travers les différentes contributions de cette rencontre, ce sont aussi bien les
origines des anges, que leur nature, leurs fonctions et leurs iconographies à travers les
différentes périodes du Moyen Âge et de la Renaissance, qui sont traitées. Les auteurs
semblent déjà attribuer une place particulière à Michel.
Dans les années 1980-2000, l’historien des religions Philippe Faure fait de l’étude des anges
une spécialité et y consacre plusieurs articles223, ouvrages224 et conférences225. Il codirige

222
L’ange, colloque du centre européen d’art sacré, Pont-à-Mousson, 1981.
223
FAURE, 1988, pp. 31-49 ; 1997 (1), pp.199-211 ; 1997 (2), pp. 213-216 ; 2003, pp. 161-178 ; 2011, pp. 79-
92.
224
Les Anges, Paris, Éditions du Cerf, 1988 ; Yves CATTIN, 1999 ; Les Anges dans le christianisme médiéval,
Paris, Aubier, 2003.
225
Cycle de conférences « Les anges dans l’art sacré à Rome », à La Trinité des Monts, Rome, 30 septembre-1er
octobre 2003 ; « Apparitions des anges, apparition de Dieu » (« La visibilité des anges », « Les théophanies
angélomorphiques », « le tétramorphe et les visions des prophètes »), cycle de conférences « Visages
de Dieu dans l’art à Rome », à La Trinité des Monts, Rome, 25-27 février 2004 ; « Les anges et leur image au
Moyen Age », conférence à l’abbaye de Pontigny, 15 mai 2005.
58
également l’ouvrage collectif récent De Socrate à Tintin, Anges gardiens et démons familiers
de l’Antiquité à nos jours226. Dans ses écrits, nous pouvons noter la place des images dans
l’étude du culte des anges ou de saint Michel et l’importance de l’iconographie en général
comme média de la connaissance religieuse.
Marco Bussagli dédie également une partie de ses recherches à ces êtres ailés. Il s’intéresse
particulièrement aux formes de continuités, cultuelles et iconographiques, entre les anges et
leurs multiples ancêtres païens227, et codirige en 2000 un ouvrage collectif avec Mario
D’Onofrio, Le ali di Dio, Messaggeri e guerrieri alati tra Oriente e Occidente, qui montre
bien la vivacité de ce thème de recherche au cours de ces dernières années228.
Les monographies sur les anges sont variées dans les années 1990-2000229 mais possèdent
toutes un aspect commun : la diversité des sources, écrites, archéologiques ou
iconographiques, et des résultats qui concernent aussi bien les origines de la dévotion portée
aux anges, que la formation de leur culte ou le développement de leurs images. Tous ces
éléments sont en effet liés et difficilement dissociables pour la compréhension de
l’angélologie. De plus, l’archange Michel y est couramment cité comme une figure centrale et
à part dans l’étude des anges.

I.3.1.2. Études sur les sanctuaires italiens

Notons également l’existence d’une nouvelle collection d’ouvrages s’intéressant


particulièrement à la dimension spatiale du phénomène religieux, dans la ligné de l’intérêt
pour les loca sanctorum débuté dès les années 1980. Cette collana a été lancée par André
Vauchez, au sein de l’École Française de Rome, grâce à la création d’un groupe de travail
international intitulé « Censimento dei Santuari Cristiani d’Italia dall’antichità ai nostri
giorni »230. Le fruit de ce travail est en cours de publication chez De Luca Editori d’Arte 231, et
pourrait ainsi constituer par la suite un moyen de compléter notre corpus et surtout d’affiner
l’analyse spatiale de l’iconographie michaélique, seulement évoquée dans ce manuscrit.

226
Sous la direction de Jean-Patrice BOUDET, Philippe FAURE et Christian RENOUX, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2011.
227
Notamment dans BUSSAGLI, 1991.
228
BUSSAGLI et D’ONOFRIO, 2000.
229
DELUMEAU, 1989 ; CASSAGNES BROUQUET, 1993 ; DANIELOU, 1995 ; FOMBONNE et
D’ASSIGNIES, 1996 ; BRUDERER EICHBERG, 1998.
230
Voir à ce propos la page internet qui explique cette démarche :
http://www.santuaricristiani.iccd.beniculturali.it/
231
Les volumes suivants sont déjà publiés : Lazio, 2010 ; Puglia, 2012 ; Roma, 2012 ; Trentino-Alto Adige /
Südtirol, 2012 ; Romagna, 2013 ; Umbria, 2013.
59
I.3.1.3. Études sur les pèlerinages

L’intérêt pour l’étude des sanctuaires michaéliques est lié à un intérêt pour les
pèlerinages en général. Ainsi dans les différents volumes franco-italiens déjà évoqués plus
haut, les articles sur le pèlerinage sont nombreux et variés et trois volumes sont précisément
centrés sur ce thème : le premier est le tome III de la série du Millénaire monastique du Mont
Saint-Michel sur le Culte de saint Michel et pèlerinages au Mont232 ; le deuxième est
l’ouvrage réunissant les actes de la rencontre sur Culte et pèlerinages à saint Michel en
Occident, les trois monts dédiés à l’archange, sous la direction de Pierre Bouet, Giorgio
Otranto et André Vauchez233 et le troisième est l’un des volumes de la Bibliotheca
Michaelica, Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident médiéval234. Le
pèlerinage à saint Michel peut également être l’objet d’articles dans des ouvrages qui traitent
plus généralement de ce thème, tel celui d’Armando Petrucci sur les « Aspetti del culto e del
pellegrinaggio di S. Michele archangelo sul Monte Gargano »235, ou être l’objet d’études
isolées dans des revues de sciences humaines, comme dans les articles autour du texte du
moine Bernardo qui, en voyage vers la Terre Sainte peu après le milieu du IXe siècle, fait un
arrêt au Mont Gargan pour visiter le sanctuaire236. Nous avons en outre déjà évoqué la
création de l’Association des Chemins du Mont-Saint-Michel dont le but n’était pas de créer
une entité autour du sanctuaire lui-même, mais, comme son nom l’indique, autour des
chemins qui y mènent. Vincent Juhel en est un des acteurs principaux et publie plusieurs
monographies sur le sujet237.
Il y a donc un va et vient constant entre études michaéliques et études des pèlerinages : les
investigations autour de saint Michel engendrent des recherches sur les pèlerinages, et celles
sur le pèlerinage peuvent engendrer des découvertes nouvelles autour de l’archange. Les titres
des ouvrages collectifs autour de la figure de l’archange sont d’ailleurs révélateurs de cette
association d’intérêt entre Michel et le pèlerinage.
Les sujets traités sont vastes et concernent aussi bien les formes de dévotion et la
liturgie autour de la pratique des pèlerinages238, les interrogations autour des tracés des routes

232
Sous la direction de Marcel BAUDOT, Bibliothèque d’histoire et d’Archéologie chrétiennes, P. Lethielleux
Éditeur, Paris, 1971.
233
Actes du colloque organisé par l’École française de Rome, l’Office universitaire d’études normandes de
l’Université de Caen Basse-Normandie et le Centro di studi Micaelici e Garganici de l’Université de Bari,
Cerisy-la-Salle et Mont-Saint-Michel, 27-30 septembre 2000, publié dans la Collection de l’École française de
Rome 316, 2003.
234
Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident médiéval, sous la direction de Giampietro
CASIRAGHI et Giuseppe SERGI, Bari, Edipuglia, 2009.
235
PETRUCCI, 1963, pp.145-180.
236
Itinerarium Bernardi monachi franchi. L’extrait concernant cette visite (Itinerarium 2, p.569) est retranscrit
par exemple par AULISA Immacolata dans le catalogue d’exposition L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino,
Monte Sant’Angelo e il santuario di San Michele del Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione dalle origini
ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, p. 49. Pour l’étude de ce
texte, voir AVRIL et GABORIT, 1967 ; CABIÉ, 2000, pp.65-72.
237
JUHEL, 2002 ; 2003 ; 2005.
238
Dans l’ouvrage Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident, les trois monts dédiés à l’archange, Rome,
60
de pèlerinages et les récits qui y sont liés239, les aspects politiques et sociaux qui entourent ces
événements240, les liens avec le culte de saint Michel241 ou les manifestations artistiques qui
en résultent242.

I.3.1.4. Études sur les objets dévotionnels liés au culte de saint Michel

Puisque le pèlerinage a une place importante dans le culte de saint Michel, plusieurs
objets liés à ces pratiques ont été conservés ou retrouvés et constituent des éléments qui, s’ils
ne font pas directement partie de notre étude, peuvent constituer des éléments intéressants
pour l’analyse de l’iconographie michaélique : il s’agit principalement des enseignes de
plomb et des statuettes-souvenirs. En effet, ces objets peuvent servir de vecteur dans la
transmission de formes ou de modèles iconographiques d’un sanctuaire michaélique à un
autre lieu. Colette Lamy-Lassalle proposait déjà en 1971 un article sur « Les enseignes de
pèlerinage du Mont-Saint-Michel », dans le tome III du Millénaire monastique du Mont Saint-
Michel243. Daniel Bruna prolonge cette étude lors du colloque de Bari – Monte Sant’Angelo
de 2006 avec une intervention sur les « Enseignes de plomb et autres souvenirs de saint
Michel »244 où, en plus de fournir une bibliographie sommaire sur les enseignes de pèlerinage,
explique l’évolution des modes de consommation des souvenirs de pèlerinage sur le Mont

Collection de l’École Française de Rome, n° 316, 2003, nous pouvons citer les articles de Michele D’ARIENZO,
« Il pellegrinaggio al Gargano tra XI e XVI secolo », pp. 219-244 ; Julia DOMINIQUE, « Le pèlerinage au
Mont-Saint-Michel du XVe au XVIIIe siècle », pp. 271-320.Dans l’ouvrage Pèlerinages et sanctuaires de Saint-
Michel dans l’Occident médiéval, sous la direction de Giampietro CASIRAGHI et Giuseppe SERGI, Bari,
Edipuglia, 2009, nous pouvons citer les articles de Pierre BOUET, « les formes de dévotion des pèlerins qui se
rendent au Mont-Saint-Michel », pp. 67-84 ; Véronique GAZEAU, « Recherches sur la liturgie du pèlerinage
médiéval au Mont-Saint-Michel », pp. 85-99 et Anna-Maria TRIPPUTI, « Aspetti devozionali e votivi del
pellegrinaggio micaelico al Gargano », pp. 101-123.
239
Dans l’ouvrage Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident médiéval, sous la direction de
Giampietro CASIRAGHI et Giuseppe SERGI, Bari, Edipuglia, 2009, nous pouvons citer les articles de Giorgio
OTRANTO, « Il pellegrinaggio micaelico narrato », pp. 127-148 ; Vincent JUHEL, « Les chemins de Saint-
Michel au Moyen Âge en France », pp. 381-402 ; Jean-Marie MARTIN, « L’axe Mont-Saint-Michel/Mont
Gargan a-t-il existé au Moyen Âge ? », pp. 403-420 et Gioia BERTELLI, « Percorsi di età medievale per la
grotta di S. Michele Arcangelo sul Gargano. L’itinerario Ergitium-Monte Sant’Angelo e alcuni tracciati
meridionali », pp. 421-437.
240
CASIRAGHI, 2003, pp. 321-340. Dans l’ouvrage Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident
médiéval, sous la direction de Giampietro CASIRAGHI et Giuseppe SERGI, Bari, Edipuglia, 2009, nous
pouvons citer les articles de Laura GAFFURI, « Aspetti sociali e politici del pellegrinaggio », pp. 191-206 et
Mario SENSI, « Le indulgenze a S. Michele », pp. 241.268.
241
Dans l’ouvrage Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident médiéval, 2009, nous pouvons
citer l’article de Gisella CANTINO WATAGHIN et Eleonora DESTEFANIS, « Culto di S. Michele e vie di
pellegrinaggio nell’Italia nordoccidentale in età medievale : fonti sccritte e strutture materiali », pp. 343-380.
242
TOSCO, 2003, pp. 541-564. Dans l’ouvrage Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident
médiéval, 2009, nous pouvons citer les articles de Pina BELLI D’ELIA, pp. 441-475 et Saverio LOMARTIRE,
pp. 545-572.
243
Tome III, 1971, pp. 271-286.
244
Dans Culte et sanctuaires de saint Michel dans l’Europe médiévale, 2007, pp. 367-384.
61
normand à la lumière de l’évolution des modes de pèlerinage eux-mêmes. Nous retrouvons ce
chercheur lors du dernier colloque michaélique qui a eut lieu en 2008 à Cerisy-la-Salle, qui
écrit, en collaboration avec l’archéologue Françoise Labaune-Jean245, sur les « Images de
l’archange saint Michel dans les moules à enseignes de pèlerinage récemment découverts au
Mont-Saint-Michel »246. Outre l’apport de connaissances sur la pratique de mise en œuvre des
moules, les deux auteurs reviennent sur quelques caractéristiques de l’iconographie de ces
souvenirs : succès de l’archange terrassant le dragon et/ou pesant les âmes, rareté de la
représentation du mont et de son sanctuaire, absence de la représentation des reliques de saint
Michel à l'exception de l’épée.
Le Mont Gargan semble avoir plutôt privilégié les statuettes-souvenirs, réalisées en pierre
locale par les sammecalère247, aux insignes en plomb. Les statuettes conservées offrent
parfois une iconographie originale248. Malheureusement, les exemplaires conservés sont pour
la plupart réalisés à la période moderne. On sait pourtant que cette pratique existait déjà au
Moyen Âge249.
Les ex-voto font également partie des témoignages de dévotion et, quand ils prennent la
forme de peintures, peuvent être intégrés directement dans notre corpus. Ils sont à la fois
indices du succès d’un lieu de pèlerinage et illustrations du rapport direct qu’entretient
l’homme, commanditaire de l’objet, avec le divin à qui il est adressé. Le catalogue
d’exposition L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino250, met à l’honneur ces productions. Anna-
Maria Tripputi, qui a participé à l’élaboration de ce catalogue, a également produit d’autres
articles et ouvrages sur ce thème251. Nombreux de ces objets ont été perdus ou détruits, mais
au Quattrocento, Anna-Maria Tripputi observe une renaissance de la tradition des ex-voto
peints parfois par les plus grands artistes, ou par des peintres qui se sont spécialisés dans cette
production252. Là encore, c’est l’iconographie bi-typologique du combat du dragon et de
l’archange à la balance qui est privilégiée. Même s’il traite principalement des productions de
la période contemporaine, l’ouvrage de Giovanni-Batista Bronzini est intéressant à bien des
égards pour comprendre les fonctions, les utilisations et l’iconographie des ex-voto253. Il

245
Françoise LABAUNE-JEAN avait déjà publié plusieurs articles sur des moules trouvés lors de fouilles
archéologiques du Mont-Saint-Michel : « un atelier de fabrication d’enseignes de pèlerinage au Mont-Saint-
Michel, Cour des écoles, rapport d’activité INRAP 2005 », Paris, 2006, pp. 78-79 ; LABAUNE-JEAN Françoise
et MENTELE Serge, « Une production d’enseignes de pèlerins au Mont-Saint-Michel », dans
http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/Ressources-multimedias/Dossiers-multimedias/Une-production-d-
enseignes-de-pelerins-au-Mont-Saint-Michel/p-1142-Une-production-d-enseignes-de-pelerins-au-Mont-Saint-
Michel.htm
246
Dans Représentations du Mont et de l’archange saint Michel, 2011, op. cit ., pp. 183-197.
247
TRIPPUTI, 2011, p. 269.
248
TRIPPUTI, 2011, p. 270.
249
Voir à ce propos le chapitre d’Anna-Maria TRIPPUTI, « Gli statuari dell’Arcangelo », dans L’Angelo, la
Montagna, il Pellegrino, Sous la direction de Pina BELLI D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, pp.
274-293.
250
Sous la direction de Pina BELLI D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999.
251
MAVELLI et TRIPPUTI, 2001 ; TRIPPUTI, 2011, pp. 265-276.
252
TRIPPUTI, 1999, p. 255.
253
BRONZINI, 1993.
62
évoque en particulier la nécessité des normes d’un langage « populaire » dans les peintures
d’ex-voto, indispensables à la transmission d’un message, ce qui était également vrai pour le
Moyen Âge254.

I.3.1.5. Études sur les lieux de culte et les peintures rupestres

Il est souvent question de saint Michel lorsqu’il s’agit des lieux de culte et des
peintures rupestres. En effet, à la suite du Mont Gargan, l’implantation d’autels dédiés à
l’archange est courante dans les cavités rocheuses. Comme le prouve la bibliographie, cette
utilisation religieuse des grottes se développe principalement dans le sud de l’Italie 255. Nous
ne reviendrons pas en détail sur l’ensemble des ouvrages traitant de ce sujet et renvoyons à ce
propos à la bibliographie proposée par Pina Belli D’Elia dans les notes d’un article récent
(2011)256.
Les peintures de ces cavernes naturelles font l’objet de plusieurs articles, tels celui de Marco
Rossi et Alessandro Rovetta257, mais c’est surtout Simone Piazza qui marque la recherche sur
ce thème. Après plusieurs articles258, il a proposé récemment une monographie sur la Pittura
rupestre medievale259 publiée par l’École française de Rome où il évoque la typologie des
représentations de saint Michel ainsi que la place du pèlerinage dans la diffusion de modèles
iconographiques. Simone Piazza analyse, du reste, le culte de l’archange comme l’un des
facteurs principaux au développement de la peinture rupestre en Italie260. Pina Belli d’Elia,
grande spécialiste de l’iconographie michaélique, s’est, elle aussi intéressée à ce phénomène
lors de la dernière rencontre franco-italienne et propose une intervention sur l’« iconografia
micaelica in ambito rupestre meridionale »261.

I.3.1.6. Études sur les inscriptions murales dans les sanctuaires michaéliques

Le culte rendu à saint Michel est également étudié à la lumière des inscriptions encore
présentes aujourd’hui sur le Mont Gargan et qui constituent un patrimoine original et
exceptionnel. Plusieurs chercheurs italiens se sont penchés sur cette question : Michele
D’Arienzo262, Antonio Enrico Felle263 et Carlo Carletti264. Ce dernier a consacré plusieurs

254
BRONZINI, 1993, p. 39.
255
CAFFARO, 1986 ; DELL’AQUILA et MESSINA, 1998 ; LIONETTI, MOTTA, PADULA, 1995 ;
MESSINA, 2001.
256
BELLI D’ELIA, 2011, pp. 213-236.
257
ROSSI et ROVETTA, 1995, p.21-56.
258
PIAZZA, 2005, p.181.
259
PIAZZA, 2007.
260
PIAZZA, 2007, pp. 192-201.
261
BELLI D’ELIA, 2011, pp. 213-236.
262
D’ARIENZO, 1994, pp.191-195.
263
FELLE, 1999, pp. 30-41.
63
articles et monographies à ce sujet : à travers ces traces laissées par les pèlerins sur les murs
du sanctuaire, Carlo Carletti dégage des éléments sur l’histoire et la fréquentation de cette aire
sacrée et sur la nature du pèlerinage à saint Michel.

I.3.2. L’archange du jugement : débats autour de la spiritualité, de l’eschatologie, de


l’au-delà et de la mort à la fin du Moyen Âge

Un sujet qui cherche à comprendre les créations d’une société passée, conduit
inévitablement à se poser des questions sur la façon de penser des hommes qui ont produit ces
images, les façons dont ils percevaient le monde, se le représentaient, sur leur imaginaire. Les
ouvrages présentés dans les paragraphes suivants ont nourri en partie le troisième, et surtout le
quatrième chapitre de notre travail. Nous renvoyons à l’impressionnant travail d’orientation
bibliographique d’Hervé Martin, dans ses deux ouvrages sur les Mentalités médiévales, XIe –
XVe siècle265 et aux mélanges rassemblés en son honneur, publiés en 2003266.
Pour notre sujet – les images de saint Michel, archange du Jugement, guidant les âmes après
la mort et combattant de l’Apocalypse – la question des représentations reste centrée sur la
spiritualité, la perception de la mort, de la fin des temps et de l’au-delà. Jacques Chiffoleau
rappelle d’ailleurs la centralité du thème de l’au-delà dans toute étude sur le Moyen Âge,
même par exemple pour une étude d’économie médiévale, car selon lui les échanges « passent
presque tous par cet étrange pays : l’au-delà. »267.

I.3.2.1. Étude sur la sainteté et l’évolution de la spiritualité

Afin d’appréhender au mieux les images religieuses qui constituent notre corpus, nous
nous sommes intéressés aux ouvrages traitant de la spiritualité au Moyen Âge et notamment
ceux concernant la sainteté. Même s’il ne s’agit pas d’un saint à proprement parler, le statut
particulier accordé à l’archange dans les images, que l’on nomme d’ailleurs « saint » Michel,
le rapproche du statut d’un homme sanctifié. Nous avons particulièrement utilisé les
recherches entreprises par ou sous la direction d’André Vauchez, spécialiste de la sainteté à
l’époque médiévale268. Dans ses ouvrages, l’auteur accorde une place prépondérante aux
comportements de masse et notamment à la vox populi en Italie dans la formation d’une
réputation de sainteté et donc dans la définition des formes de cet état de perfection par le
peuple. Il insiste sur les relations complexes et ambigües qui existaient entre les clercs et les

264
CARLETTI, 1994 (2), pp.173-184 ; CARLETTI, 2003, pp. 91-103.
265
MARTIN, 2004 ; 2001.
266
Religion et mentalités au Moyen Âge, Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, sous la direction de Sophie
CASSAGNES-BROUQUET, Amaury CHAUOU, Daniel PICHOT et Lionel ROUSSELOT, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2003.
267
CHIFFOLEAU, 1984, p. 250.
268
VAUCHEZ, 1986 ; 1988 ; 1999.
64
laïcs, acteurs de l’évolution de la spiritualité, diminuant ainsi le fossé entre « religion vécue »
et « religion prescrite », mais en insistant toujours sur la surveillance des seconds par les
premiers qui restent un danger constant pour l’orthodoxie269. Les procès de canonisation, qu’il
utilise essentiellement dans sa thèse de doctorat270, sont des documents parfaitement adaptés à
cette démarche puisqu’ils constituent des témoignages d’une grande diversité lui permettant
de percevoir les mentalités collectives liées à la sainteté, forme de perfection de l’être. Selon
leur contexte de création, les peintures médiévales se situent également à la croisée de la
« religion vécue » et de la « religion prescrite » et mêlent différents discours qu’il nous
appartiendra de démêler.
André Vauchez s’arrête également sur la question de l’humanité de Dieu et sur ce qu’il
appelle le christianisme évangélique de la fin du Moyen Âge271, qui modifia les formes de
représentation du Christ et des saints. Cette humanisation du divin aux derniers siècles du
Moyen Âge et son implication dans les formes de représentation artistiques sont abordées à
plusieurs reprises par Daniel Russo272. Selon l’historien de l’art, dans l’iconographie
médiévale et jusqu’à la fin du XIIe siècle, le système christique repose sur la vision populaire
qui accentue l’aspect divin du Christ273. Puis, son humanité est réaffirmée par le biais de la
notion de Rédemption à la fin du Moyen Âge, qui se traduit par une figuration plus intime,
mais d’accent savant274. L’étude de l’archange se nourrit de ces recherches car Michel, « qui
est comme Dieu », qui n’est pourtant ni dieu ni homme, est figuré aussi bien par des éléments
iconographiques divins que par des éléments humains.
L’ouvrage collectif italien sur la Storia della santità nel cristianesimo occidentale, fait le
point en 2005 sur les origines, le développement et les évolutions du culte des saints du Haut-
Moyen Âge à nos jours275. Les différents auteurs insistent sur le rôle social, politique et
culturel du culte des saints. Sofia Boesch Gajano note la matérialité des manifestations du
culte des saints qui fait des images des reliques de substitution par leurs fonctions cultuelles,
apotropaïques et sont même parfois à l’origine, tout comme les restes d’ossements saints, de
la construction d’un lieu saint (notamment pour la Vierge qui ne possède pas de reliques)276.

I.3.2.2. La mort, manière d’appréhender les sociétés passées et présentes

Les ouvrages sur l’eschatologie et la vie après la mort traitent nécessairement, un peu
ou beaucoup selon les auteurs, de la question de la mort puisqu’elle est la voie d’accès à cet

269
VAUCHEZ, 1987 ; 1994.
270
VAUCHEZ, 1988.
271
VAUCHEZ, 1994.
272
RUSSO Daniel, 1984, pp. 647-717 ; 1998, pp. 247-279.
273
RUSSO, 1998, p. 254.
274
RUSSO, 1998, p. 266.
275
Storia della santità nel cristianesimo occidentale, Anna Benvenuti, Sofia Boesch Gajano, Simon Ditchfield et
autres, Rome, Viella, 2005.
276
BOESCH GAJANO, 2005, pp. 91-156.
65
au-delà. Les historiens de l’au-delà sont également dans une certaine mesure des historiens de
la mort et inversement. Selon eux, les différents phénomènes liés à la mort dissimulent des
données pour mieux comprendre les sociétés passées et présentes. Les images de saint Michel
font partie de cet univers eschatologique et de l’ensemble des représentations liées à la fin de
la vie et peuvent donc, dans une certaine mesure, nous donner des éléments de compréhension
sur l’imaginaire des hommes de la fin du Moyen Âge et s’inscrire ainsi dans une histoire des
représentations.
Philippe Ariès considère le premier les études sur la mort comme une façon de mieux
comprendre les sociétés passées et présentes et réalise dès le milieu du siècle dernier plusieurs
articles et ouvrages sur ce thème à travers les siècles277. Alberto Tenenti s’intéresse également
à ce thème dès les années 1950 en centrant ses recherches sur l’art de la Renaissance, période
marquée par une certaine frénésie du macabre : en 1952, il rédige La vie et la mort à travers
l’art du XVe siècle278 et en 1957 Sens de la Mort et amour de la Vie à la Renaissance279. Ces
pionniers de la thanatologie seront bientôt suivis par plusieurs historiens qui feront de la mort
le « front de l’histoire des mentalités »280 dans les années 1970. Parmi eux, Michel Vovelle est
un spécialiste de la mort à l’époque moderne281, mais il travaille également sur le temps long
puisqu’il rédige La Mort et l'Occident de 1300 à nos jours 282. Pierre Chaunu, en plus
d’enquêter sur La mort à Paris283, propose une histoire de la mort à travers les temps avec un
intérêt particulier pour les transformations liées aux évolutions de l’eschatologie aux derniers
siècles du Moyen Âge qui modifient considérablement la façon d’appréhender la mort.
Danièle Alexandre-Bidon codirige l’ouvrage A réveiller les morts. La mort au quotidien dans
l’Occident médiéval284 autour de l’exposition du même nom qui montre la variété des sources
et la collaboration entre « historiens des textes, des os et des images »285 autour de ce thème.
Elle réalise également une monographie sur La mort au Moyen Âge, XIIIe-XVIe siècle286. À
travers le chapitre IV de son ouvrage sur la culture populaire au Moyen Âge, s’intitulant « La
Divine Comédie avant Dante »287, Aaron J. Gourevitch étudie les représentations de la mort et
de l’au-delà comme autant d’indications sur la perception du monde propre à une culture. Il
conseille cependant de ne pas séparer ces thèmes des autres composantes de la vision du
monde de l’homme médiéval car la perception de la mort permet d’aborder aussi bien les
notions de temps, d’espace, de l’âme, de la conscience de soi, de la conception de l’Histoire.

277
ARIÈS, 1949, pp. 463-470 ; 1975 ; 1977.
278
TENENTI, 1952.
279
TENENTI, 1957.
280
Terme employé dans un article de Michel VOVELLE, « Les attitudes devant la mort, front actuel de l’histoire
des mentalités », 1975, pp. 17-29.
281
VOVELLE, 1970 ; 1974.
282
Paris, Gallimard, 1983.
283
CHAUNU, 1978.
284
Sous la direction de ALEXANDRE-BIDON et TREFFORT, 1993.
285
À Réveiller les morts. La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, sous la direction de Danielle
ALEXANDRE-BIDON et Cécile TREFFORT, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p. 13.
286
Paris, Hachette, 1998.
287
GOUREVITCH, 1996, pp. 193-266.
66
À travers son article « Histoire de la mort et histoire culturelle », Roger Chartier résume ces
interrogations et apporte une vision critique sur la façon de faire cette histoire de la mort dans
les années 1980288.
Ces historiens insistent en général sur le triomphe de la mort chrétienne à la fin du Moyen
Âge. Michel Vovelle, au travers des témoignages livrés par les testaments, distingue la « mort
subie » (d’ordre souvent quantitative, du démographe, des registres paroissiaux), de la mort
« vécue » (ensemble des pratiques autour de la mort), du « discours » sur la mort (celui de
l’Église et de l’expression littéraire) et relève les décalages entre ces différents niveaux. Ainsi
pour le XVe siècle, il note une importante distorsion entre les discours stables des clercs et la
mutation de la sensibilité des fidèles liée à l’acceptation progressive de la possibilité de
l’existence du Purgatoire289. Les différentes strates d’un même phénomène doit nous amener à
confronter les sources et nuancer nos propos, d’autant plus que, selon nous, les images de la
fin du Moyen Âge se situent à la croisée des discours normés de l’institution ecclésiale et de
la sensibilité des laïcs. D’ailleurs, dans ces études, l’image acquiert parfois une place
privilégiée, comme en témoigne par exemple la publication de Philippe Ariès sur les Images
de l’homme devant la mort290 : pour lui, « la mort est iconophile » et l’image, plus que tout
autre média, « reste le mode d’expression le plus dense et le plus direct devant le mystère du
passage »291 .

I.3.2.3. L’au-delà, la fin des temps et le millénarisme

En ce qui concerne l’attente de la fin des temps, le thème jouit d’un succès
considérable dans les années 1980 et 1990 jusqu’au début des années 2000, période pendant
laquelle sont réalisées plusieurs monographies et rencontres internationales292. L’Italien
Roberto Rusconi travaille dès la fin des années 1970 sur la vision de la fin des temps à travers
les prophéties et les figures de prophètes293. Claude Carozzi, spécialiste de
l’eschatologie ancienne et médiévale, s’intéresse particulièrement au voyage de l’âme dans

288
CHARTIER, 1982, pp. 113-124.
289
VOVELLE, 1975, p. 21.
290
Tours, Seuil, 1983.
291
Extrait de l’introduction d’Images de l'homme devant la mort, Tours, Seuil, 1983.
292
L’attesa dell’età nuova nella spiritualità della fine del Medioevo, Convegni del centro di studi sulla
spiritualità medievale, III, Todi, Accademia Tudertina, 1962 ; The use and abuse of eschatology in the Middle
Ages, sous la direction de Werner VERBEKE, Daniel VERHELST et Andreies WELKENHUYSEN, Louvain,
Leuven University Press, 1988 ; Le Jugement, le ciel et l’enfer dans l’histoire du christianisme, actes de la XIIe
rencontre de Fontevraud, Maulévrier, Presses de l’Université d’Angers, 1988 ; L’attesa della fine dei tempi nel
Medioevo, sous la direction de Ovidio CAPITANI et Jürgen MIETHKE, Annali dell’Istituto italo-germanico,
Quaderno 28, Bologna, Società Editrice il Mulino, 1990 ; Fin des temps et temps de la fin dans l’univers
médiéval, Actes du dix-huitième colloque du C.U.E.R.M.A., Aix en Provence, février 1993, Senefiance n°33,
1993 ; L’attente des temps nouveaux, eschatologie, millénarismes et visions du futur, du Moyen Âge au XX e
siècle, sous la direction d’André VAUCHEZ, Turnhout, Brepols, 2002.
293
RUSCONI, 1979 ; 1999.
67
l’au-delà294, à l’Apocalypse et au salut295. Jean Delumeau a écrit trois volumes sur le
paradis296 de 1992 à 2000, dans lesquels il tente de définir cette notion et d’en étudier les
représentations, les évocations. L’au-delà peut également être étudié sous le prisme du lieu
infernal, et c’est une nouvelle fois sur le temps long que l’étude de Georges Minois se tient
puisqu’elle donne un panorama des conceptions de l’enfer de l’Antiquité à nos jours297. Ce
thème fut surtout abordé par Jérôme Baschet, spécialiste de l’iconographie médiévale, dans sa
thèse de doctorat sur Les justices de l’au-delà, les représentations de l’enfer en France et en
Italie (XIIe-XVe siècle), publiée en 1993298. Entre le paradis et l’enfer, Jacques Le Goff
marque, quand à lui, l’historiographie eschatologique avec ses écrits sur le Purgatoire299.

I.3.2.4. La culpabilisation des fidèles et l’instrumentalisation de la peur de l’au-delà par


l’Église

En tant que bras armé du Christ, saint Michel entretient l’ambigüité d’un personnage à
la fois protecteur et punisseur. La peur de la punition divine est un sentiment que l’on croit
souvent décrypter dans les images tardo-médiévales. À travers les thèmes de la peur et de la
culpabilisation, Jean Delumeau s’interroge sur la vision et le rôle de l’au-delà dans ces
phénomènes à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne. Il publie en 1978 un ouvrage sur
La Peur en Occident300, suivi en 1983 par Le Péché, la Peur, la culpabilisation en Occident
et en 1989 par Rassurer et protéger, le sentiment de sécurité dans l’occident d’autrefois301.
L’auteur décrit et explique le sentiment collectif de la peur à la lumière des bouleversements
politiques, sociaux et religieux de la fin du Moyen Âge et de la période moderne. Il analyse
ensuite le poids de la culpabilisation des fidèles pécheurs par le clergé entre le XIIIe et le
XVIIIe siècle et revient alors sur la vision optimiste d’Alberto Tenenti, en voyant dans les
thématiques macabres une invitation à faire son salut plus qu’un appel à profiter de la vie.
L’auteur nuance toutefois l’instrumentalisation de cette idéologie par l’Église. Il propose
d’analyser dans le troisième volet les remèdes proposés par l’Église pour conjurer ces peurs :
les bénédictions, le culte de la Vierge et des saints, les sacrements et particulièrement les
indulgences ; et conclut en rappelant la fonction principale de toute religion qui est de
rassurer.
Jérôme Baschet, spécialiste de l’iconographie médiévale, évoque également l’utilisation de la
culpabilité des fidèles dans sa thèse de doctorat sur Les justices de l’au-delà, les

294
CAROZZI, 1994.
295
CAROZZI, 1981 ; 1994 ; 1999 ; CAROZZI et TAVIANI-CAROZZI, La fin des temps, terreurs et prophéties
au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1999.
296
DELUMEAU, 1992 ; 1995 ; 2000.
297
MINOIS, 1991.
298
BASCHET, 1993 ; 1983, pp. 15- 36 ; 1985, pp. 185-207 ; 1990, pp.551-563.
299
LE GOFF, 1981.
300
DELUMEAU, 1978.
301
DELUMEAU, 1989.
68
représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe-XVe siècles)302. A travers l’analyse
comparée de l’iconographie infernale française et nord-italienne, l’auteur fait ressortir les
spécificités de chacun de ces langages figuratifs, qu’il relie aux formes différentes de pouvoir.
Il retrace l’apparition progressive d’une véritable description de la géographie et des
événements de l’au-delà, précisions qui mènent à deux processus contradictoires que sont
l’activation de la culpabilité des fidèles et l’éloignement de cet enfer dépeint, perdant alors de
son mystère. Cette caractérisation des peines de l’enfer semble se nourrir des peines
judiciaires : la justice terrestre inspire les représentations de la justice céleste qui en devient à
son tour l’idéal et qui le légitime.
Dans La comptabilité de l’Au-delà, Jacques Chiffoleau, travaillant essentiellement à partir des
testaments dans la région d’Avignon303, ajoute aux différentes calamités qui marquent la fin
du Moyen Âge, l’urbanisation comme raison principale expliquant les évolutions menant à la
peur de la solitude après le trépas et ainsi à une mise en scène de la « mort de soi » : en
migrant, une bonne partie de la population de la région avignonnaise avait rompu une
solidarité consanguine, alors remplacée par les suffrages, et surtout les messes. Le pouvoir de
l’Église s’en trouve renforcé par le biais du contrôle des rapports entre les morts et les vivants
et se met alors en place une véritable « comptabilité de l’au-delà » dans laquelle nous verrons
que Michel, archange psychostase, a un rôle important à jouer.
En revanche, Hugues Neveux ne pense pas que la crainte de la mort soit liée directement aux
calamités de la fin du Moyen Âge, mais qu’elle découle plutôt de la croyance en l’existence
d’un lieu purgatoire qui rend fort probable le fait d’avoir à endurer des souffrances après le
trépas304.

I.3.2.5. Les débats autour de la naissance et du développement du Purgatoire

La bibliographie autour du Purgatoire est importante pour nous car, en traitant


l’apparition de ce lieu intermédiaire, elle souligne un moment où l’archange se fait plus
présent par son rôle de guide ou de gardien de ce nouveau terrain de communication entre les
morts et les vivants, cette frontière entre deux mondes entre lesquels il peut se déplacer. Dans
La naissance du Purgatoire305, Jacques Le Goff indique que l’existence de croyances en des
peines purgatoires est déjà présente dans les écrits de saint Augustin et saint Grégoire le
Grand, mais ils n’ont, selon lui, pas vraiment influencé l’imaginaire du Haut-Moyen-âge. Il
signale l’importance de la littérature des visions de l’au-delà dans les représentations des
événements de la vie après la mort, même si les notions autour du Purgatoire restent
imprécises. Pour lui, le Purgatoire en tant que lieu apparait réellement avec le terme

302
BASCHET, 1993 ; voir également du même auteur à ce sujet : 1983, pp. 15- 36 ; 1985, pp. 185-207 ; 1990,
pp. 551-563.
303
CHIFFOLEAU, 2011 (1e édition : Rome, Befar, 1980).
304
NEVEUX, 1979, pp. 245-263.
305
LE GOFF, 1981.
69
purgatorium comme substantif au XIIe siècle et connait un succès considérable dès la fin du
siècle, même si l’Église ne le reconnait officiellement que dans la seconde moitié du XIIIe
siècle. Contrairement à Jacques Le Goff, Philippe Ariès voit dans l’idée de repos après la
mort, une perspective qui a toujours existé dans les croyances chrétiennes et qui était
profondément enracinée au moment de la naissance du Purgatoire306. Claude Carozzi parle lui
du purgatoire à partir VIIIe voire même dès le VIe siècle307. Philippe Ariès et Pierre Chaunu
s’opposent à Jacques Le Goff et Aaron J. Gourevitch sur la question de la diffusion du
Purgatoire. Ces derniers voient dans les XII et XIIIe siècles une période cruciale de définition
et de diffusion de ce lieu intermédiaire alors que les premiers, s’appuyant sur un corpus de
testaments et d’images, la situe plus tard et Philippe Ariès évoque son succès seulement à
partir du XVIIe siècle308. Le médiéviste russe s’écarte lui de Jacques Le Goff en donnant,
selon ce dernier, trop d’importance à l’individu dès le Haut Moyen Âge dans l’histoire des
origines du Purgatoire309. Nous reviendrons sur les rapports entre l’évolution de l’imaginaire
lié à l’au-delà et la place de saint Michel dans le culte et les images de la fin du Moyen Âge
dans le quatrième chapitre de notre démonstration.
L’affirmation par les historiens de la naissance et du développement du Purgatoire à la fin de
la période médiévale engendre inévitablement des questionnements autour de la double
eschatologie : celle liée à un jugement personnel survenant directement après la mort et qui
détermine le temps et la nature des supplices de purification, et celle d’un jugement collectif
et définitif à la fin des temps.

I.3.2.6. La question du rapport entre Jugement dernier et jugement de l’âme

Comme l’ont démontré Pierre Chaunu310 et Claude Carozzi, la réflexion autour de


cette double eschatologie mène à une réflexion sur la perception du temps de l’Église. Pour ce
dernier, le lien entre jugement collectif et jugement individuel est la pénitence 311. Nous avons
dit plus haut qu’Aaron J. Gourevitch pense également que l’étude des représentations autour
de la mort et de l’au-delà est indissociable de celle du temps. La question de l’existence d’une
division de l’eschatologie en deux moments, l’un individuel, l’autre collectif, est admise par
tous les historiens de la mort et de la fin des temps, qui admettent tous également le fait que
cela modifie considérablement la perception de la mort, le rapport entre défunts et vivants et
la façon dont l’homme médiéval appréhendait sa propre existence. Le débat se situe plutôt sur

306
A propos de l’avis de Philippe Ariès sur la naissance du Purgatoire, voir ARIES, 1983, pp. 151-157.
307
Voir à ce propos l’appendice IV « travaux récents », de Jacques LE GOFF dans l’édition de 2006 de La
naissance du Purgatoire, Paris, Folio, p.497.
308
Ibidem, pp. 496-498.
309
Voir à ce propos la préface de Jacques LE GOFF à l’article d’Aaron J. GOUREVITCH, « Au Moyen Âge :
conscience individuelle et image de l’au-delà », dans Annales, Histoire, Sciences Sociales, 1982, volume 37, n°2,
pp. 255-275.
310
CHAUNU, 1978.
311
Voir en particulier CAROZZI, 1999, p. 66.
70
les problèmes de chronologie et sur l’évolution de ce phénomène ainsi que son lien avec ce
que certains nomment la « montée de l’individualisme ».
Jérôme Baschet a réalisé une série d’articles sur les relations entre images du Jugement
Dernier et images du Jugement de l’âme au Moyen Âge312. Récemment, Marcello Angheben
reprend ces questions à travers un ouvrage qui retrace l’histoire des rapports figuratifs en
France, à la fin du Moyen Âge, entre images du « jugement immédiat », qui survient
directement après la mort, et le Jugement dernier de la fin des temps313.
Cette question est importante pour nous puisqu’elle détermine le rôle de saint Michel dans
certaines images et les relations qu’il entretient avec les fidèles. Jérôme Baschet se distingue à
ce sujet de Philippe Ariès314 et Michel Vovelle315 qui avaient noté un recul du Jugement
dernier aux derniers siècles du Moyen Âge. Il se rapproche par contre de Jacques Le Goff316
et d’Aaron J. Gourevitch317 qui ne voient pas de contradictions entre les deux jugements.
Jérôme Baschet ne partage pourtant pas l’idée de l’historien russe selon laquelle il existerait
une « grande eschatologie » reliée à une culture savante et qui s’opposerait à une « petite
eschatologie » de la culture populaire318. Dans les peintures qu’il étudie, le spécialiste de
l’iconographie médiévale décèle une coexistence du jugement collectif et individuel et non
une substitution du premier par le second, et voit dans ces créations plutôt qu’une preuve de la
montée de l’individualisme, un signe de la place grandissante du Purgatoire dans le système
ecclésial qui fonde la légitimité même de l’institution en tant que média indispensable entre
les morts et les vivants.

I.3.2.7. Une double eschatologie révélatrice de la montée de l’individualisme ?

Dans un article sur la « conscience individuelle et image de l’au-delà au Moyen


319
Age » , Aaron J. Gourevitch se positionne sur la question de l’apparition de
l’individualisme. Comme nous l’avons précisé plus haut, cet historien n’observe pas de
rupture entre le Haut et le Bas Moyen Âge puisque la présence du jugement individuel dans
l’esprit de l’homme médiéval, reflet de la formation de sa personnalité, est déjà décelable
dans les récits de voyage dans l’au-delà dès les VIIe-VIIIe siècles. Le passage d’une attente
impatiente et enthousiaste par tous les croyants à la peur du châtiment n’est donc pas pour lui
une invention de la fin de la période médiévale, mais est inhérente au Moyen Âge 320,

312
BASCHET, 1995, pp. 159-203 ; 2000, pp. 5-30 ; 2008 (2), pp. 103-123.
313
ANGHEBEN, 2013.
314
ARIÈS, 1977, pp. 109-110.
315
VOVELLE, 1983, pp.62-63.
316
LE GOFF, 1981, pp. 311-316.
317
GOUREVITCH, 1983, pp. 114-115.
318
GOUREVITCH, 1983, pp. 114-115.
319
GOUREVITCH, 1982, pp. 255-275.
320
GOUREVITCH, 1982, p. 273.
71
contrairement aux avis de Philippe Ariès321 et Pierre Chaunu322 qui notent le caractère
essentiellement collectif du jugement des premiers chrétiens jusqu’au XIIe, alors que
l’apparition d’un jugement personnel dévoile pour eux le lent processus de la formation de la
notion d’individu. Philippe Ariès souligne le caractère dramatique et personnel acquis par la
mort à la fin du Moyen Âge, qu’il nomme « la mort de soi »323 en lien avec un individualisme
nouveau qui s’épanouira à l’époque moderne.
Dans son ouvrage sur La naissance de l’individu dans l’Europe médiévale, l’auteur russe
invite à ne pas confondre la notion d’individualité avec celle de personnalité où
la personne est un « individu humain inséré dans des conditions socio-historiques
concrètes »324, indissociable de la culture et de la société dans laquelle elle vit, et il insiste sur
le faible développement de la conscience du moi jusqu’à la fin du Moyen Âge, dont les
manifestations directes étaient condamnées comme péché d’orgueil325.

Les débats autour de la mort, de l’au-delà et de la fin des temps résonnent dans notre
recherche sous la forme de plusieurs questions : quel est le rôle de saint Michel entre le
monde des vivants et des morts ? Est-il plutôt, dans les images, l’archange du jugement
individuel ou celui du Jugement dernier ? L’iconographie de saint Michel participe-t-elle à
une montée de l’individualisme ou prouve-t-elle que cette notion était déjà présente dans
l’iconographie plus ancienne ou au contraire qu’elle est encore en germe ou qu’elle
n’apparaitra qu’aux siècles suivants ?

Comme la majorité des chercheurs s’étant penchés sur les images de l’archange, nous
estimons l’étude des origines et le développement de son culte comme un préalable
indispensable à la compréhension de la complexité sémantique de l’iconographie
michaélique. Dans cette optique, il nous a semblé nécessaire de faire le point sur les origines
bibliques, voire plus anciennes, de l’archange, puis sur l’apparition et le développement de
son culte en Occident, qui feront les objets des parties suivantes.

321
ARIÈS, 1977.
322
CHAUNU, 1978.
323
Voir la première partie des Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Le seuil, 1975.
324
GOUREVITCH, 1997, p. 23.
325
GOUREVITCH, 1997, p. 298.
72
II- ORIGINES, DÉVELOPPEMENT ET NATURE DU CULTE DES ANGES ET
DE SAINT MICHEL AU MOYEN ÂGE

Les anges, assistants d’une divinité plus importante, messagers et protecteurs des
hommes semblent être des figures héritées de religions plus anciennes : anges du
zoroastrisme, divinités assyro-babyloniennes, héros ou génies antiques. Les textes chrétiens
font une large place à ces êtres ailés mentionnés dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Les
textes Apocryphes et les récits des fondations des grands centres michaéliques ont complété et
précisé le rôle de saint Michel.
Nous aborderons dans une première partie les sources antérieures à l’insertion du culte
michaélique en Occident, et qui ont servi plus tard de base aux légendes et aux formes du
culte de l’archange.

Nous n’entendons pas faire une analyse précise des sources scripturaires relatives aux anges et
à saint Michel, puisque ce n’est pas ici l’objet de notre recherche. Nous insisterons
uniquement sur les aspects qui peuvent avoir eu une quelconque importance dans la définition
et la compréhension de l’iconographie de saint Michel.

II.1- Saint Michel et les anges dans la Bible et les Apocryphes

II.1.1. La Bible

II.1.1.1. Les anges avant la Bible

Un grand nombre de religions plus anciennes que le christianisme possèdent des


assistants d’une ou plusieurs divinités principales, dignitaires, messagers et qui ont souvent
des fonctions de psychopompe326. À partir des témoignages épigraphiques, Franz Cumont
note que le culte des anges se développe en même temps au sein du paganisme sémitique et
au sein du judaïsme. Déjà dans le mazdéisme perse, les esprits qui présidaient aux sept
sphères des planètes étaient nommés anges ou archanges : les archanges se sont substitués aux
Amahrashpands qui entourent Ormuzd, le dieu de la lumière 327. Il rapproche également ces
assistants et messagers de divinités principales à Hermès chez les Grecs. Ces créatures

326
Cet avis est généralement partagé par les historiens des religions ayant cherché des antécédents aux anges
chrétiens, et est déjà énoncé au début du XXe siècle par Franz CUMONT, 1915, pp. 157-182. Voir également
D’ALVERNY, 1957, pp.271-300.
327
CUMONT, 1915, p. 163.
73
possèdent tous des fonctions de psychopompe328. Le phénomène est le même en Syrie où une
légion de messagers et d’exécuteurs de ses volontés servent un Dieu supramondain329.
Marco Bussagli étudie les éléments des religions plus anciennes qui ont permis la formation
du concept d’ange. Il précise que les créatures étudiées en tant qu’« ancêtres » des anges, ne
sont pas des anges mais uniquement des figures de « type » angélique330. Il note également un
fort contact avec la religiosité assyro-babylonienne331 et des influences égyptiennes et
mazdéennes332, mais insiste particulièrement sur l’apport assyro-babylonien dans
l’angélologie pour les chérubins et les séraphins333. Selon Sophie Cassagnes-Brouquet
l’émergence de la figure archangélique dans les écrits vétérotestamentaires ne fut possible
qu’à la suite de la déportation babylonienne, véritable tournant dans la pensée hébraïque, et
ainsi grâce à un contact prolongé entre les hébreux et les divinités assyro-babyloniennes334.
Elle note en particulier le contact du peuple hébreu avec les figures de génies assyriens,
représentants des dieux auprès des hommes, représentés avec un corps d’homme et des ailes
d’oiseaux. L’apport oriental fut décisif dans la création et la définition des êtres angéliques
chrétiens335.
Andrea Piras reconnait dans certaines figures divines zoroastriennes les ancêtres des anges
bibliques sur la base commune d’une subordination de ces figures à un Dieu suprême, pour
eux Ahura-Mazda, possédant tous les pouvoirs et sur leur fonction d’intermédiaire, de
messager entre Dieu et les hommes : selon lui, c’est à partir de ces expériences que la figure
de l’ange se fixe comme celle d’un médiateur et d’un messager 336. Les figures archangéliques
de cette ancienne religion iranienne sont également des dirigeants d’armées, particulièrement
le premier d’entre eux, Fils d’Ahura-Mazda, qui doit lutter contre l’esprit mauvais révolté
contre la divinité. Les éléments rapprochant archange du zoroastrisme et archange chrétien
sont assez nombreux pour voir dans le premier une figure inspiratrice dans la définition du
caractère et des fonctions du second.
Bernard Teyssèdre rapproche les génies des Sémites des anges intercesseurs, sortes de
« génies personnels » porteurs de prières auprès de Dieu dont la fonction serait assumée déjà
par Raphaël (Livre de Tobie 12, 12)337. Les génies et les héros antiques peuvent également
être perçus comme des prédécesseurs des anges, aussi bien dans leur fonction de protecteur
que d’accompagnateur de l’homme de la naissance à la mort338. L’iconographie chrétienne
des anges, sur laquelle nous reviendrons plus loin, a pu s’inspirer des figures ailées païennes.

328
CUMONT, 1915, p. 165.
329
CUMONT, 1915, p. 166.
330
BUSSAGLI, 1991, p. 13 et p. 16.
331
Ces contacts ont été possibles pendant la « captivité babylonienne » des hébreux par les Iraniens de 587 à
538, période de grande élévation religieuse, BUSSAGLI, 1991, p. 14.
332
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
333
BUSSAGLI, 1991, p. 16.
334
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 24.
335
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 25.
336
PIRAS, 2000, pp. 13-17.
337
TEYSSEDRE, 1986, pp. 243-244.
338
CORRENTE, 2000, pp. 17-20.
74
Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces figures dans la religion chrétienne et en premier
lieu dans le récit biblique dans lequel les anges sont omniprésents.

II.1.1.2. Michel et les anges de l’Ancien Testament

Du grec ἄγγελος, messager, ils sont appelés angelus en latin, ange en français et
angelo en Italien. Les différents commentaires autour de la présence des anges dans la Bible
se concentrent bien souvent sur leurs fonctions. Le terme même d’ange ne renvoie pas,
comme nous venons de le préciser, à la nature de ces créatures mais bien à leur fonction :
« messager ». Cette fonction est capitale dans la création et l’entretien d’une communication
entre Dieu et les hommes et se manifeste sous la forme de « l’ange de Yahvé », qui n’est autre
que Dieu lui-même, d’« envoyé » terrestre ou encore d’un message intérieur matérialisé par
un songe (évidente et forte inspiration de Dieu)339.

Les anges apparaissent dans l’Ancien Testament dès la Genèse : les chérubins sont
chargés de surveiller le chemin de l’arbre de vie avec la flamme du glaive fulgurant (Genèse
3, 24). Ils participent ensuite régulièrement aux récits des Saintes Écritures remplissant des
fonctions diverses340. Ils sont avant tout des messagers, des intermédiaires entre Dieu et les
hommes. C’est par leur entremise que Dieu révèle la loi mosaïque et cet épisode est
également la première mention de l’apparence des anges « l’ange de Yahvé lui apparut, dans
une flamme de feu » (Exode 3,2). Créature de communication, cette fonction de média est
évoquée dans la vision de l’échelle de Jacob (Genèse 28, 12-15) : les anges montent et
descendent à cette échelle qui matérialise la liaison entre les hommes et leur créateur.
Dès le Pentateuque, ils sont également un bras armé pour Dieu puisqu’ils sont chargés de
chasser Adam et Ève du jardin d’Éden (Genèse 3, 24), ils peuvent être les punisseurs des
hommes341. Les anges constituent parfois le soutien de Dieu envoyé à son peuple dans les
épreuves, or ces épreuves sont souvent des persécutions, des guerres et ce secours est donc
généralement de nature militaire342. De plus, dans ces livres, il est un guide, un conseiller ou
un punisseur, comme nous pouvons le voir par exemple dans l’épisode de Balaam où l’ange
apparait d’abord à l’âne, puis à Balaam, pour délivrer le message divin (Les Nombres 22, 22-
35), il a surtout un rôle de révélation naturelle de Dieu. Les anges ont parfois un rôle capital
dans l’action des épisodes bibliques, comme dans le sacrifice d’Isaac où l’ange par son
intervention empêche le bras d’Abraham de frapper de son couteau son fils (Genèse 22, 11-
18) ou dans la lutte de Jacob avec l’ange (Genèse 33, 25-31). Il peut être un sauveur, comme
339
Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, Paris, Hachette, 1988, p. 110.
340
Pour un résumé des apparitions angéliques des anges dans la Bible, voir CASSAGNES-BROUQUET, 1993,
pp. 9-35 et même dans le reste de l’ouvrage, elle revient sur certains passages bibliques selon la fonction
angélique qu’elle étudie. Voir également FOMBONNE et D’ASSIGNIES, 1996, p. 69 et DANIELOU, 1995.
341
Exode 12, 23. Ézéquiel 9, 4-11.
342
TEYSSÈDRE, 1986, p. 232.
75
pour Daniel dans la fosse aux lions. L’ange est donc un pasteur, chargé de surveiller et de
veiller sur les hommes. L’ange est un guide et un témoin, d’abord principalement dans les
actions terrestres puis, de plus en plus, il devient un intermédiaire incontournable des visions
et des révélations cosmiques (comme dans Daniel par exemple).
Il est également intercesseur, puisque, comme le précise déjà Raphaël dans le Livre de Tobie,
c’est lui qui porte les prières à Dieu.
Enfin, les figures angéliques ont une fonction d’accompagnateur et de laudateur de Dieu
comme précisé dans la vision d’Isaïe où les séraphins se tenaient près du Seigneur (Isaïe 6,2)
et criaient la gloire du Seigneur (Isaïe 6,3). Nous remarquons d’ailleurs que plusieurs
catégories d’anges sont déjà présentes dans l’Ancien Testament. Les chérubins par exemple
apparaissant cinq fois. Les Livres de Tobie et de Daniel sont à ce propos deux sources
essentielles dans l’angélologie hébraïque. Dans le Livre de Daniel, les anges sont
omniprésents, comme dans l’épisode des trois jeunes dans la fournaise où un ange vient
soulager le supplice de l’holocauste (Daniel 3, 49-50) et il est accordé une place particulière
aux archanges que nous étudierons ci-après.
Mais le pouvoir n’appartient pas à l’ange, l’envoyé, qu’il soit simplement porteur d’un
message, d’une aide ou d’une punition divine, pourrait d’ailleurs presque passer pour une
métaphore de la volonté divine343. Le livre de Daniel marque la fin des apparitions des anges
de l’Ancien Testament.

Aucun ange n’est nommé dans les livres bibliques antérieurs à la captivité de
Babylone344. Tous les noms des archanges identifiés ensuite sont théophores, leur nom porte
le suffixe « el », signifiant Dieu en hébreu345. L’Ancien Testament ne nomme que trois
anges : Raphaël, Michel et Gabriel. Raphaël, premier à apparaitre dans la Bible, accompagne
le jeune Tobie dans son voyage. Le Livre de Tobie est bien le signe qu’après la déportation à
Babylone, comme nous l’avons déjà évoqué, les contacts religieux entre les Judéens et un
polythéisme bien structuré - donnant pour chaque fonction un nom divin346 - ont favorisé la
création de la figure des archanges : anges nommés aux fonctions précises. Le Livre de Daniel
nomme les deux autres anges. Gabriel aide Daniel à interpréter sa vision (Daniel 8, 15-26)
puis lui annonce une prophétie (Daniel 9, 20-27). Michel, lui, se présente à Daniel comme un
grand prince parmi les anges (Daniel 12, 1). Nous reviendrons en détail sur la figure de saint
Michel dans le chapitre suivant.
Avec la nomination des anges, la fonction prend de la consistance et le personnage
(l’exécuteur de la fonction) devient une personne qui se détache alors d’une collectivité
anonyme constituée de « myriades de myriades » (Daniel 7, 10)347. Pourtant, dans l’Ancien
Testament, une fonction précise est attribuée à chacun de ces trois anges qui reste la fonction

343
TEYSSÈDRE, 1986, p. 145.
344
Soit avant 587-538. VACANT, 1930, p. 1189.
345
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 25.
346
CAQUOT, 1981, p. 23.
347
TEYSSEDRE, 1986, p. 152.
76
principale de chacun d’entre eux dans le Nouveau Testament : Raphaël est l’ange gardien,
Gabriel est le messager des grandes nouvelles et Michel est l’ange guerrier par excellence.
Les anges nommés dans l’Ancien Testament ne sont pas qualifiés d’« archanges » mais ils
sont aujourd’hui considérés comme tels selon une tradition chrétienne très ancienne. Seul
Michel sera ainsi nommé dans Jude, verset 9, du Nouveau Testament.
Plusieurs autres noms d’archanges apparaissent dans les textes apocryphes, notamment Uriel
comme guide des astres ou comme maître des feux infernaux. Le quatuor Gabriel, Michel,
Raphaël et Uriel s’impose dans la pensée juive. Il faut ajouter à cela trois archanges de rang
inférieur : Ragouël, Remiel et Sariel, qui transforment le quatuor en septuor348. Puis les noms
se multiplient et leur développement est vite freiné par l’Église.

Michel est nommé cinq fois en tout dans la Bible : trois fois dans l’Ancien Testament
et deux fois dans le Nouveau. Comme nous venons de le préciser, les premières mentions
bibliques de Michel349 sont faites dans le Livre de Daniel, daté peu après 175 av JC350, où
l’archange apparait trois fois. Deux passages des visions de Daniel mettent en scène Michel
comme un chef de la milice céleste. Il est « l’un des Premiers Princes » qui affronte les rois de
Perse et prête main-forte à « l’homme vêtu de lin »351 qui révèle une parole à Daniel :
« Le prince du Royaume de Perse m’a résisté pendant vingt et un jours, mais Michel, l’un des
Premiers Princes, est venu à mon aide. Je l’ai laissé affrontant les rois de Perse. » (Daniel 10,
13)
« Nul ne me prête main-forte pour ces choses, sinon Michel, votre prince. » (Daniel 10, 21b)
Plus loin, il assiste au temps d’angoisse de la fin en accompagnant les enfants du peuple de
Daniel, le peuple d’Israël :
« En ce temps se lèvera Michel, le grand Prince qui se tient auprès des enfants de ton peuple. »
(Daniel 12,1)
Le terme de « Prince » est employé pour désigner Michel dans ces trois extraits, mais il n’est
pas précisé ici le statut d’archange de Michel. Comme le précise Bernard Teyssèdre, le terme
de « chef » ou d’ « archonte » est sans doute plus adapté que celui de « Prince » car il agit en
tant que dirigeant de l’armée céleste et non en tant que roi352. L’adjectif « grand » ajouté dans
le troisième extrait introduit déjà un caractère exceptionnel de la figure de l’archange. Au fur
et à mesure des trois passages, Michel semble prendre de l’importance puisqu’il passe de
« l’un des Premiers Princes » dans Daniel 10, 13 à « votre prince » dans Daniel 10, 21 puis à
« le grand Prince » dans Daniel 12, 1. Il s’individualise peu à peu et acquiert une importance
qui explique qu’on l’identifiera souvent comme « le chef de l’armée de l’Éternel » (Josué 5,
14).

348
TEYSSÈDRE, 1986, p. 318.
349
Les spécialistes considèrent aujourd’hui les premières sections du Livre d’Hénoch comme postérieures au
Livre de Daniel qui serait donc le premier livre chrétien à nommer Michel. Voir à ce propos INFANTE, 1997, pp.
211-229.
350
Le Livre de Daniel aurait été réalisé sous le règne d’Antiochos IV (175-163 av. J.-C.) selon la majorité des
spécialistes du sujet. Voir MARTENS, 1978, pp. 141-159.
351
Daniel (10, 5).
352
TEYSSÈDRE, 1986, p. 148.
77
Son rôle dans l’Ancien Testament est avant tout celui d’un assistant armé sous le
commandement de Dieu, défendant les élus. Il est le protecteur de tout un peuple et les
combats qu’il mène en tant que chef de la milice céleste se passent sur terre. Pourtant, les
chapitres 7 à 12, dans lesquels s’insèrent les apparitions de Michel, sont des écrits
apocalyptiques353 où Daniel reçoit trois visions et une prophétie concernant le destin d’Israël
qu’il ne parvient à déchiffrer qu’avec l’aide d’un ange. Cette dimension eschatologique
intègre déjà l’archange aux épisodes de la fin des temps.
Mais dans le chapitre 7, verset 11, ce n’est pas Michel qui tue la bête :
« Je regardais, jusqu'au moment où la bête fut tuée, et son corps détruit et livré à la flamme de
feu. »
Dieu n’utilise pas d’intermédiaire archangélique pour cette action, il la réalise par sa seule
sentence.

II.1.1.3. Michel et les anges dans le Nouveau Testament

Les traits principaux des anges et de saint Michel sont déjà fixés lors de la rédaction
du Nouveau Testament.

Ils sont toujours messagers, figures immuables des anges médiateurs de Dieu auprès
de son peuple. Ils demeurent les annonciateurs des grandes nouvelles comme les naissances,
telle celle de Jean-Baptiste à Zacharie (Luc 1, 5-10), puis surtout celle de Jésus à la Marie
(Luc 1, 26-38) ; et portent encore conseil aux hommes, comme par exemple à Joseph à qui un
ange apparait en songe pour lui dire de ne pas répudier Marie (Matthieu, 1,20). Ministres de
Dieu, ils restent des laudateurs du Seigneur (Luc, 2, 13). Dieu apporte une nouvelle fois son
soutien à son peuple par l’entremise des anges, ainsi il est régulièrement question d’anges
guerriers, comme dans Matthieu 26, 53 :
« crois-tu que je ne pourrais pas invoquer mon Père qui me donnerait aussitôt douze légions
d’anges ? ».
Leurs interventions se font plus fréquentes et ils deviennent des personnages incontournables
du Nouveau Testament. Ils sont surtout les accompagnateurs modestes et efficaces de la vie
du Christ, de son enfance jusqu’à sa mort, sa Résurrection et son Ascension. D’ailleurs leur
présence constante auprès de lui et leur discrétion feront d’eux les jeunes pages, fidèles

353
Selon la définition de Jean-Daniel Macchi : « Par apocalypse, on désignera un certain type d'écrits de
révélation comportant un cadre narratif dans lequel une révélation est transmise par un être surnaturel à un
destinataire humain, dévoilant une réalité transcendante, à la fois d'ordre temporel, dans la mesure où elle
envisage un salut eschatologique, et d'ordre spatial, dans la mesure où elle parle d'un autre monde, surnaturel.
Cette révélation vise à interpréter les circonstances terrestres présentes à la lumière du monde surnaturel et de
l'avenir, ainsi qu’à influencer à la fois la compréhension et le comportement de l'auditoire par le moyen de
l'autorité divine. » Cette définition provient du cours du professeur de Genève mis en ligne sur le site de
l’université : http://www.unige.ch/theologie/distance/courslibre/atintro2005/documents/23.%20Daniel%20-
%20apocalyptique.pdf
78
serviteurs du Christ dans l’imaginaire de la fin du Moyen Âge354. Ils seront aussi les assistants
actifs des Apôtres dans les débuts de l’Église. Parallèlement, dans le Nouveau Testament,
nous assistons à une affirmation de la supériorité du Christ sur les anges355. Paul dans son
épître aux Colossiens, aux chapitres 2 et 3, exhorte les fidèles à se détourner du culte des
anges en faveur de celui rendu au Christ car le Christ est le « seul vrai Chef des hommes et
des anges » (Épître aux Colossiens, 2, 8). Dans l’Épître aux Hébreux, la supériorité du Christ
sur les anges est affirmée dans les deux premiers chapitres, dont l’extrait le plus probant se
trouve au verset 5 du deuxième chapitre :
« En effet, ce n'est pas à des anges que Dieu a soumis le monde à venir dont nous parlons ».
Dans le premier Épître de saint Pierre, cette idée de soumission est la même :
« Jésus Christ, lui qui, passé au ciel, est à la droite du Dieu, après s’être soumis les Anges, les
Dominations et les Puissances » (3, 21-22).
Mais surtout, nous assistons à une remise en cause du rôle des anges en tant qu’intermédiaires
privilégiés entre Dieu et les hommes, cette fonction étant à présent dévolue au Christ 356. En
effet, quelle est alors l’utilité de ces émissaires de Dieu dès lors que celui-ci s’incarne pour
être directement présent sur terre ? Le rôle des anges tend alors à se modifier357 et ils
acquièrent une importance particulière lors des épisodes eschatologiques.
Ils participent activement à tous les épisodes apocalyptiques358 dont la Parousie (Matthieu 25,
31 « quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il
prendra place sur son trône de gloire »), en particulier aux derniers combats des bons anges
contre les mauvais. Au moment de la fin des temps, se rencontre un condensé des fonctions
principales des anges : assistants dévoués ou envoyés armés de Dieu entre la terre et l’au-delà.
Et c’est justement leur rôle de combattants entre terre et ciel qui en fait des collaborateurs
efficaces au moment de la mort : lorsque que l’âme, au moment de quitter son corps, est
l’objet d’une dispute entre les anges et les démons. Déjà présente dans l’Ancien Testament, la
fonction de psychopompe des êtres angéliques se généralise dans le Nouveau et Luc précise
bien à propos de Lazare « que le pauvre mourut et il fut porté par les anges dans le sein
d’Abraham » (Luc, 16, 22).
Ces créatures omniprésentes sont également très nombreuses et on décèle dans les textes de la
Nouvelle Loi une volonté de différencier plusieurs sortes d’anges et les prémices d’une
hiérarchisation. Petit messager ailé ou redoutable guerrier, divers types d’anges se
distinguaient déjà dans les récits de l’Ancien Testament, spécifiés par leur fonction, leur
apparence et leur proximité à Dieu. Certains possédaient déjà des qualificatifs différents : le
Chérubin359 ou le Séraphin360. Dans le Nouveau Testament, le plus courant reste l’ange, il
correspond à l’envoyé classique, mais d’autres classes d’anges sont évoquées : si les

354
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 31.
355
Ibidem, p. 34.
356
FOMBONNE et D’ASSIGNIES, 1996, p. 69 ; DANIELOU, 1995, p. 20.
357
FOMBONNE et D’ASSIGNIES, 1996, p. 69.
358
Ils sont en effet présents lors de tous les épisodes de l’Apocalypse de Jean.
359
Les Chérubins apparaissent plusieurs fois dans l’Ancien Testament, comme dans la Genèse 3, 24 ou dans
Ézéquiel 1, 14-24 ; 10, 4-22.
360
Les Séraphins sont cités dans Isaïe 6, 2 et 6, 6.
79
chérubins361 sont encore présents, les Séraphins ne sont plus cités, mais nous voyons
apparaitre les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances et les Vertus362. L’idée
d’une classification angélique est donc d’origine biblique et donnera la base aux hiérarchies
élaborées au cours du Moyen Âge363. En ce qui concerne les archanges, ils sont cités deux fois
dans le Nouveau Testament, en partie pour qualifier Michel.

Nous ne retrouvons pas Raphaël dans les écrits de la Nouvelle Loi. Gabriel apparait
dans son rôle de messager des grandes nouvelles pour annoncer deux naissances : celle de
Jean-Baptiste à Zacharie (Luc 1, 19), puis celle de Jésus à Marie (Luc 1, 26). Il n’est pourtant
pas qualifié d’archange. Le terme archange apparait pour la première fois dans le première
Épître aux Thessaloniciens (4, 16) :
« Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l’archange et la trompette de Dieu,
descendra du ciel »364.
Mais il n’y est pas associé à un nom. Le seul ange nommé et qualifié d’ « archange » est
Michel.
Le terme archange vient du grec ἀρχάγγελος (arkhángelos) composé de ἀρχι- (arkhè),
« commandement » et de ἄγγελος (ángelos) « messager », l’archange est donc un ange destiné
à prendre le commandement, une sorte de chef parmi les anges. Dans l’Épître de Jude, verset
9, écrit à la fin du Ier siècle, nous pouvons lire :
« Pourtant, l’archange Michel, lorsqu’il plaidait contre le diable et discutait au sujet du corps de
Moïse, n’osa pas porter contre lui un jugement outrageant, mais dit : « Que le Seigneur te
réprime ! » ».
Les anges, bons365 ou mauvais366, tiennent une place importante dans ce texte pourtant court.
Dans cet extrait, il est ici question du rôle de Michel dans le sort de l’âme de Moïse, c'est-à-
dire en tant que protecteur armé et accompagnateur de l’âme après la mort. Cette fonction de
psychopompe s’accompagne également d’une individualisation de son action puisque
l’archange ne protège plus tout un peuple ou une Nation mais une seule âme, aussi importante
soit-elle : il prend en charge le destin d’un seul individu et non plus celui de toute une
collectivité. Il faut enfin noter le caractère apocalyptique de ce texte puisqu’aux versets 14 et
15, l’auteur fait référence aux écrits d’Hénoch contenant des paraboles et des visions sur la fin
des temps et le Jugement dernier367.
C’est surtout à travers l’épisode relaté par Jean dans l’Apocalypse que la fonction de guerrier
eschatologique de Michel est la plus manifeste. Aux versets 7 à 9 du chapitre 12, saint Jean
présente Michel, à la tête d’une armée d’anges, combattant et vainquant le dragon lors de
l’Apocalypse :

361
Hébreux 9, 5.
362
Trônes, dominations, principautés, puissances, vertus : Colossiens 1, 16 et Éphésiens 1, 21 ; 9. Voir
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, ou GRIVOT, 1981.
363
TEYSSEDRE, 1986, p. 346.
364
Certainement écrit vers 50-51.
365
Outre l’extrait qui met en scène Michel, l’auteur évoque les « saintes myriades » d’Hénoch (verset 14).
366
Outre l’extrait qui met en scène Michel, l’auteur évoque la chute des anges rebelles au verset 6.
367
1 Hénoch 60:8 et 1:9.
80
« Alors il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses Anges combattirent le dragon. Et le
Dragon riposta, avec ses Anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta
donc, l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le
séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui. »
Depuis l’Ancien Testament, Michel est un combattant au service de Dieu et il conserve cette
fonction guerrière dans tous les écrits bibliques. De plus son action se situe soit à la fin de la
vie d’un personnage, comme dans l’extrait de l’Épître de Jude dont nous venons de parler où
Michel intervient pour aider l’âme de Moïse, soit à la fin des temps, dans un contexte
apocalyptique. Ses missions décrites par Daniel, si elles se déroulaient à la fin des temps,
conservaient un caractère terrestre puisque les combats avaient lieu sur terre aux côtés des
hommes. L’épisode relaté par Jude est un événement passé qui se situait également sur terre
auprès d’un homme. Ce rôle de chef de guerre et de protecteur des hommes associé à un
contexte apocalyptique permet à Jean de faire de Michel le chef de la milice céleste qui
dirigera le dernier combat contre la bête, alors que Daniel attribuait la mort de la bête à la
volonté directe de Dieu (« Je regardais, jusqu'au moment où la bête fut tuée, et son corps
détruit et livré à la flamme de feu », Daniel 7, 11). Saint Jean clôt les écrits bibliques par une
promotion sans pareil de l’archange : il apparait à présent dans un contexte « extra-terrestre »,
son combat a désormais une portée universelle et son issue a un caractère éternel : il devient le
vainqueur de Satan et le combattant du mal par excellence.

Ces trois caractéristiques de la figure de l’archange - guerrier, psychopompe et acteur de


l’Apocalypse - vont constituer la base de l’iconographie michaélique et possèdent toutes une
origine biblique. Les épisodes bibliques vont ensuite être repris et détaillés dans les textes
apocryphes, la liturgie, la littérature, les images, sans pour autant modifier l’essence même de
sa personnalité fixée dès le début dans les Saintes Écritures.

II.1.1.4. Les actions bibliques attribuées à l’archange

Puisqu’il devient le chef de la milice céleste, les commentateurs chrétiens ont voulu lui
attribuer un certain nombre d’autres actions décrites dans la Bible et réalisées par un ange
guerrier anonyme. En général, il s’agit des textes qui mettent en scène l’« Ange de Dieu »368
ou le « Chef de l’armée de Yahvé » : ainsi Michel se serait révélé à Josué avant la prise de
Jéricho, une épée nue à la main369. Il est considéré comme le protecteur du peuple d’Israël,
puis, l’Église succédant à la Synagogue, comme le protecteur de l’Église dans le Nouveau
Testament et dans la tradition chrétienne370. Sa place importante dans la Bible amène certains
commentateurs à l’identifier comme l’ange qui intervient dans divers épisodes bibliques

368
Exode 14, 19 ; 23, 20-23 ; 32, 34 ; 33, 2. Il est aussi considéré comme l’ange exterminateur qui frappe les
hébreux de la peste ou anéantit les ennemis d’Israël dans 2 Rois 19, 35.
369
Josué 5, 13-15. Le premier à identifier l’archistratège des forces célestes apparu à Josué comme Michel est
Origène.
370
DUHR, 1937, p. 584.
81
majeurs. Il serait ainsi celui qui arrête le bras d’Abraham avant qu’il ne frappe à mort son
fils371 ; celui qui lutte contre Jacob372 ; celui qui guide Moïse et les hébreux dans le désert373 ;
celui qui vient au secours du prophète Elie374 ; celui qui réconforte les trois jeunes dans la
fournaise375 ; et celui qui sauve Daniel dans la fosse aux lions376.
Les fonctions guerrières et psychopompiques de Michel ainsi que la place particulière qu’il
occupe dans les Saintes Écritures en tant que seul archange nommé, laissent libre court à ces
interprétations des textes sacrés et va également contribuer à élargir l’action de Michel à
travers les écrits apocryphes.

II.1.1.5. Les mauvais anges dans la Bible

Les démons sont des personnages omniprésents dans l’iconographie de saint Michel. Il
nous semble ainsi important de s’attarder un moment sur ces anges déchus. Les Écrits Saints
restent très flous quand à la raison de la création du mal et des démons, acteurs pourtant
incontournables des récits bibliques. La seule référence à la chute des anges rebelles se trouve
dans Isaïe (14, 12-15). Certains voient également dans la vision d’Ézéquiel un récit de la
légende de la chute de l’ange personnifié sous les traits du prince Tyr (Ézéquiel 28, 12-19).
Les imprécisions bibliques sur la création des démons ne peuvent demeurer : les textes
apocryphes vont s’attacher à expliquer que les démons, s’ils ne peuvent avoir été directement
créés par Dieu, incapable de mauvaise action, ne peuvent être apparus que dans la perspective
d’une chute. Le Livre d’Hénoch, texte apocalyptique tardif377, explique cette chute dans les
chapitres VI à XV : la rébellion de Lucifer est décrite et il est établi que la raison de sa
transformation en démon serait due à son désir de procréer avec les femmes. Les auteurs du
Moyen Âge378, notamment après le IVe siècle, préfèrent interpréter le refus de rendre
hommage à l’homme, comme un signe de l’orgueil de Lucifer qui le pousse ensuite à se
rebeller contre Dieu et à être chassé du paradis avec ses anges 379. Cette version sera celle
généralement admise au Moyen Âge. Ces créatures rebelles deviennent ainsi des démons et,
jetés sur terre, ils s’attacheront à pousser l’homme du côté du mal. Ils sont un symétrique
négatif de l’ange et sont également omniprésents dans les textes bibliques, dès le début de

371
Genèse 22, 11-12.
372
Genèse 32.
373
Exode 14, 19 ; 23, 20-23 ; 32, 34 ; 33, 2.
374
1 Rois 19, 5-7.
375
Daniel 3, 25 et 28.
376
Daniel 6, 22-23.
377
PONSICH, 1997, p.42.
378
Origène (185-254) attribue la chute de Lucifer à son orgueil ; saint Basile (329-374) précise que Lucifer a
tenté la femme car elle était plus faible ; saint Hilaire de Poitiers (315-367) le nomme « prince des orgueilleux »,
voir CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 41.
379
BASCHET, 1997, p. 451.
82
l’Ancien Testament et, comme les anges, ils sont des acteurs importants dans la vie du
Christ380.

Le terme d’ « ange » désigne la fonction, de messager, mais pas la nature et peut ainsi être
attribué à des créatures bonnes ou mauvaises. Lucifer, Satan, diable, ces différents termes
semblent souvent être employés comme des synonymes pour nommer le représentant du mal
en général, ils correspondent pourtant à des natures bien différentes dans la Bible.
Les premières apparitions du mal dans l’Ancien Testament se font sous la forme de force non
individualisée, comme le serpent (Genèse 3), animal maudit qui incarne le mal mais qui n’est
pas à la base un animal mauvais par nature381. Les interventions du mal se font généralement
sous la forme de bêtes, comme dans le Deutéronome (8, 15) où il apparait sous la forme de
serpents et de scorpions, ou d’esprits parfois envoyés par Dieu même pour mettre à l’épreuve
le fidèle (Isaïe 16, 14 ou 1 Rois 22, 19).
Lucifer, qui signifie « porteur de lumière », est un nom donné à une divinité gréco-romaine de
la lumière et de la connaissance, puis employé dans certaines traductions de l’Ancien
Testament pour désigner le porteur de lumière du Livre d’Isaïe qui est le roi de Babylone382.
C’est en plein Moyen Âge que l’on considéra Lucifer comme l’ange déchu, alors nommé
Satan. Par contre, Satan est un terme que l’on retrouve plusieurs fois dans l’Ancien
Testament383 comme dans le Nouveau384 et qui signifie l’adversaire en hébreux, dans le sens
d’un accusateur ou un procureur dans un tribunal hébraïque. Mais ce qualificatif fini par
devenir un nom propre pour le diable à la suite de vocatif utilisé par Jésus, « Vade retro,
Satana ! » (Matthieu 4, 10 puis Marc, 8, 31-33). La première apparition nominative dans les
Écrits Saints d’une figure personnalisant le mal - non plus « le serpent », mais un personnage
autonome et individualisé - se trouve dans Job 1-7 où Satan met Job à l’épreuve.
Le terme de diable, celui qui divise, s’il est fréquemment nommé dans le Nouveau Testament,
n’apparait dans aucun texte de l’Ancienne Loi. Il est cité dans les Évangiles de Matthieu (4) et
de Luc (4) comme le tentateur du Christ au désert. Dans l’annonce du Jugement dernier, le
Christ évoque « le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges » (Matthieu 25, 41),
le diable apparait alors comme le chef des troupes déchues. Il est présent également dans les
textes de Jean : c’est lui par exemple qui inspire à Judas le dessein de livrer Jésus (Jean 13, 2).
Les autres évocations du Diable dans les écrits néotestamentaires apparaissent la plupart du
temps comme des exhortations à ne pas tomber sous sa coupe385.

380
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 9.
381
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 45.
382
Isaïe 14, 12-15.
383
Par exemple dans Job 1,6 : « Or, les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l`Éternel, et Satan vint
aussi au milieu d’eux » ; 1 Chroniques 21, 1 « Satan se leva contre Israël, et il excita David à faire le
dénombrement d`Israël » ; Zacharie 3, 1 « Il me fit voir Josué, le souverain sacrificateur, debout devant l`ange de
l`Éternel, et Satan qui se tenait à sa droite pour l`accuser. ».
384
On le retrouve plusieurs fois dans Marc comme dans 1, 11 et 12 « Aussitôt, l'Esprit poussa Jésus dans le
désert, Où il passa quarante jours, tenté par Satan » et plusieurs fois dans Luc, comme dans 10, 18 : « Jésus leur
dit : Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair ! ».
385
Éphésiens 4, 27 et 6, 11 ; 1 Timothée 3, 6-7 et 2 Timothée 2, 26 ; 1 Pierre 5, 8.
83
Le terme de démon ne figure pas non plus dans l’Ancienne Loi. Du grec ancien
δαίμων (daímôn) et du latin daemon, démon signifie « esprit », bon ou mauvais il est souvent
de nature ambivalente et est présent dans de nombreuses cultures en tant que médiateurs des
dieux. Selon Marco Bussagli, ce sont des « « cugini » degli angeli »386. Le démon chrétien est
lui totalement malveillant et figure souvent comme un mauvais ange d’importance moindre.
D’ailleurs, il est rarement seul et apparait presque toujours au pluriel dans les Évangiles 387. Il
semblerait que les démons soient des créatures inférieures, sorte de légionnaires au service du
diable, « prince des démons » (Matthieu 9, 34 ou Luc 11, 15). Quand le terme démon apparait
au singulier, il s’agit toujours d’une créature ayant pris possession d’un humain, d’une
personne individuelle possédée, appelée d’ailleurs « démoniaque »388. Le démon semble être
au diable ce que les anges sont à Michel : des soldats obéissants à leur chef et remplissant des
missions de moindre importance.
Belzébuth, dont l’orthographe varie selon les passages bibliques, n’est pas un démon mais un
dieu païen dans le deuxième Livre des Rois389. Son statut évolue dans le Nouveau Testament
où le terme Belzébuth semble être devenu le nom d’un nouveau démon. Il est ainsi nommé
dans deux épisodes de la vie du Christ390.
Léviathan, monstre du chaos primitif dans la mythologie phénicienne, apparait dans l’Ancien
Testament comme un monstre marin391. « Serpent fuyard », « serpent tortueux »392, cette bête
alimente l’imaginaire infernal et sa gueule grande ouverte sert de porte de l’enfer dans
l’iconographie médiévale. S’il n’est pas cité dans le Nouveau Testament, son succès tient à
son assimilation à la Bête de l’Apocalypse.
Ultime forme du mal dans les Écrits biblique, le dragon ou encore la Bête, est une figure
emblématique de l’Apocalypse. Le dragon est déjà cité dans l’Ancien Testament comme une
forme animale du mal à écraser :
« Tu marcheras sur le lion et sur l`aspic, Tu fouleras le lionceau et le dragon. » (Psaumes 91,
13) ;
Puis il apparait régulièrement dans les écrits vétérotestamentaires393. Il est cité plus d’une
douzaine de fois dans l’Apocalypse de saint Jean puisqu’acteur principal du combat qui se
livre à la fin des temps394. C’est sous cette forme que le mal est vaincu définitivement.

L’Ancien testament n’a réservé qu’une place infime au diable, de peur de diviser le pouvoir
entre Dieu et le Diable. La Nouvelle Loi lui fait une place de choix dans les récits

386
BUSSAGLI, 1991, pp. 40-41.
387
Matthieu 7, 22 ; 8, 31 ; 10, 8 ; 12,24 ; 12, 27 ; 12, 28. Marc 1, 34 ; 1, 39 ; 3, 15 ; 3, 22 ; 5,12 ; 6, 13 ; 9, 38 ;
16, 9 ; 16, 17. Luc 4, 41 ; 8, 2 ; 8, 27 ; 8, 30 ; 8, 32-33, 8, 35 ; 8, 38 ; 9, 1 ; 9, 49 ; 10,17 ; 11, 15 ; 11, 18-20 ; 13,
32 ; Apocalypse 9, 20 ; 16, 14 ; 18, 2.
388
Comme par exemple dans Matthieu 9, 33 ; 15, 22 ; 17, 18-21.
389
Sous la forme Baal Zebub, 2 Rois 1, 2-17.
390
Matthieu 10, 25 pour le premier et Matthieu 12, 24 et 12, 27 ; Marc 3, 22 et Luc 11, 15-19 pour le second.
391
Job 3, 8 ; Psaumes 104, 26 et Isaïe 27, 1.
392
Description donnée dans Isaïe 27, 1.
393
Néhémie 2, 13 ; Isaïe 14, 29 et 30:6 ; Jérémie 51, 34.
394
Dans les chapitres 12 à 20.
84
évangéliques en adoptant une très nette diversification des appellations du mal. Le texte de
l’Apocalypse (12, 9) reprend et résume ces différentes désignations :
« Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit
toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui » (Apocalypse
12, 9)
« il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans »
(Apocalypse 20, 2).
Ce texte nous permet de confirmer le fait qu’il s’agit bien d’une même entité - le mal - qui
prend plusieurs formes. Ces dénominations participent également à personnifier le principe
même du mal : contrairement aux dieux des religions plus anciennes qui possédaient dans leur
nature même des aspects bienveillants et des aspects malveillants, le christianisme est la
première religion à séparer de manière aussi nette le Dieu du bien et le maître du mal en deux
créatures totalement distinctes. Pourtant, le diable reste une créature engendrée par Dieu et est
mauvais par choix et non par nature. S’il lui reste subordonné, le mal n’apparait plus comme
une punition envoyée par Dieu comme c’était encore le cas dans l’Ancien Testament et le
Diable, Satan ou les démons semblent la plupart du temps agir de leur plein gré. Enfin cette
dissociation du mal sous plusieurs formes pourrait correspondre également à une réponse à la
dissociation de la figure de Yahvé395.

II.1.2. Les textes Apocryphes

Les textes apocryphes précisent et diversifient les rôles des anges en général et de
Michel en particulier. Les êtres angéliques sont les protagonistes de nombreux épisodes
apocryphes qui tendent à combler le vide entre Dieu et les hommes. Dans cette littérature,
saint Michel est par excellence le chef suprême396.

II.1.2.1. Le livre d’Hénoch

Le livre d’Hénoch, s’il est considéré comme apocryphe, a joui d’un succès
considérable et d’une influence non négligeable dès sa création, sur certains textes bibliques
puis sur l’angélologie. Sa rédaction se serait étalée entre la fin du IIIe siècle et le Ie siècle
avant J.-C.397. À ce titre, il peut être considéré comme le premier texte chrétien à citer le nom
de Michel, avant même les occurrences dans Daniel 10, 13 et 12,1. Comme nous l’avons déjà

395
BASCHET, 1997, p. 451.
396
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XIII. Pour un résumé des différentes apparitions de Michel dans les apocryphes
et ses différentes fonctions voir l’article de INFANTE, 1997, pp. 211-229.
397
INFANTE, 1997, pp. 211-212.
85
précisé, c’est également dans ce texte que nous retrouvons les premières explications de la
chute des anges rebelles (chapitres VI à XV) 398.
Les archanges qui accompagnent le pseudo-Hénoch tout au long de ses visions sont des
guides et des interprètes et ils lui font diverses révélations lors de son voyage. Michel fait
partie de ces guides :
« Alors Michel un des saints et glorieux anges qui m'accompagnait, et qui était à leur tête […]
(Hénoch 20, 4)399.
L’archange conserve une sorte de primauté sur les autres archanges également cités dans ce
texte. Leur nombre et leur nom varient selon les chapitres, les trois archanges cités dans la
Bible étant toujours présents et Michel étant généralement cité en premier.
« Alors Michaël et Gabriel, Raphaël, Suryal et Uriel, abaissèrent des cieux leurs regards sur la
terre, et virent les flots de sang qui la rougissaient, et les iniquités qui s'y commettaient ; et ils se
dirent les uns aux autres : C'est le bruit de leurs cris. » (Hénoch 9, 1)
Au chapitre 20, 1-8, les noms et descriptions des sept archanges sont détaillés. Outre Uriel,
Raphaël, Raguel, Saraquiel, Gabriel et Remiel, Michel est l’ « un des saints anges qui préside
à la vertu des hommes, et commande aux nations ». Michel apparait régulièrement400 et
conserve dans ces textes un caractère guerrier de protection des hommes et de combattant du
mal :
« Le Seigneur dit ensuite à Michel : Va et annonce le châtiment qui attend Samyaza et tous ceux
qui ont participe à ces crimes, qui se sont unis à des femmes, qui se sont souillés par toutes
sortes d'impuretés » (Hénoch 10, 15)401

398
Les extraits cités dans cette partie proviennent de la traduction d’après le texte éthiopien de François
MARTIN, Paris, Letouzey et Ané, 1906, disponible en ligne sur le site :
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Apocryphes/Henoch/Table.html.
399
« Alors Michel un des saints et glorieux anges qui m'accompagnait, et qui était à leur tête, me redit : « 5.
Hénoch, pourquoi ces questions au sujet de l'odeur de cet arbre ? Pourquoi es-tu avide de le connaître ? ». Alors
moi, Hénoch, je lui répondis que je voudrais tout savoir, mais surtout ce qui regarde cet arbre. L'ange me
répondit : « cette montagne que tu vois, et dont la tête élevée égale en hauteur le trône du seigneur, sera le siège
ou se reposera le Seigneur de sainteté et de gloire, le Roi éternel, quand il viendra et descendra pour visiter la
terre dans sa bonté. Quant à cet arbre à la suave odeur, dont le parfum n'a rien de charnel, personne n'y portera la
main jusqu'au jour du jugement. Quand les méchants auront été livrés aux tourments éternels, cet arbre sera
donné aux justes et aux humbles. Ses fruits seront réservés aux élus. Car la vie sera plantée dans le saint lieu, du
côté du septentrion, vers la demeure du Roi éternel. Alors ils se réjouiront et tressailliront d'allégresse, dans le
Saint des saints ; une odeur délicieuse pénétrera leurs os, et ils couleront, comme tes ancêtres, une vie longue sur
la terre ; et cette vie ne sera troublée ni par les malheurs, ni par les peines, ni par les misères. » » (Hénoch 24, 4-
10).
400
Michel apparait aussi en 39, 8 dans une vision du Livre d’Hénoch où il est décrit comme l’un des quatre
anges qui se trouvent aux côtés du Seigneur et qui est « l’ange clément et patient » ; au chapitre 58, Michel
intervient une nouvelle fois pour relever Hénoch et l’interroger sur son trouble 66, 14 : « Alors j'entendis saint
Michel qui me disait : Le jugement que subissent les anges menace également les rois, les princes et ceux qui
possèdent la terre. ».
401
Livre d’Hénoch 10, 15- 27 : « Le Seigneur dit ensuite à Michel : Va et annonce le châtiment qui attend
Samyaza et tous ceux qui ont participe à ces crimes, qui se sont unis à des femmes, qui se sont souillés par toutes
sortes d'impuretés. Et quand leurs fils seront extermines, quand ils auront vu la ruine de ce qu'ils ont de plus cher
au monde, enchaîne-les sous la terre, pour soixante-dix générations, jusqu'au jour du jugement, et de la
consommation universelle ; et l'effet de ce jugement sera pour eux éternel. Alors ils seront jetés dans les
86
« Quant à Michel, Gabriel, Raphaël et Phanuel, ils seront confirmés en ce jour ; et ils seront
chargés de jeter dans la fournaise tous les anges rebelles » (Hénoch 53, 6)
Il est également un guide pour Hénoch quand celui-ci reçoit ses visions :
« Alors l'ange saint Michel, autre saint ange, fut envoyé pour me relever. » (Hénoch 58, 1)
« Alors saint Michel me dit : pourquoi te troubles-tu de cette vision ? » (Hénoch 58, 3)
« Alors j'entendis saint Michel qui me disait : Le jugement que subissent les anges menace
également les rois, les princes et ceux qui possèdent la terre. » (Hénoch 66, 14)
Michel assiste, protège et répond aux interrogations du pseudo-Hénoch. Plus loin Michel
s’irrite contre le jugement sévère infligé aux anges déchus :
« Dans ce temps saint Michel répondit et dit à Raphaël : Mon esprit se soulève et s'irrite contre
la sévérité du jugement secret contre les anges ; qui pourra supporter un jugement aussi terrible,
qui ne sera jamais modifié, qui doit les perdre pour l'éternité ? La sentence a été prononcée
contre eux par ceux qui les ont fait sortir de cette façon. Et il arriva que se tenant devant le
Seigneur des esprits. Saint Michel répondit, et dit à saint Raphaël : Quel cœur n'en serait point
ému, quel esprit n'en aurait pas compassion ? Puis saint Michel, dit à Raphaël : je ne les
défendrai point en présence du Seigneur, car ils ont offensé le Seigneur des esprits, en se
conduisant comme des dieux ; aussi la justice suprême s'exercera sur eux pendant toute
l'éternité. Ni l'ange innocent, ni l'homme n'en sentiront les effets ; mais ceux-là seuls qui sont
coupables, et dont la punition sera éternelle. » (Hénoch, 67, 2-5)
Michel ne semble pas d’accord avec la sévérité de la punition infligée aux anges déchus,
même s’il ne prendra pas leur défense devant Dieu. Il a pitié de ses anciens frères.
Le Livre d’Hénoch cite et organise pour la première fois les anges :
« Voici le nom des anges qui veillent. Uriel, un des saints anges, qui préside aux cris et à la
terreur. Raphaël, un des saints anges, qui préside aux esprits des hommes. Raguel, un des saints
anges, qui unit le monde et les luminaires. Michael, un des saints anges qui préside à la vertu
des hommes, et commande aux nations. Sarakiel un des saints anges qui préside aux enfants des
hommes qui pèchent. Gabriel, un des saints anges, qui préside sur Ikisat, sur le paradis et sur les
chérubins. » (Hénoch 20)

profondeurs d'un feu qui les tourmentera sans cesse ; et ils y resteront toute l'éternité. Avec eux leur chef brûlera
dans les flammes ; et tous ils y seront enchaînés jusqu'à la consommation d'un grand nombre de générations.
Extermine en même temps toutes les âmes adonnées à de coupables jeux ; extermine les rejetons des vigilants ;
assez et trop longtemps ils ont tyrannisé le genre humain. Que les oppresseurs soient enlevés de la face de la
terre. Que le mal soit anéanti ! Mais que la plante de la justice et de l'équité refleurisse, et devienne un gage de
bénédiction. Car la justice et l'équité doit refleurir avec la joie pour des temps sans fin. Et alors tous les Saints
adresseront au ciel leurs actions de grâces, et vivront jusqu'à ce qu'ils aient engendré mille enfants, tandis que les
jours de leur jeunesse et leurs sabbats s'écouleront dans la joie et la paix. A cette époque toute la terre sera
cultivée dans la justice : elle se remplira d'arbres et de bénédictions ; des arbres délicieux y seront plantés. La
vigne y croîtra en abondance, et produira du fruit à satiété ; toutes les semences qui seront confiées à la terre,
rapporteront mille mesures pour une ; et une mesure d'olive, fournira à dix pressées d'huile. Délivré la terre de
toute tyrannie, de toute injustice, de tout crime, de toute impiété, de tout ce qui peut la souiller. Que le mal en
soit banni à jamais. Alors, les enfants des hommes vivront dans la justice, et toutes les nations me rendront les
honneurs qui me sont dus ; toutes me béniront, toutes m'adoreront. La terre sera délivrée de toute corruption, de
tout crime, de tout châtiment, de toute souffrance ; et elle n'aura plus à craindre de moi un déluge
exterminateur. »
87
Dans cet extrait, les archanges sont qualifiés de « saint ange », l’adjectif de « saint » est même
directement associé au nom de Michel dans le chapitre 39 :
« C'est d'abord saint Michel, l'ange clément et patient. C'est ensuit saint Raphaël, l'ange qui
préside aux douleurs et aux blessures des hommes. Vient ensuite Gabriel, qui préside à tout ce
qui est puissant. Enfin c'est Phanuel, qui préside à la pénitence et à l'espérance de ceux qui
doivent hériter de la vie éternelle. » (Hénoch, 39, 8-10)
Ce qualificatif est également donné à Raphaël qui suit directement Michel dans le récit, mais
n’apparait pas pour Gabriel et Phanuel. Le terme de « saint Michel » se retrouve ensuite
régulièrement dans les chapitres 50-60402.
Ce texte insiste particulièrement sur le rôle de l’archange dans la gestion des anges déchus et
son rôle de protecteur.

II.1.2.2. Légendes juives apocryphes sur la vie de Moïse

Faisant suite au 9e verset de l’Épître de Jude, les textes apocryphes développent


largement le thème de l’archange psychopompe. Dans une légende juive sur Moïse, datant du
Ie siècle après J.-C., Michel et d’autres anges prennent soin du prophète lors de sa mort403.
Satan attend l’âme de Moïse et
« Lorsque Michaël, le patron d’Israël, vit que le méchant Samaël attendait la mort de Moïse,
tout en joie, il lui dit : « Méchant, moi je pleure et toi tu ris ! » »404.
Dans l’épisode suivant, « le Saint » descend pour récupérer l’âme de Moïse avec trois anges :
Michaël, Gabriel et Zagzagel. Michel est chargé d’étendre un manteau pourpre sur le
mourant405. Dans le Livre de l’Assomption de Moïse, il est précisé que Michel cherche à
cacher le corps de Moïse pour éviter que les hébreux puissent l’adorer et s’oppose à cette
occasion une nouvelle fois au démon. D’autres écrits chrétiens avancent plutôt l’hypothèse
que la dispute de Michel et du démon concernait le lieu de sépulture de Moïse.
Ces épisodes confirment sa mission de défenseur armé des âmes contre les démons : il assure
une route sécurisée entre la terre et le ciel.

II.1.2.3. Le Testament d’Abraham

Michel est un des personnages principaux dans les événements de la fin de la vie
d’Abraham. Il est envoyé par Dieu pour prévenir Abraham de sa mort éminente pour qu’il ait

402
« saint Michel » apparait dans 58, 1 ; 58, 3 ; 68, 14 ; 67, 2 ; 67, 3 ; 67, 4 ; 68, 20 ; 68, 22.
403
Légendes juives apocryphes sur la vie de Moïse, introduction de Meyer ABRAHAM, Paris, Paul Geuthner,
1925.
404
Chapitre XI, Ibidem, p. 99.
405
Chapitre XXV, Ibidem, pp. 111-112.
88
le temps de prendre ses dispositions (I, 1-7)406. En arrivant sur terre, le patriarche prend
l’archange pour un homme normal et lui offre l’hospitalité (II 1-12).
« Abraham dit à l’archistratège : « Salut, vénérable soldat, radieux comme le soleil, d’une bien
plus noble prestance que tous les fils des hommes ! Tu es le bienvenu ! Aussi j’implore ta
présence ; d’où vient la jeunesse de ton âge ? Apprends-moi, à moi qui te supplie : d’où es-tu
venu ? de quelle armée ? par quel chemin ? Explique-moi quelle est ta beauté. » » (Testament
d’Abraham, II 4-5)407
Mais Abraham lorsqu’il décrit physiquement le soldat le trouve « d’une bien plus noble
prestance que tous les fils des hommes » (II, 4) et il dit plus loin que « son apparence
l’emporte sur tous les fils des hommes » (IV, 3). D’ailleurs Isaac reconnait tout de suite sa
nature non humaine :
« A la vue du visage de l’ange, Isaac dit à Sara sa mère : « Vénérée mère, cet homme qui est
assis avec mon père n’est pas un fils de la race de ceux qui habitent sur la terre ! » » (III 5)408

Michel n’a pas le courage de lui parler de sa mort et Dieu lui propose donc d’envoyer une
vision à son fils, Isaac, afin que ce soit ce dernier qui lui parle de la mort alors que Michel se
contenterait d’expliquer cette vision. Ainsi fut fait, mais Abraham refuse et demande à Dieu
une dernière volonté, celle de pouvoir voir toute la création. Il est ensuite conduit aux portes
du ciel où il assiste au jugement des âmes. La mort est envoyée auprès d’Abraham sous une
belle apparence, mais ce dernier refuse encore une fois de la suivre et la mort utilise un
stratagème pour lui arracher son âme. Michel intervient alors une dernière fois avec ses anges
pour emmener l’âme d’Abraham au ciel.
Dans ce texte, nous retrouvons Michel dans son rôle d’intermédiaire entre Dieu et un homme
et nous découvrons surtout la faillibilité de l’archange dans une mission non pas armée mais
de grande importance : celle d’annoncer sa mort à Abraham. L’archange pleure à deux
reprises et nous ne retrouvons pas la force sans limite de Michel : la supériorité de Dieu est
affirmée par rapport au plus courageux de ses serviteurs. À partir du chapitre X, Michel
reprend un rôle de guide : il accompagne Abraham pour contempler toute la terre habitée et
l’au-delà. Enfin, à la fin du texte, il redevient le psychopompe lorsqu’il revient chercher l’âme
d’Abraham après qu’elle ait quitté son enveloppe charnelle.
Ce texte, s’il présente les fonctions classiques de Michel - intermédiaire privilégié entre Dieu
et les hommes d’exception, guide dans l’au-delà et psychopompe - n’en décrit pourtant pas le
caractère qu’on lui attribue habituellement : courageux, infaillible et efficace. Ici, il faillit à la
mission que lui a confiée Dieu et n’exécute aucune action sans se reporter à l’avis divin.

406
La Bible, écrits intertestamentaires, sous la direction d’André DUPONT-SOMMER et Marc PHILONENKO,
Ligugé, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, pp. 1655-1690.
407
Ibidem, pp.1657-1658.
408
Ibidem, p.1659.
89
II.1.2.4. Histoire de Joseph le charpentier

Dans l’Histoire de Joseph le charpentier, ce dernier, au moment de sa mort, demande


à Dieu d’envoyer Michel pour l’escorter dans l’au-delà et le protéger de mauvais esprits :
« Si les jours de vie que tu m’as donnés en ce monde sont accomplis, je te supplie, Seigneur
Dieu, de m’envoyer l’archange Michel pour qu’il m’assiste et que mon âme misérable sorte de
mon corps sans souffrance ni tourment. » (Histoire de Joseph le charpentier 13, 2)409
Cet extrait montre une fois de plus l’influence du texte biblique de l’Épître de Jude, verset 9
qui fait de l’archange un accompagnateur des âmes. Il y est d’ailleurs nommé de la même
façon « archange Michel ». Ce texte daterait du VIIe siècle mais dériverait d’un original grec
du IVe siècle de provenance égyptienne410.
Le christ prend ensuite la parole pour demander la même chose :
« Je te supplie pour l’œuvre de tes mains qu’est mon père Joseph ; envoie-lui un grand chœur
angélique, avec Michel l’intendant de la bonté et Gabriel le messager de la lumière, et qu’ils
accompagnent l’âme de mon père Joseph, pour qu’elle dépasse les sept éons des ténèbres et
qu’elle n’emprunte pas les chemins resserrés où il est redoutable de marcher, et encore plus de
vois les puissances qui y sont – dans ce lieu est la rivière de feu qui roule des flots semblables
aux vagues de la mer. » (Histoire de Joseph le charpentier 22, 1) 411
Michel est dans cet extrait un dispensateur de la bonté divine et semble être à la tête d’un
« grand chœur angélique ». Il est accompagné de Gabriel et apparait dans une mission
totalement positive sans participer à un quelconque jugement, alors même que d’autres anges
semblent pouvoir être en colère à cause des actions humaines :
« Ne permettez pas que l’ange qui me fut attaché depuis le jour où vous m’avez formé, jusqu’à
maintenant, tourne contre moi un visage embrasé de colère sur le parcours du chemin, quand je
m’en irai vers vous, mais qu’il me traite pacifiquement. » (Histoire de Joseph le charpentier
13)412
Après la mort de Joseph, Jésus confie l’âme de Joseph aux anges et la surveillance du cortège
à Michel et Gabriel :
« Lorsqu’il eut rendu l’esprit, je m’inclinai devant lui. Les anges prirent son âme et la mirent
dans des linges de lin soyeux. J’entrai et m’assis près de lui – personne ne s’était aperçu qu’il
était mort parmi ceux qui l’entouraient. Je confiais son âme à la garde de Michel et Gabriel, à
cause des puissances qui sont sur le chemin, et les anges l’accompagnèrent en chantant
jusqu’à ce qu’elle soit remise à mon Père de bonté. » (Histoire de Joseph le charpentier 23,
1-4)413
Ici c’est une nouvelle fois le rôle de défenseur armé qu’endosse l’archange, accompagné de
son acolyte Gabriel toujours mentionné en second.

409
Écrits apocryphes chrétiens, sous la direction de Pierre GEOLTRAIN et Jean-Daniel KAESTLI, Ligugé,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2005, p.40.
410
BOUD’HORS Anne, « Introduction à l’Histoire de Joseph le charpentier », dans Écrits apocryphes chrétiens,
op. cit., pp. 27-28.
411
Ibidem, pp. 50-51.
412
Histoire de Joseph le charpentier, Chapitre XIII, dans Évangiles apocryphes, 2 volumes, Paris, Librairie
Alphonse Picard et fils, 1911
413
Écrits apocryphes chrétiens, op. cit., pp. 51-52.
90
II.1.2.5. L’Apocalypse apocryphe de Paul

Les apparitions de Michel dans l’Apocalypse de Paul sont nombreuses. Il apparait


comme le bras droit de Dieu, exécuteur de ses sentences, particulièrement en ce qui concerne
le sort des âmes, leur conduite, leur sécurité ou leur destinée. Il demeure le chef de l’armée
des anges et adorateur du Seigneur comme dans le chapitre 14f :
« Ils la conduisirent jusqu’à ce qu’elle arrivât sous le regard de Dieu pour l’adorer. Lorsqu’ils
s’arrêtèrent aussitôt Michel et toute l’armée des anges se prosternèrent et se mirent à adorer son
marchepied ». […] « « Comme cette âme ne m’a pas affligée, je ne l’affligerai pas ; comme elle
a été miséricordieuse, j’aurai pitié d’elle. Qu’elle soit confiée à Michel, l’ange de l’Alliance, et
qu’il la conduise au paradis » » (Apocalypse de Paul 14f).
Dieu récompense l’âme de Paul qui ne l’a pas affligé en la confiant à la protection de Michel
pour le conduire au paradis. L’archange est qualifié d’ « ange de l’alliance », peut être en
référence à sa fonction de psychopompe et donc de conducteur des âmes entre la terre et les
différents lieux de l’au-delà414. Il est l’accompagnateur des âmes des personnes d’exception,
comme c’était le cas pour Moïse et comme ça l’est ici pour Paul et également pour les
prophètes :
« Il répondit : « C’est la voie des prophètes : tout homme qui, au nom de Dieu, s’est contristé et
a renoncé à faire sa propre volonté est mené, puis, sur ordre de Dieu, est confié à Michel ; celui-
ci le conduit en cette cité, en ce lieu où les prophètes le saluent comme un ami et un proche,
parce qu’il a accompli la volonté de Dieu. » » (Apocalypse de Paul 25)
Mais son rôle d’archange psychopompe s’étend également aux âmes plus humbles des
chastes et des pures :
« L’ange me dit : « Tous ceux qui ont gardé leur chasteté et leur pureté vont, après avoir quitté
leur corps, adorer le Seigneur Dieu, puis sont remis à Michel et conduits auprès de ces enfants
qui les saluent […] » » (Apocalypse de Paul 26)
Les fonctions psychopompiques de Michel ne s’arrêtent pas à raccompagner les justes devant
le Seigneur. Il a dans ce texte également la charge de purifier les âmes repenties en les
plongeant dans le lac Achérousien :
« Alors il me souleva et m’emporta hors de ce lieu. Et voici : je vis un fleuve dont les eaux
étaient blanches plus que le lait. Je demandai à l’ange : « Qu’est-ce ? » Il me dit : « C’est le lac
Achérousien où se trouve la cité du Christ. Il n’est pas permis à tout le monde d’entrer dans
cette cité, car ici passe le chemin qui mène à Dieu. Imaginons qu’un fornicateur, un impie, se
repente, se convertisse et fasse digne pénitence. Dès qu’il aura quitté son corps, il sera mené
devant Dieu pour l’adorer, puis, sur l’ordre de Dieu, il sera confié à l’ange Michel pour que
celui-ci le plonge dans le lac Achérousien et le conduise ensuite dans la cité du Christ, auprès de
ceux qui ne commirent point de péchés. » » (Apocalypse de Paul 22d)
S’il n’accompagne plus les esprits d’exception, il participe plus activement à une forme de
justice divine : il est l’exécuteur de la sentence divine de nettoyage des âmes. S’il devient un
exécuteur des hautes œuvres, il est précisé que les âmes ainsi plongées sont des âmes qui
accèderont à la Cité du Christ et aucun élément n’indique un quelconque désagrément

414
Écrits apocryphes chrétiens, I, sous la direction de François BOVON et Pierre GEOLTRAIN, Ligugé,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 794, note 14f.
91
physique ou moral de ce bain sur l’esprit repenti. Michel participe à une action purgatoire
mais n’est pas pour autant le bourreau de Dieu et son action s’apparente plus à un baptême
qu’à une peine de purification.
Dans un épisode assez long de cet Apocalypse, Michel prend la parole pour nous révéler
d’autres aspects de sa personnalité et de ses fonctions. Au moment du passage d’un juste
emporté par Michel vers le paradis, des âmes de damnés supplient l’archange d’intercéder
pour elles auprès de Dieu, qui cèdera à la demande de son ange et de Paul.
« Alors, je vis d’ouvrir le ciel : l’archange Michel en descendit et, avec lui, toute l’armée des
anges. Ils parvinrent jusqu’à ceux qui étaient dans les tourments. A cette vue, ceux-ci pleurèrent
à nouveau et crièrent : « Aie pitié de nous, Michel, aie pitié de nous et du genre humain, car c’st
par tes prières que subsiste la terre. […] ». Michel répondit : « Écoutez la parole de Michel : je
suis celui qui à toute heure demeure en présence de Dieu. Il est vivant, le Seigneur, celui en
présence de qui je demeure. Ni la nuit, ni le jour, je ne cesse de prier pour le genre humain. Oui
je prie pur ceux qui sont sur la terre, mais eux, sans relâche, commettent l’iniquité, la
fornication, ils ne produisent rien de bon à mes yeux tandis qu’ils sont sur terre ; et vous, vous
avez gaspillé le temps où vous deviez vous repentir. Moi, cependant, j’ai toujours prié ainsi, et
maintenant encore je prie Dieu pour qu’il envoie la pluie et la rosée sur terre, je prie pour que la
terre produise ses fruits. Et je dis que si quelqu’un fait un peu de bien, je combattrai pour lui, je
le protègerai pour qu’il échappe au verdict des tourments. Où sont donc vos prières ? Où sont
vos pénitences ? Vous avez honteusement perdu votre temps ! Maintenant donc pleurez ; je
pleurerai avec vous, et ainsi feront les anges qui m’accompagnent, et Paul, le bien-aimé :
voyons si le Dieu miséricordieux aura pitié de vous et vous accordera un peu de fraîcheur. » À
ces paroles, tous s’exclamèrent, pleurèrent amèrement et dirent d’une seule voix : « Aie pitié de
nous, Fils de Dieu ! » Moi aussi, Paul, je soupirai et dis : « Seigneur Dieu, aie pitié de ce que tu
créas : pitié pour les fils des hommes, pour ceux que tu fis à ton image ! » » (Apocalypse de
Paul 43b, c et d)
La voix de Dieu s’élève :
« Mais maintenant, à cause de Michel, archange de mon alliance, et des anges qui sont avec lui,
à cause de Paul, mon bien-aimé, que je ne veux pas contrister, à cause de vos frères qui sont
dans le monde et qui présentent des offrandes, à cause de vos fils, que je trouve fidèles à mes
commandements, et surtout, à cause de ma propre bonté, je vous accorde, à vous qui êtes dans
les tourments, un repos d’une nuit et d’un jour pour être rafraîchis : et ce sera, pour l’éternité, le
jour où je ressuscitai d’entre les morts. » » (Apocalypse de Paul 44d)
Outre l’efficacité de la prière de Michel, et donc son importance aux yeux de Dieu, il faut
noter son rôle ici de magistrat dans le tribunal divin. Il se transforme en avocat puisqu’il
intercède auprès de Dieu pour le soulagement des douleurs des âmes damnées et sera ainsi en
quelque sorte à l’origine de l’instauration de la journée de repos des damnés. Mais il se fait
également procureur de Dieu puisqu’il devient en son absence l’accusateur des hommes qui
ne se sont pas repentis. Ce n’est pas seulement l’intermédiaire entre les hommes et Dieu ou le
porteur des âmes au paradis, Michel apparait dans l’Apocalypse de Paul comme un véritable
magistrat au service de la justice divine. Il est un personnage de premier ordre et, dans le
chapitre 48c, Moïse, évoquant les justes hiérarchiquement, place Michel directement après
Dieu, avant le reste des anges et les prophètes :

92
« « Et je te le dis, Paul, à cette heure où le peuple suspendit Jésus que tu prêches, Dieu, le Père
de tous, qui me donna la Loi, Michel, tous les anges et les archanges, Abraham, Isaac, Jacob et
tous les justes pleurèrent le Fils de Dieu suspendu à la croix » (Apocalypse de Paul 48c)
Michel conserve les aspects primordiaux cités dans la Bible mais l’Apocalypse de Paul
propose véritablement de préciser la place de l’archange par rapport à Dieu et de définir
précisément ses fonctions en tant que psychopompe et magistrat de la justice divine.

II.1.2.6. Le Livre du passage de la Très Sainte Vierge Marie

L’Assomption de Marie ou transitus grec « R » met en scène le moment où le Christ


redescend sur terre pour faire transporter le corps de sa mère, quatre jours après son décès,
pour le déposer au paradis. Il est accompagné pour mener à bien cette mission de Michel et
Gabriel, auxquels se joindront les apôtres.
« Et voici que tout à coup le Seigneur Jésus arrive sur les nuées avec une multitude innombrable
de saints anges. Avec Michel et Gabriel, il entra dans la chambre où était Marie tandis que les
anges chantaient des hymnes et se tenaient à l’extérieur de la chambre. En entrant, le Sauveur
trouva les apôtres autour de Marie et les salua. » (Assomption de Marie ou transitus grec « R »,
33)415
« Le Seigneur l’embrassa, prit son âme sainte et la déposé dans les mains de Michel en
l’enveloppant de peaux dont il est impossible de dire l’éclat. Et nous les apôtres, nous vîmes
l’âme de Marie remise entre les mains de Michel, parfaite en toute forme humaine […] »
(Assomption de Marie ou transitus grec « R », 35)416.
Michel est une fois de plus le conducteur par excellence des âmes d’exception. Au chapitre
47, le Christ commande à Michel d’emporter le corps de Marie jusqu’au paradis.
Michel doit ensuite apporter l’âme de Marie afin qu’ait lieu la réunion des deux éléments de
son être : son enveloppe charnelle et son âme.
« Quand ils arrivèrent au Paradis, ils déposèrent le corps de Marie sous l’arbre de vie. Michel
apporta son âme sainte et ils la déposèrent dans son corps » (Assomption de Marie ou transitus
grec « R », 48)417
Dans la Dormition de Marie du Pseudo-Jean, Michel n’est pas nommé. Cependant, l’« ange
du Seigneur » qui « par une force invisible, avec une épée de feu » trancha les deux mains de
l’Hébreu Jéphonias418, sera parfois identifié comme l’archange Michel, notamment dans
certaines peintures dont nous reparlerons plus tard.

415
Écrits apocryphes chrétiens, II, op. cit., p. 232.
416
Ibidem, p. 233.
417
Ibidem, p. 239.
418
Écrits apocryphes chrétiens, I, op. cit., 1997, p. 183, chapitre 46 : « Et voici, alors qu’ils le portaient [corps de
la Vierge], qu’un Hébreu du nom de Jéphonias, vigoureux de corps, s’élança et saisit de la bière portée par les
apôtres. Et voici qu’un ange du Seigneur, par une force invisible, avec une épée de feu, lui trancha les deux
mains, les laissant pendre en l’air auprès de la bière. »
93
II.1.2.7. L’Évangile de Barthélemy

Nous évoquerons ici les deux textes écrits par le pseudo-Barthélemy : l’un sur les
Questions de Barthélemy, questionnement du bienheureux apôtre Barthélemy, et d’autre
apôtre, au Seigneur Jésus-Christ, et l’autre s’intitulant Livre de la résurrection de Jésus-
Christ par l’Apôtre Barthélemy, traduction du manuscrit A419. La réunion de ces deux textes,
écrits à des époques différentes par des auteurs différents est parfois appelée Évangile de
Barthélemy420.
Dans le premier texte, Barthélemy s’adresse au Christ, à la Vierge et au diable pour les
questionner. Il demande au Christ ce qu’il a fait une fois descendu de la croix :
« Lorsque j’ai disparu de la croix, c’est alors que je suis descendu dans l’Hadès pour en faire
sortir Adam et tous les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, suivant la requête de l’archange
Michel. » (Questions de Barthélemy 1, 9)421
Michel intervient ici comme un intercesseur des âmes prisonnières de l’Hadès. C’est toujours
le messager entre Dieu et les hommes dans un contexte d’au-delà (référence aux paroles
consolatrices de Michel qu’il adresse à Seth dans la Vie Adam (lat) 41-42.)
Dans un extrait suivant, sous les ordres de Jésus, Michel doit faire apparaitre aux yeux des
apôtres l’adversaire :
« Alors, il les fit descendre du mont des Oliviers et, après avoir adressé une semonce aux anges
préposés au Tartare, il fit signe à Michel de faire retentir la trompette dans la hauteur de sa
puissance. Et, aussitôt, ce dernier fit retentir la trompette : la terre trembla, et Béliar sortit,
retenu par six cent soixante anges et entravé de chaînes de feu. » (Questions de Barthélemy 4,
12)422.
Michel est à nouveau le chef des troupes angéliques auxquelles il commande de sa trompette
de sortir Béliar pour le montrer aux apôtres.
Dans la suite du texte, Barthélemy s’adresse directement au démon sorti de terre. Ce dernier
lui indique qu’il fut le premier des anges créé par Dieu :
« Moi, donc je fus le premier ange à être façonné. Car lorsque Dieu faisait les cieux, il prit une
poignée de feu et me façonna en premier, puis en deuxième Michel, le général en chef des
puissances d’en haut. » (Questions de Barthélemy 4, 28)423.
La bête affirme le rang supérieur de Michel sur les autres anges qui ont été créés après lui,
mais indique également qu’il était façonné avant lui. Il propose ainsi une sorte de hiérarchie
en fonction de l’ordre de création des anges424.
« Alors que moi j’étais dans le monde en train d’en faire le tour, Dieu dit à Michel : « Apporte-
moi une masse de terre provenant des quatre extrémités de la terre et de l’eau provenant des
quatre fleuves du paradis. » Et, Lorsque Michel les eut apportées, il façonna Adam dans les

419
Ibidem, l’intégralité des textes conservés se trouve pp. 255-356.
420
Voir à ce propos les introductions de chacun de ces textes aux pages 257-265 et 299-305 écrites par Jean-
Daniel KAESTLI, ibidem.
421
Ibidem, p. 268.
422
Ibidem, pp. 281-282.
423
Ibidem, p. 285.
424
Il indique que Gabriel arrive en troisième, Ouriel en quatrième, Raphaël en cinquième et Nathanaël en
sixième ; Questions de Barthélemy 4, 29.
94
régions de l’Orient : il donna une forme à la masse de terre informe, déploya les nerfs et les
veines, et les agença avec harmonie. Et il se prosterna devant lui : lui-même en premier à cause
de lui, parce qu’il était à son image ; et il se prosterna. Lorsque je revins des extrémités du
monde, Michel me dit : « Prosterne-toi devant l’image de Dieu, qu’il a façonnée selon sa
ressemblance ! » Mais je répondis : « Moi qui suis feu issu du feu, le premier ange à avoir été
façonné, je devrais me prosterner devant l’argile et la matière ! » Michel me dit : « Prosterne-
toi, afin que Dieu ne s’irrite pas contre toi ! » Je répondis : « Non, Dieu ne s’irritera pas et je
serais comme lui. » Alors Dieu s’irrita contre moi et me précipita en bas, en ordonnant que
soient ouvertes les écluses du ciel. » (Questions de Barthélemy 4, 53-55)425.
Ici le Diable révèle à Barthélemy comment il a été expulsé du ciel après avoir refusé de se
prosterner devant l’homme que Dieu venait de créer. Michel apparait comme l’exécuteur des
ordres de Dieu et comme l’ange fidèle au Seigneur en opposition au Diable qui décide de s’en
détourner en lui désobéissant par orgueil. Par contre il n’est pas le guerrier qui expulse du ciel
les anges déchus puisqu’il semble que ce soit Dieu qui les « précipita en bas » sans en donner
l’ordre à l’un de ses subalternes ou à une armée angélique.

Le second texte porte sur la Résurrection du Christ. Michel est présent dans plusieurs
épisodes se déroulant à la suite de cette Résurrection comme dans la réconciliation de Dieu
avec Adam, le séjour dans l’au-delà de Siôphanès, le fils de Thomas et sa vision des Trônes
des douze apôtres. L’archange est encore un psychopompe de personnages importants : il
s’agit maintenant d’Adam et Ève.
« Et aussitôt Michel courut au Paradis, amena Adam et Ève et les fit se tenir debout en présence
du Père. » (Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l’Apôtre Barthélemy 14, 1)426.
Michel agit une nouvelle fois sous les ordres de Dieu pour porter des âmes devant lui. Le
sacrifice du Christ a permis le rachat du péché originel et Dieu se réconcilie avec les primo-
géniteurs, accompagné de ses anges :
« Alors Michel [prononça] cet hymne à propos d’Adam, en cette heure-là […] [en disant :
« Grande est la joie d’Adam, car il va être ramené à son origine ! Amen ! Michel avec sa
paix. » » (Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l’Apôtre Barthélemy 14, 1)427.
Michel est le premier ange à célébrer cette réconciliation sur la demande de Dieu, avant
Gabriel, suivi d’une dizaine d’autres anges nommés puis de tous les anges anonymes qui
clament des hymnes. Adam répond à cet honneur :
« Car voici le jour et l’heure de la joie, celui que mon père Michel l’archange et toute l’armée
angélique ont demandé en suppliant en faveur de toute ma descendance. » (Livre de la
Résurrection de Jésus-Christ par l’Apôtre Barthélemy 16, 3)428.
Encore une fois Michel apparait directement après Dieu dans les honneurs d’Adam rendus
aux puissances célestes, suivi de toute l’armée angélique.
Siôphanès, fils de saint Thomas raconte à son père son séjour dans l’au-delà

425
Écrits apocryphes chrétiens, I, op. cit., p. 290.
426
Ibidem, pp. 333-334.
427
Ibidem, p. 335.
428
Ibidem, p. 337.
95
« À l’heure où ils vinrent derrière moi pour séparer mon âme de mon corps, un ange grand et
puissant vint aussi, avec un tissu de lin fin, ainsi que des multitudes d’anges, qui avaient tous les
reins ceints de ceintures d’or, avec des parfums, et qui appelaient cet ange-là : « Michel, l’ange
de la miséricorde. » […] Et Michel signa ma bouche au nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint.
Et aussitôt mon âme bondit hors de mon corps et se plaça sur la main de Michel. Il l’enveloppa
dans le tissu de lin fin et ils montèrent avec elle au ciel en chantant des hymnes [pour elle].
[Nous] atteignîmes le fleuve de feu. Michel me déposa de sur sa main. […] [La] lumière de
Michel m’illumina jusqu’à ce que [nous eûmes traversé]. Après que nous l’eûmes traversé, nous
montâmes [dans les cieux]. Il m’emmena sur le lac de l’Achéron, et il m’y plongea à trois
reprises. » (Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l’Apôtre Barthélemy 21, 3-6)429.
Cet extrait semble réunir tous les éléments présents la plupart du temps dans les Apocryphes
qui mettent en scène l’archange : il est le chef des anges, « grand et puissant » ; il apparait
également en tant qu’intercesseur puisqu’il est nommé « l’ange de la miséricorde » ; il
demeure l’archange psychopompe qui récupère l’âme du défunt ; enfin il participe, comme
dans l’Apocalypse de Paul, à la purification de l’âme repentie.
Michel joue enfin un dernier rôle de psychopompe et de guide dans l’au-delà dans ce livre en
emportant Siôphanès « en un lieu qui est appelé « la tente du Père » » (21, 7). Le fils de
Thomas demande à l’archange qui sont les propriétaires des trônes qui s’y trouvent, et Michel
répond que ce sont les « douze trônes des douze saints disciples » (21, 9). Michel emmène
ensuite l’âme au paradis, mais Thomas adresse une prière à Dieu et l’archange replace l’âme
de Siôphanès dans son corps430.

II.1.2.8. Autres textes apocryphes

Michel est présent ponctuellement dans plusieurs autres textes apocryphes. Il demeure,
comme le prouvent ces différents extraits, le premier ange431, le chef de la milice angélique,
l’exécuteur des volontés divines :
« Et Michel vint, et l’ange qui était avec moi s’avança vers lui, et se prosterna devant lui et dit :
« Je te salue, mon archistratège et celui de toute notre légion » » (III Baruch, XI, 6)

« Dieu envoya l’archange Michel » (Vie grecque d’Adam et Ève, XIII, 2)

« Pendant la nuit, un ange vint. C’était l’archange Michel. Il me dit : « Prophète Esdras, fais
silence maintenant, pendant soixante-dix semaines » (Apocalypse d’Esdras, I, 3)

« Que quiconque aura célébré la fête et la mémoire du bienheureux prophète Esdras partage son
sort avec notre Seigneur Jésus Christ, avec la bienheureuse Marie, mère de Dieu, et avec le
bienheureux Michel, son archange. Amen. » (Vision d’Esdras, 117)

429
Ibidem, p. 348.
430
Ibidem, pp. 348-350.
431
Comme le précise Bernard Teyssèdre, « l’ange de la Paix » des Testaments des douze patriarches est souvent
identifié comme Michel ; dans TEYSSEDRE, 1986, p. 238.
96
« Lorsque l’Apôtre arriva sur la porte de la ville, il trouva notre Seigneur, qui était assis avec
Michel et Gabriel. » (Légende de Simon et Théonoé, Z, 43)

« Ensuite le bon Sauveur appela les sept archanges, depuis Michel le grand archange, le général
en chef de l’armée des cieux, jusqu’à Sédékiel ». (Éloge de Jean-Baptiste, 139, 11-14)

« Et une foule, ainsi que Michel et Gabriel, vous accompagne pour aller avec vous vers
l’Égypte, jusqu’à ce que chacun soit établi en son lieu et que le corps de l’apôtre soit déposé en
Égypte ». (Légende de Simon et Théonoé, R, 93)

Il est un archange particulier, l’archistratège de confiance du Seigneur devant lequel se


prosternent les autres anges. Ainsi, même s’il n’est pas directement cité dans ces extraits, il
est généralement identifié à travers les termes tels que :
« l’ange qui intercède pour le peuple d’Israël » (Testament de Lévi V, 6)

« l’ange qui intercède pour vous, car c’est un médiateur entre Dieu et les homes et, pour le salut
d’Israël, il résistera à l’empire de l’Ennemi » (Testament de Dan, VI, 2)

« le commandant de la maison du Seigneur et le commandant en chef de toute l’armée du Très-


Haut.» » (Joseph et Aséneth, XIV, 7)

L’archange est également un liturge puisque dans la Vie grecque d’Adam et Ève il glorifie
Dieu en ces termes :
« Saint, saint, saint est le Seigneur ! À la gloire de Dieu le Père. Amen. » Vie grecque d’Adam et
Ève, XLIII, 3-5)

C’est la primauté de Michel sur les autres anges qui en fait un médiateur et un intercesseur
efficace écouté par Dieu :
« « C’est précisément l’archistratège Michel qui descend pour recevoir les prières des
hommes » » (III Baruch, XI, 4)

« Et Je dis : « Seigneur, quel est l’objet que saisit l’archange Michel ? ». Et il me dit : « C’est le
réceptacle où vont les mérites des justes et toutes les bonnes œuvres qu’ils accomplissent ; il
sert à les transporter devant le Dieu céleste » ». (III Baruch, XI, 9)

« Et il me dit : « A présent, Michel porte les mérites des hommes à Dieu. » » (III Baruch, XIV,
2)

« Car je te donnerai, Hénoch, un intercesseur, mon archistratège Michel » (II Hénoch, XXXIII,
7)

« Dieu dit à l’archange Michel : « Dis à Adam : « Le mystère que tu sais, ne le révèle pas à ton
fils Caïn, car c’est un fils de la colère » » ». (Vie grecque d’Adam et Ève, III, 2)

97
« Et Sedrach dit à l’archange Michel : « Écoute-moi, puissant protecteur, viens à mon secours et
sois mon ambassadeur, afin que Dieu ait pitié du monde » ». (Apocalypse de Sedrach, 14, 1)

Le rôle principal qu’il occupe dans les récits apocryphes, est celui d’accompagnateur des
hommes dans l’au-delà : qu’il s’agisse des âmes défuntes à conduire aux cieux ou des
personnes vivantes qui visitent l’enfer et le paradis. Dans le premier cas, Michel intervient
dans sa fonction de psychopompe :
« J’enverrai dans peu de temps on archistratège Michel, et il prendra l’enfant et le placera dans
le paradis de l’Éden ». (II Hénoch, LXX, 25)

« Alors Michel enleva Adam et le laissa là où Dieu lui avait dit, tandis que tous les anges
chantaient un hymne angélique en s’émerveillant du pardon d’Adam ». (Vie grecque d’Adam et
Ève, XXXVII, 6)

« Puis il dit à Michel, Gabriel et à Ouriel : « Étendez un linceul et couvrez-en le corps


d’Adam. » » (Vie grecque d’Adam et Ève, XL, 2)

« Aussitôt, le Sauveur ordonna à une nuée lumineuse de descendre, et elle l’emporta avec
Michel, Gabriel et avec le corps de Simon et les deux disciples de ce dernier ». (Légende de
Simon et Théonoé, R, 96)

« Le Seigneur dit à Michel : « Va et rappelle l’âme d’Esdras mon bien-aimé. » » (Vision


d’Esdras, 93)

Il emporte les purs auprès de Dieu. Il apparait même parfois comme l’assistant ou l’un des
accompagnateurs du Christ après sa mort :
« Les archanges Michel et Gabriel, Raphaël et Ouriel m’ont suivi jusqu’au cinquième
firmament des cieux, puisque j’avais l’apparence de l’un d’eux. » (Épitre des apôtres, 13)

« Que l’ange du Saint-Esprit et Michel, le chef des anges saints, au troisième jour ouvriraient
son tombeau » (Ascension d’Isaïe, 3, 16)

Dans le second cas, Michel est un guide des personnes vivantes visitant l’au-delà. Il transporte
les hommes dans les différents lieux paradisiaques et infernaux et leur explique ce qu’ils
voient :
« Et Michel, le grand archange du Seigneur, me releva et me conduisit devant la face du
Seigneur » (II Hénoch, XXII, 3)

« « Je veux, Maître, voir aussi les parties inférieure du Tartare. » Dieu dit : « Descends et vois. »
Et il me donna Michel, Gabriel et trente-quatre autres anges. » (Apocalypse d’Esdras, 4,5-7)

« À ce moment-là, survinrent Michel et Gabriel, et ils me dirent : « Esdras, viens au ciel pour
nous célébrions la Pâque. » » (Vision d’Esdras, 56)

98
« Lorsque j’eux vu tous les châtiments de l’enfer qui étaient distribués à la ronde, survinrent les
anges Michel, Gabriel, Raphaël et Ouriel ; ils me placèrent sur un nuage de flammes et
m’emportèrent jusqu’au premier ciel » (Vision d’Esdras, 60)

Cette fonction de protecteur et d’accompagnateur d’homme seul, non plus de peuple, en fait
en quelque sorte une figure d’ange gardien avant l’heure432. Dans ces récits de visions dans
l’au-delà ; il apparait parfois tel le gardien des portes ou tel un participant au jugement :
« « Nous ne pouvons entrer jusqu’à ce que vienne Michel, le gardien des clefs du royaume des
cieux » » (III Baruch, XI, 2);

« « À l’instant même nous entendîmes l’archange Michel sonner la trompette et appeler les
anges en disant : « Ainsi parle le Seigneur : « Venez avec moi dans le paradis pour entendre par
quelle sentence je vais juger Adam. » » Lorsque nous entendîmes l’archange sonner de la
trompette, nous nous dîmes : « Voici que Dieu vient dans le paradis pour nous juger » ». (Vie
grecque d’Adam et Ève, XXII, 1-2)

Nous avons déjà évoqué le rôle de magistrat de la justice divine de Michel dans les textes de
l’Apocalypse de Paul. Dans les Actes de Philippe, plus qu’un simple accompagnateur dans
l’au-delà, Michel se livre à des accusations et semble même être à l’origine des supplices
infligés à certains damnés :
« L’archange Michel, qui tenait la clé du feu, surgit devant moi et me dit : « Tu ne peux rien
obtenir ni des eunuques nu des vierges, car c’est un autre qui juge. De même que le pécheur ne
connaît pas de pitié, le calomniateur n’en connaît pas davantage et, même s’il distribue ses biens
aux autres, cela ne lui sert de rien. Et, de même qu’il a publié largement ses calomnies, de
même sa condamnation est-elle publiée aux yeux de tous. Car il n’y a pas de pitié pour celui qui
a calomnié la pureté, ni pour lui, ni pour l’hypocrite, ni pour les envieux, ni pour les menteurs,
ni pour ceux qui prennent plaisir à entendre des mensonges méchants, car il est écrit : « Que tu
dises un mensonge ou que tu ne le réfutes pas tu t’exposeras aux mêmes peines. » De même, il
n’y a pas de pitié pour celui qui cache un péché. » (Actes de Philippe, 8)

« À ces mots, je me hâtai de sortir et, ce faisant, je vis devant la porte un homme et une femme,
et le grand chien appelé Cerbère, qui a trois gueules, attaché à la porte par des chaînes de feu ; il
dévorait l’homme et la femme et tenait leur foie entre ses pattes. Et eux, comme demi-morts,
criaient : « Pitié de nous, au secours ! » Et personne ne venait à leur aide. Je m’élançais pour
tirer le chien en arrière. Michel me dit : « Laisse, car eux aussi ont blasphémé contre des
prêtres, des anciennes, des eunuques, des diacres, des diaconesses, des vierges, les accusant à
tort d’impudicité et d’adultère ; leur forfait accompli, ils m’ont rencontré, moi, Michel, ainsi que
Raphaël et Ouriel, et nous les avons donnés en pâture à ce chien jusqu’au grand jour du
jugement ». Je répondis : « Prince Michel, continue de les torturer ! » Lorsqu’il m’eut dit : « Il
n’y a de pitié ni pour ces gens, ni pour ceux qui voudront les imiter. Et non seulement ici mais
même dans leur existence terrestre, je leur ferai connaître la multitude de leurs peines, s’ils
refusent de se repentir. Je susciterai contre eux des démons, des chagrins, des afflictions ;

432
INFANTE, 1997, p. 223.
99
j’enverrai contre eux des hommes tyranniques, qui leur affligeront mille maux. » » (Actes de
Philippe, 12)

Contrairement à son action consolatrice dans l’Apocalypse de Paul, il n’intervient pas ici en
tant qu’avocat des affligés pour réduire leurs peines, mais plutôt comme bourreau pour
appliquer les supplices.
À la fin du Livre de Baruch, Michel exécute une action originale : il commande aux anges de
récompenser les hommes méritants et de punir ceux qui ont péché et n’ont ainsi pas rempli les
coupes de fleurs :
« Et à cette heure même, Michel s’éloigna et les portes furent fermées. Et il y eut un bruit
semblable au tonnerre. Et j’interrogeai l’ange : « Quel est ce bruit ? » Et il me dit : « à présent,
Michel porte les mérites des hommes à Dieu. » Et à cette heure même, Michel descendit et la
porte fut ouverte ; et il apporta de l’huile. Et il remplit d’huile les corbeilles des anges qui les
avaient apportées pleines en disant : « emportez, récompensez, au centuple nos amis et ceux qui
ont laborieusement accompli les bonnes œuvres. Car ceux qui ont semé dans la vertu, récoltent
aussi dans la vertu. » Et il dit aussi à ceux qui avaient apporté les corbeilles à moitié vides :
« Venez vous aussi, recevez le salaire correspondant à ce que vous avez apporté, et remettez-le
aux fils des hommes. » Il dit ensuite à ceux qui avaient apporté des corbeilles pleines comme à
ceux qui les avaient apportées à moitié vides : « Allez et bénissez nos amis, et dites-leur :
« Ainsi parle le Seigneur : vous êtes fidèles en peu de choses, il vous sera beaucoup confié.
Entrez dans la joie de notre Seigneur. » et s’étant retourné, il dit aussi à ceux qui n’avaient rien
apporté : « Ainsi parle le Seigneur : ne soyez pas sombres et ne pleurez pas et n’abandonnez pas
les fils des hommes. Mais puisqu’ils m’ont irrité par leurs œuvres, allez, rendez-les jaloux et
irritez-les et aigrissez-les contre une nation que n’en est pas une, une nation sans intelligence.
De plus, outre cela, envoyez-leur des chenilles et des sauterelles, de la nielle et des criquets, de
la grêle avec des éclairs et avec colère. Et châtiez-les par le glaive et par la mort, et leurs enfants
par les démons. Car ils n’ont pas écouté ma voix et n’ont pas observé ni mis en pratique mes
commandements, mais ils ont méprisé mes commandements et mes assemblées, et ils ont été
violents à l’égard des prêtres qui leur annonçaient mes paroles. » (III Baruch, XIV-XVI)

Ce n’est pas lui le juge, mais bien Dieu à qui il apporte les mérites des hommes et qui lui
donne les ordres à suivre ensuite transmis aux anges « classiques ». S’il ne s’agit pas encore
d’une pesée des âmes, l’estimation de la quantité de fleurs dans chaque corbeille, symbole des
bonnes actions, s’apparente à une comptabilité des mérites des justes et des bonnes œuvres
dans laquelle saint Michel a un rôle majeur de contrôle, de rapporteur et d’exécuteur de la
sentence divine.

Dans la première Apocalypse apocryphe de Jean, au chapitre 5 433, Michel et Gabriel sont
envoyés par Dieu pour sonner « de la trompe avec ces cornes ». L’archange est également
envoyé par Dieu pour apporter à Adam et Ève les graines, leur apprendre à les semer et les

433
Écrits apocryphes chrétiens, 2005, pp. 1001-1002.
100
récolter. Il est, une fois de plus, le porte-parole de Dieu et une assistance pour les hommes sur
terre434.

Si les textes apocryphes permettent de préciser les fonctions déjà attribuées à Michel dans la
Bible, il n’y apparait que très rarement comme combattant du diable et est principalement le
porteur des messages entre Dieu et les hommes et entre les hommes et Dieu, et
l’accompagnateur de confiance envoyé par le Seigneur pour prendre soin des âmes défuntes
d’exception ou expliquer à certains hommes les visions qu’ils reçoivent de l’au-delà. Il
demeure le chef de l’armée céleste et le premier ange auprès de Dieu. Par contre, s’il assiste
parfois au jugement des âmes ou le commente aux visiteurs de l’au-delà, Michel ne semble
pas tenir dans ces récits de place particulière dans le déroulement de l’action judiciaire ou
dans la pesée des âmes sur la balance435, si ce n’est dans le texte de Baruch dont nous venons
de parler.
Renzo Infante rapprochent les multiples fonctions assumées par l’archange dans les
apocryphes de celles qui seront ensuite réalisées par le Christ lui-même et envisage ainsi des
influences de la figure michaélique sur la réflexion christologique des premières
communautés chrétiennes436. Quoi qu’il en soit, les textes apocryphes témoignent d’un grand
intérêt pour la figure archangélique, et pour les anges en général et seront ainsi en partie à
l’origine du développement du culte angélique en Orient437.

II.2- Origines de la dévotion aux anges et à saint Michel

Même s’il jouit d’une place particulière dans l’angélologie, il n’est pas possible de
comprendre la dévotion à Michel sans s’arrêter sur celle rendue aux anges, même si parfois ce
sera la figure de l’archange qui pourra être un élément moteur dans l’évolution du culte rendu
aux anges.
Nous allons résumer dans ce chapitre tout ce qui a trait aux croyances autour des anges, les
premiers témoignages de la dévotion qui leur est rendue, la transformation de ces premières
manifestations en culte réglementé par l’Église, et l’évolution de la pensée autour des anges
au cours du Moyen Âge. Il nous semble ainsi nécessaire de s’arrêter sur les définitions des
mots que nous allons employer majoritairement ci-après : dévotion, culte, liturgie et
angélologie.

434
Apocrifi del Nuovo Testamento, vol.II, a cura di Luigi Moraldi, Torino, Unione Tipografico-editrice Torinese,
1971, pp. 1951-1954.
435
Pourtant évoquée par l’archange lui-même dans le Testament d’Abraham où Michel parle de « l’ange en
forme de soleil qui tient la balance dans sa main, c’est l’archange Dokiel le juste peseur : il pèse les péchés et les
actes justes avec la justice de Dieu » (XIII, 10)
436
INFANTE, 1997, p. 228.
437
ROUCHE, 1989, p.535.
101
La dévotion renvoie aux attitudes intérieures du croyant, à une vénération portée à une
divinité, et aux pratiques qui en résultent. Dans le dictionnaire du Moyen Âge, Marielle Lamy
différencie la dévotion - qui concerne les attitudes - aux dévotions - qui concernent les actes
découlant des attitudes, « les manifestations sensibles d’une disposition spirituelle » 438. En
plein Moyen Âge, « les dévotions » sont surtout la marque d’une démarche religieuse à forte
tonalité affective, qui seront souvent critiquées par les clercs, déplorant le glissement courant
des dévotions aux superstitions, rendu possible par l’impossibilité d’établir un contrôle de
pratiques se déroulant la plupart du temps dans la sphère privée.
Bernadette Martin-Hisard, à propos de la confusion entre culte et dévotion à Michel, rappelle
que le premier terme désigne un culte liturgique fondé sur le plan théologique, approuvé sur le
plan normatif, pratiqué dans des lieux ecclésiastiquement définis, alors que la dévotion
renvoie à une réalité moins bien délimitée, « paraliturgique » pour ne pas dire populaire439.
C’est dans ce sens que nous comprenons la distinction entre ces deux termes, qui
correspondent bien à des formes diverse de la dévotion. Nous utiliserons le terme de culte
dans le sens d’un hommage religieux manifesté par un ensemble de pratiques, privées et
publiques, réglé par une religion. Le culte des anges sera donc compris au sens de la
vénération qui leur est faite, de l’imploration de leur protection dans la prière440 et de
l’ensemble des pratiques qui en découlent.
La liturgie, désigné au Moyen Âge par le terme d’officia divina (offices célébrés pour Dieu),
constitue l’ensemble des manifestations publiques (cérémonies, rites, prières, chants…) réglé
et ordonné, dédié au culte d’une divinité. Dans la religion chrétienne, il s’agit du culte officiel
institué par l’Église. La liturgie fait donc partie du culte, ces deux ensembles de pratiques
pouvant être eux-mêmes inspirés par la dévotion, mais pas obligatoirement, dont certains
aspects peuvent à leur tour évoluer par rapport aux formes que prennent le culte et ses
pratiques.
Enfin, l’angélologie est l’étude des anges, de leur création, de leur histoire, de leur rôle. Il
s’agit des doctrines médiévales sur les anges s’inscrivant dans une longue tradition religieuse
et philosophique441. Chacune des trois religions abrahamiques - le judaïsme, le
christianisme et l'islam -possède sa propre angélologie. Le zoroastrisme a également
développé ses propres conceptions sur les anges. L’angélologie est centrale dans l’élaboration
du culte officiel instauré et contrôlé par l’Église.

438
LAMY Marielle, « Dévotion », notice du Dictionnaire du Moyen Âge, sous la direction de Claude
GAUVARD, Alain DE LIBERA et Michel ZINK, Paris, Quadrige PUF, 2002, pp. 408-409.
439
MARTIN-HISARD, 1994, pp. 351-374.
440
CABIÉ, 1997, p. 5.
441
SUAEZ-NANI, 2002, pp. 56-59.
102
II.2.1. L’angélologie et les pratiques liées à la dévotion aux anges

La dévotion aux anges est précoce en Orient et se transmet rapidement en Occident.


Leur présence dans la liturgie est également ancienne. En effet, même si les fidèles ne
s’adressent pas directement à eux pendant la messe, ils sont déjà omniprésents pendant le
service divin, en tant que serviteurs de la gloire de Dieu442. Par contre, leur culte - dans le sens
de pratiques clairement réglementées par l’Église - apparait progressivement et plus
tardivement et eut du mal à se systématiser entre le VIIe et le XIIIe siècle. Nous aborderons
ainsi la question de l’apparition du culte des anges en plusieurs étapes : un premier
paragraphe s’interrogera sur les origines de la dévotion aux anges et sur la continuité entre les
croyances païennes et la nouvelle religion chrétienne ; nous nous arrêterons ensuite sur la
pensée autour des anges définie tout au long du Moyen Âge par les Pères et les théologiens de
l’Église ; puis nous résumerons la nature des manifestations engendrées par ces dévotions
durant la période médiévale.

II.2.1.1. L’angélologie chez les penseurs chrétiens et dans l’Église

Nous avons vu que les anges sont omniprésents dans les récits vétéro- et
néotestamentaires. Malgré cette importance, ils restent des serviteurs de Dieu et la lettre de
Paul aux Colossiens, reflet des conceptions juives de son temps, affirme la suprématie du
Christ sur les anges :
« C’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les
invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances ; tout a été créé par lui et pour lui »
(Colossiens, 1, 16)
Saint Paul reprend des dénominations de catégories angéliques pour faire comprendre que
même les choses invisibles sont soumises au Fils de Dieu. Dans le deuxième chapitre de son
épître, Paul formule directement sa critique sur le culte des anges :
« Que personne n’aille vous en frustrer, en se complaisant dans d’humbles pratiques, dans un
culte des anges : celui-là donne toute son attention aux choses qu’il a vues, bouffi qu’il est d’un
vain orgueil par sa pensée charnelle et il ne s’attache pas à la Tête, dans le Corps tout entier
reçoit nourriture et cohésion, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu »
(Colossiens, 2, 18-19)

Dans le premier Épître à Timothée, la fonction principale des anges est remise en cause par le
fait que le Christ est défini comme l’unique « médiateur entre Dieu et les hommes »
(1 Timothée, 2, 5). Renzo Infante pense que la figure du Christ a en partie permis de
réaffirmer la supériorité de Dieu sur les anges et de participer ainsi à la dénonciation des
déviations liées au culte des anges et dont la lettre de Colosse est un autre révélateur 443. Mais

442
CABIÉ, 1997, p. 5.
443
INFANTE, 1997, pp. 211-229.
103
les anges gardent un service d’adoration auprès de Dieu. Si elles dénoncent des pratiques qui
ne semblent pas encore acceptées par les penseurs chrétiens, la critique paulinienne et les
affirmations de l’Épître de Timothée, attestent bien l’existence d’un hommage rendu aux
anges dès le Ie siècle après J.C., en Asie Mineure. La dévotion aux anges a ses origines en
Orient : en Phrygie puis en Égypte.

Le culte des anges fut aux origines perçu comme dangereux. Le Concile de Laodicée qui a eu
lieu entre 343 et 381444 toujours en Phrygie, interdit au canon 35 d’invoquer les anges et de
les nommer445 et témoigne de ce fait que cette dévotion est toujours présente dans cette région
au IVe siècle, et qu’elle est toujours considérée comme suspecte. L’Église ne condamne
pourtant pas les honneurs rendus aux anges comme ministres de Dieu.

Les premiers Pères de l’Église affirment pourtant que les anges sont dignes des honneurs,
saint Justin le premier. Au IIe siècle, le philosophe chrétien insiste sur l’importance des anges.
« Nous croyons au Dieu très vrai, père de la justice, de la sagesse et des autres vertus, en qui ne
se mélange rien de mal. Avec lui nous vénérons, nous adorons, nous honorons en esprit et en
vérité le fils venu d’auprès de lui, qui nous a donné ces enseignements, et l’armée des autres
bons anges qui l’escortent et qui lui ressemblent, et l’esprit prophétique. »
(I, Apologie, 6, 1, 2)446.
Cet extrait énonce clairement la supériorité de Dieu mais pourtant il semble également
indiquer que ceux qui sont vénérés, adorés et honorés, sont le fils de Dieu et « les autres bons
anges ». Il souhaite en fait créer un effet de masse des créatures vénérées par les convertis en
réponse aux critiques émises par les païens, voyant dans les chrétiens des athées. La place
considérable des démons et leurs activités malveillantes dans la pensée de Justin font des
anges des personnages indispensables au contrebalancement du mal vers le bien.
Origène précise que si un culte peut être rendu aux anges, il est totalement impossible pour les
démons447. En fait, cette dévotion angélique admise dans les textes patristiques des premiers
temps chrétiens est plutôt entendue comme un honneur, une marque de respect ou des
remerciements rendus aux ministres de Dieu. La méfiance envers ces manifestations, outre la
nécessité d’affirmer la toute-puissance d’un Dieu unique, s’explique en grande partie par la
peur de l’idolâtrie.

En ce qui concerne la spiritualité en général et la dévotion aux anges en particulier, le


Moyen Âge ne marque pas une rupture nette avec l’Antiquité et les phénomènes
d’assimilations et de transmissions sont nombreux448. Selon Victor Saxer, les racines du culte
angélique et donc du culte de saint Michel, sont bibliques, judaïques et peut-être judéo-
chrétiennes, et enfin païennes et gnostiques. Il voit dans le développement du culte angélique
444
BAREILLE, 1930, p. 1220.
445
PICCIRILLO, 2000, p. 48 ; Philippe Faure précise que ces premiers témoignages condamnés consistaient à
porter les noms angéliques sur des amulettes supposées garantir l’immortalité, dans FAURE, 1997, p. 199.
446
Cité dans DUHR, 1937, p. 599.
447
DUHR, 1937, p. 599.
448
FAURE, 1988, p. 31.
104
une certaine accommodation du monothéisme au polythéisme ambiant : auprès du Dieu
unique, nous retrouvons des créatures spirituelles qui auraient un rôle d’intermédiaire entre ce
Dieu et les hommes449. Là où chaque requête avait surement sa divinité dans les cultes païens,
les fidèles se retrouvaient face à face avec un Dieu unique et préféraient certainement
continuer à invoquer des êtres secondaires, plutôt que de déranger le Dieu suprême et terrible.
Nous avons déjà précisé que le développement de l’angélologie s’est vu accéléré lors de la
captivité babylonienne, lorsque les Judéens se sont retrouvés en contact direct avec des
croyances polythéistes structurées donnant pour chaque fonction un nom divin450. La
définition même des êtres angéliques dans les textes bibliques semble accommoder la
nouvelle religion monothéiste au polythéisme ambiant.
Mais Peter Brown note que la transmission de la protection du Daaïmon, Genius ou ange-
gardien de l’antiquité tardive, à la dévotion aux anges ne s’est pas faite aussi simplement et a
dû composer avec une concurrence du culte des saints, préféré par les autorités religieuses à
celui des anges451. Enfin, comme le précise Alfred Vacant, il ne faut pas trop simplifier la
situation et faire des anges des divinités rabaissées au rang de demi-dieux par les conceptions
monothéistes452.

Les premiers textes qui évoquèrent la question de l’angélologie furent ceux d’Origène
e
au III siècle puis de Grégoire de Naziance, de Basile de Césarée et de Grégoire de Nysse au
IVe siècle453. La question fut traitée en Occident par saint Augustin, incontesté dans le
domaine jusqu’au XIIIe siècle, puis par Grégoire le grand, Isidore de Séville et Jean Scot
Érigène et la scolastique454.
L’histoire du culte des anges est ponctuée de sentiments suspects face aux tendances
schismatiques et idolâtriques engendrées par certaines pratiques. Pourtant, s’ils ne cautionnent
pas forcément toutes les manifestations de cette dévotion, et moins encore un culte, Pères,
théologiens et philosophes chrétiens ont développé tout au long du Moyen Âge une curiosité
des conditions existentielles des anges dans l’au-delà, de leur nature, face au statut
uniquement fonctionnel décrit dans les Écritures. L’angélologie est indissociable de
l’environnement culturel variable dans lequel l’Église s’est construite et évolue ainsi au cours
des siècles, les variations touchant aussi bien le degré d’intérêt pour la figure angélique, que
la nature des questions posées et surtout des réponses apportées. Ces études sur les anges
seront en partie à l’origine de la distinction opérée par l’Église entre pratiques légitimes et
pratiques illicites dans l’élaboration d’un culte des anges officiel, encadré et surveillé par
l’institution ecclésiale.

449
SAXER, 1985, p. 369.
450
CAQUOT, 1981, p. 23.
451
BROWN, 1984.
452
VACANT, 1930, p. 1190.
453
FAURE, 1988, p. 32.
454
FAURE, 1988, pp. 32-33.
105
Les penseurs chrétiens ne remettront jamais en cause ni l’existence des anges, ni leur
efficacité. Saint Justin n’est pas le seul à insister sur l’importance des anges. Athénagore,
philosophe athénien converti au christianisme, adresse à l’empereur Marc-Aurèle et à son fils
Commode une Supplique au sujet des chrétiens :
« Il y a aussi une foule d’anges, de ministres que le Créateur et démiurge du monde, Dieu, par
l’intermédiaire du Verbe qui vient de lui, a répartis et ordonnés, pour qu’ils s’occupent des
éléments, des cieux, du monde et de ce qui est en lui, et de leur harmonie. » (Supplique 10)

À la fin du IIe siècle, Clément d’Alexandrie avait prévu de rédiger un ερί άγγέλωυ qui ne nous
est pas parvenu455. À la fin du Ve siècle ou au début du VIe, Pseudo-Denys rédige sa
hiérarchie angélique dont la diffusion en Occident ne se fera qu’au IXe siècle. Avant le VIe
siècle, si elle n’est pas centrale dans les écrits chrétiens, la question des anges est
régulièrement abordée.

Origène fut vraisemblablement le premier à se poser la question de la nature des êtres


angéliques, intermédiaires entre un Dieu incréé et d’une spiritualité absolue et des hommes
constitué d’une âme associée à un corps matériel. Pour lui, les anges possèdent bien un corps,
mais un corps éthéré, un esprit uni à un corps très subtil456. Il admet une création des anges
antérieure à celle du monde, ce qui est généralement accepté par tous Pères grecs et latins457.
Sur la question du libre arbitre, Origène pense que les anges sont faillibles. Pour lui, l’ange
gardien porte une partie de la responsabilité du salut de l’homme qu’il accompagne et devra
répondre de la réussite de sa mission au moment du jugement de l’âme458. Le théologien
souligne l’importance de l’ange dès l’introduction de l’âme dans le corps de l’homme
jusqu’au moment de leur séparation459. Ainsi, s’il précise que les anges restent de simples
intermédiaires entre Dieu et les hommes, il considère qu’il est possible de les louer et de les
proclamer bienheureux par gratitude pour les faveurs rendues aux hommes460. L’importance
de la pensée d’Origène puis des Pères cappadociens (Grégoire de Naziance, Basile de Césarée
et Grégoire de Nysse) est considérable en Orient alors qu’en Occident, c’est la pensée de saint
Augustin qui domine la question des anges jusqu’à l’apparition de la scolastique au XIIIe
siècle.

Sur la question de la nature des anges, saint Augustin hésite entre l’existence d’un corps
subtile et une pure spiritualité et tranche finalement pour un corps lumineux ou aérien, une
forme spirituelle transformable selon l’action accomplie. Il rapproche la nature de ces corps à
ceux des futurs corps ressuscités des hommes461 mais refuse de croire à la version du Pseudo-
Hénoch voyant dans le commerce charnel des anges la raison de leur chute. Il fixe leur
455
BAREILLE, 1930, p. 1192.
456
BAREILLE, 1930, p. 1194.
457
BAREILLE, 1930, p. 1193.
458
BAREILLE, 1930, p. 1203.
459
BAREILLE, 1930, p. 1216.
460
BAREILLE, 1930, p. 1220.
461
BAREILLE, 1930, p. 1197.
106
création au deuxième jour de la Genèse, simultanément à celle des astres, et réaffirme que les
anges sont des êtres créés462. Contrairement à l’avis d’Origène, Augustin, comme la plupart
des autres auteurs, semble accorder aux anges comme à Dieu, le privilège de l’impeccabilité
même s’il est accordé uniquement par la grâce de Dieu, ils ne peuvent ainsi plus déchoir463.
Augustin s’intéresse particulièrement à la connaissance des anges 464 et leur mode
d’intervention auprès des fidèles. Il pense qu’ils ne peuvent produire en nous des
représentations spirituelles mais peuvent tout de même susciter des images, alors que pour les
auteurs du Moyen Âge tardif, les anges suscitent en nous des idées par l’intermédiaire des
fantasmes. En ce qui concerne les pratiques dévotionnelles, saint Augustin repousse l’idée
d’élever des temples aux anges car selon la traduction du mot latin servitus, signifiant culte,
cette pratique comprend surtout l’oblation du sacrifice, qui est exclus pour les anges. Mais
Augustin ne rejette pas pour autant toutes les formes de culte et préconise surtout un culte
d’honneur et d’amour465.

En Orient, l’influence des écrits du Pseudo-Denys se font déjà sentir et ses opinions sur les
anges sont habituellement admises466. En Occident, entre le VIIe et le XIIe siècle, les études
angéliques restent très rares si ce n’est deux pages d’Isidore de Séville 467 et quelques écrits de
Grégoire le grand, qui admet en général les idées de saint Augustin 468 mais qui se prononce
pour une spiritualité absolue des êtres angéliques469. Au XIIe siècle, l’intérêt pour la figure
angélique croît470 et toutes les Sommes publiées comportent au moins un traité sur les anges.
La question de l’état des anges avant la chute des rebelles est centrale. L’opinion adoptée est
que, après avoir tous été créés bons, les mauvais anges s’endurcissent dans le mal alors que
les bons anges sont confirmés dans le bien, même s’ils conservent leur libre arbitre. La
question de la spiritualité des anges est également toujours débattue au XIIe siècle : entre
incorporalité, spiritualité presque absolue, nature éthérée, spiritualité des âmes… les auteurs
proposent chacun leur point de vue471. Il est de toute façon ordinairement admis que comparé
à l’homme, l’ange est spirituel, et comparé à Dieu, il est corporel. Suite à la diffusion des
textes du Pseudo-Denys, les auteurs occidentaux acceptent tous l’inégalité entre les anges et
leur classement en neuf chœurs, même si l’ordre est parfois changé.

Ainsi, si depuis les origines du christianisme jusqu’au XIIe siècle, les Pères suivaient les
recommandations de l’apôtre des gentils prescrivant une certaine méfiance à l’égard des
pratiques superstitieuses autour des anges, ils n’en réprimaient pas pour autant toutes les

462
BAREILLE, 1930, p. 1194.
463
BAREILLE, 1930, p. 1203.
464
FAURE, 1988, p. 32.
465
BAREILLE, 1930, p. 1221.
466
VACANT, 1930p. 1222.
467
Etymologiarum, p. 11222.
468
FAURE, 1988, p. 33.
469
BAREILLE, 1930, p. 1197.
470
Citons par exemple Honorius d’Autun, Rupert abbé de Deutz, saint Anselme, saint Bernard.
471
VACANT, 1930, p. 1225.
107
formes, mais simplement les exagérations. Ils précisent que c’est Dieu seul qu’il faut adorer,
mais cela n’empêche pas aux fidèles de rendre tous les honneurs dus aux anges. Pour les
auteurs chrétiens, la distinction entre le culte rendu à Dieu et celui rendu aux anges, que l’on
peut différencier de manière anachronique comme le culte de latrie et le culte de dulie, est
central pour éviter toutes déviances.

Dès la Genèse et dans différents passages de la Bible, différentes classes, ou chœurs,


d’anges apparaissent. Avant le VIe siècle, les auteurs chrétiens admettent généralement
l’existence de plusieurs types d’anges, même s’ils ne sont pas d’accord sur leur nombre, la
nature de leurs différences et leur organisation472. La Hiérarchie céleste est un texte qui
propose un classement et une description des neuf chœurs angéliques en trois hiérarchies
superposées. Après avoir été abusivement attribuée à Denys l’Aréopagite au Ier siècle après
Jésus-Christ, il est reconnu généralement comme un texte du VIe siècle473, écrit en grec. En
827, il est envoyé par l’empereur byzantin Michel le Bègue à l’empereur d’Occident Louis le
Pieux. Il sera traduit pour la première fois en latin par Hilduin, abbé de Saint-Denis en 835,
pour être ensuite étudié et commenté par Jean Scot Érigène en 860474. Ce dernier eut la
volonté d’associer cette pensée à celle de saint Augustin et influencera l’angélologie jusqu’au
XIIe siècle475. Avant le IXe siècle en Occident, les écrits de Grégoire le grand étaient les seuls
invoqués pour les questions autour des chœurs angéliques476. Avec la chute de l’empire
carolingien, le texte du Pseudo-Aréopagite est quelque peu oublié entre le Xe et le XIIe, siècle
d’une nouvelle renaissance avec une traduction et des commentaires d’Hugues de Saint-
Victor en 1135 qui marquent le début de l’apogée de la réception de la Hiérarchie céleste qui
se poursuit jusqu’en plein XIIIe siècle477.

Cette période des XII et XIIIe siècles correspond au moment de l’éclosion de l’idée d’une
société, et d’un univers en général, ordonnés rigoureusement et où chacun a un rôle précis478.
Franz Cumont précise que « l’homme organise toujours le ciel à l’image de la terre »479. Le
ciel est alors considéré comme une cour féodale où le Christ et la Vierge seraient roi et
reine480. Cette conception anthropomorphe de la divinité a ses origines, selon Louis Réau,

472
Saint Augustin par exemple admettait ne pas connaitre les différences entre ces différents types d’anges.
BAREILLE, 1930, p. 1206.
473
FOMBONNE et D’ASSIGNIES, 1996, p. 97.
474
FAURE, 1997 (2), p. 213.
475
FAURE, 1988, p. 34 et 1997 (2), p. 213.
476
Saint Grégoire, notamment dans les Moralia in Iob, fonde sa classification à partir d’Ézéquiel 28, 13n
évoquant neuf pierres précieuses, BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 9. Voir aussi FAURE, 1988, p. 35 ; 1997
(2), p. 214.
477
FAURE, 1997 (2), p. 214.
478
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 7.
479
REAU, 1956, p. 30.
480
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 133.
108
dans le mazdéisme persan où la cour céleste reproduisait la cour des perses481. S’adaptant à
l’époque dans laquelle elle évolue, l’angéologie du plein Moyen Âge fait des anges de fidèles
serviteurs de Dieu, conformément à la mentalité vassalique482. Dans le texte du Pseudo-
Denys, le monde angélique est divisé en neuf ordres disposés selon leurs propriétés et leurs
degrés de connaissance et de participation intellectuelle aux secrets divins, eux-mêmes divisés
en trois triades superposées : les séraphins avec les chérubins et les trônes ; les dominations
avec les vertus et les puissances ; et enfin les principautés avec les archanges et les anges. Les
deux premières triades sont proches de Dieu, et l’homme ne peut communiquer qu’avec la
troisième, celle des Anges, Archanges et Principautés, qui participent à l’histoire et à la
Rédemption humaine483.
La Renaissance, en développant une perception différente du monde provoque le déclin de
l’influence de Denys et l’humanisme remet en question son authenticité484.
Les écrits autour de la hiérarchie des anges prouvent une nouvelle fois l’attachement des
pensées sur les anges au contexte théologique et philosophique de l’époque dans lesquelles
elles sont créées.

Au début du XIIIe siècle, avant saint Thomas, les écrits d’Aristote et des philosophes
arabes influencent la pensée autour des anges. Les questionnements sur les anges sont
toujours les mêmes mais les réponses se font plus précises. Sur la nature des anges, Alexandre
de Halés, saint Bonaventure et Albert le grand partagent l’idée que les anges sont des esprits
non destinés à être unis à des corps, et qu’ils n’en ont pas besoin485. Tous admettent
également que tous les anges furent créés bons et que la rébellion des anges a été rendue
possible par le libre arbitre dont ils sont dotés.
L’angélologie de la seconde partie du XIIIe siècle sera marquée par les idées opposées de
deux personnalités : celles de Saint Thomas d’Aquin, le dominicain et celles de Duns Scot le
franciscain. Le « docteur angélique », a permis de systématiser la doctrine sur les anges.
Suivant toujours les enseignements d’Aristote, les deux auteurs considèrent que tous les êtres
corporels sont composés d’un double principe : la matière et la forme. Pour saint Thomas, les
anges possèdent une absolue immatérialité et sont incorruptibles et immortels par nature. Ils
peuvent prendre un corps étranger pour remplir leurs missions sur lequel ils agissent mais
dans lequel ils ne vivent pas486. Duns Scot est d’accord avec cela mais considère qu’il n’y pas
une grande différence entre la nature angélique et celle de l’âme humaine. Pour lui, la matière
qui les forme n’est pas corporelle donc ils sont spirituels487.

481
REAU, 1956, p.30.
482
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p.31.
483
À propos du détail de la classification du Pseudo-Denys, voir CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 137;
FOMBONNE et D’ASSIGNIES, 1996, p. 101 ; BRUDERER EICHBERG, 1998.
484
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 11.
485
VACANT, 1930, p. 1227.
486
VACANT, 1930, p. 1231.
487
VACANT, 1930, p. 1232.
109
L’avis des deux théologiens divergent également sur la connaissance des anges, qui selon
Duns Scot n’est pas si différente de celle des hommes alors que Thomas pense le contraire.
Les deux auteurs sont d’accord sur le fait que les anges soient des créatures de Dieu, créées
bonnes, en même temps que le monde corporel. Ils ont ensuite dû subir l’épreuve. À propos
de la volonté des anges, saint Thomas pense qu’ils ont une inclination vers le bien universel
par leur intelligence et que les démons ont donc péché, non par amour du mal, mais à cause de
la recherche de leur propre bien au détriment de l’ordre voulu par Dieu. La nature de la
volonté angélique fait qu’il est à jamais fixé dans le bien ou le mal selon un seul acte en
direction de l’une ou l’autre de ces directions. Duns Scot n’est pas du tout d’accord avec cela
car selon lui, les anges rebelles auraient eu le temps de se repentir, mais ne l’ont pas fait et
désormais la grâce de Dieu ne se penche plus sur les anges déchus et leur repentance n’est
plus possible488.
Comme leurs contemporains, Saint Thomas et Duns Scot suivent plus ou moins le Pseudo-
Denys dans l’organisation de la hiérarchie angélique489. Enfin, si les anges sont capables
d’agir localement sur la matière, il n’est pas en leur pouvoir de produire des miracles. Les
deux auteurs s’entendent sur ce point mais leur avis divergent à nouveau sur l’implication des
êtres angéliques dans le processus de persuasion des hommes : pour Thomas, les anges
peuvent mettre en mouvement nos fluides et nos humeurs corporelles afin d’introduire des
images dans notre imagination490, ce qui est absolument impossible à concevoir pour Duns
Scot.
Dans la seconde partie du XVIe siècle Francisco Suárez propose un système intermédiaire
entre thomisme et scotisme. Pour les siècles suivants, les écrits sur les anges se rattacheront à
l’un des trois systèmes : celui de Thomas, celui de Duns Scot ou celui de Suárez.

Les grands théologiens ne sont bien sûr pas les seuls à avoir pensé les anges, à en avoir
fait évoluer la perception et le rapport entre les hommes et ces créatures célestes. Le milieu
monacal, dont sont d’ailleurs issus une partie de ces penseurs, entretient un rapport privilégié
avec les messagers de Dieu. La présence des anges est au centre de la pensée monacale,
marquée par la lutte contre les forces du mal. À la période des Pères du désert, dans les
expériences érémitiques, les anges apparaissent comme des auxiliaires de ce combat spirituel
pour les moines et sont souvent annonciateur des transformations intérieures 491. Le
monachisme irlandais incite déjà les moines à imiter les anges 492 et saint Benoît précise dans
sa règle que l’ange est pour le moine un modèle et un idéal 493. Saint Grégoire le Grand s’est
également attaché à montrer que toutes les fonctions des anges dans la hiérarchie céleste
étaient pour l’homme des exemples à suivre494.

488
VACANT, 1930, p. 1236.
489
VACANT, 1930, pp. 1241-1245.
490
VACANT, 1930, p. 1246.
491
FAURE, 1997 (1), p. 200.
492
FAURE, 1988, p. 36.
493
CASSAGNES-BROUQUET, 1997, p. 21.
494
BAREILLE, 1930, p. 1211.
110
Si les dévotions aux anges étaient à surveiller du côté des simples fidèles, le milieu
monastique semble encourager un rapport particulier, voire même familier avec les ministres
du Seigneur. Saint Bernard de Clairvaux instaure une proximité encore plus grande avec les
anges et conseille même d’avoir une véritable intimité avec eux 495. Cette familiarité entre
moines et anges se développe particulièrement dans le milieu bénédictin qui a déjà créé par le
passé des autels aux anges et certains hauts lieux de culte michaélique : des autels à Aniane et
Gellone par saint Benoit d’Aniane ; Saint-Michel-de-la-Cluse ; un autel pour les trois
archanges à Saint-Riquier496. Saint Bernard s’inscrit donc dans une tradition de la pensée
bénédictine déjà ancienne (depuis la période carolingienne) de soutien et de promotion de la
dévotion aux anges. Le XIIe siècle en général constitue une période de succès dans le
développement des dévotions aux anges, popularité visible également dans l’iconographie
chrétienne qui multiplie les apparitions de figures angéliques sur tous les supports.
L’héritage de Bernard et son intimité avec les anges perdurent jusqu’à la fin du Moyen Âge
avec le dominicain Jean Tauler et Ludolphe le Chartreux au XIVe puis, au XVe siècle, le
franciscain Francesco Eiximenis, grand promoteur du culte des anges, Jean Gerson et surtout
Denys le Chartreux, qui montre dans ses textes les anges comme des collaborateurs des
hommes497. Les mystiques développent également une dévotion intime aux anges gardiens
alors que saint Ignace, et les jésuites en général, rendront populaire ce culte aux protecteurs
personnels.

Le parallèle entre ordre céleste et ordre terrestre, dont nous avons déjà parlé à propos de la
hiérarchie angélique, est à nouveau prégnant ici puisqu’en s’identifiant aux anges, les moines
s’en font les représentants sur terre. Il est une manifestation religieuse qui privilégie
particulièrement le lien entre hommes et anges : il s’agit de la liturgie. Puisque les anges sont
des diacres au service de Dieu, ils accomplissent au ciel la liturgie en son honneur,
parallèlement à celle accomplie sur terre par les hommes, et plus particulièrement le clergé.
Ils remplissent une fois de plus leur fonction d’intermédiaires : en participant à la liturgie
d’ici-bas, les fidèles sont introduits dans la liturgie céleste et y participent avec les anges 498.
L’ange marque ainsi l’unité des deux liturgies499. Les anges sont les diacres de la liturgie du
ciel, ce qui est visible dans l’iconographie byzantine puis occidentale : ils sont parfois revêtus
de l’étole diaconale500
En plein Moyen Âge, on ne semble plus craindre les déviances liées à la figure angélique.
Toutefois, lors des conciles de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, il parait
encore nécessaire de préciser la nature des êtres célestes ou de critiquer et interdire certaines
façons de les représenter.

495
DUHR, « Anges », 1937, p. 601.
496
DUHR, « Anges », 1937, p. 602.
497
DUHR, « Anges », 1937, p. 604.
498
CABIÉ, 1997, p. 7.
499
BUX, 2000, p. 47.
500
CABIÉ, 1997, p. 7.
111
Les textes officiels de l’Église portant sur les anges restent peu nombreux. Aux
premiers siècles de l’Église, plusieurs conciles ont lieu, notamment au IVe siècle, pour définir
des dogmes et avoir ainsi des moyens de contrôler l’orthodoxie. Tout au long du Moyen Âge,
certains de ces conciles précisent, en fonction de l’évolution des pensées, du culte et en
fonction des avis des théologiens, différents points sur la nature et la création des anges. S’ils
ne concernent pas directement les pratiques, ces textes sont intéressants pour comprendre la
perception de l’être angélique, les évolutions de son culte ou de ses représentations. En 325, le
concile de Nicée, renouvelé par le concile œcuménique de Constantinople en 381, indique que
Dieu est le créateur de toutes choses, visibles et invisibles501, ce qui permet d’affirmer
l’infériorité des anges par rapport au créateur et insidieusement d’en limiter voir d’en
supprimer le culte. Lors du cinquième concile œcuménique tenu en 553, quinze anathèmes
sont lancés contre Origène : à propos de l’incarnation, du sort des âmes de leur création à leur
réintégration, et de leur nature par rapport à celle des anges qu’il juge semblable 502.
L’angélologie est au cœur des condamnations du théologien. Lors du concile de
Constantinople qui se déroula entre 680 et 681, saint Sophrone précise que les anges, tout
comme les âmes, ne possèdent pas l’immortalité par nature mais par la grâce de Dieu qui leur
assure l’incorruption503. Le concile de Latran en 1179 définit les anges comme des êtres
spirituels504 et celui de 1215505 réaffirme que les anges ont été créés par Dieu, unique créateur
de toute chose, avant les hommes. Ce texte propose la création des anges comme un dogme de
foi catholique. Sur leur nature, il est admis que les êtres angéliques sont des esprits sans corps,
mais leur spiritualité absolue n’est, elle, pas affirmée comme un dogme de la foi catholique.
L’affirmation de leur libre arbitre est une nouvelle exhortation à se méfier du danger qui
consiste à invoquer des anges autres que les trois archanges cités dans la Bible, au risque
d’invoquer des démons. Ces derniers conciles montrent que même aux XIIe et XIIIe siècles, il
est encore utile de préciser ces éléments relatifs à la nature des anges. Les conciles des siècles
suivants ne s’occupèrent guère des anges. Le concile de Trente en 1545 énonce clairement la
distinction entre le culte de latrie, réservé à Dieu, au culte de dulie, pour les saints et les
anges, et celui de l’hyperdulie adressé à la Vierge. L’affirmation de l’existence de cultes de
plusieurs natures permet au XVIe siècle de mettre fin aux craintes d’une confusion entre
honneurs rendus aux êtres célestes et adoration réservée au Dieu unique.
Il faut tout de même évoquer le concile de Fermo en 1726 interdisant certaines images d’ange
et celui de Reims en 1853 concernant les anges gardiens506.
Ainsi, suite aux enseignements des conciles, il est admis que les anges sont des êtres créés par
Dieu avant les hommes, qu’ils sont de nature spirituelle, qu’ils ne possèdent pas de corps,
même si leur incorporalité absolue n’est pas affirmée. Bien que ces aspects n’aient pas fait
l’objet de définition précise dans les conciles, il est également admis par l’ensemble des Pères

501
VACANT, 1930, p.1264
502
VACANT, 1930, p.1265.
503
VACANT, 1930, p. 1266.
504
PONSICH, 1997, p. 41.
505
Douzième concile œcuménique, quatrième de Latran, CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 21.
506
VACANT, 1930, p. 1270.
112
et donc par la tradition, que les anges gardiens sont présents auprès des hommes. D’ailleurs,
leur dévotion est acceptée dans le culte public par l’établissement de la fête du 2 octobre.
L’inégalité entre les anges, et la hiérarchie qui les ordonne, sont également des faits
couramment admis par l’Église même si rarement évoqués dans les conciles507.

Le concile de Laodicée (343-381), que nous avons déjà évoqué dans le chapitre sur les
origines de la dévotion aux anges, est finalement un des rares textes à condamner directement
des pratiques liées au culte angélique, puisqu’il interdit d’invoquer les anges et de les
nommer508. Un siècle plus tard, le décret gélasien interdit l’usage de tout phylactère portant
des noms d’anges509. Les noms des anges sont encore en cause dans le synode romain de 745,
qui condamne les personnes invoquant d’autres noms d’anges que ceux cités dans la Bible510 ,
confirmé dans le concile d’Aix-la-Chapelle de 789, qui interdit l’invention de noms
d’anges511. Le second concile de Nicée (787) porte quant à lui sur un écrit du VIIe de Jean,
évêque de Thessalonique, qui précise que les anges ont un corps igné, subtil, et ne sont pas
absolument incorporels comme seul l’est le créateur. Ils peuvent être rendus visibles et à ce
titre, leur représentation n’est donc pas un péché puisque c’est Dieu lui-même qui nous
propose cette image. Le très saint patriarche Taraise répond : « Entendez ce que dit ce Père…
Le Père montre qu’il faut représenter les anges parce qu’ils sont circonscrits, et comme ils
sont apparus à plusieurs hommes »512. Ce texte encourage également les honneurs rendus aux
anges à partir du moment où ils ne sont pas adorés comme des dieux, mais comme des
créatures de Dieu. Il est évident que le VIIIe siècle constitue une période d’épuration des
pratiques cultuelles liées aux anges513.
D’autres textes officiels condamnent ou conseillent des manifestations de la dévotion aux
anges : ceux qui concernent les images, soit directement des êtres célestes, soit de Dieu et des
saints dont les recommandations s’appliquent également aux anges. Le concile de Fermo en
1726 veut interdire aux peintres de représenter les anges au service des reliques ou des images
des saints car c’est un honneur réservé à Dieu et à la Vierge. Il s’oppose également à une
représentation d’une beauté lascive pour la figure des êtres angéliques.

À travers ses conciles et la définition de sa foi, l’Église a avant tout tenté de lutter contre les
déviances des premières dévotions aux anges. Elle a ensuite poursuivi « un rigoureux effort
d’épuration, de règlementation, de définition »514 de l’angélologie, avec des conciles qui, s’ils

507
VACANT, 1930, p. 1271.
508
PICCIRILLO, 2000, p. 48 ; Philippe Faure précise que ces premiers témoignages condamnés consistaient à
porter les noms angéliques sur des amulettes supposées garantir l’immortalité, dans FAURE, 1997 (1), p. 199.
509
FAURE, 1988, p. 36.
510
Suite aux prières adressées par Adalbert aux anges, de qui il disait obtenir des reliques lui permettant
d’obtenir tout ce qu’il désirait, le pape Zacharie affirme au Concile de Latran en 745 qu’il est interdit d’invoquer
d’autres noms d’anges que ceux cités dans la Bible et limite la vénération aux 3 archanges. FAURE, 1988, p. 37.
511
VACANT, 1930, p. 1267.
512
Rapporté dans Mansi, t. XIII, col. 164, 165, dans VACANT, 1930, p. 1267.
513
FAURE, 1988, p. 38.
514
FAURE, 1988, p. 36.
113
ne dénoncent pas souvent les pratiques relatives à la dévotion angélique, tentent de préciser
les contours d’une dévotion légitime et prouvent que l’intérêt pour les anges fut vivace
pendant tout le Moyen Âge.

II.2.1.2. Les manifestations de la dévotion aux anges au Moyen Âge

Nous allons à présent nous intéresser ici à l’ensemble des pratiques qui découlent de la
dévotion aux anges. Il sera parfois nécessaire de revenir sur certains aspects évoqués
précédemment car les pratiques, les écrits chrétiens, les décisions des autorités religieuses
sont inextricablement liés. Nous allons tenter de retracer dans cette partie une histoire de la
dévotion aux anges, en lien avec ce que nous venons d’observer sur l’angélologie et la
définition de la foi officielle.

À la base de la dévotion aux anges, il y a bien évidemment la foi en l’efficacité de


l’intervention angélique basée en partie sur les textes bibliques et confirmée dans les
Apocryphes. Pourtant saint Paul et les premiers auteurs chrétiens sont prudents. Considérant
les informations recueillies dans les écrits des Pères des premiers siècles de l’Église à propos
des manifestations de la dévotion aux anges, nous pouvons résumer de la sorte : saint Paul
met en garde contre ce culte ; saint Justin évoque un culte rendu aux anges sans le critiquer ;
Origène admet un culte de louanges et de gratitude légitimé par les services qu’ils rendent aux
hommes ; Eusèbe de Césarée, lui, préconise un culte convenable pour les anges tout en
rappelant que Dieu seul est adoré ; saint Augustin refuse l’idée d’élever des temples aux
anges ; saint Ambroise précise qu’il faut prier les anges515. Malgré ces informations quelque
peu contradictoires, ces penseurs chrétiens, et surtout les théologiens qui continueront à écrire
sur les anges, vont peu à peu proposer une assise qui légitime un culte. Pourtant, s’ils ne les
critiquent plus ouvertement en plein Moyen Âge, les théologiens et les conciles ne semblent
pas forcément à l’aise pour conseiller et circonscrire la question des hommages rendus aux
anges. Saint Augustin se limitait à conseiller des formules en leur honneur : « Honoramus eos
caritate, non servitute »516. Les réserves à l’égard de cette dévotion se sont prolongées en
Orient jusqu’à Jean Damascène, même s’il est conseillé aux fidèles d’honorer les anges517. En
Occident, si l’intérêt pour l’angélologie a connu un certain succès dans les textes des
scolastiques, ces derniers se sont peu intéressés à la dévotion proprement dite.
En fait, ces évolutions et ces régressions, en ce qui concerne l’acceptation d’un culte aux
anges, sont révélatrices d’un rapport complexe entre pratiques vécues et dogme de la foi. La
dévotion angélique et ses manifestations sont très anciennes et fermement enracinées au point
qu’après plusieurs tentatives pour les supprimer, et au vu de la reconnaissance qu’éprouvent
les hommes envers les anges, les autorités ecclésiastiques ont jugé plus opportun de proposer

515
VACANT, 1930, pp. 1219-1222.
516
De vera Religione, 55, PL. 34, 170, cité dans DUHR, 1937, p. 600.
517
DUHR, 1937, p. 600.
114
une base intellectuelle à ces pratiques vécues afin de les justifier, les encadrer, les canaliser et
surtout de les surveiller518.

La dévotion aux anges aurait débuté selon Philippe Faure, au IIIe siècle, avec une
croyance néo-platonicienne de l’existence d’un protecteur invisible. Elle fut cependant vite
supplantée par la protection des morts, mais le culte des saints ne remplace pas totalement
celui des anges qui persiste entre le IVe et le Ve siècle, alors que l’Église en définit les limites.
Ces pratiques sont encore largement empreintes de paganisme519 comme en témoignent le
concile de Laodicée de la seconde moitié du IVe siècle et le décret gélasien promulgué un
siècle plus tard qui pointe du doigt l’importance des excès en Gaule520. Le monachisme
bénédictin encourage l’essor d’un culte aux êtres célestes entre le VIIe et le VIIIe siècle.
Philippe Faure situe aux alentours du IXe siècle la pleine maturité de la dévotion aux anges,
comme en témoignent les monuments et les arts521. Il lie également ce succès à une dimension
eschatologique du christianisme très marquée pendant le Haut Moyen Âge, dimension
favorisant l’utilité des actions angéliques et leur qualité d’intermédiaire entre les hommes et la
Cité céleste522. Pour ce spécialiste des anges, c’est entre le Ve et le IXe siècle que « l’ange a
séduit l’Occident latin »523, et l’angélologie et la dévotion aux anges est une œuvre du Haut
Moyen Âge, dans laquelle il distingue plusieurs grandes phases. Les V et VIe siècles sont
marqués par la fin du travail doctrinal. De la fin du VIe jusqu’au VIIIe siècle, l’angélologie est
diffusée par les évêques et les moines qui tentent encore de combattre les pratiques douteuses
persistantes. À partir du VIIIe siècle, s’opère un nouveau durcissement ponctué de mises en
ordre de la dévotion qui donneront naissance à un apaisement524. Au IXe siècle, les anges sont
présents dans presque tous les sacramentaires525. Une fois établi, le culte des anges va
s’amplifier jusqu’au XVIe siècle où il connait un développement sans précédent, en particulier
par le biais du culte des anges gardiens526. La reconnaissance de la dévotion à l’ange gardien
par l’autorité religieuse est tardive, mais elle n’est en réalité que l’aboutissement d’un
mouvement de dévotion qui n’a cessé de progresser pendant la période médiévale527.

Selon Michel Rouche, l’intérêt pour la figure de l’ange ne s’est pas développé aux mêmes
moments partout en Occident. Alors qu’il s’insert rapidement en Italie, terres imprégnées par
les conceptions de l’Orient grec et égyptien, il peine à s’implanter dans une Gaule
mérovingienne très éloignée de ces conceptions et ne perce qu’avec l’intervention des

518
FAURE, 1988, p. 34.
519
La piété populaire attribue notamment aux anges des pouvoirs médicinaux au détriment de la puissance
divine, FAURE, 1988, p. 36.
520
FAURE, 1988, p. 36.
521
FAURE, 1988, p. 31.
522
FAURE, 1988, p. 41.
523
FAURE, 1988, p. 43.
524
FAURE, 1988, pp. 42-43.
525
Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, p. 112.
526
Ibidem, p. 112.
527
FAURE, 1997(1), p.199.
115
missionnaires irlandais sensibles à l’héritage païen et oriental et qui développent une vision
monastique d’une angélologie victorieuse des démons528. L’angélologie irlandaise connait son
apogée au début de la période carolingienne529. Michel Rouche précise l’importance du culte
de saint Michel, et en particulier de ses origines au Mont-Gargan, dans l’insertion du culte des
anges en général en Occident530.

La difficulté de l’étude des manifestations religieuses est liée à leur caractère


éphémère : comment étudier des gestes, des paroles, des pensées ? Deux types de sources
peuvent toutefois garantir la conservation de la mémoire de ces pratiques : les sources
scripturaires et les éléments matériels. Le premier type peut se diviser en plusieurs
catégories : les textes des penseurs chrétiens et les conciles, que nous venons d’étudier et qui
donnent des informations sur ce qui était accepté à un moment donné, considéré comme licite
ou au contraire rejeté comme pratique non orthodoxe voire même hérétique ; puis les textes
liturgiques et les supports de dévotions comme les missels, les sacramentaires ou les
bréviaires par exemple, qui apportent des informations sur les pratiques collectives. Les
preuves matérielles attestées dans certains textes ou conservées sont également intéressantes
pour juger de la présence d’une dévotion. Sanctuaires ou autels dédiés aux anges, petits objets
de dévotion, inscriptions, représentations picturales, sculpturales ou autre, autant d’éléments
qui peuvent témoigner du succès et du développement d’un culte angélique dans une région et
à une période donnée.

Parmi les plus anciens témoignages matériels de la dévotion aux anges, créés dès les
premiers siècles du christianisme, nous trouvons les amulettes. Une masse d'amulettes et de
papyrus magiques attestent du rôle crucial joué par les archanges dans les superstitions
populaires partagées par juifs, païens et chrétiens, comme dans le sanctuaire de Chônai 531.
Sur des amulettes gnostiques, est inscrit : « Michel, Gabriel, Raphael, garde celui qui porte
[cette amulette] »532. Les porteurs de ces objets magiques s’en remettent à un ou plusieurs
archanges à qui ils adressent une invocation souvent de nature médicale533. Des fragments
d’invocations gravés sur le marbre ont également été retrouvés et portent les inscriptions
suivantes : « Archange Michel, ait pitié de ta ville » « Saint et terrible archange Michel,
secours ton esclave Charilaos »534.
La demande de protection angélique est ajoutée assez tôt dans les prières. Robert Cabié note
en particulier l’exemple de saint Ambroise qui écrivait dans son traité sur le veuvage : « Il
faut implorer les anges pour nous, car ils nous ont été donnés comme protecteurs »535. Les
528
ROUCHE, 1989, pp. 537-545.
529
ROUCHE, 1989, pp. 550-554.
530
ROUCHE, 1989, p. 537.
531
MANGO, 1986, p. 54.
532
LECLERCQ, « Amulettes », dans Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, Paris, t. I, 2, 1907, p.
1847.
533
SORLIN DORIGNY, 1891, p. 292.
534
LECLERCQ, 1907, p. 2086.
535
De viduitate, 9, 15 ; PL 16, 251, cité dans CABIÉ, 1997, p. 8.
116
anges sont particulièrement présents dans les prières récitées au moment de la mort : ils sont
invoqués comme protecteurs et psychopompes536 et participent par leurs actions à la
dramatisation de la mort537. Dans les croyances liées à la bonne mort, la présence des anges
est déterminante et c’est naturellement qu’ils sont présents dans l’office des morts538. Victor
Saxer précise que les fidèles sont accueillis au paradis par les anges comme le Christ l’a été
dans la mesure où « la vie des membres est récapitulative de celle du chef, et celle du chef
anticipation et modèle exemplaire et sacramentel de celle des membres »539.

L’insertion des archanges dans les litanies, preuve du développement de leur culte non
seulement chez les laïcs mais également au sein du clergé, se fait également de manière
précoce et ils apparaissent déjà dans le sacramentaire de Vérone au VIe siècle540 puis en tête -
saint Michel le premier- des litanies de Louis le Germanique541. Ils occupent une place de
première importance dans les sacramentaires du Haut Moyen Âge. Pourtant ces litanies
angéliques resteront suspectes aux yeux des autorités qui réglementent encore au XVIIe siècle
l’utilisation de certaines litanies : Benoit XIV met à l’index toutes celles ne concernant pas le
Christ et la Vierge542, mesure qui ne sera adoucie qu’en 1882 par la Sacrée Congrégation des
Rites qui autorise de nouvelles litanies543. Les trois archanges sont aujourd’hui invoqués après
la Sainte Trinité, la Vierge et saint Joseph et avant tous les archanges et tous les saints544.
Les messes aux anges se développent dans les missels du IXe siècle, comme dans ceux de
Saint-Denis de la première moitié du IXe siècle, ou de Saint-Thierry, Senlis, et Amiens de la
seconde partie du siècle, et amorcent une dévotion spécifique pour les anges545.
Le culte, au sens d’une prière publique, est apparu progressivement au cours du Moyen
Âge546 ce qui s’explique assez facilement par la méfiance des autorités religieuses aux
premiers siècle du christianisme547. La présence des anges dans la liturgie est en revanche
ancienne. Les chrétiens admettront assez tôt que les anges participent à la liturgie céleste, au
sens de l’officia divina, office célébré pour Dieu, où ils sont chargés d’unir leurs voix à celles
des fidèles afin de présenter les hommages des hommes au Seigneur. Au IXe siècle, les anges
sont présents dans presque tous les sacramentaires548. Dans la liturgie romaine, les anges sont

536
JOUNEL, 1981, p. 195 et SAXER, 1985, p. 363.
537
DUHR, 1937, p. 594.
538
Office des morts (Rituel, tit. V, cap. 7 : « In paradisium deducant te angeli… » et tit. V, cap. 8 : « occurrite
angeli Domini, suscipientes animam ejus… » et tit. VI, c. 3 : « In paradisium deducant te angeli », ibidem, pp.
595-596.
539
SAXER, 1985, p. 364.
540
CABIÉ, 1997, p. 8.
541
FAURE, 1988, p. 40.
542
Par exemple en 1601, Clément VIII interdit par décret de publier d’autres litanies, dans DUHR, 1937, p. 616.
543
DUHR, 1937, p. 616.
544
DUHR, 1937, p. 616.
545
FAURE, 1988, p. 41.
546
CABIÉ, 1997, p. 5.
547
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 20.
548
Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, p. 112.
117
les témoins du Confiteor et indique ainsi l’unité de la liturgie céleste et de la liturgie terrestre
qui rappelle que les anges sont amenés à coopérer au salut de l’homme549.

À travers les conciles de l’Église, nous avons vu que l’attribution et l’invocation des noms des
anges étaient centrales dans la dévotion aux êtres célestes. La croyance au pouvoir de ces
noms, comme étant capables d’écarter les maux et d’assurer les biens, était très répandue aux
premiers siècles du christianisme. C’est finalement à travers leur nom que les autorités
ecclésiastiques réglementent les pratiques autour des anges. C’est également leur
personnalisation par ces dénominations qui a sans doute privilégié le rapport intime que les
moines préconisent avec eux. L’interdiction de l’utilisation de certains noms par les autorités
permet de limiter les inventions et les débordements mais l’autorisation d’invoquer Michel,
Gabriel et Raphaël permet, par cette primauté, de canaliser le culte des anges sur un nombre
de personnalités gérables par l’Église. Les manifestations religieuses en l’honneur des trois
archanges se multiplient ainsi et nous retrouvons par exemple en Gaule des litanies qui
invoquent nominalement Michel et Gabriel déjà au VIe siècle550.

Dès l’Antiquité, des sanctuaires dédiés aux anges, et en particulier à Michel (voir chapitre
suivant), attestent bien de la vivacité d’une dévotion. Au IVe siècle, Didyme l’aveugle
s’adresse aux anges et explique que « des églises et des oratoires sont érigés sous votre
vocable […] en l’honneur de Dieu ». Il continue en disant que « des pèlerins […] n’hésitent
pas à traverser la mer, à faire une route longue et pénible dans l’espoir d’être accueillis d’une
façon plus bienveillante par Dieu grâce à leur intercession et de recevoir de lui de plus
nombreux bienfaits »551. Il atteste ainsi de l’existence de sanctuaires dédiés aux anges dès le
IVe siècle et même de pèlerinages, utiles par l’efficacité de l’intercession des êtres angéliques
auprès de Dieu. Il affirme pourtant lui aussi la supériorité du créateur : c’est en son honneur
que sont réalisés ces sanctuaires et c’est par la grâce de Dieu que les bienfaits sont accordés,
même s’ils sont favorisés par l’intercession des anges.

Le développement de la dévotion aux anges et leur efficacité sont également illustrés par la
multiplication de leurs représentations dans les arts. Les figures angéliques, présentes déjà
dans les peintures de catacombes du premier art chrétien, se développent dans les décors
monumentaux jusqu’à devenir un motif incontournable de l’art roman.

Robert Cabié note que le culte des anges ou d’un saint, c’est à dire leur vénération et
l’imploration de leur protection dans la prière publique, se manifeste habituellement par
l’adoption par la communauté d’un jour consacré au personnage dans le calendrier pour le
célébrer552. Dans ce sens, il précise que la peur des déviances païennes ne semble pas être la
seule raison pour justifier une acceptation tardive d’un culte angélique. Il voit dans ce retard

549
BUX, 2000, p. 47.
550
FAURE, 1988, p. 38.
551
De Trinit., II, 8, cité dans DUHR, 1937, p. 611.
552
CABIÉ, 1997, p. 5.
118
le reflet d’une mise en place difficile de la commémoration liturgique en l’honneur des anges
dans le calendrier chrétien553. En effet, la date de fête de célébration d’un personnage est une
des manifestations principales de l’adoption de son culte par une communauté, et celle-ci fut
moins évidente à trouver pour les anges que pour les saints, dont on utilisait la date de mort,
ou plutôt la date de naissance à la vie au ciel. Philippe Faure résume cette difficulté par une
impossibilité de commémoration « puisqu’il n’existe ni nom, ni jour de naissance, ni lieu de
sépulture »554, ce qui est logique puisque l’ange n’a pas d’existence dans le cadre saptio-
temporel des hommes. On résolu cependant ce problème en adoptant pour les anges la date
d’apparition aux hommes ou la date anniversaire de la dédicace de leur église, mais les
formules de dédicaces restent généralement vagues.

En Italie, le 29 septembre est adopté pour commémorer Michel dès le Ve siècle : il s’agit de la
date de dédicace de la première église romaine à l’archange. Cette date est ensuite considérée
comme la fête de tous les anges. En Italie du sud, la fête de saint Michel est célébrée le 8 mai,
jour d’apparition de l’archange sur le Mont Gargan555. D’autres fêtes secondaires peuvent être
célébrées en l’honneur de Michel dans les lieux de pèlerinage qui lui sont dédiés 556. C’est en
général par la fête anniversaire des dédicaces de leurs sanctuaires que les anges entrent dans le
calendrier557.
Depuis le XVe siècle, dans le cycle festif hebdomadaire, le lundi est la journée consacrée aux
anges. En effet, les anges étaient en général célébrés le jour suivant celui de la Trinité. Or le
fait de consacrer le dimanche comme jour de la Trinité devient une pratique courante au XVe
siècle. Les anges sont alors célébrés le lundi, même si des messes votives en leur honneur sont
récitées à peu près tous les jours de la semaine558.

Progressivement, les anges sont invoqués de la même manière que des saints, non plus
comme de simples porteurs de messages, mais comme de véritables intercesseurs 559. Ce fait
est également visible dans les textes de prières et dans la tradition grégorienne du
Sacramentaire, où, si dans un premier temps les anges étaient invoqués pour présenter les
prières des hommes à Dieu, ils le sont ensuite pour que leurs propres prières se joignent à
celles des hommes et qu’ils interviennent directement en leur faveur auprès du Seigneur560.
Certains types iconographiques de l’ange peuvent également prouver l’assimilation des anges
aux saints dans la dévotion. C’est le cas de certaines représentations dans des peintures
murales des églises de Catalogne ou de Lombardie autour de l’an mil, où les anges portent des
inscriptions sur des phylactères. Sur ces peintures, on peut lire les termes de petitio et de

553
CABIÉ, 1997, p. 8.
554
FAURE, 2003, p. 161.
555
BUX, 2000, pp. 44-47.
556
JOUNEL, 1981, p. 194.
557
CABIÉ, 1997, p. 8.
558
DUHR, 1937, pp. 618-619.
559
À propos de l’association du culte des anges à celui des martyrs, voir ZANETTI, 1994, pp. 323-350.
560
CABIÉ, 1997, p. 9.
119
postulatio, termes juridiques qui s’appliquent au début et à la fin de la requête judiciaire qui
prouve bien l’intercession des êtres angéliques auprès de Dieu561. Enfin, le qualificatif de
« saint » parfois attribué à Michel se retrouve de plus en plus souvent accolé à son nom pour
ne faire plus qu’un terme générique au point que l’archange Michel est partout cité comme
saint Michel, dans les invocations et dans les noms de sanctuaires (le Mont-Saint-Michel),
alors que ce n’est pas le cas pour Gabriel et Raphaël.

L’histoire de l’angélologie et de la dévotion aux anges est marquée pendant tout le


Moyen Âge par une contradiction entre peur d’une déviance polythéiste ou idolâtrique, et
respect et reconnaissance pour les êtres angéliques qui incitent les fidèles à manifester les
honneurs dus aux anges. Leurs services et leur efficacité exigent une dévotion. Dévotion qui a
grandi pleinement jusqu’à son plein épanouissement au XVIIe siècle avec le culte des anges
gardiens.
Le culte des saints n’a pas connu autant d’obstacles et de réticences, probablement en raison
de la nature de ces protecteurs, compréhensible et envisageable sans difficulté majeure par les
hommes du Moyen Âge : des hommes morts qui ont directement rejoint le Seigneur grâce à
leur perfection. Pour les anges, les difficultés de définition de leur nature, les avis divergents
dans l’étude des êtres célestes, mais surtout leur plus grande proximité avec Dieu, ont fait
craindre des confusions entre la divinité et ses serviteurs. Mais les pratiques, certifiant une
dévotion active aux anges, se sont développées dès l’Antiquité tardive et durant tout le Moyen
Âge, au sein desquels la figure de l’archange Michel a joué un rôle moteur.

II.2.2. Un double berceau oriental pour le culte de saint Michel

Il nous semblait logique d’étudier le culte des anges avant d’aborder celui de Michel
(le groupe-type avant l’élément particulier). Pourtant, la réalité n’est pas aussi simple
puisqu’il apparait souvent que c’est une dévotion à la figure de Michel qui permet une
insertion plus large de la figure angélique sur certains territoires à certaines périodes. Ainsi les
premiers lieux de culte consacrés à des êtres célestes sont dédiés à l’archange.
Les trois archanges nommés dans la Bible - Gabriel, Michel et Raphaël – jouissent d’un statut
particulier. Nous avons déjà observé que le concile de Latran en 745, s’il interdisait
l’invocation des noms angéliques apocryphes, limitait la vénération aux trois archanges
nommés dans les Saintes Écritures562. En 789, le concile d’Aix-la-Chapelle vouait à
l’excommunication ceux qui invoqueraient d’autres archanges que les trois cités dans la
Bible563. Si en Orient le binôme Michel/Gabriel apparait souvent dans les invocations ou les
programmes décoratifs, saint Michel bénéficie très vite d’une préférence en Occident auprès
des fidèles et aucun autre culte angélique ne connaîtra pareil développement. Ainsi Raphaël et

561
FAURE, 1997 (1), p. 207.
562
FAURE, 1988, p. 37.
563
FAURE, 1988, p. 38.
120
Gabriel seront très vite éclipsés par l’archange guerrier et ne le rejoindront qu’au XIIIe siècle
dans l’ensemble des sacramentaires564. Cette préférence est accordée à Michel autant par les
fidèles que par les autorités ecclésiastiques. La spécificité et la caractérisation de Michel, liées
à l’attribution de fonctions et d’exploits clairement définis dans les textes saints et dans
l’histoire du christianisme, participent à la popularité de l’archange en même tant qu’à la
limitation de certaines craintes liées au culte angélique : il est plus aisé de contrôler un culte
lorsque l’on peut circonscrire la figure qui en est l’objet dans des fonctions claires et
universelles. Au IVe siècle, en Orient, les premiers sanctuaires dédiés à l’archange voient le
jour, et avec eux une épigraphie, une iconographie et une liturgie565. Le culte de saint Michel
se répand simultanément à partir de deux aires de diffusion : une première centrée sur la
Phrygie qui s’étend ensuite dans toute l’Asie Mineure occidentale jusqu’à Constantinople et
les îles égéennes ; une seconde autour de la Vallée du Nil. Victor Saxer distingue deux
épisodes dans la chronologie du culte de saint Michel : les origines concentrées
principalement en Phrygie et en Égypte ; puis une phase d’épanouissement aux IV et Ve
siècles566 sur des aires géographiques plus étendues à partir de ces deux berceaux, avec, dans
les deux cas, une grande importance de l’eau dans les dévotions rendues à Michel, l’archange
guérisseur567.

II.2.2.1. La Phrygie et l’Asie Mineure

S’il est clairement attesté aux IVe-Ve siècles dans d’autres régions d’Asie Mineure, à
Constantinople, en Syrie et en Égypte, nous retrouvons des mentions du culte de saint Michel
bien avant le IVe siècle en Phrygie568. Le nombre de textes contre les pratiques dévotionnelles
liées aux anges qui se développent dans la partie Occidentale de l’Asie Mineure témoigne de
la présence d’une dévotion angélique dès le Ie siècle de notre ère et qui perdure les siècles
suivant malgré les mises en garde de l’apôtre et des théologiens : l’épître aux Colossiens de
saint Paul au Ie siècle, le concile de Laodicée en Phrygie au IVe siècle569, et les critiques de
Théodoret de Cyr des cultes présents en Pisidie et en Lycaonie au Ve siècle570. Siméon
Métaphraste écrit que la première apparition de l’archange aurait eu lieu en Phrygie à la fin du
Ie siècle571 et fait mention de l’érection d’un temple à Cheretopa à l’occasion des miracles
opérés dans ces circonstances572. Selon Henri Leclercq, différents auteurs ecclésiastiques

564
Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, p. 118.
565
SAXER, 1985, pp. 357-426.
566
SAXER, 1985, p. 421.
567 567
SAXER, 1985, p. 424.
568
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.187.
569
MANGO, 1986, p. 53.
570
Dans son commentaire de l’Épitre aux Colossiens, Théodoret de Cyr évoque « ce mal » qui perdure en
Phrygie et en Pisidie, dans SAXER, 1985, p. 383. Voir également OTRANTO, 2007, p. 385.
571
LECLERCQ, 1933, p. 903.
572
CROSNIER, 1862, p. 693 ou MARA, 1967, p. 415.
121
estimaient que le culte de saint Michel existait dès le Ie siècle. Toujours selon cet auteur, le
premier sanctuaire en l’honneur de Michel pourrait avoir été érigé en Phrygie, près
d’Hiérapolis, en remplacement d’un temple dédié au dieu des sources thermales573. Si ce fait
n’est pas certain, il est sûr que de nombreux sanctuaires michaéliques sont déjà construits au
Ve siècle en Phrygie et en Pisidie, comme l’attestent les textes de Théodoret de Cyr574. Des
objets témoignent également de ce culte, comme des lamelles de plomb datées du IIIe siècle,
contenant des inscriptions invoquant Michel, Gabriel, Raphaël et Uriel, destinées à éloigner
une tumeur maligne, trouvées près d’Arkésiné (sur l’île d’Amorgos) avec des exemplaires
païens575. Ces objets prouvent une nouvelle fois la précocité du culte aux archanges en Asie
Mineure et la continuité dans les formes de croyances entre le paganisme et les premières
manifestations chrétiennes marquées par une constance dans les usages même en ce qui
concerne le culte des anges.
Certainement encouragées par la présence juive et judéo-chrétienne en Asie Mineure, les
origines du culte de Michel restent pourtant obscures en Phrygie576. Le succès de ce culte
oriental est pourtant marqué par la création d’un sanctuaire et de sa légende à Chônai ou
Colosses.

L’apôtre Philippe, aidé par saint Jean, aurait fait jaillir une source miraculeuse à
l’endroit où il voulait que Michel soit honoré afin de faire reculer le culte de Diane 577. Grâce à
cette eau miraculeuse, une jeune fille muette aurait été guérie, après une apparition de
l’archange à son père qui avait invoqué la Trinité et l’intercession de l’archistratège Michel578.
Ce païen de Laodicée bâtit en remerciement un petit oratoire à saint Michel près de la source.
Plus tard, des païens, inquiets du nombre de convertis au christianisme, décidèrent de détruire
ce sanctuaire en détournant le cours de deux fleuves afin de le submerger. Mais le gardien du
sanctuaire, un pieu ermite nommé Archippe, pria saint Michel qui lui apparut semblable à une
colonne de feu, frappant le sol de son bâton pour fendre le rocher et faire disparaitre les
fleuves dans deux abîmes et transformant les païens coupables en statues579.
Même si Siméon Métaphraste semble dater ces événements du Ie ou IIe siècle580, le récit de
ces miracles n’est rédigé selon François Nau qu’au VIe ou VIIe siècles. Victor Saxer attribue
les balbutiements de la légende à un Ve siècle avancé et pense que le sanctuaire était
largement antérieur à la constitution du récit581. François Nau précise également que la
localisation de ces événements n’est pas certaine et hésite entre Colosses et Chônai, situées à
4km l’une de l’autre à l’endroit de l’actuelle ville de Honaz en Turquie582.

573
LECLERCQ, 1933, p. 905.
574
Théodoret de Cyr, Commentaire de l’Epître aux Colossiens, (2, 18 ; PG. 82, 613), dans CABIÉ, 1997, p. 8.
575
HOMOLLE, 1901, pp. 412-456. Également cité dans MARA, 1967, p. 417.
576
SAXER, 1985, p. 421.
577
NAU, 1908, p. 542.
578
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 192.
579
NAU, 1908, p. 542 et JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 192.
580
PONSICH, 1997, p. 43.
581
SAXER, 1985, p.388.
582
NAU, 1908, p. 544.
122
La première partie du récit est basée sur des récits apocryphes alors que la seconde pourrait
être une simple transformation en miracle d’un phénomène naturel 583. Il existe plusieurs
versions de ce récit : grecques, latines, orientales, qui attestent bien du succès de la légende et
de sa diffusion pendant le Moyen Âge. Ce miracle est inséré dans le synaxaire de
Constantinople, le Ménologe de Basile II, et est commémoré le six septembre584.
S’il est difficile de déterminer où fut construit le tout premier sanctuaire à Michel et même si
des témoignages plus anciens de dévotion michaélique existaient déjà en Phrygie, le succès du
sanctuaire de Colosses-Chônai fait de cette région une des provinces d’Asie Mineure les plus
riches en sanctuaires, inscriptions et demandes de protections à l’archange585. Olga Dobiach-
Rojdestvenkaia explique que la nature du terrain de l’Asie Mineure Occidentale, propice aux
inondations, au volcanisme, aux tremblements de terre, était dans l’imaginaire un terrain
propice aux luttes entre forces démoniaques et êtres angéliques. Saint Michel peut alors
apparaitre sous la forme de colonne de feu, ouvrant des abîmes pour engloutir les eaux,
nouveau protecteur des hommes, si vulnérables devant ces cataclysmes naturels586.

En Phrygie, les sanctuaires se développent sous l’influence de Chônai jusqu’au temps


de l’iconoclasme587. Les témoignages du culte de saint Michel - sanctuaires, épigraphie,
iconographie - forment un ensemble compact et continu en Phrygie à partir de la fin du IVe et
du début du Ve siècle588. Plusieurs inscriptions dans des édifices religieux témoignent de leur
dédicace à Michel : à Akroènos (actuelle Afium Kara Hissar), à Baris (actuelle Isbarta) ou
encore à Kutahya589. Le culte de saint Michel se répand également dans les autres régions de
l’Asie Mineure, jusqu’à Constantinople, en Grèce, dans les îles égéennes, et dans le reste de
l’Orient. Des inscriptions datées du Ve au VIIe siècle attestent de la présence de ce culte sur
les côtes occidentales, ainsi que d’autres témoignages épigraphiques et iconographiques à
Milet, Éphèse, ou encore Parsada590. Les îles égéennes possèdent des inscriptions funéraires
mentionnant Michel591. La Bithynie tient également une place particulière dans le
développement du culte de l’archange avec le sanctuaire de Pythie (certainement dans
l’actuelle ville de Yalova), une fois de plus lié aux sources chaudes et curatives, dont le
succès, en partie dû aux dépenses impériales de Justinien dans son embellissement, trouva un
écho favorable dans toute la région592.

583
Le fleuve Lycus s’engouffrait parfois sous terre près de Colosses. La source miraculeuse peut également
trouver une justification géologique puisque la région est riche en sources chaudes thermales aux vertus
curatives. Ibidem, p. 543 et SAXER, 1985, p. 385.
584
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 192.
585
SAXER, 1985, p. 391 et BAUDOT, 1971, p. 19.
586
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XVI.
587
SAXER, 1985, p. 423.
588
SAXER, 1985, p. 423.
589
SAXER, 1985, p. 393.
590
SAXER, 1985, pp. 395-398.
591
SAXER, 1985, p. 398.
592
SAXER, 1985, pp. 399-401 et JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 188.
123
Dans le reste de l’Orient, le culte de saint Michel ne connait pas le même succès qu’en
Égypte, en Asie Mineure ou à Constantinople. À la fin du Ve siècle, on retrouve tout de même
des sanctuaires dédiés à l’archange en Syrie : le Michaelion de Huarte593 et à Sayh-Miskin,
deux inscriptions invoquent saint Michel sur une de ses églises 594. À la fin IIIe et au début du
IVe siècle, Eustathe, évêque d’Antioche, rapporte plusieurs témoignages sur les pratiques
dévotionnelles liées à la dévotion de saint Michel. Il cite par exemple le récit d’une peinture
de Michel sur une tablette d’olivier qui aurait permis de sauver une veuve des griffes du
démon et qui serait ensuite devenue un objet doté de vertus thérapeutiques miraculeuses595.
Entre Syrie et Anatolie, à Antioche, des pèlerinages sont réalisés pour saint Michel en
échange de guérison. Il y intervient également comme gardien des portes ou des
sanctuaires596. Quelques églises étaient dédiées à l’archange en Grèce, dont deux églises
byzantines à Athènes. Michel est également l’objet d’un culte en Russie et en Serbie597.
L’accélération dans l’essor du culte de saint Michel au Ve siècle est à imputer directement au
rayonnement du sanctuaire de Colosses-Chônai mais également à un second foyer autour du
Nil qui se développe simultanément598.

II.2.2.2. Alexandrie et la Vallée du Nil

Les sanctuaires et les témoignages relatifs au culte de l’archange se multiplient le long


du Nil aux IVe et Ve siècles. L’Égypte constitue le second centre du culte primitif des anges et
accorde une place particulière aux archanges et principalement à Michel 599. Si la présence
juive avait favorisé l’insertion du culte de Michel en Asie Mineure, il faut noter l’implication
gnostique pour les terres égyptiennes600.

Sous l’épiscopat d’Alexandre (313-326), un sanctuaire païen dédié à Saturne est


christianisé en l’honneur de saint Michel601. Didyme l’aveugle, qui a vécu au IVe siècle,
insiste sur les différences entre culte à la Trinité et culte aux archanges Michel et Gabriel et
évoque à cette occasion une église dédiée à l’archange à Alexandrie602 et de nombreux et
riches oratoires dans les villes et les campagnes603. Le culte de l’archange est donc déjà
présent à Alexandrie et aux alentours dès le IVe siècle.

593
PICCIRILLO, 2000, p. 49.
594
MARA, 1967, p. 418.
595
DEL FRANCIA, 2000, p. 61.
596
SAXER, 1985, p. 415.
597
MARA, 1967, p. 420.
598
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XVI.
599
DEL FRANCIA, 2000, pp. 51-53.
600
SAXER, 1985, p.370.
601
SAXER, 1985, p.423 et OTRANTO, 2007, p. 386.
602
SAXER, 1985, p. 372.
603
MARA, 1967, p. 419.
124
Il se développe ensuite à partir du centre alexandrin en remontant le Nil à contre-courant604.
Le calendrier égyptien d’Oxyrhynque mentionne en 535 une église dans cette ville dédiée à
l’archange605. Il y a en revanche peu de témoignages de son culte en Thébaïde606. À Faras, au
Soudan, l’iconographie atteste du rôle prépondérant de Michel sur ce site entre le VIIIe et le
IXe siècle. Il est l’un des personnages les plus représentés après le Christ et la Vierge et
apparait même dans les Nativités. C’est à cette période que se développe l’idée de l’archange
comme protecteur des sanctuaires ou des villes et on voit alors se multiplier les chapelles ou
les images de Michel dans les tours et près des portes607. Le culte michaélique en Éthiopie est
également bien développé dès le début du Moyen Âge et possède des caractéristiques
similaires à celui de l’Égypte.

Michel n’est pas le seul être céleste à jouir de la dévotion des Égyptiens et les anges en
général occupent une place importante dans les homélies, les louanges et les formules
d’exorcismes608. Pourtant la prééminence de l’archange est évidente à travers le nombre et la
nature des témoignages conservés609. À la fin du XIXe, lors d’un recensement des quatre-cent-
vingt sanctuaires chrétiens d’Égypte, une quarantaine était encore dédiée à saint Michel (le
plus souvent sous le titre d’El Malak Mik(h)aïl)610.
À la fin de l’Antiquité tardive et au début du Moyen Âge, les sanctuaires michaéliques de la
Vallée du Nil apparaissent régulièrement en contexte funéraire611. Au début du Ve siècle, aux
alentours d’Alexandrie, une inscription funéraire qui provient de la zone cémétériale de
Khadra témoignage du culte de Michel comme psychopompe612. Un grand nombre d’objets
ont également été produits pour bénéficier de la protection de l’archange : des stèles, des
lampes, divers objets apotropaïques destinés aux défunts ou aux vivants613. Des prières sur
papyrus, témoins de la piété quotidienne, ont également été conservées dans une grande
diversité614. Citons par exemple les prières de bénédiction de l’eau et de l’huile : on récupérait
l’huile de la lampe qui brûlait près d’une icône de saint Michel qui devenait une potion pour
guérir les malades. Ces derniers devaient ensuite passer la nuit dans l’Église, où ils voyaient
en songe l’archange et le matin ils étaient guéris615. Dans le calendrier copte, Michel était

604
SAXER, 1985, p. 380.
605
BAUDOT, 1971p. 19.
606
SAXER, 1985, p. 373.
607
SAXER, 1985, p. 378.
608
DEL FRANCIA, 2000, p. 53.
609
DEL FRANCIA, 2000, p. 59.
610
SAXER, 1985, p. 373.
611
SAXER, 1985, p. 373.
612
Notons d’ailleurs que la formule employée « l’archange chargé de conduire la défunte à la lumière » se
retrouvera dans l’offertoire romain de la messe des morts, SAXER, 1985, p. 373.
613
SAXER, 1985, p. 422.
614
SAXER, 1985, p. 380.
615
DEL FRANCIA, 2000, p. 61.
125
célébré le 18 juin616 et le 20 novembre617. Les éthiopiens, lui consacrent le douzième jour de
chaque mois618.
S’il était encore nécessaire de le prouver, les témoignages iconographiques démontrent
clairement le succès du culte de saint Michel en Égypte et sa primauté sur les autres anges et
archanges, visible dans la fréquence de ses représentations et la caractérisation de sa figure619.
Victor Saxer insiste sur le fait que les représentations de Michel comme accompagnateur de la
Vierge et du Christ sont plutôt rares en Égypte au regard de l’art byzantin 620. Pourtant Loretta
Del Francia rappelle les décorations de la chapelle de Théodose à Antinoé ou celles du
couvent de Saqqara et de Baouît où l’archange accompagné de Gabriel constitue bien la garde
rapprochée des personnages divins621. Dans quelques reliefs funéraires, il peut en outre être
identifié comme l’archange psychopompe622 et au vue du texte d’homélie d’Eustathe
d’Antioche, il est même possible de reconnaître Michel dans l’accompagnateur de l’âme de la
Vierge figurée dans certaines Dormitions623. Il porte parfois dans les mains une balance,
comme dans un triptyque du Musée copte du Caire624.

À travers ce rapide panorama, nous aurons remarqué la densité des témoignages, leurs
diversités, marquant le succès du culte de saint Michel dans la Vallée du Nil que l’on peut
expliquer de diverses manières. Dans un premier temps, l’insertion du culte michaélique peut
se justifier par l’intérêt porté à l’archange par le patriarche de la capitale au IVe siècle, ville
exerçant un quasi-monopole religieux sur toute la région par le contrôle des évêques et des
moines625. Mais cet intérêt venu « d’en haut » n’aurait certainement pas suffit pour justifier un
tel développement des dévotions le long des rives du Nil. Le succès du culte michaélique tient
au fait qu’il combine les préférences de la capitale aux croyances populaires626. Et nous avons
effectivement observé que, des riches sanctuaires aux petits objets du quotidien, la vivacité du
culte de Michel se décelait dans toutes les classes sociales. Ces passions vouées à l’archange
se cristallisent autour d’une des fonctions principales assumées par Michel en Égypte : celle
de protecteur du fleuve nourricier.
Michel doit garantir une crue optimale du Nil, indispensable pour de bonnes récoltes. Selon la
légende, partagée également avec les musulmans, Michel jette dans le Nil une goutte d’eau le
616
Le 12 paoni, qui était une fête chômée.
617
18 hactor, BAUDOT, 1971, p. 19.
618
LECESTRE p. 36 et DEL FRANCIA, 2000, p. 59. Michel occupe une place importante dans le sanctoral
éthiopien où il se trouve en dignité juste en dessous de la Vierge, SAXER, 1985, p. 380.
619
DEL FRANCIA, 2000, p. 59.
620
SAXER, 1985, p. 382.
621
DEL FRANCIA, 2000, p. 61.
622
Comme dans une stèle conservée à Copenhague ou dans un relief du Landesmuseum de Mayence, un ange
recevant une âme dans les mains pourrait être identifié selon Loretta Del Francia comme saint Michel. DEL
FRANCIA, 2000, p. 61.
623
Ainsi on peut également identifier Michel et Gabriel au côté du Christ qui emporte l’âme de la Vierge lors de
sa Dormition représentée dans le monastère de Wadi el Natrun. DEL FRANCIA, 2000, p. 61.
624
n. 3458, Michel tient dans la main droite une âme au-dessus d’une balance. DEL FRANCIA, 2000, p. 62.
625
SAXER, 1985, p.381.
626
SAXER, 1985, p. 423.
126
jour de sa fête (choisie le jour du début de la crue) et une telle puissance provoque une crue
qui inonde toute la vallée627. Il y a encore peu de temps, le jour de la fête de Michel (17 juin
de notre calendrier) était ainsi nommé « Leylet el-Nuktah », « la nuit de la goutte »628. La
tradition biblique et patristique attribue aux anges la protection des éléments et des
phénomènes naturels : les événements difficilement explicables rationnellement dans
l’Antiquité tardive étaient considérés comme des actions divines exécutées par ses ministres
angéliques. En tant que chef de la milice céleste, Michel semble le plus digne de ce
phénomène vital et étrange pour tous les Égyptiens qu’est la crue du Nil. Bien sûr, Dieu reste
le maître du fleuve, mais Michel est l’intermédiaire qualifié auquel la population a recours629.

Cette qualité de protecteur principal des Égyptiens par la maîtrise des crues et des décrues du
Nil, combinée à la tradition biblique, font de saint Michel le défenseur par excellence. Il faut
dès lors noter l’importance des lieux de culte michaélique dans la protection du territoire : les
chapelles et églises dédiées à l’archange prennent place dans des lieux stratégiques comme
dans la forteresse de Babylone du vieux Caire (Qaṣr ash-Shām), au dernier étage de la tour
des monastères fortifiés, aux cataractes du Nil à Assouan630.
C’est une nouvelle fois son rôle de protecteur, mais cette fois dans l’au-delà, qui favorise le
remplacement des anciens dieux d’outre-tombe par saint Michel631. Inscriptions en contexte
funéraire, peseur d’âmes dans certaines peintures, psychopompe, autant de témoignages qui
ajoutent à cette figure complexe et polysémique un rôle majeur dans la vie et la mort des
populations de la Vallée du Nil.

Les filiations entre certaines divinités païennes et les anges, et plus particulièrement
Michel, ont déjà été notées dans la première partie de ce chapitre632. Sans revenir sur les
filiations plus anciennes qui ont participé à former la figure angélique, nous allons nous
arrêter un instant sur les liens intimes qui ont pu exister entre le culte de l’archange et le culte
de divinités égyptiennes ou gréco-romaines, ceux qui ont pu concourir à définir les contours
d’une dévotion à Michel et de ses pratiques.

Selon Loretta Del Francia, le recours à des créatures mineures dans la communication avec les
Dieux était naturel en Égypte ancienne. La population recherchait surtout une protection
personnalisée face aux multiples dangers auxquelles elle était exposée633. En tant que

627
Ces crues étaient nécessaires car elles amenaient le limon noir rendant fertile les terres des rives. À propos du
rôle de Michel dans ces crues, voir DEL FRANCIA, 2000, p. 60.
628
DEL FRANCIA, 2000, p. 60. Voir également à propos du lien entre le culte de saint Michel et la crue du Nil,
MARA, 1967, p. 419.
629
SAXER, 1985, p.381.
630
DEL FRANCIA, 2000, p.60.
631
SAXER, 1985, p.381.
632
Chapitre 1, I.2.1.2. Un remplaçant des divinités païennes ?, qui évoque les débats historiographiques autour
de la filiation entre Michel et certaines divinités.
633
Raids des peuples nomades, invasions de peuples étrangers, taxation, famines et maladies, piqures d’insectes
et morsures de serpent, DEL FRANCIA, 2000, p. 52.
127
protecteur des peuples et vainqueur du Diable, Michel constituait bien le défenseur chrétien
par excellence, et il a ainsi été aisé de substituer par sa figure celle de certaines divinités
protectrices égyptiennes634. Nous avons déjà expliqué que c’est à travers cette fonction de
protecteur que le rôle de patron du Nil lui est assigné. Il ne constitue pourtant pas, comme
Hâpy, une personnification du Nil. Michel contrôle les crues et les décrues selon la volonté du
créateur duquel il est l’exécuteur des volontés.
Dans la mythologie égyptienne, le Nil est également considéré comme le seuil entre la vie et
la mort. L’ouest étant considéré comme le côté de la mort, les tombeaux sont placés sur la
rive occidentale du Nil, situation nécessaire pour accéder à l’au-delà635. La protection du Nil
est donc également associée à la protection des voies de l’au-delà et les fonctions de Michel
comme accompagnateur des âmes, décrites déjà dans les textes apocryphes, rejoignent celles
de gardien du fleuve.
Les écrits chrétiens attestent de l’existence d’un combat entre anges et démons pour les âmes
au moment de la mort. L’Égypte ancienne croyait déjà à une ascension post mortem des âmes
des justes à travers l’atmosphère peuplée d’esprits bienveillants ou hostiles636. Lors de ces
événements, Toth était un peseur et un transporteur d’âmes aux pieds du trône d’Atmou637.
Olga Rojdestvensky évoque également des liens intimes entre Michel, Anubis et Osiris638.
Les différents éléments qui peuvent laissé penser que Michel est bien un successeur de
divinités païennes, est avant tout la transformation de la dédicace d’un sanctuaire païen en une
dédicace chrétienne et la conservation de certaines fonctions de l’ancienne divinité transmises
à l’archange. Par exemple, sous l’épiscopat d’Alexandre (313-326), un sanctuaire païen dédié
à Saturne est christianisé en l’honneur de saint Michel639. Des objets de culte païens peuvent
également être christianisés et associer d’anciens dieux aux nouveaux saints. C’est le cas des
gnostiques d’Égypte qui associent dans leurs amulettes, des invocations à Michel et des
attributs païens640. Dans un lent processus d’adaptation, certains papyrus invoquent ensemble
des divinités païennes et des archanges jusqu’à ce que, sur les gemmes par exemple, les
premiers soient définitivement remplacés par les seconds641.

II.2.2.3. Saint Michel à Constantinople et dans l’Empire byzantin

Le berceau égyptien du culte michaélique s’est développé à partir d’Alexandrie vers le


reste du territoire. En Asie Mineure, ce culte ne connaît pas à l’origine de centralisation dans
la capitale : il prend naissance en Phrygie, pays pauvre et rural. Ce n’est que dans un second

634
DEL FRANCIA, 2000, p. 60.
635
DEL FRANCIA, 2000, p. 60.
636
FOURNEE, 1971, p. 67.
637
FOURNEE, 1971, p. 72.
638
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XVI.
639
SAXER, 1985, p.423.
640
MARA, 1967, p. 416.
641
SAXER, 1985, p. 368.
128
temps qu’il atteint Constantinople, suite au succès que Michel a rencontré autour du
sanctuaire de Chônai-Colosses, et connait alors une seconde phase de rayonnement à partir de
la capitale. De Constantin à la chute de Constantinople en 1453, la ville possédait trente-cinq
sanctuaires en l’honneur de saint Michel, dont seize avaient été construits avant la crise
iconoclaste (VIIIe-IXe)642.

Plusieurs légendes rapportent que le lien particulier instauré entre Constantin et


Michel serait marqué par différentes apparitions de l’archange à l’empereur. Il est dit par
exemple que la robe et la couronne impériales auraient été apportées à l’empereur par un
ange, identifié comme Michel643. Pantoléon affirme que l’empire de Constantinople fut donné
en héritage à Constantin par l’archange qui lui permit également de dominer les peuples
étrangers644. Sozomène et Nicéphore parlent d’une apparition de saint Michel à Constantin le
Grand dès le commencement de son règne645. La légende est relatée au VIe siècle par Malalas
selon les Miracles de l’archange Michel de Pantoléon : Michel serait apparu à l’empereur sur
le Bosphore, à Sôsthénion, en déclarant : « je suis Michel, qui t’a aidé invisiblement contre les
tyrans impies, contre les infidèles et les nations barbares ». Constantin aurait alors fait
construire une église et fait célébrer le 8 novembre la synaxe des Incorporels, grande fête des
archanges en Orient646.
Selon la tradition, ce sanctuaire serait ainsi le célèbre Michaelion attesté dès le IVe siècle,
ancien temple dédié à une divinité païenne près de Constantinople, dans le village de
Sôsthénion (actuel quartier d’İstinye à Istanbul). Pourtant cette légende a certainement été
inventée pour contrer le succès d’un autre sanctuaire dédié à Michel : celui d’Anaple647.
Gisella Cantino Wataghin et Eleonora Destefanis précisent que le silence d’Eusèbe, pourtant
toujours attentif à célébrer l’évergétisme religieux de l’empereur, à propos de cette fondation,
parait être une preuve suffisante pour infirmer que le Michaelion fut bien une entreprise
Constantinienne648. Il est toutefois avéré que le sanctuaire existait bien vers 500, puisqu’il est
mentionné lors des épisodes de la révolte de Vitalien contre l’empereur Anastase649.

Que Constantin soit le premier à dédier un sanctuaire à Michel suite à une apparition,
ou qu’il s’agisse d’une légende, un lien indéniable existait entre les empereurs byzantins et
l’archange et c’est en partie ce qui justifie le succès de son culte dans l’Orient chrétien. Outre
le fait qu’il apportait son soutien militaire à l’empereur, qu’il était le gardien de
Constantinople, de l’Empire, et même du pouvoir impérial, ce qui liait le plus fortement
Michel aux souverains byzantins était la similitude de leurs rôles sur terre : gouverner selon
642
SAXER, 1985, p. 403 et p. 425.
643
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
644
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
645
CROSNIER, 1862, p. 694 et PONSICH, 1997, p. 43.
646
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193. Voir également à propos de cette légende ROJDESTVENSKY, 1922, p. XVII
ou SAXER, 1985, p. 408.
647
JANIN, 1953, p. 359.
648
CANTINO WATAGHIN et DESTEFANIS, 2009, p. 347.
649
SAXER, 1985, p. 407.
129
l’ordre de Dieu650. Cette correspondance de fonction était particulièrement visible dans
l’iconographie, par l’association de portraits d’empereurs et de figures michaéliques651 ou par
la représentation de l’archange portant le loros, comme nous l’avons déjà évoqué dans le
premier chapitre652.
Ce succès de la figure michaélique auprès des empereurs assure un développement important
de son culte dans la capitale. Selon Victor Saxer, le plus ancien sanctuaire de la région de
Constantinople serait celui d’Anaple, puis une vague de dédicaces michaéliques a rejoint le
centre de la ville sous Léon Ier de Thrace jusqu’à Justinien. Procope raconte que Justinien au
VIe siècle éleva jusqu’à six églises sous le vocable de cet archange653. Une seconde vague a
touché le côté asiatique de la banlieue sous Justinien Ier (518-527)654. Constantinople et ses
environs immédiats possèdent déjà au VIe siècle une dizaine d’églises dédiées à l’archange655
et ce nombre augmente jusqu’au IXe siècle656 en particulier sous Basile le Macédonien657 :
avant la crise iconoclaste, au moins quinze sanctuaires michaéliques sont érigés 658. Les
empereurs de la dynastie macédonienne ont développé d’une manière assez poussée la
référence biblique en considérant leur royaume comme le nouveau peuple élu. Michel était
alors logiquement leur protecteur attitré659. Mais la crise iconoclaste et les incursions arabes et
slaves ralentiront considérablement cette ascension660.

La diffusion de la culture byzantine fut importante dans le développement du culte de saint


Michel et des anges en général. L’iconographie religieuse est l’un des éléments culturels qui
attestent au mieux de cette influence : Catherine Jolivet-Lévy note par exemple qu’en Égypte,
la multiplication du nombre des anges dans les peintures et la diversification de leurs
attitudes, montre l’emprise culturelle byzantine sur le reste de l’Orient661. Au Ve siècle, c’est
certainement de Constantinople qu’est partie la dévotion de Michel vers l’Occident662.
Pourtant, l’émergence et le développement de ce culte à partir du Mont-Gargan n’eut pas la
moindre influence sur les pratiques orientales.

650
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
651
Par exemple dans l’église de Çavuşin en Cappadoce, le portrait de l’empereur était entouré de deux grands
archanges en costume impérial et de scènes de saint Michel, JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
652
Voir dans le chapitre 1, I.2.1.3.3.la partie concernant les débats historiographiques autour de « l’archange aux
vêtements impériaux byzantins ».
653
CROSNIER, 1862, p. 694 et PONSICH, 1997, p. 43.
654
SAXER, 1985, p. 403.
655
LECESTRE, 1920, p. 11 et PETRUCCI, 1971, p. 340.
656
MARA, 1967, p. 417.
657
Qui tente certainement d’expier le meurtre de Michel III, JANIN, 1934, p. 28 et JOLIVET-LÉVY, 1997, p.
193.
658
SAXER, 1985, p. 402.
659
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
660
SAXER, 1985, p. 402.
661
DEL FRANCIA, 2000, p.54.
662
DUHR, 1937, p. 611.
130
Henri Leclercq démontre que la substitution par Michel de divinités païennes est une
norme dans le développement de son culte en Orient. Il rapporte que Michel remplace
certainement déjà un dieu des sources thermales près d’Hiérapolis en Phrygie, et un dieu de la
médecine, probablement Asclépios, dès le IVe siècle près de Constantinople663. Il évoque
également une figurine de Mercure en bronze retrouvée à Carthage dans les citernes romaines
de Dar-Saniat, qui comporte des inscriptions gnostiques dont le terme « MIXAHΛ » est
encore lisible. La transformation de Mercure en Michel est aisée car ils partagent la fonction
de psychagogue664. Victor Saxer insiste quant à lui sur un sanctuaire anciennement dédié à
Héraclès où le vainqueur du dragon remplaçait le vainqueur de l’hydre de Lerne dans une
continuité du symbole idéologique et du thème iconographique665. La même association
Héraclès/Michel se retrouve dans le sanctuaire de Pythie qui se trouvait à proximité de
sources curatives autrefois dédiées au dieu grec et à trois nymphes 666. Marco Bussagli
rapporte que selon Lantier, un texte racontait qu’aux détours de Byzance, au VIe siècle, un
culte de saint Michel remplaçait celui d’un ancien démon païen qui s’appelait Sosistene, un
vent qui régulait l’entrée et la sortie des bateaux dans la Mer Noire 667. Cyril Mango pense que
les fonctions et les représentations d’Attis ont pu influencer celles de Michel en Asie
Mineure. Des lieux de culte dédiés à Cybèle et Attis, ce jeune dieu d’origines phrygiennes,
asexué, messager de Rhéa et gardien des âmes, étaient associés à des sources d’eau, plusieurs
éléments qui rappellent le culte de l’archange sur ces terres orientales668.
Sans multiplier les exemples, il semble évident que ce qui permet d’adapter en Orient le culte
de l’archange à différents lieux et différentes attentes est son aspect multiforme : Michel est
tout à la fois guérisseur, patron des sources curatives et des fleuves, psychopompe et gardien
des portes, des villes et des sanctuaires.

II.2.2.4. Nature du culte originel de saint Michel en Orient

Nous avons déjà précisé que les anges sont dans la tradition chrétienne préposés aux
éléments et aux événements naturels. C’est à ce titre, et par sa primauté sur les nuées d’êtres
angéliques, que Michel fut considéré comme le protecteur du Nil et de l’eau en général. Cyril
Mango évoque même une association du culte de Michel à un vivier et à un culte plus ancien
lié aux poissons669. En Asie Mineure et dans l’Empire byzantin en général, le culte de saint
Michel est associé à des sources, souvent chaudes et curatives, considérées comme
miraculeuses. Ce fut le cas dans la légende de Chônai-Colosses et dans d’autres sanctuaires

663
LECLERCQ, 1933, p. 905.
664
LECLERCQ, 1933, p. 907.
665
SAXER, 1985, pp. 420-421.
666
SAXER, 1985, p. 400.
667
BUSSAGLI, 1991, p. 126.
668
MANGO, 1986, p. 55 et p. 61.
669
MANGO, 1986, p. 54.
131
dès le IVe et le Ve siècle670. Les vertus des eaux sont vite considérées comme des miracles
réalisés par l’entremise de l’archange, alors surtout vénéré comme thaumaturge et
médecin671 : c’est bien lui qui guérit la jeune muette de la légende de Chônai et non le pouvoir
de l’eau672. La diffusion de ce miracle, inséré dans le synaxaire de Constantinople, le
ménologe de Basile II et la métaphrase de Siméon673, atteste du développement d’un culte
iatrique pour la figure de Michel. Au Ve siècle, dans le Michaelion, on pratiquait le rite de
l’incubatio pour la guérison des fébriles674 : les malades devaient s’endormir dans le
sanctuaire et l’archange leur indiquait en rêve le remède pour guérir675. Henri Leclercq
suppose que Michel avait d’ailleurs remplacé dans ce sanctuaire un dieu médecin, peut être
Asclépios676.
Objets, amulettes ou papyrus comportant des invocations à saint Michel, témoignent aussi du
rôle de thaumaturge de l’archange677. Certains cycles de peintures byzantins exaltent la
fonction iatrique de Michel par la mise en scène de plusieurs miracles de guérison d’origines
biblique ou non. Le monastère de l’Archangélos près de Cemil en Cappadoce conserve l’un
d’eux : il regroupe plusieurs épisodes parmi lesquels la Guérison du Paralytique à la piscine
de Béthesda (Jean 5, 2-15), dans lequel l’ « ange du Seigneur » est identifié comme Michel, et
le miracle de Chônai contant la guérison de la jeune fille muette. L’archange apparait ici entre
autre, dans sa fonction de guérisseur678.
Dans un premier temps, sa fonction de guérisseur n’est pas dissociée du pouvoir d’une source
ou d’un cours d’eau. Mais ensuite, l’archange médecin pourra exercer sa capacité à guérir
partout, et nous retrouverons ainsi des images de saint Michel entouré d’autres saints
thaumaturges dans des sanctuaires ne se trouvant pas à proximité d’un point d’eau
miraculeux, comme c’est le cas dans l’église monastique de Karabaş kilise où Michel est
associé aux saints Damien, Cosme, Pantéléimon et Kyrikos dans les peintures du XIe siècle679.

En plus de son rôle de protecteur de fleuves, de sources curatives, ou de guérisseur,


l’archange développe déjà dès les prémices de ce culte oriental, ses fonctions bibliques d’ange
psychopompe680. Nous avons vu que le rôle de protecteur du Nil assignait à Michel celui de
conducteur des âmes. Cette fonction est déjà présente dans les textes bibliques et apocryphes

670
Catherine Jolivet-Lévy recense plusieurs sanctuaires anatoliens de saint Michel liés à des sources sacrées et
curatives, tel celui de Pythie en Bithynie, celui de Germia en Galatie, ceux de Nakolée et Chônai en Phrygie,
celui de Alahan Manastir en Isaurie, celui de Cémil en Cappadoce, voir JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 188. Voir
également FAURE, 1997 (1), p. 201.
671
OTRANTO, 2003, p. 46.
672
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 192.
673
Commémoré le six septembre, ibidem, p. 192.
674
OTRANTO, 2003, p. 47.
675
LECLERCQ, 1933, p. 905.
676
LECLERCQ, 1933, p. 907 et MARA, 1967, p. 417.
677
MANGO, 1986, p. 54.
678
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 190.
679
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 196.
680
Jude (9)
132
tels que l’Apocalypse de Moïse et l’Histoire de Joseph le charpentier : il accompagne et
protège les âmes saintes jusqu’au ciel. En Égypte, il intervient couramment dans les contextes
funéraires, tout comme dans l’Empire byzantin. C’est le cas de la petite chapelle de Karabulut
kilisesi (proche de l’actuelle Göreme) où Michel est représenté près de l’entrée de l’abside
dans son rôle classique de protecteur du sanctuaire, mais également proche des portraits des
donateurs. Il est alors un intercesseur dans une chapelle funéraire : Michel doit recommander
à Dieu les âmes de ces fidèles défunts ce qui démontre son rôle de gardien des âmes et de
psychopompe681. En tant que conducteur des âmes, Olga Rojdestvensky évoque les liens
intimes en Orient entre culte de Michel et culte d’Anubis, Osiris, Apollon et plus souvent
Hermès psychopompe682.

Le culte de l’archange médecin et patron des sources a longtemps supplanté celui du


guerrier683. Pourtant, dans la Bible et la tradition chrétienne, Michel est désigné comme le
gardien universel684. Cet aspect de sa personnalité, qui englobe déjà en lui les fonctions de
thaumaturge assumée par l’archange, est lié principalement à son caractère guerrier développé
dans l’Ancien Testament et dans l’Apocalypse. En Égypte et dans le monde byzantin, la
protection de Michel s’étend à tous les niveaux de la société. L’Antiquité tardive abonde
d’objets aux inscriptions invoquant l’archange et destinés à protéger les hommes
individuellement, morts ou vivants685. Les peintures de l’archange à proximité des absides,
souvent associées à Gabriel, en font les gardiens du sanctuaire. Les chapelles qui lui sont
dédiées près des portes des monastères ou des villes ont également une fonction de
protection686. En tant que protecteur du Nil, il est celui dont toute la population dépend. Enfin,
il devient dans l’empire byzantin, le chef spirituel de ses armées, même si cette fonction
apparaît assez tardivement, lors des assauts arabes au VIIe siècle687, il est considéré à
Constantinople comme l’archistratège des armées célestes688. Dans le cycle pictural de
l’église de Çavuşin, l’association de Michel au portrait de l’empereur-soldat Nicéphore
Phocas, accompagné de généraux byzantins, avec d’autres saints guerriers, insiste bien
évidemment sur le rôle de guerrier de l’archange et sur la similitude de fonction entre Michel
et l’empereur689.
Cette fonction de gardien et de guerrier en font un accompagnateur dissuasif pour la
protection du trône divin. Michel apparait dans l’iconographie en liturge, assistant de la

681
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp. 197-198.
682
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XVI.
683
OTRANTO, 1994, p. 90.
684
FAURE, 1997 (1), p. 201.
685
On retrouve entre autre, des talismans aux morts pour le voyage dans l’au-delà (certains retrouvés dans les
tombes) et d’autres pour les vivants, destinés à être portés : cousus sur les vêtements, sautoir autour du cou,
chaînettes et bracelets pour les lamelles métalliques, SAXER, 1985, p. 367.
686
SAXER, 1985, p. 421.
687
SAXER, 1985, p. 426.
688
FAURE, 1997 (1), p. 201.
689
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
133
divinité, souvent accompagné de Gabriel690. Les deux archanges pouvaient être figurés
comme des gardes du corps du Christ ou de la Vierge sur un trône, ou de symboles tels que la
croix ou le chrisme. Ces représentations ont malheureusement subi en grand nombre les
destructions de la part des iconoclastes, mais les germes de ce thème iconographique étaient
déjà enracinés en Occident comme par exemple à Ravenne691. Ce thème était également
présent, mais plus rarement, dans l’art copte692.

Nous avons compris que les fonctions de l’archange Michel dans l’Orient de
l’Antiquité tardive et du début du Moyen Âge sont diverses et variées : patron du Nil et des
sources curatives, protecteur des villes, des peuples, des églises, des hommes, médecin,
conducteur des âmes, chef de la milice céleste. Mais si nous avons évoqué ces diverses
fonctions séparément, il est dans la réalité bien souvent difficile de les dissocier car elles sont
en fait étroitement liées les unes entre les autres. En tant que rare archange nommé dans les
textes sacrés et par la force déployée contre le dragon lors des épisodes de l’Apocalypse,
Michel apparait comme un être céleste unique et puissant et par conséquent comme un
intercesseur efficace en toutes circonstances (maladies, mort, crues, protection militaire…)693.
Les textes apocryphes confirment cette efficacité puisqu’il apparait régulièrement comme
exécuteur direct des ordres divins ou porte parole de Dieu auprès des saints qu’il accompagne
personnellement lors de voyages dans l’au-delà.
Il est déjà difficile de dissocier son rôle de protecteur des sources curatives et de thaumaturge
puisqu’en associant ses sanctuaires à des eaux miraculeuses, les chrétiens transféraient le
pouvoir de l’eau à l’archange. Par ailleurs, dans la même légende du sanctuaire de Chônai-
Colosses, il est, selon les épisodes, guérisseur ou archistratège protégeant les chrétiens contre
les mauvais tours des païens. D’ailleurs symboliquement, le lien entre ces deux fonctions peut
s’expliquer par le fait que la maladie était vue comme œuvre du Diable et qu’en guérissant
des malades, Michel ne faisait rien d’autre que de combattre le démon sous une forme
différente694. Il est un protecteur des chrétiens, que la bataille se livre à l’intérieur ou à
l’extérieur de leurs corps.
Une prière retrouvée sur un papyrus égyptien du VIe siècle présente elle aussi la polysémie de
la figure michaélique :
« Michel, vous êtes constitué chef de la milice céleste et vous vous tenez auprès du trône
embrasé de Dieu : ne cessez pas de porter les prières de votre peuple au Christ son Sauveur.
Michel, chef de la milice céleste et intercesseur auprès de Dieu, ne cessez pas … pour que vous
sauviez nos âmes »695
Il est présenté comme l’archistratège, un être céleste particulièrement proche de Dieu, mais
également des hommes en tant qu’intercesseur et protecteur des âmes.

690
SAXER, 1985, p.426.
691
SAXER, 1985, p. 426.
692
SAXER, 1985, p. 381.
693
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 188.
694
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 192.
695
Rapportée dans SAXER, 1985, p. 380.
134
Cette imbrication des différentes fonctions de Michel se retrouve dans l’iconographie où il
apparait parfois en guerrier mais associé à des saints guérisseurs, parfois vêtu des apparats de
la cour impériale mais associé à des saints guerriers, ou parfois encore ce sont des épisodes le
mettant en scène qui alternent l’image de l’archange guérissant et celle de l’archange dirigeant
les armées696. Ces deux aspects apparaissent également en contexte funéraire, ajoutant alors le
rôle de psychopompe au soldat guérisseur. Il faut souligner l’importance des peintures
monumentales dans la dévotion portée à Michel et leur nécessité pour expliciter clairement
ces différentes fonctions et leurs imbrications.
La multiplicité de fonctions est également liée à une pluralité des contextes dans lesquels
s’insère le culte de l’archange : dans les capitales, aux portes des villes, dans les campagnes,
dans les monastères, dans les chapelles privées ou aux marches d’un territoire.

De toute évidence, la figure composite de Michel ne se limite pas à ses deux spécialités
principales de guérisseur et de guerrier. L’archange est en définitive un protecteur des
hommes et un combattant du mal sous toutes ses formes. Le caractère universel de sa mission
entre Dieu et les hommes assure la vitalité de son culte en Orient par une flexibilité
remarquable de ce membre éminent de la cour céleste à tous les contextes.

Nous avons évoqué pour chaque région aux origines du culte michaélique, des
filiations entre d’anciennes divinités égyptiennes, gréco-romaines ou autres, et l’archange.
Précisons que dans toutes les religions, qu’elles soient poly- ou monothéistes, les hommes
traitent la plupart du temps avec des intermédiaires entre le ciel et la terre, des créatures
divino-humaines plus accessibles que les dieux. Dans l’antique Proche-Orient, les dieux
inférieurs ont des fonctions tout à fait semblables à celles des anges de l’Église : protéger les
hommes, surveiller les éléments et la nature pour leur prospérité, garder les palais, les
temples, les maisons697. Henri Leclercq et Victor Saxer sont d’accord pour dire qu’en Asie
Mineure, l’archange remplace presque partout une divinité païenne en héritant de quelques
uns de ses attributs698. Pour Mario Sensi, le remplacement d’anciennes divinités païennes par
Michel est, en Orient ou plus tard en Occident, une nouvelle forme de victoire de l’archange
sur Satan, matérialisé par l’idolâtrie699.
Mais ne peut-on pas plutôt y voir une réutilisation pratique de certains lieux possédant une
sacralité intrinsèque, de sources chaudes, d’éléments architecturaux, voire même de schémas
iconographiques ou de légendes : pourquoi ne pas réutiliser ces éléments qui ont déjà prouvé
leur efficacité, même si c’était dans le cadre d’une autre religion ? En outre, les nouveaux
chrétiens ne devaient certainement pas être pleinement conscients de cette filiation à une
divinité païenne. Nous ne pensons pas que l’on puisse parler de simple christianisation de
figures païennes lorsque Michel remplace dans certains sanctuaires ou dans certaines

696
Dans l’église du monastère de l’Archangélos près de Cemil, les épisodes mettant en scène Michel guérisseur
alternent avec ceux d’un archange guerrier, JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 190.
697
BAUD, 2003, p. 24.
698
LECLERCQ, 1933, p. 905 ; SAXER, 1985, p. 425.
699
SENSI, 2000, p. 127.
135
peintures, un dieu ou un génie quelconque. Les anges et les saints ont des rôles très précis
auprès des hommes et ils répondent, à travers leur caractère, leurs capacités, leur histoire, à
différents besoins, certes déjà comblés dans l’Antiquité païenne par d’autres dieux, mais ne
constituant pas pour autant des alter egos christianisés de leurs ancêtres païens. Ainsi, la
figure de Michel s’accommode et évolue en fonction de la nature du culte qu’on lui rend,
mais ce n’est pas aux anciens dieux païens que s’adapte l’archange, mais plutôt aux désirs et
aux besoins des populations qui lui rendent hommage, eux-mêmes déterminés par leur
histoire, la géographie du territoire qu’ils occupent, leur culture (pas seulement religieuse).
Saint Michel, et les autres saints qui ont succédé dans les lieux de culte et les images à des
divinités païennes ne sont pas pour autant des descendants de ces dieux mais sont, tout
comme eux, façonnés à l’image des populations qui leurs vouent un culte : Michel et Anubis,
Mercure, ou Hermès ne sont donc pas pour nous des pères et des fils mais des frères dont les
géniteurs sont les hommes.

Les traits principaux du culte de saint Michel sont déjà fixés dès le IVe-Ve siècle en
Orient autour de deux grands centres que sont l’Égypte et l’Asie Mineure, attestés par
l’existence de sanctuaires, d’une iconographie et d’une liturgie. Les témoignages de cette
dévotion se multiplient jusqu’au IXe siècle : c’est à cette période que le premier recueil
complet des miracles bibliques et historiques attribués à Michel est réalisé (vers 843-867)700
preuve d’une longue maturation du culte de l’archange701. Le culte égyptien ne connait pas de
réel développement au-delà de la Vallée du Nil, limité par son lien avec les conditions
géographiques spécifiques de cette région. Quelques éléments, notamment iconographiques,
se sont tout de même transmis dans le reste de l’Orient et en Occident grâce au
développement du monachisme et à la circulation des objets d’arts mineurs702. L’impulsion
donnée par Constantinople au culte de l’archange fut par contre décisive dans son émergence
en Occident. C’est certainement à partir de cette ville que le culte michaélique s’est développé
en Italie, et plus particulièrement au Mont Gargan703, où il conserve plusieurs caractéristiques
du culte oriental704. L’Occident n’avait pas adopté tout de suite le culte de ces êtres lointains
qu’étaient les anges, et lui a un moment préféré celui des martyrs.

700
Il s’agit du texte de Pantoléon, diacre et archiviste de Sainte-Sophie, un récit en forme d’homélie prononcé
entre 843 et 867 à Constantinople consacré aux « très grands miracles de l’archistratège Michel », FAURE, 1997
(1), p. 201.
701
MARTIN-HISARD, 1994, p. 370.
702
SAXER, 1985, p. 424.
703
FAURE, 1988, p. 38.
704
MANGO, 1986, p. 62.
136
II.3- Le culte de saint Michel en Occident

Le culte occidental de saint Michel se fonde bien évidemment sur les Saintes
Écritures, les textes apocryphes reconnus par l’Église, la littérature patristique et théologique
et les textes qui constituent le dogme de l’Église. Les dévotions à l’archange engendrent
également un corpus de textes spécifiques constitués des récits de fondation des sanctuaires
michaéliques, de recueils de miracles qu’il a pu accomplir, des récits de pèlerinage, ou
d’autres récits, comme la vie de saints par exemple, dans lesquels Michel peut avoir joué un
rôle particulier. Parmi cette liste non exhaustive, les récits de fondation des lieux de culte à
saint Michel constituent le groupe le plus important dans la connaissance de l’archange et de
son culte au Moyen Âge. Ces chroniques peuvent être perçues comme des sortes de Vitae de
l’archange, car elles sont bel et bien le récit de son passage sur terre comme la Vita d’un saint
raconte celui d’un homme. Le premier témoignage à inaugurer la liste des légendes de saint
Michel, est le Liber de apparitione Sancti Michaelis in Monte Gargano (dit Apparitio)
relatant les différentes apparitions de saint Michel à l’origine de la fondation du sanctuaire des
Pouilles. Le texte, après avoir donné une description topographique de Siponto et de ses
environs, présente l’église dédiée au saint dans une grotte et les différents épisodes « du
taureau », « de la bataille » et « de la consécration de la grotte ». Selon Giorgio Otranto ce
texte aurait été rédigé en contexte lombard, près de Bénévent, dans les dernières décennies du
VIIIe siècle, période de grand succès du sanctuaire705. La Vita Sancti Larentii, vie de l’évêque
de Siponto Laurent, probablement composée entre la fin du IXe et le Xe siècle, rapporte
également les épisodes du Mont Gargan706. La Revelatio Ecclesiae Sancti Michaelis in monte
Tumba (dite Revelatio) a été rédigée par un chanoine du Mont normand au début du IXe siècle
et s’inspire de quelques aspects de l’Apparitio dans le déroulement des épisodes. Tout comme
au Mont Gargan, l’archange se manifeste une première fois sous la forme d’un taureau, puis
deux autres fois à des évêques. Ce récit atteste d’une volonté de filiation entre le Mont-Saint-
Michel et le mont italien, et d’une circulation du texte de l’Apparitio dès le début du IXe
siècle707. Pour autant, Pierre Bouet précise que les reprises textuelles sont rares et que ce sont
seulement les thèmes du récit qui sont communs708. D’autres récits de fondation des
sanctuaires michaéliques sont créés plus tard, comme la Chronica monasterii Sancti
Michaelis Clusini de l’abbaye Saint-Michel-de-la-Cluse709 ou la Revelatio seu apparitio
S.Michaelis Archangeli in monte Tancia de l’église du Monte Tancia dans le Latium710.
Un autre texte médiéval est important dans la connaissance du culte de l’archange :
l’Itinerarium Bernardi monachi franci, écrit au IXe siècle par le moine Bernardus et ses deux

705
OTRANTO, 1981, p. 425 et p. 442 ; « Il « Liber de apparitione », il santuario di san Michele sul Gargano e i
longobardi del Ducato di Benevento », dans Santuari e politica nel mondo antico, a cura di Marta SORDI,
Brescia, Pubblicazioni della Università Cattolica Milano, 1983, p. 235; 2003, op. cit., p. 43.
706
OTRANTO, 1981, p. 424.
707
OTRANTO, 2007, p. 390.
708
BOUET, 2004, p. 116.
709
AULISA, 1996, pp. 29-55.
710
AULISA, 1994, pp. 315-331.
137
compagnons en route pour un pèlerinage en Terres Saintes. Il apporte des renseignements sur
les routes de pèlerinage, les itinéraires employés et sur le sanctuaire garganique que le moine
visite à l’aller de son voyage. Il se rend également au Mont-Saint-Michel au retour de son
périple, ce qui atteste d’une dévotion particulière pour l’archange711.
Enfin, il faut noter la présence d’une « vie » assez conséquente de saint Michel dans la
Légende dorée de Jacques de Voragine, qui atteste du développement du culte de l’archange à
cette période et de l’humanisation - ou plutôt de la sanctification - de sa figure712.

II.3.1. Histoire et géographie du culte michaélique en Occident

Il existait manifestement en Italie des édifices dédiés à Michel dès le Ve siècle. Une
basilique évoquée dans le Martyrologe hiéronymien du Ve siècle sur la Via Salaria713 atteste
qu’au moment de l’insertion du culte de saint Michel sur le Mont Gargan, ce culte est déjà
actif à Rome714. Un petit sanctuaire fut également érigé près de la basilique Vaticane, alors
que dans l’Italie centrale, nous retrouvons à cette même période à Pérouse, Spolète ou
Ravenne des églises portant le nom de l’archange715. Maria Grazia Mara rapporte également
la présence à Rome d’une lamelle d’or avec les quatre noms des archanges dans la tombe de
Marie, épouse de l’empereur Honorius, morte en 407, et une inscription « X M Γ » à
Syracuse, qui attesteraient déjà d’une dévotion à l’archange en Italie dès le début du Ve
siècle716. Elle évoque également une date précoce pour la grotte sur le Mont Tancia toujours
dans le Latium717. Selon Armando Petrucci, c’est encore à Rome qu’aurait été représenté
l’archange pour la première fois en Occident, dans le cycle biblique de Santa Maria Maggiore,
sous le pontificat de Sixte III (432-440)718. Enfin, Léon Lecestre précise l’existence
d’oraisons particulières à saint Michel dans le missel du pape saint Léon le grand (440-461)
719
. Autant de témoignages qui prouvent que le culte de Michel a pénétré très tôt en Italie720.
Pourtant, son succès en Occident ne se fait pas à partir de ces établissements latins, mais à
partir d’un sanctuaire sous domination byzantine, véritable propulseur du culte michaélique et
voué à un succès international : le Mont Gargan.

711
AVRIL et GABORIT, 1967, pp. 269-298.
712
DE VORAGINE, 1967, pp. 233-244.
713
Le sanctuaire se trouvait sur les hauteurs, à l’emplacement qui a ensuite accueilli le village de Castel
Giubileo ; MARTIN, 2009, p. 408.
714
OTRANTO, 2007, p. 387 et SENSI, 2007, pp. 241-280.
715
MARA, 1960, p. 287
716
Cette inscription se trouve sur une lamelle de plomb, citée également par PETRUCCI, 1971, p. 340.
717
MARA, 1967, p. 420. Giorgio OTRANTO pense que le culte michaélique s’y est développé plutôt autour du
VIIIe siècle, sous l’influence du Mont Gargan, OTRANTO, 2012 (2), p. 34.
718
PETRUCCI, 1971, p. 341.
719
LECESTRE, 1920, p. 14.
720
BAUDOT, 1971, p. 19.
138
II.3.1.1. Le culte italien de saint Michel

Les origines du sanctuaire michaélique du Mont Gargan sont rapportées dans le texte
du Liber de apparitione Sancti Michaelis in Monte Gargano à travers trois épisodes. Le
premier épisode rapporte qu’après avoir remarqué sa disparition, Gargan, propriétaire de
troupeaux, organise les recherches de son taureau et le retrouve près d’une grotte. En colère
contre l’animal, il lui lance une flèche empoisonnée mais qui revient sur lui et le touche. Les
habitants, impressionnés par l’épisode, entreprirent un jeun de trois jours pour connaître la
volonté de Dieu face à ce miracle. Michel apparait alors à l’évêque de Siponto pour lui dire
que la caverne était sous sa protection, et qu’elle devait être consacrée en l’honneur de tous
les anges721 et démontrer ainsi qu’il était lui-même ipsius loci inspector arque custos
(Apparitio 2)722. L’épisode de Gargan symbolise la victoire du christianisme sur le paganisme,
et Giorgio Otranto souligne les parallèles intéressants entre cette légende et l’épisode biblique
de Balaam et de son âne : le taureau avait reconnu - comme l’âne - avant son maître, l’ange de
Dieu. Gargan et Balaam meurent également tous les deux de mort violente723. Cette légende
devient le symbole du culte michaélique et est représenté dès le Xe siècle sur les murs du
sanctuaire, alors qu’on le retrouve à partir du XIVe en France, en Espagne et en Allemagne724.
Le deuxième épisode de l’Apparitio concerne une bataille entre les Napolitains, définis
comme païens, et les habitants des deux villes de Siponto et Bénévent. Ces derniers
entreprennent un jeun de trois jours sur les conseils de leur évêque pour obtenir la protection
de l’archange. La nuit précédant la bataille, saint Michel apparait à l’évêque en lui promettant
la victoire, obtenue le lendemain, le 8 mai, alors que les Napolitains décident de se convertir.
C’est en souvenir de cet événement que saint Michel posa son pied sur une pierre à l’entrée
nord du sanctuaire (Apparitio 3)725. Cette bataille évoque certainement celle de 662-663 qui
opposa les Byzantins, symbolisés par les Napolitains, aux Lombards, représentés par le
peuple de Siponto et de Bénévent, dirigés par Grimoald Ie, duc de Bénévent (647-671)726.
L’épisode participe ainsi à la lombardisation du culte michaélique dont nous reparlerons dans
les parties suivantes727.
Le troisième épisode est un récit autour de la consécration du sanctuaire. Alors que les
habitants de Siponto ne savaient s’ils devaient consacrer la grotte de l’apparition de
l’archange, le pape leur conseille un nouveau jeun de trois jours au terme duquel Michel
apparait à l’évêque de Siponto et lui dit que c’est à lui que revient la tache de la dédicace de
son sanctuaire et non aux hommes, qui devaient se contenter de le fréquenter et d’y pratiquer

721
PONSICH, 1997, p. 43.
722
OTRANTO, 1983, pp. 210-245 ; 2003, p. 48.
723
OTRANTO, 1983, p. 221.
724
OTRANTO, 2003, p. 49.
725
OTRANTO, 1981, p. 425.
726
OTRANTO, 1983, p. 225.
727
OTRANTO, 1983, p. 230.
139
le culte divin. Les évêques des Pouilles entreprennent alors une procession vers la grotte
(Apparitio 4)728.
L’Aparitio s’inspirerait d’un texte plus ancien, le Libellus in eadem ecclesia positus datant du
Ve ou du VIe siècle, auquel appartiendrait l’épisode du taureau et celui de la consécration de la
grotte729, alors que les épisodes suivants ont été ajoutés en contexte lombard. Le texte pose
des problèmes d’interprétation dus à l’absence d’éléments de datation, comme ceux des noms
des évêques. Si l’historiographie situe ces événements autour de 490 730, Giorgio Otranto
pense que la première apparition de l’archange sur le Mont Gargan pourrait être avancée au
milieu du Ve siècle ou aux décennies précédentes, à la suite de la christianisation de l’aire de
Siponto731.

Le sanctuaire se construit autour de la grotte, et devient rapidement un lieu de


pèlerinage important dans tout l’Occident. Au Ve siècle, il n’y a pas encore d’éléments
architecturaux et l’église est définie uniquement par l’espace de la cavité. La grotte initiale
constitue un noyau pour le sanctuaire, autour duquel se construit également une
agglomération urbaine, celle du Monte Sant’Angelo qui est déjà fortifiée dès la première
moitié du IXe siècle732. C’est lors de l’occupation lombarde entre le VIIe et le IXe siècle que
seront ajoutés les premiers éléments architectoniques correspondant à une première phase de
monumentalisation et de rationalisation de l’espace terminée au Xe siècle733. La phase
lombarde accueille également les premiers témoignages épigraphiques 734, dont la plupart a été
réalisée, selon Carlo Carletti, au temps des duchés bénéventins de Romuald Ie (647-671),
Romuald II (706-731) et jusqu’à 869. Ces inscriptions aux origines variées - franques, anglo-
saxonnes, italiennes735 - attestent d’un succès considérable du pèlerinage à saint Michel et
sont un témoignage important également en ce qui concerne les motivations des pèlerins et
leurs différences sociales, d’alphabétisation et géographiques736. À partir du milieu du VIIe, le

728
OTRANTO, 1981, p. 426.
729
OTRANTO, 2003, p. 44.
730
La datation de l’insertion du culte michaélique sur le Mont Gargan est généralement fixée à la fin du Ve siècle
car un extrait de la biographie du pape Gélase Ier (492-496), le Liber Pontificalis, évoque l’inventio de ce
sanctuaire à l’époque de ce pape : « Huius [Gelasii] temporibus inventa est aecclesia sancti Angeli in monte
Gargano », Liber Pontificalis, 51, cité dans OTRANTO, 1983, p. 237.
731
OTRANTO, 1983, p. 239 OTRANTO, 2003, p. 44.
732
BETTOCCHI, 1996, p. 133.
733
Ces constructions ont été découvertes lors des travaux de 1949-1960 entrepris sur les éléments angevins.
Malheureusement il n’y a pas eu de relevés archéologiques précis lors de cette campagne ; voir CARLETTI,
1990, p. 80.
734
À propos des inscriptions murales au sanctuaire du Mont Gargan, voir les articles de CARLETTI, 1994 (1),
pp. 63-84 ; voir aussi CARLETTI, 1994, pp. 173-184 ; 2003, pp. 91-103.
735
CARLETTI, 2003, pp. 91-103.
736
Elles sont parfois inscrites par la main de l’auteur, parfois elles sont une signature personnelle mais inscrites
par des sortes de scribes locaux qui indiquent le nom à la place du pèlerin ; parfois une simple croix ou un autre
signe permet de marquer la présence du visiteur. Les clercs signent eux en général de leur main et lerus
inscriptions témoignent d’une assimilation d’une culture graphique de type littéraire. CARLETTI, 1990, pp. 78-
117.
140
Mont Gargan devient le plus célèbre lieu de culte michaélique de l’Occident latin 737 avec une
période particulièrement faste entre la seconde partie du VIIe siècle et la seconde moitié du
IXe738.

Au Ve siècle, l’affirmation d’un culte officiel de Michel en Orient est suffisamment


développée et caractérisée pour être exportée. L’importance de la pénétration du culte
michaélique sur les terres italiennes sous influences byzantines prouve bien une origine
orientale de cette dévotion en Occident739. Les Pouilles étaient en effet une région
naturellement tournée vers l’Orient par sa situation géographique qui permettait des contacts
de toutes sortes entre navigateurs, commerçants, missionnaires, pèlerins par les ports de
Siponto, Bari, Egnazia, Taranto, Brindisi, Otranto et constituait un point de contact et de
passage entre Orient et Occident par la circulation d’hommes, et également de marchandises
et d’idées740. Giovanni Battista Bronzini parle du sanctuaire comme d’un pont vers
l’Orient741. Au point de vue religieux, des contacts sont attestés depuis le début du IVe
siècle742, avec des rapports qui s’intensifient au Ve siècle, période de l’insertion du culte
michaélique dans les Pouilles743. Ces contacts sont visibles au Mont Gargan par la reprise de
certains éléments orientaux du culte michaélique. Tout comme en Asie Mineure et en Égypte,
l’eau tient une place importante dans la constitution de la légende italienne. Dans le texte de
l’Apparitio, il est dit que l’eau des parois de la grotte, douce et cristalline était récoltée par les
fidèles et les pèlerins pour la boire ou s’en asperger dans le but d’obtenir une guérison. La
continuité avec le culte iatrique oriental lié au pouvoir d’une source curative est ici
prégnante744. Au Mont Gargan, la pratique de l’incubatio est attestée comme dans plusieurs
sanctuaires anatoliens. La place des éléments naturels dans lesquels la puissance de l’archange
se manifeste, est similaire d’un côté et de l’autre de la Méditerranée745. Comme en Orient, le
culte de saint Michel au Mont Gargan s’est inséré dans un lieu déjà occupé par des divinités
païennes. Le Mont Gargan portait dans la période préchrétienne un sanctuaire dédié au devin
Calchas et au médecin Podalire746, culte médical et mantique qui caractérise ensuite celui de

737
OTRANTO, 1990, p. 37.
738
Comme l’atteste l’importance des graffitis de cette période et leurs origines variées. OTRANTO Giorgio dans
D’AGOSTINO Marisa, OTRANTO Giorgio, RAGUSO Fedele, Il culto di San Michele arcangelo dal Gargano
ai confini Apulo-Lucani, Modugno, 1990.
739
MARA Maria, 1967, p. 420 ; BAUDOT, 1971, p. 20.
740
OTRANTO, 1990, p. 34.
741
BRONZINI, 2005, p. 387.
742
Participation de l’évêque de Brindisi au premier concile oeucuménique de Nicée en 325 ; voir OTRANTO,
1990, p. 34.
743
L’évêque des Pouilles Marianus se rend à Constantinople en 405 comme ambassadeur du Pape Innocent Ier ;
Probo, évêque de Canosa est envoyé dans la seconde partie du V e siècle par le pape Simplice pour qu’il explique
à l’empereur Léon Ier la position de Rome sur le canon 28 du Concile de Chalcédoine (451), OTRANTO, 1983,
p. 243.
744
OTRANTO, 2003, p. 49.
745
OTRANTO, 1983, p. 242.
746
PETRUCCI, 1971, p. 342 ; LASSANDRO, 1983, p. 206 ; OTRANTO, 1983, p. 220 et 2003, p. 62.
141
Michel au Gargan747. L’épisode du taureau semble également chargé d’une symbolique
religieuse préchrétienne : Mario Sensi rapporte que le peuple des Samnites (peuple italique
proche des Sabins des VIIIe - IIIe avant J.-C.) aurait été guidé par un taureau envoyé par Mars
pour fonder une nouvelle colonie et éviter la famine748. Il faut noter enfin un développement
important du culte de Diomède sur la Terra Dauna, tueur de dragon et fondateur de plusieurs
villes des Pouilles, dont Michel a pu être le remplaçant749. Mais si d’anciennes croyances ont
pu privilégier l’insertion d’un culte michaélique sur le Mont Gargan, il faut surtout voir dans
la nature et la configuration de la zone un lieu propice à accueillir des cultes. Philippe Faure
précise que la filiation entre une divinité païenne et saint Michel n’est la plupart du temps pas
consciente, mais passait plutôt par la reconnaissance du caractère sacré de certains lieux750.

Selon Giorgio Otranto, l’importance en Occident de l’insertion du culte michaélique dans les
grottes et sur les montagnes, n’est pas à imputer à une quelconque influence de l’Orient
byzantin dans ces contrées, mais bien à une tradition garganique largement exportée en Italie,
en Gaule, sur les territoires anglo-saxons et partout en Occident. Il précise en particulier que
les implantations aériennes n’ont pas connues en Orient un succès comparable à celles
connues en Occident suite à l’établissement au Mont Gargan751. Le Mont Gargan constitue
donc un relais incontournable pour le passage du culte michaélique entre l’Orient et
l’Occident et marque également le début d’une histoire propre à l’Occident en ce qui concerne
les dévotions rendues à l’archange.
Du reste, le lien entre le sanctuaire et l’empire oriental ne se rompt pas au début du Moyen
Âge et les Byzantins tentent de récupérer le sanctuaire par les armes752 et par la plume. La
Vita Sancti Larentii rédigée entre le IXe et le Xe siècle, précise que l’évêque présumé de
Siponto, qui était à la base de l’insertion du culte michaélique sur le Mont, était d’origine
constantinopolitaine. Une traduction grecque de l’Apparitio est de plus écrite à la fin du Xe ou
au début du XIe siècle, en modifiant bien évidemment le récit de la bataille : les Napolitains et
les Bénévents païens se battent contre les habitants de Siponto, sujets de l’empereur
d’Orient753.

La diffusion du culte de saint Michel se fait de manière assez diffuse en Italie. Dans
les dernières années du Ve siècle, plusieurs églises sont dédiées à l’archange dans le Centre et
le sud de l’Italie.
Le nombre de dédicaces à l’archange reste très faible dans les Pouilles avant l’an mil, en
raison de l’importance du sanctuaire garganique, qui conserve un rôle de sanctuaire-guide

747
OTRANTO, 2003, p. 45.
748
SENSI, 2000, p. 128.
749
LASSANDRO, 1983, p. 200.
750
FAURE, 1988, p. 43.
751
OTRANTO, 2007, p. 414.
752
Avec par exemple la bataille qui eut lieu en 662-663.
753
OTRANTO, 1983, p. 244.
142
dans la diffusion du culte michaélique pendant tout le Moyen Âge 754. Armando Petrucci note
par contre que le culte de l’archange est présent de façon certaine à Naples en 591 par la
construction d’un oratoire « sancti Archangeli »755. En Calabre, c’est par l’influence de
Bénévent que se développe le culte michaélique756.

Nous avons déjà noté la présence d’un culte précoce à Rome et dans le Latium. Pourtant les
dévotions à l’archange n’apparaissent pas comme un culte exceptionnel dans l’Église latine
des premiers siècles et se voit largement supplanté par celui des martyrs dont les « foules
souffrantes ont évincé les essaims ailés des anges »757. La plupart du temps, les églises sont
consacrées aux grands saints ou à des personnalités locales 758. En ce qui concerne leurs
origines, il est plus difficile d’établir des liens entre ces premiers sanctuaires latins et le culte
oriental de saint Michel. Pourtant, Gisella Cantino-Wataghin, à partir des éléments
archéologiques, reconnait des origines orientales dans la typologie du sanctuaire bâti sur la via
Salaria à la fin du IVe ou au début du Ve siècle : construites sur la base du pied byzantin, les
proportions du bâtiment rappellent celles des églises byzantines 759. Le culte oriental serait
ainsi également à l’origine des constructions latines.
Plusieurs églises étaient dédiées à Michel à Rome au début du Moyen Âge. Parmi les plus
célèbres, se trouve la dédicace au Château-Saint-Ange : la légende rapporte que Grégoire le
Grand avait entrepris en 590 une procession pour obtenir de Dieu la fin d’une épidémie de
peste. Michel apparu sur le sommet du mausolée d’Hadrien lorsque la procession franchissait
le pont du Tibre760. Boniface V intègre ensuite dans le mausolée un édifice en forme de crypte
pour rappeler le Mont Gargan761. Joseph Duhr atteste qu’au IXe siècle, il existait au moins
sept églises à Rome dédiées à l’archange762.
Dans le reste du Latium, le Monte Tancia, dans la province de Rieti, possède une grotte
dédiée à l’archange, selon Maria Grazia Mara, le plus ancien sanctuaire michaélique de la
région763. C’est bien au modèle garganique que se rattache cette dédicace. Cette région fait
partie de l’ancienne région des Sabines, où le culte de saint Michel fut reçu favorablement et
précocement, soit par influence romaine, soit plus tard par influence lombarde764.

754
BETTOCCHI, 1996, pp. 133-162.
755
Des images d’archanges en vêtements de la cour impériale sont visibles à cette période à Ravenne et un
oratoire est fondé à Naples en 591, PETRUCCI, 1971, p. 343.
756
ROMA, 2003, p. 507.
757
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XIX.
758
ROJDESTVENSKY, 1922, p. XX.
759
CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 359.
760
MARA, 1967, p. 422 ; BAUDOT, 1971, p. 20.
761
DUHR, 1937, p. 612.
762
DUHR, 1937, p. 612.
763
PONCELET, 1906, pp. 541-544 ; MARA, 1960, p. 290 ; RADOŻYCKA-PAOLETTI, 1988, pp. 99-111 ;
AULISA, 1994, pp. 29-56.
764
MARA, 1960, p. 289.
143
Quelques traces de monuments dédiés à Michel attestent également de la présence de son
culte dans le reste de l’Italie centrale, notamment en Ombrie au Ve siècle765 : en 429 une
église est construite à Spolète, puis Sant’Angelo à Pérouse au Ve ou au VIIe siècle766. Dans la
région Molise, à Larino, un édifice est également attesté dans les années 493-494 sur une
propriété privée767. Mario Sensi note un lien encore important entre ce culte de l’Italie
centrale et des eaux thérapeutiques768. Mais le grand développement du culte de Michel dans
l’Italie centrale fut surtout concomitant à la reprise de la vie érémitique à partir du XIe
siècle769.

Les rapports entre Constantinople et Ravenne au Haut Moyen Âge constituèrent sans aucun
doute un contexte privilégié pour l’insertion du culte michaélique en Italie du nord dès
l’époque théodosienne puis justinienne. À Ravenne, le culte de l’archange est présent de
façon certaine selon Armando Petrucci à partir de 545 : sur l’ex-voto de Bacauda et Giuliano,
une inscription dédicatoire datée du 7 mai 545 est conservée pour la consécration de l’église
Saint-Michel in Africisco de Ravenne770. Joseph Duhr rapportait quand à lui une inscription
dédicatrice d’une église consacrée à l’archange par l’évêque Maximianus dès 525771. Mais
dans ces mêmes années, avec Gabriel, il est déjà représenté en vêtements de la cour impériale
byzantine dans les mosaïques de Sant’Apollinare in Classe et dans celles de Sant’Apollinare
Nuovo où le trône céleste était encadré des quatre archanges Michel, Gabriel, Raphaël et
Uriel772. Le culte de Michel rayonne ensuite dans le nord à partir de Ravenne773 en recevant
également l’influence du Mont Gargan au VIe siècle, notamment dans la Lombardie sous
l’influence de Ravenne774.

Le culte de saint Michel a déjà pénétré dès les premières années du VIe siècle certains foyers
au-delà des Alpes775. Une basilique est érigée à Lyon en 506 par accueillir la sépulture de la
reine burgonde Carétène, épouse de Gondebaud (480-516). La retranscription de l’épigraphe
funéraire a été rapportée dans un manuscrit du IXe siècle, qui mentionne l’avoir recopié dans
l’église saint Michel :

765
DUHR, 1937, p. 612.
766
FAURE, 1988, p. 38 ; CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 352.
767
Cet édifice est mentionné dans une lettre de Gélase comme appartenant à une propriété privée ; CANTINO
WATAGHIN, 2009, p. 352.
768
SENSI, 2007, pp. 241-280.
769
SENSI, 2007, pp. 241-280.
770
« Consecuti beneficia archangeli Michaelis Bacauda et Iulianus a fundamentis fecerunt et dedicaverunt sub
die non. Mai quater p.c. Basili iunioris viri clarissimi consulis, ind. VIII », cité dans CANTINO WATAGHIN,
2009, p. 353. Voir également à propos de cette dédicace PETRUCCI, 1971, p. 343.
771
DUHR, 1937, p. 612.
772
PETRUCCI, 1971, p. 343 ; CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 353.
773
PETRUCCI, 1971, p. 343.
774
FAURE, 1988, p. 39.
775
Sur les premiers sanctuaires dédiés à Michel en Gaule, voir BAUDOT Marcel, 1971 (2), pp. 99-112 et LAMY
LASSALLE, 1971 (3), pp. 113-126.
144
« epitafium Cartenes religiose regine quae condita est Lugduni, in basilica sancti Michaelis
Archangeli »776:
En Gaule, les rapports avec l’Orient étaient courants dans relations sociales, politiques et
religieuses777. Il faut noter qu’en Gaule, comme déjà en Italie, les premiers témoignages du
culte à l’archange étaient le fait de personnes de haut rang, des commandes ecclésiastiques ou
aristocratiques et parfois même royales, qui participent à une diffusion capillaire de la
dévotion aux anges. Une seconde phase de rayonnement est ensuite assurée dans les différents
foyers qui avaient déjà éclos, notamment grâce à la diffusion des écrits de Grégoire le Grand
où les anges, et plus spécialement Michel qu’il avait vu en apparition, avaient une place
importante.

Le développement du culte de Michel sur les terres latines, dans le sud de l’Italie et dans
quelques foyers gaulois, est bien attesté avant même l’arrivée des Lombards en Italie. Michel
semble y avoir été adopté en même temps que le christianisme. Le caractère de protecteur
guerrier, si cher aux Lombards et aux dynasties suivantes, est déjà lui-même développé,
même s’il sera ensuite déplacé de la défense des sanctuaires, « difesa ceremoniale del luogo
sacra come milizia celeste », à celle des royaumes et des empires, dans un rôle qui était
assigné à Michel par Augustin, qui le déclarait défenseur des peuples778.

Le culte de saint Michel se développe avant tout dans les lieux fortement hellénisés,
puis du sud vers le nord et la Lombardie par l’influence de Ravenne et surtout du nouveau
peuple conquérant : les Lombards. Au VIe siècle, les Lombards fondent le duché de Bénévent.
Jusqu’à la fin du IXe siècle, le sud de l’Italie reste sous l’influence lombarde. Comme rappelé
dans l’Apparitio, les Lombards attribuent la victoire contre les Byzantins le 8 mai 663 à
l’archange et en font leur patron national779. L’adjonction de cet épisode dans l’Apparitio
témoigne de la « lombardisation » du culte michaélique qui s’inscrit dans une thématique anti-
byzantine780 : les Lombards de Bénévent ne pouvaient laisser supposer une origine orientale
au culte de celui qui était devenu le protecteur de leur peuple781. Au moment de la reconquête
byzantine de Siponto à la fin du IXe siècle, leurs ennemis utilisent les mêmes armes qu’eux en
commandant des écrits hagiographiques qui leur permettent de se réapproprier la tradition de
l’ange sur le Gargan782.
Plusieurs auteurs voient dans les similitudes entre Wodan et la figure archangélique, une
raison du succès rapide du culte michaélique auprès du peuple lombard. En effet, cette
divinité nordique vénérée par les différents peuples germaniques, était le dieu suprême de la
guerre, protecteur des héros et psychopompe783.
776
Cité dans CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 354. Voir aussi DUHR, 1937, p. 612.
777
CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 359.
778
CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 360.
779
MARA, 1967, p. 425 ; OTRANTO, 2003, p. 57 et 1983, pp. 210-245.
780
OTRANTO, 1990, p. 48.
781
OTRANTO, 2003, p. 59.
782
OTRANTO, 2003, p. 59.
783
OTRANTO, 1990, p. 38 ; SENSI, 2000, p. 127.
145
Les ducs ont manifesté leur attachement à la figure angélique en s’occupant particulièrement
du sanctuaire garganique : Cunipert a entrepris des travaux dans le sanctuaire garganesque784 ;
certains se sont rendus en pèlerinage au Mont, tel Romuald II comme l’atteste un graffiti
retrouvé sur un mur du sanctuaire785. Ce sont les ducs lombards qui ont débuté la première
phase de monumentalisation du sanctuaire, qui manifestait leur désir d’apporter une caution
sacrée à leur présence dans le sud de l’Italie786. Afin de mieux le contrôler, Romuald Ie place
le mont sous la juridiction de Bénévent787. L’adhésion au culte de saint Michel par les
Lombards est également particulièrement visible dans la multiplication des dédicaces
d’églises788 et dans l’adoption de sa figure sur les monnaies 789. Grimoald dédicace par
exemple en 662 l’église palatine de Pavie en l’honneur de Michel 790 ; il fait construire
plusieurs églises à Milan791.

Alors qu’en Orient, Michel est toujours vénéré comme le patron des sources curatives792, du
VIIe au VIIIe siècle, la prise en main lombarde du culte michaélique a modifié
considérablement les caractéristiques dévotionnelles et thaumaturgiques du culte oriental vers
un culte nationaliste et guerrier qui correspond, selon Armando Petrucci à des attentes d’une
civilisation religieusement primitive et encore grandement liée au paganisme793. Sous la
domination lombarde, Michel récupère en quelque sorte sa fonction biblique de protecteur
d’un peuple794. Même s’ils étaient ponctuellement présents au nord de l’Italie, les sanctuaires
vont se multiplier dans les régions septentrionales lombardisées (Toscane et Lombardie)795.
Le culte michaélique devient un véritable instrumentum regni participant à la cohésion du
peuple lombard796, d’une part par la réunion des ariens et des catholiques puis d’autre part par
la réunion des Lombards du sud et du nord sous l’égide d’une seule figure protectrice via la
diffusion de ce culte chez les Lombards du nord797.

784
OTRANTO, 1990, p. 44.
785
OTRANTO, 1990, p. 44.
786
CARLETTI, 1990, p. 79.
787
SENSI, 2000, p. 127.
788
Pavie, capitale du royaume lombard, compte jusqu’à sept églises sous sa protection, LECLERCQ, 1933, p.
905.
789
Déjà à l’époque de Cunipert (686-700) nous y retrouvons des images de l’archange de profil avec
l’inscription SCS MIHAHIL, voir BERTELLI G., 1986, p. 136. Voir aussi OTRANTO, 2003, p. 57.
790
Sur le lien entre Grimoald Ie et le culte de saint Michel voir OTRANTO, 1983, pp. 210-245.
791
SENSI, 2000, p. 127.
792
FAURE, 1997 (1), p. 201.
793
PETRUCCI, 1971, p. 345. À propos de la modification des caractéristiques du culte de l’archange voir
également OTRANTO, 1990, p. 47.
794
OTRANTO, 1990, p. 48.
795
PETRUCCI, 1971, p. 345.
796
SENSI, 2000, p. 127.
797
OTRANTO, 1990, p. 39.
146
La tradition historiographique a volontiers rattaché de nombreuses créations de sanctuaires
michaéliques du haut Moyen Âge à l’influence lombarde. Pourtant, déjà en 1922, Olga
Dobiach- Rojdestvenskaya affirmait que « les origines lombardes de ces sanctuaires ne sont
qu’un mythe de la science moderne »798. Dans les années 1970, Giovanni Tabacco soulignait
que la prudence
« dev’essere grande nel fare uso di dati archeologici e di dedicazioni. Può essere anzi opportuno
[…] provvisoriamente astenersi da un gioco pericoloso finché non si effettui una ricognizione
sistematica della diffusione regionale dei culti. L’Italia fu troppo aperta in ogni tempo alle
correnti culturali dell’Oriente, e all’arianesimo dall’età gotica a quella longobarda, perché sia
agevole assegnare piuttosto a un secolo che a un altro, piuttosto a volontà politiche o missionare
che a spontanea irradiazione di una leggenda o di un nome la diffuzione di un culto »799.
Cette remise en cause de l’origine lombarde d’un certain nombre de sanctuaires michaéliques
est admise également par Gisella Cantino Wataghin800 et par Monica Saracco qui trouve peu
de dédicaces explicitement lombardes801. Cette dernière confirme l’implication des Lombards
dans la diffusion du culte de l’archange en Italie septentrionale, mais signale les limites
chronologiques et géographiques de cette influence, en insistant sur les autres modes de
diffusion, notamment, à partir du Xe siècle, ceux suivant les voies de pèlerinages et plus tard
le rôle propulseur de la Sacra802. Monica Saracco rejette l’implication du monachisme
lombard dans la promotion du culte michaélique au nord de l’Italie et confirme le caractère
élitiste de ce culte à la période lombarde. Giampietro Casiraghi rappelle toutefois que s’ils ne
sont pas directement à l’origine de la construction des sanctuaires michaéliques, la place
qu’ils ont attribué à l’archange dans leur spiritualité a forcément participé à accroitre la
notoriété du Mont Gargan et celle du maître des lieux par la même occasion803.
La domination lombarde sur l’Italie prend fin suite aux conquêtes carolingiennes, marquées
par une récupération des territoires et de la figure de l’archange comme protecteur national.

Avec la chute du règne lombard et la conquête franque, l’archange devient un des


protecteurs du nouvel empire et son culte passe d’un phénomène principalement italien à un
phénomène européen. La figure de Michel s’adapte particulièrement à l’idéal impérial
carolingien dans son caractère éternel mais lié aux intérêts terrestres 804. Le culte italien ne
ralentit pas pour autant et a lieu une nouvelle phase de dédicaces entre le IXe et le Xe siècles
en Italie centrale, en Toscane, dans le Piémont, en Émilie, et dans le Latium 805. Le
développement du culte michaélique se poursuit comme en témoignent les calendriers, les
litanies, les hymnes, les traités théologiques et les poésies religieuses 806. Les lieux de culte

798
ROJDESTVENSKY, 1922, p. 12.
799
TABACCO, 1970, pp. 504-523, citation p. 521.
800
CANTINO WATAGHIN, 2009, pp. 343-380.
801
SARACCO, 2007, pp. 219-239 ; 2011, pp. 237-253.
802
SARACCO, 2007, pp. 219-239.
803
CASIRAGHI, 2007, p. 426.
804
ROJDESTVENSKY, 1922, p. 35.
805
PETRUCCI, 1971, p. 347.
806
ROJDESTVENSKY, 1922, p. 29.
147
augmentent en général au Xe siècle et prennent ensuite racine plus profondément sur le sol
latin.

L’Italie méridionale est déchirée par les luttes entre Byzantins, Lombards, Sarrasins puis par
l’arrivée des Normands, mais ne cesse pourtant de porter une grande dévotion à Michel et le
Mont Gargan continue d’être un important lieu de pèlerinage807. La fin du IXe siècle est
marquée par une nouvelle phase du culte dans les Pouilles et la Calabre, régions refuges des
moines grecs de Sicile suite aux invasions arabes808. Au IXe siècle, le sud de l’Italie voit
également se multiplier les lieux de culte rupestres, comme dans le Salento809 ou à Olevano
sul Tusciano (province de Salerne) où des galeries de presque un kilomètre entourent la
grotte, église michaélique depuis au moins le milieu du IXe siècle810. Ce sont les
caractéristiques géologiques des territoires à la frontière de la Basilicate, qui permet
l’installation d’un grand nombre de lieux de culte à la typologie rupestre, grâce à la présence
de grottes creusées par les infiltrations d’eaux dans les parois : San Michel dei grotti,
Sant’Angelo delle Grotte, Sant’Angelo in Criptis811.
Si les Byzantins tentent de reconquérir le Mont Gargan et les Pouilles entre le Xe et le XIe
siècle, l’écart entre le Michel grec et la spiritualité occidentale tend à se creuser comme en
témoignent les images de l’archange en vêtement de la cour byzantine dans plusieurs œuvres
du sud italien qui ne semblent plus à présent répondre aux nouvelles fonctions de Michel 812.
Les images septentrionales commencent, elles, à proposer une version de l’archange
combattant le dragon dans la sculpture monumentale et s’éloignent de la tradition
byzantine813.

En Italie du Sud, entre le XIe et le XIIe siècle, Jean-Marie Martin note que le culte de
Michel se banalise et s’organise pendant la période normande : les seigneurs normands
favorisent notamment le pèlerinage par l’ouverture d’hospices et d’hôtelleries et la réfection
du Mont Gargan, même si l’auteur précise qu’il n’y a pas eu de dévotion particulière pour
saint Michel de la part de l’aristocratie normande, malgré un lien déjà ancien avec l’archange
sur leurs terres d’origine. Cette normalisation engendre d’une part une perte des traits
archaïques du culte angélique814 et d’autre part une diversification des établissements avec
notamment l’insertion de lieux de culte à saint Michel dans les villes, qui devient alors aussi
un custos civitatis815. Des origines à la période de domination normande, François Avril et

807
PETRUCCI, 1971, p. 348.
808
CAMPIONE, 2007 (2), pp. 281-302.
809
OTRANTO, 2007, p. 392.
810
OTRANTO, 2007, p. 390.
811
BETTOCCHI, 1996, p. 151.
812
Comme à dans les œuvres des Pouilles et de Lucania réalisées par des artistes grecs : Saint-Vincent-de-
Volturne, Saint-Grégoire-de-Messina, chapelle palatine de Palerme, Monreale, Cefalù ; PETRUCCI, 1971, p.
349.
813
PETRUCCI, 1971, p. 350.
814
MARTIN, 2003, pp. 363-364.
815
CAMPIONE, 2007 (2), pp. 281-302.
148
Jean-René Gaborit évaluent à plus de deux-cents lieux de culte à l’archange dans le sud de
l’Italie, comprenant des sanctuaires, des églises, des chapelles, monastères ou oratoires816.
Autour de Sorrente et en Sicile, il faut noter une continuité dans l’influence de la matrice
orientalo-byzantine, relayée notamment par les moines byzantins au XIe siècle dans ces
régions.
L’Italie centrale voit l’éclosion au Xe ou XIe siècle, de la légende du Monte Tancia in Sabina,
où Michel aurait eu à lutter contre un dragon pour la possession de la grotte. Une église
michaélique était certainement déjà présente dès le VIIIe siècle, venant remplacer un culte
païen surement celui de Vacuna, une déesse locale817.
Dans le Frioul, si une première impulsion avait été donnée dans le développement du culte de
l’archange par les Lombards, comme à San Michele di Cervignano, on observe une
multiplication des représentations de l’archange dans cette région, comme à Cividale, puis
plus tard, au XIIe siècle dans la basilique d’Aquileia818.

C’est également autour de l’an mil que la « Sacra di San Michele », entre Turin et Suze, voit
le jour. Le monastère bénédictin de Saint-Michel-de-la-Cluse se dresse au sommet du Mont
Pirchiriano (962m), qui a certainement accueilli, dès l’époque lombarde, un petit sanctuaire
dédié à saint Michel819. L’initiative de la fondation monastique, dans les années 980-990820,
est le fait de l’Auvergnat Ugo de Montboissier, soutenu par Arduin, marquis d’Ivrée, et
Amizzon, évêque de Turin. Vite acquis, le prestige spirituel, culturel, politique et économique
de l’abbaye est directement lié à sa situation géographique, favorisée par le goulet que
constituent les Alpes, sur un axe majeur reliant France et Italie, et surtout, reliant l’Europe
occidentale aux grands lieux de pèlerinage821. Cet éclat lui permet, outre un développement
architectural et artistique notable, la multiplication remarquable de ses dépendances de
l’Adriatique aux Pyrénées, et l’établissement de rapports étroits avec de grands centres
religieux français tels que Cluny ou le Mont-Saint-Michel. D’ailleurs, l’influence de l’idéal
clunisien a favorisé, dès sa création, un désir d’autonomie. En 1114, une bulle de Pascal II
déclare l’indépendance de l’abbaye par rapport à l’épiscopat turinois et réserve au pape la
consécration des abbés élus par la communauté. L’affirmation de ce statut d’abbatia nullius
accroit le prestige du monastère, tout en le plaçant, pour tout le Moyen-âge, au cœur des
problèmes politiques. La fidélité sans faille à la papauté a envenimé les relations déjà tendues
entre l’abbaye gibeline et l’évêché guelfe. Dans la seconde partie du XIV e siècle, le prestige
de l’abbaye décroit. La débauche, la corruption des moines, et le refus de l’abbé Pierre de
Forgeret de verser une contribution demandée par le Saint-Siège à l’évêché de Turin, sont à
816
AVRIL et GABORIT, 1967, pp. 288-289.
817
OTRANTO, 2007, p. 392.
818
DESINAN, 1993, p. VIII.
819
À propos de cette abbaye, voir les ouvrages suivants : CASIRAGHI, 1989, pp. 25-42 ; 1988 ; ROMANO G.,
1990 ; CANCIAN P. et CASIRAGHI G., 1993 ; GUADALUPI et DELL’AQUILA, 1994 ; ARIOLI L., 1998 ;
CASIRAGHI, 2003, pp. 321-340.
820
Selon Giampietro CASIRAGHI, une chronique réalisée sous le pontificat de Nicolas II (1059-1061) suggère
une fondation entre 983 et 987 ; 2003, p. 324.
821
CASIRAGHI, 2003, p. 326.
149
l’origine de la décision du pape d’assigner l’abbaye à la direction de la Savoie en 1381. Les
activités d’assistance, d’accueil et d’étude, qui faisaient la gloire de Saint-Michel, sont
progressivement délaissées. Le monastère survit ensuite difficilement jusqu’au XVIIe siècle.

Dans toute l’Italie, aux Xe et XIe siècles, il faut noter l’importance des évêques et des
monastères dans la diffusion du culte michaélique, mais également l’apparition de nouveaux
pouvoirs communaux et seigneuriaux, revendiquant également la droit d’avoir Michel comme
protecteur. Les sanctuaires sont souvent au centre de querelles de pouvoir, épiscopal, abbatial,
seigneurial et parfois même impérial822.

II.3.1.2. Du Mont Gargan au Mont-Saint-Michel : diffusion du culte michaélique dans le reste


de l’Occident

Marcel Baudot rapporte qu’à la fin du VIe siècle, tout l’Occident pratique déjà la
dévotion à Michel, même si le Mont Gargan et l’Italie, restent des foyers privilégiés dans le
culte michéalique. Le développement occidental est spectaculaire entre le VIe et la VIIe
puisque ce sont plus de 800 églises qui lui sont consacrées 823. Des foyers orientaux, le culte a
traversé la Méditerranée jusqu’en Italie et s’est ensuite répandu en Irlande, en Gaule autour du
VIIe siècle, et par là dans tout l’Occident824.

Si quelques témoignages précoces sont attestés, telle la basilique de Lyon déjà


évoquée précédemment825, l’insertion du culte de saint Michel dans le monde franc se fait de
manière plus profonde à partir de la fin du VIIe siècle ou la première partie du VIIIe siècle.
Cette introduction ne semble pas être le fait uniquement des missionnaires celtes, mais plutôt,
selon Vincent Juhel et Catherine Vincent, celui de quelques grandes familles austrasiennes
qui entretenaient des relations avec les Lombards. L’élément le plus évident d’un
développement du culte michaélique en Gaule est bien évidement la construction du Mont-
Saint-Michel près d’Avranches.

Le récit de la légende autour de la fondation du Mont Tombe est réuni dans la Revelatio
ecclesiae sancti Michaelis, dont une trentaine de manuscrits est attestée entre le Xe et le XIIe
siècle826. Une première partie de ce texte reprend les traditions orales autour des origines de la
construction, et une seconde propose une histoire du Mont et la description théologique du

822
CASIRAGHI, 2007, p. 424.
823
BAUDOT, 1971, p. 20.
824
OTRANTO, 2007, pp. 385-415.
825
« epitafium Cartenes religiose regine quae condita est Lugduni, in basilica sancti Michaelis Archangeli », cité
dans CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 354.
826
Dont par exemple le manuscrit 211 de la bibliothèque municipale d’Avranches (fol. 180v-188v) datant de la
fin du Xe siècle, BOUET, 2003, pp. 65-90.
150
rôle de l’archange827. Le début de la première partie évoque le désir de Michel de protéger le
peuple d’Occident après avoir été le protecteur du peuple juif. Suite à la description de la
géographie de la plaine sablonneuse autour du Mont Tombe, le texte raconte les trois songes à
l’origine de la construction du sanctuaire828. Vers l’an 700, saint Michel serait apparu à
l’évêque d’Avranches, Aubert, pour qu’on lui bâtisse une église sur l’îlot rocheux dit « la
Tombe ». Ne lui ayant toujours pas obéi, l’archange apparait une deuxième et une troisième
fois à l’évêque et lui touche le front du doigt, ce qui laissa un trou que l’on reconnut ensuite
sur le crâne du défunt Aubert, devenu saint829. Le crâne troué fut conservé comme relique,
preuve de la véracité des épisodes à l’origine de la construction du Mont. La fin du texte
raconte le voyage des reliques de l’archange - un morceau de son manteau et un bout de
marbre qu’il avait touché - du Mont Gargan au Mont-Saint-Michel, et les miracles ayant eut
lieu le jour de la fin de la construction. Enfin, le récit se termine par la fondation de la
communauté constituée de douze chanoines, la dédicace le 16 octobre 709 et la découverte
d’une source d’eau vive830. Selon Pierre Bouet, le texte fut certainement rédigé au début du
IXe siècle par un chanoine du Mont-Saint-Michel831.
Certains aspects de la légende normande s’inspirent des récits de fondation du Mont Gargan,
dont des copies ont été retrouvées avec plusieurs exemplaires de la Revelatio832. Par exemple
la présence du taureau dans les deux versions atteste de l’influence de l’un sur l’autre, mais
également le rôle prépondérant des évêques comme médiateurs entre les hommes et la volonté
de Michel et les multiples apparitions de l’archange.
La volonté des créateurs du Mont-Saint-Michel de s’inscrire dans la lignée du sanctuaire
garganesque se lit ainsi dans la légende, mais également dans l’implantation et la typologie du
sanctuaire et dans son architecture. L’établissement dans un lieu élevé et sauvage, à proximité
d’une source ou d’un point d’eau, atteste d’une typologie sud-italienne d’origine orientale.
L’architecture du mont normand reprend également plusieurs éléments garganesques 833 : la
première église normande fut créée en forme de rotonde, à la manière d’une grotte.
La volonté de lier les deux sanctuaires est de plus visible dans le transfert d’une partie des
reliques présentes à San Michele sul Gargano vers le Mont Tombe, appelées pignora834.
Pourtant le lien entre les deux ne perdure pas tout au long du Moyen Âge. Bien sûr, la
domination carolingienne les réunit sous une même domination politique. Mais à partir du IXe
siècle, l’histoire du Mont italien et celle du Mont français commencent à diverger, et au début
du Xe siècle, le Mont Gargan subit un relatif isolement en se retrouvant à la marge du thème

827
BOUET, 2004, pp. 105-119.
828
BOUET, 2003, p. 66.
829
PONSICH, 1997, p. 43.
830
BOUET, 2003, p. 66.
831
Certainement au moment de la réforme canoniale entreprise par Louis le Pieux dès 816, BOUET, 2004, p.
105.
832
BOUET, 2003, p. 75.
833
Des fouilles archéologiques de 1990-1992 au Mont Gargan ont mis à jour des concordances entre la
configuration des structures monumentales pré-lombardes et les descriptions des fonds scripturaires qui viennent
prouver une matrice garganesque pour le Mont-Saint-Michel ; TROTTA et RENZULLI, 2003, pp. 427-448.
834
OTRANTO, 2007, p. 394.
151
byzantin de Longobardie835. Les divergences sont également institutionnelles. Au début du
XIe siècle, les clercs réguliers du Monte Sant’Angelo sont remplacés par des chanoines
lorsque que le sanctuaire devient cathédrale secondaire du diocèse de Siponto. Aubert, lui,
avait institué douze clercs réguliers au moment de la création du Mont-Saint-Michel mais on
retrouvait des chanoines à côté des moines à la fin du IXe siècle, chanoines qui seront
définitivement remplacés par des Bénédictins. Un décalage institutionnel s’opère donc entre
les deux monts : l’un cathédrale secondaire desservie par un chapitre, l’autre abbaye
bénédictine836. Il existe encore quelques relations sporadiques entre le Mont Gargan et le
Mont-Saint-Michel au XIe mais l’éloignement s’agrandit lorsque que les travaux de
l’abbatiale normande de 1023 effacent les derniers éléments d’un sanctuaire rupestre837.
Selon Jean-Marie Martin, il n’y a pas eu d’axe véritable entre les deux monts car cela
supposerait des liens durables et réciproques avec des itinéraires communs. Au moment de la
conquête des normands, les deux sanctuaires sont devenus tellement différents que les
conquérants ne font pas vraiment le lien entre un Michel garganesque, archange de la Bible
assez peu individualisé et leur Michel terrible et vengeur brandissant son épée838. Si un axe a
existé, c’est au moment de la construction du Mont Trombe, et il s’est vite dissout en donnant
des traits différents à l’archange839.

L’historiographie a longtemps indiqué une forte influence dans la création du Mont-


Saint-Michel et de l’insertion du culte de Michel en général au nord de l’Occident, des moines
irlandais, missionnaires sortis des églises hellénisantes de la Grande-Bretagne celtique et
anglo-saxonne. Henri Leclercq en 1933, qui attribuait la fondation du Mont aux irlandais,
voyait ainsi se développer le culte michaélique le long des itinéraires des moines celtes
évangélisateurs jusqu’aux Alpes Bavaroises840. Philippe Faure distinguait dans les années 80
deux grands foyers du culte en Occident : L’Italie du sud très hellénisée et le monde
celtique841, idée également partagée par Michel Rouche voyant dans ces îles un milieu propice
au développement de conceptions strictement monastiques d’une angélologie victorieuse des
démons 842.
Le culte de saint Michel semble introduit vers la moitié du VIe siècle par saint Finan et jouit
d’un succès visible dans la multiplication des dédicaces d’églises et de chapelles, les textes
liturgiques et l’hagiotoponymie843. Il semble déjà bien implanté au VIIIe siècle844. Les vies de

835
MARTIN, 2009, p. 413.
836
MARTIN, 2009, p. 414.
837
MARTIN, 2009, p. 418.
838
MARTIN, 2009, p. 419.
839
MARTIN, 2009, p.420.
840
LECLERCQ, 1933, p. 906.
841
FAURE, 1988, p. 39.
842
ROUCHE, 1989, p. 537.
843
OTRANTO, 2007, p. 399.
844
La première indication écrite attestant d’un culte michaélique sur les terres irlandaises est datée des années
730 par Jean-Michel PICARD, il s’agit d’un hymne en l’honneur de l’archange écrit par l’abbé de Moville ; « La
diffusion du culte de saint Michel en Irlande médiévale », dans Culto e santuari di san Michele nell’Europa
152
saints celtiques ou anglo-saxons abondent d’apparitions angéliques pourtant rares dans les
légendes mérovingiennes et lombardes845. Saint Michel en particulier possède un rôle central
dans la littérature visionnaire abondante du milieu monastique irlandais : il y apparait en tant
qu’accompagnateur des voyages dans l’au-delà ou en train de lutter contre le démon846.
Il est en effet possible que les irlandais aient contribué à la diffusion de ce culte en Gaule et en
Angleterre847, mais il faut toutefois en limiter l’importance, comme le propose Jean-Marie
Picard, et notamment envisager un rôle des normands dans la diffusion du culte en Irlande848.

Dès la fin du VIe siècle, le culte de l’archange a atteint toute l’Europe occidentale849.
Olga Rojdestvensky a recensé peu d’inscriptions et d’images relatives à l’archange en Gaule
pour la période des V-VIIe siècles et peu d’interventions d’anges dans l’hagiographie
précédant le IXe siècle850. Le culte de l’archange se développe surtout à partir de l’époque
carolingienne, parallèlement au culte du Sauveur, dans les chapelles hautes et les massifs
occidentaux des sanctuaires (Westwerk). Parmi les sanctuaires français construits à cette
période et remarquables par la reprise de la typologie garganesque, il faut noter le Mont
Aiguilhe fondé en 962 par Godescalc851.
En Gaule, à la fin du Xe et le début du XIe siècle, c’est la dimension funéraire et psychopompe
de l’archange qui rencontre un franc succès, alors que des formes spécifiques de la figure de
guerrier se développent au moment de la Paix de Dieu852. La figure de saint Michel conserve
un caractère de protecteur national sur le territoire français pendant tout le Moyen Âge,
comme en témoigne le rôle du Mont-Saint-Michel au moment de la guerre de Cent Ans et la
création de l’Ordre de Saint Michel par Louis XI en 1469.

La Grande-Bretagne comptait déjà quatre dédicaces à l’archange avant le IXe, et un grand


nombre apparait lors des siècles suivants. La typologie de ces lieux de culte conserve le
souvenir des origines orientales de la dévotion michaélique : en particulier dans la proximité
de sources ou d’eau et dans leur lien avec le rite du baptême et avec la guérison en général
puisque l’incubatio était encore pratiquée dans certains d’entre eux853. Nous ne reviendrons
pas sur le culte irlandais, déjà solidement implanté à la fin du VIIIe854.

medievale, Bari, Edipuglia, 2007, pp. 133-146.


845
ROJDESTVENSKY, 1922, p. 20.
846
ROUCHE, 1989, p. 548 ; FAURE, 1997 (1), p. 200.
847
MARTIN, 2009, p. 411.
848
PICARD, 2007, pp. 133-146.
849
BAUDOT, 1971, p. 20.
850
Sauf en régions poitevine, lyonnaise et arlésienne, ROJDESTVENSKY, 1922, p. 6.
851
BARRAL I ALTET, 2012, pp. 225-263 ; DE FRAMOND, 2012, pp. 15-35 ; DEHOUX, 2012, pp. 159-171.
852
JUHEL et VINCENT, 2007, pp. 183-207.
853
JONES, 2007, pp. 147-182.
854
GAZEAU, 2007, p. 432.
153
Le culte de l’archange se développe de manière précoce dans l’Europe du nord en général, et
en Scandinavie en particulier, mais conserve une popularité modeste, notamment due à la
concurrence de saint Olaf, lui aussi défenseur du bien contre le mal855.

Les territoires des Pays-Bas et de la Belgique se prêtent assez mal à l’accueil d’un culte sur
les reliefs ou dans les grottes caractéristique des sanctuaires michaéliques. Quelques
témoignages sont pourtant présents en Frise entre le IXe et le XIe siècles. En Belgique, les
lieux de culte archangélique conservent tout de même une typologie garganesque en
s’implantant dans des lieux sauvages : les bois et les forêts sacrés comme à Roksem dans les
Flandres occidentales où un lieu de culte est déjà actif en 745. Les sanctuaires belges se
trouvent aussi à proximité des cours d’eau ou légèrement surélevés par rapport au territoire
alentours856. Dans les Flandres, on attribue à Michel la libération d’Anvers d’une épidémie en
1529857.

L’Allemagne est l’un des pays où le culte de l’archange de tradition garganique s’est le plus
précocement développé par l’entremise des Lombards dès le milieu du VIIe siècle. Plusieurs
auteurs notent la substitution de certaines divinités germaniques par Michel : principalement
Wotan ou Wodan858, pour son caractère guerrier et psychopompe859, mais également
Mercure860, Thiu861, ou le Neptune rhénan862. Mais plus qu’un désir de substituer Michel à
Wotan, il faut voir dans les implantations sur des lieux de culte élevé, le souhait de copier le
Mont Gargan ou le Mont-Saint-Michel, références incontournables en Occident863. Michel fut
aussi en Allemagne, un protecteur national, mais assez tardivement, après le Concile de
Trente864, et il ne faut pas par exemple surestimer la dévotion particulière des empereurs
ottoniens à l’archange865.

À l’Est, le culte de saint Michel se développe parallèlement à l’évangélisation de ces


territoires et est déjà bien présent en Bohême au Xe siècle et en Pologne, mais ne devient
jamais très important en Europe centrale866.

855
COVIAUX, 2007, pp. 63-80.
856
OTRANTO, 2007, p. 411.
857
MARA, 1967, p. 429.
858
MARA, 1967, p. 429 ; HEINZ, 2007, p. 51 ; OTRANTO, 2003, p. 57.
859
OTRANTO, 2007, p. 400.
860
HEINZ, 2007, p. 51.
861
MARA, 1967, p. 429.
862
LECLERCQ, 1933, p. 905.
863
HEINZ, 2007, p. 51.
864
HEINZ, 2007, pp. 39-55.
865
Andreas Heinz doute de la véracité de la visite d’Otton Ier au Mont Gargan ; Otton III a bien fait un
pèlerinage, mais il s’agissait d’une pénitence et la visite d’Henri II est probablement elle aussi une invention,
HEINZ, 2007, pp. 39-55
866
PÁTKOVÁ, 2007, pp. 57-61.
154
Il existait déjà un monastère en Espagne en 675 possédant un fragment du marbre garganique.
Vincent Juhel précise que l’Espagne conserve pendant tout le Moyen Âge une forte
conscience des origines italiennes du culte à saint Michel, comme en témoigne l’iconographie
dont nous reparlerons plus tard867. Déjà présent dans plusieurs grottes, chapelles hautes,
portes des villes, ce culte se généralise au VIIe siècle dans toute la péninsule868, suite à un
enracinement progressif favorisé par les liens avec le monde romain et franc 869. Dans les
provinces septentrionales et occidentales d’Espagne et du Portugal, des fêtes de saint Michel
sont déjà présentes au Xe siècle. Puis les dédicaces se multiplient, surtout à proximité des
frontières, pour assurer une christianisation profonde, comme dans le royaume d’Asturies-
Léon sous l’égide du roi Alphonse III (848-910)870. C’est lors de cette période que se forment
les prémices de l’abbaye de Cuxa.
À l’origine du sanctuaire de Saint-Michel-de-Cuxa, il faut rappeler la fondation de l’abbaye
de Saint-André-d’Eixalada créée en 840, près des sources sulfureuses chaudes de l’Eixalada,
mais emportée par la crue d’une rivière toute proche en 878. La communauté déménage non
loin du site initial, dès 879, dans un site proche d’une église dédiée à saint Germain et adopte
alors une double titulature par l’adjonction de Michel, selon le souhait de la famille comtale
Cerdagne-Conflent dont elle avait reçu des dons. En 953, l’église est encore clairement dédiée
à saint Germain mais l’abbaye contient la double titulature. Le double patronage est conservé
un moment puis une nouvelle église du site est consacrée en 974 à Michel871. Saint-Michel-
de-Cuxa connait un apogée entre le troisième tiers du Xe et le milieu du XIe siècle et devient
un lieu de pèlerinage. Il faut noter le rôle de l’abbaye d’une part dans le développement local
du culte de saint Michel872, et d’autre part dans l’affirmation culturelle de la Catalogne, en
particulier dans le domaine de l’historiographie au service de la construction d’une histoire
« nationale »873. Au milieu du Xe siècle, Saint-Michel-de-Cuxa entretient des rapports étroits
avec l’Italie, Rome et le Mont Gargan. Les raisons sont conjoncturelles, suite au triomphe du
patronage de l’archange et de la crue soudaine des pèlerinages à Rome et au Gargan, mais
elles constituent aussi une nécessité politique pour les moines catalans qui recherchent la
protection romaine afin d’assurer la pérennité des patrimoines monastiques et garantir aux
comtes catalans une forme d’ordre public qui puisse se substituer à la tutelle royale 874. C’est
dans ce but que sont créés de faux documents dans la deuxième moitié du Xe siècle, dont un
diplôme de Charlemagne qui aurait été réalisé lors d’un voyage à Rome pour son
couronnement impérial en 800875.

867
JUHEL, 2012, pp. 147-156.
868
ESPAÑOL, 1997, p. 177.
869
OTRANTO, 2007, p. 410.
870
DE GOUVEIA, 2007, pp. 81-112.
871
Le site de Cuxa comportait au Xe quatre églises : deux à Michel et deux à Germain ; ZIMMERMANN, 2009,
pp. 273-285.
872
ZIMMERMANN, 2009, p. 317.
873
ZIMMERMANN, 2009, p. 270.
874
ZIMMERMANN, 2009, p. 289.
875
ZIMMERMANN, 2009, p. 289.
155
Le culte de saint Michel dans la Péninsule Ibérique se développe en vagues successives : une
première en Catalogne aux X-XIe siècles, puis une deuxième à la période gothique, jusqu’en
Aragon876. Au Portugal, le roi Alphonse Henriquez en 1167 a probablement créé l’ordre royal
de l’Aile, appelé « ordre royal de Saint-Michel de l'Aile », en l’honneur de l’archange877.

Si les périodes, les stratégies878 et les rythmes d’implantations divergent d’un royaume à
l’autre de l’Occident médiéval, il faut noter un développement lent par vagues successives, et
l’importance d’un moment carolingien pour l’ensemble de ces territoires 879. En 813, suite au
Concile de Mayence, Charlemagne décide d’étendre le culte de saint Michel à tout l’Empire.
C’est également le moment où le 29 septembre s’impose comme la grande fête de saint
Michel et de tous les anges dans l’occident latin880. Cette époque marque l’entrée dans une
nouvelle phase d’expansion du culte de l’archange et des anges et se poursuit au Xe siècle par
de grandes entreprises en France, en Espagne et en Italie, telle la restauration du Mont-Saint-
Michel en 966 et la création de trois grands lieux de culte michaélique : Saint-Michel-de-
Cuxa (nouveau sanctuaire en 956-974), Saint-Michel-d’Aiguilhe (962) et Saint-Michel-de-la-
Cluse (980-990)881.

Selon Philippe Faure, l’apparition de la vénération populaire des anges est liée à celle de saint
Michel, et divisée pour le Haut Moyen Âge en trois grandes phases 882. La première, comprise
entre le Ve et le VIe siècle, marque l’insertion du culte de Michel en Occident et l’achèvement
du travail doctrinal avec principalement les travaux de saint Augustin et de saint Grégoire le
Grand. De la fin du VIe au VIIIe siècle, les évêques et les moines diffusent cet enseignement
angélologique par le biais du culte michaélique tout en combattant encore les pratiques à
tendances païennes. Enfin, à partir de la fin du VIIIe siècle, a lieu un certain durcissement et
une mise en ordre de ces dévotions avec la fixation du nombre des archanges et la promotion
officielle du culte de saint Michel.

Après avoir été le propulseur du culte de Michel dans tout l’Occident, haut lieu de
pèlerinage et inspirateur d’un grand nombre d’églises, le Mont Gargan perd de son influence
sur le réseau des sanctuaires michaéliques au milieu et à la fin du Moyen Âge suite aux
événements politiques sud-italiens. Mais le culte de l’archange est à présent solidement
implanté au-delà des Alpes et évolue indépendamment du Mont italien dans les différents
foyers européens tout au long du Moyen Âge.

876
ESPAÑOL, 1997, p. 179.
877
MARA, 1967, p. 429.
878
Les stratégies d’implantations du culte de Michel sont différentes selon les époques et les lieux :
évangélisation dans les régions nouvellement christianisées de l’Est ; stratégies familiales et politique dynastique
complexes avec un grand rôle des familles de l’aristocratie et des dynasties, notamment dans la construction
identitaire ; GAZEAU, 2007, p. 433.
879
GAZEAU, 2007, p. 432.
880
FAURE, 1988, p. 42.
881
ROUCHE, 1989, p.557.
882
FAURE, 1988, p. 43.
156
Nous avons noté déjà une forme de banalisation du culte de Michel au XIe siècle en Italie
décrite par Jean-Marie Martin883. Nous voyons surtout, dans la Péninsule comme dans le reste
de l’Occident, une normalisation du culte de l’archange : si tous les débats théologiques à
propos de la nature et des fonctions des anges ne sont pas clos884, l’intégration officielle de
Michel dans le calendrier et dans la liturgie en fait petit à petit « un saint comme les autres ».
La réforme grégorienne avait déjà participé à la promotion de la vénération des anges en
général et plusieurs réflexions théologiques sur les anges continuent ce mouvement, en
particulier dans le milieu cistercien. Un rapprochement entre le culte des saints et le culte des
anges était désormais possible par leur rôle commun d’intercesseur885, et Michel occupe dans
ce contexte une place prépondérante au milieu des autres anges et archanges.

Au moment de la reconquête du sud de l’Espagne, aux XII-XIIIe siècles, de nouvelles


consécrations d’églises à saint Michel ont lieu, même s’il ne prend pas une place de premier
ordre dans le sanctoral espagnol886. Pourtant, déjà à partir du XIIe siècle, il acquiert un statut
de saint universel et n’est plus associé à un royaume en particulier, il est un combattant 887,
mais également un guérisseur et un peseur d’âmes et son culte se développe particulièrement
en contexte funéraire888.
Michel est également très présent dans le contexte religio-culturel de la cour aragonaise de
Naples et plusieurs fondations ecclésiastiques sont dédiées à l’archange pendant leur règne889.

En France, le culte de Michel a connu une consolidation et un succès particulier à la


fin du Moyen Âge. La guerre de Cent Ans a fait évoluer considérablement le culte et
l’iconographie de l’archange entre la deuxième moitié du XIVe siècle et la première du XVe :
Michel devient essentiellement un guerrier et le saint patron de nombreux seigneurs 890. Au
niveau iconographique, la typologie de sa figure se simplifie dans le sens d’une militarisation,
certainement liée en partie à une contamination de l’iconographie anglaise de saint Georges,
patron des ennemis. Michel est au cœur de la propagande patriotique des souverains français :
Charles VII fait peindre Michel sur ses étendards891 ; l’archange apparait à Jeanne d’Arc, et
enfin le Mont-Saint-Michel est au centre d’un combat entre Anglais et Français 892. En 1469,

883
MARTIN, 1994, p. 383.
884
voir chapitre 1, II. 2. 1.1. L’angélologie chez les penseurs chrétiens et dans l’Église.
885
FAURE, 2003, p. 162.
886
HENRIET, 2007, pp. 113-131.
887
Assurant quelques victoires, notamment contre les Maures, comme celle d’Alphonse d’Aragon durant le siège
de Saragosse ou celle du roi Sanche.
888
Les anges jouent un rôle majeur au moment de la mort en Espagne, ESPAÑOL, 1997, p. 180.
889
VITALE, 1999, p.106.
890
HERVIEU, 2003, p. 537.
891
Comme l’attestent les comptes qui évoquent cette commande avec la devise « saint Michel est mon seul
défenseur », CARDINI, 2000, p. 121.
892
LUCE 1882, p. 641.
157
Louis XI fonde l’ordre chevaleresque de saint Michel récompensant les guerriers qui ont
participé à la victoire sur les Anglais893.

Armando Petrucci affirme qu’au moment du développement des communes italiennes, le


culte de l’archange s’est déjà cristallisé sous une forme qui ne subira plus de mutations
notables au cours des siècles suivants894. Pourtant, entre le XIIIe et le XVe siècles la figure de
l’archange s’adapte aux nouvelles formes de religiosité en se spiritualisant par exemple pour
devenir conseiller des mystiques ou au contraire en fondant son culte sur celui d’un saint : les
mouvements confraternels qui naissent en Occident au XIIIe siècle, et qui connaissent une
véritable explosion aux XIV et XVe siècles, sont parfois placés sous la protection de
Michel895. Comme autrefois, il est le protecteur de groupements d’hommes, des communautés
urbaines et des simples fidèles896, mais dans ce contexte, il ne l’est plus en tant qu’être céleste
mais en tant que saint patron.

Giampietro Casiraghi distingue plusieurs phases dans le développement du culte occidental à


saint Michel. Une première, comprise entre le IVe et le XIe siècle, marquée par la naissance du
culte dans une dynamique d’évangélisation, l’importance des monastères dans l’affirmation
d’un culte souvent issu d’une volonté épiscopale, puis sa récupération voire son
instrumentalisation par les pouvoirs politiques, entrainant un développement remarquable du
culte dans tout l’Occident897. Une autre phase aux XIe - XIIIe propose une radicalisation de la
dévotion à l’archange dans le cœur des fidèles et surtout une prise en main par Rome des
cultes en général et de Michel en particulier. L’affirmation des communes et des seigneurs
marque une nouvelle récupération du culte de l’archange, qui leur permet de renforcer leur
identité citadine en donnant à leur commune un nom évoquant Michel, et en revendiquant
parfois leur opposition au pouvoir papal. La fin du Moyen Âge, l’apparition des Ordres
mendiants et d’une nouvelle religiosité des laïques, une nouvelle crise de la papauté et la
naissance de l’humanisme entrainent une nouvelle façon d’appréhender la figure michaélique
dont le culte est relancé sur des bases bibliquement et culturellement plus solides898.

Dans la conclusion du colloque de 2006 à Saint-Michel-de-la-Cluse, André Vauchez met en


lumière une mutation du culte de saint Michel à la fin du Moyen Âge 899. Selon lui, dès le
XIIIe siècle, le culte de l’archange devient archaïque. Au moment où l’Église définit les temps
et les lieux de l’au-delà, elle efface un certain nombre de peurs liées à l’incertitude du
déroulement de la vie après la mort et engendre une forme de désintérêt pour le Jugement
dernier en accentuant l’importance d’un jugement individuel. Cela amoindrit le rôle de

893
CARDINI, 2000, p. 121.
894
PETRUCCI, 1971, p. 351.
895
VINCENT, 2003 (1), p. 179 ; DEVAUX, 1982, pp. 151-159.
896
VAUCHEZ, 2007, pp. 339-348.
897
CASIRAGHI, 2007, p. 426.
898
CASIRAGHI, 2007, p. 427.
899
VAUCHEZ, 2009, p. 604.
158
Michel, acteur important de la fin des temps. L’invention du Jubilé en 1300 en affirmant la
prépondérance de Rome, diminue encore la fréquentation du Mont Gargan et des autres lieux
de pèlerinage michaélique. Par ailleurs, les évolutions de la spiritualité issues de l’apparition
des ordres mendiants, contribuent à privilégier l’incarnation et l’humanité du Christ au
dépend de la transcendance divine dont Michel était l’un des représentants. Dans cette
mouvance, plusieurs sanctuaires michaéliques sont remplacés par des sanctuaires mariaux.
Mais loin d’y voir une décadence, André Vauchez propose d’y lire une transformation de la
spiritualité liée à l’archange où le pèlerinage n’est plus un élément clé de ce culte.

II.3.2. Nature du culte de saint Michel dans l’Occident médiéval

Après avoir étudié l’histoire et la géographie du culte de saint Michel dans l’Occident
médiéval, il nous appartient d’en expliciter la nature en insistant sur les aspects importants à
la fin du Moyen Âge en Italie, qui est le cadre de notre sujet.

II.3.2.1. Saint Michel, les hommes, les anges et le saints

Pour mieux saisir la nature des honneurs exprimés à Michel par les hommes, une étude
rapide de la place de Michel dans la liturgie au Moyen Âge est nécessaire. La nature de la
figure michaélique et les formes des dévotions qui lui sont rendues, apparaissent également
d’une manière plus claire en le comparant à celles des autres anges et à celles de saints.

À la multiplicité des facettes de l’archange, correspond une multiplicité de fêtes en son


honneur. Et si dans l’histoire de son culte, il existe des sanctuaires majeurs, et d’autres moins
importants, à rayonnement local, il en est de même pour les dates le célébrant.
Déjà en Orient, les dates commémorant l’archange sont nombreuses et varient en fonction des
foyers. Les Byzantins avaient adopté la date du 8 novembre, date de la dédicace d’une
basilique de Constantinople, aux thermes d’Arcadius900. C’est ce jour qui est indiqué comme
synaxis de l’archange Michel et qui apparait dans le Ménologe de Basile II comme synaxis
des archanges. Dans les différents sanctuaires de la capitale byzantine, la synaxis de Michel,
célébrée le mercredi de la première semaine de Carême (11 juin) et le 19 juin, 26 juillet, 8
novembre et 10 décembre901. L’Église d’Alexandrie le fêtait le 12 juin, moment où le Nil
commence à monter. Dans le calendrier copte de Calcasensi, Michel apparait 6 fois (7 avril, 6
juin, 5 aout, 9 septembre, 8 novembre, 8 décembre) 902, dans le lectionnaire syriaque, le 6

900
CABIÉ, 1997, p. 8.
901
MARA, 1967, p. 417.
902
MARA, 1967, p. 417.
159
septembre903. En Éthiopie il est l’un des rares saints fêtés : le 9 septembre et célébré le 12e
jour de chaque mois904. Malgré un transfert direct du culte oriental de Michel en Italie, aucune
de ces dates ne sera retenue en Occident.
Comme précisé précédemment905, l’Italie adopte dès le Ve siècle le 29 septembre pour
commémorer Michel. Il est fait mention de cette fête dans le Sacramentaire léonien, comme
« Natale basilicae angeli in Salaria »906, elle correspond à la dédicace de la plus ancienne
basilique de la ville dédiée à Michel907. En 813, le concile de Mayence établit le 29 septembre
comme fête officielle de l’archange et Charlemagne ordonne de la célébrer dans tous ses
états908. Dans le sud, c’est le 8 mai, jour de l’apparition de l’archange au Mont Gargan qui est
célébrée, mais pas avant la seconde moitié du VIIIe siècle. Plusieurs sanctuaires reprennent
cette date comme commémoration909.
L’histoire de ces deux fêtes se croise assez rapidement. Le souvenir de la dédicace du Mont
Gargan est d’abord ajouté au 29 septembre dans certains Martyrologes hiéronymiens 910, mais
la tradition du 8 mai demeure. Vers les années 830, comme à Mayence dans un martyrologe
écrit par Raban Maure, à côté de la date traditionnelle du 29 septembre, le 8 mai dedicatio ou
inventio de l’église du Mont Gargan apparait encore, mais sans l’évocation de la via Salaria,
pourtant à l’origine de cette fête : les deux traditions, romaine et garganesque, sont alors
fondues911. Véronique Gazeau cite en note le travail d’une doctorante, Lucile Tran-Duc, sur le
culte des saints en Normandie, qui a trouvé dans un calendrier de l’abbaye de Saint-Wandrille
du XIIIe, une fête de Michel au Mont Gargan le 29 septembre912. Dans le reste de l’Occident,
le Synode de Tours en 558 et celui de Mayence en 843 attestent d’une fête en l’honneur de
Michel dans les régions franques et germaniques. La date du 29 septembre est communément
admise. En Angleterre, le roi Æthelred II institue en 995 un jeun et une fête à l’archange913.
D’autres fêtes secondaires peuvent être célébrées en l’honneur de Michel dans les autres
sanctuaires qui lui sont dédiés914. On fête par exemple localement Michel au Mont normand le
16 octobre, date de son apparition à saint Aubert915.
Depuis le XVe siècle, dans le cycle festif hebdomadaire, le lundi est la journée consacrée aux
anges. En effet, les anges étaient en général célébrés le jour suivant celui de la Trinité. Or le
fait de consacrer le dimanche comme jour de la Trinité devient une pratique courante au XVe

903
MARA, 1967, p. 417.
904
MARA, 1967, p. 417.
905
Voir chapitre 1, II. 2.1.2.4. Les anges dans le calendrier : assimilation du culte des anges à celui des saints.
906
Qui remontrait d’après De Rossi au Ve siècle ; DUHR, 1937, p. 612.
907
CABIÉ, 1997, p. 8.
908
DUHR, 1937, p. 613.
909
BUX, 2000, pp. 44-47.
910
OTRANTO, 1981, p. 440.
911
OTRANTO, 1981, p. 440 ; OTRANTO, 2007, p. 400.
912
GAZEAU, 2007, p. 434, note 9.
913
MARA, 1967, p. 429 ; CASIRAGHI, 2007, p. 422.
914
JOUNEL, 1981, p. 194.
915
DUHR, 1937, p. 613.
160
siècle. Les anges sont alors célébrés le lundi, même si des messes votives en leur honneur sont
récitées à peu près tous les jours de la semaine916.
Le 29 septembre reste pendant longtemps la fête de tous les anges et ce n’est qu’en1518 que
l’évêque de Rodez, François d’Estaing propose une fête des anges gardiens adoptée par le
pape en 1608917. Gabriel et Raphaël ne seront célébrés indépendamment des fêtes de Michel
qu’en 1921, lorsque Benoît XV établit pour chacun d’entre eux une célébration,
respectivement le 24 mars et le 24 octobre. Mais dans les réformes consécutives au Concile de
Vatican II, il était indiqué qu’on célébrait tous les archanges le jour de la saint Michel918.
Aujourd’hui encore, Michel apparait deux fois dans le calendrier : le 8 mai et le 29
septembre919.

Outre sa présence dans le calendrier, un autre témoin du succès du culte de l’archange


en Occident est son insertion dans les messes et les prières920. Les premiers textes latins de
prières adressées aux anges n’apparaissent qu’au IXe siècle et au VIIIe pour certaines prières à
saint Michel921. Pierre Rézeau note un développement de cette dévotion aux XIVe et XVe
siècles, en réaction au développement trop important du culte des saints et en réponse à un
besoin plus grand de spiritualité922.
Tout au long du Moyen Âge, nous pouvons noter une assimilation liturgique entre les anges et
les saints. Ce rapprochement est possible par leur rôle commun d’intercesseur. Robert Cabié
note que dans la prière liturgique d’intercession, Michel apparait tôt : il est déjà présent dans
le Sacramentaire de Vérone du VIe siècle923. Pendant la période carolingienne, on note
l’introduction par Alcuin d’une messe ad postulanda angelica suffragia dans ses messes
votives924. André Bonnery précise que l’introduction de l’œuvre du Pseudo-Denys par Hilduin
et Scot Érigène est une étape importante dans le développement du rôle d’intercesseur de
Michel925. Il acquiert ensuite une certaine importance dans le Sacramentaire grégorien926. Ce
rôle d’intercesseur de Michel au même titre que celui d’un saint, se renforce par son
association à la Vierge dans les Litanies des saints à l’époque romane 927, récitées en début de
messe, elles comportent en tête Marie et Michel. Enfin, au XIVe siècle, Michel est mentionné
dans le Confiteor non plus comme appartenant à la masse des anges, mais comme « saint »

916
DUHR, 1937, pp. 618-619.
917
FAURE, 2003, p. 163.
918
CABIÉ, 1997, p. 10.
919
OTRANTO, 2003, p. 60.
920
Il est, par exemple, toujours cité après la Vierge et avant Gabriel, puis les saints, dans les prières en français
de la fin du Moyen Âge, voir REZEAU, 1982.
921
REZEAU, 1982, p. 33.
922
REZEAU, 1982, p. 33.
923
CABIÉ, 1997, note 17, p. 8.
924
FAURE, 2003, p. 162.
925
BONNERY, 1997, p. 19.
926
CABIÉ, 1997, note 17, p. 8.
927
FAURE, 2003, p. 162.
161
Michel archange, juste après la Vierge et avant saint Jean-Baptiste et les apôtres 928 : « Je
supplie la Vierge Marie, saint Michel et tous les saints… »929.
Les messes des défunts du XIIe mettent en scène Michel dans le thème de la pesée et du
terrassement du dragon. Dans les prières italiennes du XIe siècle, l’archange est parfois
évoqué en tant que gardien des âmes et psychopompe930. Il apparait également dans les
Épîtres et le texte de l’Offertoire931. Michel est par contre peu présent dans les prédications,
mais est mentionné dans les sermons du 29 septembre932 : il y apparait comme un modèle de
combattant du mal dont chacun doit suivre l’exemple933. Michel est en outre cité dans les
Laudes, dans la prose écrite par Adam de Saint-Victor et certains hymnes sont composés en
son honneur934.

Autre indice du développement du culte de l’archange, la toponymie italienne semble


attester de sa popularité. De nombreuses localités sont sous sa protection et, particulièrement
dans le sud-italien, les références à l’ange dans les noms des villages sont très courantes.
Armando Petrucci indique que cent-vingt communes portent le nom de l’archange en Italie935.

Enfin, la place accordée à Michel dans la Légende dorée de Jacques de Voragine témoigne de
sa place dans le sanctoral latin au XIIIe siècle. Pour Sofia Boesch-Gajano936, il s’agit
quasiment d’une summa des actions de Michel dans l’histoire. Il apparait ainsi dans plusieurs
chapitres alors qu’un chapitre lui est, comme pour un autre saint, entièrement dédié (le 141 e).
Ce texte reprend les fonctions bibliques principales de Michel ainsi que les récits de
l’Apparitio garganesque, de la Revelatio du Mont-Saint-Michel puis des épisodes romains.
L’histoire de la procession de Grégoire le Grand à Rome et l’occasion de revenir sur la
description des chœurs angéliques. Le dominicain insert également le récit oriental de
l’apparition à Constantinople et de la construction du Michaelion. Il termine par la liste des
victoires qui sont attribuées à l’archange : celle de Siponto, celle sur le dragon, et la bataille
quotidienne quand il aide les hommes à se libérer de la tentation. La quatrième et dernière
victoire est à venir : ce sera celle de Michel sur l’Antéchrist. Jacques de Voragine élargit
ensuite son discours à la fête de tous les anges et conclut sur une autre citation de Grégoire le
Grand à propos de la hiérarchie angélique.
Ce texte insiste sur l’aspect multiforme de la figure de l’archange et des dévotions qui lui sont
rendues. Il réunit surtout toutes les traditions liées à l’archange et à son culte : la tradition
hébraïque, orientale, occidentale et locale (par le rappel des apparitions dans les grands
sanctuaires).
928
FAURE, 2003, p. 162 ; LECESTRE, 1920, p. 37.
929
BONNERY, 1997, p. 19.
930
FAURE, 1997 (1), p. 205.
931
CABIÉ, 1997, p. 27.
932
BÉRIOU, 2003, p. 203.
933
BÉRIOU, 2003, pp. 203-217.
934
LECESTRE, 1920, p. 42.
935
PETRUCCI, 1971, p. 339.
936
BOESCH GAJANO, 2009, p. 40.
162
Pour évaluer le rôle de saint Michel dans la société ou la religiosité, il nous semble
intéressant d’étudier les relations que sa figure entretient avec celle des autres anges ou
archanges, et avec celle des saints avec qui il semble apparaitre parfois en concurrence.

La primauté de la figure michéalique sur les autres anges et le rôle moteur de son culte dans
les dévotions aux anges n’est plus à prouver. Nous avons vu qu’il était le seul ange dont la
fête est célébrée dans le sacramentaire romain avant le IXe siècle937. Sa supériorité sur les
autres archanges est également marquée dès le VIIIe siècle : Gabriel et Raphaël seront
durablement éclipsés938 alors que la période carolingienne affirme la mission générale et
universelle de Michel939. À la fin du Moyen Âge l’importance de Michel est affirmée par le
fait qu’on le reconnaisse dans les visions de Jeanne d’Arc, qui ne voit pourtant apparaitre que
des ailes et n’entend qu’une voix qui s’adresse à elle de manière affectueuse et continue940.
Certains auteurs ont pu voir dans la primauté accordée à l’archange par les autorités
ecclésiastiques, une façon de canaliser les croyances autour des anges qu’ils n’avaient pu ou
n’avaient pas voulu faire disparaître complètement941. À partir d’une figure clairement
nommée dans la Bible et relativement bien individualisée, le clergé a pu mettre en place un
culte encadré et surveillé.

En outre, la prééminence de Michel est décelable dans son association à la Vierge dans
certaines dédicaces de lieux de culte, des litanies ou l’iconographie942. Dans les prières
italiennes du XIe siècle, l’archange est parfois évoqué en tant que gardien des âmes et
psychopompe et un glissement se produit ensuite vers l’idée d’un gardien personnel, sous la
houlette de la Vierge devenue intercesseur auprès de son fils. Se met en place un système
hiérarchique de médiations où Michel se situe directement après Marie 943. Cette association
entre le culte de l’archange et celui de la Vierge était déjà effective au Mont Gargan
puisqu’un autel était dédié à cette dernière à l’intérieur de l’église, près de la source que
Michel aurait fait jaillir, alors qu’il n’y avait pas d’autel propre pour l’archange, preuve de la
persistance des réticences autour des dévotions aux anges944. Cette affiliation est reprise au
Mont-Saint-Michel avec la création de Notre-Dame-sous-Terre945 ou dans d’autres sanctuaires
comme à Sainte-Bénigne de Dijon946 ou au Puy-en-Velay947. Outre leur rôle commun

937
BAUDOT, 1971, p. 23.
938
FAURE, 1988, p. 41.
939
FAURE, 2003, p. 162.
940
CONTAMINE, 2003, pp. 365-385.
941
FAURE, 1988, p. 38.
942
FAURE, 1997 (1), p. 204.
943
FAURE, 1997 (1), p. 205.
944
BONNERY, 1997, p. 12.
945
BONNERY, 1997, p. 13.
946
La construction de cette église est entreprise par Guillaume de Volpiano, qui a pu observer cette association
au Mont-Saint-Michel lorsqu’il était abbé de Fécamp, BONNERY, 1997, p. 14.
947
Dans l’église du Puy, la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation possède une chapelle à saint Michel dans
163
d’intercesseur efficace et proche du Christ, leur association peut se comprendre d’une part par
le fait que la Vierge est généralement considérée comme la Femme de l’Apocalypse que
l’archange protègera à la fin des temps ; d’autre part par une prédilection commune pour les
grottes, qui rappellent pour la Vierge la Nativité948. Enfin, selon Grégoire de Tours, c’est
Michel qui aurait présenté l’âme de la Vierge après sa mort à Dieu949. Ainsi des fondements
de cette association sont, selon André Bonnery, dogmatiques et liturgiques.

La spiritualité autour des anges évolue à la fin du Moyen Âge et voit une réhabilitation des
deux autres archanges nommés dans la Bible, Gabriel et Raphaël, ainsi qu’une
individualisation des relations entre les hommes et les êtres célestes en général, multipliant les
interventions angéliques. Michel conserve une prééminence, mais n’est plus le seul à assurer
la protection du peuple chrétien. Le lien ne s’était de toute façon pas rompu entre le chef de la
milice céleste et ses troupes : le combat de l’archange ne se produit pas essentiellement à la
fin des temps, mais par sa permanence, nécessite l’action d’une horde angélique.
L’iconographie médiévale ne dément pas non plus l’importance des anges pendant toute la
période médiévale, aussi bas soient-ils dans la hiérarchie. La nature de la relation avec les
anges évolue et aboutit à l’explosion du culte des anges gardiens à la fin du Moyen Âge et au
début de l’époque moderne et à une piété à tonalité affectueuse950.

Plus que la supériorité de Michel sur les autres anges, un autre aspect de son culte atteste de
sa popularité au Moyen Âge : il s’agit du fait qu’il soit souvent considéré comme saint Michel
plus que comme l’archange Michel.

Bien sûr, la puissance de l’archange ne se manifeste pas de la même façon que celle
des hommes sanctifiés. Les miracles qui lui sont attribués sont par exemple de nature
différente. Les apparitions de Michel sont le plus souvent liées à une révélation ou à des
châtiments plus qu’à l’accomplissement de bienfaits951. Les sanctuaires michaéliques
occidentaux ne seront jamais de grands foyers thaumaturgiques, même si cet aspect n’est pas
complètement absent, notamment par le biais de l’eau. Les fidèles se rendant dans les
sanctuaires michaéliques étaient plutôt dans une quête de salut global et d’une protection
contre le mal en général que d’une guérison précise d’un mal 952. Il faut noter d’ailleurs une
différence même dans la nature de sa sainteté par rapport à celle des hommes sanctifiés. Ainsi
la relation entre l’homme et l’archange reste sérieuse et teintée de respect et de crainte, elle

la tribune du transept et la chapelle Saint-Michel-d’Aiguilhe semble protéger la ville toute entière, BAYLÉ,
2003, p. 463.
948
BONNERY, 1997, p. 18.
949
Grégoire de Tours, De gloria martyrum, 1, 4, : « Et ecce Dominus Jesus advenit cum angelis suis et
suscipiens, animan ejus tradidit Michael archangelo et recessit », ibidem, p. 19.
950
FAURE, 2003, p. 178.
951
Il était interdit de venir la nuit dans les sanctuaires michaéliques sous peine d’être frappé d’infirmité ou de
mourir, CABIÉ, 1997, p. 33. André Vauchez souligne à ce propos le lien avec l’épisode biblique de Jacob et de
l’ange ; 2009, p. 601.
952
VAUCHEZ, 2009, p. 602.
164
n’est jamais familière, comme elle a pu l’être à la fin du Moyen Âge avec certains saints 953.
Une autre différence fondamentale le distingue des saints : son absence de vie, d’histoire et
ainsi l’absence de reliques et le détachement d’une région dans laquelle il aurait évolué au
cours d’une existence terrestre. Si la carence d’ossements capables d’accomplir des miracles
constitue dans certains cas un frein au développement du culte michaélique, le manque
d’ancrage géographique accroit l’universalité de sa figure et son adaptabilité à toutes les
régions d’Occident ou d’Orient954.
Pourtant, malgré ces différences, Michel est présent dans les mêmes prières, litanies, textes
hagiographiques (Jacques de Voragine) que les autres saints. Plus qu’une concurrence, Sofia
Boesch Gajano note une certaine complémentarité entre culte de l’archange et celui des
martyrs au début du Moyen Âge : l’un assurant une protection efficace et inébranlable, les
autres offrant un visage plus concret et familier955. Encore une fois, c’est la notion
d’intercession qui est centrale dans le rapprochement entre le culte des saints et celui de
l’archange. Les gestes accomplis pour lui rendre hommage, les raisons pour lesquelles on
l’invoque, les supports sur lesquels on le peint, sont les mêmes que ceux des saints. Enfin le
qualificatif même de « saint » accolé au nom de Michel est précocement et généralement
adopté par l’ensemble de la chrétienté et permet d’atténuer le décalage entre la figure
angélique et les figures sanctifiées. La « sanctification » de l’archange est particulièrement
lisible dans l’iconographie de Michel. Nous reviendrons sur cet aspect dans les chapitres
suivants.

II.3.2.2. Saint Michel en ses lieux

Les sanctuaires michaéliques possèdent une place primordiale dans la définition et le


développement du culte de l’archange en Occident. Pourtant, contrairement aux autres grands
sanctuaires de la chrétienté, la popularité de ces sites n’est pas liée à la conservation de
reliques d’un grand personnage de l’histoire religieuse956.

Issues d’une tradition biblique de contact, les reliques sont des éléments matériels
centraux dans la piété du Moyen Âge et bien souvent un moyen indispensable de consécration
d’un lieu de culte, garant de son bon fonctionnement957. Les récits de la vie d’un saint
participent à l’efficacité de son action post mortem par le biais de ces dites reliques. Le culte

953
CABIÉ, 1997, p. 33.
954
PETRUCCI, 1971, p. 339.
955
BOESCH GAJANO, 2009, p. 19.
956
À propos des sanctuaires et de la dimension spatiale des phénomènes religieux, voir la collana « Santuari
d’Italia » éditée sous la direction de Roberto Rusconi avec la participation scientifique de Giancarlo Andenna,
Sofia Boesch Gajano, Ada Campione, Giorgio Cracco, Giorgio Otranto, André Vauchez et Giovanni Vitolo.
957
Sur les reliques et l’importance de l’aspect matériel de la piété chrétienne à travers les âges, voir Storia della
santità nel cristianesimo occidentale, Anna Benvenuti, Sofia Boesch Gajano, Simon Ditchfield et autres, Rome,
Viella, 2005. À propos de l’importance des reliques, voir GAFFURI, 2009, p. 192.
165
des anges semble ainsi poser un problème dans la création de sanctuaires par cette double
absence de restes corporels pouvant légitimer son implantation et son succès, et de récits
d’une existence terrestre. Pour autant, les sanctuaires michaéliques semblent tenir une place
essentielle dans la création et le développement de son culte et une sacralité exceptionnelle.
C’est un sanctuaire, celui du Mont Gargan, qui a servi de propulseur, de foyer au
rayonnement du culte occidental de l’archange et bien souvent de modèle pour les nouveaux
sites créés en l’honneur de Michel. Ces derniers ont pu à leur tour, selon leur importance,
servir de diffuseur du culte à l’échelle locale, nationale ou parfois internationale. Ce sont
d’ailleurs les dates de dédicaces des églises qui servent à définir celle de l’introduction de la
fête de Michel dans le calendrier liturgique. Aujourd’hui encore, c’est à partir de ces lieux de
culte michaélique que s’est révélé l’intérêt pour l’étude de la figure de l’archange à partir des
années 1960958, et la recherche a développé ses approches autour des grands sanctuaires
européens959.
En fait, si l’absence de corporalité de Michel semble à priori poser un problème dans
l’instauration d’une sacralité de ses sanctuaires, c’est cette carence qui est à la base même de
l’ « aura » des sites michaéliques. Le pouvoir divin lié à Michel, s’il ne peut se manifester
dans des ossements, se révèle aux hommes par son apparition dans certains lieux qui suscitent
souvent mystère et terreur. L’archange entre alors « physiquement » en rapport avec les
éléments tangibles de l’architecture ou d’un paysage, qui deviennent alors eux-mêmes une
forme dérivée de reliques de contact. La sacralité ainsi imprimée dans le lieu terrestre permet
un contact « direct » avec le divin960. Le caractère hiérophanique du culte michaélique est
donc au centre de la construction de la sacralité du site : c’est de cette façon qu’il se
l’approprie pour le rendre saint. La croyance en un pouvoir effectif de ce lieu est décelable
dans le fait que des morceaux de roche provenant du Mont Gargan étaient transférés dans
d’autres sanctuaires michaéliques, comme auraient pu l’être de simples reliques. Par la suite,
plusieurs récits de pèlerinages au Mont-Saint-Michel racontent que les fidèles emportaient en
guise de relique un morceau de pierre du Mont961.
Les légendes de fondations des sanctuaires michaéliques témoignent ensuite de la présence
immatérielle de l’être éthéré dans le site dont elles racontent les origines, et justifient la
sacralité de l’endroit choisi par Michel962. Elles sont donc essentielles dans la construction du
culte de Michel et sa diffusion, d’où l’importance des lieux communs entre l’Apparitio, la
Revelatio et d’autres récits. La plupart des apparitions de Michel dans les légendes ont
d’ailleurs pour but d’indiquer l’emplacement d’un futur sanctuaire.

958
Voir à ce propos la première partie du premier chapitre concernant l’historiographie.
959
À ce propos, les différents titres des colloques ayant eut lieu dans la première décennie des années 2000 sont
révélateurs de la place des sanctuaires dans l’étude de l’archange : « Culte et sanctuaires de saint Michel dans
l'Europe médiévale », « Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l'occident médiéval », « Représentations
du Mont et de l'archange saint Michel dans la littérature et dans les arts ».
960
VAUCHEZ, 2009, pp. 599-604.
961
BOUET, 2009, pp. 67-84.
962
BOESCH GAJANO, 2009, p. 20.
166
Puisque le choix du lieu est le fait de l’archange, il privilégie des emplacements naturels, qui
ne soient pas pervertis par de quelconques aménagements humains. L’importance du caractère
naturel des sites michaéliques trouve un écho dans les descriptions au début des récits des
légendes. Giorgio Otranto insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un élément accessoire de la
narratio, la description du paysage ne constitue pas une énonciation de détails permettant
d’encadrer la scène pour donner une crédibilité aux épisodes racontés ensuite. Michel investit
des lieux symboliquement associés au mal parce qu’en proie aux caprices de la nature et des
éléments, et se les approprie tout en livrant une métaphore de la victoire du bien sur le mal.
Les éléments physico-environnementaux sont une partie constitutive de la légende, ils en sont
les conditions essentielles et irréductibles dans l’explication des vertus de Michel. En
définitive, ils finissent par déterminer la structuration spirituelle, la physionomie et le modèle
hagiographique963. L’intérêt descriptif pour le paysage se retrouve ensuite dans les récits de
pèlerinage et permet d’insister sur les difficultés à rejoindre les sites michaéliques et ainsi sur
le mérite de ceux qui réalisent ce trajet964. Les lieux naturels choisis par Michel participent,
comme le précise André Vauchez, à contrebalancer le caractère hiérophanique du culte de
l’archange par un aspect tellurique et ainsi à lier le caractère céleste et terrestre 965. Ces lieux
reculés évoquent de surcroît un trait de la personnalité de l’archange : son caractère exigeant,
qui a directement commandé aux hommes la construction de sanctuaires sur des terrains
difficiles à l’écart du monde. Le dernier épisode de l’Apparitio explique que le caractère sacré
de la grotte des Pouilles ne peut être souillé par une intervention humaine et Michel apparait
une nouvelle fois à l’évêque de Siponto pour lui apprendre que le sanctuaire est déjà consacré
par lui-même966.

Outre les morceaux de roche utilisés et échangés comme des reliques, certains objets déposés
ou touchés par l’archange lors de ses visites terrestres, constituent tout de même des reliques
de contacts plus « classiques ». Le Mont Gargan possède notamment un manteau rouge laissé
sur l’autel après la consécration de l’édifice par Michel et un morceau de marbre sur lequel a
marché l’archange et qui possède la trace de son pied dans la roche. Comme précisé dans la
Revelatio, au moment de la création du Mont-Saint-Michel, le sanctuaire italien lui cède une
partie de ses reliques de contact comme vecteur de transmission d’une part de sa sacralité : un
morceau du manteau de l’ange et un morceau de marbre sur lequel Michel s’était assis967. Si
ces reliques ne semblent pas avoir de rôle particulier en Italie, l’ensemble constitué au mont
normand est plus important, s’enrichit au cours du temps et semble plus effectif. Outre les
objets du Mont Gargan, une des pièces principales de cette collection est le crâne de l’évêque
Aubert à l’origine de la construction du Mont, qui conserve un trou sur le côté, témoin de sa
rencontre avec Michel qui permet d’authentifier la présence de l’archange au moment de sa

963
OTRANTO, 2007, p. 415.
964
TOSCO, 2003, pp. 541-564.
965
VAUCHEZ, 2009, p. 601.
966
OTRANTO, 2003, p. 60.
967
BOUET, 2003, p. 66.
167
fondation968. Comme le précise Pierre Bouet à partir des textes de Miracula du Mont-Saint-
Michel, peu de miracles semblent pourtant être accomplis près de ces objets969 et sont plutôt
attribués directement aux apparitions de l’archange. François Neveux ajoute que « c’est à
croire que le culte de l’archange, être immatériel par excellence, pouvait se passer de
l’intermédiaire de souvenirs palpables de son intervention sur terre, contrairement à ce qu’on
observe pour les autres saints »970. La translation de la sacralité des sanctuaires michaéliques
passe plus volontiers par la translation de morceaux du paysage que par celle des reliques. De
plus, la nature même de l’assistance michaélique faisait que les pèlerins se rendaient aux
Monts moins pour réaliser une action précise que pour sauver leur âme. Par conséquent, si
elles n’accomplissent pas de prodiges spectaculaires, loin d’être inutiles, ces reliques sont la
preuve tangible et matérielle de la véracité des visites sur ces sites de l’être immatériel et donc
les garantes du succès d’un phénomène central dans le culte de Michel : celui du pèlerinage.

Le Mont Gargan devient très rapidement lieu de pèlerinage. Les premiers voyages,
réalisés entre le VIe et le VIIe siècles, étaient de type thérapeutique, pour des pèlerins venus
principalement d’Orient971. Pendant la période de domination lombarde, l’origine sociale et
géographique des pèlerins se diversifie. Comme l’attestent les inscriptions gravées sur ses
murs, ils viennent entre autre de Gaule, des Iles Britanniques, et le pèlerinage au Mont Gargan
s’intensifie et acquiert une dimension internationale tout en multipliant ses types :
thérapeutiques, dévotionnelles, pénitentiels, de suffrage ou judiciaires972. Ces évolutions sont
à lier aux changements architecturaux, entrepris par les ducs lombards, qui favorisent la
fréquentation du lieu973. Entre le VIIIe et le IXe siècles, il passe ainsi d’un phénomène local à
un phénomène de dimension européenne974 avec une véritable explosion du culte michaélique
du Gargan au IXe siècle975 . La fin du Xe siècle et la première partie du XIe marque un certain
recul du pèlerinage avec une mauvaise période pour l’Italie méridionale ponctuée de batailles
livrées par les Byzantins, les Sarrasins ou les Normands. L’apparition de la croisade et
l’installation définitive des Normands dans le sud vide le pèlerinage garganique de ses
significations symboliques976. La fin du Moyen Âge connait une mutation profonde du
pèlerinage au Mont Gargan caractérisée par un mouvement inverse le transformant de
pèlerinage européen à un pèlerinage local et marquant un retour à une configuration purement
pénitentielle et dévotionnelle : c’est le moment de la chute de Constantinople (29 mai 1453),
les routes de méditerranée deviennent dangereuses et plusieurs ports des Pouilles sont fermés

968
NEVEUX, 2003, p. 245.
969
BOUET, 2009, p. 80.
970
NEVEUX, 2003, p. 245.
971
Comme la propre nièce de Narsete, commandant des troupes byzantines d’Italie, OTRANTO, 2003, p. 50.
972
OTRANTO, 2003, p. 51.
973
MARTIN, 2009, p. 411.
974
PETRUCCI, 1963, p. 166.
975
OTRANTO, 1990, p. 51.
976
PETRUCCI, 1963, p. 180.
168
ou supplantés par la suprématie de Venise977. Pourtant le sanctuaire est encore lieu de
pèlerinage à la fin du Moyen Âge, comme en atteste la visite de saint François d’Assise.
Les routes du pèlerinage à saint Michel sont ponctuées, en Occident, par trois grands
sanctuaires entre France et Italie : le Mont Gargan, le Mont-Saint-Michel et au centre, Saint-
Michel-de-la-Cluse. Ces sites michaéliques se trouvaient sur la route des pèlerinages majeurs
de la chrétienté, et pouvaient parfois constituer une option spécifique pour l’archange : citons
par exemple Saint-Michel-de-la-Cluse placé à la sortie des Alpes entre les régions
occidentales et Rome ; et le Mont Gargan entre Rome et Jérusalem. Cette option d’itinéraire
nécessitait tout de même une certaine motivation pour faire ce détour et gravir les montagnes
sacrées comme en témoignent quelques récits narratifs de pèlerinages étudiés par Giorgio
Otranto978.
Le pèlerinage au Mont-Saint-Michel connait un succès rapide et pérenne. Il se distingue des
autres sanctuaires michaéliques, comme nous venons de le mentionner, par l’importance
accordée aux reliques. Dans les récits de pèlerinage, on remarque parfois des confusions entre
Mont Gargan et Mont-Saint-Michel ou bien ils sont invoqués ensemble, ce qui prouve
l’importance du développement du monastère normand, qui devient lui-même une référence
en matière de sanctuaire michaélique979. Alors que le pèlerinage au Mont Gargan subit son
déclin, le Mont-Saint-Michel regagne une certaine notoriété après avoir résisté aux différentes
attaques anglaises lors de la guerre de Cent Ans.
Au site de la Cluse, la conscience de se situer au milieu des deux grands sanctuaires est
présente dès les origines comme en atteste la légende980. Le pèlerinage à la Sacra, se
caractérise par un public plus intéressé par les abbés illustres, généralement de haut rang
social, des réformateurs, des personnes voyageant pour des motifs diplomatico-religieux ou
pour étudier, même si elle a également connu un pèlerinage plus populaire et plus local981.
Les lieux de culte michaélique et la typologie de leur implantation marquée par des accès
difficiles, se prêtent particulièrement à l’idée largement rependue que la difficulté du parcours
rend efficace le pèlerinage dans un symbole du voyage mystico-ascensionnel982.
La période du XI-XIIe siècles fut marquée dans les sanctuaires michaéliques en général par
une monumentalisation des parcours dévotionnels avec de grands effets scénographiques, le
tout pensé pour accueillir la liturgie solennelle consacrée à Michel qui atteste du succès des
pèlerinages à l’archange983. Pourtant, la fin du Moyen Âge marque un recul de la
fréquentation, en grande partie lié à l’invention du jubilée qui voit l’affirmation de la
suprématie de Rome et à la promotion de l’humanité du Christ, faisant passer le pèlerinage à
l’être céleste au second plan. Nous avons déjà précisé que ces modifications n’entrainent pas

977
TRIPPUTI, 2009, p. 101.
978
OTRANTO, 2009, p. 145.
979
OTRANTO, 2009, p. 146.
980
OTRANTO, 2007, p. 412.
981
OTRANTO, 2009, p. 147.
982
CASIRAGHI, 2003, p. 327.
983
TOSCO, 2003, pp. 541-564.
169
forcément un recul dans le culte de l’archange, mais plutôt une mutation dans laquelle le
pèlerinage n’est plus un élément clé des dévotions rendues à Michel.

La typologie des lieux de culte michaélique, et le modèle constitué, à ce titre, par le


Mont Gargan, ont particulièrement intéressé l’historiographie italienne et en premier lieu le
professeur Giorgio Otranto de l’Université de Bari984. Selon lui, les éléments historiques,
liturgiques et iconographiques, permettent d’affirmer que le Mont Gargan est le lieu de culte
michaélique le plus important d’Occident et qu’il a servi de modèle pendant tout le Moyen
Âge 985. Les caractéristiques du Mont Gargan constituent une matrice qui peut servir de
modèles aux légendes, aux caractéristiques physico-environnementales, à l’architecture et aux
attributs de l’archange986. Plusieurs textes mettent en avant l’exceptionnalité du lieu et en
même temps sa reproductibilité987 qui amènent à un développement d’une typologie
garganesque entre la fin du VIe siècle et les premières décennies du VIIIe siècle un peu partout
en Occident988.
Les éléments constitutifs de cette typologie ne sont pourtant pas nouveaux puisqu’ils sont déjà
presque tous présents dans le culte oriental : des lieux élevés, souvent liés à des montagnes ou
s’insérant dans des contextes naturels, la présence de l’eau. Le mont italien propose alors un
condensé de ces caractéristiques989. Le succès du Mont Gargan, assuré par la présence
multiple de ces éléments sacralisant et justificateurs des vertus thaumaturgiques de
l’archange, devenait alors un modèle efficace à exporter, constitué d’une sorte de koinè
architectonique et environnemental, un répertoire commun990. En s’inspirant de la légende et
de l’implantation du sanctuaire garganique, afin d’assurer une filiation et d’en récupérer une
partie de prestige, le Mont-Saint-Michel a transformé le Mont Gargan en un modèle à
copier991 favorisé par la tendance fédérative des mouvements monastiques992.

Le premier aspect à être largement copié est l’implantation dans des lieux naturels et
sauvages, exposés aux caprices des éléments. Si elle est encore bien présente au Mont Gargan
possédant une source curative, au Mont-Saint-Michel et dans quelques autres sanctuaires
situés près de cours d’eau aux crues capricieuses, la proximité de l’eau devient vite
secondaire993. La copie de caractéristiques physico-environnementales se fait la plupart du

984
Voir à ce propos les ouvrages réalisés en collaboration avec le specialiste de l’épigraphie Carlo CARLETTI,
1980 et 1990. Plusieurs articles de Giorgio OTRANTO reprennent cette problématique : 1994, pp. 85-124 ;
2003, pp. 43-64 ; 2007, pp. 385-415.
985
OTRANTO, 1981, pp. 423-442.
986
OTRANTO, 2007, pp. 385-415.
987
BOESCH GAJANO, 2009, p. 23.
988
PETRUCCI, 1971, p. 343.
989
OTRANTO, 2007, p. 389.
990
OTRANTO, 2007, p. 414.
991
OTRANTO, 2007, p. 415.
992
CASIRAGHI, 2003, p. 329.
993
SARACCO, 2011, pp. 237-253.
170
temps dans une implantation sylvestre, rupestre ou montagneuse994 et reproduit ainsi la dualité
typique du Mont Gargan entre immatérialité de l’archange et matérialité des instruments de sa
dévotion995.
Contrairement aux caractéristiques naturelles, le sanctuaire garganique ne sera jamais un
grand modèle architectural, à quelques exceptions près, comme celle de la reprise d’une nef
double à Notre-Dame-Sous-Terre. L’implantation dans des lieux accidentés et aux accès
difficiles conditionnent des constructions architecturales s’adaptant au terrain plus qu’à un
modèle précis. Le sanctuaire des Pouilles est lui-même constitué d’éléments architectoniques
qui tendent à s’accommoder des contraintes et à sa fonction de lieu de pèlerinage plutôt qu’à
développer un ensemble cohérent et unifié. Toutefois, dans le cas des sites ne possédant pas
les éléments naturels nécessaires à la réplique d’un ou plusieurs éléments garganiques, des
formes architecturales peuvent être produites dans le but de recréer de manière artificielle des
formes évoquant des éléments naturels. Citons par exemple la construction d’une crypte au
Mont-Saint-Michel ou dans le Mausolée d’Hadrien de Rome qui vient compenser l’absence
de cavité rocheuse. Le Monte-Sant’Angelo n’est alors pas un modèle mais un inspirateur de
l’architecture ainsi créée pour des institutions qui construisent sciemment leur propre identité
spatiale et monumentale996.

Les églises occidentales dédiées à Michel sont des églises sub uno lapide997. Selon
Giorgio Otranto, l’élément grotte est le seul qui n’était pas présent dans le culte oriental, alors
qu’il s’affirme au Mont Gargan comme la demeure privilégiée de l’archange et rencontre un
grand succès en Italie à partir du VIIe siècle998. L’implantation dans une grotte se justifie par
l’aspect sauvage et inquiétant correspondant aux lieux de prédilection de l’archange qui
participe à une forme d’évangélisation des espaces les plus reculés et les plus dangereux, où
les démons semblent avoir élu domicile. Dans la tradition chrétienne, la présence divine s’est
manifestée plusieurs fois dans une grotte : en tant que lieu de naissance avec la grotte de la
Nativité, lieu de sépulture, avec le Saint Sépulcre et lieu de manifestations en tout genre.

Cette typologie rupestre connait un développement remarquable en Italie 999, et


particulièrement en Italie du sud où les caractéristiques géologiques sont à l’origine de la
présence d’un grand nombre de cavités rocheuses1000. Le succès des grottes michaéliques est

994
OTRANTO, 2003, p. 53.
995
BOESCH GAJANO, 2009, p. 26.
996
BOESCH GAJANO, 2009, p. 18.
997
Terme employé par le moine Bernard dans son Itinerarium Bernardi monachi franci. Rapporté par AVRIL et
GABORIT, 1967, p. 276.
998
OTRANTO, 2007, p. 389.
999
Les exemples se multiplient en Italie : la grotte sur le Monte Tancia en Sabine ; un sanctuaire souterrain
ancien à Monte Laureto, dans les Pouilles près de Putignano, selon la tradition, construite par Grégoire le grand
en 591 (sur les terres de sa famille) ; une basilique souterraine au centre d’une catacombe chrétienne à Palerme ;
la caverne d’Ozieri en Sardaigne ; la crypte d’Olevano sul Tusciano dans la province de Salerne ; la grotte de
Pertosa, toujours dans la Province de Salerne.
1000
BAYLÉ, 2003, p. 451.
171
également visible dans l’hagiotoponymie italienne puisque nombreux noms de communes
font référence à un ange et une grotte (par exemple « San Angelo de gruttis », « La cripta S.
Angeli »)1001.
Cet élément, si célèbre et caractéristique soit-il pose des difficultés d’exportation dans certains
lieux qui peuvent être contournés, comme nous venons de le préciser, par la création d’une
architecture évoquant une cavité souterraine ou creusée artificiellement directement dans la
roche, comme ce fut le cas au Mont-Saint-Michel où une rotonde excavée correspondait à la
description de la Revelatio « in modum cryptae rotundam »1002.
L’implantation rupestre insiste sur le pouvoir de la roche sur laquelle Michel s’est manifesté
et a laissé la marque de son pied et qui prend ainsi un caractère thaumaturgique. Les parois de
la grotte garganique sont au centre d’une série de gestes manifestant la piété à l’archange :
elles ont été touchées, gravées, peintes, des morceaux ont été détachés pour être déplacés,
partagés et conservés comme des reliques. Un autre type, lui aussi d’inspiration garganique,
s’est également manifesté dans sa relation avec la roche, et surtout avec sa situation élevée : la
montagne.

La montagne garganique apparait, avec la grotte, comme l’élément naturel et sauvage


par excellence, peu accueillant et donc particulièrement adapté aux hiérophanies et aux
manifestations miraculeuses1003. L’adoption de ce type d’implantation et ses dérivés
(chapelles hautes, églises en hauteur…) fut la plus courante tout au long du Moyen Âge pour
les lieux de culte michaélique1004. Sa position élevée en fait un point de rencontre entre le ciel
et la terre, et participe au symbolisme de l’ascension purificatrice, particulièrement importante
dans un culte lié au pèlerinage. La tradition biblique avait déjà souligné ce rôle sacré des
montagnes, avec par exemple le Mont Sinaï ou le Mont Golgotha 1005. L’élévation du lieu de
culte correspond également à la qualité d’ange de Michel, son caractère aérien et ses fonctions
de médiateur1006, alors que le ciel est le domaine de ses combats contre les démons.
Monseigneur Crosnier employait ainsi le terme de « culte aérien » pour souligner la
spécificité des lieux michaéliques à être en hauteur1007. Dans le Chronicon d’un monastère
michaélique près de Verdun, il apparait que ce choix des sites perchés est un choix de pureté
car la angelica puritas a l’habitude de choisir pour elle alta loca et que angelica suffragia in
altis sibi exspectanda1008. C’est donc un choix qui appartient à Michel, et non pas aux
hommes, comme le précise Beleth dans son Divinorum officiorum explicatio:
« Hic quoniam in monte Gargano visus sit ac ipse locum sibi in alto eligerit, ideo et ubique fere
terrarum in edito loco basilica construitur »1009.

1001
OTRANTO, 2007, p. 392.
1002
BAYLÉ, 2003, p. 452.
1003
OTRANTO, 2007, p. 389.
1004
OTRANTO, 1994, p. 124.
1005
OTRANTO, 2007, p. 414.
1006
CROSNIER, 1862, p. 695.
1007
CROSNIER, 1862, p. 695.
1008
OTRANTO, 2007, p. 415.
1009
Cité dans VERZONE, 1953, p. 76.
172
Les sanctuaires de saint Michel adoptent ainsi une silhouette bien particulière, souvent
surprenante : bien sûr le Mont Gargan et le Mont-Saint-Michel en sont les représentants les
plus connus, mais l’abbaye de Saint-Michel-de-la-Cluse et la petite chapelle d’Aiguilhe n’en
sont pas moins spectaculaires. Cette scénographie monumentale correspond bien à la
perception que les hommes du Moyen Âge devaient avoir de la figure michaélique, proche et
lointaine : en même temps ces sanctuaires semblent proches car ils sont visibles de loin, et en
même temps ils paraissent lointains car ils sont peu accessibles1010 .

Le développement de ce type d’implantation peut prendre plusieurs formes : des


implantations montagneuses, comme dans les Pouilles au Mont Gargan, dans les Alpes avec
Saint-Michel-de-la-Cluse, ou dans les Alpes bavaroises où Michel occupait également les
sommets1011 ; des établissements sur des promontoires naturels, des collines ou des rochers
tels le Mont-Saint-Michel ou la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe ; ou encore, si la géographie
ne permet une implantation naturelle en hauteur, dans des lieux élevés artificiellement comme
dans le château Saint-Ange de Rome, dans des chapelles hautes d’un ensemble architectural
plus vaste ou au-dessus des portes.

Les chapelles élevées à proximité des portes associent les caractéristiques que nous
venons d’énoncer au caractère défensif propre à l’archange biblique 1012. En Orient, ce
caractère défensif des lieux de culte assumé par les archanges était déjà ancien : Michel et
Gabriel sont sculptés sur les jambages de la porte de l’église de Kodja Kalessi en Asie
Mineure au VIe siècle et une autre sculpture de ce type du VIe siècle se trouve au musée
d’Antalya1013. Ce phénomène s’était étendu à partir de Constantinople, dont Michel était le
gardien, vers d’autres villes ou églises orientales. L’Occident adopte cette tradition et place à
l’entrée des villes ou des sanctuaires des chapelles dédiées aux anges ou aux archanges, qui en
assurant la défense de l’église1014, acquiert un caractère prophylactique parallèle à celui des
reliques qui se trouvent dans la partie orientale de l’édifice1015. En 749, Rigobert fait bâtir un
oratoire à saint Michel sur les murailles de Reims1016. Ces chapelles prennent surtout place
dans des tours indépendantes des églises et marquent l’enceinte d’un lieu sacré, à partir du
VIIIe siècle. Sur le plan de Saint-Gall on lit sur une des tours : « Altare sancti Michaelis in
summitate » pour la tour nord et « Altare sancti Gabielis archangeli in fastigio » pour la tour
sud1017 ; à Centula-Saint-Riquier le parvis carré précédant l’église présentait trois portes
surmontées de tours avec trois oratoires pour les trois archanges1018 :

1010
BARRAL I ALTET, 2000, p. 134.
1011
LECLERCQ, 1933, p. 906.
1012
Voir à propos du culte des anges et des chapelles hautes, VALLERY-RADOT, 1929, pp. 453-478 ;
VERZONE, 1953, pp. 71-80.
1013
FAURE, 1997 (1), p. 202.
1014
BAYLÉ, 2003, p. 455.
1015
VERZONE, 1953, p.75.
1016
VERZONE, 1953, p.75.
1017
LECLERCQ, 1933, p. 906.
1018
VERZONE, 1953, p. 74.
173
« Ipsa maenia quae vocantur Paradisus, turita mole surgentia, tribus altariis consecrata sunt :
videlicet in porta occidentali altare sancti Michaelis, in porta australi altare sancti Gabielis, in
porta autem septentrionali altare sancti Raphaelis »1019 ;
L’église Santa-Maria-Maggiore de Milan était entourée de deux baptistères, d’un clocher et de
quatre oratoires dédiés à Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel1020. Dans ces ensembles
monumentaux, saint Michel est aidé d’autres archanges pour assurer la protection des lieux,
« ainsi gardien collectif de l’Église universelle du Christ, après avoir été prince et protecteur
d’Israël, saint Michel démultipliait sa présence pour devenir le gardien de chaque église
locale » 1021. La présence des anges permettait dans ce contexte de délimiter l’espace entre le
ciel et la terre, entre l’espace sacré et l’espace profane1022. Ces sites symbolisaient la
Jérusalem céleste, toujours ceinte de tours où Michel jouait un rôle important dans le thème
apocalyptique puisque lui-même acteur des événements eschatologiques1023. Cette répartition
d’un espace sacré entouré de tours ou de portes gardées par des anges se retrouve dans les
illustrations des manuscrits représentant la Jérusalem céleste1024.
La période carolingienne est marquée par une tendance à centraliser les chapelles et les autels
dans un bâtiment principal. Les oratoires aux archanges se retrouvent dans la partie haute du
massif occidental surplombant l’entrée de l’église, les Westwerk, comme à Corvey au IXe
siècle où l’on peut lire sur la façade de l’abbatiale :
CIVITATEM ISTAM
TV CIRVUMDA DOMINE ET
ANGELI TVI CVSTODIANT MVROS EIVS1025
La symbolique d’élévation et de protection du culte de saint Michel trouvait alors une forme
architecturale1026. Le Westwerk carolingien est également un symbole du Saint-Sépulcre et de
la Jérusalem céleste. Les chapelles hautes dédiées à saint Michel dans les églises se
multiplient entre le IXe et le Xe siècles. Si elle est courante dans l’Europe occidentale,
l’association du culte de saint Michel à la protection de l’entrée des villes ou des sanctuaires
ne s’est pourtant pas du tout développée en Italie méridionale, alors qu’elle est importante
plus au nord, à Rome et dans le monde carolingien en général. En fait le caractère militaire de
l’archange est très peu développé dans ces régions au Haut Moyen Âge1027.

Au XIe et XIIe, si les Westwerks disparaissent, la conservation des tours de façade et des
chapelles hautes dédiées aux anges font figure d’avatar des massifs occidentaux1028. À
l’époque romane, l’iconographie de saint Michel se développe dans les programmes sculptés

1019
LECLERCQ, 1933, p. 906.
1020
VERZONE, 1953, p. 74.
1021
FAURE, 1997 (1), p. 202.
1022
FAURE, 1997 (1), p. 202.
1023
BAYLÉ, 2003, p. 455.
1024
BAYLÉ, 2003, p. 455.
1025
Cité dans HEITZ, 1997, pp. 37-48.
1026
BAYLÉ, 2003, p. 450.
1027
MARTIN, 2009, p. 409.
1028
BAYLÉ, 2003, p. 457.
174
près des portes, sur les portails ou dans les galeries1029. Sophie Cassagnes-Brouquet souligne
par exemple l’importance du thème du combat de Michel contre le démon sur les chapiteaux à
l’entrée des églises bourguignonnes clunisiennes1030.

Dans la tradition garganique, il y a un aspect qui n’apparait pas du tout et qui a


pourtant connu un grand développement au Bas Moyen Âge : celui de l’ange de la mort1031. À
partir du Haut Moyen Âge, les préoccupations eschatologiques se font plus marquées et
Michel se détache une nouvelle fois de la horde des anges dans ce contexte, car il est à même
de répondre à ces craintes en apparaissant comme protecteur des âmes et psychopompe. La
densité de sa personnalité et de ses fonctions permettent réellement de répondre à des besoins
spirituels multiples et variés1032. La figure de l’archange est donc associée à certains lieux de
culte à destination funéraire, tombeaux, chapelles funéraires, oratoires près des cimetières.

Le Mont Gargan est à la base de la construction d’une typologie des lieux de culte
michaélique, qui concerne le choix de leur emplacement, leurs formes architecturales et la
symbolique de ces éléments. Cette typologie souligne un répertoire commun destiné à
manifester une dévotion à une figure complexe au caractère polysémique1033. Il faut souligner
la ductilité des schémas garganiques, avec des adaptations au modèle qui vont d’ailleurs
perdre peu à peu la référence initiale à la grotte italienne pour conserver des éléments qui
deviennent courants et qui peuvent s’adapter à une grande diversité de lieux, de milieux
géographiques, sociaux et culturels1034. Giorgio Otranto précise que le développement d’une
dévotion de type garganique ne fut jamais ni uniforme ni complet1035. La variété des formes
architecturales liées au culte de l’archange (tantôt élevées, tantôt enterrées, tantôt dans des
lieux très reculés, tantôt aux portes de villes ou dans les tours des cathédrales…) est bien
évidemment liée à la diversité de sa nature.
Le culte de saint Michel en Occident est donc fortement ancré dans ses sanctuaires, à
l’implantation spectaculaire et paraissant souvent inaccessibles. La sacralité liée à l’archange,
inscrite dans la pierre plutôt que dans des restes de corps humains, entre en conflit avec les
évolutions de spiritualité de la fin du Moyen Âge tendant à humaniser le divin et inscrire un
rapport plus intime avec les saints. Ces transformations spirituelles font apparaitre un culte de
Michel archaïque et brut, encore fortement lié aux craintes des manifestations
surnaturelles1036. Aux derniers siècles du Moyen Âge, son culte s’adapte à cette nouvelle
situation religieuse en se déliant de la roche qui l’avait si longtemps porté. La sacralité liée à

1029
VERZONE, 1953, p. 80.
1030
CASSAGNES-BROUQUET, 1997, p. 24.
1031
OTRANTO, 2003, p. 63.
1032
FAURE, 1988, p. 41.
1033
À propos du lien entre les formes architecturales et les formes de dévotion, voir HEITZ, 1963 ; 1974, pp. 30-
47 ; 1977, XVIII, pp. 339-362 ; 1979, pp. 217-243.
1034
SARACCO, 2011, pp. 237-253 ; OTRANTO, 2007, p. 413.
1035
OTRANTO, 1994, p. 123.
1036
VAUCHEZ, 2009, p. 601.
175
Michel redescend sur terre, dans les chapelles funéraires et au sein de l’espace communal,
preuve de son rapprochement de l’homme.

II.3.2.3. Un archange au caractère polysémique

Les épisodes bibliques et apocryphes dans lesquels Michel intervient ont assigné à
l’archange des fonctions variées dans des contextes divers qui ont façonné une figure ductile
au caractère polysémique permettant de s’adapter aux différentes populations, régions,
périodes et aux différentes évolutions de spiritualité. C’est ce qui explique en grande partie le
succès de son culte tout au long du Moyen Âge.

Dans le culte oriental, deux facettes de la dévotion portée à l’archange ont été mises en avant :
son pouvoir guérisseur et sa fonction d’archistratège des armées célestes. Il était invoqué par
ceux qui cherchaient une guérison, et était un modèle et un protecteur pour tout chef de guerre
et pour l’empereur en particulier. Pour autant, le culte porté à Michel n’a souvent pas dissocié
ces deux fonctions principales et ne s’y est pas non plus limité. Michel a été honoré comme
un saint, invoqué comme un intercesseur, un thaumaturge et un protecteur efficace en toutes
circonstances et particulièrement au moment de la mort1037. Selon Giorgio Otranto, la matrice
constantinopolitaine du culte de saint Michel dans sa dimension iatrique correspond à une
première phase de culte en Italie1038.

Comme tous les anges, Michel a des prédispositions pour maitriser les éléments
naturels, et c’est dans ce genre d’actions qu’il intervient dans les premières légendes
orientales : il accomplit des miracles en agissant sur les éléments pour protéger les hommes.
Cette capacité thaumaturgique de l’archange est ensuite à la base de son pouvoir de
guérisseur1039. Au Mont Gargan, c’est avant tout l’aspect thaumaturgique et guérisseur de
Michel qui est vénéré dans le sanctuaire de la période protobyzantine à celle prélombarde 1040,
et le guerrier ailé qui remet son épée dans son fourreau devant la procession grégorienne à
Rome vient annoncer la fin de l’épidémie de peste, mais ces caractéristiques iatriques
deviennent vite secondaires dans les dévotions qui lui sont rendues. Certains chercheurs y
décèlent la concurrence des saints, aux personnalités plus proches des hommes, aux reliques
plus efficaces et dont la guérison et l’accomplissement de miracles étaient la spécialité. Selon
Olga Rojdestvensky, Michel était lui plus vénéré qu’aimé1041. Le culte occidental est
également moins souvent implanté près des sources curatives ou des eaux miraculeuses et son
pouvoir se manifeste par d’autres phénomènes. Michel manifeste sa puissance par des

1037
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 188.
1038
OTRANTO, 2003, p. 62.
1039
JANIN, 1934, p. 28.
1040
LASSANDRO, 1983, p. 200 ; CAMPIONE, 2007 (2), pp. 281-302.
1041
ROJDESTVENSKY, 1922, p. 58.
176
apparitions dans lesquelles il donne des recommandations, des ordres, des prémonitions ou
des punitions plus que par des miracles en faveurs d’un ou des hommes. Bien sûr quelques
récits de miracles sont encore présents dans les recueils des sanctuaires michaéliques 1042, mais
la plupart du temps, lorsqu’il porte assistance aux hommes, c’est qu’ils sont déjà morts.

En Occident, le culte michaélique s’est développé sous la forme d’une dévotion qui a
surtout privilégié sa fonction militaire1043. Les origines bibliques de ce caractère ont déjà été
démontrées1044. Au moment de son implantation dans le monde oriental, le culte de Michel
n’adopte que ponctuellement les traits du guerrier mais la dévotion à l’archange est déjà
largement supportée par les pouvoirs byzantins1045. En Italie, c’est la récupération au VIe
siècle du culte de l’archange par les Lombards, peuple germanique conquérant et vénérant
dans le passé Wodan, dieu suprême de la guerre, qui fait exploser la fonction militaire de
Michel dans la chrétienté occidentale1046. Ce culte de l’archange guerrier reste ensuite
fortement lié aux pouvoirs en place car, en accord avec les textes bibliques et patristiques,
chaque nation est gardée par un ange et Michel, en tant que chef des milices célestes, apparait
comme le protecteur des grandes nations. La conquête carolingienne marque la fin du pouvoir
lombard et la récupération du culte angélique qui s’adapte particulièrement aux
préoccupations de l’empire occidental. Le rôle assigné depuis l’Antiquité à l’empereur de
défenseur de l’Église contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur1047 est revendiqué par
Charlemagne qui compte bien, comme Michel, défendre physiquement le peuple et le mener
au salut collectif. Les évolutions de la liturgie et des formes architecturales sont marquées par
cette idéologie impériale assimilant les fonctions de l’empereur et de l’archange, et sont
visibles notamment dans l’édification du Westwerk, le massif occidental réunissant dans un
même espace tribune impériale et autel dédié à Michel.
Après les Carolingiens1048, le culte de saint Michel continue d’être propulsé par le haut : par
les Ottoniens1049 ; par les comtes de Barcelone ; par les Plantagenêts et les Capétiens1050.

1042
À la Sacra par exemple, un malade en pèlerinage au Xe siècle se serait endormi dans l’église et réveillé
guérit ; CASIRAGHI, 2003, p. 329.
1043
FAURE, 1997 (1), p. 201.
1044
Dans l’Ancien Testament, Michel est considéré comme le protecteur du peuple d’Israël (Exode 14, 19 ; 23,
20-23 ; 32, 34 ; 33, 2) nommé ainsi par Daniel (10, 13 et 21 ; 12,1). Dans le Nouveau Testament devient le
protecteur de l’Église et continue à être perçu de la sorte dans la tradition chrétienne 1044.
1045
Nous avons déjà noté les liens entre Constantin et Michel.
1046
OTRANTO, 1990, p. 38 ; SENSI, 2000, p. 127.
1047
VAUCHEZ, 2007, pp. 339-348.
1048
En 813, au concile de Mayence, Charlemagne étend le culte de l’archange à l’ensemble de l’empire, voir
FAURE, 1988, p. 42.
1049
Nombreuses fondations par Otton Ier, Conrad II, Henri II lorsqu’ils obtiennent des victoires grâce à
l’assistance de l’archange. Ils emportent également le drapeau de saint Michel sur les champs de bataille, et dans
certains textes, des parallèles sont faits entre la lutte des Ottoniens contre les ennemis impériaux et celle de
Michel contre le mal ; Otton III fait édifier une grande abbaye dédiée à l’archange à Hildesheim. Dans le rapport
entre le culte de saint Michel et les Ottoniens, voir par exemple ROJDESTVENSKY, 1922, p. 38.
1050
Embellissement du Mont-Saint-Michel, puis promotion au statut de sanctuaire nationale et monarchique du
177
Pourtant Andreas Heinz conseille d’abandonner la vision romantique qui fait de saint Michel
le protecteur attitré choisi par les rois et les empereurs au Haut Moyen Âge, et recommande
de ne pas trop exagérer l’importance de la figure de l’archange dans le monde germanique, du
moins jusqu’au Concile de Trente, où l’archange devient le combattant du dragon symbolisant
le nouveau mal : le protestantisme1051.

La dévotion à Michel guerrier par les souverains occidentaux s’exprime par le financement de
travaux de restauration ou d’embellissement dans les grands sanctuaires michaéliques ou la
fondation de nouveaux lieux de culte. À partir des X - XIe siècles se multiplient les
pèlerinages des rois, pontifes, empereurs et guerriers au mont Gargan qui manifestent alors
leur désir de se mettre sous la protection du pouvoir miraculeux de l’archange pour la
réalisation de leurs entreprises guerrières ou de leurs desseins politiques1052. Au XIIIe siècle,
les pèlerinages vers les sanctuaires michaéliques sont fréquents de la part des souverains
occidentaux : au Mont-Saint-Michel pour les Plantagenets ; à la Sacra di San Michele pour les
ducs de Savoie ; au Mont Gargan pour les angevins.
Le développement du caractère guerrier de Michel se fait principalement en Occident par la
prise en main de son culte par les autorités politiques laïques, proposant ainsi une protection
céleste à leur peuple, reflet de la protection terrestre assumée par l’empereur, le roi ou le
duc1053. Pourtant les pouvoirs laïques ne sont pas les seuls à soutenir le développement du
culte michaélique dans le but d’en prendre le contrôle.

Les évêques ont un rôle central dans la naissance des dévotions à l’archange par leurs
expériences visionnaires1054. Dans les légendes de fondation des sanctuaires michaéliques, ce
sont à chaque fois des évêques qui voient apparaitre Michel : celui de Siponto au Mont
Gargan, celui de Rome au Monte Sant’Angelo, celui d’Avranches au Mont-Saint-Michel1055.
Sofia Boesch Gajano affirme même que la légende du Mont-Saint-Michel n’a pas l’archange
au centre mais bien l’évêque1056. Le caractère guerrier est développé par les pouvoirs laïques,
mais il apparait également dans les légendes dont les évêques sont les protagonistes : Michel
apparait à l’évêque de Siponto pour lui annoncer l’issue d’une bataille ; dans la légende de
Rome, Michel est un militaire, le chef de la milice céleste qui remet son épée dans son
fourreau. Il s’agit d’un caractère qui s’enracine également dans les conceptions monastiques
en plein Moyen Âge, où les moines pensaient constituer un alter ego des armées angéliques
sur terre, censées lutter quotidiennement contre les démons avec en fond l’angoissant

Mont au moment de la guerre de 100 ans ; VAUCHEZ, 2009, p. 602.


1051
HEINZ, 2007, p. 52.
1052
PETRUCCI, 1971, p. 351.
1053
Comme le confirme par exemple la création de l’ordre de saint Michel par Louis XI ; VAUCHEZ, 2009, p.
602.
1054
FAURE, 1988, p. 39.
1055
OTRANTO, 2007, p. 399.
1056
BOESCH GAJANO, 2009, pp. 28-29.
178
problème du salut et de la Rédemption1057. La promotion du caractère militaire de l’archange
n’est donc pas l’apanage des pouvoirs laïques.
Les politiques ecclésiastiques ont ensuite tenté de conserver une certaine main mise sur ce
culte, comme au Mont Gargan qui devient, au début du XIe siècle, cathédrale secondaire et est
placée sous l’autorité directe de l’évêché de Siponto. Il existait souvent une église dédiée à
l’archange près du groupe épiscopal1058. Enfin, il faut noter le rôle de Grégoire le Grand,
évêque de Rome, dans les débats sur l’angélologie. Giampietro Casiraghi note que les
autorités ecclésiastiques auraient favorisé en partie ce culte contre l’aristocratie qui prenait de
plus en plus de pouvoir et en faveur du peuple qui voyait dans Michel son protecteur 1059. À la
fin du Moyen Âge, les dévotions à l’archange, et plus particulièrement à l’archange guerrier,
affichent un caractère plus populaire, et le culte de Michel apparait moins exclusif. La mission
générale du combattant du bien contre la mal a un caractère universel qui peut en faire le
protecteur de tous et de toutes les causes. Il reste que cette prise en main et cette appropriation
du culte de Michel par les autorités politiques et religieuses dans différents contextes
géographiques et temporels, explique en partie le succès constant de l’archange au Moyen
Âge.

Au Haut Moyen Âge, Michel partage encore son caractère défensif avec les autres
archanges, principalement Gabriel et Raphaël avec qui nous avons vu qu’il est associé dans
les tours de garde des villes ou des sanctuaires. À partir du IXe siècle Michel apparait de plus
en plus seul comme gardien. Sa protection s’étend des peuples aux villes, aux églises,
cathédrales, palais et parfois royaumes. Dans le contexte de christianisation de l’Europe
centrale au XIe siècle, il est invoqué aux marches des territoires évangélisés, comme en
Pologne, en tant que protecteur des frontières et missionnaire, et élément propagateur de la
foi1060. L’aspect protecteur du culte de Michel connait une nouvelle phase de rayonnement à
partir du XIe siècle, période de justification théorique des actions militaires dans le cadre des
guerres saintes destinées à reconquérir les territoires sacrés mais surtout à libérer des
populations d’oppresseurs indignes1061.

Pourtant dans son culte médiéval, le guerrier Michel se présente moins comme un protecteur -
rappelons que l’aspect guérisseur si cher aux Byzantins disparait rapidement en Occident -
que comme un punisseur. L’archange apparait plus souvent aux hommes pour les châtier que
pour accomplir des miracles en leur faveur. On observe d’ailleurs une hiérarchisation des
punitions en fonction du statut du pécheur et la nature de la faute commise. En contre partie, il
montre une efficacité redoutable contre les ennemis de la foi1062. À l’entrée du sanctuaire du
Mont-Gargan, l’inscription « terribilis est locus iste, hic domus Dei est et janua coeli », qui

1057
CASSAGNES-BROUQUET, 1997, p. 26.
1058
VAUCHEZ, 2009, p. 602.
1059
CASIRAGHI, 2007, p. 422.
1060
KOWALSKI, 1997, p. 51.
1061
PETRUCCI, 1963, p. 166 et p. 179.
1062
BOUET et BOUGY, 2011, p. 29.
179
qualifie le lieu, semble surtout qualifier le caractère théophanique de l’archange. Le mot
terribilis est parfois directement appliqué à Michel dans des formules médiévales1063.
Ce double aspect dans son caractère guerrier de protecteur et de punisseur, est présent dans les
légendes et les récits de ses miracles, comme dans le Roman du Mont-Saint-Michel (XIIe) où
il prend parfois l’aspect d’un messager, d’un thaumaturge, d’un guide vers la vie éternelle
mais il est surtout implacable pour ceux qui ont péché. Il y a également très peu d’attestation
de sa fonction thaumaturge et psychopompe dans les fonds italiens centro-septentrionaux où il
apparait surtout comme un personnage sévère et une créature supraterrestre 1064. Mais les
évolutions de spiritualité à la fin du Moyen Âge font apparaître une image plus tendre et
humanisée, surtout dans le contexte franciscain où un aspect miséricordieux est parfois
décelable dans quelques textes franciscains, et pour quelques épisodes mettant en scène des
femmes. Même quand il semble protéger l’âme d’un défunt, il se concentre sur une lutte
contre les agissements de Satan, plus que sur le témoignage d’une compassion envers les
hommes1065.
Si l’archange lui-même, en apparaissant à l’évêque de Siponto, se présentait en insistant sur sa
proximité avec Dieu : « Je suis Michel et je suis toujours en présence de Dieu », il semble par
contre refuser toute proximité avec les hommes. Il est le représentant de la transcendance
divine1066 caractérisé par un sérieux, une intransigeance et une infaillibilité qui siéent
parfaitement à sa fonction militaire. Demeure d’une figure angélique crainte, les monts dédiés
à Michel sont des endroits parfaitement adaptés à ceux qui veulent prier sincèrement
l’archange1067.
Le caractère militaire de Michel est en lien direct avec le rôle qu’il occupe dans l’Apocalypse,
qui manifeste en général une conception guerrière des esprits divins, et avec le rôle de
psychopompe, dans lequel il prend également les armes pour assurer la sécurité du voyage des
âmes1068. Fonctions martiales et eschatologiques sont donc étroitement liées.

Si l’archange de la mort n’était pas un aspect central dans la spiritualité orientale ni


dans le culte garganique, il prend une place grandissante dans les dévotions occidentales. La
justification du rôle de Michel au moment du trépas est fondée sur le rôle éminent des anges
au moment de la mort1069. Or, dans la multitude des anges, la première place revient à saint
Michel, selon les apocryphes, prévôt du paradis1070. Rappelons en particulier l’Épître de saint
Jude et le Livre de l’Assomption de Moïse1071. La fonction psychopompique des anges se

1063
FAURE, 1997 (1), p. 204.
1064
SERENO, 2011, pp. 73-91.
1065
BAUDOT, 1971, p. 32.
1066
BOUET et BOUGY, 2011, p. 38.
1067
BOUET et BOUGY, 2011, p. 37.
1068
MAURY, 1845, p. 239.
1069
Comme on le voit dans Luc XVI, 22 ou Matthieu XIII, 36-43 ; 49-50.
1070
BAUDOT, 1971, p. 17.
1071
BAUDOT, 1971, p. 17.
180
retrouve très tôt dans l’iconographie, comme dans la catacombe de la via Appia de Rome :
Vibia, une défunte, est introduite par un ange parmi les élus1072.
Le rôle dans les sources sacrées chrétiennes de Michel au moment de la mort n’est plus à
prouver. Dans les textes occidentaux du début du Moyen Âge, cet aspect n’est pas
particulièrement présent. Dans les récits de fondation des sanctuaires michaéliques,
l’archange n’a pas de rôle de psychopompe ou de protecteur des âmes au moment de la mort.
Ce caractère n’est pas développé dans les lieux marqués par un culte de pèlerinage. Pourtant,
des fondations de chapelles funéraires dédiées à saint Michel font leur apparition de manière
précoce en Occident. Citons par exemple en 506 la basilique de la reine Burgonde Carétène,
épouse de Gondebaud construite à Lyon pour sa sépulture et dédiée à l’archange 1073. De
nombreuses chapelles funéraires sont ensuite placées sous sa protection et son image se
développe dans les cimetières1074. Selon saint Grégoire de Tours, c’est Michel qui présenta
l’âme de Marie au paradis. Dans la prière Domine Iesu Christe, chantée à l’offertoire de la
messe des défunts, ces derniers demandent au Christ : « Que saint Michel, le porte-étendard,
les introduise dans la lumière sainte, que jadis tu promis à Abraham et à sa descendance. »1075.
Entre le XIIe et le XIIIe siècles, divers récits de visions lui assignent un rôle important dans
l’accès à l’au-delà1076. Dans un bréviaire romain, Michel est l’archange du passage,
« Constitui te principem super omnes animas suscipiendas » 1077. À la fin du Moyen Âge,
l’archange figure régulièrement parmi les patrons des confréries funéraires, à côté de sainte
Barbe, saint Roch ou saint Sébastien1078. Certains textes liturgiques mettent également
l’accent sur la proximité de Michel et des âmes à l’heure de la mort1079.
La protection michaélique des âmes des défunts sur le chemin du paradis est un thème qui se
développe assez tôt dans la pensée chrétienne et qui donne lieu à des titulatures en contexte
funéraire, qui ne connaissent pas un développement spectaculaire, mais régulier. Ce caractère
michaélique revêt un aspect plus intime dans sa relation avec un homme qui se met
volontairement sous sa protection au moment du grand passage. Également lié à un contexte
eschatologique, mais de portée plus générale, Michel apparait également au Moyen Âge
comme l’archange du Jugement.

Plus que dans l’histoire personnelle des hommes, Michel possède un rôle dans
l’Histoire du salut. La deuxième strophe de l’hymne en l’honneur de l’archange, Te splendor

1072
BUSSAGLI, 1991, p. 120.
1073
« epitafium Cartenes religiose regine quae condita est Lugduni, in basilica sancti Michaelis Archangeli », cité
dans CANTINO WATAGHIN, 2009, p. 354. Voir aussi DUHR, 1937, p. 612.
1074
FOURNEE, 1971, p. 69.
1075
JOUNEL, 1981, p. 196.
1076
VAUCHEZ, 2007, pp. 339-348.
1077
FOURNEE, 1971, p. 66.
1078
FOURNEE, 1971, p. 70.
1079
« In tempore illo, consurget Michael qui stat pro filiis vestris » (réponse à la leçon VI des matines du 29
septembre.) ; « Michael, Dei nuntius pro animabus justis » (ant. du IIIe nocturne) ; « Michael archangelus venit
in adjutorium populo Dei. Stetit in auxilium pro animabus justis“ (réponse de la leçon VIII). FOURNEE, 1971, p.
70.
181
et virtus Patris, apparaissant dans un bréviaire romain aux vêpres du 29 septembre, désigne
Michel comme le porte enseigne du Salut : « Sed explicat victor crucem, Michael salutis
signifer »1080. Le même qualificatif est employé dans l’Offertoire de la messe des défunts
« Sed signifer sanctus Michael… ». Dans l’iconographie, les images où Michel est un simple
porteur de croix, renvoient en fait à son rôle dans les épisodes eschatologiques. La fonction
assignée à Michel d’encadrer les événements de la fin des temps est surtout visible dans
l’iconographie dont nous reparlerons bien évidemment plus tard.
Michel est rapidement considéré dans la spiritualité comme le Pon duator 1081, celui qui pèse.
La pesée au moment de la mort n’est pas une nouveauté chrétienne et est présente dans
presque toutes les religions, dans l’hindouisme, en Chine, en Égypte ancienne. Elle
correspond à une évaluation des actions commises par le défunt ou de la valeur intrinsèque de
sa personne, afin de déterminer son futur dans l’au-delà. Selon Alfred Maury, le thème de la
dispute des âmes par la lutte des bons et des mauvais esprits est un épisode habituel de la
psychostasie, pas seulement dans la religion chrétienne, et serait né du dualisme persan1082.
Cette action de pesée est attribuée à Michel car elle lie son rôle d’accompagnateur des âmes à
celui de combattant. L’idée d’une évaluation et d’un combat pour en déterminer le résultat est
présent dans la Bible et perdure chez les Pères de l’Église, comme en témoigne une lettre du
IVe siècle écrite par saint Cyrille de Jérusalem à saint Augustin1083 et les récits de la vie des
saints1084. Cette croyance n’est en général, pas liée seulement à la crédulité des fidèles, mais
admise par la majorité des théologiens1085.
Dans l’Occident médiéval, Philippe Faure note des corrélations entre les périodes du succès
du développement du culte de Michel et celles où la dimension eschatologique du
christianisme est très marquée1086. Michel Rouche met également en parallèle le culte de
Michel et la réapparition de la peur de la mort et de l’angoisse de la damnation, après les
invasions scandinaves et les troubles de la seconde moitié du IXe siècle1087.C’est par cette
importance du rapport entre angélologie et eschatologie, particulièrement prégnante dans les
images, que s’explique également le succès de Michel par rapport aux autres archanges.

1080
FOURNEE, 1971, p. 74.
1081
FOURNEE, 1971, p. 76.
1082
MAURY, 1845, p. 241.
1083
MAURY, 1845, p. 230.
1084
Dès les premiers temps du christianisme, on voit apparaître cette croyance en un débat terrible au sujet du
partage des âmes, comme dans les Faits et miracles de Notre-Dame ; Promptuarium de miraculis beatae
Virginis, Ex. 61 de Jean Herolt ; dans la Légende dorée, en particulier dans la vie des pères du désert ; puis dans
les bollandistes, aux vies de saint Maxence, saint Barontus ; MAURY, 1845, p. 231.
1085
MAURY, 1845, p. 236.
1086
FAURE, 1988, p. 41.
1087
ROUCHE, 1989, p. 556.
182
Conclusion

La multiplicité des fonctions accomplies par Michel dans la Bible, génère une figure
au caractère polysémique, objet d’un culte pluriforme. De surcroît, l’imprécision qui règne
autour de la définition de la figure michaélique a permis une grande adaptabilité de l’archange
aux divers contextes géographiques, chronologiques, politiques, culturels, cultuels et sociaux.
La forte acculturation de la figure de Michel dans le culte occidental est une constante pour
tout le Moyen Âge1088. La hiérarchisation des spécialités de Michel n’est pas non plus
déterminée par la tradition chrétienne et les frontières entre les différents types de l’archange
peuvent se déplacer répondant aux diverses attentes des populations qui lui rendent hommage.
La ductilité du culte de saint Michel, certainement clé de son succès en Occident, est en fait
liée à sa nature. L’ange est un être intangible par définition, donc toutes les manifestations
angéliques sur terre sont un reflet de l’idée que se font les hommes de leur nature, de leurs
fonctions et de leur aspect physique à un moment donné1089. Lorsque les hommes et leur
spiritualité changent, l’idée qu’ils se font de l’ange évolue et s’adapte pour correspondre aux
nouveaux idéaux. La figure angélique, et a fortiori celle de Michel, est un produit de la
société, issue de l’autorité des saintes Écritures et des Pères de l’Église, de leur
instrumentalisation par les pouvoirs laïques et religieux, et de la sensibilité des masses rurales
à laquelle contribue également une bonne partie des clercs1090. Michel est à ce titre, selon
Armando Petrucci, un « saint » privilégié car plus proche des hommes qui l’ont façonné1091.
L’universalité des missions michaéliques participe en outre à cette flexibilité.
Cette « densité de sa personnalité et de ses fonctions » 1092 se retrouve dans l’iconographie de
Michel où différents types coexistent et parfois fusionnent pour s’adapter à chaque
commande, à chaque contexte, avec la plus grande efficacité.

1088
VAUCHEZ, 2009, p. 604.
1089
BUSSAGLI, 1991, p. 301.
1090
FAURE, 1988, p. 43.
1091
PETRUCCI, 1971, p. 352.
1092
FAURE, 1988, p. 41.
183
184
III- SAINT MICHEL, L’HOMME AILÉ : ORIGINES ET REPRÉSENTATIONS
DES ANGES ET DE MICHEL AU MOYEN ÂGE

Si la représentation des anges et de saint Michel sous la forme d’un homme ailé
semble aller de soi, l’idée même de mettre en image des figures angéliques n’a pas été si
évidente et a suscité des débats puisqu’elle a trait aux questions de définitions de la nature des
anges, mais également à celles de la querelle des images et à celles relatives à une
iconographie chrétienne en formation entre persistance de formes antiques et invention d’un
nouveau répertoire figuratif.

III.1- Représenter l’ange : origines et problèmes de mise en image de l’ange au Moyen


Âge

Nous avons déjà évoqué dans la première partie de ce travail, les débats autour des
origines de la représentation des anges dans l’Antiquité tardive. Nous ne nous attardons pas
ici sur les discussions historiographiques, mais nous résumerons dans ce chapitre, l’histoire de
l’iconographie des anges et de celle de Michel en lien avec les débats théologiques ou
politiques liés aux problèmes de représentations de ces êtres éthérés.

III.1.1. Immatérialité et représentation

La figure de l’ange chrétien est à imaginer complètement par les peintres et sculpteurs
paléochrétiens1093. Bien sûr, la formation de l’iconographie chrétienne s’inscrit dans une
tradition qu’elle ne cherche pas à renier en bloc, mais plutôt à s’approprier pour créer une
figure répondant aux quelques mentions faites dans la Bible sur l’apparence de l’ange.

III.1.1.1. Les problèmes de représentation d’un être incorporel

S’ils apparaissent régulièrement dans les récits bibliques, les anges ne sont pourtant
pas clairement décrits dans leur apparence et leur mode d’apparition. Les hommes qui ont
croisé leur chemin évoquent souvent la lumière ou d’autres éléments impalpables. Matthieu
dit de l’ange qui vient voir les saintes Femmes au tombeau que « son aspect était comme
l'éclair » (Matthieu 28, 3). Ils ont parfois des formes étranges : selon les grandes visions des
premier et dixième chapitres d’Ézéchiel, et du septième chapitre de Daniel, les Trônes

1093
BUSSAGLI, 1991, p. 60.
185
apparaissent comme quatre roues en rotation, ailées et dotées d’yeux ou sous la forme de
roues entourées de flammes autour du siège de l’Ancien des jours1094.
Ils sont de toutes façons insaisissables : l’ange devant Balaam est invisible à ses yeux tant
qu’ils n’ont pas été ouverts par le Seigneur ; Raphaël s’évanouit sous les yeux des deux Tobie
(Tobie 12, 19). « Ne sont-ils pas tous des esprits au service de Dieu », comme l’indique
L’Épître aux Hébreux (Hébreux 1, 14). Leur incorporalité est également assurée par le fait
qu’ils ne mangent pas, et qu’ils peuvent, par exemple, marcher au milieu du feu sans être
consumés, comme les anges qui viennent réconforter les trois hébreux dans la fournaise
(Daniel 3, 25). S’ils apparaissent la plupart du temps aux hommes lorsqu’ils sont éveillés, ils
peuvent aussi intervenir dans leurs rêves, comme dans le songe de Jacob à propos de l’échelle
ou plus tard comme Michel à l’évêque de Siponto ou d’Avranches.

À partir du IIe siècle, une majorité des écrivains chrétiens affirme que si les anges ont un
corps, il est de nature éthérée : Tertullien, Origène, saint Ambroise, saint Jérôme, saint
Augustin. Ce dernier se demande quelle est la nature du corps des anges au moment de leur
apparition aux hommes. Il note également que le corps des hommes ressuscités ressemblera à
celui des anges1095. Au Ve siècle les Pères de l’Église grecs sont tous à peu près d’accord pour
dire que les anges sont incorporels et immatériels : comparé à l’homme, l’ange est spirituel,
comparé à Dieu, il est corporel1096. Le Concile de Nicée en 787, sans accorder une
reconnaissance franche à la nature « subtile » du corps de l’ange, en acceptera le principe. Il
n’est alors plus considéré comme un pur esprit1097, mais les théologiens du Moyen Âge ont
continué à s’interroger sur la nature des anges. Pierre Lombard au XIIe siècle, se demande à
nouveau si la corporalité des anges est différente pendant leur apparition aux hommes1098.
Selon saint Thomas d’Aquin, l’ange peut prendre un corps étranger par lequel il agit mais
dans lequel il ne vit pas, il n’a pas lui-même ni d’étendue ni de dimension, il peut se déplacer
d’un lieu à un autre sans passer par les lieux intermédiaires, mais ne peut être dans deux lieux
à la fois1099. Ces idées sont globalement acceptées par Duns Scot. Ainsi, pour le docteur
angélique, l’ange est un pur esprit, il n’a donc pas d’apparence physique mais il peut prendre
la forme d’un corps étranger1100. Enfin, l’École franciscaine pense que les anges sont
composés de matière et de forme qui constituent des esprits sans corps1101.
L’incorporalité des anges, si elle met du temps à se définir précisément, pose un autre souci
en termes de représentation : comment représenter formellement un élément immatériel ? Et si
le peintre ou le sculpteur y parvient, l’image créée ne sera-t-elle pas une forme d’altération de
la spiritualité des anges ?

1094
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 67.
1095
BAREILLE, 1930, pp. 1196-1197.
1096
GRIVOT, 1981 ou VACANT, 1930, t. I, 1, pp.1189-1192.
1097
FOMBONNE et D’ASSIGNIES, 1996, p. 70.
1098
Dist. VIII, dans VACANT, 1930, p. 1225.
1099
VACANT, 1930, t. I, 1, p. 1231.
1100
DELUMEAU, 1995, p. 7.
1101
VACANT., 1930, t. I, 1, p. 1268.
186
III.1.1.2. Un être vu donc représentable

Les anges se manifestent aux hommes dans les récits bibliques par le moyen des
apparitions. Ils n’interviennent pas directement dans l’esprit des hommes pour leur délivrer le
message divin, mais prennent une forme matérielle, physique, afin de s’adresser à eux par les
moyens classiques de la communication humaine. L’interaction entre êtres humains et êtres
angéliques, passe la plupart du temps par un ou plusieurs sens. Josué, par exemple, « leva les
yeux et vit un homme qui se tenait devant lui » (Josué 3, 13). Il le voit, et si d’autres peuvent
ne pas jouir de cette vision, elle se présente bien à l’extérieur de l’esprit de Josué, elle est vue
au sens classique du terme.
L’importance des couleurs dans les descriptions des chérubins et des séraphins, montre que la
vue est centrale dans la perception des manifestations angéliques. Ces apparitions visibles,
n’ont pourtant pas forcément une forme précise ou humaine. À ce titre, le champ lexical se
rapportant à la lumière ou au feu, se développe pour décrire les anges. Luc emploi les termes
de « rayonnant » (Luc 2, 9) et d’« éblouissant » (Luc 24, 4) ; Matthieu précise que l’ange
« avait l’aspect de l’éclair et sa robe était blanche comme neige » (Matthieu 28, 3) ; le Psaume
103, 4, note que Dieu prend « pour serviteurs un feu de flammes ». Le feu et la lumière sont
des éléments essentiels qui renvoient à la nature des anges mais également à leur apparence.
Ces idées de blancheur et de lumière seront conservées dans les textes apocryphes, et plus
tard, par saint Augustin pour qui l’ange est éclairé par sa proximité avec le créateur, et
Grégoire de Naziance qui précise que le blanc est l’image de la pureté absolue1102.
L’importance de l’usage du blanc pour les représentations d’anges est ensuite affirmée dans
l’acte du deuxième concile de Nicée1103.
Quoi qu’il en soit, puisqu’ils sont perceptibles par le vue, et descriptibles dans les textes
bibliques, les anges semblent pouvoir être représentés dans les images de la même façon
qu’ils se manifestent. Cela n’empêche pourtant pas des peintres ou mosaïstes de souligner
dans certaines épigrammes accompagnant des images de Michel l’audace dont ils font preuve
en cernant l’incorporel1104. Étudions à présent quelle apparence prennent les anges dans les
textes bibliques et dans la théologie chrétienne.

III.1.2. L’apparence des anges dans la Bible et la théologie chrétienne

Les qualificatifs associés aux anges dans la Bible, en commençant par le nom même
de ces êtres, concernent la plupart du temps leur fonction dans un épisode précis ou en
général, et rarement leur apparence physique. Plusieurs auteurs précisent ainsi qu’il n’y a pas
de physionomie des anges dans les livres saints1105.

1102
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 60.
1103
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 60.
1104
MARTIN-HISARD, 1994, p. 362.
1105
COSTA, 1981, p.111.
187
III.1.2.1. Des créatures sous forme humaine envoyées par Dieu

Selon la Bible et les auteurs chrétiens, l’ange possède un corps lumineux, éthéré,
céleste, incorruptible mais peut s’adresser aux fidèles et s’incarner dans un corps matériel1106.
Plusieurs passages des Écritures Saintes indiquent que les anges apparaissent aux hommes
sous forme humaine :
« Tandis que moi, Daniel, j'avais cette vision et que je cherchais à la comprendre, voici,
quelqu'un qui avait l'apparence d'un homme se tenait devant moi. » (Daniel 8, 15)
D’ailleurs, la plupart du temps, ils sont directement pris pour des hommes :
« Or Josué, se trouvant à Jéricho, leva les yeux et vit un homme qui se tenait devant lui, une
épée nue à la main. » (Josué 5, 13)
« Étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe
blanche » (Marc, 16, 5)
« Et il advint, comme elles en demeuraient perplexes, que deux hommes se tinrent devant elles,
en habit éblouissant. » (Luc 24, 4)
Ils peuvent être également qualifiés d’homme, comme dans Daniel 9, 21 qui parle de
« l’homme Gabriel », et non pas de l’ange à forme humaine nommé Gabriel.

Dans la Bible, ni Abraham, ni Lot, ni Gédéon, n’ont reconnu le caractère angélique de leur
interlocuteur, prouvant bien leur apparence de simples hommes.
Pourtant, les textes ne fournissent pas de détails plus précis quant à l’apparence des anges.
La personnalisation des êtres angéliques par l’attribution d’un nom est rare, et s’ils
apparaissent principalement sous la forme d’un homme en général et dans des fonctions
précises, même les anges nommés n’ont pas de caractérisation physique particulière.

L’adoption de la forme humaine se comprend aisément dans le fait que dans la hiérarchie des
êtres matériels et terrestres, le plus noble est bien sûr l’homme et c’est également celui qui
dans sa nature ressemble le plus en esprit aux anges, comme le précisait déjà le Pseudo
Denys :
« On leur donne aussi la forme humaine parce que l’ange est intelligent, qu’il peut regarder en
haut, qu’il a une stature droite et sublime, qu’il est né pour le principat et l’hégémonie […] qu’il
règne sur tous par l’éminente vertu de son intelligence […] et par son âme naturellement libre et
invincible (De la hiérarchie céleste, C. 15) 1107. »
Dieu a, de plus, créé l’homme à son image, et il n’est donc pas étonnant que les anges
puissent prendre la forme humaine, même si elle apparait dans une forme idéalisée et plus
parfaite1108. La proximité des anges et des hommes est également décelable dans le fait que
les êtres célestes possèdent les mêmes sens que les hommes : la vue, par exemple, leur permet
de contempler les secrets éternels, l’ouïe, de profiter des bienfaits de l’inspiration divine, ou le

1106
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 59.
1107
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 62.
1108
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 62.
188
goût, de s’abreuver de nourriture spirituelle. Chaque sens est élevé à la perfection, mais n’en
reste pas moins similaire à celui de l’homme1109.
Certains théologiens, tel saint Grégoire, voient même dans les hommes, le dixième chœur
angélique qui a perdu son rang à la suite du péché mais qui le récupèrera grâce à la
rédemption du péché et sera réintroduit en tant que dixième ordre. D’autres pensent plutôt que
ce rang était occupé par Lucifer et ses anges rebelles, le laissant vacant au moment de leur
chute, qui sera occupé à nouveau, après rédemption, par les hommes1110.
Pour le Pseudo-Denys, les apparitions sous forme humaine des anges aux hommes, sont des
symboles appropriés à notre intelligence pour nous faire comprendre leur nature et leur
rôle1111.

Si la figure angélique est porteuse d’une ambigüité entre sa nature et ses modes de
représentation des hommes, son image sous forme humaine n’est pas si étonnante au sein
d’une religion qui a mis l’incarnation au centre de ses croyances.

III.1.2.2. Le sexe et l’âge des anges

La Bible ne décrit pas l’apparence précise des anges à forme humaine présents dans
certains épisodes. Les anges sont pourtant considérés dans ces apparitions comme des
personnages de sexe masculin car la fonction de messager, qui détermine ses fonctions
bibliques, est une fonction normalement remplie, dans la culture hébraïque et chrétienne, par
des hommes1112. Ce constat est le même lorsque les êtres célestes remplissent des fonctions
guerrières, tels les chérubins porteurs d’une épée de feu qui gardent l’arbre de vie dans le
jardin d’Éden, ou saint Michel. Le caractère féminin est en outre associé à la faiblesse et au
péché, à une version moins parfaite de la figure humaine et donc moins adaptée pour faire
passer les messages divins1113. Pourtant les anges ne possèdent pas de sexe et d’ailleurs, les
noms des trois anges donnés dans la Bible sont tous des noms mixtes.
L’iconographie chrétienne a privilégié les figures d’anges-éphèbes, beaux adolescents
masculins imberbes dans lesquelles aucune virilité ne vient troubler un équilibre difficile entre
image masculine et caractère asexué. En effet, seuls les démons affichent clairement leur
sexualité qu’ils soient hommes, femmes ou animaux1114. La question du sexe de l’ange ne
pose pas vraiment de problème pour la figure que nous étudions. Michel, ange guerrier par
excellence, ne peut être représenté que sous des formes masculines même pour les périodes où
les créatures célestes empruntent plus volontiers des courbes et des physionomies féminines
au début de la Renaissance. L’archange, s’il conserve un visage d’éphèbe, a le corps d’un
1109
VAN DRIVAL Abbé E., 1866, p.283.
1110
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 99.
1111
BAREILLE, 1930, p. 1199.
1112
BISCONTI, 2011, p. 16.
1113
BUSSAGLI, 2000, p. 34.
1114
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 83.
189
guerrier robuste et suffisamment puissant pour vaincre le dragon. Son rôle dans l’histoire du
salut lui impose un physique particulier : celui d’un homme fort.

Créatures asexuées représentées sous la forme d’hommes, les créatures célestes n’ont pas
d’âge et sont pourtant figurées jeunes. Là encore, s’il n’apporte pas de précision, le texte
biblique atteste de cette jeunesse des anges dans leurs apparitions. Au chapitre 5 du Livre de
Tobie, Raphaël est nommé régulièrement comme un « jeune homme » :
« Ignorant que ce fût un ange de Dieu, il le salua et lui dit: « D'où es-tu, bon jeune homme? » »
(Tobie 5, 6)
Marc décrit l’ange visitant les saintes femmes au sépulcre de la même manière :
« Elles entrèrent dans le sépulcre, virent un jeune homme assis à droite vêtu d'une robe blanche,
et elles furent épouvantées. » (Marc 16, 5) 1115
L’évangile apocryphe du Pseudo Matthieu, reprend ce qualificatif :
« Et, pendant qu'elle parlait ainsi, un jeune homme resplendissant de lumière apparut auprès
d'elle » (Pseudo Matthieu 13, 5)
La figure angélique ne doit pas apparaître sous la forme d’un homme d’âge mûr qui, s’il peut
correspondre à un âge de sagesse, indique une forme de décadence d’un corps qui doit plutôt
rester parfait et vigoureux1116. La jeunesse insiste sur le caractère matériel et éphémère de
l’être auquel l’ange emprunte sa forme et donne une fraîcheur aux personnages angéliques,
même les plus forts1117. Le temps ne doit pas atteindre ces êtres éternels et immortels.

Les textes chrétiens et les représentations médiévales mettent en scène des anges masculins à
la sexualité peu affirmée et à un âge de pleine jeunesse. Pourtant un élément permet parfois de
les distinguer clairement des autres hommes : le vol.

III.1.2.3. Un homme ailé

Dans la Bible plusieurs passages indiquent que des êtres célestes sont pourvus d’ailes
ou apparaissent en vol :
« Les chérubins étendaient les ailes par-dessus, couvrant de leurs ailes le propitiatoire, et se
regardant l'un l’autre. » (Exode 37, 9)
« Des séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face,
deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler » (Isaïe, 6,2)
« L’un des séraphins vola vers moi » (Isaïe 6, 6)
« Et le bruit des ailes des chérubins s’entendit jusqu’au parvis extérieur » (Ézéquiel 10, 5)
« Une aile du chérubin avait cinq coudées et la seconde aile du chérubin avait cinq coudées, soit
dix coudées d’une extrémité à l’autre de ses ailes. » (1 Rois 6, 24)

1115
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 83.
1116
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 62.
1117
VILETTE, 1940, p. 131.
190
Cependant, ces extraits ne concernent pas tous les anges, mais deux types bien précis : les
chérubins et les séraphins. Cette attribution des ailes à ces chœurs angéliques particuliers ont
fait dire à certains auteurs qu’aucune indication biblique ne précisait que les anges, en
général, volaient1118, ce qui, au vu des extraits de Daniel et de l’Apocalypse n’est pas exact. Si
les organes ne sont pas évoqués, le vol, lui, apparait comme le moyen de déplacement des
anges :
« Je parlais encore en prière, quand Gabriel, l’être que j’avais vu en vision au début, fondit sur
moi en plein vol » (Daniel 9, 21)
« Puis je vis un autre ange qui volait par le milieu du ciel » (Apocalypse 14, 6)
Dans certains apocryphes cette idée de vol des anges est également reprise, notamment dans
Énoch :
« Dans ces jours je vis des anges qui tenaient de longues cordes, et qui, portés sur leurs ailes
légères, volaient vers le septentrion » (Énoch, 60, 1)
Les Pères préciseront que les créatures angéliques sont ailées. D’ailleurs pour Tertullien,
« Tout esprit a des ailes ; les anges et les démons en ont aussi. Donc, en un instant, ils sont
partout. La terre entière n'est pour eux qu'un seul lieu ; il leur est aussi facile de savoir ce qui se
fait et où cela se fait que de l'annoncer. Leur agilité passe pour divinité, parce qu'on ignore leur
nature. » (Apologétique 22, 8)1119

L’aile est un instrument de locomotion emprunté à l’animal volant. Elle rend compte de la
rapidité et de la nature aérienne de l’ange, média entre la terre et le ciel : Dieu étant un être
céleste et l’homme un être terrestre, les ailes des anges est l’organe par excellence qui permet
de passer de l’un à l’autre. Elles sont surtout un symbole de promptitude, et le signe visible
d’une condition différente de celle humaine1120. Pour Platon, les ailes sont clairement un
moyen de s’élever vers les dieux et elles-mêmes un signe de divinité :
« La force de l'aile est par nature de pouvoir élever et conduire ce qui est pesant vers les
hauteurs où habite la race des dieux. De toutes les choses attenantes au corps, ce sont les ailes
qui, le plus, participent à ce qui est divin »1121
Les juifs de Kabbale appellent l’ange ebra, ce qui veut dire aile. Plus tard, le Pseudo-Denys
dans la Hiérarchie céleste justifie également l’ajout des organes de vol aux êtres angéliques :
« Les ailes sont une image heureuse de la course rapide, de cet essor céleste qui entraîne
toujours plus haut…La légèreté des ailes montre que ces sublimes natures n’ont rien de terrestre
et que nulle corruption n’appesantit leur marche vers les cieux » (La hiérarchie céleste XV,
3)1122

1118
DIEGO BARRADO, 1997, pp. 133-144.
1119
Version disponible en ligne : http://www.tertullian.org/french/apologeticum.htm, traduction de J. P.
WALTZING, 1914. Voir CORRENTE, 2000, p. 20.
1120
BUSSAGLI, 1991, p. 92.
1121
Extrait de Phèdre, p. 246, disponible en ligne :
http://dutempspoursoi.free.fr/Connaissancegenerale/Philosophie/Platon.htm .
1122
Cité dans CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 84.
191
Il faut souligner également le fait qu’en leur ajoutant des ailes, ils deviennent des habitants
des airs, tout comme l’étaient les divinités des vents dans l’Antiquité, ancêtres psychopompes
des anges selon Marco Bussagli1123.

Les ailes permettent d’affirmer clairement la différence de nature des anges par rapport aux
hommes, tout en lui proposant une condition immédiate et volatile qui semble une des plus
grande constante de l’iconographie chrétienne.

III.1.3. La naissance de l’iconographie angélique

III.1.3.1. Les premiers témoignages dans l’art paléochrétien

Nous avons précisé que les anges n’apparaissaient pas systématiquement aux hommes
sous la forme humaine. Nous retrouvons parfois en Orient des représentations symboliques
des anges sous la forme de roues mais l’art occidental n’a pas adopté ces images et leur a
toujours préféré les images des anges-hommes1124. La plus ancienne image d’ange chrétien
conservée se trouve sur les parois de la catacombe Sainte-Priscille et date de la fin du IIe
siècle1125. Au moment de cette « invention » iconographique, le concept d’ange est déjà
amplement délimité sur la base de profondes réflexions théologiques, vieilles pour certaines
d’au moins mille ans1126. La peinture de Sainte-Priscille met en scène une femme assise
devant laquelle se tient un personnage debout qui tend le bras vers elle. L’épisode est identifié
comme la première représentation de l’Annonciation, et le personnage au bras tendu, vêtu
d’une tunique clavée, est ainsi l’archange Gabriel. Rien dans sa figure ne le distingue d’un
homme, si ce n’est le contexte narratif et le geste d’adlocutio qu’il accomplit.

1127

Fig. 1. Annonciation, Rome, Catacombe de Priscille, via Salaria, cubiculum de l’Annonciation, II-IIIe siècles.

1123
BUSSAGLI, 2000, p. 34.
1124
DIDRON, 1851, p. 353.
1125
BUSSAGLI, 1991, p. 48.
1126
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
1127
Image provenant de :
http://tradizione.oodegr.com/tradizione_index/commentilit/annunciazionetheotokos.htm
192
Au cimetière de San Calixte (1ère ½ IVe), l’ange apparait simplement drapé dans une tunique
blanche. Les anges sont indispensables dans la narration de certains épisodes bibliques, mais
ils ne sont reconnaissables qu’au contexte narratif dans lequel ils apparaissent1128, comme
dans les Catacombes de la Via Latina qui portent une représentation du songe de Jacob : le
patriarche voit une échelle reposant sur la terre et dont l’extrémité atteint le ciel sur laquelle
des anges montent et descendent.

1129

Fig. 2. L’échelle de Jacob, Rome, Catacombes de la Via Latina, cubiculum B,


arcosolium à droite de l’entrée, milieu IVe.

Ce sont une nouvelle fois des hommes, aptères, imberbes, vêtus d’une tunique blanche clavée,
sûrement une dalmatique, et d’un pan de tissu leur retombant sur le bras, le pallium. Ils sont
chaussés de sandales. Ce type angélique est celui que l’on retrouve le plus souvent dans les
peintures paléochrétiennes du IVe siècle et du début du Ve1130 ainsi que dans les images
d’anges sculptés sur les sarcophages de la même période1131. La dalmatique ou le
colobium1132, porté également par les orants, est souvent clavé1133 et accompagné du pallium,
sorte d’himation, manteau de forme rectangulaire qui se différenciait de la toge romaine de
forme arrondie. Le pallium est ainsi un vêtement qui symbolise le chrétien en opposition au
romain vêtu de la toge. L’association dalmatique-pallium caractérise la figure divine et les
philosophes et est ainsi portée par le Christ, les apôtres et les autres personnages importants
de la Bible1134. En le revêtant de la sorte, les peintres des catacombes ont souligné la nature
élevée des anges et l’importance de leur rôle dans l’histoire du salut.
Dans l’hypogée de la via Dino Compagni, la scène de l’hospitalité d’Abraham présente des
anges qui correspondent parfaitement à ce type. Mais dans le cubiculum E, l’ange qui arrête

1128
BISCONTI, 2011, p. 15.
1129
À propos de cette peinture, voir DIEGO BARRADO, 1997, p. 134. Image provenant de PROVERBIO, 2007,
tav. 6, p. 106.
1130
Sur les caractéristiques et le développement des premières représentations d’anges en Occident, voir
BEREFELT, 1968, p. 21 ; BISCONTI, 2000, p. 107 ; CORRENTE, 2000, p. 20 ; BISCONTI, 2011, p. 14.
1131
BUSSAGLI, 1991, p. 55.
1132
Marco Bussagli précise que la dalmatique ne possède pas vraiment de manches mais plutôt des extensions de
tissus qui retombent sur les bras. Il pense ainsi qu’il s’agit le plus souvent d’un colobium, qui possède lui des
manches. Mais les termes sont utilisés indifféremment pour l’un ou l’autre et il n’y a pas une réelle distinction
entre ces deux vêtements même dans les textes de l’époque. BUSSAGLI, 1991, pp. 52-53.
1133
Ce qui signifie que le vêtement est paré d’un clavus, deux traits colorés de haut en bas de la tunique et des
manches, caractéristique du vêtement des philosophes.
1134
BUSSAGLI, 1991, pp. 52-53.
193
Balaam sur son âne, s’il est toujours vêtu de la dalmatique clavée et du pallium, est barbu 1135
et porte une arme, symbole de son autorité et de son commandement, ce qui donne un
caractère plus grave et autoritaire à l’être céleste.

1136 1137

Fig. 3. L’hospitalité d’Abraham, Rome, Fig. 4. Balaam arrêté par l’ange, Rome, hypogée de la
hypogée de la via Dino Compagni, via Dino Compagni, cubiculum de Sansone (E),
cubiculum B. arcosolium.

Pour le IVe siècle, le Père Estivill a recensé à Rome cinquante-neuf images d’anges dans
quarante-sept monuments différents (peintures murales, bas-reliefs ou mosaïques). Ces
personnages angéliques apparaissent tous sous la forme humaine, masculine, ils sont aptères
et portent presque tous une tunique longue. Il note par contre qu’il y a autant d’anges
imberbes que barbus pour cette période1138.

Parmi les autres caractéristiques de l’iconographie des anges, il faut souligner qu’ils portent
souvent un rouleau en tant que médiateur de la Loi divine1139. Leurs expressions sont peu
variées et ils restent en général des hommes plein de gravité1140. Leurs gestes sont révélateurs
de l’action qu’ils sont en train d’accomplir, et la plupart du temps, ils lèvent le doigt pour
signifier qu’ils prennent la parole, ou ont le bras tendu dans le geste de l’adlocutio, qui
marque une parole professée avec solennité1141.
Une variation iconographique majeure apparait dans les catacombes de Domitille au IVe
siècle. Entre les deux premières figures à gauche des trois hébreux dans la fournaise, un ange
apparait avec la tunique clavée, mais sa tête est ceinte d’un cercle inédit pour une figure
angélique : le nimbe1142. L’ange chrétien fut auréolé avant d’être ailé.

Entre la fin du IVe siècle et le début du Ve, c’est la nature de la présence de l’ange dans les
scènes religieuses qui évolue puisqu’il devient un protagoniste des scènes d’introduction.

1135
Des spécimens d’anges barbus existent déjà au début du IVe siècle, dans les reliefs des sarcophages, comme
dans le couvercle du sarcophage de Publia Florentia, conservé au Musée du Capitole de Rome, qui représente
les trois hébreux dans la fournaise et au milieu, un personnage différent d’eux, barbu = l’ange qui vient les
réconforter. Cité dans BUSSAGLI, 1991, p. 55.
1136
Image provenant de PROVERBIO, 2007, tav. 3, p. 103.
1137
Image provenant de BISCONTI, 2000, planche XXXVI a.
1138
Rapporté dans DIEGO BARRADO, 1997, p. 134.
1139
BISCONTI, 2000, p. 107.
1140
CORRENTE, 2000, p. 20.
1141
BISCONTI, 2011, p. 14.
1142
BISCONTI, 2011, p. 18.
194
Déjà dans le cimetière de Vibia sur la Via Appia, une défunte est conduite par la main au
banquet des bienheureux par un angelus bonus, nommé ainsi par l’inscription qui l’entoure.
Dans ce déplacement de contexte de la figure angélique, le peintre a jugé nécessaire de
préciser la qualité du personnage représenté. Cette peinture ne s’inscrit pas dans un contexte
chrétien, mais fait partie du processus d’abstraction de la figure angélique1143.

1144

Fig. 5. La défunte Vibia accompagnée par l’ange aux Champs Elysées, et détail, Rome,
Via Appia Antica, Arcosolio di Vibia, fin IVe-début Ve siècle.

À la fin du IVe, l’ange présent dans les catacombes della ex Vigna Chiaraviglio sur la Via
Appia Antica, est l’un des derniers spécimens d’ange aptère, mais il souligne l’autonomie de
la figure angélique engagée déjà dans le cimetière de Vibia. Il correspond toujours au type
iconographique précédent (tunique longue, pallium et sandales) mais il apparait dans un
contexte totalement différent : non plus dans une scène biblique dans laquelle il serait acteur,
mais dans un contexte triomphal, prélude aux représentations auliques de la fin du IVe et du
début du Ve siècle1145. La figure angélique marque son entrée dans des scènes abibliques.

1146

Fig. 6. Maiesta Domini, Rome, Catacombe de San Sebastiano, nucleo de


l’ex Vigna Chiaraviglio, reconstruction de l’arcosolio de Paulus.

L’iconographie angélique est relativement uniforme au IVe siècle. Marco Bussagli précise que
si l’on entend par iconographie l’ensemble des attributs et des caractérisations qui définissent
une figure, alors les figures d’anges réalisées avant la fin du IVe siècle n’ont pas une
iconographie propre1147. L’ange est un homme important, acteur de scènes bibliques dans

1143
BISCONTI, 2011, p. 18.
1144
Image provenant de http://it.wikipedia.org/wiki/File:Vibia_Wilpert.jpg ; image du détail provenant de
PROVERBIO, 2007, tav. 9, p. 109.
1145
BISCONTI, 2000, p. 108.
1146
Image provenant de BISCONTI, 2011, p. 19, fig. 5.
1147
BUSSAGLI, 1991, p. 47.
195
lesquelles seul le contexte narratif permet de distinguer sa nature angélique1148. Il apparait
uniquement lorsque sa présence est indispensable au bon déroulement du récit. Dans les
autres cas, il peut être facilement remplacé par une main de Dieu sortant d’une nuée ou une
colombe1149. L’art synthétique et privé des catacombes n’a pas multiplié les figures
accessoires qui auraient pu rendre la lecture du programme moins aisée. Au IVe siècle, si
l’ange est présent, c’est qu’il est une clé dans l’identification de l’épisode représenté1150.

Les ailes sont absentes des premières représentations chrétiennes de l’ange alors même
que celles-ci sont attestées dans les textes sacrés. La peur d’une confusion dans les images
entre les êtres célestes et les divinités païennes ailées semble être l’argument le plus souvent
avancé par les historiens de l’art1151. La confusion de l’ange avec un homme était alors moins
grave qu’avec une idole païenne. La limitation de l’action angélique dans les scènes bibliques
narratives des peintures de catacombes permettait de le distinguer assez aisément des êtres
humains classiques. En outre, si les mentions d’ailes sont attestées dans quelques épisodes
bibliques (voir partie précédente), les anges sont avant tout décrits comme des hommes. Ils ne
sont pas dans les premiers témoignages de l’art chrétien des figures à qui on aurait enlevé les
ailes1152. Cette phase d’indétermination iconographique de l’ange correspond, du point de vue
de la réflexion théologique, à une période où l’orthodoxie pré-nicéenne n’avait pas prévu une
équivoque entre le Christ et les anges et n’avait pas de raison de faire représenter l’ange d’une
manière différente de l’homme1153. Fabrizio Bisconti relie quant à lui la formation tardive de
l’iconographie de l’ange ptérophore aux imprécisions qui règnent encore à cette époque sur la
nature angélique1154. C’est également à partir du moment où les anges vont apparaître dans
des contextes de scènes triomphales abibliques, à la fin du IVe siècle, qu’ils risquent d’être
confondus avec d’autres personnages.
En tout état de cause, comme le précise Marco Bussagli1155, les choix qui ont poussé les
hommes de cette époque à représenter les anges sous la forme d’hommes sans ailes sont
certainement multiples et variés, compte tenu du contexte, des choix religieux et politiques et
surtout de la complexité de la nature angélique.
À la fin du IVe siècle, l’Église devient triomphante et ne craint plus les anciennes formes du
paganisme. L’ajout des ailes aux figures angéliques, devient possible, et surtout nécessaire au
point de vue figuratif et théologique.

1148
BISCONTI, 2000, p. 107.
1149
Comme dans l’épisode des trois hébreux dans la fournaise des Catacombes de Sainte-Priscille, ce n’est pas
un ange qui intervient pour réconforter les martyrs, mais une colombe ; voir BUSSAGLI, 1991, p. 47.
1150
BISCONTI, 2011, p. 13.
1151
L’avis est partagé par Henri Leclercq, Marco Bussagli, Lourdes Diego-Barrado. Voir BUSSAGLI, 2000, p.
58 ; DIEGO BARRADO, 1997, p. 134.
1152
BUSSAGLI, 1991, p. 47.
1153
BISCONTI, 2000, p. 107.
1154
BISCONTI, 2000, p. 107.
1155
BUSSAGLI, 1991, p. 58.
196
Les ailes sont ajoutées aux figures angéliques au moment où le christianisme est assez
affirmé pour ne plus craindre une confusion avec les divinités païennes1156. Cet ajout n’est pas
accompagné d’autres modifications iconographiques de l’ange, et, pour Marco Bussagli, la
présence des ailes à partir du Ve siècle, correspond à une « apposizione iconografica » 1157.
Cet organe de vol permet surtout de distinguer les anges des hommes. Il évoque le caractère
surnaturel des êtres célestes, leur différence de nature et leur supériorité par rapport aux
hommes. Le fait même que les ailes soient souvent trop petites pour porter le corps représenté
montre qu’ils évoluent dans un domaine où la matière n’est pas terrestre1158. L’abandon du
type de l’ange barbu et l’adoption définitive d’un type adolescent confirme ce désir de
transporter l’être céleste dans une sphère, où ni la matière ni le temps, n’ont de prise sur les
corps éthérés des anges.
Ces précisions iconographiques sont liées aux mises au point théologiques effectuées sur la
nature des anges. Dans un contexte de lutte antiarienne, les Conciles de Nicée (325), et surtout
d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), proposent des éclaircissements dans les champs
christologiques et mariologiques mais également angélologiques : les anges n’ont pas la
même nature que les hommes et doivent, à ce titre, ne pas être confondus avec eux dans les
images1159. L’adoption systématique du nimbe et des ailes permet une distinction efficace à un
moment où, à la fin du IVe siècle, la différenciation devient urgente, pour créer un ordre divin
ordonné, qui ne laisse pas de place aux doctrines trinitaires hérétiques1160.
Dès les premiers siècles du Moyen Âge, la figure de l’ange évolue pour décrire toujours
mieux sa nature, précisée au fur et à mesure par les penseurs chrétiens en fonction des aléas
théologiques et historiques1161. L’image participe à la clarification de ce qui pouvait apparaître
obscure dans la nature angélique et imprime ces changements dans ses formes.

III.1.3.2. Affirmation d’une iconographie ptérophore

Les premiers témoignages conservés d’anges ailés ont été réalisés entre 432 et 4401162,
dans une mosaïque de Sainte-Marie-Majeure de Rome1163. Dans la scène de l’Annonciation
de l’arc triomphal, un ange ailé vole au-dessus de la Vierge alors que d’autres anges en pied et
toujours ailés entourent son trône. La scène d’Épiphanie au registre inférieur comprend
également quatre anges en buste derrière le trône de Jésus, et les ailes des deux anges situés

1156
BUSSAGLI, 2000, p. 34.
1157
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
1158
VILETTE, 1940, p. 51.
1159
BISCONTI, 2000, p. 108. À propos de la question de la nature des anges et de leur représentation, voir
également PROVERBIO, 2007.
1160
BISCONTI, 2011, p. 22.
1161
D’ONOFRIO, 2000, p. 80.
1162
Sous le pontificat de Sixte III. La sinopia de cette mosaïque présente la même figure mais sans les ailes.
BUSSAGLI, 1991, p. 61.
1163
DIEGO BARRADO, 1997, p. 135.
197
aux extrémités du cortège apparaissent sur les côtés. Mais l’ajout d’ailes ne change pas
totalement le type iconographique angélique : il est toujours un homme jeune, nimbé,
imberbe, vêtu de la dalmatique blanche clavée et du pallium, et portant des sandales. Ces
gestes sont également similaires à ceux accomplis dans les catacombes. Mais le nombre
d’anges se multiplie, n’apportant rien à la narration et créant déjà une sorte de cour céleste
autour de la Vierge ou du Christ1164.

1165

Fig. 7. Annonciation et Épiphanie, et détail de l’Annonciation, Rome, Sainte-Marie-Majeure,


mosaïque de l’arc triomphal, Ve siècle.

Toutefois, des études techniques de ces mosaïques ont révélé que les ailes n’étaient pas
présentes sur les dessins se trouvant sous les tesselles de l’arc triomphal et il est difficile
d’établir si elles ont été ajoutées lors du premier montage de la mosaïque ou plus
tardivement1166. Quoi qu’il en soit, la présence même de l’ange en vol au dessus de la Vierge
de l’Annonciation, ou la présence d’ailes sur les anges apparaissant dans d’autres monuments
du Ve siècle, atteste qu’à la fin du IVe et au début du Ve siècle, l’adoption des ailes dans
l’iconographie angélique se généralise. À cette période les iconographies orientale et
occidentale sont très proches en ce qui concerne les anges1167.

Les ailes ne sont pourtant pas ajoutées simultanément dans toutes les réalisations de l’art
chrétien. À Sainte-Marie-Majeure même, on retrouve dans certaines mosaïques des anges
aptères aux Ve et VIe siècles. L’ange n’a pas d’ailes lorsqu’il lutte contre Jacob ou lorsque les
trois anges apparaissent à Abraham1168. Dans cette dernière, le type angélique est le même que
celui de l’Annonciation mais les ailes sont absentes, tout comme dans la représentation de la
même scène à San Vitale de Ravenne, dans la première moitié du VIe siècle. Cependant, le
nimbe devient une constante iconographique pour l’ange bien avant les ailes.

1164
BISCONTI, 2011, p. 21.
1165
Image provenant de : http://www.flickr.com/photos/hen-magonza/4168136263/sizes/o/in/photostream/.
Détail provenant de DUSTON et NESSELRATH, 1998, p. 70, fig. 14.
1166
DIEGO BARRADO, 1997, p. 135.
1167
VILETTE, 1940, p. 54.
1168
DIEGO BARRADO, 1997, p. 135.
198
1169 1170

Fig. 8. L’hospitalité d’Abraham, Rome, Sainte- Fig. 9. L’hospitalité d’Abraham, Ravenne, San
Marie-Majeure, mosaïque de la nef centrale, Ve siècle. Vitale, mosaïque de l’arcature, milieu du VIe siècle.

Les ailes des anges sont un symbole de leur fonction de messager et la figure de
l’homme ailé répond bien aux définitions théologiques de la nature angélique : un état entre la
spiritualité totale de Dieu et la corporalité des hommes. D’ailleurs, les représentations des
ailes restent dans le domaine du signe, car elles ne sont pas la figuration d’un organe adapté à
la fonction de vol, bien souvent trop petites pour porter le corps auquel elles sont rattachées,
mais plutôt un emblème du vol et une affirmation du caractère aérien de l’être céleste 1171. À
partir du VIe siècle, les ailes deviennent une constante dans les images des anges et pour tout
le Moyen Âge : l’iconographie angélique est stabilisée sur les différents supports1172. Les
éléments de son être varient peu ensuite et les nuances sont plutôt liées aux styles, vêtements,
poses des corps et expressions des visages1173. Dès lors, les représentations des anges vont se
multiplier pour être une figure incontournable des programmes iconographiques chrétiens
occidentaux et orientaux.

Entre le VIe et le VIIe siècle, le décorum impérial cher aux artistes byzantins a, peu à peu,
pénétré l’art religieux occidental. Cet art s’inscrit surtout dans des décorations monumentales
marquées par un aspect solennel, rendu par la simplicité des lignes, un hiératisme des
personnages qui confère une certaine grandeur, sur un fond doré qui vient souligner ces
figures et participe à la somptuosité de l’image. La majorité des anges conserve la tunique
clavée et le pallium mais le style byzantin se retrouve dans leur posture et leur physionomie :
une position droite et un aspect hiératique dans une recherche de grandeur et d’autorité. Le
corps est souvent rigide et l’expression grave mais l’aspect sévère est adouci par des traits de
visage plus féminins. Ils sont nimbés et portent de plus en plus souvent le taenia, ruban qui
ceint leur chevelure et redescend sur les épaules. C’est le cas dans les mosaïques de la nef de
Sant’Apollinare Nuovo de Ravenne, bien que les anges conservent ici un certain mouvement.

1169
Référence de l’image http://www.cantualeantonianum.com/2012/10/oggi-la-chiesa-ricorda-santabramo-
luomo.html.
1170
Image provenant de :
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Meister_von_San_Vitale_in_Ravenna_002.jpg
1171
DIEGO BARRADO, 1997, p. 135.
1172
BISCONTI, 2000, p. 109.
1173
VILETTE, 1940, p. 56.
199
1174

Fig. 10. Vierge à l’Enfant entourée d’anges, Ravenne, Sant’Apollinare Nuovo, nef, deuxième
moitié du VIe siècle.

Les archanges ou les anges de rangs supérieurs adoptent, de surcroît, les costumes des grands
dignitaires de l’empire, notamment dans les terres sous domination byzantine, comme à
Ravenne, mais également à Rome. Leur tunique est richement brodée sur l’épaule et aux
poignets et maintenue à la taille par une ceinture. Ils peuvent également revêtir la chlamyde
ornée de tablion, et les chaussures brodées de perles suivant la mode orientale qui a pénétré à
la cour. Les mosaïques de saint Michel à Sant’Apollinare in Classe et de Justinien à San
Vitale, que nous étudierons plus loin, prouvent bien cette similitude de costumes entre
archanges et empereurs.

Au VIIe siècle, le style byzantin s’affirme à Rome définitivement comme dans la chapelle San
Venanzio du baptistère du Latran à Rome, construite au milieu VIIe siècle 1175. C’est
également autour du VIe siècle que commencent à apparaitre des distinctions entre les
différents types d’anges, principalement par la couleur, une physionomie particulière, une
action ou le type de vêtements et d’attributs1176. C’est également le moment où apparait le
type de l’ange militaire1177. La première représentation conservée des neuf chœurs angéliques,
à proprement parler date de 850 environ1178.
Les anges conservent au Moyen Âge les caractéristiques principales établies dans l’art
paléochrétien : la jeunesse, le nimbe, les ailes, souvent une aube blanche et un pallium, les
pieds nus et ils sont maintenant imberbes. Suivant le contexte figuratif, des variations peuvent
intervenir dans les attitudes et les fonctions des anges : ils continuent de participer à certains
épisodes bibliques mais ont surtout un rôle de présentation, d’accompagnement et d’adoration
dans les programmes iconographiques médiévaux. En plus de leurs participations aux
épisodes narratifs tirés des Saintes Écritures, le développement de la figure angélique dans les
scènes abibliques de l’art monumental fait de l’ange un élément de ce que Pierre Du Bourguet
nomme la « théologie figurative », une image qui vise à l’illustration de concepts
théologiques. Selon lui, « on passe là du concret de la vie et du récit à la théologie figurative,
sous forme néanmoins d’allégories » 1179. En fonction des contextes iconographiques, si
l’image angélique évolue peu, les peintres, sculpteurs ou mosaïstes multiplient et adaptent
1174
Image provenant du site : http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_Saint-Apollinaire-le-Neuf .
1175
DIEGO BARRADO, 1997, p. 137.
1176
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 57.
1177
BISCONTI, 2000, p. 109.
1178
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 19.
1179
DU BOURGUET, 1984, p. 244.
200
leurs attributs : globe, bâton de cérémonie, labarum, phylactères, armes, et plus tard objets
liturgiques1180.

III.1.3.3. La question des origines païennes de la figure ailée

Il semble que certaines images de divinités antiques aient pu être à l’origine de


l’iconographie angélique. En effet, puisque l’on a pu établir une filiation entre le culte des
anges chrétiens et d’anciennes divinités, ne peut-on pas trouver une certaine contamination ou
continuité iconographique avec certains êtres antiques ?

Les historiens et historiens de l’art ont longtemps pensé que les images des anges
étaient une simple version christianisée des Victoires païennes. Jeanne Villette en 1940 ne
décèle pas de différence entre les figures angéliques et celles de la Victoire. Elle admet tout de
même que d’autres éléments iconographiques ont pu procurer un langage figuratif pour les
êtres célestes, tels que ceux de l’orateur vêtu du pallium, portant le rouleau et faisant un geste
d’acclamation1181. Louis Réau trouve une filiation iconographique évidente entre la Nikè
grecque et la figure des anges ailés1182 et Erwin Panofsky partage le même avis1183. Chacun
est en effet d’accord pour voir dans le langage figuratif antique un répertoire dans lequel puise
l’art chrétien naissant auquel il vide le sens pour en donner un nouveau et André Grabar
précise qu’il ne s’agit pas d’une déviance païenne des peintres ou sculpteurs chrétiens, mais
plutôt de l’usage commun d’un langage unique des formes1184. Dans les années 2000, Fabrizio
Bisconti note l’importance du répertoire de divinités païennes qui a pu inspirer l’image de
l’être ailé, particulièrement celle de la Victoire. Pourtant, dans les années 1960, Gunnar
Berefelt explique que si les iconographies de ces deux figures semblent proches, c’est bien le
contexte figuratif qui évolue et qui ne permet pas la confusion entre figure païenne et figure
chrétienne1185. Pour lui, il est impossible de dire que la figure de l’ange découle totalement de
la figure de la Victoire qui correspond davantage à un motif dérivé du thème du triomphe1186.
En effet, l’image de la Victoire peut être employée directement en contexte chrétien - sans
pour autant représenter un ange - comme symbole de la victoire chrétienne sur le péché ou
victoire du Christ sur la mort1187. Ainsi, Sophie Cassagnes-Brouquet précise que le motif de la
Victoire ailée est repris par l’Église après la conversion de Constantin et qu’il finit par perdre
son sens païen au profit d’une interprétation chrétienne1188. Fabrizio Bisconti partage

1180
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 58.
1181
VILLETTE, 1940, p. 40.
1182
REAU, 1956, p. 34.
1183
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
1184
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
1185
BEREFELT, 1968, p. 32.
1186
BEREFELT, 1968, p. 55.
1187
BUSSAGLI, 1991, p. 70.
1188
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 36.
201
également cette vision en écrivant que c’est le contexte d’une Église triomphante des IV-Ve
siècles qui justifie l’utilisation de ce qui était par excellence le symbole de l’autorité impériale
romaine. Les succès militaires et politiques de Théodose, marquent une victoire remportée
cette fois contre les païens et qui rend possible l’assimilation des images des anges à celles
des Victoires1189. Le motif de l’ange ailé peut alors être relié de manière indirecte à celui de la
Victoire dans le contexte victorieux des représentations de certains sarcophages : à partir d’un
portrait d’empereur dans un médaillon porté par deux Victoires, le motif est transposé en
contexte chrétien et l’empereur est remplacé par la représentation du Christ ou l’un de ses
symboles ; les anges, une fois leur iconographie définie, peuvent remplacer les figures des
Victoires autour du Christ ; plus tard, le Christ, dans une mandorle, entouré d’anges peut-être
considéré comme une forme dérivée de cette iconographie triomphaliste1190. Les deux
exemples proposés montrent cette filiation de composition et de contexte de gloire : un
clipeus dans les deux cas, porté par deux figures symétriques, ailées et en vol. Mais dans le
relief païen, il s’agit de femmes portant le chiton et largement dénudées présentant le portait
de Volusia Longino, alors que le type chrétien est masculin, vêtu de l’aube et présente dans
une couronne le chrisme, symbole du Christ.

1191 1192

Fig. 11. Sarcophage de Volusia Longino, Fig. 12. Deux anges portant une couronne ornée d’un
Musée archéologique de Palerme, II-IIIe chrisme, sarcophage du Musée archéologique national
siècle. d’Istanbul, fin IVe-début Ve siècle.

Dans ce contexte, la Victoire est alors considérée davantage comme une allégorie que comme
une divinité et c’est bien l’environnement historique et spirituel triomphaliste qui autorise les
premières représentations des anges ailés à la place des Niké1193.

Marco Bussagli résume l’avis généralement admis ces dernières années en notant qu’il n’est
plus possible de considérer l’image de l’ange comme une simple dérivation de la Victoire
païenne, mais qu’elle correspond à un phénomène bien plus complexe1194. Il note en
particulier que les hypothèses d’Erwin Panofsky, qui assimilent les anges aux Victoires, sont
biaisées par le fait qu’il prend en compte les représentations déjà tardives des anges
ptérophores de la fin du IVe siècle et du début du Ve alors même que la figure angélique est
déjà clairement définie au IVe siècle dans l’iconographie paléochrétienne avant même l’ajout

1189
BISCONTI, 2000, p.109.
1190
BEREFELT, 1968, p. 54.
1191
Image provenant du site : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:DSC00394_-_Sarcofago_di_Volusia_
Longino_-_Sec._II-III_d.C._-_Foto_G._Dall'Orto.jpg
1192
Image provenant du site : http://dawsonheritage.co.uk/somerset_churches/photo.asp?ChoosePhoto=997
IstanbulNationalArchaeologicalMuseum.jpg
1193
BISCONTI, 2000, p. 109.
1194
BUSSAGLI, 2000, pp. 23-35.
202
des ailes1195. Les deux personnages restent en outre assez différents, notamment à cause de la
féminité de la figure de la Victoire, parfois même représentée les seins nus1196. L’historien de
l’art paléochrétien précise tout de même qu’au Ve siècle, l’ange prend définitivement le
majestueux aspect de la Niké, notamment à Ravenne1197.
Il n’est donc pas possible de considérer l’ajout d’ailes comme un simple motif emprunté à la
Victoire. En outre, le moment de l’invention de l’image des anges correspond en fait à une
période d’intense réflexion autour de la nature des anges, dans un contexte de précision du
dogme trinitaire1198.

L’ange a certainement reçu ses ailes avant de prendre la place des Victoires sur les
sarcophages. Les épisodes narratifs proposent des versions plus libres de la figure angélique
alors qu’une influence classique se fait ressentir dans les expressions stéréotypées des anges
au sein du thème du triomphe1199. Pourtant, ce n’est pas la forme des divinités païennes qui
était copiée pour elle-même, mais c’est parce que les figures de Victoires et d’anges étaient
toutes deux des êtres humains ailés, qu’on a pu transférer les significations d’ascendance
aulique de l’un à l’autre en les christianisant.

Il faut noter que le transfert de significations entre victoires et anges a également pu se faire
par le biais de l’art judaïque tardif. Les figures angéliques apparaissant dans les scènes
bibliques des peintures de la synagogue de Dura Europos sont figurées sous la forme de
petites Victoires, personnages féminins vêtus du chiton, comme dans la scène des ossements
desséchés de la vision d’Ézéchiel (37, 1-2) 1200. Le sarcophage juif conservé au Museo
Nazionale Romano, présente deux personnages tenant le clipeus contenant la Menorah,
symbole aulique d’origine païenne, et utilisé en contexte judaïque, tout comme les Victoires
présentent le chrisme sur les sarcophages chrétiens.

1201

Fig. 13. Scène des ossements desséchés de la vision d’Ézéchiel (37, 1-2), peinture murale
de la seconde synagogue de Doura Europos, paroi nord, registre inférieur, 254.

1195
BUSSAGLI, 2000, p. 33.
1196
BEREFELT, 1968, p. 34.
1197
BISCONTI, 2011, p. 20.
1198
BISCONTI, 2011, pp. 11-22.
1199
BEREFELT, 1968, p. 78.
1200
DIEGO BARRADO, 1997, p. 133.
1201
Image provenant du site Visual Midrash from the Tali Education Fund collection :
http://www.tali-virtualmidrash.org.il/ArticleEng.aspx?art=26
203
1202

Fig. 14. Victoires portant la Menorah, fragment de sarcophage provenant de la catacombe


juive de Vigna Randanini de Rome, conservé au Museo Nazionale Romano.

Si elles ne sont pas directement une version christianisée de la Victoire païenne, les figures
des anges ailés sont le reflet d’une continuité entre formes antiques et formes paléochrétiennes
et surtout d’une récupération chrétienne des thèmes triomphaux impériaux. À ce titre, les
anges sont également parfois assimilés aux génies ailés païens1203.

Ce qui rapproche les anges d’autres divinités païennes est, une nouvelle fois, leur paire
d’ailes. Les hommes, femmes et animaux ailés, bons ou mauvais, sont nombreux dans les
cultures antiques, de la civilisation égyptienne à celle assyro-babylonienne, ou à la religion
hébraïque. Nombre d’historiens et d’historiens de l’art ont vu dans ces génies, vents et autres
Victoires, des ancêtres de figures angéliques chrétiennes. Ces rapprochements se font à
plusieurs niveaux et on note surtout les similitudes de fonctions, de nature, d’iconographie.

Les figures angéliques sont également souvent rapprochées des figures de vent. Il s’agit de
rapprochement de fonction, puis d’un rapprochement de nature qui justifie alors un
rapprochement iconographique. Comme le précise Marco Bussagli, dans la culture hébraïque,
anges et vents se superposent : JAVHE use des vents comme messagers : on peut lire « Tu
prends les vents pour messagers » dans le Psaume 104, 103. Du point de vue de la nature,
figures d’ange et de vent sont également proches dans certains écrits chrétiens. Tertullien, en
particulier dans son Apologétique1204, définit les anges comme des êtres intermédiaires entre
Dieu, être suprême de lumière (Jean 1,5), et les hommes, créatures de la terre (Genèse 2,7), et
sont à ce titre une entité définie entre la luminosité du divin et l’opacité de l’humain donc
assimilable dans sa nature à l’air. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des similitudes entre
les représentations des vents et celles des anges qui ne sont pas uniquement formelles. Dans
l’art du Moyen Âge, on retrouve ces chevauchements, allant même parfois jusqu’à une
superposition totale, rendue possible par la christianisation du Cosmos1205. Les vents
psychopompes ont également inspiré la figure des anges, dont la fonction d’accompagnateur
des âmes était déjà précisée dans la Bible. Pour Marco Bussagli, l’attribution des ailes aux

1202
Image provenant du site : http://www.catacombsociety.org/vom/183.html#
1203
BEREFELT, 1968, p. 31.
1204
Selon Marco Bussagli, Apologeticum (22; Patrologia latina, I , col. 466).
1205
BUSSAGLI, 2000, p. 35.
204
anges dans l’iconographie du début du Moyen Âge serait ainsi le résultat de cette
assimilation, plus que d’un rapprochement entre les êtres célestes et les Victoires1206.

Marco Bussagli démontre encore que les chérubins sont inspirés de la tradition figurative des
sphinx-griffon, attestée dans toute l’aire syro-babylonienne et assyro-babylonienne, et de celle
de la divinité égyptienne de Harmertj1207. Sophie Cassagnes-Brouquet évoque dans la
transmission de croyances et de formes, le rôle de la déportation du peuple hébreu à
Babylone, alors en contact avec les croyances égyptiennes et assyro-babyloniennes, possédant
des génies ailés protecteurs et d’autres néfastes, et représentant les messagers entre Dieu et les
hommes comme des créatures ailées aux formes humaines ou animales1208.

Sophie Cassagnes-Brouquet pense également que le motif décoratif de l’Éros romain est
réutilisé directement sur les sarcophages paléochrétiens dans la figure des amours
vendangeurs1209. Marisa Corrente définit l’ange comme « l’“omologo cristiano” del
genio »1210. Dans l’art romain, les petits génies ailés sont des divinités secondaires, prenant
place dans les coins et apparaissant dans des contextes de présentation. À ce titre, les anges
reprennent ce type de représentations décoratif et stéréotypé dans certains contextes, comme
dans celui de la présentation d’héraldiques ou d’autres insignes 1211. Le rôle de psychopompe
partagé par génies païens et êtres célestes chrétiens peut également favoriser leur
assimilation1212. Mais, si le contexte peut être le même, le type du petit angelot nu voletant
autour des héros est loin de celui des anges paléochrétiens vêtus du pallium, droits,
hiératiques. Éros ou Cupidon vont surtout être à la base de l’iconographie des putti de la
Renaissance.

La figure d’Hermès est souvent rapprochée de celle du chef de la milice céleste, Michel,
notamment en ce qui concerne les implantations des lieux de culte, et parfois pour
l’iconographie1213. Rappelons enfin que les emprunts iconographiques ne se limitent pas aux
divinités païennes ailées, et que l’orateur antique, vêtu du pallium, portant un rouleau et
faisant un geste d’acclamation, est lui aussi un ancêtre formel de l’ange paléochrétien1214.

Les divinités païennes ailées ne sont pas de simples ancêtres des anges paléochrétiens, mais
font partie du grand répertoire formel dans lequel l’iconographie chrétienne en formation
puise, puis en réinterprète la symbolique pour servir le nouveau message religieux1215.

1206
BUSSAGLI, 1991, p. 128.
1207
BUSSAGLI, 1991, p. 26.
1208
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 25.
1209
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 36.
1210
CORRENTE Marisa, 2000, p. 20.
1211
BEREFELT, 1968, p. 56.
1212
BEREFELT, 1968, p. 57.
1213
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 36.
1214
VILETTE, 1940, p. 49.
1215
BISCONTI, 2000, p. 109.
205
III.1.3.4. Les anges et la querelle des images ?

Le type iconographique de l’ange se fixe autour du Ve siècle et varie peu au cours du


Moyen Âge. Les images des anges sont pourtant menacées dans le cadre de la crise
iconoclaste, au même titre que celles de Dieu ou de tout ce qui touche à la représentation de
l’irreprésentable. Les anges ont par nature un caractère aniconique et pendant la période
byzantine de la querelle des images (730-842)1216, lorsque les iconoclastes affirmaient
l’impossibilité de représenter des êtres incorporels, les défenseurs des images furent contraints
de préciser la nature angélique pour justifier leur représentation. Ainsi, Bernadette Martin-
Hisard se demande si l’intérêt pour l’angélologie n’a pas d’abord caractérisé les milieux
iconoclastes qui ont ensuite stimulé les réflexions des iconodoules, et les ont par là-même
forcés à fonder en termes orthodoxes le culte de Michel 1217. Le concile de Nicée II en 787
déclare les corps angéliques « d’air ou de feu », et affirme que les anges, intermédiaires entre
Dieu et les hommes ne sont pas de purs esprits1218, mais qu’ils sont plus spirituels que les
hommes1219, ce qui avait déjà été précisé par bon nombre de Pères de l’Église1220.
Lors du second concile de Nicée en 787, dans la IVe session, la lecture d’un texte du VIIe
siècle de Jean, évêque de Thessalonique, précise que les anges ont un corps igné, subtil, et ne
sont pas absolument incorporels comme seul l’est le créateur. Il dit plus loin :
« Ils ont été vus par ceux à qui Dieu a ouvert les yeux, et puisqu’ils sont circonscrits dans un
lieu, cela montre qu’ils ne sont pas tout à fait incorporels, comme la nature divine. Nous ne
péchons donc point en les représentant et en les honorant non comme des dieux mais comme
des créatures spirituelles, et des créatures de Dieu qui ne sont pas, à proprement parler,
incorporels. Si nous les représentons sous une forme humaine, c’est parce que fréquemment ils
ont été vus sous cette forme par ceux à qui ils ont été envoyés par le Dieu unique »1221.
Ils peuvent être rendus visibles, comme l’attestent plusieurs épisodes bibliques, et à ce titre,
leur représentation n’est donc pas un péché puisque c’est Dieu lui-même qui nous propose
cette image lorsqu’il envoie ses émissaires pour délivrer des messages aux hommes. Le très
saint patriarche Taraise, président du Concile, répond :
« Entendez ce que dit ce Père… Le Père montre qu’il faut représenter les anges parce qu’ils sont
circonscrits, et comme ils sont apparus à plusieurs hommes »1222.
Ce n’est donc pas un péché de représenter les anges s’ils restent bien dans ces images comme
dans l’esprit des fidèles, des serviteurs de Dieu.
Le décret accepté et salué par tous les membres présents déclare :
« Nous acceptons, saluons et baisons les saintes et vénérables images, conformément à l’antique
tradition de la sainte Église catholique de Dieu… ces images sont celles de Jésus-Christ, notre

1216
À propos du statut des images, de la crise iconoclaste et de ses liens avec l’iconographie byzantine, voir
GRABAR, 1957.
1217
MARTIN-HISARD, 1994, p. 371.
1218
BUSSAGLI, 1991, p. 93.
1219
BAREILLE, 1930, pp. 1195-1196.
1220
BAREILLE, 1930, pp. 1196-1197.
1221
Rapporté dans Mansi, t. XIII, col. 164, 165, cité dans VACANT, 1930, t. I, 1, p. 1267.
1222
VACANT, 1930, t. I, 1, p. 1267.
206
sauveur fait homme, puis de notre maîtresse, toujours vierge et très sainte Mère de Dieu, et des
anges immatériels qui ont apparu aux justes sous une forme humaine… afin que ces copies nous
rappellent l’original et que nous soyons amenés à une certaine participation de leur
sainteté »1223.
Il est dit plus loin que les anges sont représentés sous la forme d’hommes car c’est sous cette
forme qu’ils apparaissent aux hommes1224. La doctrine de l’Église sur le culte des saints et sur
leurs images s’applique également aux anges qui forment avec les saints l’Église
triomphante1225.
L’explosion de la représentation des anges à l’époque romane atteste que les premières
méfiances face au culte angélique, les problèmes de définition de la nature des anges et les
réticences liées à la crise iconoclaste, sont déjà loin.

III.1.4. Les anges à la fin du Moyen Âge

La formule iconographique de base de l’ange - un être humain ailé et nimbé - reste


fixe pendant toute la période médiévale. La figure angélique subit pourtant des mutations,
répondant à une complexe élaboration philosophique et théologique, mais également aux
évolutions du goût des hommes qui les commandent et les réalisent. Les changements
iconographiques touchent principalement les vêtements et les attributs portés par les anges,
qui permettent de distinguer trois groupes principaux : les anges liturges, les anges guerriers
et les anges féminisés1226. Cette dernière catégorie atteste des évolutions de la fin du Moyen
Âge qui modifient non plus uniquement les objets portés par les anges, mais également leur
physionomie, leur sexe et leur âge.

III.1.4.1. Évolutions de la représentation angélique aux derniers siècles du Moyen Âge

À la fin du Moyen Âge, la figure angélique est omniprésente dans tous les
programmes iconographiques chrétiens occidentaux, notamment dans les scènes de
représentations monumentales, mais également dans les épisodes hagiographiques et
bibliques, et plus particulièrement lors du Jugement dernier dont l’iconographie se développe
dès le XIe siècle et dans lequel les anges jouent un rôle essentiel1227.
En Italie, l’influence de l’iconographie byzantine se fait sentir longtemps dans les
représentations angéliques, dans les traits des visages, les bandes brodées de leurs vêtements,

1223
Mansi, Conc. Ampliss. Coll., t. XIII col. 130, cité dans DUHR Joseph, « Anges », dans Dictionnaire de
Spiritualité, Paris, t. I, 1937, p. 622.
1224
Mansi, t. XIII, col. 164, 165, dans VACANT, 1930, t. I, 1, p. 1267.
1225
VACANT, 1930, t. I, 1, p. 1270.
1226
D’ONOFRIO, 2000, p. 79.
1227
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 63.
207
constituant de lointaines réminiscences du costume impérial. Mais les anges occidentaux
possèdent une majesté moins hautaine que celle de leurs homologues orientaux.
En France, la prise de distance par rapport au modèle byzantin se fait de manière plus
précoce, puisque cette dernière entretenait, il est vrai, moins de contacts avec les pouvoirs et
les artistes orientaux que l’Italie. Dès le premier tiers du XIIIe siècle, le mouvement déjà
amorcé aux siècles précédents se précise et l’art religieux français propose de vêtir et de
coiffer les anges à la mode contemporaine, d’affiner et d’assouplir leur silhouette sous les plis
d’une longue tunique : ils deviennent des jouvenceaux à la mode seigneuriale1228. Mais cette
forme d’humanisation reste pleine de réserve et de douceur afin de rappeler leur nature extra-
terrestre. Les provinces du nord insistent plus volontiers dans les images sur une humanisation
moins idéalisée des figures angéliques.
En Italie, les peintures des anges de Cimabue et de Duccio sont encore empreintes de tradition
byzantine, mais jouissent d’une nouvelle vitalité et fragilité qui s’accentuent les décennies
suivantes chez les peintres du Trecento. Peu à peu, l’ange italien abandonne ses vêtements
byzantins au profit d’une simple tunique et d’un manteau, c’est une jeune personne aux
proportions harmonieuses et élégantes, souvent vêtu d’une aube et parfois d’un pallium1229.

À la fin du Moyen Âge, les vêtements des anges évoluent en Occident en fonction des
modes vestimentaires. À partir du XIIIe siècle, sous l’influence du drame liturgique où le rôle
des anges est tenu par des diacres, l’ange revêt lui-même le costume sacerdotal, la chape de
prêtre ou la dalmatique de diacre (en raison de leur jeunesse) brodée d’orfrois, attachée sur la
poitrine par un fermoir d’orfèvrerie1230. Dans l’art gothique, les anges assument alors des
fonctions liturgiques dans certains contextes iconographiques, tel que le couronnement de la
Vierge, ce sont principalement des anges cériféraires et thuriféraires. Si les peintres du nord
ont multiplié les représentations de l’ange en vêtements liturgiques, au rendu de plus en plus
somptueux et réaliste, l’iconographie italienne a privilégié d’autres types.

Cet anthropomorphisme des vêtements et des attitudes angéliques, notamment dans les
contextes de représentation aulique de la divinité, souverain en sa cour divine, participe à
faire des anges de véritables pages, courtisan au service de Dieu1231. Cette imagerie religieuse
à formes humaines peut ensuite être transposée en contextes différents et devenir objet
d’autoglorification de certains hommes qui utilisent l’image de l’ange-courtisan par exemple
sur leur propre tombeau comme élément de prestige1232. Ce rapprochement entre images de
l’ange et de l’homme est révélateur de l’évolution qui s’effectue dans la dévotion aux anges à
partir de la période romane, caractérisée par une individualisation de la protection angélique,
devenant le gardien personnel de chaque homme1233.

1228
VILETTE, 1940, p. 75.
1229
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 58.
1230
REAU, 1956, p. 35.
1231
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 141.
1232
CASSAGNES-BROUQUET, 1993, p. 143.
1233
FAURE, 1997, p. 208.
208
Dès le XIVe, en Toscane, l’ange de Simone Martini propose un équilibre entre la grandeur du
type byzantin et une délicatesse et une souplesse qui confèrent à ses figures angéliques une
élégance et un raffinement, le transformant en jeune prince aristocratique contemporain. Ce
type de l’ange raffiné aux traits, aux corps et aux positions plus humaines, connait une large
diffusion au Quattrocento, jusqu’à la période baroque où les anges affichent parfois des poses
sensuelles qui s’adaptent peu, selon certains auteurs, à leur nature angélique. Ainsi Nancy
Grubb déclare que « moins les gens croyaient à l’existence des anges, plus ils les
représentaient de façon réaliste »1234. Ce sont en réalité les évolutions des sentiments religieux
qui impriment dans les images leurs modifications qui se traduisent dans l’iconographie
angélique par le passage d’une conception solennelle à la réalité vivante1235.

Les modifications stylistiques et formelles du Moyen Âge finissant sont caractérisées par une
observation plus attentive du réel qui touche également les représentations angéliques. Si
l’humanisation est l’aspect le plus remarquable de cette évolution, un autre élément de leur
être s’en trouve modifié : leurs ailes. En plein Moyen Âge, l’art occidental en a souvent fait
un motif décoratif permettant, en modulant sa taille, de remplir l’espace vide disponible. Le
problème du vol était contourné en représentant les anges les jambes pliées à hauteur des
genoux, pour signifier qu’elles ne touchaient terre, et souvent la tête en bas. Une autre
solution iconographique consistait à accompagner le corps des anges d’un rideau de nuages -
c’est le motif de l’« angelo nuvola » - ou de tourbillons de draperies flottantes. Le manque de
vraisemblance de cet envol était entériné par la taille, la forme et la position des ailes, qui les
rendaient incapables de porter un être de cette taille. Les ailes étaient des emblèmes de vol
plus que l’organe adapté à sa fonction1236 et l’ange appartenait de toute façon à un monde où
toute forme de matérialité n’était plus soumise aux lois de la pesanteur, que l’humanité subit.
L’être angélique pouvait donc en toute liberté s’étirer, se plier, s’arrondir, se soumettre à tous
les cadres, pour le plus grand plaisir des peintres et sculpteurs médiévaux1237.
Pour répondre à ce problème de vol des être immatériels, Giotto propose une solution
iconographique intermédiaire. La matérialité dont le peintre florentin dote ses personnages
les rend plus réalistes et plus vivants, mais semble peu adaptée à la figure de l’ange. En
représentant les bustes des anges dont les jambes se fondent peu à peu dans l’air pour se
désincarner, il utilise la solution déjà adoptée par Cimabue à Assise ou par d’autres peintres
avant eux, qui consiste à cacher le corps des anges volant sous des couches de draperies, mais
il en estompe ici l’extrémité dans un dégradé qui permet au corps de l’ange de s’évaporer
dans le ciel et de perdre ainsi sa matérialité. L’ange sorti des nuées, ne fait qu’emprunter sa
forme à l’homme mais n’est pas constitué de la même matière que lui.

1234
GRUBB, 1995, p. 9.
1235
VILETTE, 1940, p. 136.
1236
REAU, 1956, p. 36.
1237
COSTA, 1981, p.112.
209
1238

Fig. 15. Giotto, Lamentation sur le corps du Christ et détail, Padoue, Chapelle Scrovegni, 1304-1306.

À partir du XIIIe siècle, les peintres et sculpteurs vont parfois s’inspirer directement de
l’observation de la nature, ici des oiseaux, comme le fait plus tard Léonard de Vinci, pour
détailler les plumes, les couleurs et les positions. La plupart du temps, si la forme et la taille
des ailes semblent s’inspirer de modèles réels, les peintres laissent libre cours à leur
imagination, en ce qui concerne les couleurs, reflet de la beauté du monde céleste 1239. Le vol
des anges est également l’objet de représentations non pas plus réalistes - dans la mesure où
les artistes n’ont pu observer directement le vol d’un homme ailé - mais plus vraisemblables,
notamment par l’agrandissement des ailes et surtout par les positions des corps des anges en
vol dont les images vont parfois jusqu’à retranscrire l’effort pénible du transport d’un corps
lourd dans les airs, ce qui est étonnant pour un être immatériel1240. Ces évolutions n’ont pu
être possibles qu’avec une science avancée de la perspective et des raccourcis.
Malgré ces avancées « techniques » en termes de représentations vraisemblables d’un homme
ailé, Sophie Cassagnes Brouquet précise que l’évolution des images des anges vers des
formes moins stylisées, a sans doute un peu nui à leur dignité de serviteur de Dieu 1241. La
question de la nature angélique transparait une fois de plus au travers des images et sera
exacerbée par une autre modification de la figure angélique : sa transformation en femme ou
en enfant.

Après les représentations d’anges barbus dans quelques peintures paléochrétiennes,


aucun trait physionomique n’a donné au Moyen Âge de caractère trop masculin aux êtres
célestes, même si les fonctions qu’ils remplissaient étaient, elles, parfois clairement
masculines. L’ange restait un personnage adolescent et asexué et seule la douceur des traits du
visage lui conférait parfois une certaine féminité. Pourtant, au XVe siècle, leur silhouette se
féminise par les courbes de leur corps, leur position et leurs vêtements. Les anges peints par
Fra Angelico sont dotés d’une grâce plus féminine mais également d’une douceur et d’une
fragilité qui prouvent qu’ils ne sont pas faits de la même matière que les humains. Les anges
de Sandro Botticelli, au chiton léger et élégant et aux gestes gracieux, présentent une
ressemblance plus affirmée avec des personnages féminins, notamment avec les figures des

1238
Image provenant de la Web Gallery of Art : http://www.wga.hu/index1.html
1239
Voir à ce propos les dégradés somptueux des ailes multicolores des anges du Jugement dernier peint par
Pietro Cavallini à Santa Cecilia in Trastevere de Rome.
1240
GRUBB, 1995, p. 85.
1241
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 90.
210
Victoires antiques. Les anges italiens de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, portent des
tenues plus féminines, des jupes souples et des corsages légers aux tissus plus délicats1242.

1243 1244

Fig. 16. Fra Angelico, Annonciation, Fig. 17. Sandro Botticelli, la Nativité mystique et détail,
Florence, couvent San Marco, 1438-1450. Londres, National Gallery, 1500-1501.

À la fin du XVe siècle, les deux personnages célestes de l’Adoration des mages de Francesco
di Giorgio Martini multiplient les aspects féminins - traits de visage, coiffure, gestes,
postures, vêtements - et l’on peut même distinguer sous la robe légère du personnage de
gauche, la naissance d’un sein.

1245

Fig. 18. Francesco di Giorgio Martini, Adoration des bergers et détail, Sienne, San Domenico, Cappella Tancredi,
1490-1495.

La conception de la beauté des anges, déjà présente dans les conceptions médiévales du
Pseudo-Denys1246, est désormais liée à la beauté féminine. Mais l’ange masculin ne disparaît
pas pour autant, comme en atteste les figures angéliques de Piero della Francesca, jeunes
hommes aptères, bien campés sur leurs pieds, qui chantent des louanges au Christ comme des
enfants de chœur dans une église.

1242
DELUMEAU, 2000, p.145.
1243
Image provenant du site : http://www.faisceau.com/ann_ang.htm .
1244
Image du catalogue en ligne de la National Gallery de Londres :
http://www.nationalgallery.org.uk/paintings/sandro-botticelli-mystic-nativity
1245
Image provenant du site : http://nativita.hypotheses.org/925 .
1246
D’ONOFRIO, 2000, p. 81.
211
1247

Fig. 19. Piero Della Francesca, Nativité, Londres, National Gallery, 1470-1475.

De même, certaines fonctions angéliques ne peuvent être réalisées par un ange féminin, telles
celles remplies par l’archange Michel. Un autre type s’impose dans l’iconographie angélique
de la fin du Moyen Âge, qui modifie non plus le sexe, mais l’âge de l’ange : celui du putti.
Dans l’art byzantin, les chérubins sont représentés par une tête ronde stylisée entourée de
quatre ailes. À partir de ce type iconographique, les peintres et sculpteurs de la Renaissance
ont représenté des têtes ailées sous la forme d’un visage rebondi d’enfant souriant ceint
d’ailes multicolores. Les chérubins qui entourent la Vierge à l’Enfant d’Andrea Mantegna
conservée à la Pinacothèque de Brera, sont déjà des têtes de bébés joufflus et ailés sortant des
nuées.

1248

Fig. 20. Mantegna, Vierge à l’Enfant et chérubins (détail), Milan, Pinacoteca di Brera, 1480-
1490.

Après avoir récupéré leur corps, comme dans la polyptique Saint-Zénon de Mantegna, ces
chérubins, créatures du deuxième chœur de la hiérarchie angélique, deviennent des angelots
dodus, jeunes enfants ailés, souvent nus et joyeux1249. Ces figures de putti - jeunes garçons -
sont particulièrement adaptées aux représentations de la Vierge à l’Enfant car ce sont des êtres
voués à l’adoration du Seigneur, et leur forme de bébé répond à la figuration de Jésus enfant
et à ce contexte doux et attentif de la maternité de la Vierge. Citons à ce propos les
célébrissimes angelots de la Madone Sixtine de Raphaël.

1247
Catalogue en ligne de la National Gallery de Londres : http://www.nationalgallery.org.uk/paintings/piero-
della-francesca-the-nativity .
1248
Image provenant du site : http://www.wikipaintings.org/en/andrea-mantegna/madonna-and-child-with-
cherubs-1490#supersized-artistPaintings-280563 .
1249
GRUBB, 1995, p. 71.
212
1250

Fig. 21. Mantegna, polyptique de Saint Fig. 22. Raphaël, La Madone Sixtine, détail,
Zénon, détail, Vérone, chapelle Saint- Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, 1513-1514.
Zénon, 1457-1460. .

Ces figures d’angelots acquièrent de plus en plus un rôle décoratif dans les programmes
iconographiques de la Renaissance et surtout de l’art baroque. L’apparition de l’ange-putti
s’accompagne du développement d’une gamme beaucoup plus large de types angéliques
variant de l’angelot-bébé, à l’adolescent, en passant par tous les âges de l’enfance. Ainsi, les
petits anges de la Pietà de Giovanni Bellini, sous la forme d’enfants ailés de quatre ou cinq
ans, semblent être bien frêles pour supporter le corps du Christ mort.

1251

Fig. 23. Giovanni Bellini, Pietà, Rimini, Pinacoteca Communale, 1474.

Le réalisme dans le rendu de ces petits corps nus ou à moitié dénudés, peut parfois entrer en
contradiction avec la nature angélique. Cette image correspond en définitive bien peu à
l’image biblique du chérubin, armé et immense et désigne d’ailleurs aujourd’hui, suite à cette
transformation iconographique, un « enfant joli et frais »1252. L’ancienne recherche de
spiritualité dans la stylisation et l’idéalisation des anges médiévaux ne semble plus de mise au
début de la Renaissance. L’ange répond à une conception nouvelle à la Renaissance qui
propose, à travers la beauté de leurs corps, la gaieté de leur représentation, la perfection, qui
les caractérisent, une nouvelle harmonie. « En Italie au XVe et au XVIe, un ange c’est avant
tout un être rayonnant de beauté »1253.

1250
Image provenant de la Web Gallery of Art : http://www.wga.hu/index1.html .
1251
Image provenant du site : http://www.aclirimini.it/wp-content/uploads/2012/08/Giovanni-Bellini-Cristo-
morto-sorretto-da-4-angeli-Ph-Parit.jpg .
1252
Définition du dictionnaire Larousse en ligne :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ch%C3%A9rubin/15162
1253
Phrase tirée de VILETTE, 1940, p. 130.
213
III.1.4.2. La différenciation des catégories angéliques

Mario d’Onofrio écrit que le plus grand défi de l’art médiéval fut de chercher une
iconographie différenciée pour chaque ordre de la hiérarchie angélique1254. Les efforts investis
dès le XIIIe pour formuler et développer un vocabulaire spécifique pour chaque ordre
angélique donnent naissance à des cycles de neuf chœurs où chacun possède une
physionomie, une action, et / ou des attributs différents, qui mettent en avant de manière
concise les propriétés et les valeurs essentielles de chaque ordre1255. Ces formulations
s’appuient sur les traités des théologiens et des maîtres de la scolastique, en particulier saint
Grégoire et Pseudo-Denys, afin d’en définir les points essentiels. Les chœurs sont répartis en
trois groupes, définis en fonction de leur domaine d’intervention : des activités angélico-
divine, angélico-cosmique et angélico-humaine1256.
Le premier ordre est constitué des Séraphins, des Chérubins et des Trônes. Le premier chœur
a un type iconographique assez fixe en Occident1257 : un ange anthropomorphique pourvu de
trois paires d’ailes et en adoration. Il peut parfois apparaitre sous une forme zoomorphique (le
plus souvent, une tête et trois paires d’ailes). La couleur qui lui est associée est le rouge.
Le deuxième chœur du premier ordre est constitué des Chérubins1258, dont nous avons déjà
parlé et dont l’iconographie est assez variable d’une région à l’autre de l’Occident. Il apparait
parfois, tout comme le séraphin, sous la forme d’un homme à six ailes, mais cette fois de
couleur bleue. Le Chérubin connait un succès particulier à partir du XIIIe siècle en Italie, sous
la forme d’une tête entourée d’ailes.
Le troisième et dernier chœur du premier ordre, les Trônes 1259, est représenté sous la forme
d’un personnage régnant, couronné, muni d’un sceptre ou d’un bâton, ou tout autre insigne
royal, tel le trône. Figure de justice, il peut parfois porter la balance.

Le deuxième ordre est constitué des Dominations, des Vertus et des Puissances. Les
Dominations1260 portent également les insignes royaux, principalement le globe, le sceptre ou
la couronne, et sont représentées en majesté.
Les Vertus1261 possèdent, elles, une variété d’attributs en fonction de l’aspect mis en avant.
Elles peuvent par exemple porter une fiole, symbole de vertu curative, mais sont également
représentées de manière plus simple, en aube, et individualisées par un geste de
commandement-bénédiction et par le port d’un sceptre.
Enfin les images des Puissances1262 s’inspirent largement de celles de l’archange Michel
combattant le dragon. Elles sont des anges-guerriers, souvent armées et foulent aux pieds un
1254
D’ONOFRIO, 2000, p. 81.
1255
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 59.
1256
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 60.
1257
À propos de l’iconographie des Séraphins, voir BRUDERER, 1998, pp. 63-64.
1258
À propos de l’iconographie des Chérubins, voir BRUDERER EICHBERG, 1998, pp. 65-66.
1259
À propos de l’iconographie des Trônes, voir BRUDERER EICHBERG, 1998, pp. 68-69.
1260
À propos de l’iconographie des Dominations, voir BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 71.
1261
À propos de l’iconographie des Vertus, voir BRUDERER EICHBERG, 1998, pp. 75-79.
1262
À propos de l’iconographie des Puissances, voir BRUDERER EICHBERG Barbara, 1998, pp. 80-82.
214
démon. Elles peuvent également être revêtues d’une simple tunique et d’un pallium, et tenir à
leurs pieds un diable enchaîné. La puissance de ce chœur est figurée par sa domination
physique du mal.

Le troisième et dernier ordre comprend les Principautés, les Archanges et les Anges. Le
premier chœur1263 est souvent confondu avec les Dominations avec qui il partage les mêmes
attributs. L’art italien insiste particulièrement sur l’aspect guerrier, où les Principautés sont
régulièrement porteuses d’un gonfanon dans les peintures toscanes, ou reprennent
l’iconographie impériale romaine à Venise. L’image des Principautés est associée à celle d’un
légat ou d’un gouverneur qui souligne les vertus belliqueuses d’un capitaine d’armée.
Saint Thomas d’Aquin et le Pseudo-Denys ont souligné la position médiane de l’ordre des
Archanges, dont les propriétés sont comprises entre celles des Principautés et celles des
Anges1264. Leur iconographie est proche de celle des Anges : ils peuvent porter par exemple la
dalmatique et le pallium ou des vêtements liturgiques. Ils sont souvent représentés en tant que
protecteurs d’une ville. En fait, l’iconographie des Archanges s’inspire largement de
l’iconographie de l’archange, Michel. Ils sont ainsi porteurs de balance, guerriers, porteurs du
globe. Les trois archanges Michel, Gabriel et Raphaël peuvent également être figurés, chacun
avec leurs attributs spécifiques, pour représenter leur catégorie angélique.
Enfin, dernier chœur du dernier ordre, les Anges1265 constituent la catégorie la plus
représentée et la plus variée. Dans le contexte de la représentation des neuf chœurs
angéliques, les Anges apparaissent principalement en vêtements liturgiques, en musiciens ou
en messagers (par la présence du rouleau, du bâton ou du phylactère).

On observe une certaine discontinuité des solutions figuratives pour les neuf chœurs
angéliques mais qui sont pourtant en étroites relations avec les discutions théologiques et
celles des prédicateurs scolastiques1266. Cette iconographie est particulièrement intéressante
dans la mesure où elle marie la perception théologique d’une hiérarchie céleste à celle du
système terrestre et transpose ainsi différentes catégories de distinctions et de symboles dans
la sphère terrestre aux ordres célestes1267.

III.2- Généalogie de l’image michaélique au Moyen Âge jusqu’à 1200

Nous avons déjà analysé les apparitions de Michel dans les textes bibliques et
apocryphes. Résumons ici les éléments qui nous fournissent des indications sur son aspect

1263
À propos de l’iconographie des Principautés, voir BRUDERER EICHBERG, 1998, pp. 84-85.
1264
À propose de l’iconographie des archanges dans les neuf chœurs angéliques, voir BRUDERER EICHBERG,
1998, pp. 85-88.
1265
À propose de l’iconographie des anges, voir BRUDERER EICHBERG, 1998, pp. 89-90.
1266
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 90.
1267
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 91.
215
physique. Il n’est pas décrit physiquement dans les Écritures Saintes où il n’est question que
de sa nature et de ses fonctions. Cependant, ces éléments prouvent que l’archange apparait
aux hommes sous forme humaine puisque Daniel, par exemple, le décrit comme « un grand
prince » (12, 1), où le terme prince atteste bien d’une forme anthropomorphe, même si
l’adjectif grand se réfère probablement plus à une qualité intrinsèque de sa personne qu’à une
caractéristique physique. Les Apocryphes sont légèrement plus détaillés en ce qui concerne la
description physique de Michel lors de ses apparitions. Dans le Testament d’Abraham, le
prophète qualifie l’archange, qu’il n’a pas encore reconnu, de « vénérable soldat » (II, 4) et lui
demande également : « d’où vient la jeunesse de ton âge » et « explique-moi quelle est ta
beauté » (II, 5). Lorsqu’il décrit physiquement le soldat, il le trouve « d’une bien plus noble
prestance que tous les fils des hommes » (II, 4) et il dit plus loin que « son apparence
l’emporte sur tous les fils des hommes » (IV, 3). D’ailleurs Isaac, en voyant son visage,
reconnait tout de suite sa nature non humaine, en disant à sa mère que l’ « homme qui est
assis avec mon père n’est pas un fils de la race de ceux qui habitent sur la Terre ! » (III 5). Il
faut donc retenir ici que Michel apparait bien sous la forme humaine aux hommes, mais dans
un corps transcendé par la beauté, la prestance et la jeunesse.
D’autres éléments indiquent une forme anthropomorphe pour Michel dans les apocryphes,
comme dans l’Apocalypse de Paul, où « Michel et toute l’armée des anges se prosternèrent »
(14f), action qui renvoie bien évidemment à un corps humain qui s’abaisse vers le sol en
signe de respect, ou dans l’ Assomption de Marie où le Seigneur dépose l’âme de Marie dans
« les mains de Michel » (transitus grec « R », 35).

Les textes plus tardifs relatifs aux différentes apparitions de l’archange, orientales ou
occidentales, n’insistent pas sur les aspects physiques de Michel. L’Apparitio prouve que
l’être humain n’est pas la seule forme qu’il peut prendre, puisqu’il apparait dans les premiers
épisodes du Mont Gargan sous la forme d’un taureau. Pourtant, comme le précise Pina Belli
d’Elia, il n’y a aucune indication physique sur l’archange dans ce texte1268.

Il y a donc bien peu d’éléments dans les textes chrétiens qui nous permettent d’appréhender
l’apparence que prend Michel : une forme humaine, une allure de prince ou de soldat, une
beauté et une jeunesse remarquable. Sa fonction guerrière en fait toutefois indirectement un
personnage de sexe masculin. Si quelques mentions évoquent le vol de Michel ou sa descente
du ciel, aucune n’est faite sur la présence d’ailes. Sa nature angélique lui confère de toute
façon les mêmes particularités que les anges (voir ainsi la partie précédente sur « l’apparence
des anges dans la Bible et la théologie »).

Nous aborderons dans cette partie les origines de l’iconographie de saint Michel et son
évolution jusqu’à 1200. Il s’agit ici d’un panorama rapide puisque l’origine de chaque type
iconographique composant la typologie sera reprise en détail dans le chapitre suivant.

1268
BELLI D’ELIA, 2003 (2), p.523.
216
III.2.1. L’invention de l’image de Michel « tra Roma e Costantinopoli »1269 (Ve-VIe
siècles)

III.2.1.1. Les premiers témoignages orientaux

Parmi les premiers témoignages figurant Michel, se trouvent plusieurs objets, de


datation incertaine, qui reprennent une iconographie déjà bien implantée en contexte païen et
rebaptisent un ou plusieurs personnages avec un nom chrétien.
Un disque de plomb de Carthage présente sur la face un personnage ailé dont la tête parait
nimbée, tenant dans la main droite une longue haste, sans doute une croix et au revers, une
inscription sur trois ou quatre lignes :
APX À
//////Λ///
MIXAH
////////
Cette inscription est à compléter, selon Henri Leclercq, de la manière suivante : αρχαγγελος
Mιχαηλ, l’archange Michel1270. Mais l’auteur, s’il précise que cet objet appartient à la période
de l’Antiquité, n’en précise pas la datation.
Selon le même auteur, et toujours à Carthage, on a retrouvé dans les citernes romaines de Dar-
Saniat, une figurine de Mercure en bronze couverte d’inscriptions gnostiques, dont le
déchiffrement est malaisé. Sur le côté extérieur de l’avant-bras droit, du coude au poignet on
lit, par contre, en lettres très nettes : MIXAHΛ1271. Parmi les premiers témoignages de
l’image de saint Michel, on observe une réutilisation de l’image d’une divinité païenne
rebaptisée au nom de l’archange. D’autres images michaéliques sont attestées sur les gemmes
gnostiques où Michel possède souvent les mêmes attributs que certains dieux païens : des
personnages masculins, ailés, portant une lance1272.

Dans l’art monumental, la figure de saint Michel n’apparait plus comme un dieu païen
rebaptisé, même s’il en conserve plusieurs caractéristiques iconographiques. Il est représenté
avec saint Jean sur le mur du fond du sanctuaire à Deir Abou Hennys au monastère saint Jean,
près de l’antique Antinoë. Une inscription le nomme « el melek Mikhâyl ». Il est figuré en
pied, un sabre à la main gauche, et dans la droite un tout petit buste dont on ne voit que la tête
et les épaules. Il défend sans doute, selon Victor Saxer, l’âme d’un défunt non nommé contre
les embuches du Diable1273. Une autre image dans un sanctuaire voisin, celui de Saint-

1269
Extrait emprunté à Pina Belli D’Elia à propos de la formation de l’image apocalyptique de Michel, dans
BELLI D’ELIA, 2000, p. 123.
1270
Citation retranscrite dans LECLERCQ, 1933, t. XI, 1, p. 906, provenant elle-même de DELATTRE,
Découvertes archéologiques à Carthage, dans Bulletin archéologique du Comité, 1918, p. CCXIX.
1271
LECLERCQ 1933, t. XI, 1, p. 907.
1272
MARA, 1967, p. 437.
1273
SAXER, 1985, p. 377.
217
Kollouthos, est accompagnée d’une légende qui indique : « Dieu de l’archange Michel, fais
miséricorde à l’âme du bienheureux Léontios qui s’est reposé le… du mois de Papoi, dans la
14e indication »1274. Pierre Du Bourguet situe ces peintures aux alentours du milieu du VIe
siècle1275 alors qu’une date plus avancée est proposée dans la Catholic Encyclopedia, entre le
VIIe et le VIIIe siècle1276.

Selon Mina Martens, une des plus anciennes figures de Michel en contexte chrétien se trouve
au pied-droit de la porte de l’église d’Alahan en Isaurie (Turquie), et a été réalisée au milieu
du Ve siècle. Il s’agit d’une sculpture d’un personnage, nimbé ou non, vêtu d’une tunique
courte, paré de deux grandes ailes, portant dans la main droite un globe et dans la gauche une
balance à deux plateaux, les pieds reposant, selon elle, sur deux bustes humains1277. Gioia
Bertelli ne reconnait pas une balance mais une fine lance ou peut-être une épée et une datation
légèrement plus tardive (VIe siècle)1278. L’état de conservation de la sculpture rend en effet la
lecture malaisée et il est difficile de dire si les traits verticaux visibles sur chacune des jambes
de l’archange correspond à l’évocation des plis de sa tunique ou à la représentation des fils
portant les plateaux d’une balance. Il semble alors impossible d’affirmer que les premiers
témoignages orientaux privilégiaient déjà l’aspect psychopompe de l’archange.

1279

Fig. 24. Saint Michel au pied-droit de la porte de l’église d’Alahan, en Isaurie, Turquie, ½ Ve.

Un autre exemple oriental, à l’iconographie proche de celle d’Alahan, se trouve sur une
médaille du collier du trésor de Mersine, conservée au Musée de l’Hermitage de Saint-
Pétersbourg1280.

1274
SAXER, 1985, p. 377.
1275
DU BOURGUET, 1984, p. 252.
1276
« Antinoe », dans Catholic Encyclopedia, New York, Robert Appleton Company, volume 1, 1907.
1277
MARTENS, 1978, p. 143.
1278
BERTELLI, 1986, p. 145.
1279
Provenance de l’image :
http://www.pbase.com/image/95773784
1280
BERTELLI, 1986, p. 145.
218
1281

Fig. 25. Saint Michel sur une médaille, détail d’un collier d’enfant conservé au Musée de
l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, V ou VIe siècle.

André Grabar reconnait sur ce pendentif, faisant partie d’un collier prophylactique d’enfant,
un personnage ailé vu de face et tenant un labarum. Selon lui, il s’agit d’un archange,
certainement le plus célèbre d’entre eux, Michel. Cette image reprendrait le modèle d’un
revers courant de monnaie byzantine1282 représentant un ange debout, de face, tenant une
grande croix latine. Le même type, mais présentant la figure de profil, était plutôt développé
jusqu’au règne d’Anastase et devint rare sous Justinien Ier. Il est alors, dans un second temps,
remplacé par ce type à l’archange de face, ce qui permet à André Grabar de dater ce collier du
V ou VIe siècle.

Les images de saint Michel se multiplient dans le premier art byzantin dans les arts
monumentaux et les arts mineurs. Une plaque d’ivoire réalisée entre 525 et 550 à
Constantinople1283, présente Michel ailé, les pieds nus, en tunique et pallium portant un globe
surmonté d’une croix et le bâton de commandement. Il s’agit ici d’un type angélique classique
additionné d’attributs de commandement.

1284

Fig. 26. L’archange Michel, plaque en ivoire, Londres, British Museum, 525-550.
1281
Datation et image, GRABAR, 1951, Vol. 6, pp. 25-49.
1282
Les lettres « CONOB » en exergue = atteste d’une provenance d’un atelier de Constantinople ; GRABAR,
1951, Vol. 6, p. 28.
1283
Datation proposée par le British Museum. Au sujet de cette plaque d’ivoire, voire également TALBOT RICE,
1959, planches 48 et 49, notice p. 280 et BERTELLI G., 1986, p. 144.
1284
Image provenant du catalogue en ligne du British Museum : http://www.britishmuseum.org/research/
collection_online/collection_object_details/collection_image_gallery.aspx?assetId=806341&objectId=62025&pa
rtId=1 .
219
Dans les images orientales, il est précocement rejoint par Gabriel avec qui il escorte la Vierge
ou le Christ. Cette fonction et son rôle dans la Bible justifient alors le port d’armes par
l’archange dès les premiers témoignages iconographiques. Dans la mosaïque de l’église de
l’Anghelòtistos à Kiti, près de Chypre, datée du VIe siècle, les archanges portent un simple
bâton et un globe mais leur position, leur grandeur et leur mouvement soulignent leur fonction
protectrice du couple divin figuré au centre de la composition1285. Le type est cependant
toujours celui de l’ange tel qu’on le retrouve dès le Ve siècle dans le monde latin :
personnages jeunes et masculins, leur tête est nimbée et ceinte d’un taenia, ils portent une
tunique clavée et un pallium, et des sandales aux pieds. La présence même des inscriptions
nommant les deux archanges, prouvent que leur type iconographique n’est pas encore
suffisamment différencié pour se permettre de ne pas préciser qui ils sont. Il faut tout de
même noter la richesse de la représentation dans la dorure de la bande clavée et surtout dans
la représentation des ailes, aux motifs rappelant celles d’un paon, symbole christologique
d’éternité.

1286

Fig. 27. La Vierge à l’Enfant entourée de Michel et de Gabriel, et détail,


Kiti, église de l’Anghelòtistos (Chypre), VIe siècle.

Catherine Jolivet-Lévy insiste sur le rôle d’escorte céleste assumé par les deux archanges dans
les décors monumentaux de Cappadoce. Elle précise que c’est à partir de cette fonction de
protecteur de la divinité, assumée clairement dans les programmes iconographiques, que
Michel est représenté également en gardien à l’entrée des sanctuaires, ou plus rarement sur
des panneaux isolés, sortes d’icônes monumentales peintes sur les parois des églises1287.

Dès le VIe siècle, les programmes byzantins proposent des représentations de l’archange
portant les vêtements d’un dignitaire de la cour impériale. Il est vêtu d’une tunique droite
surmontée du lôros, et chaussé de bottes de pourpre et d’or, et semble déjà supérieur aux
autres archanges en prenant dans ces peintures et mosaïques des allures impériales1288. Pour
Colette Lamy-Lassalle, le lôros est déjà considéré comme le vêtement typique des empereurs

1285
À propos de cette mosaïque, voir BELLI D’ELIA, 2000, p. 123.
1286
Image provenant du site : http://www.soniahalliday.com/category-view3.php?pri=CY80-10-07.jpg .
1287
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp. 187-198.
1288
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.187.
220
au VIe siècle et les parallèles iconographiques entre empereur et archange sont très courants
dans l’art byzantin. Comme précisé dans le premier chapitre1289, plusieurs auteurs s’accordent
à reconnaitre les similitudes de vêtements, d’attitudes ou de style de ces deux types de
personnages, même si les raisons peuvent varier : Cyril Mango évoque des analogies avec la
divinité phrygienne Attis1290 ; Henry Maguire met l’accent sur la glorification de l’empereur
par son assimilation à l’archange1291 ; et Catherine Jolivet-Lévy insiste sur la similitude de
fonction et de statut des deux personnages1292.
Cette assimilation iconographique est particulièrement lisible dans un fragment de peigne
réalisé à la fin du IXe siècle et représentant l’empereur Léon VI couronné par la Vierge et
dont Michel constitue le pendant ailé à la figure impériale. Ils portent les mêmes vêtements
(tunique et loros) et les mêmes attributs (globe et haste) à l’exception de la couronne pour l’un
et des ailes pour l’autre1293. Si on ne peut les confondre, il est évident dans cette image que
Michel et Léon possèdent la même dignité.

1294

Fig. 28. Poignée de peigne représentant l'Empereur Léon VI couronné par la Vierge,
Berlin, Bode museum, fin du IXe siècle.

Au VIIe siècle, Michel est parfois assis sur le tabouret d’honneur, doté d’une chlamyde ornée
du tablion et de bottes pourpres réservées aux empereurs1295. L’iconographie de l’archange du
type impérial se répand rapidement dans les territoires orientaux sous influence byzantine,
comme en Égypte où l’on retrouve à partir du VIe siècle des anges vêtus de la chlamyde et du
lôros1296 et particulièrement après la crise iconoclaste dans tout l’Orient1297.

1289
Voir à ce propos le chapitre 1. I.2.1.2.2. L’archange aux vêtements impériaux byzantins.
1290
MANGO, 1986, p. 39.
1291
MAGUIRE, 1989, pp. 217-231.
1292
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp. 187-198.
1293
À propos de ce relief, voir BERTELLI G., 1986, p. 148.
1294
Image provenant du site : http://www.histoire-fr.com/byzance_empire_byzantin_grandeur_decadence_3.htm
.
1295
VILETTE, 1940, p. 182.
1296
DEL FRANCIA, 2000, p. 53.
1297
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p. 121.
221
En Orient, si les images monumentales sont les plus courantes, privilégiant l’archange en
vêtements de cérémonie, on illustre également les épisodes bibliques où Michel intervient, et
les miracles qui lui sont attribués à Chônai ou à la piscine de Bethesda par exemple1298. Ces
images mettent en avant sa fonction de guérisseur. Les deux aspects du culte de Michel de
thaumaturge et de taxiarque sont difficilement dissociables dans l’iconographie byzantine1299.
Cette diversité des contextes iconographiques orientaux atteste bien une nouvelle fois de la
diversité et de l’adaptation du culte de l’archange dès ses origines, mais également des
contacts cultuels, culturels et artistiques entre l’Orient et l’Occident, puisque ces aspects
seront également présents dans l’iconographie occidentale. Les premières images de Michel
sont, comme l’art byzantin en général, dominées par une conception religieuse distante,
solennelle, et une grande richesse vestimentaire qui confère un caractère hiératique et
merveilleux aux images.
Mais, selon Bernadette Martin-Hisard, son iconographie byzantine ne se distingue pas pour
autant des autres archanges car, le problème pour la mise au point d’une différenciation de
Michel, est qu’il n’existe pas de texte hagiographique rédigé avant le VIIe siècle (date de la
rédaction grecque du miracle de Chônai) ni aucun traité patristique sur Michel en
particulier1300. Son iconographie est ainsi jusqu’au VIIe siècle, commune aux autres
archanges. L’historienne précise que ce n’est qu’au XIe que les cycles bibliques et historiques
des miracles de Michel sont devenus un thème iconographique (dont les portes du Mont
Gargan réalisées à Constantinople constituent l’un des premiers témoignages) suite à la
grande diffusion du recueil de Pantoléon1301.

Ces types de l’archange-militaire et de l’archange-empereur, se déploient également dans


l’aire d’influence grecque, notamment en Italie.

III.2.1.2. Les premiers témoignages occidentaux

Alors que les dévotions à l’ange prenaient naissance en Asie Mineure, il semble que la
définition de son iconographie soit surtout le fait de l’art paléochrétien latin. La naissance du
culte michéalique, étroitement liée à celle des anges comme nous l’avons vu dans le premier
chapitre, a également ses origines sur les terres orientales, mais il semble que la mise au point
de son image ait une histoire plus complexe. En effet, Michel n’apparait pas sur les murs des
catacombes au IVe siècle ni sur les reliefs des tombeaux chrétiens de l’Antiquité tardive. Les
images orientales datées aux alentours du VIe siècle que nous venons d’étudier sont quant à
elles des témoignages isolés, souvent mal conservés et mal datés. Alors que la figure de
Michel a un rôle moteur dans le développement des dévotions et du culte aux anges en Orient

1298
Voir à ce propos GABELIĆ, 1989, p.95-103.
1299
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.196.
1300
MARTIN-HISARD, 1994, p. 362.
1301
MARTIN-HISARD, 1994, p. 373.
222
puis en Occident, la définition de son image semble prendre un certain retard par rapport à ses
homologues célestes. Cela peut certainement s’expliquer par la nature des représentations des
premières images chrétiennes. Au moment où sont réalisées les peintures des catacombes,
images essentiellement narratives, si les anges sont représentés, c’est qu’ils ont un rôle
déterminant dans le récit imagé et apparaissent ainsi en tant qu’acteurs du récit biblique. Nous
avons déjà souligné qu’il n’y a pas au IVe et au début du Ve siècle d’image monumentale ou
de scène clairement destinée à glorifier la créature céleste. En ce qui concerne les scènes
bibliques où intervient Michel, ce ne sont pas, à ce moment du développement de
l’iconographie chrétienne, des scènes particulièrement prisées et figurées, notamment dans les
épisodes eschatologiques qui sont alors seulement évoqués par des représentations
symboliques mais ne présentent pas le caractère concret des événements apocalyptiques. Il
faut noter également une nette préférence pour les épisodes de l’Ancien Testament dans les
premières scènes bibliques de l’art chrétien, en particulier celles évoquant le martyre et
l’Alliance1302. L’émergence en Occident du culte de Michel et des anges et l’apparition de
scènes abibliques dans l’art monumental chrétien ont été les deux conditions qui ont permis le
développement d’images de l’archange dans le monde latin et une définition plus précise de
l’iconographie angélique en général, qui était encore jusque-là en formation et mal définie. Il
n’y a pas d’image paléochrétienne de l’archange dans le monde latin de même qu’on ne
trouve pas, selon moi, de Michel aptère.
En définitive, l’essor de l’iconographie michaélique semble se faire d’une manière simultanée
en Orient et en Occident dès le Ve siècle et surtout au VIe siècle. Nous retrouvons sur les
terres occidentales les types principaux de l’archange : celui de l’ange paléochrétien -
accompagné d’une inscription le nommant - devenu protecteur de la divinité, celui du guerrier
et celui de l’empereur byzantin. Par contre, la figure de Michel thaumaturge ne pénètre pas
sur les terres italiennes.

Sur la mosaïque déposée provenant de l’église San Michele in Africisco de Ravenne


consacrée en 546, Michel et Gabriel apparaissent, comme dans la mosaïque de Kiti, en escorte
de la divinité. Comme le Christ, ils sont vêtus d’une tunique et d’un pallium et chaussés de
sandales. Les deux archanges sont nimbés, coiffés du taenia, et portent un bâton. Puisque là
encore, leur type iconographique ne permet pas de les distinguer, des inscriptions les
nomment, tout comme à l’église de l’Anghelòtistos. Michel et Gabriel ne diffèrent pas dans
leur représentation des autres anges de la même période. Si leur type iconographique n’est pas
encore clairement défini, leur situation dans la composition, leur proximité à la divinité et leur
taille, similaire à celle du Christ, en font déjà des sur-anges, des archanges. Malgré cela,
aucune différence n’est décelable - hormis l’inscription - pour distinguer Michel de Gabriel.

1302
Voir au propos des premiers thèmes bibliques développés dans les images chrétiennes, DU BOURGUET,
1984, pp. 233-256.
223
1303

Fig. 29. Christ entouré des deux archanges, mosaïque déposée et conservée au Bode Museum, VIe siècle.

Les similitudes iconographiques et stylistiques entre cette composition et leurs


contemporaines orientales attestent de contacts d’un bout à l’autre de la Méditerranée.
Ravenne entretient des rapports étroits avec l’empire romain d’Orient pendant l’Antiquité
tardive puis au début du Moyen Âge, et devient même le siège de l’exarchat byzantin d’Italie
à partir de 568.

Le style et l’iconographie de l’art byzantin est décelable dès le Ve siècle dans les
différents monuments de la ville. Cette influence byzantine est particulièrement prégnante
dans la représentation de saint Michel de la basilique Sant’Apollinare in Classe, dont les
décorations à mosaïque datent du VIe siècle. L’archange y apparait nimbé, ailé et coiffé du
taenia et il porte un costume similaire à celui de l’empereur Justinien figuré à San Vitale à la
même période : une tunique blanche, courte, ceinturée et aux bords rebrodés d’or - peut être la
divitision - une chlamyde ornée d’un tablion et tenue par une fibule circulaire à pendeloques,
des chausses pourpres décorées de pierreries. Michel présente un étendard orné du trisagion et
l’inscription de son nom est toujours présente à proximité de sa figure.

1304 1305

Fig. 30. Saint Michel, Ravenne, Fig. 31. L’empereur Justinien et sa cour,
Sant’Apollinare in Classe, Montant de l’arc Ravenne, San Vitale, panneau latéral de
triomphal, VIe siècle. l’abside, 547.

Mais le modèle impérial n’est pas un type réservé à Michel. Gioia Bertelli émet, pour l’art
occidental, la même remarque que Bernadette Martin-Hisard avait faite pour l’art byzantin : il
n’y a pas, dans les premiers siècles, de différenciation iconographique nette entre Michel et

1303
Référence de l’image : http://guidaravenna.blogspot.fr/2012/02/san-michele-in-africisco-di-ravenna.html
1304
Image provenant du site :
http://postcards-from-italy.seesaa.net/upload/detail/image/RAVENNA_Basilica20S.
20Apollinare20in20Classe20(sec.20VI)20-20S.20Michele20(1)-thumbnail2.jpg.html
1305
Image provenant du site : http://en.wikipedia.org/wiki/Basilica_of_San_Vitale .
224
les autres archanges et son type n’est pas encore caractérisé 1306. L’utilisation courante de
l’inscription pour le nommer atteste de ces imprécisions iconographiques.
Le modèle byzantin s’est ensuite simplifié pour proposer une formule où Michel porte
toujours la lance et le globe et est vêtu d’une tunique longue et d’un lôros, longue écharpe
ornée de pierreries, tout en conservant frontalité et hiératisme1307. Comme nous l’avons déjà
précisé, le lôros est déjà porté au VIe par les dignitaires de la cour et devient le vêtement
typique des empereurs byzantins dès le VIIe siècle1308, indispensable lors des grandes
cérémonies et dans les portraits impériaux. Il est également porté par les anges dans les
images, comme l’atteste la représentation de quatre des neuf chœurs angéliques, datée de la
fin du VIe siècle, de l’église détruite de la Dormition à Nicée1309. Si l’adoption du lôros par
Michel se fait d’une manière plus précoce dans le monde byzantin1310, nous retrouvons des
traces de cette iconographie en Italie à partir du IXe siècle. Dans la peinture murale déposée
provenant de la Maison de Giovanni e Paolo à Rome et datée par Colette Lamy-Lassalle du
IXe siècle, le Christ est entouré de deux figures ailées portant le lôros, probablement Michel et
Gabriel1311.

1312 1313

Fig. 32. Christ et deux archanges, maison de Pierre et Paul, Fig. 33. Archange, grotte de San
Celio, Rome, reconstitution de la peinture murale déposée, IXe. Michele, Arpino, XIIe ( ?).

Simone Piazza rapproche pourtant cette peinture de celle que l’on peut trouver dans la grotte
d’Arpino qu’il date tardivement, du XIIe siècle1314. Une autre peinture à la datation incertaine
représente Michel vêtu du lôros et pourrait avoir été réalisée au IXe ou au Xe siècle. Il s’agit
d’une peinture d’Olevano sul Tusciano où l’archange bénit trois moines pèlerins1315.

1306
BERTELLI G., 1986, p. 143.
1307
BERTELLI G., 1986, p. 148.
1308
LAMY-LASSALLE, 1968, pp. 189-198.
1309
BUSSAGLI, 1991, p. 286.
1310
Voir à ce propos la partie précédente chapitre 2, II, 1.2.1.1. Les premiers témoignages orientaux.
1311
LAMY-LASSALLE, 1968, p. 189.
1312
Image provenant du site des maisons : http://www.caseromane.it/storia.html .
1313
PIAZZA, 2007, p. 287.
1314
Image provenant de PIAZZA 2007, tav. 36.
1315
FORCELLINI, PROSPERETTI, 2003, pp. 102-106. Les auteurs affirment que la peinture est antérieure au
XIe siècle, mais ne peuvent garantir qu’elles appartiennent bien au IXe siècle.
225
1316

Fig. 34. Saint Michel bénissant trois moines pèlerins, Grotta di San Michele, Olevano sul Tusciano, IXe siècle.

Nous ne pouvons pas affirmer que les premiers témoignages occidentaux de l’archange
portant l’écharpe byzantine datent bien du IXe ou Xe siècle. Ce qui est certain, c’est que le
type du « Michel au lôros » connait une large diffusion en Italie entre le XIe et le XIIIe siècle,
comme en atteste par exemple la peinture de la lunette du portique de Sant’Angelo in Formis.

1317

Fig. 35. Saint Michel, peinture de la lunette du portique, Sant’Angelo in Formis, Caserta, 2e ½ du XIIe siècle.

Ce type n’est toutefois pas réservé ni à Michel, ni aux seuls archanges puisqu’en Occident,
c’est parfois le Christ qui porte ce costume ou des anges appartenant à d’autres chœurs1318.

Gioia Bertelli reconnait Michel dans l’épisode de l’apparition de l’ange à Josué dans
une mosaïque de Santa Maria Maggiore de Rome1319. L’ange est aptère, vêtu de la lorica
romana et de la chlamyde et porte une lance. « Le chef de l’armée éternel » (Josué 5, 14), s’il
est parfois identifié comme Michel, n’est pourtant pas nommé dans la Bible. De plus, le
premier texte qui attribue clairement les épisodes bibliques de l’ange de Dieu à Michel, et
notamment à l’ange de l’épisode de Josué, est une homélie de Michel le Syncelle qui n’est
réalisée qu’au IXe siècle1320. Elle peut toutefois être la formulation d’une idée déjà largement
répandue depuis longtemps, notamment dans les images, mais non exprimée encore par écrit.
Quoi qu’il en soit, aucun élément ici ne nous permet d’affirmer qu’il s’agit effectivement
d’une représentation de l’archange, mais ce type de l’ange guerrier romain a de toute façon
participé à la formation d’un type guerrier de saint Michel.

1316
Image provenant de FORCELLINI, PROSPERETTI, 2003, fig. 2, p. 105.
1317
Image provenant de BERTELLI C., 1994, p.255, figure 323.
1318
BERTELLI G., 1986, p. 148.
1319
Selon elle, il est également reconnaissable dans le rouleau de Josué de la Bibliothèque Vaticane, provenant
d’un scriptorium constantinopolitain de la 1e ½ du Xe siècle, mais tiré d’un prototype alexandrin. Voir
BERTELLI G., 1986, p. 146.
1320
MARTIN-HISARD, 1994, p. 367.
226
1321

Fig. 36. Apparition du « chef de l’armée de l’Éternel » (Josué 5, 14) à Josué,


Rome, Santa Maria Maggiore, nef, Ve siècle.

Le type martial n’est pas encore défini aux premiers siècles du Moyen Âge et la figure de
Michel vêtu d’une tenue de guerrier apparait plus tardivement. Cependant, en plus de la
disposition de Michel dans les compositions qui en font bien souvent un garde rapproché du
Christ ou de la Vierge, la présence fréquente de l’étendard à partir du VIe siècle, comme à
Sant’Apollinare in Classe, souligne son caractère guerrier. Cet attribut est effectivement un
objet militaire, dont le symbolisme était assuré par la place de l’étendard orné du chrisme, le
labarum, dans la conversion de Constantin1322. Symbole du christianisme triomphant inspirant
la confiance aux chrétiens et la terreur à leurs ennemis, il était un élément sacré très important
dans l’armée romaine, désormais chrétienne, de l’Antiquité tardive. Cet objet n’est pourtant
pas réservé à l’archange de l’Apocalypse puisque Gabriel, figure symétrique de notre
archange dans les compositions monumentales, le porte également. Le thème de l’archange à
l’étendard a joui d’un succès particulier en Lombardie et en Catalogne 1323. Il s’agit davantage
d’un attribut renvoyant à la fonction de protecteur en général des archanges qu’un objet
faisant référence au rôle particulier de Michel dans son combat contre le mal.
Un second élément de l’iconographie michaélique vient confirmer son caractère guerrier : le
port de la chlamyde, manteau militaire avant d’être adopté par les empereurs et autres
civils1324. Un des plus anciens témoignages se trouve une nouvelle fois à Ravenne, toujours à
Sant’Apollinare in Classe au VIe siècle et une nouvelle fois, Gabriel porte le même vêtement.
La fonction de guerrier est ainsi d’abord archangélique. Dans l’iconographie occidentale,
Michel apparait spécialement comme le combattant plus tardivement, à travers les
représentations du combat contre le dragon et par la figuration de vêtements de guerrier non
byzantins portés par l’archange.

1321
Image provenant de PROVERBIO, 2007, tav. 18, p. 119.
1322
Constantin a fait réaliser un étendard suite à l’apparition d’une croix après sa victoire sur Maxence au pont
Milvius. Ce labarum a été longtemps conservé comme une relique et son image a souvent été utilisée par les
successeurs de Constantin, notamment au revers de leurs monnaies. Voir MARTIGNY (abbé), « Labarum
constantinien », dans Dictionnaire des antiquités chrétiennes : contenant le résumé de tout ce qu'il est essentiel
de connaître sur les origines chrétiennes jusqu'au Moyen Âge exclusivement, Paris, Hachette, 1877, p. 403-405.
1323
BOUSQUET, 1974, pp. 7-27.
1324
BUSSAGLI, 1991, p. 152.
227
Nous partageons ainsi l’avis de Pina Belli D’Elia qui évoque l’élaboration d’un nouvel
imaginaire chrétien « entre Rome et Constantinople » 1325. Le type de l’archange vêtu de la
tunique et du pallium clavé est directement hérité des peintures paléochrétiennes alors que le
type impérial est clairement issu de l’iconographie byzantine. Si le caractère guerrier de
l’archange est parfois évoqué dans l’iconographie byzantine, il semble être élaboré
pleinement dans l’art occidental, reflet des évolutions du culte de l’archange lors de la
domination lombarde et aux siècles suivants.

III.2.2. Évolution chrono-typologique de l’iconographie de Michel en Occident


jusqu’au XIIIe siècle

La figure de l’archange, et principalement celle de Michel et de Gabriel, devient


rapidement omniprésente dans les programmes byzantins à caractère aulique et non narratif,
comme le démontre par exemple l’ouvrage de Catherine Jolivet-Lévy sur la Cappadoce1326.
Elle apparait le plus souvent frontalement, vêtue du lôros, portant le globe et parfois un
étendard ou un bâton, en escorte de la divinité ou en introducteur de donateurs1327. Ce type est
également largement diffusé en Occident, soit sous une forme byzantine - caractérisée
principalement par la présence du lôros - soit sous une forme paléochrétienne - un personnage
nimbé, ailé, vêtu de la tunique et du pallium - comme dans le Chrismale de Mortain réalisé
entre le VIIe et le VIIIe siècle1328.

1329

Fig. 37. Chrismale de Mortain et détail de la face principale, Collégiale Saint-Evroult, Mortain,
cuivre repoussé et doré, VIIe-VIIIe siècle.

Assez tôt également, Michel est représenté, comme les autres anges, vêtu de vêtements
liturgiques. C’est le cas par exemple dans l’image de l’archange conservée au Musée

1325
Extrait emprunté à Pina Belli D’Elia à propos de la formation de l’image apocalyptique de Michel, dans
« L’iconografia di san Michele o dell’arcangelo Michele », dans Le ali di Dio, Messaggeri e guerrieri alati tra
Oriente e Occidente, Cinisello, Silvana Editoriale, 2000, p. 123.
1326
JOLIVET-LÉVY, 1991.
1327
JOLIVET-LÉVY, 1991.
1328
À propos de cette pièce, voir Arts chrétiens, atlas des monuments paléochrétiens de la France, Paris,
Imprimerie Nationale, 1991, p. 312.
1329
Image provenant du site : http://www.mortain-tourisme.fr/Site%20www.mortain-tourisme.fr/mortain-
tourisme-histoire.html .
228
Nationale de Varsovie, provenant de la cathédrale de Faras (entre l’Égypte et le Soudan) et
datant du début du VIIIe siècle : Michel porte la dalmatique copte caractérisée par des bandes
décoratives ornées de formes circulaires1330. Cette iconographie met pourtant du temps à
s’affirmer en Occident et ne se développe réellement qu’à partir du XIIe siècle.
À côté des types paléochrétiens, byzantins et celui en vêtements liturgiques, une autre
silhouette s’affirme en Occident autour du VIIIe siècle : une tunique courte, un dragon, un
mouvement ; des éléments qui caractérisent ensuite la figure michaélique pour tout le Moyen
Âge.

III.2.2.1. Les images lombardes (VIIe -VIIIe) et le développement de l’iconographie militaire


de Michel

Nous avons déjà abordé la question du rôle des Lombards dans la récupération et le
développement du culte de saint Michel, son instrumentalisation politique et les incidences
sur la caractérisation de la figure de l’archange et de son culte 1331. Les souverains lombards
n’inventent pourtant pas un nouveau caractère à Michel, mais participent à la récupération
d’une dimension développée dans L’Ancien et surtout dans le Nouveau Testament 1332 : celle
du combattant contre les ennemis du bien.
L’importance de la dévotion à l’archange et le développement de son iconographie est visible
en particulier sur les monnaies lombardes1333 dès l’époque de Cunipert (686-700)1334. Michel
prend les traits d’une figure ailée, de profil, tenant un long bâton dont l’extrémité formée de
trois boules dessine une croix. Il est difficile de savoir ce que représente la forme circulaire au
niveau de l’épaule du personnage. Nous pensons qu’il s’agit du globe, si courant dans
l’iconographie michaélique des premiers siècles du Moyen Âge. Colette Lamy-Lassalle
reconnait une rondache ornée d’un umbo1335. Une inscription permet de ne pas le confondre
avec une Victoire, figure également courante dans l’iconographie numismatique lombarde :
« SCS-IIHL », « SCSM-IHAHEL », ou d’autres versions selon les monnaies.

1330
BUSSAGLI, 1991, p. 162.
1331
Voir à ce propos chapitre 1. II.3.1.1.2. Les Lombards et l’expansion du culte de saint Michel en Italie (VIIe -
e
IX ).
1332
Voir à ce propos chapitre 1. II.1.1. Saint Michel et les anges dans la Bible.
1333
SAMBON, 1912, pp. 54-55.
1334
BERTELLI G., 1986, p. 136.
1335
LAMY LASSALLE, 1971, p. 56.
229
1336 1337
Fig. 38. Saint Michel, revers de monnaie Fig. 39. Liutprand et saint Michel, endroit et revers de
lombarde, sous le règne du roi Ratchis, 744-749. monnaie lombarde, 713-744.

Selon Gioia Bertelli, l’iconographie du saint Michel en bronze du Mont Gargan s’inspire
directement des images lombardes, même si elle date cette pièce de la première moitié du XIe
siècle. Cette typologie lombarde propose un archange vêtu d’une tunique courte. Qu’il soit du
type paléochrétien ou du type byzantin, l’archange a toujours porté des vêtements couvrant
ses membres, à l’exception du relief d’Alahan et de la médaille du trésor de Mersine, pourtant
trop endommagés pour en tirer des conclusions sérieuses1338.
Dans plusieurs miniatures du début du XIe siècle du Codex Legum Langobardorum1339, les
rois lombards sont vêtus de la même tunique que Michel : courte et parée de bandes
ornementales sur le corps, les rebords des manches et du col. Ces similitudes iconographiques
confirment la datation proposée par Gioia Bertelli - début XIe siècle - et témoignent du lien
entre la figure de l’archange et la dynastie lombarde1340. Le type d’écriture de forme lombarde
de l’inscription se trouvant aux pieds de l’archange, constitue, selon l’historienne de l’art, un
nouvel argument en faveur du XIe siècle, période où la culture locale apulienne était encore
bien liée au monde lombard.

1336
SAMBON, 1912, table V, n° 340.
1337
Image provenant du site : http://www.cngcoins.com/Coin.aspx?CoinID=49237 .
1338
BERTELLI G., 1986, p. 145.
1339
Ms. 4 conservé à l’abbaye de Cava de’Terreni, réalisé dans les environs de Salerne, Capua et Bénévent au
début du XIe.
1340
BERTELLI G., 1986, p. 149.
230
1341 1342

Fig. 40. Roi Adalgis, Codex Legum Langobardorum, ms. Fig. 41. Saint Michel, Monte Sant’Angelo,
4 folio 188r., Abbaye de Cava de’Tirreni, début du XIe. Museo Devozionale, 1e moitié du XIe siècle.

Un autre élément de ce relief interpelle Gioia Bertelli : la position de la main attestant la


présence d’une lance ou d’un bâton - aujourd’hui perdu - porté obliquement par rapport à
l’axe du corps de l’archange. Le bâton crucifère, la lance ou l’étendard, ont, aux premiers
siècles du Moyen Âge, toujours été portés verticalement. L’historienne de l’art remarque que
dans les images des siècles suivants, la position oblique de la lance s’accompagne toujours de
la présence d’un dragon, serpent ou autre démon aux pieds de Michel. Elle s’interroge ainsi
sur l’utilisation d’un modèle, non byzantin, mettant en scène l’archange combattant le dragon
pour ce bronze doré. Elle admet cependant que le globe gravé de la cheirofania porté par
l’archange, attribut de dérivation impériale orientale, vient quelque peu contredire la théorie
d’une œuvre d’inspiration totalement occidentale ou lombarde1343.

Fig. 42. Détail de l’image ci-dessus.

La datation proposée par Gioia Bertelli est confirmée par la proximité du bronze du Mont
Gargan avec deux reliefs conservés à San Marco de Venise : dans le premier, le même visage
arrondi et allongé, mais sans relief, aux éléments du visage accentués par des lignes ; dans le
détail de la Pala d’Oro, nous retrouvons une silhouette et des motifs ornementaux,
notamment dans les ailes, qui rappellent ceux du bronze apulien. Par contre, la fonction
guerrière de l’archange est clairement affirmée par la présence de l’épée et par les vêtements
portés par Michel. La tunique courte n’a aucun lien ici avec la mode lombarde et les bandes

1341
Image provenant du site : http://en.wikipedia.org/wiki/Adalgis .
1342
Image provenant du volume L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, Monte Sant’Angelo e il santuario di San
Michele del Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione dalle origini ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI
D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, p. 55.
1343
BERTELLI G., 1986, p. 153.
231
verticales de la partie inférieure de son habit rappellent les bandes de cuir constituant la jupe à
ptéryges, tenue typique du guerrier romain.

1344 1345

Fig. 43. Saint Michel, trésor de San Marco, Venise Fig. 44. Saint Michel, détail de la Pala d’Oro de
deuxième moitié du Xe ou première du XIe siècle. Venise, San Marco, première moitié du XIe siècle.

Le relief du Mont Gargan illustre ainsi la contamination entre l’iconographie canonique de


saint Michel, une tradition constantinopolitaine, une culture lombarde et la prise en compte de
nouveautés iconographiques d’un archange sauroctone1346. Il est également une mise en image
des modifications de la nature du culte michaélique privilégiant et amplifiant sa dimension
guerrière.
Si nous ne sommes toujours pas convaincus par l’hypothèse de Gioia Bertelli qui voit dans
l’ange des épisodes de Josué, les premières représentations de l’archange vêtu en guerrier, le
type de Michel portant les armes pour combattre le mal est déjà existant au XIe siècle comme
l’atteste le relief de la Pala d’Oro, et dans une moindre mesure celui du Mont Gargan.
Revenons à présent sur la question des origines des images de saint Michel foulant aux pieds
le dragon.

III.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal

La question des origines - géographiques et temporelles - du type de saint Michel


foulant aux pieds le dragon, a suscité un certain nombre de débats historiographiques comme
stipulé dans le premier chapitre1347. Les auteurs s’accordent pour reconnaitre une provenance
occidentale des premières images représentant Michel combattant le dragon. Ce sont surtout
les modes d’élaborations de ce thème qui sont discutés et le rôle du sanctuaire du Mont

1344
Image provenant du site : http://www.classicalmosaics.com/images/mike1.jpg .
1345
Image provenant du site : http://www.classicalmosaics.com/images/mike.jpg .
1346
BERTELLI G., 1986, p. 150.
1347
Voir à ce propos chapitre 1. I.2.1.2.2. La question des origines du thème de saint Michel foulant aux pieds le
dragon.
232
Gargan dans la naissance et le développement de ce type, central dans l’iconographie de
l’archange pour les siècles suivants.

La représentation d’un personnage vainqueur foulant aux pieds son ennemi vaincu est
courante dès l’Antiquité tardive. Selon André Grabar, ce type existait déjà dans l’art romain
officiel du IIe siècle et son emploi est constant jusqu’au Ve siècle1348. Constantin se serait fait
représenter avec ses fils dans le vestibule de son palais de Constantinople, foulant aux pieds et
transperçant un serpent, symbole de Licinius, qu’il venait de vaincre1349. Cette image, ensuite
christianisée, est reprise dans une version plus symbolique où l’empereur chrétien est
représenté par le labarum, et l’adversaire, à présent ennemi de la chrétienté, par un serpent,
comme dans une émission de monnaie de 3261350. La présence de l’étendard surmonté du
Chrisme transforme l’image impériale de domination physique et matérielle en image de
triomphe spirituel où le serpent prend la dimension plus globale du paganisme et du mal.

1351

Fig. 45. Revers d’une monnaie de Constantin représentant un labarum planté dans un serpent, vers 326.

Les deux versions, celle de la représentation d’une victoire physique sur un ennemi réel et
celle du christianisme triomphant, perdurent pour parfois se fondre, dans la mesure où les
empereurs sont désormais tous chrétiens et que leurs victoires sont désormais considérées
comme accordées par Dieu. La victoire d’Arcadius ne fait elle aucune référence au
christianisme et ressemble probablement davantage aux émissions précédant Constantin, du
type de l’empereur romain victorieux d’un ennemi réel.

1352

Fig. 46. Revers de monnaie romaine, empereur Arcadius foulant aux pieds un captif,
inscription VICTORIA AVGGG, 393-395.
1348
GRABAR, 1936, p. 191.
1349
D’après Eusèbe, dans GRABAR, 1936, p. 43.
1350
GRABAR, 1936, p. 44.
1351
Image provenant du site : http://en.wikipedia.org/wiki/Labarum .
1352
Image provenant du site : http://www.monnaiesdantan.com/vso9/arcadius-solidus-395-401-p193.htm
233
Comme pour d’autres sujets, le thème du vainqueur foulant le vaincu dans les représentations
de l’Antiquité tardive et des premiers siècles du Moyen Âge, est un thème impérial de l’art
romain, christianisé par l’adjonction de « signes » (croix, labarum ou monogramme) qui
participent ainsi au développement d’une image triomphante de cette nouvelle religion.
L’Empire existe toujours, et à ce titre l’iconographie qui lui est liée perdure, mais c’est
désormais un empire chrétien1353. Ce type du chef victorieux s’adaptait alors parfaitement au
chef des chefs, dont la victoire sur ses ennemis - les païens - était prégnante depuis l’édit de
Milan : le Christ1354.

L’utilisation du schéma iconographique impérial et triomphal pour la figure du Christ se


justifie par un passage de la Bible « tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic, tu fouleras aux
pieds le lion et le dragon » (Psaume 90, 13). Les représentations du Christ marchant sur un
lion et un serpent apparaissent dans l’art chrétien dès le Ve siècle, comme dans la mosaïque du
palais archiépiscopal de Ravenne. Le Christ, imberbe et la tête ceinte du nimbe crucifère,
porte la tenue du militaire romain (plastron et lorica romana) surmonté de la chlamyde
attachée sur l’épaule par une grosse fibule de type byzantin, rappelant celle de l’empereur
Justinien à San Vitale. Il porte un livre ouvert qu’il présente aux fidèles et une croix posée sur
son épaule qui laisse penser qu’il s’en est servi comme d’une arme pour immobiliser les deux
animaux sous ses pieds, un lion et un serpent vivants mais impuissants. Cette image illustre
parfaitement la christianisation du thème impérial, légèrement modifié par le vecteur
byzantin.

1355

Fig. 47. Christ foulant aux pieds l’aspic et le basilic, Ravenne, Palais épiscopal, mosaïque, 433-450.

Ce thème se développe largement, comme en témoigne par exemple sa présence sur des
lampes au VIe siècle1356. Sur une lampe d’argile retrouvée à Rome1357, le Christ est toujours
imberbe et la tête ceinte du nimbe crucifère, mais il n’est plus vêtu en guerrier et porte la croix
bien verticalement. Deux anges en vol l’accompagnent et quatre animaux, référence au texte

1353
GRABAR, 1936, p. 191.
1354
GRABAR, 1936, p. 191.
1355
Image provenant du site : http://www.hotelsravenna.it/ita/articoli/2203/ .
1356
LAMY LASSALLE, 1971, p. 54
1357
DE ROSSI, 1867, p. 12, n. 1.
234
biblique, sont à ses pieds mais ne sont pas écrasés, ils semblent juste dominés par une force
surnaturelle puisque Jésus ne semble ni les craindre, ni les combattre : il n’est déjà plus ici le
guerrier romano-byzantin de Ravenne mais un vainqueur plus spirituel pour lequel ni une
arme, ni une tenue, ni des gestes ne sont nécessaires pour dominer le mal.

1358

Fig. 48. Christ, anges et animaux, lampe d’argile du VIe siècle retrouvée à Rome.

Ce schéma iconographique christianisé perdure au Haut Moyen Âge où il devient une façon
classique de représentation de l’issue d’un combat réel, spirituel ou intellectuel. C’est ainsi
qu’on le retrouve, par exemple à la fin du XIe siècle dans un manuscrit conservé à la BNF, où
Athanase d’Alexandrie terrasse Arius en posant son pied sur sa tête et en le transperçant de sa
lance, illustration de la victoire des thèses théologiques du premier sur celles du second.

1359
Fig. 49. Athanase d’Alexandrie terrassant Arius, BNF, ms. lat. 1684, folio 1, fin XIe siècle.

La représentation d’un vainqueur foulant aux pieds son ennemi vaincu est donc une image
répandue dès l’Antiquité tardive en contexte païen puis chrétien. Le vaincu prend la forme
d’un personnage humain, d’un serpent ou d’un lion, mais, malgré le texte biblique, il n’y a pas

1358
DE ROSSI, 1867, p. 12, n. 1.
1359
Image provenant de l’ouvrage collectif Arts chrétiens, atlas des monuments paléochrétiens de la France,
Paris, Imprimerie Nationale, 1991, p. 35.
235
à notre connaissance de représentation de dragon vaincu avant la période carolingienne. Pour
autant, la transmission de ce type iconographique à Michel n’est pas surprenante, le dragon
n’étant alors qu’une forme différente du mal, inspirée du texte de l’Apocalypse, et Micha’el -
Quis ut Deus - le représentant du Christ et le combattant par excellence du mal. Le rôle de
gardien et de protecteur de Michel était déjà clairement affirmé dans les formes de dévotion
qui lui sont rendues, dans son culte et dans son iconographie, au moment où les
représentations au dragon apparaissent en Occident. De plus, la proximité, dont nous avons
déjà parlé, entre l’iconographie de l’archange et celle des empereurs, participe certainement à
la transmission du type, faisant de Michel le vainqueur du dragon comme les empereurs
l’étaient de leurs ennemis de chair et d’os1360. Avant même que Michel ait revêtu les
vêtements de guerrier ou foulé aux pieds son ennemi, il portait déjà dans les programmes
d’Asie Mineure ou de Ravenne, l’étendard, attribut militaire d’une victoire déjà assurée. Le
dragon foulé aux pieds dans une composition de type impérial et / ou christologique,
apparaitrait alors dans cette lignée d’une iconographie triomphale où Michel fut un archange
victorieux avant d’être un archange guerrier1361.
Pourtant, un élément fondamental vient déjà différencier les premières représentations
conservées de Michel contre le dragon et celles de l’empereur ou du Christ foulant aux pieds
leurs ennemis : le mouvement et l’action qui démontrent que, pour l’archange, l’issue du
combat n’est pas encore garantie.

Selon Guillaume De Jerphanion, le thème dynamique du personnage foulant aux pieds


et transperçant le dragon, illustré sur plusieurs fragments de tissus coptes du VIe siècle, serait
à l’origine même du type de saint Michel sauroctone1362. Ces tissus égyptiens, conservés à
Londres et à Athènes, présentent des personnages en pied, de face, debout, vêtus d’une
tunique et d’une chlamyde, tenant une croix dans une main et une lance crucifère dans l’autre,
portée obliquement car ils l’utilisent pour transpercer une bête dans la gueule alors qu’ils la
foulent aux pieds. Cet animal, encore vif, à la tête de serpent et au corps plus proéminent, est
identifié comme un dragon.

1360
Mina Martens favorise l’hypothèse d’une filiation entre iconographie impériale et iconographie michaélique,
qui, selon elle, ne transite pas forcément par la figure du Christ. MARTENS, 1978, p. 144.
1361
Selon Richard Freeman Johnson, ce thème serait même passé directement de l’empereur christianisé à
Michel, sans l’intermédiaire de l’iconographie christologique, puisque Constantin aurait attribué sa victoire
contre Licinius à l’archange ; JOHNSON Richard Freeman, 2005, p. 33-34.
1362
DE JERPHANION, 1938, pp. 367-381.
236
1363

Fig. 50. Tissu copte, Athènes, musée Fig. 51. 1364


Fragment de tissu copte en soie et reconstitution, Londres,
des Arts décoratifs, VIe - VIIe siècle. Victoria and Albert Museum, VIe - VIIe siècle.

L’historien précise qu’il ne peut s’agir de l’archange puisque le personnage est aptère.
Cependant, même s’il n’affirme pas que le premier Michel au dragon est d’origine
byzantine1365, il écrit que ce modèle copte aurait pu inspirer les représentations de Michel
sauroctone au Mont Gargan1366, en insistant sur les similitudes de compositions entre ces
fragments d’étoffe et le relief de la chaire épiscopale réalisé à la fin du XIe ou au début du
XIIe siècle1367 dans le sanctuaire des Pouilles.

1368

Fig. 52. Saint Michel terrassant le dragon, bas-relief du trône épiscopal, Basilique Saint-
Michel, Monte Sant’Angelo, fin XIe début XIIe siècle.

1363
Image et références provenant de DE JERPHANION, 1938, pp. 371.
1364
KENDRICK, 1922, p. 81, n° 819, planche XXV. Ouvrage disponible en ligne :
https://archive.org/stream/catalogueoftexti00vict#page/24/mode/2up .
1365
L’Égypte est alors sous domination de l’Empire byzantin, jusqu’au VII e siècle.
1366
Contrairement à ce qu’affirme Max De Fraipont, qui pense que le type de saint Michel sur le dragon est une
création propre du Mont Gargan, DE FRAIPONT, 1937, pp. 289-301.
1367
Datation proposée par Stefania Mola, « trono vescovile », notice 15 de L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino,
Monte Sant’Angelo e il santuario di San Michele del Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione dalle origini
ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, pp. 76-79.
1368
Image provenant de l’ouvrage L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, Monte Sant’Angelo e il santuario di San
Michele del Gargano, Ibidem, 1999, p. 79.
237
Le Père De Jerphanion insiste sur la similitude des proportions trapues, de position du
personnage, et de geste, mais également sur la posture du dragon, étalé, la tête relevée
recevant la lance dans la gueule1369. L’historien pense que le relief apulien est une copie de
l’image vue par le moine Bernardus lors de son passage au Mont Gargan en pèlerinage entre
le Mont-Saint-Michel et la Terre Sainte. Ce témoignage attesterait que le premier Michel
sauroctone serait né au Mont Gargan, comme l’affirmait déjà Émile Mâle1370. Pourtant,
aucune indication dans le récit du moine ne laisse supposer que l’image en question était un
saint Michel transperçant le dragon :
« intrinsecus ergo ad orientem ipsius angeli habet imaginem. »1371

Les débats sur la datation de plusieurs reliefs du Mont Gargan 1372 ont ravivé la question d’une
origine gargane du type de l’archange sauroctone1373. En tout état de cause, le nombre
important de représentations de ce thème dans le sanctuaire rupestre de Monte Sant’Angelo,
laisse supposer qu’un modèle ancien était présent dans la grotte et que le sanctuaire fut
pendant le haut Moyen Âge un diffuseur de cette formule iconographique.
D’autres pièces illustrant Michel combattant le dragon, plus anciennes que celles présentes
aujourd’hui dans les Pouilles, sont conservées.

L’ivoire de Leipzig présente le type classique de l’ange nimbé, ailé, vêtu de l’aube et
chaussé de sandales mais le port de la chlamyde (manteau militaire), de l’haste - qui n’est plus
ici ni un bâton, ni une croix, ni un étendard, mais bien une lance - et du bouclier, et surtout la
présence du dragon qu’il combat énergiquement, atteste d’un rôle guerrier. Les vêtements qui
le couvrent, les attributs qu’il porte et l’action qu’il réalise sont ceux d’un combattant. Si le
geste de la lance transperçant le dragon dans la gueule est le même que celui du modèle copte,
le mouvement qui caractérise le personnage et l’ensemble de la composition est très différent
de la frontalité et du statisme des figures égyptiennes.

1369
DE JERPHANION, 1938, p. 372.
1370
MÂLE, 1998, p. 258.
1371
Itinerarium 2, p. 569.
1372
En plus du relief du siège épiscopal, il s’agit d'un autre bas-relief appartenant peut-être à une architrave
représentant saint Michel debout sur un dragon et le transperçant de sa lance avec la main droite ; ainsi que d'un
dernier bas-relief appartenant au même ensemble que le précédent et représentant Michel foulant aux pieds le
dragon et le transperçant de sa lance et portant dans la main gauche une balance dans les plateaux desquels se
trouvent deux petits bustes. Ces reliefs sont datés par Gioia Bertelli et Silvia Bettocchi de la fin du XIe et du
début du XIIe, dans L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, Monte Sant’Angelo e il santuario di San Michele del
Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione dalle origini ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI D’ELIA, Roma,
Claudio Grenzi Editore, 1999, notices 15, 16 et 17, pp. 76-82.
1373
Mario Rotili date ces reliefs autour du VIIIe et du IXe siècle et les considère ainsi comme un des premiers
témoignages de saint Michel transperçant le dragon, et dont l'iconographie serait apparue dans ce même
sanctuaire au VIIe siècle ; ROTILI, 1966, p. 102. Giovanni Tancredi et Ciro Angelillis avancent la datation aus
IX-Xe siècles ; TANCREDI, 1932, p. 57; ANGELILLIS, 1955, pp. 266-273. May Vieillard-Troiekouroff relie
ces reliefs à la période de la mise en place du diocèse, donc à la deuxième moitié du XIe siècle, VIEILLARD-
TROIEKOUROFF, 1968, pp. 267-268. Mario Salvatore, avant le XIe; SALVATORE, 1980, p. 458. Pina Belli
d'Elia en plein XIIe; BELLI D'ELIA, 1975, n. 43.
238
1374 1375

Fig. 53. Saint Michel, fragment d’une couverture de Fig. 54. Autel d’or, détail, saint Michel, Aix-
livre, en ivoire, Grassimuseum, Leipzig, vers 800. la-Chapelle, Cathédrale, autour de l’an Mil.

La même impression de dynamisme et de vitalité se dégage du relief du devant d’autel d’Aix-


la-Chapelle réalisé autour de l’an Mil. La figure est toujours celle d’un ange classique mais il
est armé et engagé dans un combat contre le dragon.
Ces deux reliefs confirment l’hypothèse de Friedrich Wiegand 1376 qui voit dans les
représentations de Michel combattant le dragon, un thème carolingien. Deux autres ivoires
sculptés, attribués au même atelier de l’École palatine, représentant le Christ foulant aux pieds
l’aspic et le basilic confirment une création carolingienne et laissent penser à une filiation
iconographique entre le thème de la victoire christologique et celle de Michel1377.

1378

Fig. 55. Christ foulant aux pieds l’aspic et le basilic, détail de la couverture en
ivoire de l’Evangéliaire de Lorsch, 778-820.

Même si dans un cas il s’agit d’une victoire, et dans l’autre d’un combat, on ne peut nier les
liens entre ces bas-reliefs : types physionomiques, modelés, plis des drapés, vêtements,
format, proportions personnages / bêtes, queue tourniquotée de certaines bêtes.
1374
Image provenant du site : http://chronico.de/magazin/geschichtsszene/tausend-jahre-kaisertum/
1375
Image provenant du site http://www.reisdit.no/wp-content/uploads/2012/11/Pala-dOroPS.jpg .
1376
WIEGAN Friedrich, Der Erzengel Michaël in der bildenden Kunst, Stuttgart, 1886, p. 43, cité dans LAMY
LASSALLE, 1971, p. 54, note 3.
1377
AVRIL et GABORIT, 1967, note 3, p. 278.
1378
Image provenant du site : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vangiles_de_Lorsch .
239
Les études récentes de Pina Belli d’Elia montrent pourtant que les antécédents de ce type ne
sont pas directement les images du vainqueur foulant aux pieds le vaincu, mais serait une
dérive apocalyptique de la figure de Michel, lié au syncrétisme iconographique entre
l’archange et les divinités guerrières, en particulier celtiques et germaniques1379. Elle souligne
également le rôle des Lombards dans cette assimilation et dans l’instrumentalisation des
images de l’archange qui constituerait une étape dans sa dérive apocalyptique. L’historienne
de l’art propose même l’hypothèse d’une introduction du thème de Michel transperçant le
dragon dans l’aire gargane par les Normands lors d’un pèlerinage au Mont Gargan puis lors
de la conquête normande des Pouilles, dans les premières années du XIe siècle1380. Elle précise
dans un article paru en 2011 que les origines du dragon ou du serpent sont franques et
carolingiennes1381. La présence de tituli en France1382 et en Italie1383 atteste que la victoire de
Michel contre le dragon est une idée qui se répand dans les deux régions pendant la période
carolingienne1384.

Les images de Michel combattant le dragon ont donc leurs origines en Occident, dans
le monde carolingien, et sont caractérisées par un dynamisme, absent des témoignages
byzantins. Émile Bertaux soulignait, à propos du relief du trône épiscopal de Monte
Sant’Angelo, que la formule était étrangère à l’iconographie byzantine au XIIe siècle en Italie
Méridionale, par son attitude et son action1385. Gioia Bertelli avait également insisté sur
l’importance de la position oblique de la lance de Michel dans son analyse du bronze
conservé au sanctuaire, en opposition avec les représentations traditionnelles de type
byzantin1386.
En plein Moyen Âge, Michel combattant le mal devient le thème principal de l’iconographie
michaélique et le dragon se transforme parfois en simple attribut évoquant une bataille sans la
représenter. Il peut ainsi être associé au type de l’archange byzantin, en position frontale,
portant les vêtements de la cour impériale, notamment le lôros, et même si la lance se plante
dans la bête, aucun mouvement ne vient troubler le hiératisme général de la figure. Le manque
même d’attention, portée par l’archange, au combat indique l’évidence de l’issue victorieuse
pour le soldat de Dieu. C’est ce type que nous retrouvons à Torcello à la fin du XIe siècle, au
revers de façade de Santa Maria Assunta. Saint Michel est en pied, en position frontale, il est
nimbé et ailé, vêtu d’une tunique bleutée rebrodée de pierreries et du lôros, il porte un globe

1379
BELLI D’ELIA, 2000, p. 123.
1380
BELLI D’ELIA, 2000, p. 124.
1381
BELLI D’ELIA, 2011, p. 225.
1382
Alcuin parle des tituli composés pour des églises de la Gaule franque qui évoquent Michel vainqueur du
dragon, dans Monumenta Germaniae Historica : Poetae latini medii aeri, t. 1, p. 324, pièce IV.
1383
Un titulum dans l’abside d’une église du Mont Cassin de la fin du VIIIe siècle fait allusion à une victoire de
Michel sur le dragon : « sanguine rubrantem caelo qui depulit hydrum…», dans Monumenta Germaniae
Historica, t. 7, p. 588.
1384
AVRIL et GABORIT, 1967, note 3, p. 278.
1385
BERTAUX, 1968, p. 450.
1386
BERTELLI G., 1986, p. 150.
240
orné d’une croix et un étendard / lance (la hampe qu’il tient comporte à l’extrémité supérieure
un carton marqué du trisagion, et à l’extrémité inférieure un fer pointu). À ses pieds, un petit
dragon relève la tête. La figure de Michel correspond à l’iconographie traditionnelle de
l’archange byzantin, seuls le fer au bout de l’étendard et la présence du dragon viennent
enrichir un type développé dès le début du Moyen Âge.

1387

Fig. 56. Saint Michel, détail du Jugement dernier, Torcello, revers de façade de Santa
Maria Assunta, fin du XIe siècle.

Ces images semblent plus proches iconographiquement des formules présentant le Christ
victorieux foulant aux pieds l’aspic et le basilic, mais n’en dérivent pourtant pas directement
puisqu’elles sont avant tout une variante du thème du combat.

Si l’archange est plus fréquemment armé, les représentations de Michel en guerrier tardent à
s’imposer dans l’art médiéval occidental et oriental. Si l’on excepte les représentations de
l’ange de Josué1388, les premiers témoignages que nous avons recensés de l’archange datent de
la fin du XIe et du début du XIIe siècle. Plusieurs éléments avaient préparé cette
transformation de l’archange en militaire, marquant en quelque sorte les étapes d’une
sécularisation de sa figure : l’adoption des vêtements impériaux, l’association dans certains
programmes (surtout byzantins) à d’autres saints guerriers1389, le port des armes, puis
l’adoption de la tunique courte en contexte lombard. La militarisation totale de son
iconographie en est la phase finale. Dans la première moitié du XIe siècle, la représentation de
Michel sur la Pala d’Oro de Venise montre l’archange en position frontale, nimbé et ailé,
vêtu d’une tunique courte dont les bandelettes verticales de la jupe rappellent les bandes de
cuir de la lorica romana. Michel porte le globe et une épée, arme encore rare dans
l’iconographie michaélique du XIe siècle mais vouée à un large succès. Une peinture murale à
Göreme reprend ce type où l’on reconnait désormais clairement une tenue militaire d’origine

1387
Image provenant du site : http://it.wikipedia.org/wiki/Basilica_di_Santa_Maria_Assunta_(Torcello) .
1388
En Orient, certaines peintures associent clairement l’ange apparaissant à Josué devant Jéricho comme saint
Michel par une inscription, comme par exemple à Çavuşin dans l’église de Nicéphore Phocas, voir JOLIVET-
LÉVY, 1997, p. 194.
1389
Il est par exemple associé à Procope dans l’église de Karanlık Kilise à Göreme, ou à Georges, Théodore ou
Démétrius dans l’église d’Elmalı Kilise, toujours à Göreme, voir JOLIVET-LÉVY, 1997, pp. 187-198.
241
romaine. L’archange s’apprête à ranger son épée dans son fourreau qu’il tient de la main
gauche. La militarisation de la figure de Michel est d’autant plus flagrante dans ce
programme, que celle de Gabriel qui lui fait face reste « classique » dans un programme
byzantin : il s’agit d’un archange portant le lôros, le bâton et le globe.

1390

Fig. 57. Michel et Gabriel, église Sombre, Göreme, Karanlık Kilise, XI - XIIe.
e

Ce type est celui d’un saint guerrier byzantin, tel Théodore ou Démétrius, dont l’iconographie
est déjà largement développée dans la peinture et la mosaïque byzantine aux XIe-XIIe siècles.
Michel n’est plus un archange classique, ou un archange guerrier, mais il est à présent un saint
guerrier ailé. C’est à la même période que la militarisation de Michel semble se faire en
Orient et en Occident. Dans un relief de l’église de Saints-Pierre-et-Paul de Montceaux-
l’Étoile en Saône-et-Loire, Michel est un guerrier contemporain portant la cotte de mailles, le
casque de type normand avec nasal, l’épée et le bouclier et lutte contre un démon. Seules la
présence des ailes et des pieds nus, et la nature de l’ennemi permettent de le distinguer d’un
simple mortel au combat.

1391

Fig. 58. Saint Michel combattant un démon, Montceaux-l’Étoile, église Saints-Pierre-et-Paul, XIIe siècle.

En Italie, le constat est le même : à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, à San Pietro al
Monte de Civate, Michel est un guerrier ailé combattant le dragon de l’Apocalypse, alors que
les anges de son armée céleste sont eux toujours vêtus à la mode paléochrétienne1392.

1390
Image provenant du site : http://www.insecula.com/salle/photo_ME0000138567.html .
1391
Image provenant du site : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:F09.Monceaux-l%27Etoile.0011.JPG ;
voir également CASSAGNES BROUQUET, 1993, p.108.
1392
À propos de cette mosaïque, voir BELLI D’ELIA, 2000, p. 123.
242
1393

Fig. 59. Maestro di Civate, La victoire des anges sur le dragon de l’Apocalypse,
Civate, San Pietro al Monte, fin XIe début XIIe.

Mais cette peinture n’a pas la même nature que les autres images étudiées : c’est une scène
narrative dans laquelle Michel a un rôle actif.

Le thème de Michel combattant le dragon dérive du texte de l’Apocalypse mais n’en


est pas pour autant une représentation narrative. Bien sûr, le mouvement illustre une action en
train de se dérouler, mais la simplification excessive de la figuration - Michel et ses anges
limités à Michel, le dragon énorme et pluricéphal limité à un gros lézard ou un serpent, le
grand combat limité à un coup de lance et un foulage de pied - en fait une représentation
générique d’un combat atemporel plus qu’un événement clairement situé à la fin des temps.
S’il est plus éloigné du modèle littéraire dont il découle, le type atemporel de Michel contre le
dragon, est apparu avant les représentations clairement narratives de l’épisode décrit par saint
Jean, où l’archange est rejoint par son armée angélique et où l’épisode prend place à la fin des
temps.
Dans les peintures, mosaïques et sculptures paléochrétiennes en Occident, plusieurs éléments
font référence aux épisodes apocalyptiques mais la figuration de ces événements n’est
pourtant pas traitée comme une succession d’images simultanées mais davantage comme une
révélation symbolique. Ensuite, nous retrouvons des motifs isolés, principalement des visions
triomphales et théophaniques, notamment à Rome, puis à Ravenne, à Milan, et à Naples, où la
représentation du combat de l’archange est absente1394. Mais l’importance des commentaires
occidentaux font le succès des représentations apocalyptiques en plein Moyen Âge alors que
l’art byzantin ne présente pas de véritables cycles de l’Apocalypse avant le XIVe siècle1395.
Des cycles narratifs sont développés dans des manuscrits italiens à partir du IXe siècle, puis
dans quelques peintures murales comme sur la paroi sud de la basilique de Castel Sant’Elia
autour de l’An Mil1396. La présence de Michel n’est pourtant pas immédiatement
indispensable. Dans l’Apocalypse de Bamberg par exemple, Michel n’est pas présent dans la
scène de la confrontation du dragon et de la Femme (folio 29 verso). L’illustration suivante
(folio 30 verso) figure deux anges qui transpercent deux dragons de leur lance, pourtant le

1393
CARMINATI, DEVITINI, RIGHI, ZUFFI, 1998, p.19.
1394
VAN DER MEER, 1978, p. 33.
1395
VAN DER MEER, 1978, p. 31.
1396
VAN DER MEER, 1978, p. 101.
243
manque de caractérisation de ces deux personnages angéliques nous empêche de reconnaitre
dans l’un ou l’autre une figuration du chef de la milice céleste. Ce n’est pas ici saint Michel et
ses anges qui combattent le dragon mais seulement ses anges.

1397

Fig. 60. La Femme et le dragon, folio 29v, et le combat contre le dragon, folio 30v,
Apocalypse de Bamberg, Bibliothèque d'État de Bamberg, Msc.Bibl.140, début XIe siècle.

Au XIe siècle, les peintures murales de l’église de Sant’Anastasio de Castel Sant’Elia, bien
qu’endommangées, ne semblent pas non plus présenter Michel en train de combattre le
dragon de l’Apocalypse.

1398

Fig. 61. La Femme et le dragon, Castel Sant’Elia, Sant’Anastasio, paroi sud de la nef, détail, XIe siècle.

Dès le XIIe siècle, Michel combattant le dragon est représenté de manière plus fréquente et
devient l’un des thèmes privilégiés des épisodes du Livre de la Révélation aux derniers siècles
du Moyen Âge, notamment dans la peinture murale, et peut même être traité indépendamment
de tout contexte apocalyptique. C’est le cas dans la chapelle Velluti de Santa Croce à
Florence, où la paroi sud porte une représentation de saint Michel et ses anges combattant le
dragon.
Dans tous les cas, la succession des épisodes de l’Apocalypse se prête assez mal à une
diffusion de son image sur mur ou sur panneaux peints et, si l’épisode était jusque là absent,
l’attention est souvent accordée à partir de la fin de la période romane, à la figuration du seul
Jugement dernier. Michel est dans cet épisode plus qu’un simple combattant, il est acteur de

1397
Image provenant du Site de la Bibliothèque de Bamberg : http://bsbsbb.bsb.lrz-muenchen.de/~db/0000/
sbb00000063/images/index.html?id=00000063&seite=64&bibl=sbb .
1398
Image provenant du site : http://www.gliscritti.it/approf/areopago/uvanni/uvanni.htm . Voir également la
fiche de la Fondazione Federico Zeri : http://www.fondazionezeri.unibo.it/catalogo/scheda.jsp?decorator=
layout&apply=true&tipo_scheda=OA&id=1756&titolo=Nicola%2f+Giovanni%2f+Stefano%0a%09%09%09%0
a%09%09+++++%2c+Donna+e+il+drago .
244
la psychostasie. Dans la typologie des combats de Michel contre le mal, un autre thème
s’impose : celui de l’archange chassant les anges rebelles.

La chute des anges rebelles au moment de la création n’est pas clairement décrite dans
la Bible, mais simplement évoquée dans quelques épisodes, notamment dans Isaïe 14, 12-15
puis au chapitre 12, 7-9 de l’Apocalypse. Le texte apocryphe du Pseudo Hénoch rapporte en
détail les événements et les situe clairement au moment de la Genèse 1399. Les premières
références imagées de cet épisode prennent place au sein des représentations de l’Apocalypse.
Dans l’Apocalypse de Trèves réalisée au premier quart du IXe siècle, le folio 38 recto présente
les anges combattant le dragon alors que les anges déchus tombent avec lui. Cette
iconographie reprend clairement le texte de l’Apocalypse qui précise que le dragon « fut
précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui » (12, 9). Dans cette miniature, la
représentation des anges rebelles ne diffère pas de celle des bons anges, et seule leur position
inversée, la tête en bas et les ailes déployées, souligne leur chute et donc leur déchéance.

1400

Fig. 62. Combat contre le dragon et chute des anges, folio 38 recto, Apocalypse de Trèves,
Bibliothèque municipale, 31, premier quart du IXe siècle.

Cette scène représente un détail du combat apocalyptique et pas encore à proprement parler le
bannissement du paradis des mauvais anges conduits par Lucifer suite à leur rébellion.
Toutefois, cette iconographie est sans doute à l’origine du thème de la chute des anges
rebelles. Dans l’Hortus Deliciarum à la fin du XIIe siècle, l’épisode d’un combat entre les
bons anges et les mauvais, qui ont déjà commencé leur transformation physique en démons
aptères, aux mains crochues et aux visages grimaçants, prend place lors de la création, même
si certaines inscriptions dans l’image citent encore l’Apocalypse 12. Les trois bons anges
repoussant de leur trident les rebelles ne sont pas individualisés, mais le texte qui accompagne
l’image précise que c’est bien Michel qui dirige le combat.

1399
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.1.5. Les mauvais anges dans la Bible.
1400
Image provenant du site : https://library.nd.edu/medieval/facsimiles/apocalypse/trier/38rE.html .
245
1401

Fig. 63. Lucifer et ses anges chassés du Paradis, folio 3 verso, détail, manuscrit disparu de
l’Hortus Deliciarum, 1176-1196, selon la copie de Christian Moritz Engelhardt (1812-1818).

Michel est par contre clairement identifié dans une scène de la porte en bronze de la basilique
Saint-Michel de Monte Sant’Angelo réalisée en 1076 par un atelier de Constantinople. Il ne
s’agit pas ici d’une scène de combat puisque que l’archange est représenté frontalement en
train de flotter dans l’air, sans prendre part à l’action qui se déroule autour de lui : Satan est
jeté sur terre, recroquevillé et sans force, suivi de près par d’autres rebelles ailés en train de
chuter la tête en bas. Il s’agit ici d’un Michel victorieux dont la figuration de la puissance ne
passe pas par la représentation d’une supériorité physique mais par celle d’une force
impalpable qui terrasse le mal spirituellement, sans contact physique. Ce schéma ne connait
pourtant pas de large diffusion aux siècles suivants dans l’iconographie de la chute des anges
déchus.

1402

Fig. 64. Michel vainqueur de Satan, premier panneau du battant gauche de la porte en bronze
de la basilique Saint-Michel de Monte Sant’Angelo, 1074.

L’iconographie de la chute des anges rebelles est encore en formation à l’aube du XIIIe siècle.
C’est une scène peu représentée au Moyen Âge jusqu’au XVe siècle au cours duquel elle
connait un développement particulier, notamment dans les manuscrits français, puis selon

1401
Image provenant du site : http://www2.iath.virginia.edu/anderson/gaa/hortus.html .
1402
Image provenant du site de la Fondazione Federico Zeri : http://fe.fondazionezeri.unibo.it/catalogo/scheda.
jsp?decorator=layout&apply=true&tipo_scheda=OA&id=79550&titolo=Anonimo+bizantino+sec.+XI%0a%09
%09%09%0a%09%09+++++%2c+Storie+degli+Arcangeli ; et dessin du catalogue L’Angelo, la Montagna, il
Pellegrino, Monte Sant’Angelo e il santuario di San Michele del Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione
dalle origini ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, p. 71.
246
Louis Réau, au moment de la Contre-réforme1403. Elle se distingue des autres types de
combats menés par l’archange par sa situation dans le ciel, par une composition générale
descendante pour signifier la chute et foisonnante pour signifier l’ampleur du combat, par la
multiplication des personnages nécessaires à la représentation d’une lutte entre deux armées,
et par le caractère anthropomorphe des démons que les anges combattent.

III.2.2.3. Saint Michel et la balance

La question des origines des représentations de la psychostasie et ainsi de Michel à la


balance, a été traitée par Alfred Maury au milieu du XIXe siècle au travers de huit articles
publiés dans la Revue Archéologique. Pour lui, les représentations de la pesée des âmes au
Moyen Âge dérivent du pèsement égyptien largement attesté dans les rites funéraires. Il y
reconnait l’idée similaire que le destin de l’individu après sa mort sera déterminé par Dieu en
fonction des actions réalisées sur terre1404, et rapproche les compositions des Jugements
derniers de celles que l’on retrouve dans les Livres des morts dont le schéma, même s’il est
variable est généralement le suivant. Osiris en grandeur colossal, juge assis sur un trône et
devant lui une balance très grande prend place avec au centre du fléau, Hap, babouin ministre
de Thot. Horus surveille le plateau où sont déposées les actions du défunt et Anubis, celui où
est déposée l’âme. Thot écrit le résultat du jugement qu’Osiris prononce1405. Jean Yoyotte
précise que ce thème de la psychostasie se développe du Nouvel Empire jusqu’à la très Basse
Époque sur les murs des caveaux et les chapelles tombales, mais surtout dans les papyrus
funéraires où il est associé au chapitre du chœur (30) et aux Déclarations d’ignorance
(125)1406. Il ajoute que c’est surtout la crainte et l’espérance du Jugement inventé par l’Égypte
Ancienne qui connait un large développement dans les civilisations postérieures 1407. Une
illustration du chapitre 30B du Livre des morts dans le papyrus d’Ani, conservé au British
Museum, reprend plus ou moins ce schéma. Osiris est représenté dans la scène suivante. Ici la
balance est surveillée par Anubis (tête de chacal) et Thot (ibiocéphale : tête d’ibis) enregistre
le résultat. Le cœur de la défunte, qui se tient courbée avec son époux à gauche de la
composition, est posé dans un plateau en équilibre avec l’autre qui contient une plume
d’autruche symbole de la rectitude. Ammout, monstre hybride, attend pour dévorer les âmes
impures. Au registre supérieur, douze dieux constituent le tribunal divin1408.

1403
RÉAU, 1957, pp. 56-57.
1404
À ce propos, voir également YOYOTTE, 1961, p.19.
1405
MAURY, avril – septembre 1844, second article, p. 291.
1406
YOYOTTE, 1961, p. 42.
1407
YOYOTTE, 1961, p. 69.
1408
Harmakhis, Atoum, Shou, Tefnout, Geb, Nout, Isis, Nephtys, Horus, Hathor, Hou et Sia.
247
1409

Fig. 65. La pesée du cœur, Papyrus du Livre des morts d’Ani, Londres, British Museum, 1275 av. J.-C.

Selon l’érudit français, ce dogme de la psychostasie se retrouve ensuite dans la religion


mazdéenne où Mithra et Raschné-Rast pèsent les actions des hommes sur le pont Tchinevad
qui sépare terre et ciel1410. L’idée de l’existence d’un pèsement est alors largement diffusée
dans l’Antiquité orientale, lorsque les Grecs l’adoptent : Homère montre Jupiter pesant les
destinées des Grecs et des Troyens ou utilise la balance pour déterminer l’issue du combat
d’Achille et Hector1411. Virgile et les romains adoptent également l’instrument de pesée avec
lequel Jupiter établit les destinées d’Enée et de Turnus1412. La balance est toujours symbole de
la rigoureuse équité du destin devant la mort et est utilisée également dans les religions
monothéistes : chez les musulmans par exemple, elle est portée par Gabriel1413.
Pour Alfred Maury, Michel remplit les mêmes fonctions que Thot, puis qu’Hermès ou
Mercure : ils possèdent tous des fonctions de psychopompe, ils sont les protecteurs et les
conducteurs des âmes1414. L’archange partage en plus avec Mercure le fait d’être le
combattant d’une personnification du mal, Prométhée pour le dieu païen et le dragon pour
l’archange. Pour notre auteur, il y a donc une contamination du dogme de la psychostasie et
un remplacement de l’Hermès psychopompe grec par Michel. Cette transmission fut possible,
toujours selon monsieur Maury, par le vecteur gnostique, qui a permis l’insertion de certaines
idées païennes en milieu chrétien, déjà transformées et donc rendues acceptables pour les
fidèles de la nouvelle foi. Il cite à ce propos les gemmes gnostiques portant une figure coiffée
du pétase ailé, tenant un grand caducée et accompagnée d’un coq chantant, iconographie
classique de Mercure, mais qu’une inscription nomme MICHAEL1415.
Il existait ainsi un système théologique commun autour des questions de la vie après la
mort1416, dans lequel la pesée chrétienne avait sa place et où l’analogie était assurée par le

1409
Image provenant du catalogue en ligne du British Museum :
https://www.britishmuseum.org/explore/highlights/highlight_objects/aes/p/book_of_the_dead_of_ani.aspx.
1410
MAURY, avril – septembre 1844, second article, p. 293.
1411
MAURY, avril – septembre 1844, second article, p. 295.
1412
MAURY, avril – septembre 1844, second article, p. 296.
1413
MAURY, avril – septembre 1844, second article, p. 299.
1414
MAURY, avril – septembre 1844, second article, pp. 302-303.
1415
MAURY, octobre 1844 – mars 1845, premier article, pp. 502-503.
1416
MAURY, octobre 1844 – mars 1845, second article, première partie, p. 581.
248
personnage pondérateur, Thot, Anubis, Mercure et Michel, ce dernier assurant le lien entre
psychostasie antique et celle médiévale1417.
Pour Jean De Witte, la démonstration de monsieur Maury n’est pas satisfaisante car il n’est
pas possible de comparer le pèsement égyptien à celui d’Homère, puisque dans un cas il a lieu
au moment de la mort pour connaître le sort du défunt dans l’autre vie, et dans l’autre cas, il
s’agit d’établir la destinée de personnages vivants en déterminant l’issue d’une bataille1418.
Pierre Bourguet reconnait pourtant les origines égyptiennes de la pesée chrétienne et ajoute
que le combat contre le mal a également un modèle égyptien, puisque le dieu Horus se bat
contre les incarnations du dieu Seth, sous la forme d’un crocodile, d’un hippopotame ou d’un
serpent1419. Mais Pierre Fournée rappelle que les résurgences antiques dans la typologie
chrétienne, si elles concernent un héritage de concepts et de formes, n’en sont pas pour autant
une filiation directe et restent des transpositions dans le domaine de l’allégorie et du
symbole1420. C’est l’avis généralement admis aujourd’hui1421 : l’utilisation du symbole
égyptien de la balance et de la pesée est évidente dans l’épisode chrétien, sans être une
transposition directe. Michel remplace bien Thot, puis Mercure, mais n’en est pas pour autant
une simple version christianisée. L’image de la pesée a certainement voyagé d’Égypte à la
Grèce pour s’introduire alors dans le monde byzantin avant de rejoindre l’Occident.

Dans la Bible, il n’est pas précisé que les actions des hommes seront pesées pour connaître
leur destinée dans l’autre monde. Seules quelques allusions à une balance sont faites, comme
dans le Livre de Job (31, 6) où il est écrit : « qu’il me pèse sur une balance exacte : lui, Dieu,
reconnaîtra mon intégrité ! » ou dans le Livre de Daniel (5, 27) : « Teqel, tu as été pesé dans
la balance et ton poids se trouve en défaut ». Il n’y a pas de lien entre cet instrument et la
scène du Jugement dernier.
La pesée n’est pas non plus un thème très présent dans la littérature patristique, mais la
description de son déroulement se fait de plus en plus précise au cours du Moyen Âge. Au
XIIIe siècle, dans son épilogue sur la fin des temps, Vincent Beauvais, citant Jean
Chrysostome, précise qu’ « en ce jour, nos actions, nos paroles et nos pensées seront mises
dans les deux plateaux, et, en penchant d'un côté, la balance entraînera l'irrévocable
sentence »1422. Cette description montre en outre qu’il est inexact de qualifier l’épisode
représentant le verdict donné par une balance au moment du Jugement dernier de « pesée des
âmes » car il s’agit davantage d’une pesée des actions plutôt que celle des âmes, qui ont
d’ailleurs, après la résurrection des corps, déjà rejoint leur enveloppe charnelle. Ainsi, le mot
même de psychostasie ne semble pas adapté pour désigner cet épisode chrétien à la fin des
Temps. Pourtant, dans certaines images de Jugement dernier, nous retrouvons bien souvent
dans les plateaux de la balance des petits personnages nus, représentation-type des âmes dans

1417
MAURY, octobre - mars 1846, p. 717.
1418
DE WITTE, octobre - mars 1845, pp. 647-656.
1419
BOURGUET, 1971, p. 38.
1420
FOURNÉE, 1966-1993, pp. 65-91.
1421
À propos des représentations de la pesée des âmes, voir également PERRY, 1912, pp. 94-105.
1422
Speculum historiale, 116, De meritorum discussione CXVI.
249
l’iconographie médiévale, qui correspond ainsi visuellement à une psychostasie, même si ce
terme n’est pas conforme à la réalité théologique. En règle générale, nous remarquerons que
l’iconographie italienne réserve bien souvent la balance pour évoquer la pesée des âmes
directement après la mort, au moment de ce que l’on peut appeler le jugement immédiat1423,
alors qu’elle est souvent abandonnée ou inutilisée par l’archange au moment du Jugement
dernier.

Comme pour les scènes de l’Apocalypse, les évocations symboliques du Jugement


dernier - notamment la séparation des bons et des mauvais - sont fréquentes dans l’art du Haut
Moyen Âge, et comme pour l’iconographie apocalyptique, les grandes synthèses
monumentales du Jugement font leur apparition assez tardivement, au IXe siècle1424 et ne se
développent largement qu’à partir du XIe siècle pour connaître un apogée dans l’art
monumental entre 1200 et 13501425. L’iconographie du Jugement dernier fait également une
apparition tardive dans le monde byzantin et devient au XIe siècle une formule fixe qui a peu
évolué au cours du Moyen Âge, et même pendant la période moderne. Les premières grandes
synthèses monumentales italiennes sont empreintes du style byzantin mais vont vite acquérir
un dynamisme propre aux Jugements derniers occidentaux1426.
La plus ancienne représentation conservée de la pesée des âmes au sein du Jugement dernier,
est attestée en Occident au début du Xe siècle, sur la croix de Muiredach, dans l’enceinte du
monastère de Monasterboice1427. Une balance est accrochée à un anneau sous les pieds du
juge. Un personnage à gauche, sans aile, tient un bâton en forme de tau dans la main droite,
avec lequel il transperce un démon qui gît sur le dos, jambes croisées, les mains serrées sur un
crochet avec lequel il tente en vain de ramener vers lui l’un des plateaux. Sur l’autre plateau,
un petit personnage symbolisant l’âme jugée, s’accroche au personnage debout1428.

1429
e
Fig. 66. Croix de Muiredach, Monasterboice (Irlande), Face est, X siècle.
1423
ANGHEBEN, 2013.
1424
Citons par exemple le cycle de l’église Saint-Jean de Müstair, alors rattachée au diocèse de Milan, datant du
début du IXe siècle.
1425
Période de réalisation de Torcello et de Sant’Angelo in Formis. Voir CHRISTE, 1999, p. 276.
1426
Voir à ce propos MÜLLER-EBELING, RÄTSCH, ZLATOHLAVEK, 2001, p. 108.
1427
CHRISTE, 1999, p. 25.
1428
CHRISTE, 1999, p. 176.
1429
Image et détail provenant du site :
250
La tradition historiographique identifie ce personnage protégeant la balance comme Michel.
En effet, l’implication de l’archange dans une lutte contre le dragon, déjà largement attestée
au Xe siècle dans le culte et l’iconographie michaéliques1430, en fait un protecteur idéal de
l’instrument de pesée contre le mal, symbolisé ici par un démon tentant de modifier
l’inclinaison des plateaux. De plus, le rôle d’accompagnateur des âmes assumé par Michel au
moment de la mort de Moïse puis dans plusieurs textes apocryphes, le lie indéniablement à
l’au-delà et à son accès. Pourtant il est impossible d’affirmer que ce personnage aptère sculpté
sur cette croix irlandaise est déjà considéré comme l’archange. Aucun élément
iconographique ne vient le confirmer, ni aucun témoignage d’aucune sorte.

La balance et l’archange ne sont, dans un premier temps, pas si clairement liés. Dans la
mosaïque de Torcello, comment expliquer la double représentation de l’archange sur la même
paroi dans le même contexte iconographique ? Et surtout comment expliquer que les deux
personnages ne correspondent pas du tout au même type iconographique ? Le Michel du
registre supérieur - identifié de manière certaine par l’inscription qui accompagne la figure -
est du type byzantin, caractéristique des archanges, alors que l’ange de la psychostasie est
vêtu d’une simple tunique et d’un pallium, caractéristique des anges « normaux », d’ordre
inférieur. Une seule réponse s’impose : l’ange qui porte la balance n’est pas Michel.

1431

Fig. 67. Saint Michel et Psychostasie, détails du Jugement dernier, Torcello, revers de
façade de Santa Maria Assunta, fin du XIe siècle.

Karl Künstle avait déjà précisé qu’on reconnaissait à tort Michel dans le porteur de balance
des Jugements derniers, à cause de la lance portée par le surveillant de la psychostasie pour
écarter les démons des plateaux1432. Louis Réau rejette cet argument car, pour lui, Michel est
clairement identifié comme le porteur de la balance dans plusieurs images de la fin du Moyen
Âge1433. Il nous semble préférable d’adopter une voie moyenne. Selon nous, les premières
représentations de la psychostasie ne mettent pas en scène l’archange : au Haut Moyen Âge,

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Muiredach%27s_High_Cross_(east_face)_(photo).jpg .
1430
Rappelons qu’à partir de la période carolingienne, Michel est de plus en plus souvent représenté en train de
combattre le dragon.
1431
Image de Michel provenant du site :
http://it.wikipedia.org/wiki/Basilica_di_Santa_Maria_Assunta_(Torcello) ;
Psychostasie : http://saint-symphorien-78.cef.fr/spip.php?article946 .
1432
KÜNSTLE, 1926-1928, p. 249.
1433
RÉAU, 1956, pp. 49-50.
251
le manque de caractérisation du personnage surveillant la pesée ne nous permet pas d’affirmer
qu’il est bien considéré comme le chef de la milice céleste. Pourtant, l’adoption de cet
attribut, quasi-indispensable à la fin du Moyen Âge, nécessite que l’archange ait été au
préalable identifié comme le protecteur de la psychostasie des Jugements derniers. À partir du
moment où la balance est portée par l’archange dans des images isolées, non narratives, et où
Michel est clairement identifié, il est évident que c’est désormais Michel qui est également
représenté dans les psychostasies des Jugements derniers de la même zone culturelle. Michel
est bien, à la fin du Moyen Âge, un acteur incontournable de la pesée. La question est alors de
savoir à quel moment a lieu cette individualisation et pourquoi.

Entre le XIIe et le XIIIe siècle, les figurations de la psychostasie se multiplient dans les
Jugements derniers, sans que l’ange tenant ou protégeant la balance ne soit encore
spécialement individualisé. Les tympans et les chapiteaux des cathédrales gothiques
françaises présentent un ange vêtu d’une aube, non armé et portant la balance. Pourtant,
Michel est déjà parfois associé à cette scène, comme l’atteste par exemple le chapiteau de
Saint-Pierre de Chauvigny de la première moitié du XIIe siècle. Michel est nimbé, ailé, il est
vêtu d’une aube, d’un pallium et d’une cape. Il fait un geste de bénédiction de la main droite
et porte dans la main gauche la balance aux plateaux remplis de boules, et l’un d’eux est tiré
par un démon. Une âme est agenouillée à sa droite et semble le prier d’intervenir en sa faveur.
Rien ne distingue iconographiquement cette figure des anges des cathédrales gothiques, si ce
n’est l’inscription dans son nimbe « MICAEL ARCANGEL », qui l’identifie clairement.

1434

Fig. 68. Saint Michel pesant les âmes, église Saint-Pierre, Chauvigny, chapiteau du chœur, 1ère ½ du XIIe.

Au moment où l’iconographie des Jugements derniers se développe, le peseur d’âme est de


plus en plus souvent identifié à Michel. L’individualisation de l’acteur principal de la
psychostasie semble s’être réalisée de manière progressive entre le XIIe et le XIIIe siècle. Elle
s’explique par la place grandissante prise par cette scène et donc par le protecteur de la
balance à la fin de l’époque romane et au début de la période gothique1435. Alors que le Christ
est tout occupé à présenter les plaies de sa Passion légitimant sa place de Juge, il délègue le
déroulement complet de la pesée à celui qui ne peut plus être désormais un ange anonyme,
mais celui « qui est comme Dieu », Michel. La notoriété déjà acquise par l’archange visible
dans le développement de son culte, de son pèlerinage, la multiplication des lieux de culte qui

1434
Image provenant du site : http://www.flickr.com/photos/art_roman_p/4873346861/sizes/o/in/photostream/ .
1435
À Conques, la scène avait une taille réduite et à Autun, elle est complètement désaxée.
252
lui sont dédiés et des images le représentant, prouvent l’efficacité du soldat de Dieu, alors seul
en mesure de protéger l’instrument de la pesée et le bon déroulement de l’action.

Le chapiteau roman de Saint-Pierre de Chauvigny montre également une nouvelle étape dans
l’histoire de l’iconographie de saint Michel à la balance : son autonomisation. Le programme
iconographique n’est pas centré sur le Jugement dernier, seuls quelques chapiteaux reprennent
des épisodes du partage, comme celui de la pesée. Nous pouvons remarquer déjà dans certains
contextes, un éloignement de la scène de l’évaluation par rapport à l’action principale, rendu
possible par un compartimentage des scènes du Jugement et par le détachement de l’attention
du Christ pour cette scène qu’il ne surveille plus directement et qui peut ainsi s’éloigner de sa
représentation. Sur la façade de Saint Trophime d’Arles, l’épisode est rejeté sur le retour nord
du portail.

1436

Fig. 69. Psychostasie, détail du portail de Saint Trophime d’Arles et vue générale avec situation de la scène,
1180-1190.

L’épisode tend à être autonome grâce à sa portée générale et peut ainsi être inséré dans des
contextes iconographiques autres que celui du Jugement. Si elle évoque toujours, par sa
nature, la fin des temps et le Jugement final, cette image est avant tout parénétique. Écartée du
dernier Jugement, elle peut aussi représenter le jugement immédiat et permettre ainsi
l’imbrication de deux temporalités.
Ces étapes d’éloignement puis d’autonomisation de la scène de la pesée par rapport aux
grandes compositions de Jugement dernier, ont été nécessaires dans l’élaboration d’un
nouveau type iconographique de Michel en état, marqué par l’adoption de la balance comme
attribut principal.

L’étape de l’autonomisation de la figure de l’archange à la balance se produit au


moment où l’iconographie de la pesée se greffe sur les types iconographiques de Michel déjà
développés depuis le Haut Moyen Âge. À partir de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle, la
balance peut se retrouver dans les mains de l’archange portant le lôros ou l’aube, transperçant
et foulant ou non un dragon ou écartant les démons. Dans la peinture murale de Santa Maria
in Grotta de Rongolise, il s’agit bien du type byzantin, mais Michel ne foule pas aux pieds le

1436
Photographies C. Denèle, 2010.
253
dragon, il porte la balance de la main gauche et repousse à l’aide de la lance portée dans la
main droite, les démons qui récupèrent l’âme d’un damné en train de choir du plateau
inférieur, alors que l’âme élue se tient debout dans le plateau supérieur les mains levées en
position d’orant. L’iconographie de cette peinture correspond à une fusion du type byzantin
de Michel avec la scène de la psychostasie. La représentation est encore clairement narrative,
comme le confirme la position de trois-quarts de l’archange et le mouvement général dont
sont animés les personnages.

1437

Fig. 70. Saint Michel, Santa Maria in grotta, Rongolise, milieu XIIe siècle.

Au Mont Gargan, à la fin du XIe siècle ou au début du XIIe1438, la deuxième plaque insérée
dans le « trône royal »1439 représente Michel, les ailes déployées, tenant dans la main droite
une lance crucifère avec laquelle il transperce un dragon sous ses pieds, et dans la main
gauche une balance dont les plateaux portent deux têtes symbolisant les âmes des défunts. Il
est vêtu d’une tunique et d’un manteau fermé sur l’épaule par une fibule circulaire. Le
hiératisme de la figure et la présence du dragon correspondent à une iconographie
michaélique déjà répandue en Italie et en Occident que la balance vient enrichir.

1440

Fig. 71. Saint Michel pesant les âmes, base du « trône royal », Monte
Sant’Angelo, église grotte, fin XIe - début XIIe siècle.

1437
Voir également PIAZZA, 2007, tav.78 et p. 163.
1438
BERTELLI G., 1999, pp. 80-82.
1439
La première a été étudiée dans la partie I.1.2.1.2. Michel contre le dragon, une origine gargane ?.
1440
Image provenant du site : http://giuffreda.wordpress.com/2011/09/22/monte-santangelo-iconografia-di-s-
michele-nella-statuaria/ .
254
Mario Rotili, qui datait les reliefs du « trône royal » du IXe ou Xe siècle, évoquait une origine
gargane pour le thème de Michel à la balance1441. Si l’on accepte les datations plus récentes de
Gioia Bertelli, cette hypothèse n’est plus recevable. Il faut cependant noter qu’à une époque
assez reculée, tous les grands types iconographiques de la figure michaélique étaient déjà
représentés dans le sanctuaire choisi par l’archange au Ve siècle, preuve d’un dynamisme
religieux et d’actifs échanges culturels autour du Mont Gargan, qui ont sans aucun doute joué
un rôle important dans la naissance et la diffusion de l’iconographie de saint Michel en Italie
et dans le reste de l’Occident.

À l’aube du XIIIe siècle, la balance devient un attribut classique de Michel dans ou hors du
contexte des Jugements derniers. S’il est difficile de savoir si le fidèle du Haut Moyen Âge
avait déjà clairement identifié Michel comme porteur de la balance au moment du grand
partage, il semble plus évident, au vu de l’épanouissement du thème du Jugement dernier à
l’époque gothique1442, de la normalisation de la scène de la pesée - en général centrale au
registre de la séparation des bons et des mauvais - et de la multiplication de la balance comme
attribut dans les représentations non narratives de l’archange, que les hommes du XIIIe siècle
avaient à peu près unanimement reconnu Michel dans l’ange du partage, comme nous le
faisons naturellement aujourd’hui.

Si nous comparons la formation de l’iconographie de saint Michel au dragon et celle de saint


Michel à la balance dans son rapport aux textes sacrés, et dans sa forme narrative ou en état,
nous remarquons qu’elles se sont réalisées d’une manière opposée. L’image de Michel au
dragon, si elle se rapporte clairement aux récits bibliques, fut, dans un premier temps, une
image symbolique déconnectée d’un contexte narratif précis, pour, dans un second temps, se
développer au sein des cycles apocalyptiques. La pesée des âmes ou des hommes n’entretient
que des rapports lointains avec les récits bibliques, mais est pourtant décrite précisément dès
les premières représentations de Jugement dernier, pour ensuite s’en détacher et
s’autonomiser pour faire de la balance un attribut de la figure de Michel en état, dans des
représentations hiératiques et non narratives sans lien avec un contexte plus général de
Jugement dernier. L’inversion de ce processus dans la formation de l’iconographie des deux
attributs principaux de l’archange - le dragon et la balance - démontre qu’il est malaisé
d’étudier séparément l’iconographie narrative et l’iconographie en état pour la figure de
Michel car, si le contexte semble parfois privilégier le classement de l’image dans l’une ou
l’autre des catégories, certaines nuances de la représentation prouvent que l’image n’est
parfois ni clairement narrative, ni clairement non-narrative.
L’étude des images narratives où Michel est en scène ne se limite pas à son combat contre le
dragon et à la pesée des âmes. Plusieurs épisodes relatifs à ses apparitions, ou aux miracles
qu’il a réalisés, sont mis en images au Moyen Âge.

1441
ROTILI, 1966, p. 103.
1442
CHRISTE, 1999.
255
III.2.2.4. Apparitions et miracles de saint Michel

La notoriété du sanctuaire michaélique apulien au Haut Moyen Âge, le succès de son


pèlerinage et la circulation de sa légende, expliquent la diffusion d’une iconographie des
épisodes garganesques dès l’époque carolingienne. Ces images représentent principalement
les épisodes décrits dans l’Apparitio - celui du taureau, celui de la bataille près de Siponto et
celui de la consécration de la grotte en église - auxquels s’ajoutent ensuite l’épisode romain
de l’apparition sur le Mausolée d’Hadrien, et des épisodes du Mont-Saint-Michel, notamment
les apparitions à l’évêque d’Avranches et le miracle de la femme enceinte sauvée de la marée.
Un fragment de peinture découvert dans les années 1950 sur la paroi de la dite « crypte B »
(sous la nef angevine) mais aujourd’hui disparue, représentait une jambe de quadrupède,
identifié comme un bovin1443. À côté, le morceau d’une aile laissait supposer aux chercheurs
ayant étudié cette peinture qu’il s’agissait de l’épisode du taureau et d’une figure de
l’archange. L’ensemble était daté par Giorgio Otranto du Xe siècle1444 et constituait le premier
témoignage de l’épisode du taureau. Certains reconnaissaient dans la figure de l’ange, le
Michel vu par le moine Bernardus lors de sa visite car elle se trouvait effectivement à l’entrée
de la grotte lombarde1445.

1446

Fig. 72. Fragment de peinture murale, taureau et aile, crypte B, basilique San Michele, Monte
Sant’Angelo, IX-Xe siècle.

Ces hypothèses sont aujourd’hui remises en cause, notamment par Pina Belli d’Elia qui
estime que l’absence de représentation de l’épisode du taureau sur les portes en bronze
réalisées en 1076 pour le sanctuaire du Mont Gargan, prouve qu’au XIe siècle, l’épisode du
taureau n’avait pas encore été défini iconographiquement, alors que les épisodes garganesques
des apparitions de saint Michel à l’évêque de Siponto, étaient eux représentés, selon
l’iconographie courante des apparitions1447. Cet épisode est également absent des multiples

1443
À propos de cette peinture, voir BELLI D’ELIA, 1994, pp. 575-602 ; FEDERICO, 1997, pp. 364-369 ;
BETTOCCHI, 1999, p. 50.
1444
OTRANTO, 1985, p. 399.
1445
Bernardus Monachus francus, Bernardi itinerarium factum in loca sancta anno DCCCLXX, PLT.CXXI,
Parisii 1880, pp. 569-574.
1446
Image provenant du catalogue L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, Monte Sant’Angelo e il santuario di San
Michele del Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione dalle origini ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI
D’ELIA, Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, p. 51.
1447
Un personnage allongé et courbé sur une couche, alors qu’ l’ange apparait, le bras levé en signe d’ad locutio,
256
lieux de culte rupestres des Pouilles et de la Basilicate où l’iconographie michaélique est déjà
pourtant attestée. Seul le bas-relief du Château de Dragonara reconnu par Giorgio Otranto
pourrait être un témoignage plus ancien du miracle du taureau 1448, mais le manque de
certitudes concernant la datation et l’identification iconographique rend une nouvelle fois
cette hypothèse douteuse pour l’historienne de l’art1449. L’historien apulien date en outre ce
relief du XII-XIIIe siècle et estime qu’il pourrait être au cœur de tout un cycle michaélique1450.

1451

Fig. 73. Gargan et le taureau, bas-relief et reconstitution graphique, paroi du château de


Dragonara, fin XIIe- début XIIIe.

Les images de l’épisode du taureau et des apparitions michaéliques connaissent


pourtant un développement important à partir du XIIe siècle. Le chapiteau de la dite Tombe de
Rotari, à Monte Sant’Angelo représente cette scène à deux pas du lieu où s’est effectivement
déroulé l’épisode du taureau1452. Mais, c’est loin des Pouilles que nous retrouvons un
développement étonnant de cette iconographie, en Italie centrale, en France et surtout en
Catalogne, où l’on conserve trois antependium datés du XIIe ou du début du XIIIe siècle1453.
Le panneau peint par le Maître de Sant Pau de Casserres dans le deuxième quart du XIIIe
siècle, dans lequel une image centrale de l’archange manque certainement aujourd’hui,
associe des épisodes d’inspiration biblique et apocryphe mettant en scène Michel -Michel et
Gabriel psychopompe, Michel terrassant le dragon et Michel portant la balance - à celui du
taureau. Sur un fond rouge, Gargan, le protagoniste, porte une tunique courte, tient l’arc et
reçoit la flèche dans l’œil gauche alors que l’angle supérieur droit accueille le taureau qui
apparait dans les volutes symbolisant la végétation du Mont.

BELLI D’ELIA, 1994, p. 578.


1448
OTRANTO, 1985, pp. 397-407.
1449
BELLI D’ELIA, 1994, p. 579.
1450
OTRANTO, 1985, p. 402.
1451
Image provenant d’OTRANTO, 1985, fig. 3 et fig. 3b.
1452
OTRANTO, 1983, p. 222
1453
BELLI D’ELIA, 2003 (2), p. 527.
257
1454

Fig. 74. Maître de Sant Pau de Casserres, devant de l’autel des archanges, Museu
Nacional d'Art de Catalunya, deuxième quart du XIIIe siècle.

La multiplication de ce genre de polyptique n’atteste pourtant pas de la diffusion d’un modèle


iconographique commun car les versions sont presque toujours différentes les unes des autres.
La source reste donc le texte littéraire et ses rédactions diverses. Si les scènes choisies et la
façon de les représenter peuvent varier, la composition générale est, la plupart du temps,
sensiblement la même : la figure centrale de l’archange est entourée de plusieurs - 4 ou 6 -
scènes d’apparition de Michel au Mont Gargan, au Mont-Saint-Michel ou à Rome. Si les
scènes d’apparition sont couramment utilisées pour les épisodes relatifs à la fondation des
différents sanctuaires michaéliques, il faut noter que le miracle du taureau reste une référence
directe à la légende garganesque.
Quelques témoignages italiens et espagnols voient le jour aux XIII et XIVe siècle, et les
représentations des épisodes des apparitions michaéliques connaissent un nouveau pic au XVe
siècle1455, phénomène sur lequel nous reviendrons dans les parties suivantes.

Malgré la traduction grecque de l’Apparitio au XIe siècle, il faut noter une absence de
représentations des épisodes de la légende occidentale sur les territoires byzantins, alors que,
de la même façon, aucun épisode d’origine orientale n’est représenté en Occident1456. La seule
pièce témoignant d’un contact entre iconographie orientale et iconographie occidentale, est la
porte de bronze de la basilique de Monte Sant’Angelo, commandée à un atelier
constantinopolitain en 1076 pour le sanctuaire italien. Les trois apparitions à l’évêque de
Siponto figurent sur le battant droit, pourtant, l’absence de l’épisode du taureau et le contexte
de la commande attestent de relations limitées entre les images narratives italiennes et
byzantines. D’ailleurs aucun épisode oriental n’est représenté ici, pas même le miracle de
Chônai1457 pourtant si célèbre de l’autre côté de la Méditerranée et dont le schéma
iconographique y est attesté dès la fin du Xe siècle1458.
Dans l’Orient byzantin, de nombreux épisodes bibliques réalisés par des anges anonymes sont
identifiés comme les œuvres de Michel et représentés dans les cycles michaéliques. Il faut

1454
Image provenant du catalogue en ligne du musée : http://art.mnac.cat/fitxatecnica.html;jsessionid=e5134544
a48f4d1aef4d6abc533b44341d70343a553d32e687dfbe3e5de2c457?inventoryNumber=003913-000&lang=en .
1455
BELLI D’ELIA, 2000, p. 124.
1456
BELLI D’ELIA, 2000, p. 125.
1457
Sur le récit du miracle voir chapitre 1, II.2.2.1.2. La légende et le temple de Chônai-Colosses.
1458
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 192.
258
mettre en relation cette multiplication des scènes narratives avec la diffusion dès le IXe siècle
de l’homélie prononcée par Pantoléon1459, diacre et archiviste de Sainte-Sophie à
Constantinople. Il s’agit d’un recueil des miracles et des apparitions de saint Michel, qui
rencontre un large succès et qui, même s’il ne connait aucune traduction iconographique
directe, génère une tendance à voir dans plusieurs épisodes angéliques l’œuvre du chef,
Michel. Cette tendance se retrouve par exemple dans les programmes du monastère de
l’Archangélos près de Cemil, ou dans l’église du Grand Pigeonnier à Çavuşin1460, mais
également sur les portes en bronze du sanctuaire au Mont Gargan, assez proches des épisodes
décrits par Pantoléon. La succession des épisodes bibliques et orientaux de type byzantin, ne
connait aucune suite dans l’iconographie occidentale.

III.2.2.5. Les images italiennes de saint Michel à l’aube du XIIIe siècle

Dans l’Empire byzantin, l’aire de dévotion à Michel est large et il est l’un des saints
les plus représentés entre le VIIIe et le XIe siècle. Il apparait dans deux types principaux :
celui du guerrier vêtu d’habits militaires et armé ou, le plus souvent, en dignitaire de la cour
impériale où il apparait comme un kosmokratôr1461. Comme nous venons de le voir avec les
images narratives des apparitions de l’archange, l’iconographie michaélique ne connaît pas un
développement similaire et en connexion constante entre l’Orient et l’Occident. Il s’établit
pourtant un dialogue évoluant au gré des différents contextes politiques et culturels, tantôt
soutenu et vif, tantôt réduit ou filtré.

Les liens historiques et politiques qui ont lié certaines régions d’Italie à l’Empire d’Orient
pendant l’Antiquité tardive et au début du Moyen Âge ont déjà été évoqués. Au niveau
culturel, il faut noter une autre vague d’influence byzantine au Haut Moyen Âge due à
l’importante émigration de moines grecs à la fin du VIe siècle, contraints de fuir les invasions
avaro-slaves des Balkans. Une seconde vague a lieu au moment où une partie de l’Italie
méridionale - dont le Mont Gargan - repasse sous domination byzantine entre la fin du IXe
siècle et le début du XIe. Pendant cette période de seconde hellénisation, il faut souligner
d’importants échanges artistiques facilités par la mobilité des modèles orientaux sur
manuscrits ou sur icônes. Ces échanges sont particulièrement visibles dans les peintures des
Pouilles et de la Basilicate, où les modèles byzantins se développent largement, notamment
dans les images de Michel au lôros en milieu rupestre1462. Dans l’aire campanienne, plus
fortement liée à la culture lombarde et en rapport étroit avec Rome, les éléments de dérivation
byzantine existent mais de manière moins déterminante, filtrés par la tradition romaine,
1459
L’homélie aux « très grands miracles de l’archistratège Michel » est prononcée pour la fête du 8 novembre
entre 843 et 867, et connait une large audience. Voir JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 190.
1460
Michel est l’ange apparaissant à Josué, chasse Adam et Ève du Paradis, lutte contre Jacob, assiste Daniel
dans la fosse aux lions… ; Voir JOLIVET-LÉVY, 1997, pp. 187-198.
1461
MARTIN-HISARD, 1994, p. 355.
1462
ROSSI et ROVETTA, 1995, p. 22 ; BELLI D’ELIA, 2011, p. 222
259
paléochrétienne et haute-médiévale1463. La fin de la domination byzantine et l’arrivée des
Normands au XIe siècle dans le sud de l’Italie, ne sonne ni la fin de l’influence byzantine, ni
celle du type byzantin de Michel.

Nous avons vu que le type byzantin de Michel se définissait principalement par une frontalité
et un type vestimentaire. À ce titre, il faut noter l’importance du lôros comme attribut
principal du « Michel byzantin » notamment à partir du XIe siècle. Portée sur une simple
tunique, la longue écharpe est placée sur les épaules, contourne la partie basse du corps, alors
qu’une de ses extrémités retombe sur le devant de la tunique et la seconde repose sur le bras.
L’archange est en général nimbé, ailé, la tête nue et chaussé de souliers pourpres. Il porte le
sceptre et le globe1464. Précisons une nouvelle fois que ces éléments sont également valables
pour les autres figures d’archanges, notamment Gabriel qui est, avec Michel, l’archange le
plus souvent présent dans les programmes occidentaux et orientaux. Le nom de l’ange est
encore fréquemment inscrit à proximité de sa figure. Ce type se retrouve en territoire byzantin
au XIIe siècle, comme à Ghelati, dans la mosaïque absidiale de l’église de la Vierge.

1465

Fig. 75. Vierge à l’Enfant entourée de Michel et de Gabriel, mosaïque absidiale, église de la Vierge,
Ghelati (actuelle Géorgie), XIIe siècle.

Il est également présent à Palerme, dans le Michel du duomo réalisé à mosaïques au XIIe
siècle, et dans celui de l’église de la Martorana, qui propose de légères variantes dans les
attributs, ici un étendard, et dans le geste et la position de l’archange, représenté de trois-
quarts, le corps recourbé et la main tendue vers le centre de la composition, formule que l’on
retrouve également dans l’art byzantin.

1463
BELLI D’ELIA, 2011, p. 223.
1464
COSTA, 1981, p.112.
1465
Image provenant de la notice wikipédia du monastère de Ghélati :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Monast%C3%A8re_de_Gh%C3%A9lati .
260
1466 1467

Fig. 76. Saint Michel, Palerme, église de la Fig. 77. Saint Michel, Palerme, Duomo,
Martorana, voûte de la quatrième travée, 1143- paroi de l’abside, 1179-1182.
1141.

Ces deux mosaïques attestent que le dialogue avec l’art byzantin ne se limite pas, dans
certains programmes italiens, à l’adoption d’une écharpe brodée, mais est également lié à un
type physionomique, des formes et une technique. La création de grands programmes à
mosaïques dans les importants lieux de culte où travaillent des maîtres grecs renommés, en
Sicile ou à Venise par exemple, démontre d’importants contacts avec le monde artistique
byzantin. La tendance formelle marquée par ce que l’on appelle le style graphique byzantin se
développe au XIIe siècle également en Italie comme en témoigne l’importance du réseau
linéaire sur les figures palermitaines, le remplacement des modelés par la multiplication des
rides sur les visages et des plis dans les vêtements. Loin de figer les figures, ce style
graphique confère un certain dynamisme aux drapés, une animation indépendante des corps
qu’ils recouvrent1468. Les figures de Michel des deux côtés de la Méditerranée possèdent le
même ovale du visage, la même chevelure épaisse légèrement ondulée et traversée par une
bandelette ornée d’un fleuron1469. Jacques Bousquet souligne l’importance de la Sicile dans le
développement de l’art byzantin en Italie, surtout dans la seconde moitié du XIIe siècle1470.
Pour Armando Petrucci, l’iconographie byzantine de saint Michel se diffuse amplement entre
le XIe et le XIIe, dans toute l’aire méditerranéenne de culture artistique grecque, dans le sud de
l’Italie, mais également dans les régions centrales et septentrionales de la Péninsule, surtout à
travers les œuvres de peintres et mosaïstes liés aux modules figuratifs orientaux comme à
Santi Giovanni e Paolo et San Clemente à Rome au XIe siècle, à Venise sur deux couvertures
d’évangéliaires du X et XIe siècles, et dans l’autel doré de San Marco, ou dans la cathédrale
de Torcello1471.

Parallèlement à ce dialogue entre art latin et art byzantin, par l’entremise de


programmes de grandes envergures, on observe une diversification des types de commandes
dans le monde byzantin, marquée par l’implication de plus petits donateurs, en province

1466
Image provenant du site : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_de_la_Martorana_de_Palerme .
1467
Image provenant du site : http://www.fotografieturismoitalia.com/photos/arte_architettura/big/duomo-
monreale-7.jpg .
1468
VELMANS, 2006, p. 129.
1469
VILETTE, 1940, p. 64.
1470
BOUSQUET, 1974, p. 24.
1471
PETRUCCI, 1966-1993, pp. 339-352.
261
notamment, qui participent à une certaine « démocratisation » de la commande. Cette
évolution est caractérisée par l’importance croissante de la peinture qui remplace petit à petit
les mosaïques1472. Cette tendance a un certain écho en Italie, notamment dans les territoires
sous ancienne domination byzantine, et particulièrement en milieu rupestre où les portraits
peints de Michel de type byzantin se multiplient entre le XI et le XIIIe siècle. De grands
programmes sont également peints en Italie dans un style oriental, comme à Sant’Angelo in
Formis où la figure de l’archange est de style et d’iconographie pleinement byzantins.

1473

Fig. 78. Saint Michel, abbaye de Sant’Angelo in Formis, fresque de l’abside, 1180 environ.

Mais dans certaines peintures, ce type s’éloigne peu à peu du modèle oriental, se simplifie ou
s’amalgame avec d’autres traditions, locales ou non, agissant aussi bien sur une mutation des
formules iconographiques que sur les formes elles-mêmes. Dans ce contexte, le lôros se
transforme progressivement en fine écharpe qui n’a plus grand-chose à voir avec l’accessoire
de la cour et le décorum byzantin dont il était issu1474. Il constitue à présent un élément de
l’uniforme de l’archange et est associé à d’autres attributs, parfois clairement d’origine
occidentale. L’association la plus courante est celle du type byzantin de Michel avec celui du
combattant du dragon. Les deux types sont souvent simplement juxtaposés, parfois de
manière presque inaperçue, comme à Torcello où la discrétion du dragon ne vient pas
modifier la prestance et le sérieux byzantin de la figure michaélique. À Santa Maria Maggiore
de Monte Sant’Angelo, à deux pas du sanctuaire dédié à l’archange, Michel conserve la
frontalité byzantine, le cerne noir pour dessiner le visage rappelle les formes orientales, et
même s’il ne porte pas ici clairement le lôros, la présence d’une bande et d’un panneau
d’étoffe rebrodé sur la cape de l’archange rappelle le type impérial byzantin par l’évocation
d’un lôros ou d’un tablion. Le dragon occupe une place secondaire, mais l’oblique de la lance
tenue par Michel appelle le regard vers lui.

1472
VELMANS, 2006, p. 130.
1473
Image provenant du site : http://2.bp.blogspot.com/-Zk5MA1vmQrA/UdFHMsmzzrI/AAAAAAAAJkE/
Vg3MNc0BLZw/s1107/formis-11.jpg .
1474
BELLI D’ELIA, 2011, p. 223.
262
1475

Fig. 79. Michel, Santa Maria Maggiore, Monte Sant’Angelo, XIe siècle.

Si le succès du type byzantin de saint Michel est une particularité italienne, il peut apparaitre
ponctuellement dans d’autres régions occidentales, comme dans la cathédrale du Puy-en-
Velay1476. Dans le bras nord du transept, un gigantesque archange peint au XIe siècle, foule
aux pieds un dragon et le transperce de sa lance. Il s’agit ici d’une forme dérivée du dignitaire
de la cour byzantine car si la tunique pourpre et le lôros sont reconnaissables, ils sont figurés
d’une manière très stylisée au point que les motifs ornementaux représentant habituellement
les pierreries de l’écharpe byzantine sont ici de simples cercles bichromiques. La frontalité et
le dessin linéaire rappellent également les formes byzantines, mais les proportions du corps et
de la tête ne répondent plus du tout aux canons de l’art byzantin.

1477

Fig. 80. Michel terrassant le dragon, Cathédrale du Puy-en-Velay, XIe siècle.

En règle générale, les images d’Outremonts sont caractérisées par un plus grand mouvement
et une plus grande liberté des figures dans les compositions, comme l’attestaient déjà les
images carolingiennes ou ottoniennes de Michel. L’iconographie de saint Michel en Italie
propose une voie moyenne entre hiératisme et majesté byzantins et vitalité occidentale.
L’archange peint dans la grotte de Rongolise résume parfaitement cet aspect1478 : le type

1475
Image provenant de LOMELE, MAVELLI, VACCA, 1999, p. 44, fig. 10.
1476
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 64.
1477
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 64.
1478
À propos de cette peinture voir BELLI D’ELIA, 2011, p. 229 ; PIAZZA, 2007, tav.78 et p. 163 ; BERTELLI
C., 1994, fig. 540.
263
michaélique est toujours celui du dignitaire byzantin, portant tunique, chausses pourpres et
lôros, mais l’action est plutôt inspirée des tympans français romans. Michel est représenté de
trois-quarts, en train de porter la balance et de contenir par la pointe de sa lance, un démon qui
emporte une âme damnée.

1479

Fig. 81. Michel pèse les âmes, Santa Maria in Grotta, Rongolise, milieu XIIe siècle.

Le type byzantin est associé dans les images aux principales fonctions de l’archange de
combattant du mal et de protecteur de la balance. Mais l’attribut impérial caractéristique de ce
type, le lôros, devient dans certaines images un simple élément participant à l’ « uniforme »
de Michel et il semble évident que les peintres en perdent progressivement le sens et les
origines. Le mouvement qui vient parfois animer Michel dans les peintures italiennes
participe également à l’éloignement du modèle byzantin. Pourtant, à l’aube du XIIIe siècle, le
type de l’archange byzantin est encore le plus courant dans l’iconographie michaélique.

III.1.1. Conclusion

Il est étonnant d’étudier la naissance, les siècles de réflexion, les tâtonnements, les
reprises, les inventions puis les modifications, qui sont à l’origine de la création d’un type
iconographique d’une image que le spectateur balaye d’un regard et reconnait sans se soucier
du travail de quantité d’hommes que cela a nécessité, annulant en quelques secondes ce long
processus créatif1480.
À l’aube du XIIIe siècle, tous les « types » iconographiques de la figure de Michel sont déjà
formés - l’archange paléochrétien, le Michel byzantin, le guerrier ailé - et il a déjà été mis en
scènes dans divers épisodes - les apparitions dans les grands sanctuaires, l’Apocalypse, le
Jugement dernier, la chute des anges rebelles. L’ensemble des attributs qui lui sont propres
ont également été associés à sa figure : les armes, les âmes, la balance, les démons, le dragon.
Le passage du XIIe au XIIIe ne marque pas une révolution dans l’iconographie de saint Michel
puisqu’aucun élément nouveau n’est ensuite créé. Pourtant, les évolutions techniques dans le

1479
Image provenant du site :
http://www.flickr.com/photos/14747125@N08/7986405139/sizes/o/in/photostream/
1480
BUSSAGLI, 1991, p. 139.
264
domaine de la peinture, mais également les modifications profondes de spiritualité qui ont lieu
au cours des derniers siècles du Moyen Âge, vont concourir à une réappropriation de la figure
de Michel, et à une affirmation de certains éléments de son iconographie, des associations,
des précisions, des abandons, proposant alors des formules iconographiques inédites propres à
ce contexte historique et géographique.

265
266
CHAPITRE 2:
ENTRE L’ANGE ET L’HOMME. DESCRIPTION DE
L’IMAGE DE MICHEL EN ITALIE ENTRE 1200 ET
1518

267
268
I- LES PORTRAITS DE SAINT MICHEL

I.1- Présentation du corpus

I.1.1. La compilation du corpus


Le corpus a été réalisé principalement lors des deux premières années de notre
recherche. Il a consisté à réunir des représentations de peintures figurant saint Michel et
créées en Italie entre 1200 et 1518.

I.1.1.1. La traque des images de saint Michel

À la base de notre corpus, se trouve l’Index of Christian Art (ICA), consulté à la


Bibliothèque des Arts et des Lettres de l’Université d’Utrecht qui possède une version papier
et une version numérique mise à jour de l’ICA. Fondé par le professeur Charles Rufus Morey
à l'Université de Princeton en 1917, l’index contient aujourd’hui plus de 250 000
reproductions photographiques d’objets chrétiens de la période médiévale, classées selon leur
technique de réalisation, leur lieu de conservation ou le thème iconographique de l’image
qu’ils portent. Depuis que la Bibliothèque Apostolique Vaticane a cessé son inscription à
l’Index en 2005, la version d’Utrecht est la seule à jour disponible en Europe 1481. Environ
deux cent cinquante références ont été retenues et ont constitué la base de notre étude. Si la
version numérique nous a permis d’obtenir quelques images en couleur de qualité convenable,
la plupart des références acquises dans l’ICA provenaient des fiches papier, que nous avons
pu photographier mais dont la qualité des clichés n’était pas suffisante pour notre base de
données. Nous devions ainsi chercher ailleurs les reproductions des peintures référencées
grâce à l’Index de Princeton.
Après cette première récolte, nous avons consulté les dictionnaires iconographiques
comportant des entrées sur saint Michel ou les scènes où il intervient (Apocalypse, Jugement
dernier, scènes de sa légende). Pour la période du Moyen Âge, nous avons principalement
utilisé celui de Louis Réau1482, et pour l’Italie, les différents volumes de George Kaftal1483. La
lecture des différents volumes de la Bibliotheca Michaelica et autres comptes-rendus de
colloques autour de l’archange, nous a fourni de nouvelles références d’images à intégrer dans
notre corpus ainsi que des éléments de comparaison constitués par des œuvres qui ne
correspondaient pas à nos limites géographiques et/ou chronologiques.

1481
Les autres versions se trouvent toutes aux États-Unis : une dans son université d’origine à Princeton, une à
Washington et une à Los Angeles,
1482
REAU, 1955 ; 1956 ; 1957 ; 1958 ; 1958 ; 1959.
1483
KAFTAL, 1952 ; 1965 ; 1978 ; 1985.
269
Une partie des peintures recensées pour notre travail a été glanée dans le feuilletage
systématique de livres, monographies d’artistes, de lieux de culte et catalogues de musées ou
d’expositions. Malgré le caractère quelque peu archaïque et arbitraire de cette méthode, elle a
permis d’ajouter un nombre important de peintures à notre corpus, notamment des œuvres
moins connues que celles trouvées dans les dictionnaires iconographiques ou sur les sites
Internet. Ce dépouillement minutieux a été possible grâce à l’obtention de ma première bourse
à l’École Française de Rome en novembre 2007 et grâce à la présence des salles au 3e étage
du Palais Farnèse regroupant les catalogues d’expositions (côtes BCE), les catalogues de
musées (côtes BCM) et les monographies d’artistes, de monuments ou de sites (côtes BI).
Les différents séjours en Italie que j’ai pu effectuer lors de la période de mon doctorat - dans
le cadre de bourses à l’École Française de Rome1484, de séjours d’études, de voyages pour
assister à des colloques1485, ou de séjours personnels - auront également permis de récolter
plusieurs peintures de Michel et surtout de les étudier pour certaines dans leur contexte intial
de réalisation et/ou de réception au Moyen Âge.
Enfin, le réseau Internet, s’il doit être manié avec précaution dans le cadre d’études
scientifiques, a constitué un outil remarquable pour la fabrication de notre corpus. Nous
sommes conscients que notre étude n’aurait pas le même visage aujourd’hui sans l’utilisation
de cette ressource, visible par exemple dans la forte présence de références de sites dans la
catégorie « référence de l’image » de notre base de données. Le réseau joua un rôle central
dans notre recherche de reproductions des peintures de saint Michel, et certains sites
sérieusement documentés - tels ceux des musées ou certaines bases de données gérées par des
personnalités universitaires - nous ont donné des informations importantes sur les œuvres
étudiées. L’intérêt d’Internet pour nous réside également dans la présence de véritables
bibliothèques de revues en ligne, libres d’accès, qui nous proposent un nombre
impressionnant de contributions enrichissant nos points de vue1486.

I.1.1.2. Nature des représentations de notre corpus

La diversité de nos modes de recherches des peintures de Michel entraine une variété
de nature des reproductions proposées. Quand cela a été possible, nous avons pris des clichés
directement à partir des peintures étudiées soit in situ soit dans les musées quand cela était
autorisé. Il peut s’agir également de photocopies ou numérisations couleur ou noir et blanc
d’ouvrages dans lesquels apparaissent les peintures qui nous intéressent ou même des
photographies de ces mêmes ouvrages. Cette dernière méthode qui consiste à prendre en
photographie des photographies de peintures, a été largement utilisée car plus rapide et
1484
Une première en novembre 2007, une deuxième en novembre 2010 et une troisième et dernière en février
2014.
1485
Tel celui qui a eu lieu entre le 26 et le 29 septembre 2007 à Saint-Michel de la Cluse, portant sur les
Pèlerinages et sanctuaires de Saint-Michel dans l’Occident médiéval.
1486
Nous avons principalement utilisé Persée (www.persee.fr), Cairn (www.cairn.info), Revues.org
(www.revues.org) et Jstor (www.jstor.org).
270
économique que celles précédemment citées. Enfin, les copies de photographies trouvées en
ligne constituent la part principale de notre corpus.
Nous avons évoqué le fait que l’Index of Christian Art nous avait apporté un grand nombre de
références de peintures, mais aux reproductions bien souvent inutilisables. C’est également le
cas des images présentes dans des ouvrages anciens ou de mauvaises factures, dont les images
sans couleur ou à la reproduction médiocre ne pouvaient être étudiées convenablement. Ce
sont les réseaux Internet qui nous ont alors fourni les reproductions nécessaires. Si la qualité
n’est pas toujours très bonne sur tous les sites, le développement récent des portails officiels
des institutions propriétaires de peintures originales, permet souvent une qualité remarquable
autorisant parfois l’observation de détails invisibles à l’œil nu ou dans les livres1487.
Les sites internet utilisés dans notre recherche d’images peuvent être de natures différentes.
Selon leur nature, ils ont pu être utilisés uniquement pour la copie d’images, ou parfois pour
les informations apportées sur l’œuvre, l’artiste ou le contexte historique. Les sites officiels
des musées, italiens ou non, comportent pour la plupart aujourd’hui un catalogue en ligne
avec les photos de leurs œuvres, les informations qui les concernent et parfois une
bibliographie1488. C’est également le cas pour les monuments ou les communes qui possèdent
un patrimoine important1489, mais les clichés restent souvent des panoramas trop généraux ou
de qualité médiocre pour être étudiés ou reproduits. L’Unesco peut également fournir des
photos et des informations en ligne sur les sites qu’elle classe au Patrimoine Mondial de
l’Humanité1490.
Un nombre important de banques d’images a fleuri dernièrement sur la toile proposant le
regroupement de photos et de données en fonction d’un sujet, d’une période, d’une collection
constituée, d’un lieu de conservation ou d’une zone géographique donnée. Le site d’Insecula,
par exemple, regroupe plusieurs catalogues de musées en ligne, de tous les pays du monde1491.
Ces initiatives peuvent être totalement indépendantes d’une quelconque institution muséale ou
universitaire - telle la Web Gallery of Art, sorte de musée virtuel qui regroupe par auteurs des
œuvres du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle1492 - ou au contraire être portées par des musées
ou des universités - telle la base de données Préalp regroupant des notices sur la peinture
murale dans l’arc alpin mise en place par la Maison des Sciences de l’Homme - Alpes, de

1487
Citons à titre d’exemple les reproductions en ligne de la Kress Foundation d’une qualité remarquable
(www.kressfoundation.org).
1488
Parmi les sites comportant des illustrations de bonne qualité ainsi qu’une notice interessante, citons par
exemple celui de la Pinacoteca de Bologne (www.pinacotecabologna.beniculturali.it) ou celui de la National
Gallery de Londres (www.nationalgallery.org.uk).
1489
Telle la commune de Padoue qui met en ligne des clichés de l’oratoire Saint-Michel qui se trouve sur son
territoire (http://padovacultura.padovanet.it/homepage-6.0/2004/03/oratorio_di_san_michele.html). Le site
institutionnel de Soleto développe un intérêt pour son patrimoine, comme l’atteste le grand nombre de photos
présentées en ligne (http://www.comune.soleto.le.it/Photo%20Gallery.htm).
1490
Comme la chapelle San Bernardino de la cathédrale de Modène qui figure à ce titre sur son site avec des
images de bonne qualité
(http://www.unesco.mo.it/cappella_bellincini.php?unesco=28b0002cb4afab1d0f19c40222df08c7)
1491
www.insecula.com
1492
www.wga.hu
271
Grenoble, sous la direction du professeur Dominique Rigaux 1493. Les régions et les
départements peuvent également être à la base de la mise en ligne d’une banque d’images
d’œuvres conservées sur leur territoire.
La mise en ligne de la photothèque de la Fondazione Federico Zeri est importante pour nous
car une soixantaine d’images de notre corpus provient de cet ensemble, soit plus de 10% de
nos représentations. Il s’agit d’un fond exceptionnel constitué de 290 000 photographies
d’œuvres réunies par Federico Zeri dont 150 000 concernent la peinture italienne. Si les
photographies disponibles en ligne sont souvent en noir et blanc puisqu’elles correspondent à
la numérisation d’anciens clichés rassemblés par Federico Zeri, la qualité du classement, du
moteur de recherches et des informations disponibles sur le site en font un outil remarquable.
Enfin, le dernier type de site que nous avons utilisé dans notre recherche d’images sur le
réseau Internet, est celui constitué de banques de photographies, mises en ligne par des
professionnels ou des particuliers pour la beauté des clichés ou pour laisser la trace d’une
visite d’un musée ou d’un monument. Bien sûr, ces sites n’ont aucune vocation informative
sur les peintures présentées qui ne sont pas classées de manière cohérente, mais ils permettent
de retrouver, avec le nom d’un site ou celui d’un peintre, des reproductions en couleurs et de
meilleurs qualités dont les références avaient été glanées auparavant dans l’Index of Christian
Art, un ouvrage ancien ou la photothèque de la Fondazione Federico Zeri1494.
C’est l’utilisation simultanée de ces différents outils et la prise en compte de leurs différences
de natures et de qualités scientifiques, qui ont permis la réalisation de notre corpus constitué
d’un peu moins de 500 peintures de saint Michel. Ces images ont été classées dans une base
de données.

I.1.2. Tri du corpus et typologie

Afin de pouvoir étudier au mieux ce nombre considérable de peintures, nous avons


réalisé une base de données. Le logiciel File Maker Pro Advanced 1495, d’utilisation aisée, a
permis la création de rubriques en fonction de nos besoins, avec possibilité d’introduire des
listes déroulantes pour faciliter l’entrée des informations, et l’insertion d’images,
indispensable pour notre travail.

1493
www.prealp.msh-alpes.fr
1494
Principalement www.flickr.com , site de partage de photos de professionnels et de particuliers. Nous avons
également utilisé le service « images » du moteur de recherche Google qui permet, à partir d’un mot ou d’un
groupe de mots d’accéder directement aux images qui sont associées à ces paroles sur les différents sites
Internet.
1495
Version 8.5 v1.
272
I.1.2.1. Description de la base de données

Doc. 1. Exemple d’une fiche réalisée sur notre base de données

273
Les six premières rubriques concernent les informations techniques et historiques de la
peinture présentée. La première comporte le titre de l’œuvre, celui qui est proposé par
l’affichage ou le catalogue du musée ou de l’institution qui gère la peinture, celui qui est
généralement admis par la tradition, ou s’il n’y en a pas, le nom de la scène principale
représentée ou des personnages principaux. La deuxième rubrique contient le lieu de
conservation de l’œuvre : commune, puis nom de l’église, du bâtiment, du musée ou de la
collection qui l’accueille, et le numéro d’inventaire s’il existe. Une sous-rubrique indique la
région italienne dans laquelle a été créée l’image et qui constitue son contexte de création. La
rubrique suivante indique la description matérielle de la peinture : nature du support,
technique de réalisation, état général de conservation, dimensions. La quatrième rubrique est
divisée en deux sous-rubriques pour la datation : une première qui donne le siècle de
réalisation de la peinture, et une seconde qui précise cette chronologie, soit par une année
(comme sur la fiche présentée « 1345 »), soit par une indication moins précise (« 4e décennie
du XIVe siècle » par exemple). Cette division en sous-rubriques permet le classement plus
aisé des peintures par ordre chronologique. La cinquième rubrique indique, quand elle est
connue, l’attribution. Il peut s’agir d’un ou plusieurs noms ou d’un contexte d’exécution
(« atelier de Pietro Lorenzetti » par exemple). L’auteur de l’attribution peut apparaitre entre
parenthèses quand celle-ci est problématique. Enfin la dernière rubrique de ce premier
ensemble indique le commanditaire ou le contexte de réalisation : nom du commanditaire s’il
est connu, nature de la commande (laïque, religieuse, franciscaine…).
Le deuxième ensemble de rubriques concerne directement l’iconographie de la peinture. Un
espace plus grand est réservé à la description de l’iconographie principale, qui permet
d’indiquer les épisodes, les noms des différents saints, l’organisation spatiale de la
composition ou toute autre information susceptible de favoriser l’analyse iconographique. La
rubrique suivante indique la typologie générale de Michel, dont les différents types sont
accessibles dans une liste déroulante. Il y a trois grands types - Michel l’ange, avec ses deux
variantes principales, vêtu de l’aube simple et l’ange diacre ; Michel l’archange byzantin ;
Michel le saint guerrier ailé - qui ont été déterminés en fonction des vêtements portés par
l’archange, et qui sont complétés par l’action principale qu’il réalise dans l’image, comme
dans l’exemple présenté : « Le saint guerrier ailé : contre le mal ». Nous reviendrons sur la
définition de ces différents types dans une prochaine partie. La rubrique suivante, qui permet
l’entrée de quatre éléments différents, définit précisément la figure de Michel, à partir une
nouvelle fois de listes déroulantes. Elle concerne aussi bien la posture de l’archange, sa place
dans l’espace pictural que les actions qu’il réalise dans l’image. Ici, saint Michel est
représenté « en pied », « transperçant un dragon » et « foulant aux pieds le dragon ». La
quatrième rubrique concernant l’iconographie permet d’insérer jusqu’à douze éléments,
accessibles toujours dans une liste déroulante, afin de préciser les attributs portés sur ou par
Michel (vêtements, armes) et également les éléments qui l’environnent et qui participent à la
définition de sa figure (personnages qui l’accompagnent, qu’il protège ou qu’il combat, fond
devant lequel il apparait). Sur l’exemple proposé, Michel porte un nimbe, des ailes, un
diadème, une armure, une chape, une lance, un bouclier, et est figuré avec un dragon devant
un fond neutre. Enfin, une dernière rubrique indique la présence d’inscriptions dans l’espace
274
pictural étudié et en reporte le contenu lorsqu’il est encore lisible. L’espace suivant est
consacré à la reproduction de la peinture étudiée et une case à cocher permet de préciser si
elle est en couleurs ou en noir et blanc, dans le but de faciliter la recherche d’images lors de la
saisie de la base de données.
Le troisième et dernier ensemble de rubriques comporte les références de l’image
(bibliographiques et/ou sitographiques), une bibliographie sommaire et des notes diverses,
notamment des précisions sur le contexte de la commande ou sur l’histoire de la peinture.

I.1.2.2. Utilisation de la base de données

La base de données comporte des fonctionnalités particulièrement intéressantes en ce


qui concerne l’analyse quantitative de notre corpus. Les recherches avancées et les tris des
notices permettent de mettre en avant certaines particularités de l’iconographie de l’archange
à un moment donné ou dans une région précise. À titre d’exemple, la recherche avancée nous
permet de voir qu’au XIIIe siècle, sur les 35 peintures recensées, 23 représentent Michel en
vêtements de la cour byzantine (soit presque 2/3 des peintures du Duecento), alors qu’au XIVe
siècle, sur les 166 peintures, seules 16 le présentent en tenue orientale (soit moins d’une
peinture sur 10). La base de données permet des calculs rapides qui viennent confirmer - ou
parfois infirmer - par des nombres concrets les constats faits par l’observation du corpus.
Le catalogue présenté sur le support numérique joint à ce manuscrit a été réalisé à partir de la
base de données. Il n’en reprend pourtant pas toutes les rubriques, dont la plupart ont été
créées uniquement comme outil pour faciliter l’analyse de notre corpus (notamment les
différentes rubriques de descriptions iconographiques). Ainsi nous avons conservé
principalement les rubriques d’information matérielle des peintures, le type iconographique
principal de Michel, la représentation de l’œuvre et les références bibliographiques.

I.1.2.3. Présentation de la typologie du corpus

Étant donnée l’ampleur de notre corpus, il n’était pas possible de proposer une
description précise de chaque peinture. Nous avons donc choisi de classer les images par
groupes en fonction de critères iconographiques. Le choix des catégories a été fait à partir de
l’observation du corpus, grâce aux recherches et aux classements réalisés sur la base de
données, et a sans aucun doute reçu l’influence de la bibliographie consultée qui étudie
souvent l’un ou l’autre aspect de l’iconographie de Michel. La difficulté réside dans le fait
qu’un type de vêtement porté par l’archange et complété par une série d’attributs ne limite pas
pour autant le rôle de Michel dans l’image à une seule fonction.
En observant le schéma proposé ci-après, nous remarquons que l’iconographie de Michel
comprend en définitive un nombre limité d’éléments : trois tenues principales (l’aube, le
vêtement de cérémonie byzantin et la tenue de guerrier), trois attributs principaux (le globe,
275
les armes et la balance), et trois situations principales (contre le mal, portant la balance ou
apparaissant en vision), mais qui peuvent être associés de toutes les façons possibles, les uns
avec les autres, avec des degrés différents, en modifiant légèrement ou complètement le rôle
de Michel dans l’image. Ainsi, nous avons pu définir trois fonctions principales de Michel
(« le guerrier, le juge et le prince » 1496 par exemple) auxquelles seraient associés un type de
tenue, un type d’attribut et un type d’action, correspondant tous ensemble à la fonction
principale citée. La complexité des combinaisons iconographiques, ou plutôt leur
enchevêtrement, nous imposait d’étudier séparément chaque catégorie d’attributs. Nous allons
ainsi commencer par les éléments intangibles de l’iconographie de Michel, le fait qu’il soit
représenté comme un homme, ailé, avec une physionomie bien particulière. Cette analyse
correspond dans notre schéma au premier niveau de l’organigramme, la case « Michel ». Puis
nous décrirons les vêtements - deuxième niveau dans l’organigramme - qui déterminent ce en
tant que quoi Michel intervient dans l’image : un ange, un archange, un saint guerrier ailé.
Enfin, nous analyserons les attributs qui complètent ou contredisent cette nature, constitués
d’objets portés ou utilisés par Michel, pour terminer par le type d’action qu’il réalise et le
contexte iconographique dans lequel sa figure apparait. Tous ces éléments correspondent aux
niveaux trois, quatre, voire cinq de notre organigramme. Chacun des types ainsi décrits peut
présenter Michel en pied ou en action selon l’implication de l’archange dans l’action, sa place
dans l’espace pictural et le développement d’éléments annexes à sa figure. L’analyse de cet
aspect, qui correspond au troisième niveau de l’organigramme, sera également menée dans le
deuxième chapitre de notre travail.

1496
Sous-titre utilisé par DEHOUX, 2011, p. 112.
276
Doc. 2. Typologie de l’iconographie de saint Michel en Italie (1200-1518).

277
En établissant cette typologie, nous ne voulons pas signifier que les éléments constituant la
figure de Michel peuvent être considérés comme de simples signes constituant une sorte
d’ « alphabet iconographique » toujours correctement applicable et appliqué. Le schéma lui-
même montre les limites de ce genre de classement puisque nous remarquons que les types,
les attributs et les contextes, sont souvent les mêmes, imbriqués, associés selon divers degrés,
dont il est impossible de rendre compte à travers un schéma si simplifié et si rigide.
Considérons-le ainsi pour ce qu’il est : un outil permettant d’aborder la description d’un
corpus riche de cinq-cents pièces. Nous définirons ainsi dans la partie suivante, chacun des
grands types iconographiques puis nous reviendrons sur chaque attribut porté par l’archange,
chaque attitude, et chaque contexte dans lequel il apparait.

I.2- Une image d’un sur-homme ailé. Les éléments invariables de son iconographie

Avant de se pencher en détail sur les trois types principaux de l’iconographie


michaélique en Italie à la fin du Moyen Âge, nous allons nous intéresser aux éléments
constants pour tous ces types : le caractère anthropomorphe de sa figure, les ailes, et une
physionomie assez stable dans notre corpus. Étudions le portrait de l’archange.

Saint Michel ne possède pas une physionomie très différente de celle des autres anges
dans les représentations. Elle répond à un idéal de beauté marqué par une douceur des traits,
une jeunesse éternelle sous des cheveux clairs et lumineux. Les textes sacrés ne donnent
aucune description de l’aspect physique de Michel et les récits des légendes dans lesquelles il
apparait non plus. Le seul caractère qui apparait est celui de la solennité. Dans le texte
apocryphe du testament d’Abraham, le patriarche le prend pour un soldat et évoque une noble
prestance, la jeunesse et la beauté (Testament d’Abraham, II 4-5)1497.
Michel, en tant qu’ange est représenté sous la forme d’un homme ailé. Nous avons déjà
analysé les raisons qui ont mené les fidèles à représenter les anges sous une forme
anthropomorphe puis les raisons de l’adjonction d’ailes à leur figure (voir chapitre 2, I. Saint
Michel, l’homme ailé : origines et représentations des anges et de Michel au Moyen Âge) et
nous ne reviendrons pas ici sur la question. Nous insisterons seulement sur les aspects qui
caractérisent Michel : le fait qu’il soit toujours représenté sous la forme d’un personnage
masculin, d’âge jeune, mais jamais en enfant.

1497
La Bible, écrits intertestamentaires, sous la direction d’André DUPONT-SOMMER et Marc
PHILONENKO, Ligugé, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p.1657-1658.
278
I.2.1. Le sexe et l’âge de Michel

Nous avons vu que la question du sexe des anges dans les images pouvait faire débat,
notamment à partir du XVe siècle où la typologie de l’ange-féminin remporte un large succès,
mais qu’elle ne semblait pas concerner Michel, ange guerrier par excellence, qui reste ainsi un
personnage masculin tout au long du Moyen Âge et lors de la période étudiée.
Le choix de représentation des anges sous les traits masculins peut en partie s’expliquer par la
chute des anges rebelles énoncée dans le Livre d’Énoch (15, 6). Dans ce texte, la rébellion
s’expliquerait par le fait que des anges seraient tombés amoureux des filles des hommes1498.
Cet épisode ainsi que la supériorité masculine généralement affirmée au Moyen Âge, fondée
sur la culpabilité d’Ève, justifie l’aspect physique masculin des anges dans les catacombes où
ils sont même parfois barbus.
Michel n’est à notre connaissance, jamais représenté barbu. Il est pourtant vêtu de vêtements
masculins voire mixtes, et son corps est clairement inspiré de l’anatomie masculine,
notamment à partir du XIVe siècle où l’archange est de plus en plus souvent représenté vêtu
de l’armure, ce qui insiste sur le genre de sa figure et permet de souligner la force de ses
membres non couvert par l’attirail militaire. Ainsi, même si au XVe siècle, certains anges
acquièrent des physionomies féminines, allant même jusqu’à emprunter certaines courbes,
positions ou vêtements typiquement féminins1499, l’image du chef de la milice céleste reste
fidèle à celle d’un homme fort, au visage juvénile. Notons que quelques images de l’archange
sont tout de même contaminées par cette féminisation de la garde-robe angélique, comme
dans un panneau peint par Bernardino Butinone à la fin du XVe siècle : Michel porte une
tunique au tissu bouffant, ceinturée une première fois sous la poitrine et une seconde fois à la
taille, et fendue sur toute la longueur de la jambe, qui ne correspond en rien aux vêtements
militaires les plus courants dans l’iconographie michaélique1500. Mais en règle générale, le
corps puissant et musclé de Michel ne peut être confondu avec celui d’une femme, malgré la
douceur de sa physionomie qui vient en quelque sorte atténuer cette virilité masculine.

Si son corps est celui d’un homme fort en pleine force de l’âge, les traits doux de son
visage apportent une jeunesse propre aux représentations des anges. Michel reste un éphèbe
dans l’iconographie de la fin du Moyen Âge, mais ne sera pourtant jamais représenté en
enfant, ce qui semble évident lorsqu’on connait le sérieux de sa mission et la force nécessaire
pour l’exécuter. Le contraste apparent entre âge du corps de Michel et âge de son visage
s’accentue à la fin de notre période, lorsque les représentations des corps angéliques sont
également gagnées par l’humanisation et le réalisme qui touchent les figures divines et
saintes. Ce contraste est flagrant dans la peinture de Raphaël conservée au Louvre et réalisée
en 1518 : la douceur des traits et de l’expression du visage de l’archange adoucit
1498
BUSSAGLI, 2000, pp. 23-35.
1499
Ces vêtements sont caractérisés par de larges ouvertures au niveau du col, d’épaule à épaule, et de motifs
décoratifs dorés. Les anges du Moyen Âge finissant peuvent porter des robes fluides jusqu’aux pieds, moulante
puis large, aux manches étroites, parfois fendues. Voir BUSSAGLI, 1991, p. 175.
1500
Appartenant à une collection privée de New-York. Voir BERENSON, 1968, figure 1345-1346.
279
considérablement la brutalité de la scène accomplie par un corps robuste aux muscles des bras
et des jambes saillants ; de même que la lourdeur du corps qui écrase le démon, s’oppose à la
légèreté des drapés et à la finesse de représentation des ailes.

I.2.2. Le portrait de l’archange

Le visage constitue le point de contact entre la personne, sa conscience, et le monde. Il


peut être marqué par l’identité et la vie d’une personne1501. S’il n’a pas de « vie » à
proprement parler, l’archange possède une identité propre qui le différencie par nature des
hommes mais également des anges, puisqu’il possède un nom et une mission propre. Possède-
t-il ainsi une physionomie qui correspond à cette personnalité ? Peut-elle exprimer des
émotions ?

I.2.2.1. La beauté des anges

S’il est représenté sous une forme anthropomorphe, l’image de l’ange n’est pas pour
autant celle d’un homme classique. La jeunesse et la douceur qui la caractérisent permet en
réalité de les soustraire à l’idée d’une corruption due au temps, qui prouverait une matérialité
propre aux corps terrestres. Les anges sont en dehors du temps. L’idée de beauté inhérente à
la figure angélique, est déjà présente dans les théories dionysiennes1502. Cette idéalisation
physique permet de soustraire les anges à la matérialité corporelle : aucune beauté de ce genre
n’est visible sur terre en dehors des apparitions ponctuelles des anges. Dans la mesure où les
anges peuvent être considérés comme des miroirs de la pureté de Dieu, leur beauté est un
reflet de la beauté de Dieu qu’ils contemplent1503.

Cette idéalisation des anges dans l’art médiéval fait de leur représentation un puissant élément
de beauté dans les images, car la beauté ne se manifeste pas seulement dans les traits de leur
visage, mais également dans la grâce et l’élégance de leur corps tout entier, désormais
synonyme de beauté1504. De plus, leur caractère « extra-terrestre » leur permet de s’adapter à
toutes les situations figuratives, toutes les parties de compositions : ils peuvent être plus
grands, plus petits, plus nombreux, plus colorés, plus étirés. En plus d’apporter à l’image un
caractère sacré, la souplesse de leur représentation - liée également à la présence de leurs
ailes, qui peuvent aisément servir à combler des parties de l’image sinon vides ou être l’objet

1501
GARNIER, 1982-1989, 2 vol., p. 133.
1502
De Divinis nominibus, IV, 7; voir D’ONOFRIO, 2000, p. 81.
1503
COSTA, 1981, p.111.
1504
LEVI PISETZKY, 1964, p. 263.
280
d’un traitement particulièrement délicat et coloré - fait de l’ange un élément graphique et
iconographique particulièrement intéressant pour le peintre ou le sculpteur du Moyen Âge1505.
Les images de saint Michel participent dans une moindre mesure à ce phénomène, puisque
prenant souvent la place d’un saint dans les compositions du Moyen Âge finissant, ces
remarques sont donc moins vraies pour lui. Pourtant la beauté et la grâce qui se dégagent
souvent de ses représentations restent intimement liées à son caractère angélique.

I.2.2.2. Le visage de Michel

La tête de Michel peut être représentée dans une frontalité stricte, qui correspond bien
souvent aux images de style byzantin mais également aux peintures plus tardives du guerrier
fier et magistral. Mais cette rigueur est souvent atténuée par une légère inclinaison du chef qui
permet de donner aux représentations de Michel une plus grande douceur. La tête peut
également apparaitre de trois-quarts et de profil, principalement dans les images où Michel
prend activement part au combat ou à la pesée. La maîtrise des raccourcis perspectifs permet,
à la fin de notre période, un grand nombre de positions de la tête de l’archange.

Les traits d’un ange

Le type physionomique de Michel correspond à celui d’un ange classique. Ainsi, si la


manière de le représenter peut être modifiée par la technique, l’adoption du modelé, du
dégradé, l’abandon d’une structure linéaire et des raccourcis perspectifs, l’ajout d’expressions
relatives à sa mission, les traits et les différents éléments constitutifs du visage varient peu au
cours des trois siècles étudiés. Ils peuvent être décrits de la manière suivante : Michel a la
peau blanche, le visage arrondi en ovale, de petits yeux en amande soulignés par des arcades
sourcilières prononcées et bien arquées dont les lignes se prolongent dans les arêtes d’un nez,
fin et long ; il a des joues hautes et rosées, une bouche étroite et fine aux lèvres pincées ; son
visage se termine par un menton saillant et bien marqué. Bien sûr, aucune marque du temps,
ni aucun défaut ne viennent perturber l’unité et la perfection de ce visage. Michel a le visage
d’un jeune homme imberbe, sans signe de virilité apparent. Il s’agit bien du type angélique
par excellence, dont le visage est ceint de cheveux dont nous reparlerons plus loin.
Pour vérifier le constat d’uniformité du type physionomique sur toute notre période, prenons
deux visages de l’archange correspondant chacune à une extrémité chronologique de notre
corpus : la peinture sur panneau de Coppo di Marcovaldo réalisée en 1250-1255 et celle de
Defendente Ferrari peinte en 1503-1507. Malgré les différences stylistiques décelables
principalement dans la linéarité de la première, opposée au modelé de la seconde, ces deux
peintures peuvent toutes deux correspondre à la description du visage faite ci-dessus.

1505
VILETTE, 1940, p. 352.
281
Coppo di Marcovaldo, Saint Michel (détail), Defendente Ferrari, Saint Michel (détail),
San Casciano Val di Pesa, Museo d’arte sacra, Sant’Ambrogio, Sacra di San Michele
peinture sur panneaux, 1250-1255. peinture du panneaux, 1503-1507.

Il faut noter également que dans les peintures où Michel apparait de profil ou de trois-quarts,
son nez se trouve plus ou moins dans le prolongement de son front, il possède alors ce que
l’on appelle le « profil grec », correspondant à l’image d’une beauté idéale, véhiculée
principalement dans la statuaire depuis l’Antiquité.

Lorenzo di Alessandro, Saint Michel (détail), Maestro del Vescovado, Crucifixion et


Baltimore, The Walters Art Museum, peinture saints (détail), Arezzo, Duomo, chapelle
sur panneaux, milieu des années 1380. di Ciuccio Tarlati, peinture murale, 1334.

Le XIIIe siècle et le début du XIVe sont marqués par la persistance d’un type byzantin,
généralisée à l’ensemble de l’iconographie chrétienne en Italie. Le style linéaire qui en
découle, réminiscence également d’un goût roman pour la ligne et la surface plane, engendre
des visages plats, à la structure nette, dont chaque élément est dessiné à l’aide d’un cerne noir
ou foncé. Le modelé est limité dans les peintures du Duecento, comme l’atteste le visage de
Michel dans la scène de la pesée des âmes peinte sur la paroi de l’oratoire San Pellegrino de
Bominaco en 1263.

Anonyme bergamasque, Scènes de l’au-delà (détail), Bominaco, Oratoire San Pellegrino, peinture murale, 1263.

Le XIVe siècle voit la généralisation de l’emploi du modelé dans les visages des personnages
chrétiens, notamment sous l’influence des peintres toscans comme Pietro Cavallini puis

282
Simone Martini. Mais l’apparence de Michel ne change pas, comme en témoigne la proximité
entre le visage du Michel de Bominaco et celui de Simone Martini dans le polyptyque
conservé à Cambridge : il semble bien qu’on ait à faire à un même modèle, mais traité selon
des goûts et des techniques propres à deux périodes artistiques séparées par un demi-siècle
particulièrement prolixe pour ce qui est des créations picturales.

Pietro Cavallini, Jugement dernier (détail), Rome, Simone Martini, Saints (détail), Cambridge,
Santa Cecilia in Trastevere, peinture murale, 1293. Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319. .

Les variations des types physionomiques sont également à mettre en relation avec la dextérité
du peintre. Ainsi, si l’archange, conservé à La Spezia, semble avoir un visage plus carré, un
nez écrasé et une mâchoire proéminente, et correspond pour ainsi dire à une représentation
beaucoup moins délicate, l’éloignant de l’idéal angélique, ce n’est sûrement pas par choix
iconographique mais plutôt par manque d’habileté de ce peintre médiocre de l’école
florentine.

École florentine, Saint Michel (détail), La Spezia, Museo Civico Amedeo Lia, peinture sur panneau, XIVe.

Le style et la mode sont aussi des clés de compréhension des variations d’apparence de
Michel dans la peinture italienne des Due- Tre- et Quattrocento. Si Carlo Crivelli conserve
chaque élément classique de la physionomie de l’archange, la variation de la coiffure,
l’agrandissement des yeux et la proéminence du menton, en modifient considérablement
l’aspect.

Carlo Crivelli, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Monte San Martino, église San Martino, peinture sur
panneau, 1477-1480.
283
Le XVe siècle conserve en général le même type physionomique, avec des visages souvent
légèrement plus ronds qui confèrent à l’archange une plus grande douceur, surtout lorsque
cette rondeur s’accompagne d’une très discrète inclinaison de la tête, comme dans le portrait
peint par Andrea di Bartolo en 1410.

Andrea di Bartolo, Saint Michel (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1410.

Parallèlement aux évolutions de l’iconographie angélique de la deuxième partie du


Quattrocento, qui voient l’apparition du motif des anges-enfants, Michel subit parfois un
rajeunissement notable de son visage qui crée un décalage important entre son apparence et la
fonction guerrière qu’il remplit. Les trois exemples suivants attestent de la cure de jouvence
subie par l’archange à la fin de notre période.

Maestro di Pratovecchio, Les Riccardo Quartararo, Couronnement de Fiorenzo di Lorenzo, Nativité et


trois archanges (détail), Berlin, la Vierge (détail), Palerme, Galleria saints (détail), Pérouse, Galleria
Staatliche Museen, peinture regionale della Sicilia, 2e partie du XVe. Nazionale dell’Umbria, peinture
sur panneaux, 1440. sur panneaux, 1487.

En règle générale, si le travail du modelé, du rendu des carnations et des raccourcis


perspectifs, qui se précise au cours de notre période, rendent le visage de Michel plus proche
de la réalité, la beauté et l’idéalisation qu’il conserve et l’uniformité de son type
physionomique permettent de le différencier clairement des autres figures peintes, notamment
des saints. Ce sont ces caractéristiques faciales qui lui permettent de rester, dans les grandes
compositions de Madonna entourée de saints, un ange parmi les hommes.
Pourtant, lorsque qu’il est représenté à côté des autres anges ou archanges, il est clairement
« le plus humain » d’entre eux. Dans la peinture de Francesco Botticini conservée aux
Offices, Raphaël et Gabriel sont représentés selon la formule angélique typique de la seconde

284
partie du XVe siècle : visage fin et délicat, boucles blondes, robe bouffante doublement
ceinturée et pieds nus. La représentation de Michel se distingue pourtant largement de ses
deux compères : ses cheveux sont moins bouclés et plus foncés, son visage, s’il correspond au
même type physionomique angélique, a les traits un peu plus durs et une expression d’autorité
qui le différencie largement des deux autres archanges. Ses vêtements sont ceux des hommes
et non des anges.

Francesco Botticini, Les trois archanges, Florence, Offices, peinture sur panneaux, 1470.

Lorsqu’il est au milieu des saints, le visage de Michel est le plus angélique et lorsqu’il est
avec ses pairs, il est le plus humain des anges.

Si la physionomie de Michel reste principalement angélique, son regard témoigne souvent


d’une attention à des actions loin des préoccupations classiques des anges, dont la principale
activité reste la contemplation de Dieu.

Le regard de Michel, miroir de son attention

Bien souvent, au XIIIe siècle, Michel ne regarde pas le dragon qu’il foule aux pieds ou
qu’il transperce de sa lance. Sa position couramment frontale lui impose un regard droit et
fixe, comme par exemple dans la peinture rupestre de l’église Santa Lucia e Agata alle Malve
de Sasso Caveoso réalisée autour de 1270. Michel est représenté en pied, vêtu du lôros et
portant le globe et la lance, tandis qu’il foule un dragon gisant sous ses pieds. L’archange ne
semble porter aucune attention au combat, son regard est fixe et droit, tout comme la position
de son corps. La peinture byzantine, dont cette image reprend l’iconographie et le style,
favorise ce type de regard figé qui confère au personnage représenté un caractère hiératique.
Dans les peintures italiennes de la fin du Moyen Âge, Michel peut également regarder le
Christ ou la Vierge, et s’attacher alors à porter l’attention sur Dieu ou sur sa mère. Il participe
alors par son regard à l’ensemble des lignes de force de la composition qui converge vers le
pôle divin. Comme à Fossacesia, dans la peinture murale de l’abbaye di San Giovanni in

285
Venere du troisième quart du XIIIe siècle1506, ce regard peut s’accompagner d’une légère
inclinaison de la tête qui insiste une nouvelle fois sur la direction à suivre pour le fidèle, invité
à imiter Michel, et les autres saints ou anges représentés, dans la contemplation de l’image
christique ou mariale.

Le XIVe siècle est marqué par une présence importante du mouvement dans l’iconographie de
Michel. L’archange est alors plus volontiers absorbé par l’action qu’il réalise et son regard se
tourne plus volontiers vers l’ennemi ou vers la balance. Dans ces images, Michel n’a pas
encore vaincu le dragon comme dans la chapelle Velluti de Florence ou dans le polyptyque du
Pseudo-Jacopino de 1330-1335 et conservé à la Pinacothèque de Bologne.
Lorsque Michel est en action mais ne porte pas son regard sur le combat, cela insiste sur la
facilité d’exécution de sa mission. Le chef de la milice céleste peut vaincre facilement les
démons espiègles au moment de la pesée1507, et même le dragon qu’il maitrise en
l’écrasant1508.

Outre les peintures, principalement du XIIIe siècle, que nous venons d’évoquer, où les yeux
fixes correspondent à une image hiératique de l’archange, Michel semble parfois soutenir le
regard du spectateur, comme pour l’interpeller et interagir avec lui. Ces regards sont de
différentes natures. Dans quelques peintures, Michel présente ses armes ou sa balance mais
aucun démon ou action ne viennent l’occuper, son regard se porte alors naturellement droit
devant lui, comme par exemple dans le polyptyque de Lucca di Tommè d’une collection
privée (autour de 1350), où Michel présente le globe et l’épée sans prendre part à la moindre
action ; ou à Sant’Agata de’Goti (fin XIVe début XVe) où ni l’épée ni la balance - d’ailleurs
vide - ne sont au centre de l’attention de Michel dans ce Jugement dernier.
Un autre groupe d’images est constitué de peintures où le dragon est bien présent mais où
l’archange est déjà vainqueur car son ennemi est mort. Dans le polyptyque du Christ en gloire
de la chapelle Strozzi de Santa Maria Novella à Florence, peint par Andrea di Cione en 1354-
1357, Michel a tranché la tête du dragon et saisi son fourreau pour ranger l’arme encore
enfoncée dans la gorge de la bête vaincue. L’archange d’Angelo Puccinelli1509 ne range pas
son arme mais la présente fièrement alors que les morceaux du dragon sont à ses pieds dans
un bain de sang. Il ne s’agit pas ici d’un regard passif par manque d’action du personnage,
comme on peut le voir dans les peintures précédemment citées. Ici, le « champion de Dieu »
adresse un regard insistant au fidèle et semble vouloir le prendre pour témoin de cette victoire
éclatante puisque le gros lézard est souvent dépecé à ses pieds et la présence du sang insiste

1506
D’ANTONIO, 2003, p. 144.
1507
Comme dans le panneau peint du Maestro di Barberino (1350-1380) représentant une Vierge à l’Enfant
entourée d’un saint évêque et de saint Michel, portant la balance et piquant de sa lance le petit démon entre les
deux plateaux sans lui porter la moindre attention.
1508
Comme par exemple dans le polyptyque de l’Assomption de Marie-Madeleine peint par Paolo Veneziano
dans les années 1330-1350 où Michel ne jette pas un regard sur la bête qu’il est en train de transpercer de sa
lance.
1509
Réalisé en 1379 et conservé à Sienne, à la Pinacothèque, n° d’inventaire 67.
286
sur la violence et la proximité temporelle de la fin du combat. L’épée peinte par Piero della
Francesca et tenue par l’archange est maculée de sang1510. Dans plusieurs peintures de ce
groupe, Michel attrape son fourreau de la main gauche pour ranger son épée, parfois
ensanglantée. La pointe de l’épée est déjà enfoncée dans le fourreau d’une tempera sur
panneaux conservée à Arezzo et peinte par Buonamico Buffalmacco1511.

De manière générale, même si son regard n’est pas forcément fixé sur l’action qu’il est train
d’exécuter, Michel ne semble pas si souvent regarder directement le spectateur, notamment au
XVe siècle, où l’association courante arme/balance/démon l’amène à baisser les yeux dans un
grand nombre de peintures.

Un archange expressif ?

Si les mouvements, parfois vifs, du corps de Michel permettent de figurer son


implication dans son combat contre le mal, auquel répond parfois une fixation du regard sur
un autre élément que le pôle divin, il semble que les muscles du visage de l’archange soient
totalement déconnectés du reste de son corps et de l’épisode qu’il est en train de vivre. Il n’y a
pas non plus dans les gestes de l’archange de traces traduisant un fait de conscience : ses
mouvements sont efficaces et ne trahissent aucune hésitation, aucun sentiment. Cela peut
aisément s’expliquer par la nature angélique, et donc éthérée de Michel. Comment pourrait-il
exprimer des émotions par le langage du corps alors même que ce corps n’est qu’une
enveloppe visible d’une réalité immatérielle ? De plus, la figuration des expressions impose
des tensions de certaines parties du visage, entrainant rides et déformations, incompatibles
avec la représentation idéale des êtres angéliques.
D’ailleurs, depuis les premiers témoignages de l’art chrétien, les peintres et sculpteurs avaient
évité la figuration d’expressions sur les visages angéliques, par peur des ressemblances avec
les figures païennes de l’iconographie funèbre1512. De toute façon, le mystère chrétien était
basé sur la certitude de la résurrection et les expressions et grimaces étaient réservées aux
damnés et aux démons1513. Dans l’art roman, le visage de l’ange est encore calme, serein et
dégage une sévérité pleine de majesté. Même pour les autres personnages de l’iconographie
chrétienne, les sentiments et les mouvements intérieurs de l’âme étaient exprimés par le
langage des gestes et des mains1514. Les évolutions iconographiques qui marquent la fin du
Moyen Âge mènent les peintres et sculpteurs à représenter un Christ incarné, souffrant sa
Passion et même mort, et dotent alors les anges d’expression, notamment les anges souffrant
autour de la croix. L’ange au sourire de la cathédrale de Reims complète cette innovation

1510
Peinture du panneau de la National Gallery de Londres, réalisée en 1470 pour les Augustins de Borgo San
Sepolcro.
1511
Conservée au Museo Statale di Arte Medievale e Moderna, troisième décennie du XIV e siècle.
1512
FRUGONI, 2010, p. 3.
1513
FRUGONI, 2010, p. 4.
1514
FRUGONI, 2010, p. 3.
287
décisive qui lie l’émotion positive de l’ange, un mouvement de son âme, à une manifestation
corporelle visible sur son visage1515.
Les extrémités des lèvres de Michel se soulèvent parfois légèrement pour esquisser un sourire,
ce qui confère une grande douceur à son visage angélique. La peinture de Jacopo di Casentino
en est un bel exemple. Pourtant, la décontraction et la délicatesse qui émanent des traits de
l’archange ne semblent absolument pas adaptées à l’action qu’il est en train de réaliser,
puisqu’il exécute le dragon en le transperçant de sa lance. Ce n’est pourtant pas un sourire de
satisfaction et Michel exprime rarement la fierté du vainqueur présentant le vaincu à ses pieds.

Jacopo del Casentino, Saint Michel, Florence, Santa Maria degli Ughi,
peinture sur panneaux, 2e 1/4 du XIVe.

Bien évidemment, cette expression de bonheur se limite toujours dans les images de Michel à
un léger rictus, et les anges ne rient jamais à gorge déployée car le rire est incompatible avec
le recueillement et le sentiment de la présence de Dieu1516. Seuls les démons affichent un rire
ou un ricanement sur leur face grimaçante.
Si Michel sourit rarement, il n’affiche pas pour autant d’expression de dégout devant la
violence et parfois même l’atrocité de la scène dans laquelle il est l’acteur principal. Le sang
et les morceaux dépecés du dragon ne semblent pas l’émouvoir, aucune trace de recul, même
lorsque Michel enfonce sa lance dans l’œil d’un démon anthropomorphe comme dans un
médaillon de la chapelle Scrovegni peinte par Giotto entre 1303 et 1308.

Giotto, Saint Michel, Padoue, chapelle Madonna dell’Arena, peinture murale, 1303-1308.
1515
WIRTH, 1991, p. 154.
1516
COSTA, 1981, p.111.
288
Si ses gestes sont fermes et menaçants, son visage reste doux et inexpressif, en accord avec
son attitude rapportée dans l’Épître de Jude au sujet de sa dispute avec le diable pour le corps
de Moïse :
« Pourtant, l’archange Michel, lorsqu’il plaidait contre le diable et discutait au sujet du corps de
Moïse, n’osa pas porter contre lui un jugement outrageant, mais dit : « Que le Seigneur te
réprime ! »1517
Ce n’est pas le rôle de Michel de porter un jugement sur le Diable, lui n’est que le bras armé
de Dieu.

Pourtant dans quelques peintures de notre corpus, Michel semble transporté par une colère et
une agressivité qui transforment son visage. Ces peintures datent toutes du plein XVe siècle.
Déjà en 1404, l’archange de Spinello Aretino à Arezzo qui commande son armée angélique
contre le dragon de l’Apocalypse et les démons, fronce les sourcils, abaisse les paupières et
imprime sur ses lèvres une légère moue d’insatisfaction. Cette expression ne vient pas altérer
la pureté du visage de Michel mais est pourtant la preuve d’une concentration sur le combat,
d’une détermination et d’une certaine colère envers la bête à qui il s’apprête à porter le coup
fatal.

Spinello Aretino, Saint Michel et les anges combattent le dragon et les


démons (et détail), Arezzo, San Francesco, peinture murale, 1404.

La peinture d’Antonio del Pollaiolo reprend cette expression, mais le redressement des
paupières autour de l’arrête nasale imprime sur le visage de l’archange un étonnant sentiment
d’inquiétude. Peut-être est-il dû au caractère particulièrement menaçant du dragon qui ne se
trouve pas, comme dans la plupart des images, maîtrisé sous les pieds de Michel, mais est
encore pleinement combatif, de grande taille, la gueule grande ouverte, dressé sur sa queue ;
en un mot, particulièrement agressif.

1517
Jude, 9.
289
Antonio del Pollaiolo, Saint Michel (et détail), Florence, Museo Stefano Bardini,
peinture sur panneaux, milieu du XVe siècle.

Cette image est la seule de notre corpus à esquisser une expression de crainte sur le visage de
l’archange, qui pourrait amener quelques incertitudes sur l’issue du combat. En règle
générale, son visage reflète la quiétude et la confiance.
Les deux figures les plus expressives de Michel datent également du milieu du XVe siècle. la
plus remarquable est un détail du Jugement dernier de Terni, peint par Bartolomeo di
Tommaso da Foligno en 1445-1451. Cette fois, le froncement de sourcils est tellement
prononcé que les deux sourcils se rejoignent presque au centre du visage, et des rides
apparaissent sur le front de l’archange. Les extrémités des lèvres sont fortement abaissées, ce
qui creuse les joues. Michel apparait semble empli de colère et de bellicisme, sentiments prêts
à s’extériorisés au moindre débordement causé par les damnés ou les démons sur le mur
latéral vers lequel il se tourne et pointe le doigt.

Bartolomeo di Tommaso da Foligno, Jugement dernier (détail), Terni,


San Francesco, peinture murale, 1445-1451.

Enfin, la peinture d’Ercole de’Roberti propose une figure plus ambigüe. Les sourcils sont
relevés en signe d’étonnement et la bouche est ouverte creusant des sillons nasogéniens
profonds. Il est difficile d’affirmer si cette bouche bée traduit également un étonnement, ou
plutôt un essoufflement ou encore peut-être un cri poussé par l’archange pour réunir ses
troupes angéliques ou prévenir d’un danger proche pour lequel il est également obligé de
détourner le regard. Si l’expression n’est pas clairement identifiable ici, elle révèle une
participation pleine de Michel à son combat, une fougue et une ardeur rarement exprimées
conjointement par les gestes et les traits du visage michaélique.

290
Ercole de’Roberti, Saint Michel (et détail), Paris, Louvre, peinture sur panneaux, 1451-1456.

Mais ces quatre peintures sont des exceptions dans notre corpus (de plus de 500 images !). En
règle générale, aucune agressivité, aucune crainte ne semble transparaître sur le visage de
l’archange. Michel ne semble même pas en colère lorsque des démons tentent de faire pencher
les plateaux de la balance en leur faveur dans une scène de pesée. Ce calme révèle l’entière
confiance et obéissance de Michel envers Dieu. Cette soumission est d’ailleurs le trait
principal de la personnalité de Michel, et se fonde sur l’opposition entre l’archange et le
rebelle Lucifer, et c’est ce qui justifie sa place à la tête de la milice céleste. Michel est un
exécuteur de la justice divine, et n’a donc pas d’hésitation, de remords ni de colère dans la
réalisation de sa mission car il sait de manière certaine qu’elle correspond à ce qui est bien et
ce qui doit être fait.
Michel n’éprouve pas non plus de colère contre les damnés qui tentent d’échapper à la justice
divine, mais n’est pas non plus rempli de compassion pour ces hommes au triste destin. Ainsi,
aucune compassion n’apparait sur son visage ou dans ses gestes, lorsqu’il pousse l’homme
damné dans les bras tendus des démons qui attendaient aux portes de l’enfer.

Giovanni di Paolo, Jugement dernier (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1465.

Michel ne peut pas éprouver de tristesse pour ceux qui se sont détournés de Dieu. Le drame
dans lequel il intervient est celui des mauvais, du diable et de ses démons ou des hommes
déchus, et ne peut être ému en leur infligeant le sort qu’ils méritent. Il n’est donc pas dans la
même position que les anges qui participent émotivement à un drame qui touche les bons, le
plus souvent les scènes de la Passion, comme nous le voyons clairement dans un détail de la

291
peinture réalisée par Giotto pour la chapelle Scrovegni où les expressions des anges sont
distinctement représentées pour signifier l’horreur de la situation : la mort du Christ et la
douleur de la Vierge et de ceux qui l’entourent. Les expressions de leur visage sont
accompagnées des gestes des bras et de tout leur corps pour insister sur cette douleur.

1518

Fig. 82. Giotto, Lamentation sur le Christ mort (détail), Padoue, Chapelle
Scrovegni, peinture murale, 1303-1306.

Michel n’assiste pas à ces tristes scènes, il est rarement présent près d’une Crucifixion et n’est
pas amené à se lamenter sur un Christ mort. Sa Mission se trouve ailleurs.
Une légère nostalgie peut le gagner, mais assez rarement, comme dans la peinture de Sandro
Botticelli où la mélancolie de la Vierge semble également envahir l’archange : la tête inclinée,
les lèvres légèrement tombantes et le regard fixé dans le vide, Michel semble méditer sur le
tragique destin de l’Enfant-Dieu.

Sandro Botticelli, Pala di San Barnaba (détails), Florence, Galerie des Offices, peinture sur
panneaux, 1488-1490.

Si la mission remplie par l’archange est physique et semble même parfois le mettre clairement
en danger, aucun trait de visage ne traduit une quelconque difficulté physique ou une fatigue.
Dans la peinture murale de Paganico, malgré l’ampleur du geste de Michel et la menace
figurée par le fait que le dragon a réussi à saisir le bouclier de l’archange dans la gueule,
aucune trace d’effort, ni de peur, n’apparait sur son visage.

1518
Image provenant du site de la Web Gallery of Art :
http://www.wga.hu/art/g/giotto/padova/5angels/angel10.jpg
292
Biagio di Goro Ghezzi, Saint Michel, Paganico, église San Michele, peinture murale, 1368.

Cette représentation d’un combat exécuté sans peine et sans émoi ne traduit pas le labeur du
corps de l’archange, pourtant largement dynamique. C’est à se demander si le dragon ou les
démons constituent une véritable menace pour Michel, mis à part les quelques exemples que
nous venons d’analyser. La sérénité de l’archange révèle une certaine facilité dans l’exécution
de la mission de Michel. Son corps n’est de toute façon pas une véritable enveloppe charnelle
et ne peut ainsi pas souffrir d’une blessure ou de fatigue.
La concentration de l’archange n’est pas non plus spécialement figurée dans les traits de son
visage pour les mêmes raisons : Michel est certain de gagner son combat et porte ainsi une
attention très limitée à son ennemi.
Il faut ajouter que tous les mouvements du « corps » de Michel semblent être déterminés par
l’efficacité de ses actions. À ce titre, l’expression des visages ne produit pas d’effet, elle n’a
pas d’incidence dans les situations illustrées et ne semble donc pas utile dans les narrations et
les représentations de l’archange en état mais actif.
Finalement, la seule expression largement présente dans le corpus michaélique est le sérieux,
qui, s’il n’est pas facilement décelable dans les images, peut se détecter par comparaison aux
autres personnages. Reprenons l’exemple de la peinture de Francesco Botticini, où le visage
de Michel peut être comparé à celui d’un des deux autres archanges présents dans l’image : la
posture droite de la tête de Michel, son regard franc, la détente de tous les muscles de son
visage lui confèrent une certaine dureté par rapport au visage de Gabriel, empli de douceur et
d’une certaine compassion.

Francesco Botticini, Les trois archanges (détails), Florence, Galerie des Offices, peinture sur panneaux, 1470.

293
Loin d’être simplement omises car inutiles, les expressions sur le visage de Michel sont
signifiantes par leur absence : l’archange n’est pas un homme, or les expressions de visage
permettent de manifester une disposition intérieure, une réaction émotive et personnelle1519.
Michel, s’il agit selon son libre arbitre et sa volonté propre, est avant tout le bras armé de
Dieu, un soldat obéissant aux ordres. De plus, l’absence d’émotion est révélatrice d’une
qualité supérieure. Jean Wirth précise en effet que l’immobilité et l’impassibilité caractérisent
les êtres supérieurs car elles confèrent une abstraction et reflètent l’ordre stable des choses
invisibles1520. Les anges apparaissent sous forme humaine pour expliciter leur présence
constante auprès de Dieu et des hommes (de l’invisible au visible) mais le langage de leur
corps permet lui d’expliciter leurs qualités morales et leurs missions. Michel n’est pas
impassible, il est au-delà de tout sentiment et réaction humains, mais également déterminé et
serein face à un combat qu’il est presque toujours certain de remporter.

Simone Martini, Saints (détail), Cambridge, Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319.

I.2.2.3. Les Cheveux de l’archange

Saint Michel possède une chevelure typique des anges. Ses cheveux sont généralement
blonds, voire châtain clair. Ce fait est particulièrement remarquable car l’archange se trouve
souvent au milieu des saints, dont les plus populaires sont les apôtres et les premiers saints
chrétiens qui sont quasiment tous d’origine méditerranéenne et donc représentés par des
figures brunes. La blondeur est donc souvent réservée aux anges, dont la clarté des cheveux
reflète la luminosité de leur être.
Ses cheveux sont longs, ondulés et ramenés vers l’arrière de la tête. Aux XIIIe et XIVe
siècles, ils sont généralement enroulés ou tressés autour de la tête, créant une sorte de
couronne qui encercle le visage et couvre fréquemment les oreilles. Les longueurs retombent
derrière ou sur les épaules, et quelques mèches peuvent parfois s’échapper de la masse. Cette
coiffure permet d’insister sur la rondeur des formes de Michel, sur la régularité de son visage
et crée une sorte de couronne permanente. Elle donne au visage, par l’ampleur et
l’arrangement symétrique de sa masse, un air de majesté et de grandeur. La coiffure est
souvent agrémentée d’un fin bandeau de tissu dont les deux extrémités s’envolent derrière la
tête, et / ou d’un diadème, orné ou non de pierreries, qui court sous la couronne de cheveux.

1519
GARNIER, 1982-1989, 2 vol., p. 49.
1520
WIRTH, 1991, p. 144.
294
Il faut insister sur la persistance et le développement exclusif de cette coiffure au moins pour
les deux premiers siècles de notre étude. Quasiment toutes les figures de notre corpus portent
cette coiffure aux XIIIe et XIVe siècles.

Anonyme, Pesée des âmes (détail), Simone Martini, Saints (détail), Andrea di Bartolo, Saint Michel
Bominaco, Oratoire San Pellegrino, Cambridge, Fitzmuseum, (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale,
peinture murale, 1263. peinture sur panneaux, 1319. peinture sur panneaux, 1410.

Selon les peintres, la chevelure peut tomber en ondes souples, ou plutôt en masse qui
enveloppe la tête comme un casque. Au début du XVe siècle, les types de coiffures se
diversifient, les cheveux sont plus courts ou totalement relevés sur la tête, comme dans les
deux peintures sur panneaux de Francesco d’Antonio Banchi et du Maestro della Madonna di
Strauss. L’ondulation de la chevelure est encore très présente et le visage est toujours
délicatement encerclé de volutes capillaires, mais plus aucune longueur ne retombe dans le
cou de l’archange. Notons que le type de la couronne tressée avec longueurs sur les épaules
reste la norme pour la première moitié du Quattrocento.

Francesco d’Antonio Banchi, Saints (détails), Maestro della Madonna di Strauss,


Pise, Museo Nazionale di San Matteo, Couronnement de la Vierge et saints (détail),
peinture sur panneaux, fin XIVe siècle. Florence, Museo dello Spedale degli Innocenti,
peinture sur panneaux, 1405.

À partir des années 1420, Michel est de plus en plus souvent coiffé d’une coupe au carré
raccourcie au niveau des oreilles ou légèrement plus bas, avec des cheveux détachés et
ondulés. Si la coupe est moins structurée que celle des Due- et Trecento, et apporte ainsi une
certaine fraîcheur par rapport aux coiffures des autres personnages, les cheveux sont
clairement agencés de part et d’autre du visage autour d’une raie centrale, pour ne pas sembler
désorganisés, comme l’impose la physionomie douce et idéalisée de l’archange.

295
Pisanello, Monument funéraire Brenzoni, Vérone, San Fermo Maggiore, peinture murale, 1424-1426.

À partir de la seconde moitié du XVe siècle, le type de la coiffure-couronne tressée est


remplacé presque totalement par des cheveux mi-longs, voire longs, et non liés qui deviennent
la nouvelle norme. Ils sont toujours de même nature : blonds, épais et légèrement ondulés,
mais apparaissent beaucoup libres et au naturel. La chevelure de Michel est à l’image de ses
représentations à la fin de notre période : libérée des formules de l’art byzantin, plus
fougueuse et dynamique.

Bernardino di cola del Merlo da Civita di Penne, Vierge à Raphaël, Saint Michel (détail), Paris,
l’Enfant et saints (détail), L'Aquila, Museo Nazionale Louvre, huile sur toile, 1518.
d'Abruzzo, peinture sur panneaux, après 1487.

Cette évolution qui est marquée par l’allongement des cheveux est liée aux mutations des
goûts dès la fin du XIVe siècle pour les cheveux plus longs et plus libres, d’ailleurs critiqués
par exemple par Boccace1521.
Une autre particularité est à noter pour la fin du XVe siècle et le début du XVIe : le port du
casque par l’archange y est courant alors que quasiment absent dans le reste du corpus1522.
Entre 1200 et 1470, sur une période de 270 ans, dix figures de Michel sont protégées par le
casque et de 1480 à 1518, sur une période de moins de 40 ans, nous en comptons dix-sept.
Nous reviendrons en détail sur cette coiffure protectrice dans la partie étudiant l’armure.

1521
LEVI PISETZKY, 1964, p. 61.
1522
Aucun casque n’est porté au XIIIe siècle par l’archange, d’ailleurs rarement représenté en guerrier ; quatre
peintures présentent Michel au casque au XIVe (Vierge à l’Enfant et saints d’Ambrogio Lorenzetti conservée à
Sienne, église Sant’Agostino, 1e ½ du XIVe siècle ; un panneau de l’Apocalypse conservé à Stuttgart,
Staatsgalerie, daté de 1330-1340 ; une peinture murale représentant le Jugement dernier à Plaisance, dans l’église
San Francesco dans les années 1340 ; et la peinture murale de Biagio di Goro Ghezzi, à Paganico, dans l’église
San Michele, en 1368.) ; six pour le plein XVe siècle jusqu’aux années 1470, puis 17 entre 1480 et 1518.
296
Enfin, notons un unicum dans notre corpus : un saint Michel tonsuré dans la peinture murale
de Loreto Aprutino réalisée vers 1429. Cette coiffure originale pour l’archange s’explique par
le type de vêtement qu’il porte : une tenue de diacre.

Anonyme, Vision de l’au-delà, Loreto Aprutino, Santa Maria in Piano, peinture murale, 1429.

I.2.2.4. Autour du visage de Michel, accessoires et attributs

Les ornements de la tête

La coiffure de l’archange est souvent ornée d’un diadème, placé au sommet de la tête,
permettant de tenir les cheveux sur les tempes. Le diadème, signe de royauté permet d’insister
sur le caractère exceptionnel de Michel, sa gloire, sa supériorité et sa perfection. Les
extrémités de cet ornement semblent être reliées à l’arrière de la tête par deux rubans, les
taeniae, noués dans la nuque et dont les deux rubans volètent derrière la tête de l’archange
selon un modèle byzantin assez répandu. Dans la Grèce antique, les Taeniae sont les simples
bouts frangés d’un ruban qui entourait un rouleau de laine permettant de ceindre la tête
pendant les sacrifices, puis devient un lien large et plat, ou bandeau, que l'on portait autour de
la tête pour maintenir les cheveux arrangés. Il semble conserver cette dernière fonction pour
l’archange.
La partie visible, que nous nommons diadème, est un bandeau ornemental constitué
visiblement de métal, d’or ou de tissu, agrémenté ou non de pierres précieuses. Le terme
diadème - du grec διάδημα, diadema, lui-même dérivé de διάδηω, diadeo, signifiant entourer
ou serrer - est préféré à celui de couronne - ornement qui enceint la tête - puisque l’on ne
distingue pas si l’ornement fait tout le tour de la tête, ce qui est peu probable étant donné la
présence des taeniae.

Le diadème se terminant par des taeniae est présent dans les images du XIIIe siècle, mais
Michel apparaît encore assez régulièrement la tête nue. La peinture de Coppo di Marcovaldo
montre bien le type classique de cet accessoire au XIIIe et au début du XIVe siècle : une bande
(étoffe ou métal ?) ornée de pierres précieuses, visible sur le sommet de la tête et se perdant
ensuite dans la masse des cheveux ; ce diadème est certainement noué derrière la tête par des
taeniae dont on voit les extrémités voler sur les côtés.

297
Coppo di Marcovaldo, Saint Michel (détail), San Casciano Val di Pesa, Museo d’Arte
Sacra, peinture sur panneaux, 1250-1255.

C’est parfois les taeniae qui prennent une plus grande importance visuelle par rapport au
diadème comme dans les nombreux polyptyques de Paolo Veneziano du deuxième quart du
XIVe siècle.

Paolo Veneziano, Saints (détail), Bologne, San Giacomo Maggiore, peinture sur panneaux, 1330-1350.

Au XIVe siècle, les extrémités d’étoffes volantes se font plus rares et le diadème se simplifie
pour devenir souvent un simple triangle uni sur la tête de l’archange, comme dans les
peintures de Buonamico Buffalmacco et Pietro Lorenzetti, dans les années 1330.

Buonamico Buffalmacco, Saint Michel (détail), Pietro Lorenzetti, Annonciation et saints (détail),
Arezzo, Museo Statale, peinture sur panneaux, 3 e Castiglione del Bosco, chapelle San Michele,
décennie du XIVe. peinture murale, 1332-1342.

Si le diadème n’est pas indispensable, il apparait quand même très souvent car il est un
élément structurant de la coiffure-type de l’archange aux XIIIe, XIVe siècles : il permet de
tenir la tresse ou les cheveux enroulés autour du visage. Au début du XVe siècle il est encore

298
présent sous cette forme lorsqu’il est associé au type de la coiffure-couronne dont il est une
des composantes.
Il peut sembler que la fonction symbolique de ce diadème soit d’insister sur la nature
différente de l’archange, notamment par rapport aux autres saints présents dans les images :
elle insiste sur une dignité supérieure à celle des hommes sanctifiés. Au regard de l’évolution
de cet accessoire, il faut également envisager un autre degré de symbolisme. Notons
l’allongement vers le haut de la forme triangulaire du diadème, surtout à partir des années
1330, et sa coloration rouge, qui l’éloignent d’une figuration d’un bijou précieux à la forme
proche d’une couronne, comme peuvent en attester les peintures du Maestro del Vescovado et
d’un Anonyme de Soleto.

Maestro del Vescovado, Vierge à l’Enfant et saints Anonyme, Saint Michel (détail), Soleto,
(détail), Sant'Angelo in Vado, San Michele, chapelle Santo Stefano, peinture murale,
peinture sur panneaux, 2e ¼ du XIVe siècle. 2e ½ du XIVe siècle.

La peinture d’Andrea di Bartolo propose quant à elle un diadème surmonté non plus d’un
triangle régulier, mais d’une fine langue de métal doré. En plein XVe siècle, le diadème se
raréfie, puisque c’est également le cas du type de coiffure-couronne auquel il est directement
lié. Perdant leur support pour la flamme-bijou, les peintres représentent désormais clairement
une flamme sur la tête nue aux cheveux déliés de l’archange1523. Ce lien entre le feu et les
anges, est décrit par des théologiens, tels que Gregoire de Nazianze qui précise que la nature
des anges est de « feu vide et immatériel » ou Pseudo-Clément d’Alexandrie qui évoque « un
feu intellectuel »1524. C’est ainsi leur nature ignée qui justifie la transformation du diadème en
flamme dans les images italiennes de la fin du Moyen Âge. Ce motif n’est pas sans rappeler la
descente de l’Esprit Saint sur les Apôtres décrite dans les Actes (2-3) : « Des langues,
semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent
sur chacun d'eux », et déjà présente dans l’iconographie médiévale sous la forme de petites
flammes de feu au sommet de la tête des Apôtres réunis autour de la Vierge. Dans un panneau
de la Maestà de Duccio de 1308-1311, nous reconnaissons la même langue de feu sous la
forme d’une petite flamme rouge, sur la tête de Marie et de tous les Apôtres.

1523
Citons par exemple : Bicci di Lorenzo, saints (détail), Helsinki, Ateneum, Sinebrychoff Museum, peinture
sur panneaux, 1e ½ du XVe siècle ; Pietro di Giovanni d’Ambrogio, saints (détail), New York, The Metropolitan
Museum of Art, peinture sur panneaux, milieu des années 1430 ; Matteo di Giovanni, Assomption et saints
(détail), Asciano, Museo civico, peinture sur panneaux, 1474.
1524
BUSSAGLI, 1991, p. 237.
299
1525

Andrea di Bartolo, Saint Giovanni del Ponte, Fig. 83. Duccio, Maestà (détail face
Michel (détail), Sienne, Assomption de saint Jean et arrière), Sienne, Museo dell’Opera del
Pinacoteca Nazionale, saints (détail), Londres, Duomo, peinture sur panneaux, 1308-
peinture sur panneaux, National Gallery, peinture 1311.
1410. sur panneaux, 1420-1424.

Précisons que, tout comme le type de la coiffure-couronne, le diadème triangulaire simple ne


disparait pas totalement à la fin de notre période, même s’il est souvent plus discret, comme
dans l’huile sur bois de Cristoforo Scacco datant du début du XVIe siècle.

Cristoforo Scacco, Saint Michel (détail), Salerne, Museo Diocesano, huile sur bois, 1503-1505.

Les pierres précieuses sont finalement assez rarement fixées au diadème de Michel et,
lorsqu’elles le sont, elles restent assez discrètes. Il s’agit alors souvent de pierres rouges,
représentation du rubis1526 - associé déjà par Grégoire le Grand et Pseudo-Denys aux
archanges1527 - ou de perles blanches1528, symboles de pureté angélique.
La couronne de fleurs est rarement employée pour Michel 1529, car elle s’adapte probablement
assez mal au caractère guerrier des représentations de l’archange.

1525
Image provenant de la Web Gallery of Art :
http://www.wga.hu/html_m/d/duccio/maesta/crown_v/cro_v_h.html .
1526
Citons également la peinture d’un Suiveur de Bernardo Daddi, Vierge à l’Enfant et saints (détail), New
Orléans,
Isaac Delgado Museum of Art, peinture sur panneaux, 1340 environ.
1527
BUSSAGLI, 1991, p. 258.
1528
Présentes également dans le saint Michel trônant de Michele Giambono, conservé à Florence, Collection
Berenson, peinture sur panneaux, 1430.
1529
Notons ces quelques exemples : Tomaso da Modena, Vierge à l’Enfant et saints, Karlštejn, palais impérial,
oratoire Saint Wenceslas, peinture sur panneaux, 1355-1359 ; Pellegrino di Giovanni di Antonio da Perugia, saint
Michel (détail), Boston, Museum of Fine Arts, peinture sur panneaux, 1428-1437; Giovanni Angelo d’Antonio,
Vierge à l’Enfant et saints, Florence, Santa Maria del Soccorso, peinture murale, 1468.
300
Niccolo di Segna, Saints Riccardo Quartararo, Couronnement de Neroccio di Bartolomeo Landi,
(détail), Sienne, Pinacoteca la Vierge (détail), Palerme, Galleria Vierge à l’Enfant et saints (détail),
Nazionale, peinture sur Regionale della Sicilia, peinture sur Sienne, Pinacoteca Nazionale,
panneaux, autour de 1320. panneaux, 2e ½ du XVe siècle. peinture sur panneaux, 1476.

Si le XVe siècle est marqué par une plus grande simplicité dans la représentation de la tête de
l’archange - souvent la tête nue et les cheveux déliés, moins souvent le diadème - il faut
également noter quelques propositions plus originales utilisant des matériaux moins nobles,
notamment à l’extrême fin de notre période, avec par exemple les bandeaux emplumés de
Carlo Crivelli ou du Pérugin. Enfin, Raphaël opte pour un simple ruban noué au sommet de la
tête encadrant une chevelure libérée de toute rigidité et répondant librement aux mouvements
vifs du corps de l’archange.

Carlo Crivelli, Vierge à l’Enfant et Le Pérugin, Assomption et saints Raphaël, Saint Michel (détail),
saints (détail), Londres, National (détail), Florence, Galleria Paris, Louvre, huile sur toile, 1518.
Gallery, peinture sur panneaux, 1476. dell’Accademia, huile sur toile, 1500.

Lorsque Michel est représenté au milieu des saints classiques, ses cheveux, et les accessoires
qui les ornent, jouent un rôle de différenciation car ils sont clairement des « marqueurs
iconographiques angéliques ». Par contre, le port du nimbe l’associe dans les images à la
communauté des saints.

Le nimbe

Dans une très grande majorité de peintures constituant notre corpus, la tête de
l’archange est nimbée. Selon Victor Saxer, elle ne l’est pourtant qu’à partir du IXe siècle1530.
Le port du nimbe correspond à une tradition picturale conforme aux écrits de certains
théologiens. Elle peut symboliser la couronne d’or constituant la récompense des élus pour
leurs mérites, évoquée par Bède le Vénérable. À ce titre, l’auréole permet de distinguer ceux

1530
SAXER, 1985, p. 379.
301
qui ont eu une vie parfaite1531, mais elle est surtout utilisée dans l’iconographie chrétienne
pour distinguer les saints. Cette forme est d’ailleurs déjà employée dans l’Antiquité pour les
images des divinités : une lumière, un cercle, une couronne radiale ou un disque d’or ceignait
la tête des dieux1532.
Pourtant saint Thomas d’Aquin précise dans la Somme théologique, à la question 96 :
« L’auréole n’est pas due aux anges, car elles correspondent à une forme supérieure de
perfection dans le mérite. Les choses qui chez l’homme contribuent à la perfection de son
mérite sont naturelles pour les anges, ou appartiennent à leur état commun, ou font partie de leur
récompense essentielle. Le motif même pour lequel l’auréole est due aux hommes fait que les
anges n’en ont pas. »1533.
À la fin du Moyen Âge les anges sont malgré tout régulièrement représentés nimbés. Il faut
noter à ce titre l’importance de la lumière comme élément caractérisant Dieu, mais également
plusieurs choses créées par Dieu : la lumière elle-même, les astres, mais également les anges,
êtres de lumière à la nature ignée. C’est ce lien entre nature angélique et lumière qui peut
justifier la présence du nimbe sur la tête de Michel, mais également l’insertion totale de son
image au milieu des saints, dont nous reparlerons plus loin.

La représentation du nimbe de Michel est relativement fixe du XIIIe siècle jusqu’au milieu du
XVe siècle. Il est constitué d’un disque parfaitement rond d’or ou de couleur claire, souvent
du jaune, parfois du blanc. Il reste la plupart du temps uni même si une fin liserée plus foncé
peut être ajouté pour mieux en circonscrire la forme circulaire. La présence du nimbe est
relativement discrète lorsqu’il est doré sur un fond doré. Les jeux de reliefs utilisés par les
peintres sont alors importants pour faire ressortir visuellement l’auréole.
Dans les peintures murales, ces reliefs sont réalisés sur enduit frais par ajout de matière ou par
incisions. Souvent, les nimbes apparaissent en légère saillie par rapport au reste de la surface
peinte, et l’enduit est incisé à l’intérieur du disque par de petites stries rayonnantes autour de
la tête du personnage. Cette forme, que nous retrouvons par exemple dans la peinture murale
déposée de Spinello Aretino, est la plus courante dans l’iconographie murale de la fin du
Moyen Âge.

Spinello Aretino, Combat de Michel et ses anges (détail), Londres, National


Gallery, peinture murale déposée, 1408-1410.

1531
DELUMEAU, 2000, p.145.
1532
FRUGONI, 2010, p. 140.
1533
Thomas d’Aquin, Sommes théologiques, Suppléments « le monde des ressuscités », quest. 96, art.9, p360 ;
cité dans DELUMEAU, 2000, p.145.
302
Dans les peintures sur panneaux, les motifs sont en général plus fins, puisque la mince couche
de matière empêche de réaliser des saillies importantes. L’auréole peut être simplement
incisée dans le fond doré, comme dans le panneau peint de Buonamico Buffalmacco.
L’utilisation du poinçon permet la réalisation de motifs ornementaux1534 aux effets décoratifs
prisés en particulier par les peintres toscans, comme dans le nimbe de Michel de la peinture
d’Andrea di Bartolo où plusieurs cercles ont été incisés alternant lignes continues et petits
points ; à l’intérieur du disque, des fleurs ceignent la tête de l’archange et ajoutent à la
préciosité de l’ensemble de la composition.

Buonamico Buffalmacco, Saint Michel Andrea di Bartolo, Saint Michel (détail), Sienne,
(détail), Arezzo, Museo Statale, peinture Pinacothèque communale, peinture sur panneaux, 1410.
sur panneaux, 3e décennie du XIVe siècle.

Le travail en relief peut également permettre l’insertion d’une inscription dans le nimbe de
l’archange, comme dans ce détail du couronnement de la Vierge peint par Cenni di Francesco
di Ser Cenni à l’extrême fin du XIVe siècle. Mais cet ajout reste rare dans notre corpus.

Cenni di Francesco di Ser Cenni, Couronnement de la Vierge et saints (détail), Los


Angeles, J.P. Getty Museum, peinture sur panneaux, 1390-1400.

L’insertion d’éléments en volume dans le nimbe est très courante aux derniers siècles du
Moyen Âge et confère une plus grande préciosité à cet élément, signe iconographique d’une
qualité supérieure. Ce relief, associé à la feuille d’or et éclairé à la lumière vacillante de la
bougie, devait permettre des effets de lumière répondant à la symbolique même du nimbe :
rendre visuellement la lumière divine émanant des personnages d’exception tels que les anges
et les saints.

1534
Les motifs ornementaux peuvent également être simplement peints à l’intérieur du disque, comme dans la
peinture murale d’un Anonyme à Fossacesia dans l’abbaye San Giovanni in Venere du 4e ¼ du XIIIe siècle.
303
Si l’iconographie de cet élément reste assez fixe aux XIIIe et XIVe siècles, certaines
particularités apparaissent dans la seconde partie du XVe siècle pour devenir la norme à
l’extrême fin de notre période. Bien sûr, nous retrouvons encore un certain nombre de
représentations de nimbe « classique », mais sa présence se fait en général plus discrète. Il
peut être totalement retiré de la tête de Michel, surtout à la fin du XVe et au début du XVIe
siècle, soit parce que plus aucun personnage n’en porte1535, soit parce qu’il est le seul à être
« dénimbé » alors même que les autres saints le portent encore. Dans la peinture de Giovanni
Santi, si la Vierge et l’Enfant, saint Stéphane, sainte Sofia et saint Jean-Baptiste portent
l’auréole, Michel est le seul à avoir la tête nue. Dans ce cas, le peintre a voulu insister sur la
nature différente de l’archange par rapport aux autres personnages représentés. S’il a la place
et la taille des autres saints, l’absence de nimbe le relie pourtant davantage aux chérubins,
représentés au-dessus du groupe sous la forme de petits bustes d’enfants ailés non nimbés.

Giovanni Santi, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Gradara, Palazzo Comunale, peinture sur panneaux, 1484.

La discrétion du nimbe se lit aussi dans la façon dont il est représenté : il devient à la fin du
Moyen Âge un halo de lumière comme dans l’huile de Filippino Lippi, apportant juste
quelques nuances plus claires de forme circulaire dans le fond bleuté ; ou un fin liseré
discrètement peint derrière ou sur la tête de l’archange, comme dans la peinture de Niccolo
Rondinelli.

Filippino Lippi, les trois archanges (détail), Niccolo Rondinelli, Vierge à l’Enfant et saints
Turin, Galleria Sabauda, huile sur bois, (détail), Baltimore, The Walters Art Gallery,
1477-1478. peinture sur panneaux, 1495-1502.

1535
Citons par exemple le panneau de Giovanni di Francesco, conservé à New-York dans la collection Hugh
Satterlee et peint en 1439, où ni Michel, ni aucun autre personnage saint ne porte d’auréole. Aucune trace de
nimbe non plus dans la peinture d’Antonio del Pollaiolo conservée à Florence. Dans le panneau de Riccardo
Quartararo, les nimbes ne sont pas non plus nécessaires puisque la scène se passe au ciel, et tous ceux présents
sont forcément saints ou de nature angélique.
304
Mais ce qui modifie le plus profondément les représentations du nimbe à la fin du Moyen
Âge, est l’adaptation de cet élément aux nouvelles règles de perspective. Déjà dans les années
1440, les nimbes des trois archanges peints par le Maestro di Pratovecchio semblent s’adapter
à l’inclinaison des figures angéliques en rejetant une forme circulaire systématique. Les
disques du nimbe deviennent des ellipses selon la position de la tête des personnages.

Maestro di Pratovecchio, Les trois archanges (détail), Berlin Gemäldgalerie, peinture sur panneaux, 1440.

Cet usage est généralisé, mais l’image d’un disque circulaire doré et plein est conservée : ce
n’est pas la nature du nimbe qui est changée, mais sa représentation dans l’espace.

Giovanni Angelo d’Antonio, Pala di Bolognola (détail), Piero della Francesca, Saints (détail), Londres,
Rome, Palazzo Venezia, peinture sur panneaux, 1445. National Gallery, peinture sur panneaux, 1470.

Il prend de plus en plus souvent place au sommet de la tête des personnages saints : il n’est
plus placé à l’arrière mais sur la tête des saints, car c’est du ciel que vient la grâce de cette
lumière divine.
Le processus qui tend à rendre le nimbe plus discret dans les images de la fin du Moyen Âge
s’explique par un mouvement plus général d’attention au réel. Le nimbe reste un élément de
surnaturel dans l’image. Les saints, et surtout le Christ, peuvent être représentés sous les traits
réalistes d’hommes, devant des paysages ou des architectures en profondeur, ils restent liés à
un au-delà surnaturel, ce que rappelle le nimbe. Pourtant, cet élément, pour être correctement
intégré dans ces images, doit s’adapter aux nouvelles règles de la représentation par une plus
grande discrétion, l’adoption des règles de perspective, une représentation plus conforme à ce
que représente vraiment le nimbe (une lumière qui vient du ciel ou qui émane de la figure
sainte).

Le nimbe signale une appartenance à un groupe d’individus supérieurs, marqués par une
lumière divine et surnaturelle. Si l’auréole peut apparaitre sur la tête des anges, c’est
principalement dans les images le signe d’un état supérieur destiné aux hommes. En portant le
305
même attribut que les êtres canonisés, Michel est considéré comme un saint à part entière. Le
nimbe est donc un attribut qui permet d’associer clairement l’image de Michel à celle des
saints classiques, et son absence est également signifiante dans la mesure où, si tous les autres
personnages de l’image sont nimbés comme dans quelques rares exemples que nous avons
évoqués, cela montre que le peintre a voulu cette fois insister sur la différence de nature de
l’archange. Si les cheveux sont un « marqueur iconographique » angélique dans les images de
Michel, son nimbe est un « marqueur iconographique » humain. Le corps de Michel peut,
selon les peintres et les périodes, faire partie de l’un ou l’autre de ces groupes.

I.2.3. Le corps de saint Michel

Nous avons déjà évoqué les choix qui ont mené les peintres et sculpteurs à adopter la
forme humaine pour les images d’anges. L’homme en tant que création à l’image de Dieu, est
la figure terrestre la plus noble et donc la plus adaptée pour donner forme aux anges. S’il est
de nature incorporelle, la fonction de combattant de Michel l’assimile pourtant à une action
clairement physique dans laquelle le corps a une place centrale : un corps qui peut être touché,
et doit donc être protégé, un corps qui doit paraitre puissant pour montrer une issue claire du
combat, un corps en mouvement, un corps qui apparait aux vivants pour exprimer la volonté
de Dieu. Dans l’art chrétien médiéval, Michel apparait toujours sous une forme humaine
(ailée), dans un corps intégral, et non pas, comme c’est parfois le cas pour d’autres anges,
sous la forme d’un visage, d’un buste, d’un corps vaporeux disparaissant dans l’air.
L’intégrité du corps michaélique dans les images s’accompagne d’une représentation des
chairs réaliste, c'est-à-dire que Michel n’est jamais figuré en monochromie rouge ou bleue,
comme certains anges appartenant à l’un des trois ordres supérieurs et affirmant leur
appartenance à une réalité diverse de celle des humains.

I.2.3.1. Un corps puissant mais caché

Le XIIIe siècle n’insiste pas sur la représentation du corps de l’archange, camouflé


sous des tenues qui ne laissent entrevoir aucune partie de son corps. La silhouette de
l’archange est plutôt fine et longue et la puissance de Michel est visible essentiellement dans
sa taille, la posture droite et la sérénité de son visage. La peinture murale d’Anagni montre un
Michel longiligne mais sans grande épaisseur corporelle, malgré les plis de sa tunique qui
marquent les parties principales de son corps. Cette finesse et cette délicatesse ne l’empêchent
pourtant pas de vaincre le dragon qu’il foule aux pieds et transperce de sa lance.

306
Maestro delle Traslazioni, Saint Michel, Anagni, Santa Maria, peinture murale, autour de 1250.

Michel peut parfois être l’objet d’une représentation isolée et étendue dans les programmes
décoratifs des églises et chapelles, et être peint dans des proportions plus importantes que
celles des autres saints, ce qui est par exemple le cas lorsqu’il apparait au début de notre
période en escorte du Christ ou de la Vierge. Il possède alors une place et une taille réservées
aux archanges, en accord avec les textes bibliques qui insistent sur sa grande taille et en
accord avec sa nature archangélique. Dans certain cas, la composition même semble insister
sur sa grande taille, comme dans la peinture murale de Bergame, de l’église San Michel al
Pozzo, où la tête et le nimbe de l’archange se superposent au bandeau ornemental peint qui
sert de cadre à l’image, certainement pour signifier sa grandeur.

Anonyme, Pesée des âmes (détail), Bergame, San Michel al Pozzo, peinture murale, 1440.

Selon Catherine Jolivet-Lévy, une échelle colossale pour Michel était également de mise dans
les images byzantines de Cappadoce à la fin du Moyen Âge. Elle était liée, selon
l’historienne, à l’usage de l’épithète « grands » ou « très grands » qui désignent souvent les
archanges dans les hymnes liturgiques, comme dans les inscriptions, d’identification ou
dédicatoires. Les récits de vision attribuent également à l’archange une taille surhumaine1536.

1536
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 190.
307
Michel possède également une place et une taille importantes dans la figuration de certains
épisodes narratifs qui le mettent au centre, notamment dans les Jugements derniers : il
prolonge l’axe constitué par le Christ-Juge qui scinde en deux parties l’au-delà bipolaire, et
apparait souvent dans des proportions importantes par rapport aux autres personnages
présents, et même parfois par rapport au Christ, comme l’atteste la peinture du Jugement
dernier de Lorenzo Vecchietta exécutée sur une voûte d’un ancien hôpital de Sienne entre
1446 et 1449.

Lorenzo Vecchietta, Jugement dernier (détail), Sienne, ancien hôpital Santa


Maria della Scala, peinture murale, 1446-1449.

Pourtant, l’image de l’archange, dans les peintures murales et les peintures sur panneaux,
l’intègre très rapidement et de manière presque définitive, au groupe des saints, partageant
avec eux la même taille et la même place. Si le rang hiérarchique était encore privilégié dans
les proportions des personnages les uns par rapport aux autres au début de notre période, ce
n’est plus le cas à partir du XVe siècle où les dimensions des personnages dépendent de leur
disposition dans l’espace.

Si, comme nous le disions plus haut, Michel figure essentiellement dans un corps intégral
dans les peintures italiennes, il faut tout de même nuancer cette affirmation : dans quatre
peintures représentant des apparitions de Michel au Mont Gargan ou au Mont-Saint-Michel,
les jambes de l’archange semblent disparaître dans les airs ou sous des épaisseurs d’étoffes.

Jacopo del Talentino, Miracle du Agnolo Gaddi, Miracle de Cenni di Francesco di Ser Cenni,
taureau (détail), Florence, Santa l’accouchée (détail), New Haven, Miracle du taureau (détail),
Croce, peinture murale, 1e ¼ du Yales University Art Gallery, Philadelphia, Museum of Fine Art,
XIVe. peinture sur panneaux, 1380. peinture sur panneaux, 1385.

308
Priamo della Quercia, Miracle de l’accouchée (détail) et Apparition à l’évêque (détail),
Lucques, Museo Nazionale di Villa Guinigi, peinture sur panneaux, 1430.

Précisons que ces peintures sont les rares exemples à présenter Michel en vol. De plus, le
motif de l’évaporation du corps de l’ange dans les airs est particulièrement adapté au thème de
la vision : un personnage apparait à la vue puis se dissipe ensuite dans les airs. Enfin, Michel
n’est pas ici un soldat à qui le corps est indispensable, il est un guide, il vient indiquer le
chemin à suivre et à ce titre, seuls ses bras sont utiles dans l’image. Ce fait est d’ailleurs clair
lorsque l’on compare ces images avec celles de Michel apparaissant à Rome sur le Mausolée
d’Hadrien. Dans cette vision, il vient en tant qu’exécuteur de la justice divine, il est le bras
armé de Dieu, comme le montre le geste qu’il réalise : il remet son épée dans son fourreau.
Cette fois, Michel est à nouveau un soldat et apparait toujours dans cette scène dans son
intégrité corporelle.

Un certain dynamisme permet parfois de supposer la présence d’une force physique qui anime
le corps de Michel. Dans deux peintures du Duecento, Michel revêt déjà la tunique courte
caractéristique des guerriers : dans la représentation des scènes de la mort d’Henri II à San
Lorenzo fuori le mura de Rome, dans les années 1290-1300, la forme des jambes de Michel
est visible à travers les chausses, sorte de collant, qu’il porte1537. Ce type iconographique va
connaître un large succès au Trecento.

Anonyme romain, Mort d’Henri II (détail), Rome, San Lorenzo fuori le mura, peinture murale, 1290-1300.

1537
L’autre peinture se trouve dans l’église Santa Maria in Monte Dominico de Marcellina et date de la première
partie du XIIIe siècle.
309
Dans le Jugement dernier de Pietro Cavallini, Michel endosse un plastron qui suggère la
forme du torse de l’archange et le dessin de ses muscles pectoraux. Pourtant, la partie
inférieure des bras, qui est généralement laissée nue dans ce genre de vêtement, est couverte
par un drapé léger et fluide.

Pietro Cavallini, Jugement dernier (détail), Rome, Santa Cecilia in Trastevere, peinture murale, 1293.

Au XIVe siècle, le plastron, dessinant la forme du torse, et la lorica romana laissant les
jambes nues, sont courants, mais ne laissent pourtant apparaitre aucune parcelle de chair
michaélique. Les jambes sont couvertes généralement de chausses moulantes ou de jambières
de protection, et les bras, de manches d’une chemise située sous la plastron et visible des
épaules aux poignets. Le corps de l’archange n’est pas nié puisqu’il est suggéré par ces
vêtements moulants ou formés sur le modèle d’un torse humain. De plus, le fait même
d’employer ces habits protecteurs atteste de la présence d’un corps à protéger. L’action du
combat dans laquelle s’engage Michel permet même parfois de découvrir un membre. Les
vêtements, non adaptés à sa mission, sont soulevés par Michel dans la peinture d’Ugolino di
Nerio, ou s’écartent suite au mouvement d’extension de l’archange qui brandit son épée dans
le cas de la tunique peinte par Bernardino Butinone, et laissent entrevoir une jambe. Mais ce
sont là deux exceptions.

Ugolino di Nerio, Saint Michel (détail), Bernardino Butinone, Jugement dernier


Grosseto, Museo della Maremma, peinture sur (détail), New-York collection privée, peinture
panneaux, 1e ½ du XIVe. sur panneaux, fin du XIVe siècle.

Un autre élément corporel de Michel peut parfois être découvert dans des sandales : ses pieds.
La nudité totale des pieds est souvent attribuée aux anges et aux personnages saints, comme
310
signe d’humilité, de simplicité et de liberté de mouvement, mais est totalement absente chez
Michel1538. Le type de l’archange byzantin couvre les pieds de Michel de chaussons pourpres,
alors que l’archange militaire chausse régulièrement des chaussures en cuir montantes, des
chausses ou des solerets dont nous reparlerons plus tard. Tout comme le reste du corps,
Michel a les pieds couverts aux XIII, XIV et XVe siècles en Italie et cet aspect est encore plus
frappant lorsqu’à côté de l’archange, d’autres anges (notamment les deux autres archanges) ou
saints (principalement Jean-Baptiste et François) ne sont pas chaussés. Le pied nu s’adapte en
effet mal au guerrier et surtout aux représentations courantes de Michel qui foule aux pieds le
mal : le contact direct entre le dragon et les pieds de l’archange serait intolérable. Les sandales
qui semblent être un bon compromis pour avoir les pieds nus sans souiller la plante des pieds
de Michel, ne sont pourtant adoptées qu’au XVIe siècle. Elles y apparaissent rarement sous
une forme simple, comme dans la peinture de Bernardino Luini, mais plutôt sous une forme
originale, et elle largement adoptée à la fin de notre période, qui consiste à trouer au niveau
des orteils les chausses de l’archange1539.

Bernardino Luini, Saints (détail), Milan, Timoteo Viti da Urbino, Noli me tangere et saints
Collection privée, peinture sur (détail), Cagli, Sant’Angelo Minore, peinture sur
panneaux, XVIe siècle. panneaux, 1518.

Hormis les deux exceptions citées plus haut, le corps de Michel est toujours couvert aux XIII,
XIV et même XVe siècles. Un seul peintre du Quattrocento a clairement insisté sur les
membres dévêtus de Michel : il s’agit de Piero Della Francesca qui peint en 1470 un archange
au type militaire classique, vêtu d’un plastron et d’une forme dérivée de la lorica romana.
Mais cette fois aucune chausse ne couvre les jambes nues des mi-cuisses aux chevilles ; quant
à la chemise, si elle est toujours présente, elle est réalisée dans un tissu tellement fin qu’elle
est totalement transparente et identifiable uniquement aux plis et à l’ajout de pierreries au
niveau des poignets et le long du bras.

1538
Michel n’a absolument jamais les pieds totalement nus dans notre corpus. Parfois des sandales discrètes ou
de fines chausses, donnent l’impression de voir l’archange nu-pied. Pourtant, en regardant de plus près, il a
toujours une semelle ou un morceau d’étoffe qui sépare ses plantes de pieds du sol.
1539
Le premier exemple attesté dans notre corpus est une peinture de Carlo Crivelli de 1476 conservée à la
National Gallery de Londres.
311
Piero della Francesca, Saint Michel (et détail), Londres, Nationale Gallery, peinture sur panneaux, 1470.

Encore une fois, cette peinture reste une exception et si une plus grande attention est portée
aux vêtements militaires de l’archange, tantôt plus réalistes, tantôt tout droit sortis de
l’imagination des peintres, elle ne se porte pas encore au XVe siècle sur la représentation des
membres puissants de Michel, pouvant symboliser sa force contre le mal. Au Quattrocento, le
corps de Michel est largement couvert de fer car il doit répondre aux attaques plus menaçantes
du dragon et des démons, il est un corps à protéger. Le démon agressif n’est pas toujours
représenté totalement vaincu, il peut encore s’accrocher à la lance de son ennemi, comme
dans la peinture de Francesco dei Franceschi, s’agripper ou s’enrouler autour de ses jambes,
comme dans les peintures de Benvenuto di Giovanni et Bernardo Zenale da Treviglio. Les
vêtements de protection semblent encore bien utiles.

Francesco dei Franceschi, Saint Benvenuto di Giovanni, Bernardo Zenale da Treviglio,


Pierre, Crucifixion et saints Saints (détail), Lyon, Musée des Vierge à l’Enfant et saints
(détail), Padoue, Pinacoteca Civica, Beaux-Arts, peinture sur (détail), Florence, Offices,
peinture sur panneaux, 1447. panneaux, 1470-1480. peinture sur panneaux, 1480.

Ils le sont également lorsque le dragon prend une taille importante, tel celui du Maestro
dell’Osservanza avec son large corps et ses sept têtes, ou celui d’Antonio del Pollaiolo aux
grosses pattes et à la gueule grande ouverte s’apprêtant à mordre Michel.

312
Maestro dell’Osservanza, Saint Michel (détail), Antonio del Pollaiolo, Saint Michel (détail),
Sienne, Museo dell’Archivio di Stato, peinture sur Florence, Museo Stafano Berdini, peinture
panneaux, 1444. sur panneaux, milieu du XVe.

Enfin, le démon n’hésite plus à croiser le fer avec l’archange et à utiliser des armes contre lui.
Vincenzo Foppa peint un démon encore actif et menaçant qui tente de faire pencher un
plateau de la balance portée par Michel à l’aide d’un pied de biche, mais l’archange le contre
avec son épée et les deux armes s’opposent.

Vincenzo Foppa, Saints (détail), Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage, peinture sur panneaux, 1460.

Au XVe siècle, l’agressivité du dragon et des démons, constitue certainement l’une des
raisons principales d’une représentation tardive d’un corps michaélique plus visible. Au
Quattrocento, il est plus rassurant de voir que les membres de l’archange sont bien protégés
face à la menace que constitue le mal.

Il faut ainsi attendre le XVIe siècle pour que les peintres osent découvrir et représenter
l’enveloppe corporelle de l’archange. Dans l’huile sur toile de Cesare Sesto, la manche
relevée de Michel laisse voir son bras dans son intégralité, dont la peau blanche se détache
clairement sur un fond plus sombre, insistant sur le dessin des muscles du biceps et du
brachio-radial qui semblent exagérément contractés au vu du simple geste qu’il accomplit.

313
Cesare Sesto, Vierge à l’Enfant, sainte Élisabeth, saint Jean-Baptiste et
Michel (détail), Paris, Louvre, huile sur toile, 1510.

Sur la cinquantaine de peintures de notre corpus pour la période allant de 1500 à 1518, nous
avons recensé 13 images de l’archange avec les bras et/ou les jambes nues, ce qui parait
important au vue du reste du corpus puisqu’aucune image de ce type n’est réalisée au XIIIe
siècle ni au XIVe siècle, et une seule l’est en 1470 pour le XVe. Pourtant la figuration du corps
n’est pas un tabou dans l’Occident médiéval de la fin du Moyen Âge et depuis le Duecento,
les représentations des Christ torse-nu ou simplement vêtu d’un perizonium se multiplient
dans l’iconographie, et le corps de certains saints est clairement mis en scène si la narration le
requiert. Mais notons la différence de nature entre les saints - hommes de chair et d’os lors de
leur passage sur terre - et l’archange, mais également entre le Christ qui - même s’il est divin -
s’est concrètement incarné, alors que Michel ne prend pas directement chair même lorsqu’il
intervient dans la vie des hommes. Ceci explique certainement cette réticence à représenter les
membres nus de l’archange avant une période bien avancée. En plein XVIe siècle, Luca
Signorelli, pourtant adepte des représentations de l’archange aux jambes et bras nus1540, peint
un étonnant contraste entre un Michel vêtu de la tête au pied d’une lourde armure, face au
corps presque nu du Christ, de saint Jérôme ou même au torse dénudé de l’ange portant la
lance.

1540
Il peint en tout 3 archanges de ce type : en 1499-1502, un saint Michel aux jambes nues dans la chapelle San
Brizio d’Orvieto ; un autre sur une huile sur bois conservée à Cortona et peinte en 1510-1512 ; et un archange
aux bras et jambes nues en 1516-1517, dans une peinture conservée à Città di Castello.
314
Luca Signorelli, Déposition et saints (détail), Cortona, San Niccolo, peinture sur panneaux, 1516.

Terminons une nouvelle fois avec Raphaël pour insister sur une caractéristique importante de
l’iconographie de saint Michel : le contraste entre un corps guerrier et robuste et un visage fin,
juvénile et délicat. L’archange du Louvre a un corps fort, des membres épais et puissants,
pourtant facilement portés par des ailes majestueuses. Le contraste avec le visage
« angélique », doux et raffiné de Michel est saisissant. La sérénité de ses traits s’oppose elle
au dynamisme et à la tension de son corps.

Raphaël, Saint Michel (détail), Paris, Louvre, huile sur toile, 1518.

Ce contraste est la clé du dialogue entre force morale et force physique. Au début de notre
période, le corps de l’archange est presque absent de l’iconographie michaélique, remplacé
par des vêtements qui semblent vides, et sa victoire est clairement due à sa puissance morale.
Lorsque Michel devient un guerrier vêtu de l’armure à la fin du Moyen Âge, son calme et son
sérieux, dicibles dans l’absence d’expression dont nous avons déjà parlé, sont les seuls
garants de sa supériorité morale et de sa différence de nature par rapport à un saint guerrier
classique. Au début de l’époque moderne, le corps de Michel aux muscles saillants est
maintenant capable physiquement de battre un dragon ou un démon, et sa supériorité est

315
rendue par des gestes accomplis sans efforts avec délicatesse et raffinement. Le caractère
réaliste et matériel est contraire à sa nature et exigeait une très haute qualité pour être
supportable.

Si les peintres ont mis longtemps à représenter le « corps de l’archange » par rapport à celui
du Christ ou des saints, cette évolution tardive n’est pas non plus liée à celle de l’iconographie
des anges en général. La matérialité et le réalisme qu’acquièrent les représentations du corps
de Michel dans les peintures du Cinquecento s’opposent à plusieurs types de représentations
angéliques, tels que les têtes de chérubins, les anges monochromes ou les anges-nuages. Le
corps fort et puissant de Michel est de toute façon en décalage avec l’image des anges au
début de la Renaissance souvent plus féminins ou plus enfantins, et la dignité du chef de la
milice céleste ne s’accorde pas avec le développement des angelots nus qui fleurissent dans
les compositions modernes.
Un autre élément le distingue des représentations angéliques classiques : les mouvements
qu’il réalise.

I.2.3.2. Un corps en mouvement

Le corps et les gestes des hommes et des personnages saints sont, dans l’iconographie
médiévale, avant tout des signes, porteurs de significations symboliques, avant d’être des
représentations naturalistes de corps en mouvement ou immobiles1541. Il n’y a donc pas
forcément de lien entre gestes, mouvements et nature de l’acte commis. Pourtant, dans
l’iconographie michaélique de la fin du Moyen Âge, l’insistance sur l’action de l’archange
semble lier symbolisme et naturalisme. Distinguons dans un premier temps ce que nous
entendons par « mouvement » et par « geste », que nous n’employons pas en tant que
synonymes.
Le mouvement concerne une partie ou tout le corps, et est engendré par une action qui peut
être déterminée par l’utilisation d’un outil ou par les besoins de la narration. L’image d’un
mouvement est l’illustration d’un moyen. Le geste lui est souvent plus subtil, et concerne
davantage une attitude corporelle, traduit une disposition intérieure ou est réalisé pour faire
passer un message précis : il est signifiant et indépendant d’une efficacité physique par
rapport au mouvement. Le geste est un but en lui-même. Il n’est pourtant pas si aisé de
distinguer geste et mouvement dans l’iconographie de saint Michel, car les deux sont souvent
liés : lorsque, par exemple, Michel est représenté dynamiquement en train d’écraser un dragon
avec ses pieds, il s’agit bien d’une action qui met tout son corps en mouvement, une
illustration d’un moyen d’arriver à maîtriser la bête, mais il est également un but car signe
visuel de sa domination sur la mal. Le mouvement dans ce cas est une façon de représenter le
geste.

1541
GARNIER, 1982-1989, 2 vol., p. 43.
316
Les mouvements d’un combattant

Michel est un personnage actif dans les peintures italiennes de la fin du Moyen Âge.
C’est principalement sa mission de guerrier qui lui confère ce rôle dynamique très tôt dans
l’iconographie italienne. Dans les peintures de notre corpus, l’action principale de Michel est
donc un combat, pour cela, il porte le plus souvent une arme dans la main droite et un autre
attribut dans la gauche : balance, bouclier, globe, phylactère ou tête du démon. Il peut
également tenir son arme des deux mains, ce qui est plus courant pour la lance 1542, mais pas
impossible pour l’épée1543. La position de l’archange dans l’image dépend de l’aspect sur
lequel le peintre veut insister.

La position d’un personnage est la façon dont son corps se tient dans l’espace et
s’apprécie par rapport aux trois dimensions. Contrairement aux gestes qui se traduisent par
des verbes, la position est donnée par des adjectifs, des participes ou des adverbes1544.
Saint Michel n’est pas constamment figuré en mouvement et la représentation frontale sied
particulièrement aux images de type byzantin du Duecento. Michel est debout, sa tête et son
corps sont droits, ses épaules parallèles au sol, ses ailes et ses pieds sont symétriques l’un par
rapport à l’autre. La présence courante du dragon sous ses pieds ne gêne en rien cet aspect
rectiligne d’une position empreinte de stabilité. La seule entorse à cette symétrie est le fait que
l’archange tienne un objet différent dans chaque main, attributs qui se portent différemment et
influent donc sur la position de chacun des bras : Michel porte la lance dans la main droite qui
se place à la hauteur du visage, son coude est relevé et l’avant-bras forme un angle droit avec
l’arrière-bras ; la main gauche porte un globe à pleine main à la hauteur de la taille, le bras
reste le long du corps et l’avant-bras se détache légèrement vers l’avant. Ce type peut figurer
aussi bien dans les peintures murales, comme dans l’église rupestre de Sasso Cavaoso, ou sur
des panneaux, comme celui de Bonaventura Berlinghieri, et, si sa position est statique, Michel
est déjà en train d’enfoncer la lance dans le gosier d’un dragon.

1542
Dans ce cas, la lance est tenue obliquement par l’archange comme dans le panneau de Luca di Tommè
conservé à Amiens.
1543
Citons par exemple la peinture murale du Jugement dernier de la basilique Sant’Anastasia de Vérone, en
1360, ou la peinture sur panneaux conservée au Musée du Petit Palais à Avignon et peint par un anonyme proche
de Matteo Giovannetti au troisième quart du XIVe siècle.
1544
GARNIER, 1982, vol. 1, p. 48.
317
b
Anonyme, Saint Michel, Sasso Caveoso, Bonaventura Berlinghieri, Crucifixion, Vierge à l’Enfant et saints
peinture murale, années 1250. (détail), Florence, Offices, peinture sur panneaux, 1260-1270.

Cette position s’accorde parfaitement au sérieux des figures byzantines. Elle correspond à un
état durable et parfait qui caractérise la figure archangélique. Les images de l’archange en
position frontale se développent particulièrement au XIIIe et au début du XIVe siècle, et
peuvent être dynamisées par l’oblique de la lance portée dans la main droite mais transperçant
la tête du dragon à gauche de Michel, comme dans le panneau du Maître de Varlungo en
1280-1290.

Maître de Varlungo, Saints (détail), Rome, Collection M. Fiammingo,


peinture sur panneaux, 1280-1290.

Mais cette frontalité est loin d’être la norme pour l’iconographie de Michel, même au début
de notre période, où se retrouvent déjà des positions plus souples et plus naturelles, qui se
multiplient à partir du XIVe siècle. En 1292, Manfredino da Pistoia peint un Michel empreint
de vitalité, dont les gestes prennent de l’ampleur pour mieux combattre les démons qui
perturbent la pesée. La position de trois-quarts est la plus courante mais elle comprend un
nombre de variantes importantes entre un léger décalage pour éviter une frontalité trop rigide
et des positions dynamiques qui sont parfois proches de représentations de profil, comme dans
la peinture rupestre de Mottola où Michel détourne son corps pour mieux atteindre de sa lance
la tête du dragon qu’il piétine.

318
Manfredino da Pistoia, Saint Michel, Gêne, Museo di Anonyme, Saint Michel, Mottola, San Nicola a
e e
Sant’Agostino, peinture murale déposée, 1292. Casalrotto, peinture murale rupestre, fin XII début XIII .

Plusieurs images, des représentations narratives, montrent un corps de trois-quarts et un


visage de profil. Cette position est clairement liée à l’activité du personnage1545. La position
strictement de profil n’est presque pas présente dans notre corpus. Citons par exemple un
épisode rarement illustré dans la peinture italienne de la fin du Moyen Âge : Michel tranche
les mains de Jephonias. Dans cette image d’un anonyme proche de Matteo Giovanetti, Michel
est représenté de profil, penché sur sa victime, la jambe droite tendue et la gauche pliée et
tenant son épée dans ses deux mains, il s’apprête à trancher les mains du juif qui a tenté de
renverser le corps de la Vierge.

Anonyme, Dormition de la Vierge (détail), Avignon, Musée du Petit Palais, 3 e ¼ du XIVe.

Michel est un archange de l’action, et figure à ce titre principalement debout. Pourtant


quelques spécimens de notre corpus le présentent agenouillé ou même assis. Mais ces
positions ne sont pas pour autant des positions qui traduisent le repos ou la fatigue de
l’archange. Lorsqu’il est en position assise, Michel trône : les quatre peintures sur panneaux
de ce type montrent Michel en position frontale, assis sur un édicule en pierre ou en bois
finement travaillé et recouvert de pierreries, et surélevé sur une ou deux marches. Dans ces
peintures, il a une position centrale et une prééminence par rapport aux autres saints
représentés, comme dans le panneau d’Angelo Puccinelli où Michel occupe le panneau central
et a une taille largement supérieure à celle des saints Antoine et Jean-Baptiste, debout dans les
1545
GARNIER, 1982-1989, 2 vol., p. 124.
319
panneaux latéraux. L’ensemble de l’espace pictural peut également lui être dédié, comme
dans le panneau de Coppo di Marcovaldo où la figure centrale et en trône de Michel est
entourée de scènes narrant ses apparitions et ses miracles.

Angelo Puccinelli, Saint Michel et saints, Coppo di Marcolvaldo, Saint Michel et légendes,
Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture San Casciano Val di Pesa, Museo d’Arte Sacra,
sur panneaux, 1379. peinture sur panneaux, 1250-1255.

Notons la répartition uniforme de ce motif iconographique sur l’ensemble de la période


étudiée : l’un est réalisé autour de 1250, deux au dernier quart du XIVe siècle et un autre vers
1430. Une cinquième peinture datée de 1429 présente Michel en trône, mais cette fois-ci dans
une peinture murale et dans le contexte narratif du Jugement dernier : il évalue les âmes grâce
à sa balance à la sortie du Purgatoire tout en trônant sur un siège maçonné. Dans ce nombre
très limité de peintures, le droit au trône traduit la gloire de l’archange et sa puissance, mais
également son importance dans le sanctoral chrétien de la fin du Moyen Âge car c’est un
attribut généralement réservé au Christ ou à quelques très grands saints, et qui en plus
l’impose comme un personnage hiérarchiquement supérieur par rapport aux autres saints
présents.

La signification de la position agenouillée est tout autre. Neuf peintures de notre corpus
montrent Michel à genoux devant le Christ, la Vierge ou les deux 1546. Michel a les deux
genoux au sol ou un seul. Si les traits du visage et la physionomie de Michel est inchangée,
cette position s’accompagne généralement d’une légère inclinaison de la tête vers le haut pour
regarder l’objet de sa dévotion ou vers le bas en signe de recueillement. Les gestes des mains
insistent également sur le respect et l’entière soumission de Michel au couple divin : une main
ramenée sur la poitrine, les mains jointes en signe de prière, ou alors il tient simplement ses
armes qui sont au repos, les présente à la divinité pour signifier qu’elles sont à son service.

1546
Outre les trois peintures présentées en illustration : Giovanni Angelo d’Antonio, Vierge à l’Enfant et saints,
Rome, Museo Nazionale del Palazzo Venezia, peinture sur panneaux, 1445 ; Filippo Lippi, saints, Cleveland,
museum of Art, peinture sur panneaux, 1457-1458 ; Matteo di Giovanni, Nativité, Ecce homo et saints, Sienne,
San Domenico, peinture sur panneaux, 4e ¼ du XVe ; Neri di Bicci, Couronnement de la Vierge et saints,
Florence, San Giovannino dei Cavalieri, peinture sur panneaux, XVe ; Benvenuto di Giovanni, Ecce homo et
saints, Montalcino, Museo Civico, peinture sur panneaux, début XVIe ; Cesare Sesto, Vierge à l’Enfant et saints,
Paris, Louvre, huile sur toile, 1510.
320
Ambrogio Lorenzetti, Vierge à Le Pérugin, Nativité et saints Giovanni d’Agnolo di Balduccio,
l’Enfant et saints (détail), Sienne, (détail), Rome, Collezione Christ et saints (détail), Arezzo,
Sant’Agostino, peinture murale, Albani Torlonia, peinture sur Museo Statale di Arte, peinture
première partie du XIVe. panneaux, 1491. murale déposée, 1e ½ du XVe.

Ici, c’est bien la position du corps qui traduit davantage les sentiments intérieurs de respect et
de dévotion que ses expressions.

Hormis la peinture d’Ambrogio Lorenzetti, toutes les images de Michel à genoux ont été
réalisées au XVe ou au début du XVIe siècle. Nous reviendrons plus loin sur cette tendance, à
la fin de notre période, à détourner Michel de son combat pour le laisser s’adonner plus
volontiers à la contemplation et l’adoration. Malgré ces quelques exceptions d’un archange
assis et à genoux, et après les représentations statiques du début de notre période, Michel est
dans la majorité des cas debout et en mouvement.

Les mouvements principaux réalisés par l’archange dans la peinture italienne de la fin
du Moyen Âge sont ceux engendrés par l’utilisation de l’arme - souvent brandie ou utilisée
pour tuer la bête - qu’ils soient réalisés pour combattre le dragon ou les petits démons autour
de la balance. L’écrasement de l’ennemi est illustré également par des positions de jambes
parfois originales. De ces deux grands groupes de mouvements - utilisation de l’arme et
écrasement de l’ennemi ; qui concernent en priorité respectivement les bras et les jambes -
découlent également les positions de la tête, du buste. Certaines scènes narratives nécessitent
également de placer l’action dans les airs et génèrent des mouvements conditionnés par le
vol.
En général, le combat réalisé par Michel met en image un ensemble complexe de mouvements
qui met tout le corps en action dans un seul but : écraser le mal.

Le mouvement est présent de manière précoce dans l’iconographie de Michel1547. L’ivoire


carolingien de Leipzig1548 atteste que statisme et hiératisme ne sont pas des éléments

1547
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal.
1548
Saint Michel, fragment d’une couverture de livre, en ivoire, Grassimuseum, Leipzig, vers 800. Voir
illustration dans chapitre 2, I. 2.2.2.2. .
321
caractéristiques de son image : les jambes de Michel sont représentées de trois-quarts, l’une
est en appui sur une partie indéterminée et l’autre est levée mais n’écrase pas encore le
dragon ; le buste est de face, le bras droit au coude relevé s’apprête à transpercer le dragon et
le fer de la lance est à l’entrée de la gueule de la bête ; Michel ne regarde pourtant pas
l’ennemi et sa tête est légèrement inclinée. Le dragon est toujours bien vivant, ce qui permet
d’insister sur la nécessité de ce combat. L’action semble en suspens dans le temps : le
moment représenté n’est pas celui du cœur du combat, ni même celui de la victoire, mais celui
qui précède de quelques secondes cette victoire, déjà évidente mais pas encore accomplie.
Toutes les images de Michel en plein Moyen Âge ne possèdent pourtant pas cette verve et ce
dynamisme et si l’art byzantin et l’art roman savent utiliser le mouvement lorsqu’il est
nécessaire à l’image, ce n’est cependant pas son mode d’expression privilégié. Le XIIIe siècle
possède quelques spécimens dynamiques, mais au XIVe siècle, les mouvements gagnent en
souplesse et en amplitude. En général, si le corps reste encore principalement de face ou
légèrement de trois-quarts au début du siècle, le mouvement est visible dans la position ample
du bras droit, au coude relevé afin de brandir la lance et la tête peut être penchée sur l’ennemi
et accompagne ainsi l’action, comme dans les panneaux d’Ugolino di Nerio et celui de Lippo
di Benivieni.

Ugolino di Nerio, Saint Michel, Lippo di Benivieni, Vierge à l’Enfant et


Grosseto, Museo Archeologico et d’Arte, saints (détail), collection privée, peinture
peinture sur panneaux, 1e ½ du XIVe. sur panneaux, 1290-1310.

Le corps esquisse un déhanché mais les jambes sont encore relativement droites et
symétriques malgré la présence du dragon. Les concessions faites à une représentation plus
naturaliste du mouvement amènent certains peintres à des solutions sans précédent, faisant par
exemple passer le bras devant la figure de l’archange, comme dans le médaillon peint par
Giotto dans la chapelle Scrovegni : la main, le bras et l’arme de Michel occultent une partie
de son visage et de son torse pour aller transpercer le démon qui se trouve à l’extrémité droite
de l’image.

322
Giotto, Saint Michel, Padoue, chapelle dell’Arena, peinture murale, 1303-1306.

L’évolution de la représentation du mouvement est liée à une modification iconographique


majeure dans l’image de Michel : le remplacement de la lance par l’épée. Cette modification
se trouve avant tout dans les représentations de Michel en buste et l’épée est présentée et non
pas utilisée par l’archange, comme dans le panneau de Simone Martini et dans cinq autres
peintures réalisées dans la première moitié du XIVe siècle1549. Dans ces images, la partie
inférieure du corps de Michel n’est jamais visible et l’archange, dans une position légèrement
de trois quarts, porte l’épée contre lui et la lame posée sur son épaule, longe son visage.

Simone Martini, Saints (détail), Cambridge Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319.

Cette arme est ensuite directement utilisée dans les combats contre le dragon, mais elle ne
peut l’être à la façon d’une lance, arme d’hast dont la longue hampe permettait sans soucis de
garder la bête à distance. L’épée est courte et appelle à ce titre des combats plus rapprochés et
donc des mouvements différents pour pouvoir concilier une représentation d’un corps à corps
contre un ennemi généralement figuré comme une bête déjà dominée, plaquée au sol. L’image
du combat de Michel contre le dragon était déjà certainement trop ancrée et trop efficace pour
que les peintres se contentent d’une image de l’archange en buste présentant son épée en
évoquant son combat sans le représenter. Le problème à résoudre est qu’il n’est plus possible

1549
Les autres peintures correspondant à cette description sont : Assistant de Cavallini, Jugement dernier, Naples,
Santa Maria di Donnaregina, peinture murale, 1e ¼ du XIVe ; Ambrogio Lorenzetti, Vierge à l’Enfant et saints,
Sienne, Sant’Agostino, peinture murale, XIVe ; école de Duccio, Vierge à l’Enfant et saints, Birmingham,
Museum of Art, peinture sur panneaux, 1310-1320 ; Ugolino di Nerio, Crucifixion et saints, Lucques, Museo
Nazionale di Villa Guinigi, peinture sur panneaux, autour de 1320 ; Maestro di Chianciano, Vierge à l’Enfant et
saints, Chianciano, Museo della Collegiata, peinture sur panneaux, 2e ¼ du XIVe.
323
d’utiliser l’arme pour garder la tête du dragon au sol sans comporter de danger pour le corps
de Michel. À plus forte raison si l’épée est brandie, prête à frapper, elle demande au corps une
extension qui laisse tout un flan de l’archange sans défense. Cette difficulté est contournée en
utilisant la position même du corps de Michel comme système de défense : la posture des
jambes adoptée dans les premières images de Michel combattant le dragon à l’épée, reprend la
même fonction défensive que la lance des images précédentes.
La première image recensée de Michel avec l’épée brandie contre le dragon est celle de Pietro
Lorenzetti peinte en 1330. La position de l’archange est particulièrement complexe et
dynamique : le bras droit saisit l’épée et la brandit derrière la tête, elle est presque
horizontale et le coude est relevé jusqu’au niveau des épaules ; le bras gauche est
curieusement ramené vers le coude droit, il tient le fourreau et semble déjà l’approcher de la
lame pour la ranger ; les épaules de Michel sont donc totalement tournées par rapport à son
bassin qui reste de face ; la jambe droite est repliée et en appui sur le dos du dragon alors que
la jambe gauche est bien tendue pour garder le corps de l’archange à distance des têtes du
dragon et plaquer au sol le cou de la bête ; la tête de l’archange se tourne vers les sept têtes
qu’il va bientôt frapper de sa lame. Tout le haut du corps semble vriller, comme emporté par
le mouvement des bras attaquant la bête, alors que la partie basse est employée à la défense et
à la stabilité. Ce double mouvement d’attaque et de défense, plus complémentaire que
contradictoire, crée une tension et une dynamique sans précédent dans l’iconographie
michaélique1550. Cette peinture est une représentation d’un moment de grande tension où la
bête est encore agressive mais où Michel s’apprête à porter le coup fatal.

Ambrogio Lorenzetti, Saint Michel, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Asciano, Museo
d’Arte Sacra, peinture sur panneaux, 1330.

Cette peinture marque également l’apparition d’un motif supplémentaire dans l’iconographie
de Michel combattant le dragon : celui de la tenue du fourreau, déjà prêt à recevoir l’épée
juste après le coup fatal. Il insiste déjà sur l’issue positive du combat1551.

1550
Cette position est reprise en 1340-1350 par Jacopo del Casentino dans un fragment de polyptique conservé à
Dunedin, à la Public Art Gallery ; puis de manière encore plus contorsionnée dans la tempera du Maestro
dell’Osservenza de 1444 conservée au Museo dell’Archivio di Stato de Sienne.
1551
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.1.1. Les armes et les attributs militaires.
324
La position des jambes -l’une fléchie et l’autre tendue- est souvent reprise dans ce genre de
peinture mais le mouvement des bras et des épaules est simplifié : le coude droit est relevé au
niveau de la tête, et l’épée est brandie en position horizontale, derrière ou au-dessus de la tête
de l’archange alors que la main gauche tient un bouclier. Ce type est repris aussi bien dans les
peintures sur panneaux, comme celle de Bernardo Daddi, que dans les peintures murales. Si
Bernardo Daddi entraine l’archange dans un mouvement moins vif, Biagio di Goro Ghezzi à
Paganico, peint un corps michaélique en grande tension et un axe oblique se crée du coude en
passant par l’avant-bras droit, le flanc, la jambe gauche bien tendue jusqu’au pied de Michel.

Bernardo Daddi, Saint Michel, Crespina, San Biagio di Goro Ghezzi, Saint Michel, Paganico,
Michele, peinture sur panneaux, 1320-1348. San Michele, peinture murale, 1368.

Le contraste de la position des jambes, l’une fléchie / l’autre tendue, marque l’adoption du
contrapposto par la figure de Michel, position qui symbolise déjà dans la Grèce Antique un
dynamisme et une cohérence corporelle par la figuration de la répartition des poids, des
mouvements des muscles, de leurs liens entre eux et du pouvoir de la gravité sur le corps. Elle
permet, par l’insertion d’une dissymétrie, de combiner l’élan du combattant et la stabilité et la
domination du chef de la milice céleste. Le jeu de jambes est ensuite largement adopté pour
les différents types iconographiques de saint Michel même si le dragon disparait parfois de
sous les pieds de l’archange, et que la jambe gauche n’a plus clairement une fonction
défensive.
Il ne faut pourtant pas parler d’une adoption totale et unanime du contrapposto dès le
Trecento, car bien souvent, si un mouvement de déhanchement est esquissé, il reste très léger
ou représenté de manière maladroite et la position droite reste encore la plus courante en plein
XIVe siècle, soit parce que le combat est clairement terminé, Michel s’est redressé et présente
son arme alors que son ennemi vaincu git à ses pieds, soit parce que l’archange porte toujours
la lance et dans ce cas, la position des jambes de Michel est moins déterminante comme
protection.
Ce mouvement, s’il correspond à l’origine à l’adaptation du combat à l’épée, est ensuite
transposé pour l’usage de la lance où la ligne oblique dessinée par la tension du corps et le
prolongement entre le bras levé de Michel et sa jambe tendue est soulignée par la position
parallèle de la lance, comme dans le panneau de Federico Tedesco. Ce schéma peut ensuite
être modifié. Dans la peinture réalisée en contexte siennois, le mouvement est le même mais
325
l’inversion des jambes tendues / pliées ajoute encore au dynamisme de la composition. La
peinture murale de Venise présente un mouvement plus attaquant que défensif puisque Michel
se sert du fléchissement de sa jambe droite pour donner plus de puissance à l’écrasement de la
bête, sans protéger son corps à l’aide de la jambe tendue car la lance est présente pour tenir la
tête du dragon à l’écart. Dans ces images, même si la lance est présente, les jambes de Michel
ont conservé un rôle décisif dans le combat contre le dragon qu’elles avaient obtenu dans les
combats à l’épée. Nous reviendrons sur l’importance de ces mouvements de jambes dans
l’analyse des symboliques de l’image de Michel dans le troisième chapitre de cette thèse.

Federico Tedesco, Saint Anonyme siennois, Saint Michel, Anonyme, Saint Michel,
Michel, Venise, Museo Tokyo, National Museum of Venise, San Zan Degolà,
Correr, peinture sur Western Art, peinture sur peinture murale, 1380-
panneaux, 1420-1430. panneaux, XIVe siècle. 1390.

Les figures dynamiques de l’archange au sein de représentations statiques de groupes de


saints entourant la Vierge à l’Enfant semblent parfois étonnantes. Les mouvements imposés
par le combat de Michel semblent parfois inadaptés au cadre et au contexte dans lequel il
s’insert, tant et si bien que son corps se heurte parfois aux limites de la peinture ou en sort
complètement. C’est principalement le mouvement du bras droit, notamment le coude levé,
qui ne semble pas « rentrer » dans le cadre imposé pour une image de saint en pied. Dans le
panneau de Lorenzo di Bicci, le bras de l’archange est caché par une partie de la structure du
cadre. Dans celui d’un anonyme maitre siennois, c’est tout le flanc droit de Michel, son bras
et sa jambe qui sont hors-cadre. Bien sûr ce type de remarque impose une certaine vigilance,
car les remaniements courants des panneaux et de leur structure tout au long de l’histoire
d’une peinture, peuvent cacher une partie précédemment visible, ce que je ne pense pas être le
cas, au moins pour la deuxième peinture présentée. Cela n’enlève pourtant rien au fait que
l’image de Michel utilise en général une superficie plus importante que celle des autres saints
à cause de l’extension de son corps pour accomplir sa mission. Dans la peinture de
Bartolomeo Vivarini, Michel et le démon qu’il combat sont tellement envahissants, qu’ils
couvrent une bonne partie de la figure de saint Antoine de Padoue qui se trouve derrière eux.

326
Lorenzo di Bicci Vierge à l’Enfant Anonyme siennois, Vierge à Bartolomeo Vivarini, Saints
et saints (détail), Loro Ciuffenna, l’Enfant et saints (détail), (détail), Bari, Pinacoteca
Santa Maria Assunta, peinture sur Rotterdam, Boymans Musem, Provinciale, peinture sur
panneaux, 1400-1410. peinture sur panneaux, vers 1390. panneaux, 1483.

Les mouvements dynamiques de Michel déterminés par la façon dont il combat le dragon,
constituent ensuite une position classique de l’archange, même lorsque le dragon a disparu.
La position des jambes qui permettait principalement d’assurer un appui sur le corps du
dragon à l’aide de la jambe droite fléchie, et de maintenir sa gueule à distance du corps de
l’archange en plaquant son cou au sol à l’aide de la jambe gauche bien tendue, est reprise dans
les images où la pesée est au centre de l’attention de l’archange et où les petits démons
remplacent le gros lézard. Dans ce cas, la dissymétrie des jambes assure toujours la stabilité
de l’archange nécessaire à la pesée et à la lutte contre les démons tricheurs.

De la fin du XIIIe jusqu’à la fin du siècle suivant, il faut noter une alternance assez régulière
de représentations dynamiques de Michel avec des images plus calmes où l’archange présente
ses armes et sa victoire sans être réellement en action. Le début du XVe marque une certaine
accalmie dans les peintures de Michel, surtout lorsqu’il porte l’épée, il l’utilise rarement et la
présente plus calmement en participant à l’activité commune de contemplation du couple
divin ou s’appuie dessus. Sa position n’est pourtant pas aussi rigide que celle du XIIIe siècle,
et présente plus volontiers un déhanché élégant faisant de lui un guerrier au repos. Il s’intègre
alors mieux au panthéon dans lequel il apparait comme nous pouvons, par exemple,
l’observer dans le panneau de Bicci di Lorenzo datant de la première partie du XVe siècle :
rien, dans la position du corps de Michel, ne le distingue des autres saints.
Les images en mouvement sont plus volontiers développées dans les prédelles, comme dans
celle du polyptyque de Lorenzo di Niccolo, sur les panneaux latéraux ou dans des grands
épisodes illustrant la légende de saint Michel. Au milieu des théories de saints, Michel ne
reprend pas pour autant la position frontale mais adopte la plupart du temps un simple
contrapposto, comme la majorité des autres personnages représentés.

327
Bicci di Lorenzo, Saints, Helsinki, Lorenzo du Niccolo Vierge à l’Enfant et saints (et détail),
Ateneum, Sinebrychoff Art Museum, Venise, Collection Vittorio Cini, peinture sur panneaux, 1404.
peinture sur panneaux, 1e ½ du XVe.

Entre 1410 et les années 1470, quatre peintures de Jugement dernier figurent Michel dans une
position non naturelle étonnante : sa position est frontale, son buste est droit mais ses deux
jambes sont pliées et arquées symétriquement. Dans le premier témoignage peint par
Giovanni da Modena1552, Michel est représenté au centre de la composition, entre le monde
des élus et celui des damnés, il porte l’épée et la balance et un démon s’accroche à l’un des
plateaux, sans que l’archange y porte attention particulière. Ses deux jambes symétriques
écrasent le démon en créant un pont. Cette position reprend étonnamment celle de Satan au
registre inférieur faisant de Michel l’incarnation du pôle positif opposé à l’incarnation du pôle
négatif constitué de la figure satanique. Cette position est également une reprise visuelle de la
forme de la balance, où les cuisses constitueraient le fléau et le reste des jambes, les deux
plateaux pendus, les deux chemins opposés.

Giovanni da Modena, Jugement dernier (et détails), Bologne, San


Petronio, peinture murale, 1410.

1552
Les trois autres peintures sont : Maestro dell’Avicenna, Jugement dernier, Bologne, Pinacoteca Nazionale,
peinture sur panneaux, 1435 ; Bartolomeo di Tommaso da Foligno, Jugement dernier, Terni, San Francesco,
peinture murale, 1445-1451; Cristoforo da Lendinara, Jugement dernier, Modena, Duomo, peinture murale,
1472-1476.
328
Le deuxième quart du XVe siècle est marqué par un retour de l’alternance des représentations
calmes avec des images plus vivantes. Les peintures où Michel porte la lance sont en général
plus dynamiques que celles avec l’épée car elles mettent en scène le moment où Michel
transperce son ennemi ou l’écarte des plateaux de la balance. Notons également une recherche
particulière d’élégance et de raffinement dans les gestes ou le déhanché de Michel dans ces
images et jusqu’à la fin de notre période, comme dans les peintures de Jacobello del Fiore et
de Giovanni di Francesco.

Jacobello del Fiore, Triptyque de la Justice Giovanni di Francesco, Vierge à l’Enfant et


(détail), Venise, Galleria dell’Accademia, saints (détail), New York, collection Hugh
peinture sur panneaux, 1421. Satterlee, peinture sur panneaux, 1439.

La fin du XVe siècle voit le retour des créations autour du mouvement et des mises au point
de nouvelles positions pour l’archange. Notons avant tout un goût prononcé pour l’action dans
les peintures où Michel est représenté seul ou dans un panneau séparé, comme dans celui
d’Antonio Pollaiolo ou celle d’un suiveur de Bourdichon. L’intégration du combat dans un
fond paysagé, dans lequel Michel et la bête se meuvent librement, participe au rendu vivant
de la scène. Les positions dans le combat ne sont alors pas forcément originales mais une
nouvelle vitalité semble s’être emparée de l’archange, comme dans le panneau d’Ercole
de’Roberti où le dynamisme est une conjonction de plusieurs éléments : le mouvement ample
du bras, le déhanché marqué, l’expression de l’archange, les gestes du démon et l’animation
des drapés.

Antonio del Pollaiolo, Saint Suiveur de Bourdichon, Saints Ercole de’Roberti, Saints
Michel, Florence, Museo (détail), Naples Museo di (détail), Paris, Louvre,
Stefano Bardini, peinture sur Capodimonte, peinture sur peinture sur panneaux,
panneaux, milieu du XVe. panneaux, 2e ½ du XVe. 1451-1456.

329
Les peintres proposent également une certaine complexification des positions, notamment
dans l’inversion de sens de l’axe oblique : le bras droit de Michel part dans la direction
opposée en passant devant son cou pour brandir l’épée derrière sa tête, du côté gauche et
s’apprête à frapper le démon d’un revers. C’est alors la jambe droite qui se retrouve tendue
pour écarter le démon, comme dans le panneau d’Andrea da Bologna1553. D’autres peintres,
comme Carlo Crivelli1554, font partir l’épée de Michel en arrière : elle ne se retrouve plus
derrière la tête de l’archange mais derrière son épaule et le coup s’apprête à être porté de haut
en bas et non pas de manière transversale, comme c’est généralement le cas.

Andrea da Bologna, Saint Michel, Carlo Crivelli, Vierge à l’Enfant et


collection privée, peinture sur saints (détail), Londres, National
panneaux, 1450-1477. Gallery, peinture sur panneaux, 1476

Les recherches autour des mouvements du guerrier amènent aussi quelques variantes dans la
position des jambes à la fin du XVe siècle. Dans deux peintures de 1492 et 14991555 exécutées
par Niccolo di Liberatore, dont la seconde est clairement une copie de la première, Michel
lève sa jambe droite et se tient en équilibre sur la jambe gauche en appui sur le ventre du
démon, afin de repousser ses attaques sur la balance et de prendre certainement un bon élan
afin de l’écraser plus efficacement.

1553
Citons également ceux de Jacopo da Montagnana, Annonciation et archanges, Padoue, Palazzo
Arcivescovile, peinture sur panneaux, 1496 ; Francesco de Tatti, Vierge à l’Enfant, Crucifixion et saints, huile
sur bois, 1517.
1554
Ou comme dans la détrempre de Benedetto di Paris da Vernio, Vierge à l’Enfant et saints conservée à Prato
au Museo dell’Opera del Duomo et daté autour de 1510.
1555
La seconde est conservée dans l’église Santa Croce de Bastia Umbra.
330
Niccolo di Liberatore, Nativité, Résurrection et saints (détail), Foligno,
San Niccolo, peinture sur panneaux, 1492.

Enfin, si le geste restait discret au début au début du XVe siècle, privilégiant les attitudes
recueillies et calmes de Michel, la fin du Quattrocento et le début du Cinquecento voient se
multiplier les représentations de l’archange à l’épée brandie, non plus derrière la tête mais
bien au dessus, comme dans l’huile sur bois de Raphaël et le panneau de Timoteo Viti da
Urbino 1556. L’arme se détache clairement dans le fond, le mouvement de l’archange est
ample, l’animation des drapés et le déploiement des ailes concourrent à donner l’impression
que Michel est un guerrier aérien en pleine action. Le même effet peut également être obtenu
avec la lance, comme dans l’huile sur toile de Raphaël qui représente Michel encore en vol :
ses ailes sont déployées et une partie est hors-cadre, sa jambe gauche est en l’air, les drapés
volent autour de l’archange, il a à peine posé son pied droit dans le dos du démon, qu’il
semble déjà le plaquer au sol, alors que ses deux bras s’emploient à soulever la lance pour
donner toute la puissance nécessaire au coup fatal.

1556
Onze peintures de ce type ont été réalisées entre la fin du XVe et le début du XVIe, les deux présentées plus
haut ainsi que : Bernardino Butinone, Jugement dernier, New York, collection privée, peinture sur panneaux, fin
du XVe ; Francesco Bassaro il vecchio, saint Michel, Bassano del Grappa, Duomo, peinture sur panneaux, fin
XVe début XVIe ; Riccardo Quartararo, saint Michel, collection privée, peinture sur panneaux, fin XVe début
XVIe ; Bernardino Luini, saint Michel et saint Jean, Milan, collection privée, peinture sur panneaux, XVIe ;
Maestro del polittico Barletta, saint Michel, Milan, collection privée peinture sur panneaux, XVIe ; Giovanni
Antonio Bazzi, Vierge à l’Enfant et saints, Asiano, Collegiata di Sant’Agata, peinture murale, début XVIe ;
Marco d’Oggiono, les trois archanges, Milan, Galleria Brera, peinture sur panneaux, début XVIe ; Giacomo
Pacchiarotti, Visitation et saints, prédelle, Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, première
décennie du XVIe ; Marco d’Oggiono, saint Michel, Vérone, Galleria Menaguale, peinture sur panneaux, 1 e ¼ du
XVIe.
331
Raphaël, Saint Michel, Paris, Timoteo Viti da Urbino, Noli Raphaël, Saint Michel, Paris,
Louvre, huile sur bois, 1504. me Tangere et saints (détail), Louvre, huile sur toile, 1518.
Cagli, Sant’Angelo Minore,
peinture sur panneaux, 1518.

L’iconographie de saint Michel est celle d’un personnage dynamique même dans les
contextes de représentation en état : lorsque les autres personnages saints sont figurés dans un
état d’adoration ou de simple présentation des attributs, ceux de Michel lui imposent la
vigilance car il insert dans l’espace sacré des Saintes Conversations le mal personnifié par un
dragon ou des petits démons. Dans ce cas, il ne semble pas y avoir de différences
fondamentales entre les images de Michel en pied et celles apparaissant dans des images
narratives.

Lorsqu’il combat le dragon de l’Apocalypse, l’archange apparait souvent dans les


mêmes positions que dans les peintures où il figure avec le dragon au milieu des saints. Ce
sont bien évidemment des figures empreintes d’un grand dynamisme puisque Michel y est
souvent un combattant. La mise en scène du combat renforce les mouvements de l’archange
pour les rendre encore plus vifs, comme nous pouvons le voir dans la peinture murale la
chapelle Guasconi à San Francesco d’Arezzo peinte par Spinello Aretino : Michel a la
position typique du combattant à l’épée, l’arme brandie derrière la tête, le coude relevé au
niveau des épaules, la jambe droite en appui sur le dos de la bête et la gauche tendue sur son
cou pour la maintenir au sol. Le contrapposto est ainsi clairement marqué et le flanc gauche
de l’archange est protégé par un bouclier. L’ennemi a des proportions supérieures à celles
généralement constatées dans les peintures en état et surtout les protagonistes sont beaucoup
plus nombreux puisque Michel est accompagné de son armée et le dragon est protégé par une
horde de démons. La position centrale, la taille de son corps et les couleurs qui lui sont
attribuées insistent sur l’archange et son ardeur au combat. La même position peut être
utilisée dans d’autres contextes narratifs, comme dans les Jugements derniers. Michel
possède toujours la position jambe fléchie / jambe tendue / arme brandie / contrapposto, mais
cette fois il repousse les damnés vers l’enfer à l’aide de sa lance.

332
Spinello Aretino, Saint Michel et ses anges combattent le mal, Peintre giottesque, Jugement dernier
Arezzo, San Francesco, peinture murale, 1404. (détail), Bolzano, église des dominicains,
peinture murale, 1335-1340.

Comme dans les peintures de Michel en pied, les images de Jugements derniers ne confèrent
par toutes aux figures de l’archange le même dynamisme. S’il est parfois concrètement acteur
de la séparation des élus et des damnés, il peut également être figuré en position frontale,
statique, présentant calmement son arme. Le Trecento est marqué par une activité importante
de Michel au moment du grand partage : soit il dirige les anges qui séparent les corps
réssuscités, comme au Camposanto de Pise dans les peintures de Buonamico Buffalmacco ;
soit il prend activement part à la séparation, comme dans la peinture de Bolzano dont nous
venons de parler. Pourtant le Quattrocento favorise les images de l’archange au centre des
compositions mais à l’attention éloignée de l’agitation qui l’entoure, son corps est droit,
symétrique, et il présente l’épée et la balance aux plateaux vides, non pas ici intrument de
l’action mais simples attributs de l’archange.

Buonamico Buffalmacco, Jugement Anonyme monregalais, Jugement dernier


dernier (détail), Pise, Camposanto, (détail), Albenga, San Giorgio di
peinture murale déposée, 1332-1342. Campochiesa, peinture murale, 1446.

Les représentations de Jugements derniers peuvent donner lieu à des positions originales de
l’archange, acteur du partage des élus et des damnés. Dans celui de Plaisance, la position
générale du corps reste classique mais les deux bras de Michel sont tendus : il attrape un
homme d’une main et lui indique le chemin à suivre de l’autre. On ne saurait dire s’il
repousse un damné en enfer ou s’il récupère un élu qui avait été envoyé du mauvais côté.
Quoi qu’il en soit, ses bras signalent bien un mouvement de séparation entre deux destinations
opposées. Parfois il se contente de repousser de son arme un damné vers les portes de l’enfer.

333
Mais le mouvement n’est pas celui d’un combat classique de Michel contre le mal, ses gestes
sont plus doux et moins agressifs que quand ils sont destinés au dragon ou aux démons. Dans
la prédelle de Sienne peinte par Giovanni di Paolo, Michel marche doucement en direction
des bras des démons en repoussant le damné à la pointe de son épée. C’est bien cette marche
qui constitue le mouvement principal qui permet de repousser l’homme déchu, l’arme et le
bras qui la tient ne sont pas en grande tension. La situation est à peu près la même dans la
peinture de Fra Angelico, mais l’archange n’est pas ici en marche, mais en vol.

Anonyme émilien, Jugement Giovanni di Paolo, Jugement Fra Angelico, Jugement dernier (détail),
dernier (détail), Plaisance, dernier (détail), Sienne, Berlin, Gemäldegalerie, peinture sur
San Francesco, peinture Pinacoteca Nazionale, panneaux, 1450.
murale, années 1340. peinture sur panneaux, 1465.

Saint Michel n’est jamais représenté en vol dans les peintures où il figure au milieu des saints.
Par définition, Michel est dans un espace similaire aux autres personnages saints ne possédant
pas d’ailes et est donc debout. Les images narratives de notre corpus illustrent parfois Michel
en vol. Il s’agit de quelques rares exemples de combat du dragon qui, comme l’indique le
texte de Jean, se déroule dans le ciel ; de représentations de la chute des anges rebelles ; et de
quelques épisodes d’apparitions de l’archange dans les légendes des fondations des grands
monts qui lui sont dédiés. Nous reviendrons sur cette question sur la représentation du vol
dans une partie suivante.

Les autres actions avec attributs

Les deux mains de l’archange sont presque toujours occupées soit par des objets dont
il se sert et dont l’action qui en découle est directement illustrée dans l’image, soit par des
attributs qu’il présente, comme le globe dont nous ne parlerons pas ici puisqu’il n’engendre
pas de mouvement précis. Nous avons vu que l’archange portait très souvent une arme et que
les mouvements de son corps étaient ainsi en lien direct avec ce type d’attribut. Mais les
postures de Michel peuvent également être déterminées par d’autres objets.

Si la balance n’est pas encore l’attribut majeur au XIIIe siècle, des pesées sont déjà mises en
scène au Duecento auxquelles Michel participe activement. L’archange de Bominaco ne
diffère pas dans la frontalité de sa figure, le type de vêtement et l’asymétrie de ses bras, des
images de Michel en pied avec la lance et le globe. La seule différence est que l’arme est ici
334
remplacée par la balance dans la main droite. L’archange n’a pas une position dynamique
dans cette peinture, mais il faut noter que la balance est par nature un élément en mouvement
et qu’elle est souvent l’instrument de la pesée en train de se dérouler sous nos yeux et dont les
démons tentent d’influencer le résultat. Dans la peinture de Bominaco, nous sommes bien
devant une scène de pesée et non pas devant une image de Michel en pied dont la balance
serait un simple attribut, pourtant, cet événement n’influence pas la posture de l’archange.
Bien vite, l’instrument de pesée rejoint la main gauche de Michel 1557 alors qu’il tient dans la
main droite une arme pour écarter les démons des plateaux, comme à Fossa, dont la
représentation est certainement inspirée de la peinture précédente, mais où pourtant
l’archange prend désormais part activement à la pesée, même si c’est une nouvelle fois par la
prise des armes.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà Anonyme, Jugement dernier (détail),


(détail), Bominaco, Oratoire San Fossa, Santa Maria ad Cryptas, peinture
Pellegrino, peinture murale, 1263. murale, 1263-1283.

En général, la balance se retrouve dans la main gauche et n’engendre pas de mouvement


particulier de l’archange : elle est tenue par le fléau devant le torse, par le bras gauche replié
avec la main au niveau du ventre ou un peu plus haut, quand l’archange veut l’éloigner des
démons au sol. C’est le seul mouvement de Michel lié à la balance, car il n’est qu’un porteur
et l’instrument ne nécessite pas son intervention directe pour rendre le verdict. Michel protège
les alentours mais son manque d’attention direct sur la pesée prouve son impartialité.
Deux peintures du XVIe siècle présentent un Michel à la balance dans une composition
originale. Dans une première de Cesare Sesto de 1510, la balance est étrangement mise en
scène dans les mains de l’archange, agenouillé aux pieds de la Vierge à l’Enfant. Michel
présente l’instrument à ce dernier qui semble prendre quelque chose dans un des plateaux.
Michel assiste l’Enfant en tenant ce plateau pour éviter qu’il ne bouge. Enfin une peinture de
Pontormo montre Michel qui brandit la balance repliée sur elle-même, devant le visage de la
Vierge, ne servant clairement plus ici d’instrument de pesée mais d’attribut, engendrant tout
de même un geste dynamique de présentation de la part de l’archange qui soulève l’objet au-
dessus de sa tête.

1557
Nous n’avons recensé que huit peintures dans notre corpus où Michel porte la balance de la main droite. À ce
propos, voir la partie sur la balance comme attribut.
335
Cesare Sesto, Vierge à l’Enfant Pontormo, Vierge à l’Enfant et saints (détail),
et saints (détail), Paris, Louvre, Florence, Santissima Annunziata, peinture murale
huile sur toile, 1510. déposée, autour de 1514.

Il est étonnant de voir que lorsque Michel n’a qu’une seule main occupée, la seconde,
la gauche, tient dans certaines peintures un pan de son vêtement, sa cape ou sa chape. Dix
peintures de notre corpus présentent ce geste, du début du XIVe - comme dans le panneau de
l’École de Duccio peint entre 1310 et 1320 - au début du XVIe - comme dans l’huile sur toile
peinte avant 1519 par Gian Francesco Caroto1558.

École de Duccio, Vierge à l’Enfant et Gian Francesco Caroto, Saints (détail),


saints (détail) ; Birmingham, Museum of Mantoue, Santa Maria della Carità, huile
Art, peinture sur panneaux, 1310-1320. sur toile, avant 1519.

Ce geste peut être un rappel de l’action à peine réalisée ou à venir pour laquelle il est obligé
de tenir un pan de son manteau pour ne pas être gêné dans ses mouvements. Il montre surtout
que les peintres ne semblent pas vouloir représenter Michel les mains vides, en signe
d’inaction.
1558
Les huit autres pièces du corpus à présenter Michel tenant un pan de son manteau sont : Niccolo di Segna,
saints, Sienne, Galleria Pinacoteca, peinture sur panneaux, autour de 1320 ; Suiveur de Giotto, Crucifixion et
saints, collection privée, peinture sur panneaux, 1320-1330 ; Anonyme aretin, saints, Arezzo, San Domenico,
peinture sur panneaux, 1336-1360 ; Segna di Bonaventura, saint Michel, Cracovie, Museum Czartoryskich,
peinture sur panneaux, XIVe ; anonyme veronnais, Vérone, San Zeno Maggiore, peinture murale, XIVe ; Taddeo
di Bartolo, Couronnement de la Vierge et saints, Urbin, Galleria Nazionale, peinture sur panneaux, autour de
1413 ; Riccardo Quartararo, Couronnement de la Vierge et saints, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia,
peinture sur panneaux, 2e ½ du XVe ; Bernardino di Cola, Vierge à l’Enfant et saints, L’Aquila, Museo Nazionale
d’Abruzzo, peinture sur panneaux, après 1487.
336
Dans une peinture de notre corpus, le panneau de Giuliano Amidei conservé à Caprese
Michelangelo, Michel tient d’un côté son épée et de l’autre un pan de son vêtement, mais
cette fois, le drapé lui permet de nettoyer son arme maculée de sang, avant certainement de la
ranger dans son fourreau, alors que le dragon git à ses pieds, la tête tranchée.

Giuliano Amidei, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Caprese Michelangelo, église


paroissiale, peinture sur panneaux, autour de 1475.

Les gestes sans objet

La lecture des gestes seuls, comprenons sans attribut, ne fait pas partie des analyses
très poussées de notre étude puisque, comme nous venons de le préciser, l’archange a souvent
les mains pleines et peut ainsi rarement insister sur une posture de bras, de main ou de doigt
qui ne soit pas directement liée à son combat. À ce titre, il nous semble que Michel est plus
souvent représenté en train de réaliser des mouvements plutôt que des gestes et la « lecture »
ne peut être aussi significative que pour un saint aux mains vides.

Dans plusieurs exemples du XIIIe siècle, comme dans la peinture murale d’Anagni ou
celle de Fossacesia, Michel lève son avant-bras droit ou gauche et déploie ses doigts en
direction du Christ ou de la Vierge à l’Enfant qui se trouvent à côté de lui.

Anonyme romain, Christ et saints Anonyme, Vierge à l’Enfant et saints


(détail), Anagni, Santa Maria, peinture (détail), Fossacesia, San Giovanni in
murale, 1230-1260. Venere, peinture murale, 4e ¼ du XIIIe.

337
Mais ces exemples restent plutôt rares et restent liés au type de l’archange en position frontale
du Duecento qui ne privilégie pas encore les images de Michel combattant.
Dans les rares peintures où Michel figure à genoux, dont nous avons déjà parlé, soulignons
que les mains de l’archange sont laissées libres par l’absence de combat, et deviennent alors
parfois des signes de dévotion : main sur la poitrine dans la peinture d’Ambrogio Lorenzetti
ou mains jointes en prière dans celles du Pérugin.

Ambrogio Lorenzetti, Vierge à l’Enfant et saints Le Pérugin, Nativité et saints (détail), Rome,
(détail), Sienne, Sant’Agostino, peinture murale, Collezione Albani Torlonia, peinture sur
première partie du XIVe. panneaux, 1491.

Michel semble désigner quelque chose dans plusieurs images de notre corpus. L’un
des bras est tendu, parfois l’index est pointé dans une direction précise, mais ne semble pas
forcément montrer la divinité. Dans le panneau de Berlin du Maestro di Pratovecchio, l’index
pointé vers le ciel semble encore correspondre au type précédent, bien que ni le Christ, ni la
Vierge à l’Enfant ne soit représenté ici. Michel désigne donc certainement Dieu pour lequel il
met à disposition l’épée au repos qu’il tient dans la main droite. Ou peut-être s’agit-il d’une
exhortation pour les hommes à suivre le chemin qui mène au ciel ? Michel est un guide, un
psychopompe. Dans tous les cas, le geste de l’archange apparait davantage comme une
promesse dans cette image que comme une menace.

Maestro di Pratovecchio, Les trois archanges (détail), Berlin, Staatliche


Museen, peinture sur panneaux, années 1440.

Ce n’est pas forcément le cas d’autres peintures, où Michel désigne une chose extérieure à
l’image et dans une direction opposée à celle qui mène au couple Vierge et Enfant. Le doigt

338
n’est pas levé et ne désigne donc ni le ciel ni Dieu. Il est plutôt droit ou légèrement penché
vers le bas mais ne désigne pas non plus le dragon qu’il foule aux pieds. Dans la peinture de
Paolo Veneziano, Michel fixe le spectateur comme pour attirer son attention sur ce qu’il est
en train de désigner de son doigt. Il est possible que l’archange montre son arme, qu’il tient
dans la main droite. Dans ce cas, s’il n’est pas clairement en train de combattre le mal, il
insiste dans ces images sur le fait que c’est bien sa mission et sa raison d’être. Une autre
hypothèse pourrait être qu’il prévient le fidèle d’un danger à venir, extérieur à l’image, et que
ce n’est pas parce que le dragon est vaincu à ses pieds, que le mal n’est pas toujours présent
près des hommes.

Paolo Veneziano, Vierge à l’Enfant, Antonio de Carro, Vierge à l’Enfant,


Crucifixion et saints et détail, Parme, Galleria Crucifixion et saints et détail, Paris, Musée des
Nazionale, peinture sur panneaux, 1330-1340. Arts Décoratifs, peinture sur panneaux, 1398.

Dans quelques scènes ou même dans des peintures où il apparait en pied au milieu des
saints, Michel réalise des gestes qui le désignent en tant que guide et protecteur des vivants,
des âmes ou des morts. Dans la peinture d’Ambrogio Lorenzetti de Chiusdino, Michel tient
son fourreau dans la main gauche et tend le bras droit, doigts tendus en direction de la Vierge
à l’Enfant qui se trouve sur le mur attenant, et qu’il indique à saint Galgano de Sienne pour
que celui-ci puisse lui donner son épée. Par son geste de la main droite, il montre le chemin et
par celui de la gauche, il rappelle qu’il assure la sécurité des passages pour les âmes élues. Il
est également l’introducteur du saint guerrier auprès de la Vierge, comme il est celui de
Gugliemo de'Villa dans la peinture murale de Viboldone. Le donateur, de taille réduite, est
agenouillé aux pieds de l’archange, les mains jointes en prière. Michel tient l’épée dans sa
main gauche et pose sa main droite derrière la tête du donateur ; il l’introduit auprès de la
Vierge à l’Enfant représentée au centre et le Christ se tourne vers lui pour le bénir. Une
variante de ce geste de protection et de présentation se retrouve dans une peinture d’Andrea
Mantegna où Michel tire le manteau de la Vierge au-dessus de la tête du donateur : il s’assure
de la protection totale de la Vierge pour son protégé. Il figure dans cette peinture comme un
assistant de la Vierge de Miséricorde. Ce geste est unique dans notre corpus.

339
Ambrogio Lorenzetti, Saint Maître de 1349, Vierge à l’Enfant et Andrea Mantegna, Vierge à
Galgano offre son épée à la Vierge saints (détail), Viboldone, abbaye l’Enfant et saints (détail),
(détail), Chiusdino, chapelle San San Pietro, peinture murale, 1349. Paris, Louvre, huile sur toile,
Galgano, peinture murale, 1334. 1495-1496.

La bienveillance qui apparait dans ces images pour introduire les saints et les vivants, se
retrouve dans certains gestes de Michel auprès des âmes ou des morts. Michel est dans la
tradition apocryphe celui qui assiste le Christ pour emporter l’âme de sa mère. L’épisode est
peu représenté dans l’iconographie italienne de la fin du Moyen Âge, mais nous en retrouvons
quelques exemples, dont une peinte sur la prédelle de Simone Filippo où Michel porte l’âme
de la Vierge pour l’emporter au ciel. Il peut également s’occuper d’âmes quelconques,
représentées sous la forme de petits personnages, en les prenant dans ses bras, comme dans la
peinture anonyme de Arcè di Pescantina, ou contre lui pour les protéger des attaques des
démons, comme dans la peinture sur panneaux de Lazzaro Bastiani, où une seconde âme se
cache dans un pan du vêtement de l’archange. Ces gestes insistent sur un rôle protecteur de
Michel, sur la familiarité et la proximité entre l’archange et les hommes, finalement peu
développés dans l’iconographie italienne.

Simone di Filippo, Épisodes de la Anonyme, Saint Michel (détail), Arcè di Lazzaro Bastiani, Saint
vie de la Vierge (détail), Bologne, Pescantina, San Michele, peinture Michel (détail), Padoue,
Pinacoteca Nazionale, peinture sur murale, XIVe. Museo Civico agli
panneaux, 1396-1398. Eremitani, peinture sur
panneaux, 1495.

C’est bien, évidemment, dans les scènes narratives que les gestes d’élocution sont les
plus révélateurs, notamment dans la scène du Jugement dernier. Dans cet épisode, Michel
commande le partage des élus et des damnés, et s’il s’en charge parfois directement, il existe
une série de trois peintures en Italie dans les années 1330-1350, où Michel est debout au

340
milieu des corps ressuscités et commande à ses anges la réalisation de la séparation1559.
Comme dans la peinture murale de Buonamico Buffalmacco qui sert probablement de modèle
à l’ensemble, Michel porte l’épée dans sa main droite et de son bras gauche tendu dans la
direction des élus, et avec son index pointé, il indique à l’un de ses anges où il doit emmener
un ressuscité qui s’est, de toute évidence, trompé de côté. Le geste et la mise en scène sont les
mêmes dans une peinture de Fra Bartolomeo de l’extrême fin du XVe, à l’exception que le
geste de l’archange pointe la destination infernale. Ce geste désigne Michel comme
commandant de l’armée angélique mais également comme guide des hommes dans l’au-delà
et garant du bon déroulement de la séparation. Il souligne à ce titre la position centrale et
supérieure de l’archange par rapport aux autres personnages de la scène.

Buonamico Buffalmacco, Jugement dernier Fra Bartolomeo, Jugement dernier,


(détail), Pise, Camposanto, peinture murale, Forence, Museo di San Marco, peinture
1332-1342. murale déposée, 1499-1500.

Si Michel peut être figuré statique, ou en train d’écraser, de piétiner, de voler, il est
rarement en train de marcher car c’est une action qui ne convient ni aux images de groupes de
saints où, s’il est en mouvement, il l’est dans un espace déterminé et limité, ni aux épisodes
narratifs où Michel réalise d’autres types d’action que la simple marche. Pourtant, à la fin de
notre période, Michel est représenté deux fois en train de marcher à dans les deux cas,
accompagné des deux autres archanges. Mis à part la position de ses jambes et de ses pieds,
cette image correspond aux peintures courantes au XVe siècle qui figure Michel présentant
simplement ses attributs, ici l’épée et le globe. Mais il met un pied devant l’autre avec une
jambe tendue, l’autre pliée et l’un des talons levé, en signe de marche. Raphaël, Tobie et
Gabriel sont également en train de marcher.

1559
Les deux autres peintures concernées sont celles d’Alesso di Andrea, Jugement dernier, Prato, Palazzo degli
spedalinghi, peinture murale déposée, 1347; et de Niccolo di Tommaso, Jugement dernier, Gênes, Collection
Bossi, peinture sur panneaux, 1350.
341
Francesco Botticini, Les trois archanges (détail), Filippino Lippi, les trois archanges, Turin
Florence, Offices, peinture sur panneaux, 1470. Galleria Sabauda, huile sur bois, 1477-1478.

Enfin, quelques rares exemples montrent Michel avec une main inoccupée, jamais les
1560
deux . Il porte son arme dans la main droite dans cinq cas, et la main gauche est inactive ou
gracieusement relevée1561. Dans deux peintures du début du XVIe siècle1562, l’archange se
repose sur son bouclier avec le bras gauche, et c’est le bras droit qui est inactif, et la main
droite qui vient se loger dans le creux de la hanche de Michel dont le corps marque un
contrapposto affirmé comme dans la peinture du Pérugin. Cette position et ce geste insistent
sur la grâce de l’archange et le figurent clairement en guerrier au repos, fier d’avoir terminé sa
mission en se reposant près de la Vierge à l’Enfant.

Giovanni Baronzino, Vierge à l’Enfant Giacomo Jaquerio, atelier, saint Le Pérugin, Vierge à l’Enfant et
et saints (détail), Mercatello, San Michel (détail), Fénis, château, saint (détail), Bologne,
Francesco, peinture sur panneaux, 1345. peinture murale, 1426. pinacoteca Nationale, huile sur
bois, 1500.

1560
Sept peintures peuvent correspondre à cette remarque.
1561
Ugolino di Nerio, Crucifixion et saints, Lucques, Museo Nazionale di Villa Guinigi, peinture sur panneaux,
autour de 1320 ; Anonyme pisan, Vierge à l’Enfant et saints, New York, Metropolitan Museum of Art, peinture
sur panneaux, 2e ¼ du XIVe ; Paolo Veneziano, saints, Bolognes, San Giacomo Maggiore, peinture sur panneaux,
1330-1350.
1562
Outre celle du Pérugin, citons également l’huile sur toile de Gernino Gerini réalisée en 1509 et conservée au
Museo Civico de Pistoia.
342
Un dernier cas étonnant où Michel ne tient pas d’arme dans la main droite est constitué par la
peinture de Bartolomeo della Gatta, où l’archange, en pied, foulant aux pieds le dragon a posé
sa main gauche sur l’épée rangée dans son fourreau alors que la main droite est levée à la
hauteur de sa tête et deux de ses doigts, l’index et le majeur, sont relevés et serrés l’un contre
l’autre dans un signe de bénédiction. Cette image correspond au seul exemplaire que nous
avons recensé où l’archange bénit. Ce geste est certainement lié à la présence de la jeune mère
donatrice figurée aux pieds de Michel.

Bartolomeo Della Gatta, Saint Michel (détail) Castiglion Fiorentino,


Pinacoteca Comunale, peinture sur panneaux, années 1480.

I.2.3.3. Un corps ailé

Cette partie sur la représentation des ailes de Michel débute par quelques remarques
sur l’archange aptère ! Une petite quinzaine de peintures seulement représente Michel sans
ailes sur tout le corpus. Dans certains cas, l’état de conservation moyen des peintures ne
permet pas de distinguer clairement s’il y avait à l’origine des ailes, ou pas, sur les épaules de
l’archange.

Saint Michel aptère

Les ailes de Michel sont un marqueur iconographique fort qui permet de l’identifier
aisément des autres saints guerriers dans l’iconographie chrétienne. Il est alors d’autant plus
intéressant de voir ce qui permet de l’identifier lorsqu’il est aptère, ou que ses ailes ne sont
plus visibles. Mise à part l’inscription qui l’identifie immédiatement et automatiquement,
c’est bien souvent la conjonction de plusieurs éléments iconographiques qui font d’un
guerrier, d’un tueur de dragon, d’une figure à tête d’ange ou d’un porteur de balance, un saint
Michel. Car sans les ailes, aucun de ces indices iconographiques seuls ne permet d’identifier,
sans aucune ambiguïté, Michel.
La conjonction du type guerrier et d’une physionomie d’ange permet sans aucun doute de
reconnaitre Michel au milieu des autres saints soldats. C’est le cas par exemple dans la
peinture de Neri di Bicci1563 où le personnage vêtu d’une armure, portant épée et bouclier et
piétinant un dragon étêté, possède le type physionomique typique des anges : peau blanche et

1563
Citons également un panneau peint par Martino di Bertolomeo di Biagio entre le XIVe et le XVe siècle,
représentant une Annonciation et des saints et conservé à la Pinacothèque de Sienne.
343
immaculée, visage jeune et imberbe, profil à la grecque, nez fin, menton proéminent, cheveux
blonds relevés autour du visage. Ce type angélique s’oppose clairement aux visages des autres
saints représentés, comme le vieux saint Augustin qui se trouve juste à côté de lui. En plus du
type physionomique, c’est parfois la présence de deux saints guerriers sauroctones qui nous
permet de supposer qu’il s’agit de Michel et de Georges. Dans le panneau de Bicci di Lorenzo
conservé à Helsinki, le saint armé sur le panneau de gauche transperce un dragon, encore
légèrement visible, de la pointe de son épée. Le saint guerrier à droite porte l’épée et le globe,
ses cheveux blonds et la langue de feu au sommet de son diadème confirme qu’il s’agit bien
ici de Michel.

Neri di Bicci, Saint Thomas reçoit la ceinture Bicci di Lorenzo, Saints (détails), Helsinki,
de la Vierge et saints (détail), Philadelphia, Ateneum, Sinebrychoff Art Museum,
Museum of Arts, peinture sur panneaux, 1467. peinture sur panneaux, 1ère ½ du XVe.

Le globe est d’ailleurs un attribut de l’archange et non de saint Georges ou d’un autre saint
guerrier1564. Mais c’est surtout la balance qui permet de reconnaitre facilement Michel parmi
les soldats nimbés sans ailes1565. Dans le petit panneau de Carlo da Camerino, le personnage
portant en même temps l’épée et la balance ne peut être que l’archange du partage. De même
dans le panneau d’Ercole de’Roberti, la fougue qui emporte le soldat défendant la balance est
celle d’un chef de la milice céleste.

1564
C’est d’ailleurs la présence de cet attribut dans les mains du saint sauroctone de la peinture de Bartolomeo
della Gatta, de Castiglione Fiorentino, qui nous permet de reconnaitre saint Michel.
1565
Outre les deux peintures présentées ci-dessous, quatre autres peintures présentent Michel aptère en soldat et
protégeant la balance : Tomaso da Modena, Crucifixion et saints, Baltimore, The Walters Art Gallery, peinture
sur panneaux, 1350-1355 ; Anonyme, Vierge allaitant et saint Michel, Vallerotonda, église San Michele, peinture
murale, 2e ½ du XIVe ; Carlo Crivelli, polyptyque de Monte San Martino, Monte San Martino, San Martino,
peinture sur panneaux, 1477-1480 ; Mauro Codussi, saints, Piazza Brembana, San Martino, peinture sur
panneaux, 1505.
344
Carlo da Camerino, Vierge à l’Enfant Ercole de’Roberti, Saint Michel et sainte
(détail), Eve et saints, Cleveland, Art Apolline (détail), Paris, Louvre, peinture
Museum, peinture sur panneaux, 1405. sur panneau, 1451-1456.

Enfin, si la conjonction dans une même représentation de l’archange aptère, d’attributs


guerrier, angélique, ou psychostasique, ne se réalise pas pour permettre l’identification de
Michel, le contexte iconographique peut être déterminant. C’est le cas dans deux peintures de
notre corpus. La première est une image peinte par Lippo Vanni mettant en scène la mort de
la Vierge. Même s’ils ne sont pas ailés, les personnages entourant le Christ qui emporte l’âme
de sa mère sont clairement des anges. Celui qui se trouve à la droite de Dieu porte une épée :
il s’agit de Michel venu garantir la sécurité du voyage de l’âme de la Vierge.

Lippo Vanni, Transitus de la Vierge (détail), inconnu, peinture sur panneaux, 1350-1360.

La figure nimbée et aptère portant une balance dans la peinture murale de Bominaco, est
facilement identifiable au vu du contexte iconographique de l’image : à sa droite, saint Pierre
devant la porte du paradis et trois patriarches portant des âmes en leur sein représentent
clairement une vision de l’au-delà après la mort, à laquelle participe activement Michel.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà, Bominaco, oratoire San Pellegrino, peinture murale, 1263.

345
Il n’est pas aisé de savoir pourquoi les peintres ont fait le choix de représenter Michel sans
aile. Il est évident que dans un certain nombre de cas, elles ont disparu avec le temps et les
restaurations, ce qui est probablement le cas de la peinture de Bominaco. La surface accordée
à l’archange est également parfois trop étroite pour faire figurer le corps d’un homme avec
des ailes, comme dans le panneau de Neri de Bicci que nous avons vu plus haut : l’archange
est figuré dos au cadre de la peinture et si des ailes sont présentes, elles se situent hors champ.
De même, la niche dans laquelle Michel prend place dans le panneau d’Ercole de’Roberti ne
permet pas le déploiement de cet organe dans un espace si restreint. Les peintres ont ainsi fait
le choix de ne pas figurer les ailes, car le format de leur image rendait la chose malaisée et ils
ont ainsi considéré qu’elles n’étaient pas ici indispensables à l’identification de l’archange.
Cependant, dans la majorité des cas, Michel est un homme ailé.

L’image des ailes de Michel

Les ailes de Michel sont paires1566, et semblent accrochées dans le dos de l’archange,
entre ses omoplates. Elles ne sont donc pas, comme pour les oiseaux ou les chauves-souris,
des membres attachés aux parties latérales de la poitrine et remplaçant les bras. Michel
possède ainsi six membres : deux bras, deux jambes et deux ailes. Lorsqu’elles ne figurent pas
comme un simple panneau monochrome, et que des détails graphiques permettent d’évoquer
leur matière, les ailes sont représentées garnies de plumes. La plupart du temps, elles sont au
repos et leur partie supérieure, légèrement plus grande en taille que la hauteur des épaules de
Michel, est visible autour de la tête de l’archange ou au-dessus, et redescend le long de ses
bras jusqu’en bas de son dos ou jusqu’à ses pieds pour se terminer en pointe. Les ailes ont
ainsi une forme triangulaire. Elles s’inspirent principalement des ailes des oiseaux,
constituées d’une ossature similaire à celle d’un bras, sur laquelle s’accrochent des plumes.
Les ailes ne sont jamais représentées dans leur intégrité, mais en partie masquées par le corps
de Michel ou d’autres personnages voisins. Pour que les ailes soient vues en entier, il faudrait
que l’archange soit figuré de dos, ce qui ne correspond pas aux normes de représentation de
l’époque, même dans les images narratives, et poserait en plus le problème de la figuration
d’un trou nécessairement aménagé dans les habits de Michel pour laisser passer les ailes.
Elles paraissent relativement fines au début de notre période, presque sans épaisseur, pourtant,
une attention particulière est portée à leur représentation, dès le Duecento, au niveau des
couleurs et des motifs et leur donne un caractère ornemental et décoratif non négligeable dans
l’image. Au XIIIe siècle, elles apparaissent principalement de manière plate, comme un écran
fixe plaqué dans le dos de Michel. Elles sont, la plupart du temps, symétriques et en position
frontale, tout comme le corps de l’archange que l’on voit par exemple dans la peinture murale
déposée au Museo Nazionale d’Abruzzo de L’Aquila. La frontalité des ailes s’oppose parfois
à un Michel qui n’est pas figuré de face. Dans la peinture rupestre de Mottola, Michel se
1566
Dans une seule peinture de notre corpus, Michel possède une double paire d’ailes. Il s’agit de sa figure
apparaissant dans la peinture murale du Jugement dernier de Santa Maria di Donnaregina de Naples, réalisée par
des assistants de Cavallini au 1e ¼ du XIVe siècle.
346
tourne vers la tête du dragon pour la transpercer de sa lance, son corps est représenté de trois-
quarts, pourtant ses ailes restent parfaitement symétriques et vues de face, et semblent être
ancrées dans l’épaule gauche de l’archange plus que dans son dos. C’est encore le cas au
XIVe siècle, lorsqu’Ambrogio Lorenzetti réalise en 1330 un Michel très dynamique et aux
ailes déployées, mais qui ne semblent pas, une fois de plus, être attachées au milieu de son
dos.

Anonyme, Vierge à l’Enfant et Anonyme, Saint Michel, Mottola, San Ambrogio Lorenzetti, Saint
saints (détail), L’Aquila, Museo Nicola Casalrotto, peinture murale Michel (détail), Asciano, Museo
Nazionale, peinture murale rupestre, début XIIIe. d’Arte Sacra, peinture sur
déposée, 1es décennies du XIIIe. panneaux, 1330.

Mais les ailes suivent en général les mouvements du corps de Michel, et ce dès la fin du XIIIe
siècle, comme dans la peinture murale de Manfredino de Pistoia où elles sont déployées,
asymétriques et suivent l’élan du tueur de dragon tout en soulignant l’oblique de la lance.
Dans la peinture de l’arc triomphal de San Martino de Bolzano, l’aile droite de Michel semble
accompagner le mouvement du bras droit qui brandit l’épée pour frapper le démon sur un
plateau de sa balance. S’il est plus statique dans l’image du Maestro del Vescovado,
l’archange est tourné vers la Crucifixion, et ses ailes sont représentées dans la même
inclinaison : la première est presque de profil et la seconde est quasiment inexistante, cachée
par la première et le corps de Michel.

Manfredino da Pistoia, saint Michel Peintre sud-tyrolien, saint Michel Maestro del Vescovado,
(détail), Gêne, Museo di Sant’Agostino, (détail), Bolzano, San Martino, Crucifixion (détail), Arezzo,
peinture murale déposée, 1292. peinture murale, 1403. Duomo, peinture murale, 1334.

347
L’asymétrie des ailes, déterminée par les raccourcis perspectifs, est souvent liée aux
représentations dynamiques de Michel, notamment dans les épisodes narratifs.
Si elles peuvent être discrètement cachées derrière l’archange, les ailes sont parfois déployées
pour insister sur cet élément de sa silhouette. Elles peuvent être dressées au-dessus de la tête
de l’archange, et allongent alors considérablement sa taille par rapport aux autres
personnages, comme dans le panneau avignonnais d’Alesso di Benozzo. Lorenzo Monaco fait
rayonner les ailes de Michel en corolle autour de sa tête, complétant son nimbe et créant une
aura distincte de celle des autres saints peints dans les pinacles.

Alesso di Benozzo, Saints (détail), Lorenzo Monaco, Pinacles du panneau de la Déposition


Avignon, Musée du Petit Palais, (détail), Florence, Museo di San Marco, peinture sur
huile sur bois, années 1490. panneaux, 1422-1423.

Enfin, le déploiement des ailes peut se faire dans la largeur et occuper une place considérable
de la surface picturale, comme dans la décoration d’une absidiole de l’église San Ponziano de
Spolète : les ailes s’adaptent à la courbe et la surface de la calotte se dépliant au-dessus des
deux personnages agenouillés aux pieds de l’archange. Le même schéma se retrouve dans la
pesée des âmes de Paganico : Michel supporte de ses deux mains les plateaux équilibrés de la
balance et ses ailes sont déployées au-dessus des âmes en prières, des élus prêts à accéder au
paradis. Ces deux images apparaissent comme une version plumée du manteau protecteur de
la Vierge de Miséricorde.

Maestro di Fossa, Saint Michel (détail), Spolète, Biagio di Goro Ghezzi, Pesée des âmes (détail),
San Ponziano, peinture murale, milieu du XIVe. Paganico, San Michele, peinture murale, 1368.

348
Les ailes peuvent également constituer un véritable écrin pour la figure de l’archange, une
coque protectrice agissant au même titre que son armure pour protéger Michel, comme nous
pouvons l’observer dans les peintures de Pietro Lorenzetti et du Maestro dell’Avicenna.

Pietro Lorenzetti, Maestro dell’Avicenna, Jugement Bartolomeo di Tommaso da


Annonciation et sains dernier (détail), Bologne, Pinacoteca Foligno, Jugement dernier (détail),
(détails), Castiglione del Nazionale, peinture sur panneaux, Terni, San Francesco, peinture
Bosco, chapelle San Michele, 1435. murale, 1445-1451.
peinture murale, 1345.

Malgré une attention particulière dans le rendu des ailes aux XIII et XIVe siècles, agrandissant
ces organes et les parant de couleurs vives ou de dégradés, les ailes n’acquièrent une certaine
épaisseur et une robustesse qu’au XVe siècle. La confrontation des deux peintures de Pietro
Lorenzetti et du Maestro dell’Avicenna est révélatrice du passage où l’image de l’aile passe
d’une fine membrane couverte ou non de plumes à la représentation épaisse et naturaliste
d’une ossature et de ses différents rémiges de plumes. Les ailes de Michel dans le Jugement
dernier de Terni possèdent cette matérialité propre aux peintures du Quattrocento.

La taille des ailes varie considérablement d’une peinture à l’autre et il ne semble pas y avoir
de norme à ce sujet. Au XIIIe siècle, lorsque Michel est debout, il est rare de voir des ailes
dont la pointe n’arrive pas jusqu’au sol, ou au moins jusqu’aux cuisses. Les ailes sont un
élément visuellement important dans les images du Duecento. Le XIVe siècle, propose des
variations importantes sur la forme, l’épaisseur, la place des ailes dans l’image. Il faut noter
que les ailes paraissent parfois ridiculement petites au vu de l’ampleur du mouvement de
Michel, de sa Majesté ou de ses proportions par rapport aux autres personnages figurés. C’est
le cas selon nous dans la peinture murale de la chapelle Velluti de Florence, ou dans le
panneau de Sienne. Cette impression peut se faire sentir également dans des peintures plus
tardives, comme dans celle de Riccardo Quartararo ou dans les séries du Pérugin et de Luca
Signorelli à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, où les ailes de Michel sont en général
assez courtes.

349
Jacopo del Casentino, Combat Angelo Puccinelli, Saint Riccardo Quartararo, Saint Michel
contre le dragon (détail), Michel, Sienne, Pinacoteca (détail), New York, collection
Florence, Santa Croce, peinture Nazionale, peinture sur privée, peinture sur panneaux,
murale, 1e ¼ du XIVe. panneaux, 1379. 1492.

Les ailes gagnent pourtant en envergure au début du XVIe soit par la longueur soit par la
largeur, et semblent plus adaptées à la taille de l’archange en laissant supposer qu’elles sont
assez grandes et robustes pour porter le poids du corps de Michel, comme le montre le
panneau de Marco D’Oggiono peint au début du XVIe siècle.

Marco D’Oggiono, Les trois archanges (détail), Milan,


Galleria Brera, peinture sur panneaux, début du XVIe.

Puisque le modèle de l’aile angélique est principalement celui des oiseaux, le dessin
des plumes est omniprésent dans leur représentation à la fin du Moyen Âge. Elles
apparaissent de manière stylisée au début de notre période, peintes par des petites bandes
colorées aux bords arrondis réparties sur la surface de l’aile. L’utilisation de la couleur, et
notamment du dégradé, est importante pour distinguer les plumes les une par rapport aux
autres, telles celles du saint Michel de la peinture murale de San Fedele de Côme, au tout
début du Duecento. Cette utilisation de la couleur pour représenter plumes et ailes est
constante jusqu'au XVe siècle. Les plumes peuvent également être simplement dessinées à
l’aide d’un cerne léger dans les ailes monochromes, comme celles figurant dans le Jugement
dernier de Sant’Agata de’Goti, ou de manière un peu plus détaillée, comme dans le panneau
d’Andrea di Bartolo où un fin trait noir dessine le rachis et les barbes de chaque plume.

350
Anonyme, Vierge et anges (détail), Côme, Atelier de Ferrante Maglione, Andrea di Bartolo, Saint
San Fedele, peinture murale, fin XIIe début Jugement dernier (détail), Michel (détail), Sienne,
XIIIe. Sant’Agata de’Goti, SS. Pinacoteca Nazionale,
Annunziata, peinture murale, fin peinture sur panneaux,
XIVe début XVe. 1410.

Si le graphisme et la stylisation restent des éléments importants dans la représentation des


ailes tout au long de la période étudiée, la représentation des plumes connait également des
rendus particulièrement précis dès le début du Trecento. Le médaillon de Michel peint par
Giotto prouve une observation poussée des ailes d’oiseau d’après nature : il y fait apparaitre
les différents degrés de plumes, rémiges primaires, secondaires et tertiaires, dans une couleur
réaliste. L’effet recherché n’est pas ici ornemental mais naturaliste.

Giotto, Saint Michel (détail), Padoue, Chapelle Madonna dell’Arena, peinture murale, 1303-1308.

Ce type de représentation naturaliste se multiplie à partir de la seconde partie du XVe siècle


pour devenir particulière prégnante au début du XVIe siècle : l’attention sur la représentation
des plumes, leurs variétés, leurs répartitions sur l’aile, leurs couleurs, leurs matières, tout
semble être pris en compte dans les peintures d’Antonio del Pollaiolo, Domenico Ghirlandaio
ou Raphaël.

351
Antonio del Pollaiolo, Saint Michel Domenico Ghirlandaio, Raphaël, Saint Michel (détail), Paris,
(détail), Florence, Museo Stefano Saints (détail), Portland, Art Louvre, huile sur toile, 1518.
Berdini, peinture sur panneaux, Museum, peinture sur
milieu XVe. panneaux, 1480-1485.

Nous avons évoqué les couleurs comme élément central dans les images des ailes.
Mais elles ne sont pas non plus indispensables pour figurer les organes de vol qui apparaissent
parfois simplement gravés dans le fond doré de la peinture, comme dans le panneau du
Maestro dell’Osservanza ou dans celui d’un peintre émilien.

Maestro dell’Osservanza, Saint Michel (détail), Sienne, Anonyme émilien, Saint Michel (détail),
Museo dell’Archivio di Stato, peinture sur panneaux, 1444. Londres, collection privée, peinture sur
panneaux, 2e ½ du XIVe.

Mais ce sont ici des exceptions, puisque la plupart du temps, Michel porte des ailes
multicolores ou monochromes mais largement dessinées par la couleur. Les dégradés ont une
place importante dans le rendu des plumes et de la beauté des ailes des anges en général et de
Michel en particulier. Ils peuvent jouer sur un ton ou sur plusieurs couleurs. Dans le panneau
de Coppo di Marcovaldo, les teintes vont du blanc au bleu nuit profond en passant par une
palette de gris bleutés très délicats qui explosent du centre clair vers une périphérie obscure.
Les anges de Pietro Cavallini se distinguent particulièrement par les dégradés de leurs ailes
qui créent dans les peintures des foyers chatoyants de couleurs vives. Ces dégradés sont
encore utilisés au XVe siècle, comme l’attestent les ailes de Michel peintes par Spinello

352
Aretino en 1404 à San Francesco d’Arezzo, même s’ils caractérisent davantage les
productions du Due- et Trecento.

Coppo di Marcovaldo, Pietro Cavallini, Jugement dernier (détail), Spinello Aretino,


Saint Michel et légendes Rome, Santa Cecilia in Trastevere, peinture Combat contre le
(détail), San Casciano Val murale, 1293. dragon (détail), Arezzo,
di Pesa, Museuo d’Arte San Francesco, peinture
Sacra, peinture sur murale, 1404.
panneaux, 1250-1255.

Les ailes de Michel peuvent également être composées de plusieurs couleurs unies et
contrastées, tel le panneau de Lorenzo di Alessandro dans les années 1380, la peinture murale
de Giacomo Jaquerio en 1426, ou celle déposée de Luca Signorelli aux ailes tricolores dont
chacune des bandes jaunes, blanches ou vertes, colore un type de rémige de plumes : primaire,
secondaire et tertiaire.

Lorenzo di Alessandro, Saint Giacomo Jaquerio, Saints (détail), Luca Signorelli, Saint Michel
Michel (détail), Baltimore, The Fénis, Château, peinture murale, (détail), Orvieto, Duomo, peinture
Walters Art Museum, peinture 1426. murale déposée, 1499-1502.
sur panneaux, années 1380.

Si les ailes de Michel sont monochromes, il s’agit bien souvent de la couleur rouge, comme
nous pouvons le voir dans une vingtaine de peintures de notre corpus, réparties uniformément
des années 1330 au début du XVIe siècle. Les ailes rouges permettent parfois de distinguer
353
clairement Michel des autres anges ou archanges, comme dans le polyptyque peint par Giotto
où Gabriel est pourvu d’ailes aux coloris naturels, alors que celles de Michel sont d’un rouge
vif et uni1567. À la fin de notre aire chronologique, les dégradés et les couleurs vives sont
moins présentes dans le corpus, mais le rouge reste une couleur courante, comme dans la
peinture murale d’un suiveur de Martino Spanzotti à Favria dans les années 1490.

Giotto, Vierge à l’Enfant et saints Suiveur de Martino Spanzotti, Saint


(détails), Bologne, Pinacoteca Nazionale, Michel (détail), Favria, San Pietro
peinture sur panneaux, 1332-1334. Vecchio, peinture murale, années 1490.

Nous avons noté quelques cas particuliers où les ailes se parent des mêmes couleurs et des
mêmes motifs que ceux des vêtements portés par l’archange, l’un peint en 1370 par Barnaba
da Modena et les deux autres peints par Fra Angelico entre 1419 et 1434. Ces ailes, comme
les tenues de l’archange, sont toutes bleues et ponctuées de motifs dorés, mais n’ont pas dans
ces images une matérialité très importante et figurent ainsi davantage comme une partie des
vêtements de Michel que comme des organes pourvus d’os, de chair et de plumes.

Barnaba da Modena, Vierge à Fra Angelico, Saints (détail), Fra Angelico, Glorification du
l’Enfant et saints (détail), Rielasingen-Worblingen, Christ et cour céleste (détail),
Avignon, Musée du Petit Palais, Fondation Rau, peinture sur Londres, National Gallery,
peinture sur panneaux, 1370. panneaux, 1419-1421. peinture sur panneaux, 1423-1434.

Nous avons déjà parlé du petit médaillon peint par Giotto au début du XIVe siècle qui
présentait Michel paré d’ailes naturalistes, de couleur blanche. Les couleurs vives sont

1567
Cette opposition est la même dans la peinture sur panneaux de Pier Francesco Fiorentino, peint en 1497 et
conservé à la pinacothèque de Montefortino.
354
pourtant largement préférées aux couleurs plus naturelles (blanc, gris, marron) aux XIIIe et
XIVe siècles. Au XVe siècle, de plus en plus de peintres choisissent pourtant ces tons doux qui
accompagnent des représentations plus proches de l’observation des ailes des oiseaux. Les
ailes des peintures d’Antonio del Pollaiolo ou Domenico Ghirlandaio déjà étudiées plus haut,
mais également celles de l’atelier de Turino di Vanni, Filippino Lippi ou Sandro Botticelli,
correspondent à ce schéma d’ailes aux plumes représentées minutieusement, aux couleurs
naturalistes plus sobres, et figurées dans une matérialité presque palpable.

Atelier de Turino di Vanni, Filippino Lippi, Les trois archanges Sandra Boticelli, Vierge à
Saints (détail), Avignon, Musée (détail), Turin, Galleria Sabauda, huile l’Enfant et saints (détail),
du Petit Palais, peinture sur sur bois, 1477-1478 Florence, Offices, peinture sur
panneaux, 1405-1415. panneaux, 1488-1490.

L’observation sur le motif n’est pas forcément synonyme de sobriété, étant donné la variété et
la beauté des types d’ailes présents dans la nature. Plusieurs peintres ont pris pour modèle une
espèce bien précise d’oiseau : le paon. Dans le panneau de Riccardo Quartararo, les ailes des
trois archanges assistant au couronnement de la Vierge sont rouges et parsemées d’ocelles,
tout comme celles du Michel peint par un anonyme flamino-napolitain1568. Par contre le
modèle ayant servi à un autre Michel peint par Riccardo Quartararo, n’est plus à plumes : il
s’agit clairement d’un papillon, aux ailes plus pointues, sans plumes et aux extrémités
sombres.

Riccardo Quartararo, Couronnement Anonyme flamino-napolitain,


de la Vierge (détail), Palerme Galleria Saint Michel (détail), Bari, Riccardo Quarararo, Saint Michel (détail),
Regionale della Sicilia, peinture sur Pinacoteca, peinture sur collection privée, peinture sur panneaux,
panneaux, 2e 1 /2 du XVe. panneaux, fin XV . e XVe-XVIe.

1568
Nous retrouvons également ce motif dans une peinture de Biagio di Antonio conservée dans la Collection
Bartolini Salimbeni de Florence et réalisée entre 1461 et 1471.
355
Mais le rapprochement avec un insecte n’est pas courant1569, car aussi belles et colorées soient
leurs ailes, les insectes possèdent une connotation négative qui ne sied guère aux membres
des anges. Les ailes d’insectes et surtout de chiroptères, inspirent généralement les ailes des
démons alors que celles des anges restent proches dans la forme, puis dans les couleurs, des
organes des oiseaux.

Qu’elles soient stylisées ou naturalistes, multicolores ou monochromes, fines ou épaisses, de


couleurs vives ou sombres, il faut noter une attention constante portée aux représentations des
ailes tout au long de la période étudiée. Les ailes de Michel ne sont jamais un élément
secondaire dans les peintures italiennes de la fin du Moyen Âge.

Des ailes en mouvement, la question du vol

Malgré leur fonction première dans la nature, les ailes servent rarement à l’archange à
voler dans les images que nous étudions. Certaines compositions usent cependant de quelques
moyens pour évoquer le vol qui a eu lieu dans un passé très proche ou aura lieu dans les
secondes suivantes. Les ailes déployées et la position étirée du Michel de Santa Maria in
Monte Dominico de Marcellina, laissent présumer que l’archange vient d’atterrir sur le dos de
son ennemi pour le combattre. Quatre peintures de notre corpus montrent l’archange flottant
dans les airs sur un petit nuage, symbolisant le fait qu’il peut se déplacer dans toutes les
dimensions1570. Le saint Michel peint par le Maestro della Madonna di Strauss a les pointes
des pieds posées sur un petit nuage blanc alors que tout le poids de son corps bascule vers
l’avant en direction de la tête du dragon dans laquelle il s’apprête à enfoncer sa lance. Michel
est dans les nuages, mais la position des ailes est la même que lorsqu’il a les pieds au sol.
Dans la peinture de Bernardo Zenale da Treviglio, les ailes semblent une nouvelle fois
statiques, mais le mouvement qui emporte les vêtements de l’archange et ses cheveux évoque
le souffle d’un courant d’air provoqué par l’atterrissage.

1569
Il est également présent dans un panneau de Fra Angelico, un Jugement dernier conservé à Berlin et réalisé
autour de 1450.
1570
Les trois autres peintures qui figurent ce motif sont la peinture murale du narthex de San Lorenzo fuori le
mura de Rome en 1290-1300 ; le Jugement dernier de Cristoforo da Lendinara peint en 1472-1476 ; et une
peinture de Luca Signorelli dans la chapelle San Brizio exécutée entre 1499 et 1502. Dans cette dernière, Michel
se tient debout sur une nuée au côté de Gabriel et ils surveillent le passage des damnés en enfer. Ce motif ne
change rien à la représentation du corps de Michel qui semble davantage flotter dans les airs que de voler.
356
Anonyme, Marcellina, Santa Maestro della Madonna di Stauss, Bernardo Zenale da
Maria in Monte Dominico, Couronnement de la Vierge et saints Treviglio, Vierge à l’Enfant
peinture murale, 1e ½ du XIIIe. (détail), Florence, Museo dello et saints (détail), Florence,
Spedale degli Innoncenti, peinture Offices, peinture sur
sur panneaux, 1405. panneaux, 1480.

Étant donné l’état de conservation de la peinture, il n’est pas possible de déterminer si Pietro
Cavallini a figuré Michel dans les airs ou déjà posé au sol. Cependant, cette image peinte à la
fin du XIIIe siècle, présente déjà les mêmes éléments pour signifier le vol que les peintres de
la fin de notre période : le mouvement, les ailes déployées et le drapé de la cape en suspension
dans les airs. Raphaël peint clairement le moment où Michel atterrit sur le dos du démon : son
pied droit est déjà fermement campé sur son ennemi, mais le gauche est encore en l’air, les
ailes sont déployées, ses cheveux au vent et le drapé qui l’entoure virevolte autour de son
torse. Marco d’Oggiono représente lui un des rares saint Michel clairement en vol dans un
contexte qui n’est pas clairement narratif : son corps n’est en contact avec aucun autre
élément de l’image, ni le sol, ni le démon qu’il poursuit ; ses ailes sont déployées et son
vêtement est gonflé de l’air qui s’engouffre dans les plis de tissus. La présence de Gabriel et
de Raphaël empêche d’identifier la scène comme la représentation d’un épisode purement
narratif : l’image est une représentation des trois archanges et le vol et la chute du démon
tiennent ici lieu d’attributs principaux de Michel.

Pietro Cavallini, Jugement dernier (détail), Raphaël, Saint Michel Marco d’Oggiono, Les
Rome, Santa Cecilia in Trastevere, peinture (détail), Paris, Louvre, trois archanges, Milan,
murale, 1293. huile sur toile, 1518. Galleria Brera, peinture
sur panneaux, début XVIe.

357
En règle générale, la représentation de Michel en vol n’est pas adaptée au contexte
iconographique majeur du corpus, qui le place au milieu des autres personnages saints près de
la Vierge à l’Enfant. Il n’est de toute façon pas nécessaire de représenter Michel flottant dans
les airs pour que le fidèle sache qu’il peut s’y déplacer. Dans les peintures, Michel est ailé et
Michel est un ange, cela suffit à signifier sa différence de nature et ce que cela implique sur le
fait qu’il ne se déplace pas selon les mêmes modalités que celles du commun des mortels.
La figuration du vol n’est pourtant pas absente des peintures de notre corpus. Elle est présente
dans une quinzaine d’images narratives1571. C’est dans certains cas la narration qui semble
imposer à l’archange une bataille aérienne. L’Apocalypse de Jean précise bien qu’ «il y eut un
combat dans le ciel » (Apocalypse 12.7) dans lequel Michel et ses anges combattirent le
dragon. C’est effectivement ce que représente un panneau conservé à Stuttgart : les corps des
anges sont en équilibre, leur jambe droite est dans les airs, pourtant les ailes ne sont que
faiblement déployées et leur pied gauche se pose sur les dos des bêtes qu’ils combattent. Il
s’agit davantage d’un atterrissage plutôt que d’un vol, mais la scène se déroule bien dans le
ciel. La peinture murale peinte par Giusto de’Menabuoi au Baptistère de Padoue est
finalement la seule image de l’Apocalypse de notre corpus où Michel vole réellement. Aucun
de ses pieds ne prend appui sur quoi que ce soit, son corps n’est pas soumis à la loi de
l’apesanteur, il flotte dans l’image, porté par de petites ailes droites derrière son dos.

Anonyme giottesque napolitain, Apocalypse Giusto de’Menabuoi, Apocalypse, Padoue,


(détail), Stuttgart, Staatsgalerie, peinture sur Baptistère, peinture murale, 1375.
panneaux, 1330-1340.

Dès le milieu du XIIIe, Michel peut être représenté en vol dans les scènes du Jugement
dernier. Quatre peintures réalisées entre le milieu du XIIIe siècle et 1450 correspondent à ce
type, où Michel s’envole du centre de l’image vers un damné pour le repousser de son épée
vers sa destination infernale1572. Le vol insiste sur le mouvement de rejet du centre vers la
périphérie, loin de l’image du Christ dont les pécheurs sont privés. La peinture murale de
Bergame montre un archange de petite taille mais paré de grandes ailes qui vole aux pieds du

1571
Notre corpus comporte environ 80 peintures mettant en scène Michel dans un épisode biblique ou une
illustration des légendes de fondation des grands sanctuaires.
1572
Les deux peintures non présentées ici qui correspondent à ce type sont celle d’un anonyme, Jugement
dernier, Almenno San Salvatore, San Giorgio in Lemine, peinture murale, milieu du XIIIe siècle ; et celle de
Vitale da Bologna, Jugement dernier, Pomposa, abbaye, peinture murale, 1360.
358
Christ. Dans le cas du panneau de Fra Angelico, c’est la position de l’archange largement au-
dessus des hommes, et ses ailes déployées qui montrent qu’il est en vol.

Anonyme bergamasque, Bergame, Santa Fra Angelico, Jugement dernier (détail), Berlin,
Maria Maggiore, peinture murale, 1347. Gemäldegalerie, peinture sur panneaux, 1450.

Mais en général le rôle de surveillance du partage alloué à Michel au moment du Jugement,


lui impose de rester près des hommes qui sont par définition au sol puisqu’ils viennent de
sortir de terre pour ressusciter et que leur âme a retrouvé leur corps matériel.

Cependant, dans l’illustration de Michel chassant Lucifer et ses mauvais anges du paradis,
l’idée de chute des rebelles s’oppose à celle du vol des bons anges. Il s’agit une nouvelle fois
d’une scène sensée se dérouler dans les airs et c’est bien le cas dans le petit panneau du
Louvre : le corps de Michel au centre est presque à l’horizontale, ses jambes sont légèrement
repliées à cause du mouvement ascendant, ses ailes sont grandes et déployées largement, le
drapé de sa cape est en suspension. Mais cette image est une exception puisque dans les cinq
autres peintures de la scène, Michel a déjà précipité les démons au sol et les piétine, comme
dans celle de Spinello Aretino, où il combat un dragon alors que ses anges se chargent des
démons, ou dans celle de l’abbaye de Pomposa où il écrase un démon dans le dos et sur le
visage. Les rebelles ne sont pas représentés dans leur chute du haut du ciel mais sont déjà
figurés sur terre, dans les entrailles de laquelle l’archange tente de les enfoncer. Michel n’est
pas lui-même en vol.

Maître des anges rebelles, Spinello Aretino, Chute des anges rebelles Vitale da Bologna, Chute des
Chute des anges rebelles (détail), Arezzo, San Francesco, peinture anges rebelles (détail), Pomposa,
(détail), Paris, Louvre, peinture murale, 1404. abbaye, peinture murale, 1351.
sur panneaux, 1330-1345.

359
Le seul type d’images où Michel est systématiquement représenté en vol, est celui qui le
figure dans une apparition au Mont Gargan ou au Mont-Saint-Michel, conformément aux
récits de fondations des grands sanctuaires michaéliques. Les épisodes romains ne sont pas
concernés puisque Michel apparait au sommet du Mausolée d’Hadrien et non pas dans les
airs. Deux peintures représentent saint Michel en vol près du taureau du Mont Gargan, deux
autres près de la jeune mère accouchée dans les eaux du Mont-Saint-Michel et une seule près
d’un évêque, de Siponto ou d’Avranches. Dans toutes ces images, Michel a le buste en
position horizontale, la tête redressée, les ailes déployées, les bras actifs, en train d’indiquer
aux différents personnages la route à suivre, et la partie inférieure du corps non représentée.
Les vêtements de Michel s’effacent dans un dégradé délicat ou s’enroulent dans l’air, selon le
principe des anges-nuées, courant pour les anges classiques à notre période, mais totalement
absent de notre corpus pour Michel en dehors de ces cinq exemples, et de celui de la Pala
Strozzi dont nous reparlons ensuite. La matérialité et la force de l’archange ne sont pas
nécessaires dans cette mission de messager mais le vol s’adapte parfaitement à l’idée de
l’apparition : un élément visible furtivement qui disparait rapidement, comme le ferait un
oiseau dans le ciel.

Jacopo del Talentino, Miracle du taureau Cenni di Francesco di Ser Cenni, Miracle du
(détail), Florence, Santa Croce, peinture taureau (détail), Philadelphia, Museum of Fine
murale, 1e ¼ du XIVe. Art, peinture sur panneaux, 1385.

Agnolo Gaddi, Miracle de Priamo della Quercia, Miracle de l’accouchée (détail) et Apparition à
l’accouchée (détail), New Haven, l’évêque (détail), Lucques, Museo Nazionale di Villa Guinigi, peinture
Yales University Art Gallery, sur panneaux, 1430.
peinture sur panneaux, 1380.

Terminons ce panorama des images de Michel en vol avec deux peintures originales. L’une
représente l’archange portant la balance en plein vol, dans une prédelle de la Pala Strozzi,
mettant en scène la mort d’Henri II. Le corps de Michel apparait selon les mêmes modalités
que celles à peine décrites pour les apparitions. L’archange brandit l’épée dans la main droite
et porte la balance dans la gauche. Enfin, un unicum dans notre corpus figure l’archange,
nommé par l’inscription de son nimbe, en train de combattre la mort devant la ville de
360
Pérouse touchée par la peste. Michel est en vol et tient la lance dans ses deux mains pour
transpercer le squelette.

Andrea di Cione, Mort d’Henri II (détail), Mariano d’Antonio et Benedetto Bonfigli, Vierge
Florence, Santa Maria Novella, peinture de Miséricorde (détail), Pérouse, Oratoire San
sur panneaux, 1354-1357. Bernardino, peinture sur panneaux, 1464.

Si les ailes sont un élément quasi-incontournable de l’iconographie michaélique, les images


de l’archange en plein vol sont rares, mêmes dans les représentations des épisodes qui
semblent à priori la nécessiter. Les ailes paraissent davantage comme un signe d’une nature
extra-terrestre de Michel, plutôt qu’un véritable organe de vol.

Du signe iconographique à l’image d’un organe de vol

Michel est représenté sous les traits d’un homme, mais, plus que sa beauté, sa coiffure
ou son nimbe, l’élément qui indique sans aucun doute qu’il n’est pas un homme ordinaire est
la paire d’ailes qui se trouve dans son dos dans la majorité des images italiennes de la fin du
Moyen Âge. Pourtant les peintres du Due- et Trecento et dans une moindre mesure, ceux du
Quattrocento, ne cherchent pas à représenter des « ailes plausibles » : elles sont souvent
plates, inactives, trop petites, trop frêles et aux couleurs irréalistes. De même, l’archange est
rarement mis en scène dans les airs. Ces différents aspects prouvent que les ailes de Michel ne
sont pas, des organes de vol, comme le précise Louis Réau1573, mais bien un emblème de la
rapidité d’exécution des missions confiées par Dieu à l’archange, et qu’il n’est en aucun cas
une créature terrestre. Car les ailes des oiseaux, ou de tout autre espèce volante, ne sont pas
adaptées aux véritables modalités de déplacement de l’archange : Michel ne vole pas à tire
d’ailes pour rejoindre son Créateur, il passe, comme le précisent les théologiens du Moyen
Âge, d’un lieu à un autre sans passer par les lieux intermédiaires. De toute façon, le corps
même de Michel ne possède pas de matérialité, et il ne peut en être autrement pour ses ailes.
Pour ces raisons, les ailes de Michel ont longtemps résisté à l’appel du naturalisme qui a
gagné l’ensemble des arts figuratifs à la fin du Moyen Âge. Outre l’aspect symbolique, que
nous avons déjà évoqué et qui font des membres ailés des signes plutôt que des organes de
vol, les ailes de l’archange ont clairement dans l’image une fonction décorative et
ornementale. Elles sont un marqueur fort de la beauté des anges et se déclinent à ce titre dans

1573
REAU, 1956, p. 36.
361
diverses formes et couleurs, même si elles ne correspondent pas véritablement à ce qu’un
homme pouvait observer dans la nature.
Le rationalisme de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, a tout de même eu raison de cette
originalité angélique. L’évolution générale des différents éléments décrits séparément dans
cette partie sur l’image des ailes - la forme, la position, la taille, la représentation des plumes
et les couleurs - concourt à doter l’archange d’ailes d’oiseau « réalistes » dans la mesure où
elles semblent directement s’inspirer de la structure, de la couleur, de la position de celles des
oiseaux, et semblent de plus s’agrandir, s’élargir et s’épaissir pour devenir de plausibles
membres permettant au corps, emprunté par l’archange au moment où il est figuré dans la
peinture, de voler. Le signe devient l’image d’un véritable organe de vol.

Tous ces éléments qui forment l’image de l’archange - son visage, sa coiffure, son corps, ses
ailes - entretiennent un dialogue constant entre iconographie des saints guerriers et
iconographie angélique, sans correspondre pleinement ni à l’une ni à l’autre, l’image
michaélique en est une synthèse complexe et originale, qui concerne également les vêtements
qu’il porte.
L’analyse des éléments intangibles de l’iconographie de saint Michel, constituait l’étude du
premier niveau de notre organigramme, la case « Michel ». Étudions à présent le deuxième
niveau, les types vestimentaires.

I.3- « L’habit fait le moine »1574. Des vêtements comme marqueurs des types
iconographiques de l’ange, de l’archange byzantin et du saint guerrier ailé

La partie suivante comprend l’étude des trois grands types iconographiques,


déterminés par les vêtements, qui font de Michel un ange, un archange byzantin ou un
guerrier ailé. Nous avons déjà noté que le classement typologique ne pouvait se réaliser de
manière stricte et rigide, puisqu’afin de définir la nature de Michel dans l’image, il convient
d’ajouter aux types vestimentaires les attributs et les situations qui peuvent modifier
considérablement la figure michaélique. Mais précisons que les types de tenues portées par
l’archange permettent de mettre en valeur la qualité principale de l’archange dans l’image.

Les anges prennent la forme des hommes, et empruntent également leurs vêtements et leurs
objets. À ce titre, Pseudo-Denys déclarait que « la divine sagesse donne des vêtements aux
esprits et arme leurs mains d’instruments divers »1575. Le choix des vêtements des anges est
déterminant dans l’expression de la nature ou de la fonction des êtres angéliques dans

1574
Traduction d’une partie titre de l’article de Willibald Sauerländer dans le premier numéro de Arte Medievale
en 1983 : « Kleider machen Leute: Vergessenes aus Viollet-le-Ducs "Dictionnaire du mobilier français" »,
traitant des rapports entre la mode et l’histoire de l’art.
1575
Dans De Caelesti hierarchia, c. xv, P. G., t. III, col. 333, cité dans LECLERCQ, t. I, 2, 1907, pp. 2107-2108.
362
l’image, et peut, à ce titre, s’inspirer de ceux des cérémonies humaines religieuses, politiques,
ou de certaines catégories socioprofessionnelles, telle que la chevalerie. Il pose à nouveau de
manière concrète le problème du sexe des anges, mais, comme pour la physionomie et le
corps, il n’est pas central pour Michel, ange fort et robuste, que l’on retrouve vêtu d’habits
masculins, voire mixtes mais quasiment jamais féminins. Semblablement aux images des
saints ou du Christ, les vêtements des anges dans l’iconographie chrétienne présentent des
interférences avec la tradition et la mode, signe de la mutation des goûts. Pour Marco
Bussagli, les variations de l’habillement angélique à la fin du Moyen Âge lient les mutations
de goût, la mode contemporaine, l’abandon de certaines significations et traditions, et la
question controversée du sexe des anges1576.

I.3.1. Michel l’ange

Plusieurs éléments invariables de l’iconographie michaélique étudiés plus haut


permettent clairement d’affirmer la nature angélique de Michel : les traits de son visage, sa
coiffure et ses ailes. Un autre motif le rattache tout aussi clairement au groupe des anges : ses
vêtements. Dans une cinquantaine de peintures de notre corpus, Michel est vêtu de la même
manière que la plupart des anges, ni en archange, ni en guerrier, et le seul moyen de le
différencier de la masse de ses congénères, est l’ajout d’une inscription, d’un attribut ou d’un
contexte iconographique particulier. Ces vêtements ne sont pas individualisés et n’insistent
pas sur une mission déterminée de l’archange, mises à part celles généralement attribuées aux
anges (accompagnement de la divinité, messager près des hommes). Deux grandes catégories
peuvent se différencier au sein de ce type vestimentaire : soit l’archange porte, comme le veut
la tradition, une tunique et un pallium, souvent simplifiés par une aube et une cape ; soit il est
vêtu de l’étole, de la dalmatique, ou de la chape du clerc.

I.3.1.1. L’ange classique

La dalmatique et le pallium, une image paléochrétienne

Sur les cinquante-deux images recensées pour le type vestimentaire de l’ange


classique, une quinzaine représente Michel portant la dalmatique et le pallium. La dalmatique
est constituée d’un grand rectangle de tissu avec un décolleté en forme de fente et deux trous
pour les bras formés dans des coupes secondaires parfois garnies de broderies dans le
tissu1577. Elle constitue ainsi une tunique, souvent blanche, parfois clavée de bandes pourpres,
qui descend jusqu’aux talons et aux manches à la longueur variable mais larges, en usage à

1576
BUSSAGLI, 1991, p. 142.
1577
BUSSAGLI, 1991, p. 143.
363
partir de l’époque impériale1578. Elle peut être de laine, de soie ou d’étoffes précieuses. Le
pallium, issu de l’himation grec, est un manteau qui couvre la dalmatique, morceau d’étoffe
rectangulaire, plus petit et donc plus pratique que la toge, il se porte relevé sur l’épaule
gauche et revient par derrière sur l’avant-bras droit. La dalmatique est courante à la fin de
l’Antiquité et le pallium est adopté par les philosophes à Rome, abandonnant la toge du
citoyen romain1579, et, porté plus tard par les premiers disciples du Christ, il devient un
vêtement chrétien particulièrement présent dans les premiers témoignages iconographiques
des catacombes à partir du IIIe siècle1580, et dans les représentations du Christ. Si l’association
dalmatique-pallium est portée par le Christ et les apôtres, elle devient également la tenue
courante des anges sur les murs des catacombes et les reliefs des sarcophages1581, soulignant
la nature élevée des anges et leur rôle important dans l’histoire du salut mais également leur
humilité par l’adoption d’une tenue aux étoffes simples, notamment celle du pallium utilisant
une petite quantité de tissu par rapport à la toge. Même si elle ne leur est pas réservée, cette
tenue, associée à un contexte narratif précis, est un élément indispensable à l’identification
des anges dans l’image paléochrétienne, avant même l’apparition des ailes. Émile Mâle
évoque une « belle tunique décente qui n’est d’aucun pays, d’aucun temps, mais qui semble le
vêtement même de la vie éternelle »1582.

Son utilisation laïque n’est pas abandonnée, mais la dalmatique devient au VIIe siècle un
vêtement liturgique1583. Cette modification d’usage entraîne deux conséquences importantes
pour nous. La première est que ce vêtement est de plus en plus souvent réservé aux anges
dans les images, et délaissé par les autres personnages saints, car l’identification à un
vêtement religieux l’associe davantage aux êtres angéliques couramment vêtus de tenues de
cérémonies religieuses à la fin du Moyen Âge. La seconde est qu’en tant que vêtement
religieux, sa forme est comme sclérosée pendant plus de dix siècles dans le but de conserver
la sacralité d’une tenue antique, portée par les disciples du Christ, et facilement
reconnaissable au milieu des mutations constantes des vêtements laïques suivant la mode1584.
La dalmatique et le pallium constituent un marqueur iconographique fort et parmi les
principaux pour les anges pendant près de dix siècles.
La peinture murale de San Fedele à Côme présente Michel vêtu d’une dalmatique claire,
légèrement rosée, surmontée d’un pallium plus foncé de couleur bleue-verte, qui couvre son
épaule gauche et passe sous son bras droit. Les vêtements sont les mêmes dans la peinture du
Frate Francesco de Subiaco, mais les couleurs sont inversées et surtout le pallium ne couvre
pas l’épaule gauche, comme c’est traditionnellement le cas dans l’iconographie, mais l’épaule

1578
LECLERCQ, t. IV, 1, 1920, p. 111 ; voir également LEVI PISETZKY, 1964, p. 36.
1579
LEVI PISETZKY, 1964, p. 26.
1580
LECLERCQ, t. IV, 1, 1920, p. 112.
1581
Voir à ce propos le chapitre 1. III.1.3.1. Les premiers témoignages dans l’art paléochrétien.
1582
MÂLE, 1949, pp. 66-67.
1583
Elle était déjà portée à partir du IVe à Rome par le pape et les diacres, voir LECLERCQ Henri,
« Dalmatique », dans Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, Paris, t. IV, 1, 1920, p. 112.
1584
BUSSAGLI, 1991, p. 144.
364
droite. Marco Bussagli précise que ce changement d’épaule, qui a lieu dès le XIIe siècle dans
l’iconographie angélique, est révélateur du fait que l’usage originel du vêtement ait été perdu
et qu’il est à ce moment perçu comme un simple manteau1585.

Anonyme, Vierge en gloire (détail), Côme, Basilica Frate Francesco, Christ de Pitié et Michel (détail),
San Fedele, peinture murale, fin XIIe début XIIIe. Subiaco, San Benedetto, Peinture murale, 1e ½ du XIIIe.

Dans ces deux peintures, Michel n’a aucun signe distinctif par rapport aux autres anges, et est
identifiable uniquement grâce à l’inscription qui l’accompagne et qui est visible sur chacune
des photos présentées. Il apparait dans cette tenue comme l’accompagnateur de la divinité,
comme pourrait l’être un ange classique. Ce type, avec dalmatique-pallium et inscription, se
rencontre assez exceptionnellement et uniquement au XIIIe siècle, car, la plupart du temps,
l’ange porte un attribut ou est clairement identifié par le contexte narratif dans lequel il
s’insert. C’est le cas dans une peinture mettant en scène le miracle de la femme accouchée
dans les eaux du Mont-Saint-Michel devant laquelle Michel apparait pour lui indiquer le
chemin du refuge. L’ange est en vol, vêtu de la dalmatique et d’un large pallium sur son
épaule gauche qui s’évapore dans les airs pour insister sur l’aspect éphémère de l’apparition
michaélique. Aucun attribut, aucune inscription ne nomme l’archange, mais cet épisode
appartient clairement aux miracles de Michel et ne peut mettre en scène que lui.

Agnolo Gaddi, Miracle de la femme accouchée (détail), New Haven,


Yale University Art Gallery, peinture sur panneaux, 1380.

Le contexte narratif est également important dans le Jugement dernier d’Almenno San
Salvatore au milieu du XIIIe siècle où la figure angélique vêtue en dalmatique et pallium et en
vol au-dessus des damnés pour les repousser ne peut être que Michel. Pourtant, l’ange tient
déjà ici une épée qui oriente largement l’indentification vers notre archange guerrier.
L’archange en dalmatique-pallium et portant une arme se trouve dans quelques peintures du
1585
BUSSAGLI, 1991, p. 148.
365
début du XIVe siècle, comme celle d’Oropa réalisée entre 1300 et 1310 : Michel porte une
tunique aux manches serrées et un pallium rouge orné de motifs blancs. Il tient le pan droit de
son manteau avec sa main gauche pour laisser son bras droit libre de réaliser le mouvement
qui lui permettra de tuer un dragon (aujourd’hui illisible) à l’aide de sa lance. L’archange tient
également son pallium dans la peinture d’Ambrogio Lorenzetti, mais le pan de tissu est
ramené dans la main gauche qui tient déjà l’épée dans son fourreau, alors que le bras droit
indique à Galgano le chemin vers la Vierge. L’ange Michel peut également tenir la
balance1586, comme dans la peinture de Manfredino da Pistoia où la figure classique de l’ange
est complétée par la lance, la balance, le démon et un mouvement qui font incontestablement
de lui un saint Michel.

Maestro di Oropa, Annonciation et Ambrogio Lorenzetti, Saint Manfredino da Pistoia, Saint


saints (détail), Oropa, chapelle du Galgano offre son épée à la Michel (détail), Gênes, Museo
sanctuaire de la Madonna di Oropa, Vierge (détail), Chiusdino, San di Sant’Agostino, peinture
peinture murale, 1300-1310. Galgano, peinture murale, 1334. murale déposée, 1292.

Enfin, l’archange vêtu de la dalmatique et du pallium se retrouve encore trois fois au XVe
siècle, portant à chaque fois une arme et une fois la balance1587. Ces images reprennent le
même schéma que les peintures du XIIIe siècle : une tunique et un manteau posé sur l’épaule
gauche et passant sous le bras droit, comme dans la peinture de l’atelier d’Agnolo Gaddi.
Dans la peinture murale de Subiaco, Michel porte également le globe dans la main gauche.

Atelier d’Agnolo Gaddi, Vierge à l’Enfant, Anonyme, Saint Michel (détail), Subiaco,
Crucifixion et saints (détail), Notre Dame, The Snite Sacro Speco, peinture murale, XVe.
Museum of Art, peinture sur panneaux, 1er ¼ du XVe.

1586
Une peinture du XIVe siècle présente également la figure de l’ange classique, accompagné d’une balance,
anonyme véronais, saint Michel, Vérone, basilique San Zeno Maggiore, peinture murale ; ainsi qu’une autre du
XVe siècle, Carlo da Camerino, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Cleveland, Art Museum, peinture sur
panneaux, 1405.
1587
Voir note précédente.
366
Marco Bussagli déplore la perte de la signification réelle de ces vêtements par les
changements qui ont lieu à la fin du Moyen Âge : la dalmatique ceinturée, parfois raccourcie,
aux manches courtes et fines, le pallium devenant un simple manteau1588. La dalmatique était
en fait encore utilisée dans la mode civile au XIIIe siècle et subit ainsi des interférences
importantes avec elle. Mais malgré cet éloignement de la matrice originelle, et même si ce
type vestimentaire est loin d’être celui le plus souvent adopté par Michel dans la peinture
italienne (moins de 3%), ces exemples tardifs montrent que l’association dalmatique-pallium
existe des origines de l’iconographie chrétienne jusqu’à la fin du Moyen Âge, même pour un
archange clairement individualisé comme Michel.

Il est vrai qu’au XVIe siècle, les tuniques sont chargées de plis, les manteaux sont transformés
en longs drapés voletant, l’ensemble est réalisé dans des tissus aux couleurs et aux matières
qui n’ont plus grand-chose à voir avec la dalmatique et le pallium : la matrice paléochrétienne
est bien lointaine et devient une simple réminiscence culturelle1589. Mais déjà au début du
XIVe siècle, cette tenue avait perdu du terrain au profit de l’aube, plus simple, parfois
accompagnée d’une cape. Il n’est en définitive pas toujours évident de distinguer l’aube de la
dalmatique.

L’aube simple

La tunica alba ou l’aube, du latin alba, est, comme son nom l’indique, une longue
tunique blanche, aux manches étroites et souvent resserrée au niveau de la taille. Elle dérive
de la tunica talaris grecque et romaine portée pendant la période impériale, tunique à longs
pans resserrée à la taille par un cordon et tombant jusqu’aux chevilles1590. Elle se différencie
donc de la dalmatique par ses manches étroites resserrées aux poignets. Elle est devenue un
vêtement sacré porté par tous les ministres de Dieu, des acolytes, lecteurs et diacres - qui la
portent seule en vêtement principal - aux curés et aux évêques - qui la portent sous leur
dalmatique, leur chape ou leur chasuble. Elle est le vêtement commun à tous ceux qui sont
ordonnés1591. La couleur blanche qui la caractérise, en fait un symbole de pureté spirituelle et
de chasteté particulièrement bien adapté aux anges dans laquelle ils sont représentés assez
tardivement, pas avant le XVe siècle selon Marco Bussagli1592. Pourtant, il nous semble bien
reconnaitre ce vêtement dans le saint Michel de Giotto, peint dans un médaillon de la chapelle
Scrovegni à Padoue : la tunique est longue (comme le montre le genou relevé et couvert

1588
BUSSAGLI, 1991, p. 148.
1589
BUSSAGLI, 1991, p. 149.
1590
BUSSAGLI, 1991, p. 166.
1591
Le Cérémonial des Évêques (Cæremoniale Episcoporum) de 1984 précise que « le vêtement sacré pour tous
les ministres quel que soit leur grade commun est l'aube, serrée autour des reins par le cordon, sauf si elle est
faite selon le mode de la soutane, afin qu'elle épouse le corps sans cordon. Avant de revêtir l'aube, si elle
n'entoure pas parfaitement le col de l'habit commun, on revêtira l'amict. »
1592
BUSSAGLI, 1991, p. 162.
367
d’étoffe de l’archange), les manches sont étroites et rebrodées au niveau des poignets de
motifs ornementaux dorés, et le vêtement est ceinturé à la taille. Seule la couleur, le vert clair,
pourrait laisser planer un doute sur l’identification de ce vêtement comme d’une aube. En fait,
la simplicité de ce vêtement en fait une base parfaite à d’importantes variations de couleurs et
d’ornementations. L’aube peut, par exemple, être ornée d’un morceau de soie dans la partie
basse, sorte de tablion byzantin, ou de bandes de tissus cousues sur la poitrine, autour du col,
des poignets et sur les épaules, comme dans la peinture murale de Schifanoia datant de la fin
du XIIIe ou du début du XIVe siècle. Dans cette peinture, l’effet ornemental ajouté à l’aube
rappelle le lôros de type byzantin dont nous reparlerons plus loin. Mais l’aube de Michel peut
également être simple et blanche, comme dans l’image peinte par le Maestro del Coro di
Sant’Agostino.

Giotto, Saint Michel (détail), Padoue, Anonyme, Saint Michel (détail), Maestro del Coro di Sant’Agostino,
chapelle Madonna dell’Arena, peinture Schifanoia, San Michele, peinture Saint Michel, Rimini, Sant’Agostino,
murale, 1303-1308. murale, XIIIe-XIVe. peinture murale, 1308-1318.

Dans notre corpus, dès la fin du XIIIe siècle, la dalmatique se confondait déjà avec l’aube,
mais nous n’avons recensé aucun archange vêtu de l’aube pour le plein XIIIe siècle. Nous en
possédons dix-sept exemplaires au XIVe, huit pour le XVe et une pour le début du XVIe
siècle, soit un total de vingt-six images sur l’ensemble du corpus. Les aubes de cet ensemble
restent en général assez simples, si ce n’est dans la diversité des couleurs. Dans la majorité
des cas, Michel porte l’arme et/ou la balance. Neuf peintures représentent Michel vêtu de
l’aube et d’une cape qui la couvre en partie et qui remplace ainsi l’association dalmatique /
pallium. Ce vêtement d’extérieur caractérise les voyageurs et les soldats qui partent en
campagne, et, accompagné d’une arme, il insiste alors sur la mission guerrière de Michel,
comme dans le panneau d’un suiveur de Bernardo Daddi où l’archange est vêtu d’une aube
mauve ceinturée, et d’une cape bicolore verte et rouge qu’il a repoussé sur son épaule droite
pour présenter son arme à la Vierge. Les autres peintures associant aube et cape, reprennent ce
schéma du pan droit relevé sur l’épaule droite qui porte l’arme, alors que le pan gauche
recouvre tout le membre gauche, dont seule la main ressort pour porter le globe.

368
Suiveur de Bernardo Daddi, Vierge à l’Enfant et saints (détail), New Orléans, Isaac Delgado
Museum of Art, peinture sur panneaux, 1340.

En règle générale, ce qui caractérise le plus ce type vestimentaire est sa grande simplicité et
son drapé fluide, même si parfois le doute est possible sur le fait que ce soit véritablement une
aube qui est représentée. Il faut en fait prendre ce type de tenue pour ce qu’elle est : un
vêtement sommaire, une tunique qui n’a ni la richesse du vêtement de cérémonie byzantine ni
la particularité fonctionnelle de l’attirail guerrier. Michel à l’aube est un ange simple, qui
porte des armes ou une balance mais sa tenue ne met pas en cause sa nature, il est avant tout
un ange. À la fin du XVe siècle, la simplicité de l’aube semble parfois être remise en cause
dans plusieurs peintures de Michel.

Les vêtements bouffants

Il semble que les tenues de l’archange entretiennent plus de contacts avec la mode
contemporaine à la fin de notre période. Déjà en 1368, dans la peinture de Biagio di Goro
Ghezzi, Michel porte une tunique légèrement raccourcie au niveau des chevilles, à l’encolure
élargie, ornée de plusieurs bandes décoratives et ceinturée assez bas sur les hanches.
L’archange est chaussé d’une paire de chausses pointues. Cette tenue est, en définitive, plus
proche de celle d’un laïc que ne l’est l’aube sacrée. De même, un élément particulièrement
futile et critiqué de la mode de la fin du Moyen Âge a tenté de pénétré l’iconographie
michaélique dès le début du XVe siècle. Il s’agit des manches fendues, visibles par exemple
dans une peinture murale de Bolzano où la cotte de Michel est parée de manches fendues et
pendantes jusqu’au sol. Le geste élégant de la jambe de l’archange, qui marque une gracieuse
pointe du pied, s’accorde parfaitement à l’élégance de la tenue, mais assez peu aux gestes
d’un soldat de Dieu. Notons également l’aspect fluide et bouffant de la tunique de Michel. Le
vêtement bouffant, constitue une véritable révolution dans l’habillement des anges au XVe
siècle1593. Dans la cathédrale de Narni, à la fin du XIVe ou au début du XVe siècle, Michel est
vêtu d’une tunique simple proche de l’aube mais la légèreté du tissu léger, sa longueur et la
multiplication des plis, évoquent déjà les tuniques bouffantes de la fin du siècle.

1593
BUSSAGLI, 1991, p. 151.
369
Biagio di Goro Ghezzi, Saint Peintre sud-tyrolien, Saint Michel Anonyme de Narni, Saints (détail),
Michel (détail), Paganico, San (détail), Bolzano, San Martino, Narni, San Giovenale, peinture
Michele, peinture murale, 1368. peinture murale, 1403. murale, XIVe-XVe.

Ce type de vêtement dérive du guarnello, chemise du XIIIe, sorte de tunique légère sans
manche, de coton ou de lin, utilisée en sous-vêtement, en chemise de nuit ou en vêtement
pour les moins aisés. Il connait un développement particulier au XVe siècle, particulièrement
chez les femmes et, attribué dans certaines images aux anges, cette tunique permet une
nouvelle fois de mettre en avant leur modestie et leur simplicité1594. Elle réactualise surtout un
lien ancien avec la Victoire classique dont le chiton semble clairement inspirer le vêtement
bouffant de la fin du Moyen Âge1595. Les trois images présentées constituent les trois seules
peintures de notre corpus à intégrer clairement cette mode du vêtement bouffant, constitué
d’une tunique large et longue, ceinturée une première fois sous la poitrine et une seconde à la
taille, créant « le bouffant » caractéristique de cette tenue aux multiples plis. L’archange de
Marco d’Oggiono porte également une cape qui complète la masse de drapés, et crée une
sorte de mandorle d’étoffes autour de Michel.

Mariano d’Antonio et Benedetto Bernardino Butinone, Marco d’Oggiono, Les


Bonfigli, Vierge de Miséricorde (détail), Déposition et Jugement dernier trois archanges (détail),
Pérouse, Oratoire de San Bernardino, (détail), peinture sur panneaux, Milan, Galleria Brera,
peinture sur panneaux, 1464. fin du XVe siècle. peinture sur panneaux,
début du XVIe.

1594
BUSSAGLI, 1991, p. 180.
1595
BUSSAGLI, 1991, p. 182.
370
La tunique bouffante de Michel est pourtant réalisée dans des étoffes épaisses, qui ne lui
donnent pas cet aspect de sous-vêtement léger que nous retrouvons dans certaines images
d’anges. Le sérieux de la mission de Michel s’accommode de toute façon relativement mal à
ces vêtements humbles mais élégants de la fin du XVe siècle, qui comportent surtout une
connotation féminine incompatible avec la figure michaélique. Les représentations de Michel
conservent pourtant le goût pour les développements de drapés, dont la multiplication des plis
et leurs mouvements s’adaptent particulièrement à sa figure dynamique et peut d’ailleurs se
fondre dans d’autres types vestimentaires, notamment celui du guerrier, comme c’est le cas
dans la peinture de Raphaël en 1518.

I.3.1.2. L’ange-clerc

Les vêtements liturgiques ne diffèrent pas énormément de ceux que nous venons
d’étudier, qui constituent la base de l’habillement au Moyen Âge : la dalmatique, l’aube, le
pallium, la ceinture, sont tous des vêtements d’origines laïques adoptés pour leur simplicité ou
leur symbole (la dalmatique et le pallium par exemple comme tenue des premiers chrétiens,
distincte de la toge des citoyens romains) par les clercs.

Des vêtements communs pour les anges et pour les clercs

La distinction nette des vêtements liturgiques avec les vêtements civils ne se réalise
qu’à partir du IXe siècle. L’aube devient le vêtement sacré de tous les ministres de Dieu ; la
dalmatique, la chasuble et la chape, qui peuvent la recouvrir, deviennent les vêtements
liturgiques par excellence, accompagnés des insignes de cérémonies religieuses, le pallium,
l’étole, la manipule1596. À la fin du Moyen Âge, les normes fixées au cours du temps dans les
textes pour les tenues des clercs font de ces vêtements de véritables « uniformes » se
distinguant alors clairement des vêtements civils par leur fidélité à la tradition, alors que la
mode bouleverse considérablement la façon dont les hommes s’habillent.
Ces vêtements sont déjà portés par les anges dans les images chrétiennes avant qu’ils ne
deviennent officiellement sacrés. Il semble qu’ils soient alors adoptés par les clercs en partie
parce qu’ils sont les habits des anges dans les arts. Il ne faudrait alors pas dire que les anges
sont habillés en vêtements liturgiques, mais que les clercs portent les tenues angéliques en les
arrangeant et les enrichissant. Le port de ce type vestimentaire par les anges participe de toute
façon à en conserver la sacralité et à en transmettre les formes sur plus de dix siècles. De plus,
le lien entre les anges et les clercs est clairement affirmé au Moyen Âge.
Les textes apocalyptiques sont à ce titre une référence précise dans la justification de la
naissance d’une iconographie de l’ange-clerc. Les textes du Pseudo-Denys mettent eux en

1596
BUSSAGLI, 1991, p. 162.
371
valeur les analogies entre hiérarchie céleste et hiérarchie terrestre1597. Les rapprochements
entre les différents degrés des hiérarchies sont rendus possibles par le fait qu’ils se
comprennent tous dans leur rapport à Dieu, ces hiérarchies mettent en jeu « una rivelazione di
Dio « calibrata » su ogni essere, sia Uomo o Angelo »1598. À ce titre, anges et clercs ont la
même fonction d’assistants et de serviteurs de Dieu et de guides des hommes. La perfection
angélique est également au centre des réflexions des moines qu’ils conservent comme un
idéal à atteindre dans leur totale soumission et leur contemplation du Bien suprême 1599. À
partir du XIIe siècle, le théâtre liturgique, où les anges sont souvent joués par les diacres,
insiste sur le parallèle entre assistants de Dieu et assistants des cérémonies liturgiques et la
tradition exégétique associe l’office des archanges à celui de prêtres1600.
Ainsi, il n’est pas étonnant de retrouver anges et clercs vêtus de la même façon à la fin du
Moyen Âge. Pour Émile Mâle, l’évolution iconographique qui transforme clairement l’ange
en clerc, a lieu vers 1380 :

« Quand on étudie les miniatures du XIVe siècle, on est étonné de voir, vers 1380, le costume
des anges se modifier soudain. Ils ne portent plus la longue robe blanche du XIIIe siècle […]. Ils
disparaissent maintenant sous de lourdes chapes aux couleurs éclatantes, que ferme une agrafe
d’orfèvrerie ; un mince cercle d’or serre parfois leurs cheveux blonds. On dirait de jeunes
acolytes servant une messe sans fin. »1601

Pourtant, Marco Bussagli reconnait déjà dans l’ange représenté sur la paroi de la XVIIIe
chapelle du couvent de Sant’Apollonio à Bawi’t en Égypte, daté du VIe ou VIIe siècle, un
personnage angélique vêtu d’un vêtement liturgique copte et d’un encensoir. Il reconnait
également des vêtements liturgiques sur la figure de Michel peinte dans la cathédrale de Faras
au début du VIIIe siècle et conservée au Musée national de Varsovie1602. Ce thème est
également présent dans des manuscrits du XIIe siècle et surtout aux derniers siècles du Moyen
Âge où les anges commencent à revêtir l’aube de l’acolyte, la chape et la dalmatique du
célébrant. Leur implication dans le service divin n’est pas nouvelle puisqu’ils portaient déjà
couramment dans les images, des cierges, des encensoirs ou d’autres objets liturgiques et
semblent déjà être des personnages consacrés au service divin, adaptant ensuite leurs
vêtements à cette fonction, au XIVe siècle dans la peinture italienne, et un peu plus tard dans
les autres régions occidentales1603. Ce type vestimentaire n’est pourtant pas le principal dans
l’iconographie angélique italienne de la fin du Moyen Âge et est rapidement abandonné. Il

1597
BUSSAGLI, 1991, p. 165 et D’ONOFRIO, 2000, p. 80.
1598
BUSSAGLI, 1991, p. 160.
1599
Le Concile de Frioul de 796 considérait déjà les moines comme des « anges chevaliers ». À partir du XIIe
siècle, avec la diffusion du monachisme occidental on finit par attribuer aux moines les mêmes fonctions de
médiateurs que les anges. Selon BUSSAGLI, 1991, p. 161.
1600
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 86.
1601
MÂLE, 1949, pp. 66-67.
1602
BUSSAGLI, 1991, p. 162.
1603
En France, les anges en vêtements liturgiques se retrouvent déjà dans le programme sculpté de la cathédrale
de Reims, au XIIIe siècle, mais ces images restent exceptionnelles à cette période.
372
connait un succès plus franc dans l’art flamand du XVe siècle, où les vêtements liturgiques
sont représentés avec beaucoup de finesse, de détail et de réalisme. Jean Delumeau relie
l’appropriation du vestiaire des clercs par les anges dans les images, à ce qu’il appelle
l’« inflation liturgique » qui a lieu, selon lui, dans l’Occident des XIV et XVe siècles 1604.

Ainsi, ce qui distingue dans les représentations de Michel la tenue de « l’ange classique » que
nous venons d’étudier dans la partie précédente, de celle de « l’ange-clerc » que nous allons
étudier dans la partie suivante, est souvent un élément supplémentaire qui insiste sur la qualité
de liturge des anges en général et de Michel en particulier. Il s’agit principalement de l’ajout
d’un accessoire liturgique - l’étole - ou d’un vêtement - la chape - ou d’une attention plus
particulière à la richesse de la décoration brodée et à la qualité de l’étoffe de la dalmatique.

L’étole

Le mot stola désigne une robe longue que les femmes portaient dans l’Antiquité
raccourcie en relevant l’étoffe à la taille au moyen d’une double ceinture. Mais l’étole -
orarium en Orient - est, à la base, un linge à usage profane, généralement un châle léger porté
sur les épaules ou une sorte de mouchoir servant à éponger sueur et larmes, rencontré dans les
textes pour la première fois au IIIe siècle1605. Il est possible que sa forme dérive des clavi1606,
les deux bandes verticales qui garnissaient la dalmatique et qui, rendues indépendantes,
constituent une bande de tissu ornée de petites croix, portée au-dessus des vêtements
liturgiques, depuis que son emploi est devenu sacré en Occident à la fin du VIIe siècle1607. Le
prêtre la laisse pendre de chaque côté du cou alors que le diacre la porte croisée sur le ventre
transversalement et chaque pan est bloqué par la ceinture. C’est de cette manière que la porte
l’archange dans quelques peintures de notre corpus.
Les anges portent l’étole dans les images depuis le VIe siècle. Selon saint Germain patriarche
de Constantinople (715-730), l’étole portée sur l’aube symbolise l’intelligence fine dans la
compréhension du mystère divin1608. Cet ensemble aube / étole est porté par les diacres. Bien
souvent à la fin du Moyen Âge, le diaconat n’est plus qu’une étape avant la prêtrise et il n’y a
presque plus de diacre permanent. Ainsi, les diacres sont souvent jeunes et ce caractère
s’accorde bien au type de l’ange au visage juvénile. Ces deux états, diaconal et angélique,
marquent de plus une fonction similaire de serviteur de l’autel.

Treize peintures de notre corpus représentent Michel portant l’étole, parmi lesquelles, neuf
images l’associent à l’aube. Michel porte sur chacune des épaules, les pans de l’étole, croisés
transversalement sur son torse et coincés dans la ceinture, ce qui donne un certain volume à la

1604
DELUMEAU, 2000, p. 143.
1605
LECLERCQ, 1913, p. 675.
1606
LECLERCQ, t. V, 1, 1913, p. 673.
1607
LECLERCQ, t. V, 1, 1913, p. 675.
1608
BUSSAGLI, 1991, p. 167.
373
tunique. Au XIVe siècle, l’étole est fine, blanche ou dorée, ornée de petites croix sur toute la
longueur de la bande. Au XVe siècle, elle prend volontiers des couleurs plus vives, comme
dans le panneau du Maestro du Pratovecchio où les traditionnelles petites croix n’apparaissent
plus, remplacées par des motifs rouges sur fond blanc. Au cours de ce siècle, l’étole s’affine
encore pour devenir au début XVIe dans la peinture de Marco d’Oggiono une délicate
cordelette dorée se croisant sur l’aube blanche de l’archange.

Maestro di San Martino della Palma, Maestro di Pratovecchio, Les trois Marco d’Oggiono, Saint Michel
Saint Michel (détail), Utrecht, archanges et Tobie (détail), Berlin, (détail), Vérone, Galleria
Catharijnecouvent Museum, peinture Staatliche Museen, peinture sur Menaguale, peinture sur
sur panneaux, 3e ¼ du XIVe. panneaux, années 1440. panneaux, 1e ¼ du XVIe.

Dans cet ensemble, l’aube peut être simple, de couleur unie, ou être parée d’éléments
décoratifs, lui conférant un aspect plus riche et plus précieux. Il s’agit de bandes ou de
panneaux carrés ou trapézoïdales, d’étoffes brodées ou de soie, qui évoquent le tablion
byzantin et qui peuvent être placés sur le torse, au bas de la tunique ou sur les poignets. Dans
la peinture murale de San Ponziano de Spolète, la sobriété de la couleur de l’aube de Michel
contraste avec les zones d’étoffes dorées qui l’ornent. Dans cette même peinture, il faut
remarquer une variante unique dans le port de l’étole : l’un des pans est porté sur l’avant-bras
droit de l’archange, à la manière du pallium. Enfin, l’ensemble aube / étole peut être recouvert
d’une cape qui, comme pour les autres types vestimentaires, évoque les voyages de Michel et
sa mission guerrière. D’ailleurs, malgré sa tenue, l’archange-diacre ne porte pas d’instruments
liturgiques, mais bien toujours les armes, la balance ou le globe. Dans un polyptyque de
l’école de Duccio, Michel est représenté en buste, vêtu d’une aube verte, d’une étole dorée et
d’une cape rouge-rosé attachée par une fibule carrée. Michel présente l’épée à la Vierge.
Malgré ce vêtement de cérémonie liturgique, et grâce à la présence de l’arme, l’archange ne
peut être confondu avec un saint-diacre ou un autre ange. L’étole ne lui empêche pas en tout
cas de combattre et de fouler aux pieds le dragon, comme dans la peinture de Barnaba da
Modena. Au sein du groupe constitué par les peintures de Michel en aube et étole, celle de
Bernardo Zenale, réalisée à la fin du XVe ou au début du XVIe siècle, présente un archange
bien loin du type classique et simple que nous venons de décrire. L’aube est ici une tunique
bleu clair aux manches courtes agrémentées de bandes ornementales dorées et laissant
apparaitre une autre tunique aux manches vert foncé. L’étole est fine, d’un vert clair et en
partie couverte sur les épaules par un col rouge. La tunique est doublement ceinturée à la
mode angélique de cette période, laissant une partie de l’étoffe gonfler au niveau du ventre.

374
Cette image est révélatrice d’une volonté du peintre de conserver les traditions
iconographiques tout en les adaptant aux nouveaux goûts et à la mode contemporaine.

Maestro di Fossa, Saint École de Duccio, Bernaba da Modena, Bernardo Zenale, Saint
Michel (détail), Spolète, Vierge à l’Enfant et Vierge à l’Enfant et Michel (détail), Suisse,
San Ponziano, peinture saints (détail), saints (détail), Savona, collection privée,
murale, milieu du XIVe. Birmingham, Museum San Dalmazio in peinture sur panneaux,
of Art, peinture sur Lavagnola, peinture XIVe-XVe.
panneaux, 1310-1320. sur panneaux, 1376.

Trois peintures proposent un archange portant l’étole sur des vêtements de guerriers.
L’écharpe liturgique est fine et se croise sur le plastron du soldat pour être tenue par une
ceinture qui peut également être celle qui tient le fourreau. Michel est ici clairement le soldat
de Dieu.

Luca di Tommè, Saint Benvenuto di Giovanni, Vierge à Niccolo Rondinelli, Vierge à


Michel (détail), collection l’Enfant et saints (détail), Vescovado l’Enfant et saints (détail), Baltimore,
privée, peinture sur di Murlo, église paroissiale, peinture The Walters Art Gallery, peinture
panneaux, autour de 1350. sur panneaux, 1475. sur panneaux, 1495-1502.

Enfin, l’étole apparait également dans une peinture de Michele Giambono, mais cette fois-ci
non pas portée sur l’aube, mais sur la dalmatique liturgique.

375
La dalmatique liturgique

Notre corpus ne compte que trois images représentant Michel portant une dalmatique
de clerc, toutes peintes dans un espace de temps très limité, de 1429 à 1445. Nous
différencions la dalmatique de clerc de celle précédemment étudiée par le fait qu’elle est
portée sans pallium, colorée, richement décorée et réalisée dans un tissu épais qui donne cet
aspect incomparablement lourd et rigide au vêtement du clerc. Depuis le IVe ou le Ve siècle,
la dalmatique est portée par le diacre, au-dessus de l’aube et de l’étole, et l’évêque la porte
parfois sous leur chasuble, notamment dans les offices pontificaux. La symbolique du
vêtement des premiers chrétiens et sa forme de croix, siéent parfaitement à un vêtement
liturgique. Jusqu’au XIIIe siècle, elle conserve plus ou moins la même forme, puis, aux siècles
suivants, la dalmatique des clercs a tendance à se raccourcir et on lui ajoute des ouvertures
latérales. Elle est de plus en plus riche et au XVe siècle, décorée de broderies en relief,
rembourrées à la cire pour leur donner plus de volume. La décoration de ce vêtement participe
à l’effet d’admiration que devaient susciter les clercs pendant les cérémonies liturgiques1609.

La première peinture figurant Michel vêtu de la dalmatique liturgique est exécutée sur une
paroi de Santa Maria in Piano de Loreto Aprutino, et est unique à bien des égards. Déjà
l’archange apparait assis sur un trône, comme dans seulement quatre images de ce corpus, il
porte une dalmatique rouge, ornée de pièces d’étoffes dorées sur la poitrine, les bras et sur
tous les bords de sa tunique. Les manches sont larges et de larges ouvertures, pratiquées sur
les côtés, laissent entrevoir l’aube blanche portée en-dessous. Michel porte également l’amict,
la « serviette de cou » sous la dalmatique qui sert à remplir le vide entre le cou et le col du
vêtement1610. La précision dans la représentation des détails de ce costume liturgique est
affirmée par la présence d’un élément unique dans tout notre corpus : Michel est tonsuré.
Enfin, le contexte narratif est lui aussi rare puisqu’il met en scène l’archange pesant les âmes
qui viennent de traverser un pont, symbolisant le purgatoire, il a la charge d’estimer si elles
peuvent « passer à l’étape supérieure », le paradis.
Il est étonnant de voir que la deuxième peinture représentant Michel portant la dalmatique du
clerc, celle de Michele Giambono, le présente elle aussi sur un trône. L’étoffe de la tunique
est ici plus fluide mais encore plus richement décorée. Il s’agit d’un tissu de brocart, garni
d’un large col brodé et de bandes décoratives aux manches, agrémenté d’un tablion figuré
représentant un Christ de pitié et un saint. Une fine étole se croise gracieusement sur les
jambes de l’archange. Michel porte encore l’amict entre la tunique et son cou. Le globe qu’il
tient dans la main droite est complété d’un édicule miniature évoquant un reliquaire.
Enfin, le troisième archange à dalmatique liturgique est figuré par Giovanni Angelo
d’Antonio dans une position également rare dans notre corpus, mais pourtant bien différente
du Michel trônant : il est agenouillé. La dalmatique est plus simple. Elle est également
réalisée en brocart mais ne possède que des décorations de soie verte sur les bras, l’encolure,

1609
LEVI PISETZKY, 1964, p.489.
1610
BUSSAGLI, 1991, p. 170.
376
les emmanchures et sur le bord de la fente, une nouvelle fois pratiquée sur le côté de la
tunique et laissant apparaitre une aube blanche.

Anonyme, Jugement dernier Michele Giambono, Saint Michel, Giovanni Angelo d’antonio, Vierge
(détail), Loreto Aprutino, Santa Florence, collection Berenson, à l’Enfant et saints (détail), Rome,
Maria in Piano, peinture murale, peinture sur panneaux, 1430. Museo del Palazzo Venezia,
1429. peinture sur panneaux, 1445.

La représentation de Michel en dalmatique liturgique est ainsi exceptionnelle et apparait dans


des contextes bien particuliers.

La chape

Comme la plupart des vêtements liturgiques, la chape était avant tout un vêtement
d’usage. Elle dérive du manteau semi-circulaire, « pardessus » avec un capuchon, appelé
pluvial, car destiné à lutter contre la pluie1611. Elle est ainsi réalisée dans une étoffe de tissu
serré et épais pour assurer l’imperméabilité. Elle est à l’origine totalement fermée sur l’avant
et possède une capuche. Une évolution du XIe siècle pratique une ouverture sur l’avant, la
chape est désormais tenue fermée par un système de laçage. Son utilisation liturgique
supprime également la capuche1612. La chape chorale désigne le manteau porté par les
communautés vouées au chant pour se protéger du froid. Elle devient ensuite le manteau porté
dans le chœur mais n’est considérée comme un vêtement liturgique officiel qu’au IX e
siècle1613. Pourtant, elle était déjà largement utilisée par les clercs avant cela, comme on peut
l’observer dans une mosaïque de Sant’Apollinare Nuovo du VIe siècle, où le prêtre juif
présentant Jésus à Pilate porte une chape blanche rehaussée d’une bande pourpre et agrafée
par une fibule circulaire.

1611
LECLERCQ et MOMBERT, t. III, 1, 1913, p. 365 et BUSSAGLI, 1991, p. 171.
1612
La chape est réservée aux clercs à partir de 896, TOUATI, 2007 (1e édition 1995), p. 68
1613
LECLERCQ et MOMBERT, t. III, 1, 1913, p. 368.
377
1614

Fig. 84. Le Christ présenté à Pilate (détail), Ravenne, Sant’Apollinare Nuovo, mosaïque, VI e siècle.

Elle est portée au Moyen Âge par les évêques, les prêtres ou les frères mineurs pour les
fonctions solennelles. La vie de saint Martin donne à la chape, ses lettres de noblesses puisque
la sienne est conservée comme relique. Selon Honorius d’Autun, elle est le symbole d’un
comportement saint. Alors que l’Italie privilégie un système de fermeture par crochets
recouverts d’un morceau de tissu carré, en dehors de ce pays, la chape est fermée par une
fibule, appelée également pectorale, qui devient avec le temps un vrai bijou. À la fin du
Moyen Âge, les chapes liturgiques deviennent raides, pesantes et largement ornées de grosses
broderies1615. Dès la fin du XIVe siècle, l’ange se pare dans les images de la chape de
cérémonie, particulièrement dans l’art français et surtout flamand.
Si les termes sont souvent employés comme synonymes, nous nous attachons à distinguer
dans notre corpus, la chape, vêtement liturgique, de la cape, manteau de voyage souvent porté
par l’archange guerrier. Mais leur distinction peut être malaisée, notamment quand la cape est
attachée par une fibule de taille relativement importante. Dans le pinacle du Maestro di San
Martino alla Palma, la simplicité et la légèreté du tissu laissent penser que Michel porte ici
une cape, mais la présence de la fibule et les vêtements de diacres portés dessous, montrent
que Michel revêt une chape. Dans le panneau de Sano di Pietro, Michel est figuré en guerrier,
il porte un plastron et la lorica romana, brandit l’épée et foule aux pieds le dragon. Pourtant,
la cape qu’il porte a reçu un traitement particulier dans la qualité du tissu de brocart rouge et
or et dans la taille de la fibule et laisse penser qu’il s’agit davantage d’une chape que d’une
cape. Pourtant dans celui d’Andrea di Cione, Michel présente également une épée, et il revêt
un plastron et un manteau fixé par une fibule à peu près aussi grosse que celle de Sano di
Pietro. Mais le tissu est léger et de couleurs plus simples. D’autre part, les autres anges figurés
dans ce panneau ne portent pas du tout de vêtement liturgique, et nous pensons que la pièce
d’étoffe de Michel est une cape dans cette peinture.

1614
Image provenant de http://www.linkiesta.it/blogs/neverland-sogni-giochi-realta/se-una-persona-ci-tieni .
1615
LECLERCQ et MOMBERT, t. III, 1, 1913, p. 380.
378
Maestro di San Martino della Palma, Sano di Pietro, Assomption, Andrea di Cione, Crucifixion et
Saint Michel (détail), Utrecht, Crucifixion et saints (détail), anges, New York, Metropolitan
Catharijnecouvent Museum, peinture Sienne, Pinacoteca Nazionale, Museum, peinture sur panneaux,
sur panneaux, 3e ¼ du XIVe. peinture sur panneaux, 1e ½ XVe. 1365.

S’il est parfois difficile de déterminer si le manteau de Michel est une cape ou une chape,
l’analyse des détails de la figure michaélique et du contexte, permet parfois de trancher en
faveur de l’une ou l’autre de ces propositions. Mais la chape n’est pas systématiquement
portée par un archange diacre, et la cape n’est pas réservée non plus au guerrier. L’association
habits de guerrier / chape liturgique n’est d’ailleurs pas si rare dans l’iconographie
occidentale. Nous en retrouvons plusieurs spécimens dans notre corpus. Le premier est réalisé
par Giovanni Canavesio, Michel est vêtu d’un plastron, d’une lorica romana, de genouillère
et d’une lourde et riche chape, réalisée dans un tissu de brocart doré et agrafée par une grande
pectorale dorée et incisée qui ne laissent planer aucun doute sur la qualité de vêtement de
cérémonie liturgique de ce manteau. Malgré le contraste de fonction des différentes pièces qui
constituent l’habillement de Michel dans cette image, le peintre a souhaité ici harmoniser
l’ensemble en utilisant des tons similaires : noir, marron et or. Un autre exemple est un
panneau d’un peintre flamino-italien. Cette fois, le contraste entre l’armure noire et brillante
de Michel, qui lui couvre tout le corps, et la chape de brocart, dorée, recouverte de pierres
précieuses et attachée par une large fibule dorée, est ici prégnant et insiste sur l’ambigüité
d’une figure guerrière mais apte à participer à des cérémonies liturgiques.

Giovanni Canavesio, Pala de Pigna Anonyme flamino-napolitain, Saint Michel


(détail), Pigna, San Michele, peinture (détail), Bari, Pinacoteca Porvinciale,
sur panneaux, 1500. peinture sur panneaux, fin du XVe.

379
Une série de panneaux réalisée par des peintres en contact avec la peinture espagnole - soit
parce qu’ils ont été formés par un Espagnol, soit parce qu’ils travaillaient en Sardaigne, sous
domination espagnole, ou directement en Espagne - représente Michel en guerrier vêtu d’une
chape. Le Maestro di Castelsardo, peintre italien originaire de Catalogne et actif en Sardaigne
et en Corse, a réalisé deux peintures de ce type1616. Celle conservée à Tuili montre l’archange
recouvert d’une armure, d’une cotte de mailles et d’un pourpoint de brocart qui rappelle le
tissu de sa chape, rouge et or, agrafée par une petite fibule dorée. L’archange de Paolo da San
Leocadio, peintre émilien mais ayant fait carrière en Espagne, porte également une armure et
une cotte de mailles, mais sa chape est réalisée dans un tissu uni et plus fluide, rouge et ornée
d’un simple ruban doré. Par contre, la pectorale est de taille supérieure et comporte une
représentation figurée d’un visage1617.

Maestro di Castelsardo, Vierge à l’Enfant, Paolo da San Leocadio, Saint Michel


Crucifixion et saints (détail), Tuili, San Pietro, (détail), Orihuela, Museo diocesano,
peinture sur panneaux, 1498-1500. peinture sur panneaux, autour de 1500.

Cette série italo-espagnole rappelle le succès du type de l’archange portant la chape en dehors
de l’Italie, en Espagne, en France et surtout dans les Flandres. Dans la Péninsule, ces
témoignages restent limités ou reliés à des peintres à l’activité internationale.

Moins d’une peinture sur dix représente Michel vêtu à la manière d’un ange classique,
où il n’est ni un ange-guerrier, ni un archange-byzantin. Notons qu’aucune des formes
décrites ci-dessus ne se démarque quantitativement l’une par rapport à l’autre. Mais, si les
formes de cet habillement angélique évoluent de la simple dalmatique, aux vêtements

1616
La seconde est le retable de Castelsardo, conservé à a cathédrale Sant’Antonio abate, peinture sur panneaux,
1492.
1617
Deux autres peintures sont à rattacher à ce groupe : celle d’un Maître napolitain, suiveur de Bartoloméo
Bermejo, saint Michel, Naples, Museo Nazionale, peinture sur panneaux, 2 e ½ du XVe siècle ; et celle de Pietro
Cavaro, actif en Sardaigne, Vierge à l’Enfant, Crucifixion et saints, Villamar, San Giovanni Battista, peinture sur
panneaux, 1518.

380
bouffants en passant par les vêtements liturgiques, suivant à ce titre les modes d’iconographie
angélique, et si la tenue de guerrier reste largement prédominante dans tout le corpus, Michel
continue d’être représenté sous la forme plus banale d’un ange, d’un bout à l’autre de notre
période, même si, bien sûr, les attributs de l’archange ou les mélanges de types vestimentaires
(comme le guerrier à l’armure portant la chape) permettent à l’ange vêtu ordinairement de se
distinguer de la masse angélique.
Un autre vêtement de cérémonie connaît un succès plus franc dans l’iconographie
michaélique, non plus religieux mais civil : le costume byzantin.

I.3.2. Michel l’archange byzantin

Si le premier type vestimentaire attachait de manière forte Michel au groupe


indifférencié des anges, ce type byzantin est davantage celui des archanges.

I.3.2.1. Saint Michel et le basileus

Dieu est considéré comme le souverain céleste. Les dialogues entre iconographie
christique et iconographie impériale ou royale sont nombreux et, s’ils permettent d’affirmer
les origines divines des pouvoirs terrestres1618, ils montrent également que, comme les grands
de ce monde, le Christ ne se présente jamais seul, mais accompagné de sa cour. Dès le VIe
siècle, l’iconographie abiblique qui se développe sur les parois des premières églises, montre
le Christ au milieu des anges et / ou des saints, qui semblent être les hauts fonctionnaires de la
cour céleste. C’est à ce titre que sont figurés les anges portant les vêtements de cérémonie
dans l’art byzantin, comme saint Michel dès le Haut Moyen Âge. Michel conserve dans
certaines images italiennes du XIIIe siècle, la fonction de membre de la cour impériale, en
apparaissant près du Christ ou de la Vierge en vêtement typique de cérémonie byzantine 1619.
En portant la chlamyde et les armes, Michel et Gabriel constituent également parfois la garde
rapprochée du Christ ou de la Vierge1620. Mais si ce manteau évoque le vestiaire du soldat, il
est plutôt rare dans les peintures de type byzantin de notre corpus 1621. Catherine Jolivet-Lévy
souligne que dans les peintures orientales, les images de l’archange en lôros, et portant le
globe, la lance ou le labarum, n’insistent pas sur la fonction militaire de Michel, et peuvent
même plutôt insister sur sa fonction de guérisseur, s’il est par exemple représenté à proximité

1618
GRABAR, 1936, p. 264.
1619
À titre d’exemple, citons les deux représentations de Michel de l’église rupestre de Mottola, qui se situent à
proximité d’une image du Christ ; à Sasso Caveoso, il se place au côté de la Vierge à l’Enfant, tout comme à
Fossacesia.
1620
BUSSAGLI, 1991, p. 152.
1621
Nous le retrouvons par contre régulièrement porté par l’archange guerrier.
381
de saints médecins comme Cosme et Damien1622. Ce type de l’archange byzantin souligne
plutôt les similitudes entre Michel et l’empereur byzantin.
Nous avons déjà résumé l’avis des spécialistes de l’iconographie byzantine sur la question des
raisons de ces similitudes entre Michel et le basileus1623. Rappelons simplement que les liens
iconographiques entre l’archange et l’empereur ne sont pas un simple moyen de glorifier le
second, mais permettent également de montrer qu’ils partagent la même gloire, la même
fonction de protecteur des peuples et de reproduction du pouvoir de Dieu sur terre, pouvoir
d’ailleurs accordé uniquement par la volonté divine, à laquelle ils sont tous deux entièrement
subordonnés1624. L’autorité michaélique et impériale est basée sur une délégation et une
reproduction du pouvoir suprême de Dieu et surtout sur leur totale subordination, affirmant la
souveraineté du Christ1625. Cour céleste et cour terrestre partagent la même richesse, le même
vestiaire et les mêmes allures pour signifier leur égale soumission à Dieu. Car l’analogie n’est
pas seulement iconographique, mais également formelle1626 : Michel et le basileus portent la
chlamyde et le lôros, mais arborent encore les mêmes attitudes marquées par une raideur, une
immobilité et une frontalité qui les placent dans un univers analogue, immatériel et figé.
Les formules byzantines ne sont pourtant pas aussi sclérosées et figées et souvent le « filtre »
italien adoucit considérablement ses modèles.

I.3.2.2. Le lôros

Saint Michel et le lôros à la fin du Moyen Âge

Le lôros est l’élément principal du type byzantin de Michel à la fin du Moyen Âge. Du
grec λϖρος, et du latin lorum, qui veut dire « bande de cuir », le lôros est une longue écharpe
de cuir ou de tissu, ornée de perles et de pierres précieuses et brodée, qui se plaçait autour du
corps1627. Son agencement est complexe et imite celui de la trabea, toge pourpre brodée d'or
portée par les consuls romains lors des jeux et des triomphes. L’une des faces du lôros
descend de l’épaule droite le long de la poitrine jusqu’aux pieds et remonte jusqu’à l’épaule
gauche. Le morceau qui pend dans le dos est à nouveau rabattu sur le côté droit et retombe sur
la partie basse du bras1628. Il constituait une pièce du vêtement impérial et de celui des
dignitaires byzantins. Il est utilisé déjà au VIe siècle et devient le vêtement typique des
empereurs byzantins au VIIe siècle1629. Au Xe siècle, il se transforme en une sorte d’accessoire

1622
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 196.
1623
Voir à ce propos le chapitre 1. I.2.1.2. Les origines d’une iconographie.
1624
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p.121 ; JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 195.
1625
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p.125.
1626
MAGUIRE, 1989, p. 224.
1627
TOUATI, 2007, p. 193.
1628
BUSSAGLI, 1991, p. 154.
1629
LAMY-LASSALLE, 1968, pp. 189-198.
382
s'enfilant par la tête, mais en conservant le pan porté sur le bras gauche1630. Selon Marco
Bussagli, le lôros symbolise la sépulture et la Résurrection du Christ1631.
L’iconographie impériale pour les anges est adoptée de manière précoce en Orient, dès la
période protobyzantine, pour devenir courante après l’iconoclasme1632. L’exemple le plus
ancien a été réalisé à la fin du VIe siècle dans l’église détruite de la Dormition à Nicée1633 . Ce
type d’images devient fréquent à partir du IXe1634. En Occident, Raphael, Michel, Gabriel et
Uriel portent le lôros sur la mosaïque absidiale de l’église de Cefalù, et c’est également le cas
pour deux archanges, Michel et Uriel, sur la coupole de la chapelle palatine de Palerme et
dans le cylindre de l’abside de Monreale. Dans cette dernière, dont les mosaïques ont été
réalisées en 1180, les archanges portent la chlamyde sur le lôros car les souverains normands
tentaient de reproduire les usages de la cour de Constantinople, référence particulièrement
importante et vivace en Italie1635. Mais ce type n’est pas réservé aux archanges, et nous
retrouvons également les anges en lôros dans le Jugement dernier de Torcello. Ce type est
assez courant dans l’Italie de la fin du XIIe siècle.

Le type byzantin de Michel reste relativement limité sur la période chronologique étudiée,
puisqu’il ne concerne qu’une quarantaine de peintures, tous types de vêtements confondus,
soit moins d’une image sur dix dans l’ensemble de notre corpus1636. Sur quarante-trois
peintures, vingt-cinq sont pourtant réalisées au XIIIe siècle, qui ne comporte que trente-quatre
pièces au total. Il faut donc souligner que près de 75% des peintures du Duecento représentent
Michel en dignitaire de la cour byzantine. Le reste des images de ce type est peinte au XIVe
siècle1637, et une seule en 1405. Ce type n’est plus du tout présent dans notre corpus après
cette date.
La forme courante de l’archange en lôros, peut être illustrée par le saint Michel peint par
Coppo di Marcovaldo au milieu du XIIIe siècle. L’archange est vêtu d’une tunique rosée,
longue, aux manches relativement larges. Le col de la tunique est marqué par des bandes
colorées, et le bas porte un bandeau décoratif brodé de motifs végétaux. Sous cette tunique
principale, se trouve une seconde de couleur sombre, aux manches étroites, resserrées aux
poignets et ornée à ce niveau de pierres précieuses. Le lôros de Michel s’enroule
conventionnellement sur ses épaules et autour de son torse, alors que l’un des pans vient se
poser sur le bras gauche de l’archange tenant un globe orné d’une croix. La bande verticale
d’étoffe qui descend de l’épaule droite de Michel jusqu'à ses pieds, disparait étrangement sous

1630
AUZÉPY 2005.
1631
L’empereur Constantin VII dans son De cerimoniis aulae byzantinae, dit que « selon l’usage, durant le saint
dimanche de Pâques, l’empereur et les généraux et les proconsuls et patriciens portaient le lôros », BUSSAGLI,
1991, p. 154.
1632
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p. 121.
1633
BUSSAGLI, 1991, p. 154.
1634
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p. 123.
1635
BUSSAGLI, 1991, p. 155.
16361636
Le type de l’archange byzantin est présent dans environ 8,5% de l’ensemble des images recensées.
1637
Le type de l’archange byzantin est présent dans dix-sept peintures du XIVe siècle, qui en compte cent-
soixante-quatre au total, soit environ 10%.
383
la bande ornementale inférieure de la tunique. L’écharpe est de la même couleur que la bande
ornementale de la tunique, et décorée de pierres précieuses disposées de manière régulière et
géométrique. Cette image représente un lôros traditionnel, porté de manière simple. Dans
certaines images, l’écharpe s’allonge et fait plusieurs fois le tour du corps de l’archange avant
de remonter sur le bras gauche de Michel, comme dans la peinture murale de Fossacesia. Ce
goût pour l’allongement de la bande d’étoffe et la complexification de son agencement est
marqué à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe. Le lôros peut également être plus ou
moins large selon les peintres : l’anonyme de la grotte de Sasso Caveoso propose une écharpe
large recouvrant presque tout le torse de l’archange, alors que Bonaventura Berlinghieri
représente le lôros sous la forme d’une fine bande ornementale.

Coppo di Marcovaldo, Anonyme, Vierge à Anonyme, Vierge allaitant Bonaventura


Saint Michel (détail), l’Enfant et saints et Michel (détail), Sasso Berlinghieri, Vierge à
San Casciano val di (détail), Fossacesia, Caveoso, Santa Lucia e l’Enfant, Crucifixion et
Pesa, Museo d’Arte San Giovanni in Agata alle Malve, peinture saints (détail), Florence,
Sacra, peinture sur Venere, 4e ¼ du XIIIe. rupestre, années 1250. Offices, peinture sur
panneaux, 1250-1255. panneaux, 1260-1270.

Bien que cela ne soit pas une règle, nous avons remarqué que la tunique qui se trouvait sous le
lôros était bien souvent peinte dans des tons rouges ou rosés. Elle est de toute façon d’une
couleur différente de l’écharpe afin que les teintes de cette dernière puissent apparaitre en
contraste pour plus de lisibilité. Michel peut également être chaussé de bottines rouges qui
rappellent les kampagia, faisant également partie du costume impérial1638.
L’ensemble tunique / lôros peut également être complété par une cape, un pallium ou une
chlamyde. Nous étudierons ce dernier type dans une partie suivante. La cape et le pallium
sont volontiers présents sur les épaules d’une série de saint Michel vêtu en lôros et représenté
en buste. Le panneau de Simone Martini présente un archange en lôros sur une tunique bleu
ciel, portant un pallium mauve sur l’épaule gauche et sous le bras droit, ce qui lui permet de
manier sans entrave l’épée qu’il présente. Le Maestro di San Torpè a opté pour une cape
simplement nouée sur la poitrine de Michel. Une quinzaine de peintures agrémentent ainsi la
tenue de l’archange d’un manteau, ajoutant à la majesté de sa tenue ou insistant sur le rôle de
messager et / ou de guerrier de Michel.

1638
AUZÉPY, 2005, p. 9.
384
Simone Martini, Saints (détail), Cambridge, Maestro di San Torpè, Saint Michel (détail), Pise,
Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319. San Michele in Borgo, peinture murale, 1262.

Sur ces images, comme dans la majorité des Michel de type byzantin de notre corpus, le lôros
n’est plus, comme à l’origine ou dans quelques exceptions comme le panneau de Coppo di
Marcovaldo, une écharpe indépendante simplement enroulée autour du corps : il semble
maintenant totalement fixé sur la tunique de l’archange.

De l’écharpe de cérémonie byzantine à la simple bande ornementale

Nous avons déjà noté qu’une première évolution avait eu lieu au Xe siècle
transformant l’écharpe qui s’enroule, en surplis s'enfilant par la tête. La bande d’étoffe est
cousue pour former une sorte de collier autour du cou par la réunion des deux pans passant
par les épaules, créant une sorte de maniakes - large collet couvert de pierreries - tandis que
les pans restant demeurent mobiles. C’est ce que l’on retrouve sur la paroi gauche de la
lunette droite de la crypte de Santa Maria d’Anagni autour de 1250 ou dans le polyptyque de
Giotto de 1332-1334. Dans ce dernier, la partie supérieure du lôros de Michel est bien
constituée d’une seule pièce qui semble faire le tour de son cou, mais elle retombe en pans
indépendants de la tunique, comme l’attestent la partie qui ondule et qui revient sur le bras
gauche, et le pan vertical qui, ceinturé par le pan horizontal, se relève pour créer un bec de
tissu au niveau du ventre de Michel. On comprend cependant assez mal comment est fixé le
pan servant à ceinturer la tunique au reste du lôros (sûrement symétriquement au pan vertical
avant, mais dans le dos de Michel).

385
Maestro delle Traslazioni, Saint Michel, Giotto, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Bologne,
Anagni, Santa Maria, peinture murale, autour de Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1332-1334.
1250.

Entre la fin du XIIIe siècle, et le milieu du XIVe, plusieurs images en buste de Michel au lôros
sont créées, fait remarquable puisque l’archange est principalement représenté en pied dans
notre corpus1639. Dans ces peintures, la partie inférieure du corps de Michel n’est pas
représentée, et les bandes d’étoffes qui se détachaient encore de la tunique, qui se croisaient et
s’entrecroisaient, ne sont plus visibles. N’apparait alors que le col circulaire, le pan vertical,
voire un pan horizontal qui ressemble davantage à une ceinture, et ils ont désormais l’air
totalement plaqués aux vêtements de Michel. C’est le cas dans le polyptyque de Simone
Martini, mais également en 1263 dans la peinture murale de Bominaco. L’écharpe impériale
byzantine ressemble davantage à des bandes ornementales directement cousues sur la tunique
de l’archange. De même le pan qui revenait sur le bras gauche de Michel n’est plus figuré. Cet
effet est accentué par la présence courante du manteau que nous avons déjà évoqué, et qui
cache un peu plus le lôros de l’archange en buste, comme dans le panneau du Maestro di
Chianciano, où seul le « T » dessiné par la partie supérieure du lôros est encore visible sous le
drapé de Michel.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà (détail), Maestro di Chianciano, Vierge à l’Enfant et saints (détail),
Bominaco, San Pellegrino, peinture murale, 1263. Chianciano, Museo della Collegiata, peinture sur panneaux,
2e ¼ du XIVe.

1639
Neuf peintures entre 1263 et 1366 représentent Michel au lôros en buste. Les trois premières de 1263 à 1280
sont des peintures murales en contexte de Jugement dernier ou de représentation de l’au-delà, sur le modèle de
Bominaco, où Michel au lôros pèse les âmes et la partie inférieure de son corps est cachée par un pan vertical
ornemental. Les six autres sont des bustes qui apparaissent dans des polyptyques, sur le modèle de celui de
Simone Martini de 1319, où Michel porte le lôros et un manteau et présente son arme et parfois un autre attribut
(une balance pour le peintre siennois).
386
Si le Michel de type byzantin retrouve ses jambes, puisque plusieurs images le représentent en
pied dans le deuxième quart du XIVe siècle, son écharpe impériale ne retrouve pas sa forme
originelle. La peinture de Giotto de 1332-1334, fut la dernière à présenter un lôros / écharpe
aux pans mobiles. Le modèle qui est ensuite adopté, que l’on retrouve dans le panneau de
Francesco Traini autour de 1350, est celui de la bande ornementale fixée directement sur la
tunique, entourant l’encolure, puis descendant verticalement au milieu du corps, jusqu’en bas
de la tunique, entrecoupée de deux bandes horizontales : la ceinture et la base inférieure de la
robe. La complexe mise en œuvre de l’écharpe a disparu au profit d’une décoration simplifiée
et bichromique de la tunique. Le raccourcissement de la tunique participe également à une
possible confusion de ce nouveau lôros avec de simples cottes décorées à la mode à cette
période. La différence est mince avec le saint Michel d’un médaillon peint par Tomaso da
Modena, où l’archange porte une tunique avec bandes décoratives entourant le col, les
poignets et descendant verticalement sur son torse. Mais l’échancrure de l’encolure et
l’ajustement serré de la cotte, sont loin de participer à la grandeur et au sérieux voulus par le
type byzantin des origines et même du XIIIe siècle. Le contraste est saisissant entre la figure
désincarnée à la silhouette perdue sous de lourds drapés surchargés de pierreries, qui ne
pouvait, comme le précise Jeanne Vilette, « se permettre les mouvements souples de la
vie »1640, et ces archanges aux vêtements allégés, raccourcis et ajustés, laissant apparaitre les
formes du corps, et permettant de s’adonner sans entrave aux gestes du combat.

Francesco Traini, Saint Michel (détail), Lucques, Tomaso da Modena, Saint Michel (détail),
Museo Nazionale di Villa Guinigi, peinture sur Trévise Museo Civico Luigi Bailo, peinture
panneaux, autour de 1350. murale déposée, 1355-1366.

Pina Belli D’Elia souligne que, dans certaines peintures du XIIIe siècle, le lôros n’a déjà plus
grand-chose à voir avec la tradition de la cour byzantine1641. Le symbolisme et l’utilisation
même de cette écharpe aux origines lointaines ont été oubliés. Si la grandeur et la solennité de
l’écharpe orientale avaient été conservées jusqu’à l’image de Giotto, seuls la richesse et le
caractère ornemental sont utilisés à partir de la quatrième décennie du XIVe siècle.

1640
VILETTE, 1940, p. 182.
1641
BELLI D’ELIA, 2011, p. 229.
387
En dehors des limites de notre corpus, nous avons trouvé une peinture murale qui prouve que
même en plein XVIe siècle, des réminiscences de la pièce du costume impérial sont encore
décelables dans l’iconographie michaélique. Même plaquée sur la tunique, la bande dorée qui
orne la tunique de Michel est large et agrémentée de pierres précieuses, comme c’était encore
le cas au XIIIe siècle.

1642

Fig. 85. Jacobino Longo, Saint Michel, fragment de fresque de


l’église San Giovanni Battista de Villafranca Piemonte, vers 1540

Le lôros est l’élément le plus courant et le plus visible du type byzantin de saint Michel, mais
il n’est pas le seul.

I.3.2.3. Les autres éléments de type byzantin

La chlamyde

La chlamyde est le vêtement d’apparat par excellence de l’empereur byzantin, qu’il


revêt lors de son couronnement et sur son lit de mort1643. Elle est constituée d’un morceau de
tissu de forme quadrangulaire, ayant trois côté droits et un quatrième arrondi, accroché sur
l’épaule grâce à une fibule ou un nœud1644. On peut la laisser flotter pour qu’elle tombe droite
autour du corps, parfois légèrement entrouverte, ou la ramener sur le dos, sur la poitrine ou
sur un des côtés.
Elle est à l’origine portée par les soldats de la Grèce classique qui l’ont peut-être empruntée
aux Macédoniens et est ensuite adoptée par les civils qui la trouvent plus pratique que le
pallium. Elle remporte ainsi un vif succès auprès de la gente masculine active. Elle ne connait
pourtant pas un succès immédiat auprès des romains, mais sa similitude avec le manteau
militaire, le sagum, fait que la chlamyde s’insinue doucement dans les habitudes
vestimentaires romaines pour devenir une pièce caractéristique du vestiaire du soldat. À la fin
1642
Image provenant du site de la commune de Villafranca Piemonte :
http://www.comune.villafrancapiemonte.to.it/showfoto.asp?file=s_giovanni10%2Ejpg .
1643
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 198.
1644
Le résumé des origines et du développement de ce vêtement est issu de la notice d’Henri LECLERC,
« Chlamyde », dans Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, Paris, t. III, 1, 1913, p. 1402.
388
de la République, elle est plus légère, faite de lin plutôt que de laine, puis devient un objet
luxueux. À partir du IVe siècle, elle peut descendre jusqu’au mollet et apparaitre strictement
rectangulaire par l’abandon de son côté curviligne. Dans les images, la chlamyde est portée
par les soldats, les empereurs ou les personnes appartenant à l’administration impériale. C’est
ainsi qu’elle fut adoptée par les empereurs à Ravenne. Elle est, au même titre que la couronne,
un insigne reçu par l’empereur au moment de son sacre1645. La chlamyde impériale est
souvent ornée du tablion (grec) ou de la tabula (romain), morceau d’étoffe quadrangulaire
porté sur le devant du manteau au niveau de la poitrine, doré sur la chlamyde pourpre
impériale et pourpre sur la chlamyde blanche des dignitaires de la cour1646.

La chlamyde est apparue précocement dans l’iconographie byzantine de Michel1647, mais est
très vite éclipsée par le succès du lôros, davantage utilisé que le manteau pour souligner la
majesté de l’archange du type byzantin en Italie, mais également sur les terres orientales 1648.
La chlamyde est pourtant portée soixante-dix-sept fois dans notre corpus, mais uniquement
quatre fois par l’archange byzantin, alors que le guerrier ailé l’utilise régulièrement comme
manteau.
Les quatre peintures de Michel de type byzantin portant la chlamyde, le présentent vêtu d’une
tunique plus ou moins courte, entre le genou et la cheville, laissant apparaitre les chausses
rouges. La première est réalisée par un peintre italo-byzantin à la fin du XIIIe siècle. Michel
est en pied, en position frontale, il porte une tunique courte bleutée, ceinturée et ornée de
bandes d’étoffes dorées. Peut-être s’agit-il du divitision ? Au-dessus, un manteau pourpre tenu
sur l’épaule gauche par une petite fibule, est bien une chlamyde, similaire à celle portée par
l’empereur Justinien dans la mosaïque de San Vitale de Ravenne en 547, sans le tablion. Les
origines byzantines du peintre sont évidentes et cette figure michaélique est une exception
dans notre corpus. La peinture murale d’un assistant de Cavallini à Naples et celle d’un
anonyme de l’église de la Maddalena d’Alatri, présentent l’archange vêtu d’une tunique
clavée et ceinturée, qui pourrait être une évocation du lôros. L’ensemble des vêtements portés
ici par Michel semble une version simplifiée et adoucie du fastueux costume byzantin, le
manteau serait alors bien une référence à la chlamyde impériale, plus qu’à un manteau de
soldat. Enfin, le dernier exemple est une peinture de Jacopo da Verona, où Michel est vêtu
d’une tunique qui porte des morceaux d’étoffes décoratifs sur la poitrine et la jupe. Ces
éléments évoquent le tablion byzantin. De plus, l’absence de référence à la fonction guerrière
de l’archange dans cette image et la couleur de la chlamyde, nous laissent penser que nous
sommes ici devant un archange de type byzantin.

1645
AUZÉPY, 2005.
1646
LEVI PISETZKY, 1964, p. 29.
1647
Voir chapitre 2, I.2.1.2.3. Le type de l’empereur byzantin ; chapitre 2, I.2.2.5.1. Prépondérance de la figure
byzantine de Michel en Italie (XIe - XIIe) et chapitre 2, I.2.2.5.2. Un type byzantin « italianisé ».
1648
Comme en attestent les exemples décrits par Catherine JOLIVET-LÉVY, 1991.
389
Anonyme italo- Assistant de Cavallini, Anonyme, Saint Jacopo da Verona,
byzantin, Saint Michel Apocalypse (détail), Michel (détail), Saint Michel
(détail), Pise, Museo Naples, Santa Maria di Alatri, église della (détail), Padoue,
Nazionale di San Donnaregina, peinture Maddalena, peinture San Michele,
Matteo, peinture sur murale, 1e ¼ du XIVe. murale, XIVe-XVe. peinture murale,
panneaux, fin XIIIe. 1397.

Hormis la première de ces quatre peintures, il faut admettre que la référence à l’iconographie
byzantine reste discrète et que la chlamyde n’est pas, dans la peinture italienne de la fin du
Moyen Âge, le vêtement caractéristique du type byzantin de saint Michel.

Les attributs de l’archange byzantin

D’autres éléments peuvent compléter ou préciser le type byzantin de Michel. Nous


avons déjà parlé des chausses rouges, sortes de kampagia impériales. Il faut noter également
que le diadème lié par deux rubans voletant derrière la tête, les taeniae1649, a également des
origines orientales. Mario d’Onofrio souligne son succès en Italie et note qu’il est un dérivé
de la kosti sassanide, ceinture sacrée dont les bouts flottent dans l’air, puis simples bouts de
rubans que le roi attache à sa coiffure ou sur ses animaux, il est signe de royauté et devient
celui de la condition angélique dans l’art byzantin1650.
Michel porte également des objets lorsqu’il apparait en vêtements byzantins. Les plus
courants sont la lance et le globe, placés respectivement dans la main droite et dans la gauche.
Sur les quarante-trois peintures de type byzantin, vingt-deux présentent Michel vêtu du lôros
et portant la lance (ou le bâton ou l’étendard) et le globe. Il faut ajouter à ce groupe les
variantes du type où l’un ou l’autre des attributs principaux n’est pas présent, et les images où
la lance est remplacée par l’épée. Le globe est un insigne de pouvoir des souverains
byzantins, tout comme l’étendard. Les armes soulignent bien évidemment le caractère guerrier
de l’archange et sa mission de combattant du mal. Le mal est d’ailleurs souvent représenté à
ses pieds, sous la forme d’un dragon qu’il transperce de la lance et qu’il foule aux pieds1651.

1649
Voir partie chapitre 2, II.2.2.4.1. Les ornements de la tête.
1650
D’ONOFRIO, 2000, p. 81.
1651
Le dragon apparait dans dix-huit peintures de Michel au lôros, portant la lance et le globe.
390
En France et en Catalogne, le type byzantin de Michel portant le lôros est régulièrement
représenté transperçant le dragon et portant la balance. Mais cette association est plus rare en
Italie, comme le souligne Pina Belli d’Elia qui précise que c’est une spécificité
iconographique de la peinture rupestre avant le XIVe siècle1652. Dans notre corpus, nous
possédons huit peintures associant lôros et balance, souvent accompagnés d’une arme, mais
aucune dans les églises rupestres. Quatre d’entre elles figurent Michel dans un contexte de
Jugement dernier ou de l’au-delà, comme dans la peinture de Bominaco, où Michel, vêtu
d’une tunique et d’un lôros, porte la balance et le globe1653. Les quatre autres, sont des images
de Michel en pied, comme dans le panneau italo-byzantin que nous venons d’étudier à propos
de la chlamyde, ou dans le polyptyque de Simone Martini1654 : l’archange présente son épée et
la balance, qui d’ailleurs sort légèrement du cadre de la peinture.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà (détail), Simone Martini, Saints (détail), Cambridge,
Bominaco, San Pellegrino, peinture murale, 1263. Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319.

Dans les images de ce type, ce n’est pas au dragon que Michel a affaire, mais à de petits
démons qui montent parfois sur les plateaux de la balance, mais qui n’ont pas l’air de
l’inquiéter réellement. La fonction de peseur d’âme n’est pas la fonction principale assumée
par l’archange byzantin, même si cette iconographie de Michel au lôros, portant l’arme, la
balance et combattant le mal, semble résumer parfaitement toutes les fonctions de l’archange.

Un type de vêtement, des attitudes, des styles

Le type byzantin de Michel ne se limite pas à des emprunts de signes iconographiques


aux empereurs d’Orient, constitués de vêtements ou d’attributs, mais il influence également
bien souvent la position de Michel, les traits de son visage, en un mot, les formes qui le
constituent. Une des grandes caractéristiques de ce type est la frontalité. Les exemples de

1652
BELLI D’ELIA, 2011, p. 229.
1653
Les trois autres peintures, sont celles de Fossa, Santa Maria ad Cryptas, peinture murale, 1263-1283 ; de
Castel Castagna, Santa Maria in Ronzano, peinture murale, autour de 1280 ; et de Bergame, Santa Maria
Maggiore, peinture murale, fin du XIIIe.
1654
Les deux autres peintures sont celles de Tomaso da Modena, saint Michel, Trévise, Museo Civico Luigi
Bailo, peinture murale déposée, 1355-1366 ; et d’un anonyme, saint Michel, Arcè di Pescantina, San Michele,
peinture murale, XIVe.
391
Mottola et de L’Aquila sont révélateurs du statisme et du hiératisme qui caractérisent la figure
de Michel au début du XIIIe siècle. La symétrie parfaite de sa tête, de son corps et de ses pieds
est seulement légèrement troublée par un léger décalage des deux bras, dont la position est
dépendante de la nature des deux attributs portés dans chacune des mains de Michel. Les traits
de son visage sont dessinés par un cerne noir courant dans l’art byzantin, le visage est lui-
même symétrique et sans expression, ce qui traduit le grand sérieux de la figure
archangélique.

Anonyme, Saint Michel et détail, Mottola, San Anonyme, Vierge à l’Enfant et saints (détail),
Nicola a Casalrotto, peinture murale, XI-XIIIe. L’Aquila, Museo Nazionale d’Abruzzo, peinture
murale déposée, 1es décennies du XIIIe.

Mais au XIIIe siècle, la peinture italienne adoucit déjà volontiers la stricte rigidité des
positions des saints en général, et de Michel en particulier, ange en mouvement par
excellence. La position générale de l’archange peut être légèrement inclinée en direction de la
divinité pour mieux l’accompagner avec les autres saints. C’est le cas par exemple de la
peinture murale de Fossacesia datant du quatrième quart du XIIIe siècle qui présente Michel
tourné vers la Vierge à l’Enfant, tendant la main gauche vers le couple divin et inclinant
délicatement la tête en signe de respect. Mais c’est surtout la présence du dragon qui engendre
un combat ou au moins un mouvement de domination, et ne peut laisser l’archange sans
mouvement. À la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle, l’archange au lôros de Mottola se
tourne dynamiquement vers la tête du dragon qu’il veut transpercer de sa lance. La position de
trois-quarts est couramment adoptée pour Michel qui combat le mal, même si sa tenue de
cérémonie byzantine ne semble pas spécialement adaptée aux mouvements de lutte.
L’archange, sans quitter sa position frontale, peut également adopter un mouvement ample
qui rompt avec la monotonie de la position frontale, comme dans le petit triptyque du Maestro
de Santa Cecilia.

392
Anonyme, Vierge à l’Enfant et Anonyme, Saint Michel, Mottola, Maestro di Santa Cecilia, Vierge à
saints (détail), Fossacesia, San San Nicola a Cassalrotto, peinture l’Enfant, Crucifixion et saints (détail),
Giovanni in Venere, 4e ¼ du XIIIe. murale, fin XIIe-XIII. Détroit, Museum Institute of Arts,
peinture sur panneaux, 2e ½ XIVe.

Malgré les origines de ce type et les raisons qui ont poussé les peintres et mosaïstes à
représenter Michel vêtu d’un lôros, il faut insister sur le fait qu’aux derniers siècles du Moyen
Âge, ce lien entre iconographie archangélique et iconographie impériale n’est certainement ni
perçu par l’ensemble de ceux qui regardaient ces images, ni également par ceux qui les
créaient1655. Cet aspect est particulièrement lisible dans l’évolution de la représentation du
lôros, qui n’a, à partir du deuxième quart du Duecento, plus grand-chose à voir avec la pièce
du costume impérial. L’accent est mis sur la dignité, l’aspect solennel, la rigidité du
personnage car, comme précisé par Maguire, c’est un type iconographique qui s’accompagne
de formes particulières, insistant sur la grandeur et l’inaccessibilité du personnage représenté,
et, si ces éléments ne sont plus en lien direct avec les images du basileus pour les fidèles de la
fin du Moyen Âge, ils restent effectifs en eux-mêmes à travers le type iconographique et
stylistique de l’archange byzantin au moins jusqu’au milieu du XIIIe siècle. À partir de ce
moment, le type byzantin, avant tout déterminé par les vêtements portés par l’archange, ne
fige plus pour autant la figure michaélique dans un « style » particulier. À la fin de la période
médiévale, le mouvement et les positions plus naturelles, ne sont pas réservés à l’archange
vêtu en guerrier, pas plus que le modelé et un rendu plus sensible du corps. Mais la rigidité de
cette formule, la perte de la symbolique initiale du costume et l’évolution des goûts pour les
vêtements contemporains, ont eu raison de ce type iconographique, qui reste dans notre
corpus, le type du XIIIe siècle.

1655
Cyril MANGO insiste sur le fait que déjà au Haut Moyen Âge, les contemporains des créateurs des images
de Michel en lôros, n’avaient certainement pas connaissance de ce que représentait ce costume, dans « St
Michael and Attis », dans Deltion of the Christian Archaelogical Society, série 4 : The centenary of Christian
Archaeological Society (1884-1984), 1986, pp. 39-62.
393
I.3.3. Michel guerrier

Les fonctions guerrières des anges sont d’origines bibliques1656. Dans la Bible, les
anges sont les soldats de l’armée céleste et Michel est à leur tête 1657. Ils sont ainsi représentés
de manière précoce, dans l’art paléochrétien, les armes à la main1658. Les ordres des
Principautés, des Puissances et des Vertus peuvent également être figurés armés1659. Mais
l’ange en arme par excellence reste bien évidemment Michel. L’art ravennate le présente
portant une chlamyde, manteau du soldat, ou présentant des attributs de guerrier (arme ou
labarum), premiers éléments qui figurent sa mission martiale1660. La figure de Michel passe
ensuite d’un archange armé à un véritable soldat ailé et endosse les tenues complètes des
militaires1661, comme à Civate San Pietro al Monte, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle
où il porte une armure et une tunique courte évoquant une cotte de mailles. Parmi les nuées
célestes, Michel fournit le modèle du type de l’ange guerrier.

I.3.3.1. Les trois types de l’archange guerrier

Les peintures de Michel vêtu à la manière d’un soldat constituent une écrasante
majorité dans notre corpus. Plus de quatre-cents images appartiennent à ce groupe, sans
compter les figures de Michel vêtu en ange classique ou en archange byzantin qui portent des
armes, soit 80% de l’ensemble des peintures répertoriées. Si plusieurs éléments se retrouvent
régulièrement dans toutes ces images, ce groupe ne propose pourtant pas une iconographie
uniforme et nous avons pu identifier trois catégories à partir des types de vêtements portés : la
tenue du soldat romain ; celle caractérisée par le port d’une tunique courte ; et l’armure
médiévale. Ces trois catégories sont loin d’être imperméables et se contaminent mutuellement
tout au long de la période étudiée. Les vêtements de guerriers sont constitués d’éléments
relativement limités, utilisés séparément ou associés ensemble à différents degrés, pouvant
figurer un soldat romain aux jambes protégées de genouillères médiévales, ou un archange
soldat dont la forme de la tunique rappelle étrangement l’ensemble plastron / ptéryges romain.

1656
Principalement dans Samuel 1, 3, 11 ; Salmi 23-24, 10 ; Germania 7, 3 et 9, 6 ; Isaïe 1, 9 et 3, 4 ; selon
D’ONOFRIO, 2000, p. 80.
1657
Voir à ce propos chapitre 1. II.1. Saint Michel et les anges dans la Bible et les Apocryphes.
1658
Voir à ce propos chapitre 1. III.1.3.1. Les premiers témoignages dans l’art paléochrétien.
1659
D’ONOFRIO, 2000, p. 80.
1660
Voir à ce propos chapitre 1. III. 2.1.2. Les premiers témoignages occidentaux.
1661
Voir à ce propos chapitre 1. III.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal.
394
Un élément commun : le manteau du guerrier

Parmi les éléments qui peuvent apparaitre dans les trois catégories et qui désignent
particulièrement bien la nature guerrière de Michel, se trouve le manteau, le Paludamentum,
qui apparait sur l’archange principalement sous la forme d’une chlamyde, d’une cape, voire
d’un simple drapé à la fin de notre période.
Environ la moitié des représentations du guerrier ailé a sur les épaules un manteau 1662.
D’ailleurs, la première référence iconographique à la qualité de soldat de Michel, est la
présence de la chlamyde, dans la mosaïque de San’Apollinare in Classe de Ravenne au VIe
siècle1663. C’est encore la chlamyde qu’il porte dans l’ivoire carolingien de Leipzig, au
moment où se précise son image d’archange combattant le dragon 1664. Nous avons déjà défini
les origines de ce manteau militaire dans la partie précédente sur le type de l’archange
byzantin1665, précisons simplement que la chlamyde est le manteau porté par les généraux
sous la République romaine, puis par les empereurs, et devient alors, lorsqu’il est pourpre,
insigne du pouvoir suprême en campagne militaire. Il est également à ce titre le manteau porté
dans les représentations de Mars. Dans environ soixante-dix peintures de notre corpus, Michel
porte la chlamyde sur un vêtement militaire.
Le manteau que porte Michel dans plus de cent peintures de notre corpus1666, fixé non plus sur
l’épaule mais sur la poitrine de l’archange, est désigné dans ce travail comme cape. Ce terme
nous semble plus adapté que la pénule, pænula, ou la cuculle, qui comportent un capuchon.
La cape, de même racine que chape, désigne davantage un vêtement de dessus ample et
sans manches attaché sur le devant. Elle est par contre de forme plus ample et courte et
d’étoffe plus chaude que la chlamyde. Pourtant, dans le cas de l’iconographie michaélique, ce
que nous nommons cape ne semble pas se distinguer particulièrement de la chlamyde, si ce
n’est par l’endroit où se rejoignent les deux pans de tissus, l’un sur l’épaule et l’autre sur la
poitrine. De plus, les étoffes, les couleurs, les systèmes d’accroches, sont les mêmes dans les
deux types de manteaux. Ces similitudes formelles conduisent d’ailleurs à quelques difficultés
de distinction de l’un ou l’autre des manteaux dans le cas où l’attache ne se trouve ni
clairement sur le côté, ni clairement devant. Il est également possible de leur attribuer la
même fonction symbolique dans l’image : un manteau qui insiste sur la qualité de voyageur
de Michel entre ciel et terre, sa fonction de messager et de soldat en campagne.

Le manteau est peu présent au Duecento, seulement six représentations, ce qui s’explique par
le développement limité du type de l’archange guerrier au XIIIe siècle, qui privilégie
l’archange byzantin au lôros. Il est ensuite présent régulièrement de 1300 à 1518. Selon la
position de Michel où l’action qu’il exécute, le manteau peut couvrir une partie des bras ou
être totalement rejeté sur l’arrière. En général, le bras droit est libre alors que le gauche est

1662
Sur les 401 peintures de ce type, 188 figurent le manteau, soit environ 47%.
1663
Voir à ce propos Chapitre 1. III.2.1.2.3. Les premiers témoignages occidentaux.
1664
Voir à ce propos chapitre 1. III.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal.
1665
Chapitre 2. I.3.2.2.1. Les autres éléments de type byzantin.
1666
Nous en avons recensé 116.
395
couvert ou retient un pan du manteau. La longueur de la chlamyde et de la cape est variable.
Nous en retrouvons de très courtes, comme dans la peinture de Lorenzo di Alessandro où la
chlamyde bicolore de Michel se termine en haut de ses cuisses. Notons qu’ici le format du
panneau peut avoir encouragé le peintre à raccourcir le manteau pour qu’il ne soit pas coupé
par le cadre. Il peut également descendre jusqu’aux pieds, comme dans l’huile sur bois de
Domenico Ghirlandaio. En règle générale, le drapé se trouve à un niveau intermédiaire, au
niveau des mollets, entre les genoux et les chevilles. Il a tendance à se raccourcir à la fin de
notre période, notamment pour les archanges vêtus de l’armure.

Lorenzo di Alessandro, Vierge à l’Enfant, Christ Domenico Ghirlandio, Vierge à l’Enfant en gloire et
de pitié et saints (détail), Serrapetrona, San saints (détail), Munich, Alte Pinakothek, huile sur
Francesco, peinture sur panneaux, 1496. bois, 1494.

La couleur la plus couramment utilisée pour la cape et la chlamyde est le rouge, allant du rose
pâle au pourpre. Cette couleur rappelle bien sûr l’usage romain militaire de ce manteau. Mais
il peut également prendre une ou plusieurs autres couleurs. Car s’il est généralement sans
motif et uni, le manteau de Michel possède parfois une couleur différente à l’intérieur, comme
nous pouvons l’observer ci-dessus dans la peinture de Lorenzo di Alessandro où sa chlamyde
est blanche sur la face visible et doublée d’une étoffe verte à l’intérieur. Les teintes sont
variées : le bleu et le vert sont relativement courants, visibles par exemple dans la peinture
murale de Pietro Cavallini, ainsi que le blanc, évocation de la pureté angélique de Michel ; le
jaune doré peut également être employé, par Neri di Bicci ou d’autres peintres.

Pietro Cavallini, Jugement dernier Puccio Capanna, Vierge à l’Enfant et Neri di Bicci, Vierge de
(détail), Rome, Santa Cecilia in saints (détail), Assise, Santa Chiara, Miséricorde et saints (détail),
Trastevere, peinture murale, 1293. peinture murale, 1330-1340. Arezzo, Pinacoteca Comunale,
peinture sur panneaux, 1456.

396
Les motifs tissés ou brocardés ne sont quasiment pas utilisés dans les étoffes de la chlamyde
ou de la cape, comme cela est régulièrement le cas pour la chape. Seules quatre peintures
représentent un manteau orné sur toute sa surface de motifs ornementaux, dont l’exemple le
plus riche est certainement celui peint par Angelo Puccinelli1667 : la cape de l’archange est
réalisée dans une soie mauve, ornée de multiples motifs floraux dorés qui confèrent à
l’ensemble de ce drapé une brillance et une richesse inégalées. Un autre type d’ornementation
du manteau est plus courante dans notre corpus. Il s’agit d’un bandeau doré ou brodé sur le
pourtour du vêtement ou autour du cou, tel qu’on le retrouve sur la cape du Michel peint par
Taddeo di Bartolo en 1413 : la bande dorée contraste avec le tissu uni et rouge de la cape, en
lui conférant une plus grande préciosité. Enfin, si le tissu du manteau est généralement léger
et fluide, quelques exemples proposent des étoffes plus luxueuses, comme celle dont est faite
la chlamyde peinte par Neri di Bicci en 14711668, doublée en fourrure blanche, probablement
en hermine. Sandro Botticelli propose quant à lui une chlamyde qui n’a plus grand-chose à
voir avec le manteau antique : un drapé transparent, presque invisible, est noué sur l’épaule de
l’archange et ne cache rien de l’armure sombre qu’il porte en dessous. Elle permet
essentiellement de rappeler le motif de la chlamyde tout en ajoutant une souplesse et une
légèreté dans la représentation stricte et rigide des vêtements de fer.

Angelo Puccinelli, Saint Taddeo di Bartolo, Neri di Bicci, Les trois Sandro Botticelli,
Michel et saints (détail), Couronnement de la Vierge archanges et Tobie Vierge à l’Enfant et
Sienne, Pinacoteca et saints (détail), Urbin, (détail), Détroit, Institute saints (détail),
Nazionale, peinture sur Galleria Nazionale, peinture of Arts, peinture sur Florence, Offices,
panneaux, 1379. sur panneaux, autour de panneaux, 1471. peinture sur panneaux,
1413. 1488-1490.

Dans les images étudiées, les manteaux peuvent être maintenus de diverses manières. La
fibule est relativement discrète dans notre corpus, notamment sur la chlamyde. Le Jugement
dernier de Pietro Cavallini prouve que, même lorsqu’elle est adoptée pour tenir les deux pans
du manteau de l’archange, ses dimensions restent modestes. La fibule est un peu plus courante

1667
Les autres peintures sont un panneau de Buonamico Buffalmacco conservé au Museo Statale di Arte
Medievale e Moderna, 3e décennie du XIVe siècle ; une peinture murale du même peintre représentant Michel
dans la scène du Jugement dernier de Pise, Camposanto, 1332-1342 ; et une prédelle de Taddeo di Bartolo peinte
en 1389 et conservée au Museum of Art de Philadelphia.
1668
Notons que ce type n’est pas réservé à la chlamyde, nous pouvons citer à titre d’exemple la peinture du
Maestro di Barberino dans la seconde partie du XIVe siècle, conservée dans une collection privée, dont la cape
est également doublée de fourrure.
397
pour tenir la cape fermée, mais là encore, ses dimensions restent limitées et sa décoration
simple. Celle peinte par Buonamico Buffalmacco dans le panneau du musée d’Arezzo est
circulaire, dorée et ornée d’un motif d’étoile.
Le nœud est plus souvent employé, que ce soit sur l’épaule pour la chlamyde, comme dans le
panneau de Giovanni del Ponte, ou sur la poitrine pour la cape, comme dans la peinture
d’Andrea di Bartolo.

Pietro Cavallini, Jugement Buonamico Buffalmacco, Giovanni del Ponte, Andrea di Bartolo, Saint
dernier (détail), Rome, Saint Michel (détail), Assomption de saint Jean Michel (détail), Sienne,
Santa Cecilia in Trastevere, Arezzo, Museo Statale di l’Évangéliste et saints Pinacoteca Nazionale,
peinture murale, 1293. Arte Medievale e Moderna, (détail), Londres, National peinture sur panneaux,
peinture murale, 3e Gallery, peinture sur 1410.
décennie du XIVe. panneaux, 1420-1424.

Bien souvent, le système d’attache est invisible, soit parce qu’il est rabattu à l’arrière de
l’épaule droite de Michel dans le cas des chlamydes, soit parce que les deux pans du manteau
semblent être cousus ensemble pour garder le manteau bien fermé et en place. Il semblerait
dans ce cas, que la chlamyde et la cape aient évolué vers une nouvelle forme de manteau qui
s’enfilerait par la tête, comme dans les peintures murales de Vitale da Bologna et de Spinello
Aretino. Cette solution apparait couramment dans l’iconographie du guerrier ailé, notamment
pour la chlamyde.

Vitale da Bologna, Chute des anges rebelles (détail), Spinello Aretino, Saint Michel contre le dragon
Pomposa, monastère, peinture murale, 1351. (détail), Londres, National Gallery, peinture murale
déposée sur toile, 1408-1410.

Enfin, quelques images présentent le manteau fixé ou utilisé de manière originale : dans celle
d’Angelo Puccinelli, dont nous avons déjà souligné le caractère original de l’ornementation,
les deux pans de la cape sont retenus par un lien traversant deux passants réalisés dans les
coins du manteau ; la chlamyde peinte par Lo Spagna sur les murs de l’église San Michele de
Gavelli, est étrangement fixée sur l’épaule gauche de l’archange, alors qu’elle est
conventionnellement à droite, comme dans tout le reste du corpus ; la cape peut également

398
passer sous le bras de Michel, comme dans un triptyque de Giacomo di Mino del Pellicciaio,
ressemblant davantage à un dérivé de l’himation grec, sans que son rôle dans l’image n’en
soit réellement changé ; enfin, le Michel peint par Giuliano Amidei se sert de sa chlamyde
pour essuyer son épée ensanglantée.

Angelo Pucinelli, Saint Lo Spagna, Saint Michel Giacomo di Mino del Giuliano Amidei,
Michel et saints (détail), (détail), Gavelli, San Pelliciaio, Vierge à Vierge à l’Enfant et saints
Sienne, Pinacoteca Michele, peinture murale, l’Enfant et saints (détail), (détail), Caprese
Nazionale, peinture sur 1518. Sienne, Pinacoteca Michelangelo, église
panneaux, 1379. Nazionale, peinture sur paroissiale, peinture sur
panneaux, 1362. panneaux, autour de 1475.

Le manteau de Michel est, dans l’image de la fin du Moyen Âge, un élément qui accompagne
les mouvements et le dynamisme de l’archange. Les jeux de volutes, de pleins et de déliés,
d’ombres et de lumières, permis par la représentation de cette étoffe mobile à peine fixée sur
le dos de Michel, a un fort pouvoir décoratif et dynamisant dans l’iconographie michaélique,
et ce, dès le début de notre période. Nous avons déjà pu observer le travail sur les drapés en
suspens dans l’air de Pietro Cavallini à Santa Cecilia in Trastevere de Rome dès le XIIIe
siècle. Ces recherches se poursuivent au Trecento, comme l’atteste le panneau d’Ambrogio
Lorenzetti réalisé en 1330 pour l’abbaye cistercienne dei Santi Giacomo e Cristoforo a
Rofeno, au Quattrocento, avec par exemple la peinture de Francesco Botticini où la cape
s’envole sous l’action de la marche de Michel. Le début du XVIe siècle marque un intérêt
croissant pour les drapés, leur représentation, leur réalisme et leur développement dans la
surface picturale, visible dans le panneau de Riccardo Quartararo.

Ambrogio Lorenzetti, Saint Michel Francesco Botticini, Les trois Riccardo Quartararo, Saint
(détail), Asciano, Museo d’Arte archanges et Tobie (détail), Michel (détail), collection privée,
Sacra, peinture sur panneaux, 1330. Florence, Offices, peinture sur peinture sur panneaux, fin XVe-
panneaux, 1470. début XVIe.

399
Pourtant le déploiement de cette étoffe autour de la figure angélique, pose un problème de
cohabitation sur le dos de Michel avec un autre élément qui définit l’archange : ses ailes. Si
l’on peut déjà se poser cette question à propos de n’importe quel vêtement qui couvre son dos,
comment expliquer la présence de cet élément mobile, et donc à priori incompatible avec une
quelconque entrave, avec celle des ailes de Michel ? Les peintres semblent avoir contourné le
problème en représentant Michel toujours de face ou de trois-quarts, mais jamais de profil et
encore moins de dos. Les couches semblent ainsi se superposer du dos de l’archange vers
l’extérieur : ses vêtements, son manteau puis ses ailes. La cape ou la chlamyde peuvent donc
en partie occulter les ailes, comme dans les trois peintures que l’on vient d’étudier. Une autre
solution est adoptée à la fin de notre période : il s’agit de transformer le manteau en un drapé,
à peine posé sur une épaule ou un bras de l’archange, comme c’est le cas dans une quinzaine
de peintures de notre corpus. Cette solution ne semble pas particulièrement adaptée à un
guerrier en mouvement, et est davantage utilisée pour les archanges en pied, statiques, en train
de présenter leur arme, comme dans le panneau de Gherardo di Jacopo Starnina. Le drapé vert
qui s’enroule autour du corps de Michel évoque le pallium paléochrétien, et l’on peut
aisément imaginer qu’il permet de passer dans le dos de l’archange en évitant la zone
d’attache des ailes, ce qui est également le cas du drapé peint par Lorenzo di Alessandro.
Dans ce cas, la longue étoffe est simplement posée sur l’épaule gauche de Michel et tombe
négligemment jusqu’au sol. À ce propos, la toile de Raphaël constitue une nouvelle fois
l’apogée de ce type, avec un drapé fin et long, bloqué sous le bras gauche de l’archange,
passant sur son épaule droite, volant tout autour de lui, créant trois pans de volutes en clair-
obscur, et ne tenant vraisemblablement au corps de Michel que par le mouvement qu’il lui
imprime.

Gherardo di Jacopo Lorenzo di Alessandro, Raphaël, Saint Michel (détail), Paris,


Starnina, Saints (détail), Crucifixion et saint Michel Louvre, huile sur toile, 1518.
Lucques, Museo nazionale, (détail), Baltimore, The
peinture sur panneaux, Walters Art Gallery, peinture
1401-1407. sur panneaux, 1480.

La cape et la chlamyde sont des éléments courants dans l’iconographie militaire de Michel.
Leur forme évolue relativement peu tout au long de notre période, si ce n’est dans les
quelques exemples de transformation en drapés que nous venons d’étudier. Le manteau reste
un vêtement simple, malgré une tendance générale qui tend à complexifier les différents

400
éléments du vestiaire de l’archange. Il participe à définir la carrure de Michel dans les images,
à lui conférer une certaine majesté et une épaisseur corporelle et permet également d’atténuer
les représentations parfois strictes de l’attirail guerrier, par l’insertion autour de la figure
michaélique de souplesse, de fluidité et de légèreté.

La tenue du général romain

Le type de l’archange portant la tenue du général romain n’est pas très développé à
l’aube du XIIIe siècle. Gioia Bertelli a bien reconnu Michel dans l’épisode de Josué dans une
mosaïque de Santa Maria Maggiore1669, mais nous avons déjà précisé que nous n’étions pas
convaincus par cette hypothèse, d’autant que cette image parait totalement déconnectée de
l’évolution générale de l’iconographie michaélique1670. Il faut ensuite attendre les XIe-XIIe
siècles pour trouver les premiers témoignages clairement attestés d’images de Michel en
soldat romain : sur la Pala d’oro réalisée dans la première moitié du XIe siècle1671 ; et sur deux
peintures murales, l’une en Occident à San Pietro al Monte de Civate dans la scène de
l’Apocalypse et l’autre en Orient dans la Karanlık Kilise de Göreme, toutes deux datées de la
fin du XIe et du début du XIIe siècle1672. Dans ces deux témoignages, Michel apparait en
chlamyde, plastron et ptéryges, au milieu des anges en dalmatique et pallium dans le premier
cas, et à côté de Gabriel en lôros dans le second. Le type du soldat romain est clairement
réservé à « celui qui est comme Dieu ». Pourtant ces exemples restent isolés et les types les
plus courants de Michel restent ceux d’un ange en dalmatique et pallium et d’un archange
byzantin, ce qui est encore le cas pendant tout le XIIIe siècle. La plus ancienne peinture de ce
type dans notre corpus est une peinture murale peinte par Cimabue à San Francesco d’Assise
entre 1275 et 1290.
Le type romain de l’archange est caractérisé par le port d’une cuirasse, ou plutôt d’un plastron
puisque la partie arrière est presque toujours invisible, sur lequel sont fixés des ptéryges au
niveau de la taille, créant une jupe, et sur les bras, couvrant les épaules. Une tunique est
parfois visible sous ces vêtements, dépassant sur les cuisses ou recouvrant les bras en partie
ou en entier. Cet ensemble peut être couvert, mais pas obligatoirement, par un manteau, la
chlamyde ou la cape dont nous venons de parler. Les jambes de l’archange sont généralement
couvertes, d’un collant et de chausses ou de pièces d’armures. Notre corpus compte presque
deux-cents images qui répondent à ce type, dont l’élément central est la cuirasse, en sachant
que les deux autres types, celui de l’archange en tunique courte et celui de l’archange en
armure, font dans certaines peintures des références appuyées au type romain.

1669
BERTELLI, 1986, p. 146.
1670
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.1.2. Les premiers témoignages occidentaux.
1671
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.2.1. Les images lombardes de l’archange.
1672
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal.
401
La cuirasse, pièce d’armure destinée à protéger le tronc, est déjà utilisée dès la
Préhistoire, puis par les grecs et les romains. Elle est généralement constituée d’un plastron
sur le torse et d’une dossière sur le dos et peut être de cuir ou de métal. La forme
principalement utilisée dans l’iconographie de saint Michel est celle du général romain : un
plastron qui peut avoir la forme d’un torse masculin idéalisé, appelé cuirasse musculaire, sur
lequel sont attachées des bandes de cuir, les ptéryges, tout autour de la taille afin de protéger
le haut des cuisses et les épaules. Dans l’Antiquité romaine, elle est portée par les généraux,
les empereurs et les dieux, alors que les soldats de grades inférieurs sont vêtus d’autres types
de lorica. Dans les sculptures, les cuirasses musculaires pouvaient être le support de
décorations narratives, souvent des scènes mythologiques, alors que dans les combats réels,
elles étaient plus simples et pouvaient être plus ou moins réalistes dans leur représentation du
torse, et même figurer les mamelons et le nombril.

Dans l’ensemble des peintures répertoriées, le plastron reçoit une attention particulière en tant
qu’élément central du type romain. Il s’agit principalement d’une cuirasse musculaire et,
même quand elle est réalisée dans un style simplifié et médiocre, comme dans une peinture
murale de Vallerotonda, quelques lignes viennent évoquer la forme des pectoraux et celle des
abdominaux. Mais ces muscles sont en général représentés de manière plus précise. Déjà au
début du XIVe siècle, les assistants de Cavallini peignent à Naples un plastron
particulièrement précis dans l’imitation du torse masculin. Ces recherches anatomiques se
poursuivent jusqu’à la fin de notre période, comme l’atteste le plastron de Michel peint par
Luca Signorelli dans la chapelle San Brizio d’Orvieto entre 1499 et 1502. Ici l’image du torse
épouse la position déhanchée prise par l’archange alors qu’il devrait rester figé dans son
matériau d’origine. Le torse de métal se confond au torse de Michel et insiste sur la force de
l’archange. La douceur des volumes peints par Bernardo Luini au début du XVIe siècle joue
également sur une confusion entre torse de Michel et torse de bronze.

Anonyme, Vierge à Assistant de Cavallini, Luca Signorelli, Saint Bernardo Luini, Saints
l’Enfant et saint Michel Jugement dernier (détail), Michel (détail), Orvieto, Michel et Jean (détail),
(détail), Vallerotonda, Naples, Santa Maria di Duomo, peinture murale, collection privée, peinture
San Michel, peinture Donnaregina, peinture 1499-1502. sur panneaux, XVIe.
murale, 2e ½ du XIVe. murale, 1e ¼ du XIVe.

Le plastron est la plupart du temps doré. L’utilisation de l’or insiste sur la richesse et le
caractère exceptionnel du guerrier ailé puisque ce n’est pas le matériau utilisé pour les pièces

402
d’armure des champs de bataille terrestres. La peinture murale de Jacopo del Casentino
montre d’ailleurs que ce n’est même pas le matériau des cuirasses des autres anges guerriers,
il est réservé à leur chef. Mais la cuirasse peut également se colorer de tons plus originaux, en
noir, comme dans le panneau de Paolo Veneziano ; en rouge, comme dans une huile de Luca
Signorelli ; en bleu, comme dans plusieurs peintures de Fra Angelico, dont celle de la
Glorification du Christ ; en vert, comme dans le polyptyque de Giovanni Baronzino ; ou
encore devenir multicolore, ocre et bleu dans la peinture murale de Pietro Lorenzetti.

Jacopo del Casentino, Michel et ses Paolo Veneziano, Vierge à l’Enfant, Luca Signorelli, Assomption de
anges combattent le dragon (détail), Crucifixion et saints (détail), Parme, la Vierge et saints (détail), New
Florence, Santa Croce, peinture Galleria Nazionale, peinture sur York, Metropolitan Museum of
murale, 1e ¼ du XIVe. panneaux, 1330-1340. Art, huile sur bois, 1493-1496.

Fra Angelico, Glorification Giovanni Baronzino, Vierge à l’Enfant Pietro Lorenzetti, Annonciation
du Christ (détail), Londres, et saints (détail), Mercatello, Museo San et saints (détail), Castiglione del
National Gallery, peinture Francesco, peinture sur panneaux, 1345. Bosco, San Michele, peinture
sur panneaux, 1423-1434. murale, 1345.

Ces couleurs et la décoration qui orne le plastron de Michel l’apparentent davantage à une
armure d’apparat qu’à un véritable vêtement à fonction protectrice. Cette décoration peut être
peinte, moulée, plaquée ou ciselée dans la cuirasse. Au XIVe siècle, elle est encore
relativement simple et limitée à des motifs végétaux, comme nous pouvons le voir dans la
peinture de Giovanni Baronzino que nous venons d’évoquer ou dans celle d’Agnolo Gaddi
réalisée en 1390, où un fin et délicat motif de feuille a été ajouté, utilisant le bandeau inférieur
du plastron pour figurer la nervure centrale de la feuille. Ce type de décoration s’étend
rapidement sur l’ensemble de la surface du plastron, pour finir par le recouvrir entièrement
dans plusieurs peintures du XVe siècle, comme en atteste le panneau d’Andrea di Bartolo où
la forme arrondie des pectoraux est soulignée par des rinceaux qui s’enroulent sur eux-
mêmes. Dans la seconde partie du XVe siècle, s’inspirant des armures d’apparat des grands

403
princes, l’ornementation du plastron de Michel foisonne de motifs végétaux de plus en plus
fins, parfois soulignés par l’incrustation de pierres précieuses, tel que présentée dans la
peinture de Benvenuto di Giovanni.

Atelier d’Agnolo Gaddi, Andrea di Bartolo, Saint Michel Benvenuto di Giovanni, Saints
Saints (détail), New Haven, (détail), Sienne, Pinacoteca (détail), Lyon, Musée des Beaux-arts,
Yale University Art Gallery, Nazionale, peinture sur panneaux, peinture sur panneaux, 1470-1480.
peinture sur panneaux, 1390. 1410.

Les abondants motifs végétaux sont rejoints à la fin du XVe siècle, par d’autres motifs,
animaux ou anthropomorphes. La tête humaine, ou plutôt de chérubin, se rencontre plusieurs
fois sur les plastrons de Michel, notamment dans ceux peints par le Pérugin. Dans
l’exemplaire peint en 1500 et conservé à la Galleria dell’Accademia de Florence, le plastron
bleu de Michel porte au niveau des pectoraux une tête dorée et en relief d’enfant joufflu ailé,
et une guirlande végétale. Ce même motif est repris plusieurs fois par le peintre et par ses
contemporains, comme Girolamo Pacchia qui complète cette décoration par l’adjonction
d’une tête de lion, de deux griffons, et d’autres éléments qui saturent le plastron de reliefs.
Terminons avec un exemplaire unique de plastron qui figure dans une peinture murale à San
Zan Degolà de Venise, où la partie basse est entièrement occupée par une tête sévère et
grimaçante, qui contraste vivement avec le visage calme et serein de Michel.

Le Pérugin, Assomption de la Vierge Girolamo del Pacchia, Saint Michel Anonyme, Saint Michel (détail),
et saints (détail), Florence, Galleria (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale, Venise, San Zan Degolà,
dell’Accademia, huile sur toile, 1500. peinture sur panneaux, 1e ½ du XVIe. peinture murale, 1380-1390.

Si l’origine de ces vêtements du Moyen Âge finissant reste bien la panoplie du général
romain, et que le vocabulaire de base est toujours le même (la cuirasse, la chlamyde, la jupe à
latte), l’effet global est bien loin de celui conféré par la lorica romaine. L’ornementation du

404
plastron confère aux images du guerrier un caractère précieux et riche qui participe à atténuer
la rigidité d’un costume militaire. Le caractère angélique de Michel s’accorde en effet peu à la
rigueur de l’uniforme et doit se différencier de ses homologues humains afin de mettre en
avant le caractère exceptionnel, supérieur et universel de sa mission.

Le deuxième élément qui caractérise la silhouette du Michel de type romain, est la


jupe, dérivée de la jupe à ptéryges que l’on retrouve une nouvelle fois dans la panoplie du
soldat romain. À l’origine, il s’agissait d’un tablier grec constitué de bandes de cuir, appelées
les ptéryges, qui faisait le tour de la taille et qui pouvaient se superposer sur plusieurs rangées.
La jupe à lattes ainsi formée était destinée à protéger le haut des jambes des soldats. Les
exemplaires de notre corpus qui semblent reprendre cette forme et cette fonction initiale sont
rares. L’archange du Jugement dernier de Buonamico Buffalmacco, qui porte sous le plastron
doré, une jupe aux bandes clairement délimitées, en est surement un des meilleurs exemples.
La majorité des jupes à lattes de cuir est transformée en jupes de tissus où les nombreux plis
rappellent les ptéryges antiques. La peinture murale de Vitale da Bologna présente une jupe
courte réalisée d’un seul tenant dans une pièce d’étoffe fluide, dont la jonction avec la
cuirasse est assurée par la reprise d’une même bande ornementale. L’association plastron et
jupe courte à plis est une constante pour le Tre- et le Quattrocento et le tissu de cette jupe se
fluidifie mais ne perd pas son plissement caractéristique, comme dans le panneau de Giovanni
del Ponte. La couleur et les motifs de cette pièce d’habillement s’accordent généralement à
ceux du plastron, mais conservent une plus grande sobriété. Notons qu’il ne faut pas
confondre ce pan d’étoffe avec la tunique qui peut parfois dépasser sous les lattes de cuir ou
de tissu, et qui constitue un sous-vêtement indépendant de la jupe.

Buonamico Buffalmacco, Jugement Vitale da Bologna, Chute des anges Giovanni del Ponte, Vierge à
dernier (détail), Pise, Camposanto, rebelles (détail), Pomposa, monastère, l’Enfant et saints (détail),
peinture murale, 1332-1342. peinture murale, 1351. Columbia, Museum of Art,
peinture sur panneaux, 1425-1426.

Tout comme pour le plastron, la jupe à lattes a perdu sa fonction protectrice, mais le souvenir
des bandes romaines n’a pas totalement disparu et ne survit pas seulement à travers la
persistance du plissé autour de la taille de Michel. Tout au long des XIV et XVe siècles,
l’aspect segmentaire de la jupe refait régulièrement surface, dans environ un tiers des
peintures du type romain, comme on peut le voir dans le triptyque peint par Allegretto Nuzi
en 1365. Sous le plastron de l’archange, des lattes de même couleur que le reste du vêtement
s’échelonnent sur plusieurs étages. Elles ont la taille et la largeur des ptéryges romains mais
405
ne semblent pas constituées de cuir, ni d’un quelconque matériau apte à protéger les jambes
de Michel. Cet aspect est encore plus visible dans la jupe peinte par Carlo Crivelli puisque les
bandes sont réalisées dans un tissu léger et volètent sous l’effet des mouvements de
l’archange. Biagio di Goro Ghezzi ne représente pas une jupe segmentée, mais une jupe
classique où les ptéryges sont rappelés par un motif rectangulaire tracé sur le tissu.

Allegretto Nuzi, Vierge à l’Enfant et Carlo Crivelli, Polyptyque de Monte Biagio di Goro Ghezzi, Saint
saints (détail), Rome, Pinacoteca San Martino (détail), Monte San Michel (détail), Paganico, San
Vaticana, peinture sur panneaux, 1365. Martino, San Martino, peinture sur Michele, peinture murale, 1368.
panneaux, 1477.

Les jupes à lattes évoluent également vers des formes plus originales, et les ptéryges prennent
parfois des formes plus gracieuses. La forme rectangulaire s’adoucit dans plusieurs pièces par
des bouts arrondis, formant des sortes de plumes, visibles par exemple dans une peinture d’un
anonyme arétin du XIVe siècle. Plusieurs rangées de lattes de différentes formes s’étagent
pour créer une jupe fine et élégante. Les ptéryges peints par Carlo Crivelli sont beaucoup plus
nombreux et de dimension réduite. Leur taille, la façon dont ils sont étagés et les tons qui les
colorent, rappellent véritablement ici un plumage, évocation supplémentaire de la nature
angélique de Michel dans l’image. La jupe à lattes réalisée par le Maestro del Trittico del
1454 est clairement recouverte de plumes, tout autour de la taille de l’archange. Mais ici, il
s’agit moins d’un rappel du plumage des ailes de l’archange - qui sont, elles, plutôt sobres
dans cette peinture - que de la présence d’éléments d’apparat, car ce type de plumes longues
et larges apparaissait à cette période sur les armures d’apparat.

Anonyme arétin, Saint Michel Carlo Crivelli, Saint Michel (détail), Maestro del Trittico del 1454,
(détail), collection privée, Londres, National Gallery, peinture sur Crucifixion et saints (détail),
peinture sur panneaux, XIVe. panneaux, 1476. Camerino, Museo Diocesano,
peinture sur panneaux, 1454.

Le traitement de cette pièce d’habillement suit le même goût pour une ornementation
exubérante caractérisant les trois dernières décennies du Quattrocento et le début du
Cinquecento. La version de Piero della Francesca semble encore sobre, mais l’ajout de pierres
406
précieuses sur chaque carré de cuir qui constitue la jupe apporte une préciosité qui trahit un
goût pour la richesse et le décor. Mais ces éléments se joignent avec discrétion à l’ensemble
de la représentation fine et délicate du maître toscan. Ces qualificatifs ne peuvent être utilisés
pour décrire les vêtements du Michel peints par Neroccio di Bartolomeo Landi : la jupette de
tissu rose et léger de l’archange est agrémentée d’une décoration dorée en volume constitué
d’une tête de chérubin ailé au centre, entourée de coquillages, alors que les longueurs sont
occupées par des guirlandes végétales qui semblent faire tout le tour de sa taille. Cette
ornementation est alourdie encore par le reste des éléments en volume dorés sur les épaules, le
torse et les jambes de Michel. Le caractère ostentatoire de ces vêtements est en décalage
profond avec le traditionnel et humble ensemble dalmatique / pallium revêtu généralement par
les anges durant le Moyen Âge. Ce goût pour l’ornementation peut aussi prendre des formes
plus élégantes. Dans trois peintures de Luca Signorelli, saint Michel porte une jupe à ptéryges
qui semblent reprendre leurs matériaux d’origine : en métal et en cuir. Chacune de ces bandes
est décorée de motifs en relief, floraux et anthropomorphes. Sur l’huile conservée aux Offices,
de longues bandes de cuir ou de tissu épais sont ornées de coupes et de rinceaux dorés. Au-
dessus une rangée de ptéryges plus petits, surement en or ou en bronze, aux bouts arrondis,
porte de petites têtes en relief et des animaux. L’ensemble est particulièrement discret et
réalisé avec une grande délicatesse. Les ptéryges fixés sur les bras reprennent les mêmes
décors.

Piero della Francesca, Saints Neroccio di Bartolomeo Landi, Vierge à Luca Signorelli, Vierge à
(détails), Londres, National l’Enfant et saints (détail), Sienne, l’Enfant et saints (détail),
Gallery, peinture sur panneaux, Pinacoteca Nazionale, peinture sur Florence, Offices, huile sur bois,
1470. panneaux, 1476. 1513-1514.

Si son traitement ne correspond pas à un vêtement réel, terrestre et purement fonctionnel, la


présence de la jupe à lattes prouve que les origines romaines du vêtement ne sont pas oubliées
à la fin du Moyen Âge.

D’autres pièces de protection peuvent s’ajouter à la figure de Michel portant la


cuirasse et la jupe à lattes, mais elles ne sont pas forcément liées à une tradition romaine. Les
cnémides, éléments de protection des tibias d’origines grecques, sont régulièrement portés par
les romains, principalement les officiers. Pourtant, Michel ne les porte pas sous une forme
antique. La protection de ses jambes se concentre sur les genoux, puisque dès la première
partie du XIVe siècle, Michel apparait avec des genouillères1673, comme dans la peinture de
1673
TOUATI, 2007, p. 32.
407
Jacopo del Casentino. Environ 40% des archanges du type romain portent des genouillères en
plus de leur plastron et de leur jupe à lattes. Cette pièce d’armure n’est pourtant pas ancienne
et est utilisée par les soldats depuis le XIIIe siècle, introduisant un anachronisme dans le
costume antique de Michel. Tout comme les éléments déjà décrits de la panoplie michaélique,
elle reçoit une décoration qui s’enrichit au cours du XVe siècle. Au XIVe siècle, les
genouillères sont déjà couramment représentées ornées de ptéryges comme pour le plastron,
qui se transforment rapidement en petits volants de tissu ou de rubans décoratifs. Le morceau
de tissu fixé sur chaque genouillère peinte par Cenni di Francesco di Ser Cenni forme une
sorte de jupette au-dessus des mollets de l’archange. Les années 1460-1470, qui ont déjà vu
les plastrons et les jupes de Michel se charger de lourdes décorations, n’épargnent pas cet
élément sur les membres inférieurs. Les genouillères se transforment alors en têtes de lions
féroces ou de chérubins joufflus, telles celles de Benvenuto di Giovanni. Le reste des jambes
de Michel est généralement couvert de collants, de chausses montantes, ou parfois de grèves.
Comme nous l’avons déjà précisé, les sandales, pourtant élément constitutif de l’attirail
romain, ne sont presque pas portées par l’archange car il doit se servir de ses pieds pour
écraser le démon, et privilégie ainsi les chausses qui couvrent toute la surface du pied et de la
cheville, pour ne pas rentrer en contact avec la bête1674.

Jacopo del Talentino, Saint Michel Cenni di Francesco di Ser Cenni, Benvenuto di Giovanni,
combattant le dragon (détail), Couronnement de la Vierge et saints Saints (détail), Lyon,
Florence, Santa Croce, peinture (détail), Los Angeles, J.P. Getty Museum, Musée des Beaux-arts,
murale, 1e ¼ du XIVe. peinture sur panneaux, 1390-1400. peinture sur panneaux,
1470-1480.

Les constats sont sensiblement les mêmes pour les membres supérieurs. L’attention est portée
sur les épaulières1675, sur lesquelles des ptéryges peuvent être fixés, et qui permettent de
souligner la carrure de Michel. La forme des protections d’épaules adoptée pour Michel
correspond également celle inventée à la fin du Moyen Âge. Ces épaulières se fondent en
général à la cuirasse à laquelle elles sont fixées, et sont souvent de même couleur, de même
matière et de même facture, telles celles peintes par Luca di Tommè autour de 1350. Elles
reçoivent également une riche décoration figurée au cours du XVe siècle. Les épaulières
portées par Michel dans la peinture de Rossello di Jacopo Franchi prennent la forme d’une
tête de lion. Celles de Benvenuto di Giovanni, portent des têtes de chérubins, et sont d’autant
plus étonnantes qu’elles sont d’un rouge écarlate, alors que le reste de l’armure est doré.
Enfin, comme pour les jambes, la totalité des bras peut être recouverte de pièces d’armure,

1674
Voir à ce propos chapitre 2. I.2.3.1. Un corps puissant mais caché.
1675
TOUATI, 2007, p. 32.
408
brassards et cubitières, comme dans la peinture murale d’un anonyme de Bastia Mondovi.
Dans ce dernier cas, le type romain se fond avec le type de l’archange à l’armure médiévale
dont nous reparlerons plus loin.

Luca di Tommè, Saint Rossello di Jacopo Benvenuto di Giovanni, Vierge à Anonyme, Saints
Michel (détail), Franchi, Saints (détail), l’Enfant et saints (détail), (détail), Bastia
collection privée, San Miniato, San Vescovado di Murlo, église, Mondovi, San Fiorenzo,
peinture sur panneaux, Domenico, peinture sur peinture sur panneaux, 1475. peinture murale, 1472.
autour de 1350. panneaux, début XVe.

Le plastron, les épaulières et les genouillères sont des éléments en métal de l’armure de
Michel qui peuvent tous être le support de ptéryges, à fonction uniquement décorative ou
décorative et protectrice. L’harmonisation de leur décoration permet de lier ces pièces entre
elles, mais est parfois également synonyme de lourdeur, comme dans la déjà citée peinture de
Neroccio di Bartolomeo Landi. Les vêtements de Michel sont ornés en tout de cinq têtes de
chérubins ailés, de bonne dimension, de deux angelots nus en pied sur le plastron, de
guirlandes, et de drapés plissés roses brodés d’une bande dorée sur la cuirasse, les épaulières
et les genouillères. La tête de l’archange est agrémentée d’une couronne de fleurs. Notons à ce
propos que la tête de l’archange vêtu de la panoplie romaine est presque toujours nue, et que
le casque romain est totalement absent de notre corpus.

Neroccio di Bartolomeo Landi, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Sienne,


Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1476.

Dans la panoplie du guerrier romain, la tunique se porte courte, sous les éléments de la
lorica, et peut dépasser des vêtements protecteurs, soit au niveau des bras en les couvrant un
409
peu, totalement ou pas, soit au niveau des cuisses. Ces remarques s’appliquent à l’archange
dans les images de la fin du Moyen Âge. Pour le Michel du Jugement dernier de Pise, la
tunique couvre les bras par des manches bouffantes et resserrées au niveau des poignets, et
dépasse largement sous les ptéryges. Elle est réalisée dans une étoffe violette, marquée d’un
motif de pastilles dorées et de petits entrelacs végétaux sombres. Le même tissu est employé
pour la cape de l’archange. Parfois la représentation de ce tissu évoque les mailles d’une cotte,
qui peuvent faire référence soit à la lorica hamata des guerriers romains, soit à la cotte de
mailles médiévale, comme dans le panneau de Gherardo di Jacopo Starnina. Mais ces
exemples restent rares dans les peintures du type du soldat romain. Enfin, au début du XVIe
siècle, la tunique peut être remplacée par une chemise ample aux manches larges et au tissu
fin de coton ou de lin, nouvelle référence au guarnello, particulièrement en vogue au XVe
siècle dans la mode et dans l’iconographie angélique, comme nous l’avons déjà précisé dans
une partie précédente1676. Dans la peinture de Francesco de Tatti, le guarnello de Michel
dépasse sous les ptéryges, lui couvre une partie des bras et est replié au-dessus du coude,
évoquant davantage un sous-vêtement que la tunique de laine des soldats romains en
campagne.

Buonamico Buffalmacco, Jugement Gherardo di Jacopo Starnina, Saints (détail), Francesco de Tatti, Vierge à
dernier (détail), Pise, Camposanto, Lucques, Museo nazionale, peinture sur l’Enfant et saints (détails), Milan,
peinture murale, 1332-1342. panneaux, 1401-1407. Pinacoteca del Castello
Sforzesco, huile sur bois, 1517.

Le port d’une tenue de soldat romain par l’archange ne signifie pas que les peintres de la fin
du Moyen Âge souhaitaient situer son action dans le passé. Et, s’ils font appel au caractère
universel et intemporel de cette tenue du grand empire romain conquérant, ils n’hésitent
pourtant pas à la modifier pour qu’elle corresponde davantage aux goûts contemporains, alors
que les anachronismes ainsi créés peuvent s’excuser par la nature extra-terrestre de Michel.
Aux XIVe et XVe siècles, la version michaélique du vestiaire militaire romain est un va-et-
vient constant entre un idéal guerrier perdu et un goût nouveau pour le luxe et l’ostentation.
Les deux types suivants sont plus profondément ancrés dans les usages vestimentaires
contemporains.

1676
Voir à ce propos chapitre 2. I. 3.1.1. L’ange classique.
410
La tunique courte

Les vêtements courts ne sont pas essentiellement réservés aux guerriers, mais les
guerriers en portent presque toujours, afin de libérer leurs membres inférieurs de toute entrave
textile pour le combat ou pour monter à cheval. De plus, il semble peu probable que Michel
ait été représenté en civil dans l’iconographie de la fin du Moyen Âge, même si le vestiaire
civil a largement influencé ses représentations, notamment au XVe et au début du XVIe siècle.
Ainsi nous pouvons affirmer que lorsque Michel est vêtu d’une tunique courte, il est figuré en
guerrier, comme dans le bronze du Mont Gargan de la première moitié du XIe siècle, que nous
avons précédemment étudié1677.

La tunique courte est portée par Michel comme vêtement principal dans une
cinquantaine de peintures de notre corpus. Les deux seules images d’un Michel vêtu en
guerrier dans la première moitié du XIIIe siècle, correspondent à ce type1678. Dans la peinture
murale de l’église Santa Maria in Monte Dominico de Marcellina, exécutée dans la première
partie du siècle, Michel porte une tunique courte jusqu’aux genoux, fluide et ample, ornée de
bandes colorées dans la partie inférieure et aux manches larges arrivant aux coudes. En plus
de la ceinture fine serrée à la taille, le corps de Michel est entouré à mi-buste par un drapé
blanc noué sur le devant. Ce motif est présent dans une dizaine de peintures de notre corpus et
servait certainement à fixer une arme d’attaque ou de défense1679. Il confirme ainsi la nature
militaire de cette tenue. Les vêtements de Michel sont recouverts d’un manteau sombre, une
cape fixée par un large pan sur l’avant. L’absence de couleurs de la reproduction ne nous
permet pas de distinguer si l’archange a les jambes nues ou couvertes d’un collant mais des
chausses lui couvrent les pieds jusqu’au milieu des tibias. Il faut ensuite attendre le dernier
quart du XIIIe pour voir de nouvelles peintures de Michel vêtu en guerrier, et le début du
XIVe siècle pour un archange en tunique courte. Au XIVe siècle, cette tunique courte peut
également faire référence à la jacque, utilisée par les soldats à pieds en vêtement de
protection1680. Le motif de la tunique peinte par un anonyme romain à Suburbio ainsi que
l’aspect décoratif de la large ceinture, pourrait faire penser que Michel porte ici un vêtement
civil, s’il n’était pas couvert d’une chlamyde. Celle réalisée par Buonamico Buffalmacco est
par contre clairement un vêtement de soldat, comme en atteste la bande clavée déjà présente
dans les représentations des rois guerriers lombards et du saint Michel en bronze conservé au
Mont Gargan1681. Cette bande verticale croise ici une bande horizontale sur la poitrine de
l’archange et trace une croix symbolique sur son vêtement dont nous reparlerons sous peu. La

1677
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.1. Les images lombardes de l’archange (VIIe-VIIIe) et BERTELLI,
1986, pp. 131-154.
1678
La première est datée entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle, anonyme de Padano, Modène, Museo
Lapidario del Duomo, peinture murale déposée.
1679
Voir à ce propos le chapitre 2. II.1.1.1. Les armes et les attributs militaires.
1680
TOUATI, 2007, p. 170.
1681
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.1. Les images lombardes de l’archange (VIIe-VIIIe).
411
présence de la cape et l’importance donnée à la ceinture et au fourreau, attributs
indispensables aux chevaliers, confirment la nature guerrière de cette tenue.

Anonyme, Saint Michel (détail), Anonyme, Vierge à l’Enfant et saints Buonamico Buffalmacco, Saint
Marcellina, Santa Maria in (détail), Suburbio, Santa Passera, Michel (détail), Arezzo, Museo
Monte Dominico, peinture peinture murale, début du XIVe. Statale di Arte, peinture murale
murale, 1e ½ du XIIIe. déposée, 3e décennie du XIVe.

L’archange en tunique de soldat est présent tout au long du XIVe et du XVe siècle. Le type du
guerrier du Trecento est parfaitement illustré par une peinture murale de la troisième décennie
du XIVe siècle, où Michel porte une tunique rosée descendant jusqu’à ses tibias, ceinturée
d’un large porte-fourreau et surmontée d’une cape. La destination de cette peinture, qui orne
le monument funéraire d’un chevalier, explique le type de tenue revêtue par le saint patron du
défunt. Comme pour les autres types du costume guerrier, la tunique de soldat est également
transformée dans les années 1470 par les évolutions de la mode. Nous reconnaissons la
tunique courte portée par Michel dans une huile sur bois de Filippino Lippi, elle a la même
longueur que celle du Trecento, et porte encore la bande clavée, ici dorée, mais la légèreté du
tissu, la multiplication de ses plis et l’aspect bouffant font que le vêtement est plus proche
d’un guarnello que d’une tunique de guerrier. Cet aspect est exacerbé dans le panneau de
Bernardo Zenale où Michel porte une version raccourcie de la tunique longue doublement
ceinturée et bouffant caractéristique du vestiaire angélique à partir de la fin du XVe siècle1682.
La bande clavée est ici transformée en une fine bandelette ornée de pierres précieuses, coincée
derrière une ceinture en bronze surmontée d’une croix.

1682
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 1.4.1. Évolutions de la représentation angélique aux derniers siècles du
Moyen Âge.
412
Maestro del Vescovado, Crucifixion Filippino Lippi, Les trois archanges et Bernardo Zenale da Treviglio,
et saints (détail), Arezzo, Duomo, Tobie (détail), Turin, Galleria Vierge à l’Enfant et saints
peinture murale, 1334. Sabauda, huile sur bois, 1477-1478. (détail), Florence, Offices, 1480.

Comme pour le type romain, les jambes de Michel sont visibles mais toujours couvertes de
collants, de chausses ou d’éléments d’armure.

À l’intérieur de ce type du soldat à tunique, nous pouvons distinguer une sous-


catégorie qui se situe en réalité entre ce type et celui de l’archange romain. Dès la deuxième
décennie du XIVe siècle, la partie haute de la tunique s’ajuste au point de laisser apparaitre les
formes du torse de l’archange puis la partie inférieure s’évase créant une sorte de jupe. Cet
ensemble évoque la forme de la tenue romaine constitué du plastron et de la jupe à lattes, sans
être constitué dans les mêmes matériaux. Michel ne porte pas de cuirasse, son vêtement est en
tissu. Le panneau de Lorenzo di Alessandro semble au premier coup d’œil appartenir au type
romain. Pourtant, les plis qui sont visibles sur son ventre, juste sous la poitrine, et le fait que
qu’il n’y ait pas de démarcation entre les manches et le reste du vêtement, prouvent qu’il est
fait d’un seul tenant et en tissu : c’est une tunique qui prend la même forme et qui témoigne
de la même mission martiale de l’archange que le vêtement défensif romain, mais qui n’en
partage pas les fonctions protectrices. La tunique de l’archange peinte par Vitale da Bologna
sur l’abside centrale de Pomposa est marquée de la bande clavée à la manière de celle du
soldat médiéval, mais le caractère ajusté au niveau du buste, le motif en lattes de la ceinture et
le plissement de la partie inférieure de la tunique, évoquent la tenue romaine, alors que l’ajout
des épaulières et des genouillères évoque le type de Michel à l’armure que nous étudierons ci-
après. Il s’agit bien ici d’un type hybride avant tout destiné à montrer que l’archange est un
soldat. Ces peintures au type hybride sont difficiles à classer dans notre typologie. Ainsi la
peinture de Neri di Bicci de Détroit, présente un saint Michel qui porte une nouvelle fois cette
tunique de tissu à forme de plastron et jupe, et la décoration au niveau du ventre insiste sur la
référence romaine puisque le motif végétal comprend une petite proéminence en son centre
qui ressemble à un nombril, comme dans les cuirasses musculaires, et fait douter de notre
interprétation.

413
Lorenzo di Alessandro, Saint Michel (détails), Vitale da Bologna, Christ en Neri di Bicci, Les trois
Baltimore, The Walters Art Museum, peinture majesté et saints (détail), Ponposa, archanges et Tobie (détail),
sur panneaux, milieu des années 1382. église, peinture murale, 1351. Détroit, Institute of Arts,
huile sur bois, 1471.

L’affiliation à l’un ou l’autre des types est ici bien malaisée, de surcroît lorsqu’ils se
mélangent au troisième type : celui de l’archange en armure.

L’armure

Des pièces d’armure ont déjà été décrites car elles font partie du type de l’ange-soldat
romain, principalement la cuirasse, les épaulières et les genouillères. Le type de l’archange en
armure se différencie par le fait que le corps de l’archange, à l’exception, ou pas, de sa tête,
est entièrement recouvert de fer, et évoque essentiellement un équipement contemporain.

L’un des premiers à recouvrir le corps de Michel de fer dans notre corpus est Ambrogio
Lorenzetti dans les années 1330, sur une peinture murale de Sant’Agostino de Sienne et sur
un panneau conservé à Asciano. Dans ce dernier, le type romain est décelable dans le port de
la jupe plissée, mais l’ajout de protections sur tous les membres et même sur la tête, transporte
l’archange dans l’univers plus contemporain des guerriers du Trecento. Les guerres constantes
entre cités avaient favorisé les évolutions de l’habillement militaire1683 : la cotte de mailles
était remplacée ou complétée par des plaques d’acier pour la cuirasse ou la protection de tous
les membres. L’ensemble, appelé armure de plates, a été fabriqué dès le XIIIe siècle et
définitivement adopté au XVe siècle1684. La tenue de guerrier n’était plus alors réservée aux
seigneurs mais portée par les citoyens libres des cités, devenant alors plus courante dans le
vestiaire masculin de la fin du Moyen Âge1685. L’armure médiévale complète se développe
principalement dans la seconde moitié du XIVe siècle et surtout au XVe siècle1686. Le
Jugement dernier de Soleto présente un archange vêtu d’un plastron avec braconnière qui
protège le torse, d’épaulières, de brassards, de cubitières et de canons d’avant-bras pour
1683
LEVI PISETZKY, 1964, p. 20.
1684
TOUATI, 2007, p. 260.
1685
LEVI PISETZKY, 1964, pp. 351-352.
1686
Nous avons recensé 10 peintures du XIVe siècle où Michel porte l’armure complète, contre 120 au XVe
siècle et 26 entre 1500 et 1518.
414
protéger les membres supérieurs, et de cuissards, de genouillères, de grèves et de solerets pour
les membres inférieurs1687. La cotte de mailles est visible sur les bras, le cou et sous la
braconnière. L’archange ne porte ni casque ni gantelet dans cette image. Il n’y a, dans cette
représentation de Michel, plus aucune référence à l’uniforme romain. Pendant tout le XVe
siècle et le début du XVIe siècle, ce type en armure réaliste faite de plaques de fer simples,
sans décoration, mettant en valeur la simplicité des lignes, se développe, comme dans la
peinture du Jugement dernier d’Albenga, réalisée en 1446 ou encore l’huile sur toile de
Gerino Gerini peinte en 1509. Dans cette dernière, la simplicité et le naturalisme du rendu de
l’« harnois blanc » prouvent que le peintre a choisi de représenter une tenue portée par ses
contemporains sur les champs de bataille1688.

Ambrogio Lorenzetti, Anonyme, Jugement Anonyme, Jugement dernier Gerino Gerini,


Saint Michel (détail), dernier (détail), Soleto, (détail), Albenga, San Sainte Conversation
Asciano, Museo Santo Stefano, peinture Giorgio di Campochiesa, (détail), Pistoia,
d’Arte Sacra, peinture muralen 2e ½ du XIVe. peinture murale, 1446. Museo Civico, huile
sur panneaux, 1330. sur toile, 1509.

Sur les cent-cinquante peintures du type de Michel en armure que comporte


approximativement notre corpus, plus de la moitié le figure dans une armure de plates. Cette
attention au réel est particulièrement vivace dans l’iconographie guerrière de Michel en Italie.
Elle se matérialise dans le soin porté à la représentation de l’amure dans son ensemble, mais
également dans les détails. Chaque élément protecteur est clairement différencié. La cotte de
mailles1689 par exemple, malgré le fait qu’elle soit peu visible car portée sous les éléments de
fer, est l’objet d’une attention particulière, certainement parce que son port était à l’origine un
privilège des chevaliers1690. L’usage du haubergeron, ce vêtement de combat en mailles
descendant jusqu’aux genoux dès la fin de l’époque carolingienne1691, se généralise au milieu
du XIIe siècle, et est régulièrement représenté dans nos peintures, dépassant du plastron ou
apparaissant entre les interstices laissés entre deux éléments de l’armure. Dans le
Couronnement de la Vierge de Riccardo Quartararo, peint dans la deuxième moitié du XVe
siècle, il constitue des manches larges au-dessus des épaulières et des brassards, et dépasse

1687
Pour le vocabulaire des éléments de l’armure, voir le schéma dans TOUATI, 2007, p. 32.
1688
LEVI PISETZKY, 1964, p. 370.
1689
LEVI PISETZKY, 1964, p. 20.
1690
LEVI PISETZKY, 1964, p. 351-352.
1691
TOUATI, 2007, p. 152.
415
largement de la cuirasse pour créer une sorte de jupette en mailles. L’archange peut également
être protégé jusqu’au bout des doigts, puisqu’il est muni de gantelets dans une trentaine de
peintures de notre corpus, à partir du XVe siècle. La peinture murale d’Aimone Duce,
représente cet élément de protection en détail, couvrant le poignet, le dessus de la main et des
doigts, mais laissant l’intérieur de la main nue pour faciliter le maniement des armes. Seules
deux peintures du type guerrier montrent Michel les mains couvertes de gants de tissu. Dans
le premier cas, un panneau de Giuliano Amidei de 1475, l’usage de protection textile des
mains de l’archange peut s’expliquer par la présence du sang du dragon sur l’épée du soldat,
avec lequel il ne peut en aucun être en contact direct 1692. L’attirail de l’archange se dote des
dernières nouveautés en matière de protection. Les tassettes par exemple, ajoutées au plastron
pour pallier le défaut de l’armure au niveau de l’aine, sont inventées à la fin du XIVe siècle, et
sont déjà adoptées par Michel dans les images dès le deuxième quart du XVe siècle, pour
apparaitre presque systématiquement à la fin de notre période. Celles peintes par Bartolomeo
Vivarini sont fixées à la braconnière qui termine le plastron par des lanières de cuir. Enfin, s’il
n’est pas totalement absent du type de Michel à l’armure, le guarnello, n’apparait que très
rarement dans ce groupe1693.

Riccardo Quartararo, Aimone Duce, Saint Giuliano Amidei, Bartolomeo Vivarini,


Couronnement de la Vierge Michel (détail), Vierge à l’Enfant et Vierge à l’Enfant et saints
et saints (détail), Palerme, Villafranca Piemonte, saints (détail), Caprese (détail), Bergame,
Galleria Regionale della Capella di Missione, Michelangelo, église Accademia Carrara,
Sicilia, peinture sur peinture murale, 1429. paroissiale, peinture sur peinture sur panneaux,
panneaux, 2e ½ du XVe. panneaux, 1475. 1488.

L’armure contemporaine de Michel peut recevoir un traitement particulier qui, s’il n’en
modifie pas la forme, peut insister sur la nature différente de celui qui la porte. Plusieurs
armures sont dorées, et sont alors le reflet de la haute valeur de Michel, comme dans la
peinture murale de Bartolomeo di Tommaso da Foligno où tous les éléments de sa tenue, des
épaulières aux solerets, sont couleur or. Autour du milieu du XVe siècle une demi-douzaine
d’images de Michel le représente vêtu d’une armure entièrement noire. Il semble que ce choix
ait été fait principalement pour des questions d’ordre visuel. Dans le Jugement dernier de
Lorenzo Vecchietta par exemple, l’archange au centre de l’image apparait comme une masse
1692
Dans un deuxième cas, constitué par le panneau de Lorenzo di Alessandro de 1480, le port des gants
correspond certainement davantage à un choix artistique du peintre, pour ajouter une certaine élégance à la
silhouette déjà gracieuse de l’archange. Nottons d’ailleurs que dans cette image, les jambes ne sont pas couvertes
de pièces d’armure mais de collants, type iconographique dont nous reparlerons plus tard. Crucifixion et saint
Michel, Baltimore, The Walters Art Gallery, peinture sur panneaux.
1693
Citons, à titre d’exemple, la peinture murale de Pisanello à San Fermo Maggiore de Vérone, en 1424-1426,
où la chemise blanche et légère dépasse du plastron et des épaulières.
416
sombre qui permet de scinder clairement la composition en deux, à sa droite le côté des élus,
et à sa gauche le côté des damnés : il apparaît, grâce à son armure noire, comme une barrière
infranchissable.
Dans une dizaine de peintures de l’archange en armure, une croix apparait sur son torse,
généralement sur un pourpoint ajouté sur le plastron ou directement marquée dans le fer
comme celle peinte par Giovanni de Campo, elle est rouge sur un fond blanc1694. Il s’agit
d’une croix de saint Georges qui évoque celle des croisées, et distingue l’archange comme
étant le miles Christi par excellence1695. La croix étant un symbole de ralliement des hommes
pour les croisades, sur l’archange elle signifie le ralliement des anges restés fidèles à Dieu et
combattant pour lui. Michel n’est pas un simple guerrier, il est un guerrier de Dieu.
Enfin, si Michel est un guerrier vêtu comme les soldats des tre- quattro- et cinquecento, la
perfection et la brillance de son armure prouvent sa supériorité et son invincibilité. Aucune
trace, aucun coup, aucune saleté ne viennent ternir l’armure rutilante de l’archange peint par
Francesco Botticini. Cet élément de l’habillement michaélique devient l’objet d’un véritable
exercice pour les peintres de la fin du XVe siècle, sur les reflets ainsi que les jeux d’ombres et
de lumières.

Bartolomeo di Tommaso Lorenzo Vecchietta, Giovanni De Campo et Francesco Botticini, Les


da Foligno, Jugement Jugement dernier (détail), atelier, Saints (détail), trois archanges et Tobie
dernier (détail), Terni, San Sienne, Baptistère, peinture Briona, San Bernardo (détail), Florence, Offices,
Francesco, peinture murale, 1447-1450. d’Aosta, peinture peinture sur panneaux,
murale, 1445-1451. murale, 1463. 1470.

Ces images de l’archange en armure constituent des documents intéressants pour l’étude des
vêtements de protection à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, même si le
réalisme n’est pas forcément au centre des préoccupations des peintres figurant Michel en
guerrier.

Certaines images illustrent une interférence entre l’habillement militaire et la mode


civile contemporaine. L’adoption du pourpoint par l’archange en est un exemple révélateur.
Cette veste courte et matelassée pouvait se porter sous l’armure, mais elle était surtout, avec
sa longueur limitée et son effet ajusté, le vêtement à la mode porté par les jeunes hommes

1694
Cette croix peut également apparaitre sur le bouclier de l’archange ou sur une bannière.
1695
RIGAUX, 2009, p. 582.
417
soucieux de leur apparence dans l’Italie du Quattrocento1696. Dans certaines peintures, le
plastron coloré, généralement en blanc pour accueillir la croix rouge, ressemble davantage à
un pourpoint qu’à une cuirasse, comme dans la peinture murale du baptistère de Parme. Cet
effet est accentué dans une série d’une dizaine d’images datées entre 1480 et la fin de la
période étudiée. Dans ces images, Michel conserve les éléments d’armure sur la partie haute
de son corps, mais ses membres inférieurs sont totalement dégagés de tout vêtement
protecteur : il porte des collants ou a les jambes totalement nues. Domenico Ghirlandaio a
peint trois fois Michel entre 1480 et 1494, et à chaque fois, comme dans l’exemplaire
conservé à l’Art Museum de Portland, l’archange est couvert de fer sur le tronc et les bras,
alors que ses jambes ne portent qu’un collant et une jupette en tissu transparent1697.
L’ambigüité apparente de cette moitié de protection peut se justifier par une volonté de
donner à Michel la silhouette d’un homme jeune et élégant de la fin du Quattrocento : un
buste aux volumes marqués par un élément ceinturé - ici le plastron a la même forme et la
même longueur qu’un pourpoint - et des jambes fines et galbées par des bas de chausses.
C’est certainement par pudeur que le peintre a ajouté cette fine jupe qui permet de rendre
moins visibles les parties intimes de l’anatomie de Michel. L’effet n’est pas le même dans la
peinture de Bartolomeo della Gatta. Le contraste entre un haut de corps couvert et protégé et
des membres inférieurs découverts, est toujours présent, plus que jamais d’ailleurs puisque les
jambes de l’archange sont nues. Par contre, la silhouette n’est pas celle d’un jeune seigneur
des cités italiennes. Le déshabillement des membres inférieurs doit davantage être mis en
relation avec une volonté d’exposer la puissance de l’archange par la monstration de sa
puissance musculaire, et son invincibilité par le fait que, contrairement aux hommes, il n’a
pas besoin de fer pour protéger son corps. Le maintien du plastron permet de conserver l’idée
d’un archange guerrier.

Anonyme, Saint Michel (détail), Domenico Ghirlandaio, Saints Bartolomeo della Gatta, Vierge à
Parme, Baptistère, peinture Michel et Dominique (détail), l’Enfant et saints (détail), Castiglion
murale, 1370. Portland, Art Museum, peinture sur Fiorentino, Musée San Giuliano,
panneaux, 1480-1485. peinture sur panneaux, 1486.

1696
LEVI PISETZKY, 1964, p. 326.
1697
Les deux autres peintures sont une détrempe sur bois représentant une Vierge à l’Enfant et saints, conservée
aux Offices à Florence et réalisée entre 1484 et 1486 ; et une tempéra et huile sur bois représentant une Vierge à
l’Enfant en gloire et saints, conservée à Munich et réalisée en 1494.
418
Si une partie des peintres du XVe et du début du XVIe s’est attachée à rendre la figure de
l’archange soldat semblable à celle de leurs contemporains, une autre démontre, par
l’adoption d’armure imaginaire, l’exceptionnalité de Michel par rapport aux guerriers
terrestres.

Comme pour les autres catégories de l’archange soldat, l’armure de Michel peut
devenir le support d’un foisonnement de décorations. L’ornementation dans la peinture de
Pellegrino di Giovanni di Antonio da Perugia, ne touche pas directement la masse de
l’armure, mais consiste en l’adjonction d’ailes sur les épaules et autour de la taille de Michel,
ainsi que de rondelles en forme de fleurs sur les épaulières. L’archange de Fillipo Lippi
possède une cuirasse décorée de motifs végétaux et de pierres précieuses, ainsi que de
rondelles blanches marquées de la même croix de saint Georges rouge que son bouclier.
Parmi les écarts du modèle contemporain, il faut noter l’ajout, dans plusieurs peintures de
Michel en armure, d’une jupe qui rappelle les ptéryges romains, alors même qu’ils sont
rendus inutiles par la présence des cuissards. Federico Tedesco a peint ces lattes au-dessus de
l’armure classique de l’archange, qui marquent, avec la chlamyde pourpre, une réminiscence
de la forme romaine du type guerrier. Notons que le manteau est timidement présent dans le
type que nous présentons par rapport au type du guerrier romain ou en tunique.

Pellegrino di Giovanni di Antonio Filippo Lippi, Saints (détail), Federico Tedesco, Saint
da Perugia, Saint Michel (détail), Cleveland, Museum of Arts, peinture Michel (détail), Venise,
Boston, Museum of Fine Arts, sur panneaux, 1457-1458. Museo Correr, peinture sur
peinture sur panneaux, 1428-1437. panneaux, 1420-1430.

Les armures de Michel qui reçoivent une riche décoration, ne sont pas pour autant des
versions similaires aux armures d’apparats que l’on pouvait trouver à la fin du Moyen Âge et
au début de la Renaissance créées pour certains princes ou seigneurs pour les parades, car ces
dernières, si elles recevaient une riche décoration, conservaient pourtant la forme des armures
de leur temps. Dans l’iconographie michaélique, c’est finalement le type hybride de
l’archange en armure contemporaine vêtu d’une jupe à lattes romaine qui est celui qui est le
plus original, voir le plus exubérant. Loin du réalisme parfois austère des images de Michel en
armure, la version de Jacobello del Fiore présente un archange vêtu d’une cuirasse avec
braconnière, d’épaulières, de genouillères et de grèves, tous dorés et ornés de motifs floraux et
géométriques. Les ptéryges qui se trouvent sous le plastron, et remplacent en quelque sorte les

419
tassettes médiévales, prouvent que le peintre n’a pas cherché à représenter un soldat
contemporain. L’archange de Luca Signorelli, empreint d’une plus grande sobriété, n’en est
pas pour autant plus réaliste. Le peintre toscan, qui a peint neuf archanges compris dans notre
corpus, est plutôt un habitué du type romain, mais propose ici un type hybride d’un saint
Michel vêtu d’un plastron sombre orné d’une tête de chérubin ailée et dorée, d’épaulières
articulées par plusieurs lames, typiques de la fin du Moyen Âge, mais comportant des franges
rappelant les ptéryges, d’une jupe à lattes jaune ornée de motifs, de cuissards, de genouillères
et de sandales. Sa tête est couverte d’un casque. Michel n’est ni un général romain, ni un
soldat contemporain.

Jacobello del Fiore, Triptyque de la Justice Luca Signorelli, Déposition et saints


(détail), Venise, Galleria dell’Accademia, (détail), Cortona, San Niccolò, peinture
peinture sur panneaux, 1421. sur panneaux, 1516.

Ces écarts avec l’armure de base montrent que les vêtements de Michel sont ici déconnectés
de leur réalité fonctionnelle, en faveur d’une symbolique mettant en avant la nature martiale
de la mission de l’archange et le caractère exceptionnel de celui qui la porte.

Terminons notre tour d’horizon des images de l’archange en armure avec une peinture
étonnante, peinte par Niccolò di Liberatore. Ce fragment de polyptyque représente une scène
d’Ascension entourée de deux anges guerriers dans des niches. Celui de gauche est vêtu d’une
armure complète et porte une balance des plateaux de laquelle il écarte un démon qu’il
transperce de sa lance et foule aux pieds. Il semble représenter Michel. Dans ce cas, qui est
l’ange qui se trouve dans la niche de droite, vêtu d’un costume militaire d’inspiration
romaine et qui porte une épée ? Les images des deux guerriers ailés sont basées sans aucun
doute sur l’iconographie michaélique, mais pourquoi le peintre aurait-il représenté dans la
même composition deux Michel de deux types différents ? L’ange de gauche, porteur de
balance et vainqueur de démon est sans aucun doute Michel, d’autant que le peintre, qui a
réalisé six peintures de l’archange, le présente essentiellement couvert de l’armure. Le
deuxième représente alors peut-être un dédoublement de l’image michaélique. Déjà dans
l’église San Michele de Schifanoia, le programme iconographique du XIVe siècle présentait
deux figures de l’archange : l’une où Michel armé terrassait un dragon, l’autre où il portait la
balance. Cette particularité se retrouvait deux fois dans cette même église. Mais dans le
fragment de la fin du XVe siècle, les deux figures sont toutes les deux des images de guerriers,

420
et la seconde n’apporte rien à la première. L’ange guerrier romain est peut-être tout
simplement l’un des soldats sous les ordres de Michel, qui assure le pendant de l’archange
pour encadrer la scène centrale, et assurer la sécurité des routes de l’au-delà, au Christ qui
réalise son Ascension.

Niccolò di Liberatore, Ascension et anges (détails), Avignon,


Musée du Petit Palais, peinture sur panneaux, 1480.

Le casque n’est pas très présent dans notre corpus. Le plus souvent, nous l’avons vu,
Michel a la tête nue, ou un léger diadème. S’il n’est pas strictement réservé à ce type, le
casque est principalement porté par le guerrier en armure, ce qui semble logique puisqu’il
correspond à une pièce majeure de l’équipement défensif. Nous avons recensé trente-et-une
images de l’archange portant un casque ou un chapeau, cinq pour le XIVe siècle, onze pour le
XVe siècle et quinze pour la période comprise entre 1500 et 1518. Il faut noter à ce propos le
rôle des ateliers qui diffusent ce modèle, puisqu’à lui seul, l’atelier de Lucca Signorelli
compte huit peintures de Michel portant un casque sur les quinze que regroupe le début du
XVIe siècle. Le casque arrive donc tardivement dans l’iconographie italienne de l’archange.
Fra Angelico est le seul à figurer Michel avec casque porté à la main. Dans sa peinture
conservée à la National Gallery de Londres, l’archange vêtu de l’armure a ôté son casque par
respect pour le Christ qui se présente devant lui.

Fra Angelico, Glorification du Christ (détail), Londres, National Gallery, peinture sur panneaux, 1423-1434.

421
Les types des casques portés par l’archange sont assez simples et se divisent principalement
en deux catégories. La première est constituée d’une calote ronde en fer posée sur le sommet
du crâne de Michel, certainement la cervelière ou le chapel de fer, lorsqu’il comporte un
rebord, très répandu à la fin du Moyen Âge1698. Sur le panneau de Giovanni di Paolo de 1465,
Michel porte un chapel noir, dans une forme simple, qui lui descend sur le front. La version
d’Andrea Piccinelli est en métal et agrémentée d’une bordure dorée qui crée des spirales sur la
tête, et d’une plume. Celle d’Ambrogio Lorenzetti est plus étonnante encore puisque son
casque est incisé de décorations, et porte une sorte de corne de laquelle jaillit une flamme,
évoquant peut-être les crêtes ou les panaches des casques grecs ou romains, permettant
d’embellir la coiffe tout en rehaussant la stature du guerrier. Nous retrouvons ici la flamme
qui apparait parfois sur la tête nue de Michel. Un bandeau rouge orné d’une fleur rouge
encercle le tour du casque, alors que des mèches de cheveux viennent s’enrouler à l’intérieur.
Ercole de’Roberti propose également une version avec une flamme. Le casque de l’archange
est en bronze et porte des motifs de spirales sur les côtés.

Giovanni di Paolo, Andrea Piccinelli, Vierge à Ambrogio Lorenzetti, Ercole de’Roberti, Saint
Jugement dernier (détail), l’Enfant et saints (détail), Saint Michel (détail), Michel (et détail), Paris,
Sienne, Pinacoteca Sienne, Pinacoteca Asciano, Museo d’Arte Musée du Louvre, peinture
Nazionale, peinture sur Nazionale, peinture sur Sacra, peinture sur sur panneaux, 1451-1456.
panneaux, 1465. panneaux, 1510-1515. panneaux, 1330.

La seconde catégorie de casque découle du premier modèle et en est une version plus tardive,
puisqu’elle date du XIVe siècle, caractérisée par l’ajout d’une queue à l’arrière du casque, et
parfois d’une visière1699. Ce casque, appelé la salade, se retrouve par exemple dans le panneau
du Maestro dell’Osservanza de Sienne. Le casque est simple, noir, et comporte la visière
caractéristique au-dessus du front de l’archange. Luca Signorelli en propose des versions
originales. Une peinture d’Orvieto représente le casque à longue visière orné d’une paire
d’ailes dorées, évoquant peut-être le casque d’Hermès ou de Mercure, parfois considérés
comme les ancêtres de l’archange. Le casque en bronze présent dans une huile des Offices est,
quant à lui, recouvert de motifs fondus dans la masse, et nous retrouvons notamment la spirale
déjà présente sur le casque d’Ercole de’Roberti.

1698
Dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/cerveli%C3%A8re
1699
TOUATI, 2007, p. 292.
422
Maestro dell’Osservanza, Luca Signorelli, Saint Michel Luca Signorelli, Vierge à
Saint Michel (détail), Sienne, (détail), Orvieto, Duomo, l’Enfant et saints (détail),
Museo dell’Archivio di Stato, peinture murale, 1499-1502. Florence, Offices, huile
peinture sur panneaux, 1444. sur bois, 1513-1514.

Un dernier type de casque, très peu représenté, est une version de la cervelière agrémentée de
couvre-joues. Il apparait dans trois peintures de Luca Signorelli, notamment celle réalisée en
1502 et conservée à Londres dans une collection privée. S’il ne s’agit pas d’un casque, deux
couvre-chefs apparaissent isolés dans notre corpus sur la tête de l’archange guerrier. Il s’agit
premièrement d’une huile sur toile du Pérugin qui présente Michel coiffé d’un chaperon orné
d’un ruban pourpre et d’un médaillon surmonté d’une plume. Et, pour terminer, Piero della
Francesca a ajouté un accessoire entre la chevelure de son archange du type guerrier romain :
il s’agit d’une couronne de laurier, couronne triomphale par excellence.

Luca Signorelli, Saint Pietro Perugino, Vierge à l’Enfant Pierro della Francesca,
Michel (détail), Londres, et archanges (détail), Londres, Saint Michel (détail),
Formely Sotheby's, huile National Gallery, tempera et huile Londres, National
sur bois, 1502. sur toile, 1496-1500. Gallery, 1469

Les critères qui ont guidé le choix des peintres vers des casques simples aux formes
élémentaires, ne semblent pas être liés aux dernières évolutions techniques en matière
d’équipement défensif. Si les peintres ont parfois décidé de couvrir le chef de Michel, ils ne
pouvaient cacher tout ou partie de son visage, et n’ont pu ainsi lui faire porter le nasello
mobile ou la visière à rabattre. Cette simplicité du casque, et surtout sa rareté dans l’ensemble
des peintures ressencées insistent également sur le fait que Michel est d’une nature différente
des hommes en général, et qu’il n’a pas à se protéger comme eux, mais également de la classe
sociale, même élevée des chevaliers. Esther Dehoux a souligné le caractère discriminant du
casque et toute la symbolique qui marque également l’abandon des insignes des fonctions
militaires1700. Ne pas revêtir Michel du casque est signifier qu’il n’appartient ni au groupe des
hommes, ni au groupe des guerriers humains.

1700
DEHOUX, 2011, p. 125.
423
I.3.3.2. Évolution des types de l’archange guerrier

Après avoir étudié séparément les trois catégories de l’archange guerrier, et ayant
remarqué les imbrications qui existent entre elles, nous aimerions retracer une évolution
générale du type.

D’un ange armé à un guerrier ailé

Le type de l’archange guerrier n’est presque pas présent dans notre corpus au cours du
XIII siècle. Avant le XIVe siècle, Michel est avant tout un ange, un archange, un dignitaire de
e

la cour céleste, il porte des armes, mais ses vêtements indiquent que ce n’est pas un véritable
soldat. À ce titre, il est révélateur de voir qu’avant 1300, Michel porte presque toujours des
vêtements longs, non adaptés à un combat, alors qu’ensuite, il est presque toujours représenté
avec des tenues courtes qui laissent entrevoir tout ou partie de la forme de ses jambes. Ce
raccourcissement des habits, qui permet au guerrier de se battre et de se déplacer sans entrave
textile au niveau des membres inférieurs, est une preuve formelle de la militarisation italienne
de la figure michaélique à partir du Trecento.
Si la dalmatique, le pallium, l’aube ou le lôros sont des signes visuels qui distinguent la nature
de Michel, principalement angélique et archangélique, et sa relation avec le divin, les
vêtements militaires, qu’ils soient romains, contemporains ou imaginaires, sont une référence
claire à la mission de l’archange. Ainsi, même si l’ajout de décorations ou d’éléments
symboliques rende souvent son costume militaire impropre au combat, le passage du XIIIe au
XIVe siècle est marqué par la mise en avant de la mission de Michel par rapport à sa nature
profonde.

Au XIVe siècle, ce guerrier ailé est la plupart du temps vêtu d’une cuirasse avec ptéryges,
d’une chlamyde, ses jambes et ses bras sont couverts d’étoffes et il porte parfois des
genouillères. La référence à une tenue romaine ne fait pas de lui un soldat du passé, mais
plutôt un soldat idéal. La figuration du plastron, souvent musculaire, point central de ce type,
permet d’insister sur la puissance physique de Michel sans souligner le caractère défensif et
donc vulnérable de son corps. Ce plastron libère un espace propre à accueillir toute sorte de
décorations, illustration de la valeur supérieure de l’archange dans les images du Trecento.
Les formes de base héritées de l’Antiquité sont porteuses d’une symbolique claire et efficace :
Michel est un guerrier, un général de guerre. Mais le traitement de ces différents éléments
traduit la liberté et la créativité des peintres alors au service d’éléments qui embellissent le
costume strict, le rendent plus riche, plus gracieux, car Michel n’est pas un simple général
terrestre. La richesse et le décorum de sa panoplie romaine prouvent encore le caractère extra-
ordinaire du soldat de Dieu.

La tunique courte au XIVe siècle, portée par les soldats contemporains, est un rappel de la
mission de Michel et a en plus l’avantage de ne pas couvrir le corps éthéré de Michel de
424
protections métalliques. Le succès du type romain lui vaut de devenir une sorte de variante en
tissu de l’ensemble plastron, jupe à lattes. Mais sa diffusion est plutôt limitée et au XVe siècle,
elle est souvent un vêtement qui se porte au-dessus de l’armure, destiné certainement à
rompre l’esthétique austère des pièces de protection.

Du guerrier idéal au guerrier contemporain

Le type de l’archange vêtu de l’armure complète débute timidement dans les années
1330, et explose à partir du deuxième quart du XVe siècle pour devenir la norme par rapport
au guerrier romain. Déjà au Trecento, un dialogue s’était instauré entre ces deux types
puisque des éléments de l’armure venaient se greffer de plus en plus souvent à l’archange en
plastron et jupe à lattes. Ce dialogue est constant pour toute la période étudiée, même si les
rapports de force changent car XVe siècle, il s’agit davantage des ptéryges greffés sur une
armure complète qui constituent une lointaine réminiscence du type romain sur le soldat
contemporain. Le type romain perdure au XVe siècle sous des formes plus originales,
couvertes de décorations et d’éléments luxueux, allant parfois jusqu’à une certaine
exubérance. L’armure de Michel peut également foisonner de décorations, mais elle reste en
général plutôt simple et réaliste. La représentation d’une armure rutilante, agrémentée de jeux
d’ombres et de lumières, pouvait déjà constituer un véritable bijou à l’intérieur d’une
composition picturale.
La volonté des peintres de représenter de la manière la plus claire, la mission martiale de
l’archange a certainement guidé leur choix vers l’armure contemporaine. Dans ce sens, la
convocation d’anciennes coutumes vestimentaires, même si largement reconnues, était de
toute façon moins efficace que la figuration du soldat de Dieu à la manière de ceux que les
fidèles pouvaient croiser régulièrement dans les cités en conflits constants. De surcroît,
l’attention à la réalité qui marque l’évolution des formes artistiques à la fin du Moyen Âge,
amène les peintres à travailler d’après nature, à utiliser les éléments terrestres et à les
transcender dans les images religieuses. Ces transformations formelles suivent la tendance
générale de l’iconographie chrétienne portant sur l’humanisation du Christ et de ses saints
dans un souci de clarté du discours et de participation émotive des fidèles. Pourtant, dans la
création de ce discours chrétien, la représentation d’un archange couvert de protections
corporelles n’est pas sans ambigüité. La notion d’absence de corporalité des anges, déjà
définie aux derniers siècles du Moyen Âge, semble en effet se heurter aux évolutions de
l’iconographie de Michel qui privilégient la monstration de sa mission martiale au détriment
de celle de sa nature communément employée en plein Moyen Âge. Ces aspects semblent
d’ailleurs amplifiés dans les images de la fin du XVe siècle qui associent le costume de
l’archange aux dernières évolutions de la mode civile.

425
Le guerrier contemporain et la mode civile

Les années 1470-1480 constituent une période qui connait un certain foisonnement de
la décoration et une abondance des formes originales propres à créer des figures assez
éloignées d’une réalité guerrière ancienne ou contemporaine. Pourtant, ces modifications des
formes vestimentaires ne sont pas déconnectées de toute réalité puisqu’elles sont liées à la
mode civile. Selon Rosita Levi-Pisetzky, les formes sévères des vêtements masculins du
premier Trecento, cèdent la place à des formes audacieuses, sveltes, bizarres, qui
correspondent aux désirs d’affirmation de la nouvelle classe. Au début du XVe siècle, le
climat raffiné du gothique international apporte une certaine grâce aux hommes et aux
femmes, caractéristique du raffinement épicurien et courtois du Quattrocento1701. La
silhouette masculine évolue considérablement pendant ces deux siècles. Le raccourcissement
de la cotte et son caractère ajusté est déjà vivement critiqué au deuxième quart du XIVe siècle,
et placent ceux qui la portent entre vanité et ridicule1702. Les plis rigides adoptés vers 1340-
1350 soulignent davantage les formes du buste1703. Autour de 1360, ce sont les jambes qui
sont soulignées par l’adoption de vêtements moulants : l’utilisation des chaussettes qui
couvrent la totalité des jambes, non plus comme un sous-vêtement mais comme une partie
intégrante de la garde-robe1704 ; et l’invention de la calzabraca, pantalon qui couvrait toutes
les jambes et qui comportait une braguette1705. Les jambes, alors perçues comme des éléments
de virilité des hommes, sont d’autant plus en valeur que la cotte, remplacée par le surcot, ne
les couvre plus1706. Ces évolutions, qui modifient considérablement la silhouette masculine,
sont vivement critiquées, par saint Bernardin par exemple, qui réalise au deuxième quart du
XVe siècle, un prêche contre l’habillement masculin1707. La question du luxe, de l’élégance, et
de la vanité, est courante au Tre- et Quattrocento. Les épisodes de critiques se suivent,
rythmés par les lois somptuaires autour des sujets qui sont d’ordre moral, mais également
économique et social. Ces lois semblent surtout chercher à limiter l’ascension sociale d’une
nouvelle classe des artisans et des commerçants, en réservant certaines formes de luxe à une
élite, tout en évitant d’aller à l’encontre de l’économie locale en en paralysant une branche,
vivant de ce développement du goût pour la mode1708. Mais l’idéal humaniste, plus indulgent
excuse ces excès par le culte de la beauté et de l’élégance véhiculé par la mode 1709. Le luxe et
l’élégance de la figure de Michel sont un reflet de ses qualités intrinsèques.

1701
LEVI PISETZKY, 1964, p. 499.
1702
À Naples par exemple, en 1335, un édit du roi Robert s’exprime contre l’usage des cottes courtes et serrées
qui est jugé exagéré et ridicule ; voir LEVI PISETZKY, 1964, p. 43.
1703
LEVI PISETZKY, 1964, p. 43.
1704
LEVI PISETZKY, 1964, p. 23.
1705
Cette invention n’est pas non plus très bien perçue, et Gilles de Monstrelet se plaint du fait que les artistes
exagèrent le volume de la braguette couvrant les parties génitales, dans les arts ; voir LEVI PISETZKY, 1964, p.
331.
1706
LEVI PISETZKY, 1964, p. 44.
1707
LEVI PISETZKY, 1964, p. 317.
1708
LEVI PISETZKY, 1964, p. 468.
1709
LEVI PISETZKY, 1964, p. 499.
426
Ainsi, le dernier quart du XVe siècle est marqué par la transformation de la figure de
l’archange en silhouette masculine à la mode. Par ailleurs, la généralisation de l’armure a
participé à dévoiler les volumes du corps de l’archange, car en le couvrant pour le protéger,
les éléments de l’armure insistent sur chaque partie de l’anatomie. D’autre part, une série de
peintures montre Michel vêtu de collants colorés, comme pouvaient l’être ceux des seigneurs
aux couleurs de leur maisonnée1710. Nous avons vu que cette association plastron / collants,
permettait une silhouette similaire à celle formée par l’association surcot / collant ou pantalon.
Si la première phase de raccourcissement des vêtements michaéliques au début du XIVe
siècle, était dictée par une volonté de militarisation de sa figure, la seconde phase de
raccourcissement de la fin du XVe siècle, marque, elle, des infiltrations de la mode civile dans
le vestiaire de l’archange.

À la fin du XVe siècle et au début du XVIe, un guerrier hybride

La place de la réalité dans le vestiaire de Michel au début du XVIe siècle est en net
recul. Le type de l’archange en armure contemporaine n’a jamais été si présent, pourtant, un
nouveau type hybride est en formation, proposant une figure idéale, au-delà d’un réalisme
vestimentaire guerrier ou d’une attention à la mode contemporaine. Ce type est marqué par
l’alliance de l’armure et de l’attirail romain, principalement les ptéryges qui viennent se fixer
au plastron de l’armure. L’association de ces éléments permet de créer un décalage avec le
réel dans le costume du guerrier contemporain et de transcender un type trop réaliste par
l’hybridité de sa figure. Nous avons noté que ce type était souvent plus exubérant puisqu’il ne
s’attache plus à représenter la réalité.
La suppression des éléments protecteurs des jambes de l’archange est une nouvelle étape au
sein de cette catégorie composite puisque dans une même figure de l’archange, les
proportions des éléments de type romain et de type en armure s’équilibrent. L’attention portée
sur les jambes de Michel insiste sur sa puissance musculaire et correspond au goût des
peintres et sculpteurs de cette période pour le corps et sa représentation. Au début du XVIe
siècle, Michel se retrouve souvent avec le haut du corps, et même la tête, recouverts de fer,
alors que ses jambes sont figurées dans un simple collant ou nues. Si l’ambigüité de
l’adoption de l’armure totale pour un corps immatériel a déjà été soulignée, elle n’en est pas
moins grande avec la limitation des protections corporelles de Michel. En effet, le fait de
limiter les éléments de l’armure prouve que l’archange n’en a pas réellement besoin, mais
permet surtout s’insister sur la puissance toute matérielle des muscles de ses membres.

À la fin de notre période, Raphaël supprime cette ambivalence, puisqu’il ne protège plus les
différentes parties de l’anatomie de Michel de plaques de fer. Son vêtement est simplifié,
allégé. Son torse est couvert d’une pièce souple qui, s’il évoque encore la forme ajustée, les
manches courtes et la base pointue d’une cuirasse romaine, n’en a plus ni la matière ni la

1710
LEVI PISETZKY, 1964, p. 331.
427
fonction protectrice. La jupe à plis est encore ici un lointain souvenir des ptéryges mais
l’archange ne porte plus ni tunique, ni collant, ni manteau, remplacés ici par un long drapé
voletant. Des chausses montantes lui couvrent en partie les pieds jusqu’au milieu du tibia, afin
de le protéger d’un contact avec le démon, mais elles n’ont rien à voir avec des sandales
romaines ou des solerets médiévaux. Le type antique est transcendé par une simplicité
angélique. Le saint Michel de Raphaël n’est pas plus un soldat contemporain qu’un général
romain : il est un soldat idéal, hors du temps, une incarnation quasi métaphysique de la
puissance guerrière1711.

L’iconographie martiale de Michel est un va-et-vient constant entre un idéal militaire, la


réalité guerrière de l’époque, la mode civile, les évolutions techniques et formelles de la
peinture et les mutations de l’iconographie chrétienne à la fin du Moyen Âge. Nous évoquions
dans une partie précédente les effets de la mode sur les représentations angéliques auxquelles
n’étaient pas soumis l’archange1712, mais c’est à travers son costume de guerrier qu’il les
subit.

À la fin de notre période, si les vêtements de Michel se détachent de la mode vestimentaire


civile contemporaine, ils restent pourtant bien ancrés dans le goût de cette époque pour la
redécouverte de l’Antiquité, fantasmée et idéalisée, comme dans la version raphaélesque du
costume de Michel. En outre, les tenues de l’archange s’écartent du réel, mais le rapport à la
réalité est plus que jamais présent dans l’iconographie michaélique à travers la représentation
de son anatomie et de ses mouvements. L’attention au réel, absorbée aux XIV et XVe siècles,
dans l’équipement de l’archange qui le couvrait entièrement, se déplace, à la fin du
Quattrocento et au début du Cinquecento, vers son corps, à mesure que les vêtements en
découvrent des parties.
L’iconographie du guerrier ailé oscille ainsi entre évocation nostalgique d’un vestiaire passé,
réalisme des tenues contemporaines, et originalité d’un costume de soldat céleste.

III.1.2. Conclusion sur les vêtements : une figure à part dans des groupes plus larges

Les différents types d’habillement portés par l’archange au cours de notre période le
rattachent à chaque fois à un groupe plus large, celui des anges, celui des archanges, celui des
guerriers saints. Mais la figure michaélique ne se limite jamais à l’un de ces types et comporte
toujours un ou plusieurs éléments supplémentaires - attribut, caractéristique physique, action
réalisée - qui le distingue ou en fait un représentant suprême de ce groupe. Il est toujours au-
dessus des membres de ces catégories : il peut être un ange, mais un ange qui porte des armes,
qui apparait à des évêques dans des conditions bien particulières ; un archange, mais qui est

1711
GUARINO, 1987, p. 86.
1712
Voir à ce propos le chapitre 1. III.1.4.1. Évolutions de la représentation angélique aux derniers siècles du
Moyen Âge.
428
nommé, qui pèse les âmes et porte les armes ; un saint guerrier, mais ailé, dont la puissance
supplante tous les bras armés humains, même s’ils sont saints. Il n’est jamais représenté
comme un simple homme, mais en ministre privilégié de Dieu, en haut dignitaire de sa cour
céleste ou en général atemporel et idéal.
Les objets portés par Michel sont des éléments clés dans la spécification de son rôle dans
l’iconographie de la fin du Moyen Âge.

429
430
II- AUTOUR DE L’ARCHANGE. OBJETS, PERSONNAGES ET MISE EN SCÈNE

II.1- Les attributs de Michel. Un archange aux mains pleines

Michel est accompagné dans les images de signes, qu’il porte dans ses mains ou qui
sont présents à proximité de sa figure, et qui permettent de définir ou de compléter un aspect
de sa personnalité, de sa nature ou de sa mission. Ils peuvent souligner un caractère déjà
présent dans le type vestimentaire de l’archange, dont nous venons de faire la description, ou
le compléter en évoquant un aspect supplémentaire, parfois même contradictoire. L’image de
Michel a la particularité de posséder des attributs de deux natures différentes : les objets, la
plupart du temps portés directement dans les mains de l’archange ; et les figures,
« êtres vivants » associés dans la composition à Michel, qui peuvent être en contact physique
avec lui ou non, ou prendre place dans un attribut-objet lui-même tenu par Michel. Ils ont la
même fonction que les objets, si ce n’est qu’ils ont un dynamisme propre qui s’oppose parfois
à la volonté de Michel. L’archange ne possède pas un grand nombre d’attributs, mais ils sont
interchangeables et associés indifféremment aux différents types définis par les vêtements de
Michel. C’est davantage l’assemblage entre ces différents éléments, la relation entre les objets
et les personnages, le mouvement, le contexte iconographique, qui varient et qui deviennent
signifiants.

II.1.1. Les objets de l’archange

Michel porte principalement trois attributs-objets : l’arme, la balance et le globe. Ces


signes sont avant tout des symboles, ils véhiculent par analogie formelle, naturelle ou
culturelle, quelque chose d’invisible dans l’image. Mais les deux premiers, les armes et la
balance, peuvent également figurer en tant qu’instrument de réalisation d’une action ou d’une
opération exécutée par Michel dans l’image. Cela ne modifie pas leur aspect, mais la relation
qu’ils entretiennent avec le personnage qui les porte. Leur utilisation peut influer sur la
manière de représenter le personnage qui les tient, sa position, son dynamisme. Michel est un
archange occupé qui n’apparait presque jamais les mains vides1713.

1713
Voir à ce propos le chapitre 2. II.2.3.2.2. Les gestes sans objets.
431
II.1.1.1. Les armes et les attributs militaires

Dans l’iconographie du plein Moyen Âge et encore au XIIIe siècle, puisqu’il ne porte
pas de tenue militaire, ce qui donne essentiellement à Michel le statut de guerrier est le port
d’une arme et souvent, à proximité, la représentation de quelque chose à protéger - le Christ,
la Vierge, une âme ou la balance - et / ou de quelque chose à combattre - démons ou dragon.
L’arme peut avoir des degrés d’importance différents dans la reconnaissance de l’archange et
dans la définition du caractère de sa mission. Lorsqu’il est le seul objet militaire, il peut être
déterminant dans la nomination d’un ange comme étant Michel. Il peut également apparaître
comme un instrument indispensable à la réalisation de la mission de l’archange, mais il peut
aussi être secondaire, simple élément supplémentaire de l’attirail guerrier.
Nous avons classé les armes en plusieurs catégories, déterminées par leur forme et leur
utilisation : les armes d’hast ; les emblèmes militaires et religieux à longue hampe, eux-
mêmes parfois utilisés comme armes ; les armes tranchantes à poignée ; et les armes
défensives. Notons que si elles apparaissent historiquement à la fin de notre période1714,
Michel n’emploie jamais d’armes à feu.

Les armes d’hast

Du latin hasta, qui signifie lance, les armes d’hast sont des armes blanches constituées
d’un manche, généralement en bois, appelé hampe, et d’une pointe de fer qui peut avoir
différentes formes. La plus courante est une forme de pique, appelée fer, caractérisant la lance
proprement dite, forme que l’on retrouve dans les images de Michel. Cette arme est utilisée
depuis la Préhistoire, avant tout pour la chasse, car elle présentait l’avantage de pouvoir
frapper une proie tout en restant à bonne distance, intérêt qui peut également justifier l’usage
de cette pièce contre des dragons et des démons. Dans l’Antiquité, elle devient une arme de
guerre et est portée par des unités rangées d’hommes. Moins adaptée aux combats entre
soldats cuirassés, la forme de son fer se modifie (avec par exemple l’ajout d’un fer de hache)
mais la lance reste l’arme la plus répandue dans l’histoire de l’homme. La lance est parfois un
insigne royal, comme pour les Lombards qui n’étaient pas couronnés1715.
Des images anciennes de Michel portant la lance sont attestées assez précocement : l’ivoire de
Leipzig, réalisée vers 800, figure une longue lance au fer acéré brandie par l’archange au-
dessus du dragon qu’il s’apprête à frapper. À l’aube du XIIIe siècle, la lance et le bâton sont
les principales armes portées par Michel pour combattre le mal.

Dans notre corpus, la lance est portée près de deux-cents fois par Michel. Cet attribut est tenu
majoritairement par l’archange vêtu en guerrier (cent-cinquante-sept fois), ce qui n’est pas
étonnant puisque Michel porte des vêtements de soldats dans 80% de l’ensemble des œuvres

1714
LEVI PISETZKY, 1964, p. 387.
1715
LEVI PISETZKY, 1964, p. 82.
432
répertoriées. Ce qui est intéressant, c’est de voir que sur la centaine d’images de Michel qui
ne le présente pas en guerrier au niveau vestimentaire, soixante-huit le figurent portant une
arme, dont quarante-deux avec la lance. Ainsi une première remarque se profile : la lance est
l’arme principale de l’archange classique et de l’archange byzantin. Et puisque ce sont des
types qui se développent majoritairement au XIIIe siècle, la lance apparait
proportionnellement beaucoup plus souvent au Duecento, et ce rapport diminue aux siècles
suivants, comme nous le voyons clairement sur le graphique suivant.

100%
90%
80%
70%
60%
50% pas de lance
40% lance
30%
20%
10%
0%
XIIIe XIVe Xve 1500-1518

Doc. 3. Proportion de la présence de la lance par siècle dans notre corpus.

La lance de Michel n’est pas toujours clairement identifiable, notamment pour les peintures
dont la conservation est moyenne ou mauvaise. Elle peut ainsi être confondue avec un bâton,
également utilisé par l’archange, une croix, un labarum ou un étendard. La hampe est
généralement en bois de couleur marron clair à marron foncé, tirant parfois sur le noir. Dans
peu de cas, elle est colorée en rouge1716, en noir1717 ou en blanc1718. Elle peut être
particulièrement fine, comme celle tenue par l’archange d’un anonyme italo-byzantin de la fin
du XIIIe siècle, où la faible épaisseur de la hampe fait douter de son efficacité, mais est
généralement de taille moyenne. Les peintres insistent volontiers sur la longueur de la lance,
qui est l’une de ses caractéristiques principales, en situant une ou les deux de ses extrémités
hors-cadre, comme c’est le cas dans le médaillon de Giotto ou dans le panneau de Niccolo
Rondinelli. Le bois de la lance est généralement de forme cylindrique régulière et lisse. Deux
spécimens comportent pourtant une zone à l’épaisseur réduite créant une poignée saisie par la
main droite de Michel : une peinture murale d’Aimon Duce de 1429, où la poignée se situe à
l’extrémité de la hampe, et une toile de Lazzaro Bastiani de 1495, où la poignée est au milieu
de la hampe, circonscrite par deux bourrelets de bois.

1716
Comme par exemple dans la Vierge à l’Enfant, Crucifixion et saints, de Barnaba da Modena conservée à
Savona, San Dalmazio in Lavagnola, peinture sur panneaux, 1376.
1717
Comme par exemple dans le saint Michel et sainte Apolline d’Ercole de’Roberti, conservé au Louvre à Paris,
peinture sur panneaux, 1451-1456.
1718
Comme dans la peinture sur panneaux de Pietro Alemanno, Vierge à l’Enfant et saints, Ascoli Piceno,
Pinacoteca Comunale, 1489.
433
Anonyme italo- Giotto, Saint Michel Niccolo Rondinelli, Aimone Duce, Lazzaro
byzantin, Saint (détail), Padoue, Vierge à l’Enfant et Saint Michel Bastiani, Saint
Michel (détail), Chapelle Madonna saints (détail), (détail), Villafranca Michel (détail),
Pise, Museo dell’Arena, peinture Baltimore, The Piemonte, Capella Padoue, Museo
Nazionale di San murale, 1303-1308. Walters Art di Missione, Civico agli
Matteo, peinture Gallery, peinture peinture murale, Eremitani,
sur panneaux, fin sur panneaux, 1429. huile sur toile,
du XIIIe. 1495-1502. 1495.

Le fer est souvent enfoncé dans la gueule du dragon, et est donc invisible, mais dans plusieurs
images, Michel s’apprête à assener le coup fatal, en brandissant l’arme à la pointe alors
visible. La pointe a toujours une forme rhombique simple, comme le montre le détail de la
peinture sur panneaux de Jacopo di Paolo conservée à Bologne, et l’extrémité opposée est la
plupart du temps lisse et nue, mais peut parfois porter un pommeau. Dans la Vierge à l’Enfant
et saints de Bonaventura Berlinghieri, la sphère fixée au bout supérieur de la hampe est
certainement destinée à équilibrer le poids de la lance. Enfin, cette extrémité peut également
porter une décoration, comme dans le panneau dédié à Michel et ses légendes de Coppo di
Marcovaldo. La pointe est généralement tenue vers le bas, puisque Michel est en train de se
servir de son arme contre l’ennemi qui gît à ses pieds. Mais il peut arriver qu’une
représentation de l’archange au repos, sans dragon ni démon, figure le fer de la lance en l’air,
comme dans la peinture de Luca Signorelli de 1516 conservée à San Niccolò de Cortona. Ces
images de Michel au repos sont plus courantes à la fin de notre période, au sein des Saintes
Conversations.

Jacopo di Paolo, Coppo di Marcovaldo, Saint Bonaventura Berlinghieri, Luca Signorelli,


Saints (détail), Michel et légendes (détail), Vierge à l’Enfant, Déposition et saints
Bologne, Pinacoteca, San Casciano Val di Pesa, Crucifixion et saints (détail), Cortona,
peinture sur panneaux, Museo d’Arte Sacra, peinture (détail), Florence, Offices, San Niccolò,
1400-1410. sur panneaux, 1250-1255. 1260-1270. peinture sur
panneaux, 1516.

434
La lance est toujours portée par Michel, elle n’est jamais posée au sol devant lui ou
appuyé sur un autre élément de l’image. L’archange la tient toujours dans la main droite, à
l’exception d’une peinture de Pellegrino di Giovanni di Antonio da Perugia où la lance est
appuyée sur l’épaule de Michel et légèrement tenue par sa main gauche, alors que la main
droite présente l’épée. Dans la majorité des cas, Michel tient cette arme à une seule main,
alors que l’utilisation d’une arme d’hast exigerait parfois l’utilisation des deux mains. Mais
Michel tient presque toujours un autre objet à gauche. Pourtant, dans une dizaine de peintures
du corpus, il a posé ses deux mains sur la hampe, certainement parce qu’il met toute sa force
dans le coup qu’il va porter, comme dans le Jugement dernier de Pietro Cavallini. Si l’ardeur
au combat n’est pas présente dans la représentation, les deux mains sur la lance semblent être
le moyen d’éviter à l’archange d’avoir une main inactive. La lance enfoncée et la petite taille
du dragon, montrent bien que l’archange n’a pas besoin de la force de ses deux bras pour tuer
la bête dans le panneau de Luca di Tommè. Dans celui de Benvenuto di Giovanni, Michel sert
la lance contre lui mais semble cette fois s’en servir comme appui pour se reposer une fois sa
mission accomplie.

Pietro Cavallini, Jugement dernier Luca di Tommè, Saint Michel Benvenuto di Giovanni, Vierge à
(détail), Rome, Santa Cecilia in (détail), Amiens, Musée de l’Enfant et saints (détail), Vescovado
Trastevere, peinture murale, 1293. Picardie, peinture sur di Murlo, église paroissiale, peinture
panneaux, 2e ½ du XIVe. sur panneau, 1475.

Gioia Bertelli précise que, dans les formules byzantines, la lance est toujours tenue de
manière bien verticale1719, et c’est encore souvent le cas dans la peinture italienne du XIIIe
siècle. Cette manière de tenir l’arme est certainement héritée du labarum, tenu bien droit le
long du corps. C’est la façon la plus courante de la tenir lorsque la lance apparait seule, sans
la présence du dragon ou de démons dans la surface picturale. Dans ce genre de
représentations, comme dans celle peinte par un anonyme de L’Aquila, la lance est le signe de
la mission guerrière de l’archange. Mais dans l’iconographie michaélique, les armes sont bien
souvent des instruments avant d’être des symboles. La lance tenue à la verticale est présente
dans une cinquantaine de peintures de notre corpus, et ne se limite pas à des représentations
de Michel sans le dragon. La peinture murale du Maestro delle Traslazioni représente bien le
type courant de l’archange en position frontale, foulant aux pieds le dragon et enfonçant sa
lance, qui reste verticale, dans la gueule de ce dernier. Le combat est terminé, le dragon est

1719
BERTELLI, 1986, pp. 131-154.
435
maîtrisé, transpercé, et l’archange ne fournit aucun effort malgré le fait qu’il soit en train
d’achever la bête. La figure même de l’archange ne diffère pas de celle de L’Aquila, seul le
dragon est ajouté et l’ensemble reste statique, malgré l’évocation du combat. Lance droite et
statisme ne sont pourtant pas toujours associés car la hampe peut être verticale et l’archange,
énergique. La lance de Michel dans la peinture murale de San Zan Dégolà de Venise, est
tenue verticalement, et pourtant la position de l’archange, la jambe droite pliée pour écraser la
bête et le mouvement général du corps vers la tête du dragon, participent à une certaine
vitalité de la composition.

Pellegrino di Anonyme, Vierge à Maestro delle Traslazioni, Anonyme, Saint


Giovanni di Antonio l’Enfant et saints (détail), Saint Michel (détail), Michel (détail),
da Perugia, Saint L’Aquila, Museo Anagni, Cathédrale, Venise, San Zan
Michel, Boston, Nazionale d’Abruzzo, peinture murale, 1250. Degolà, peinture
Museum of Fine peinture murale déposée, murale, 1380-
Arts, peinture sur 1e décennie du XIIIe. 1390.
panneaux, 1428-
1437.
Il est vrai que la position oblique de la lance apporte un dynamisme accru. C’est déjà de cette
manière qu’elle apparaissait sur les fragments de tissu copte du VI ou VIIe siècle et dans le
bas-relief du trône épiscopal de Monte Sant’Angelo, datant de la fin du XIe et du début du
XIIe siècle1720. C’est également ainsi qu’elle est le plus souvent tenue par Michel dans notre
corpus1721. Dans le petit panneau du Maestro di Maddalena, Michel porte la lance dans la
main droite, qui traverse obliquement la surface picturale pour rejoindre la tête du dragon
qu’elle transperce dans la gueule. C’est le fait d’avoir placé le dragon dans l’autre sens, la tête
à droite et non plus à gauche, qui justifie ce changement d’inclinaison de l’arme d’hast.
Pourtant, dans cette image de la fin du XIIIe, siècle, l’archange a toujours une position
statique. Notons qu’il n’y a ainsi pas une règle stricte entre lance verticale et statisme et lance
oblique et dynamisme. Ce sont les images de saint Michel en général qui sont pleines de
vitalité, notamment à partir du XIVe siècle. Le succès de la position oblique de la lance est en
fait lié à l’ajout d’un autre attribut : la balance. Puisque l’arme est portée dans la main droite,
les autres attributs, globe et balance, sont portés à gauche. Or la pesée est souvent l’enjeu d’un
combat entre Michel et les démons1722, la lance sert alors à écarter ces derniers des plateaux,
afin qu’ils n’en influencent pas le résultat. La plus ancienne image de Michel qui associe la

1720
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 2.2.2.2. Une origine gargane pour le type sauroctone ?
1721
Plus de cent peintures représentent Michel tenant la lance obliquement dans notre corpus.
1722
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 2.2.3.2. Michel porteur de la balance dans les Jugements derniers.
436
lance et la balance est une peinture murale dans l’église Santa Maria ad Cryptas de Fossa, et
date de 1263-1283. La lance de Michel traverse obliquement la zone de la pesée pour piquer
un démon dans le coin inférieur droit de l’image.

Maestro di Maddalena, Vierge à l’Enfants et saints Anonyme, Saint Michel (détail), Fossa,
(détail), New Haven, Yale University Art Gallery, Santa Maria ad Cryptas, peinture murale,
peinture sur panneaux, 1280-1290. 1263-1283.

Cette association lance oblique / balance / démon, visible par exemple dans le panneau
conservé à Londres d’un anonyme arétin de la première partie du XIVe siècle, est ensuite
courante dans l’iconographie michaélique en Italie, surtout à partir de la seconde partie du
Trecento qui voit la généralisation de la balance comme attribut. Les démons peuvent être
remplacés par le dragon. L’association de ces différents attributs démontre le lien entre les
diverses fonctions de l’archange : d’un côté, Michel est le préposé à la balance car lui seul
peut assurer la sécurité et le bon déroulement de la pesée ; d’un autre, c’est parce Michel est
un archange psychopompe, spécialiste de l’accompagnement des âmes, qu’il est obligé de
prendre les armes pour sécuriser les routes de l’au-delà. Dans l’iconographie michaélique, le
va-et-vient entre les différents attributs, rendu possible par les gestes de l’archange disposant
les outils dans une composition déterminée, est une véritable mise en image de la polysémie
du culte de Michel. Il explique que les diverses fonctions de l’archange ne sont pas des strates
superposées dans un ensemble multicouche, mais s’organise plutôt en un cycle logique ou
chaque aspect de la personnalité de l’archange répond à un autre, le justifie ou en découle.
Un groupe d’images présente les mêmes attributs dans une organisation différente : Michel
porte toujours la lance dans la main droite, la balance dans la main gauche, et le dragon ou les
démons sont toujours à ses pieds. Pourtant, la position verticale de la lance déconnecte en
quelque sorte cet attribut de la balance. Le polyptyque de Barnaba da Modena démontre que
ces objets ne sont pas liés : Michel est d’une part le porteur de balance, d’autre part le tueur de
dragon, mais il n’est pas l’un pour assurer la réussite de la mission de l’autre et inversement.
La balance et la lance apparaissent ici davantage comme des objets-attributs que comme des
instruments qui servent l’action de Michel, comme le confirme d’ailleurs, l’absence de
mouvement de l’archange et de petit personnage dans les plateaux de la balance. Peu de
choses séparent cette peinture de celle de l’anonyme émilien par exemple, pourtant le sens est
modifié par la simple position de la lance.

437
Anonyme émilien, Saint Michel et saint Barnaba da Modena, Vierge à l’Enfant et
Raphaël (détail), Londres, collection privée, saints (détail), Savona, San Dalmazio in
peinture sur panneaux, 2e ½ XIVe. Lavagnola, peinture sur panneaux, 1376.

Dans l’iconographie michaélique, la lance est une arme d’exécution, elle est utilisée pour
porter le coup fatal et est souvent à ce titre déjà plantée dans le dragon ou le démon. Le
panneau de Niccolò di Liberatore fait partie de la dizaine de peintures qui représente
l’archange en train de brandir la lance, avant de la planter dans son ennemi. Le coude de
Michel est levé, accompagné de son genou, et le fer de la lance est au centre de l’image alors
que l’extrémité opposée dépasse elle largement de la surface picturale. Raphaël représente
également la lance en l’air dans sa peinture de 1518. Mais l’image du dragon déjà transpercé
de la lance représente une écrasante majorité dans l’utilisation de cette arme. Le dragon reçoit
généralement le fer de la lance en plein gosier, comme dans le panneau de Guido di Graziano
à la fin du XIIIe siècle. L’horreur et l’irrévocabilité de l’exécution peuvent être rendues par
des détails sanguinolents : dans une peinture siennoise, le fer de la lance transperce la bouche
du dragon pour ressortir sous le menton, couvert de sang. Benvenuto di Giovanni représente
la lance au moment où elle frappe le sommet de la tête, plaquant au sol l’animal vaincu. Plus
rarement, le coup fatal peut être porté dans le ventre de la bête, comme dans la tempéra de
Giuliano di Simone da Lucca. C’est ainsi la tête, et surtout la gueule du dragon, qui sont les
cibles principales de Michel.

Niccolò di Guido di École siennoise, Benvenuto di Giuliano di Simone da


Liberatore, Graziano, Vierge Saint Michel Giovanni, Saints Lucca, Vierge à
Nativité, à l’Enfant et (détail), Tokyo, (détail), Lyon, Musée l’Enfant et saints
Résurrection et anges (détails), National Museum des Beaux-arts, (détail), Livourne,
saints (détail), Monaione, San of Western Art, peinture sur panneaux, Larderel Collection,
Foligno, San Regolo, peinture peinture sur 1470-1480. peinture sur
Niccolò, peinture sur panneaux, panneaux, XIVe. panneaux, 1383-1397.
sur panneaux 1280-1290.
1492.

438
Les coups portés avec la lance aux démons sont plus variés. L’anthropomorphisme de la
figure démonique en fait un ennemi plus subtil : il peut saisir avec ses mains, se faufiler sous
les plateaux, se retourner. Contrairement au dragon, ces manières d’attaquer sont diverses et
ainsi, les manières de Michel pour le piquer de sa lance le sont également. Giotto représente
l’archange dans un corps à corps rapproché avec le démon barbu qu’il pique dans l’œil. La
tête - visage, crâne, bouche - est encore régulièrement prise pour cible, comme dans le
panneau d’Andrea Sabatini où Michel transperce le crâne d’un démon hybride. Enfin le torse
des hommes-démons peut être piqué par le fer : Antonio de Carro montre une lance se
plantant dans le ventre d’un petit démon plaqué au sol, alors que celui, de taille plus
importante et à la physionomie presque humaine de Cristoforo Faffeo, est piqué dans la
poitrine. Mais les petits démons voletant autour de la balance tenue par Michel ne constituent
bien souvent pas un véritable danger, et Michel se contente de les garder à l’écart à l’aide de
la hampe, sans se servir nécessairement du fer, si ce n’est dans un but dissuasif.

Giotto, Saint Michel Andrea Sabatini, Antonio de Carro, Saint Michel Cristoforo Faffeo,
(détail), Padoue, Chapelle Saint Michel (détail), (détail), Plaisance, Musei Civici Saint Michel (détail),
Madonna dell’Arena, Salerne, Museo di Palazzo Farnese, peinture Naples, Museo
peinture murale, 1303- Diocesano, huile sur murale, 1390. diocesano, huile sur
1308. bois, 1491. bois, XVe-XVIe.

À la fin de notre période, cinq peintures présentent une iconographie originale,


remplaçant la lance par un bâton de joute. Les fresques carolingiennes dans le cycle de
l’Apocalypse de Saint-Pierre-les-Églises près de Chauvigny, figurent Michel combattant le
dragon avec une étrange lance munie d’une garde, ou rondelle de lance, un protège main qui
lui donne l’aspect d’un bâton de joute.

1723

Fig. 86. Anonyme, Apocalypse (détail), Saint-Pierre-les-Églises, église paroissiale, peinture murale, 782-984.

1723
Image provenant du site : http://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Pierre-les-%C3%89glises#mediaviewer/
Fichier:Saint-Pierre-les-eglises_saint-Michel_dragon.jpg
439
Le doute n’est plus possible dans notre corpus quant à la reconnaissance de ces hampes
comme des instruments de jeu. Cette particularité iconographique est liée à deux noms :
Crivelli et Signorelli. Carlo Crivelli reprend la douille, la forme évasée caractéristique du
bâton de joute, et la bichromie, ici le blanc et le rouge. Une vingtaine d’années plus tard, son
frère reprend le même schéma pour l’archange. C’est à ce moment également que le motif est
reproduit trois fois dans l’atelier de Luca Signorelli, mais de manière simplifiée puis qu’il n’y
a plus ici ni protège main ni forme évasée, seule l’utilisation de la couleur rappelle qu’il ne
s’agit pas d’une arme classique.

Carlo Crivelli, Polyptyque Vittore Crivelli, Luca Signorelli, Vierges à l’Enfant et saints (détails),
de Monte San Martino Saint Michel (détail), Florence, Offices, huile sur bois, 1513-1514 ;
(détails), Monte San Avignon, Musée du Citerna, San Francesco, peinture murale, 1515-1517 ;
Martino, San Martino, Petit Palais, peinture Città di Castello, Pinacoteca Comunale, huile sur bois,
peinture sur panneaux, sur toile, 1500. 1516-1517.
1477-1480.

Deux peintures du Pérugin présentent elles aussi une arme originale : il s’agit d’un bâton
court tenu à pleine main, alors que la main gauche tient un bouclier et que l’épée est dans le
fourreau1724. Le bâton porte plusieurs sens, mais peut ici figurer la délégation de pouvoir de
Dieu à Michel, tout comme il est le symbole de la passation de pouvoir au moment des
« rituels de la vassalité »1725. Il peut aussi, selon Esther Dehoux placer l’archange comme
juge1726, et il semble en effet dans cette image davantage un signe de justice qu’un signe de
guerre. Enfin, nous n’avons pu identifier deux objets tenus dans la main droite de Michel,
dans un panneau de Simone Martini, et dans un autre de Pietro Lorenzetti. Dans le premier,
l’objet est long et monté sur une hampe, mais la partie tenue par l’archange semble plus large.
Dans le second, nous ne pouvons estimer la longueur de l’objet, mais celui comporte une
poignée noire, et continue en cylindre.

1724
Outre la peinture présentée dans cette page, voir Pérugin, Assomption de la Vierge et saints, Florence,
Galleria dell’Accademia, huile sur toile, 1500.
1725
LE GOFF, 1976, pp. 679-788.
1726
DEHOUX, 2011, p. 120.
440
Pietro Pérugin, Vierge à l’Enfant et Simone Martini, Vierge à l’Enfant Pietro Lorenzetti, Vierge à
anges (détail), Londres, National et saints (détail), Pise, Museo l’Enfant et saints (détail),
Gallery, huile sur toile, 1496-1500. Nazionale di San Marco, peinture Seattle, Art Museum,
sur panneaux, 1e ½ du XIVe. peinture sur panneaux,
1310-1320.

Labarum, croix et étendard

La partie suivante s’intéresse aux attributs réunissant les insignes religieux ou


militaires montés eux aussi sur de longues hampes. S’il ne s’agit pas à proprement parler
d’armes, Michel les utilise souvent de la même manière que la lance pour tuer ou repousser
les attaques de ses ennemis. Le geste et le résultat sont les mêmes, mais le sens en est enrichi.
De plus, ces insignes sont tous liés à une symbolique de victoire, militaro-religieuse
qu’incarne également Michel.

Le labarum1727, étendard militaire portant un emblème chrétien, est adopté dans les
images, avec la croix, dès l’an 400, comme signe de la vision constantinienne1728. Même si la
croix devient le signe principal de la victoire chrétienne, le labarum ne disparait pas. Cet
insigne est couramment porté par l’archange dans l’iconographie orientale et les terres
italiennes sous influences de l’Empire d’Orient. Il se raréfie pourtant à la fin du Moyen Âge et
nous ne comptons que trois peintures de Michel portant cet attribut, toutes réalisées au XIIIe
siècle1729. Dans ces trois images, Michel porte une longue hampe qui est pourvue à son
extrémité d’un petit carton dont l’inscription est aujourd’hui illisible. Il pouvait s’agir de
l’inscription « Peticius » ou « petitius », que l’on retrouve dans l’iconographie espagnole1730.
Mais l’absence de Gabriel dans ces images nous laisse supposer que ces pancartes devaient
plutôt porter l’inscription plus courante1731 du Trisagion : « Sanctus, Sanctus, Sanctus »1732, en

1727
TOUATI, 2007, p. 182.
1728
GRABAR, 1936, p. 32.
1729
Les deux autres peintures non présentées sont : Anonyme, saint Michel, Sutri, Santa Maria del Prato,
peinture murale, début du XIIIe siècle ; Anonyme, Vierge à l’Enfant et saints, L’Aquila, Museo Nazionale
d’Abruzzo, peinture murale, premières décennies du XIIIe siècle.
1730
Cette inscription signifie « celui qui demande », alors que Gabriel, en pendant, portait le mot « postulacius »,
« celui qui requiert ». Ces mots témoignaient d’un processus de jugement d’un autre personnage présent dans
l’image. Mais nous ne possédons qu’un seul exemple en Italie, à Galliano. Voir BOUSQUET, 1974, p. 9 surtout
note 7.
1731
Cette inscription est présente par exemple à Torcello sur les pancartes des deux archanges.
1732
Diminutif de « Sanctus, Sanctus, Sanctus Dominus Deus sabaoth : pleni sunt coeliet terra gloria ejus,
441
référence au chapitre IV de l’Apocalypse où les quatre Vivants, les 24 vieillards, répètent tous
le même cantique « Il est Saint ! Il est Saint ! Il est Saint »1733.

Anonyme vénitien, Saint Michel (détail), Venise, San Marco, peinture murale, 1265.

En tant que chef de la milice céleste, Michel en est le porte-étendard autour duquel se
regroupent tous les anges fidèles. Dans la messe des morts il est nommé « Signifer sanctus
Michael »1734. Une dizaine de bannières, dont le vexille de tissu est toujours d’argent à la
croix de gueules, est portée par Michel. Cette croix de saint Georges, est la même que celle
portée par Michel sur son plastron ou sa tunique1735. S’il existe une peinture du dernier quart
du XIVe et une du XVe siècle, la bannière est un attribut du XVIe pour l’archange.
L’exemplaire de 1375 montre une bannière à hampe courte, à flamme, dans la main gauche de
l’archange, alors que la droite est armée pour combattre le mal. Il est ici clairement celui qui
regroupe les troupes pour défendre la cause divine, comme le font les soldats en croisade.
Dans l’exemplaire du XVe, la bannière ne sert plus exclusivement à rallier ses troupes sous
une même couleur : Michel se sert clairement de l’insigne comme d’une arme puisque son
drapeau ne vole plus au-dessus de sa tête, et la hampe est retournée pour repousser le démon
des plateaux de la balance. Hormis la peinture murale du XIVe siècle, Michel se sert toujours
de la bannière qu’il porte à la manière d’une lance qui permet de repousser ou transpercer son
ennemi. Au début du XVIe siècle, Defendente Ferrari propose trois images de l’archange se
battant à l’aide de sa bannière. Dans l’une d’entres elles, la croix des croisées est même
doublée par la présence d’un écu apparemment fixé sur son bras. Dans une autre, le sommet
de la hampe est crucifère et atteste clairement de la nature divine de sa victoire sur le démon
cloué au sol.

benedictus in saecula : amen. », dans MARTIGNY (abbé), « Trisagion », dans Dictionnaire des antiquités
chrétiennes : contenant le résumé de tout ce qu'il est essentiel de connaître sur les origines chrétiennes jusqu'au
Moyen Âge exclusivement, Paris, Hachette, 1877, p. 768.
1733
BOUSQUET, 1974, p. 8.
1734
Extrait du Traité d'Iconographie Chrétienne de Mgr Xavier Barbier de Montault, Livre X, chapitre 1 : les
anges.
1735
Voir à ce propos chapitre 2, II.3.3.1.4. L’armure. Voir également RIGAUX, 2009, p. 582.
442
;
Giusto de’Menabuoi, Anonyme, Saints Defendente Ferrari, Defendente Ferrari,
Apocalypse (détail), (détail), Laietto, San Triptyque de Vierge à l’Enfant et
Padoue, Baptistère, Bernardo, peinture l’Immaculée conception saints (détail),
peinture murale, 1375. murale, 1430. (détail), Sant’Ambrogio, Sant’Ambrogio, Sacra
Sacra di San Michele, di San Michele, peinture
peinture sur panneaux, sur panneaux, début du
1503-1507. XVIe.

Le terme de signifer, prend en fait le sens général de celui qui porte le signum du
Christ, à ce titre, il est également le porteur de croix1736. Nous avons déjà précisé que la croix
est avant tout un symbole de la victoire du christianisme. Elle apparait sur les grands
monuments officiels et de manière définitive à partir de la deuxième décade du Ve siècle puis
devient l’image essentielle de l’instrument nicéphore des empereurs chrétiens 1737. Elle est
présente une vingtaine de fois dans notre corpus, et se transforme, au même titre que la
bannière, en arme dans les mains de l’archange. La croix hampée simple est plutôt rare. Le
panneau de Giovanni da Rimini présente une croix, montée sur un long bâton, sans fer au bout
et sans ennemi repoussée à l’aide de l’une de ses extrémités. Elle est plus souvent associée
directement à l’arme d’hast, soit parce qu’elle porte à l’extrémité inférieure un fer qui la
transforme en lance crucifère, comme dans la peinture rupestre de Mottola, soit parce qu’elle
sert à repousser l’adversaire, souvent des plateaux de la balance, comme dans peinture murale
de San Michele al Pozzo Bianco de Bergame. Dans ce dernier cas, elle est utilisée exactement
comme la lance, ci ce n’est que la hampe se termine en croix. La croix elle-même est souvent
de taille réduite au XIII et XIVe siècles, et grossit considérablement au XVe siècle.
Contrairement à la délicate croix de Giovanni da Rimini, celle du Maître de Savoulx est une
représentation d’une véritable croix de procession.

1736
FOURNEE, 1971, p. 74.
1737
GRABAR, 1936, p. 32.
443
Giovanni da Rimini, Anonyme, Saint Anonyme, Saint Michel Maître de Savoulx,
Vierge à l’Enfant et Michel (détail), (détail), Bergame, San Saint Michel (détail),
saints (détail), Mottola, San Niccola Michele al Pozzo Bianco, Oulx, San Bernardo a
Faenza, Pinacoteca, a Casalrotto, peinture peinture murale, 1440. Costans, peinture
peinture sur rupestre, XI-XIIIe. murale, début du XVIe.
panneaux, 1e ½ du
XIVe.

Au même titre que les autres attributs, la croix n’est pas spécifiquement destinée à un type
vestimentaire. Elle apparait plusieurs fois portée par l’archange byzantin, mais également par
le guerrier ailé. D’ailleurs dans ce dernier cas, la croix apparait presque toujours dans la main
droite, ce n’est pas un « attribut secondaire », comme le montre la lance crucifère de
Francesco Pagano. Cet objet est autant une lance à croix, qu’une croix hampée avec un fer.
Cette forme hybride de l’objet explique son adaptation aux différents visages de Michel. Dans
seulement deux cas, elle est portée dans la main gauche de Michel. Dans le premier, une
peinture de Barna da Siena, l’archange porte l’arme dans la main droite, et la croix semble
presque dérangeante dans la main gauche, car elle n’est pas utilisée ici comme un moyen
d’écarter le mal, mais occupe tout de même l’un des membres supérieurs de Michel. Par
contre, même s’il la porte dans la main gauche, Michel sait largement tirer partie de la croix
hampée peinte par Riccardo Quartararo, qui lui permet de plaquer le démon au sol, alors que
l’épée est levée pour donner plus de force au coup fatal. La croix apparait ici comme une
arme secondaire plutôt défensive.

Francesco Pagano, Trittico dei Barna da Siena, Mariage Mystique de Riccardo Quartararo, Saint
Sarti (détail), Naples, Oratorio sainte Catherine et saint Michel Michel (détail), collection
Sant’Omobono, peinture sur (détail), Boston, Museum of Fine privée, peinture sur
panneaux, 1492. Arts, peinture sur panneaux, 1340. panneaux, XVe-XVIe.

444
L’image du coup fatal porté à l’ennemi du Bien par une croix, est un symbole fort de
christianisme triomphal. C’est bien parce qu’il est la main armée de Dieu que Michel
triomphe dans ce combat. L’analogie de forme figurée en plus ici par cette longue croix
hampée n’est pas sans rappeler l’instrument de la Passion du Christ. La croix de Michel,
évoque alors le sacrifice du sauveur et son utilité en tant que coup porté au mal. Ce lien
apparait d’autant plus clair, qu’il existe des images qui associent directement le combat de
Michel et la Crucifixion, nous y reviendrons dans une partie suivante1738.

Parfois proche formellement d’une petite croix hampée, le sceptre se distingue


pourtant dans l’iconographie de saint Michel, par la présence d’une fleur de lys à son
extrémité. Le sceptre est un bâton de commandement, un des insignes du pouvoir suprême. Il
n’apparait que trois fois dans notre corpus, sous la forme d’une hampe courte surmontée par
un motif en forme d'aigrette trifide, la fleur de lys : un pétale central droit est entouré de deux
autres plus courts et recourbés vers l’extérieur. La présence de cet insigne du pouvoir dans les
mains de Michel peut s’expliquer par le fait que Dieu a bien transmis son pouvoir à
l’archange pour combattre le mal. Cette transmission de sceptre se faisait également
symboliquement entre hommes. Citons par exemple, la remise du sceptre par l’empereur
germanique, aux évêques d’Empire pour signifier l’investiture temporelle des biens et de
l’autorité publique1739. Dans ce cas, comme dans nos images, le sceptre est autant un insigne
de pouvoir que de subordination de ce pouvoir à une autorité supérieure. Dans les trois
peintures, réalisées entre 1320 et 1448, Michel tient le sceptre dans la main droite, de manière
inclinée, de sorte que la fleur de lys se retrouve à proximité de son visage. Notons que tous
ces cas présentent un archange en vêtement non militaire, il s’agit donc de la représentation
d’un pouvoir qui n’est pas axé sur le commandement militaire, comme c’est souvent le cas
pour Michel.

Niccolò di Segna, Saints (détails), Paolo Veneziano, Crucifix (détail), Maestro di Eggi, Saint Michel
Sienne, Galleria Pinacoteca, peinture Traù (Croatie), couvent bénédictin, (détail), Eggi, San Giovanni
sur panneaux, autour de 1320. peinture sur panneaux, 1324-1350. Battista, peinture murale, 1448.

1738
Voir à ce propos Chapitre 2. II. 3.1.2. Saint Michel et le Christ.
1739
Ce passage symbolique d’insigne de l’empereur à l’évêque est mis en place après le Concordat de Worms
(1122), TOUATI, 2007, p. 295.
445
L’épée

L’attribut le plus souvent représenté dans l’iconographie de Michel, avant la lance1740


et la balance1741, est l’épée. Elle est présente dans environ deux-cent-soixante peintures de
notre corpus, soit plus de la moitié, toutes produites après 1300. Cette arme est utilisée depuis
l’Antiquité, sous la forme d’un glaive plus court et moins tranchant qu’au Moyen Âge. L’épée
longue est utilisée dès le IXe siècle, et adoptée unanimement dans l’ensemble de l’Occident.
C’est une arme de main aux types variés à l’époque médiévale, la plus courante étant celle
possédant une lame longue et plate à double tranchant, permettant de porter des coups de
taille1742. L’épée est l’arme par excellence de la noblesse et de la chevalerie, interdite à
certaines classes de la société, elle représente la qualité de la personne qui la porte et est à ce
titre particulièrement prisée pour l’archange, champion de Dieu.
L’épée était déjà portée par Michel dans certains témoignages médiévaux plus anciens,
comme dans un détail de la Pala d’Oro de la première moitié du XIe siècle1743, mais reste rare
dans l’iconographie michaélique au XIIIe, comme en atteste l’absence totale de cette arme
pour ce siècle dans notre corpus italien1744. L’épée portée par Michel est de forme plutôt
simple dans l’ensemble des images répertoriées. Chacune des quatre parties dont elle est
composée reste assez classique dans sa forme et sa représentation, comme dans la peinture
murale du duomo d’Arezzo du Maestro del Vescovado. La lame, est généralement assez
longue, et d’une largeur moyenne ; la garde est composée de deux quillons perpendiculaires
au corps de l’épée ; la poignée est de forme arrondie ; et le pommeau, butée placée à
l’extrémité de la poignée pour éviter à la main de glisser, est simple et arrondie. Cette
description convient à la grande majorité des épées de Michel, et il est d’ailleurs étonnant de
voir une telle uniformité dans un motif représenté si souvent. Les légères variantes qui
peuvent la toucher se situent au niveau de la longueur de la lame, qui a tendance encore à
s’allonger à la fin de notre période, comme on peut le constater dans l’huile sur toile d’Andrea
Mantegna, où l’épée posée au sol et retenue par la main de l’archange au niveau des quillons,
atteint presque le cou de Michel. Il s’agit certainement ici de l’espadon, grande épée qui se
portait à deux mains, comportant ainsi une poignée et une garde allongée, et dont la lame
pouvait atteindre 1,5 mètre1745. L’épée de Michel est plus rarement raccourcie, ce qui est le
cas dans le panneau de Giovanni Baronzino certainement dans le but de faire tenir la lame
dans le cadre de l’image. Dans une image d’Antonio Veneziano, la lame est tellement courte
qu’elle ressemble davantage à une dague. Mais cette arme de luxe, même si elle était

1740
Représentée environ 200 fois.
1741
Représentée environ 190 fois.
1742
TOUATI, 2007, p. 114.
1743
Voir à ce propos le chapitre Les images lombardes de l’archange (VIIe -VIIIe) et leur influence. Colette
Lamy-Lassalle atteste que la plus ancienne représentation occidentale de l’archange combattant à l’aide d’une
épée pourrait se trouver en Angleterre et avoir été réalisé en 1080. Il s’agit d’images sculptées, notamment celle
du linteau de Southwell (Nottingham). LAMY LASSALLE, 1971 (2), p. 61.
1744
L’adoption de cette arme est également tardive dans l’art byzantin puisqu’elle est portée par l’archange qu’à
partir du XVIe siècle ; voir à ce propos CHARALAMPIDIS, 2011, pp. 199-211, notamment les pages 200-201.
1745
TOUATI, 2007, p. 118.
446
couramment portée à la fin du Moyen Âge, ne parait pas adaptée au combat de l’archange
contre les forces du mal, et semble déjà étonnante dans une représentation en buste de Michel
sans la figuration de ses ennemis. D’autres variantes peuvent toucher la représentation des
matériaux, principalement au niveau de la poignée et du pommeau : dans la peinture d’Andrea
Mantegna, la poignée est enrubannée et le pommeau est transparent.

Maestro del Vescovado, Andrea Mantegna, Vierge Giovanni Baronzino, Vierge à Antonio Veneziano,
Crucifixion et saints de la Victoire (détails), l’Enfant et saints (détail), Saints (détail), New
(détail), Arezzo, Duomo, Paris, Louvre, huile sur Mercatello, église et musée York, Collection
peinture murale, 1334. toile, 1495-1496. San Francesco, peinture sur Martello, peinture sur
panneaux, 1345. panneaux, XIVe.

La garde peut, quant à elle, prendre une forme sensiblement différente. Les quillons peuvent
s’arrondir élégamment, comme dans l’image de l’épée peinte par Domenico Ghirlandaio entre
1480 et 1485. Si ces éléments sont courbés dans des sens opposés, il s’agit d’une épée à
quillons chevauchés, permettant principalement d’engager l’arme de l’adversaire, telle celle
portée par l’archange dans le panneau de Riccardo Quartararo, pouvant être un modèle de
l’épée de passot caractéristique du XVe siècle1746. Dans la version d’Antonio del Pallaiolo, la
forme recourbée d’un des quillons permet une plus grande protection de la main.

Domenico Ghirlandaio, Saints Riccardo Quartararo, Saint Michel Antonio del Pollaiolo, Saint Michel
(détail), Portland, Art Museum, (détail), New York, collection (détail), Florence, Museo Bardini,
peinture sur panneaux, 1480-1485. privée, peinture sur panneaux, 1492. peinture sur panneaux, milieu du XVe.

Enfin, deux peintures de notre corpus présentent une forme différente de lames : l’une de
Piero della Francesca réalisée en 1470 et l’autre de Francesco de Tatti de 1517. Dans ces
images, la pointe et le tranchant sont courbes et la lame ne possède qu’un seul tranchant, il ne
s’agit ainsi plus d’une épée mais d’un sabre. Sa présence est étonnante dans les mains de
l’archange car elle est davantage utilisée en Asie et en Orient, et peu courante en Occident
jusqu’au XVIIe siècle.

1746
BROQUIN, 2001, p. 63.
447
Piero della Francesca, Saints (détail), Francesco de Tatti, Vierge à l’Enfant et
Londres, National Gallery, peinture sur saints (détail), Milan, Pinacoteca del
panneaux, 1470. Castello Sforzesco, huile sur bois, 1517.

L’épée est portée principalement par le guerrier, même si cette arme ne lui est pas
exclusivement réservée1747. Contrairement à la lance, la présence de cette arme augmente dans
notre corpus avec le temps. Ainsi, elle n’apparait pas du tout au XIIIe siècle, puis dans moins
d’une peinture sur deux au XIVe siècle, mais est présente dans plus de 60% des images au
XVe et au début du XVIe siècle.

100%
80%
60%
40% pas d'épée
20% épée
0%

Doc. 4. Proportion de la présence de l’épée par siècle dans notre corpus.

L’ensemble des images de Michel à l’épée peut se diviser en trois catégories principales en
fonction de la façon dont l’archange l’utilise : un premier groupe où l’épée est présentée par
Michel, inactive et souvent droite et verticale ; un deuxième où elle est utilisée
dynamiquement contre son ennemi dans les représentations de l’archange en pied ou en scène,
souvent brandie au-dessus de sa tête ; puis un troisième où l’épée est en train d’être remise
dans son fourreau ou déjà rangée dans son étui protecteur.

La première catégorie prédomine au XIVe siècle. L’arme et l’archange sont au repos.


Michel est debout, de face ou légèrement de profil, il porte l’épée dans la main droite à
hauteur du torse et la lame remonte verticalement ou est légèrement inclinée à la hauteur de la
tête, alors que la main gauche de l’archange peut porter une balance, un globe ou un autre
attribut. Ce motif s’adapte particulièrement aux représentations de saint Michel en buste, sans
figuration de son adversaire, notamment entre les années 1320 et 1350. Sa taille plus réduite
lui permet en effet de figurer entièrement, même dans le cadre réduit des représentations en
buste, là où la lance dépassait largement du champ de l’image. Dans le panneau du
1747
Sur les 258 peintures comportant une épée dans notre corpus, 25 ne la représentent pas portée par un
archange vêtu en guerrier, soit moins de 10%.
448
polyptyque de Simone Martini, l’archange porte son épée contre lui et place son index au-
dessus de la garde, position que l’on retrouve dans plusieurs peintures lorsque Michel n’utilise
pas son arme activement. L’épée peut être présentée bien droite à la verticale, ou inclinée, ou
encore posée sur l’épaule de l’archange. L’huile sur toile de Biagio di Antonio figure un
archange couvert d’une armure de plates, d’une chlamyde, qui pose son bras gauche sur un
bouclier au sol et la main droite retient l’épée sur l’épaulière droite. La notion de guerrier au
repos est évidente et accentuée par le contrapposto marqué adopté par Michel dans cette
peinture. Dans quatre peintures de notre corpus, Michel pose son épée sur l’orbe qu’il porte
dans la main gauche, comme dans le panneau de Filippino Lippi1748. Ce geste lie
incontestablement les deux attributs pour signifier qu’il possède, au nom de Dieu puisque
l’orbe est crucifère, la puissance universelle qu’il fait respecter à la force de son épée.

Simone Martini, Saints et anges (détails), Biagio di Antonio, Les trois Filippino Lippi, Les trois
Cambridge, Fitzmuseum, peinture sur archanges et Tobie (détail), Florence, archanges et Tobie (détail),
panneaux, 1319. collection Bartolini Salimbeni, huile Turin, Galleria Sabauda, huile
sur toile, 1461-1471. sur bois 1477-1478.

Dans les images de l’épée en présentation, l’arme est un simple objet-attribut, évoquant un
aspect de la fonction de Michel mais sans avoir une utilité autre que ce rappel dans l’image.
L’épée en présentation n’est pourtant pas incompatible avec la présence du dragon, et, si la
bête est représentée aux pieds de l’archange, il n’est pourtant pas en train de la combattre.
Luca di Tommè a peint Michel portant son épée bien verticale au côté de la Vierge, le dragon
à ses pieds est maîtrisé, l’épée a déjà fait son travail et n’est plus en action dans l’image. La
présence de l’épée est la même si Michel est assis. Parmi les cinq peintures représentant
Michel sur un trône, deux le figurent en guerrier, présentant l’épée à la verticale, le dragon
dépecé gisant à ses pieds1749. L’arme n’est plus pour autant un simple objet-attribut, car la
figuration du dragon la met en lien avec une action qui vient de se produire - le combat du
dragon - qui a produit un effet visible dans l’image : la mort ou la maîtrise de la bête.
D’ailleurs plusieurs peintures insistent sur ce lien de cause à effet entre l’arme et le vaincu en

1748
Les références des trois autres peintures non présentées qui représentent Michel posant son épée sur le globe
sont : Alvaro Pirez d’Evora, saint Michel, collection privée, peinture sur panneaux, 1411-1434 ; Spinello Aretino,
saint Michel, Arezzo, San Francesco, peinture murale 1404 ; Lattanzio di Niccolò, saint Michel, Foligno, Museo
della Città, peinture sur panneaux, 1490-1494 ; Pier Francesco Fiorentino, Vierge à l’Enfant et archanges,
Montefortino, Pinacoteca civica, peinture sur panneaux, 1497.
1749
L’autre peinture non présentée est le panneau de Paolo di Giovanni Fei, conservé à Sienne au Museo
dell’Opera Metropolitana, peinte au 4e ¼ du XIVe
449
représentant l’un et l’autre en pendant dans chacune des mains de l’archange. Le panneau
d’Andrea di Cione montre Michel, épée dans la main droite et tête de dragon dans la gauche,
rappels de sa mission de combattant du mal mais surtout rappels de l’action qui vient de se
terminer et dont l’étêtement du dragon en est la preuve.

Luca di Tommè, Vierge à l’Enfant Andrea di Cione, Crucifixion et Andrea Puccinelli, Saint
et saints (détail), Los Angeles, saints (détail), New York, Michel (détail), Sienne,
County Museum of Art, peinture Metropolitan Museum, peinture Pinacoteca Nazionale, peinture
sur panneaux, avant 1362. sur panneaux, 1365. sur panneaux, 1379.

À partir du milieu du XIVe, le déplacement de la pointe de l’épée du haut vers le bas, modifie
la perception de cet attribut et sa fonction dans l’image. Dans ce type d’images, l’archange
n’est pas forcément plus actif que dans les précédentes. La peinture de Jacopo di Antonio de
la National Gallery insiste sur l’inaction de Michel par le contrapposto qui marque sa
silhouette, la manière dont il a posé sa main sur l’un des quillons de la garde de son épée et
l’absence d’ennemi à combattre. Nous retrouvons ici l’attribut-objet. Trois autres peintures
reprennent ce schéma1750, et l’archange à genoux se sert également de son épée pour reposer
une partie de son corps, ou plutôt pour servir d’appui à l’une ou ses deux mains, comme dans
la lunette peinte par Matteo di Giovanni. Pourtant, dans cette image, l’épée n’est ni un simple
support pour le corps à genoux de l’archange, ni seulement un symbole de sa puissance
militaire offert au Christ qui se trouve au centre, mais elle transperce également le cou du
dragon étêté. C’est le cas de la plupart des peintures où l’archange a son arme pointée vers le
bas. Dans le pilastre du polyptyque peint par Giovanni di Bartolomeo Cristiani et Nanni di
Jacopo, Michel, vêtu en général romain, porte le globe et l’épée, lame à la verticale dirigée
vers le sol en direction du dragon qu’il foule aux pieds et qu’il transperce déjà de la pointe de
son épée. Cet attribut prend alors la même position et la même fonction que la lance tenue par
l’archange dans une position frontale et déjà enfoncée dans le dragon. Une fois de plus, il
s’agit de la représentation d’une action terminée, Michel n’est pas le combattant du mal mais
le vainqueur du mal et l’épée est l’instrument indispensable qui a mené à cette victoire.

1750
Deux peintures de Domenico Ghirlandaio, l’une conservée à l’Art Museum de Portland, et réalisée entre
1480 et 1485 et l’autre aux Offices de Florence, réalisée entre 1484 et 1486 ; et une troisième de Gerino Gerini,
conservée au Museo Civico de Pistoia, et peinte en 1509.
450
Matteo di Giovanni, Giovanni di Bartolomeo Cristiani et
Jacopo di Antonio, Saints Nativité, Christ de Pitié et Nanni di Jacopo, Vierge à l’Enfant et
(détail), Londres, National saints (détail), peinture sur saints (détail), peinture sur
Gallery, peinture sur panneaux, panneaux, 4e ¼ du XVe. panneaux, 2e ½ du XIVe.
1450-1460.

Le moment représenté semble parfois être légèrement antérieur à celui que nous venons de
décrire. Dans le panneau d’Andrea di Cione peint entre 1354 et 1357, Michel est en train de
découper la tête du dragon : son épée a commencé à trancher son cou, mais la tête n’est pas
encore tombée au sol. Michel a pourtant déjà saisi son fourreau pour ranger son épée. L’action
semble en suspens dans le temps et l’espace. L’association épée et tête de l’ennemi est
également représentée dans cette catégorie de l’arme pointée vers le bas, comme en atteste la
peinture de Pietro di Domenico da Montepulciano. Enfin, elle peut être également le signe
d’un combat, notamment contre le démon qui tente d’infléchir les plateaux de la balance, tel
celui peint par Luca Signorelli en 1502. L’arme est clairement l’instrument servant à protéger
la balance.

Andrea di Cione, Christ en gloire Pietro di Domenico da Montepulciano, Luca Signorelli, Saint Michel
et saints (détail), Florence, Santa Saints (détail), Altidona, église (détail), Londres, collection
Maria Novella, peinture sur paroissiale, peinture sur panneaux, XVe. privée, huile sur bois, 1502.
panneaux, 1354-1357.

Si la lance est couramment figurée en train de porter le coup fatal au dragon ou de pousser les
démons, l’épée au XIVe siècle et au début du XVe, est davantage une arme d’apparat qui est
présentée, exposée ou rangée, plutôt que l’instrument utilisé par Michel dans un corps à corps
qui se déroulerait sous nos yeux. D’ailleurs, l’adversaire de Michel est absent dans un peu
451
moins de la moitié des images de l’archange portant l’épée1751. À cette période et avec cette
arme, Michel est généralement moins dynamique que lorsqu’il est armé de la lance. Sans
doute faut-il mettre en relation cette timidité des peintres à mettre en image le combat à l’épée
contre le dragon par la difficulté technique que cela représente ? Le rapprochement plus grand
avec l’ennemi et l’élan nécessaire au maniement de l’épée pour asséner un coup fatal,
laisserait l’archange sans protection le temps d’un instant, suffisant au dragon pour l’attaquer
par le flanc. Il est également difficile de représenter le moment précis où Michel achève la
bête puisqu’il serait, étant donnés la longueur de la lame et le fait que le dragon soit toujours
cloué au sol, complètement penché, recroquevillé sur l’ennemi. La forme même et
l’utilisation de cette arme pourrait expliquer l’absence quasi-totale de mise en image du
mouvement de son utilisation au Trecento. Pourtant, même lorsqu’elle est simplement portée,
l’épée ne se limite pas un simple rappel de la fonction guerrière de Michel et est plutôt
l’instrument qui vient de servir, celui de la victoire ou de la mission accomplie, comme le
prouvent la présence du dragon ou celle de traces de sang sur la lame. Dans la seconde partie
du XVe siècle, l’archange a cependant plus volontiers l’épée brandie au-dessus de sa tête.

Seules six peintures représentent Michel se servant activement de l’épée au XIVe


siècle. Nous avons déjà décrit la parade adoptée par les peintres, Ambrogio Lorenzetti le
premier, et ainsi par Michel, afin de protéger son flan au moment où il brandit l’épée, qui
consiste à utiliser la jambe gauche tendue avec un appui sur la droite, pour garder la tête du
dragon à l’écart, puisque c’est l’élément menaçant1752. L’utilisation conjointe de cette position
et d’un bouclier dans les autres images du XIVe siècle, garantissait une protection suffisante à
l’archange lors de son combat à l’épée, comme dans la peinture murale de Paganico.

Ambrogio Lorenzetti, Saint Michel (détail), Asciano, Biagio di Goro Ghezzi, Légendes de saint Michel
Museo d’Arte Sacra, peinture sur panneaux, 1330. (détail), Paganico, San Michele, peinture murale, 1368.

Au Trecento, l’épée est brandie dérière la tête, position reprise au XVe siècle, accompagnée
de plusieurs variantes. La première partie du XVe siècle compte huit peintures de Michel
combattant à l’épée, et la seconde 18. Enfin, ce type figure 12 fois entre 1500 et 1518.

1751
Le dragon figure 89 fois associé à l’épée, et le ou les démons 51 fois. L’adversaire de Michel est donc
présent dans 140 images de l’archange à l’épée sur les 260 répertoriées. L’ennemi figure 148 en association avec
la lance, soit près de 75% des images répertoriées.
1752
Voir à ce propos le chapitre 2. I.2.3.2.1. Les mouvements d’un combattant.
452
Au fil des années, le bras de l’archange se lève plus haut et permet à l’épée d’apparaitre en
entier au-dessus de sa tête. Dans la peinture murale de Bolzano, le coude de Michel n’est pas
levé plus haut, mais l’épée prend un angle différent par rapport aux panneaux du XIVe siècle
que nous venons d’étudier. La différence tient certainement au fait, qu’ici Michel n’a pas
besoin de beaucoup d’élan pour écarter le petit démon qui s’agrippe à l’un des plateaux de la
balance. Le double tranchant de l’épée permet des coups de taille en revers, comme dans la
peinture d’Andrea di Bologna : le bras droit de Michel traverse la surface picturale et l’épée
est toujours derrière la tête mais de l’autre côté, alors que tout le corps de l’archange se tend et
vrille sous l’élan de ce bras qui va frapper. Le coup peut également être porté du haut vers le
bas, comme dans le combat qui oppose Michel à un démon anthropomorphe dans le panneau
de Carlo Crivelli. Dans cette peinture, la maîtrise des raccourcis perspectifs permet de figurer
l’arme brandie dans un axe vertical et seuls le pommeau et un bout de la poignée, ainsi qu’un
petit morceau de lame derrière le coude de Michel, sont visibles.

Peintre sud-tyrolien, Saint Andrea da Bologna, Saint Michel Carlo Crivelli, Saint Michel (détail),
Michel (détail), Bolzano, San (détail), collection privée, peinture sur Londres, National Gallery, peinture
Martino, peinture murale, 1403. panneaux, 1450-1477. sur panneaux, 1476.

Le développement de l’utilisation de l’épée dans le combat est directement lié à l’évolution de


ce combat qui n’est désormais plus seulement un corps à corps entre Michel et un dragon,
mais se passe de plus en plus souvent autour de la balance. Le format de l’épée, qui
constituait jusqu’à maintenant un obstacle dans les combats sauroctones, devient alors un
atout, puisque, plus facile à manier, elle est plus adaptée à la protection de la balance. Cette
mission requiert, en effet, plus de précision car il faut frapper les démons de petite taille, sans
perturber la pesée.
L’épée permet en outre de croiser le fer avec le démon à qui l’humanisation à la fin de notre
période, permet même d’utiliser des outils pour arriver à ses viles fins. Le panneau de
Vincenzo Foppa montre un démon tentant d’accrocher un plateau de balance à l’aide d’un
bâton de fer à l’extrémité recourbée et fendue, sorte de pied-de-biche. Michel contre ce
mauvais coup sans trop de difficulté en détournant l’outil du démon de sa lame. Mais le
démon de la fin du XVe siècle et du début du XVIe n’est plus aussi petit et inoffensif que ceux
du début du Quattrocento, et pour les combattre, les gestes de l’archange à l’épée s’amplifient
et se dynamisent. Le combat dépeint par Timoteo Viti da Urbino en 1518 demande à Michel
de nombreux efforts : il doit garder le démon au sol à l’aide de son pied gauche, écarter la
balance en désaxant son bras gauche, et déployer largement son bras droit pour frapper le
453
démon, également armé, et figuré aussi grand que l’archange et. La mise en scène des
combats de Michel sur des panneaux isolés ou des huiles sur toiles, qui intègre le duel dans un
fond paysagé, permet également un nouveau souffle de dynamisme dans les représentations
du combat à l’épée contre le dragon. Le panneau d’Antonio del Pollaiolo est l’illustration
parfaite du développement de l’image de ces combats, où l’épée est une pièce essentielle de
l’action. Dans ces images, l’épée est au centre d’une action qui se déroule juste avant que
Michel ne frappe son adversaire. Enfin, l’allongement de l’épée conforme à la mode du XVe
siècle permet, dans quelques images d’en avoir une utilisation proche de celle de la lance et
dynamique dans le duel. La poignée de l’épée peinte par Bernardo Zenale da Treviglio est
levée par l’archange au niveau de l’épaule, alors que la lame atteint la gueule du démon dans
le coin inférieur opposé. L’épée traverse obliquement la surface picturale et frappe l’ennemi,
comme la lance dans les combats contre le dragon.

Vincenzo Foppa, Timoteo Viti da Urbino, Antonio del Pollaiolo, Saint Bernardo Zenale da
Saints (détail), Saint- Noli me tangere et saint Michel (détail), Florence, Treviglio, Vierge et
Pétersbourg, musée de Michel (détail), Cagli, Museo Stefano Bardini, saints (détail), Florence,
l’Ermitage, peinture Sant’Angelo Minore, peinture sur panneaux, milieu Offices, peinture sur
sur panneaux, 1460. peinture sur panneaux, 1518. du XVe. panneaux, 1480.

À la fin de notre période, l’épée conquiert les représentations en mouvement qui était au XIVe
siècle principalement l’apanage de la lance. L’épée était une arme de présentation ou une
arme du combat achevé, elle devient celle d’un combat où l’issue n’est pas encore garantie,
l’arme brandie menaçante. Un autre élément peut compléter le sens donné à cette lame, est
être lui-même symbole de victoire : le fourreau.

Puisque Michel est un guerrier et porte souvent l’épée, le fourreau est régulièrement
représenté accroché à sa ceinture1753. Il est même parfois le seul élément visible attestant du
port de l’épée par l’archange. Dans le panneau d’un suiveur de Meo da Siena, Michel utilise
la lance contre le dragon et la chlamyde cache la partie gauche de son buste et de son bras.
Mais derrière sa jambe, entre ses deux mollets, la bouterolle en métal du fourreau de l’épée
est bien visible et atteste la présence de la deuxième arme. Au Moyen Âge, l’épée était
accrochée par un système de suspension, souvent en bandoulière, portant un fourreau, comme

1753
Nous avons recensé une cinquantaine de représentations de ce fourreau dans notre corpus.
454
dans la peinture murale de Buonamico Buffalmacco. Michel porte une épée et si le fourreau
n’est pas visible, la ceinture transversale placée sous la chlamyde et sur le plastron, qui passe
sur l’épaule droite et traverse le torse de l’archange, servait certainement à accrocher l’arme.
À la fin du Moyen Âge, le fourreau est plus généralement fixé à une ceinture, et c’est bien de
cette façon qu’on le retrouve le plus souvent dans l’iconographie michaélique, comme dans la
peinture de Francesco Botticini, où une fine ceinture rouge court entre la cuirasse et la
braconnière, à laquelle pend une lanière de la même couleur portant le fourreau qui descend
jusqu’aux pieds de l’archange.

Suiveurs de Meo da Siena, Buonamico Buffalmacco, Jugement Francesco Botticini, Les


Vierge à l’Enfant et saints dernier, Pise, Camposanto, peinture trois archanges et Tobie,
(détail), Pérouse, Galleria murale, 1332-1342. Florence, Offices,
Nazionale dell’Umbria, peinture peinture sur panneaux,
sur panneaux, 2e ¼ du XIVe. 1470.

La ceinture peut recevoir une décoration plus soignée, comme dans une autre peinture de
Buonamico Buffalmacco, elle est marquée de motifs floraux légers. Mais elle reste en général
discrète, tout comme le fourreau qui peut être coloré, comme nous venons de le voir, mais qui
n’est jamais l’objet d’une attention très soutenue. Elle est parfois remplacée par un drapé
simplement noué autour de la taille de l’archange, surtout dans la seconde partie du XVe
siècle et au début du XVIe, comme dans l’huile sur toile de Raphaël. Ce type de ceinture
permet d’ajouter des lignes plus souples et douces au milieu des uniformes souvent stricts du
guerrier. Enfin, dans la peinture murale de Giacomo Jaquerio, Michel a détaché sa ceinture et
remis son épée dans son fourreau et l’ensemble est posé au sol sur la tête du dragon, alors que
la ceinture s’enroule autour du fourreau. Cette disposition insiste sur le fait que le combat est
totalement terminé, le mal vaincu, Michel se désarme.

Buonamico Buffalmacco, Saint Michel Raphaël, Saint Michel (détail), Paris, Giacomo Jaquerio, Saint
(détail), Arezzo, Museo Statale di Arte Louvre, huile sur toile, 1518. Michel (détail), Fénis,
Medievale e Moderna, peinture murale château de Fénis,
déposée, 3e décennie du XIVe. peinture murale, 1426.

455
La ceinture militaire, comportant ou non un fourreau, est aussi pratique que symbolique
puisqu’elle est donnée pendant la cérémonie d’investiture1754. Sa position et la façon dont le
fourreau est utilisé par Michel dans les images sont également porteuses de sens.

Dans le panneau d’Ambrogio Lorenzetti, si le dragon est encore largement agressif et


effrayant avec ses sept têtes, et sa taille imposante, l’issue du combat ne semble pas inquiéter
l’archange qui tient son fourreau dans la main gauche, certainement pour ranger l’épée dès le
coup fatal porté à la bête. Dans les mêmes années, Buonamico Buffalmacco peint un saint
Michel debout sur un dragon vaincu et dépecé, en train de remettre la lame dans son fourreau
et la pointe y est déjà engagée. À la fin du XIVe siècle, Cenni di Francesco di Ser Cenni
représente un archange qui réalise un mouvement proche de celui de Buonamico
Buffalmacco, mais la pointe de l’épée est encore dirigée vers le dragon mort et la main gauche
a déjà levé le fourreau pour y ranger l’arme. Le fourreau symbolise ainsi la victoire déjà
acquise par Michel ou acquise prochainement d’une manière certaine.

Ambroggio Lorenzetti, Saint Michel Buonamico Buffalmacco, Saint Cenni di Francesco di Ser Cenni,
(détail), Asciano, Museo d’Arte Sacra, Michel (détail), Arezzo, Museo Couronnement de la Vierge et
peinture sur panneaux, 1330. Statale, peinture murale déposée, saints (détail), Los Angeles, J.P.
3e décennie du XIVe. Getty Museum, peinture sur
panneaux, 1390-1400.

L’épée est parfois rangée dans le fourreau sans que Michel ne s’en soucie. C’est notamment le
cas lorsque l’archange porte et utilise déjà la lance. La lance et l’épée sont associées treize
fois dans notre corpus. Dans ce cas, Michel utilise la lance et l’épée est rangée dans le
fourreau. Une seule peinture présente Michel portant les deux armes, l’épée bien verticale
dans la main droite, et la lance dans la main gauche reposant sur l’épaule. Mais dans cette
image, les deux armes sont inutilisées et le dragon aux pieds de l’archange est déjà vaincu.
Lorsque Michel porte la lance dans la main droite, il l’utilise activement contre son adversaire
et l’épée n’est pas du tout utilisée. L’archange peut cependant poser sa main sur le fourreau
pour attirer l’attention sur cette arme devenue indispensable dans la panoplie du chevalier du
XVe siècle. La double présence des armes peut également évoquer deux types de combats
différents, l’un présent et l’autre passé ou futur.

1754
LEVI PISETZKY, 1964, p.376
456
Pellegrino di Giovanni di Antonio da Perugia, Saint Benvenuto di Giovanni, Annonciation et
Michel (détail), Boston, Museum of Fine Arts, saints (détail), Volterra, Museo d’Arte
peinture sur panneaux, 1428-1437. sacra, peinture sur panneaux, 1466.

L’importance de l’attribut fourreau dans les représentations en pied de l’archange que nous
venons d’étudier, est directement liée au développement d’une apparition de Michel, celle qui
a eu lieu à Rome sous le pontificat de Grégoire le Grand.

La lance est un attribut particulièrement prisé dans les mises en action des combats de
Michel dans les représentations en pied, mais l’épée semble être privilégiée dans les images
narratives de notre corpus. Sur les quatre-vingt-une images de l’archange acteur d’épisodes
narratifs, Michel porte seulement treize fois la lance, principalement dans les épisodes de
combat contre le dragon ou des démons, liés bien évidemment à l’iconographie du Michel en
pied, ou dans des pesées des âmes. Michel utilise l’épée dans cinquante-six peintures
narratives de notre corpus. Cette récurrence s’explique en partie par le fait que certains
épisodes placent l’épée au centre de la narration. C’est surtout le cas de l’épisode de
l’apparition de l’archange sur le Mausolée d’Hadrien à Rome. Après un épisode de peste dans
la ville de Rome, le pape Grégoire décide d’organiser une procession pour demander à Dieu
de stopper l’épidémie. Arrivé sur le pont devant le Mausolée d’Hadrien, le groupe
processionnel assiste à l’apparition de l’archange au sommet du bâtiment qui remet son épée
dans son fourreau, signe de fin de la colère de Dieu et de sa punition. Dans la petite scène de
la prédelle du polyptyque de Priamo della Quercia, Michel apparait en haut d’un édifice à
trois degrés, il est vêtu d’un plastron, d’une jupe évoquant la jupe à lattes et de genouillères. Il
est en train d’enfoncer son épée dans le fourreau qu’il soulève avec la main gauche. Mais la
figuration de l’épisode romain ne constitue pas un gros pourcentage dans les représentations
d’épisodes mettant en scène Michel. La présence de l’épée comme instrument principal de
l’archange dans les Jugements derniers est une particularité italienne dont nous reparlerons
plus loin et qui explique le nombre important d’épées dans le groupe des scènes narratives.
Dans cet épisode, l’épée est tenue à la verticale par l’archange au centre de la composition et
souligne l’axe de partage entre les élus et les damnés, comme dans la peinture murale de
Lorenzo Vecchietta, où elle est brandie au-dessus de sa tête en signe de menace comme dans

457
la lunette de Biagio d’Antonio, ou encore tenue droite vers les damnés en direction de l’enfer
dans lequel ils sont poussés, comme dans la prédelle de Giovanni di Paolo.

Priamo della Quercia, Lorenzo Vecchietta, Biagio d’Antonio, Saint Giovanni di Paolo,
Miracles de saint Michel Jugement dernier (détail), Michel pesant les âmes Jugement dernier
(détail), Lucques, Museo Sienne, Spedale Santa (détail), Avignon, Musée du (détail), Sienne,
Nazionale di Villa Maria della Scala, peinture Petit Palais, peinture sur Pinacoteca Nazionale,
Guinigi, peinture sur murale, 1446-1449. panneaux, 1476. peinture sur panneaux,
panneaux, 1430. 1465.

L’utilisation de l’épée est légèrement diversifiée, mais ce qui différencie fondamentalement


l’emploi de l’arme dans ces scènes, est qu’elle n’est pas dirigée contre les démons, mais
contre les hommes et est davantage signe de justice qu’instrument destiné à infliger des peines
physiques.
Dans les mises en scène d’épisodes de combat, contre les anges rebelles ou contre le dragon
de l’Apocalypse, l’élargissement du champ et la multiplication des personnages, permet le
développement de la scène : Michel n’est plus dans un simple corps à corps contre le mal
mais la lance reste l’instrument privilégié de cette bataille, et l’utilisation de l’épée imprime à
l’archange les mêmes positions que dans les représentations en pieds.

Le bouclier

Outre ses vêtements, l’archange peut avoir recours au bouclier pour se protéger des
attaques de ses adversaires et compléter sa panoplie de guerrier. Il est présent dans soixante-
huit peintures de notre corpus. Le bouclier est une arme défensive, constitué d’une ou
plusieurs plaques principalement en bois ou en métal, que le combattant porte à l’aide
d’attaches et qui sert à contrer les coups. La forme la plus classique est la forme ronde,
appelée rondache, que l’on retrouve dans une dizaine de peintures, comme dans celle de
Martino di Bartolomeo di Biagio. Ici, comme dans trois autres peintures, la rondache est
particulièrement petite, ce qui laisse douter de son efficacité. Mais ces boucliers ronds sont
généralement plus grands et de forme conique, comme dans la peinture murale de Paganico
peinte par Biagio di Goro Ghezzi, où la rondache est marquée de stries rayonnantes autour
d’un umbo saillant. Cette protection est plus adaptée au combat en corps à corps avec le
dragon, qui tente d’ailleurs d’attraper la rondache de Michel pour mieux atteindre son corps.
La forme plus spécifiquement médiévale de l’écu, bouclier quadrangulaire dont la partie
inférieure a une forme ogivale, est la plus courante dans notre corpus, allant de l’écu de taille

458
petite à moyenne, comme dans le panneau de Bernardo Daddi, au grand pavois. En effet,
lorsque la forme de l’écu est allongée et que sa taille est importante, comme dans le panneau
de Paolo di Giovanni Fei, il s’agit certainement d’un pavois, grand bouclier derrière lequel les
fantassins et les arbalétriers du Moyen Âge pouvaient se cacher pour recharger leur arme.
L’archange est d’ailleurs souvent représenté avec cette grande arme défensive directement
posée sur le sol, ce qui correspond bien à l’utilisation du pavois. La taille de ce modèle insiste,
ici, sur la taille de l’ennemi contre lequel Michel doit se protéger.

Martino di Bartolomeo Biagio di Goro Ghezzi, Bernardo Daddi, Saint Paolo di Giovanni Fei,
di Biagio, Annonciation Légendes de saint Michel (détail), Saint Michel (détail),
et saints (détail), Michel (détail), Crespina, San Michele, Sienne, Museo dell’Opera
Sienne, Pinacoteca Paganico, San Michele, peinture sur panneaux, Metropolitana, peinture
Nazionale, peinture sur peinture murale, 1368. 1320-1348. sur panneaux, 4e ¼ du
panneaux, XIV-XVe. XIVe.

La croix de saint Georges des croisées, déjà présente sur les tuniques, les plastrons ou les
bannières portées par Michel, est la décoration majoritaire des boucliers. Elle apparait sur près
de la moitié des armes défensives du corpus. Elle est toujours rouge sur fond blanc, et porte la
même signification que sur les autres attributs de Michel. Elle prend ici la place généralement
réservée aux armes et blasons : Michel combat pour la maison de Dieu et ces représentations
le démontrent clairement. Le grand écu peint par Lorenzo di Alessandro, porte cette croix sur
toute la hauteur. La partie basse et pointue de l’écu est légèrement abîmée, certainement
rognée par les dents acérées de la bête, ce qui confirme son efficacité dans cette image.
L’arme défensive de Michel comporte parfois des éléments de décoration différents, comme
les fleurs de lys d’un anonyme aretin, des étoiles ou des bandes colorées dans d’autres
témoignages picturaux. La décoration fantasque en relief peinte par le Pérugin sur la surface
du bouclier, orné de motif végétaux, de guirlandes et d’une tête de chérubin ailé, est
accompagnée par une forme également originale de l’écu qui ne semble plus réellement
remplir la fonction défensive d’origine. Notons qu’à la fin du XVe siècle, comme les autres
éléments du costume guerrier, le bouclier adopte des formes et des décorations plus
fantasques, aux bords dentelés, au umbo proéminent. Un seul écu porté par Michel comporte
pour toute décoration une inscription : celui peint par Giovanni d’Agnolo di Balduccio, où
l’on peut lire « POTENTIA DEO », nouvelle preuve que l’archange se bat au nom de Dieu.

459
Lorenzo di Alessandro, Saint Anonyme arétin, Pérugin, Vierge à Giovanni d’Agnolo di
Michel (détails), Baltimore, The Saint Michel l’Enfant et anges Balduccio, Christ en gloire et
Walters Art Museum, peinture sur (détail), collection (détail), Londres, saints (détail), Arezzo, Museo
panneaux, milieu des années 1380. privée, peinture sur National Gallery, huile Statale di Arte Medievale e
panneaux, XIVe. sur toile, 1496-1500. Moderna, peinture murale
déposée, 1e ½ du XVe.

Le bouclier est régulièrement associé à l’épée au XIVe siècle, et à ce titre, est également
souvent un simple attribut de présentation. Dans le panneau de Luca di Tommè, Michel en
buste porte son épée dans la main droite, le globe dans la gauche, alors que le bouclier,
certainement un pavois, est posé contre sa hanche et l’adversaire est absent. Les armes ne sont
pas ici utilisées et la présence du globe, qui ne porte aucune autre fonction que symbolique,
atteste de cette passivité des objets dans l’image. Michel est représenté en action dans environ
un tiers des images de l’archange au bouclier, et même lorsqu’il est en combat et qu’il use de
son arme, le bouclier est porté mais pas forcément utilisé comme protection. La peinture
murale de Jacopo del Casentino montre que Michel n’a pas réellement besoin ni de son épée,
dont il tient le fourreau, ni de son bouclier, qu’il laisse à l’écart, pour porter un coup au
dragon à l’aide de sa lance. Mais dans plusieurs témoignages, cette arme défensive semble
tout de même utile pour contrer les attaques du dragon, et le bouclier abîmé peint par Lorenzo
di Alessandro à peine étudié, prouve que l’archange doit se protéger de l’agressivité de la bête
par tous les moyens. À partir des années 1470, quatre peintures présentent l’archange portant
son écu directement fixé sur le haut du bras, pour parer aux coups au visage, comme dans la
petite peinture d’Ercole de’Roberti conservée à la Pinacoteca de Bologne.

Luca di Tommè, Saint Jacopo del Casentino, Saint Michel et Ercole de’Roberti, Saint
Michel (détail), collection saint anges contre le dragon (détail), Michel (détail), Bologne,
privée, peinture sur Florence, Santa Croce, peinture murale, Pinacoteca, peinture sur
panneaux, autour de 1350. 1e ¼ du XIVe. panneaux, 1470-1480.

460
Dans notre corpus, le bouclier de Michel semble davantage compléter l’attirail militaire que
servir véritablement à contrer les coups de l’adversaire du Bien. Son rôle secondaire dans la
définition du caractère de l’archange, fait qu’il est souvent remplacé par d’autres attributs
dans la main gauche de l’archange, d’autant que même sa fonction de porte-couleurs peut être
assumée par le plastron ou la bannière.

Conclusion sur les armes

L’archange n’utilise que des armes qui nécessitent un corps à corps avec son ennemi,
il n’utilise ni armes de jet, ni armes à feu. Deux grands types d’armes sont tenus par
l’archange dans notre corpus : la lance, à laquelle s’ajoutent les insignes à longue hampe qui
sont utilisés de la même manière, et l’épée. Le labarum n’est présent qu’au XIIIe siècle,
remplacé par la bannière d’argent à la croix de gueules, qui est surtout courante à la fin de
notre période. La croix hampée est assez présente au début de notre période, puis connait une
seconde phase de développement à la fin du XVe siècle. Le bouclier, présent timidement tout
au long de notre période, est davantage un objet qui complète l’attirail défensif des vêtements
du guerrier qu’un signe fort dans l’iconographie michaélique. L’arme est un instrument du
combat, un symbole de la qualité guerrière de l’archange (surtout dans les images où Michel
n’est pas vêtu en soldat) ou un élément indispensable de la panoplie du combattant. La lance
est l’arme du XIIIe siècle, l’épée est celle du XVe, et le XIVe semble se partager entre les
deux.
La lance est particulièrement adaptée aux combats de l’archange contre le dragon, dans le
contexte des représentations en pied et dans le contexte des scènes narratives : elle permet de
représenter le moment où l’archange transperce d’un coup fatal la bête. L’épée reste au
Trecento une arme de représentation, symbole de la victoire sur le mal qui gît à ses pieds. Son
utilisation dynamique prend une importance considérable parallèlement au développement de
la balance comme attribut majeur de l’archange. L’arme est alors représentée au moment qui
précède le coup fatal, celui où Michel prend de l’élan pour frapper le plus violemment
possible. Dans les scènes narratives, l’épée a une place primordiale en tant qu’instrument de
justice et de menace contre l’homme pécheur.
L’utilisation de l’une ou l’autre arme semble ainsi correspondre au type de combat, au type
d’adversaire, à la présence d’autres attributs et au moment que le peintre a voulu figurer dans
sa peinture en fonction du degré d’espoir ou de menace que devait porter l’image.

II.1.1.2. La balance

La balance est l’un des attributs majeurs de l’iconographie michaélique. Elle est
représentée dans cent-quatre-vingt-dix peintures de notre corpus, et la proportion de sa
présence s’accroit considérablement d’un siècle à l’autre, puisqu’elle est présente dans

461
environ 20% des images du XIIIe siècle, et près de 75% des images réalisées entre 1500 et
1518.

100%
80%
60%
40% sans balance
20% avec balance
0%

Doc. 5. Proportion de la présence de la balance par siècle dans notre


corpus.

Une permanence de l’aspect formel de la balance

Comme son nom l’indique, la balance, du latin bis (deux fois) et lanx (plateau), est un
instrument à deux plateaux, servant à peser, à mesurer la masse d’un corps par rapport à un
autre ou par référence à un système d’étalon1755. Le type de balance porté par Michel est
toujours le même : il s’agit de la balance à fléau. Comme nous pouvons le voir dans la
peinture de Bernardo Zenale da Treviglio, elle est constituée d’une poignée, souple, en bois,
ou comme ici formée d’un anneau en métal, retenant un prisme d’acier appelé couteau central,
en forme de « U », s’insérant et coupant perpendiculairement en son milieu une barre rigide,
le fléau. De chaque extrémité du fléau, tombent au moins trois cordelettes ou chaînettes qui
retiennent un plateau. Une aiguille peut être visible au centre du couteau central pour
permettre un équilibrage plus facile, telle celle de l’archange peint par Biagio d’Antonio dans
une lunette de polyptyque conservé au Petit Palais d’Avignon. La balance peinte par un
anonyme sud-tyrolien dans une peinture murale de San Martino de Bolzano, comporte un
fléau en bois, des fils de suspension des plateaux en cordelette, et le reste en métal. Ces types
de matériaux sont ceux couramment employés dans les images de balances michaéliques. À la
fin de notre période, elles sont plus volontiers totalement en métal. Elles sont généralement de
taille moyenne, c’est-à-dire que la taille de leur fléau équivaut environ à la largeur des
hanches de l’archange. Quelques témoignages picturaux présentent cependant une balance
ridiculement petite, comme dans le panneau du Pseudo-Jacopino où elle ne dépasse guère la
longueur de la main de l’archange. D’autres figurent une balance plus large, notamment dans
les représentations où ce n’est pas directement l’archange qui porte la balance, comme nous
allons le voir plus loin.

1755
Définition du Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/balance .
462
Bernardo Zenale da Biagio d’Antonio, Peintre sud-tyrolien, Saint Pseudo Jacopino,
Treviglio, Vierge et Saint Michel (détail), Michel (détail), Bolzano, Couronnement de la Vierge,
saints (détail), Florence, Avignon, Musée du San Martino, peinture Crucifixion et saints (détail),
Offices, peinture sur Petit Palais, peinture murale, 1403. Bologne, Pinacoteca
panneaux, 1480. sur panneaux, 1476. Nazionale, peinture sur
panneaux, 1340.

Les plateaux sont généralement simples, symétriques, sans décoration et comportent de larges
rebords qui leur donnent davantage l’aspect de corbeilles que de véritables plateaux au sens
propre du terme (objet normalement défini par la possession d’une partie plate). Les plateaux
de la plus ancienne balance présente dans notre corpus, sont de couleur grise, certainement en
métal, et ont une forme de sphère creuse tronquée, pour accueillir sans risque de chute les
petites âmes des hommes. Un exemplaire original peint sur un mur de la chapelle
Sant’Onofrio d’Atina, présente des plateaux faits de petits paniers d’osier tressés. Mais ils
sont généralement de petites coupelles de métal, souvent jaunes, comme dans le panneau de
Giovanni Angelo d’Antonio peint en 1445. Ils peuvent parfois s’aplatir pour ressembler
davantage à de petites assiettes à la fin du XVe siècle. Les plateaux de la balance peinte par
Riccardo Quartararo ont une base arrondie et une surface totalement plate et lisse au centre de
laquelle se tiennent les petites âmes de taille réduite, qui ne pouvaient de toute façon être trop
grandes étant donnée la forme de leur socle.

École d’Abruzzes, Saint Anonyme, Saint Michel Giovanni Angelo d’Antonio, Riccardo Quartararo,
Michel (détail), (détail), Atina, Palazzo Vierge à l’Enfants et saints Saint Michel (détail),
Bominaco, oratoire San ducale, peinture murale, (détail), Rome, Museo New York, collection
Pellegrino, peinture 2e ½ du XIVe. Nazionale del Palazzo privée, peinture sur
murale, 1263. Venezia, peinture sur panneaux, 1492.
panneaux, 1445.

Les plateaux de la balance ne constituent pas, comme les vêtements ou, dans une moindre
mesure, les armes de Michel, l’occasion d’un développement décoratif ou d’utilisation de

463
riches matériaux, si ce n’est la couleur jaune qui lui donne parfois l’aspect de l’or. Les formes
de la balance en général sont simples et varient peu au cours de notre période.
La position des plateaux peut par contre varier d’une peinture à l’autre : plateau de gauche
plus haut que le plateau de droite, ou plus bas, ou les deux plateaux à la même hauteur. Ces
positions sont marquées par la représentation du fléau en oblique descendante, ascendante ou
horizontale. Ces variations dépendent principalement des personnages qui se trouvent autour
et dans la balance.

Autour des plateaux

Le point central de la balance constitué par les plateaux, n’est pas toujours aisé à
étudier, puisque le damné et le démon présents sur l’instrument ont souvent été grattés par les
fidèles au cours du temps, altérant la surface picturale.

La présence de la balance augmente considérablement l’agitation dans l’iconographie


michaélique. Cela vient du fait que les âmes sont, dans la tradition chrétienne, l’objet d’un
débat au moment de la mort entre les anges et les démons1756, donnant parfois lieu à un
combat, qui détermine la présence de l’archistratège de la milice céleste. Le mal est ainsi
présent sous la forme d’un ou plusieurs démons, tentant de faire basculer l’un des plateaux en
l’accrochant ou en se pendant aux liens qui le tiennent ; ou d’un dragon, proposant alors une
synthèse qui suggère le jugement à venir, le triomphe des pouvoirs du Bien et la glorification
de saint Michel1757. L’objet de leur convoitise est généralement décrit comme une âme. Il
s’agit dans les images de petits personnages humains nus, des enfants au début de notre
période, des hommes ou des femmes mûrs à la fin de celle-ci. Mais la dénomination même de
ces petits hommes comme des âmes est sujet à quelques précisions. Il faudrait en effet
déterminer si cette pesée a lieu au moment de la mort des hommes, auquel cas il s’agit bien
d’une évaluation des âmes, ou au moment de la fin des temps, auquel cas, les corps
ressuscités ont déjà rejoint les âmes et il s’agit d’une évaluation des hommes dans leur
intégrité. Nous reviendrons plus loin sur cette question de l’importance de la détermination du
moment de la pesée pour en déterminer sa nature même, puisque comme le précise Jean
Fournée, la psychostasie n’est qu’une variété iconographique du thème de la pesée1758. Ce qui
nous intéresse ici est simplement de décrire les mouvements de la balance et leur logique par
rapport à l’évaluation d’un homme, damné ou élu, qu’il s’agisse de son âme ou de son être
intégral. Nous nommerons ici par commodité ces personnages par le terme d’hommes.

1756
Voir à ce propos le chapitre 1. II.1.1.3.2. Saint Michel, archange du Nouveau Testament ; le chapitre 1.
II.1.2.2. Légendes juives apocryphes sur la vie de Moïse ; et le chapitre 1. II.3.2.3.3. Un saint lié à la mort et à la
fin des temps.
1757
PERRY, 1913, p. 215.
1758
FOURNEE, 1971, p. 76.
464
Dans l’iconographie michaélique, il y a généralement un petit personnage dans chacun des
plateaux de la balance, ce qui signifie que les hommes sont jugés les uns par rapport aux
autres. Nous avons déjà établi que cette image ne correspondait pas à la réalité théologique du
Moyen Âge qui précisait bien que c’étaient les actions qui étaient évaluées, les bonnes par
rapport aux mauvaises1759. Nous pourrions alors estimer que chacun des deux hommes
présents dans les plateaux est une représentation allégorique respectivement des bons actes
commis et des mauvais, d’un seul et même individu. Pourtant, la montée au ciel souvent
figurée du premier, et l’enlèvement du second par un démon, montrent qu’il ne s’agit pas d’un
seul et même homme dédoublé en deux personnages. Les images de l’archange à la balance
sont donc bien souvent la représentation d’un jugement double de deux hommes, l’un élu et
l’autre damné, comme l’attestent la position généralement penchée du fléau et la différence de
niveau des deux plateaux.
Le personnage élu est généralement situé dans le plateau le plus haut, synonyme de son
élévation amorcée vers Dieu. Luca Signorelli insiste largement sur cette ascension du bon par
rapport à une chute du mauvais, bientôt emporté par le démon qui attend, écarté des plateaux
par l’archange pour ne pas qu’il en influence le résultat. Les élus - dont nous décrirons
l’apparence et les attitudes dans une partie suivante - sont presque toujours représentés sur le
plateau supérieur. Seules deux peintures de notre corpus semblent figurer le damné en
position haute : celle peinte par un anonyme sur les murs de Santa Maria ad Cryptas de Fossa,
où le démon, uniquement visible par ses bras, emporte un petit homme dont l’attitude résignée
et le fait que Michel ne prenne pas sa défense, prouvent qu’il s’agit bien d’une âme déchue ;
et celle d’un autre anonyme peinte à San Bernardo de Laietto, où cette fois le résultat est plus
ambigü puisque l’homme du panneau inférieur est en prière et celui du plateau supérieur
adopte une attitude d’homme damné, mais Michel repousse le démon venu le récupérer à
l’aide de sa bannière. Cette position de la balance insiste sur le poids des bonnes actions de
l’élu par rapport à celles du damné, et, le fait de positionner les élus dans le plateau inférieur
s’il est rare dans l’iconographie italienne de la fin du Moyen Âge, se retrouve parfois dans
l’iconographie européenne, en France, en Espagne, en Suisse ou dans les Flandres1760.

1759
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.2.3. Saint Michel et la balance.
1760
On retrouve cette disposition par exemple dans le tympan de Saint-Lazare d’Autun, XIIe ; dans celui de
Notre-Dame de Paris, 1220-1230 ; dans le panneau peint par le Maître de Sorigerola, du XIIIe et conservé au
Musée épiscopal de Vich, initialement pour l’église de Ribes en Catalogne ; une peinture murale de l’église de
Porrentruy en Suisse ; ou le Jugement dernier peint par Memling vers 1480 et conservé à Bruges.
465
Luca Signorelli, Saint Anonyme, Saint Michel (détail), Anonyme, Saint Michel
Michel (détail), Londres, Fossa, Santa Maria ad Cryptas, (détail), Laietto, San
collection privée, huile sur peinture murale, 1263-1283. Bernardo, peinture
bois, 1502. murale, 1430.

Afin de contourner les problèmes théologiques posés par la représentation d’une pesée
avec un personnage dans chacun des plateaux, certains peintres ont placé des objets ou des
lettres à la place ou avec les hommes. Carlo Crivelli peint deux fois l’archange portant une
balance comportant dans un plateau un ou deux personnages et dans l’autre un poids destiné à
évaluer les hommes présents pour eux-mêmes, en référence à un système d’étalon prédéfini,
et non par rapport à un autre homme1761. Le panneau de Londres présente en plus la
particularité de juger un couple ensemble, et non pas un homme seul. L’homme et la femme
sont agenouillés et en prière dans le plateau supérieur alors que le plateau supérieur porte un
poids en métal de forme cylindrique se terminant par un tronçon conique facilitant la
préhension. L’objet présent dans le plateau de droite de la peinture d’un anonyme sud-tyrolien
de Bolzano, n’est pas identifiable. Il ressemble davantage à un caillou qu’à une masse
marquée de balance, mais avait certainement la même fonction que le poids de Carlo Crivelli :
estimer le poids de l’homme assis dans l’autre plateau. La mise en scène de la mort et du
Jugement d’Henri II peinte sur un mur du narthex de la basilique San Lorenzo Fuori le Mura
de Rome entre 1290 et 1300, présente l’archange protégeant la balance, qu’il ne porte pas, de
quatre démons, à l’aide de sa lance. Dans les plateaux, deux livres ouverts exposent
certainement les bonnes et les mauvaises actions du défunt. Plus tard, avec les progrès de
l’écriture et de l’instruction écrite, le bilan manuscrit remplacera la balance dans les scènes de
jugements, comme à Albi (1474-1484) où les ressuscités portent chacun à leur cou la liste de
leurs actes1762. En Italie, un seul autre exemple utilise l’écriture comme signifiant des bonnes
et des mauvaises actions. Il s’agit de la peinture murale de Tommaso e Matteo Bisaci dans
l’église San Bernardino d’Albenga. Dans les plateaux de la balance tenue par Michel, on peut
lire la lettre « m », comme malum, et la lettre « b », comme bonum, de l’autre côté. Ces deux
lettres symbolisent le bien et le mal faits par le défunt présenté aux pieds de l’archange. Le
mal pèse ici plus lourd dans la balance, et le démon a déjà agrippé le damné par les cheveux et
s’apprête à l’emporter en enfer ou au Purgatoire. L’image de la balance est complétée par la
présence d’un ange tenant un livre ouvert, preuve de l’importance de l’écriture dans cette

1761
L’autre panneau de Carlo Crivelli est le polyptyque de Monte San Martino, peint en 1477-1480 pour l’église
San Martino de la commune éponyme.
1762
PERRY, 1913, p. 215.
466
composition. Chacune des lettres de la balance correspond certainement à une liste inscrite
dans le livre qui propose le détail de cette comptabilité alors que l’instrument de pesée,
visuellement plus claire, en résume le résultat et indique la sentence.

Carlo Crivelli, Saint Michel Peintre sud-tyrolien, Saint Anonyme romain, Tommaso e Matteo
(détail), Londres, National Michel (détail), Bolzano, Légende du calice Bisaci, Jugement dernier
Gallery, peinture sur San Martino, peinture d’or (détail), Rome, (détail), Albenga San
panneaux, 1476. murale, 1403. San Lorenzo fuori le Bernardino, peinture
mura, peinture murale, 1483.
murale, 1290-1300.

Nous ne retrouvons ni calice, ni agneau dans l’iconographie italienne, qui emploie rarement
d’autres images que le petit homme nu dans les plateaux de la balance ou qui laisse les
plateaux vides.

Dans la détermination du côté où se trouve le plateau le plus haut, il n’y a pas de règle
stricte. Le plus souvent (dans plus de quatre-vingt cas), le plus élevé se trouve à gauche, et le
fléau est en position oblique descendante. Cette position est certainement liée à l’idée que les
justes se trouvent au jour du grand partage, à la droite du Sauveur, donc visuellement pour
nous à gauche. Dans les représentations du Jugement dernier, cette position prend tout son
sens, l’élu est directement dirigé depuis le plateau de la balance qui l’évalue, vers l’assemblée
des élus en haut et à gauche de la composition, ou directement vers le Christ, comme c’est le
cas dans la peinture de la calotte absidiale de l’église de Pomposa, peinte par Vitale da
Bologna : la position de la pesée, décentrée sur le côté droit de l’image, insiste sur ce
mouvement de l’élu vers le Christ directement depuis le plateau de la balance. La position
inverse du fléau, en oblique ascendant avec le plateau droit plus haut que le gauche, est moins
représentée, mais apparait tout de même quarante-cinq fois. En fait, la position des plateaux
de la balance correspond à un choix du peintre, en fonction de la composition et surtout en
fonction du contexte iconographique. Prenons pour exemple le tondo peint par Luca
Signorelli où l’inclinaison de la balance de l’archange permet à l’élu du plateau supérieur de
se retrouver juste devant les yeux de la Vierge à l’Enfant qui se situe au centre de la
composition. L’action du démon peut également fausser la pesée et l’inclinaison de la
balance, qui sera vite rétablie par l’intervention de Michel. Dans le panneau d’Andrea da
Bologna, le démon a saisi les cordelettes du plateau gauche de la balance et tire dessus pour
influencer la pesée, mais Michel a brandi son épée et s’apprête à le frapper de revers.

467
Vitale da Bologna, Christ en Majesté et Luca Signorelli, Vierge à Andrea da Bologna, Saint
saints (détail), Pomposa, Monastère, l’Enfant et saints (détail), Michel (détail), collection
peinture murale, 1351. Cortona, Academia Etrusca, privée, peinture sur
huile sur bois, 1510-1512. panneaux, 1450-1477.

La symbolique chrétienne des directions qui fait de la droite du Christ, et donc de la gauche
de l’image, une position positive en contexte de Jugement dernier, a contribué au plus grand
développement de la balance au fléau en position oblique descendante. Cette position n’est
pourtant pas courante dans les images du Jugement dernier italien lorsque la balance est
présente : elle apparait bien souvent les plateaux équilibrés et le fléau horizontal. C’est le cas
de celui de Brindisi, peint par Rinaldo da Taranto dans les premières décennies du XIVe
siècle. Malgré le contexte narratif, l’instrument de pesée ne semble pas être ici actionné, il
agit comme simple signe. Ce fait est encore plus évident dans les images eschatologiques où
la balance est parfaitement équilibrée, et ses plateaux sont vides, comme dans la peinture
murale de Cristoforo da Lendinara. Elle est alors le symbole d’une justice infaillible et
parfaitement équitable. Elle prend le même sens dans les représentations en état de l’archange,
à la balance vide et droite. Il est par contre plus difficile d’établir le sens que prend cet
équilibre lorsque les plateaux portent des figures humaines. Dans la peinture de Biagio di
Goro Ghezzi, la position en prière des deux personnages attestent qu’ils sont tous les deux
élus et cette égalité parfaite serait alors le signe d’un même degré de bonté des deux hommes
jugés (ici un couple, homme et femme). L’horizontalité du fléau peut aussi être l’image d’une
pesée qui n’est pas encore terminée : dans le panneau de Bernardino Luini, les hommes
viennent de prendre place sur les plateaux, le verdict n’est pas rendu et l’action de Michel et
celle du démon sont encore déterminantes. Si ces images de balance aux plateaux occupés et
parfaitement équilibrés sont ambigües, puisque la sentence n’est pas rendue de manière claire
et définitive, celles de la balance aux plateaux vides sans être à la même hauteur le sont
d’autant plus puisqu’elle montre une balance mal réglée. Le déséquilibre des plateaux peints
par Domenico Ghirlandaio ne peut s’expliquer par une mise en perspective de l’instrument de
pesée puisque l’aiguille indique clairement que la balance vide n’est pas équilibrée.

468
Rinaldo da Taranto, Cristoforo da Biagio di Goro Ghezzi, Bernardino Luini, Domenico
Jugement dernier (détail), Lendinara, Allégories d’outre-tombe Saint Michel et Ghirlandaio, Saint
Brindisi, Santa Maria del Jugement dernier (détail), Paganico, San saint Jean (détail), Michel et saint
Casale, peinture murale, (détail), Modena, Michele, peinture murale, collection privée, Dominique (détail),
1es décennies du XIVe. Duomo, peinture 1368. peinture sur Portland, Art
murale, 1472-1476. panneaux, XVIe. Museum, peinture
sur panneaux,
1480-1485.

La position et l’occupation des plateaux est également en lien avec l’usage qu’en fait
l’archange dans les images.

L’utilisation de la balance par Michel : un symbole ou un instrument de pesée ?

La balance est généralement tenue directement par l’archange, par la poignée ou le


crochet prévu à cet effet, afin que l’instrument pende dans l’espace et soit ainsi utilisable.
Seules six peintures de notre corpus représentent Michel près de la balance sans qu’elle soit
portée par lui-même : dans quatre d’entre elle, l’archange participe à la pesée mais la balance
est fixée à un autre point d’ancrage au-dessus des acteurs de la pesée ; dans les deux autres, la
balance est représentée en périphérie de la figure archangélique comme simple rappel de son
rôle près des défunts. Dans la peinture murale de San Lorenzo Fuori le Mura de Rome, le
fléau semble flotter dans les airs, sans que rien ne le retienne. Dans celle de Paganico peinte
par Biagio di Goro Ghezzi, le fléau horizontal de la balance est placé le long de la bordure
ornementale séparant la scène de la pesée de la scène du registre supérieur, dans l’espace de
laquelle le couteau central est visible (voir flèche rouge dans le détail de la peinture), et
donne l’impression que les plateaux sont simplement fixés par des cordelettes à la bordure de
l’image. La partie technique de la balance est rejetée en périphérie de l’image pour ne
conserver au centre que l’idée de suspension et les plateaux, et c’est le corps de l’archange
lui-même qui semble servir de colonne à cette balance. Michel supporte dans ses mains les
plateaux équilibrés de la balance où deux personnages sont en prière, signe de leur élection
divine : le rôle de l’archange semble s’être transformé de protecteur de la balance en
intercesseur auprès des hommes. Deux autres peintures murales montrent la balance portée
par une main sortant de la bordure supérieure de l’image, comme dans celle se trouvant dans

469
l’église San Michele d’Arcè di Pescantina1763. Cette iconographie était déjà présente dans les
tympans sculptés des cathédrales gothiques, et représente la main de Dieu, ainsi clairement
impliqué dans le jugement des morts. Elle ne connait qu’un développement très limité en
Italie, comme en atteste sa présence dans seulement deux peintures sur les cinq-cent-cinq que
comporte le corpus. Dans ces quatre images, la balance a des proportions beaucoup plus
importantes que dans les images où elle est portée directement par l’archange. Cela explique
en partie que Michel ne puisse la porter, non parce qu’il n’est pas assez fort, mais parce que la
longueur du fléau et le diamètre des plateaux nécessitent un certain recul que la longueur du
bras ne peut fournir. L’image réaffirme ici que Michel n’est pas le juge mais
l’accompagnateur des hommes après leur mort. Enfin, deux peintures figurent la balance en
périphérie de la figure de Michel. Dans la première, peinte par Michele Giambono, la balance
et l’épée sont portées par deux angelots qui volètent au-dessus de la tête de Michel en trône, à
la manière des anges portant les instruments de la Passion du Christ. Dans la seconde, l’huile
sur toile du Pérugin de la National Gallery, elle est posée sur un arbuste sec qui se trouve dans
le fond paysagé derrière l’archange. La balance est évoquée mais elle n’est pas portée par
Michel, ce qui fait de son rôle de protecteur de la balance, une mission secondaire dans cette
image alors que l’accent est clairement mis dans cette peinture sur le rôle martial de
l’archange.

Biagio di Goro Ghezzi, Anonyme, Saint Michele Giambono, Saint Michel Pietro Perugino, Vierge
Allégories d’outre- Michel (détail), Arcè (détail), Florence, collection Berenson, à l’Enfant et anges
tombe (détail), di Pescantina, San peinture sur panneaux, 1430. (détail), Londres,
Paganico, San Michele, Michele, peinture National Gallery, huile
1368. murale, XIVe. sur toile, 1496-1500.

La balance est, avec le globe, l’attribut michaélique de la main gauche. L’archange est
droitier, puisque les gauchers et le côté gauche en général sont associés à une symbolique
négative, il réserve donc sa main droite aux armes, qui nécessitent un maniement plus précis
et une plus grande force que la balance, objet léger qu’il suffit de porter pour qu’il soit
effectif. La balance peut toutefois être saisie par la main droite, lorsqu’elle est le seul attribut
porté, par exemple, comme dans le Jugement dernier de Brindisi, peint par Rinaldo da
Taranto. Michel porte la balance de la main droite dans deux autres peintures dans le contexte

1763
La main de Dieu portant la balance est également visible dans l’Oratorio San Michele de Padoue, peint par
Jacopo da Verona en 1397.
470
de l’au-delà1764. Cette particularité s’explique bien sûr par l’aspect central de l’instrument de
la pesée dans cette scène de jugement des hommes. Quatre peintures de l’archange en état
représentent Michel portant la balance dans la main droite. Dans la peinture de Pontormo
(visible dans la partie suivante sur les plateaux vides), Michel saisit de la main droite la
balance emmêlée pour la placer devant les yeux de la Vierge. La peinture sur panneaux du
Pseudo Jacopino montre une minuscule balance dans les mains de Michel alors que celui-ci
combat un dragon de taille importante avec la lance tenue dans la main gauche. Nous ne
pouvons expliquer cette particularité dans l’image présentée. L’archange peint par Cesare
Sesto et conservé au Louvre, tient la balance dans la main droite car il n’est pas armé. Il aide
le Christ Enfant à attraper un objet dans le plateau gauche de la balance, en le soutenant de sa
main gauche. Là encore, cette peinture est la seule de ce type dans notre corpus. Jésus
récupère ce qui se trouve dans le plateau le plus haut, ce qui signifie sans doute qu’il pourra
sauver les âmes elles-mêmes présentes dans le plateau supérieur au moment de la fin des
temps. Michel assiste l’Enfant, comme il le fera au Jugement dernier. Enfin, Gian Francesco
Caroto, porte dans la même main son épée, posée pointe au sol, et la balance, pour en associer
les symboles, puisque c’est pour protéger la balance que Michel prend les armes. La
similitude de forme entre le fléau de la balance et sa poignée, et la garde de l’épée et sa
poignée, insiste sur la place égale qu’occupent les deux fonctions dans la mission de
l’archange.

Rinaldo da Taranto, Pseudo-Jacopino, Cesare Sesto, Vierge à Gian Francesco Caroto,


Jugement dernier (détail), Couronnement de la Vierge l’Enfant et les saints Saints (détail),
Brindisi, Santa Maria del (détail), Bologne, Pinacoteca Élisabeth, Jean-Baptiste et Mantoue, Santa Maria
Casale, peinture murale, Nazionale, peinture sur Michel (détail), Paris, della Carità, huile sur
1es décennies du XIVe. panneaux, 1340. Louvre, huile sur toile, 1510. toile, avant 1519.

La balance est liée à l’utilisation des armes, puisque qu’elle justifie en partie le combat
mené par Michel et réciproquement, c’est certainement parce qu’il est un archange guerrier
que lui est confiée la surveillance du bon déroulement de la pesée. Le combat même de
Michel contre son adversaire symbolise le jugement par une mise en opposition du bien et du
mal, similaire à celle qui se produit dans la confrontation des bonnes et des mauvaises actions.
Les deux types d’attributs sont souvent portés en même temps par l’archange. Dans les deux
bâtiments accolés de Schifanoia et dédiés à Michel, nous retrouvons en deux endroits

1764
Celle de l’oratoire de San Pellegrino à Bominaco en 1263 et celle de l’église de Santa Maria di Ronzano de
Castel Castagna, autour de 1280.
471
différents une double figure de l’archange : à chaque fois, une représentation armée de
l’archange fait pendant à une représentation à la balance. Les deux fonctions de Michel sont
ici dédoublées pour encadrer le passage à l’autel ou l’abside. Elles sont d’égale importance et
toutes deux constitutives de la personnalité de l’archange. Dans la peinture de Giovanni del
Ponte, l’absence d’ennemi ou d’un autre élément dans l’image, focalise l’attention sur les
deux attributs portés par Michel à la même hauteur : l’épée et la balance.

Anonyme, Saints Michel, Schifanoia, x


Anonyme, Couronnement de la Vierge et Giovanni del Ponte,
San Michele, peinture murale, XIVe. saints Michel, Schifanoia, San Michele, Vierge à l’Enfant et saints
peinture murale, XIVe. (détail), Columbia,
Museum of Art, peinture
sur panneaux, 1425-1426.

La présence conjointe de l’arme et de la balance résume les différents aspects, parfois


contradictoires, de la nature de Michel : l’arme, solide, piquante ou tranchante, représente la
force du guerrier de Dieu ; et la justesse et la sensibilité de la balance reflètent davantage le
caractère angélique de Michel.
L’association entre la balance et arme, et plus spécifiquement l’épée, se retrouve également
dans les représentations allégoriques de la Justice, comme signe d’égalité, d’infaillibilité et du
caractère répressif de la justice, qu’elle soit humaine ou divine. Les deux figures, celle de la
Justice personnifiée et celle de Michel, sont d’ailleurs elles-mêmes associées dans le panneau
de Jacobello del Fiore, portant les mêmes attributs1765. Pourtant ils n’en font pas du tout le
même usage : l’allégorie de la Justice trône dans une position frontale et présente l’épée
verticalement alors que la balance est parfaitement équilibrée, et le fléau horizontal ; le corps
de Michel est marqué par un contrapposto élégant, l’épée est brandie derrière son épaule et la
balance penche largement alors qu’il l’écarte de la gueule du dragon qu’il combat en même
temps. L’archange est une forme chrétienne et dynamique de la Justice divine. Malgré le
mouvement qui caractérise la figure de Michel, les plateaux de sa balance sont vides,
l’instrument de pesée n’est pas un outil au service d’une action mais un symbole de la mission
de l’archange.

1765
Voir le triptyque de la Justice, Venise, Galleria dell’Accademia, peinture sur panneaux, 1421.
472
Jacobello del Fiore, Triptyque de la Justice, Venise, Galleria dell’Accademia,
peinture sur panneaux, 1421.

Dans vingt-et-une peintures de notre corpus, Michel porte une balance aux plateaux vides, et
toutes, sauf une1766, sont réalisées au XVe siècle et au début du XVIe. Le médaillon peint par
Giovanni del Ponte montre un archange portant haut une balance au fléau horizontal et aux
plateaux vides. L’instrument est ici un objet signe et ne sert pas directement à mettre en scène
la pesée, ce qui n’est pas spécialement étonnant dans une image de l’archange en pieds. Mais
l’insertion de l’archange à la balance dans un champ narratif ne signifie pas forcément que les
plateaux soient remplis. Quatre images d’épisodes de l’au-delà peintes entre 1410 et 1476,
comme celle d’Albenga, présentent l’archange portant l’épée et la balance, mais, si les élus et
les damnés sont présents dans la scène, Michel ne porte aucun personnage dans les plateaux
de sa balance : il présente simplement les signes de sa fonction sans participer directement à
l’action1767. L’archange peut également être en position dynamique, en train de combattre un
dragon pour protéger la balance alors que celle-ci est vide. Dans le panneau de Francesco de
Tatti, Michel s’apprête à frapper le démon agenouillé à ces pieds afin de protéger la balance.
Le diable tente bien d’accrocher, à l’aide de son pied de biche, l’un des plateaux, mais ce ne
sont pas ici les âmes qu’il tente de récupérer, son action n’est pas l’illustration d’un épisode
précis mais d’une action symbolique : les serviteurs de Satan ont pour rôle de perturber la
pesée en général, et Michel de la surveiller. Une peinture murale déposée de Pontormo insiste
sur la valeur de signe de la balance, car l’archange ne la tient plus par la poignée, les plateaux
en équilibre, elle n’est donc pas en position d’être utilisée, mais il l’agrippe par le fléau pour
la porter au regard de la Vierge. Enfin, dans le médaillon de Tomaso da Modena, si la
poignée, le couteau central et le fléau de la balance portée par Michel sont visibles dans
l’image, les plateaux se retrouvent hors cadre, et témoignent une nouvelle fois d’un inintérêt
pour la pesée en tant que telle.

1766
Il s’agit de l’archange du polyptyque de Barnaba da Modena, conservé à Savona, dans l’église San
Dalmazio, et peint en 1376.
1767
Giovanni da Modenna, Jugement dernier, Bologne, San Petronio, peinture murale, 1410 ; Anonyme, l’enfer,
Bastia Mondovi, San Fiorenzo, peinture murale, 1472 ; Cristoforo da Lendinara, Jugement dernier, Modena,
Duomo, peinture murale, 1472-1476.
473
Giovanni del Ponte, Pittore Monregalese, Francesco de Pontormo, Vierge à Tomaso da Modena,
Assomption de saint Jugement dernier Tatti, Vierge à l’Enfant et saints Saint Michel
Jean et saints (détail), (détail), Albenga, San l’Enfant, (détail), Florence, (détail), Trévise,
Londres, National Giorgio di Crucifixion et Santissima Museo Civico Luigi
Gallery, peinture sur Campocchiesa, saints (détail), Annunziata, Bailo, peinture
panneaux, 1420-1424. peinture murale, 1446. Milan, Pinacoteca peinture murale murale déposée,
del Castello déposée, 1514. 1355-1366.
Sforzesco, huile
sur bois, 1517.

Conformément à la théologie médiévale, ces images privilégient l’évocation du jugement par


une représentation sommaire de l’objet balance, au détriment d’une mise en scène plus
concrète de la pesée. Mais ce n’est pas toujours le cas dans l’iconographie michaélique.

La balance dans les mains de l’archange est avant tout un symbole. Elle n’intervient
jamais dans les textes saints comme un instrument dans les mains de l’archange, et ne peut à
ce titre être une illustration d’un récit biblique. Elle correspond à une évolution qui voit la
mise en place d’une véritable tarification des supplices en fonction des péchés. À ce titre,
l’outil mathématique de pesée renvoie à cette idée de calcul et de résultat chiffré permettant
d’y associer un « tarif » de supplices. D’ailleurs, selon Aaron Gourevitch, le développement
de l’iconographie des Jugements derniers au XIIIe siècle correspond au développement de cet
esprit comptable des hommes d’affaires1768. Mais l’utilisation de la balance est avant tout une
allégorie - dans le sens d’un « mode d’expression consistant à représenter une idée abstraite
[…] par une image »1769 - de l’estimation de la valeur des hommes. Pourtant, la pesée des
âmes ou des hommes ressuscités, devient au cours du Moyen Âge un véritable moment de la
fin des temps et prend la place dans les images d’une action concrète, d’un épisode narratif,
défini dans le temps et dans l’espace (au moment de l’Apocalypse et dans l’au-delà). Au
début du XIIIe siècle, Michel est déjà acteur de la pesée des hommes au sein de
représentations eschatologiques1770. Tout au long de notre période, Michel à la balance
apparait dans divers épisodes narratifs : des scènes de Jugement dernier ou des épisodes de
l’au-delà ; des scènes hagiographiques (principalement dans la mort d’Henri II dans les

1768
GOUREVITCH, 1982, p. 257.
1769
Définition du Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/all%C3%A9gorie .
1770
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.2.3. Saint Michel et la balance.
474
légendes de saint Laurent) ; certaines scènes de combat, et même si ces représentations ne
sont pas clairement narratives puisqu’elles prennent la place d’une représentation de saint en
état, elles possèdent un nombre assez important de protagonistes, aux positions dynamiques et
interférant les uns avec les autres, pour être évoquées ici.
Au début de notre période, la balance apparait uniquement en contexte narratif. Elle est un
outil dans les mains de Michel qui lui permet, selon le contexte figuratif, d’évaluer les âmes
ou les hommes. À ce titre, elle est, à Bominaco, l’objet de l’attention de l’archange, et porte
des petits hommes, son fléau est incliné et elle a une place importante dans la surface
picturale, mise en valeur par le drapé qui crée un cadre autour d’elle. Les démons sont bien
présents mais de manière discrète, le combat n’est pas le sujet de l’image et Michel d’ailleurs
n’est pas armé. La fin du XIIIe siècle voit le passage dans notre corpus d’une utilisation
purement narrative à une utilisation de la balance comme attribut simple dans les
représentations en état. Ce type de figuration existait déjà précédemment 1771 mais n’avait pas
marqué le Duecento. La balance ne devient pas pour autant un objet statique rappelant
essentiellement une action, un symbole ou un élément de la personnalité de Michel. Le
panneau d’un anonyme émilien d’une collection privée représente l’archange protégeant de sa
lance une balance des pattes d’un démon. L’instrument de pesée est assez discret dans son
format et les plateaux ont une taille vraiment réduite, mais ils sont pourtant au centre de
l’attention. Michel remonte sa main gauche pour relever la balance, le fléau est incliné, les
plateaux portent de petits hommes qui attendent le verdict, et le démon les convoite
énergiquement. Le mouvement et l’interaction des différents personnages entre eux
transforment ici l’objet balance en instrument de pesée, ce qui est souvent le cas dans les
peintures du Trecento et du Quattrocento. La peinture de Jacobello del Fiore figure les mêmes
éléments que dans l’image précédente : l’archange, l’arme, l’adversaire, la balance, les petits
hommes à l’intérieur. Pourtant l’absence d’une animation autour d’une action commune et
d’interaction entre les différents éléments constitutifs de la figure michaélique font de la
balance un simple rappel de sa mission psychopompique ou eschatologique mais elle n’est
pas ici l’outil d’évaluation des âmes qu’il porte. La présence des hommes dans les plateaux, si
elle participe à l’insertion d’un degré de narrativité dans l’image, n’est pas suffisante pour en
faire une pesée. D’ailleurs, même dans les représentations narratives de la fin des temps, la
balance n’est pas particulièrement présente pour mettre en scène le jugement des hommes.
Nous reviendrons sur le fait qu’aux XIVe et XVe siècles, la balance est peu présente dans
l’iconographie des Jugements derniers italiens, mais notons dès maintenant qu’elle n’y est
presque jamais l’instrument de la pesée. Dans le Jugement dernier de Sant’Agata de’Goti,
Michel, légèrement désaxé par rapport au centre de l’image, présente son épée verticalement
et sa balance, portant de petites âmes, mais ces attributs ne sont pas pourtant pas l’objet d’une
attention particulière. Cette évaluation est pourtant un moment clé de la narration puisque
Michel se situe dans l’image entre une figuration de l’Enfer et une figuration du Purgatoire :
le passage sur la balance doit permettre le passage d’un côté ou de l’autre des âmes. Mais la

1771
Comme par exemple dans le relief de la base du « trône royal », Monte Sant’Angelo, église grotte, fin XIe -
début XIIe siècle. Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.3. Saint Michel et la balance.
475
balance reste ici un signe de ce jugement sans le mettre réellement en scène. La présence,
généralement plus symbolique que narrative dans les images de l’au-delà de la balance, a déjà
été confirmée par la présence des plateaux vides dans les peintures murales de Modena ou
d’Albenga. Le calme qui règne autour des plateaux en contexte eschatologique est d’autant
plus étrange que les représentations de la balance portée par saint Michel en état sont parfois
particulièrement dynamiques au XVe siècle et au début du XVIe.

École des Abruzzes, Anonyme émilien, Saint Jacobello del Fiore, Atelier de Ferrante
Scènes de l’au-delà Michel, Raphaël et Tobie Vierge à l’Enfant, Maglione, Jugement
(détail), Bominaco, San (détail), Londres, Rédempteur et saints dernier (détail),
Pellegrino, peinture collection privée, (détail), L’Aquila, Sant’Agata de’Goti,
murale, 1263. peinture sur panneaux, 2e Museo Nazionale SS. Annunziata,
½ du XIVe. d’Abruzzo, peinture sur peinture murale, fin
panneaux, 1428-1430. XIVe début XVe.

Dans les images non narratives, la position de Michel ne diffère pas entre celles où il porte la
balance et celles où elle n’apparait pas. Dans le panneau de Giovanni di Francesco, le corps
est en contrapposto, le bras est levé pour brandir l’épée, la jambe gauche est tendue et la
jambe droite pliée. Saint Michel pourrait, avec cette même position, s’apprêter à porter le
coup fatal au dragon, mais c’est un petit démon accroché à la balance qui est ici l’adversaire
de l’archange. Timoteo Viti da Urbino montre la détermination de Michel à protéger
l’instrument de pesée par le mouvement qu’il imprime au corps de l’archange afin de lui faire
écarter la balance des griffes du démon anthropomorphe qui est écrasé sous ses pieds. Mais la
balance est un instrument sensible, qui nécessite un minimum de calme pour que son
utilisation soit effective. L’agitation qui entoure le moment de la pesée déplace son utilité : la
balance dans l’iconographie de saint Michel est davantage un instrument de convoitise qu’un
instrument de pesée. Les peintres ne mettent pas en scène le moment clé de l’évaluation de
l’homme, et Michel n’est pas un simple porte-balance au service de ce jugement, ils
représentent un combat, opposant Michel à un dragon ou un démon, dont l’enjeu est une
balance, et le destin des hommes.

476
Giovanni di Francesco, Vierge à l’Enfant et saints Timoteo Viti da Urbino, Noli me tangere
(détail), New York, Collection Hugh Satterlee, et saints (détail), Cagli, Sant’Angelo
peinture sur panneaux, 1439. Minore, peinture sur panneaux, 1518.

La figuration de la balance varie entre un attribut-symbole qui rappelle la mission de


protecteur des âmes et des hommes de Michel, son rôle au moment du Jugement dernier, ou
en fait une personnification de la Justice divine ; et la mise en scène d’une pesée qui
finalement n’est qu’un prétexte à la bataille qui se déroule sous nos yeux dans l’image.

II.1.1.3. L’orbe

Parmi les attributs principaux tenus par Michel, nous retrouvons un disque ou une
sphère, qui porte souvent une croix peinte ou en relief : il s’agit d’une représentation du globe
ou de l’orbe. Cette boule représente déjà le monde dans l’iconographie romaine, et le pouvoir
de celui qui la porte. Marquée d’une croix, elle symbolise l’univers créé par Dieu, et est ainsi
le symbole chrétien du pouvoir universel. Le globe est un attribut impérial puis royal,
symbole de domination universelle, il représente le monde sur lequel le souverain règne, il
réactive le lien déjà existant entre iconographie impériale et iconographie archangélique1772.
Comme les autres symboles de pouvoirs impériaux, le globe crucifère prouve la puissance
mais également la subordination de l’archange et des souverains au souverain universel, il est
le signe d’un transfert de pouvoir d’origine divine.
Michel porte quatre-vingt-quinze fois l’orbe dans notre corpus. Alors qu’elle est présente dans
plus d’une peinture sur deux au Duecento, sa figuration diminue de moitié au Trecento, baisse
encore au Quattrocento, et le début du XVIe siècle ne compte plus qu’une seule image de
l’archange portant le globe.

1772
Voir à ce propos les chapitres 1.III. 2.1.2.3. Le type de l’empereur byzantin ; et III. 2.2.2.1. La
christianisation d’un thème triomphal impérial.
477
100%
80%
60%
40% sans orbe
20% avec orbe
0%

Doc. 6. Proportion de la présence de l’orbe par siècle dans notre


corpus.
Au XIIIe siècle, le globe figure une douzaine de fois sous la forme d’un disque plat orné
d’une croix peinte. Cette forme correspond à la représentation du globe sans épaisseur et sans
volume comme en attestent l’absence de modelé et la position de la main de l’archange. Dans
la peinture rupestre de Mottola, Michel porte un globe blanc dans la main gauche, en forme de
palet et orné d’une croix et d’autres motifs d’entrelacs. Ce type de représentation sans volume
se développe principalement au XIIIe siècle, puis plus timidement au XIVe siècle pour
disparaitre totalement dans la seconde moitié du Trecento. Le dernier exemplaire du disque a
été peint sur la paroi nord de la chapelle Santo Stefano dans la deuxième partie du XIVe
siècle. Le peintre a insisté sur cette forme de cylindre plat par l’ajout de deux cernes noirs qui
circonscrivent clairement les limites circulaires de l’orbe. Mais le XIIIe siècle propose
également des globes de forme sphérique dont la rotondité est marquée par un modelé et une
position spéciale de la main de l’archange, comme dans la peinture murale de Fossacesia. La
taille du globe ou du disque est relativement fixe et est proche de celle d’un melon. Elle peut
prendre des proportions légèrement plus grandes, comme dans la peinture de Matteo di
Pacino, ou plus petite, comme dans celle du Maestro di Fossa.

Anonyme, Saint Anonyme, Saint Anonyme, Vierge à Matteo di Pacino, Saint Maestro di
Michel (détail), Michel (détail), l’Enfant et saints Michel et saints Fossa, Vierge à
Mottola, San Soleto, Capella (détail), Fossacesia, (détail), Florence, l’Enfant et saints
Nicola a Casalrotto, Santa Stefano, San Giovanni in Galleria (détail), Spolète,
peinture murale, fin peinture murale, 2e Venere, peinture dell’Accademia, Palais episcopal,
XIIe-début XIIIe. ½ du XIVe. murale, 4e ¼ du XIIIe. peinture sur panneaux, peinture murale,
1360-1365. XIVe.

La croix sur le globe est le signe de l’origine divine du pouvoir transmis par Dieu à
l’archange. Elle figure dans plus de la moitié des peintures de l’orbe tenu par Michel, qu’elle
soit peinte ou en relief. Au XIIIe siècle et jusqu’au milieu du XIVe siècle, elle est
principalement peinte sur la surface du disque ou de la sphère. Il s’agit le plus souvent d’une
croix latine rouge sur fond blanc, nouvelle évocation de la croix de saint Georges des croisés.
478
La croix qui orne l’orbe porté par l’archange dans la peinture rupestre de Mottola que nous
venons de voir présente une belle illustration de la décoration accompagnant souvent la croix
peinte, composée de lignes droites et de courbes créant un socle pour mettre en valeur la
croix. La croix en elle-même est l’objet de nombreuses variations. Elle peut apparaitre sous la
forme d’une croix de saint Maurice, comportant des branches aux extrémités tréflées, comme
dans la peinture de Fossacesia, également vue plus haut. Celle peinte par Paolo Veneziano
dans le Crucifix conservé en Croatie, est une croix potencée, c'est-à-dire que chacune de ses
branches se termine par une béquille. C’est le modèle typique de la croix de Jérusalem. La
croix de l’orbe porté par saint Michel dans le panneau de Coppo di Marcovaldo, est une croix
patriarcale, qui possède une seconde traverse légèrement plus étroite que la première. Enfin,
les modèles de croix de notre corpus ont souvent les branches plus larges vers les extrémités,
ce sont des croix pattées.

Paolo Veneziano, Crucifix (détail), Coppo di Marcovaldo, Saint Michel Anonyme vénitien, Saint
Traù (Croatie), couvent des et légendes (détail), San Casciano Michel (détail), Venise, San
bénédictines, peinture sur panneaux, Val di Pesa, Museo d’Arte Sacra, Marco, peinture murale, 1265.
1324-1350. peinture sur panneaux, 1250-1255.

Dès la fin du XIIIe siècle, la croix se détache de la surface de l’orbe pour se retrouver au
sommet du globe, généralement assez fine et dorée. Le panneau de Lippo di Benivieni réalisé
entre 1290 et 1310, est la première peinture de notre corpus à présenter ce type d’orbe, qui va
se développer au XIVe siècle pour être, au XVe siècle, le seul type de globe crucifère. Le
corpus compte environ le même nombre d’orbes à croix peinte et d’orbes à croix en relief.
Cette forme correspond davantage à l’insigne royal et permet d’insister sur la présence du
signe crucifère. Dans un panneau réalisé par l’atelier d’Agnolo Gaddi, la croix a une hauteur
au moins double de celle du globe, insistant sur l’idée de la nature divine de la domination de
l’archange. Mais elle est généralement de taille plus réduite dans les autres peintures et sa
forme évolue moins que celles peintes. Nous retrouvons essentiellement des croix pattées
dont les branches sont légèrement courbées, comme dans le panneau de Mariotto di Nardo.
Seul Neri di Bicci propose une croix à la forme plus complexe, composée d’une croix aux
branches tréflées, proche de la croix de saint Maurice, à laquelle il a ajouté quatre branches
plus courtes au centre qui forment un petit « x ». Michele Giambono s’éloigne du modèle de
base en représentant dans la main droite de l’archange, un globe de taille importante, bleu
marqué de fins liserés dorés qui se rencontrent au centre pour former une croix discrète, sur
lequel est posé un petit édicule rappelant un petit reliquaire ou un ostensoir, lui-même
surmonté d’une petite croix.

479
a
Lippo di Benivieni, Agnolo Gaddi et Mariotto di Nardo, Neri di Bicci, Vierge Michele Giambono,
Vierge à l’Enfant, atelier, Saints Trinité et saints de miséricorde et Saint Michel en
Crucifixion et saints (détail), New Haven, (détail), Florence, saints (détail), trône (détail),
(détail), collection Yale University Art Santa Trinità, Arezzo, Pinacotexa Florence, collection
privée, peinture sur Gallery, peinture sur peinture sur Comunale, peinture Berenson, peinture
panneaux, 1290-1300. panneaux, 1390. panneaux, 1416. sur panneaux, 1456. sur panneaux, 1430.

L’orbe de Michel n’est pas nécessairement crucifère. En effet la croix n’est pas figurée sur un
peu moins de la moitié des images de globe recensées. Il faut préciser qu’une partie de ces
absences est certainement liée aux problèmes de conservations des peintures ou de qualité des
reproductions qui empêchent parfois l’analyse correcte de cet attribut de taille réduite. Mais la
nudité du globe peut également être clairement revendiquée par le peintre. Le XVe siècle
compte quasiment autant de globes nus et dorés que de globes surmontés d’une croix en
relief. Comme nous pouvons le voir dans le panneau de Gherardo di Jacopo Starnina, la
couleur or crée vraiment la préciosité et la luminosité de l’objet dans l’image. La suppression
de la croix s’explique certainement par le fait qu’elle n’est pas réellement indispensable pour
rappeler aux fidèles de la fin du Moyen Âge que le monde est dominé par la puissance de
Dieu et que le pouvoir de Michel est une délégation divine.
L’orbe de l’archange est généralement tenu dans la main gauche de Michel. Il ne nécessite pas
d’adresse ou de force particulière, il doit juste être porté pour remplir sa fonction : celle d’un
rappel de la nature du pouvoir de l’archange. Contrairement aux autres attributs décrits
précédemment, il n’est jamais un instrument servant à l’action engagée par Michel et ne
participe pas à la narration. Il est pourtant porté trois fois dans la main droite de l’archange.
Dans la peinture murale de San Michel in Borgo de Pise, Michel est un archange byzantin
portant le sceptre et le globe crucifère et n’est dans cette image, ni guerrier, ni acteur de la
pesée. Le constat est le même pour l’archange de l’abbaye de San Giovanni in Venere de
Fossacesia : Michel apparait simplement en archange près de la Vierge à l’Enfant, portant
l’orbe comme seul attribut. Enfin, c’est la peinture de Michele Giambono qui présente le
dernier témoignage de l’archange portant le globe dans la main droite. Il est ici trônant, et ne
tient que le globe puisque deux angelots voletant au-dessus de sa tête lui portent la balance et
l’épée.

480
Gherardo di Jacopo Peintre pisan, Saint Michel Anonyme, Vierge à Michele Giambono,
Starnina, Saints (détail), (détail), Pise, San Michele in l’Enfant et saints Saint Michel en
Lucques, Museo borgo, peinture murale, 1262. (détail), Fossacesia, trône (détail),
Nazionale di Villa San Giovanni in Florence, collection
Guinigi, peinture sur Venere, peinture Berenson, peinture
panneaux, 1401-1407. murale, 4e ¼ du XIIIe. sur panneaux, 1430.

Michel porte en général l’orbe dans la main gauche, à distance du corps, le long de son flan,
entre le bassin et l’épaule, comme nous pouvons le voir dans l’archange de type byzantin
peint par un anonyme vénitien du XIIIe siècle. Cet attribut peut également être tenu plus
proche du corps. Le Maître de Varlungo le figure au niveau du cœur, alors qu’un anonyme a
peint à Quarona un archange qui sert le globe fermement contre lui. Aux XIVe et XVe siècle,
le globe est généralement tenu à hauteur de ventre, soit contre le corps de l’archange, comme
dans le panneau d’un suiveur de Bernardo Daddi, soit légèrement écarté. Le bras tendu pour
tenir le globe loin du corps semble être un geste de présentation et se retrouve principalement
dans les archanges proches d’une Vierge à l’Enfant à qui il semble offrir ou rendre le globe.

Anonyme Maître de Varlungo, Anonyme, Saint Suiveurs de Bernardo Guido di Graziano,


vénitien, Saint Saint Michel et saints Michel (détail), Daddi, Vierge à Vierge à l’Enfant et
Michel (détail), (détail), Rome, Quarona, San Giovanni l’Enfant et saints anges (détail),
Venise, San collection Fiammingo, al Monte, peinture (détail), New Orléans, Montaione, San
Marco, peinture peinture sur murale, 3e ¼ du XIIIe. Isaac Delgado Museum Regolo, peinture sur
murale, 1265. panneaux, 1280-1290. of Art, peinture sur panneaux, 1280-
panneaux, 1340. 1290.

Jacopo di Antonio a conservé l’attribut de pouvoir, sans garder la solennité qui l’accompagne
généralement : le saint Michel qu’il a peint entre 1450 et 1460 s’appuie négligemment sur la
garde de son épée et porte l’orbe comme un objet quelconque, avec son bras gauche détendu
vers le bas et le globe doré qui se retrouve caché dans la main au niveau de la cuisse. Enfin,
quatre peintures, dont celle présentée de Filippino Lippi 1773, figurent Michel posant son épée

1773
Les références des trois autres peintures non présentées qui représentent Michel posant son épée sur le globe
sont : Alvaro Pirez d’Evora, saint Michel, collection privée, peinture sur panneaux, 1411-1434 ; Spinello Aretino,
481
sur l’orbe crucifère, position dont nous avons déjà parlé à propos de l’épée1774. Rappelons que
ce motif relie directement l’idée du pouvoir armé de l’archange à la puissance divine. Cette
image montre, en outre, que la justice de l’archange s’étend sur l’ensemble de l’univers.

Jacopo di Antonio, Saints (détail), Filippino Lippi, Les trois archanges et


Londres, National Gallery, peinture sur Tobie (détail), Turin, Galleria Sabauda,
panneaux, 1450-1460. huile sur bois, 1477-1478.

L’orbe michaélique, signe du pouvoir délégué par Dieu à Michel, est un attribut statique qui
sied parfaitement au type de l’ange classique ou de l’archange byzantin. Associé à l’arme,
l’orbe figure la puissance guerrière de Michel avant qu’il ne devienne clairement un guerrier
ailé au cours des siècles suivants. Lorsque cette transformation de l’archange armé en soldat
de Dieu fut amorcée, le globe se raréfie pour disparaitre quasiment à la fin de notre période. Il
a dû également s’incliner devant la concurrence de la balance dans la main gauche de Michel.
La puissance de l’archange est alors essentiellement une puissance guerrière concrète et
physique, représentée par le port de vêtements guerriers et l’utilisation des armes.

II.1.1.4. Les attributs secondaires

La partie suivante étudie les attributs dits « secondaires » car ils n’apparaissent que
rarement dans l’iconographie italienne de Michel. Ils ont tous la particularité d’être des objets
statiques, dans le sens où leur utilisation n’engendre pas une action dynamique, contrairement
aux attributs majeurs que nous venons d’étudier (à l’exception de l’orbe). Il s’agit du trône, du
livre, du phylactère, des pierres précieuses et des couleurs, et d’autres objets présents une
seule fois dans notre corpus.

saint Michel, Arezzo, San Francesco, peinture murale 1404 ; Lattanzio di Niccolò, saint Michel, Foligno, Museo
della Città, peinture sur panneaux, 1490-1494 ; Pier Francesco Fiorentino, Vierge à l’Enfant et archanges,
Montefortino, Pinacoteca civica, peinture sur panneaux, 1497.
1774
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.1.3. L’épée.
482
Le trône

Michel est représenté cinq fois en trône dans la peinture italienne entre 1200 et
1775
1518 . Ces images sont réparties uniformément sur l’ensemble de la période étudiée et ne
correspondent ainsi pas à une particularité datée. La position assise ne sied à priori pas à
l’archange dynamique se battant contre le mal. Pourtant, comme le précise François Garnier,
la position assise est signifiante lorsqu’elle n’est pas imposée par une activité1776. Elle traduit
une position hiérarchique supérieure car le trône est le symbole de la dignité de la personne
qui tient davantage à la position qu’à la présence ou la figuration d’un siège particulier.
Pourtant l’objet, le trône, correspond bien à la définition donnée par le dictionnaire en ligne
du CNRS, qui correspond à un « siège d’apparat, généralement surélevé et parfois surmonté
d’un dais, sur lequel un souverain prend place dans des circonstances particulièrement
solennelles »1777. La riche décoration qui orne le trône de bois de Coppo di Marcovaldo, et le
matériau, la pierre, utilisé pour tous les autres trônes, prouvent que Michel n’est pas assis sur
un simple siège : il s’agit, sans aucun doute, de « sièges d’apparat ». L’archange est
également surélevé dans quatre peintures sur les cinq : dans le panneau de Coppo di
Marcovaldo, Michel pose les pieds sur une sorte de coussin rouge, et une marche maçonnée
est présente dans les peintures d’Angelo Puccinelli, de l’anonyme de Loreto Aprutino et
de Michele Giambono. Notons, en revanche, que le trône de Michel n’est pas surmonté d’un
dais, certainement parce que ce dernier bloquerait l’accès aérien de l’archange au ciel. Quant
au statut de celui qui trône, Michel est bien considéré comme un princeps, terme déjà
employé par Daniel pour désigner l’archange1778. L’ajout de l’orbe dans deux de ces images
souligne cette qualité. La circonstance solennelle peut être la fin du combat de Michel contre
le dragon et sa victoire sur son adversaire que l’on retrouve dans trois des cinq peintures
présentées.

1775
Voir les cinq images suivantes avec les références de chaque peinture.
1776
GARNIER, 1982-1989, 2 vol., p. 113.
1777
Définition du Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, du CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/trone .
1778
Daniel 10, 13 ; 10, 21 ; 12, 1.
483
Coppo di Marcovaldo, Paolo di Giovanni Fei, Angelo Puccinelli, Anonyme, Michele Giambono,
Saint Michel et Saint Michel trônant Saint Michel Jugement dernier Saint Michel trônant
légendes (détail), San (détail), Sienne, trônant et saints (détail), Loreto (détail), Florence,
Casciano Val di Pesa, Museo dell’Opera (détail), Sienne, Aprutino, Santa collection Berenson,
Museo d’Arte Sacra, Metropolitana, Pinacoteca, Maria in Piano, peinture sur
peinture sur panneaux, peinture sur panneaux, peinture sur peinture murale, panneaux, 1430.
1250-1255. 4e ¼ du XIVe. panneaux, 1379. 1429.

L’attribution du trône à l’archange n’est pas réservée à un type vestimentaire précis puisque
nous sommes en présence d’une peinture où Michel est vêtu en archange byzantin, de deux où
il porte des vêtements liturgiques, et de deux autres où il est en guerrier. Le rappel de sa
mission guerrière est présent dans quatre images : soit, comme nous venons de le voir par
l’adoption de vêtements militaires ; soit par le port d’une arme, une lance directement dans sa
main ou une épée portée au-dessus de sa tête par un ange en vol. Seul l’ange de la pesée de
l’anonyme peintre de Loreto Aprutino ne fait absolument pas référence à son caractère
martial. La position assise sur un trône inspire de facto le respect. Dans l’iconographie de
l’archange, ce respect est ponctué par la présence dans trois peintures de la bête morte.
L’horreur de la vision de l’animal gisant la bouche ouverte ou des sept têtes décapitées et
couvertes de sang, et la présentation de l’arme qui en est responsable, inspirent un respect de
nature militaire. Quatre de ces cinq peintures présentent Michel en état, trônant en tant que
princeps, ayant gagné le respect par l’épée ou la lance et recueillant les honneurs dus au chef
de la milice céleste. La peinture de Santa Maria in Piano de Loreto Aprutino est différente à
bien des égards : elle est la seule peinture murale à présenter Michel en trône ; la seule à le
figurer en contexte narratif ; la seule à ne pas faire du tout référence à la mission guerrière de
Michel ; et même la seule peinture de tout le corpus à figurer l’archange à la tête tonsurée. Cet
archange du purgatoire reste un mystère pour nous.
En dehors de l’Italie, l’attribut - le trône - et la position - assise - ne sont pas non plus
courants. Le parallèle entre l’iconographie divine et michaélique, dans l’accès au trône,
pourrait justifier ce type de représentation comme un nouveau signe de la délégation du
pouvoir à l’archange par Dieu. Mais une autre proximité iconographique, contradictoire avec
la première, nous fait penser qu’il s’agit davantage d’une assimilation de l’iconographie
michaélique à l’iconographie non plus divine, mais humaine, plus particulièrement sainte.
Dans les images chrétiennes, le trône est avant tout l’apanage des évangélistes, puis, par
similitudes de fonction, celui des docteurs, tous ayant contribué à définir la pensée chrétienne
et à diffuser la foi. Le XIe siècle voit la multiplication des « ayants-droit au trône » qui touche

484
désormais les saints « faiseurs de miracles » et les « hommes d’action »1779. Les peintures de
saint Michel en trône participent ainsi à cette évolution iconographique qui voit des saints de
toutes sortes accéder au trône et démontre alors que l’archange est assimilé dans les images à
un saint.

Le phylactère

Dans l’iconographie chrétienne, le phylactère est associé au geste de la parole. En


histoire de l’art, il désigne la « banderole aux extrémités enroulées, portant les paroles
prononcées par un personnage ou la légende du sujet représenté »1780. Il peut être porté par les
anges, et apparait cinq fois dans notre corpus. Dans cet ensemble, Michel apparait en contexte
narratif, comme dans le Jugement dernier de Pomposa, ou en état comme dans les quatre
autres peintures, dont deux le présentent en buste et les deux autres en pied et en action. Dans
toutes ces images, Michel porte une arme dans la main droite - même s’il n’est vêtu que trois
fois en guerrier, une fois en byzantin et la dernière en diacre - et dans la main gauche le
phylactère qui s’enroule sur lui-même et volète autour de l’archange. Dans trois de ces
peintures, celles datées du XIVe siècle, l’inscription est illisible.

Simone Martini, Vierge à Tomaso da Modena, Vierge à Vitale da Bologna, Jugement dernier
l’Enfant et saints (détail), Pise, l’Enfant et saints (détail), (détail), Pomposa, abbaye, peinture
Museo Nazionale di San Matteo, Karlštejn, palais impérial, peinture murale, 1360.
peinture sur panneaux, 1319. sur panneaux, 1355-1359.

Dans les deux panneaux plus tardifs, l’un de 1421 et l’autre du premier quart du XVIe siècle,
nous pouvons retranscrire la phrase de Michel. Elle est à chaque fois en lien avec les attributs
que porte l’archange : la balance et l’épée. Jacobello del Fiore a peint :
Supplicium sceleri, virtutum praemia digna,
Et mihi purgatas animas de lance benigna.
(Il prie la Justice de distribuer récompenses et peines selon les mérites de chacun)
Dans cette image, le texte précise ce que représente symboliquement la présence conjointe de
la balance et de l’épée : que l’évaluation des mérites de chacun aura lieu et qu’il y aura des
conséquences, notamment punitives puisque la récompense ne figure pas dans cette peinture.

1779
FRANCASTEL, 1973, p. 272.
1780
Définition du Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, du CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/phylact%C3%A8re .
485
Marco d’Oggiono a, quant à lui, indiqué dans le cartouche tenu par Michel :
EGO SVM MICHAEL ARCHANGELUS QVI IN CONSPECTV DEI SEMPER A SISTO1781
L’inscription met en avant l’intégrité de Michel et sa subordination et indique, grâce une
nouvelle fois à la figuration des deux attributs portées par l’archange, que les fidèles devront
eux-mêmes rendre des comptes à Dieu au moment du Jugement dernier.

Jacobello del Fiore, Triptyque de la Justice Marco d’Oggiono, Saint Michel (détail),
(détails), Venise, Galleria dell’Accademia, Vérone, Galleria Menaguale, peinture sur
peinture sur panneaux, 1421. panneaux, 1e ¼ du XVIe.

Les pierres précieuses et les couleurs

Contrairement à certaines catégories angéliques qui sont définies par une couleur de
vêtements et de corps1782, Michel n’est pas caractérisé par une couleur particulière. L’or est
celle qui est le plus souvent portée par l’archange : sur ses vêtements, son lôros, son plastron,
son nimbe, sur les objets qu’il porte, l’orbe, les plateaux de la balance. Cette couleur atteste de
la valeur de Michel et la brillance qui est souvent associée à ce matériau renvoie à la nature
lumineuse des anges. De plus, elle s’oppose aux couleurs sombres et ternes qui caractérisent
les démons ou le dragon. La seconde couleur à apparaitre régulièrement est celle du manteau
de guerrier qu’il porte dans un grand nombre de peintures : le rouge. Rappel de la nature ignée
des anges, Pseudo-Denys précise que le rouge figure la conformité des anges avec la divinité
et leur capacité à recevoir et à transmettre la lumière purement intelligible1783. Le gris de
l’acier habille souvent l’archange vêtu de l’armure de plates, mais cette couleur sombre est
largement mise en lumière par les reflets et la brillance du métal.
La lumière et la brillance sont également des caractéristiques des pierres précieuses qui ornent
parfois la tête1784 ou les vêtements de Michel. Les gemmes sont présentes dans notre corpus
en deux phases bien distinctes l’une de l’autre, puisqu’elles correspondent chacune à une
extrémité de notre période. La première phase, qui s’étend principalement sur le XIIIe siècle et

1781
Traduction proposée : « Je suis Michel, archange, qui se tient toujours devant la face du Dieu vivant ».
1782
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 60.
1783
Pseudo-Denys, De la hiérarchie céleste, chapitre XV, 4, cité dans CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 60.
1784
Voir à ce propos le chapitre 2. I.2.2.4.1. Les ornements de la tête.
486
le tout début du XIVe, est marquée par le développement du lôros porté par l’archange de type
byzantin. Cette bande d’étoffe finement brodée peut également être ornée de pierres
précieuses. Dans la peinture murale de Fossacesia, les ovales rouges et bleus qui rythment le
lôros de Michel sur toute sa longueur, représentent certainement des pierres précieuses, des
rubis et des saphirs, et les points blancs ressemblent à de petites perles qui serviraient de
liserés sur les bords du tissu. Les disques rouges et bleus insérés dans la riche décoration du
lôros de l’archange peint par Niccolo di Segna semblent encore associer dans cet élément du
vestiaire byzantin, le rubis et le saphir. Les pierres précieuses sont ensuite quasiment
inexistantes en plein Trecento, et au début du XVe siècle.

Anonyme, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Fossacesia, Niccolo di Segna, Saints (détail), Sienne, Galleria
San Giovanni in Venere, peinture murale, 4e ¼ du XIIIe. Pinacoteca, peinture sur panneaux, autour de 1320.

Elles réapparaissent dans la seconde moitié du XVe siècle sur les éléments de l’armure de
Michel. La symbolique des pierres précieuses prend à ce moment une certaine importance
dans l’art en général et dans la peinture en particulier, italienne et surtout flamande. Selon une
idée largement développée, les beautés terrestres sont des images de la beauté céleste dans
une vision globale du monde où c’est la matière elle-même qui reflète la qualité des
substances spirituelles1785. Les anges, les pierres et les astres sont en étroite connexion1786.
L’archange peint par Piero della Francesca porte un plastron bleu sur une tunique fine et
transparente, des épaulières de métal se terminant par des ptéryges sur les bras. La jupe est
constituée de petites plaques dorées, ornées de motifs d’or d’entrelacs comportant chacune au
centre une pierre précieuse rouge ou bleue et aux quatre coins du rectangle une petite perle.
Les mêmes gemmes se retrouvent sur l’encolure, le bord des manches et les épaules de
l’archange. Une nouvelle fois, il s’agit du rubis, du saphir et des perles. Les pierres précieuses
sont couramment associées aux anges, pour leur nature lumineuse et leur beauté. Grégoire le
Grand avait déjà, en citant un passage d’Ézéquiel (28, 13), indiqué une relation entre ordres
angéliques et pierres précieuses1787. Il indique que le rubis est attribué aux archanges, leur
nom « carbonchio » évoque le feu ardent. Le saphir est une variété naturelle de la même
espèce minérale que le rubis, le corindon. Selon Marco Bussagli, le choix du saphir s’explique
à la lumière de l’inscription dorée que l’on retrouve sur le bord inférieur du plastron de
Michel peint par Piero della Francesca : « ANGELUS POTENTIA DEI MI(CHAEL) »

1785
BUSSAGLI, 1991, p. 258.
1786
BUSSAGLI, 1991, p. 258.
1787
BUSSAGLI, 1991, p. 244.
487
(l’ange Michel est la force de Dieu)1788. Il précise que le saphir est généralement attribué aux
vertus et que cet ordre se distingue par sa force et sa vigueur, qualité que l’on retrouve chez le
chef de la milice céleste. Les vertus sont d’ailleurs parfois représentées en train de se battre
contre des démons. Les perles, de couleur blanche, symbolisent, elles, la pureté typique des
anges, et ainsi de Michel.

Pierro della Francesca, Saint Michel Benvenuto di Giovanni, Saints (détail), Lyon,
(détail), Londres, National Gallery, peinture Musée des Beaux-arts, peinture sur panneaux,
sur panneaux, 1469. 1470-1480.

Le col doré de Michel, peint par Benvenuto di Giovanni entre 1470 et 1480, porte en son
centre une grosse pierre de rubis ovale, alors que deux petits saphirs carrés se répondent
symétriquement de chaque côté, et qu’une multitude de perles envahit la surface de la plaque
d’or. L’association rubis, saphirs et perles se retrouve dans une dizaine de peintures de la fin
du XVe siècle et du début du XVIe sur le plastron de l’archange1789, sur les genoux1790, au
bord de sa jupe1791, en bijou pendu à son cou1792, ou encore sur la chape de l’archange1793.
Cette combinaison gemmée symbolise donc une nouvelle fois la polysémie de la personnalité
de Michel, dans l’ardeur de sa foi, sa pureté angélique et sa force.

Les cas particuliers

Certains attributs n’apparaissent qu’une seule fois dans notre corpus, et il est ainsi tout
autant difficile de leur trouver un sens que d’expliquer leur présence unique dans l’ensemble
des cinq-cent-cinq peintures rassemblées.

1788
BUSSAGLI, 1991, p. 254.
1789
Comme dans la peinture sur panneau de Defendente Ferrari, Triptyque de l’Immaculée Conception,
Sant’Ambrogio, Sacra di San Michele, 1503-1507.
1790
Comme dans une autre peinture sur panneau de Defendente Ferrari, Vierge à l’Enfant et saints,
Sant’Ambrogio, Sacra di San Michele, début du XVIe siècle.
1791
Comme dans le panneau de Benvenuto di Giovanni, Vierge à l’Enfant et saints, Vescovado di Murlo, église
paroissiale, 1475.
1792
Comme dans le panneau de Filippo Lippi, saints, Cleveland, Museum of Art, 1457-1458.
1793
Comme dans le panneau d’un anonyme flamino-napolitain, saint Michel et donateurs, Bari, Pinacoteca
Provinciale, fin du XVe.
488
Le livre est certainement l’un des attributs le plus courant dans l’imagerie chrétienne
de tous les temps. Il n’apparait pourtant qu’une seule et unique fois dans tout notre corpus,
dans le polyptyque du Maestro del Vescovado, conservé dans l’église San Michele de
Sant’Angelo in Vado. Nous n’en connaissons d’ailleurs pas non plus d’exemples italiens
antérieurs. Dans cette peinture, aucun doute n’est permis sur l’identification michaélique du
personnage qui se trouve à la droite de la Vierge à l’Enfant : un homme ailé en buste, portant
un fin diadème rouge, un plastron ouvragé agrémenté de lattes au niveau des épaules,
évoquant les ptéryges, et d’un pallium. Il tient dans la main droite une épée bien verticale et
dans la main gauche, un livre rouge scellé dont quatre sceaux sont apparents. Le contexte
iconographique du panneau ne met pas spécialement le livre à l’honneur : de l’autre côté de la
Vierge, se trouve une martyr, Marine, portant la palme ; sur les pinacles, un Christ trônant
entouré de saint Jean-Baptiste et d’un saint évêque. Michel est le seul personnage dans la
peinture à porter un livre.

Maestro del Vescovado, Saint Michel (détail), Sant’Angelo in Vado, duomo, peinture sur panneaux, XIV e.

Le livre est un attribut polysémique et représente principalement le fondement scripturaire de


la foi chrétienne, le savoir, ou l’activité littéraire de celui qui le porte. Ce qui est étonnant, ce
n’est pas que cet attribut soit si peu courant dans l’image de Michel mais plutôt de voir qu’il
apparait ici. Le livre peut être porté par les anges dans les images italiennes, notamment par
les chérubins1794, il est alors le symbole de la sagesse et du savoir-science. Il peut également
faire référence au dixième chapitre de l’Apocalypse où un ange muni d’un livre apparaît à
saint Jean1795. Cette référence apocalyptique et la présence des sceaux sur le livre porté par
Michel, rappelleraient, conjointement à l’épée qu’il porte dans l’autre main, son rôle prochain
au moment de l’Apocalypse.
Esther Dehoux, qui a également trouvé une image de Michel combattant un démon et portant
un livre dans un chapiteau du XIIe siècle de l’église Saint-Pierre de Marestay, évoque un
remplacement de bouclier par le livre, qui aurait vocation à matérialiser la foi permettant la
victoire. Le bouclier et le livre partageraient, selon elle, dans l’iconographie de Michel, une
fonction de concrétisation visible de la foi et ainsi de protection divine contre les attaques du
mal1796.

1794
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 66.
1795
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 67.
1796
DEHOUX, 2011, p. 114.
489
1797

Fig. 87. Saint Michel contre les démons, Marestay, église Saint-Pierre, chapiteau,
XIIe siècle.

Dans la chapelle de San Gregorio du monastère San Benedetto de Subiaco, se trouve


un ange, ailé et nimbé, portant dans les cheveux le taenia, vêtu de la dalmatique et du pallium,
et tenant dans la main droite un encensoir, instrument courant dans les mains des anges de la
fin du Moyen Âge, véritables serviteurs de la liturgie divine. Rien qui ne nous concerne ici a
priori. Pourtant, une inscription au-dessus de la tête de l’ange et sous sa main indique :
MICHAEL PREPOSIT PARADISI
ESTO MEMOR NOSTRI
Ainsi, même si aucun élément iconographique ne permet de reconnaitre ici Michel, il semble
qu’il s’agisse bien de l’archange. L’encensoir ne caractérise pas un aspect particulier de
Michel, il est simplement, comme les ailes, la dalmatique et le pallium, un signe de la
condition angélique de celui qui le porte.

Frate Francesco, Christ de pitié et Michel (et détail), Subiaco, Monastère


San Benedetto, peinture murale, 1ère ½ du XIIIe.

Dans le panneau de Luca Signorelli peint en 1516, nous retrouvons une image typique
du guerrier ailé du début du XVIe siècle, vêtu d’une armure, d’une jupe à lattes, de sandales et
d’un casque. Michel est armé mais il ne semble pas que cette lance soit celle qu’il utilise pour
combattre le démon, puisque son ennemi est absent et surtout, dans sa main droite, l’archange
porte les clous qui transforment cette image en cas unique de Michel porteur des Arma
Christi. Cette fonction est couramment attribuée aux anges, ce sont d’ailleurs deux d’entre

1797
Image provenant du site : http://www.romanes.com/Marestay/Saint_Pierre_de_Marestay_0051.html .
490
eux qui portent le roseau de la flagellation et la croix, juste à côté de l’archange. Michel
conserve son apparence distincte de soldat mais a, dans cette image, le même rôle que les
anges en aube et pallium : il est en même temps le guerrier ailé et un ange classique. Sa lance
prend alors elle aussi une dimension double puisqu’elle complète sa panoplie martiale et
évoque son combat contre le mal, tout en constituant une représentation de la lance de
Longin.

Luca Signorelli, Déposition et saints (détail), Cortona, San Niccolò, peinture sur panneaux, 1516.

La mission de Michel est ici située dans l’Histoire du salut des hommes : le sacrifice du Christ
inaugure le rachat de l’humanité, victoire symbolique du Bien sur le Mal, alors que Michel est
une personnification de cette lutte constante, passée, présente et future.

Pour terminer, Michel porte une fois une maquette. Le polyptyque du Museo
Comunale de Lucignano a été peint dans la seconde partie du XIVe siècle par Luca di Tommè.
Il représente une Vierge à l’Enfant entourée des saints patrons de Lucignano : saint Jean-
Baptiste, saint Michel, saint Pierre et sainte Catherine d’Alexandrie. Les pinacles portent les
images d’un Christ bénissant, de saints et d’anges. Michel, situé directement à la droite de la
Vierge, lui présente son épée et une reproduction miniature de la ville fortifiée de Lucignano,
sous la forme d’une maquette où l’on reconnait une muraille percée d’une porte au-dessus de
laquelle se trouve un écu de gueule portant sûrement le lion de la ville, et des bâtiments divers
qui dépassent de ce haut mur. L’archange était un des patrons de la ville et sa figure guerrière
illustre ici l’étendue de sa protection, symbolisée par l’épée, sur la ville, symbolisée par la
maquette.

491
Luca di Tommè, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Lucignano, Museo
Comunale, peinture sur panneaux, 2e ½ du XIVe.

La figure michaélique a la particularité de ne pas présenter uniquement des attributs-objets


inertes, mais également des êtres vivants, qui participent, au même titre que les objets que
nous venons d’étudier, à définir la nature et la fonction de l’archange.

II.1.2. Les attributs-agissants

Il n’est pas rare de retrouver des êtres vivants aux pieds de certains saints, pour
évoquer un aspect de leur vie ou de leur personnalité : Matthieu est accompagné d’un homme
ailé, Antoine d’un cochon, Jérôme d’un lion. Aux pieds de Michel, nous retrouvons deux
types d’attributs non-inertes que nous avons pourtant du mal à qualifier d’« êtres vivants »
puisqu’il s’agit de figures humaines de morts ou d’âmes, et d’adversaires démoniaques de
l’archange. Ils ont ainsi la particularité d’avoir une volonté propre et de pouvoir se mouvoir
indépendamment de la volonté de Michel. Nous ne les considérons pourtant pas comme des
acteurs d’un épisode narratif car ils apparaissent principalement dans des images où
l’archange se trouve au milieu de saints en état. Leur présence ne se justifie que dans la
mesure où ils participent à la définition de la personnalité et de la mission de l’archange, tout
comme n’importe lequel de ses attributs. Ils peuvent devenir des acteurs indépendants de
Michel dans un épisode narratif, mais, même dans une scène de Jugement dernier par
exemple, l’attachement de ces êtres à la figure michaélique peut parfois leur faire conserver
cette nature d’attribut-agissant, où ils n’ont pas d’existence propre. Il convient alors de
déterminer la relation de l’être avec l’archange, avec les objets que porte Michel et qui lui
sont directement associés, avec le contexte iconographique et avec la narration. Dans la pesée
des hommes de Bominaco par exemple, les petits démons qui montent sur les plateaux de la
balance conservent le statut d’attribut-agissant dans cet épisode qui se déroule sous nos yeux
car ils sont de taille réduite, et leur action est strictement circonscrite à la pesée. Par contre,
nous ne pouvons en aucun cas parler des anges déchus du petit panneau conservé au Louvre,
comme des attributs de l’archange. Ils sont tout autant que lui, ou que ses anges, des acteurs

492
de l’épisode représenté ici. Nous reviendrons sur les questions de narrativité dans une partie
suivante.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà (détail), Maître des anges rebelles, Chute des anges
Bominaco, oratoire San Pellegrino, peinture murale, rebelles (détail), Paris, Musée du Louvre,
1263. peinture sur panneaux, 1330-1345.

II.1.2.1. Les adversaires de l’archange. Dragons, démons et autres formes du mal

Le mal est omniprésent dans l’iconographie michaélique, sous la forme personnifiée


du dragon, de démons anthropomorphes ou d’autres monstres. L’adversaire de Michel
apparait dans trois-cent-quarante-neuf peintures sur les cinq-cent-cinq répertoriées, soit dans
près de 70% de notre corpus1798, avec une grande uniformité de cette présence sur l’ensemble
de la période étudiée, comme nous pouvons le voir sur le graphique suivant.

100%
90%
80%
70%
60% absence de
50% l'adversaire
40% présence de
30% l'adversaire
20%
10%
0%
XIIIe siècle XIVe siècle XVe siècle 1500-1518
Doc. 7. Proportion de la présence de l’adversaire par siècle dans notre
corpus.
Ces attributs-agissants sont bien différents de ceux que l’on peut rencontrer dans
l’iconographie des autres saints : les animaux, par exemple, ont souvent une valeur positive
dans l’image pour révéler une partie de l’aspect intérieur de leur personnalité, comme le lion
de Jérôme, symbolisant la maîtrise des instincts naturels du saint 1799. Dans les images

1798
69,11%. Ce chiffre comprend toutes les types d’images de notre corpus : celles en état où l’ennemi est un
attribut-agissant et celles narratives où il est un acteur de l’épisode.
1799
RUSSO, 1987, p.141.
493
michaéliques, si la représentation de l’adversaire permet finalement de figurer la victoire de
Michel, il garde une valeur hautement négative dans l’image par sa monstruosité et sa volonté
opposée à celle de l’archange. La figuration d’une personnification du mal, dans le cadre
d’une représentation religieuse, n’est pas sans poser de problèmes, puisque l’archange
apparait majoritairement en état au milieu de théorie de saints et au côté de la Vierge à
l’Enfant, dans un milieu céleste. Comment alors justifier la présence de ces êtres malins sur le
fond doré des polyptyques italiens ? Cette présence ne peut bien sûr être tolérée que si l’on
considère les personnifications du mal comme des attributs, qui complètent l’attirail du
guerrier par la figuration de l’ennemi ou insistent sur la nécessité de la vigilance de l’archange
au moment de l’évaluation des âmes.
L’étude de ce type d’images se confronte à des problèmes de conservation dus en grande
partie au fait que ces serviteurs de Satan ont bien souvent été la cible de dégradations de la
surface picturale, par des fidèles qui voulaient les « supprimer »1800.
L’absence de la figuration du mal peut également relever d’un choix volontaire du peintre ou
de l’iconographe. L’adversaire de l’archange figure dans un nombre impressionnant d’images
de Michel, mais n’est pourtant pas obligatoire. La participation active de Michel dans une
action non guerrière, ou ne nécessitant pas de représentation de l’affrontement, est une des
premières raisons de son absence. Nul besoin d’un démon pour accompagner Michel qui
apparait sur le Mausolée d’Hadrien pour signifier la fin de l’épidémie pesteuse sur Rome. Le
format de l’image ou la composition, peut également en être une raison : l’adversaire est
plaqué au sol par Michel, or si le sol n’est pas représenté, le dragon ou le démon ne le sont pas
non plus. C’est le cas de plusieurs peintures en buste du XIVe siècle, comme celle de Luca di
Tommè. L’archange est vêtu en guerrier et porte les armes et le globe, sa nature guerrière est
donc affirmée et, étant donnée la notoriété de Michel, nul besoin de figurer un adversaire
démoniaque pour savoir qu’il est le vainqueur du mal. Dans la peinture de Luca Signorelli, le
geste de Michel montre qu’il pique ou repousse, grâce à son bâton de joute, l’ennemi, qui est
pourtant totalement occulté par la figure de saint Augustin assis au premier plan. Cette
méthode permet de contourner le problème de la figuration d’un monstre près de la Vierge à
l’Enfant. La Vierge à l’Enfant et saints peinte par Domenico Ghirlandaio et conservée au
Musée des Offices de Florence, montre à quel point le naturalisme et l’adoption de la
perspective, qui touchent les représentations humaines, et qui transforment l’espace des
retables cloisonnés en espace de Saintes Conversations à la fin du Moyen Âge, supportent
moins bien la présence dans un espace commun de saints et de démons, qui sont alors
supprimés. On voit encore difficilement de quelle manière pourrait intervenir la figure d’un
démon dans la scène intime qui réunit dans une douce proximité le Christ Enfant et
l’archange, et les autres membres de la famille, la Vierge, sainte Élisabeth et saint Jean-
Baptiste enfant.

1800
Voir à ce propos le chapitre 3. III.2.3. Le démon abîmé : un exemple de l’efficacité de l’« image-objet ».
494
Luca di Tommè, Saint Luca Signorelli, Vierge à Domenico Ghirlandaio, Cesare Sesto, Vierge à l’Enfant,
Michel (détail), l’Enfant et saints (détail), Vierge à l’Enfant et saints sainte Élisabeth, saint Jean-
collection privée, Florence, Offices, huile (détail), Florence, Offices, Baptiste et Michel, Paris,
peinture sur panneaux, sur bois, 1513-1514. peinture sur bois, 1484-1486. Louvre, huile sur toile, 1510.
autour de 1350.

Dans ces images, la fonction guerrière de Michel est clairement mise en avant, l’absence de
l’adversaire ne s’accompagne ainsi pas d’une absence d’évocation du combat, il s’agit
davantage d’un choix personnel du peintre ou du résultat des évolutions techniques et
picturales, et est rendu possible par la notoriété de l’archange1801.

Le dragon

Le dragon est un animal fabuleux omniprésent dans la vie quotidienne du Moyen


1802
Âge et dans la vie de plusieurs saints chrétiens1803. Dans la pensée et l’iconographie
chrétiennes, il personnalise le mal et les païens. Le combat de l’archange contre cette bête
relatée dans l’Apocalypse, fait de Michel le saint sauroctone - du grec sauros, « lézard » et
cton, « qui tue » - par excellence. L’iconographie de Michel combattant le dragon est présente
en Occident au moins depuis le IXe siècle, comme en atteste l’ivoire de Leipzig1804. À l’aube
du XIIIe siècle, la présence du dragon aux pieds de l’archange est courante dans
l’iconographie chrétienne orientale et occidentale.
Le dragon est présent dans cent-quatre-vingt-quinze peintures de notre corpus, mais sa
présence n’est pas uniforme puisque le Trecento le figure dans plus d’une image sur deux ;
cette proportion passe à un tiers pour le Due- et le Quattrocento ; mais descend à moins d’une
peinture sur dix pour le début du Cinquecento.

1801
Voir à ce propos chapitre 3. III.2. Efficacité de l’image michaélique.
1802
PASTOUREAU, 2004, p. 19.
1803
Voir à ce propos LE GOFF, 1977, peinture sur panneaux, pp. 236-279.
1804
Fragment d’une couverture d’un livre en ivoire, Leipzig, Grassimuseum, vers 800. À propos de la question
des origines et du développement du type sauroctone, voir le chapitre 1. III.2.2.2.2. Une origine gargane pour le
type sauroctone ? .
495
100%
80%
60%
absence du
40% dragon
20%
présence du
0% dragon

Proportion de la présence du dragon par siècle dans notre corpus.

Malgré un aspect variable au sein des différentes cultures, et au sein même de


l’iconographie chrétienne occidentale, le dragon a le plus souvent un corps de reptile, des
pattes de lion et des ailes. C’est sous cette forme qu’il apparait également dans la peinture
italienne de la fin du Moyen Âge. Le détail d’un polyptyque de Paolo Veneziano nous
présente l’aspect le plus courant de cette bête dans l’iconographie michaélique : il s’agit d’un
animal au corps écailleux de reptile, au ventre enflé dont les couleurs vont du vert clair au
noir, comportant un long cou, se terminant par une tête constituée d’une longue gueule
pointue, armée de rangées de dents acérées ; de petits yeux et de petites oreilles. Le dos orné
d’une crête se termine par une longue queue souvent enroulée et relevée au niveau de la
pointe ; et d’une paire d’ailes, ici d’oiseaux noirs. La bête a quatre pattes de lion poilues et
griffues. À partir de cette description de base, plusieurs variantes marquent la représentation
du dragon de Michel. La représentation du dragon s’adapte bien évidemment à la
composition, aux choix et au style du peintre. Ces variations influencent la taille de la bête,
qui peut ressembler alors à un petit lézard ailé, comme dans la peinture de Giovanni
Baronzino où la taille du dragon est proportionnelle à la taille de l’arme de Michel :
minuscules toutes les deux. Par contre, le dragon peint par le Pseudo Jacopino a des
dimensions impressionnantes, même s’il semble totalement dominé, presque apprivoisé par
l’archange. Aussi différentes soient-elles, ces deux images de dragon se situent dans des
contextes iconographiques et des compositions similaires.

Paolo Veneziano, Crucifixion et saints Giovanni Baronzino, Vierge à Pseudo Jacopino, Couronnement de la
(détail), Parme, Galleria Nazionale, l’Enfant et saints (détail), Vierge, Crucifixion et saints (détail),
peinture sur panneaux, 1330-1340. Mercatello, San Francesco, Bologne, Pinacoteca Nazionale,
peinture sur panneaux, 1345. peinture sur panneaux, 1340.

496
Le dragon a généralement la gueule entrouverte pour laisser voir ses dents et prendre la lance
en pleine gorge, mais le peintre peut choisir de la présenter grande ouverte, prête à mordre.
L’huile sur bois de Luca Signorelli montre un dragon encore bien agressif, dont l’ouverture de
la mâchoire laisse entrevoir des dents longues et pointues et une langue fendue, comme celle
des serpents. Cette langue peut également se transformer en flamme pour mieux atteindre son
adversaire, comme le panneau de Jacopo del Casentino. Mais la vision de la langue n’est pas
forcément preuve de son agressivité, et elle peut également signifier la défaite de la bête,
lorsqu’elle pend, comme dans l’image de Michele Giambono, en dehors de la bouche du
dragon plaqué au sol. La crête est un élément de la tête et du dos qui peut également recevoir
quelques modifications. Celle peinte par le Maestro delle Traslazioni, constituée de piques qui
irradient autour de la tête du monstre, lui confère un aspect agressif et rappelle le dragon
polycéphale de l’Apocalypse. Cette crête peut également, comme chez certains animaux, être
constituée de poils. La version de Benvenuto di Giovanni présente une crinière qui ceint la
tête, comme celle d’un lion, et qui se prolonge sur l’arrête du dos par une longue tresse.

Luca Signorelli, Jacopo del Michele Giambono, Maestro delle Benvenuto di Giovanni, Saint
Vierge à l’Enfant Casentino, Saint Michel trônant Traslazioni, Michel et Jean-Baptiste
et saints (détail), Crucifixion, saint (détail), Florence, Saint Michel (détail), Lyon, Musée des
Città di Castello, Michel et Collection (détail), Anagni, Beaux-arts, peinture sur
Pinacoteca stigmatisation Berenson, peinture Cathédrale, panneaux, 1470-1480.
Comunale, huile (détail), Dunedin, sur panneaux, 1430. peinture murale,
sur bois, 1516- Public Art autour de 1250.
1517. gallery, peinture
sur panneaux,
1340-1350.

Au niveau du corps, on peut trouver des dragons ne possédant qu’une seule paire de pattes,
comme dans le panneau de Lorenzo di Alessandro, certainement par contamination avec une
autre bête fantastique : la vouivre. Mais les plus grandes variations se situent au niveau des
ailes, de leur taille, mais surtout de leur apparence. Elles prennent rarement l’aspect de celles
d’un oiseau noir, comme vu précédemment dans l’exemple de Paolo Veneziano, mais
davantage l’aspect de celles d’une chauve-souris. Elles sont ainsi régulièrement constituées,
comme dans celles peintes par Neri di Bicci, d’une structure osseuse dont les éléments sont
reliés entre eux par une membrane, souvent de couleur noire. Les insectes inspirent également
les peintres pour cet organe de vol. Antonio Pollaiolo représente des ailes dont la structure
ressemble à celles des chauves-souris mais dont le motif est plus proche de celles d’un
papillon de nuit, puisque les couleurs restent sombres. Enfin la queue, comme le cou, est

497
souvent figurée particulièrement longue, s’enroulant parfois autour des jambes ou de la lance
de Michel, comme dans le panneau de Taddeo di Bartolo.

Lorenzo di Alessandro, Neri di Bicci, Chute des Antonio del Pollaiolo, Taddeo di Bartolo, Vierge
Saint Michel (détail), anges rebelles (détail), Saint Michel (détail), à l’Enfant, Christ
Baltimore, The Walters Art Rotterdam, Boymans-Van Florence, Museo bénissant et saints (détail),
Museum, peinture sur Beuningen Museum, Stefano Bardini, Volterra, Pinacoteca
panneaux, milieu des peinture sur panneaux, 1480. peinture sur panneaux, Civica, peinture sur
années 1380. milieu du XVe. panneaux, 1411.

L’archange peut également être représenté foulant aux pieds un dragon pluricéphal. Ce type
de représentation est plus courant dans les épisodes narratifs mettant en scène le combat
apocalyptique qu’il illustre, mais il peut également être adopté dans les représentations en état
de l’archange1805. Dans ce cas, la représentation ne diffère pas nécessairement des images de
Michel au dragon monocéphal, mais la référence à la fin des temps est plus prégnante. Dans le
polyptyque de Bologne peint par Giotto entre 1332 et 1334, le dragon est encore sur ses
pattes, les sept têtes relevées, mais Michel a déjà posé son pied sur son dos et transperce la
tête supérieure de sa lance. Dans deux des cinq représentations de saint Michel trônant, nous
retrouvons le dragon pluricéphal dont Michel s’est déjà attaché à couper chaque tête, ce qui
lui vaut certainement les honneurs du trône. Aux pieds de l’archange peint par Angelo
Puccinelli, les petites têtes du dragon sont éparpillées dans un bain de sang, insistant sur la
difficulté et l’horreur de la tâche. Enfin, Rossello di Jacopo, rappelle discrètement aux fidèles
que le dragon combattu par Michel est bien celui de l’Apocalypse, par l’adjonction au chef
principal de sa bête, de petites têtes, rappelant davantage la coiffure de l’antique Méduse que
celle de l’antique serpent !

Giotto, Vierge à l’Enfant et saints Angelo Puccinelli, Saint Michel et saints Rossello di Jacopo, Saints (détail),
(détail), Bologne, Pinacoteca (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale, Londres, H. Harris, peinture sur
Nazionale, peinture sur panneaux, peinture sur panneaux, 1379. panneaux, 1376-1456.
1332-1334.

1805
Une dizaine de peintures représentent Michel en état sur un dragon pluricéphal dans notre corpus, dont la
majorité d’entre elles a été réalisée au XIVe siècle.
498
La forme du serpent est d’ailleurs une autre variante de l’image du dragon 1806, car elle
correspond ni plus ni moins, dans l’iconographie michaélique, à une figure de dragon sans
ailes et sans pattes. La peinture murale de Paganico prouve bien qu’aux premiers abords, la
bête ne semble pas différente de toutes celles que nous venons d’étudier. Pourtant, elle ne
comporte ni membres inférieurs ou supérieurs, ni organes de vol. Par contre, le Maestro di
San Quirico a Guamo propose une bête qui ressemble véritablement à un serpent. Mais la
similitude formelle dans la queue, le corps long et écailleux et la tête, n’éloigne pas
énormément le serpent des images du dragon.
Une autre série de peintures présente des bêtes qui s’éloignent un peu plus ou beaucoup plus
du type du dragon. Dans l’image d’Alvaro Pirez d’Evora, le corps et la queue rappellent
toujours ceux d’un reptile, mais la tête ressemble davantage à celle d’un mammifère, un chien
aux oreilles tombantes, et la corne unique qu’il porte sur sa tête n’est présente nulle part
ailleurs dans notre corpus. Trois peintres ont, quant à eux, conservé l’aspect des pattes du
dragon pour le transformer en un petit lion1807, tentant par exemple d’attraper l’un des
plateaux de la balance tenue par l’archange, comme dans le panneau d’un anonyme émilien.
Enfin la figure monstrueuse peinte par Andrea Sabatini ressemble davantage à une vouivre à
tête humaine qu’à un dragon.

Biagio di Goro Ghezzi, Maestro di San Alvaro Pirez d’Evora, Anonyme Andrea Sabatini,
Saint Michel (détail), Quirico a Guamo, Saints (détail), Varsovie, émilien, Saint Michel
Paganico, San Michele, Vierge à l’Enfant et Musée National, peinture Archanges (détail), Salerne,
peinture murale, 1368. saints (détail), sur panneaux, 1423. (détail), Museo
Lucques, Museo collection Diocesano, huile
Nazionale, peinture sur privée, sur bois, 1491.
panneaux, 1440-1450. peinture sur
panneaux, 2e
½ du XIVe.

Le dragon peut apparaître de trois manières différentes en ce qui concerne sa vivacité :


soit il est encore bien vivant et agressif, mais il va bientôt recevoir le coup fatal ; soit il est en
train de mourir ; soit il est déjà mort. Dans ces images, le dragon est presque toujours foulé
aux pieds par Michel1808. Par logique chronologique, et parce que c’est celle qui est le plus

1806
Elle est présente dans six peintures de notre corpus.
1807
Les deux autres peintures à représenter la bête sous une forme se rapprochant du lion sont celle de Barna da
Siena, Mariage mystique de saint Catherine et combats contre les démons, Boston, Museum of Fine Arts,
peinture sur panneaux, 1340 ; et celle du Maître napolitain, saint Michel, Naples, Museo Nazionale, peinture sur
panneaux, 2e ½ du XVe.
1808
À propos de ce motif, voir le chapitre 1. III. 2.2.2.1. La christianisation d’un thème triomphal impérial.
499
souvent représentée dans notre corpus, nous commencerons par la deuxième catégorie : celle
où le dragon reçoit le coup fatal. Dans les images de ce type, et comme dans la peinture de
Bonaventura Berlinghieri par exemple, Michel est debout sur le dragon, les deux pieds sur son
ventre, et il enfonce sa lance dans la gueule de la bête. La position permet d’insister sur le
moment où le coup est porté, et sur le fait que le coup soit fatal, puisqu’on voit clairement que
l’arme est enfoncée par la bouche entrouverte du dragon dans sa gorge. Le fait que l’archange
ait bloqué le corps du dragon par ses pieds, a forcé la bête à ouvrir la gueule alors qu’elle était
de dos par rapport au soldat angélique, et à pencher la tête en arrière pour l’atteindre. C’est à
ce moment que Michel a porté le coup fatal. Le foulage aux pieds est donc, plus qu’un simple
signe de domination, également un geste déterminant dans le combat. Parfois, la tête du
dragon peut être tournée, comme dans le panneau de Jacobello del Fiore, mais l’exécution par
la lance se fait presque toujours dans la gueule, ou plus rarement sur le sommet du crâne 1809.
Le saint Michel peint par Jacopo del Casentino a saisi la bête par la crinière, qui remplace le
foulage aux pieds comme signe de domination, et lui enfonce la lance dans la gueule. Ces
formes de mise à mort du dragon, sont déterminées par l’usage de la lance, et sont celles
employées au XIIIe siècle et dans une large mesure au XIVe siècle. Elles sont cependant
rejointes au Trecento et au Quattrocento, par deux formes différentes qui représentent un
moment soit légèrement antérieur, soit légèrement postérieur à l’exécution.

Bonaventura Berlinghieri, Vierge à Jacobello del Fiore, Vierge à l’Enfant, Jacopo del Casentino, Saints
l’Enfant, Crucifixion et saints Rédempteur et saints (détail), L’Aquila, (détail), Florence, Santa Maria
(détail), Florence, Offices, peinture Museo Nazionale, peinture sur panneaux, degli Ughi, peinture sur
sur panneaux, 1260-1270. 1428-1430. panneaux, 2e ¼ du XIVe.

Le moment précédant la mise à mort est déterminé par le remplacement de la lance par l’épée
dans plusieurs images de Michel au dragon dès la première partie du XIVe siècle. Nous avons
déjà évoqué dans une partie précédente, les différentes évolutions et utilisations des armes 1810.
Le changement principal qui en résulte sur les représentations du dragon est qu’il est figuré
encore vivant, parfois même encore agressif et prêt à attaquer l’archange. C’est le cas dans le
panneau latéral peint par Jacopo del Casentino entre 1340 et 1350 : malgré le fait qu’il soit
plaqué au sol, grâce à son long cou, le dragon a tourné sa tête vers l’archange et lui crache une
langue de feu pour l’attaquer. Mais l’archange a brandi son épée et a pris l’élan nécessaire

1809
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.1.1. Les armes d’hast.
1810
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.1. Les armes.
500
pour lui asséner un coup mortel. Il tient son fourreau dans la main gauche pour pouvoir ranger
l’arme dès le coup porté, tant il est sûr de sa victoire. Si dans les faits le dragon n’est pas
encore mort, ce n’est plus qu’une question de secondes et Michel a bien campé ses deux pieds
sur son dos pour montrer clairement qu’il le domine. Dans trois peintures de notre corpus, le
dragon encore vif n’est pas plaqué sous les pieds de l’archange. Il est encore totalement libre
de ses mouvements, et peut se dresser pour mieux atteindre son adversaire. L’exemple le plus
spectaculaire est celui peint par Antonio del Pollaiolo1811 : le dragon, les ailes déployées, est
dressé sur sa queue et se hisse à la hauteur du torse de l’archange ; sa large patte droite
s’apprête à porter un coup sur le flanc gauche de Michel, et sa gueule grande ouverte cherche
certainement à le mordre. Pourtant là encore, solidement campé sur ses jambes, Michel a
brandi l’épée. La victoire semble tout de même moins assurée. Rarement, Michel foule aux
pieds le dragon mais ne s’apprête pas à porter le coup fatal. Le démon est encore vivant mais
ne semble pas chercher à attaquer Michel, il est docile, comme dans le panneau de Rossello di
Jacopo. Cette image pourrait être le fruit d’une contamination avec le thème du dragon
apprivoisé présent chez d’autres saints, comme sainte Marthe, mais correspond assez mal aux
images de l’archange qui doit tuer la bête.

Jacopo del Casentino, Antonio del Pollaiolo, Rossello di Jacopo, Saints (détail),
Crucifixion, saint Michel et Saint Michel (détail), Londres, H. Harris, peinture sur
stigmatisation de François Florence, Museo Stefano panneaux, 1376-1456.
(détail), Dunedin, Public Art Bardini, peinture sur
Gallery, peinture sur panneaux, panneaux, ½ du XVe.
1340-1350.

Si le remplacement de la lance par l’épée dans certaines peintures de la fin du Moyen Âge
avait rendu la vie au dragon, il peut également la lui ôter définitivement car l’épée est
volontiers portée à la fin du XIVe et au XVe siècle par un archange foulant aux pieds un
dragon déjà mort, transpercé, tranché ou même dépecé1812. Dans le polyptyque de Bernardo
Daddi et Puccio di Simone, le dragon est en boule, replié sur lui-même, la bouche légèrement
entrouverte, il a les yeux fermés et son corps porte les traces des coups d’épée que Michel
porte à présent fièrement au-dessus de sa victime. En preuve de la mort certaine du dragon,

1811
Les deux autres peintures à présenter le dragon vif et libre de ses mouvements sont : Giusto de’Menabuoi,
Vierge à l’Enfant et saints, Cassino, abbaye de Montecassino, triptyque reliquaire, peinture sur panneaux, 1376 ;
Maestro della Madonna di Strauss, Couronnement de la Vierge, saint Michel et sainte Marie-Madeleine,
Florence, Museo dello Spedale degli Innocenti, peinture sur panneaux, 1405.
1812
À propos du dragon dépecé, voir LE HUËROU, 2011, pp. 53-71.
501
Michel lui coupe parfois la tête qu’il présente fièrement comme un trophée. Le dragon à la
tête coupée apparait quatre fois au XIVe siècle et une vingtaine de fois au XVe siècle. Il
permet, en outre, comme nous pouvons le voir dans le panneau d’Andrea di Cione, d’insister
sur la fonction de combattant du mal de Michel dans les représentations en buste, qui ne
figurait pas habituellement le dragon. Au XVe siècle, la tête est régulièrement coupée mais
Michel ne la porte pas forcément. Dans le fragment de polyptyque de Fra Angelico,
l’archange est encore debout sur le corps de la bête étêtée, qui possède ici plusieurs cous, mais
dont une seule tête coupée est présentée au premier plan. Le sang gicle encore aux endroits où
l’épée a tranché et Michel n’est pas encore descendu du corps inerte1813, preuve que le coup
fatal vient d’être porté. La peinture d’Alesso di Benozo représente d’une manière admirable le
dernier souffle du dragon. Dans cette image, Michel est dressé sur le dos du dragon - ce qui
lui permet d’ailleurs de mettre sa figure en valeur en la plaçant bien plus haut dans l’image
que celle des autres personnages - il présente son épée. La bête a la gueule ouverte, la tête
courbée, les yeux plissés par la souffrance : son cou est déjà tranché, et si sa tête n’est pas
encore décollée, il vit ses derniers instants car il ne pourra survivre à une telle blessure.

Bernardo Daddi et Puccio di Andrea di Cione, Fra Angelico, Saints Alesso di Benozzo, Saint
Simone, Crucifixion et saints Crucifixion et anges (détail), Rielasingen- Michel et saints (détail),
(détail), Florence, Galleria (détail), New York, Worblingen, Fondation Avignon, Musée du Petit
dell’Accademia, huile sur bois, Metropolitan Rau, peinture sur Palais, huile sur bois, 1490.
1490. Museum, peinture panneaux, 1419-1421.
sur panneaux, 1365.

L’atteinte à l’intégrité physique du dragon est un signe manifeste de la puissance de


l’archange et de sa victoire sur le mal.

Si les figures michaéliques du plein XIIIe siècle ne sont pas systématiquement


accompagnées d’un dragon, la figuration de la bête devient presque incontournable à la fin du
siècle. À cette période, les démons sont encore peu présents dans les peintures de Michel en
état, le dragon est alors la seule forme développée pour figurer le mal dans ces images non
narratives. Il est toujours représenté foulé par les pieds de l’archange, la tête et la queue
relevée et la lance dans la gueule. Jusqu’en 1330, elle reste la forme dominante de l’archange

1813
Dans la peinture de Lorenzo da Viterbo, Michel est déjà descendu du dragon. Vierge à l’Enfant et saints,
Rome Galleria Nazionale d’Arte Antica di Palazzo Barberini, peinture à l’huile sur bois, 1472.
502
au dragon, puis perdure plus timidement au XIVe et au siècle suivant. Dans la troisième
décennie du XIVe siècle, l’adoption de l’épée pour le combat du sauroctone permet l’insertion
des premières images du dragon vif dans les représentations non narratives de l’archange et
une diversification des moments du combat - ou plutôt de l’exécution - allant de la figuration
de l’élan pour le coup fatal, au moment de présentation ou de rangement des armes après à la
mort. Le dragon est un attribut central de Michel dans l’iconographie du XIV e siècle puisqu’il
est présent dans plus de la moitié des images recensées, alors que les démons en sont presque
totalement absents. Les attitudes de la bête varient, elle attaque, elle se soumet, elle succombe,
mais elle reste sous la domination de Michel et rien ne laisse douter de la victoire passée,
présente ou future de l’archange.
Le constat est le même pour le XVe siècle. La forme « classique » du dragon tué à la lance est
toujours présente, et la bête conserve ses caractéristiques formelles, contrairement aux
démons dont les apparences se diversifient considérablement pendant ce siècle. Les
évolutions techniques et artistiques permettent des réalisations plus naturalistes, ou plutôt plus
plausibles en ce qui concernent les images de l’animal fabuleux, mais ne modifient pas
réellement ses représentations. Enfin, notons que dans plusieurs images du XVe siècle, Michel
est figuré sans le dragon alors que dans la même peinture, saint Georges à cheval le combat.
Ces images attestent qu’au Quattrocento, Michel n’est plus considéré comme le saint au
dragon par excellence. Et l’on retrouve alors sous l’épée de l’archange, le démon, nouvel
adversaire principal de l’archange, comme dans le panneau d’un suiveur de Bourdichon, le
combat de Michel contre un démon anthropomorphe côtoie dans un même paysage celui de
Georges contre le dragon. Les années 1500 à 1518 confirment cette tendance, puisque le
dragon est presque totalement absent, largement remplacé par le démon.

Suiveur de Bourdichon, Saints (détail), Naples, Museo Nazionale di


Capodimonte, peinture sur panneaux, 2e ½ du XVe.

Le dragon des images apocalyptiques, n’est pas considéré comme un attribut-agissant,


mais entretient des rapports étroits avec celui des images en état. La bête figure dans l’épisode
du grand combat dans le ciel qui a lieu à la fin des temps, et peut également prendre place
dans la scène de la chute des anges rebelles, mais n’apparait dans aucun autre épisode relatif
aux légendes de l’archange. Le dragon en scène, présent dix fois dans notre corpus, est
caractérisé par une taille supérieure par rapport à celui des images en état, il est généralement
pluricéphal mais les formes de son corps sont globalement les mêmes. Dans la chapelle
Velluti de Santa Croce à Florence, Michel est en train de se hisser sur le dos du gros dragon,

503
encore bien vivant et agressif, qui possède un corps de reptile, une tête principale et six
secondaires, des ailes de chauve-souris, des pattes de lion et une longue queue. La prédelle du
panneau de Neri di Bicci reprend le type de l’archange au dragon que l’on retrouve dans les
représentations en état : le dragon a la même taille, Michel a la même position, seule la mise
en scène et la présence des autres personnages font de cette image une scène narrative. Cette
image prouve le dialogue entre les deux types de représentations. Dans une peinture
conservée à Stuttgart, la bête a été dédoublée et Michel et ses anges doivent se battre contre
une armée de dragon. De plus, l’aspect monstrueux des adversaires est ici confirmé par
l’adjonction des têtes sur le cou et la queue des dragons.
Dans une grande majorité de ces dix peintures, le dragon est, comme dans les images en état,
dominé, foulé aux pieds ou bientôt mort sous les coups de l’arme que Michel brandit. Une
représentation de l’Apocalypse 12, figure cependant un dragon aux proportions encore
supérieures, loin des armes de Michel qui doit d’abord se battre contre une armée de démons
avant de pouvoir frapper la grosse bête. Le dragon est libre, non dominé et l’archange est
encore loin de l’abattre.

Jacopo del Neri di Bicci, Chute des Anonyme giottesque, Apocalypse Giusto
Casentino, Saint anges rebelles (détail), (détail), Stuttgart, Staatsgalerie, de’Menabuoi,
Michel et ses anges Rotterdam, Boymans-Van peinture sur panneaux, 1330-1340. Apocalypse
combattent le dragon BeuningenMuseum, peinture (détail), Padoue,
(détail), Florence, sur panneaux, Baptistère,
Santa Croce, peinture peinture murale,
murale, 1e ¼ XIVe. 1375.

Dans les images narratives, le dragon est, contrairement à ce qui est spécifié dans la Bible,
très souvent accompagné de démons voletant et se battant à ses côtés. Cette association est
plutôt rare dans les images en état1814, mais l’iconographie en général de l’archange est
marquée par le passage de l’un à l’autre des adversaires de l’archange.

Les démons, le Mal autour de la balance

Du latin daemon lui-même emprunté au grec δαίμων, daímôn désigne une puissance
divine. Les démons sont donc bons ou mauvais, tout comme les anges. Le terme démon est
employé dans notre travail pour désigner une personnification du mal sous une forme
1814
Elle se retrouve en fait dans une seule peinture de l’archange en état, celle de Lorenzo di Bicci, peinture sur
panneaux représentant une Vierge à l’Enfant, des saints et un couronnement de la Vierge, peinte entre 1400-1410
et conservée à Santa Maria Assunta de Loro Ciuffenna.
504
différente de celle du dragon ou du monstre animal hybride. Ce terme désigne pour nous un
ange déchu qui a conservé une forme angélique atrophiée et altérée par la transformation de
certaines parties du corps en membres d’animaux ou de monstres. Le degré
d’anthropomorphie, qui désigne une ressemblance physique avec l’homme, est ainsi plus ou
moins dominant dans les images de démons mais toujours présent. Les démons apparaissent
dans les images chrétiennes comme des versions antinomiques, négatives et noires des anges.
Sophie Cassagnes-Brouquet reconnait la première représentation figurée de Satan, chef des
démons, dans l’église égyptienne de Baouit, sous la forme d’un bel ange mais à la peau de
couleur sombre1815. Dans un manuscrit d’Avranches peint au XIe siècle, Michel transperce de
sa lance un homme dont les seuls caractères démoniaques sont la nudité, uniquement réservée
aux démons dans l’iconographie du plein Moyen Âge1816, les cheveux ébouriffés et le fait que
Michel le transperce dans la joue de sa lance.

1817

Fig. 88. Le copiste présente son livre à saint Michel, Avranches,


Bibliothèque municipale, ms. 50, folio 1, XIe siècle.

Ce thème est clairement dérivé des représentations des anges rebelles qui se développent dans
les manuscrits dès le IXe siècle1818. Mais l’iconographie d’une opposition entre Michel et un
démon est encore rare à l’aube du XIIIe siècle, largement éclipsée par le combat sauroctone.
La répartition des images démoniaques au côté de Michel est plutôt inégale sur la période
étudiée, avec un net recul au XIVe siècle, et une explosion au début du XVIe siècle. Cette
distribution répond en négatif à celle du dragon (voir partie précédente) qui voyait une
explosion de son image au XIVe et une quasi-disparition entre 1500 et 1518, alors que le XIIIe
et le XVe siècle représentent la voie moyenne entre ces deux extrêmes.

1815
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 61.
1816
REAU, 1956, p. 35.
1817
Image provenant du site : http://www.bridgemanart.com/en-GB/asset/166594/french-school-11th-
century/ms-50-fol-1v-the-copyist-presents-his-book-to-st-michael-from-the-recognitiones-by-saint-clement-
vellum#close .
1818
Voir à ce propos le chapitre 1. III.2.2.2.6. Michel combattant les anges rebelles.
505
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40% absence du démon
30%
20% présence du démon
10%
0%

Doc. 8. Proportion de la présence du dragon par siècle dans notre corpus.

L’image du démon est beaucoup moins uniforme que celle du dragon. La forme de
base est celle d’un ange, un homme ailé, qui rappelle la nature angélique des démons, souvent
de couleur noire ou sombre, aux mains griffues, aux ailes de chauves-souris, aux oreilles
pointues, parfois cornu et muni d’une queue. Leur apparence est en fait basée sur les
oppositions avec les anges, et plus particulièrement avec Michel puisqu’ils apparaissent
souvent dans les mêmes images.
Au teint clair des chairs de l’archange, répond la couleur foncée de celle des démons. Qu’il
soit gros ou petit, comme dans le panneau d’un anonyme italo-byzantin conservé à Pise, le
mal prend une couleur noire ou très foncée. Le démon peint par Carlo Crivelli en 1476, prend
une teinte et un aspect qui rappelle celui du dragon : vert et écailleux. La laideur de son
visage, difforme et grimaçant, contraste avec la beauté, l’harmonie et la douceur de la face de
l’archange : nez proéminent et crochu, yeux rieurs, bouche pourvue d’une langue de serpent et
dents acérées, oreilles longues et pointues et cornes dans les cheveux. Alors que Michel est
imberbe, signe d’un corps sans âge, le démon peut porter une barbe, comme celui peint par
Giotto dans un médaillon de la chapelle Scrovegni, et a souvent un système pileux développé,
voire ridicule. Le système pileux du démon peint par Luca Signorelli est incohérent : il lui
laisse le crane totalement chauve, mais une ceinture de poils a poussé tout autour de son
ventre. Sa pilosité révèle son animalité, son manque de cohérence et contraste avec l’armure
portée par Michel, brillante comme la lumière, lisse et parfaite comme la peau de l’archange.

Anonyme italo-byzantin, Carlo Crivelli, Saint Michel Giotto, Saint Michel Luca Signorelli, Assomption
Saint Michel (détail), (détail), Londres, National (détail), Padoue, de la Vierge et saints (détail),
Pise, Museo Nazionale di Gallery, peinture sur panneaux, chapelle Scrovegni, New York, Metropolitan
San Matteo, peinture sur 1476. peinture murale, 1303- Museum of Art, huile sur
panneaux, fin du XIIIe. 1308. bois, 1493-1496.
506
La grandeur et la perfection du corps de Michel respectueusement vêtu, s’opposent également
à celui des êtres démoniaques qui sont nus, et souvent difformes, aux ventres pansus, comme
dans la peinture murale de Vitale da Bologna, et disproportionnés, comme dans le panneau de
Luca Baudo. Ils exhibent parfois sans pudeur leurs parties génitales, comme dans le fragment
du polyptyque peint par Bartolomeo Vivarini. Un suiveur de Bourdichon a même fait figurer
des seins de femmes sur le torse du démon combattu par Michel.

Vitale da Bologna, Luca Baudo, Saint Bartolomeo Vivarini, Vierge à Suiveur de Bourdichon,
Chute des anges Michel (détail), l’Enfant et saints (détail), Saints (détail), Naples,
rebelles (détail), Vicenza, Museo Bergame, Accademia Carrara, Museo Nazionale di
Pomposa, monastère, Civico, peinture sur peinture sur panneaux, 1488. Capodimonte, peinture sur
peinture murale, 1351. panneaux, fin du XVe. panneaux, 2e ½ du XVe.

Le calme et la solennité des positions de Michel contrastent fortement avec l’agitation et la


désorganisation qui marquent les mouvements et les déplacements des démons. Cette
impression est confirmée par la grâce et la délicatesse des gestes accomplis par l’archange,
contre ceux brusques et lourds des anges rebelles, réalisés avec leurs mains griffues. Le saint
Michel peint par Carlo Crivelli dans le polyptyque de Monte San Martino est empreint de
douceur et tient la balance gracieusement. Il est vêtu de riches vêtements dorés, et finement
décorés. L’action qu’il réalise, celle de planter son bâton de joute dans la gueule du démon, ne
vient pas altérer l’impression de sérénité qui se dégage de son visage. Le démon, lui, et
totalement nu et git sur le sol. Il a le corps en tension, les mains crispées, son visage est
grimaçant, il plisse les yeux et tire la langue. Les ailes des démons sont, comme celles des
dragons, composées d’uns ossature et de membranes noires, comme les chauves-souris, loin
des représentations des ailes de l’archange aux couleurs douces et dégradées, proches de
celles des plus beaux oiseaux.

Carlo Crivelli, Polyptyque de Monte San Martino Maestro di Barberino, Vierge à l’Enfant et saints
(détail), Monte San Martino, San Martino, peinture (détail), collection privée, peinture sur panneaux,
sur panneaux, 1477-1480. 1350-1380.
507
Toutes les différences décrites ci-dessus concernent des membres atrophiés, déformés,
disproportionnés, mais restent des éléments corporels d’origine humaine et angélique malgré
tout. L’archange est représenté sous la forme d’un homme, ou plutôt d’un idéal de forme
humaine, par sa beauté, sa jeunesse et sa perfection, qui finissent par dépasser la
représentation humaine pour devenir une sorte de sur-homme. En ce sens, le démon est
proche de l’archange, puisque sa forme s’inspire à la base d’une forme humaine, transcendée
également, mais pour lui, dans le sens négatif, en déformant les différentes parties du corps,
en y adjoignant des expressions et un degré d’animalité, créant un véritable dialogue entre
représentation humaine, représentation animal et représentation monstrueuse. L’iconographie
démoniaque comporte différents degrés de chaque élément qui font du démon, tantôt un
homme au corps ponctué de détails animaux, tantôt un personnage mi-homme, mi-animal,
tantôt un monstre à tête d’homme ou encore un véritable monstre où le seul caractère
anthropomorphe reste la présence d’un corps longitudinal, de deux membres inférieurs et
deux membres supérieurs qui peuvent tenir des objets.
Les cornes, la queue et la forme des pattes, clairement d’inspiration animale, sont presque
systématiquement présentes dans les images des démons de saint Michel. Le génie du mal
peut ainsi devenir un véritable personnage hybride, par la transformation, par exemple, de
toute la partie inférieure de son corps en pattes de boucs, comme dans la peinture murale du
narthex de San Lorenzo fuori la mura. Dans la peinture de Giovanni da Modena, ce ne sont
pas seulement les ailes que le démon a emprunté à la chauve-souris, mais également tout son
visage. Par contre, son corps reste ici clairement celui d’un homme. Le degré de bestialité
semble encore augmenter dans le panneau de Vincenzo Foppa où le corps de l’adversaire de
Michel n’a plus grand-chose à voir avec celui d’un homme : le visage est largement déformé
par les grimaces du démon, le torse conserve quelques similitudes avec celui d’un humain,
mais le bas du corps ressemble à celui d’un reptile, pour la forme de la queue, couplé à celui
d’un amphibien, pour les pattes palmées. Sa façon d’agripper son outil, et le fait même qu’il
en ait un, atteste pourtant d’un degré d’anthropomorphie toujours présent. La représentation
du démon proposée par Andrea Sabatini prend une forme complexe d’animal hybride, au
corps de griffon, à la queue de dragon, aux ailes d’oiseaux. Le traitement de la tête est encore
plus étonnant puisqu’il est constitué d’un visage humain relativement « normal » inséré dans
une sorte de cagoule à cornes et à oreilles animales.

Anonyme romain, Légende Giovanni da Modena, Vincenzo Foppa, Andrea Sabatini,


du calice d’or (détail), Couronnement de la Vierge, Saints (détail), Saint- Saint Michel
Rome, San Lorenzo fuori le Paradis et enfer (détail), Pétersbourg, (détail), Salerne,
mura, peinture murale, Bologne, San Petronio, peinture Ermitage, peinture Museo Diocesano,
1290-1300. murale, 1410. sur panneaux, 1460. huile sur bois, 1491.

508
Ces quelques exemples permettent d’évaluer la diversité des formes du démon. Chaque
peintre s’attache à rendre l’aspect malin par un savant dosage d’éléments humain, animal et
monstrueux. Le degré de monstruosité semble augmenter avec le temps dans notre corpus,
autant qu’un autre phénomène contradictoire qui est celui d’un naturalisme accru des parties
humaines du démon. Au milieu des monstres hybrides, le dernier quart du XVe siècle
réhabilite la forme humaine du démon. L’huile sur bois de Luca Signorelli figure un homme
nu, à la peau halée. Son dos, ses bras et ses jambes sont totalement conformes à ceux d’un
humain, si l’on excepte la présence de la ceinture de poils et des petites ailes. Le naturalisme
de la représentation a entrainé le peintre à représenter distinctement la musculature du dos et
du bras du démon crispé face au coup porté. Son visage reste moins humain avec son crâne
rasé, ses cornes et la face grimaçante qu’il présente à l’archange. La version de Cristoforo
Faffeo est plus nuancée puisque la moitié inférieure du corps de démon est encore animal,
mais son torse et ses bras sont eux totalement humains, ainsi que son visage et son expression
de douleur. Enfin, l’ange rebelle peint par Raphaël est un homme, dont toutes les parties du
corps, du visage et de la peau, sont humaines et où seules les ailes, les cornes et les griffes des
mains rappellent encore la nature démoniaque de l’adversaire de Michel.

Luca Signorelli, Assomption Cristoforo Faffeo, Saint Michel (détail), Raphaël, Saint Michel
de la Vierge et saints (détail), Naples, Museo diocesano, huile sur bois, (détail), Paris, Louvre, huile
New York, Metropolitan XV-XVIe. sur toile, 1518.
Museum of Art, huile sur bois,
1493-1496.

Le naturalisme qui fait évoluer la figure de l’archange dans une représentation plus proche de
l’homme, atteint également les figures démoniaques. Ils n’en restent pas moins différents et
opposés. L’antithèse visuelle constituée par la représentation conjointe de l’ange et du démon,
dans l’iconographie michaélique, n’est pas simplement une personnification du combat du
bien contre le mal, mais sert également de faire valoir à la figure archangélique, qui apparait
d’autant plus belle, gracieuse, retenue et majestueuse, qu’à ses pieds se débat un personnage
laid, indécent, gesticulant, grimaçant et souvent ridicule.

Du début du Duecento, à la fin du siècle, les démons apparaissent exclusivement dans


des épisodes narratifs. Leur présence se développe ensuite dans les panneaux de l’archange en
état, mais dans les scènes, ils demeurent des éléments perturbateurs des pesées en contexte
d’au-delà et dans des scènes hagiographiques, des anges déchus chassés du ciel, ou des
participants à l’épisode du Jugement dernier : ils sont des acteurs de l’Histoire chrétienne et

509
l’archange, en est un canalisateur. Dans ces témoignages, ils sont de petits anges noirs autour
de la balance, comme dans le pèsement des âmes de Bominaco, ou des personnages de taille
moyenne qui s’activent aux portes de l’enfer, dans le ciel, ou près d’un défunt.
Ils ont en général dans ces scènes un caractère anthropomorphe marqué, comme dans la chute
des anges rebelles peinte par Vitale da Bologna à Pomposa, ce qui se justifie ici clairement
par le fait qu’ils sont à peine chassés du paradis, et viennent à l’instant d’amorcer leur
transformation.
Ce sont les images narratives du Duecento qui vont être à l’origine de la représentation des
démons dans les peintures de Michel en état, largement dominantes à la fin du Moyen Âge.
Dans un second temps, les images en état vont parfois elles-mêmes influencer les scènes
narratives, comme dans le Jugement dernier de Giovanni da Modena. Dans cette peinture, la
représentation centrale de l’archange agit davantage comme une vision issue d’un panneau en
pied de Michel que comme une saynète se fondant dans la narration générale. Le démon est
moins acteur qu’attribut-agissant de l’archange ou de la balance, prouvant une nouvelle fois la
complexité de la question de la narrativité dans les images de l’archange. Mais dans les
épisodes eschatologiques, les démons sont bien souvent indépendants de l’archange et ont une
mission de rapatriement des damnés en enfer. C’est à ce titre qu’ils se trouvent à proximité de
la balance ou de la zone de séparation, et sont bien souvent un double négatif de Michel et des
anges sans être un adversaire. Dans le petit Jugement dernier de Giovanni di Paolo, Michel,
au centre, entièrement vêtu d’une armure dorée, est tourné vers les élus ; à droite, le démon nu
et noir, mais de la même taille que l’archange, pousse de son arme les damnés dans la cavité
infernale. Les deux anges sont les acteurs d’une même mission de séparation, chacun a son
rôle et le démon est ici un collaborateur de Michel plus qu’un ennemi. Seuls la nudité et le
désaxement de la figure démoniaque prouvent son infériorité par rapport à Michel. Dans la
pesée des âmes, l’action des démons semble bien souvent davantage liée à l’impatience de
récupérer le damné qu’à une volonté de perturber la séparation.

École des Abruzzes, Vitale da Bologna, Giovanni da Modena, Giovanni di Paolo, Christ
Scènes de l’au-delà Chute des anges Couronnement de la Vierge, souffrant et Christ triomphant
(détail), Bominaco, San rebelles (détail), Paradis et enfer (détail), (détail), Sienne, Pinacoteca
Pellegrino, peinture Pomposa, monastère, Bologne, San Petronio, Nazionale, peinture sur
murale, 1263. peinture murale, 1351. peinture murale, 1410. panneaux, 1465.

Les scènes narratives, qui fixent l’image des démons dans l’iconographie michaélique,
dessinent la différence de nature et de fonction entre l’être angélique dégénéré et le monstre
de l’Apocalypse : la mort des démons n’est pas, dans un premier temps, l’enjeu du combat.

510
C’est bien le partage des élus et des damnés qui est au centre de l’attention de l’archange et
des anges noirs qui ne sont pas des ennemis à tuer comme le dragon. Ce n’est qu’au sein des
images de l’archange en état que les démons vont peu à peu grossir et prendre la place du
dragon pour figurer l’adversaire à combattre, plus ou moins indépendamment de la pesée.

Les premières images au XIIIe siècle représentant des démons, les mettent
exclusivement en scène autour de la balance. Ils sont de taille réduite, volètent autour des
plateaux, Michel les surveille, les repousse, mais ne juge pas nécessaire de les achever. Ce
type d’images, que l’on retrouve encore parfois au XVe siècle, peut représenter les démons en
train de récupérer une âme sur le plateau inférieur de la balance. Dans le panneau de Mariotto
di Nardo, un démon à peine plus gros que l’âme qu’il récupère, n’est pas inquiété par
l’archange à l’épée, puisque la balance a déjà indiqué clairement que l’âme était déchue. Ce
type de démons, premier type développé dans notre corpus, ne partage pas l’aspect menaçant
des dragons que l’on retrouve à la même époque, et Michel ne montre pas de signe de
domination de la petite bête, puisque la différence de proportion atteste déjà de la supériorité
de l’archange. Mais ce rapport va évoluer lorsque le démon va grossir au cours du XIV e
siècle. Il ne peut plus alors se balader tranquillement dans les airs sans être inquiété par le
guerrier ailé qui tient la balance et le démon rejoint alors la place du dragon dans les images :
sous les pieds de Michel. Il est alors transpercé de la lance, tout comme son homologue
reptilien, mais montre toujours un intérêt pour l’instrument de pesée qui se trouve au-dessus
de lui, preuve que son action lui est toujours liée. À ce moment, les formes de domination par
le pied se diversifient : le démon est souvent foulé aux pieds sur son ventre comme le dragon,
mais peut également avoir la tête écrasée, comme dans le panneau de Pietro Alemanno, ou
être simplement repoussé par un coup de pied de Michel, comme dans une peinture de Luca
Baudo. Dans la peinture murale de Monticchiello da Siena, Michel prouve sa supériorité en
soulevant par la cheville un démon d’une taille assez importante afin de le transpercer dans la
tête plus aisément.

Mariotto di Nardo, Antonio de Carro, Saint Pietro Alemanno, Luca Baudo, École de Lorenzetti,
Vierge à l’Enfant Michel (détail), Plaisance, Vierge à l’Enfant et Saint Michel La confession (détail),
et saints (détail), Musei Civici di Palazzo saints (détail), Ascoli (détail), Monticchiello di
Pesaro, Museo Farnese, peinture murale, Piceno, Pinacoteca Vincenza, Museo Siena, Santi Leonardo
Civici, peinture années 1390. Comunale, peinture Civico, peinture di Limoges e
sur panneaux, sur panneaux, 1489. sur panneaux, fin Cristoforo, peinture
début XVe. du XVe. murale, XIVe.

511
Si le démon, qui est le plus souvent seul au XVe siècle, a rejoint en taille et en place, le
dragon, il conserve des spécificités dans le combat qui sont liés à sa forme anthropomorphe.
Ses mains lui permettent d’agripper plateaux, armes ou jambes, ce que ne peut fait le gros
lézard, et qui donne une perspective différente dans le face à face avec Michel. Dans l’huile
sur toile de Lazzaro Bastiani, le démon a agrippé la lance pour stopper son attaque, le
transpercement n’est pas aussi aisé. Il conserve en plus les avantages liés à sa condition de
bête, puisque, comme le dragon, il enroule sa queue autour de la jambe de Michel dans le
panneau de Bernardo Luini. Ses mains sont particulièrement utiles en ce qui concerne la
balance, puisqu’elles peuvent aisément et précisément prendre le bras d’un damné, basculer
un plateau ou s’agripper pour influencer la pesée. L’adresse du démon peint par Giovanni di
Francesco lui permet de saisir complètement le plateau inférieur et de le pencher en sa
direction pour que le damné tombe dans ses bras.

Lazzaro Bastiani, Saint Michel (détail), Bernardo Luini, Saints (détail), Giovanni di Francesco, Vierge à
Padoue, Museo Civico agli Eremitani, Collection privée, peinture sur l’Enfant et saints (détail), New
huile sur toile, 1495. panneaux, XVIe. York, collection Hugh Satterlee,
peinture sur panneaux, 1439.

Mais ce qui distingue particulièrement le démon d’un autre adversaire bestial, est son
utilisation d’outils. En effet, c’est le propre de l’homme d’utiliser des instruments pour
faciliter les tâches qu’il doit accomplir. C’est avant tout une sorte de pied de biche, qui lui
permet d’agripper les plateaux à distance à l’aide du manche et du bord recourbé de son outil.
Niccolò di Liberatore le fait systématiquement figurer dans les mains des démons qu’il a
représenté quatre fois aux pieds de Michel, comme par exemple dans celui figurant dans le
polyptyque de Foligno : le démon est plaqué au sol par l’archange mais son outil lui permet
d’arriver à ses fins. Il s’en sert également comme d’une véritable arme contre Michel. Dans la
peinture sur panneaux de Timoteo Viti da Urbino, ce n’est pas en direction de la balance que
le démon dirige son pic de fer, mais bien en direction du flanc gauche de l’archange, alors
qu’il se tourne vers le fidèle, avec un léger sourire, pour le prendre à partie de cette fourberie.
L’utilsation de ce pied de biche comme d’une arme et non comme d’un instrument permettant
seulement d’agripper les plateaux, est confirmée dans l’huile sur toile de Raphaël puisque, si
la balance n’est pas figurée, le démon tient bien dans sa main une sorte de crochet double
monté sur un manche métallique, évoquant l’attribut satanique de la fourche ou le dieu
antique Neptune. Les attitudes des démons peuvent également être empreintes d’une plus
grande humanité. Dans le panneaux d’Ercole de’Roberti, les bras et les traits du visage de
l’adversaire semblent implorer la pitié de l’archange avant qu’il ne lui porte le coup fatal.

512
L’être démoniaque dans la bataille n’a pas seulement les réflexes bestiaux du dragon, il
semble être également doté d’une certaine ruse.

Niccolò di Timoteo Viti da Raphaël, Saint Michel (détail), Ercole de’Roberti, Saints
Liberatore, Urbino, Noli me Paris, Louvre, huile sur toile, 1518. (détail), Paris, Louvre,
Nativité, tangere et saints peinture sur panneaux,
Résurrection et (détail), Cagli, 1451-1456.
saints (détail), Sant’Angelo Minore,
Foligno, San peinture sur
Niccolò, peinture panneaux, 1518.
sur panneaux, 1492.

L’humanisation des démons s’accompagne bien souvent d’un agrandissement de leur taille, et
de leur fourberie, puisqu’ils peuvent facilement dévier les coups portés par Michel, perturber
la pesée, grâce à leurs mains et leurs outils, ou même se défendre ou attaquer l’archange grâce
aux instruments qui se transforment en armes à la fin de notre période.

Alors que les démons apparaissent au XIIIe siècle exclusivement dans des scènes
narratives, il faut noter qu’à cette période, dans la peinture italienne, la pesée est déjà un
épisode séparé, désaxé et cloisonné, au sein des images de l’au-delà, et les démons davantage
des attributs-agissants que des acteurs. Le transfert de ce motif vers les représentations en état
n’en sera que plus aisé, et les petits hommes noirs rejoignent Michel à la balance dans les
panneaux de polyptyques à partir de la fin du Duecento. Les premières formes de démons
dans notre corpus sont liées à leur action limitée autour de la balance, ce sont de petits anges
noirs, espiègles, mais peu menaçants. Ils apparaissent alors comme des accessoires de cette
balance, qui ne figure presque jamais sans ses petits pesés et ses petits perturbateurs.
Surveillés et repoussés si nécessaire, Michel ne combat pas réellement les démons du XIIIe
siècle et du début du XIVe. Leur action est circonscrite à un espace réduit autour de l’outil de
pesée et ils n’agissent qu’en fonction de lui. Le sens de la combinaison des attributs portés par
Michel n’est pas alors de rappeler seulement son combat contre un ennemi démoniaque,
comme dans les représentations au dragon, mais de souligner son rôle dans la séparation des
bons et des mauvais, pour lequel il doit utiliser ses armes. Son but n’est pas alors de tuer les
démons, mais de les empêcher de troubler le bon déroulement de la pesée. Car ces êtres
démoniaques ont une fonction eschatologique : ils doivent récupérer les âmes ou les hommes
déchus, vile tâche qui ne peut être accomplie par un chef de la milice céleste, ni par un ange
classique. Dans les peintures où Michel ne cherche pas à tuer ces petits personnages noirs, les
513
démons ne sont pas à proprement parler des ennemis, mais plutôt des collaborateurs
indisciplinés qui viennent récupérer ceux qui n’ont pas mérité d’être protégé par l’archange.
Leur infériorité de taille est légèrement compensée par la multiplication de leurs figures, mais
ils introduisent une agitation moins solennelle que celle amenée par le dragon.
Le Trecento est le siècle du dragon. Les démons, qui n’apparaissent que dans 5% des
peintures répertoriées pour ce siècle, sont toujours les petits anges noirs du Duecento. Outre
les épisodes narratifs, seuls Giotto et un peintre de l’école des Lorenzetti, donnent au démon
des proportions importantes. Dans ces deux images, la balance n’est pas représentée, signe
que le démon est ici l’adversaire, d’ailleurs transpercé par l’archange. La transformation du
démon en ennemi de Michel se poursuit dans la dernière décennie du siècle, lorsqu’il devient
plus imposant, souvent figuré seul et prend désormais place sous les pieds de l’archange. Mais
la balance est toujours centrale dans ces peintures et le foulage aux pieds apparait bien
souvent comme un moyen de tenir le démon à l’écart de ses plateaux. Au XVe siècle, plus le
démon grossit, plus la balance rapetisse. L’association archange / arme / balance / démon,
alors qu’elle figurait davantage une pesée qui pouvait donner lieu à une dispute, devient la
représentation d’un combat dont la balance est un lointain prétexte. Les deux protagonistes ne
gardent souvent qu’une attention lointaine pour l’instrument de pesée, qui disparait même
parfois de la main gauche de Michel, comme dans le panneau de Zanino di Pietro et plus
volontiers dans les peintures du début du XVIe siècle où le démon remplace désormais
complètement le dragon, délaissé depuis la fin du XVe siècle. Les démons ont des positions et
des attitudes plus variées, et s’ils paraissent souvent moins menaçants que la bête, la fourberie
qu’ils déploient au combat, l’utilisation de leurs mains, d’outils en font des adversaires plus
fourbes.

Giotto, Saint Michel (détail), École de Lorenzetti, La confession Zanino di Pietro, L’incrédulité de
Padoue, chapelle Scrovegni, (détail), Monticchiello, San Leonardo Thomas et saints (détail),
peinture murale, 1303-1308. di Limoges e Cristoforo, peinture Monbaroccio, Pinacoteca
murale, XIVe. conventuale, peinture sur panneaux,
1410-1420.

Au XVe siècle, l’iconographie des démons aux pieds de l’archange prend deux formes
différentes : celle d’un monstre animal et surnaturel, conservant de vagues réminiscences
anthropomorphes, et celle d’un homme ailé légèrement dégénéré. Les éléments bestiaux qui
pervertissent déjà la figure anthropomorphe du démon des XIII et XIV e siècles, correspondant
plus ou moins à la description que fait Raoul Glaber du diable dans ses Historiæ1819, prennent

1819
GUIZOT, 1824, p. 330.
514
une place grandissante dans certaines représentations démoniaques du Quattrocento pour
devenir parfois de véritables monstres surnaturels, notamment au début du XVIe siècle.
Certaines peintures avaient amorcé une humanisation des démons dès le début du XV e siècle,
mais le dernier quart du XVe siècle marque une montée de l’anthropomorphie qui aboutit à la
figuration des êtres démoniaques comme de véritables hommes dont seuls quelques détails
rappellent leur nature maléfique. Les années 1500-1518, qui constituent la fin de notre corpus,
sont partagées entre images de monstres surnaturels et d’hommes faiblement dégénérés. Les
deux peintures de Raphaël, réalisées à moins de quinze ans d’intervalle, témoignent
parfaitement de cet antagonisme de la figuration du mal, où l’image du monstre remplace
l’ancienne représentation bestiale du dragon, et celle du démon-homme se rapproche de la
représentation de son adversaire autour de leur forme de base commune : celle de l’homme.

Raphaël, Saint Michel (détail), Raphaël, Saint Michel (détail),


Paris, Louvre, huile sur bois, 1504. Paris, Louvre, huile sur toile, 1518.

Conclusion sur le dragon et les démons : l’adversaire de Michel entre humanité et


monstruosité

Toute la fin du Moyen Âge est marquée par une typologie double de l’adversaire de
l’archange : d’un côté l’image d’un monstre animal qui se développe à partir du type du
dragon largement privilégié aux XIIIe et surtout au XIVe siècles, de l’autre, les démons
anthropomorphes qui sont encore de petits personnages espiègles, dont l’action est limitée à
gêner la pesée et que Michel cherche à repousser mais pas forcément à exterminer. Ces deux
types figurent deux moments différents des épisodes eschatologiques et des combats de nature
distincte, nous y reviendrons dans le troisième chapitre. Le XVe siècle est partagé
équitablement entre ennemi animal et ennemi anthropomorphe. Le dragon est toujours une
figure centrale dans l’iconographie de Michel, mais les démons prennent de l’importance : ils
grossissent, diversifient leur aspect, s’humanisent, et deviennent plus menaçants, jusqu’à
devenir de véritable adversaire pour Michel à la fin du Quattrocento, et à prendre une place
équivalente dans l’image (même taille, souvent seul) et dans le combat (sous ses pieds,
transpercé) que le dragon. Le XVIe siècle confirme ce partage entre humanité, animalité et
monstruosité. Mais le dragon disparait au profit des images de monstres hybrides
d’inspiration animale, alors que les démons clairement anthropomorphes deviennent de
véritables hommes nus dotés d’ailes et de cornes. À ce moment, le démon-monstre est
davantage rieur et ridicule alors que le démon-homme est un adversaire plus agressif et

515
redoutable. Les images de saint Michel à la fin de notre période mettent en scène un véritable
duel d’hommes ailés faiblement caractérisés.

II.1.2.2. Les petits humains de la balance

La balance, l’un des attributs majeurs de l’iconographie michaélique, a pour fonction


de figurer la pesée des âmes des hommes ou des hommes dans leur intégrité1820. Il n’est ainsi
pas étonnant de voir dans les plateaux, des petits personnages nus, image classique des âmes
dans l’iconographie chrétienne. Jean Wirth estime que le choix du corps nu comme figure de
l’âme date du XIIe siècle1821. Si les plateaux sont parfois vides1822, ou portent des objets
inertes1823, la représentation du petit personnage nu reste la norme tout au long de la période
étudiée, puisqu’il est présent cent-quarante-deux fois dans les cent-quatre-vingt-dix images de
balance de notre corpus. Sa présence est liée à celle de la balance, qu’il occupe presque
toujours, et son évolution quantitative suit ainsi celle de la balance1824. En tant qu’occupant de
la balance, nous considérons les petits humains des plateaux comme des attributs-agissants de
l’iconographie michaélique.

La forme des petits humains dans les plateaux

L’âme ou l’homme, apparaissant dans les plateaux de la balance, sont de petites


figures humaines miniatures. Leur nudité et leur petite taille sont les traits principaux de leur
iconographie. Leur nudité symbolise leur état : si ce sont des âmes, elle révèle la simplicité et
l’égalité des hommes devant le jugement de Dieu, puisqu’elle ne permet aucune distinction
sociale ; si ce sont des hommes, elle figure le corps ressuscité réuni aux âmes. La nudité
touche presque tous les personnages portés par Michel dans sa balance, à l’exception de
quatre peintures, qui les figurent habillés ou seulement à moitié nus. Dans le panneau de
Simone Martini, dans le seul plateau visible de l’image, une figure en buste, les mains jointes
en prière, porte une aube, comme la figure féminine de l’huile sur bois de Pietro Cavaro en
1518. Dans cette dernière peinture, l’homme qui se trouve dans le second plateau est vêtu
d’un simple perizonium, tout comme les petits hommes de Cristoforo Scacco. Enfin, Luca
Signorelli a étrangement vêtu le damné, reconnaissable à sa position, d’un drapé évoquant la
guarnello, alors que l’élu du plateau supérieur est nu. L’ajout de ces vêtements est

1820
La question de la différenciation d’une représentation de l’âme dans la balance ou de celle du corps réuni à
l’âme, sera traitée dans le chapitre 3, mais ne pose pas réellement de problème ici, puisqu’il n’y a pas de
distinction de figuration entre l’âme et le l’âme réunie au corps.
1821
WIRTH, 1991, p. 158.
1822
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.2.3. L’utilisation de la balance par Michel : un symbole ou un instrument
de pesée ?.
1823
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.2.2. Autour des plateaux.
1824
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.2. La balance.
516
certainement signe de pudeur, ou, dans le cas notamment de Luca Signorelli qui a l’habitude
de représenter ces petits humains nus, il s’agit peut-être d’une référence à la même honte que
celle éprouvée par Adam et Ève après avoir été chassés du paradis.

Simone Martini, Saints Cristoforo Scacco, Saint Pietro Cavaro, Vierge à Luca Signorelli, Vierge
et anges (détail), Michel (détail), Salerne, l’Enfant, Crucifixion et saints à l’Enfant et saints
Cambridge, Museo Diocesano, huile (détail), Villamar, San (détail), Florence,
Fitzmuseum, peinture sur bois, 1503-1505. Giovanni Battista, huile sur Offices, huile sur bois,
sur panneaux, 1319. bois, 1518. 1513-1514.

La concavité des plateaux de la balance, dont nous avons déjà parlée 1825, a sans doute pour
fonction de cacher les parties intimes des personnages sans porter atteinte ni à leur nudité, ni à
la pudeur. Le petit homme peint à Bominaco est certainement totalement nu mais les bords
relevés du plateau empêche de voir son corps au-delà de son buste. Au XIIIe siècle les
personnages sont en général assez peu caractérisés, asexués. Ils sont au cours de notre période
généralement des adultes miniatures, hommes ou femmes. Dans une peinture du corpus,
Michel n’est pas le porteur de balance, mais le psychopompe. Il protège deux âmes, l’une à
ses pieds et l’autre dans ses bras, des attaques d’un démon anthropomorphe repoussé par la
lance. En plus de l’originalité thématique qui fait de l’archange un psychopompe et non plus
un acteur de la psychostasie, les âmes prennent la forme de deux enfants joufflus, ce qui n’est
jamais le cas ailleurs. Une autre exception est constituée par le médaillon de Luca Signorelli
qui figure un damné tonsuré, preuve de son appartenance passée à la classe du clergé régulier.
À partir de la seconde partie du XIVe siècle, les figures féminines sont de plus en plus
courantes. Dans la peinture murale de Biagio di Goro Ghezzi, une petite femme nue sur le
plateau de gauche, fait face à un petit homme. La balance est équilibrée et la position
commune indique qu’ils seront tous les deux sauvés. Il s’agit en fait des âmes des deux
personnages également figurés aux pieds de l’archange, dans des proportions similaires à
celles de Michel, et habillés. Le face à face homme-femme se retrouve également dans le
panneau de Luca Baudo. Cette fois encore, les deux figures semblent élues et ne constituent
ainsi pas une critique de l’un ou l’autre sexe. Les femmes sont parfois les seules dans les
plateaux d’une balance, comme dans les peintures sur panneaux de Bartolomeo Vivarini.
Dans celle conservée à Bergame, les cheveux longs, les ventres ronds et la poitrine ne laissent
aucun doute sur le sexe de ces personnages. Là encore, pas de critique de genre car l’élue
comme la damnée sont des femmes. Le jugement de Dieu touche tout le monde.
1825
Voir à ce propos le chapitre 2. I.4.1.2.1. Une permanence de l’aspect formel de la balance.
517
École des Lazzaro Luca Signorelli, Biagio di Goro Luca Baudo, Bartolomeo
Abruzzes, Bastiani, Saint Saint Michel Ghezzi, Allégorie Saint Michel Vivarini, Vierge à
Scènes de l’au- Michel (détail), (détail), Orvieto, d’outre-tombe, (détail), Vicenza, l’Enfant et saints
delà (détail), Padoue, Museo Duomo, Paganico, San Museo Civico, (détail), Bergame,
Bominaco, San Civico agli peinture murale, Michel, peinture peinture sur Accademia
Pellegrino, Eremitani, 1499-1502. murale, 1368. panneaux, fin du Carrara, peinture
peinture huile sur toile, XVe. sur panneaux,
murale, 1263. 1495. 1488.

Le corps de ces petits hommes n’est pas toujours l’objet d’une attention particulière. Ainsi à
la fin du XVe siècle et au début du XVIe, nous retrouvons encore des images de ces
personnages simplifiées, sans soucis naturaliste, comme dans la peinture de Niccolo
Rondinelli, ce qui sied finalement assez bien au caractère immatériel de l’âme et à la portée
universelle de la représentation de l’Homme, à laquelle doivent s’identifier tous les hommes.
La taille de certaines représentations empêche également de figurer ces personnages de
hauteur réduite avec beaucoup de précision. Mais, assez souvent, la figuration de l’âme ou de
l’homme semble avoir permis aux peintres de la fin du Moyen Âge de représenter un véritable
nu au sein d’une représentation religieuse. Malgré un rendu assez rustre et stylisé de la
peinture anonyme du Palazzo ducale d’Atina, chaque élément de l’anatomie du buste est
représenté par une ligne rosée. Dans la seconde partie du Trecento, les bords des plateaux
s’abaissent, les petits humains se redressent, pour laisser voir une partie de leur anatomie. Les
peintres de la fin du XIVe siècle et du début du XVe, adoptent des positions qui permettent
encore d’éviter la figuration des parties génitales. Dans la peinture murale de Biagio di Goro
Ghezzi, les personnages agenouillés, les mains jointes, ont la position classique du fidèle en
prière, mais surtout une posture qui cache toutes les parties intimes du corps : les cuisses
occultent le sexe, et les bras, la poitrine de la femme. La représentation de Nelli Ottaviano
figure le petit élu relevé, mais de dos, puisqu’il adresse sa prière à l’image du Christ qui se
trouve sur la paroi voisine. Cette position ne permet pourtant pas de cacher son postérieur.

Niccolo Rondinelli, Vierge Anonyme, Saint Biagio di Goro Nelli Ottaviano, Saint
à l’Enfant et saints (détail), Michel (détail), Atina, Ghezzi, Allégorie Michel (détail), Fossato di
Baltimore, The Walters Art Palazzo ducale, d’outre-tombe (détail), Vico, cappella della
Gallery, peinture sur peinture murale, 2e ½ Paganico, San Michel, Piaggiola, peinture murale,
panneaux, 1495-1502. du XIVe. peinture murale, 1368. 1e ½ du XVe.
518
Ces derniers signes de pudeur sont abandonnés au cours du XVe siècle. Les occupants des
plateaux sont alors représentés comme de véritables petits hommes ou petites femmes. Le
couple figuré dans le panneau de Carlo Crivelli, aux bras relevés en signe de prière, laisse
apparaitre clairement leurs parties génitales, sans éprouver aucune honte, il s’apprête à
rejoindre Dieu dans leur plus simple appareil, tels Adam et Ève réhabilités dans le Jardin
d’Éden. Malgré la taille réduite de ce motif, ces figures sont empreintes du même naturalisme
qui a touché l’archange et même les démons. Luca Signorelli, semble prendre prétexte de la
balance de l’archange pour y insérer de véritables études de nus : le premier - l’élu - debout,
de dos ; le second - le damné - de face, dans un mouvement de chute, précisant le dessin de
chaque muscle et modelant chaque volume dans un clair-obscur prononcé.

Carlo Crivelli, Saint Michel (détail), Londres, Luca Signorelli, Vierge à l’Enfant et saints (détail),
National Gallery, peinture sur panneaux, 1476. Cortona, Accademia Etrusca, huile sur bois, 1510-1512.

Outre l’anatomie de ces personnages, leurs attitudes gagnent également en naturel à la fin de
notre période, insistant sur le destin opposé des deux occupants de la balance.

Des représentations antinomiques

L’élu et le damné sont différenciés par la place qu’ils occupent sur la balance. Le plus
souvent, il s’agit du plateau supérieur pour les élus, et du plateau inférieur pour les
damnés1826. Ils sont aussi l’objet d’attentions différentes de la part de l’archange, et du démon
qui accompagne souvent la pesée. Si Michel est, en général, un porteur impartial de la
balance, il peut parfois récupérer l’âme élue ou la protéger. Dans la peinture murale de Vitale
da Bologna à Pomposa, l’archange place sa main sur la tête du personnage en prière sur le
plateau supérieur. À Arcè di Pescantino, il le saisit dans la main gauche. Les damnés sont,
eux, emportés par le démon. Dans la peinture murale de Fossa, si le démon a été effacé, nous
voyons encore ses bras saisir la petite âme du plateau supérieur, par l’épaule et par les
cheveux. Dans le panneau de Niccolò di Liberatore, le démon a déjà empoigné un petit
homme qui tente vainement de se débattre, alors que son tortionnaire essaye encore
d’infléchir un plateau de la balance. Dans ces images, c’est l’attention reçue par le bon ou le
mauvais ange qui distingue l’élu du damné.

1826
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 4.1.2.2. Autour des plateaux.
519
Vitale da Bologna, Anonyme, Saint Michel Anonyme, Saint Michel Niccolò di Liberatore,
Christ en Majesté et (détail), Arcè di Pescantina, (détail), Fossa, Santa Nativité, Résurrection et
saints (détail), San Michele, peinture Maria ad Cryptas, saints (détail), Foligno,
Pomposa, monastère, murale, XIVe. peinture murale, 1263- San Niccolò, peinture sur
peinture murale, 1351. 1283. panneaux, 1492.

Si les élus sont souvent sur le plateau supérieur, et les damnés sur le plateau inférieur,
l’opposition haut-bas est parfois accentuée par un mouvement contraire des occupants de la
balance, d’ascension et de chute. L’élu du panneau de Niccolò di Liberatore est tiré vers le
ciel par un ange, alors que le damné chute en direction du démon sous les pieds de Michel.
Mais c’est, le plus souvent, le geste et l’attitude des petits hommes qui nous permettent de
déterminer qui sera sauvé et qui ne le sera pas. L’élu est presque toujours représenté les mains
jointes en prière, à genoux ou debout, signe de sa dévotion et ainsi de son élection divine. Il
est généralement tourné vers l’archange ou, si le contexte iconographique le permet, vers une
représentation de Dieu. La position la plus courante du damné est la prise de sa tête entre ses
mains en signe d’effroi et de désespoir. Le panneau du Maestro di Barberino oppose un élu
aux mains jointes et tête tournée vers le ciel, à un damné, penché vers le démon, portant ses
mains sur ses joues. Le réprouvé peint par Giovanni del Ponte cache son visage pour ne pas
voir ce qui l’attend : en dessous de la balance, un cortège de démons vient récupérer les âmes
déchues pour les jeter dans une grotte enflammée. Les damnés peuvent également tendre les
bras au ciel, mettant en image le refus du jugement porté par la balance, et peut-être
également une dernière tentative d’imploration de la miséricorde divine, comme dans la
peinture de Giovanni del Ponte, où l’agitation du damné s’oppose au calme et au
recueillement de l’élu. Dans le panneau de Timoteo Viti da Urbino, le damné semble même
s’arracher les cheveux de désespoir.

520
Niccolò di Liberatore, Maestro di Barberino, Riccardo Giovanni del Timoteo Viti da
Vierge à l’Enfant et Vierge à l’Enfant et saints Quartararo, Saint Ponte, Vierge Urbino, Noli me
saints (détail), (détail), Collection privée, Michel (détail), à l’Enfant et tangere et saints
Princeton, Princeton peinture sur panneaux, New York, saints (détail), (détail), Cagli,
University Art 1350-1380. collection privée, Columbia Sant’Angelo
Museum, peinture sur peinture sur Museum of Minore,
panneaux, 1458-1461. panneaux, 1492. Art, peinture peinture sur
sur panneaux, panneaux, 1518.
1425-1426.

Les âmes désespérées tentent alors une dernière action pour éviter leur tragique destinée.
Celle peinte par Andrea da Bologna s’est prostré dans le plateau pour éviter que le démon ne
puisse l’attraper, alors que celle réalisée par le Maestro del Trittico del 1454, semble vouloir
sauter du plateau pour échapper à la vigilance de Michel. Enfin, le réprouvé qui figure dans la
lunette peinte par Biagio d’Antonio, résiste aux assauts du démon qui le tire par le bras en se
tenant au plateau pour ne pas être emporté. Concernant les éléments distinctifs des élus et des
damnés dans les représentations des occupants de la balance, notons également que le
réprouvé de Bernardo Zénale n’a pas seulement changé de position et d’expression, c’est son
apparence qui s’est également transformée, telle celle d’un démon, sa peau s’est obscurcie par
rapport à celle de l’élu.

Andrea da Bologna, Saint Maestro del Trittico del Biagio d’Antonio, Saint Bernardo Zenale, Saint
Michel (détail), Collection 1454, Crucifixion et saints Michel (détail), Avignon, Michel (détail), Suisse,
privée, peinture sur (détail), Camerino, Museo Musée du Petit Palais, collection privée,
panneaux, 1450-1477. Diocesano, peinture sur peinture sur panneaux, 1476. peinture sur panneaux,
panneaux, 1454. 1480-1526.

Malgré l’aspect secondaire de ces petites figures souvent peu visibles, la sérénité et le
recueillement de l’élu, font écho à ceux de Michel, auxquels s’opposent l’agitation et
l’expressivité des damnés, reflet de celles des démons. L’image des pesés propose également
une image du désespoir, devant l’inéluctabilité du jugement et devant la responsabilité de
l’homme, non pas victime mais répondant de ses actes et en récoltant les fruits.

521
L’iconographie de Michel est finalement comprise de peu d’éléments - une arme, une
balance, un adversaire et des hommes - mais d’une multitude de combinaisons possibles qui
permet de nuancer subtilement les raisons de sa présence dans une image, en fonction du rôle
attribué à l’archange dans la communauté qui a créé et reçu son image. Ces combinaisons sont
nuancées par un degré de narrativité et d’iconicité toujours entremêlés, qui entrent en
résonnance avec le contexte iconographique.

II.2- Nature de la représentation de Michel. Le degré de narrativité en question

Comme toutes les images, les représentations de l’archange peuvent être de deux
natures différentes : en état ou en scène. Les représentations en état, ou, selon François
Garnier, les images thématiques1827, permettent d’exprimer une idée et de figer un état d’un
saint ou d’un autre personnage. Dans ces images, le personnage peut être seul, ou appartenir à
un groupe, mais les différentes figures ne participent pas à une action commune dans un
espace concret, elles sont réunies par un principe de regroupement différent de celui du récit,
qu’il convient de définir. Les représentations en scène représentent un ou plusieurs
personnages engagés dans une action qui entrainent des relations spatiales et temporelles entre
les différents éléments de l’image, afin de relater un fait ou une histoire. Dans les images
narratives, c’est le déroulement de l’épisode qui a un rôle précis. Cette distinction n’est
pourtant pas toujours aisée à déterminer car l’image en état peut évoquer, résumer ou
interpréter une image narrative ; alors qu’un thème peut prendre une forme narrative. Les
images qui « figent un état » peuvent également être dynamiques, mais ne constituent
pourtant pas un récit parce qu’elles ne figurent pas de relation avec les personnages voisins et
n’ont pas de références spatio-temporelles à un épisode précis : l’action figurée n’est située ni
dans l’espace ni dans le temps, elle sert uniquement une manière d’être et d’agir en référence
à une condition ou à une fonction du personnage. La distinction en état / en scène, n’est donc
pas la même que la distinction actif / passif, le contexte étant déterminant pour estimer la
nature de l’image1828.
Estimer le degré de narrativité n’est pourtant pas aussi simple qu’il n’y parait dans
l’iconographie de l’archange, et décrit une relation complexe au temps de l’action
michaélique. C’est l’action de Michel qui détermine sa fonction et sa place dans l’Histoire du
salut, et la figuration du mouvement est centrale dans son image, causant parfois des
difficultés d’évaluation du type de scène.

1827
GARNIER, 1982, vol. 1, p. 40.
1828
GARNIER, 1982, vol. 1, p. 41.
522
II.2.1. Saint Michel en état

Les représentations des saints en état, les fixent hors de l’espace et hors du temps dans
une vision éternelle1829. Le panneau peint à tempera, à fond doré ou non, est le support
privilégié de ce type de figuration, qui peut également se développer sur les parois d’un lieu
de culte. Parmi ces images non narratives, quatre groupes peuvent être distingués en fonction
de l’activité de l’archange et du contexte dans lequel il s’insère, et donc du degré de
narrativité de la peinture : les images en état où Michel n’est pas ou très peu en mouvement ;
les images où il est clairement actif et en état ; les images où c’est la place de l’archange dans
la composition qui lui confère un degré de narrativité supérieure ; les images où Michel en
état est placé devant un fond paysagé.

II.2.1.1. Saint Michel en représentation

L’image la plus « statique » de l’archange est celle où il apparait en état, en position


frontale ou non, et où il ne porte aucune attention à son adversaire qui peut être ou non figuré
sous ses pieds, ni à la balance, qu’il peut porter ou non dans sa main gauche. Son corps ne
prend aucune position destinée à mettre en état de marche les outils qu’il porte. La plupart du
temps, il présente ou porte simplement son arme, comme un martyr porterait la palme. Les
instruments qui déterminent ses mouvements dans d’autres représentations sont ici au repos,
et ne sont véritablement que des attributs au sens strict du terme. Seuls les attributs-agissants
peuvent encore esquisser un mouvement, mais qui reste limité et ne nécessite pas
l’intervention archangélique.
Au XIIIe siècle, la frontalité est encore très présente dans les représentations de l’archange,
notamment celles de type byzantin, qui sont des images thématiques strictes, comme dans la
peinture rupestre de Mottola. Mais le corps de l’archange en état n’est pas forcément
totalement statique et frontal. Les positions qu’il prend dans ce cas peuvent être déterminées
par une nécessité de la composition. Dans la peinture murale d’un anonyme romain à Anagni,
Michel est légèrement tourné vers le Christ, penche sa tête dans sa direction et tend le bras
vers lui, comme tous les personnages situés à la droite du Sauveur. La mise en mouvement du
corps de l’archange peut également être déterminée par l’adoption d’un plus grand
naturalisme. Le saint Michel peint par Domenico Ghirlandaio adopte un contrapposto qui
désaxe sa jambe droite vers l’extérieur de la composition ; son coude est légèrement relevé
pour porter l’épée et la balance est levée à hauteur de taille. Pourtant, aucun de ces gestes n’a
pour but de combattre un démon ou peser une âme, l’adversaire ou les petits hommes étant
tous absents de la représentation, comme dans plusieurs autres peintures en pied de l’archange
et surtout dans les images en buste du XIVe siècle. La position en léger mouvement traduit la
souplesse du corps de Michel et sa capacité à réagir en cas de besoin, mais le degré narratif est

1829
GARNIER, 1989, vol. 2, p. 54.
523
totalement absent de l’image. Les gestes qu’esquisse ici l’archange ne sont pas déterminés par
une action à réaliser avec un but à atteindre, si ce n’est celui de présenter les objets qui font
références à sa mission. À ce titre, l’absence des attributs-agissants est révélatrice d’une
volonté de limiter au maximum la narrativité de la représentation.

Anonyme, Mottola, Saint Anonyme romain, Christ bénissant et Domenico Ghirlandaio,


Michel, Mottola, San Nicola saints, Anagni, Santa Maria, peinture Saints (détail), Portland, Art
a Caslarotto, peinture murale, 1230-1260. Museum, peinture sur
murale, début XIIIe. panneaux, 1480-1485.

Dans le type du dragon à la lance, très présent dans notre corpus 1830, Michel est figuré en train
d’achever la bête, mais ce type correspond pourtant la plupart du temps à des images en état
peu mouvementées. Le dragon est déjà en train d’agoniser, et si sa tête et sa queue sont encore
levées, Michel ne porte aucune attention à cette mise à mort et sa représentation peut être
aussi frontale que celle de Mottola, comme le montre la peinture murale du Maestro delle
Traslazioni. Le geste de Michel est le signe d’une action qui vient bien de se dérouler mais
l’absence d’effort et de mouvement spécifique dans l’exécution, limite l’attention sur l’acte
opéré et transforme l’image en figuration de l’archange en état qui tient une lance et globe et
qui est debout sur un dragon. Le lien de cause à effet qui existe entre la mort ou l’agonie de
l’adversaire, et l’arme tenue par Michel encore enfoncée dans la bête, introduit inévitablement
un degré de narrativité dans l’image en état de Michel, mais qui reste limité au vue de
l’attitude de l’archange.
Ce degré de narrativité est, de toute façon, moindre, comparé aux images où l’attribut-agissant
est encore vif et en action. L’adversaire de Michel peut être représenté en train de bouger,
comme dans panneau d’Allegretto Nuzi, où le serpent se débat sous les pieds de l’archange et
l’épée est alors directement liée au combat à venir. Mais l’ennemi est dominé et l’attention de
l’archange n’est toujours pas portée sur lui. C’est encore le cas dans la représentation de
Michel agenouillé du panneau de Giovanni Angelo d’Antonio, cette fois le petit démon qui
tire la figure humaine du plateau inférieur de la balance est encore bien vif et en liberté.
Michel se contente de contenir son action en le poussant de sa lance, car l’être maléfique
récupère l’âme du damné qui lui revient de droit, alors que l’élu est tranquillement en prière
dans son plateau supérieur, grâce à la vigilance de l’archange. Vigilance toute relative,
puisque Michel a fixé son attention sur le couple divin qui se trouve au centre. Ici le degré de

1830
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 4.1.1.1. Les armes d’hast.
524
narrativité est plus important que dans les peintures précédentes, mais il est toujours limité par
l’inattention de Michel et par une surface picturale très réduite.

Maestro della Traslazioni, Allegretto Nuzi, Vierge à Giovanni Angelo d’Antonio, Vierge à
Saint Michel, Anagni, l’Enfant et saints (détail), l’Enfant et saints (et détail), Rome,
Santa Maria, peinture Rome, Pinacoteca Vaticana, Museo Nazionale del Palazzo Venezia,
murale, 1250. peinture sur panneaux, 1365. peinture sur panneaux, 1445.

Ce type d’images se retrouve rarement dans des représentations isolées, et le plus souvent
Michel est au milieu d’un groupe de saints, dans lequel l’archange dispose du même espace
sur un fond commun, souvent doré. Dans ces images il occupe la même place que les autres
saints dans la composition d’ensemble : généralement regroupés autour d’une figure centrale
de Vierge à l’Enfant, en buste, comme dans la peinture de Manfredino da Pistoia, ou en pied,
comme par exemple dans les deux panneaux représentant Michel et Catherine d’Alexandrie
peints par Rossello di Jacopo Franchi. Visuellement, la présence même des attributs-agissants
ne perturbe pas particulièrement, car ils sont, comme nous venons de le décrire pour la
peinture de Giovanni Angelo d’Antonio, limités à une surface picturale très réduite. Michel
peut également être le centre de la composition, comme dans le panneau de Matteo di Pacino,
mais le degré de narrativité de l’image se définit de la même façon que lorsqu’il est sur des
panneaux latéraux. Dans ce cas, la simple présentation de l’épée et du globe n’insert ni action,
ni narration dans l’image en état.
Enfin, un autre type d’images peut poser un problème de définition de nature de la
représentation : celui de la figuration du couronnement de la Vierge, qui fait bien évidemment
référence à un épisode précis et passé, mais doté d’un caractère iconique supérieur. Ainsi il est
difficile d’établir si le saint Michel figurant à côté des autres archanges, dans la mise en scène
du couronnement de la Vierge peinte par Riccardo Quartararo, est figuré en tant qu’acteur-
spectateur de cet épisode solennel ou en tant qu’ange ou saint du cortège d’une représentation
en état du couple divin. Une tentative de réponse à cette question nous emmènerait sans
doute trop loin de l’archange. Ce qui nous intéresse est plutôt de savoir dans quelle mesure la
figure de l’archange, sa mise en scène et ses attributs, introduisent des éléments narratifs,
alors que Michel n’est pour rien ici dans l’introduction de la narrativité.

525
Manfredino da Pistoia, Vierge à Rossello di Jacopo Franchi, Matteo di Pacino, Riccardo Quartararo,
l’Enfant et saints, Florence, Collection Saints, San Miniato, San Saint Michel et saints, Couronnement de la
Acton, peinture sur panneaux, 1275- Domenico, peinture sur Florence, Galleria Vierge, saints et
1280. panneaux, début XV e
. dell’Accademia, anges, Palerme,
peinture sur Galleria Regionale
panneaux, 1360-1365. della Sicilia, peinture
sur panneaux, 2e ½ du
XVe.

L’image de saint Michel en état est majoritairement celle d’un archange présentant ses armes,
la balance ou le globe, parfois accompagné d’attributs-agissants introduisant un degré de
narrativité qui reste faible.

II.2.1.2. Saint Michel actif en état

Le deuxième groupe de représentations de Michel en état, est une variante qui se


distingue du premier groupe par le fait que l’archange réalise un geste déterminé par une
action qu’il accomplit et qui est figurée dans l’image : il s’agit d’images de Michel actif et en
état. Ce type est assez courant dans notre corpus. Ces images sont donc proches de celles que
nous venons de décrire. Michel y tient souvent les mêmes attributs, y occupe les mêmes
places dans les compositions, et la distinction n’est pas toujours évidente car subtile.
L’archange porte ici une attention plus soutenue aux gestes et à ses répercussions, et est
souvent plus dynamique. La plupart du temps, Michel baisse la tête pour regarder l’adversaire
qu’il combat ou la balance qu’il protège et il lève le bras pour brandir l’arme qui s’apprête à
frapper le dragon ou le démon. Dans le pinacle du polyptyque peint par Ugolino di Nerio,
Michel est clairement absorbé par le combat qu’il livre au dragon et qui imprime à son corps
une position qui n’est pas celle d’un saint classique en état, généralement debout et représenté
de face, comme les images de Michel du groupe précédemment décrit. L’archange a les deux
jambes bien campées sur le dos du dragon, son coude droit se lève à hauteur de sa tête pour
prendre l’élan nécessaire au coup qu’il porte dans la gueule du dragon. Sa main gauche guide
l’arme et retient le manteau qui ne facilite pas les mouvements d’un combattant. La tête
penchée et le regard dirigé vers le bas de Michel confirme que c’est un personnage actif et
qu’il est ici en action. Ce constat est le même dans l’image de l’archange à la balance peinte
par Giovanni di Francesco. Dans ce triptyque, comme dans beaucoup de cas, le doute n’est
pas permis quant à la nature de la présence de Michel dans l’image : la figuration de sainte

526
Brigitte en état et en pied sur le panneau pendant à celui de l’archange, confirme qu’il figure
bien ici dans une scène non narrative. Mais la détermination peut être plus complexe. Dans le
polyptyque de Bologne peint par Giotto, Michel ne regarde pas le dragon pluricéphal qu’il
transperce de sa lance, mais il lève le genou droit largement pour le plaquer au sol, geste au
service de l’action. Mais ce qui est déterminant ici, est la figuration, dans le panneau
symétrique à celui de Michel, d’un autre archange, Gabriel, représenté de profil, dans la
position de l’ange annonciateur. Il est lui-même en action en train de porter à la Vierge du
panneau central, la parole divine. Mais cette dernière n’interagit pas avec Gabriel et aucun
autre élément ne situe l’action archangélique dans un cadre spatio-temporel. Les deux
archanges sont tous les deux dans cette image des personnages actifs en état.

Ugolino di nerio, Saint Giovanni di Francesco, Vierge à Giotto, Vierge à l'Enfant et saints,
Michel (détail), Grosseto, l’Enfant et saints, New York, Bologne, Pinacoteca Nazionale, peinture
Museo della Maremma, Collection Hugh Satterlee, sur panneaux, 1332-1334.
peinture sur panneaux, 1ère peinture sur panneaux, 1439.
½ du XIVe.

Michel se détache désormais des autres saints représentés dans le même ensemble par ce
mouvement qui n’est plus au service d’une composition générale, mais au service de l’action
qu’il est en train de réaliser dans l’image. Le mouvement de l’archange et les relations
visuelles et fonctionnelles qui existent entre Michel et ses armes, la balance et les personnages
qui gravitent autour de ses plateaux, permettent l’insertion indiscutable d’un degré de
narrativité dans l’iconographie michaélique. Mais ces images restent des représentations en
état car elles ne situent l’action de Michel ni dans le temps ni dans l’espace et elles ne
différencient pas l’archange des autres personnages en état dans l’espace pictural, ce qui est le
cas dans le troisième groupe.

II.2.1.3. Une place à part pour le saint Michel actif en état

Si la similitude de place et de taille de saint Michel avec les autres saints en état d’une
composition, était dans les deux premières catégories d’images, un élément déterminant dans
la définition de la nature de la représentation de l’archange, son isolement dans des parties
distinctes d’un panneau ou d’une paroi, révèle un traitement spécial de son image. Dans le
petit triptyque du Maestro di Maddalena, Michel apparait au registre supérieur du panneau
latéral droit, devant un fond doré, en position frontale, en train de transpercer de sa lance un
527
dragon qu’il foule aux pieds sans le regarder. Cette image n’est pas différente de celle que
l’on a pu étudier dans la première catégorie. Pourtant, Michel occupe dans le panneau la
superficie de deux saints, alors qu’une autre scène narrative, la Crucifixion, est présente sur
l’ensemble du panneau latéral gauche. Le triptyque passe ainsi dans ses divers compartiments
d’images purement en état - la Vierge à l’Enfant, les saints - à des évocations d’épisodes
narratifs - le combat de Michel contre le dragon et la Crucifixion. Si elles portent en elles des
éléments narratifs, ces deux scènes ne multiplient pas les détails épisodiques et ont un
caractère largement universel et symbolique pour apparaitre comme des signes plutôt que des
mises en scènes. Notons la gradation hiérarchique dans l’attribution aux différents
personnages d’une surface picturale, liée semble-t-il ici également au degré de narrativité de
l’image. Le développement de la représentation du combat de Michel contre le dragon paraît,
en effet, nécessiter dans certaines peintures, de plus d’espace qu’un simple saint en pied.
C’est le cas par exemple dans la peinture murale de San Miniato al Monte de Florence où le
Maestro della Pala di San Niccolo a réservé une niche plus large à l’archange au dragon par
rapport à celle des autres saints figurés.
D’autres triptyques de petites tailles, peints au début du XIVe siècle, proposent le même
mélange d’images à degrés de narrativité différents que le panneau de New Haven. Dans celui
peint par le Maestro di santa Cecilia, l’opposition entre la représentation de l’archange actif et
celle des saints se creuse par le mouvement de Michel, sa place dans la surface picturale, et
surtout sa position parallèle à l’image de la Crucifixion qui occupe exactement la même place
et la même surface sur le panneau opposé. Dans le panneau de Jacopo del Casentino, le Jésus
crucifié et le Michel au dragon sont rejoints par un saint François stigmatisé. L’ajout de cette
scène aux éléments clairement établies dans le temps et l’espace, augmente encore le degré de
narrativité de l’image michaélique alors même que celle-ci n’a pas été modifiée dans sa
substance.

Maestro di Maddalena, Maestro della Pala di Maestro di santa Cecilia, Jacopo del Casentino,
Vierge à l'Enfant, San Niccolo, Saints Vierge à l'Enfant, Crucifixion, saint
Crucifixion et saints, New (détail), Florence, San Crucifixion et saints, Michel et Stigmatisation
Haven, Yale University Art Miniato al Monte, Detroit, Museum Institute de François, Dunedin,
Gallery, peinture sur peinture sur panneau, of Arts, peinture sur Public Art Gallery,
panneaux, 1280-1290. XIVe. ère
panneaux, 1 ½ du XIV . e peinture sur panneaux,

1340-1350.

Cette augmentation de la narrativité de l’image de Michel combattant l’ennemi, par la


proximité d’autres épisodes mis en scène dans la même peinture, se retrouve dans plusieurs
images de notre corpus, notamment dans les prédelles des panneaux, qui sont souvent
occupées par des narrations. La prédelle du panneau figurant la Trinité et peint par Domenico
528
di Michelino, représente trois saynète : Michel combattant le dragon devant une grotte, une
Annonciation et Raphaël guidant Tobie. Pourtant, ce panneau inférieur dédié aux trois
archanges, les figure davantage dans des scènes représentatives de leur mission que dans des
épisodes évoquant un épisode précis de leur « existence ». Une fois encore, se sont les repères
spatiaux-temporels qui manquent dans l’image de Michel pour en faire un véritable archange
en scène. Mais elle demeure une représentation de l’archange en état possédant un fort degré
de narrativité, auquel participe grandement l’adjonction d’un fond paysagé sur lequel nous
reviendrons dans la partie suivante.
Si la confrontation de l’image de Michel avec celle des autres saints, permettait de déterminer
le degré de narrativité de l’iconographie michaélique, à partir d’un degré zéro constitué par les
saints en état et statiques, l’isolement ou le recentrement de la figure de l’archange sur un
panneau ou une paroi, amène une nouvelle difficulté à établir si Michel est un saint actif en
état ou un archange en scène. Dans le panneau d’Ambrogio Lorenzetti, la figure michaélique
est si mouvementée et le dragon a une importance telle, qu’on serait tenté d’y reconnaitre une
véritable mise en scène du combat de la fin des temps. Pourtant, encore une fois, le fond doré
et l’absence d’autres éléments narratifs prouvent que l’image du peintre siennois est une
figuration de l’archange en état, marquée par une vivacité sans précédent.
La détermination du degré de narrativité des scènes de pesée est également délicate à établir.
La présence de simples personnages dans les plateaux, et d’un démon qui perturbe la scène
peut aussi figurer l’épisode du jugement d’un défunt après sa mort, la séparation des bons ou
des mauvais au Jugement dernier, ou une simple évocation en état du rôle de porteur de
balance de Michel. Dans le premier cas, la pesée est reliée à une image du défunt, alité ou en
pied qui distingue clairement la scène comme épisode. Dans le deuxième cas, le contexte
iconographique est également simple à déterminer. Dans le dernier cas, le degré de narrativité
évolue encore d’une représentation à l’autre et est parfois difficile à établir, notamment
lorsqu’une partie de l’image est perdue, comme dans la peinture murale d’Arcè di Pescantina.
Michel récupère une âme et pique certainement de sa lance un démon présent dans la partie
inférieure. Les reproductions dont nous disposons ne nous permettent pas d’affirmer qu’il
s’agit d’une représentation en état ou en scène.

Domenico di Michelino, Trinité et scènes des 3 Ambrogio Lorenzetti, Saint Anonyme, Saint Michel
archanges, Florence, Galleria dell’Accademia, Michel, Vierge à l'Enfant et saints (détail), Arcè di
peinture sur panneaux, 1460-1470. (détail), Asciano, Museo d’Arte Pescantino, San Michele,
Sacra, peinture sur panneaux, 1330. peinture murale, XIVe.

Enfin le degré de narrativité de l’image peut être totalement absorbé par la nature allégorique
de la représentation dans laquelle figure saint Michel, ce qui est rarement le cas pour les
529
autres figures saintes. Dans les épisodes d’outre-tombe peints par Biagio di Goro Ghezzi,
Michel intervient comme un axe qui sépare et détermine le passage au Purgatoire ou
directement en enfer. Mais l’absence de lien entre les différentes parties du cycle isole la
figure de Michel en tant que personnification du Jugement. Dans le Triptyque de la Justice de
Jacobello del Fiore, malgré la présence du dragon et de la balance, Michel n’intervient pas ici
en tant qu’acteur d’un combat apocalyptique ou de séparateur des bons et des mauvais, il est
la personnification de la justice divine et de son caractère répressif. De même, dans la peinture
murale de Monticchiello di Siena, un suiveur des Lorenzetti a peint une représentation
allégorique de la confession, dans laquelle l’aveu des péchés est personnifié par l’archange
combattant un démon.

Biagio di Goro Ghezzi, Allegories d’Outre- Jacobello del Fiore, Triptyque de École de Lorenzetti, La
tombe ,Paganico, San Michel, peinture la Justice, Venise, Galleria confession,
murale, 1368. dell’Accademia, peinture sur Monticchiello di Siena,
panneaux, 1421. Santa Leonardo di
Limoges e Cristoforo,
peinture murale, XIVe .

La distinction de Michel par rapport au groupe indifférencié des saints en état, par la place
plus importante qu’il occupe dans la surface picturale, voire même parfois centrale, ne suffit
pas à faire des images de Michel des épisodes narratifs, mais participe à l’insertion d’un plus
fort degré de narrativité.

II.2.1.4. Saint Michel actif devant un fond paysagé

Aux XIIIe et XIVe siècles, le fond doré est la norme dans les représentations
chrétiennes sur panneaux, et également parfois sur mur, particulièrement en ce qui concerne
les images de Vierge à l’Enfant entourée d’un cortège de saints en état, dans lesquelles Michel
apparait souvent. Au cours du XVe siècle, les fonds paysagés ou architecturés remplacent
progressivement l’immatérialité de l’or, proposant des évocations de la Jérusalem céleste ou
du Jardin d’ Éden ou déplaçant les apparitions religieuses sur terre. Le combat de Michel peut
prendre place sur des sols qui évoquent la roche, ou tout autre élément d’un paysage naturel et
terrestre au début du XVe siècle, mais la première représentation du combat devant un
véritable paysage, est peinte au milieu du XVe siècle par Antonio del Pallaiolo. Dans cette
image, Michel a les pieds posés sur un sol en légère pente lui donnant un avantage sur le

530
dragon, clairsemé de touffes végétales et refermé à gauche par un amas terreux, alors que le
paysage en fond s’ouvre sur une vallée traversée par un cours d’eau et bordée de reliefs
montagneux. L’introduction de ce fond paysagé donne l’impression que la scène se déroule
dans une zone géographique déterminée, figurant le repère spatial d’un épisode précis. Mais il
évoque en fait un paysage terrestre qui ne correspond pas à la situation du combat de
l’archange contre le dragon de l’Apocalypse qui devra se dérouler dans le ciel. D’ailleurs, le
fait que l’ajout de ce panorama n’appartienne pas en général à une mise en situation de
l’archange en scène, est décelable dans la peinture de Bernardino Luini, qui intègre dans un
même espace, au côté de Michel en action, la représentation de saint Jean l’Évangéliste,
clairement en état, présentant sa coupe empoisonnée. Le paysage devient de toute façon le
fond de toutes les représentations à la fin du XVe siècle, narratives ou non, comme en atteste
également la peinture de Francesco Botticini, où les trois archanges en état, marchent sur un
sol parsemé de roches et de végétaux qui s’étend devant un ciel bleu. Le paysage ne fait pas la
narration, mais il peut en porter des évocations. Dans le panneau de Marco Palmezzano, le
paysage qui se trouve en fond porte, derrière la figure de Michel, un taureau couché sur une
petite colline, évoquant l’apparition sur le Mont Gargan, et au sommet d’un édicule à plan
centré, une petite figure de l’archange aux ailes déployées, rappel de son apparition à Rome
sur le Mausolée d’Hadrien. Dans cette peinture, a lieu dans un même espace, un
entremêlement de représentations en pied, au premier plan, en figuration principale, et des
évocations d’épisodes narratifs, en second plan, qui ne sont pas pour autant des mises en
scène mais qui font référence à des épisodes très précisément situés dans le temps et dans
l’espace.

Antonio del Bernardino Luini, Saints, Francesco Botticini, Les trois Marco Palmezzano, Dieu,
Pollaiolo, Saint Milan, collection privée, archanges et Tobie, Florence, Vierge à l'Enfant et saints
Michel, Florence, peinture sur panneaux, Offices, peinture sur panneaux, (et détail), Faenza,
Museo Stafano XVIe. 1470. Pinacoteca Comunale,
Bardini, peinture peinture sur panneaux,
sur panneaux, 1497-1500.
milieu XVe.

Trois images de notre corpus constituent des cas limites entre images thématiques et scènes
narratives. Elles présentent toutes l’archange dans un fond paysagé. Celle peinte par Biagio
d’Antonio et celle de Riccardo Quartararo, situent l’épisode à l’entrée d’une caverne
enflammée, symbolisant la porte de l’enfer. Michel est en armure de plates, porte l’épée et

531
surveille la pesée. Les petits hommes attendent leur tour et sont emportés de l’un ou l’autre
côté. Le « petit saint Michel » peint en 1504 par Raphaël, représente l’archange combattant
une bête hybride, devant une représentation infernale dont les saynètes s’inspirent des champs
IX, XXIII et XIV de l’Enfer de la Divine Comédie de Dante. Dans ces peintures, la
multiplication des personnages aux pieds de l’archange, leur mise en relation les uns avec les
autres et leur intégration dans l’espace paysagé, confèrent à ces images un haut degré de
narrativité. Pourtant, l’absence à nouveau de référence à un moment précis de l’histoire, nous
fait douter de leur qualité de représentations narratives. Nous ne pouvons en effet déterminer
si les deux premières images sont des représentations du jugement des âmes, juste après la
mort de chaque homme, ou s’il s’agit de celui des âmes réunis à leur corps à la fin des temps.
La peinture de Raphaël met en scène des épisodes de la Divine Comédie dans un fond
paysagé, mais l’image de Michel combattant la bête est une évocation plus générale du
combat du bien contre le mal, qui ne s’inscrit pas ici dans un récit précis. Ces images restent
pour nous des cas à part, à cheval entre représentation en état et représentation de Michel en
scène. Le paysage est ici central dans notre interprétation.

Biagio d’Antonio, Saint Michel (détail), Riccardo Quartararo, Saint Michel, Raphaël, Saint Michel,
Avignon, Musée du Petit Palais, peinture New York, collection privée, Paris, Louvre, 1504.
sur panneaux, 1476. peinture sur panneaux, 1492.

S’il permet une mise à proximité du combat du bien contre le mal pour le fidèle, en le situant
sur terre, le fond paysagé n’est en général pas en lien avec un élément des légendes
michaéliques, et ne détermine pas réellement le lieu où s’est passée ou où se passera l’action
réalisée par l’archange. Il n’apporte en définitive rien à la narration, mais participe à un plus
grand degré de plausibilité.

Une figure en mouvement dans les images thématiques

Les figurations de Michel en état ont la particularité d’insérer dans les images plus ou
moins figées des théories de saints, un degré de narrativité variable, plaçant régulièrement
l’archange au centre d’une action auquel il participe plus ou moins. Les éléments déterminant
le degré de narrativité d’une image michaélique en état sont ainsi variés : les mouvements de
l’archange déterminés ou non par une action à réaliser ; l’utilisation des attributs comme
outils ou leur simple utilisation en tant que signes ; la comparaison avec les autres saints en
état présent dans l’image, leur place, la surface qui leur est allouée ; la comparaison avec les

532
autres scènes narratives si elles sont présentes dans l’image ou à proximité ; l’inscription de
l’action dans un fond doré ou paysagé ; la multiplication des personnages dans le cadre de la
représentation de l’archange.
Les relations complexes qu’entretiennent les représentations de Michel en état avec la
narration, sont principalement liées à l’omniprésence du mouvement dans les figurations de
l’archange. Si la représentation en état est un moyen de figurer l’état permanent d’un
personnage, alors l’état d’action est un état permanent pour Michel. L’absence même de cadre
spatio-temporel, qui empêche la figuration en état de devenir une représentation narrative, est
ce qui détermine dans l’image la permanence du combat de l’archange. Même dans les images
où l’archange est statique et qui possèdent un faible degré de narrativité, la nature des attributs
qu’il porte est déjà un appel à l’action : ce sont avant tout des outils destinés à réaliser une
action bien précise qui se déroule dans le temps et dans l’espace (contrairement à la palme des
martyrs par exemple). Les armes nécessitent mouvements et dynamisme ; la position de la
balance, ou plutôt de ses plateaux, est par définition changeante. Que ce soient les armes ou la
balance, ils ne sont pas de simples rappels d’un épisode passé, mais sont amenés à servir
encore dans un avenir plus ou moins proche. Ils ont ainsi la particularité d’être, dans les mains
de l’archange, des souvenirs du futur.
L’apparence même de Michel est déterminée par le déplacement et la rapidité. La
représentation des ailes porte en elle-même une idée de mouvement car elle constitue un
moyen de transport. Outre sa forme humaine, les ailes sont le seul élément que l'on retrouve
dans presque toutes les images de saint Michel alors qu'il est le symbole même du mouvement
dans les trois dimensions, et entre la terre et le ciel. À travers sa nature angélique, Michel est
un être en mouvement.
Mais la présence du mouvement et de ces éléments formels, symboles de l’activité
permanente de Michel, ne détermine pourtant pas un statut d’épisode narratif à toutes les
représentations de l’archange. L’universalité du message que véhicule le combat de Michel
contre le mal, maintient son image dans un statut non narratif et est, du même coup, le moyen
par lequel l’archange en mouvement s’insère aussi largement dans les images en état des
peintures italiennes de la fin du Moyen Âge.

II.2.2. Michel en scène

L’écart entre une représentation en état de Michel et une représentation en scène peut
parfois être très mince. L’archange en scène constitue en une mise en contexte, dans un cadre
spatio-temporel défini, des deux principaux thèmes de l’iconographie michaélique que nous
avons déjà étudié : son combat contre le mal et son rôle dans la séparation des bons et des
mauvais. Cette mise en contexte est souvent caractérisée par l’ajout de personnages à l’une de
ces actions qui transpose l’épisode à un moment donné de l’Histoire, ou l’insertion de cet
épisode dans un contexte narratif plus vaste. Contrairement aux autres saints, Michel n’a pas
eu de vie terrestre, ponctuée d’épisodes qui relatent son parcours spirituel et qui sont, à ce

533
titre, édifiants pour le fidèle. Les interventions relatées dans la Bible sont peu nombreuses et
ses apparitions à la base de la fondation des grands sanctuaires, sont clairsemées dans le
temps et dans l’espace. Les représentations narratives ne sont donc pas très variées pour un
archange qui a traversé les âges. Nous pouvons distinguer trois types d’interventions de
l’archange : celles qui mettent en scène ses combats - contre les anges rebelles et contre le
dragon de l’Apocalypse - celles qui mettent en scène ses rôles auprès des âmes ou des défunts
- au moment de leur mort ou au Jugement dernier - et celles qui racontent ses apparitions en
Occident - au Mont Gargan, au Mont-Saint-Michel et à Rome. Nous avons recensé soixante-
dix-sept peintures mettant en scène l’archange, qui comprennent parfois de véritables cycles.
La proportion des images narratives dans l’ensemble de notre corpus est donc d’environ 15%,
mais ces images ne sont pas réparties uniformément sur toute la période étudiée : elles
atteignent presque un quart des représentations au XIIIe siècle, un cinquième au XIVe siècle,
mais sont peu présentes au XVe et presque absentes au début du XVIe siècle.

100%
80%
60%
représentations en
40% état
20% scènes narratives
0%

Doc. 9. Proportion des scènes narratives par siècle dans notre corpus.

II.2.2.1. Les scènes de combats de l’archange

Les références aux combats dans les représentations de Michel en état sont les plus
courantes. La mise en scène du combat n’est pourtant figurée que douze fois dans notre
corpus auxquelles il faut ajouter deux peintures où le combat se déroule dans le cadre d’une
mise en scène de la pesée. Dans ces images, le dialogue entre représentations thématiques et
représentations en scène est évident, car Michel prend dans ces épisodes, les mêmes attitudes,
réalise les mêmes gestes pour vaincre son ennemi. Ce sont d’ailleurs les images en état qui
ont précédées les figurations en scène dans l’histoire de l’iconographie michaélique,
s’inspirant de l’iconographie impériale triomphante1831. La différence entre ces deux natures
de peintures réside souvent dans la taille de l’adversaire, beaucoup plus importante dans
l’épisode narratif, que ce que la proximité des autres saints avait pu permettre dans les images
en état ; et la multiplication des acteurs de la scène. Dans les peintures narratives, il ne s’agit
plus de duel, mais d’une véritable bataille opposant un gros monstre à une armée angélique

1831
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.2.1. La christianisation d’un thème triomphal impérial.
534
dirigée par Michel, ou opposant deux armées angéliques, l’une bonne et l’autre déchue. Si
l’archange est, dans la majorité des peintures de notre corpus, vêtu en soldat, et que sa qualité
de général est affirmée par l’adoption du costume romain, il n’en reste pas moins que c’est
uniquement dans cette poignée d’images narratives que sa fonction de chef de la milice
céleste est illustrée de manière claire en Italie. Dans l’établissement du statut d’une image de
saint Michel comme narrative, la multiplication des protagonistes dans les épisodes de
combats n’est pas uniquement déterminante parce qu’elle ajoute un foisonnement et un
dynamisme sans précédent à la lutte, mais surtout parce qu’elle correspond ainsi davantage
aux épisodes relatés dans la Bible ou dans les textes Apocryphes qu’elle illustre.

Michel combattant le dragon de l’Apocalypse

Les premières images apocalyptiques sur mur se retrouvent en Italie autour de l’an mil
mais ne figurent pas Michel avant le XIIe siècle1832. Yves Christe insiste sur la présence
tardive et limitée des cycles illustrés de l’Apocalypse dans l’art monumental1833, et précise
que les chapitres 13 à 20 y sont quasiment toujours absents avant le XIIIe siècle1834. À partir
de ce moment, la peinture murale propose des cycles complets, et la vision de la Femme et du
dragon, associée ou non au combat dans le ciel, est l’image préférée du répertoire
apocalyptique monumental1835.
Huit peintures représentent l’épisode du combat de Michel contre le dragon de l’Apocalypse
dans notre corpus. Ce nombre est particulièrement bas au vue de la multitude de dragons que
l’on retrouve dans les représentations en pied qui semble pourtant attester du succès de ce
thème dans l’iconographie italienne. Toutefois, le dragon piétiné par l’archange au milieu des
saints, ne possède ni les sept têtes ni les dix cornes caractéristiques de la Bête qu’il doit
combattre à la fin des temps. Ces gros lézards ne sont plus que des évocations assez lointaines
de l’Apocalypse et davantage le souvenir vif d’un thème impérial triomphal. Les huit
peintures qui nous occupent ici ont toutes été réalisées entre le dernier quart du XIIIe siècle et
la première décennie du XVe. La mise en scène de l’archange au moment de l’Apocalypse est
donc une image du XIVe siècle.
La première image est une peinture murale mal conservée, exécutée par Cimabue et son
atelier entre 1275 et 1290 dans la partie haute du croisillon sud de la basilique supérieure San
Francesco à Assise. Une reconstitution graphique D'Agincourt de 1826, permet de
comprendre la composition générale de la scène, trop dégradée aujourd’hui. Trois anges
combattent un groupe démoniaque constitué d’un dragon, qui d’après la gravure ne possède
qu’une seule tête, et de démons, précipités dans la partie inférieure de l’image par les piques

1832
Voir chapitre 1. III. 2.2.2.5. Michel et ses anges contre le dragon, un épisode de l’Apocalypse.
1833
CHRISTE, 1996, p. 101.
1834
Ibidem, p. 104.
1835
CHRISTE, 1996, p. 118.
535
des trois soldats du Seigneur. Si la présence de plusieurs anges et la disposition des
personnages dans l’espace, nous laissent penser qu’il s’agit bien d’une figuration du chapitre
12-9, la difficulté de lecture de cette scène nous empêche de l’affirmer avec certitude.
Toutefois, le reste du programme des parties hautes du croisillon sud, ne représente pas les
autres scènes de l’Apocalypse, mais est centré sur la figuration des neuf chœurs angéliques.
Cette association confirme pourtant l’identification de la scène comme un épisode
apocalyptique, plus qu’elle ne l’infirme, car, comme l’explique Yves Christe, ces choix
iconographiques sont certainement guidés par des textes liturgiques qui insistent sur le
rapprochement entre la fête de Michel, vainqueur du dragon, et la célébration des neuf chœurs
angéliques1836.

Cimabue et atelier, Saint Michel et ses anges contre le dragon, Assise, San Francesco, peinture murale, 1275-1290.

La chapelle Velluti à Santa Croce, dédiée à Michel, et dont les peintures sont attribuées à
Jacopo del Casentino, possède un programme iconographique qui est, lui, totalement centré
sur l’archange, puisque d’un côté figure l’apparition du taureau sur le Mont Gargan, et de
l’autre, le combat de Michel contre le dragon. Dans cette scène, scindée en deux par la
figuration d’un arc de cercle, Michel est au centre de la partie supérieure, posant le pied
gauche sur le dos du dragon et brandissant sa lance en direction de sa tête pour le frapper,
alors qu’il tient son épée dans son fourreau et un bouclier dans la main gauche, qu’il n’utilise
pas. La bête possède une tête principale et un long cou sur lequel se répartissent sept têtes
secondaires. Derrière l’archange, une armée d’anges se tient dans le demi-disque blanc. Les
soldats ailés du premier rang transpercent de leur lance les démons, petits êtres
anthropomorphes nus et sombres, aux visages bestiaux et aux ailes de chauves-souris. Les
bons anges écartent de la zone semi-sphérique, les mauvais qui s’y trouvent encore, alors que
d’autres démons tombent déjà vers le sol. Cette chute évoque la chute des anges rebelles après
la création de l’homme, qui sont chassés du paradis, lieu représenté ici sous la forme de cette
zone claire semi-sphérique qui symbolise la voûte céleste. Le mouvement descendant des
démons pourrait ainsi faire penser à la figuration de cette scène de la Genèse du Livre
1836
L’autel de cette partie de la basilique était dédié à Michel, dont l’office de la fête était lié au texte de
Grégoire le Grand, qui traite également de la question des chœurs angéliques et évoque le chapitre 12 de
l’Apocalypse. Selon le chercheur suisse, une prose Ad celebres, rex caelice, chantée dès le Xe après le graduel de
la messe du 29 septembre, cite également les neuf chœurs conjointement au rôle de Michel comme vainqueur du
dragon. Enfin, les textes de la liturgie pour la fête de l’archange, intitulés expositio prosae de angelis, et sermo
in die sancti Michaelis, rédigés par Alain de Lille, sont des textes très célèbres au XIIIe siècle. Tous ces
documents liturgiques relient culte de Michel et hiérarchie angélique et éclairent le programme d’Assise.
CHRISTE, 1980-1981, p. 158.
536
d’Hénoch, plutôt qu’à celle du Livre de la Révélation. Pourtant le dragon a bien la forme de la
Bête de la fin des temps définie dans l’Apocalypse 12, 3, et au chapitre 12, des versets 7 à 9, il
est également question des anges mauvais qui combattent auprès du dragon et qui n’ont plus
leur place dans le ciel et sont ainsi précipités sur la terre :

« Et il y eut un combat dans le ciel. Michel et ses anges combattaient contre le dragon ; et le
dragon et ses anges combattaient ; mais ils ne purent vaincre, et leur place même ne se trouva
plus dans le ciel. Et il fût précipité, le grand dragon, le serpent ancien, celui qui est appelé le
diable et Satan, le séducteur de toute la terre, il fût précipité sur la terre, et ses anges furent
précipités avec lui. »

L’ambigüité dans l’identification de cette scène comme chute des anges rebelles ou comme
combat de l’Apocalypse, tient au fait que ces deux événements sont tous les deux liés par leur
statut de premier et de dernier combat contre le mal, et qu’à chaque fois, le signe de l’échec
des démons est la chute du ciel vers la terre. Mais, grâce à la présence du dragon, d’une
bataille dans le ciel, de l’armée angélique, nous ne voyons cependant aucun argument qui
pourrait nous empêcher de qualifier cette scène de combat de Michel et de ses anges contre le
dragon de l’Apocalypse et ses anges.
La prédelle peinte par Lippo di Andrea reprend de double motif du combat contre le dragon et
d’une chute des démons repoussés sur terre. Pourtant le type de dragon monocéphal, et
l’insistance sur la chute des démons figurés les jambes en l’air et la tête enfoncée dans le sol,
nous fait, cette fois, douter entre combat aux origines du mal, où la figuration de Michel au
dragon aurait alors la valeur d’un symbole général du combat du bien contre le mal au milieu
de la figuration des anges déchus ; ou scène de l’Apocalypse.

Jacopo del Casentino, Saint Michel et ses anges Lippo di Andrea, Chute des anges rebelles, New
combattent le dragon, Florence, Santa Croce, Haven, Yale University Art Gallery, peinture sur
peinture murale, 1e ¼ XIVe. panneaux, 1390.

Les deux peintures murales réalisées au début du XVe siècle par Spinello Aretino suivent
clairement le modèle florentin. La seconde est fragmentaire mais devait certainement
reprendre la même composition que la première. Dans la chapelle Guasconi de San Francesco
d’Arezzo, Michel a les deux pieds campés sur le dos du dragon et lui a déjà sectionné trois
des sept têtes, d’égale taille, à l’aide de son épée qu’il brandit derrière la tête pour continuer
l’étêtement multiple de la bête. Contrairement à la peinture de la chapelle Velluti, l’archange
utilise ici son grand bouclier contre les assauts du dragon. Le combat a lieu sur un sol d’aspect
rocailleux dans lequel des cavités vomissent flammes et démons, attaquant, grâce à leurs

537
armes, la troupe angélique en vol autour de Michel. L’idée de chute n’est plus du tout
présente ici, puisque les démons sortent de terre pour combattre. Ils sont tout de même
contraints par les anges à rester au sol, et même repoussés dans les entrailles de la terre, mais
ils ne possèdent de toute façon plus d’ailes et ne pourraient déjà physiquement pas rejoindre
le ciel. Le peintre a balayé les motifs ambigus de l’image du Trecento, pour réaliser une
illustration sans équivoque de l’Apocalypse.

Spinello Aretino, Saint Michel et ses anges Spinello Aretino, Saint Michel et ses anges,
combattent le dragon, Arezzo, San Francesco, Londres, National Gallery, peinture murale
peinture murale, 1404. déposée, 1408-1410.

Un groupe constitué de trois peintures met en scène le combat de Michel contre le dragon
dans un contexte de cycle apocalyptique, attestant sans ambiguité de l’appartenance de cet
épisode à la fin des temps. Il s’agit de la peinture murale du mur ouest de Santa Maria di
Donnaregina de Naples ; du panneau d’un anonyme giottesque napolitain conservé à
Stuttgart ; et d’une peinture de Giusto de’Menabuoi réalisée sur la paroi du petit presbytère du
baptistère de Padoue. Dans la première peinture, Michel est en position frontale, tient le globe
dans la main gauche et une lance dans la droite, avec laquelle il transperce un dragon de
grande taille sur le côté. Le faible dégré de narrativité de l’image est compensé par les
proportions de la bête, et la présence de la Femme de l’Apocalypse au centre de la
composition. Dans la peinture en grisaille de Stuttgart, l’épisode figure au milieu d’une
succession de scènes. Michel, reconnaisable par le casque qui le distingue de son armée, a
posé un pied sur le dos d’un dragon qu’il transperce de sa lance. La Bête possède quatre têtes,
dont deux se trouvent à l’extrémité de cous, et deux autres prennent place sur la queue. La
troupe céleste de Michel combat d’autres dragons. Ces deux représentations de l’Apocalypse,
s’inscrivent dans une tradition napolitaine de développement des cycles apocalyptiques, dans
la première moitié du XIVe siècle, déjà analysée par Yves Christe et Laurence Rivière-
Ciavaldini1837. La troisième et dernière peinture reprend le motif de la chasse des démons au-
delà de la voûte céleste, toujours représentée par un disque lumineux tronqué par le format de
l’image. Michel se tient toujours au centre de ses anges, il est reconnaissable par la bannière
qu’il porte et participe à la bataille contre les démons, avant de pouvoir atteindre le dragon qui
poursuit la Femme de l’Apocalypse, mais que la troupe démoniaque semble protéger. Ce n’est
donc pas à proprement parler le combat de Michel contre le dragon de l’Apocalypse qui est
représenté, mais le moment légèrement antérieur, celui où la grande bataille se prépare.

1837
CHRISTE, 1996, p. 117 et RIVIÈRE-CIAVALDINI, 2007.
538
Assistant de Cavallini, Femme de Anonyme giottesque napolitain, Giusto de’Menabuoi, Apocalypse
l’Apocalypse et archange au dragon Apocalypse (détail), Stuttgart, (détail), Padoue, Baptistère,
(détails), Naples, Santa Maria di Staatgalerie, peinture sur peinture murale, 1375.
Donnaregina, peinture murale, 1e ¼ XIVe. panneaux, 1330-1340.

Les quelques images apocalyptiques de notre corpus s’inscrivent dans la continuité de


l’iconographie en état dont elle s’inspire largement. Michel apparait selon un même schéma,
bras droit levé, arme brandie, jambe gauche tendue sur le dos du dragon à qui il s’apprête à
porter le coup fatal. Mais le dragon a grossi, pour augmenter la véracité et la difficulté de la
bataille, les combattants se sont multipliés, des éléments paysagés encadrent la scène, et la
jambe droite de Michel est parfois en l’air pour figurer le fait que l’archange est en vol et
vient de se poser sur la Bête. Trois des peintures présentées font référence à la chute des anges
rebelles au sein de la même représentation, présentant ainsi une image narrative et synthétique
du combat contre le mal, passé et à venir.

Michel combattant les anges rebelles

La représentation de la chute des anges rebelles est encore plus rare dans
l’iconographie occidentale du Moyen Âge que celle des scènes de l’Apocalypse, et plus
encore sur les supports étudiés : la peinture murale et la peinture sur panneaux1838. Notre
corpus ne compte que trois images qui font référence à cet épisode. Il s’agit d’un panneau de
1330-1345 réalisé par le Maître des anges rebelles et conservé au Louvre ; une peinture
murale de 1351 de Vitale da Bologna sur le mur nord du monastère de Pomposa ; et la
prédelle d’un panneau de Neri di Bicci de 1480 conservé à Rotterdam. Le premier panneau
propose une mise en scène de la chute des anges rebelles sur un fond doré. Dieu trône au
sommet de la composition, entouré de chérubins. En dessous de lui, deux rangées de sièges se
font face : celle située à la droite du Christ, occupée par des anges, l’autre vide. Au centre de
ce registre, un petit groupe d’anges en arme a les pieds posés sur une bande sombre concave.
Tout le registre inférieur, qui constitue la majorité de la surface picturale, est occupé par la
chute des démons proprement dite : une multitude de démons aux silhouettes noires, crochues
et disgracieuses, plus ou moins grandes, dégringole en direction du bas de la composition où
figure une portion de sphère noire. Michel, au centre, vêtu en général romain, retient l’aile
d’un ange déchu pour mieux lui asséner un coup de lance. Il est accompagné de trois autres

1838
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.2.6. Michel combattant les anges rebelles.
539
anges, de taille légèrement inférieure à celle de l’archange, et vêtus des mêmes vêtements que
lui, sans la cape, qui contribue encore à renforcer la supériorité visuelle de la figure de
Michel. Selon la tradition apocryphe et patristique1839, cette image représente le moment où
les anges déchus ont quitté leurs sièges célestes pour être repoussés sur terre par la milice
céleste guidée par son chef, Michel, qui prend activement part au combat. Une partie des
soldats angéliques garde la frontière que les rebelles ne peuvent plus franchir : représentée par
la bande noire, elle symbolise la voûte céleste. La demi-sphère noire du registre inférieur, est,
elle, le symbole de la terre, située au centre dans la cosmologie chrétienne, en direction de
laquelle ils sont précipités. Cette composition narrative représente le moment clé où la
sentence divine, rendue par le Christ trônant, prend effet, exécutée par le général de l’armée
céleste, et les conséquences de cette action, figurées par la vacance des sièges des rebelles.
La peinture murale de Vitale da Bologna, sur le mur nord de la nef de Pomposa, occupe
parfaitement bien le faible espace alloué à la figuration de la chute des anges rebelles sur les
écoinçons des arcs séparant nef et bas-côtés. Ici, le groupe des anges déchus est représenté
par un seul démon de taille assez importante, au corps d’homme nu, aux oreilles allongées et
aux ailes de chauves-souris. Seul adversaire figuré, il est la cible de toutes les attaques
angéliques : celle de Michel, au centre, de grande taille, vêtu en général romain et portant la
chlamyde, foulant aux pieds le démon pour l’enfoncer dans les flammes qui lui lèches déjà les
jambes et le buste, et le transperçant de sa lance ; et celle de l’armée des bons anges,
apparaissant en buste au-dessus des arcs de la nef, vêtus de tuniques et de capes, brandissant
leur lance contre l’adversaire déchu. Certains ont la bouche ouverte pour signifier leur ardeur
au combat. L’armée angélique est déterminante ici pour identifier la scène comme une
représentation narrative de la chute des anges rebelles, plutôt que comme une image
thématique et allégorique de Michel vainqueur du mal.

Maitre des anges rebelles, Chute des anges rebelles, Vitale da Bologna, Chute des anges rebelles, Pomposa,
Paris, Louvre, peinture sur panneaux, 1330-1345. église du monastère, peinture murale, 1351.

Enfin, la prédelle de Neri di Bicci figure, au centre, un archange de grande taille, toujours
vêtu en général romain, brandissant son épée et foulant au pied un dragon de taille réduite, qui
possède une tête principale et trois secondaires sur le cou. Autour de ce groupe principal, une
multitude d’anges déchus tombe de la voûte céleste représentée par des lignes concentriques

1839
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.1.5. Les mauvais anges dans la Bible, le chapitre 1. II. 1.2.1. Le livre
d’Hénoch, et le chapitre 1. III. 1.2.1. Des créatures sous forme humaine envoyées par Dieu.
540
courbes. Le corps de ces personnages n’a pas encore muté en figure démoniaque, ils ont
encore toutes les caractéristiques physiques d’un ange classique : ils ont la peau clair, les
cheveux blonds, les corps d’adolescents non hybrides, ils sont vêtus de tuniques bouffantes
doublement ceinturées. Seule l’absence de nimbe et leur position révèlent leur rébellion : ils
chutent et leurs ailes ne semblent plus pouvoir les porter, ils ont la tête en bas, ou le corps
horizontal, et certains s’enfoncent déjà dans le sol. Derrière la figure archangélique, un petit
ange doré et nimbé semble surveiller la scène, représentant l’armée céleste. Cette scène
possède à peu près les mêmes éléments que la peinture florentine, mais le dosage des
différents motifs - la petite taille du dragon, la multiplication des anges rebelles, l’insistance
sur l’image de la voûte céleste soulignée par trois bandes de couleurs nuancées - et surtout le
fait que nous n’ayons pas à faire à des petits monstres, mais encore à des anges en chute,
prouvent bien que la scène se situe aux origines de l’Histoire du monde et non à sa fin. La
représentation de Michel sur le dragon pluricéphale est donc davantage une mise en
perspective temporelle par l’évocation du combat apocalyptique, et surtout un signe de la
victoire du bien sur le mal, reflet de la scène narrative qui est en train de se dérouler derrière
lui, mais à laquelle il ne participe pas réellement.

Neri di Bicci, Chute des anges rebelles, Rotterdam, Boymans-Van Beuningen


Museum, peinture sur panneaux, 1480.

Dans ces images, c’est principalement l’idée de chute qui constitue l’élément clé de
l’identification de la scène et confère un fort degré de narrativité à l’épisode. La figuration de
la voûte céleste par une ou plusieurs bandes courbes, et de la terre, sous une forme
géométrique ou par la figuration d’un sol aride ou enflammé, participe à créer des repères
spatio-temporels qui situent clairement la scène dans l’Histoire chrétienne.

Dans ces scènes narratives de l’archange en combat, la figure de Michel est plus ou moins la
même que celles des représentations en état. Notons, qu’il apparait toujours vêtu de la tenue
du général de l’armée romaine, car il n’est pas ici un simple guerrier ailé, mais il intervient en
tant que dirigeant de la milice céleste, et c’est parce qu’il a ce statut qu’il se retrouve au centre
des batailles décrites, de taille supérieur et menant souvent le combat le plus difficile.

Un combat de Michel contre la mort

Dans la catégorie des mises en scène d’un combat de l’archange, un petit gonfanon de
Pérouse peint en 1464 par Mariano d’Antonio et Benedetto Bonfigli, représente Michel en vol
541
dans le registre inférieur, en train de piquer de sa lance un squelette ailé devant une
représentation de la ville de Pérouse. La toile figure au registre principal une Vierge de
Miséricorde surmontée d’un buste du Christ punisseur tenant des flèches qu’il s’apprête à
lancer vers le bas. Deux petits anges armés d’épée l’accompagnent. La Vierge au manteau est
accompagnée des saints patrons de la ville et de saints anti-pesteux, et protège le peuple de
Pérouse. Cette image a été réalisée à l’occasion de la peste de 1464. La présence du Christ
armé signifie que l’épidémie est une punition divine, mais Michel n’intervient pas en tant que
bras punisseur de Dieu. Il est le signe de la fin de cette vengeance venue du ciel : il repousse
la mort pour qu’elle arrête son massacre loin des portes de la ville de Pérouse. Cette image
met en scène l’action de Michel sur terre, à un moment et à un lieu précis, et est à ce titre sans
aucun doute une représentation narrative de l’archange, mais il apparait également ici comme
la personnification de la miséricorde divine.

Mariano d’Antonio et Benedetto Bonfigli, Vierge de Miséricorde et


saints (et détail), Pérouse, San Bernardino, peinture sur panneaux, 1464.

II.2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts

Les représentations narratives qui figurent l’archange dans une mission auprès des
âmes des hommes ou des hommes ressuscités, sont diverses. Elles consistent principalement
dans la mise en scène de la pesée, par la multiplication des acteurs, et sa situation dans un
cadre géographique et / ou temporel ; la mise en scène de la séparation des bons et des
mauvais au moment du Jugement dernier, par le moyen de la pesée ou non ; et la mise en
scène de la fonction d’accompagnateur des âmes de l’archange.

Michel, l’ange du Jugement dans l’au-delà

À l’aube du XIIIe siècle, l’iconographie du Jugement est déjà largement développée


depuis le XIe siècle et connait le début d’une phase de rayonnement sans précédent dans l’art
monumental occidental1840. En Italie, le Jugement dernier du Duecento est encore largement
empreint des modèles iconographiques et formels de l’art byzantin, desquels il se détache

1840
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.3.2. Michel porteur de la balance dans les Jugements derniers.
542
progressivement. Michel est un personnage central, dans la composition et dans l’action, de
cet épisode, mais n’en est pas non plus un motif indispensable. Il apparait quarante-deux fois
au sein d’un Jugement dernier ou d’un jugement dans l’au-delà au sein de notre corpus. Le
XIIIe siècle privilégie ce thème par rapport aux siècles suivants puisqu’il le figure presque une
fois sur six, contre moins d’une fois sur dix aux XIV et XVe siècles et pas du tout de 1500 à
1518. Le support privilégié reste les parois murales, utilisées dans trente-trois jugements sur
les quarante-deux recensés, notamment en Italie les revers de façade d’édifices religieux, qui
permettent de développer ce thème sur une grande superficie.

100%
80%
60%
reste du corpus
40%
20% Michel en scène dans
0% un jugement

Doc. 10. Proportion des images de Jugement dernier par siècle dans notre corpus.

Dans ces peintures, ce sont, une nouvelle fois, deux des attributs principaux, la balance et
l’épée, qui déterminent la fonction de Michel dans l’épisode. Ces deux objets évoquent
particulièrement le rôle de Michel à la fin des temps : car c’est lui qui dirigera le combat
contre le dragon de l’Apocalypse, et c’est à lui que la tradition attribue la mission de la
psychostasie - la pesée des âmes - lors du Jugement dernier. Nous avons pourtant remarqué
que si l’arme était souvent portée par l’archange au moment de la séparation des élus et des
damnés, la balance, elle, était rare en Italie dans ce type de scène, alors que c’est un
instrument quasi-incontournable dans l’iconographie eschatologique de Michel du reste de
l’Europe. Dans plus de la moitié des images recensées de jugement mettant en scène Michel,
il ne porte pas la balance1841.
L’observation de ces peintures a fait ressortir trois grands groupes typologiques, définis en
fonction des attributs, qui se répartissent chacun principalement sur l’un des trois siècles
servant de cadre à notre étude : au XIIIe siècle, Michel est généralement un porteur de balance
au sein des Jugements italiens ; au XIVe siècle, il est le séparateur des élus et des damnés par
la force de son épée ; enfin le XVe siècle voit le retour de la balance, mais cette fois portée par
l’archange guerrier en tant qu’attribut et non plus en tant que véritable instrument juridique
d’évaluation des hommes ressuscités. Bien sûr, cette classification n’est pas totalement rigide,
(et nous retrouvons par exemple des saint Michel guerrier sans balance au XVe siècle), mais

1841
Michel porte la balance dans dix-huit scènes de jugement.
543
elle correspond à des tendances générales, révélées assez nettement par l’analyse quantitative
de ce corpus pour être prises en compte et analysées ici distinctement.

Contrairement à la France qui connait un âge d’or de ce thème au XIIIe siècle, les
Jugements derniers sont encore rares dans les peintures italiennes du Duecento. Nous n’avons
recensé que six représentations de Michel dans un contexte de l’au-delà, mais,
proportionnellement au reste des images de l’archange réalisées ce siècle, cela représente un
pourcentage relativement important. La plus ancienne est la peinture murale de la paroi nord
de la nef de San Giorgio in Lemine, d’Almenno San Salvatore. Le schéma est encore
clairement byzantin, et l’archange, qui apparait certainement dans les airs au-dessus du
groupe des damnés, brandit son épée ou sa lance. Mais l’état de conservation de cette image,
et la qualité de la reproduction, ne nous permet pas d’aller au-delà dans l’analyse de l’image,
ni d’ailleurs d’affirmer avec certitude qu’il s’agit de Michel.

Anonyme, Jugement dernier (détail), Almenno San Salvatore, San Giorgio in


Lemine, peinture murale, milieu du XIIIe.

Deux autres images - l’une peinte sur la contre-façade de Santa Maria ad Cryptas de Fossa
entre 1263 et 1283, l’autre sur le transept gauche de Santa Maria di Ronzano de Castel
Castagna autour de 1280 - sont reliées à un modèle commun : la décoration picturale de
l’oratoire San Pellegrino de Bominaco datée de 1263. Ces trois images des Abruzzes
constituent ainsi un groupe homogène dans la représentation de l’archange : Michel, en
position frontale, porte une tunique rouge ou blanche rehaussée d’un lôros fin doré et d’une
cape rouge dans les deux derniers cas. Ce type correspond au type byzantin encore largement
répandu en Italie au Duecento. Bien que l’archange soit debout, seul son buste est visible car
ses jambes sont cachées derrière un plan vertical orné de motifs géométriques, figurant
uniquement dans ces trois peintures et à aucun autre endroit du corpus. Nous ne pouvons
déterminer exactement la fonction de ce pan ornemental dressé entre l’archange et la balance.
Peut-être s’agit-il simplement de faire ressortir visuellement les plateaux dans la
composition ? Michel porte la balance - de la main droite à Bominaco et Castel Castagna, et
gauche à Fossa - dans les plateaux desquels se trouvent deux petites figures humaines et en-
dessous, un ou deux démons (qui ont été grattés) tentent de contrôler la pesée ou d’emporter
les âmes déchues. Dans la première peinture, il porte également un globe, et dans les deux
dernières peintures, Michel repousse le démon à l’aide d’une fine lance. Notons que
544
l’archange porte déjà une arme, même si son utilisation est entièrement vouée au bon
déroulement de la pesée et qu’elle reste discrète visuellement.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà Anonyme, Jugement dernier (détail), Anonyme, Scènes de l’au-
(détail), Bominaco, San Pellegrino, Fossa, Santa Maria ad Cryptas, delà (détail), Castel Castagna,
peinture murale, 1263. peinture murale, 1263-1283. Santa Maria di Ronzano,
peinture murale, 1280.

Suite à cette description, rien ne semble distinguer cette image d’une autre représentation en
état de l’archange byzantin à la balance. C’est le contexte iconographique qui inscrit ces
figures michaéliques dans un récit. Celui de Bominaco et de Castel Castagna est le même : à
côté de l’archange, les patriarches accueillent en leur sein de petits personnages, symbole d’un
séjour paradisiaque, et saint Pierre semble surveiller l’accès de la porte du paradis. Ces
éléments évoquent effectivement l’accueil des âmes dans l’au-delà, mais aucune résurrection
des morts, aucun cortège d’élus ou de damnés ne sont présents, il n’y a ici ni Christ-Juge ni
tribunal divin : nous ne sommes pas ici devant une représentation de Jugement dernier ni
d’une pesée déterminant la séparation des élus et des damnés. Saint Michel intervient avant la
venue du Christ Juge, au moment de la mort de l’homme et c’est bien les âmes, séparées des
corps, qu’il pèse et qu’il envoie soit dans le paradis d’attente, représenté par la patriarches et
dont l’accès est surveillé par saint Pierre, soit dans un lieu infernal non représenté ici.

École des Abruzzes, Scènes de l’au-delà, Bominaco, Anonyme, Scènes de l’au-delà, Castel Castagna,
San Pellegrino, peinture murale, 1263. Santa Maria di Ronzano, peinture murale, 1280.

La pesée de Fossa s’inscrit, elle, dans un contexte iconographique de Jugement dernier qui
prend place sur toute la surface de la contre-façade. Nous retrouvons bien cette fois le Christ-
Juge dans une mandorle au registre supérieur, le collège apostolique, la séparation des élus et
des damnés, la résurrection des morts et un espace infernal. À première vue, nous pourrions
dire que Michel contrôle la pesée qui permet de séparer les élus et les damnés au jour du
Jugement dernier. Pourtant, à y regarder de plus près, le contexte dans lequel s’inscrit la pesée
ne semble pas inclure totalement l’archange à la grande séparation. La pesée est étrangement
désaxée au registre inférieur, à gauche de la porte, contrairement à ce que l’on peut voir

545
couramment sur les tympans des églises gothiques françaises, où Michel et sa balance sont
souvent au centre, ou proche du centre, de la composition, dans le sens de la hauteur et dans le
sens de la largeur. Elle est surtout isolée de la résurrection des corps, qui a lieu au registre du
dessus et de la séparation des élus et des damnés au registre suivant. Cette disposition n’inclus
pas la pesée comme action déterminante dans la division de l’humanité. Par contre, au centre
de la séparation, un personnage angélique, vêtu de la même aube blanche rehaussée d’un
lôros doré et d’une cape rouge, se tient debout, les bras levés, indiquant les cartons portés par
les deux anges à ses côtés : « VENITE BENEDICTU PATRIS MEI POSSIDETE REGNU »
(Venez, peuple béni, recevez le royaume de mon père), du côté des élus et du côté des
damnés, « [VEN]ITE MALEDICTI IGNE ETERNU » (venez, les maudits, dans le feu
éternel), insistant clairement sur le Jugement et ses effets. Les autres anges de la scène portent
tous une aube ou une dalmatique blanche et un pallium rouge. Les vêtements relient donc
clairement cet ange à l’archange de la pesée et les présentent comme des personnages
similaires. Michel est donc représenté deux fois sur ce mur. Une première fois en tant que
porteur de la balance du premier jugement, celui qui survient directement après la mort, qui
concerne les âmes et qui permet de déterminer le lieu d’attente de l’au-delà, pour chacun,
jusqu’au Jugement dernier. La scène du registre inférieur correspond ainsi à un moment
antérieur aux épisodes eschatologiques qui se déroulent au-dessus. Lors de sa seconde
apparition au centre du partage, Michel est cette fois actif en tant qu’acteur à part entière du
Jugement dernier. Il détermine clairement la séparation des bons et des mauvais en ce plaçant
au centre, créant un axe infranchissable entre les deux côtés, même si nous ne pouvons
distinguer s’il porte ou non des armes pour établir la frontière de manière plus autoritaire.

Anonyme, Jugement dernier (et détail), Fossa, Santa Maria ad Cryptas, peinture murale, 1263-1283.

L’archange, figuré par un anonyme bergamasque, à la fin du XIIIe siècle, dans la salle de la
curie de Santa Maria Maggiore de Bergame, est du même type que les trois exemples
précédents, même si le motif de la petite paroi verticale à motifs géométriques derrière la
balance n’est pas repris. Il est vêtu d’une tunique surmontée du lôros byzantin, et porte la
balance à proximité d’autres scènes évoquant le Jugement dernier ou un jugement dans l’au-
delà. Sur le mur attenant, le Christ est représenté dans une mandorle avec l'épée devant la
bouche, entouré d'anges portant les instruments de la Passion, et soufflant dans des
trompettes. Au registre inférieur, la résurrection des morts est figurée dans une vision
synthétique avec le partage des hommes en deux puisque les « boîtes », évoquant des sortes
546
de tombeaux collectifs, sont également le moyen de différencier les deux groupes déjà
constitués des élus et des damnés. Une fois de plus, la pesée n’est pas liée à cette séparation et
figure ainsi davantage la pesée des âmes proprement dite, plutôt que celle des corps réunis
aux âmes au moment du Jugement dernier.
La dernière peinture, toujours murale, à figurer Michel en acteur d’un jugement dans l’au-
delà, est celle de Pietro Cavallini à Santa Cecilia in Trastevere, réalisée à l’extrême fin du
siècle, et qui annonce d’ailleurs déjà le type principal du XIVe siècle. L’archange figure dans
une scène du Jugement dernier, il est un général romain ailé, aux ailes multicolores déployées,
qui repousse de sa lance les démons vers l’enfer, dans la partie inférieure droite de l’image.
Un autre ange derrière lui semble contenir les damnés. Ici, pas de balance ni de séparation
visuelle au moyen d’une frontalité et d’une centralité de sa figure, Michel réalise le partage au
moyen de son arme et par la force de ses bras.

Anonyme, Jugement dernier et pesée des âmes, Bergame, Pietro Cavallini, Jugement dernier (détail), Rome,
Santa Maria Maggiore, peinture murale, fin du XIIIe. Santa Cecilia in Trastevere, peinture murale, 1293.

Dans quatre des six images italiennes que nous avons recensé pour le XIIIe, Michel n’est pas
figuré en acteur du Jugement dernier, mais en acteur du jugement immédiat, il réalise une
pesée des âmes dans un au-delà situé près des lieux d’attente représentés par la porte du
paradis et le sein des patriarches, ou à proximité d’une scène de Jugement dernier. Les images
italiennes insistent sur la complémentarité des deux jugements, celui de l’âme au moment de
la mort, et celui de l’homme à la fin des temps, et combinent les deux temporalités dans une
même image : celle des hommes et celle de Dieu.
Le siècle suivant, annoncé par la peinture de Pietro Cavallini, opère un changement radical
sur la figure même de l’archange.

Le deuxième groupe étudié rassemble quinze peintures du XIVe siècle ou la balance


est presque totalement abandonnée au sein des représentations du Jugement dernier italien : le
jugement des âmes n’est plus fondu dans les images de la fin des temps. Toutes les images de
ce type présentent Michel dans sa qualité guerrière, vêtu d’une armure et/ou portant des
armes, excepté une peinture murale des premières décennies du XIVe siècle qui correspond
encore au type byzantin. La figuration de Michel guerrier sans balance n’est pas propre à ce
siècle et perdure encore au XVe puisque dix peintures du Quattrocento représentent
l’archange armé pour séparer les hommes, sans l’instrument de pesée, que nous évoquerons
plus tard dans cette partie. Mais il n’est plus alors le type principal de ce siècle, nous y
reviendrons. Sur les quatre peintures du Trecento à figurer Michel à la balance en contexte de
547
l’au-delà, deux d’entre elles, qui se situent à la fin du siècle (l’une est même peut-être du
début du XVe siècle), appartiennent déjà au type du siècle suivant, caractérisé par le port de
l’épée conjointement à celui de la balance, comme attributs statiques. Dans les deux autres, la
pesée est insérée dans l’espace du Jugement dernier, comme dans celui de Santa Maria del
Casale de Brindisi au tout début du XIVe siècle, ou celui de Pomposa peint par Vitale da
Bologna. Ce motif, plus courant dans l’iconographie du reste de l’Occident, n’est pas une
psychostasie à proprement parler, mais une pesée des âmes réunies à leur enveloppe charnelle
après la résurrection. Dans la peinture du peintre bolonais, Michel est un guerrier mais ne
porte pas les armes, il rassure le petit personnage qui se trouve dans le plateau supérieur de sa
balance, d’un geste délicat de la main.

Rinaldo da Taranto, Jugement dernier (et détail), Vitale da Bologna, Christ en majesté et saints
Brindisi, Santa Maria del Casale, peinture murale, (et détail), Pomposa, église du monastère,
1ères décennies du XIVe. peinture murale, 1351.

Les autres images du Trecento situent tous l’archange dans un Jugement dernier. Ce qui
caractérise principalement ces peintures, c’est le mouvement : Michel est actif, il surveille ou
sépare les élus et les damnés et est prêt pour cela à utiliser son arme, rarement la lance, plus
généralement l’épée. Au Camposanto de Pise (1332-1342), vêtu en général romain, il porte
l’épée dans la main droite. Sa vigilance et son commandement, lisibles dans les gestes qu’il
accomplit de la tête et du bras, permettent de ramener un élu du côté des justes. Il reprend ici
clairement ses fonctions de chef de la milice céleste à qui il commande les actions afin
d’assurer le bon déroulement du partage. L’archange, et certainement le reste de la
composition de Buonamico Buffalmacco, sont repris à l’identique par Alesso di Andrea.
Michel peut également prendre directement part à un combat et repousser les damnés
récalcitrants aux portes de l’enfer. Dans la peinture murale de Bolzano, où l’archange
correspond toujours au type du guerrier romain, Michel a quitté la position frontale et
centrale, apparait de profil, en train de brandir sa lance en direction d’un groupe d’hommes
déchus récalcitrants.

Buonamico Buffalmacco, Jugement Alesso di Andrea, Jugement Peintre giottesque, Jugement


dernier (détail), Pise, Camposanto, dernier (détail), Prato, Palazzo dernier (détail), Bolzano, église
peinture murale déposée, 1332-1342. degli Spedali, peinture murale, dominicaine, peinture murale,
548
1347. 1335-1340.
Michel gagne généralement le centre des compositions italiennes, son implication au
Jugement dernier est cette fois-ci indéniable. Il se place sous le Christ, prolonge l’axe vertical
créé par le juge, et parfois son épée brandie participe à souligner cet axe, séparant l’espace
dans cet au-delà bipolaire, comme à Sienne, dans l’ancien hôpital de Santa Maria della Scala
(1446-1449). Si l’archange n’est plus particulièrement dynamique dans cette image, Lorenzo
Vecchietta souligne vraiment son importance par sa place dans la composition, sa taille,
puisque Michel semble plus grand que le Christ, sa posture, son attribut tenu bien droit, et la
couleur noire de son armure de plates qui insiste une fois de plus sur la verticalité de l’axe.
L’archange à l’épée peut également être désaxé. Il s’agit souvent d’œuvres au format allongé
dans un sens horizontal où la figure michaélique ne pouvait se contenter de l’espace réduit
sous le Christ, comme dans la prédelle peinte par Giovanni di Paolo (1465). Les peintres
choisissent alors en général de le placer du côté des damnés, où il est utile puisqu’il s’attache
à les pousser vers leur destination infernale. Du côté des élus, son intervention n’est pas
nécessaire. La nature de sa mission, éloigner les hommes damnés loin de la vision du Christ,
explique également son désaxement et sa position non frontale. Le geste accusateur du Christ
qui lève le bras droit en signe de colère et de punition, et indique ceux qu’il accuse de la main
gauche, semble directement relié à l’archange, véritable bras armé du Christ. Michel reprend
ici la fonction qu’il occupait déjà dans les tympans gothiques français : il sépare clairement
les deux cortèges, visuellement, mais également par son action. Par contre là où l’archange
français utilisait l’instrument de pesée, au-delà des Alpes, la séparation se réalise ici à la force
de l’épée.
La balance n’est de toute façon, pas obligatoire pour signifier le thème judiciaire de la
séparation des bons et des mauvais. Le signe principal est le partage en deux groupes
distincts, sans instrument, comme c’était déjà le cas dans les images paléochrétiennes. En
France, au sein des Jugements derniers, elle est souvent présente mais pas incontournable.
Elle peut être remplacée par des livres contenant les actions des hommes, plus souvent par des
phylactères. Les gestes du Christ sont aussi des signes de la sentence rendue. Ils peuvent
d’ailleurs être particulièrement dynamiques pour signifier l’accusation des damnés, comme
dans la prédelle de Giovanni di Paolo. Au Camposanto, le dédoublement du juge entre la
figure du Christ et la figure de la Vierge, assigne à Marie le rôle de personnage
miséricordieux, représentée faisant un geste de compassion, et laisse à la figure du Christ tout
le loisir de se concentrer sur la punition.

Lorenzo Vecchietta, Buonamico Buffalmacco, Jugement


Jugement dernier (détail), Giovanni del Ponte, Jugement dernier dernier (détail), Pise, Camposanto,
Sienne, Santa Maria della (détail), Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture murale déposée, 1332-1342.
Scala, peinture murale, peinture sur panneaux, 1465.
1446-1449. 549
Dans les images françaises, la balance, bien centrée au milieu des cortèges, est le point de
départ des deux groupes qui divergent chacun de leur côté vers des destinations opposées et
permet de bien lier l’idée de causes et conséquences : c’est parce qu’ils ont été jugés de la
sorte que les hommes vont soit du côté du paradis, soit du côté de l’enfer. C’est ce que nous
pouvons observer sur le tympan du portail central de la cathédrale de Bourges (1255-1260) :
Michel est le point de départ des deux cortèges, les élus à gauche divergent vers une
représentation du sein d’Abraham, et les damnés divergent vers la gueule du Léviathan
contenant une marmite dans laquelle sont entassés les hommes déchus. La récompense
comme destination s’oppose à l’enfer.
En Italie, le Jugement dernier et les cortèges ne sont pas conçus de la même façon. En
général, comme dans la peinture murale de Buonamico Buffalmacco, si le cortège des damnés
diverge toujours du centre vers la périphérie de l’image où se situe leur destination infernale,
les élus eux, convergent vers le centre car leur récompense n’est plus le lieu paradisiaque mais
la vue du Christ, la « vision béatifique » dont les damnés sont privés. Le paradis comme lieu
ne s’oppose plus à un espace de supplices, la récompense des élus est d’être près de Dieu,
c’est pour cela que les Christ italiens des Jugements derniers conservent une gloire, à travers
leur majesté et la présence de la mandorle, disparue des reliefs français, qui favorisaient la
monstration de l’humanité du Christ. Dans les schémas suivants, inspirés des conclusions de
Jérôme Baschet dans son travail sur les représentations de l’enfer 1842, la différence de mise en
œuvre du Jugement et des cortèges, est flagrante. Pour la France, à partir d’un point central,
les deux groupes divergent chacun vers un pôle positif ou négatif, alors que la vision du
Christ double le point positif. En Italie, le seul point positif central implique que les cortèges
ne divergent plus d’un même point, le premier converge vers le centre où se trouve la
récompense et le second diverge vers sa destination négative.

1843

Fig. 89. Jugement dernier, 1255-1260, Bourges, Buonamico Buffalmacco, Jugement dernier, Pise,
cathédrale Saint-Etienne, portail central, sculpture. Camposanto, peinture murale déposée, 1332-1342.

Dans ce modèle italien, il est alors impossible de centrer une scène de pesée, car cela créerait
un déséquilibre entre les élus se dirigeant vers la balance pour être jugés, et les damnés, s’en
écartant, et ainsi déjà jugés. Ainsi c’est la conception générale du Jugement dernier italien qui

1842
BASCHET, 2014 (1e édition 1993).
1843
Image provenant du site : http://www.amis-cathedrale-bourges.com/index.php?l_idpa=43 .
550
rend impossible la représentation de la pesée comme instrument principal du jugement au
centre du partage. Le rôle de Michel en est modifié : s’il ne peut plus tenir la balance, il
brandit son épée pour repousser les damnés et insister sur la divergence de leur cortège.
Michel récupère alors sa fonction principale en vogue dans l’iconographie italienne en
général : celle du guerrier.
Le signe de la sentence se retrouve principalement dans la figure du Christ, et Michel est le
bras armé de Dieu, c’est lui qui permet l’exécution de la sentence. Michel doit rester aux yeux
des fidèles, un simple exécutant de la justice divine, et c’est dans ce sens que l’on perçoit le
remplacement de la balance par l’épée.
La balance n’est pas pour autant un attribut opposé à celui de l’épée, et sont tous deux
symboles du partage, d’une déchirure de l’humanité en deux parties. Le XVe siècle est
d’ailleurs caractérisé par la réunion de ces deux outils dans les mains de l’archange.

Alors qu’elle était presque totalement absente au XIVe siècle, le retour de la balance
dans les mains de Michel au sein des Jugements derniers est remarquable, puisque qu’elle
figure dans plus de la moitié des peintures de ce thème recensées pour le Quattrocento1844. Il
faut avant tout préciser qu’iconographiquement, le XVe siècle italien en général met à
l’honneur cet attribut pour saint Michel, hors des Jugements derniers, dans tous les contextes
iconographiques1845. Les peintures restantes, sans la balance, appartiennent au type du XIVe
siècle, figurant Michel comme guerrier à l’épée séparateur des élus et des damnés. Dans le
groupe de Michel à la balance, une des images est originale par le type vestimentaire de
l’archange, sa position et sa place dans la composition. Il s’agit de la peinture de la contre-
façade de Santa Maria in Piano de Loreto Aprutino (1429) où il est présenté, en marge de la
scène de jugement à proprement parler, dans un espace paysagé en profondeur, portant la
balance. Dans les plateaux, deux petits personnages sont pesés, alors que d’autres, de taille
supérieure, attendent agenouillés devant l’archange. Derrière ce groupe, une série d’hommes
nus franchissent un pont au-dessus d’une rivière. Certains accèdent à l’autre rive, d’autre
tombent dans le lit du cours d’eau. D’autres groupes sortent de cavernes. Derrière l’archange,
un paysage luxuriant se dessine, dans les arbres desquels grimpent plusieurs personnages. Un
bâtiment, gardé par saint Pierre accueille des hommes vêtus, alors que les trois patriarches
figurent au premier plan. Il s’agit d’une représentation des lieux de l’attente. Aaron
Gourevitch souligne que Grégoire le Grand avait déjà développé ce motif, puisqu’il rapporte
qu’un guerrier mort et ressuscité aurait été pendu à un pont au-dessus d’un torrent noir et
puant, que les justes traversaient sans peine pour arriver dans des prés magnifiques, alors que
les pécheurs tombaient dans la rivière1846. Le pont constitue une première épreuve-évaluation
pour les âmes, puis l’archange régule l’entrée au paradis d’attente, à l’aide de la balance.
Michel est étrangement assis sur un trône et vêtu d’une dalmatique liturgique rouge décorée

1844
Sur les 20 peintures de Jugement dernier du XVe siècle, Michel figure avec la balance dans 10 d’entre elles.
1845
Presque la moitié des peintures de ce siècle que nous avons recensées montre l’archange portant la balance
(contre une sur 5 environ au XIVe). Voir à ce propos le chapitre 2. II.1.1.2. La balance.
1846
GOUREVITTCH, 1982, p. 261.
551
de motifs dorés, qui couvre une aube blanche et un amict. L’archange a la tête tonsurée, cas
unique de notre corpus. L’insistance sur le type clérical de Michel, qui porte tous les éléments
matériels et physiques d’un diacre, met en avant le rôle de médiateur de l’Église dans l’accès
au paradis d’attente entre la mort et le Jugement dernier. Nous reviendrons sur cet aspect dans
le troisième chapitre.

Anonyme, Jugement dernier et Purgatoire (détail), Loreto Aprutino, Santa Maria in


Piano, peinture murale, 1429.

Mais l’instrument de pesée reste porté par l’ange guerrier dans la majorité des cas. Ce n’est
donc pas en tant que simple ange porteur de balance que Michel intervient, il est avant tout un
guerrier ailé qui tient une balance dans la main gauche, et l’épée dans la main droite. Deux
autres images du XVe siècle mettent en scène l’archange de la psychostasie, déterminant avec
sa balance le passage des âmes du Purgatoire vers le paradis d’attente ou leur rejet. Dans un
vaste ensemble d’images de l’au-delà, Michel apparait dans la scène du Purgatoire de la
peinture murale de San Fiorenzo à Bastia Mondovì. Une grande partie de cette scène reçoit
des images des différents supplices reçus par les âmes impures. Au registre inférieur, à droite,
la gueule grande ouverte du Léviathan symbolise le passage vers un enfer définitif, alors que
l’archange, dans le coin supérieur opposé, devant une porte de tour crénelée, garde le passage
du paradis d’attente. Michel est debout devant saint Pierre sur le perron, vêtu d’une armure de
plates et portant une balance. Agenouillé devant lui, un guerrier est présenté par un démon
tacheté. Cet homme a certainement terminé sa peine purgatoire et se présente à l’archange
pour quitter ce lieu de peines transitoires.
L’analyse du Jugement dernier de Tommaso et Matteo Bisaci est plus complexe. Au registre
supérieur, une place fortifiée accueille au centre un Christ dans une mandorle, entouré de
saints et d’hommes élus. À droite de cet ensemble, une zone enflammée où se trouvent des
figures humaines, dont certaines sont sauvées par des anges qui les mènent à un escalier
donnant accès à la porte de la forteresse. C’est une image du feu purgatoire qui nettoie les
âmes imparfaites. À gauche de la place forte, une scène de pesée. Michel en armure porte son
épée et la balance où sont disposées les lettres « m » et « b », symbolisant les bonnes et les
mauvaises actions, également consignées dans des livres tenus par des anges. Un démon
présente un personnage agenouillé, certainement l’homme jugé, alors qu’un second dépose
des damnés dans un trou enflammé à l’aide d’une brouette. Enfin, derrière l’archange, des
petites figures humaines nues sont enfermées derrière une grille. Les registres inférieurs de la
composition développent des images des supplices infernaux. Il est difficile de déterminer si
la scène représentée ici est une pesée des hommes liée au Jugement dernier, ou une pesée des
552
âmes. Le manque de lien avec la zone de purgatoire, laisserait penser à un jugement universel
à la fin des temps, mais le désaxement de l’accès au paradis, ne favorise pas cette hypothèse.
Quoiqu’il en soit, Michel est ici un acteur de la pesée dans l’au-delà.

1
Anonyme, L’enfer (et détail), Bastia Mondovì, San Tommaso e Matteo Bisaci, Jugement dernier (détail),
Fiorenzo, peinture murale, 1472. Albenga, San Bernardino, peinture murale, 1483.

Ces trois témoignages prouvent que l’archange est encore parfois acteur de la psychostasie
dans le contexte d’épisodes de l’au-delà. Dans ce cas, Michel est inséré dans un contexte
spatial précis de la géographie de l’au-delà : la zone intermédiaire entre paradis et enfer. La
référence temporelle est moins précise puisqu’elle se situe entre la mort de chacun et le
Jugement dernier. La balance est l’instrument de cette action.

La pesée est rarement insérée dans un Jugement dernier à proprement parler. Dans la peinture
de la contre-façade de la chapelle Santa Stefano de Soleto, peinte dans la deuxième partie du
XIVe siècle, Michel apparait au centre de la composition en tant que personnage principal de
ce jugement, étant donné que la figure du Christ en buste est rejetée sur les bords de la fenêtre
en rosace qui occupe le centre du registre supérieur. Dieu est ici davantage lumière que signe
graphique. Le rôle de l’archange s’en retrouve rehaussé puisqu’il est le seul personnage au
centre de la composition sur le plan principal de l’image. Plus que jamais il marque l’axe de
division de l’au-delà bipolaire. Il est vêtu d’une armure de plates qui recouvre son corps dans
son intégralité. Il porte la balance dans les plateaux desquels se trouvent deux petits hommes,
et présente l’épée. La pesée a bien lieu ici dans le contexte du Jugement dernier, et l’archange
est dans son rôle de surveillant armé de la balance, même s’il n’intervient pas au moment de
la représentation, son épée sortie du fourreau atteste qu’elle est prête à être utilisée à
n’importe quel moment.
Pourtant, dans les Jugements derniers du XVe siècle, la majorité des peintures de Michel ne
met pas en scène une pesée malgré la présence de la balance, qui est souvent de taille réduite
avec les plateaux vides et qui n’est pas au centre de l’attention des acteurs de la séparation.
Dans la peinture murale de la chapelle Bolognini peinte par Giovanni da Modena en 1410,
Michel est au centre de la composition, toujours dans l’axe vertical créé par la mandorle
divine, et également entre les deux registres superposés, celui de l’enfer et celui du paradis qui
détermine un nouvel axe horizontal dans la représentation de l’au-delà. Michel est, comme à
Soleto, un guerrier vêtu d’une armure contemporaine, et porte toujours la balance et l’épée. Sa
tête et son buste appartiennent au registre supérieur, mais ses jambes sont dans la partie

553
infernale pour fouler aux pieds le démon qui tente d’accrocher à l’aide d’une barre de fer, l’un
des plateaux de la balance et Michel l’éloigne avec son épée. Pourtant, les plateaux sont vides
et la balance évoque l’idée du jugement sans être un instrument de pesée. Cet aspect est
encore plus évident dans la peinture murale de San Giorgio in Campochiesa d’Albenga :
Michel, au centre, en position frontale et vêtu d’une armure de plates, porte l’épée et la
balance vide que rien ne vient perturber, ni un petit personnage pesé, ni un démon.

Anonyme, Jugement dernier (détail), Soleto, chapelle Giovanni da Modenna, Anonyme, Jugement
Santo Stefani, peinture murale, 2e ½ du XIVe. Jugement dernier (détail), dernier (détail), Albenga,
Bologne, cathédrale San église San Giorgio in
Petronio, chapelle Bolognini, Campochiesa, peinture
peinture murale, 1410. murale, 1446.

Ce type correspond davantage aux représentations de l’archange en état, sur les panneaux
peints à la même période. Il ne s’agit en tout cas pas d’une image de pesée ni des âmes ni des
hommes ressuscités, mais d’une représentation de l’archange en pied dont l’un des attributs
est la balance, agrémentée ou pas des accessoires qui la définissent. L’instrument de pesée est
devenu un attribut dans les épisodes eschatologiques, permettant de reconnaitre plus
facilement l’archange et la nature de sa mission dans la scène : la séparation des bons et des
mauvais. À la fin du Moyen Âge, si la balance refait surface, la pesée des âmes elle n’est
presque plus représentée. Et c’est plus souvent l’épée qui reste, comme au XIVe siècle,
l’instrument de séparation des élus et des damnés. Mais l’épée peut, elle-même, être un
simple attribut, symbole au même titre que la balance. Dans une scène de Jugement dernier,
l’association épée / balance peut signifier en même temps la sentence et l’impartialité de la
justice mais aussi la force exécutive de cette sentence qui permet littéralement de « trancher ».
D’ailleurs les deux attributs sont également réunis dans l’iconographie de l’allégorie de la
Justice1847.
Ce changement de statut de l’objet balance - de l’instrument de l’action au simple signe
iconographique - est accompagné d’une limitation de l’action en général pour Michel.
L’archange est plus souvent en position frontale qu’au XIVe siècle, il est davantage un
surveillant passif. L’inutilisation de la balance dans les Jugements derniers italiens du XVe
siècle, peut également être interprétée comme le signe que le moment du rachat est terminé. Si
elle est devenue au XIIIe siècle en Italie, un symbole du jugement immédiat de l’âme après la
1847
Voir à ce propos le chapitre 2. II.1.1.2.3. L’utilisation de la balance par Michel : un symbole ou un
instrument de pesée ? ; et notamment la sous-partie L’arme et la balance : symbole de l’archange, symbole de
justice.
554
mort, elle demeure vide au moment de la fin des temps car son utilisation n’est plus effective.
Elle n’est qu’un rappel, au sein du Jugement dernier, du premier jugement qui a eu lieu dans
une temporalité maintenant révolue.

La psychostasie en dehors des épisodes de l’au-delà : le miracle du calice d’or de saint


Laurent

Lorsque la balance est utilisée par Michel dans les scènes que nous venons de décrire,
elle met en scène une pesée, des âmes ou des hommes, qui détermine l’accès aux différents
espace de l’au-delà, généralement figurés à proximité de l’archange. Un épisode, présent deux
fois dans notre corpus, semble pourtant situer cette pesée près du lit du défunt, Henri II. À la
mort du saint empereur, des démons, venus réclamer son âme, sont mis en déroute par
l’intervention de saint Laurent, qui place dans un des plateaux, une coupe d’or offerte par
l’empereur à l'église d'Eichstat en son honneur, car Henri vouait un culte particulier au martyr.
Ce don, considéré comme une bonne action, et l’aide du saint, permettent donc d’assurer à
l’empereur les voies du paradis1848. Cet épisode est représenté en trois scènes sur les parois du
narthex de la basilique San Lorenzo fuori le mura de Rome, à la fin du XIIIe siècle. La
première figure la mort de l’empereur, la deuxième la pesée de ses actions et la troisième
l’intervention de saint Laurent. Dans la deuxième, un ange vêtu en général romain tient la
balance, dont les plateaux sont chargés de pancartes avec des textes qui représentent les
bonnes et les mauvaises actions du défunt. Quatre démons perturbent le bon déroulement de
la pesée, alors que l’ange porteur de balance les écarte à l’aide de sa lance. Il s’agit sans aucun
doute ici de l’archange Michel, même si son intervention n’est pas citée dans la légende. La
troisième scène représente certainement la venue de saint Laurent, mais la peinture est trop
endommagée pour être correctement lisible. Michel apparait ici dans son rôle classique de
protecteur armé de la balance. La seconde image de la légende prend place sur une prédelle de
la Pala Strozzi d’Andrea di Cione. Le cadre de l’image comprend au centre une représentation
de la mort de l’empereur, à gauche la pesée de ses actions et à droite un paysage rocailleux
dans lequel un démon repart bredouille, sans l’âme d’Henri. Dans la scène de gauche, un ange
en vol porte la balance et brandit une épée. Saint Laurent est également en vol, en train de
déposer la coupe dans le plateau. Trois démons attendent le verdict de la pesée. L’ange
porteur de balance est vêtu d’une aube simple qui fait porter un doute sur l’identification
michaélique. Pourtant l’archange figure en état, comme saint Laurent, sur l’un des panneaux
du polyptyque, mais il n’y porte que l’épée et pas la balance et est vêtu en guerrier. Cet écart
vestimentaire augmente nos doutes puisque le saint martyr porte, lui, la même tenue sur le
panneau principal, et dans la scène de la prédelle. Dans tous les cas, si l’ange du miracle n’est
pas Michel, il lui a emprunté ses attributs principaux et son attitude de protecteur de la
balance contre les démons.

1848
Cette légende est relatée dans la Chronique de Léon d'Ostie (†1115) puis reprise par Jacques de Voragine
dans la vie de saint Laurent de la Légende dorée, 1967, pp. 68-82.
555
Anonyme romain, Légende du calice d’or (et détail), Rome, Andrea di Cione, Mort d’Henri II, Pala
San Lorenzo fuori le mura, peinture murale, 1290-1300. Strozzi (détail), Florence, Santa Maria
Novella, peinture sur panneaux, 1354-1357.

Le rôle acquit par l’archange dans les épisodes de l’au-delà l’assigne généralement aux scènes
mettant en scène une pesée, ou en font un modèle iconographique pour les anges porteurs de
balance. Mais les textes bibliques et apocryphes le chargent également d’une mission plus
générale d’accompagnateur des âmes dans l’au-delà, thème parfois à l’origine de
représentations figurées.

L’archange psychopompe

Dans l’art paléochrétien, les anges sont déjà des accompagnateurs des défunts alors
qu’ils sont toujours aptères1849. Saint Michel porte également cette fonction funéraire dès les
origines de son culte, comme dans le Michaelion, mausolée construit pour le fils Michel de
Constantin1850. Pourtant ce rôle tient peu de place dans l’iconographie michaélique. Dans les
représentations en état, une seule peinture figure Michel protégeant des âmes
indépendamment de la balance : celle de Lazzaro Bastiani en 1495, où l’archange, tout en
transperçant un démon de sa lance, tient une âme dans son drapé alors qu’une autre cherche sa
protection à ses pieds. Nous avons recensé cinq peintures de l’archange en scène dans son rôle
psychopompe.
Dans la peinture murale de la chapelle San Galgano de Chiusdino, Ambrogio Lorenzetti a
représenté saint Galgano qui offre à la Vierge, figurant sur le mur attenant, une maquette du
Mont Siepi transpercé par une épée. Il est introduit par Michel, dont les vêtements ne sont pas
identifiables1851, mais dont le fourreau dépasse de la silhouette. L’archange indique de son
bras droit la Vierge au saint. Derrière ce couple, un groupe de saints, en partie visible
seulement, est encadré d’anges et suit Galgano en cortège. Michel est identifiable par sa
qualité d’ange armé, par le fait qu’il apparaisse comme un saint guerrier par excellence, digne
d’introduire d’autres saints guerriers près du couple divin, et par la présence d’une scène de
son apparition à Rome juste en-dessous de cette lunette. Il est ici un accompagnateur d’un
défunt, élevé au rang de saint.

1849
BISCONTI, 2000, p. 108.
1850
MARTENS, 1978, p. 157.
1851
Peut-être s’agit-il d’une aube, ou, plus vraisemblablement un manteau qui recouvre une tenue de guerrier.
556
Ambrogio Lorenzetti, Saint Galgano offre son épée dans la roche à la Vierge,
Chiusdino, San Galgano, peinture murale, 1334.

Dans l’iconographie médiévale, le rôle psychopompique de Michel est surtout lié aux images
de la mort et de la dormition de la Vierge. Selon Jacques de Voragine, trois jours après sa
mort, le Christ et une cohorte angélique retournent au sépulcre où les apôtres veillent sur le
corps de la Vierge et demandent la résurrection de la Vierge. Ils sont alors rejoints par
l’archange Michel, le céleste psychopompe, qui présente l’âme de sa mère au Christ 1852. Dans
une prédelle de Lippo Vanni, datée entre 1350 et 1360, le Christ porte l’âme de la Vierge au
centre, devant son corps inerte, et les apôtres éplorés, entouré d’anges, dont Michel, que l’on
distingue de ses homologues célestes par le port de l’épée. Si l’archange ne porte pas l’âme
directement, il montre qu’il garantit la sécurité des routes de l’au-delà grâce à son épée. Il
porte également dans sa main gauche un autre objet, que nous ne pouvons identifier. Une
autre prédelle, un peu plus tardive, peinte par Simone di Filippo, présente trois épisodes
autour de la mort de la Vierge. Dans le premier, l’âme de Marie est récupérée par un ange
muni d’une épée, qui représente certainement Michel psychopompe.

Lippo Vanni, Dormition de la Simone di Filippo, Épisodes de la vie de la Vierge (détail), Bologne,
Vierge, inconnue, peinture sur Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1396-1398.
panneaux, 1350-1360.

Enfin, les deux dernières peintures à figurer l’archange en scène pour la protection de défunts,
sont encore deux représentations d’un épisode lié à la mort de la Vierge, relaté dans
l’Apocryphe de la Dormition de Marie du Pseudo-Jean, qui dit :
« Et voici, alors qu’ils le portaient [corps de la Vierge], qu’un Hébreu du nom de Jéphonias,
vigoureux de corps, s’élança et saisit la bière portée par les apôtres. Et voici qu’un ange du
Seigneur, par une force invisible, avec une épée de feu, lui trancha les deux mains, les laissant
pendre en l’air auprès de la bière. »1853.

1852
FRUGONI, 2010, p. 279.
1853
Écrits apocryphes chrétiens, 1997, p. 183, chapitre 46. Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.2.6. Le Livre du
557
Cet « ange du Seigneur » animé « par une force invisible », et armé d’« une épée de feu » est
représenté par un archange guerrier, brandissant son arme contre l’Hébreu, pour lui couper les
mains aux pieds de la bière mariale. Il s’agit bien sûr du modèle michaélique, auquel la scène
est attribuée. Les deux peintures anonymes d’Avignon et de Naples, figurent de la même
façon l’archange au premier plan de l’image, de profile, devant le corps de la Vierge. Il porte
une tenue de général romain, réalise une flexion de la jambe pour s’avancer en direction des
mains de Jéphonias qui tentaient de renverser la défunte et les lui trancher de son épée.

Anonyme, Dormition de la Vierge, Avignon, Musée du Peintre napolitain, Dormition de la Vierge, Massaquano,
Petit Palais, peinture sur panneaux, 3e ¼ du XIVe. chapelle Santa Lucia, peinture murale, fin XIVe.

S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une scène de transport d’âmes sur les routes de l’au-
delà, Michel intervient ici comme protecteur des défunts, non contre les démons, mais contre
un païen qui tient lieu de figure du mal.
La fonction psychopompique de l’archange est courante dans les Apocryphes et la littérature
liturgique, mais elle apparait rarement dans l’iconographie italienne de la fin du Moyen Âge.

II.2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint Michel

Malgré son appellation de « saint », et la place similaire qu’il occupe souvent dans les
images avec les hommes canonisés, l’archange n’a pas eu de vie terrestre, et donc pas de
Vitae rédigée pour rappeler les différents épisodes de son existence et servir de base à une
iconographie narrative et édifiante. Pourtant, ses passages sur terre, sous la forme
d’apparitions miraculeuses, ont un rôle fondamental pour les grands sanctuaires dédiés à
l’archange puisqu’ils sont à la base de leur légitimité1854. Ils sont donc consignés dans des
recueils, le Liber de apparitione Sancti Michaelis in Monte Gargano pour le Mont Gargan, la
Revelatio ecclesiae sancti Michaelis, au Mont-Saint-Michel, Chronica monasterii Sancti
Michaelis Clusini, pour la Sacra di San Michele près de Turin1855, et sont à la base d’une
iconographie narrative.

passage de la Très Sainte Vierge Marie.


1854
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 3.1. Histoire et géographie du culte michaélique en Occident.
1855
À propos de ces légendes, voir le chapitre 1. II.3. Le culte de saint Michel en Occident.
558
Selon Pina Belli D’Elia1856, dès l’époque caro-ottonienne, les images de la légende du Mont
Gargan se développent, ensuite réunies à celles des autres apparitions, avec une certaine
intensification entre le XII et le XVe siècle, partout en Occident, en Italie bien sûr, mais
également en France, et surtout en Espagne où elles connaissent un succès particulier sur les
polyptyques catalans. En Italie, les épisodes peuvent également figurer dans une prédelle de
polyptyque, ou peinte sur mur dans une chapelle ou une église dédiée à l’archange.
Contrairement aux épisodes eschatologiques, qui constituent une grande partie des
représentations en scène de l’archange, les images des apparitions de Michel sont l’illustration
d’un épisode passé, qui a une relation claire à un récit situé précisément dans le temps et
l’espace. Ces épisodes sont représentés dans vingt peintures, murales ou sur panneaux,
mettant en scène l’archange dans un ou plusieurs épisodes se déroulant en Italie ou en France,
qui sont réparties uniformément sur le XIVe et le XVe siècles1857.

Les épisodes du Mont Gargan

L’épisode du taureau du Mont Gargan est le plus courant en Italie, car il est à l’origine
de la fondation du sanctuaire, qui connait un succès remarquable au Moyen Âge et dont le
développement du pèlerinage dans tout l’Occident en est la preuve la plus flagrante 1858. Il ne
figure pourtant pas l’archange sous sa forme habituelle d’homme ailé, mais sa présence est
évoquée par le taureau qui indique la grotte qu’il a choisi, qui sera à la base de futur
sanctuaire. Il comprend trois éléments indispensables : la taureau, une cavité rocheuse
surélevée et Gargan tirant sa flèche en direction du bovin. Neuf des quinze épisodes du
taureau recensés figurent simplement ces trois éléments. Le taureau se retrouve au registre
supérieur, dans le coin supérieur droit ou gauche, ou au milieu, sur un promontoire rocheux
symbolisant le Mont Gargan, le plus souvent dans une cavité, conformément au récit de
l’Apparitio. Autour du mont, un paysage se développe parfois en fond, mais la scène peut
également apparaitre sur un fond doré, comme dans le panneau de Taddeo di Bartolo, ou
neutre, comme dans la peinture de Coppo di Marcovaldo. La peinture murale d’Antoniazzo
Romano et de Melozzo da Forli, développe un paysage particulièrement détaillé, comprenant
images de campagne avec des scènes de troupeau, paysage maritime et représentation de la
ville, surement Siponto. Gargan se trouve la plupart du temps au registre inférieur
accompagné de deux à quatre personnages masculins. Il est généralement représenté en train
de bander son arc, alors que la flèche est parfois déjà figurée en train de revenir sur son
propriétaire, grâce à l’intervention miraculeuse de l’archange. Dans la peinture de Coppo di
Marcovaldo, Gargan bande son arc pour lancer la flèche, alors qu’une seconde est déjà figurée
en train de se planter dans sa jambe. Dans la prédelle de Priamo della Quercia, le bras est
encore levé mais Gargan a lâché la corde, la flèche vient de partir et elle est encore

1856
BELLI D’ELIA, 2000, p. 124 et 1994, pp. 575-618.
1857
Nous avons recensé une seule peinture d’apparition pour le XIIIe et une pour le début du XVIe siècle.
1858
À propos du récit de ces épisodes et du développement du culte michaélique à partir du Mont Gargan, voir le
chapitre 1. II. 3.1.1.1. La migration du culte michaélique d’Orient vers Occident.
559
représentée deux fois : une première au moment où elle se courbe à mi-chemin pour faire
demi-tour, et une seconde, au moment où elle atteint le torse du tireur. Dans le panneau de
Taddeo di Bartolo, le moment représenté est légèrement postérieur puisqu’il représente
l’instant ou Gargan tombe suite au retour de la flèche dans son cœur. Dans la majorité ces
images narratives, le dédoublement de la flèche ou le décalage entre le geste de Gargan et la
trajectoire de la flèche, indiquent un lien de causalité rendu par la simultanéité de différents
moments dans une image unifiée1859. Un épisode du début du XVIe siècle représente en plus
du taureau, une figure de l’archange, vêtu en général romain et portant son épée et le globe. Il
est la preuve visuelle que le miracle est de son fait.

Coppo di Marcovaldo, Saint Michel Taddeo di Bartolo, Vierge à l'Enfant et Priamo della Quercia,
et légendes (détail), San Casciano Val saints (détail), Volterra, Pinacoteca Miracles de saint Michel
di Pesa, Museo d’Arte Sacra, peinture Civica, peinture sur panneaux, 1411. (détail), Lucques, Museo
sur panneaux, 1250-1255. Nazionale, peinture sur
panneaux, 1430.

Antoniazzo Romano et Melozzo da Forli, Légendes de saint Lo Spagna, Miracle du taureau, Gavelli,
Michel, Rome, Santi Apostoli, peinture murale, 1464-1468. San Michele, peinture murale, 1518.

Dans cinq images, l’épisode du taureau est complété par celui de la procession de la
population de Siponto, menée par son évêque jusqu’à la grotte du taureau pour reconnaître
l’endroit où ils bâtiront le sanctuaire dédié à Michel. Dans la peinture murale attribuée à
Jacopo del Casentino et dans la prédelle de Cenni di Francesco di Ser Cenni, l’archange
apparait en vol au-dessus du relief et indique au groupe l’endroit de la grotte, encore occupée
dans l’image par le taureau, impliqué dans l’épisode qui se trouve dans l’autre partie de la
composition. Les éléments relatifs à l’épisode du taureau sont les mêmes, mais le taureau dans
sa grotte est toujours au centre supérieur de l’image, Gargan est toujours à gauche, et dans
trois des quatre peintures, il se retrouve seul, ou accompagné d’un chien dans le panneau de
Cenni di Francesco di Ser Cenni. Dans le panneau le plus tardif de cet ensemble, Gargan
ressemble étonnamment à un soldat romain, au crâne dégarni. Le groupe de la procession
figure dans le coin inférieur gauche. Il est constitué de clercs et de laïcs, les mains jointes en
prière, parfois agenouillés, menés par un évêque. La nature de ce groupe est confirmée par la

1859
GARNIER, 1989, vol. 2, p. 48.
560
présence dans chaque image d’une grande croix processionnelle portée par un membre du
groupe, parfois ornée d’une bannière.

Jacopo del Casentino, Miracle Cenni di Francesco di Ser Cenni, Bicci di Lorenzo, Annonciation et saints
du taureau, Florence, Santa Miracle du taureau, Philadelphia, (détail), Sita, Santa Maria Assunta,
Croce, peinture murale, 1e ¼ Museum of Fine Art, peinture peinture sur panneaux, 1414.
du XIVe. sur panneaux, 1385.

Le lien de causalité entre l’apparition du taureau et la fondation d’un sanctuaire à Michel par
le peuple de Siponto est ici prégnant, toujours grâce au moyen de la représentation d’épisodes
simultanés dans un espace unifié. Ce lien de cause à effet est d’autant plus évident dans la
peinture d’Agnolo Gaddi, car le taureau se retrouve derrière une église, représentation du
futur sanctuaire dédié à Michel. Lorsque l’archange est figuré sous la forme d’un petit ange en
vol, il tient lieu de guide à la procession et simultanément d’intervenant miraculeux dans
l’épisode du taureau. Dans la peinture murale de Santa Maria del Parto à Sutri, ce n’est plus
une procession qui est représentée à côté de Gargan aux trois flèches plantées dans le corps,
mais un groupe de pèlerins en chemin vers la grotte-sanctuaire, unissant ainsi deux épisodes
très éloignés dans le temps, mais dont le premier justifie le second. Cette représentation
permettait de lier dans une même image les récits de fondation du sanctuaire et l’action des
pèlerins contemporains à la réalisation de la peinture, pèlerins qui se trouvaient alors joints à
l’histoire du lieu.
Cette réunion synthétique de plusieurs épisodes dans une même image est fortement liée à une
tendance générale qui prédomine dans la peinture narrative italienne du XIVe siècle,
largement influencée par la Légende dorée de Jacques de Voragine1860.

Agnolo Gaddi, Miracle du taureau, New Anonyme, Miracle du taureau (et détail), Sutri,
Haven, Yale University Art Gallery, peinture Santa Maria del Parto, peinture murale, XIV-XVe.
sur panneaux, 1380.

Les épisodes romains

1860
BELLI D’ELIA, 2003, p. 528.
561
L’épisode romain est représenté neuf fois dans notre corpus. Il met en scène la
procession entreprise par Grégoire le Grand en 590 pour mettre fin à l’épidémie de peste qui
sévissait à Rome et le moment où apparait, aux yeux du groupe processionnel, Michel sur le
mausolée d’Hadrien, qui remet son épée dans son fourreau pour signifier la fin de
l’épidémie1861. Ce récit de l’apparition de Michel à Rome a certainement participé au succès
de la militarisation de sa figure au Haut Moyen Âge et de son iconographie. Dans les images
italiennes, les éléments de base de la figuration de cet épisode sont un groupe de personnages
guidé par un pape, un bâtiment à plan centré au sommet duquel Michel remet l’épée dans son
fourreau. Les éléments représentant la ville sont également courants, soit sous la forme d’une
enceinte fortifiée, soit sous la forme d’une multiplication de bâtiments représentant les grands
monuments romains.
L’archange apparait généralement en guerrier romain : sa silhouette est marquée par la
présence d’un plastron et d’une jupe à ptéryges et parfois d’une cape comme dans la prédelle
d’un polyptyque d’Agnolo Gaddi. Cette référence au costume romain est courante dans
l’iconographie michaélique, mais elle prend ici une dimension philologique, puisqu’il apparait
en guerrier romain dans la ville qui est à l’origine de ce type vestimentaire. Le saint Michel du
panneau du Louvre de Giovanni di Paolo garde les éléments romains de son vêtement, mais
porte également des éléments de protection en métal sur les bras et les jambes, et un casque
qui contribuent à rendre son image plus contemporaine. Une seule image présente l’archange
entièrement vêtu d’une armure de plates, mais il s’agit du cas particulier de Castelsantangelo
sul Nera, sur lequel nous reviendrons plus loin. Michel est généralement debout sur le
bâtiment représentant le mausolée d’Hadrien, en train de remettre son épée dans son fourreau,
conformément au miracle. Cette position est, par exemple, adoptée dans un détail de la
prédelle de Priamo della Quercia : Michel tient son fourreau de la main gauche et lève la
poignée de l’épée avec la main droite, alors que sa pointe est déjà insérée dans l’extrémité de
son étui. Ce thème de la remise de l’épée dans son fourreau dans le contexte de l’apparition
romaine, est certainement à l’origine de certaines positions de l’archange dans les images de
Michel en état ou il manipule l’étui de son arme1862. Dans la prédelle d’Agnolo Gaddi, il n’a
pas encore rangé son arme, mais la tient verticalement, et sa main gauche a déjà saisi le
fourreau pour le rapprocher de la lame. Saint Michel semble attendre le recueillement total du
groupe processionnel à genoux devant lui. Cette épée présentée droite est encore le signe de la
punition divine, mais la préparation du fourreau indique que les prières du pape et des fidèles
ont été entendues.

1861
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 3.1.1.2. La diffusion du culte michaélique en Italie.
1862
Maria Mercalli insiste sur l’autonomisation du thème de la remise de l’épée dans son fourreau comme signe
de la fin de la peste dans d’autres contextes figuratifs que celui de l’épisode romain, et même porté par d’autres
anges. L’ange à l’épée et au fourreau devient au XVIIe siècle une figure symbolique dans les scènes de peste.
MERCALLI, 1987, p. 108 et 110.
562
Agnolo Gaddi, Apparition Giovanni di Paolo, Pseudo Paolo di Giovanni da Priamo della Quercia,
à Rome (détail), Rome, Apparition à Rome Visso, Apparition à Rome Apparition à Rome
Pinacoteca Vaticana, (détail), Paris, Louvre, (détail), Castelsantangelo sul (détail), Lucques, Museo
peinture sur panneaux, peinture sur panneaux, Nera, Municipio, peinture Nazionale, peinture sur
1380-1390. 1465-1470. murale, 1440-1480. panneaux, 1430.

Le groupe processionnel est généralement assez dense, et constitué de clercs et de laïques,


conduits par le pape, qui ouvre le plus souvent la marche. Ce dernier peut apparaître sous des
traits individualisés ou parfois simplement évoqués, comme dans la prédelle d’Agnolo Gaddi,
où seule la coiffe et le nimbe du saint pape dépasse de la foule. Notons que cette image figure
l’évêque de Rome portant la mitre et non la tiare, comme c’est le cas par exemple dans la
peinture de Giovanni di Paolo, qui se distingue par la richesse et le décorum qui entourent la
figure papale. Dans cette peinture, la procession semble être constituée uniquement de clercs,
mais la mixité de statuts est généralement de mise dans ce genre de représentation, où le
groupe doit être à l’image du peuple de Rome, et donc comporter également des laïcs,
hommes et femmes, non sans une certaine hiérarchie, comme dans la peinture murale de
Spinello Aretino, où chaque homme prend place en fonction du statut qu’il occupe dans la
société, pape en tête et laïcs bien derrière. Le groupe est généralement en arrêt, fasciné par
l’apparition soudaine dont il a la vision, ou déjà agenouillé et en prière, comme dans le
panneau d’Agnolo Gaddi. Mais la procession peut également être figurée en train de se
mouvoir, comme dans le panneau de Giovanni di Paolo, ce qui, avec les insignes, détermine
finalement visuellement le mieux une procession. Les insignes de processions sont toujours
présents dans ces images, sous la forme de croix, de bannières ou de peintures. La
représentation du cortège processionnel et de Rome semble parfois avoir pris le dessus sur la
vision de l’archange, représenté en petit, figurant comme écrasé, dans la peinture murale de
Benedetto di Bindo, par l’arc de la chapelle qui sert de cadre à l’image.

Giovanni du Paolo, Agnolo Gaddi, Spinello Aretino, Apparition à Rome Benedetto di Bindo,
Apparition à Rome, Apparition à Rome (détail), Arezzo, San Francesco, Apparition à Rome,
Paris, Louvre, (détail), Rome, peinture murale, 1404. Sienne, Duomo,
peinture sur Pinacoteca Vaticana, peinture murale,
panneaux, 1465-1470. peinture sur 1409-1412.
panneaux, 1380-1390.

563
Le mausolée d’Hadrien est un édifice à plan centré de forme carrée ou circulaire, comprenant
en son centre une ou plusieurs tours elles-mêmes circulaires ou carrées, dont la plus haute est
occupée par l’archange. Francesco Pagano en donne une version particulièrement réaliste et
détaillée, sur laquelle on peut même voir la loggia, les fenêtres et un arbre posé sur la terrasse.
La ville de Rome peut être figurée de manière plus ou moins détaillée, comme une enceinte
fortifiée, ou par un ensemble de monuments, comme dans la peinture murale de Spinello
Aretino. Dans cette image, les monuments sont principalement des églises, des basiliques,
peut-être celle de Saint-Jean-de-Latran ou de l’ancienne Saint-Pierre, mais également la
pyramide de Cestius de la porta di San Paolo. Dans le petit panneau du Louvre, Giovanni di
Paolo a peint le pont qui franchit le Tibre et qui mène au mausolée d’Hadrien, puisque c’est
au moment de ce franchissement que le groupe processionnel est censé avoir vu
l’archange1863.

Francesco Pagano, Trittico Spinello Aretino, Apparition à Rome (détail), Giovanni du Paolo,
dei Santi (détail), Naples, Arezzo, San Francesco, peinture murale, 1404. Apparition à Rome, Paris,
Sant’Omobono, peinture Louvre, peinture sur
sur panneaux, 1492. panneaux, 1465-1470.

Dans cet épisode, malgré l’action qu’il exécute, Michel semble immobile, comme suspendu
dans le temps au-dessus du groupe vivant des hommes. La tour du Mausolée constitue un
piédestal qui fige sa figure dans l’espace, impression encore accentuée par la petite taille de sa
représentation et le développement important du motif de la procession. La narrativité
importante de cette scène n’est pas ici assurée par l’image de l’archange.
Dans trois peintures murales, la place de la procession est moindre, voire inexistante, ce qui
modifie considérablement le degré de narrativité de l’image. Dans la première, peinte par
Ambrogio Lorenzetti sur les murs de la chapelle San Galgano de Chiusdino, quelques
personnages figurent à l’extrémité gauche de l’image, mais la place importante de
l’architecture, la petite taille de la figure michaélique et la discrétion de la procession,
participent à la figuration d’un paysage urbain qui semble désert et calme. Dans les deux
autres peintures murales, la procession est totalement absente : Michel apparait bien au
sommet du Mausolée d’Hadrien en train de remettre son épée dans son fourreau, Rome est
figurée sous la forme classique d’une enceinte fortifiée et d’autres monuments dont la
pyramide de Cestius, mais aucun saint pape ni aucun autre personnage ne vient animer la
partie inférieure de l’image. Michel, objet de la vision, suffit à figurer la scène de son
apparition sur un édifice reconnaissable et reconnu, permettant ainsi de situer son action dans

1863
MARA Maria Grazia, 1967, op. cit., p. 422 ; BAUDOT Marcel, 1971, op. cit., p. 20.
564
l’espace, mais également dans le temps. L’archange est bien alors en scène, même s’il est
figuré seul et avec peu d’action, dans une composition minimaliste, mais suffisante, comme
dans les épisodes voisins peints également par Biagio di Goro Ghezzi (celui du taureau et du
combat contre le dragon). La figuration des acteurs qui reçoivent cette vision, témoins du
miracle, ne sont alors pas indispensables et l’on peut même estimer qu’ils sont remplacés par
le spectateur qui regarde la peinture, qui devient alors lui-même acteur de cette vision peinte.
La troisième et dernière image de l’apparition de Michel sur un édifice architecturé, pose un
certain nombre de soucis d’identification. À priori, il s’agit d’une scène similaire à celle
présente dans la peinture précédente, et ce n’est pas tant l’absence de la procession, qui n’est,
nous venons de le voir, pas indispensable pour figurer cette scène, qui pose problème, mais
plutôt la posture de Michel par rapport à la tour. L’archange apparait bien au-dessus d’une
tour carrée, mais il ne pose pas les pieds dessus, comme dans toutes les autres images. Il
effleure de sa main gauche le toit pointu de cette tour, alors qu’il est partout figuré plat,
conformément à son aspect réel. L’épée est tenue verticalement sur l’épaule de l’archange,
comme c’est également le cas parfois dans l’épisode romain, mais ici le fourreau n’est pas
préparé, et même pas figuré. Tous ces éléments nous invitent à estimer davantage cette
peinture comme une représentation originale de l’archange en tant que protecteur de la ville
dans laquelle a été réalisée cette peinture et dont Michel était le saint patron principal :
Castelsantangelo sul Nera.

b
Ambrogio Lorenzetti, Apparition à Biagio di Goro Ghezzi, Apparition à Pseudo Paolo di Giovanni da
Rome, Chiusdino, San Galgano, Rome (détail), Paganico, San Michel, Visso, Apparition de Michel
peinture murale, 1334-1336. peinture murale, 1368. (détail), Castelsantangelo si Nera,
Minicipio, peinture murale,
1440-1480.

Les épisodes du Mont-Saint-Michel

Seules trois images de notre corpus font référence au Mont-Saint-Michel : une image
représente une procession au Mont, et deux autres, le miracle de l’accouchée. Dans le premier
cas, il s’agit d’une peinture murale peinte dans la chapelle du cardinal Bessarione de l’église
dei Santi Apostoli de Rome, par Antoniazzo Romano et Melozzo da Forli. Elle met en scène
le départ de la procession de saint Aubert, en direction du Mont, figurant dans la partie droite
de l’image, où un taureau accroché à un arbre, représenté ici dans le coin supérieur droit,
détermine l’endroit où Michel a ordonné l’évêque d’Avranches de lui construire un
sanctuaire. Le lien entre légende de fondation du Mont Gargan et du Mont-Saint-Michel est

565
ici prégnant. Mais le taureau est secondaire dans l’image, et l’attention se concentre sur le
groupe processionnel, constitué de clercs, de prélats, de franciscains, de moines orientaux et
de laïcs, à l’arrière du cortège. Les deux dignitaires derrière saint Aubert représentent
François della Rovere, futur pape Sixte IV et son neveu Giuliano Della Rovere, futur pape
Jules II. La diversité du groupe est illustrée par la présence d’un enfant apparaissant au milieu
des jambes des laïcs. Le paysage situe clairement la scène dans l’ouest de la France puisqu’il
représente, au centre, le golfe de Saint-Malo. Dans cette scène, Michel ne figure qu’à travers
la présence du taureau, largement désaxé par rapport au reste de la composition. Le véritable
héros de cette peinture est le saint évêque d’Avranches, et porte, davantage qu’une preuve de
dévotion à l’archange, un rôle politique majeur dans la carrière du cardinal Bessarione, dont
nous reparlerons plus tard.

L’épisode du miracle de l’accouchée n’est jamais représenté en Italie d’une manière isolée.
Dans les deux que nous avons recensés, il est toujours figuré dans une série d’images
d’apparitions de Michel, et notamment proche du miracle du taureau. Cet épisode est relaté
dans les Miracula sancti Michaelis, qui regroupent les miracles réalisés par l’archange depuis
les origines de la fondation du Mont jusqu’en 10501864. L’un d’entre eux évoque
l’intervention de Michel auprès d’une femme prise par les eaux de la marée alors qu’elle était
en train d’accoucher. Ce n’est pas un récit lié à la fondation du Mont normand. Dans la
prédelle d’Agnolo Gaddi, et de Priamo della Quercia, la femme portant son enfant déjà né et
accompagnée d’une autre femme, est guidée par un petit ange en vol, vêtu de la dalmatique et
du pallium, ou d’une simple aube, vers un édifice religieux à trois nefs. Dans la seconde
peinture, l’autel est visible dans l’abside de l’édifice. La figuration du paysage est limitée à la
présence de relief dans le fond de l’image. Dans la première représentation, l’ange a aménagé
un chemin en direction du sanctuaire, à travers les eaux, pour que les deux femmes puissent
marcher au sec. Dans la seconde, les eaux semblent déjà s’être retirées. Michel apparait selon
les mêmes modalités que dans l’apparition au Mont Gargan lors de la procession : il est un
petit ange volant en buste dont le corps se fond dans les airs. Il est le guide des fidèles vers les
sanctuaires qui lui sont dédiés.

Antoniazzo Romano et Melozzo da Agnolo Gaddi, Miracle de Priamo della Quercia, Miracle
Forli, Légendes de saint Michel l’Accouchée, New Haven, Yale de l’accouchée, Lucques,
(détail), Rome, Santi Apostoli, University Art Gallery, peinture Museo Nazionale, peinture sur
peinture murale, 1464-1468. sur panneaux, 1380. panneaux, 1430.

1864
Ces miracles ont été mis par écrit dans trois manuscrits des XIVe et XVe siècles de la bibliothèque
municipale d’Avranches : ms. 211, 212 et 213. Voir à ce propos l’« Introduction » à l’édition des Miracula sancti
Michaelis dans Pierre Bouet et Olivier Desbordes, Chroniques latines du Mont Saint-Michel (IXe-XIIe siècle),
Manuscrits d’Avranches – Textes fondateurs du Mont Saint-Michel – I, pp. 259-301.
566
Les apparitions aux évêques

Parmi les diverses apparitions de Michel dans les récits de fondation des Monts, celles
aux évêques sont particulièrement structurantes1865. Elles ne sont pourtant pas souvent
illustrées, et quand elles le sont, le manque de caractérisation et leur insertion dans des cycles
complets dédiés à Michel, nous empêchent de situer clairement l’épisode dans un des
sanctuaires michaéliques, et ainsi d’identifier l’évêque concerné. Elles sont réalisées sur des
surfaces limitées, et ne sont jamais réellement traitées comme une image édifiante en-dehors
d’une série d’épisodes. Les deux seules images recensées figurant une apparition de Michel à
un évêque, sont des petits panneaux de polyptyques, le premier de Coppo di Marcovaldo, le
second de Priamo della Quercia. La première peinture figure un ange en pied, vêtu de la
dalmatique et du pallium, tourné vers un évêque, deux doigts de la main droite levés en signe
d’allocution. L’évêque est agenouillé dans un petit édicule ouvert par deux baies géminées
d’arcs en plein cintre. La seconde peinture met en scène une apparition de l’archange en
songe. L’ange est en vol au-dessus du lit de l’évêque. Il porte une aube blanche, et indique de
son index le ciel. L’évêque se tourne vers l’ange, alors qu’il est encore allongé dans son lit,
visible par la grande baie pratiquée dans le mur de sa chambre. Le reste de l’image est occupé
par une architecture complexe, comprenant à droite une porte close.

Coppo di Marcovaldo, Saint Michel et légendes Priamo della Quercia, Apparition à l’évêque,
(détail), San Casciano Val di Pesa, Museo d’Arte Lucques, Museo Nazionale, peinture sur
Sacra, peinture sur panneaux, 1250-1255. panneaux, 1430.

Michel remplit ici un rôle angélique classique de messager, et figure à ce titre comme un ange
classique : pas de vêtements de cour byzantine, pas d’armes, pas d’attributs ; seules ses mains
parlent.
Notons que dans la majorité des images des légendes michaéliques - mises à part l’apparition
romaine - Michel apparait dans des fonctions angéliques classiques, et est ainsi faiblement
caractérisé iconographiquement : l’aube simple ou la dalmatique et le pallium, sont, bien
souvent, les seuls attributs portés par Michel dans les épisodes épiphaniques.

Les cycles de l’archange

1865
Voir à ce propos le chapitre 1. II.3.2.3.2. Michel guerrier : protecteur et punisseur.
567
Les scènes étudiées apparaissent rarement seules et isolées. Elles font généralement
partie de cycles à la gloire de l’archange constitués de deux épisodes ou plus. Dans ces
peintures, qui utilisent différentes versions de rédactions, les scènes bibliques ou des légendes
du sanctuaire de Monte-Sant’Angelo, de Rome ou du Mont-Saint-Michel sont réunies et se
retrouvent parfois autour d’une figure centrale de l’archange, ou sous une figure en pied, dans
une prédelle.
Le plus souvent, un épisode de la légende de Michel en prédelle fait écho à sa représentation
en état sur le panneau central. C’est le cas de quatre polyptyques dans notre corpus. Dans trois
d’entre eux, comme dans celui présenté de Bicci di Lorenzo1866, Michel est un guerrier en état
au côté d’une représentation mariale au registre principal, il présente son épée, et porte dans la
main gauche un globe ou une balance et foule ou non le dragon. En dessous de cette image en
pied, dans la prédelle, l’épisode du taureau prend place à côté d’une Annonciation. Dans le
polyptyque de Priamo Della Quercia, l’image en pied n’est pas peinte mais sculptée 1867, mais
le rapport entre image en état et image narrative est le même, si ce n’est qu’ici, ce n’est pas un
mais quatre épisodes des légendes michaéliques qui sont représentés : le miracle du taureau,
l’apparition sur le mausolée d’Hadrien, le miracle de l’accouchée et l’apparition à un évêque.
Il s’agit d’un des cycles italiens les plus développés de la légende de saint Michel en Italie. Le
récit est rythmé par un choix de moments forts de la légende. Plusieurs panneaux de prédelle
d’un polyptyque démembré peint par Agnolo Gaddi et conservé à New Haven, peuvent être
réunis. Le panneau central devait également conserver une image en état de l’archange,
aujourd’hui disparue, à côté d’une Vierge à l’Enfant, panneau central conservé lui aussi à
New Haven. Cet ensemble regroupe le miracle de l’accouchée, le miracle du taureau, une
scène difficilement lisible - identifiée par Pina Belli D’Elia comme la préparation de la
bataille des Sipontains contre les Napolitains1868 -, et une scène de combat de Michel et de ses
anges contre les démons et le dragon. Une cinquième scène, l’apparition de l’archange à
Rome sur le Mausolée d’Hadrien, est de la même main mais de format différent, mais
pourtant rattachée par Pina Belli d’Elia à cet ensemble1869.

1866
Les deux autres peintures de ce type sont celles de Sano di Pietro, Assomption, Crucifixion et saints, Sienne,
Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1 ère ½ du XVe ; et de Taddeo di Bartolo, Vierge à l’Enfant,
Annonciation, Christ bénissant et saints, Volterra, Pinacoteca Civica, peinture sur panneaux, 1411.
Notons que le fragment de prédelle peint par Agnolo Gaddi en 1380 et conservé à la Yale University Art Gallery
de New Haven, figurant le miracle de la femme accouchée du Mont-Saint-Michel et le miracle du taureau du
Mont Gargan, appartient également surement à ce groupe.
1867
Les sculptures actuelles ne sont pas celles d’origine, mais conservent surement la même iconographie
générale.
1868
BELLI D’ELIA, 1994, p. 588. S’il s’agit bien de cette scène, le personnage au premier plan serait, selon la
tradition, saint Laurent, qui mène à la porte de la ville un groupe de chevaliers partant au combat. Mais nous ne
saurions dire qui est l’enfant à ses côtés. Au second plan, un groupe de chevalier nimbé avance, mené par une
figure portant l’étendard des croisés. Il pourrait s’agir de l’armée angélique rejoignant l’armée humaine pour leur
assurer la victoire ; alors que la bannière d’argent à la croix de gueules relie le groupe angélique de la scène, à la
scène voisine, où les anges portent des boucliers marqués de la croix de Saint-Georges. Dans ce cas, il s’agirait
d’une représentation unique en Italie (et à ma connaissance en Occident) de l’armée angélique à cheval.
1869
BELLI D’ELIA, 1994, p. 588.
568
Bicci di Lorenzo, Priamo della Quercia, Vierge à l’Enfant et Agnolo Gaddi, Miracles et
Annonciation et saints saints (et détail), Lucques, Museo Nazionale, apparitions de Michel, New Haven,
(détail), Stia, Santa peinture sur panneaux, 1430. Yale University Art Gallery (pour les
Maria Assunta, peinture deux premiers panneaux), Rome,
sur panneaux, 1414. Pinacoteca Vaticana (pour le dernier),
peinture sur panneaux, 1380-1390.

Cette relation entre image en état et images narratives, peut également s’établir dans la
représentation d’un même espace unifié, comme nous avons déjà pu l’observer dans le
panneau de Marco Palmezzano1870. Dans cette image, il ne s’agit pas à proprement parler de
mise en scène des apparitions de l’archange, puisque le guerrier ailé du mausolée d’Hadrien et
le taureau du Mont Gargan, sont posés dans le paysage sans être mis en relation avec d’autres
éléments créant une narration, mais paraissent davantage comme des évocations de ces
épisodes passés.
Le panneau de Coppo di Marcovaldo est, lui, totalement dédié à l’archange. Sur un modèle
byzantin, Michel est figuré au centre en trône, et entouré de six panneaux latéraux figurant
chacun une scène relative aux légendes michaéliques. Le sens de lecture suit la forme d’un
« S », débutant par le registre supérieur droit, puis le gauche, se poursuivant par le registre
médian gauche, puis droit, pour terminer par le registre inférieur, à droite, puis à gauche. Les
deux panneaux du registre supérieur figurent l’investiture de Michel par Dieu, qui lui remet
une verge dans la première scène, et la prise de fonction de l’archange, qui prépare dans la
deuxième, un trône pour le troisième ordre de la hiérarchie angélique, qui comprend le chœur
des archanges, selon la volonté divine. Il apparait déjà dans son rôle de commandant des
anges, grâce à sa victoire sur le mal, déjà représenté à ses pieds sous la forme d’un dragon. Le
registre médian met en scène deux épisodes qui manifestent du pouvoir de l’archange : sa
victoire contre Lucifer, et le miracle du Taureau. Au registre inférieur, figurent deux épisodes
liés aux apparitions et à la fondation des sanctuaires de saint Michel : une scène d’apparition à
un évêque, et une seconde, parfois identifiée comme l’épisode romain à cause de la ville
représentée derrière l’évêque. Nous pensons pour notre part qu’il s’agit davantage de la suite
de l’épisode de l’apparition à l’évêque et même du taureau : l’évêque de Siponto qui
commande la construction du sanctuaire apulien à un groupe d’hommes1871. Les trois
1870
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.1.4. Saint Michel actif devant un fond paysagé.
1871
Cet avis est partagé par Pina Belli d’Elia, qui évoque un « colloquio tra il vescovo e i Sipontini, BELLI
D’ELIA, 1994, p. 582.
569
dernières scènes seraient ainsi une succession d’épisodes liés à la fondation du sanctuaire du
Mont Gargan, ce qui est confirmé d’ailleurs par la représentation similaire de l’évêque dans
les deux dernières scènes, et le fait que l’évêque de la dernière ne soit pas nimbé.

Marco Palmezzano, Dieu, Vierge à l'Enfant et Coppo di Marcovaldo, Saint Michel et légendes,
saints (détail), Faenza, Pinacoteca Comunale, San Casciano Val di Pesa, Museo d’Arte Sacra,
peinture sur panneaux, 1497-1500. peinture sur panneaux, 1250-1255.

Les épisodes de la légende michaélique peuvent également être associés sur murs, sans
représentation centrale de l’archange, mais dans une église ou une chapelle alors souvent
dédiée à l’archange. C’est le cas des peintures de Biagio di Goro Ghezzi de Paganico, et de
celles de la chapelle du cardinal Bessarione de Rome. Dans cette dernière, s’effectuent des
liens étroits entre les deux scènes représentées - celle du taureau, et celle de la procession au
Mont-Saint-Michel - permettant de mettre en avant des liens étroits entre les deux sanctuaires.
La première scène figure Gargan, bandant son arc pour tirer sur le taureau, sans la figuration
courante de la procession à la grotte par l’évêque de Siponto. Mais cette procession vers un
lieu élevé, conduite par un évêque, est figurée sur la scène d’à côté, véritable parallèle
français de la légende italienne. D’autant que le taureau figure également à l’emplacement du
futur Mont-Saint-Michel. Dans la peinture murale de Paganico, deux épisodes d’apparition,
celui du taureau et celui de Rome, figurent en pendant autour d’une image de Michel
combattant le dragon, d’origine biblique. C’est bien son rôle de combattant du mal qui justifie
sa présence multiple en Italie, au sommet du Mont Gargan ou sur le toit du mausolée
d’Hadrien.

Antoniazzo Romano et Melozzo da Forli, Biagio di Goro Ghezzi, Légendes de saint Michel,
Légendes de saint Michel, Rome, Santi Apostoli, Paganico, San Michele, peinture murale, 1368.
peinture murale, 1464-1468.

570
Cette association est reprise dans deux chapelles toscanes : dans la chapelle Velluti de la
basilique Santa Croce de Florence, la figuration du combat de Michel et de ses anges contre le
dragon de l’Apocalypse fait face à une figuration du miracle du taureau 1872 ; dans la chapelle
Guasconi de San Francesco d’Arezzo, l’épisode romain de l’apparition sur le mausolée
d’Hadrien se retrouve sous la même scène de lutte contre le dragon. Dans cette même
chapelle, un polyptyque peint par Niccolò di Pietro Gerini à la fin du XIVe siècle, ajoute à ce
cycle, l’image de l’archange en état et au repos, où la présentation des armes - la lance et
l’épée rangée dans son fourreau - et du dragon mort à ses pieds, prend tout son sens
lorsqu’elle est confrontée aux épisodes qui se déroulent sur les murs.

Jacopo del Casentino, Légendes de saint Spinello Aretino, Légendes Niccolò di Pietro Gerini,
Michel, Florence, Santa Croce, peinture de saint Michel (détail), Vierge à la ceinture et
murale, 1e ¼ du XIVe. Arezzo, San Francesco, saints (détail), Arezzo, San
peinture murale, 1404. Francesco, peinture sur
panneaux, fin du XIVe.

Du degré de narrativité. Conclusion sur la nature de la représentation de Michel

La question de la narrativité est particulièrement complexe dans l’analyse de


l’iconographie michaélique. Cette difficulté vient du fait que les grands épisodes mettant en
scène l’archange sont bien souvent davantage évoqués dans des images en pied, où ils
s’adaptent plus facilement à tous les contextes iconographiques, que représentés dans des
cycles narratifs. La frontière est alors souvent très mince entre image en état et image en
scène, à cause du mouvement qui caractérise souvent les représentations de l’archange, de la
présence d’attributs-agissants, et surtout à cause de l’universalité du message véhiculé par ces
actions. Mais ce n’est pourtant pas une particularité réservée aux images de l’archange. Daniel
Russo avait déjà souligné, dans son travail de doctorat portant sur l’iconographie de saint
Jérôme, la difficulté d’établir une frontière nette entre scènes narratives et images en état,
pour le saint cardinal qui possède également un attribut mouvant1873. Cette difficulté concerne
selon lui « l'impossibilité inhérente à l'iconographie chrétienne de devenir narrative : elle tire
sa force de la constante opposition entre les vertus et les vices, le bien et le mal ; elle présente
toujours, sous un aspect ou un autre, une psychomachie dont la solution lui vient de l'au-delà

1872
Notons également que dans l’église San Michele de Gavelli, en 1518, Lo Spagna a également peint le
miracle du taureau à côté d’une représentation de Michel combattant le mal, ici sous la forme d’un démon.
1873
RUSSO, 1987, p.277.
571
qui la fonde, c'est-à-dire Dieu. »1874. Laurence Meiffret a également insisté sur cette
impossible narrativité pour la figuration du récit de la vie de saint Antoine, dont la constante
référence aux origines de l’anachorétisme, s’accorde parfaitement au développement de la
notion d’exemplarité1875.
L'iconographie de saint Michel est, plus encore que celle de Jérôme ou d’Antoine, à mi-
chemin entre l'image fixe et l'épisode narratif. Cela tient sans doute au fait que l'archange n’a
pas de vie terrestre, et qu’il est, à travers sa fonction angélique, à mi-chemin entre le ciel et la
terre. La représentation de la présence de Michel à un moment donné du temps et de l’espace
est donc complexe. Une ambiguïté de « localisation » (géographique et temporelle), que l'on
retrouve dans toute la figure de Michel, car sa nature angélique lui donne une nature éthérée,
alors qu'il est aussi le saint guerrier par excellence, combattant physiquement le démon en
portant l'armure. Tout le personnage de Michel est marqué par ce dualisme entre immatérialité
et matérialité, entre apparition furtive et présence permanente, inscrite dans l’éternité ou dans
le temps des hommes et de l’Église, qui se traduit souvent par un choix de mode figuratif qui
peut sembler ambigüe mais qui correspond pourtant parfaitement à sa nature profonde : des
images de l'archange en action mais non narratives.

II.3- Autour de l’archange, contexte figuré

Outre les vêtements ou les attributs portés par Michel et la façon dont ses images sont
mises en scène, le contexte iconographique dans lequel il est inséré peut également donner
des indications sur la place qu’il occupe dans l’image et la raison de sa présence sur l’objet
qui reçoit sa représentation. Cette analyse concerne davantage les peintures en état, car nous
venons d’aborder la question des cycles narratifs.

II.3.1. La figure de Michel et le thème iconographique principal

L’agrandissement de l’espace figuratif des retables, lié au développement de la


prédication, a participé à multiplier les figures de saints autour d’une image centrale
principale, le plus souvent une image de Vierge à l’Enfant en trône. La place de chaque saint
est ordonnée et hiérarchisée, en fonction de son importance dans le sanctoral chrétien et dans
le sanctoral privé de la personne ou du groupe de personnes pour lesquels le panneau est
peint1876. Dans ce type de représentations, Daniel Russo précise que les saints sont « plutôt
non-sujets que sujets » car ils « ne prennent sens que dans la série par rapport au centre »1877.
Étudions ainsi les principaux thèmes iconographiques centraux près desquels apparaissent
1874
RUSSO, 1987, p.277.
1875
MEIFFRET, 2004, p.75.
1876
RUSSO, 1988, p. 55.
1877
RUSSO, 1988, p. 56.
572
saint Michel, et la position de l’archange par rapport à eux, afin de déterminer s’ils ont des
influences sur son image ou son sens dans l’image.

II.3.1.1. La présence écrasante de la Vierge dans nos images

Plus de la moitié des représentations de l’archange figure à proximité d’une image de


la Vierge, principalement la Vierge à l’Enfant1878, au centre de la composition, souvent en
trône et entourée de saints situés directement autour d’elle, et / ou rejetés sur les panneaux
latéraux, les prédelles ou les pinacles. Mais cette fréquence est davantage révélatrice du
succès immense de l’image de la Vierge à la fin du Moyen Âge que d’un lien particulier
existant entre iconographie michaélique et iconographie mariale1879. Il ne faut pas ainsi
analyser les rapports entre images de Michel et images de la Vierge en termes de rapport entre
deux figures, comme nous le feront plus loin pour les saints, mais en termes de rapport entre
une image centrale, principale et structurante pour l’ensemble de la composition, et une image
secondaire, plus ou moins mise en valeur en fonction de sa place par rapport à l’image
principale.

Dès le début du XIIIe siècle, Michel figure déjà régulièrement au côté de la Vierge à
l’Enfant. Sur les parois de l’église rupestre de Sasso Caveoso, une peinture de la Vierge à
l’Enfant occupe une niche creusée dans la roche, alors que celle de Michel occupe la niche
voisine, de même taille. Dans cette image, et dans celles du XIIIe siècle en général, l’archange
ne figure pas comme un saint classique. Il a encore la place et la taille d’un archange au
service du Christ ou du couple divin. Dans la peinture murale de San Fedele à Côme, il pose
ses mains sur la mandorle dans laquelle la Vierge est représentée, et figure, avec les autres
anges qui devaient entourer la mandorle, comme une seconde couche protectrice. Dans cette
image d’ailleurs, rien ne permet de le distinguer de l’autre ange qui se trouve au registre
inférieur, si ce n’est l’inscription qui l’accompagne. Même lorsqu’il apparait dans les
panneaux peints, support alors en plein essor en Italie, à la fin du Duecento, il est toujours
distingué des hommes sanctifiés. Dans le panneau de Bonaventura Berlinghieri, Michel est au
centre du registre inférieur, et, s’il a la même taille qu’eux, sa position centrale et la largeur de
sa figure, lui confèrent encore une légère primauté sur celles des saints. Réalisé entre 1275 et
1280, le panneau de Manfredino da Pistoia démontre qu’au dernier quart du XIIIe siècle,
Michel a déjà rejoint les saints dans les compositions centrée sur une image de la Vierge à
l’Enfant. Il occupe dans cette peinture la même place et la même surface que saint Jean-
Baptiste.

1878
Michel figure 182 fois à côté d’une Vierge à l’Enfant, sans compter, bien sûr, les peintures altérées, les
panneaux déplacés, démembrés et isolés de leur contexte d’origine.
1879
À propos de la double titulature de l’archange et de la Vierge, voir BONNERY, 1997, pp. 11-20 et JUHEL et
VINCENT, 2007, p. 198.
573
Anonyme, Vierge Anonyme, Vierge en Bonaventura Manfredino da Pistoia, Vierge à
allaitant et Michel, Sasso gloire et anges, Berlinghieri, Vierge à l'Enfant et saints (détail), Florence,
Caveoso, Santa Lucia e Côme, San Fedele, l'Enfant, Crucifixion collection Acton, peinture sur
Agata alle Malve, peinture murale, fin et saints (détail), panneaux, 1275-1280.
peinture murale, 1250. XIIe-début XIIIe. Florence, Offices,
peinture sur
panneaux, 1260-1270.

Néanmoins, l’archange demeure souvent figuré directement à côté de la Vierge, à sa droite ou


à sa gauche, place d’honneur des polyptyques ou des peintures murales. Il reste donc un
personnage d’exception, mais cette place particulière ne lui est pas réservée, ni à lui, ni à une
catégorie de personnages définis : elle peut être attribuée à des anges ou des archanges, et aux
saints « principaux », à qui la tradition, le commanditaire, voire même le peintre, assigne un
rôle important, notamment, les saints bibliques - Jean-Baptiste, Pierre, Paul - des saints des
premiers temps de l’Église - comme Jérôme ou Antoine l’Ermite - ou les saints plus
contemporains - comme François ou Dominique. Par sa figuration régulière à la place
d’honneur auprès de la Vierge, Michel apparait donc comme une figure majeure de la
chrétienté.
Bien souvent, c’est à Marie que l’archange présente ses armes. Dans la peinture murale
d’Ambrogio Lorenzetti, la figure de Michel marque une proximité importante avec la Vierge,
et l’épée n’est pas ici présente en simple attribut. Michel n’est pas un homme sanctifié qui
porte un objet rappelant un épisode de sa vie passée, il est un être éthéré, encore
« physiquement » actif, qui propose au couple divin une protection permanente, et l’épée est
un instrument effectif qu’il utilise encore, et ce, jusqu’à la fin des temps. Michel ne se
distingue pas figurativement des saints aux pieds de la Vierge, mais s’en distingue par sa
nature, par la nature de sa mission et par la nature de son attribut.
L’archange est encore parfois seul avec la Vierge. Dans le panneau de Giovanni di Paolo, il
occupe le même espace que la Vierge et est figuré dans la même position. Pour autant, il n’y a
pas forcément d’interactions particulières entre les deux personnages, qui sont surtout
représentés comme deux figures juxtaposées et isolées, à vénérer. Même lorsque Michel est la
figure principale de la composition, comme dans la peinture d’Ambrogio Lorenzetti, et que la
Vierge à l’Enfant est déplacée sur le pinacle, la présence du couple divin correspond
davantage à une habitude figurative et cultuelle qu’à une volonté de lier culte marial et culte
michaélique.

574
Ambrogio Lorenzetti, Vierge à l'Enfant Giovani di Paolo, Vierge à Ambrogio Lorenzetti, Saint
et saints, Sienne, Sant’Agostino, peinture l'Enfant et Michel, Rome, Michel, Vierge à l'Enfant et saints,
murale, 1ère ½ XIVe. Pinacoteca Vaticana, peinture Asciano, Museo d’Arte Sacra,
sur panneaux, 1436-1440. peinture sur panneaux, 1330.

Les évolutions de formes et de spiritualité qui transforment les polyptyques de Vierge à


l’Enfant et saints, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe, en Saintes Conversations,
permettent un rapprochement particulier entre le couple divin et l’archange, qui se décline en
contact visuel, participation à une même action et même contact physique. Dans l’huile sur
toile de Cesare Sesto, Michel est agenouillé auprès d’une Vierge à l’Enfant assise sur un
rocher. Il présente la balance au Christ qui tente de récupérer quelque chose dans le plateau
supérieur, alors que Michel soutient son instrument pour faciliter la tâche de l’Enfant. Le
corps de l’archange est particulièrement proche de celui du couple divin : son bras droit
semble effleurer les cheveux du Christ, alors que sa jambe se retrouve entre les deux genoux
de la Vierge. La proximité physique est également importante entre les autres personnages de
la peinture, mais qui sont, eux, unis par les liens du sang. Le tondo de Luca Signorelli figure
un archange présentant une nouvelle fois sa balance à la Vierge à l’Enfant, dans les plateaux
desquelles se tiennent deux grandes figures d’âmes. Celle du plateau inférieur chute en
direction du démon aux pieds de l’archange, alors que l’élu, debout, est tourné vers le Christ
qui le bénit, préfigurant sa fonction future de juge. La Vierge porte sur l’homme un regard
compatissant, exprimant sa qualité d’intercesseur. Dans cette image, la relation qui s’établit
entre l’instrument de pesée, porté par Michel, et le couple divin, ajoute une dimension
supplémentaire aux personnages de Marie et de Jésus : elle révèle leur rôle respectif et central
dans le salut des hommes. Enfin, la peinture murale déposée de Pontormo réunit une nouvelle
fois la Vierge et Michel autour de la balance, que l’archange brandit devant les yeux de
Marie, alors qu’elle se tourne vers lui. Dans ces cas, c’est, à chaque fois, par le biais de la
balance qu’il entre en contact avec le couple divin.

575
Cesare Sesto, Vierge à l'Enfant Luca Signorelli, Vierge à l'Enfant et Pontormo, Vierge à l'Enfant et saints
et saints (détail), Paris, Louvre, saints (détail), Cortona, Accademia (détail), Florene, Santissima Annunziata,
huile sur toile, 1510. Etrusca, huile sur bois, 1510-1512. peinture murale déposée, 1514.

Dans le panneau de Giovanni Santi, s’il n’y a pas d’interaction corporelle entre Michel et
Marie, la proximité de leur représentation semble néanmoins signifiante. En effet, la nature de
chacun des deux saints les plus proches du couple divin, sainte Sofia, la religieuse du côté de
la Vierge, et Michel, l’ange du côté du Christ, met en avant la nature de chacun des
personnages : les personnages féminins partagent la virginité, et les autres, une nature
entièrement ou en partie spirituelle.
Un autre thème réunit Vierge et Michel, sans une présence systématique de l’Enfant : celui de
la Vierge de miséricorde, présente dans cinq peintures de notre corpus. Dans la peinture de
Neri di Bicci, Michel associe son épée au manteau de la Vierge pour assurer la protection du
groupe de dévots qui se trouve sous ses pans. Il soulève son globe crucifère, signifiant ainsi
que sa puissance s’établit non seulement autour de ce groupe d’hommes représentés, mais
également sur l’univers entier. Cet objet, insigne de pouvoir dans les royautés occidentales,
entre également en résonnance avec la couronne que les deux anges posent au-dessus de la
tête de la Vierge. La figure de saint Michel réaffirme ici que son épée est au service de la
royauté divine, destinée principalement à protéger l’humanité et la mener au salut. Dans
l’huile sur toile d’Andrea Mantegna, Michel propose toujours son aide armée, mais il
participe également à couvrir le dévot en soulevant un pan du manteau de la Vierge, qui
indique également sa protection par le geste de la main, alors que le Christ Enfant bénit
l’homme agenouillé. Il semble alors que c’est également en priant l’archange que l’on peut
s’attirer la protection divine.

Giovanni Santi, Vierge à Neri di Bicci, Vierge de Andrea Mantegna, Vierge de


l'Enfant et saints (détail), Miséricorde et saints (détail), la Victoire et saints (détail),
Gradara, Palazzo Comunale, Arezzo, Pinacoteca Comunale, Paris, Louvre, huile sur toile,
peinture sur panneaux, 1484. peinture sur panneaux, 1456. 1495-1496.

576
Ainsi, plusieurs compositions permettent un rapprochement visuel et symbolique de la Vierge
à l’Enfant et de l’archange, mais il ne s’agit pourtant pas d’une norme. Dans la majorité des
images de notre corpus, les représentations de Michel se fondent au milieu de panneaux
peuplés de saints, et l’archange n’entretient pas de rapport particulier avec le couple divin, à
qui il semblait encore servir de garde rapprochée au Duecento. La fréquence des
représentations de l’archange au côté de la Vierge à l’Enfant, si elle ne parait pas
exceptionnelle au vue de la popularité de l’iconographie mariale à la fin du Moyen Âge,
révèle quand même un aspect majeur de l’iconographie de Michel : l’archange est bien
souvent traité dans la peinture italienne comme un saint « classique ».

Le succès du culte marial, n’est pas seulement rendu visible par le développement de
représentations de Vierge à l’Enfant. D’autres images sont également courantes dans
l’iconographie de la fin du Moyen Âge pour rendre compte de sa vie ou de sa nature. Michel
apparait principalement à côté des scènes de l’Annonciation, courantes dans les parties
supérieures des retables, et plus tard, dans les scènes de Dormition, de Couronnement ou
d’Assomption. Nous avons déjà analysé le rôle de Michel au moment de la mort de la Vierge,
sur lequel nous ne reviendrons pas ici1880.

L’épisode de l’Annonciation1881 est souvent rappelé dans les polyptyques médiévaux par la
figuration de l’archange Gabriel dans un petit panneau, un pinacle ou un médaillon, auquel
répond en symétrie une petite figure de la Vierge. Dans ce cas, il n’y a pas de lien particulier
entre ces figures et celle de Michel, même si elles se trouvent à proximité. Cette image
correspond à une habitude figurative permettant de mettre en parallèle la conception divine de
l’Enfant avec l’aspect charnel qu’il prend souvent essentiellement dans le panneau central de
la Vierge à l’Enfant. Cette remarque ne s’applique pas aux peintures où la scène de
l’Annonciation se développe pour devenir à proprement parler une image narrative, qui
implique la réunion des deux protagonistes dans un même espace et la mise en relation de leur
figure. Dans ce cas, la figuration de l’archange prend souvent une autre dimension par la
similitude de nature qui existe entre lui et son homologue annonciateur. Dans la détrempe sur
bois de Benvenuto di Giovanni, l’insertion dans l’espace de la scène de l’Annonciation de
Michel et de Catherine d’Alexandrie, insiste sur la nature de chacun des protagonistes de la
scène : la condition archangélique, que Gabriel partage avec Michel ; et la condition virginale,
que Marie partage avec Catherine et qui est au centre de l’existence de chacune, puisque l’une
va la conserver malgré l’enfantement, alors que l’autre meurt pour la conserver. Dans la
prédelle du panneau peint par Domenico di Michelino, la mise en relation d’une scène de
combat de Michel contre le dragon, d’une scène de Gabriel annonçant l’enfantement de
Marie, et d’une scène de Raphaël accompagnant Tobie, prouve que l’Annonciation n’est pas
représentée ici en tant qu’épisode de la vie de Marie, mais en tant qu’épisode de l’action
archangélique. En ce sens, le titre même, donné régulièrement au panneau dans les ouvrages
1880
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2.3. L’archange psychopompe.
1881
Michel est figuré plus d’une cinquantaine de fois à proximité du couple de l’Annonciation ou d’une mise en
scène de l’épisode.
577
d’histoire de l’art, « Trinité, Annonciation et archanges », ne semble pas parfaitement adapté
et nous lui préférons celui de « Trinité et scènes des trois archanges ».

Benvenuto di Giovanni, Annonciation et Domenico di Michelino, Trinité, et scènes des 3


saints (détail), Volterra, Museo d’Arte archanges (détail), Florence, Galleria dell’Accademia,
Sacra, peinture sur panneaux, 1466. peinture sur panneaux, 1460-1470.

L’association de la représentation de Michel, en état ou en scène, avec une scène de


l’Annonciation, permet de faire repasser l’archange d’un statut de saint ailé à celui
d’archange, et d’insister, par la même occasion, sur la figure de Gabriel, réaffirmant
également son statut d’archange par rapport à l’image du simple messager divin qu’il occupe
la plupart du temps.

Le thème du Couronnement de la Vierge connait un succès sans précédent dans la peinture


italienne, à partir de la seconde moitié du XIVe siècle. Michel figure une vingtaine de fois
dans ce contexte figuratif. Souvent, ce type d’images remplace la Vierge à l’Enfant dans le
panneau principal des polyptyques. Dans ce cas, les remarques que nous venons de faire dans
la partie précédente, sont valables : Michel n’est pas forcément lié à l’image centrale, si ce
n’est pour définir son degré d’importance dans la composition générale. Mais la tendance à la
réunion des différents personnages saints dans un espace commun, à la fin de notre période,
invite à représenter la scène du Couronnement comme un événement aulique d’une grande
solennité, auquel sont conviés les saints et les anges, et qui a lieu au ciel. C’est bien en tant
qu’acteur et témoin que Michel figure dans le Couronnement de la Vierge de Riccardo
Quartararo. En outre, la proximité de Gabriel et de Raphaël, montre que Michel est ici présent
dans sa qualité d’archange. Selon Barbara Bruderer Eichberg, le succès de ce type d’images
réunissant toute la cour céleste dans une même composition autour du couronnement, est lié à
l’activité de l’atelier de Bernardo Daddi, qui a initié la mise en image de cette tradition
littéraire1882. Le thème du Couronnement s’insère également dans les représentations du
Jugement dernier, impliquant Michel. L’archange n’est pas dans ces images un simple
témoin, et sa mission l’empêche de suivre l’événement qui se situe au-dessus de lui.

1882
BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 179.
578
Riccardo Quartararo, Couronnement de la Vierge, anges et saints (détail), Palerme, Galleria Regionale della
Sicilia, peinture sur panneaux, 2e ½ du XVe.

Enfin, la figure de Michel peut prendre un caractère différent dans les images de
l’Assomption de la Vierge. Sa figure en elle-même ne varie pas par rapport à celles qui sont
proches des représentations de la Madone, mais le type guerrier de Michel prend alors une
dimension psychopompique : ses armes sont ici au service de Marie pour lui assurer la
sécurité des routes de l’au-delà, contre les démons, souvent figurés à ses pieds. À ce titre, la
multiplication des anges, peint par Matteo di Giovanni, autour de la Vierge en pleine
ascension, ne peut que souligner la nature angélique du Michel qui se trouve dans le panneau
latéral droit et dont la flamme sur la tête rappelle la nature ignée. L’insistance sur le rendu de
l’armure de l’archange affirme son caractère guerrier, assurant la protection du convoi céleste.
Michel peut également accompagner la représentation d’Ascension d’autres saints. Dans le
polyptyque de Paolo Veneziano, l’archange se tient dans le cadre le plus proche, à gauche du
panneau central, alors que Marie-Madeleine, au centre, est emportée par deux anges. La
nature céleste et guerrière de la figure michaélique s’adapte parfaitement à ce type de
représentation et lui donne une profondeur nouvelle.

Matteo di Giovanni, Assomption de la Paolo Veneziano, Assomption de Marie-


Vierge et saints (détail), Asciano, Museo Madeleine et saints (détail), Worcester, Art
Civico, peinture sur panneaux, 1474. Museum, peinture sur panneaux, 1330-1350.

II.3.1.2. Saint Michel et le Christ

Si la figure de la Vierge prédomine dans notre corpus, et a souvent remplacé les


anciennes visions christiques, Michel est également figuré avec le Christ, sans sa mère. Pour
autant, les remarques sur les liens qui unissent ces personnages sont les mêmes que pour
579
l’iconographie mariale : Michel apparait encore parfois en escorte du Christ dans les images
du XIIIe siècle, comme la peinture rupestre de Gravina. Dans la peinture murale d’Anagni,
Michel semble occuper la même place qu’un autre saint autour du trône du Christ. Pourtant,
l’asymétrie constituée par un nombre différent de saints de part et d’autre de Dieu, laisse
penser que Michel appartient ici au groupe divin du centre, à partir duquel les deux couples de
saints des côtés sont distribués. Comme pour les images proches de la Madone, ce lien, entre
Michel et figure du Christ, cesse avec l’insertion de l’archange au milieu des saints qui
peuplent les peintures sur bois italiennes à partir de la fin du Duecento, comme par exemple
dans le panneau d’Andrea di Cione de Santa Maria Novella de Florence. Il peut également
être figuré plus proche de lui et directement à sa droite, mais sans entretenir de rapports
particuliers. Dans les scènes de Jugements derniers, Michel tisse par contre des liens formels
et fonctionnels avec le Juge, à qui l’action du porteur de balance ou du séparateur de
l’humanité, est entièrement dévouée1883.

Peintre local, Christ en majesté, saints Anonyme romain, Christ bénissant et Andrea di Cione, Christ en
Paul et Michel, Gravina, San Michele, saints, Anagni, Santa Maria, peinture gloire et saints, Florence, Santa
peinture murale, fin XIIe-début XIIIe. murale, 1230-1260. Maria Novella, peinture sur
panneaux, 1354-1357.

En revanche, l’archange semble entretenir un lien particulier avec le thème du Sauveur


crucifié.

L’association, plus ou moins appuyée, entre image de Michel et image du crucifié, est
présente dans une cinquantaine de peintures de notre corpus. Le Christ est, comme Michel, un
vainqueur du mal, et plus encore à travers sa mort qu’à travers sa vie terrestre. C’est à ce titre
qu’on a pu observer une élaboration commune du thème du christ foulant aux pieds l’aspic et
le basilic, et de Michel vainqueur du dragon1884. Mais les images d’un sauveur belliqueux
s’avèrent vite inadaptées à l’idéal pacifique promu par l’Église, et la victoire de Jésus sur le
mal est davantage représentée sous des formes symboliques, dont la croix et la Crucifixion
sont les éléments majeurs. L’association des images d’un combat contre le mal et du crucifié
sont ainsi produites dès l’époque carolingienne, souvent par la figuration d’un serpent qui
entoure la base de croix, puis, dans le courant du Xe siècle, par un serpent transpercé par la
croix1885. Raban de Maur avait déjà précisé les liens entre Passion du Christ, croix et victoire
1883
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2.1. Michel, l’ange du Jugement dans l’au-delà.
1884
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal.
1885
AVRIL, 1971, pp. 44-46.
580
sur le mal, en 810 dans son traité théologique De Laudibus sanctae crucis. Dans le manuscrit
de Konrad von Scheyern, au folio 14 verso, la lance impériale, devenue crucifère au moment
de la christianisation des empereurs d’Occident1886, s’est muée en une véritable croix sur
laquelle le Christ mort est attaché. Les reconstitutions graphiques d’Aquilée proposent une
Crucifixion datée du IXe au XIe siècle, au pied de laquelle se trouve un personnage masculin
combattant un animal hybride. L’absence d’ailes ne nous permet pas de l’identifier avec
certitude comme Michel1887, mais le thème du combat sauroctone est ici clairement associé à
la Crucifixion.

1888 1889

Fig. 90. Konrad von Scheyern, Liber matutinalis, Fig. 91. Reconstitution graphique d’après G.
Munich, Staatsbibliothek, cod. lat. 17401, folio 14 D.Bertoli, des peintures d’Aquileia, église dei
verso, Crucifixion, XIIIe. Pagani, IX-XIe.

Dans les petits triptyques de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle, comme dans celui
présenté, du Maestro di santa Cecilia, nous avons vu que les images du combat contre le
dragon et de la Crucifixion étaient souvent représentées face à face sur les panneaux latéraux,
conférant aux représentations de l’archange contre le mal, un degré de narrativité
supérieur1890. Cette association reprend la symbolique des Crucifixions au dragon ou au
serpent : la Crucifixion est, comme saint Michel au dragon, une image du bien contre le mal.
Ce parallèle est encore plus évident dans les panneaux du polyptyque de Jacopo del
Casentino, puisqu’en plus de la Crucifixion et de l’archange, une scène de la stigmatisation de
saint François prend place sous celle de Michel. En recevant les marques de la Passion, le
frère réactualise le message du christianisme victorieux sur la mort, alors que l’image de
Michel est-elle hors du temps : elle fait le lien entre la mort passée du Christ, la réception

1886
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.2.1. La christianisation d’un thème triomphal impérial.
1887
Il n’existe pas à notre connaissance, ni à celle de Julie Mercieca travaillant depuis son master sur les images
de la Crucifixion, de représentation de Crucifixion associant la figure de l’archange au dragon à l’époque
carolingienne et romane (le sujet de son master était La Crucifixion dans la sculpture monumentale romane en
France, soutenue en 2007, et de sa thèse de doctorat La Crucifixion dans les peintures murales carolingiennes et
de style carolingien dans l'Europe latine chrétienne et ses marges (IXe-début du XIe siècle) thèse en cours).
Pourtant, la figuration d’un personnage sauroctone aussi précoce ne peut sans doute représenter Georges, et le
port de la tunique courte est elle, attesté dans le bronze de Monte Sant’Angelo par exemple. L’absence des ailes
peut également s’expliquer par l’état de la peinture, dont nous ne possédons d’ailleurs que des reconstitutions
graphiques.
1888
Image provenant du site Bildindex der Kunst und Architektur :
http://www.bildindex.de/dokumente/html/obj00044568#|0 .
1889
Image provenant de l’Index of Christian Art.
1890
Voir à ce propos chapitre 2. II. 2.1.3. Une place à part pour le saint Michel actif en état.
581
contemporaine des stigmates de saint François et évoque son combat futur au moment de
l’Apocalypse.
Michel est un saint proche de la Crucifixion aux XIVe et XVe siècles. Il apparait
régulièrement dans le même axe que le crucifié dans les compositions à différents registres,
comme dans la peinture murale de San Pietro in Marvino de Sirmione : dans l’absidiole sud,
la Crucifixion occupe tout le registre supérieur, alors que l’archange est au centre du registre
inférieur, entouré de deux saints. Dans le panneau peint par Lorenzo di Alessandro sur les
deux faces, le parallèle entre les deux thèmes est flagrant : sur un côté Michel a vaincu un
démon qu’il écrase sous ses pieds, alors qu’il présente sa balance et que son épée est au
repos ; sur l’autre une Crucifixion, accompagnée de la Vierge, de saint Jean et de trois anges
qui récupèrent le sang du Christ dans des coupes.

Maestro di Santa Cecilia, Jacopo del Casentino, Anonyme, Lorenzo di Alessandro,


Vierge à l'Enfant, Crucifixion Crucifixion, saint Crucifixion et Crucifixion et saint Michel,
et saints (détail), Detroit, Michele et saints, Sirmione, Baltimore, The Walters Art
Institute of Arts, peinture sur Stigmatisation de San Pietro in Gallery, peinture sur panneaux,
panneaux, 1e ½ du XIVe. François, Dunedin, Mavino, peinture 1480.
Public Art Gallery, murale, 1321.
peinture sur panneaux,
1340-1350.

Dans la peinture murale de Fossato di Vico, réalisée par Nelli Ottaviano, Michel figure près
d’une image de crucifié, mais ne semble pas y porter une attention particulière. Pourtant,
l’âme qu’il porte sur le plateau supérieur se tourne vers le Christ pour lui adresser sa prière.
Dès les années 1330, Michel rejoint parfois l’espace du Golgotha, pour assister à la mort du
Christ. Dans la peinture murale du Maestro del Vescovado, l’archange se retrouve juste
derrière la Vierge, il a posé son épée au sol et n’est pas ici accompagné du dragon vaincu.
Mais c’est bien l’arme qui symbolise, seule, le repos du guerrier victorieux. Michel n’est pas
le seul saint à être intégré dans les scènes de Crucifixion, mais ici, comme dans plusieurs
autres peintures, c’est une nouvelle fois saint François que l’on retrouve en pendant de
l’archange autour du crucifié, signe de sa dévotion particulière à la croix, et de la réception
des stigmates à la fin de sa vie. Michel peut également apparaitre en pendant à saint Jean-
Baptiste, cousin de Jésus et prophète de la venue du Christ sur terre.
L’image de la Crucifixion est ensuite volontiers remplacée par l’image du Christ de douleur,
en vogue dans la peinture du XVe siècle. Michel accompagne ces figurations de la même
manière que les Crucifixions. Dans la lunette peinte par Matteo di Giovanni, le Christ mort,

582
au centre, est tenu par deux anges au-dessus de son tombeau. À droite, la présence de Marie-
Madeleine, peut s’expliquer historiquement puisqu’elle fut témoin de la mort du Christ. La
présence de Michel à gauche s’explique, elle, une fois de plus par la figuration du dragon
mort sous ses jambes, et par son statut de guerrier, largement figuré ici par son attirail défensif
contemporain et la présentation de son épée sur laquelle il s’appuie : malgré la tristesse de la
scène, Michel réaffirme que la mort de Jésus est bien une victoire du bien sur le mal. Cet
homme de douleur figure également sous la forme d’une broderie de la chape de l’archange
en trône, au dragon mort sous ses pieds, dans le panneau de Michele Giambono, nouveau
signe du lien rédempteur entre Passion du Christ et action michaélique.

Nelli Ottaviano, Maestro del Vescovado, Matteo di Giovanni, Christ de Michele Giambono,
Crucifixion et saint Crucifixion et saints, douleur et saints, Sienne, San Saint Michel trônant
Michel, Fossato di Arezzo, Duomo, peinture Domenico, peinture sur (détail), Florence,
Vico, Capella della murale, 1334. panneaux, 4e ¼ du XVe. Collection
Piaggiola Crocifisso, Berenson, peinture
peinture murale, 1ère sur panneaux, 1430.
½ du XVe.

II.3.1.3. Michel, figure principale

Certaines peintures de notre corpus représentent clairement l’archange comme un sujet


principal : il est au centre, de taille supérieure et le reste de la composition s’organise autour
de sa figure. Pourtant, dans un grand nombre de cas, il n’est pas toujours aisé de déterminer si
Michel est le sujet principal ou non, notamment à cause des problèmes de conservation ou de
reproduction de certaines peintures. Pour les peintures murales, il s’agit surtout des problèmes
de perte d’une partie de la surface picturale, de détachement, ou de son remaniement, par des
parties repeintes, qui occultent une partie du programme iconographique et empêche une
lecture globale des images d’un mur ou d’un édifice. Ce problème peut également être dû à
des reproductions de mauvaise qualité, ou aux angles de vue trop restreints pour saisir le cycle
dans sa logique initiale. Par ailleurs, plus que dans les peintures sur panneaux, dans les
peintures murales, les proportions d’une image ne déterminent pas seulement la primauté
d’une figure dans un cycle. Il faut également prendre en compte la situation dans l’espace, et
la relation avec le public, l’interaction avec les autres images du cycle, et l’histoire de cette
décoration picturale. Dans la peinture murale de l’église della Maddalena d’Alatri, par
exemple, la taille de Michel vainqueur du dragon est écrasante par rapport aux autres saints.
Pourtant, son éloignement des yeux du public par sa position haute, et le manque total de
583
relations entre les différents cadres qui composent le décor mural, ne nous permet pas de dire
que Michel est ici le sujet principal du mur de la nef.
Pour les polyptyques, les démembrements isolent parfois des figures qui apparaissent alors
comme des petits cadres où le personnage peint est unique, et semble donc le sujet principal.
Il y a fort à parier par exemple que le panneau de Lorenzo di Alessandro, présentant un saint
Michel transperçant le dragon, était intégré dans une composition plus grande. Les mauvaises
reconstitutions peuvent également fausser l’analyse hiérarchique entre les personnages d’un
panneau. Le sujet de ce paragraphe est donc les peintures où l’archange est, de manière quasi-
certaine, le personnage principal.

Anonyme, Saint Michel, Vierge à l’Enfant et Lorenzo di Alessandro, Saint Michel,


saints, Alatri, Santa Maria-Maddalena, peinture Baltimore, The Walters Art Museum,
murale, XIV-XVe. peinture sur panneaux, ½ années 1380.

C’est le cas par exemple dans les deux peintures murales de l’archange dans l’église rupestre
de San Nicola a Casalrotto de Mottola. Michel est figuré ici comme une figure protectrice de
la cavité naturelle, sans interagir particulièrement avec le reste du programme. Certains
endroits des édifices religieux, les endroits de passage, ou dissociés du reste du plan de mur,
sont des réceptacles propices aux représentations isolées, où la figure seule tient lieu de sujet
principal. Le tympan latéral de la façade interne de l’église San Michele in Borgo de Pise,
répond à cette description. Les compositions qui mettent sans aucun doute l’archange au
premier plan sur murs ou sur panneaux, sont celles où Michel est au centre, généralement de
grande taille, et où tous les personnages convergent vers sa figure. Dans le panneau romain du
Maître de Varlungo, Michel est en position frontale, ses ailes sont déployées et lui donne une
carrure bien supérieure à celle des autres personnages. Il est au centre du cadre et deux saints
de chaque côté se tournent vers lui.

Anonyme, Saint Michel, Peintre pisan, saint Michel, Pise, Saint Maître de Varlungo, Saint Michel et
Mottola, San Nicola a Michele in Borgo, peinture murale, saints, Rome, Collection M. Fiammingo,
Casalrotto, peinture murale, 1262. peinture sur panneaux, 1280-1290.
fin XIIe début XIIIe.
584
La prééminence de l’archange est principalement rendue par la centralité de sa figure et sa
supériorité de taille par rapport aux autres saints qui l’entourent et qui sont tournés vers lui.
Dans le panneau d’Avignon peint par Alesso di Benozzo, la hauteur supérieure de Michel est
encore accentuée par le fait que l’archange soit debout sur le dragon et que ses ailes soient
déployées au-dessus de sa tête. Dans le triptyque d’Angelo Puccinelli, Michel trône pour
augmenter sa prestance mais, même assis, il reste largement plus grand que les deux saints
des panneaux latéraux. Le polyptyque de Giovanni Canavesio comporte un nombre important
de panneaux aux images de saints ou aux scènes narratives, mais le plus grand est celui de
l’archange au centre du registre principal. Le peintre a, de plus, inséré la figure de Michel
entre une image du Christ de douleur et une autre de la Trinité, où le Fils est représenté sous
la forme d’un crucifié, réactivant le lien entre l’archange et les images du Christ mort dont
nous venons de parler, et insistant sur l’importance de Michel comme bras armé de Dieu et
comme acteur dans l’histoire du salut des hommes. Michel peut, en outre, apparaitre sur une
face d’un panneau, alors que l’autre est occupée par une Vierge à l’Enfant, comme dans la
peinture processionnelle de Niccolò du Liberatore, ou par un autre sujet. Il est alors la figure
principale de sa face, de la même façon que le personnage représenté sur l’autre, car les deux
côtés ne sont bien évidement pas conçus pour être vus ensembles, ou alors de manière
simultanée dans le temps.

Alesso di Banozzo, Saint Angelo Puccinelli, Giovanni Canavesio, Niccolò di Liberatore, Vierge à
Michel et saints, Saint Michel et saints, Pala de Pigna, Pigna, l'Enfant, sainte Anne et Michel,
Avignon, Musée du Petit Sienne, Pinacoteca San Michele, peinture Princeton, University Art
Palais, peinture sur Nazionale, peinture sur panneaux, 1500. Museum, peinture sur panneaux,
panneaux, années 1490. sur panneaux, 1379. 1458-1461.

L’archange figure également parfois seul sur les panneaux qui reçoivent son image. Nous
avons déjà étudié le panneau de Coppo di Marcovaldo, qui reçoit en son centre un saint
Michel en trône, et autour, des représentations de ses actions, miracles ou apparitions. Aucun
doute ici sur le rôle de l’archange comme personnage principal de la peinture. Trois peintures
figurent également Michel seul, sur les couvertures des livres de comptes de la magistrature
financière de la ville de Sienne. Ces trois biccherne, réalisées entre le quatrième quart du
XIVe siècle et 1475, représentent Michel en guerrier, parfois victorieux en trône, ou encore en
plein combat, comme dans celle peinte par le Maestro dell’Osservanza1891. Dans cette image,
1891
Paolo di Giovanni Fei, a peint dans le 4e ¼ du XIVe, un archange sur un trône, foulant aux pieds un dragon
pluricéphal aux têtes coupées, conservé au Museo dell’Opera Metropolitana de Sienne ; Neroccio di Bartolomeo
585
l’archange occupe la moitié supérieure, alors que dans la partie inférieure prennent place les
armoiries des administrateurs nobles et l’intitulé de l’exercice considéré dans le livre. Michel
est en train de combattre un dragon pluricéphal de taille importante devant un fond doré et un
sol sombre. Il brandit son épée dans un geste dynamique qui entraîne sa cape dans un
développement de volutes en suspension dans l’air. Une série de peintures, principalement du
XIVe siècle, figurant Michel seul, restent problématiques, car si elles semblent bien
autonomes, comme le panneau de Bernardo Daddi, rien ne prouve qu’elles n’étaient pas à
l’origine, intégrées dans des ensembles plus vastes constituant des polyptyques. À partir du
milieu du XVe siècle, les figures michaéliques se retrouvent de plus en plus souvent intégrées
dans des paysages, sur des panneaux ou des toiles constitués comme des images autonomes,
comme le panneau d’Antonio del Pollaiolo, mettant en scène Michel dans son combat contre
le mal, certainement support d’une dévotion plus intime caractéristique de la fin du Moyen
Âge.

Coppo di Marcovaldo, Saint Maestro Bernardo Daddi, Saint Antonio del Pollaiolo,
Michel et légendes, San dell’Osservanza, Saint Michel, Crespina, San Saint Michel, Florence,
Casciano Val di Pesa, Museo Michel, Sienne, Museo Michele, peinture sur Museo Stefano Bardini,
d’Arte Sacra, peinture sur dell’Archivio di Stato, panneaux, 1320-1348. peinture sur panneaux, ½
panneaux, 1250-1255. peinture sur panneaux, XVe.
1444.

II.3.1.4. Les associations originales

Nous aimerions revenir ici sur trois peintures qui ne peuvent être classées dans les
groupes que nous venons de citer. Michel n’est ni figuré à côté d’une Vierge à l’Enfant, d’un
crucifié, ou de tout autre scène divine, biblique ou hagiographique ; ni la figure principale de
la composition. Dans deux de ces images, sa figure est présente dans un contexte de
représentation allégorique. La première se trouve sur le mur du chœur de l’église des Santi
Leonardo di Limoges e Cristoforo, à Monticchiello di Siena. Un peintre de l’école des
Lorenzetti a figuré une scène de confession : saint Pierre sur un trône confesse un personnage
agenouillé à ses pieds. Derrière ce groupe, Michel terrasse un démon à l’aide de sa lance. Ce
combat est ici une mise en scène destinée à montrer que la pratique de la confession est un

Landi, a peint en 1475, un archange en armure fantasque, foulant aux pieds le dragon qu’il transperce de sa lance
et portant la balance, conservé au Mueso della Beomia Occidentale de Pizen (République Tchèque).
586
moyen de vaincre le mal. Le lien qui unit donc le premier plan de l’image, au second, est
symbolique et Michel est une sorte de personnification des effets de l’acte de pénitence. La
deuxième peinture a déjà été analysée plus haut1892, et est occupée au centre par une
personnification de la Justice, alors que la figure de Michel tient également lieu ici de
personnification de la version divine et exécutive de cette justice. Son iconographie est bien la
même que celle d’autres peintures du plein XVe siècle, mais elle se charge d’une nature
supplémentaire - celle de personnification - au contact du reste de l’iconographie du panneau.
Enfin la troisième et dernière peinture de Michel dans un contexte original, est une peinture
murale de la basilique supérieure San Francesco à Assise, qui représente la vérification des
stigmates de saint François. L’archange n’apparait pas ici comme un acteur de la scène, ou
comme un protecteur dans une image adjacente : il est ici représenté sous la forme d’une
peinture dans la peinture. Dans la scène, trois panneaux, posés sur le jubé, ornent l’église dans
laquelle l’action se déroule : un panneau portant une Vierge à l’Enfant, un Crucifix et un
troisième représentant saint Michel. L’archange figure ici comme un thème majeur de
l’iconographie chrétienne apparaissant dans les églises, au même titre que la Madone et le
crucifié. Il est, en outre, un document intéressant sur la disposition et l’utilisation des
panneaux peints dans les édifices religieux, aux XIIIe et XIVe siècles.

École de Lorenzetti, La Jacobello del Fiore, Triptyque de la Giotto, Vérification des


Confession, Monticchiello di Justice, Venise, Galleria dell’Accademia, stigmates de François, Assise,
Siena, Santi Leonardo di peinture sur panneaux, 1421. San Francesco, peinture
Limoges e Cristoforo, peinture murale, 1e ½ du XIVe.
murale, XIVe.

L’image de Michel apparait en définitive dans des contextes figurés assez limités :
celui des cortèges de saints entourant la Vierge à l’Enfant, celui des personnages privilégiés
assistant à la Crucifixion, dans la cour céleste des scènes auliques, et dans un contexte plus
volontiers extra-terrestre pour les scènes narratives. Il se distingue parfois des autres saints en
occupant le centre de la composition ou la surface entière du panneau, mais reste dans
l’ensemble à la place d’un saint, mais un saint de premier ordre, ce que confirment les
associations entre Michel et d’autres saints.

1892
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.1.2.3. L’utilisation de la balance par Michel : un symbole ou un
instrument de pesée ?.
587
II.3.2. Dans le ciel ou sur terre. La représentation des fonds derrière l’archange

Au sein du contexte figuratif dans lequel une figure évolue, le fond joue un rôle capital
dans la détermination de l’endroit où il se trouve, mais également parfois dans la nature des
relations qu’il entretient avec les autres personnages.
Si l’image de Michel a une relation complexe avec la corporalité de sa représentation, elle
transfert obligatoirement cette complexité vers sa relation à l’espace. Tant que la
représentation de ce dernier ne semble pas être au centre des recherches picturales, l’image de
l’être éthéré s’accommode parfaitement des fonds neutres ou dorés proposés par la peinture
des XIII et XIVe siècles. Le problème se pose lorsque personnages divins et saints se
retrouvent au milieu de paysages terrestres ou célestes, figurés à l’aide d’une profondeur et
d’éléments plausibles.

II.3.2.1. Au XIIIe et au XIVe siècle, un archange dans l’univers céleste

Au début de notre période, la prééminence de la peinture murale, dans un contexte où


la peinture sur panneaux n’en est qu’à ses balbutiements, fait que les images de Michel se
retrouvent principalement devant des fonds colorés neutres. Ils sont composés d’une ou deux
couleurs, parfois rythmés de plans colorés destinés à mettre la figure de l’archange en valeur,
à l’encadrer ou à lui créer, par la présence d’une bande au niveau des pieds, l’image d’un sol
de faible profondeur. Le fond doré n’est pas adapté à ces larges surfaces à peindre sur enduit
frais. Dans la peinture murale de l’église rupestre de Mottola, le fond de couleur ocre, se
confond avec la couleur des ailes de l’archange et reçoit au centre une surface rectangle de
couleur bleu nuit, destinée à mettre en valeur la partie haute du corps de Michel. Une bande
de la même couleur dans la partie inférieure de l’image crée un sol sur lequel l’archange a les
pieds posés. Les bandes pourpres qui entourent la surface picturale servent à souligner la
forme de la structure de niche dans laquelle la figure michéalique s’insère et à lui constituer
un cadre. Des frises à motifs ornementaux soulignent encore cet encadrement. Tous ces
éléments ne sont clairement pas destinés à construire un espace fictif en profondeur, mais à
insérer l’image dans la structure architecturale, en soulignant les lignes de force, tout en
compartimentant la surface, et en insistant visuellement sur la figure. Les personnages peints
sur mur se détachent en général de leur support par l’adoption d’un fond sombre qui permet
de découper leur silhouette et de les distinguer nettement.
Le développement fulgurant des panneaux peints dans le paysage artistique italien, va
considérablement changer l’usage de la peinture à la fin du Moyen Âge et insérer un nouveau
type de représentation du divin, basé sur les évolutions de la spiritualité, notamment la
multiplication et la personnalisation du sanctoral pour chaque région, commune, famille. Ce
type de représentation s’organise autour d’une figure centrale, à partir de laquelle une
multitude variable d’autres personnages saints sont disposés par rapport au centre. Dans ces
images, le fond doré, adopté dès les origines de ce développement, joue un rôle crucial dans

588
l’unité visuelle et la symbolique de l’image. Dans la deuxième partie du XIIIe siècle, nous
retrouvons l’archange figurant sur ce type de support, devant un fond doré, comme dans le
diptyque de Bonaventura Berlinghieri. Ce fond d’or permet d’uniformiser l’ensemble des
registres des panneaux, tout en situant les personnages saints dans un espace irréel, précieux
et baigné de lumière, qui correspond parfaitement à l’idée d’un espace extra-terrestre. Une
bande plus sombre est souvent ajoutée dans la partie inférieure de l’image pour figurer un
petit sol sur lequel les personnages posent les pieds, comme dans le petit panneau de
l’anonyme italo-byzantin. Cet élément indique que l’espace de l’univers céleste semble régi
par les mêmes lois que sur terre, notamment l’apesanteur, qui détermine la possibilité pour un
corps humain de se mouvoir uniquement dans deux dimensions, et non pas se déplacer
librement dans la hauteur. Les scènes narratives adoptent les mêmes règles que les images en
état dans le traitement du fond : uniforme et sombre pour la peinture murale, doré pour la
peinture sur panneaux. La prédelle d’Agnolo Gaddi, figure deux épisodes d’apparitions et
miracles de Michel, dans lesquels le paysage joue un rôle central dans la narration. Dans la
première scène, Michel écarte les eaux de la baie pour laisser la femme accouchée au sec, et
dans la seconde, le taureau apparait au sommet du Mont. Les éléments paysagés déterminant
la compréhension des scènes sont figurés, mais le reste de la surface est doré. Nous observons
les mêmes règles pour les peintures murales où le Mont Gargan par exemple est représenté en
support signifiant des personnages, alors que le reste du fond est uni et sombre, comme dans
les images de saints en pied. Le paysage, même s’il fait référence à une portion réelle
d’espace terrestre, est uniquement un élément de la narration qui n’est pas destiné à créer un
univers cohérent et plausible aux personnages en action.

Anonyme, Saint Bonaventura Berlinghieri, Vierge Anonyme italo- Agnolo Gaddi, Miracles de saint
Michel, Mottola, à l'Enfant, Crucifixion et saints, byzantin, Saint Michel, New Haven, Yale
San Nicola a Florence, Offices, peinture sur Michel, Pise, Museo University Art Gallery, peinture
Casalrotto, panneaux, 1260-1270. Nazionale di San sur panneaux, 1380.
peinture murale, Matteo, peinture sur
XIIIe. panneaux, fin du
XIIIe.

Nous voudrions souligner la remarquable uniformité dans le traitement des fonds peints
derrière l’archange pour tout le XIIIe et le XIVe siècle : la peinture murale utilise un fond
sombre et uni, apte à figurer un univers non plausible sur lequel se détachent les figures
saintes et les épisodes auxquels ils prennent part, tout en soulignant les lignes architecturales ;
la peinture sur panneaux a adopté unanimement l’or particulièrement adapté symboliquement
et visuellement à la représentation d’une surface lumineuse unifiée d’un au-delà céleste qui
589
accueille des figures saintes en pied et en état. Ces règles ne souffrent d’aucune exception
jusqu’au début du XVe.

II.3.2.2. Au XVe siècle, Michel dans un espace plausible

Les changements radicaux qui concernent le fond des peintures religieuses, qui ont
cours pendant le XVe siècle, se réalisent d’une manière progressive. Au Trecento, l’intérêt
pour la représentation de la profondeur avait déjà gagné les peintres, mais les modifications
qu’il entrainait concernaient directement les personnages et leur relation dans un espace clos
et souvent réduit à une petite scène peu profonde. Elles n’avaient pas encore bouleversé le
système fixe du fond doré ou du fond sombre. À la fin du XIVe et au début du XVe siècle, le
petit espace scénique dans lequel prend place le saint s’agrémente souvent d’éléments de
mobilier ou architecturaux propres à créer de véritables écrins en perspective pour les figures
peintes. Dans la peinture murale de Cenni di Francesco et Lorenzo di Bicci, Michel apparait
devant une niche architecturée, véritable petite chapelle en perspective, qui met sa figure en
valeur et l’insert dans un espace plausible et parcourable. Mais, si le personnage
archangélique figure dans un univers plus « réaliste », il n’en est pas pour autant plus
accessible, car cet ajout architecturé renforce sa majesté et son caractère exceptionnel.
Derrière, le fond est toujours sombre et uni et la profondeur limitée. Tout le XVe siècle reste
marqué par une voie moyenne concernant le traitement du fond, entre tradition et insertion
des nouvelles techniques de représentation. En 1466, le fond doré, s’il n’est plus la solution
unique, est encore largement présent sur les panneaux, comme celui de Neri di Bicci de
l’église San Michel d’Arezzo. Le peintre a lié cet aplat brillant et céleste à une représentation
d’un espace constitué par le sol en pierre et le trône de la Vierge. Ce dernier se développe
dans les trois dimensions et est couvert d’une conque absidiale qui encercle le couple divin
dans un écrin de pierre en perspective. Ces images ne présentent pas les personnages divins et
saints dans des univers « réalistes » inspirés d’éléments terrestres, mais figurent un espace
céleste en profondeur où figures saintes peuvent se mouvoir dans des positions et des
interactions plausibles.
Dès la première partie du XVe siècle, l’image des paysages terrestres a, par contre, déjà gagné
le fond des scènes narratives, comme dans le miracle du taureau peint par Sano di Pietro. Le
Mont Gargan ne figure plus comme un simple signe dans l’image du miracle, mais s’insert
également et participe à la constitution d’un paysage naturaliste composé de reliefs, de
végétation et d’un ciel dégradé. Cette naturalisation précoce de l’univers narratif se justifie
par le fait que ces épisodes ont bien eut lieu sur terre.

590
Cenni di Francesco et Neri di Bicci, Vierge à l'Enfant et Sano di Pietro, Assomption, Crucifixion,
Lorenzo di Bicci, Saint saints, Arezzo, San Michele, saints et scènes de leur vie (détail),
Michel, Florence, San peinture sur panneaux, 1466. Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture
Barnaba, peinture sur panneaux, 1ère ½ du XVe.
murale, XIVe.

La mise en espace de l’univers céleste touche également les représentations de l’au-delà. La


spatialisation du Jugement dernier et des lieux paradisiaques et infernaux, déjà engagée dès le
deuxième quart du XIVe siècle, notamment avec les peintures murales du Camposanto de
Pise, se généralise dans la peinture du XVe siècle. D’abord principalement liée à une
représentation spatiale et compartimentée de l’enfer, la mise en espace concerne désormais
tous les lieux de l’au-delà. Dans la peinture murale de Loreto Aprutino, les peines purgatoires
et l’évaluation des âmes à leur issue, sont représentées sous la forme d’un véritable parcours
dans un paysage semé d’embuches. Le moment même du jugement est, dès lors, figuré dans
un espace en profondeur, comme sur la voûte du Baptistère de Sienne. Le partage n’est plus
simplement figuré par un étagement et des regroupements de personnages dans un espace
pictural plat, mais conçut comme une parcelle d’espace dans laquelle la séparation de
l’humanité se développe également dans la profondeur, permettant de différencier davantage
moments et groupes.
Dans les polyptiques, si la composition générale est encore la même qu’au XIVe (échelonnage
de panneaux à partir d’une image centrale), le fond doré perd lentement sa primauté au profit
de représentations de petits espaces clos par des éléments architecturaux, mobiliers ou
textiles, qui se développent à l’arrière d’étroits sols de pierres, servant de socle aux
personnages saints ou au trône de la Vierge. Dans le triptyque de Giovanni di Francesco, le
panneau central est occupé par une Vierge à l’Enfant assise sur un trône surélevé de quelques
niveaux, derrière lequel une tenture blanche a été tendue. Les panneaux latéraux figurent
sainte Brigitte et saint Michel, debout sur un étroit sol gris, devant un mur rouge rythmé par
une corniche grise dans la partie supérieure, après laquelle le mur devient blanc.
Le paysage s’insinue également dans les espaces des panneaux principaux. La descente de
croix peinte par Fra Angelico entre 1422 et 1423, insert l’épisode au sein d’un paysage
naturaliste figurant le Golgotha, et au loin Jérusalem et la campagne alentours. Une fois de
plus, c’est une scène qui a réellement eu lieu dans le temps et dans un environnement
terrestre.

591
Anonyme, Jugement dernier Lorenzo Vecchietta, Giovanni di Francesco, Fra Angelico, Pala di
(détail), Loreto Aprutino, Santa Jugement dernier (détail), Vierge à l'Enfant et saints, Santa Tinità, Florence,
Maria in Piano, peinture murale, Sienne, Battistero, peinture New York, Collection Museo di San Marco,
1429. murale, 1447-1450. Hugh Satterlee, peinture peinture sur panneaux,
sur panneaux, 1439. 1422-1423.

La représentation de la profondeur a conquis les images italiennes dans la première moitié du


XVe siècle. Mais cette mise en perspective des personnages divins et saints, si elle participe à
leur constituer un espace plausible, ne les extrait pas de leur univers clos et extra-terrestre
définit par les compositions compartimentées et limitées des polyptyques qui demeurent la
norme. Par ailleurs, l’insertion de véritables paysages naturalistes dans les épisodes narratifs,
est, elle, inhérente à l’historicité de l’épisode représenté.

Le milieu du XVe siècle constitue un nouveau tournant dans la représentation du fond,


notamment en ce qui concerne la figure de l’archange. Le degré de narrativité de sa figure en
pied permet à Michel et son adversaire de s’adapter particulièrement à une nouvelle mode
picturale qui consiste à figurer les personnages saints dans un univers architecturé ou paysagé
en profondeur. La peinture d’Antonio del Pollaiolo datée du milieu du XVe siècle, est la
première à figurer l’image de l’archange combattant devant un fond paysagé dans lequel il
s’insère. Dans ce panneau, Michel se tient sur une parcelle garnie de végétaux, dont l’espace
est limité par une roche sur le côté gauche. Le fond de l’image est lui dégagé sur un paysage
de plaine, coupé par un cours d’eau et entouré de reliefs montagneux. Le combat de
l’archange se déroule désormais sur terre. Ce panneau ouvre la voie à une série de peintures
présentant le combat générique de l’archange contre le mal sous la forme d’un groupe de
figures dynamiques, insérées dans un paysage terrestre. Ce type d’images prend place sur un
panneau isolé ou peut être intégré dans une plus grande composition où il reste, de toute façon
traité comme un petit cadre indépendant. Cette modification du fond derrière les images
michaéliques est également révélatrice d’une autonomisation de la figure de Michel qui
apparait de plus en plus souvent de manière indépendante par rapport aux grandes
compositions peuplées de saints, et qui s’explique en partie par l’universalité du message que
véhicule son image. Cette figure seule est parfois rejointe par Gabriel et Raphaël. La
représentation conjointe des trois archanges, se déplace également devant un fond paysagé, à
partir des années 1460, comme dans la peinture de Biagio di Antonio 1893. Les panneaux de
Vierge à l’Enfant et saints, sont de toute façon eux aussi touchés par cette tendance à
l’intégration des figures saintes dans des espaces qui ressemblent de plus en plus à des
1893
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 3.2.1.2. Michel et les autres archanges.
592
portions de paysages terrestres, naturels ou architecturés. Dans le fragment de polyptyque de
Filippo Lippi, Antoine et Michel sont agenouillés dans un jardin clos derrière un haut mur
rosé, derrière lequel des arbres sont visibles. Ils figurent sur des panneaux différents, dans
lesquels le paysage se poursuit pour figurer un espace commun. La structure du panneau peint
évolue, bientôt remplacé par la toile, vers une représentation beaucoup plus unifiée
qu’auparavant. Les compartiments des polyptyques sont abandonnés au profit d’un lieu
partagé par les saints autour de la Vierge à l’Enfant, instaurant un nouveau type de
représentation : la Sainte Conversation. Ce terme insiste particulièrement sur la relation et
l’échange entre les membres de la communauté sainte qui nécessite une réunion physique des
protagonistes dans un espace commun. Si une hiérarchisation des personnages existe toujours
par rapport au centre, elle ne se réalise plus à travers un compartimentage matériel de l’image,
mais désormais par la position des personnages dans l’espace en trois dimensions, et par leurs
mouvements, leurs attitudes, et leurs interactions. Ce sont les éléments même du décor qui
peuvent créer des séparations visuelles tendant à souligner une hiérarchie dans les
personnages représentés. Dans l’huile sur toile peinte par Gerino Gernini, par exemple,
chacune des arcades du fond correspond à un groupe de personnages - l’arcade centrale pour
le couple divin, les arcades latérales, pour les saints - reprenant ainsi de manière plus
naturaliste, l’ancienne relation panneau central / panneaux latéraux du schéma sur bois.
L’environnement de ces Saintes Conversations gagne en réalisme par les progrès de la
représentation en perspective, et par une attention plus soutenue à la figuration des matériaux
et des objets présents dans la scène. L’espace se creuse, les pièces dans lesquelles prennent
place les saints sont plus profondes, et s’ouvrent plus volontiers sur des paysages naturalistes
s’inspirant directement des panoramas des cités et des campagnes italiennes. Dans ces images,
Michel apparait souvent seul, sans attribut-agissant, ou avec un adversaire déjà largement
vaincu, car l’image d’un démon ou d’un dragon belliqueux s’adapterait assez mal à
l’ambiance douce et apaisée de ces réunions pieuses. Cet aspect explique également le
développement des représentations isolées et paysagées du combat de l’archange contre le
mal, dont nous parlions au début de ce paragraphe.

Antonio del Pollaiolo, Biagio di Antonio, Les trois Filippo Lippi, Saints, Gerino Gerini, Sainte
Saint Michel, Florence, archanges et Tobie, Florence, Cleveland, Museum of Conversation, Pistoia,
Museo Stefano Bardini, Collection Bartolini Art, peinture sur Museo Civico, huile sur
peinture sur panneaux, Salimbeni, huile sur toile, panneaux, 1457-1458. toile, 1509.
milieu du XVe. 1461-1471.

593
Au dernier quart du XVe siècle, les personnages saints paraissent tenir réunion sur terre. La
Sainte Conversation peinte par Andrea Mantegna vers 1495, semble prendre place dans le
chœur d’une église. D’ailleurs, le dévot qui figure dans l’image est totalement intégré à
l’espace saint, par sa taille et sa position. La discrétion des nimbes des saints, participe à le
fondre dans leur groupe et seule l’attitude recueillie de cet homme et celle des autres
personnages à son égard montrent qu’il n’appartient pas à ce monde.
L’espace naturaliste, dégagé et parcourable par les personnages, créé par la mise en
perspective des éléments architecturés et paysagés, peut se transformer en une surface
ramassée et restreinte autour du couple divin, dont seule la disposition des corps les uns par
rapport aux autres, garantit la mise en perspective de l’ensemble. Ce type de composition
permet de créer une proximité sans précédent entre les personnages, notamment par
l’adoption d’un plan très rapproché, comme dans l’huile sur bois de Francesco Bissolo, où
cette proximité est devenue d’autant plus étonnante, qu’elle concerne également les donateurs
avec le couple divin. Le paysage naturel n’est plus ici qu’un lointain fond figuratif. La Vierge
à l’Enfant est davantage une mère sur terre, mais la présence de Michel, qui semble avoir
repris ses fonctions de garde rapproché, nécessaire à cause de la mise à proximité du couple
divin, rappelle tout de même le caractère exceptionnel. Car si les saints, dans leur apparence
purement humaine, s’adaptent parfaitement à ces environnements terrestres, de même que la
Vierge à l’Enfant dont le lien maternel renforce l’humanité, Michel reste un personnage
irréaliste dans les Saintes Conversations et permet de relativiser, par sa simple présence,
l’idée d’une proximité totale entre les lieux de réunion des saints et des espaces terrestres
concrets.
À la fin de notre période, la figuration des apparitions de Michel reste, par contre, clairement
ancrée sur terre, dans des représentations au naturalisme prononcé, qui se justifie notamment
par l’importance, dans les récits de fondations des grands sanctuaires, du caractère
environnemental. Les théophanies michaéliques sont profondément inscrites dans le territoire
qui les reçoit, qu’il soit naturel (comme au Mont Gargan, au Mont-Saint-Michel ou à la Sacra)
ou urbain (comme à Rome). Ces paysages sont en outre des espaces connus et vécus par les
peintres et les fidèles, puisqu’ils sont presque tous italiens. Ces aspects expliquent l’attention
accordée à la figuration du paysage des épisodes d’apparitions par rapport aux épisodes
michaéliques se déroulant dans le ciel, comme en témoigne par exemple les scènes peintes par
Antoniazzo Romano et Melozzo da Forli, dans la chapelle du Cardinal Bessarione de l’église
des Saints-Apôtres de Rome.
Malgré le naturalisme de la représentation du Mausolée d’Hadrien dans le panorama qui se
trouve derrière l’archange du panneau de Marco Palmezzano, ce monument, figuré ici derrière
le Mont Gargan occupé par le taureau, rappelle que le paysage des peintures italiennes du XVe
et du début du XVIe siècle, est une construction. La création des peintres, même si largement
inspirée du réel, permet, dans une vision idéale, de figurer chaque élément représenté dans sa
forme la plus parfaite, répondant à la perfection de la création divine, comme reflet des
beautés célestes.

594
Andrea Mantegna, Francesco Bissolo, Vierge à Antoniazzo Romano et Melozzo da Marco Palmezzano,
Vierge de la l'Enfant, saints et donateurs, Forli, Légendes de saint Michel, Dieu, Vierge à
Victoire et saints, Londres, National Gallery, Rome, Santi Apostoli, peinture l'Enfant et saints
Paris, Louvre, huile sur bois, 1500-1525. murale, 1464-1468. (détail), Faenza,
huile sur toile, Pinacoteca Comunale,
1495-1496. peinture sur panneaux,
1497-1500.

La figuration des épisodes bibliques et miraculeux mettant en scène Dieu et ses saints dans
des paysages naturalistes, permet l’inscription de l’action divine sur terre. Le fort degré de
narrativité de l’image générique de Michel combattant le mal, permet de le figurer de manière
isolée devant un fond paysagé, et participe à cette insertion du surnaturel dans un
environnement ordinaire. La question est plus complexe en ce qui concerne les images des
Saintes Conversations. On ne peut considérer les lieux de réunions saintes comme
directement inscrits dans un environnement terrestre. Il s’agit davantage de l’utilisation de
formes terrestres, transcendées dans leur perfection, pour créer de toute pièce un univers
céleste plausible, presque palpable, dans lequel l’homme ailé, malgré son humanisation,
demeure le point culminant du surnaturel.

II.3.3. Les personnages qui accompagnent Michel

Outre les thèmes principaux à côté desquels apparait Michel, ou le fond devant lequel
il figure, la proximité d’autres personnages, peut permettre de mettre en valeur un aspect de sa
personnalité, ou insister sur l’une de ses missions. Nous prenons en compte ici les
personnages, saints ou anges, qui apparaissent de manière significative, quantitativement
(fréquence de l’association) ou qualitativement (force significative de l’association dans
l’image), au côté ou en pendant de Michel1894.

II.3.3.1. Michel un ange parmi les anges

La nature de Michel l’associe de facto à celle de l’ange avec qui il partage la même
image d’homme ailé, le même type physionomique, et parfois les mêmes fonctions. Pourtant,
1894
Sur l’association de Michel aux autres saints, voir DESINAN, 1993, surtout pp. 35-38 ; et RIGAUX, 2009,
pp. 592-596.
595
l’archange ne semble pas si souvent figuré avec ses homologues ailés dans l’iconographie
italienne de la fin du Moyen Âge.

En tant que chef de la milice céleste, nous avons vu que Michel apparaissait dans
plusieurs images narratives, accompagné d’une armée d’anges 1895. Ils sont dans ce cas,
généralement regroupés autour ou derrière Michel, dans des proportions moindres par rapport
à leur chef, mais sont bien souvent à notre période vêtus également en guerriers et portent les
mêmes armes que Michel. C’est bien sous cette forme qu’ils apparaissent à Arezzo, dans la
chapelle Guasconi peinte par Spinello Aretino. Le commandement de l’archange est
généralement figuré par l’adoption du costume de général romain dans les peintures en état ou
les peintures narratives. Mais c’est précisément dans ce type de mise en scène de Michel avec
son armée, qu’il prend toute l’épaisseur d’un chef de guerre : il est largement plus grand que
les autres anges, il est au centre de la composition, il combat seul le grand dragon alors que
les anges s’occupent des multiples démons, il est calme et déterminé alors que son armée
semble fourmiller dans toutes les directions. La vision comparée entre Michel et les anges
constitue alors une sorte de faire-valoir de l’archange et permet de souligner sa fonction de
chef. En dehors des quelques représentations narratives de combat contre le dragon de
l’Apocalypse, ou des anges rebelles, Michel n’est pas figuré en compagnie d’anges.
Au début de notre période, nous retrouvons encore parfois des images de l’archange dans une
fonction clairement angélique, comme dans la peinture murale de Côme, où il tient, comme
trois autres anges, la mandorle contenant une figure de la Vierge en pied. Mais ce type de
représentations ne se retrouve plus en plein XIIIe siècle et aux siècles suivants. Dans
l’iconographie classique de Michel, notamment dans les panneaux où il figure en état, si les
anges entourent souvent le couple divin, l’archange, lui, n’est pas en contact avec eux, tout
comme les autres saints de la composition. La différence de traitement entre l’archange et les
anges musiciens et en prière, qui occupent l’huile sur toile de Neri di Bicci, est révélatrice du
fait que Michel n’intervient pas dans les images, et donc dans le culte, à la manière d’un ange,
mais bien à la manière d’un saint, individualisé dans sa mission et dans son image, et imploré
pour des raisons bien précises. Dans le fragment de polyptyque peint par Simone Martini,
Michel apparait au registre principal (du moins ce qui semble être aujourd’hui le registre
principal), entre deux saints évêques. Les trois pinacles sont occupés par des figures
angéliques, qui correspondent au même type que l’archange, tant physionomique qu’au
niveau vestimentaire. Le troisième ange est particulièrement proche de Michel puis qu’il porte
des couleurs similaires de tunique et de lôros. Pourtant deux éléments fondamentaux
distinguent l’archange des autres êtres célestes : sa place dans l’image et le port des attributs,
qui le définissent comme un ange ayant une mission très précise et dont la vénération
personnalisée que lui portent les hommes, est à l’égale de celles des saints.

1895
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.1. Les scènes de combats de l’archange.
596
Spinello Aretino, Saint Michel et Anonyme, Vierge et Neri di Bicci, Simone Martini, Saints
ses anges combattent le dragon anges, Côme, San Couronnement de la Vierge, et anges, Cambridge,
(détail), Arezzo, San Francesco, Fedele, peinture saints et anges, Florence, Fitzmuseum, peinture
peinture murale, 1404. murale, fin XII- Museo del Cenaccolo di sur panneaux, 1319.
début XIIIe. Sant’Apollonia, huile sur
toile, 1473.

Hormis leur collaboration dans les images narratives, Michel est bien loin des anges
apparaissant dans les mêmes compositions figuratives que lui. Un autre contexte
iconographique peut sembler cependant les réunir : la représentation des neuf chœurs
angéliques.

L’étude de la représentation des neuf chœurs angéliques n’est pas une chose aisée à
entreprendre. En effet, l’iconographie différenciée pour chaque ordre de la hiérarchie
angélique ne s’est pas réellement fixée autour d’un modèle fixe, mais varie, en fonction des
peintres et des zones culturelles, dans une association complexe d’attributs souvent récurrents,
mais pas clairement repartis entre les différents ordres1896. La figuration seule des neuf chœurs
angéliques est plutôt rare dans l’art monumental du Moyen Âge, mais elle s’inscrit dans des
contextes iconographiques plus élaborés, notamment avec le thème du couronnement1897.
C’est de cette manière qu’il apparait trois fois dans notre corpus : le Christ pose la couronne
sur la tête de la Vierge, en présence du Saint-Esprit, dans une mandorle créée ou soulignée par
une cohorte d’anges rangée dans un schéma rayonnant, selon la liste de l’homélie 34 de
Grégoire le Grand1898. Dans la peinture murale de Giovanni da Modena, et dans le panneau,
construit sur le même schéma, du Maestro dell’Avicenna, ce groupe couronnement / chœur
angélique est associé à une représentation des élus, formant une vision du paradis, et une
représentation de l’enfer au registre inférieur. Michel ne figure pas au registre des anges, mais
est absorbé par sa mission de porteur de balance et de surveillant de l’accès au paradis, entre
le registre paradisiaque et le registre infernal. Il ne semble alors pas avoir grand-chose à voir
avec la multitude de saints en adoration autour du couple divin. Dans la chapelle du cardinal
Bessarione, figurent deux apparitions de l’archange sous la forme du taureau, au Mont Gargan
et au Mont-Saint-Michel. Juste au-dessus de ces scènes, des restes de la décoration absidiale
montrent une série de neuf groupes d’anges, qui s’étalonnaient autour d’une figure centrale
aujourd’hui disparue, représentant certainement un couronnement de la Vierge. La

1896
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 1.4.2. La différenciation des catégories angéliques.
1897
BRUDERER EICHBERG, 1998, p.11.
1898
BRUDERER EICHBERG, 1998, p.87.
597
représentation conjointe des miracles de saint Michel au thème de la hiérarchie angélique,
donne une tonalité angélique à l’iconographie de la chapelle, sans que l’image de Michel ne
soit directement associée au groupe des anges.

Giovanni da Modena, Maestro dell’Avicenna, 1899 Fig. 92. Antoniazzo Romano et Melozzo da
Couronnement de la Vierge, Couronnement de la Vierge, Forli, Les neuf chœurs angéliques, Rome, Santa
Paradis et enfer (détail), Paradis et enfer (détail), Apostoli, peinture murale, 1464-1468.
Bologne, San Petronio, Bologne, Pinacoteca
peinture murale, 1410. Nazionale, peinture sur
panneaux, 1435.

La peinture de Fra Angelico, ne constitue pas à proprement parler une image des neuf chœurs
angéliques, puisque la multitude d’anges n’est pas classée en neuf groupes. Pourtant la
différenciation de plusieurs catégories d’anges montre une volonté d’évoquer la hiérarchie
céleste, autour de la figure du Rédempteur. Dans cette composition, les anges sont vêtus
d’aubes de différentes couleurs, ou de dalmatiques ornées de bandes dorées, mais un seul se
distingue au niveau vestimentaire : un ange qui occupe l’un des premiers rangs à la gauche du
Christ. Il est vêtu d’un plastron, qui semble recouvert de plumes, des cubitières et d’une
jupette à ptéryges. Il porte une épée et un casque dans les mains, alors que tous les autres ont
les mains vides ou occupées par des instruments de musique (un autre ange porte un casque,
mais est vêtu d’une aube rose et joue également d’un instrument). Il s’agit sans aucun doute
de Michel, l’ange guerrier, qui présente ici ses armes au repos au Christ victorieux. Aucun
autre personnage angélique ne porte dans cette composition, d’élément distinctif. Ainsi, même
lorsqu’il se trouve au milieu de la cour céleste, Michel occupe une place à part par
l’individualisation de ses fonctions, et donc de sa représentation.

Fra Angelico, Glorification du Christ dans la cour céleste, Londres, National


Gallery, peinture sur panneaux, 1423-1434.
1899
http://www.gliscritti.it/gallery3/index.php/Basilica-Santi-Apostoli-in-Roma-Cappella-Bessarione
598
Il est parfois difficile de déterminer si Michel figure ou non au milieu des anges dans les
grandes compositions des neuf chœurs angéliques. Cette difficulté ne vient pas du fait que
l’archange n’est pas suffisamment caractérisé, mais plutôt du fait qu’il est souvent à l’origine
de l’iconographie de différents groupes angéliques. Les attributs michaéliques - les armes, les
vêtements guerriers, la balance, l’orbe, les démons - mais également ses attitudes, sont
utilisés, selon divers arrangements1900, pour figurer aussi bien les Puissances, les
Dominations, les Trônes, les Principautés, les Archanges ou les Anges. Le manque de règle
globale régissant la représentation des chœurs invite à la confusion, de même que l’utilisation,
dans certaines peintures, des figures individualisées de Michel, Gabriel ou Raphaël pour
représenter le groupe des Archanges1901. L’importance des emprunts à l’iconographie
michaélique dans les images des groupes d’anges, est patente dans les peintures de Guariento
di Arpo, provenant de la cappella Carravese et conservées au Museo Civici de Padoue,
souvent légendées dans les ouvrages ou sur Internet comme étant des images de saint Michel,
alors qu’elles représentent respectivement une Puissance, une Principauté et un Archange.

1902

Fig. 93. Guariento di Arpo , Puissance, Principauté et Archange, Padoue,


Museo Civici, panneaux de la cappella Carravese, 1357.

Dans tous les cas, même lorsque l’image de Michel est utilisée pour figurer le groupe
archangélique, il n’est pas alors une représentation de saint Michel mais bien une image de
L’Archange par excellence, et est représenté, comme le précise Marco Bussagli, dans sa
position hiérarchique par rapport à Dieu et dans son essence majestueuse1903. Les mêmes
remarques sont applicables aux images de Gabriel et de Raphaël, les deux autres archanges
individualisés avec lesquels Michel figure le plus régulièrement.

1900
Marco Bussagli a proposé un classement des différents types de représentations des chœurs dans quelques
œuvres italiennes, sans en tirer forcément des conclusions globales. BUSSAGLI, 1991, p. 292.
1901
L’idée de choisir les trois principaux archanges comme représentants spécifiques de l’ordre est liée à une
tradition théologique et liturgique ancienne très répandue et instaurée par Grégoire le Grand dans son homélie
34. BRUDERER EICHBERG, 1998, p. 88.
1902
http://it.wikipedia.org/wiki/Guariento_di_Arpo
1903
BUSSAGLI, 1991, p. 291.
599
Au XIIIe siècle, les archanges ne sont pas particulièrement associés dans
l’iconographie italienne1904. Aucune des peintures que nous avons recensé ne figure Michel à
côté ou en pendant de Gabriel. Michel apparait une dizaine de fois en symétrie de Gabriel
dans notre corpus. En 1319, la Vierge à l’Enfant, peinte par Simone Martini, est entièrement
entourée de figures saintes en buste, sur les panneaux latéraux, les pinacles et la prédelle.
Hormis les représentations du Christ au pinacle supérieur et au centre de la prédelle, seuls
deux personnages ne partagent pas la même nature : il s’agit des bustes de Gabriel et de
Michel, compris entre l’image centrale de la Vierge et celle du Christ bénissant. Le premier
est vêtu d’une dalmatique blanche rebrodée de carrés d’or, et surmontée d’un pallium, et porte
une branche et un phylactère. Le second, est vêtu d’une tunique surmontée d’un plastron,
d’épaulières et d’un pallium. Il porte également un phylactère et une arme à la forme
indéterminée. Le panneau central de ce polyptyque a exactement la même composition que
celle des panneaux latéraux, mais dans des proportions supérieures, de manière à rendre la
suprématie des personnages divins par une plus grande taille et une position plus haute. Les
deux archanges, qui se trouvent insérés dans ce panneau central, profite donc, grâce à leur
nature spirituelle, de cette position d’exception par rapport aux autres saints. Ils ne sont
pourtant pas figurés à la manière d’anges classiques, plus volontiers réunis autour de la Mère
et de l’Enfant, mais bien à la manière de saints, mais avec une légère primauté de place et de
taille. Cette légère primauté se retrouve dans le polyptyque de Giotto conservé à Bologne, où
Gabriel et Michel sont figurés aux places d’honneur directement à côté du couple divin.
Pourtant, une fois encore, ils apparaissent davantage comme des saints que comme des anges.
Gabriel se tourne vers la Vierge et lui tend le phylactère pour rappeler sa mission
d’annonciateur. Michel est le vainqueur du dragon pluricéphal, et donc apocalyptique. Le
premier annonce la vie, le second, la mort1905, mais la mort du dragon signifie le début de la
vie éternelle pour les élus qui jouissent alors pour toujours de la Vision Béatifique. Les deux
archanges ont une nouvelle fois un type vestimentaire distinct, mais leur nature commune se
lit dans leur type physionomique, la présence de leurs ailes et leur place symétrique dans la
composition, à laquelle répond le parallélisme des hampes qu’ils tiennent respectivement
chacun dans leur main. Ce type d’images se retrouve ponctuellement au XVe siècle,
généralement autour d’une Vierge à l’Enfant. Dans deux peintures de notre coprus, Michel
apparait en pied et en état à côté d’une scène principale figurant une Annonciation1906, sans
que la représentation de l’archange ne s’en trouve modifiée.

1904
DIEGO BARRADO, 1997, pp.133-144.
1905
FISCHETTI, 1972, p. 16.
1906
Il s’agit de la peinture sur panneaux de Bicci di Lorenzo conservée à Stia, dans l’église de Santa Maria
Assunta, et réalisée en 1414 ; et d’une autre de Benvenuto di Giovanni, conservée à Volterra au Museo d’Arte
Sacra et peinte en 1466.
600
Simone Martini, Vierge à l'Enfant et saints (et détail), Giotto, Vierge à l'Enfant et saints, Bologne,
Pise, Museo Nazionale di San Matteo, peinture sur Pinacoteca Nazionale, peinture sur
panneaux, 1319. panneaux, 1332-1334.

L'origine de l'iconographie faisant de Michel le pendant de Gabriel autour du Christ ou de la


Vierge (ou d’un souverain) est d'origine byzantine1907. Dans les images orientales, ils sont
généralement vêtus de la même manière, en vêtement de la cour impériale, souvent armés, et
assument davantage un rôle conjoint de gardes rapprochés du couple divin, qu’un rôle
d’intercesseurs. Ce type se retrouve en Italie, notamment dans les zones d’influences
byzantines, à Ravenne, plus tard à Monreale, et en Catalogne au XIIe siècle, où l’association
des deux archanges prend une nouvelle dimension par l’ajout d’étendards, ou de petits
rouleaux portant l’inscription PETICIUS pour Michel, et POSTULACIUS pour Gabriel1908.
Ces mots désignent des termes juridiques de requête, se référant aux locutions latines petitio
et postulatio - celui qui demande et celui qui requiert - et définissent les archanges comme des
intercesseurs auprès des hommes au moment du jugement. Ce type d’images n’apparait plus à
notre période, même si nous pouvons déceler quelques résurgences du motif des deux
archanges comme garde rapproché du divin, dans la représentation symétrique des deux
archanges autour d’une Vierge à l’Enfant, comme dans le panneau de Giotto par exemple.
L’examen des documents cappadociens met également en évidence la prééminence, comme
dans tout l’Orient byzantin et l’Occident, de l’archange Michel1909 : supériorité quantitative de
ses représentations, et qualitative, par leur emplacement et certaines particularités
iconographiques par rapport aux autres anges et archanges. L’image de Gabriel est souvent
limitée au contexte de l’Annonciation, figurée couramment, mais souvent de manière
secondaire, sur les pinacles ou les médaillons de polyptyques, et de manière plus centrale dans
les cycles mariaux. Lorsqu’il n’est pas l’archange annonciateur, il est un pendant de Michel,
ou plus tard, l’un des trois archanges. Sa figure se définie toujours à partir de sa confrontation
à un autre personnage, qui définit sa fonction (la Vierge souligne son rôle d’annonciateur), ou
sa nature (Michel ou Raphaël soulignent sa nature archangélique).

1907
À propos de l’association de Michel et de Gabriel dans les programmes iconographiques byzantins, voir
JOLIVET-LÉVY, 1991.
1908
Voir à ce propos BOUSQUET, 1974, pp. 7-27 ; et la thèse de doctorat de Matthieu Beaud, Iconographie et
art monumental dans l’espace féodal du Xe au XIIe siècle. Le thème des Rois mages et sa diffusion, sous la
direction de Daniel Russo, thèse dactylographiée, pp. 220-222.
1909
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 187.
601
Mais, dans la peinture italienne, si la confrontation des deux archanges souligne leur statut
archangélique, elle ne déplace pas pour autant la figure de Michel à une place et une forme
purement angélique, car c’est Gabriel qui rejoint Michel au registre des saints et non pas
Michel qui rejoint Gabriel à celui des anges. Dans la peinture de Giotto, les deux archanges
sont davantage des saints ailés que des êtres célestes en adoration devant la Vierge. Mais au
XVe siècle, Michel est plus volontiers le pendant d’un autre archange : Raphaël.

Le troisième archange est plutôt rare dans l’iconographie du Moyen Âge. Nous
retrouvons parfois Michel et Raphaël représentés conjointement au milieu d’une série
d’archanges. Dans le royaume Normand de Sicile, dans la chapelle Palatine de Palerme, la
coupole porte une mosaïque du XIIe siècle, figurant le Christ Pantocrator au centre, entouré
d’anges et des quatre archanges, Gabriel, Michel, Raphaël et Uriel, également présents tous
les quatre dans l’église de la Martorana, toujours à Palerme. Mais la peinture italienne n’a pas
privilégié ce regroupement archangélique. Pina Belli d’Elia note la présence d’une peinture du
IXe siècle dans l’église rupestre dite « Del Peccato originale » à Picciano près de Matera1910.
Les trois absides sur le côté oriental accueillent chacune une triade : la triade apostolique
(Pierre, Jean et André), la triade virginale (Marie couronnée et deux saintes) et la triade
archangélique (Michel, Gabriel et Raphaël). Dans cette dernière, les trois archanges sont du
type paléochrétien, vêtus d’une dalmatique et d’un pallium. Michel porte une verge et
Raphaël, une croix.

1911 1912

Fig. 94. Christ Pantocrator entouré d’anges et des Fig. 95. Les trois archanges, Picciano (Matera),
quatre archanges, Palerme, chapelle palatine, coupole, église rupestre Del Peccato originale, peinture
mosaïques, XIIe. murale, IXe.

Dans notre corpus, Michel est représenté huit fois avec Raphaël, sans Gabriel, principalement
dans la deuxième partie du XIVe siècle, et surtout au XVe ou au tout début du XVIe siècle.
Dans le polyptyque de Paolo Veneziano, dit « de la croix reliquaire », les modalités de
représentations des deux archanges sont les mêmes qu’avec Gabriel : les deux figures se
répondent symétriquement par rapport au centre, mais n’occupent pas une place réservée aux
anges. Dans les panneaux d’un anonyme émilien, conservés à Londres, chacun des deux

1910
BELLI D’ELIA, 2011, p. 234.
1911
Image provenant du site : http://www.palermo-bed-and-breakfast.net/guida-di-palermo.xhtml .
1912
Image provenant du site : http://notizie.comuni-italiani.it/wp-content/uploads/2012/06/7-grotta-peccato-
originale-matera.jpg .
602
archanges prend place sur un panneau séparé, et est absorbé par la tâche qu’il accomplit et qui
définit son rôle : Michel, vêtu en guerrier, protège la balance des griffes d’un démon ; et
Raphaël, vêtu d’une aube, guide Tobie en le tenant d’une main et en lui indiquant une
direction de l’autre. L’état de conservation de ces deux panneaux est bon, mais nous empêche
de connaître la manière dont ces deux peintures étaient articulées. Andrea di Cione a peint sur
un panneau une Crucifixion, entourée de six niches, qui reçoivent des représentations d’anges,
différenciés dans leur apparence physique : un ange rouge et un ange aux cheveux rouges,
font face à un ange bleu et un ange aux cheveux bleus, et deux autres anges au registre
central, sont, eux, différenciés par leurs vêtements et leurs attributs. Celui de gauche, porte un
plastron, une cape et présente une tête de dragon et une épée. Il s’agit de Michel. Celui de
droite, porte une tunique et une chlamyde et tient une petite boite, attribut courant de Raphaël
qui représente le remède à faire parvenir au père de Tobie pour guérir sa cécité.

Paolo Veneziano, Saints (détail), Anonyme émilien, Saints Michel Andrea di Cione, Crucifixion
Bologne, San Giacomo Maggiore, et Raphaël et Tobie, Londres, et anges, New York,
peinture sur panneaux, 1330-1350. collection privée ; peinture sur Metropolitan Museum,
panneaux, 2e ½ du XIVe. peinture sur panneaux, 1365.

Dans quatre peintures du XVe siècle, Michel, à droite de la Vierge à l’Enfant, répond
symétriquement à Raphaël, accompagné ou non de Tobie1913. Michel peut être accompagné
ou non de la balance et de son adversaire, mais est à chaque fois clairement figuré en guerrier,
notamment par rapport à Raphaël qui porte une tunique et parfois une cape. Dans la peinture
de Domenico Ghirlandaio, Michel porte une armure de plates sur le buste et les bras, et un
simple collant sur les jambes. Son épée est au repos. Raphaël est figuré en aube, surmontée
d’une fine étole et d’un drapé, et présente un objet. Gabriel n’est pas représenté mais pourtant
évoqué dans cette peinture par la présence multiple du lys, qui est son attribut le plus courant.
Dans la prédelle de Giacomo Pacchiarotti, les deux archanges sont figurés en scène sur
chacune des extrémités, et accompagnés chacun d’un des frères médecins, Cosme et Damien.
Michel est en train de repousser un démon des plateaux de la balance, et Raphaël, guide
Tobie. Les deux archanges figurent clairement ici comme protecteurs des hommes, l’un au
moment de la mort, l’autre comme accompagnateur des vivants, alors que la présence des
frères médecins complète cette assistance d’une protection du corps.

1913
Les trois peintures non présentées sont : Maestro di San Miniato, Vierge à l’Enfant et archanges, Florence,
Tabernacle de la Piazza della Piattellino, peinture murale, 2 e ½ du XVe ; Pietro Perugino, Vierge à l’Enfant et
archanges et anges, Londres, National Gallery, huile sur toile, 1496-1500 ; Pier Francesco Fiorentino, Vierge à
l’Enfant et archanges, Montefortino, Pinacoteca Civica, peinture sur panneaux, 1497.
603
Domenico Ghirlandaio, Vierge à l'Enfant Giacomo Pacchiarotti, Visitation et saints (détails),
et saints, Florence, Offices, peinture sur Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur
panneaux, 1484-1486. panneaux, 1ère décennie du XVIe.

Le culte des anges gardiens, dont Raphaël est le représentant par excellence, se développe
tardivement dans la spiritualité chrétienne1914, ce qui explique le développement tardif de
l’iconographie de Raphaël en général, et au côté de saint Michel en particulier. L’essor
croissant de la croyance en une protection angélique constante, permet également l’apparition
d’un nouveau type d’images : celles qui regroupent les trois archanges dans un même espace.

Michel, Raphaël et Gabriel sont réunis douze fois au sein d’une même composition,
dans notre corpus. Ces images ont toutes été réalisées au XVe siècle, et de manière
progressive. En effet, les trois premières peintures, exécutées au premier quart du siècle,
représentent Michel et Raphaël, symétriquement par rapport à une scène centrale, de la même
manière que dans les peintures que nous venons de décrire, alors que Gabriel est figuré dans
une autre partie de la peinture, au sein d’une Annonciation 1915. Dans le polyptyque de
Giovanni del Ponte, Michel apparait, présentant son épée et sa balance, dans un médaillon au-
dessus du panneau latéral gauche, et Raphaël, accompagné de Tobie, dans le médaillon
symétrique du panneau latéral droit. Gabriel, se retrouve dans le pinacle au-dessus de Michel,
alors que la Vierge de l’Annonciation et au-dessus de Raphaël. La réunion des archanges dans
les parties hautes de cette peinture, qui n’accueillent qu’eux, la Vierge et une image de la
Trinité, met en valeur l’aspect céleste de ces personnages. Les peintures murales du Pisanello,
réalisées autour du monument funéraire de Niccolò Brenzoni, entre 1424 et 1426, figurent,
elles aussi, une représentation symétrique de Michel et de Raphaël, complétée par une
Annonciation au centre de la composition, juste au-dessus de la partie sculptée. La protection
du défunt est ici assurée par les trois archanges les plus célèbres de la Bible.

1914
FAURE, 1997, p. 206.
1915
La peinture non présentée correspondant à ce type est celle du Maestro del Polittico di Trapani,
Couronnement de la Vierge et saints, Palerme, Galleria interdisciplinare Regionale della Sicilia, peinture sur
panneaux, début du XVe. Une autre peinture sur panneaux plus tardive, de 1488, conservée dans l’église San
Domenico de Taggia, représente également les deux archanges face à face et Gabriel dans une scène de
l’Annonciation,
604
Giovanni del Ponte, Assomption de saint Jean et saints (et Pisanello, Michel, Rapahël et
détails), Londres, National Gallery, peinture sur panneaux, Annonciation, Vérone, San Fermo
1420-1424. Maggiore, peinture murale, 1424-1426.

Le Maestro di Pratovecchio est le premier à réunir les trois archanges côte à côte dans un
même espace. Dans les années 1440, il peint un petit panneau représentant Michel, Raphaël et
Gabriel, tous trois vêtus d’une aube et d’une étole, chacun accompagné de l’attribut majeur
qui définit son action, respectivement, l’épée, Tobie et un phylactère. Les personnages sont
figurés devant un fond sombre et neutre, sous lequel la figuration d’un sol apporte une légère
profondeur. À partir des années 1460-1470, ces trois hommes ailés sont représentés devant un
paysage, comme dans l’huile sur toile de Biagio di Antonio, où le relief et la végétation en
arrière-plan participent à créer un espace distinct pour chaque personnage : Michel est du côté
montagneux, et Raphaël et Gabriel sont séparés par un arbre. Les personnages n’occupent
pourtant qu’une petite parcelle paysagère, car ils sont debout et statiques sur une étroite
saynète d’herbe fleurie, alors que le paysage se développe à la verticale derrière eux, à la
manière d’un décor de théâtre. Dans la peinture de Francesco Botticini, dont le modèle sera
repris par Filippino Lippi1916, les personnages occupent désormais l’espace naturel dans lequel
ils sont insérés, puisqu’ils sont représentés en marche sur un sol en légère pente. Ici, Tobie qui
apparaissait auparavant davantage comme un attribut-agissant de Raphaël, prend ici une
importance considérable, par la taille et par l’attention qui lui est rendue. Son protecteur est,
en effet, tourné vers lui, et la dynamique ambulatoire - trait classique dans la figuration de
l’épisode de Raphaël et de Tobie - a ici gagné les deux autres archanges. L’impression qui se
dégage de cette marche commune, est que les trois archanges accompagnent de concert Tobie
et le protège sur la route qui le conduira à son père. Si l’image du Maestro di Pratovecchio
était sans aucun doute une figuration des trois archanges, celle de Francesco Botticini semble
être une figuration de Raphaël et Tobie accompagnés de Michel et Gabriel. Cela démontre
l’importance pris par les anges gardiens au sein du culte angélique. Une seule peinture
figurant les trois archanges dans un espace commun ne place pas l’ange gardien au centre. Il
s’agit d’une peinture de Marco d’Oggiono du début du XVIe où Michel, au centre et en plein
vol, est en train de brandir son épée vers un démon en chute, alors que les deux autres
archanges assistent à la scène debout sur le sol. Le vainqueur du mal occupe ici une bonne
1916
Filippino Lippi, les trois archanges et Tobie, Turin, Galleria Sabauda, peintures mixtes sur bois, 1477-1478.
605
partie de l’image et de l’attention, par le déploiement de sa figure dans les airs et par le
dynamisme de sa représentation. Ce n’est plus l’aspect protecteur des anges qui est mis en
valeur, mais leur mission de combattant du mal.

Maestro di Biagio di Antonio, Les trois Francesco Botticini, Les trois Marco D’Oggiono, Les
Pratovecchio, Les trois archanges et Tobie, archanges et Tobie, Florence, trois archanges et la
archanges, Berlin, Florence, Collection Offices, peinture sur panneaux, chute de Satan, Milan,
Staatliche Museen, Bartolini Salimbeni, huile 1470. Galleria Brera, peinture
peinture sur panneaux, sur toile, 1461-1471. sur panneaux, début
années 1440. XVIe.

La triple figuration archangélique peut également apparaitre sous la forme de la juxtaposition


de trois scènes narratives, mettant chacune en scène l’action majeure d’un archange. Dans la
prédelle de Domenico di Michelino1917, présentant une image de la Trinité sur le panneau
principal, la première saynète est occupée par un combat de Michel contre un gros dragon
devant une grotte. La deuxième figure une Annonciation, et la troisième la marche de Raphaël
qui accompagne et guide Tobie en lui indiquant la route à suivre à l’aide de son bras.
Enfin, dans une peinture de notre corpus, les trois archanges sont réunis en tant qu’acteurs
d’un même événement : le Couronnement de la Vierge. Ils figurent tous les trois aux
premières loges, avec quelques saints, alors que les autres anges, reconnaissables à leurs ailes
dressées, sont à l’arrière du cortège, ou encore derrière, dans le ciel. Gabriel, Raphaël et
Michel sont des êtres à part, ni véritablement des saints, ni clairement des anges classiques, ils
occupent la première place au côté du couple divin.

Domenico do Michelino, Trinité et scènes des trois Riccardo Quartararo, Couronnement de


archanges (détail), Florence, Galleria dell’Accademia, la Vierge, saints et anges (détail),
peinture sur panneaux, 1460-1470. Palerme, Galleria Regionale della Sicilia.

1917
C’est également le cas dans la peinture sur panneaux de Jacopo da Montagnana, Annonciation et archanges,
Padoue, Palazzo Arcivescovile, 1496.
606
Dans ces images, Michel est toujours clairement le guerrier du groupe, les peintres insistent
sur la représentation réaliste et contemporaine de son armure de plates, et même parfois sur
des traits moins angéliques, comme dans la peinture de Francesco Botticini, le faisant paraitre
comme le plus humain des archanges1918. Il est toujours armé, même si son adversaire est
souvent absent et que la balance est également rare dans la triple figuration archangélique.
Au sein de ce groupe, Michel n’est pas un saint, mais clairement un être céleste. Il se
distingue ici, comme Gabriel et Raphaël, de ses homologues angéliques par son appartenance
à un groupe d’archanges, et surtout un groupe bien individualisé, dont chaque membre a
accompli des actions précises dans l’histoire, et qui sont réunis, à la fin du Moyen Âge, dans
une mission commune autour de la protection de l’homme.
Ce n’est pourtant pas au milieu des archanges que Michel est le plus souvent représenté, mais
parmi les hommes sanctifiés.

II.3.3.2. Michel un saint parmi les saints

Précisons une nouvelle fois qu’ il faut être vigilant dans l’interprétation du voisinage
d’un saint ou de son éloignement d’autres figures, à cause des possibles problèmes de
démembrements, de remontage et de déplacement, notamment dans les polyptyques. Il ne faut
pas non plus forcer les images à parler lorsqu’elles n’ont rien à dire, car toutes les associations
et voisinages de figures saintes n’ont pas forcément une raison supérieure à celle qui fait
qu’elles appartiennent toutes deux au sanctoral du commanditaire, par un concours de
circonstances qui n’est souvent pas bien connu. Le risque de surinterprétation est donc grand.

Des saints aux mêmes fonctions

Les différentes fonctions assumées par l’archange dans l’histoire chrétienne


caractérisent sa figure, ses vêtements, ses attributs et son action dans l’image. Ce sont parfois
elles qui déterminent également les personnages qui sont associés aux représentations de
Michel.

Saint Pierre possède, comme Michel, un rôle important dans l’accès des âmes ou des
hommes au paradis1919. À ce titre, les deux personnages apparaissent parfois dans les mêmes
scènes narratives, comme dans les épisodes de l’au-delà peints dans l’église de San Fiorenzo à
Bastia Mondovi : saint Pierre est situé juste derrière l’archange et indique de son doigt le
résultat de la balance. Ils sont associés, au sens propre et au sens figuré, visuellement et
fonctionnellement. Ils sont également parfois rapprochés dans les images en état, soit côte à

1918
Voir à ce propos le chapitre 2. I . 2.2.2.1. Les traits d’un ange.
1919
À propos du lien entre culte de saint Pierre et de saint Michel, voir LAURANSON-ROSAZ, 2001, pp. 89-99.
607
côte, comme dans la peinture murale de Favria, ou de part et d’autre d’une Vierge à l’Enfant,
comme dans le panneau de Niccolo Rondinelli. Dans un cas, comme dans l’autre, le peintre a
insisté sur l’attribut qui indique le rôle de chacun dans l’au-delà : la balance de Michel auquel
se rattache un combat contre le démon ; et les clés de Pierre, qui ont une taille
particulièrement disproportionnée dans la peinture de Favria. Dans un fragment de polyptyque
de Luca di Tommè, un petit médaillon de saint Pierre portant bien en évidence ses clés,
surmonte la représentation en buste de l’archange qui porte haut sa balance. Aucun doute
n’est possible, dans ces images, quant à la volonté des peintres, iconographes ou
commanditaires, de lier les deux gardiens des portes du paradis.

Anonyme, L’enfer Suiveur de Martino Niccolo Rondinelli, Vierge à l'Enfant, Luca di tommè, Saint
(détail), Bastia Spanzotti, Saints Michel saints Michel et Pierre, Baltimore, The Michel, Florence,
Mondovì, San et Pierre, Favria, San Walters Art Gallery, peinture sur Collection H. Acton,
Fiorenzo, peinture Pietro Vecchio, peinture panneaux, 1495-1502. peinture sur panneaux,
murale, 1472. murale, années 1490. 2e ½ du XIVe.

Les associations les plus évidentes de l’archange avec d’autres saints, sont celles qui
rapprochent deux guerriers, au sein d’images de saints généralement en aube, en vêtements
antiques ou en vêtements liturgiques. Ce type d’association est également courant dans les
églises cappadociennes1920. Dans le panneau de Bicci di Lorenzo, les tuniques courtes et la
cape de saint Julien et de saint Michel au centre, ainsi que l’épée que l’un porte dans son
fourreau, et l’autre à la main, rapproche de manière évidente les deux guerriers, qui, s’ils
n’ont pas la même nature, se battent pour la même cause. Le parallèle entre archange et saint
guerrier est également effectif dans la chapelle dédiée à saint Galgano, à Chiusdino,
particulièrement dans la scène de la lunette du mur ouest, où Michel armé, présente son alter
ego humain à la Vierge, alors que Galgano porte une représentation de la roche contenant son
épée. La figuration au registre inférieur de l’apparition de Michel sur le Mausolée d’Hadrien à
Rome, confirme la volonté de lier le culte de l’archange à l’épée, dans la chapelle du saint
guerrier dont la légende est elle-même fortement liée à son arme. Mais le saint guerrier le plus
couramment représenté près de l’archange est saint Georges, qui a également en commun
avec Michel d’être un sauroctone. Les deux combattants du dragon apparaissent ainsi
ensemble dans une vingtaine de peintures de notre corpus. Ils sont alors dans toutes ces
images des guerriers, mais ne combattent jamais le dragon conjointement dans la même
composition. Paolo Veneziano figure régulièrement les deux soldats. Dans le panneau de

1920
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.195 et JONES, 1989, pp. 8-9.
608
Parme, ils sont superposés sur le panneau latéral droit. Ils sont vêtus de la même façon,
portent tous les deux une lance, mais Georges a un bouclier, qui insiste sur sa vulnérabilité
d’homme, et Michel foule le dragon, absent de la représentation de Georges. Dans la prédelle
de Joan Figuera, les deux combattants apparaissent symétriquement par rapport au centre, ils
ont une cotte de mailles sur laquelle un surcot blanc porte la croix rouge de saint Georges,
figurant presque toujours sur les figures de l’homme, et moins souvent sur celles de
l’archange. Giuliana Vitale, parle d’un véritable syncrétisme iconographique entre les deux
guerriers, dans le contexte de la Naples aragonaise1921. Les différences sont ici discrètes mais
perceptibles : la croix de saint Georges est simple pour l’homme et a des branches aux
extrémités tréflées pour l’archange. Georges porte des rubans décoratifs sur les épaules et un
casque, qui ne figurent pas sur Michel qui est par contre ailé.

Bicci di Lorenzo, Ambrogio Lorenzetti, Paolo Veneziano, Joan Figuera, Annonciation et saints,
Saints, Helsinki, San Galgano offre son Vierge à l'Enfant, Cagligari, Pinacoteca Nazionale, peinture
Ateneum, peinture sur épée (détail), Crucifixion et sur panneaux, 1455-1479.
panneaux, 1ère ½ du Chiusdino, San saints (détail),
XVe. Galgano, peinture Parme, Galleria
murale, 1334. Nazionale,
peinture sur
panneaux, 1330-
1340.

La plupart du temps, c’est Georges qui est représenté avec le dragon. Giovanni del
Ponte oppose un archange sans adversaire, présentant l’épée et la balance portant des petits
hommes ; à un chevalier, combattant un dragon aussi gros que sa monture. Alors qu’il était
primordial dans les images des XIIIe et XIVe siècles, le caractère sauroctone de Michel est
moins important au XVe siècle, comme en attestent les confrontations avec Georges, qui reste
le combattant du dragon, alors que l’archange devient davantage un combattant du démon.
Dans un panneau réalisé par un suiveur de Bourdichon, au registre supérieur, les deux
guerriers combattent dans un même espace paysagé : un démon pour Michel et un dragon

1921
Elle insiste sur l’association des deux cultes de ces figures si chères à la dynastie, alimentée par un fort
sentiment chevaleresque et militaire, qui débouche sur un syncrétisme iconographique par la concentration en
une seule et même image des deux plus grands référents célestes des Aragon. Dans VITALE, 1999, p. 114.
609
pour Georges à cheval. L’élément iconographique qui distingue le plus souvent le guerrier
céleste de Georges, et de tous les chevaliers humains, est le moyen de locomotion : les ailes
pour l’un et le cheval pour les autres. À la fin du XVe siècle, les différences entre les deux
soldats de Dieu s’amincissent. Le Pérugin figure les combattants au repos et en adoration
devant l’Enfant. Ils ont le même type physionomique, la même position, portent tous les deux
une armure -même si celle de Michel se distingue légèrement par sa coloration dorée et la
décoration du plastron -, la même arme, et aucun élément ne vient différencier la nature du
combat qu’ils réalisent chacun (pas de monture, pas d’éperons, pas de balance, pas de dragon
ni de démon), si ce n’est la présence des ailes, unique élément iconographique déterminant
dans la distinction des deux guerriers. Dans l’huile sur toile d’Andrea Mantegna, les
similitudes physionomiques et vestimentaires sont moins strictes, mais ils réalisent tous les
deux la même action, qui consiste à tirer les pans du manteau de la Vierge pour protéger ceux
qui se trouvent en dessous. Les deux guerriers sont unis dans leur mission, malgré leur nature
différente. Mais ce n’est pas tant leur différence de nature d’être qui les distingue et en font
des personnages non répétitifs dans les images, c’est la nature de leur combat. Selon Esther
Dehoux, c’est l’aspect social du combat de Georges, qui prend la défense de la femme -
symbole de l’inermis et donc de l’Église - qui est une bataille humaine et profondément
sociale, qui le distingue du combat de Michel essentiellement spirituel1922. Leurs missions
sont donc parallèles et complémentaires.

Giovanni del Ponte, Vierge à Suiveur de Bourdichon, Perugino, Nativité, Andrea di


l'Enfant et saints, Columbia, Saints, Naples, Museo Crucifixion, Annonciation et Mantegna, Vierge
Museum of Art, peinture sur Nazionale di saints, Rome, Collection de la Victoire et
panneaux, 1425-1426. Capodimonte, peinture Albani Torlonia, peinture sur saints, Paris,
sur panneaux, 2e ½ du panneaux, 1491. Louvre, huile sur
XVe. toile, 1495-1496.

L’association de Michel et de Georges se réalise également avec un troisième guerrier : saint


Martin.

Saint Michel est figuré une dizaine de fois à proximité de saint Martin, principalement
e
au XV siècle, et c’est souvent par l’entremise de Georges, autre saint cavalier que les trois

1922
DEHOUX, 2011, p. 126. Nous regrettons de n’avoir eu le temps de consulter la thèse récemment éditée de
cet auteur : Saints guerriers, Georges, Guillaume, Maurice et Michel, dans la France médiévale (XIe-XIIIe
siècle), parue aux Presses Universitaires de Rennes.
610
guerriers sont réunis dans les images. Dans la peinture sur panneaux de Badile Giovanni, la
Vierge, au centre, est entourée d’une représentation de saint Georges à cheval, protégeant la
princesse du dragon, et de l’autre côté de saint Martin à cheval, coupant son manteau en deux
à l’aide de son épée pour en offrir une moitié au pauvre du premier plan. Les deux pinacles
latéraux comportent les images de l’archange et de la Vierge de l’Annonciation, et le pinacle
central montre Michel en train de brandir son épée pour repousser un démon qui tente de
perturber la pesée. Dans cette peinture, les relations sont multiples et triangulaires entre les
personnages guerriers, qui utilisent tous une arme similaire, l’épée, mais de manière
différente. Michel et Georges sont liés par leur combat commun contre le mal ; Martin et
Georges sont deux cavaliers saints, protégeant le peuple opprimé, figuré sous la forme de la
princesse sacrifiée ou du pauvre sans manteau ; Martin est le saint de la charité, vertu
largement récompensée au moment de la pesée des bonnes et des mauvaises actions, exécutée
dans l’image du pinacle central par Michel. La mise en parallèle de la représentation de
Michel et de Martin, est plus évidente dans le panneau de Girolamo di Giovanni. L’insistance
sur l’acte de charité d’un côté, figuré par la nudité presque totale du pauvre, et de la pesée de
l’autre, lie ces deux faits dans un rapport de causalité, renforcée par la figuration au centre de
la Crucifixion, point centrale de l’histoire de la Rédemption de l’homme. L’analogie
vestimentaire rapproche parfois les figures plus éloignées de Michel et de Martin, comme
dans le panneau de Gianfrancesco da Tolmezzo, où ils portent tous les deux une armure de
plates qui les distingue des deux autres personnages du registre principal, au corps découvert -
saint Sébastien et saint Roch - et crée inévitablement un parallèle dans leur mission. La
balance est toujours présente dans la main de l’archange. Ici, l’accent est mis sur une autre
forme de combat contre le mal : celle qui se manifeste par la lutte contre la peste. La présence
de saint Sébastien et de saint Roch ne laisse aucun doute sur les finalités de cette peinture :
protéger des épidémies par l’imploration des principaux saints anti-pesteux. La présence
centrale de la figure de saint Martin s’explique par la dédicace de l’église. L’épée brandie de
Michel, et non pas remise dans son fourreau comme dans l’apparition romaine en contexte de
peste, rappelle que la peste était considérée comme une punition divine, et prouve que la
colère de Dieu n’est pas encore retombée, exhortant les hommes, par la monstration de la
balance, à considérer leur vie dans une perspective salutaire. L’association de saints guerriers
et de saints anti-pesteux permet d’insister sur le fait que la maladie est une forme du mal,
contre laquelle l’homme doit se battre spirituellement, pour lui permettre la guérison ou la
bonne mort. Michel est parfois associé directement à saint Roch ou à saint Sébastien mais de
manière assez ponctuelle. Dans le polyptyque de Niccolò di Liberatore, le saint transpercé de
flèches apparait en symétrie par rapport à la Vierge à l’Enfant, à un archange se battant
activement contre un démon pour assurer le bon déroulement de la pesée. Dans les images de
ce type, la balance est toujours au centre de l’attention.

611
Badile Giovanni, Vierge et Girolamo di Giovanni, Gianfrancesco da Nicolò du Liberatore,
saints, Vérone, Museo di Vierge à l'Enfant, Tolezzo, Vierge à l'Enfant Vierge à l'Enfant et
Castelvecchio, peinture sur Crucifixion, et saints, et saints, Socchieve, San saints, Bastia Umbra,
panneaux, 1428. Monte San Martino, Santa Martino, peinture murale, Santa Croce, peinture sur
Maria del Pozzo, peinture 2e ½ du XVe. panneaux, 1499.
sur panneaux, 1473.

Dans cette image, la lutte contre la maladie, figurée par la résistance de Sébastien face à son
martyre, est mise en relation avec la lutte contre le mal, qui se réalise dans la perspective de la
mort, rappelée par la pesée des âmes de Michel et son combat contre le démon.

Si l’archange et Georges n’étaient jamais figurés conjointement avec le dragon qu’ils


combattent tous les deux, il n’en va pas de même pour les images de Michel associées à celles
de Marguerite, sainte sauroctone, présente sept fois dans notre corpus. Car les deux saints se
présentent volontiers leur trophée respectif. Dans les panneaux de Jacopo del Casentino,
Michel tire le dragon par sa crinière et le transperce dans la gueule à l’aide de sa lance, alors
que Marguerite, armé d’une seule croix, tient un petit dragon mort par le cou. Le regard
complice que se lancent les deux saints victorieux du mal, doit être relativisé, car rien
n’indique que les panneaux étaient, à l’origine, situés l’un en face de l’autre, sans obstacle
entre eux. L’insistance entre une mise à mort physique, par les armes, et une mort plus
spirituelle, par la croix, est encore plus prégnante dans le panneau de Neri di Bicci. Michel,
victorieux, présente son épée et foule aux pieds un dragon étêté, dont le chef repose à
quelques centimètres, laissant la vision du cou de la bête tranchée et ensanglantée au premier
plan. Sainte Marguerite, de l’autre côté, marche elle aussi sur un dragon similaire, mais ici,
aucune trace de coup ou de blessure : la bête est endormie dans un sommeil éternel dont seule
la croix est responsable. Arme et croix sont deux insignes de la victoire du bien sur le mal,
adaptés à la nature de chacun des combattants : un général de la milice céleste, et une femme
vierge et sainte.

612
Jacopo del Casentino, Neri di Bicci, Saint Thomas reçoit la ceinture de la Vierge et saints (et
Saints, Florence, Santa détails), Philadelphia, Museum of Arts, peinture sur panneaux, 1467.
Maria degli Ughi, peinture
sur panneaux, 2e ¼ XIVe.

Alors qu’il est particulièrement développé dans le culte et l’iconographie orientaux de


1923
Michel , le rôle de guérisseur de l’archange s’efface vite dans le culte occidental pour ne
jamais proposer d’images mettant réellement en avant cette fonction. Nous avons bien recensé
six peintures où Michel figure à proximité des saints Cosme et Damien. Mais il n’est
quasiment jamais en relation directe avec eux dans les images. Seules deux peintures
semblent lier ces personnages dans un espace commun. Dans une prédelle de Giacomo
Pacchiarotti, Michel mène un combat contre un démon, aujourd’hui disparu, autour de la
pesée. Dans le même espace paysagé, se tient saint Cosme qui assiste à la scène. De l’autre
côté de la prédelle, Raphaël et Tobie sont accompagnés de saint Damien. Cosme et Damien
sont les saints médecins par excellence, mais également des intercesseurs privilégiés,
notamment au moment de la mort, et c’est certainement à ce titre qu’ils encadrent ici les
scènes de la prédelle à côté des archanges, alors que le rôle des anges gardiens se développe et
se précise à la fin du Moyen Âge. L’huile sur toile de Gian Francesco Caroto, figure saint
Michel au centre, au bras posé sur une grande épée, entouré de saint Beuvon, et des saints
Cosme et Damien. La fonction de guerrier explique l’association de saint Beuvon avec
l’archange, mais elle est certainement liée également au nom du saint, et à la bannière portant
l’image d’un bœuf qu’il tient dans la main gauche, rappelant le miracle du taureau qui marque
l’insertion du culte de l’archange en Occident. La protection du corps est également assurée
par la présence des deux frères médecins. L’invocation de ces différents saints représentés
conjointement dans cette peinture, doit donc permettre la protection physique du corps, de
l’intérieur, par l’action des saints médecins, de l’extérieur, par celle du guerrier humain saint
Beuvon, et une protection spirituelle grâce à Michel.

1923
JOLIVET-LÉVY, 1997, pp. 187-198.
613
Giacomo Pacchiarotti, Visitation et saints (détails), Gian Francesco Caroto, Saints, Mantoue,
Sienne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, Santa Maria della Carità, huile sur toile,
1ère décennie du XVIe. avant 1519.

La proximité des deux frères médecins, ne permet pourtant pas d’insister sur une fonction
similaire pour Michel. Il reste un protecteur, un intercesseur au moment de la mort, mais non
un guérisseur. Pourtant, l’association plus courante de l’archange avec un autre saint invoqué
contre les maladies, le lie une nouvelle fois à un contexte de protection médicale : il s’agit de
saint Antoine abbé.

Saint Antoine apparait cinquante-cinq fois dans notre corpus. Il est, lui aussi, un saint
très courant dans l’iconographie de la fin du Moyen Âge. S’il est principalement invoqué dans
la guérison du Mal des Ardents, Antoine est également un saint qui a largement lutté contre
les attaques du démon, et est, à ce titre, assez proche de Michel. Dans la peinture murale de
Laietto, le combat de l’archange contre le démon, est clairement relié à celui de l’ermite qui
lutte contre les tentations dans le désert, l’un physiquement, par les armes, l’autre
spirituellement, par la prière et le signe de bénédiction. Le rapprochement spatial des deux
formes du mal combattu, insiste sur la similitude de la mission des deux protagonistes, et sur
la complémentarité des moyens qu’ils mettent en œuvre pour y parvenir. La complémentarité
des gestes des deux figures est encore clairement effective dans la peinture sur panneau de
Timoteo Viti da Urbino : Michel combat physiquement et dynamiquement le mal, Antoine le
combat grâce à son signe de bénédiction. Tous deux sont des protecteurs de l’homme devant
le mal.

Anonyme, Saints, Laietto, San Bernardo, Timoteo Viti da Urbino, Noli me tangere
peinture murale, 1430. et saints, Cagli, Sant’Angelo Minore,
peinture sur panneaux, 1518.

614
Laurence Meiffret insiste également sur l’aspect justicier de saint Antoine, qui atteint son
comble dans la seconde moitié du XVIe siècle, puisque son rôle de guérisseur est également
utilisé par les clercs comme discours moralisant, où ceux qui ne guérissent pas sont
considérés comme des pécheurs pour qui la maladie est le châtiment1924. Il possède ainsi la
même double nature que l’archange en ce qui concerne l’utilisation des armes au service de
Dieu, l’épée pour l’un, la maladie pour l’autre : ils peuvent être perçus comme des protecteurs
des hommes, mettant ces armes à leur service contre les démons ; mais également comme des
figures de punisseurs, lorsque l’arme est tournée vers les hommes pécheurs.
Les deux vainqueurs des démons ne sont pourtant pas souvent associés dans cette lutte, au
sein de l’iconographie italienne de la période étudiée.

La représentation conjointe de l’archange avec saint Pierre, saint Georges, et dans une
moindre mesure, saint Martin, saint Sébastien, sainte Marguerite et saint Antoine, permet de
mettre en valeur l’une des missions principales de Michel. D’autres associations sont
également signifiantes, même si elles n’insistent pas sur les actions de l’archange.

Michel et les autres saints

Michel apparait cent-deux fois dans les mêmes peintures que saint Jean-Baptiste. Bien
sûr, le cousin du Christ est l’un des saints les plus représentés dans l’iconographie chrétienne,
et nous devons nous garder de faire des conclusions trop hâtives sur la fréquence de figuration
conjointe des deux saints. Pourtant l’archange a souvent la même place que lui, notamment
dans les images centrées sur une Vierge à l’Enfant. Tous deux occupent souvent les premières
places près du couple divin, soit directement à côté, soit sur les premiers panneaux latéraux,
en pied, ou en buste, comme dans le panneau de Manfredino da Pistoia. Dans le petit panneau
d’un anonyme pisan, ils sont les deux seuls personnages à partager l’espace autour de la
Vierge. Giovanni d’Agnolo di Balduccio les réunit autour d’un crucifié, ils se retrouvent
chacun sous un bras de la croix, alors qu’un dévot et saint François sont représentés dans une
taille très inférieure, agenouillés au pied du Christ. Même lorsque que c’est l’archange qui est
le sujet principal du panneau, Jean-Baptiste est encore figuré auprès de lui, comme dans la
peinture de Cristoforo Faffeo. Nous pourrions bien sûr multiplier les exemples de peintures où
l’archange n’apparait pas seulement dans un même espace pictural que le baptiste, mais où les
deux personnages semblent liés dans leur proximité au couple divin.

1924
MEIFFRET, 2004, p.38.
615
Manfredino da Pistoia, Vierge à l'Enfant Anonyme pisan, Giovanni d’Agnolo Cristoforo Faffeo,
et saints, Florence, Collection Acton, Vierge à l'Enfant et di Balduccio, Saints, Aersa, Museo
peinture sur panneaux, 1275-1280. saints, New York, Crucifixion et saints, Diocesano, huile sur
Metropolitan Arezzo, San bois, 1495.
Museum of Art, Domenico, peinture
peinture sur murale, XIV-XVe.
panneaux, 2e ¼ du
XIVe.

En effet, toutes ces images ont la particularité de figurer l’un en pendant de l’autre, mais dans
une proximité spatiale avec la Vierge à l’Enfant ou le Christ, qui ne peut qu’être révélatrice
d’une volonté d’établir un lien entre couple divin et les deux saints présentés. Ce lien est
évident pour Jean, cousin de Jésus par sa mère, la proximité figurative est donc un reflet des
liens de sang. Pour Michel, malgré son traitement souvent similaire aux autres saints dans les
images, il reste un être spirituel, même s’il ne l’est pas autant que Dieu. La proximité avec le
couple divin peut alors s’expliquer par une supériorité d’état entre Michel et les autres
personnages, gagnant ainsi la meilleure place avec les membres de la famille divine, dans les
compositions hiérarchiques des peintures de la fin du Moyen Âge. En outre, lorsque la
composition insiste sur une proximité entre Michel et le Christ, cela permet d’insister sur la
nature céleste de l’Enfant, alors que sa représentation dans les bras de sa mère, penche
davantage pour une monstration de son humanité. La proximité spatiale avec l’archange,
permet de rappeler sa double nature. Le rapprochement extrême des personnages peints par
Cesare Sesto, ne peut s’expliquer que par cette mise en perspective de l’importance des liens
de sang, proprement humains, figurés ici par la contigüité et la douceur qui existent entre la
Vierge, l’Enfant, son cousin et sa tante ; avec le rappel de la nature divine de Jésus, figuré par
sa proximité avec l’être céleste. C’est d’ailleurs cette double nature, humaine et divine, qui
permettra au Christ d’être le Juge suprême, au moment de la fin des Temps, fonction rappelée
dans la présence de la balance et dans l’attention que lui porte l’Enfant. Michel et Jean-
Baptiste peuvent alors être perçus comme les deux personnifications de la nature double du
Christ. Cet aspect nous semble évident dans un détail du polyptyque de Lorenzo di
Alessandro. Au registre supérieur de cet objet, figure, au centre, un Christ de douleur porté
par deux anges. Sur les deux panneaux contigus, l’archange et le baptiste se font face. Le
premier, vainqueur de la bête, dont il porte la tête, rappelle le caractère victorieux de la mort
de Jésus, alors que le second précise qu’il s’agit bien de l’Agnus Dei. Si les deux personnages
affirment le caractère divin de cet homme au corps inerte, la nature de chacun ravive le
souvenir de la double nature du Christ : Michel, Quis ut Deus ? ; et Jean, dont le lien charnel
avec Dieu incarné est connu de tous.

616
Cesara Cesto, Vierge à l'Enfant, sainte Lorenzo di Alessandro, Vierge à l'Enfant, Christ de
Élisabeth, saints Jean-Baptiste et Michel, douleur et saints (détail), Serrapetrona, San
Paris, Louvre, huile sur toile, 1510. Francesco, peinture sur panneaux, 1496.

Michel n’est pas représenté souvent en lien avec la figure de saint Paul. Ce
rapprochement est patent dans moins de dix peintures de notre corpus, et ne se réalise pas
dans une volonté d’unir ces deux personnages dans une communauté de mission, ou de sens.
Leur lien est uniquement formel car ils portent tous les deux une épée. Le port de cet objet
long, et donc structurant dans l’image, permet de rythmer la composition. Dans un détail d’un
polyptyque de Luca di Tommè, l’archange figure en pied, présentant son épée, une maquette
et foulant aux pieds le dragon. Dans le pinacle qui se trouve au-dessus de son panneau, saint
Paul présente lui aussi l’arme, et un livre de l’autre côté. Les deux armes sont parallèles et
s’élancent toutes les deux dans l’espace, alors que le second attribut qu’ils tiennent chacun,
oppose une masse compacte et inerte. Le lien visuel entre ces deux figures est indéniable.
C’est également le cas dans la peinture de Gherardo di Jacopo Starnina. Dans ces deux
panneaux, certainement centrés à l’origine sur une image centrale, deux groupes de trois
saints se font face. Michel et Paul figurent en symétrie l’un de l’autre, et porte tous les deux
leur épée noire, pointée vers le bas, pour l’un dans la main droite, pour l’autre dans la main
gauche, conservant la symétrie de leur figure. Les deux épées participent ainsi à la clôture de
l’espace peint par ces deux lignes noires, qui permettent de contenir le regard du spectateur
dans un espace clos et déterminé.

Luca di Tommè, Vierge à l'Enfant et saints Gherardo di Jacopo Starnina, Saints, Lucques,
(détail), Lucignano, Museo Comunale, peinture Muzeo Nazionale, peinture sur panneaux,
sur panneaux, 2e ½ du XIVe. 1401-1407.

617
Pourtant ces deux objets sont loin d’être liés dans l’utilisation qu’en font chacun des deux
personnages, et dans le symbole qu’ils renferment. L’épée de Michel, lui sert à combattre le
mal, elle est le symbole de sa puissance guerrière, l’affirmation de sa mission divine, et de son
rôle dans l’instauration de la justice de Dieu et dans son exécution. Elle a donc une valeur
positive, dans la mesure où l’on a choisi de se placer du côté des élus. L’épée de Paul est une
figuration de l’arme de son martyre, celle qui lui a ôté la vie, et ne possède pas alors cette
valeur positive, si ce n’est qu’elle marque une condition sociale supérieure du saint - car la
décollation était réservée aux personnages de haute qualité - et le début de sa naissance à la
vie éternelle. Dans tous les cas, ce n’est pas lui qui s’en sert, et l’épée est ici un rappel d’une
action dont il était victime mais pas directement acteur. Les deux armes ne présentent donc
qu’une analogie formelle et la mise en relation des deux saints se réalise ainsi par cette
similitude d’attributs.

Saint Christophe apparait treize fois dans notre corpus dans le même ensemble
figuratif que notre archange. Ce nombre restreint ne doit pas nous faire passer à côté d’un lien
qui peut être intéressant dans quelques images, lorsque Michel à la balance, figure en pendant
du saint porteur du Christ. Sur le revers des panneaux latéraux du triptyque reliquaire peint
par Giusto de’Menabuoi, Michel et Christophe se font face. Le premier, porte une balance,
qu’il protège de sa lance des attaques d’un dragon, alors que les petits hommes pesés
semblent implorer l’assistance divine, soit par les bras levés, soit par les mains jointes en
prière. Christophe, lui, porte l’Enfant sur son épaule, une palme dans la main droite, qui lui
tient lieu de bâton de marche, et la main gauche relève le pan de son vêtement pour ne pas le
mouiller. Nous avons affaire ici à deux porteurs : l’un de la balance, et ainsi des âmes, dont
l’expressivité attire l’attention ; l’autre de Dieu. Dans le polyptyque démembré de Francesco
dei Franceschi, la lance de l’archange répond visuellement au bâton tenu par Christophe. Les
deux hampes assurent le bon déroulement de leur mission : l’un l’utilise en arme pour assurer
la sécurité du passage des âmes, l’autre pour assurer son pied dans l’eau et donc le passage du
Christ de l’une à l’autre rive.

Giusto de’Menabuoi, Vierge à l'Enfant et Francesco dei Franceschi, Saint Pierre,


saints (détail), Cassino, abbaye de Crucifixion et saints (et détails), Padoue,
Montecassino, peinture sur panneaux, 1376. Pinacoteca Civica, peinture sur panneaux, 1447.

618
L’action de Christophe auprès de l’Enfant en fait un protecteur attitré des routes et des
voyages. Son iconographie insiste d’ailleurs ici sur la pérégrination, par le mouvement de ses
jambes et la présence du bâton de marche. Si Michel n’apparait pas ici clairement en
protecteur sur la route du ciel, comme c’est souvent le cas dans les textes, notamment les
récits des voyages dans l’au-delà, la protection de la balance qu’il assure est bien le signe du
soin qu’il met dans la sécurité du transfert des âmes après la mort. L’archange est le
protecteur des voyages célestes, alors que Christophe, est celui des voyages terrestres. Ils sont
de plus liés en tant qu’acteurs du bon déroulement, l’un juste avant et l’autre juste après la
mort : Michel par son rôle de surveillant du passage, et Christophe qui est invoqué,
notamment par la multiplication de ses représentations apotropaïques, pour protéger contre la
malemort.

La présence des « figures d’actualité »1925 est également courante dans notre corpus
puisque celles-ci deviennent des personnages importants de l’iconographie chrétienne entre le
XIIIe et le XVe siècle. La figuration de saint Dominique ne permet de faire de remarques
particulières autour de son rapport avec les images de l’archange. Saint François est, par
contre, représenté quarante-sept fois dans notre corpus, dont certaine le lie indéniablement à
Michel. L’archange fait partie d’un sanctoral assez courant de l’iconographie chrétienne, et
c’est sûrement avant tout dans sa qualité de saint majeur de la chrétienté, que son image est
récupérée par les franciscains, désireux de constituer un panthéon à portée universelle 1926. La
peinture de Giotto représentant la vérification des stigmates de saint François dans la
basilique supérieure d’Assise, est d’ailleurs bien une preuve qu’en contexte franciscain,
Michel est considéré comme un « saint classique » et principal, digne d’être représenté
comme image de base de la décoration d’une église. François et Michel apparaissent
régulièrement face à face dans les compositions picturales, comme l’atteste par exemple le
panneau de Mariotto di Nardo. Dans cette peinture, Michel apparait à la place d’honneur, à la
droite du couple divin, dans une composition à l’iconographie clairement franciscaine : saint
François lui fait face dans l’autre panneau latéral du registre principal, et la prédelle est
occupée par les portraits en buste des principaux saints vénérés par l’ordre, et des saints issus
de l’ordre. Dans le panneau de Bartolomeo Vivarini, Michel et Pierre sont les seuls
personnages à ne pas porter la robe de bure. Mais c’est surtout autour de la Crucifixion que la
réunion de Michel et de François se fait le plus souvent et est la plus significative. Dans la
petite peinture de Cenni di Francesco di Ser Cenni, ils sont les deux seuls personnages qui
n’ont pas assisté historiquement à l’épisode, à être intégrés dans l’espace du Golgotha.

1925
RUSSO Daniel, « Iconographie et publics en Italie à la fin du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles) », dans
Fiestas y liturgia : actas del coloquio celebra en la Casa Velàzquez, 1988, p. 59.
1926
Meiffret 2004, p. 72-74. À propos de la politique de sainteté des ordres mendiants, voir également Russo
1987, p. 44-51.
619
Mariotto di Nardo, Vierge à l'Enfant Bartolomeo Vivarini, Saint François et Cenni di Francesco di Ser
et saints, Pesaro, Musei Civici, saints, Bari, Pinacoteca Provinciale, Cenni, Crucifixion et
peinture sur panneaux, début XVe. peinture sur panneaux, 1483. saints, Inconnue, peinture
sur panneaux, XIV-XVe.

Michel est donc particulièrement prisé dans l’iconographie franciscaine, en tant que saint
majeur de la chrétienté, et en tant que vainqueur du mal, reflet de la victoire du Christ sur la
mort et le diable lorsqu’il est figuré près d’une croix, à laquelle le saint fondateur portait une
dévotion particulière1927.

II.3.3.3. Les images des hommes « normaux »

Des hommes non sanctifiés peuvent également apparaître dans le cadre de l’image et à
côté de l’archange : les âmes et les morts - sur lesquels nous ne reviendrons pas ici puisque
nous avons déjà abordé la question de leur représentation dans une partie précédente 1928 - et
les donateurs ou les dévots. Ces derniers sont présents quarante-cinq fois dans des peintures
où figure également Michel. Ils ne sont pas pour autant tous liés à sa personne et apparaissent
la plupart du temps aux pieds de la figure principale, souvent ceux de la Vierge à l’Enfant.
Seules treize images figurent un commanditaire, un dévot ou un groupe de dévots, sous l’aile
de l’archange. En outre, la présence des dévots qui ne sont pas liés directement à Michel dans
l’image, reste déterminante, puisque ces derniers ont choisi de faire représenter l’archange
dans la peinture commandée. Cette question sera reprise dans la troisième partie de notre
étude. Ce qui nous intéresse maintenant, c’est la mise en image d’une revendication à la
protection directe de Michel.
Les dévots ou les commanditaires sont, la plupart du temps, des personnages de taille réduite,
de profil et agenouillés aux pieds ou à proximité de l’archange. Seules deux images présentent
des personnages debout, comme dans la peinture d’Alatri1929, où les deux figures humaines
qui se trouvent sous l’aile de Michel sont enlacées, comme pour se rassurer d’un danger.
L’identification et le sens de la présence de ces personnages demeurent obscurs. Il ne peut
s’agir d’âmes puisqu’ils sont ici vêtus, que l’absence de la balance montre que la scène

1927
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.1.2.2. L’association de Michel et du crucifié.
1928
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.2.2. Les petits humains de la balance.
1929
L’autre peinture est une peinture murale déposée du Museo Nazionale d’Abruzzo, datant des premières
décennies du XIIIe siècle, où deux personnages sont présents aux pieds de Michel : l’un debout et l’autre à
genoux, tous deux les mains jointes en prière.
620
n’évoque pas un jugement, et que l’absence des démons, montre qu’il ne s’agit pas de défunt
à protéger après leur mort. Il semble également peu probable que deux donateurs aient voulu
se faire représenter de cette manière. Peut-être s’agit-il plutôt d’une représentation de
l’humanité apeurée face aux attaques du mal - ici symbolisées par le dragon - qui réclame la
protection de l’archange en se plaçant sous son aile ?
Dans les autres images, la caractérisation des petits hommes agenouillés, indique qu’il s’agit
bien de personnes individualisées, la plupart du temps les commanditaires de la peinture, qui
apparaissent seuls, comme dans la peinture murale de Spinello Aretino ; en couple, comme les
époux Turbolo peints par un anonyme flamino-napolitain ; ou au sein d’un groupe de dévots,
en général une communauté religieuse, comme dans le panneau de Lorenzo di Alessandro.
Dans ce dernier, les hommes sont recouverts d’un capuchon blanc, signifiant qu’il s’agit d’un
groupe de pénitents laïques, et seul le premier personnage à droite a relevé son capuchon,
sûrement le commanditaire de l’œuvre. Dans un panneau de Bartolomeo della Gatta, c’est une
femme, Lorenza di Lorenzo Guiducci, et son bébé qui requièrent la protection de l’archange.

Anonyme, Saint Spinello Aretino, Anonyme flamino-napolitain, Saint Lorenzo di Bartolomeo della
Michel (détail), Saint Michel Michel, saints et donateurs, Bari, Alessandro, Gatta, Saint
Alatri, Santa (détail), Arezzo, Pinacoteca Provinciale, peinture sur Crucifixion et saint Michel (détail),
Maria- San Francesco, panneaux, fin XVe. Michel (détail), Castiglion
Maddalena, peinture murale, Baltimore, The Fiorentino,
peinture murale, 1404. Walters Art Pinacoteca
XIV-XVe. Gallery, peinture Comunale,
sur panneaux, peinture sur
1480. panneaux, 1480.

La majorité de ces peintures qui lient figure humaine et Michel, représente le donateur ou le
dévot aux pieds de l’archange, juste sous ses ailes, comme dans la peinture murale de Spolète
du monastère de San Ponziano. Dans cette image, les deux personnages - certainement la
représentante de la communauté féminine qui occupait les lieux, et le bienfaiteur qui a permis
la réalisation des peintures - sont agenouillés sous les ailes largement déployées et de grande
envergure de Michel. Ce type d’images pourrait être qualifié d’ « archange de Miséricorde » :
un personnage protecteur au centre, en position frontale, déplie un élément lié à sa personne -
ici les ailes plutôt que le manteau - afin de couvrir symboliquement, et de défendre des
agressions alentours, les dévots qui se placent sous sa protection. Le thème même de la
Vierge de Miséricorde ne se développe pas avant un demi-siècle, mais l’idée de protection par
le déploiement des ailes au-dessus des commanditaires, nous semble ici patent.

621
Parfois, ce n’est pas à Michel que les hommages des donateurs sont directement rendus dans
l’image, mais c’est l’archange qui introduit l’homme auprès de la Vierge, le prenant ainsi
« sous son aile ». Dans la peinture murale du Maestro de 1349, le dévot agenouillé, Andrea
Visconti, Prévôt de Viboldone et Général de l'Ordre des Umiliati qui occupait l’abbaye au
moment de la réalisation de cette peinture, est présenté par Michel, qui figure juste derrière lui
et pose sa main sur sa tête pour l’introduire auprès du Christ qui le bénit. Dans le panneau de
Matteo di Pacino, c’est Barthélémy qui prend la place de l’introducteur de la jeune dévote
auprès de Michel, figure centrale de cette peinture. Enfin, dans la peinture murale du Maestro
del Vescovado de la cathédrale d’Arezzo, le chevalier Ciuccio di Vanni Tarlati di Pietramala,
mort de la peste en 1334 et représenté au pied de la croix, n’est pas directement figuré à côté
de Michel, mais le lien fonctionnel entre le guerrier saint et le guerrier défunt, place
l’archange en introducteur privilégié de l’homme auprès du divin.

Maestro di Fossa, Saint Maître de 1349, Vierge à Matteo di Pacino, Saint Maestro del
Michel, Spolète, San l'Enfant et saints, Viboldone, Michel et saints, Vascovado,
Ponziano, peinture San Pietro, peinture murale, Florence, Galleria Crucifixion et saints,
murale, ½ du XIVe. 1349. dell’Accademia, peinture Arezzo, Duomo,
sur panneaux, 1360- peinture murale, 1334.
1365.

Devant la faible proportion d’images de dévots aux pieds de Michel dans notre corpus, il
semble que la protection de l’archange n’ait pas été particulièrement mise en image à la fin du
Moyen Âge.

622
Conclusion de la partie II. Autour de l’archange. Objets, personnages et mise en scène

L’analyse de la figure de Michel dans la peinture italienne de la fin du Moyen Âge ne


peut être menée que par une analyse conjointe de tout ce qui gravite autour de l’archange et
participe à définir sa nature, ses missions, et les raisons de sa représentation sur l’objet peint.
Chacun des objets qu’il porte, des mouvements qu’il réalise, des personnages qui
l’accompagnent, des fonds devant lesquels il apparait, permettent de compléter sa figure
propre, parfois de manière complémentaire, parfois de manière contradictoire, dans un
faisceau complexe de relations entre objets, personnages, formes, compositions, évolutions de
mode, que nous avons tenté d’étudier ici séparément mais qu’il convient maintenant de
replacer dans une vision plus globale au niveau chronologique et au niveau spatial.

623
624
III- L’ICONOGRAPHIE DE SAINT MICHEL DANS LE TEMPS, DANS
L’ESPACE ET DANS L’ART

Cette partie est une remise en contexte temporel, spatial et artistique, des éléments
étudiés séparément dans les deux parties précédentes.

III.1- Dans le temps, étude chrono-typologique

L’analyse compartimentée des éléments constitutifs de la figure de Michel, qui a


intéressé le I et le II de ce deuxième chapitre, a déjà pris en compte les évolutions temporelles,
mais dans le cadre restreint des éléments alors étudiés un par un. La focalisation sur un aspect,
un vêtement, un attribut ou une mise en scène de l’archange, au sein de l’iconographie
michaélique, a souvent donné lieu à des hypothèses qui englobaient pourtant plusieurs
éléments de l’iconographie. Nous aimerions ici prendre de la hauteur sur notre corpus pour
dégager les grandes lignes d’une évolution générale de l’iconographie de Michel en Italie
entre 1200 et 1518. Cette étude diachronique a conservé un découpage séculaire, par
commodité, parce qu’il permet d’aborder de manière plus aisée un corpus composé de plus de
cinq cents pièces, mais surtout parce que chacun des siècles étudiés comportent des
particularités relativement uniformes que l’on peut saisir dans leur ensemble puis les rattacher
à une histoire plus générale de l’image de Michel.

Dans la période étudiée, aucun attribut de l’archange ne lui est spécifique et ne suffit ainsi à
définir à lui seul Michel. Les ailes, le dragon, les démons, les armes, la balance, l’orbe, tous
sont des objets portés également par d’autres figures angéliques, saintes ou allégoriques.
Michel ne possède pas non plus de traits physiques spécifiques, ni est associé à un contexte ou
à un saint qui nous permettrait de l’identifier du premier coup d’œil. Par ailleurs, aucun de ces
éléments ne caractérise une période donnée dans l’iconographie de Michel : ils existaient déjà
tous à l’aube du XIIIe siècle, et étaient presque tous présents au cours de la période étudiée. Sa
figure se détermine ainsi par l’association et la conjonction de différents éléments qui font
sens les uns avec les autres ou les uns par rapport aux autres, et sont révélateurs des aspects
mis en avant dans chaque image, et à chaque période.

L’apogée du type byzantin caractérise les images du Duecento et sa lente disparition au début
du Trecento, qui se réalise conjointement à la mise en place et à l’instauration de la
suprématie du type guerrier, s’accompagne d’une véritable transformation de la place de
Michel dans les images, passant du statut d’archange au milieu des saints à celui de saint ailé
et armé au milieu de ses paires. Le Quattrocento est marqué par une montée du naturalisme
dans l’iconographie militaire archangélique, qui détermine une réactualisation de sa figure et

625
du message qu’elle véhicule. Au début du Cinquecento, Michel, combattant son alter-ego
démoniaque, passe de l’image d’un saint guerrier ailé à celle d’un surhomme, ou plutôt d’un
« archomme ».

III.1.1. Au XIIIe siècle : l’archange byzantin armé

Deux aspects majeurs marquent le XIIIe siècle : la suprématie de la peinture murale


comme support1930 et la prédominance de l’archange byzantin comme type
iconographique1931. Le premier aspect s’explique par le fait que la peinture sur panneaux, qui
sera, aux siècles suivants, largement prédominante, n’apparait qu’au milieu du Duecento se
développant réellement qu’à la fin du siècle et au début du suivant. Sur le support mural, il est
encore souvent isolé des groupes de saints et apparait davantage dans sa qualité d’archange,
en tant qu’accompagnateur de la divinité, ou au centre d’un cortège de saints. Il est
couramment représenté dans des espaces en hauteur (au-dessus des arcs de passage, sur les
tympans ou au-dessus des registres réservés aux saints). Alors que les images de la première
partie du siècle sont exclusivement non narratives, la deuxième partie, et notamment le
quatrième quart, est marquée par la présence de plusieurs images narratives où l’archange
apparait dans des scènes de l’au-delà. Le panneau de Coppo di Marcovaldo est un exemple
sans précédent et sans postérité en Italie, de réunion, au sein d’un même espace figuratif,
d’une image de Michel seul et en état, entouré d’épisodes bibliques et d’épisodes relatifs aux
apparitions et aux miracles de l’archange sur la Péninsule1932. Ce type de composition est
caractéristique des premiers panneaux peints en Italie, destinés à mettre en avant un saint,
représenté en état - en pied ou en trône - sur le panneau central, et accompagné sur les côtés
par des petits panneaux recevant des épisodes de sa vie. Il s’agit donc d’un objet
particulièrement lié aux évolutions de spiritualité de la fin du Moyen Âge, marquées par le
développement du culte des saints, dans lequel s’intègre désormais celui rendu à l’archange.
Le « panneau hagiographique » de saint Michel prouve que l’archange prend désormais la
place d’un saint dans les programmes décoratifs chrétiens, comme dans la dévotion. Si dans
les peintures murales de la deuxième partie du XIIIe siècle, Michel commence à descendre au
registre des saints, c’est certainement le développement de ce nouveau support qui permet de
continuer et d’achever l’intégration de l’archange dans les groupes des hommes sanctifiés. À
la fin du siècle, Michel figure désormais à la même place qu’eux autour d’une image du
Christ ou d’une Vierge à l’Enfant. Ce déplacement n’a pourtant pas d’incidence sur le type de
l’archange : c’est le contexte figuratif qui change et qui rapproche l’archange d’un saint, pas
ses vêtements, ni ses attributs.

1930
31 peintures sur les 39 recensées pour le XIIIe sont des peintures murales, soit presque 80%.
1931
Près des trois-quarts des images du XIIIe siècle représentent Michel portant la tunique et le lôros.
1932
Notons la présence dans le Sanctuaire de Monte Sant’Angelo de la porte de bronze, réalisée en 1074 par un
atelier constantinopolitain, qui regroupe le nombre le plus important au Moyen Âge d’épisodes bibliques et
d’épisodes de la légende michaélique sur le sol italien.
626
Coppo di Marcovaldo, Saint Michel et légendes, San Casciano Val di Pesa, Museo d’Arte Sacra, peinture sur
panneaux, 1250-1255.

Au Duecento, Michel est représenté dans près des trois-quarts des peintures, sous la
forme byzantine1933, dans une attitude souvent hiératique, qui sied parfaitement à l’archange
de la cour orientale. Il porte majoritairement l’orbe et la lance, avec laquelle il transperce
parfois le dragon qu’il foule aux pieds. Ce type est particulièrement fixe pour la totalité du
siècle. Le port de l’arme d’hast souligne pourtant déjà les changements à venir, puisqu’elle
s’accompagne de plus en plus souvent de l’adversaire qu’elle doit servir à combattre. Michel
n’est donc pas un simple archange, mais un archange armé, même si la figuration du combat
est encore timide, et plutôt évoquée par la vue du dragon vaincu, que représentée
dynamiquement. Alors que l’image de l’archange est marquée par des silhouettes aux
vêtements longs (pour l’archange de type byzantin et pour les images où il apparait en ange
classique, vêtu de la dalmatique et du pallium), clairement impropres au combat, les
premières représentations de Michel vêtu d’une tunique courte, font des apparitions
ponctuelles au XIIIe siècle. À la fin du siècle, les mouvements du guerrier gagnent en
amplitude. La présence conjointe et plus courante de l’arme, de l’adversaire, et l’adoption de
la tunique courte et de mouvements plus amples, sont les premières traces de la militarisation
profonde de Michel dans l’iconographie italienne1934.
Parallèlement à cela, les images narratives qui se développent en contexte eschatologique ou
de l’au-delà, donnent une certaine épaisseur à la prise d’arme de l’archange, qui ne se réalise
pas seulement abstraitement, au sein d’images thématiques représentant le combat universel
du bien contre le mal, mais dans des épisodes concrets situés après la mort ou à la fin des
temps. Dans ce contexte, la balance fait son apparition dans notre corpus, en tant
qu’instrument de pesée, utilisée par Michel, et pas seulement portée en tant que signe statique.
Autour de l’objet, les démons sont circonscrits à l’épisode narratif de la pesée. Les deux types
d’adversaires de l’archange - le dragon et les démons - sont donc clairement cantonnés à des
interventions distinctes qui font référence aux deux combats que livre Michel à des moments
différents de l’histoire des hommes.

1933
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 3.2. Michel l’archange byzantin.
1934
Nous ne voulons pas dire ici que le type de l’archange guerrier n’existait pas auparavant. Nous avons déjà
évoqué les origines de ce type et son développement en Italie. Cependant, avant 1200, il n’est jamais le type
principal dans l’iconographie de Michel, contrairement aux XIV et XVe siècle.
627
Dans les peintures du XIIIe siècle, Michel est un archange armé aux origines byzantines,
vainqueur du dragon ou plus ponctuellement protecteur des âmes lors de la psychostasie
contre les petits démons. Il adopte peu à peu les modes de représentations des saints, et, si la
figure militaire commence à s’insinuer dans son iconographie, Michel est encore, au
Duecento, un archange parmi les saints.

III.1.2. Au XIVe siècle : la militarisation de la figure archangélique

Le type byzantin est encore régulièrement figuré dans la première partie du XIVe
siècle, alors que le type du guerrier s’affirme sous la forme du général romain 1935, voire du
soldat en tunique courte, quant à celui de l’ange classique, il est toujours discrètement présent.
La diversification des types vestimentaires est complétée par celle des attributs : l’épée rejoint
la lance dans la panoplie guerrière et la balance se retrouve parfois hors des images narratives
d’épisodes de l’au-delà. La figuration des étapes du combat est également plus variée. Alors
que l’archange au dragon était, au XIIIe siècle, principalement un archange de la victoire,
portant le coup fatal à son adversaire, Michel est, à partir des années 1330, également
représenté au moment précédent ce coup fatal, l’épée brandie au-dessus de la tête ; ou au
moment suivant, où la bête est déjà étêtée. Le début du Trecento est une période riche et
mixte en ce qui concerne les types de l’archange, et marque la jonction entre un Moyen Âge
italien dominé par l’iconographie byzantine et la redéfinition du culte et de l’image
michaéliques à la fin de la période médiévale. La peinture sur panneaux, réalisée par Simone
Martini en 1319, dont quelques fragments sont conservés au Fitzmuseum de Cambridge,
constitue une synthèse de la typologie hybride du début du XIVe siècle. Sur l’un des
panneaux, saint Michel est représenté en buste, portant le lôros byzantin et présentant d’une
main l’épée et de l’autre la balance dont n’apparait qu’un plateau, où prend place une petite
âme en prière. Le type physionomique de l’archange, le relie sans conteste aux anges
anonymes figurant sur les pinacles, d’autant que l’un d’eux est vêtu de la même tunique et du
lôros. Pourtant, Michel figure au registre des saints dont il partage l’importance. Son arme est
liée visuellement aux crosses des deux évêques : elles sont toutes parallèles. Michel est encore
clairement un archange mais est assimilé pas sa place et la position de son attribut, aux saints.
Par ailleurs, la présence conjointe de la balance et de l’épée, hors contexte de l’au-delà, n’est
pas une innovation, bien qu’elle soit encore rare dans notre corpus, mais l’originalité de
l’iconographie martinienne réside dans la figuration sans interaction des deux attributs. Alors
que l’arme est toujours, dans les autres images avec balance, un outil permettant la défense de
la pesée, et donc au service de la psychostasie, elle est ici indépendante. L’épée le présente
ainsi, plus généralement, en tant que bras armé du Christ et fait référence au combat passé de
saint Michel contre les anges rebelles, celui présent contre les forces du mal, et celui futur de
l’Apocalypse ; indépendamment de la balance, qui ajoute à l’ensemble une évocation de son
rôle au moment de la psychostasie ; et du petit homme, qui le figure en protecteur des âmes.
1935
90% des images du XIVe siècle présentent Michel vêtu en guerrier et / ou portant une arme.
628
Ces aspects ne sont pas mis en relation dans une mise en scène dynamique, qui contraindrait
la figure de Michel dans une fonction principale, mais prennent chacun leur sens
indépendamment. Ils sont malgré tout portés par le même personnage et se répondent ainsi, se
justifient, sans que l’une des fonctions qu’ils évoquent ne prenne le pas sur une autre.
L’image de Simone Martini résume avec génie les différents statuts et fonctions donnés à
Michel en ce début de XIVe siècle : l’archange, le saint, le guerrier, l’acteur de la
psychostasie et le protecteur des hommes.

Simone Martini, Saints et anges, Cambridge, Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319.

La seconde partie du siècle est davantage marquée par l’affirmation du type militaire,
notamment à travers le type romain et ses variations. Le type byzantin disparait et quasiment
toutes les images de l’archange font référence à sa qualité de guerrier 1936. Cette militarisation
totale de l’iconographie michaélique marque le passage d’un type vestimentaire qui insistait
sur la nature de Michel à un type qui insiste principalement sur sa fonction. Cette mission
militaire est en définitive celle qui permet la réalisation et le succès de toutes les autres, au-
delà de sa nature céleste, qui n’est plus alors qu’une caution supplémentaire de l’efficacité de
Michel.
Dans ces images, l’adoption de l’épée est plus franche et figure quasiment autant que la lance.
Par contre les démons restent peu représentés au Trecento, et le dragon est l’adversaire
principal de l’archange. Cette sous-représentation démoniaque est liée à la sous-représentation
de la balance, autour de laquelle leur action est contenue aux XIII et XIVe siècles. Ils ne sont,
dans tous les cas, pas de réels adversaires, mais de simples perturbateurs dans une pesée qui
reste le centre de l’attention de Michel, lorsqu’elle est représentée au Trecento. Le dragon
peut toutefois apparaitre sous les pieds de l’archange à la balance, mais n’interagit alors pas
avec l’instrument, participant à évoquer dans une même image, deux moments différents de
l’action archangélique. La distinction entre les deux types de combat, menés contre deux
adversaires de nature différente, à deux moments distincts, est encore affirmée.

Face aux représentations hiératiques et linéaires de l’archange byzantin du Duecento, le


guerrier du Trecento, possède une épaisseur et une matérialité supérieures, par le modelé, les

1936
Saint Michel apparait sans arme dans les représentations d’apparitions au Mont Gargan, et dans une scène de
Paganico (église San Michel, peint par Biagio di Goro Ghezzi en 1365), en contexte d’au-delà.
629
positions, le mouvement et le port des vêtements militaires, qui, s’ils couvrent tous les
membres de l’archange, insistent également sur sa corporalité. La transcendance de cette
humanité est pourtant assurée par l’absence d’expression du visage serein et sérieux qui
traduit une absence d’effort de l’archange, la beauté, la jeunesse et la pureté de ses traits ainsi
que la sophistication de sa coiffure. Les variations autour du type vestimentaire romain,
permettent, en outre, de s’éloigner du modèle antique dont il s’inspirait, pour donner l’image
d’un soldat idéal et hors du temps.

Hormis les scènes d’apparitions, qui restent présentes, mais discrètes, dans notre corpus,
Michel apparait plus régulièrement dans des épisodes eschatologiques, et sa participation au
Jugement dernier s’intensifie vers le milieu du siècle. La militarisation de l’archange a
largement touché ce registre de figuration où Michel ne figure presque jamais en ange porteur
de la balance, mais en guerrier brandissant son épée au milieu des scènes de partage. Notons
que ces épisodes sont plus volontiers figurés sur mur. Si la peinture murale perd du terrain au
XIVe siècle, elle se spécialise en quelques sortes dans les représentations narratives, alors que
le panneau de bois, peint à tempéra et or, qui s’impose comme support principal1937, est plus
volontiers le support des images thématiques. Cet aspect, qui n’est ni l’apanage des images de
saint Michel, ni une spécificité du XIVe siècle, tient à la nature du support, à l’espace qu’il
libère, à sa place, à sa mise en œuvre et à son utilisation. Souvent, les retables multiplient les
images d’intercesseurs en pied sur les autels d’églises, ou de chapelles, alors que les peintures
murales assument davantage un rôle didactique à travers le déploiement de scènes de la vie
des saints, à l’usage des fidèles. Cette règle ne constitue pourtant pas une généralité, et le
développement des scénettes en prédelle en est une preuve et les figures en état peuvent
également prendre place sur les murs des édifices religieux. L’action n’est pas totalement
absente des polyptyques, notamment par le biais de l’iconographie michaélique, qui met
souvent en mouvement l’archange ou ses attributs-agissants, animant la surface généralement
calme des panneaux. L’iconographie du Trecento insiste sur le fait que l’archange, par sa
nature même et sa fonction, est un être d’action.

III.1.3. Au XVe siècle : le guerrier ailé dans un combat réactualisé

Le XVe siècle poursuit la militarisation de la figure michaélique. Les références à la


mission guerrière de l’archange sont quasiment toujours présentes, sous la forme d’un
vêtement, d’une arme ou d’un adversaire vaincu. Seules les images d’apparitions ne
présentent pas systématiquement Michel sous la forme d’un combattant, bien que l’arme reste
capitale dans l’épisode romain, et dans celui du taureau, où l’arc de Gargan, est au centre de
l’action, et est utilisée, grâce au miracle, par Michel contre son adversaire. Au niveau
typologique, le guerrier d’inspiration romaine est toujours très présent, mais ce qui marque
profondément l’iconographie du Quattrocento est l’adoption plus large de l’armure
1937
69 des 184 images recensées pour le XIVe siècle sont peintes sur mur, soit environ 37%.
630
contemporaine. Apparue timidement au cours du XIVe, elle se développe pendant tout le XVe,
avec une accélération autour du milieu du siècle. Dans les représentations michaéliques, une
proportion d’humanité est toujours équilibrée d’une dose de désincarnation, permettant de
rendre visible l’action de l’être éthéré sans en trahir la nature. Pourtant, dans ces images
d’archange en armure de plates, si la fonction martiale apparait avec une clarté sans
précédent, elle s’expose au détriment de la nature de l’archange, presque totalement niée par
la matérialité de la représentation d’un vêtement destiné à protéger la corporalité de Michel, et
par le naturalisme même de cette image d’armure. Les rapports entre ce type de vêtements et
les formes de l’habillement civil à la mode à cette période, constituent le dernier pas d’une
incarnation de l’archange et de l’ancrage de sa figure dans une réalité temporelle et spatiale -
celle de l’Italie du Quattrocento - contraire à sa nature. Dans les représentations de l’archange
ayant conservé le type romain, c’est le naturalisme corporel qui prend le pas sur le réalisme de
la tenue. Le naturel des positions et des mouvements de Michel, les proportions de
l’anatomie, les modelés et le rendu des carnations, sont autant d’éléments participant à faire
de l’archange un homme dans les images de la fin du XVe siècle. La puissance divine
transmise à Michel, est essentiellement représentée, dans ces images, par une force corporelle
toute humaine. Les représentations plus physiques et matérielles de son anatomie et de ses
vêtements, sont accompagnées d’un naturalisme de l’environnement dans lequel il s’insère.
Comme les autres saints, Michel est figuré dans des espaces plus plausibles, en perspective, et
le paysage, qui prend place derrière lui à partir du milieu du siècle, s’il ne transforme pas les
images de combat de l’archange en scènes narratives, participe à lui créer un écrin terrestre.
L’espace est tangible et s’inspire des paysages réels, ce qui permet un véritable
rapprochement géographique, qui s’accompagne d’une réactualisation du thème par cette
proximité spatiale : la lutte contre le mal se passe sur terre, et actuellement, puisque le
guerrier qui mène le combat ressemble à un chevalier contemporain et qu’il opère sur un
territoire reconnaissable, qui est celui visible dans les campagnes italiennes.
Michel est un soldat du Quattrocento qui mène son combat sur terre, sous une forme humaine
et un type vestimentaire réaliste. Pourtant, la transcendance de l’humanité de la figure
michaélique se réalise dans sa perfection et dans l’association même des éléments naturalistes
que nous venons de décrire. La beauté physique du visage aux traits parfaitement harmonieux,
sans trace d’effort, et d’une fraiche jeunesse, s’accorde mal avec celle du corps à l’anatomie
parfaite, mais dont la force et la tension trahissent un âge mûr et une implication corporelle
dans l’action. L’opposition entre la jeunesse, l’apaisement et la douceur de la tête, et la force,
le dynamisme et la maturité du corps, sont particulièrement révélateurs de la nature
exceptionnelle de Michel. En outre, les ailes, si elles prennent désormais l’aspect d’ailes
d’oiseaux réelles, correctement proportionnées au corps de Michel, restent des éléments
surnaturels dans le dos de l’archange, à forme naturaliste. En définitive, la figure de Michel
est plausible mais en aucun cas terrestre ni humaine. Les éléments humains constituant de
l’image de l’archange, sont poussés à un tel paroxysme dans leur perfection, qu’ils ne
transforment pas l’archange en homme, mais en surhomme, garantissant la supériorité de sa
condition.

631
Le dialogue entre image de Michel et image de l’homme, touche également son adversaire. Si
le dragon est toujours présent, les démons gagnent en importance, quantitativement et
qualitativement. Le développement de leur présence est, une fois de plus, lié à celui de la
balance, qui devient un attribut principal de l’iconographie michaélique au XVe siècle,
puisque presque une figure de Michel sur deux en porte une. Elle n’est pourtant plus
l’instrument de pesée qu’elle était aux siècles précédents. La balance devient un signe, qui
n’est plus nécessairement mis en scène, et apparait davantage comme un déclencheur de la
bataille que se livre Michel et les démons. Les images narratives de Jugement dernier, voient
également le retour de la balance, mais, comme dans les images thématiques, elle apparait en
simple signe, confirmant l’identité de l’ange du partage, et évoquant symboliquement une
évaluation des hommes, à moins qu’elle ne soit le rappel d’une action déjà terminée auprès
des âmes. Les épisodes en contexte eschatologique, où Michel porte la balance, sont
également plus courants et plus diversifiés : assis sur un trône, il pèse les âmes sortant du
purgatoire près du Jugement dernier à Loreto Aprutino ; dans le Jugement dernier de Bastia
Mondovì, à San Fiorenzo, Michel est un gardien de la porte du paradis ; dans le panneau de
Biagio d'Antonio, il est spatialement compris entre l’entrée du paradis et celle de l’enfer. Les
fonctions de saint Michel se multiplient dans ces épisodes eschatologiques. Au XVe siècle, il
n’est plus un simple surveillant de la séparation des élus et des damnés, il est clairement
l’archange de la fin des temps, et le port de la balance confirme souvent cette fonction, même
au sein des représentations en état. Pourtant, dans ce type d’images, toute l’attention portée
auparavant sur la pesée est transférée sur le démon, qui devient unique et gagne en taille et en
agressivité. Les éléments sont toujours les mêmes : un archange tenant une balance et
accompagné d’êtres maléfiques ; mais les rapports entre la figure principale et les attributs ont
changé, faisant de l’épisode de la pesée, dans lequel Michel était porteur et protecteur, un
épisode de combat, dont la balance est le déclencheur secondaire, et dont les acteurs
principaux sont l’archange et un ange déchu. Cette prise de taille et d’importance des démons
dans l’action s’accompagne d’une humanisation de leur image, qui touche leur anatomie et
leurs attitudes.

L’image des anges déchus se rapproche, à travers cette humanisation, de celle de l’archange.
Le démon est une image en négatif de celle des anges. Or la représentation de l’ange se définit
par son rapport à l’image de l’homme dont elle emprunte la forme. Ainsi, si en plein Moyen
Âge, l’immatérialité des figures célestes et divines passait par une figuration simplifiant et
désincarnant le modèle humain, les évolutions de l’art entre les XIII, XIV et XVe siècles,
aboutissent à l’humanisation des anges, de Dieu et des saints, et, en conséquence, des démons
qui sont eux-mêmes des anges déchus. Le schéma suivant permet de mieux saisir que c’est le
rapport à l’image de l’homme, qui rapproche images d’anges et images de démons à la fin du
Moyen Âge et au début de la Renaissance. Le démon que terrasse l’archange au Quattrocento
est très proche des représentations humaines, mais également de celles de Michel, et, à ce
titre, prévient les fidèles de la proximité du mal à combattre et surtout de la difficulté à le
reconnaitre.

632
Doc. 11. Évolution du rapport entre l’image de l’ange et l’image du démon par
rapport à l’image de l’homme.

Dans les peintures thématiques de Michel, deux types principaux se distinguent au XVe
siècle : celles qui ont un fort degré narratif, souvent isolées et intégrées dans un fond paysagé,
elles apparaissent comme des images indépendantes ; et celles où l’archange est un participant
des Saintes Conversations, où il est calme, et présente ses attributs qui sont au repos, puisque
les attributs-agissants sont souvent absents de ces images. Les armes ne sont ici pas des
instruments de combat, et le globe - très courant au XIIIe siècle dans les mains de l’archange
byzantin, et plus rare au XIVe - redevient un attribut récurrent dans les années 1400-1430,
puis, à l’extrême fin du siècle, à partir de la peinture de Sandro Botticelli en 1488-1490.
Conjointement à l’image de l’épée, l’orbe réaffirme l’idée de l’universalité du combat de
Michel, qui n’est pas figuré dans le cadre de la peinture. La figuration de l’ennemi et du
combat, serait de toute façon malvenue dans l’espace clos et plausible des réunions de saints
autour de la Vierge à l’Enfant. Ce type de l’archange portant simplement l’épée et l’orbe,
correspond à une simplification de sa figure, qui démontre la popularité de Michel à la fin du
XVe siècle. Là où la multiplication des attributs est nécessaire à l’identification d’une figure
peu courante, la limitation des signes individualisant, prouve le développement de l’image du
personnage représenté, reconnaissable d’un seul coup d’œil grâce à un nombre d’éléments
limités. Le succès d’une figure est souvent synonyme de sa simplification iconographique.
L’inaction de l’archange dans ce type de scène, est également révélatrice des évolutions de
spiritualité qui marquent le début de l’époque moderne, en particulier par une relation plus
intime au divin, dans le cadre privé, passant par une intériorisation plus importante de la
dévotion. Dans ce contexte, les saints apparaissent aux pieds de la Vierge, comme des
modèles pour les fidèles qui sont amenés à entrer en contemplation du couple divin. Les
images de l’archange à genoux, qui se développent légèrement au XVe et au début du
XVIe siècles, ou celles de l’archange davantage absorbé par la présence divine, que par celle
de l’adversaire à terrasser, traduisent par leurs positions, leurs actions et leurs inactions, des
sentiments intérieurs plus profonds, davantage consacrés à la contemplation et la méditation
qu’au combat.

633
Ainsi, la représentation de Michel au XVe siècle est marquée par un naturalisme qui touche
toutes les strates de son iconographie (son corps, ses mouvements, ses vêtements, ses
attributs, les fonds devant lesquels il prend place). Ce rapport à la réalité permet de
réactualiser le message contenu avec force dans les images de l’archange : le combat contre le
mal est actuel et proche des hommes, et non pas rejeté dans un avenir plus ou moins lointain
et dans un au-delà inaccessible. La figure de l’archange est également simplifiée à la fin du
Quattrocento, dans le port des attributs et dans ses attitudes, preuve de la popularité de son
culte, mais également des évolutions de spiritualité, qui touchent même le plus actif des
personnages des Saintes Conversations.

III.1.4. Dans le premier tiers du XVIe : un soldat idéal et hors du temps

L’iconographie du XVIe siècle reprend les principales caractéristiques de celles du


XVe en les menant à leur paroxysme. Il n’y a pas d’abandon total des types en vigueur au
XVe siècle : nous retrouvons toujours des archanges vêtus de l’armure de plates, du costume
de général romain, ou de l’aube et de l’étole. Mais ces vêtements sont, en général, davantage
déconnectés de la réalité. L’armure se pare d’éléments non réalistes, et le type romain, s’il
connait un nouvel élan, n’est plus qu’une lointaine référence, dans les images de l’archange
portant plastron et jupe courte, largement pervertie par la présence d’éléments de protection,
ou par l’ajout de collants, d’une chemise bouffante ou d’un drapé qui n’a plus rien à voir avec
le manteau militaire. Le corps de l’archange, de plus en plus découvert par les transformations
vestimentaires, dans les représentations, jouit d’une attention naturaliste sans précédent,
soulignant sa force physique dans un contraste toujours saisissant avec son visage
d’adolescent. Dans la peinture de Raphaël, servant de limite à notre corpus, la matérialité du
corps de Michel est largement compensée par sa position d’ange atterrissant, et par
l’importance visuelle prise par sa paire d’ailes déployées. L’univers, naturel ou architecturé,
dans lequel s’insère l’archange, a désormais conquit totalement les représentations
michaéliques, notamment par les règles de perspective et le naturalisme des paysages mis en
place aux siècles précédents. L’humanisation de l’adversaire s’accélère au début du XVIe
siècle, jusqu’à la création du démon peint par Raphaël en 1518, qui prend la forme d’un
homme, au naturalisme anatomique prononcé, aussi grand et sans-doute presque aussi fort que
Michel, créant une proximité sans précédent entre les deux adversaires, uniquement troublée
par la nature des ailes du démon, la présence de cornes et sa nudité. Mais là encore, le
dévoilement du corps de Michel vient atténuer le contraste entre l’ange du bien,
habituellement vêtu noblement à l’aide de tenues lui couvrant l’intégralité du corps, et l’ange
du mal totalement nu. Le peintre urbinate a mis en scène un véritable duel d’hommes ailés, où
la supériorité de l’archange est davantage figurée par sa position dominante, que par sa nature
ou sa forme. Pour autant, l’ennemi bestial n’est pas totalement abandonné dans les images du
XVIe siècle, car la forme du mal oscille entre ces représentations de démons quasi-humains, et

634
des créatures hybrides d’inspiration animale, comme en attestent les deux peintures de
Raphaël peintes entre 1504 et 1518. Le dragon, n’apparait, lui, plus du tout sous sa forme de
gros reptile.

Raphaël, Saint Michel, Paris, Louvre, huile sur toile, 1518.

L’iconographie du XVIe siècle consacre la fonction de combattant de Michel, à travers un


type qui abandonne l’armure de plates au profit d’un costume vaguement inspiré de l’ancien
schéma romain, mais totalement déconnecté de la réalité militaire du XVIe siècle. Les
peintures de l’archange au Cinquecento sont dés-historicisées1938. Michel est un combattant
idéal et hors du temps, intervenant dans une histoire qui dépasse celle des hommes : il s’agit
de celle de l’Église, dans laquelle il est intervenu au moment de la chute des anges rebelles,
dans laquelle il intervient en tant que protecteur de l’Église, et dans laquelle il interviendra au
moment de l’Apocalypse.

L’histoire de l’iconographie de Michel est en constant dialogue avec des groupes plus
larges, dans lesquels elle s’insère et s’impose. Avant 1200 et pendant tout le XIIIe siècle,
l’image michaélique s’applique à démontrer la supériorité de Michel par rapport au groupe
angélique, et fait de lui un « arch-ange ». Puis, à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe, le
déplacement de son image, et dans un second temps, sa transformation iconographique, font
de lui un saint, mais qui conserve une forme de primauté, par sa place dans les compositions,
et par sa qualité de guerrier ailé. Le siècle suivant le transforme en chevalier italien du
Quattrocento, se distinguant toujours par sa qualité archangélique et sainte. Enfin, le
naturalisme qui gagne tous les aspects de l’image à la fin du XVe et au début du XVIe siècle,
fait de l’archange un homme ailé, fort et puissant, en un mot, un surhomme, ou - pourrions-
nous dire - un « arch-homme ».
Pour résumer l’évolution de la représentation de Michel au cours de la période étudiée,
précisons qu’entre la deuxième moitié du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe siècle, les
fonctions de Michel et les types iconographiques se développent dans la peinture italienne, et
mettent en image la multiplicité des interventions de l’archange et la malléabilité de son culte.

1938
Voir à ce propos GUARINO, 1987, p. 86.
635
Les attributs ne sont pas particulièrement variés, mais ils s’associent dans de multiples
combinaisons permettant la mise en valeur d’un aspect ou d’un autre. À partir du milieu du
XIVe siècle, l’iconographie de Michel se cristallise autour du guerrier1939, parce qu’il
correspond à la fonction principale de l’archange dans le culte occidental, et qu’il permet de
justifier toute les interventions de Michel, sur terre ou dans le ciel, dans le passé, le présent ou
le futur. Au XVe siècle, les attributs se multiplient dans les mains de l’archange militaire, afin
de donner la vision la plus complète de la personnalité de l’archange, et ils sont accompagnés
d’une réactualisation de la figure michaélique par l’adoption du naturalisme des différentes
strates de son image. La fin du XVe siècle va alors amorcer un courant inverse, destiné à
simplifier la figure de l’archange autour de son image de soldat intemporel, limitant le
nombre des attributs, leur taille et leur action. C’est cette standardisation qui va permettre à
l’image de Michel, notamment à partir du modèle raphaélesque, de s’adapter parfaitement au
message de la contre-réforme.

III.2- Dans l'espace : une étude à différentes échelles

Le territoire servant de cadre à cette étude, s’il ne possède pas d’unité politique, est
marqué par une unité culturelle, en grande partie liée à sa physionomie géographique. Afin de
mieux saisir les particularités de l’iconographie italienne, il convient de la confronter à celles
des autres aires géographiques et culturelles de la même période avec laquelle l’Italie
entretenait des relations : l’Orient dans un premier temps, et les autres pays de l’Occident,
dans un second temps. Cette analyse ne peut être abordée en détail pour chaque élément
constitutif de l’iconographie michaélique et sera ainsi abordée sous la forme de petites études
comparatives, plus à même de mettre en lumière les particularités de cette imagerie pendant
cette période et sur ce territoire. Si les parties I et II de ce deuxième chapitre, avaient déjà
esquissé des évolutions chronologiques dans le cadre de chaque élément étudié, il n’y a
pourtant eu quasiment aucune référence à la dimension spatiale du développement de
l’iconographie de saint Michel à l’intérieur de l’Italie. Il est, en effet, malaisé d’en donner un
panorama complet dans le cadre de ce travail, mais nous tenterons d’en dégager les tendances
générales, agrémentées de quelques exemples révélateurs. À l’intérieur du territoire italien,
seront prises en compte, l’échelle régionale, qui a, sans aucun doute, une cohérence culturelle
supérieure à celle de la Péninsule, et l’échelle locale, essayant de déterminer s’il existe un
emplacement type des peintures de l’archange dans la commune et au sein de l’édifice
religieux même.

1939
Le XIIIe siècle compte 70% d’images de l’archange faisant référence à sa qualité guerrière par la présence de
vêtements et / ou d’armes (plus souvent simple port d’arme pour l’archange du Duecento) ; 90% pour le XIVe
siècle, 97% pour le XVe et 100% pour les années 1500-1518.
636
III.2.1. L’Italie et le reste du monde médiéval

III.2.1.1. L’iconographie de Michel entre Orient et Occident

Nous avons déjà évoqué l’importance des apports de l’iconographie byzantine dans la
mise en place de l’image de Michel au Moyen Âge1940. Les types vestimentaires principaux
sont les mêmes qu’en Italie : le type angélique vêtu en dalmatique et pallium1941 ; le type
archangélique portant le lôros ; le type guerrier, en général romain, portant la lance, le bâton
ou l’épée. La mise en place et le développement de ces trois types témoignent des dialogues
artistiques entre Italie et monde byzantin : le premier type est paléochrétien et apparait sur le
sol italien ; le second est clairement oriental ; et le dernier a certainement des origines
occidentales mais son développement au Moyen Âge central est davantage le fait de
l’iconographie byzantine. Au niveau des attributs, il faut noter une certaine rareté de la
balance dans les images de l’est, alors qu’elle est largement présente à l’ouest, notamment au
XVe siècle. Les épisodes narratifs qui mettent en scène la pesée, ne se déroulent pas comme
en Occident, et modifient considérablement le rôle de Michel. Dans la peinture murale de
l’église du monastère de D’Ani, en Serbie1942, de la première moitié du XIVe siècle, la balance
est au centre, accrochée au bord supérieur qui sert de cadre à l’image. Michel est sur le côté et
touche l’un des plateaux, alors qu’un démon se pend au plateau symétrique. Le défunt est au
centre, nu, et attend le verdict. Malgré sa taille supérieure, l’archange apparait ici comme un
acteur de la pesée au même titre que les autres personnages qui gravitent autour de la balance,
véritable protagoniste de l’image.
Le guerrier byzantin porte parfois un rouleau qui en fait clairement un gardien du sacré1943. Si
le dragon apparait de temps à autre sous les pieds de Michel, déjà vaincu, la mise en scène du
combat, n’est pas une image courante sur les parois des églises et les icônes byzantines1944,
comme pour les peintures murales du XIIIe siècle italien, qui entretiennent des rapports
étroits, iconographiquement et formellement, avec l’art byzantin. Le combat contre le démon
est figuré dans certaines églises de Cappadoce à partir du XIe siècle1945. L’iconographie
orientale privilégie les images frontales du guerrier, foulant parfois aux pieds le dragon, et
présentant son arme. Michel apparait régulièrement sous cette forme, au côté du Christ ou de
la Vierge, en pendant de Gabriel, ils constituent alors tous les deux la garde rapprochée de la

1940
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.1.1. Les premiers témoignages orientaux ; et III. 2.2.5. Les images
italiennes de saint Michel à l’aube du XIIIe siècle.
1941
Comme par exemple dans une icône portable du Musée Byzantin d’Athènes de la 2 e ½ du XIVe, voir
CHARALAMPIDIS, 2011, p. 199.
1942
CHARALAMPIDIS, 2011, p. 210.
1943
Comme le précise CHARALAMPIDIS, 2011, pp. 201-203. Il apparait par exemple dans une icône portable
du Musée historique de Mosca, du XVIe ou dans une fresque du Monastère Grande Meteora de Tessaglia, peinte
en 1483.
1944
CHARALAMPIDIS, 2011, p. 210.
1945
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 190.
637
divinité1946. Totalement absent des peintures italiennes exécutées entre 1200 et 1518, l’art
byzantin a conservé quelques témoignages de l’archange à cheval, comme celui de Lesnovo,
en Serbie, peint en 13451947. Cette image, certainement fruit d’une contamination avec
l’iconographie de saint Georges ou d’autres chevaliers, rappelle la majestueuse figure du
Christ à cheval d’Auxerre, notamment dans la représentation du cheval, la position de ses
pattes, et dans la posture du cavalier. L’utilisation d’une monture est pourtant étonnante pour
un être qui possède déjà un moyen de transport - les ailes - certainement plus efficace,
puisqu’il lui permet de se mouvoir dans les trois dimensions, contrairement au cheval. De la
même manière, le thème iconographique de la « synaxe des archanges », qui figure un
regroupement d’archanges portant un médaillon avec une représentation d’un buste de Christ-
Enfant, est présent dans la peinture byzantine, mais totalement absent de l’iconographie
italienne. Elle serait un dérivé du thème antique du clipeus porté par les génies ailés1948.
Au niveau formel, si l’influence de l’art byzantin est prégnante dans l’art du Duecento, la
communication ne se fait pas à sens unique et est un véritable dialogue d’un bout à l’autre de
la Méditerranée. Dans le programme décoratif de l’un des Monastères des Météores, près de
la ville de Kalambaka en Thessalie, se trouve une peinture réalisée en 1483, où le modelé du
visage et la souplesse du corps de Michel témoigne d’un contact de l’artiste avec les peintres
italiens de la Renaissance. Les différences se creusent, cependant, à partir de la fin du XIVe
siècle, et l’archange de Constantinople, qui reste relativement figé dans une frontalité et des
schémas iconographiques et formels fixes, n’a plus grand-chose à voir avec celui de Raphaël
par exemple.

1949 1950 1951

Fig. 96. Anonyme, Saint Fig. 97. Anonyme, Saint Michel, Fig. 98. Anonyme, Pesée des
Michel, Lesnovo, église des Thessalie, Monastère du Grand âmes, Serbie, église du
Saints-Archanges, peinture Météore, peinture murale, 1483. Monastère de De Ani, peinture
murale, 1349. murale, 1ère ½ du XIVe.

1946
JOLIVET-LÉVY Catherine, Les églises byzantines de Cappadoce, le programme iconographique de l’abside
et de ses abords, Paris, Editions du CNRS, 1991.
1947
CHARALAMPIDIS, 2011, p. 208 ou GABELIĆ, 1989 (2), p.58. Citons également un archange à cheval en
France, apparaissant sur la voûte de Saints-Savin-sur-Gartempe, à la fin du XIe siècle ; voir DEHOUX, 2011, p.
113.
1948
GRABAR, 1957, p. 252.
1949
Image provenant du site : https://www.flickr.com/photos/rossitza/2785172056/sizes/m/ .
1950
Image provenant de CHARALAMPIDIS, 2011, p. 202, fig. 6.
1951
Image provenant de CHARALAMPIDIS, 2011, p. 210, fig. 21.
638
De même, les types de l’archange semblent relativement proches dans les peintures d’Italie et
du monde byzantin, mais Michel n’y apparait pourtant pas forcément toujours dans les mêmes
fonctions. Il est souvent figuré dans sa qualité de thaumaturge et de guérisseur dans les
images orientales, notamment par la proximité de saints médecins, principalement saints
Cosme et Damien, et par la figuration de certains miracles inconnus en Italie1952. Ce rôle de
guérisseur est fortement lié à sa fonction d’intercesseur en général, qui intervient dans des
circonstances très variées1953, comme dans le contexte funéraire1954. Selon Catherine Jolivet-
Lévy, l’iconographie de Michel en Cappadoce, met en avant l’aspect multiforme du culte de
l’archange, tout comme l’iconographie occidentale. Pourtant, c’est au niveau des images
narratives que les différences sont les plus grandes entre Orient et Occident.

Nous avons vu que les scènes de psychostasie diffèrent déjà largement d’un côté à l’autre de
la Méditerranée. Les cycles de l’Empire byzantin semblent largement privilégier la figuration
des actions bibliques où l’archange apparait ou qui lui sont attribuées1955. Dans le cycle du
monastère de l’Archangélos, six scènes sont reconnaissables, quatre inspirées de l’Ancien
Testament : l’hospitalité d’Abraham, la lutte de Jacob avec l’ange, l’apparition de l’archange
à Josué devant Jéricho, l’ange amenant Habaccuc à Daniel dans la fosse aux lions ; une scène
néo-testamentaire : la guérison du paralytique à la piscine de Béthesda ; et enfin une scène
apocryphe : le miracle de Chônai1956. Cette série narrative exalte la fonction guerrière de
l’archange et son rôle de guérisseur, rôle souvent souligné par la présence de grandes images
en état qui associent volontiers l’archange à d’autres saints guerriers ou guérisseurs1957. Les
cycles byzantins, s’ils n’en sont pas une traduction fidèle en image, s’inspirent probablement
de l’homélie de Pantoléon1958. Les épisodes bibliques et les scènes en général qui insistent sur
la fonction de guérisseur de Michel, ne sont pas du tout représentés dans l’art occidental. Ce
fait s’explique probablement par le fait que ce sont des aspects qui sont peu développés chez

1952
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.197.
1953
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.196.
1954
JOLIVET-LÉVY, 1997, p.198.
1955
Tels les scènes de saint Michel avertissant Agar ; empêchant Abraham d’immoler son fils ; apparaissant à
Gédéon ; annonçant la naissance de Samson ; apparaissant à David et tuant 70 000 hommes ; massacrant les
soldats de Sennachérib. Voir PETIT, 1930, p. 1253.
1956
Il existe trois versions grecques du miracle de Chônai et un schéma iconographique est déjà établi à la fin du
e
X siècle : Michel à gauche frappant de son long bâton le sol rocheux, Archippe à droite en témoin du miracle,
devant la représentation de l’église de l’archange, au milieu, le torrent tombant verticalement. A ce noyau central
de la scène, s’ajoutait un élément non obligatoire, mais que l’on rencontre dès le XIe siècle : les païens qui ont
creusé le lit de la rivière pour en détourner le cours et qui seront pétrifiés par l’archange, sont figurés en deux
groupes symétriques de petites figures nues, rejetées ici hors du champ de l’image, en haut à droite et à gauche.
Le premier de chaque groupe tient à la main une pelle, ce qui nous a permis d’identifier sans hésitation les païens
de la légende, là où, jusqu’à présent on avait pensé à des figures rattachées à une représentation du jugement
dernier. JOLIVET-LÉVY, 1997, p.192. Voir également à propos de ce miracle, GABELIĆ, 1989 (1), pp. 95-103.
1957
Sur les scènes développées dans les cycles byzantins (dès le XIe) voir JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193.
1958
Voir à ce propos le chapitre 1, II. 2.2.3. Saint Michel à Constantinople et dans l’Empire byzantin ; et
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 190.
639
les Pères de l’Église, et notamment chez Origène qui insiste sur le rôle militaire de l’archange
mais qui reste muet sur son activité de guérisseur, par peur sans doute d’une trop grande
proximité avec Jésus1959. S’il porte parfois assistance aux hommes (comme dans le miracle de
l’accouchée par exemple), Michel n’est jamais, non plus, un saint médecin dans les récits des
fondations des grands sanctuaires michaéliques en Occident. Quant aux épisodes bibliques
représentés dans l’iconographie italienne, ils concernent essentiellement les scènes où Michel
intervient en tant que chef de la milice céleste, combattant du mal, ou séparateur des bons et
des mauvais après la mort ou au Jugement dernier.
Nous avons déjà noté l’imperméabilité des épisodes miraculeux entre Orient et Occident : les
miracles réalisés sur le territoire byzantin ne sont pas figurés en Occident ; et les miracles des
grands sanctuaires occidentaux ne sont pas figurés en Orient1960. Seule la porte en bronze du
sanctuaire garganique de 1076, constitue un exemple de pénétration des scènes orientales sur
le sol italien. Mais en règle générale, chacun privilégie la figuration des apparitions de
l’archange sur son territoire, sans référence à ce qui se passe de l’autre côté de la
Méditerranée.

Les contacts entre Orient et Occident sont importants autour de la figure de l’archange, et
s’expliquent en grande partie par l’histoire du culte de Michel. Nous avons noté plusieurs
similitudes en ce qui concernent les grands types de l’archange, notamment dans leur aspect
vestimentaire. Les attributs sont également les mêmes mais souvent utilisés différemment. Au
niveau de l’aspect formel, le Michel italien du Duecento est très proche de son homologue
oriental, grâce aux dialogues politiques et culturels entre ces deux zones, et par la circulation
des artistes grecs en Italie, qui ont eu lieu pendant tout le Moyen Âge et qui ont fortement
marqué l’art péninsulaire en général. Mais l’écart se creuse à partir du milieu du XIVe siècle
pour ne jamais se refermer. Enfin, nous avons insisté sur l’étanchéité des images narratives
entre Orient et Occident. Les différences observées mettent en avant des différences d’accent
mis sur les fonctions attribuées à Michel : alors que les byzantins proposent une figure de
protecteur, de guérisseur, d’intercesseur dont les armes sont au service de l’assistance portée
aux hommes, les italiens insistent davantage sur la fonction martiale de Michel, dans sa lutte
contre les démons, mais également dans son aspect punitif, contre les hommes mauvais.

III.2.1.2. L’échelle « nationale » et l’iconographie de saint Michel dans le reste de l’Occident

Certaines particularités de l’iconographie italienne peuvent être mises en avant par la


confrontation des images de notre corpus avec des témoignages occidentaux mais étrangers à
la Péninsule. Nous ne pouvons pourtant, dans le cadre de ce travail, traiter l’iconographie des

1959
Voir à ce propos le compte-rendu de l’ouvrage de J.P. ROHLAND, Der Erzengel Michael, Arzt und Feldherr.
Zwei Aspekte des vor- und frühbyzantinischen Michaelskulte, Leyde, 1977, par DE WAHA, 1978, pp. 324-326.
1960
L’Apparitio est pourtant traduite en grec dès le XIe siècle ; Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.4.
Apparitions et miracles de saint Michel.
640
pays voisins dans leur globalité et il n’existe pas de grandes synthèses sur les images de saint
Michel pour ces zones géographiques. Ce chapitre sera ainsi abordé à partir de thèmes précis
représentés en France, en Espagne ou dans les Flandres, qui entrent particulièrement en
résonnance avec l’Italie par leurs similitudes ou par leur absence.

Les études ponctuelles sur les images de saint Michel en France, ne concernent en
général qu’une région limitée du pays, principalement celle du grand sanctuaire michaélique,
la Normandie1961, ou plus rarement une autre région1962 ; ou bien qu’un thème précis1963.
Alors qu’elle est peu présente, ou secondaire, dans l’iconographie italienne, la fonction
psychopompique de Michel semble être un thème privilégié de l’iconographie française,
notamment au XIIIe siècle. Ilona Hans-Collas a particulièrement insisté sur ce fait pour les
archanges peints ou sculptés dans les Marches de l’Est de la France, en contexte funéraire1964,
mais pas seulement1965. Le rôle de protecteur et d’intercesseur de Michel se développe dans
l’art monumental, mais également dans les manuscrits, notamment les Livres d’heures, et
tient en général une place importante dans les œuvres de dévotion. Juliane Hervieu a fait un
constat similaire pour les œuvres du XIIIe siècle en Basse Normandie. Ce succès de Michel
protecteur et accompagnateur des âmes dans les peintures et les sculptures italiennes, insiste
davantage sur un archange doux et proche des hommes, alors que son alter ego italien est
largement dominé au Duecento par le type byzantin, froid et distant. Il semble en effet que ce
soit la prégnance des formes byzantines qui ait participé à limiter, dans l’iconographie
italienne, la prise en charge directe et personnelle de l’homme par l’archange, qui intervient
principalement comme garde rapproché de la divinité. Si la peinture française n’est pas
totalement hermétique à l’iconographie byzantine, comme en atteste par exemple la grande
figure de l’archange peinte dans le transept de la cathédrale du Puy-en-Velay, le type de
Michel au lôros n’a fait que des percées ponctuelles dans le royaume. Les différences de
nature et de proximité de Michel par rapport aux défunts, sont également lisibles dans la
confrontation des grands programmes sculptés des tympans des cathédrales gothiques,
notamment ceux du XIIIe siècle, aux Jugements derniers peints sur les contre-façades
italiennes, à la fin du XIIIe et principalement au XIVe siècle : d’un côté l’ange en aube
accompagnant les élus et surveillant la pesée, de l’autre le soldat, séparateur intransigeant, qui
réalise déjà le partage à la force de son arme. Le rôle guerrier de l’archange est déjà affirmé
dans les Jugements derniers italiens de la fin du XIIIe siècle, comme il le sera en France
surtout aux XV et XVIe siècles.

1961
HERVIEU, 2003, p. 540.
1962
DEHOUX, 2011, pp. 109-133 ; HANS-COLLAS, 2011, pp. 145-162.
1963
GRANT, 2011, pp. 135-143 ; LE HUËROU, 2011, pp. 53-71.
1964
Comme par exemple la peinture funéraire du chanoine Jacques Poulain, sur le pilier de la nef de la cathédrale
de Metz, exécutée en 1379 ; HANS-COLLAS, 2011, pp. 145-146.
1965
Comme dans une peinture murale de l’ébrasement de l’oculus de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de
Fréville, à la fin du XIVe et au début du XVe ; HANS-COLLAS, 2011, pp. 147.
641
Pourtant, la figure du combattant semble s’être développée précocement en France. Esther
Dehoux note qu’au Xe siècle, en Aquitaine, Michel est déjà figuré en guerrier contemporain,
même si ce n’est plus le cas à partir du XIIe siècle1966. Elle rattache les modifications des
équilibres des pouvoirs dans cette région, notamment entre clercs et laïcs, aux évolutions de
l’iconographie de l’archange, procédant à un savant dosage entre choix des attributs, façon de
les tenir et configuration de la scène pour répondre au message que veut transmettre le
commanditaire. Elle souligne l’importance de la lance par rapport à l’épée, alors même que
celle-ci est déjà considérée comme l’arme des chevaliers par excellence au XIIe siècle, ce qui
est le cas également en Italie, et ainsi une volonté de distinguer par certains éléments le
chevalier céleste des chevaliers terrestres. Par contre, le bouclier est très présent dans son
corpus, et dans l’iconographie française au-delà du XIIIe siècle, alors qu’il n’apparait que
ponctuellement dans la Péninsule. Aux X et XIe siècle, saint Michel est un exemple pour la
chevalerie naissante dans les images d’Aquitaine, un guerrier ailé parmi les hommes, alors
qu’il est à ce moment en Italie, un archange armé au milieu des archanges, ou à côté du
Christ. À la fin du XIIIe siècle, a lieu une certaine inversion entre les images françaises et
italiennes : Michel récupère plus volontiers l’aube dans les programmes de Normandie ou de
l’Est1967, même s’il combat le dragon, alors qu’il commence sa militarisation au-delà des
Alpes, à travers le type du général romain, presque totalement absent de l’iconographie en
France. Dans ce royaume, Michel porte à nouveau le costume du chevalier contemporain à
partir du milieu du XVe siècle1968, sous la forme de l’armure, tout comme en Italie. Les
peintres de la Péninsule abandonnent, par contre, assez vite ce costume de plates à l’aube du
XVIe siècle, pour privilégier l’image du guerrier atemporel, dont Raphaël produit le
prototype, qui ne sera pourtant repris en France qu’au XVIIe siècle1969. Michel conserve son
statut de chevalier, protecteur des français, suite à la popularité de sa protection sur le Mont-
Saint-Michel, ayant résisté aux anglais pendant la Guerre de Cent Ans1970.
La balance est, d’un côté et de l’autre des Alpes, un attribut moins présent que les armes, que
ce soit dans les scènes eschatologiques ou dans les représentations en état, mais pourtant
souvent déterminant dans la définition de la fonction de l’archange et de la nature du combat
qu’il mène.
La confrontation, même rapide, de l’iconographie michaélique italienne avec celle française,
met en évidence une différence de rapport entre les hommes et l’archange d’un côté à l’autre
des Alpes. S’il est souvent un modèle pour le chevalier humain, il semble entretenir une
relation plus intime de protection individualisée et bienveillante en France, alors que
l’archange italien insiste peu sur son assistance aux hommes lors de son combat. Il est un
surveillant du bon déroulement de la pesée, davantage qu’un protecteur attentif pour les âmes,

1966
DEHOUX, 2011, pp. 109-133.
1967
HANS-COLLAS, 2011, pp. 145-162.
1968
Ilona Hans-Collas, note que le premier saint Michel portant l’armure dans son corpus date de 1440 ; HANS-
COLLAS, 2011, pp. 161.
1969
HERVIEU, 2003, p. 540.
1970
HANS-COLLAS, 2011, pp. 145-162 et HERVIEU, 2003, p. 540.
642
et se transforme plus régulièrement en punisseur, du démon à forme clairement humaine, ou
directement de l’homme damné.
France et Italie sont unies autour d’une dévotion commune à Michel qui se matérialise par les
deux sanctuaires constituant les deux extrémités d’un même pèlerinage à l’archange d’un bout
à l’autre de l’Occident, et sont également liées dans les images des apparitions et des miracles
de Michel. L’iconographie de ces épisodes permet la figuration, dans une même composition,
du Mont Gargan et du Mont-Saint-Michel, autour de motifs communs : le Mont, le taureau,
l’évêque et la procession. Réunis au sein de programmes iconographiques italiens, plus
rarement français, les deux sanctuaires et la mise en images de leur histoire, constituent un
trait d’union visuel entre ces deux territoires. Mais ces cycles sont pourtant absents de
l’iconographie normande1971, et davantage présents au sud et en Espagne. Si le lien entre
France et Italie nous semble évident à travers l’histoire commune de leurs sanctuaires, le
développement des images des épisodes du Mont Gargan et du Mont-Saint-Michel semble
plus étonnant dans l’iconographie espagnole.

L’art espagnol propose, dès la fin du XIIe siècle, des panneaux peints réunissant les
épisodes de la légende michaélique, provenant tous de Catalogne1972. Le plus ancien d’entre
eux est un antependium conservé au Museo de Arte de Cataluña de Barcelone, et réalisé par
un anonyme catalan, qui regroupe une scène de transport d’une âme par deux anges (nommés
Raphaël et Gabriel par des inscriptions), un épisode de combat contre le dragon, une pesée
des âmes avec un démon et une représentation du miracle du taureau. L’archange en état
devait certainement figurer au centre de la composition. S’il l’une des actions n’est pas
réalisée par Michel, cet ensemble regroupe toutes les fonctions attribuées à l’archange en
Occident à la fin du Moyen Âge, dans des épisodes bien peu narratifs. Le panneau conservé
au Musée des Arts Décoratifs de Paris est conservé dans son intégrité et possède au centre une
figure en pied de Michel, qui ne peut pas totalement être considérée comme une image en
état : l’archange est situé au centre d’une pesée, développée sur le panneau central et sur les
deux panneaux latéraux inférieurs, qui sont réunis à la scène principale par des groupes de
personnages, passant devant la bordure des cadres. Dans l’un des panneaux, les élus sont
emmenés par des anges au Ciel, et dans l’autre, est figuré un lieu infernal dans lequel les
démons tourmentent déjà les damnés. Les quatre scènes des registres supérieurs représentent
le miracle du taureau, la scène de la procession conduite par l’évêque, l’apparition de
l’archange à l’évêque et le miracle de l’accouchée du Mont-Saint-Michel. Cette peinture
ressemble dans sa composition à celle de Coppo di Marcovaldo, mais l’insistance portée ici
sur l’archange en tant qu’acteur de la psychostasie, diffère largement de la vision de
l’archange sur son trône, muni de son globe et de sa lance au fer bien pointu, et apparaissant

1971
Comme l’a précisé Vincent Juhel dans une communication intitulée « Images et cycles de saint Michel dans
l’art monumentale en France », tenue lors de la 6e rencontre historique de l’Association « Les chemins de saint
Michel », Autour des images de saint Michel en Europe, qui a eu lieu à Vire le 8 mai dernier.
1972
Voir principalement BELLI D’ELIA, 1994, pp. 575-618 et 2000, p. 124.
643
clairement dans une des scènes du panneau, dans son rôle de combattant du mal, alors que son
rôle auprès des défunts n’apparait pas du tout dans l’œuvre italienne.

1973 1974

Fig. 99. Maître de Sant Pau de Casserres, Devant Fig. 100. Anonyme catalan, Saint Michel et
de l’autel des archanges, Museu Nacional d'Art légendes, Paris, Musée des Arts Décoratifs,
de Catalunya, deuxième quart du XIIIe siècle. peinture sur panneaux, début du XIVe.

La mise en scène d’épisodes de la légende de Michel, associés à des épisodes bibliques et


eschatologiques, est impressionnante dans les retables espagnols du XVe siècle1975. Dans ces
ensembles, l’épisode du taureau est souvent l’occasion d’une représentation de scène de
chasse courtoise, où Gargan est accompagné d’un grand nombre de personnages. Plusieurs
peintures fusionnent la scène du taureau avec celle de la procession, comme dans la peinture
murale de Jacopo del Casentino à Santa Croce peinte dans le premier quart du XIVe siècle.
Contrairement à la fresque italienne, les deux épisodes ne sont pas séparés par le Mont servant
à diviser l’image en deux parties égales. Les versions espagnoles rassemblent tous les
personnages dans un groupe indifférencié. Certains motifs iconographiques témoignent d’un
lien entre les deux péninsules. Le remplacement de la grotte par une église, peint pour la
première fois par Agnolo Gaddi dans la prédelle de New Haven en 1380, est repris par des
peintres espagnols, comme par Jaume Cirera dans un grand polyptyque dédié à Michel et à
Pierre peint entre 1432 et 1433. Dans cette peinture, comme dans toutes les images
hispaniques, Gargan reçoit la flèche renvoyée par l’archange dans l’œil. C’est une
particularité espagnole que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, et qui correspond certainement,
selon Pina Belli d’Elia, à une variante décrite dans un texte largement diffusé en Catalogne et
aujourd’hui méconnu1976.

1973
Image provenant du catalogue en ligne du musée : http://art.mnac.cat/fitxatecnica.html;jsessionid=e5134544
a48f4d1aef4d6abc533b44341d70343a553d32e687dfbe3e5de2c457?inventoryNumber=003913-000&lang=en .
1974
Image provenant de BUSSAGLI et D’ONOFRIO, 2000, p.77.
1975
Il suffit pour s’en rendre compte, de consulter le catalogue en ligne du Museo de Arte de Cataluña de
Barcelone : http://www.museunacional.cat/ca .
1976
BELLI D’ELIA, 1994, p. 591.
644
1977

Fig. 101. Jaume Cirera, Retable de saint Michel et de saint Pierre (et détail), Barcelone, Museo de Arte de
Cataluña, peinture sur panneaux, 1432-1433.

L’épisode romain est lui aussi parfois représenté1978, bien que plus rare. Une place centrale est
accordée dans ces panneaux au rôle de Michel dans la pesée des âmes qui détermine l’accès
au paradis d’attente, au Purgatoire ou en enfer.
Les retables espagnols du XVe siècle, fascinants par leur quantité, par la richesse de leur
iconographie, et par l’articulation savante des multiples épisodes qui les composent,
permettent de replacer, plus que dans n’importe quel autre témoignage occidental, l’action
archangélique dans une histoire plus générale du salut. Cette iconographie michaélique inclut
largement le clergé et la nécessité de sa médiation, par la représentation quasi-systématique
d’une scène de la messe, à proximité de l’épisode de pesée des âmes menée par Michel 1979.
Dans le retable de Jaume Cirera, évoqué et représenté ci-dessus, la scène de la messe est
figurée avec ses effets : l’officiant procède à l’élévation de l’hostie, alors qu’au deuxième plan
de l’image, des anges récupèrent des âmes sorties de terre. Cet épisode s’inscrit dans la série
des épisodes michaéliques : à côté d’une scène d’apparition à l’évêque (réactivant le lien entre
culte de l’archange et autorité épiscopale) et en-dessous de l’épisode du taureau, qui jouxte
lui-même la psychostasie réalisée par Michel, à côté d’un saint Pierre assis, tenant ses clés et
communicant avec un ange. L’action conjointe de l’archange - par ses apparitions, son rôle
dans la pesée et son rôle de combattant figurant sur la panneau central - et du clergé - par son
rôle dans l’instauration du culte de l’archange, dans la liturgie, et évoqué à travers le modèle
de saint Pierre, autre protagoniste du retable - est toute destinée à permettre aux hommes
l’accès au salut.

1977
Image provenant du catalogue en ligne du Museo de Arte de Cataluña de Barcelone :
http://www.museunacional.cat/ca/colleccio/retaule-de-sant-miquel-i-sant-pere/jaume-cirera/015837-cjt .
1978
Comme dans le fragment de panneau de Jaume Huguet réalisé entre 1455 et 1460 et toujours conservé au
Museo de Arte de Cataluña de Barcelone : http://www.museunacional.cat/ca/colleccio/aparicio-de-sant-miquel-
al-castell-de-santangelo/jaume-huguet/037760-000 .
1979
Comme l’a démontré Paulino Rodriguez Barral, de l’Université de Paris I, dans une intervention intitulée
« Saint Michel et le Purgatoire : l’iconographie de la couronne d’Aragon », tenue lors de la 6e rencontre
historique de l’Association « Les chemins de saint Michel », Autour des images de saint Michel en Europe, qui a
eu lieu à Vire le 8 mai dernier, et qui doit donner suite à une publication.
645
Ces panneaux mettent en avant un aspect important de l’iconographie espagnole : la centralité
de l’image de l’archange à la balance, qui se développe également dans le contexte funéraire
et qui fait la popularité de Michel dans le culte, l’iconographie et l’architecture catalans 1980.
Cette attention à l’acteur de la psychostasie témoigne du rôle d’accompagnateur de Michel
auprès des hommes, et insiste sur l’importance de sa figure dans l’accès au salut, alors que
l’iconographie italienne, qui a plus largement insisté sur sa fonction martiale, propose une
figure plus punitive que protectrice.
Le développement des retables espagnols de Michel, indéniablement lié au culte italien du
Mont Gargan, peut en partie s’expliquer, selon Pina Belli d’Elia, par les rapports politiques et
culturels qui unissaient la Catalogne et le sud de l’Italie à la fin du Moyen Âge et au début de
l’époque moderne1981.

La balance est également centrale dans l’iconographie flamande de Michel. Il prend


parfois une place d’une importance sans précédent dans les scènes de Jugement dernier où il
figure tantôt en liturge porteur de balance - comme dans l’huile sur bois de Rogier Van Der
Weyden de l’Hôtel-Dieu de Beaune (1446-1452) -, tantôt en guerrier, justicier au service du
Christ - comme dans le panneau de Memling (1480), conservé à Bruges - assurant, dans tous
les cas, le bon déroulement de la pesée. Michel est nettement le bras armé de Dieu ou le
magistrat de la justice divine, personnage central par sa position, sa taille et sa fonction. Dans
ces panneaux, il faut noter que ce sont les corps ressuscités qui sont pesés, et non pas une
version miniature des hommes, comme c’est souvent le cas dans l’iconographie italienne. Les
démons sont souvent discrets ou totalement absents dans la scène du partage, et, comme dans
plusieurs peintures murales italiennes du XVe siècle, l’homme est seul face à Michel, face à
son jugement et à la rétribution de ses actes. Si la figure flamande de Michel diffère, à priori,
largement dans son type (surtout lorsqu’elle figure en diacre), dans ses attributs et ainsi dans
son rôle, par rapport à la figure des Jugements derniers italiens, elles semblent pourtant toutes
deux, assumer la même fonction de figuration de l’inéluctabilité du jugement de Dieu et d’une
culpabilisation des hommes. Dans ce schéma, les démons n’ont pas leur place, puisque c’est
l’homme seul qui est placé devant ses responsabilités, mises en image par l’inclinaison du
fléau de la balance tenue par l’archange. Ni Michel, dont la main gauche est relevée dans le
panneau de Beaune, ni les démons ne peuvent modifier le résultat indiqué par la balance.

1980
ESPAÑOL, 1997, p. 180.
1981
À propos de l’insertion du culte de Michel à partir des Pouilles en Espagne et des contacts politiques et
culturels entre l’Espagne et les Pouilles, voir note 40 et 41 de BELLI D’ELIA p. 589.
646
1982

Fig. 102. Rogier Van Der Weyden, Jugement dernier, Beaune, Musée de
l’Hôtel-Dieu, huiles sur bois, 1446-1452.

Malgré l’importance de la figure michaélique dans les exemples cités, rappelons que, comme
dans la peinture italienne, la présence de Michel dans les Jugements derniers flamands est loin
d’être systématique. Cependant, lorsqu’il est représenté, il est explicitement un magistrat, un
surveillant, sans être une figure protectrice et bienveillante pour les hommes.

La confrontation des peintures péninsulaires avec ces quelques exemples occidentaux,


permet de relever quelques éléments, par ailleurs déjà observés, mais qui prennent ici un
caractère spécifique à l’imagerie italienne. Notons avant tout la prégnance de l’art byzantin
sur toute la période médiévale en Italie, jusqu’à la fin du XIIIe siècle, voire le début du XIVe
qui fixe la figure de Michel dans une froide distance avec l’homme, alors qu’il est davantage
proche de Dieu. Même lorsque l’archange rejoint les saints dans les peintures italiennes, et
prend la forme d’un guerrier, il ne devient pourtant pas l’ange tendre et protecteur qu’il est
fréquemment dans les images françaises. De même, c’est principalement sa fonction de
vainqueur du mal qui semble justifier son invocation en Italie, alors qu’il est, dans les retables
espagnols, surtout celui qui permet l’accès au salut. Le combat de l’archange est un moyen au
service de la psychostasie dans la Péninsule ibérique, alors que la balance est un prétexte au
combat dans la Péninsule italique. Le rôle de Michel auprès des hommes prend toute son
épaisseur dans les scènes de Jugement dernier, où l’archange italien est clairement un
séparateur et un exécuteur de la justice divine, plutôt qu’un protecteur des hommes et un
intercesseur.

III.2.1.3. Une iconographie de pèlerinage ?

Le pèlerinage occupe une partie importante du culte de saint Michel en Occident.


Pourtant, l’image même de l’archange ne semble pas porter les traces de ce phénomène. Saint
Jacques est souvent représenté en véritable jacquet, portant le mantelet, le chapeau de feutre à
larges bords et orné d’une coquille « Saint-Jacques », la besace, la calebasse et tenant le

1982
Image provenant du site :
http://www.rose-croix.org/mediatheque/Video/images_pesee_ame/rogier_van_der_weyden_gf.jpg .
647
bourdon. Michel, lui, ne prend pas la forme ou les attributs de ceux qui lui rendent un culte.
Notons que la coquille, symbole de pèlerinage, est parfois présente dans l’iconographie
française, notamment sur les insignes de pèlerinage1983, mais pas à notre connaissance en
Italie. Le lieu même de pèlerinage, le Mont Gargan, n’est pas représenté comme signe-rappel
du pèlerinage, comme peut l’être - même si cela est rare - le Mont-Saint-Michel. La difficulté
de représenter le lieu sous la forme d’une grotte, englobée dans une église sous-terraine, est
sans doute une des raisons majeures de l’absence de représentation de la silhouette du
sanctuaire comme symbole du lieu et du pèlerinage qui lui est rendu 1984. Seules les scènes
narratives des apparitions de l’archange, par la présence du motif des processions, évoquent le
pèlerinage.
Pourtant, l’adoption régulière de la croix de Saint-Georges, sur des bannières, des écus ou son
plastron, inscrit l’action de Michel dans la perspective d’un autre pèlerinage, plus important et
plus universel : celui à Jérusalem, qui partage ses routes avec le pèlerinage au Mont Gargan.
L’image de Michel en Italie, par l’absence de référence à son propre pèlerinage alors qu’il
arbore souvent les couleurs des croisées, réaffirme sa soumission toujours totale à Dieu, dans
laquelle son sanctuaire n’est qu’une étape sur la route du grand pèlerinage sur les lieux de la
Passion, et souligne sa participation à cette reconquête armée.

Sur la question des sanctuaires comme créateurs de l’iconographie de saint Michel, nous
avons déjà abordé la question à propos du rôle du Mont Gargan dans la mise en place de
l’image de Michel combattant le dragon1985. Rappelons qu’à une époque assez reculée,
certainement à partir du X ou XIe siècle, le sanctuaire michaélique possède déjà des images de
l’archange vainqueur du dragon, et de l’archange à la balance. Il possède également un rôle
central dans la création des images d’apparition et de miracle de Michel 1986. S’il n’est pas
toujours aisé de déterminer l’endroit précis où est créé un type ou l’autre de l’archange, il est
indéniable que le sanctuaire garganique ait joué un rôle important dans la diffusion des
modèles de l’iconographie michaélique. Le culte de saint Michel était de toute façon
largement répandu dans toute l’Italie, et son image a du se diffuser à partir des grands centres
urbains, en Toscane, en Lombardie, en Vénétie, ou à partir de sanctuaires-relais, comme la
Sacra di San Michele près de Turin. Le texte de l’Apparitio est déjà largement diffusé au IXe
siècle, en France et en Germanie1987. Les emprunts de la légende garganique dans la
construction du texte de la Revelatio, et l’envoi des pignora d’Italie vers la France,

1983
L’insigne elle-même peut prendre la forme d’une coquille, sur laquelle une figure de Michel prend place,
comme les quatre exemplaires conservés à Woems, au Museum der Stadt, mais originaires du Mont-Saint-
Michel, dont les reproductions sont visibles dans BRUNA, 2007, pp. 83-84, fig. 16 à 20.
1984
Aujourd’hui encore, alors que la silhouette du Mont normand est largement utilisée comme symbole dans les
objets vendus aux touristes, le Mont apulien ne figure pas sur les souvenirs italiens, et est remplacé par la statue
présente dans le chœur de la grotte, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
1985
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le
mal.
1986
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.4. Apparitions et miracles de saint Michel.
1987
Il est notamment connu par Raban de Maur qui l’insert dans un de ses recueils d’homélie. Voir MARTIN,
2009, p. 404.
648
témoignent des relations entre le Mont Gargan et le Mont-Saint-Michel durant le Haut Moyen
Âge. Ces liens ne sont pourtant pas durables et réciproques et le dialogue semble rompu
lorsque les deux sanctuaires prennent des chemins institutionnels différents à partir du Xe
siècle1988. D’ailleurs la nature du culte de l’archange évolue également différemment d’un
côté et de l’autre des Alpes, ainsi que les types iconographiques, comme nous l’avons vu dans
la partie précédente, mais les contacts sont toujours existants, même si nous n’avons pas le
sentiment qu’il y ait réellement une spécificité, à ce niveau, pour l’image de Michel. Les
objets même de la dévotion ne sont pas les mêmes, puisque le Mont-Saint-Michel fut un
grand centre de production d’enseignes de pèlerinage en plomb ou en étain, alors que le Mont
Gargan produisait des statuettes de pierre. Le sanctuaire a gardé son lien privilégié avec la
roche, jusque dans les objets de souvenirs destinés aux pèlerins.
Les cycles regroupant différentes scènes d’apparition à l’origine des deux sanctuaires, sont
bien une preuve du lien qui existait entre France et Italie autour du culte de Michel. Mais, la
rareté de ce genre de peinture en France, atteste que les peintres du royaume n’ont plus, à la
fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, la volonté de rappeler cette filiation entre
le Mont Gargan et le Mont-Saint-Michel. Cependant, le développement de ce type de peinture
en Espagne, prouve que le sanctuaire de Monte-Sant’Angelo, est encore connu, célèbre et
visité. Mais ce cas reste une exception dans l’iconographie michaélique.
La plupart du temps, les contacts artistiques et culturels que l’on peut déceler, sont ceux de
l’iconographie chrétienne en général, et il ne semble pas que l’on puisse parler d’une
iconographie de pèlerinage pour les images de l’archange. Pina Belli d’Elia note, dans un
article sur l’iconographie de Michel en milieu rupestre, que les peintures des grottes de la
Madonna del Parto à Sutri, et de San Vincenzo di Norchia, dans le Latium, sur la Via
Francigena du Sud, insérées dans un contexte de pèlerinage pour ou de Rome, agissaient
certainement comme une invitation à poursuivre le chemin jusqu’au Mont Gargan 1989. Il est
vrai que le lien avec le pèlerinage est prégnant dans la peinture de Sutri, par la figuration du
miracle du taureau, et surtout, pas l’ajout dans cette scène d’un groupe de Michelots,
marchant ou agenouillés en prière. Mais cette peinture est un cas unique. L’image de Michel
est, en l’occurrence, trop courante pour savoir de manière systématique et claire si la création
d’une peinture est le fait de sa situation sur une route de pèlerinage ou celui de la simple
popularité du culte archangélique (même si le pèlerinage a lui-même grandement participé à
rendre ce culte populaire). Si les deux grands sanctuaires occidentaux dédiés à l’archange, ont
été des centres de développement important de l’iconographie de Michel, et même peut-être
des créateurs de son image, les « routes de pèlerinage »1990 qui mènent d’un bout à l’autre de
l’Occident, ne semblent pas avoir été des vecteurs particuliers de communication de motifs,
de formes ou de thèmes michaéliques.

1988
MARTIN, 2009, p. 418.
1989
BELLI D’ELIA, 2011, p. 218.
1990
Qui n’ont de toute façon pas réellement existé au sens propre, puisque largement mouvantes, et bien
évidemment confondues avec les routes commerciales et les grands axes de communication en général. Voir
PEROL, 2009, pp. 321-342.
649
III.2.2. À l’intérieur de l’Italie

L’étude spatiale de l’iconographie de saint Michel à l’intérieur de l’Italie révèle des


particularités régionales que nous allons évoquer dans le premier paragraphe de cette partie.
La seconde partie propose quelques remarques sur le développement de l’image de Michel à
l’échelle locale, et à l’échelle du lieu de culte.

III.2.2.1. L’échelle régionale

Les régions sont ici comprises dans leurs frontières actuelles, mais des regroupements
de régions peuvent être faits pour se rapprocher davantage des logiques régionales de la
période étudiée. Le rattachement d’une peinture à une région, facilement identifiable pour les
peintures murales, est plus difficile à réaliser pour les peintures sur panneaux qui peuvent être
aisément déplacées. Si l’image n’apparait plus dans son contexte d’origine, son histoire ou
une inscription peut renseigner sur la commande, et la destination de l’œuvre. Si nous ne
possédons aucun des ces renseignements, nous rattachons la peinture au territoire d’origine du
peintre, lorsqu’il est identifié ou au lieu de conservation car il correspond souvent à son lieu
d’origine. Il faut, de toute façon, prendre en compte la grande mobilité des peintres italiens de
la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance.

Au nord de l’Italie1991, il faut noter une plus forte présence du type de l’ange vêtu de la
dalmatique et du pallium, alors que l’ange guerrier ne se développe qu’à partir des années
1330-1340. L’archange des XIII et XIVe siècles n’est pas particulièrement présent sur les
panneaux peints au milieu des saints en état. Il n’apparait pas forcément dans les images
narratives mais souvent comme une figure isolée et dynamique. Cela tient certainement au fait
que la peinture sur panneaux n’est pas le support privilégié au nord, et particulièrement dans
l’arc alpin. Dans le Piémont, plus d’une peinture sur deux est peinte sur mur, alors que ce
rapport est d’un tiers sur l’ensemble du corpus. Les murs des petites chapelles locales et des
grandes églises, sont tous couverts de peintures et plusieurs cycles ont été conservés dans leur
ensemble, ou retrouvés sous des couches plus récentes. Au XVe siècle, le combattant couvert
de l’armure de plates jouit d’un succès particulier dans les régions du nord, en Piémont, en
Lombardie ou en Vénétie.
Dans l’arc alpin, en particulier dans le Piémont, les images de l’archange sont souvent
absentes aux XIIIe et XIVe siècles, mais sont presque toutes réalisées au XVe siècle, et au
début du XVIe siècle. Notons l’activité de Defendente Ferrari et de son atelier,
particulièrement actif autour de la Sacra di San Michele au début du Cinquecento1992. Dans

1991
Comprenant les régions du Val d’Aoste, du Piémont, de la Ligurie, de la Lombardie, du Trentin Haut-Adige,
de la Vénétie, du Frioul-Vénétie Julienne et de l’Émilie Romagne.
1992
Quatre peintures de notre corpus ont été réalisées par le peintre et son atelier, dont deux panneaux sont
encore aujourd’hui présents dans l’église abbatiale de la Sacra di San Michele : une Vierge à l’Enfant et saints,
650
les images piémontaises, Michel est souvent le guerrier à la balance, en armure, armé d’une
lance qui s’adapte particulièrement à la protection de l’instrument de pesée. Hormis les
quelques peintures commandées directement pour le sanctuaire, nous ne remarquons pas
d’activité particulièrement développée autour de la Sacra ou dans les environs.
Alors que, curieusement, la Vénétie ne propose presque pas de saint Michel portant le lôros
au XIIIe et au début du XIVe siècle, la Lombardie a souvent adopté le type byzantin. Par
contre, à l’inverse de ses voisins, la peinture lombarde ne semble pas avoir particulièrement
apprécié le type du guerrier en armure de plates, et lui a généralement préféré celui du général
romain.
Comme nous venons de le préciser, et même dans les œuvres adoptant un style byzantin
marqué, Michel porte souvent, en Vénétie, la dalmatique et le pallium, ou l’aube, et une seule
fois, sur les quarante-deux peintures répertoriées, il est revêtu du lôros. Le type militaire est
avant tout celui inspiré du général romain, mais le guerrier en tunique courte apparait
également de manière régulière au XIVe siècle. Le chef de la milice céleste est presque
uniquement vêtu de l’armure de plates au XVe siècle. À la fin du siècle, et au début du siècle
suivant, l’armure se transforme en costume fantasque, évoquant l’aspect intemporel et
extraterrestre du combat de Michel.
L’Émilie Romagne, terre de contact entre Italie du nord, Toscane et territoire de l’Église,
possède plusieurs cycles de peinture murale mettant en scène les apparitions de Michel - au
monastère de Pomposa ou au baptistère de Parme - et le Jugement denier - celui de Giovanni
da Modena dans la cathédrale de Bologne (1410), le panneau de Bartolomeo Bolgnini du
musée de Bologne (1435) et celui de la cathédrale de Modène par Cristoforo da Lendinara
(1472-1476). Ces trois compositions font partie d’une série, dont le modèle est la peinture de
Giovanni da Modena, où Michel prend place au centre, les jambes campées sur un démon et
les genoux écartés, portant une balance et une épée.

Nous avons rattaché plus de deux cents peintures à la région Toscane. Les grands
pôles urbains toscans constituent des foyers particulièrement vifs dans la création artistiques à
la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance. L’idée d’une suprématie de l’art toscan en
général a été véhiculée par les historiens de l’art, et par Giorgio Vasari en particulier avec l’art
florentin. L’art de cette région a donc été longtemps considéré comme le plus digne d’intérêt
et a été ainsi le mieux étudié et subséquemment le mieux conservé. Il faut donc relativiser ce
nombre important, qui est lié davantage à l’histoire de notre discipline et surtout au
dynamisme culturel et artistique qu’à un intérêt particulier pour Michel et son image.
Quoi qu’il en soit, les églises toscanes abritent les plus importants cycles peints sur mur
autour de la légende de l’archange. Santa Croce à Florence, San Galgano à Chiusdino, San
Michele à Paganico, San Francesco à Arezzo, duomo de Sienne, portent toutes une ou
plusieurs images de Michel en scène, dans des épisodes bibliques (chasse contre les anges
rebelles ou combat contre le dragon de l’Apocalypse) et d’apparitions en Italie (au Mont
Gargan ou à Rome). Les panneaux dont les prédelles portent également un cycle de saint

du début du XVIe siècle, et le triptyque de l’Immaculée Conception de 1503-1507.


651
Michel sont majoritairement peints en Toscane. Les commanditaires toscans d’images
michaéliques semblent ainsi porter un intérêt particulier à l’archange en scène, alors même
que le chef de la milice céleste ne s’est jamais manifesté sur leur territoire1993.
L’art toscan a mis très tôt la figure de l’archange en valeur sur les panneaux peints 1994, à partir
du milieu du XIIIe siècle, initié par le panneau de Coppo di Marcovaldo, alors même que ce
support était encore peu développé en Italie. Il est notamment le vainqueur du dragon en
pendant de Crucifixion dans une série de petits triptyques toscans, ou inséré dans un groupe
de peintures siennoises en buste entre 1310 et 1320. Au XVe siècle, c’est en contexte toscan
qu’apparait et que se développe presque essentiellement le thème des trois archanges réunis
dans un même espace. Michel est une figure importante et récurrente du panthéon des cités
toscanes.

Les régions du centre de l’Italie, correspondant plus ou moins aux territoires de


l’Église des XIVe et XVe siècles1995, comptabilisent plus de cent-dix peintures de Michel. Le
type byzantin est bien présent dans cette zone au XIIIe siècle et au début du XIVe et est
régulièrement mis en scène dans des épisodes narratifs, mais n’empêche pas une insertion
précoce du modèle du guerrier romain, notamment au dernier quart du Duecento, dans le
Latium. Notons également que l’archange vêtu de la dalmatique de diacre ou de l’aube avec
l’étole, est beaucoup plus courant que dans les autres parties de l’Italie. Cet ancrage liturgique
n’est sans doute pas étranger à la nature des dirigeants politiques de ce territoire.
L’Ombrie ne présente aucune peinture de l’archange au XIIIe siècle, jusqu’à la scène de
combat de Cimabue dans la basilique inférieure de San Francesco d’Assise au dernier quart
du siècle. Le XIVe siècle est encore peu productif, alors que la seconde partie du Trecento
connait une véritable explosion de l’iconographie michaélique sur le sol ombrien.
Les Abruzzes constituent un foyer important de développement de l’imagerie de saint Michel,
notamment en ce qui concerne les épisodes de jugements des hommes et les représentations
de l’au-delà. Le modèle de l’oratoire San Pellegrino de Bominaco, peint en 1263, suivi des
deux peintures murales de Santa Maria ad Cryptas de Fossa (1263-1283), et Santa Maria di
Ronzano à Castel Castagna (autour de 1280), montrent un intérêt particulier pour la figuration
du déroulement des événements de la vie après la mort, qu’ils soient rattachés ou non à une
représentation du Jugement dernier. Ces peintures témoignent également de l’adaptation
italienne du style byzantin à des figures plus douces aux gestes plus souples, notamment à
travers la simplification des lignes qui n’enlève pourtant rien de l’épaisseur des personnages.
Plus proche de l’archange des tympans gothiques français, Michel n’apparait pourtant pas ici
dans la même fonction que ses homologues d’outre-Alpes, qui interviennent principalement
au jour du Jugement dernier alors que l’archange italien est un magistrat qui intervient au

1993
Les liens qui se tissent entre la Toscane et l’Italie méridionale sont principalement liés au commerce, mais
également aux pèlerinages. Pina Belli d’Elia note que ces rapports sont déjà florissants au XIIe siècle, et
particulièrement riches sous le règne de Frédéric II ; BELLI D’ELIA, 1994, pp. 582-583.
1994
Les peintures murales ne représentent que 7% des 218 peintures recensées en contexte toscan, alors qu’elles
représentent un tiers du corpus.
1995
Comprenant les Marches, l’Ombrie, les Abruzzes ou le Latium.
652
moment de la mort de chaque homme, pour déterminer dans quel lieu d’attente il sera envoyé.
La contre-façade de Santa Maria in Piano à Loreto Aprutino (1429) semble confirmer, un
siècle et demi plus tard, l’intérêt de cette région pour la définition de l’au-delà d’attente,
centré autour de la figure de l’archange. Dans cette même région, L’Aquila est un foyer
important de développement de la figure de Michel dès le XIIIe siècle, et particulièrement au
XVe siècle, autour de la figure du Maestro dei polittici Crivelleschi.

Malgré la présence du sanctuaire du Mont Gargan, le sud de l’Italie n’est pas un


territoire qui a produit et conservé beaucoup de peintures de l’archange. À peine trente
peintures sur l’ensemble de notre corpus sont liées à ces régions. Les six d’entres elles qui ont
été réalisées au XIIIe siècle se trouvent toutes en milieu rupestre, et uniquement dans la région
des Pouilles, et une dans la Basilicate1996. Malgré le nombre important d’établissements
rupestres dans la région de Campanie, nous n’avons pas recensé de peintures représentant
Michel et réalisées entre 1200 et 1518 dans cette région. Les images rupestres de notre corpus
présentent toutes l’archange de type byzantin, vêtu du lôros et portant la lance, le globe, et
foulant souvent le dragon sous ses pieds1997. Outre l’inspiration indéniable du sanctuaire
garganique sur le programme peint de ces églises, la présence de l’archange dans ces grottes
est justifiée par le rôle de Michel dans sa lutte contre le mal, ancien résident de cette cavité
rocheuse, mais délogé par l’archange. L’image de Michel prend ici un caractère
prophylactique indéniable. Ce type d’images a connu un développement particulièrement
important à partir du XIe et surtout au XIIe siècle1998. Il se prolonge ainsi au XIIIe siècle dans
les grottes des Pouilles et la Basilicate, et dans un seul autre exemple au-delà de cette période,
figure un archange dans un environnement rupestre. Il s’agit d’un archange guerrier, portant la
balance et brandissant son épée pour écarter un démon, peint sur les parois de l’église du
Cristo alla Gravinella de Matera au XVe siècle. Dans les autres contextes, le type byzantin est
encore bien présent au début du XIVe siècle, mais là encore, il est vite remplacé par le type du
guerrier, romain dans un premier temps, et contemporain, à partir du milieu du XIVe et surtout
au XVe siècle, où l’armure de plates est présente majoritairement.
En Campanie, et plus particulièrement à Naples, nous pouvons noter l’importance des thèmes
eschatologiques de l’apocalypse et du Jugement dernier, particulièrement appréciés des
princes angevins à la tête du royaume, de 12661999, jusqu’en 13822000.

Dans les îles italiennes de Sicile et de Sardaigne, tous les témoignages 2001 sont
postérieurs à 1400, et sont des peintures sur panneaux. La Sicile est marquée par l’activité du
1996
Deux autres peintures murales en contexte rupestre sont réalisées dans une autre région, le Latium : il s’agit
de l’église San Michele de Caprile di roccasecca, dont l’image de Michel est réalisée entre le XIVe et le XVe
siècle et d’une peinture dans la grotte San Michele de Monte San Giovanni in Sabina.
1997
La permanence du modèle byzantin dans les églises rupestres des Pouilles et de Basilicate a déjà été
soulignée par BELLI D’ELIA, 2011, p. 223.
1998
BELLI D’ELIA, 2011, pp. 213-235.
1999
Date du couronnement de Charles Ier d’Anjou comme roi des Deux-Siciles à Latran.
2000
Date de l’assassinat de la reine Jeanne Ière au Château-Neuf, qui marque la fin de la lignée et de l’entité
politique angevine en Italie ; PALMIERI, 2001, p. 34.
653
peintre Riccardo Quartararo qui participe à l’insertion d’images diverses (pesant les âmes,
combattant le démon ou en état) de l’archange dans un paysage. La Sardaigne a conservé des
panneaux dont l’inspiration espagnole est indéniable, tant au niveau du type physionomique
de Michel, que du style ou de la structure du panneau. Le type physionomique est légèrement
différent de celui italien, avec en particulier un allongement du visage et du front, une coiffure
aux cheveux plaqués sur le haut du crâne et retombant en mèches ondulées sur les épaules, un
corps en général moins élancé, et une utilisation de l’or importante, même à la fin du
Quattrocento. Au niveau structurel, les polyptyques sardes sont organisés comme la majorité
des retables espagnols : une pièce au format presque carré ; un registre central haut, divisé en
deux dans le sens de la hauteur, qui se partage entre une scène de Vierge à l'Enfant, et une
scène de Crucifixion ; entouré de représentation en état ou en scène de saints. Le relais des
modèles ibériques est assuré par des peintres à cheval entre Italie et Espagne : Joan Figuera ou
du Maestro di Olzai, Maestro di Castelsardo, Lorenzo Cavaro. Dans ces images, Michel est
toujours un guerrier contemporain, dont la cotte de mailles dépasse d’un surcot qui couvre
également le plastron. L’arme portée peut être l’épée mais est plus souvent la lance, associée à
la balance. Le dragon n’est pas présent dans ce petit ensemble et les peintres hispano-sardes
ont privilégié les démons de grande taille, au caractère anthropomorphe marqué mais perturbé
par des éléments monstrueux étonnant2002.

Il n’y a pas de différences particulièrement prononcées d’une région à l’autre de l’Italie.


Notons le nombre faible d’images de l’archange à partir du XIVe siècle dans le sud de l’Italie,
alors que l’iconographie michaélique se développe au XVe siècle dans les îles
méditerranéennes. Soulignons une nouvelle fois le poids du pôle toscan, son importance dans
l’établissement et le développement de la peinture sur panneaux, au sein duquel Michel
l’archange devient un saint Michel dans les images ; et son intérêt pour les représentations
d’images narratives de l’archange par la création de petits cycles dans les chapelles toscanes.

III.2.2.2. L’échelle locale : l’image de saint Michel dans la commune et dans le lieu de culte

Nous ne pouvons analyser en détail les cinq-cent-cinq peintures de notre corpus pour
connaître l’emplacement de chacune, mais nous présentons ici quelques remarques d’ordre
général pour l’ensemble ou une partie des œuvres étudiées. Si les grands sanctuaires ont
favorisé les établissements dans des zones reculées et sauvages, la plupart du temps sur des
promontoires naturels (Mont Gargan ou Mont Pirchiriano) ou créés de main d’homme
(Mausolée d’Hadrien, hautes tours ou chapelles hautes)2003, les peintures de saint Michel ne

2001
Hormis un fragment de polyptyque d’un anonyme sicilien de la deuxième partie du XIVe siècle, les sept
autres peintures siciliennes, et les huit peintures sardes, sont des images du XVe ou du début du XVIe siècle.
2002
Comme par exemple le démon verdâtre aux pattes de coq et à la tête bleutée et cornue, peint par le Maestro
di Castelsardo, Vierge à l'Enfant, Crucifixion et saints, Tuili, San Pietro, peinture sur panneaux, 1498-1500.
2003
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 3.2.2. Saint Michel en ses lieux.
654
semblent pas avoir privilégié de position particulière dans le paysage urbain ou rural. Seuls
quelques exemples paraissent avoir conservés ce lien entre iconographie et insertion du lieu
de culte dans un environnement placé en hauteur, dans un endroit reculé. Il s’agit par exemple
de la chapelle de San Galgano à Chiusdino, de celle de San Michele à Castiglione del Bosco,
ou de celle de San Michele à Gavelli qui domine le territoire alentour, ou même de l’église
San Michele al Pozzo Bianco dans la ville haute de Bergame. Notons que tous ces lieux sont
directement dédiés à l’archange. Cette relation entre territoire, culte de Michel et iconographie
est la même dans les peintures rupestres des Pouilles et de la Basilicate. En règle générale
pourtant, après 1200, les images de Michel se retrouvent dans les édifices principaux des
communes italiennes, ou dans les églises des monastères, et cette insertion ne reflète plus un
aspect de la nature ou de la fonction de l’archange. La forte présence des peintures de Michel
dans un contexte franciscain insiste sur la récupération du culte de l’archange par les frères
mendiants et sur une utilisation plus urbaine de son image. En ce qui concerne les peintures se
trouvant dans des lieux de culte dédiés à Michel, nous venons de voir que ces édifices se
situent encore parfois dans des zones élevées du paysage naturel ou urbain, mais également, à
partir du XIIIe siècle, totalement intégrés dans les communes. Ils proposent, assez
logiquement, des programmes mettant l’archange au centre des compositions, ou parmi les
places d’honneur près de la divinité, comme pour le panneau de Coppo di Marcovaldo réalisé
pour l’église Sant’Angelo de Vico l’Abate, ou la peinture murale de la chapelle San Michele
de Castiglione del Bosco. Dans l’église San Michele de Paganico, les multiples épisodes
mettant en scène l’archange se trouvent dans la chapelle axiale.

À l’échelle de l’édifice et au Haut Moyen Âge, l’insertion du culte, et ainsi des images de
l’archange se fait régulièrement dans des chapelles hautes, et / ou des chapelles à proximité
des portes, d’une église ou d’une ville2004. Michel est, dans ce contexte, le protecteur de
l’édifice et, dans la mesure où l’édifice religieux est lui-même le miroir de l’organisation du
cosmos, il apparait comme le protecteur de l’Église et de l’Univers en général. Les anges
prennent également, en tant qu’intercesseurs entre Dieu et les hommes, la place des pierres
angulaires de la réalité architectonique de l’église2005. La situation des images des anges dans
les églises est donc intimement liée à leur fonction. Pourtant, les représentations de Michel
ont migré d’une place d’ange à une place de saint, et leur emplacement n’est plus aussi
attaché à sa fonction à la fin du Moyen Âge et plus encore au début de la Renaissance. Pour
autant, dans certains cas, la situation d’une peinture dans l’édifice, semble encore signifiante.
Sa place centrale dans la peinture murale de Santa Maria à Anagni, est sans doute liée au fait
que cette image se trouve dans une crypte, lieu sous-terrain rappelant la grotte, dans laquelle
Michel a l’habitude d’intervenir. Son image figure également de manière régulière à
proximité des portes, comme à Pise, dans l’église San Michele in Borgo, au tympan latéral de
la façade interne. Dans l’église San Michel de Schifanoia, la double représentation de Michel
sur les deux extrémités du jubé, encadre véritablement l’accès vers le chœur de l’église.

2004
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 3.2.2. Saint Michel en ses lieux.
2005
BUSSAGLI, 1991, p. 272.
655
Michel est ici le gardien de la zone sacrée, le surveillant du passage. Les chapelles contenant
les programmes narratifs consacrés à l’archange sont en général situées à proximité du chœur,
comme dans l’église San Francesco d’Arezzo, où la chapelle Guasconi portant une scène
d’apparition sur le Mausolée d’Hadrien de Rome et un combat de Michel et son armée contre
le dragon de l’Apocalypse, jouxte la chapelle axiale. À Santa Croce de Florence, la chapelle
Velluti porte une représentation du miracle du taureau, et une image du combat contre le
dragon apocalyptique, alors que cette chapelle se trouve, une fois encore, dans l’un des
espaces latéraux du chœur. L’image de Michel est souvent, en tant qu’acteur du Jugement
dernier, représentée sur la contre-façade. Il est l’une des dernières figures à être vues par le
fidèle sortant de l’église et semble rappeler une dernière fois aux hommes l’inéluctabilité du
jugement au moment de la fin des temps. Un tabernacolo de la Piazza della Piattellina à
Florence, datant de la seconde moitié du XVe siècle, peint par le Maestro di San Miniato ou
Francesco Botticini, représente une Vierge à l’Enfant entourée de Michel et de Raphaël. La
figure des deux archanges est clairement inscrite dans la ville en tant que protecteurs de la
population.

Michel n’est plus aux XIII, XIV et XVe siècles un archange particulièrement présent sur les
hauteurs, mais il conserve parfois sa place de protecteur de la divinité ou des hommes. Sa
position n’est plus cependant aussi déterminante dans la définition de la fonction qui lui est
assignée dans les images, d’autant que sa représentation se développe en majorité, à partir du
XIVe siècle, sur des panneaux, largement déplacés et démembrés.

III.2.3. L’iconographie sur les autres supports

Ce qui distingue les autres supports principaux - les manuscrits, la sculpture, et les
objets de culte et de dévotion - de l’image de Michel, outre les différences de matériaux et de
mise en œuvre, est également un changement de rapport à l’espace, entre l’objet lui-même et
l’espace qui l’entoure, et dans l’utilisation faite de ces objets.

III.2.3.1. Les manuscrits

Le combat contre le dragon est certainement le thème le plus souvent rencontré, aussi
bien sur les murs, sur les panneaux que dans les manuscrits. Philippe Faure souligne qu’en
France, le combat de Michel contre le dragon est régulièrement mis en scène dans les
manuscrits, mais que, par rapport aux images monumentales, ces représentations insistent sur
la difficulté du combat, par la taille importante de la bête et son agressivité2006. L’incipit de
l’Apocalypse d’une Bible latine du XIIe, conservée à Dijon, B.M., ms.15, fol. 125, présente

2006
FAURE, 1997 (1), p. 203.
656
un dragon dressé sur ses deux pattes, la gueule ouverte à la hauteur de la tête de l’archange.
Pourtant Michel vient de lui porter le coup d’épée qui lui sera fatal. Le constat est le même
pour la miniature d’une Bible latine historiée réalisée pour le roi de Navarre Sanche VII en
1197, conservée à Amiens2007. Michel y porte le haubert, le bouclier, le heaume et la lance,
attestant du succès plus précoce du type de l’archange en guerrier contemporain en France ou
en Espagne. Le dragon est toujours de grande taille et dressé, cette fois sur sa queue, pour
atteindre l’archange au visage, mais ce dernier le transperce de sa lance crucifère. Ces
peintures sont légèrement antérieures à notre période, mais montrent l’importance de la
figuration de l’archange contre le dragon en tant que symbole du bien contre le mal.

2008 2009

Fig. 103. Anonyme, Incipit de l’Apocalypse Fig. 104. Anonyme, Michel contre le dragon,
d’une Bible latine, Dijon, Bibliothèque Amiens, Bibliothèque Municipale, Bible de
Municipale, ms.15, fol. 1251, XIIe siècle. Pampelune, MS 108, folio 202r., 1197.

Les illustrations de manuscrits favorisent, en général, les représentations narratives de Michel,


notamment celles de l’Apocalypse. Les compositions ne diffèrent pas forcément de celles
peintes sur mur ou sur panneaux. Dans la miniature d’une Apocalypse normande de 1320, si
le type du guerrier romain n’est pas adopté comme dans les peintures italiennes, et si l’armée
du mal est figurée comme une multiplication de dragons alors qu’elle prend la forme d’une
armée de démons sur les murs italiens, la disposition des anges dans une nuée, repoussant de
leur arme les figures du mal hors de cette zone, rappelle celle que l’on retrouve par exemple
dans la peinture murale de la chapelle Vellutti à Santa Croce de Florence. La chute des anges
rebelles des Frères de Limbourg, semble directement s’inspirer du petit panneau du Louvre, si
ce n’est que les démons ont encore ici leur apparence angélique, et surtout, détail important
pour nous, Michel n’est pas clairement identifié parmi les anges guerriers fidèles à Dieu. Les
images narratives ont, en général, des schémas plus variés dans les manuscrits, comme en
atteste la miniature peinte par Pacino di Bonaguida vers 1340, où le combat de Michel et ses

2007
FAURE, 1997 (1), p. 203.
2008
Image provenant de l’article en ligne d’Alessia Trivellone sur « La Bible d’Étienne Harding et les origines de
Cîteaux : perspectives de recherche », dans Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, n°13, 2009, fig. 5.
[file:///C:/Users/zzz-c/Downloads/cem-11101-13-la-bible-d-etienne-harding-et-les-origines-de-citeaux-
perspectives-de-recherche.pdf].
2009
Image provenant du site : http://manuscriptminiatures.com/navarre-picture-bible-amiens-bm-ms108/3926/ .
657
anges contre le dragon de l’Apocalypse, ne se réalise ni en vol, ni dans une composition
opposant le haut, occupé par les bons, et le bas, occupé par les mauvais, insistant sur l’idée de
chute et rappelant celle des anges rebelles ; mais dans une disposition opposant la droite et la
gauche. Dans la décoration marginale de cette même page, une représentation du miracle du
taureau et de deux dévots souligne la dévotion des commanditaires à l’archange. Les liens
entre culte de Michel et ses sanctuaires sont, en général, plus prégnants dans les manuscrits
que sur les autres supports.

2010 2011 2012

Fig. 105. Anonyme, Saint Fig. 106. Frère Limbourg, Fig. 107. Pacino di Bonaguida,
Michel et ses anges Chute des Anges rebelles, Michel et ses anges contre le dragon
combattant le dragon, New Chantilly, Musée Condé, Très de l’Apocalypse et miracle du
York, Metropolitan Museum, Riches Heures du Duc de Berry, taureau, Londres, British Library,
Apocalypse normande, folio 64 v., peinture sur vélin, Laudario della Compagnia di
peinture sur parchemin, 1320. 1409-1415. Sant'Agnese, peinture sur
parchemin, vers 1340.

Dans une autre miniature des Très Riches Heures du duc de Berry, le combat de l’archange
contre le dragon prend place dans le ciel, juste au-dessus d’une vue du Mont-Saint-Michel.
Dans une miniature du Missel de Charles VI, l’image centrale met en scène le combat de
Michel contre le dragon qui contient deux originalités par rapport aux peintures de notre
corpus : la bête qu’il combat ressemble à un dragon muni de membres de démons, et
l’archange armé est vêtu d’une aube. Dans les marges, quatre petits médaillons accueillent des
scènes relatives aux légendes de Michel. Dans les deux premiers, le miracle du taureau est
dédoublé en deux épisodes, ce que nous ne voyons jamais dans les peintures sur mur ou sur
panneaux. Le premier figure l’apparition du taureau et Gargan qui bande son arc. La
deuxième, figure le moment où Gargan est frappé de la flèche, alors qu’un évêque se tient à
genoux en prière à côté de la scène. Le troisième médaillon représente l’apparition de Michel
à un évêque, et le quatrième, la construction d’une église, sûrement suite à la demande
archangélique à l’évêque, qui ne figure également pas dans notre corpus. Si les scènes
choisies sont principalement les mêmes, le développement d’épisodes narratifs, rendu
possible par la nature du support, permet l’ajout d’épisodes qui n’ont pas la place d’être
développés sur les murs et les panneaux. D’autres thèmes semblent privilégiés sur certains
2010
Image provenant de GRUBB, 1995, p. 102.
2011
Image provenant du site : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/56/Fr%C3%A8res_Limbourg_-
_Tr%C3%A8s_Riches_Heures_du_duc_de_Berry_-_chute_des_anges_rebelles_-_Google_Art_Project.jpg .
2012
Image provenant de GRUBB, 1995, p. 111.
658
supports, et d’autres totalement absents. C’est le cas des images où l’archange porte une âme
dans un linge. L’image du psychopompe est courante dans les miniatures, et apparait
également dans l’iconographie française, mais est presque totalement absente des murs et des
panneaux italiens.
Si les images narratives sont prédominantes dans les manuscrits, ces derniers peuvent
également comporter des peintures de l’archange en état, dans des types similaires à ceux des
peintures murales ou sur panneaux. Dans le manuscrit Douce d. 13, conservé à Bodleian
Library d’Oxford, manuscrit lombard réalisé au milieu du XVe siècle, au folio 018 recto,
l’initiale « N » comprend en son centre l’image de Michel, portant l’armure de plates, la
balance et l’épée, avec laquelle il écarte un petit démon des plateaux de la balance. Ce type
iconographique est bien celui le plus courant au milieu du XVe siècle, sur les peintures
murales et les peintures sur panneaux. De même, la décoration marginale vénitienne du folio
205 verso du MS. Canon Liturg. 343, toujours à Oxford, est en accord parfait avec
l’iconographie de Michel à ce moment, sur mur ou sur bois : Michel a laissé son costume de
soldat contemporain pour porter un plastron et une jupe à ptéryges, et il tient la balance et
l’épée. Le démon qu’il foule aux pieds a un caractère anthropomorphe marqué et une taille
importante et menaçante, conformément à l’iconographie des peintures des autres supports.

2013 2014 2015


2016
Fig. 108. Frère Fig. 109. Anonyme, Fig. 110. Anonyme, Fig. 111. Anonyme, Décoration
Limbourg, Combat de Michel contre le Initiale « N » comportant marginale avec un saint Michel,
Michel au-dessus du dragon et légendes, un saint Michel, Oxford, Oxford, Bodleian Library, MS.
Mont-Saint-Michel, Paris, Bibliothèque F. Bodleian Library, MS. Canon. Liturg. 343, folio 205 v.,
Chantilly, Musée Condé, Didot, Missel de Douce d. 13, folio 018 r., peinture sur parchemin, vers
Très Riches Heures du Charles VI, peinture peinture sur parchemin, 1500.
Duc de Berry, folio 195, sur parchemin, XVe. milieu du XVe.
peinture sur vélin, 1409-
1415.

2013
Image provenant de VAN DER MEER, 1978, fig. 8.
2014
Image provenant de CARLETTI et OTRANTO, 1990, p. 22, fig. 8.
2015
Image provenant du catalogue en ligne des manuscrits conservés à la Bodleian Library d’Oxford:
http://bodley30.bodley.ox.ac.uk:8180/luna/servlet/detail/ODLodl~1~1~3024~103089:Cuttings-from-an-
Antiphonal-or-Grad .
2016
Image provenant du catalogue en ligne des manuscrits conservés à la Bodleian Library d’Oxford :
http://bodley30.bodley.ox.ac.uk:8180/luna/servlet/detail/ODLodl~1~1~36977~114693:Breviary--Cistercian-use-
659
Ce rapide panorama permet de confirmer l’existence d’un dialogue entre images peintes sur
manuscrits, sur panneaux et sur mur. Michel ne semble pas tenir de rôle foncièrement
différent d’un support à l’autre, malgré certains décalages.

III.2.3.2. La sculpture monumentale

La différence de mise en œuvre, induite par la différence de technique, crée un écart


évident entre image peinte et image sculptée, qui nous a d’ailleurs amené à exclure les
sculptures de notre corpus concernant la peinture monumentale. Ernest Gombrich précise que
les sculpteurs n’ont « pas à se soucier de créer l’illusion de la profondeur par les artifices du
raccourci ou par le jeu de l’ombre et de la lumière. Ses statues occupent l’espace réel et
reçoivent la lumière réelle. C’est pour cette raison que les sculpteurs atteignirent au XIIIe
siècle un degré de naturel auquel aucune peinture contemporaine ne peut prétendre. »2017.
Pourtant, la sculpture monumentale reste proche des peintures en raison de leur proximité
dans les édifices, du dialogue entre l’une et l’autre de ces techniques et surtout d’une
similitude de fonction et de réception auprès des fidèles. La sculpture en ronde-bosse met
pourtant un moment à s’imposer dans l’art médiéval, et les exemples présentés ici sont
davantage en haut-relief.

La plaque de marbre peinte par un sculpteur daunien2018, est en position frontale, debout, et
porte la lance et le globe crucifère. Sur sa tunique, une écharpe croisée sur la poitrine évoque
sans doute le lôros. Si le type vestimentaire et la position du personnage, évoquent un type
byzantin, prédominant dans l’iconographie michaélique du début du XIIIe siècle en Italie, la
technique même employée et le modelé du visage et des différentes partie du corps l’en
écartent.
Le thème du combat contre le dragon est, comme sur tous les supports, particulièrement
présent dans la sculpture monumentale. Le chapiteau de San Leonardo de Siponto, réalisé
autour de 1200, montre un saint Michel debout sur le dos d’un dragon, le combattant
dynamiquement de sa lance. L’archange est vêtu d’une tunique à motifs floraux, rebrodée de
bandes ornementales, et porte étrangement les pieds nus, en contact direct avec la peau du
dragon. Le thème de l’archange sauroctone est ici loin du modèle byzantin qui est celui
couramment adopté dans la peinture italienne du XIIIe siècle.
Le pèsement des âmes est encore rare au Duecento dans la peinture italienne. Le relief de la
lunette au-dessus de la porte d’entrée de San Biagio de Talignano, daté des premières
décennies du XIIIe siècle, semble davantage s’inspirer, dans la mise en œuvre, le thème, la
situation de la scène dans l’édifice et le type même de l’archange, d’une œuvre gothique
française. L’influence reste pourtant limitée car les scènes de pesée des âmes en France sont
presque toujours intégrées au sein d’un Jugement dernier, ce qui n’est pas le cas dans notre

2017
GOMBRICH, 2001, p.198.
2018
De la Daunie, région historique des Pouilles, appelée également Capitanata.
660
relief émilien. Notons également la présence précoce de l’épée dans les mains de l’archange,
qui ne figure par encore dans la main du Michel peint en Italie.

2019 2020
2021
Fig. 112. Sculpteur Fig. 113. Anonyme,
daunien, Saint Michel, Saint Michel, Siponto, Fig. 114. Anonyme, Pèsement des âmes,
Bari, Pinacoteca San Leonardo di Talignano, San Biagio, lunette au-dessus de la
Provinciale, plaque de Lama Volara, pierre porte d’entrée, 1ères décennies du XIIIe.
marbre sculptée, XII-XIIIe. sculptée, 1180-1200.

Les reliefs du XVe siècle, semblent reprendre le type courant dans la peinture. Un relief du
XVe siècle à San Francesco d’Assisi de Gallipoli, figure Michel en armure de plates, foulant
aux pieds un dragon qu’il transperce de sa lance. Dans la main gauche, l’archange porte un
écu de taille particulièrement importante. Ce type correspond parfaitement au Michel figuré à
partir du milieu du XVe siècle sur les panneaux et les murs italiens. Les positions de
l’archange sont toutefois plus variées dans les images en trois dimensions, et le geste du coup
fatal est moins fixe que dans les peintures. Dans une pierre sculptée dans la tour du château de
Corigliano d’Otranto, Michel a, comme dans les peintures, le bras relevé portant la lame de
son épée derrière sa tête pour lui donner de l’élan, mais le corps de l’archange est totalement
tourné vers la gueule du dragon et apparait ainsi presque de profil, son aile gauche cachant
son aile droite, ce qui est très rarement le cas dans les images peintes.

2022 2023

Fig. 115. Anonyme, Saint Michel, Gallipoli, San Fig. 116. Anonyme, Saint Michel, Corigliano
Francesco d’Assisi, pierre sculptée, XVe. d’Otranto, tour du château, pierre sculptée, XV-XVIe.
2019
Image provenant de BUSSAGLI et D’ONOFRIO, 2000, p. 209, fig. 110.
2020
Image provenant du site :
http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:San_Leonardo_di_Siponto?uselang=fr#mediaviewer/File:Chapite
au_est_du_portail_sud_de_l%27abbatiale_San_Leonardo_de_Siponto_(Pouilles),_2.JPG .
2021
Image provenant du site : http://www.luoghimisteriosi.it/emilia%20romagna/Talignano/sbiagio.JPG .
2022
Image provenant de BUSSAGLI et D’ONOFRIO, 2000, p. 210, fig. 111.
2023
Image provenant du site :
http://it.wikipedia.org/wiki/Arcangelo_Michele#mediaviewer/File:S._MICHELE1.JPG .
661
À partir du Quattrocento, les sculptures en ronde-bosse sont désormais plus courantes. Le
Museo Lapidario del Santuario di Monte Sant’Angelo en possède une de l’archange réalisée
par un sculpteur méridional. Michel est un guerrier de type romain : son plastron est visible,
ainsi qu’une jupe et des épaulières à ptéryges, sous une cape qui s’enroule autour de son corps
et est rabattue sur son épaule gauche. Son arme a disparu, mais, étant donnée la position,
devait être une épée. Michel porte à nouveau un écu de taille importante, et un dragon est
placé sous ses pieds, alors que sa queue entoure le bouclier de l’archange. Cette image en
volume est pourtant très proche, dans la posture, les gestes et le type, des images en deux
dimensions, et ne semble pas profiter de son avantage spatial pour se développer dans les trois
dimensions. Au sanctuaire du Mont Gargan, les images sculptées de Michel en ronde-bosse,
semblent jouer un rôle important dans la reconstitution de la présence archangélique au sein
de la grotte, davantage prégnantes que les images peintes à ce niveau. Il existait déjà une
statue en or et argent au temps des premiers angevins. Dans le testament de Marie de
Hongrie2024, une somme est laissée pour une sculpture de « Dynus da Siena » et « Galardus di
Somma da Napoli »2025. Cette pièce a disparu, mais figurait probablement l’archange selon le
même type iconographique que celui visible sur certaines monnaies de Ferrante Ier (à partir
de 1488)2026 : Michel apparait en général romain, vêtu du plastron, de la jupe à ptéryges, et
armé d’une lance pour combattre le dragon encore visible sur l’exemple présenté. Il porte,
comme dans toutes les représentations en volume du XVe siècle que nous venons de
présenter, le bouclier.

2027 2028

Fig. 117. Sculpteur méridional, Saint Fig. 118. Monnaie à l’effigie de l’archange émise
Michel, Monte Sant’Angelo, Museo sous le règne de Ferrante Ier, à partir de 1488 et
Lapidario del Santuario, pierre sculptée, successivement pendant le règne d’Alphonse II.
XIVe-XVe.

La statue qui remplace celle du Trecento, est commandée par Consalvo de Cordoba, seigneur
de Monte Sant’Angelo, à Andrea Contucci, dit le « Sansovino », en 1507 et positionnée dès sa

2024
Femme de Charles II, décédée en 1323.
2025
MAVELLI, 1999, p. 170.
2026
MAVELLI, 1999, p. 170.
2027
Image provenant de L’Angelo, la Montagna, il Pellegrino, Monte Sant’Angelo e il santuario di San Michele
del Gargano, Archeologia Arte Culto Devozione dalle origini ai nostri giorni, a cura di Pina BELLI D’ELIA,
Roma, Claudio Grenzi Editore, 1999, p. 158, fig. 37.
2028
Image provenant de MAVELLI, 1999, p. 170.
662
création sur l’autel « des empruntes ». Michel est, comme sur les deux exemples précédents,
vêtu d’un plastron avec jupe et épaulières à ptéryges, des sandales et une chlamyde. Il brandit
son épée derrière sa tête, pour frapper, non plus un dragon, mais un démon, de taille moyenne,
qu’il plaque au sol à l’aide d’un seul pied, et figuré sous la forme d’un homme à pattes de
bouc, qui possède une chaîne dans la bouche tenue par l’archange, faisant sans doute
référence à l’enchaînement du dragon du chapitre 20 de l’Apocalypse :
« Puis je vis descendre du ciel un ange, qui avait la clef de l'abîme et une grande chaîne dans sa
main.
Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans. » (Apo.
20, 1-2)
Cette statue a joui, dans les années suivant sa création, et jusqu’à aujourd’hui, d’un succès
sans précédent à Monte Sant’Angelo, et place clairement l’archange en protagoniste
sculptural de l’art de la Renaissance méridionale, comme le précise Clara Gelao2029. L’œuvre
du Sansovino, s’impose comme modèle des figurines vendues du XVIe siècle à nos jours.
L’ajout, plus tardif, d’une couronne dorée et ornée de pierres précieuses, fait partie de cette
image archétypale.
En tant que sanctuaire enterré, la grotte ne possède pas une « silhouette » particulière qui
pourrait devenir une image-symbole du lieu comme au Mont-Saint-Michel ou à la Sacra di
San Michele. Les arts populaires apuliens ne développent pas d’image du sanctuaire, mais
utilisent volontiers la figure de l’archange sculptée que nous venons de présenter, ou celle
peinte par Raphaël qui devient elle aussi un modèle dans l’art de la Renaissance et au-delà, ou
encore celle de Guido Reni, qui constitue une sorte de modèle hybride entre la peinture de
Raphaël et la sculpture d’Andrea Contucci, à plus d’un siècle d’intervalle.
Le type vestimentaire est bien le même dans les trois images, jusque dans le détail des
sandales, aux bords supérieurs formant comme des pétales de tissus, le plastron ne semble
plus être une coque de métal, mais une cotte épousant les formes du torse musclé de Michel.
Dans les trois images, l’ennemi est un démon anthropomorphe, dont les éléments humains
vont crescendo de la représentation la plus ancienne, à la plus récente. Raphaël a par contre
choisi la lance, pour dés-actualiser davantage son guerrier du contexte contemporain. La
grande nouveauté amenée par Raphaël entre les peintures précédentes et la statue du
sanctuaire, est l’importance du mouvement, rendu possible par la maîtrise du raccourci
perspectif, notamment au niveau de la jambe gauche, alors que la sculpture d’Andrea
Contucci le figure dans une position encore classique et adoptée dès le XIVe siècle. Raphaël
réactualise le mouvement autour de l’utilisation de la lance, auparavant figée dans la même
position depuis au moins le XIIIe siècle. Un siècle plus tard, la version de Guido Reni reprend
le dynamisme du maître d’Urbino, et l’idée d’un atterrissage sur le dos de l’ennemi par le
déploiement des ailes et l’envol des drapés, transposé pour l’utilisation de l’épée, qui lui
laissait ainsi la main gauche disponible, pour reprendre le motif de la chaîne du sculpteur du
Gargan.

2029
GELAO, 2000, p. 87.
663
2030

Fig. 119. Andrea Contucci, 2031


Raphaël, Saint Michel, Paris, Fig. 120. Guido Reni, Saint
Saint Michel, Monte Louvre, huile sur toile, 1518. Michel, Rome, Église Santa Maria
Sant’Angelo, Autel de della Concezione dei Cappuccini,
l’église-grotte, marbre blanc huile sur toile, 1635.
de Carrare, après 1507.

III.2.3.3. Les objets de culte et de dévotion

Contrairement au Mont-Saint-Michel, le Mont Gargan n’a jamais été un centre de


création d’insignes de pèlerinage. En France, l’insigne en plomb ou en étain était l’objet
couramment emporté par les pèlerins, étudié aujourd’hui grâce aux exemplaires retrouvés
dans les fleuves et les rivières2032, et aux moules, retrouvés grâce aux fouilles récentes d’un
atelier de fonderie d’enseignes de pèlerinage sur le site du Mont-Saint-Michel2033. Y figurent
des représentations de l’archange, souvent armé, et portant la balance, et parfois accompagné
d’une Vierge et d’un ange tenant un porte-hostie, nouvelle référence, comme dans la peinture
espagnole, à la médiation du clergé dans le salut des âmes2034. Ces images sont clairement
créées directement sous le contrôle des clercs. Au Mont Gargan, ce sont les petites statuettes
figurant l’archange qui sont emmenées par les pèlerins. Au XVe siècle, le roi Ferdinand le
Catholique établit, par décret royal, que seuls des sculpteurs locaux, appelés par la suite
sammichelèri, pouvaient reproduire l’image de l’archange dans tout le royaume de Naples,
alimentant les stocks de petites sculptures en pierre, en albâtre ou en plâtre destinées au
marché de la dévotion2035. Dans cette tradition, la statue de l’autel principal de la grotte,

2030
Image provenant du site : http://unmomentdecalme.com/page119MontSaintMichel.html .
2031
Image provenant du site : http://www.wikiart.org/en/guido-reni/the-archangel-michael-defeating-satan-1635 .
2032
BRUNA, 2007, pp. 367-384 et Esther DEHOUX, dans une intervention intitulée « Sous la protection de
l’archange. L’iconographie de saint Michel sur les enseignes de pèlerinage (XIIIe-XVe siècles) », tenue lors de la
6e rencontre historique de l’Association « Les chemins de saint Michel », Autour des images de saint Michel en
Europe, qui a eu lieu à Vire le 8 mai dernier, et qui doit donner suite à une publication.
2033
Voir à ce propos BRUNA et LABAUNE-JEAN, 2011, pp. 145-162.
2034
Un grand nombre d’enseignes de pèlerinage est visible sur le site hollandais Kunéra : www.let.kun.nl .
2035
BELLI D’ELIA Pina, « L’iconographie de saint Michel au Mont Gargan », dans Culte et pèlerinages à saint
Michel en Occident, les trois monts dédiés à l’archange, Rome, Collection de l’École Française de Rome, n°
316, 2003, p. 529.
664
réalisée par Andrea Contucci, est le modèle principal. Dans la spiritualité populaire,
l’assistance de Michel s’étendait autour de son image, dans une protection directe, alors que
l’archange, comme les autres saints, n’est normalement qu’un simple médiateur. Denis Bruna
précisait que le rapport aux enseignes changeait entre le XIIe et le XVe siècle, passant d’un
objet d’utilité quotidienne, à un objet se rapprochant davantage du souvenir actuel, simple
signe d’un passage dans un lieu2036.

Plus tardivement, les ex-votos destinés à l’archange, ont pris la forme de petites peintures
représentant l’épisode nécessitant l’intervention divine, et, au-dessus, une figure de l’archange
qui reprend souvent le modèle d’Andrea Contucci, de Raphaël ou de Guido Reni, en lui
ajoutant la balance, pour que son intervention soit étendue également au-delà de la mort.
Michel, au registre supérieur, est souvent figuré en vol, une jambe en l’air comme dans la
toile raphaélesque, ce qu’Anna-Maria Tripputti appelle le type « danzante »2037. Les types
utilisés sur les objets dévotionnels ne suivent pas nécessairement l’iconographie des œuvres
du culte officiel, bien que nous ayons remarqué, pour l’époque moderne et contemporaine,
que l’image utilisée sur les petits souvenirs du passage au sanctuaire, était bien souvent une
reproduction de l’œuvre principale exposée de Michel dans le sanctuaire, ou une peinture
célèbre. Ainsi, au Mont-Saint-Michel aujourd’hui, il s’agit de la statue de l’archange
d’Emmanuel Frémiet, réalisée en 1897, qui se trouve au sommet de la pointe du Mont ; à la
Sacra di San Michel, il s’agit de la peinture de Defendente Ferrari ; et au Mont Gargan, c’est
la statue d’Andrea Contucci qui est régulièrement utilisée. Pour les deux premiers, l’image du
sanctuaire peut également être utilisée en signe-symbole du pèlerinage en ce lieu. Nous avons
déjà précisé dans la partie précédente que la silhouette du Mont Gargan ne pouvait, elle, être
utilisée, et ce fait est encore aujourd’hui visible sur les souvenirs touristico-religieux vendus
dans les différents lieux de culte michaéliques. Au Mont Gargan, ce sont essentiellement des
figurines de l’archange en ronde-bosse ou des médailles, reprenant le schéma d’Andrea
Contucci. La peinture de Guido Reni jouit également d’une bonne diffusion dans les objets
apuliens, comme en atteste la petite pièce le plus souvent présente dans les boutiques à
proximité de la grotte. Le schéma est exactement le même, ainsi que le type vestimentaire, et
seule la chaine est remplacée par une balance, dont les fils tenant les plateaux sont tout de
même réalisés en chainettes, rappelant le motif de Guido, et surtout celui de la statue de
l’autel. A la Sacra, sur un mini diptyque acheté dans la boutique de l’abbaye, la reproduction
de l’une des peintures présentes dans l’église, celle d’Antonio Maria Viani du XVIIe siècle,
fait face à une photo du sanctuaire, à la physionomie particulièrement spectaculaire et servant
ici de signe-symbole pour le lieu de culte michaélique.

2036
BRUNA Denis, « Enseignes de plomb et autres souvenirs de saint Michel », dans Culte et sanctuaires de
saint Michel dans l’Europe médiévale, Bari, Edipuglia, 2007, pp. 367-384.
2037
TRIPPUTI, 2011, pp. 265-276.
665
2038 2039 2040 2041

Fig. 121. Fig. 122. Guido Fig. 123. Fig. 124. Souvenir
Statuette vendue à Reni, Saint Michel, Antonio Maria vendu à la Sacra, acheté
proximité de San Rome, Santa Maria Viani, Saint en 2012.
Michele sur le della Concezione Michel,
Mont Gargan, dei Cappuccini, Sant’Ambrogio,
acheté en février huile sur toile, Sacra di San
2014. 1635. Michele, huile sur
toile, vers 1630.

La silhouette du Mont-Saint-Michel est devenue un véritable signe du lieu, qui fait presque
aujourd’hui figure de logo, comme en atteste un autre « souvenir » rapporté du sanctuaire
normand. C’est bien ici le lieu touristique qui a pris le pas sur le lieu de culte et de pèlerinage,
et la figure de l’archange n’apparaît plus du tout ici, si ce n’est à travers le nom du site.
En règle générale, il faut noter une persistance des peintures des grands peintres, en tant que
modèle pour les objets plus « populaires ». Ainsi, même les galettes de Saint-Michel,
produites depuis 1905 par les biscuiteries Saint-Michel en France, figurent sur leur surface,
l’archange combattant un démon, qui semble directement inspiré de la peinture de Raphaël.

2042 2043

Fig. 125. Plaque aimantée Fig. 126. Galette Saint Michel Raphaël, Saint Michel,
achetée dans la boutique (inversée verticalement), par les Paris, Louvre, huile sur
souvenir du Mont-Saint- biscuiteries Saint-Michel, 1905. toile, 1518.
Michel en novembre 2011.

2038
Photographie C. Denèle, 2014.
2039
Image provenant du site : http://www.wikiart.org/en/guido-reni/the-archangel-michael-defeating-satan-1635 .
2040
Image provenant du site officiel de la Sacra : http://www.sacradisanmichele.com/ .
2041
Photographie C. Denèle, 2014.
2042
Photographie C. Denèle, 2014.
2043
Image provenant du site : http://www.neo-planete.com/2012/10/10/aliments-specialites-gastronomie-
bretagne-les-incontournables-de-louest-selection/ .
666
III.3- Iconographie et forme : y-a-t-il un style michaélique?

III.3.1. L’iconographie et les formes de saint Michel

En travaillant sur l’iconographie, nous avons constamment abordé la question de la


forme que prenaient les différents éléments représentés, de leur articulation les uns par rapport
aux autres, de la composition, en un mot du style de l’image. Pour nous, l’analyse
iconographique est de toute façon indissociable de l’analyse stylistique. Mettre de côté les
questions de formes dans une étude iconographique, correspondrait selon nous à analyser un
texte en s’attachant à l’étude des mots mais sans en étudier les phrases. Erwin Panofsky
précisait d’ailleurs que « dans une œuvre d’art, la forme ne peut se dissocier du contenu »2044
et que le style est tout autant une manifestation expressive, qu’un symptôme culturel. Dans la
préface du traducteur, Bernard Teyssèdre ajoute que « qui prétend comprendre une forme sans
s’inquiéter du sens ne fait que jouer au dilettante ; mais qui prétend interpréter ce que l’œuvre
dit sans voir ce qu’elle montre n’est pas un historien de l’Art »2045. L’étude des formes de la
figure de Michel et de celles de ses attributs, leur couleur, leur aspect, est aussi signifiante que
la reconnaissance de types et de thèmes dans une analyse de l’iconographie michaélique.
Selon le dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé
par le CNRS, la forme est un « ensemble de traits caractéristiques qui permettent à une réalité
concrète ou abstraite d'être reconnue »2046. L’étude de n’importe quel aspect de l’image
constitue donc bien une analyse formelle dans la mesure où tous les éléments d’une image
participent à la représentation picturale, à l’ensemble de traits permettant à une réalité d’être
reconnue. Les différents types de l’archange prennent forme de manière différente selon
l’époque, la région, le peintre ou la scène, et ces évolutions de formes sont bien, elles-mêmes,
porteuses de sens. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales définit le style
comme une « catégorie de l'esthétique permettant de caractériser l'organisation des formes
verbales, plastiques, musicales, que l'histoire de l'art a identifiées et décrites comme ayant fait
époque ou comme étant marquées par un artiste particulier »2047. L’organisation des formes -
plastiques - en ce qui concerne notre champ d’étude, est elle-même signifiante. La disposition
des figures et des objets les uns par rapports aux autres, leur situation dans l’espace, leur
rapport au réel, peut compléter, accompagner, ou infirmer certains motifs ou traits
iconographiques michaéliques. L’analyse iconographique de saint Michel est bien intimement
liée à l’analyse stylistique de son image. Ainsi, les motifs et leur mise en forme, constituant
les représentations de l’archange, semblent être liés à un style particulier et spécifique à sa
figure.

2044
PANOFSKY, 1996, p. 277.
2045
TEYSSÈDRE, dans PANOFSKY, 1996, p. 15.
2046
Dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/forme
2047
Dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/style
667
III.3.1.1. Des formes et un style angéliques ?

Les anges ne possèdent pas de corps puisqu’ils sont de nature éthérée, et n’ont ainsi,
pas une forme visible et reconnaissable par l’œil de l’homme. La mise en forme des anges en
général, et de Michel en particulier, est donc au centre de la création du peintre car totalement
inventée aux origines de l’art chrétien. De tout temps, les anges absorbent particulièrement
bien les évolutions stylistiques des différentes périodes. Si le poids de la tradition et celui du
respect de la nature angélique définie par les autorités ecclésiastiques, ne sont pas
négligeables, notamment en ce qui concerne leur physionomie et leur sérieux, le fait que les
anges ne soient rattachés à aucune époque, à aucun territoire, permet une grande liberté dans
le choix de leur apparence, de leurs vêtements, de leurs attributs. En outre, leur capacité à
voler et à se déplacer dans les trois dimensions, en font des personnages particulièrement
pratiques à placer dans les compositions. En règle générale, les figures angéliques exaltent les
formes à la mode, les proportions des corps, les couleurs, les goûts vestimentaires. Ils
apparaissent sous une forme humaine, mais des hommes à la beauté idéale et libérés des
contraintes spatiales propres aux habitants de la terre. À la fin du Moyen Âge et surtout au
début de la Renaissance, le naturalisme qui gagne les figures angéliques, les transformant en
véritables adolescents, en enfants joufflus ou même en jeunes femmes gracieuses, ne peut se
justifier que par cette beauté et cet idéal qui surpasse en quelque sorte leur figuration
charnelle. Joseph Duhr évoque les anges de Fra Angelico en décrivant la finesse et la
féminité de leur corps, qui reflètent, selon lui, des âmes limpides, joyeuses, dégagées des
passions et des intérêts terrestres. Il précise que la matière dont ils sont formés est à la lettre le
« corpus spirituale » dont parle saint Paul, plutôt que notre matière pesante et charnelle2048.
Pourtant cette concession à la grâce et à la douceur des images des anges du Frère Giovanni,
n’est plus véritablement valable à la fin du XVe siècle et au début du XVIe, où les anges
prennent désormais des formes clairement humaines au charme sensuel. Dans tous les cas,
chaque « école » au XVe siècle2049, a sa façon de représenter les figures angéliques, et plus
qu’un style angélique, ou plutôt des styles angéliques, il faudrait parler des représentations
des anges comme de véritables manifestes du style du peintre, du sculpteur, d’une période ou
d’une zone géographique.

III.3.1.2. Des formes et un style michaéliques ?

Ces remarques d’ordre général sur les anges, sont également valables pour Michel, si
ce n’est que le naturalisme sensuel des anges « normaux », laisse ici la place à un naturalisme
d’un corps fort et puissant, mais toujours transcendé par un idéalisme et une beauté
surnaturels.

2048
DUHR, t. I, 1937, p. 621.
2049
GOMBRICH, 2001, p.248.
668
Tout au long de la période étudiée, à travers le type principal et stable de l’archange guerrier,
le champ des variations formelles est immense. Entre un personnage à la nature martiale
simplement évoquée par une tunique courte, un soldat antique évoquant une gloire guerrière
passée, ou un chevalier italien du XVe siècle, le type iconographique est toujours le même :
celui du guerrier ailé. Pourtant, le choix de l’une ou l’autre de ces tenues, cohabitant presque
toujours dans les mêmes zones culturelles et les mêmes périodes, s’il est révélateur d’une
inscription temporelle du combat de l’archange à un moment précis de l’Histoire de l’Église,
est également, sans aucun doute, lié aux différences esthétiques d’un vêtement à l’autre. Les
variations iconographiques sont ici en partie liées à des choix formels. À l’intérieur même de
ces types vestimentaires, c’est bien le style qui distingue un archange du début du XIVe siècle,
d’un archange de la deuxième partie du XVe siècle. Comparons, par exemple, le Michel peint
par Paolo Veneziano entre 1330 et 1350, et celui peint par Benvenuto di Giovanni en 1466.
Le type iconographique est le même : saint Michel est un archange armé, vêtu d’une tenue de
guerrier, à plastron et jupe à ptéryges, évoquant la tenue du général antique romain, il est le
vainqueur du mal, debout sur le dragon, qu’il transperce de la lance avec sa main droite.
Pourtant, ces images sont loin d’être similaires, et les différences sont avant tout formelles. Le
type physionomique de Michel, qui reste d’ailleurs relativement stable sur toute la période
étudiée, est ici similaire2050, et accompagné de la douceur et du sérieux caractéristiques des
visages de l’archange entre 1200 et 1518. Si le modelé est déjà utilisé dans la peinture de
Paolo Veneziano, la technique du verdaccio ne rend pas de manière naturaliste les chairs de
l’archange, alors que le dégradé plus subtil de Benvenuto di Giovanni modèle en douceur les
volumes du visage de l’archange. Néanmoins, l’ajout de touches blanches sur les vêtements
du premier donne un modelé plus prononcé pour le corps de Michel que ne le fait le second,
qui s’attache surtout à représenter l’originalité de la tenue de l’archange dans un rendu
finalement assez plat. La coupe des cheveux des deux archanges est particulièrement liée
chacune à leur époque : pour le premier le type tressé autour de la tête ceinte d’un ruban, avec
des longueurs sur les épaules, qui est la coiffure de tous les anges du Trecento ; et pour le
second, les cheveux raccourcis, non attachés et ondulés, coiffure typique de l’ange du
Quattrocento2051. Le traitement du costume de l’archange est relativement simple chez le
peintre vénitien, alors qu’il est complété de motifs en métal - épaulière en tête de chérubins,
motifs floraux sur le plastron, genouillères striées - qui éloignent l’archange siennois du
modèle antique. Le raccourcissement notamment de la jupe, qui laisse largement les cuisses,
moulées dans des collants, apparentes, est directement lié aux évolutions de la mode dans les
communes italiennes, ou le surcot est devenu un pourpoint2052. La position du corps de Michel
est relativement naturelle dans les deux peintures, car Paolo Veneziano a déjà abandonné la
frontalité stricte qui était souvent adoptée dans les peintures du siècle précédent. Le léger
décalage de son corps dans l’espace, ainsi que son déhanché, lui confèrent une certaine
décontraction, qui se transforme dans la peinture du Benvenuto di Giovanni, en déhanché
élégant, mais, somme toute, assez peu adapté à l’exécution du dragon qu’il est en train de
2050
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 2.2.2. Le visage de Michel.
2051
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 2.2.3. Les cheveux de l’archange.
2052
Voir à ce propos le chapitre 2. I. 3.3.2. Évolution des types de l’archange guerrier.
669
réaliser. Le mouvement du bras qui enfonce la lance dans la gueule de la bête, est
relativement naturel dans la première peinture, mais assez statique, alors que le mouvement
est plus ample dans la seconde, comme en atteste le coude qui sort du cadre de l’image
(pourtant clairement délimité par une bande poinçonnée dans le fond d’or) et souligne le
dynamisme de l’archange. Précisons que le second attribut porté par Michel dans sa main
gauche, n’est pas le même dans les deux images : un globe pour la première et une épée dans
son fourreau pour la seconde. Malgré le naturel de sa position, les pieds de l’archange
vénitien semblent davantage flotter dans les airs qu’être solidement campés sur le dos du
dragon, ce qui n’est pas le cas de l’archange siennois car ses pieds reposent sur le sol, de part
et d’autre du corps de la bête positionnée ici de manière originale. Alors qu’il est
généralement représenté de profil, la tête relevée à droite ou à gauche de la composition,
pendant que Michel lui enfonce la lance dans la gueule, comme dans le panneau du Trecento,
le peintre du Quattrocento a figuré le dragon de face, la tête rabattue en arrière par le coup de
l’arme porté par l’archange, les ailes déployées et le corps presque invisible par le jeu des
raccourcis perspectifs. La situation de l’ennemi dans l’espace, est également saisie par la
position de la queue, qui s’enroule autour de la jambe de Michel, et qui nous fait saisir la taille
- ici relativement limitée - du dragon. Si les deux peintures sur panneaux comportent un fond
d’or, le traitement de l’espace est totalement différent de l’un à l’autre. Dans le premier cas,
chaque figure de la composition est isolée dans un compartiment clos et indépendant, ou la
faible profondeur est simplement rendue par la présence d’une bande colorée, symbolisant le
sol, qui n’est même plus visible dans le panneau de Michel, à cause du dragon. Dans le
second, l’espace est plus profond et la taille plus importante du sol sur lequel repose les
personnages, est accentuée par un traitement spécial, qui imite peut-être du marbre, et lui
donne une matière, et donc une plus grande matérialité. Mais c’est surtout la réunion des
personnages dans un seul et même panneau, et un seul et même espace, qui est ici révélateur
des changements de traitement de l’espace pictural. Les figures saintes semblent pouvoir se
déplacer dans l’étendue, encore limitée, dessinée par le peintre.
Malgré la persistance d’un type iconographique commun entre le XIVe et le XVe siècle, les
évolutions formelles qui ont lieu d’un siècle à l’autre, modifient considérablement l’image de
Michel. Ainsi l’étude des formes et de leur rendu stylistique - des proportions, du modelé, des
lumières, des couleurs, de la composition, du mouvement, du traitement de l’espace - est au
moins aussi importante que l’analyse iconographique dans l’étude d’une image. Le
naturalisme des personnages et la conquête de la perspective, opérant un véritable
rapprochement des figures divines et saintes avec le fidèle, sont les évolutions stylistiques
principales de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance, révélatrices d’un
rapprochement spirituel, sur lequel nous reviendrons dans le troisième chapitre. Cette
description comparative nous a, dans tous les cas, prouvé que l’analyse iconographique n’est
clairement pas suffisante pour comprendre une image, son évolution dans le temps et dans
l’espace, et son rôle dans le culte et la spiritualité.

670
Paolo Veneziano, Assomption de Marie-Madeleine et Benvenuto di Giovanni, Annonciation et
saints (et détail), Worcester, Art Museum, peinture sur saints (et détail), Volterra, Museo d’Arte
panneaux, 1330-1350. Sacra, peinture sur panneaux, 1466.

À l’intérieur même de notre corpus, l’analyse formelle et stylistique est donc importante.
Mais qu’en est-il de Michel par rapport aux autres figures représentées ? Existe-t-il des
permanences formelles dans son image, que l’on ne retrouve pas chez les autres saints, et qui
nous permettraient de définir un véritable style michaélique ?
Ce qui différencie principalement Michel des figures qui l’entourent est bien sûr un signe
iconographique : ses ailes. Pourtant, des éléments formels et stylistiques peuvent également
distinguer Michel du groupe dans lequel il apparait. La mise en forme dynamique de son
corps, qui détermine des gestes, des positions, mais également des mouvements d’étoffes,
participe à rendre la figure de l’archange différente visuellement des autres saints aux
membres statiques et aux drapés tombants en lignes régulières. Par ses bras levés, la présence
des ailes, la cape parfois volante autour de son corps, et la figuration d’attributs-agissants,
Michel occupe en général une place bien plus importante sur la surface picturale, même
lorsqu’il est dans un panneau seul. Cette densité de la figure michaélique participe à le
distinguer et à créer une masse bien reconnaissable dans les peintures italiennes entre 1200 et
1518. L’action à laquelle prend part l’archange, nécessite par ailleurs la figuration d’un corps
fort, aux muscles bien marqués. Le dessin de la cuirasse musculaire et celui des membres,
parfois moulés ou dénudés à la fin de notre période, n’est pas détaillé avec attention dans le
simple but de démontrer la maîtrise technique de la représentation de l’anatomie et des
modelés, par le peintre. Il sert également à la monstration de la puissance divine à travers la
figuration du général de la milice céleste sous la forme d’un homme puissant qui semble
infaillible. Les anges sont habituellement, dans ces peintures, de jeunes adolescents
gringalets. La figuration de la force physique (élément formel), associée à une paire d’ailes
(élément iconographique), est donc une particularité michaélique. Forme, iconographie et
sens sont ici intimement liés. Les images qui figurent Michel en dignitaire de la cour
byzantine, sont un autre exemple de ce lien entre type iconographique et aspect formel de la
figure dans son ensemble. En effet, le port de la tunique et du lôros, s’accompagne presque
toujours dans l’iconographie italienne, d’un dessin favorisant la ligne à la surface, et
simplifiant les éléments physiques de Michel, ainsi que d’une frontalité de l’archange, aspects

671
formels qui sont ensuite largement abandonnés dans le type guerrier de l’iconographie
michaélique.
Parfois, les éléments formels sont tellement imprégnés dans la figure de Michel, qu’ils
finissent par être traités en véritables signes iconographiques. C’est le cas, par exemple, du
mouvement qui anime souvent les images de l’archange, de sa beauté, ou de sa coiffure,
normalement liés au goût du peintre, à sa manière de peindre, ou à la mode de l’époque, mais,
par leur stabilité dans les représentations de Michel, ils peuvent être analysés, dans notre
étude, comme des éléments iconographiques au même que des attributs.
La multiplicité des missions de Michel, connue des fidèles par la popularité du culte de
l’archange, et lisible dans les différentes tenues qu’il porte et les différentes actions qu’il
réalise dans les peintures italiennes, semble le circonscrire dans des types iconographiques qui
reflètent le sérieux de sa mission. Son image parait ainsi peu encline à absorber, comme les
figures angéliques, les modes et les évolutions de l’esthétique à la fin du Moyen Âge et du
début de la Renaissance. Pourtant, les représentations de l’archange sont également touchées
par l’élégance et la grâce qui caractérisent, en général, les figures de la fin du XVe siècle et du
début du XVIe siècle. Si les positions et les gestes de Michel peuvent ainsi sembler maniérés,
ils permettent le plus souvent d’équilibrer l’aspect sérieux du visage de l’archange, la force
parfois brutale de l’opération que son corps exécute, avec une douceur et une délicatesse,
propre à rappeler sa nature angélique.

Il faut ainsi noter une certaine adéquation entre les formes de saint Michel, son iconographie,
la nature de l’archange et les fonctions qu’il remplit, donnant lieu à ce que l’on pourrait
nommer un style michaélique. Ce style est marqué, comme l’iconographie, par des contrastes,
entre des formes souples, aériennes (ailes, beauté du visage, contrapposto, drapés) et des
formes puissantes et éminemment terrestres (sérieux de l’expression, corps musclé, efficacité
des gestes), décelables par l’analyse conjointe de l’iconographie et des aspects formels des
peintures de Michel, en parfaite adéquation avec l’ambigüité de la figure de guerrier céleste
de l’archange.

III.3.2. Histoire de l’art, histoire des formes, histoire religieuse

Cette partie ne vise pas à faire de l’image de Michel un point central de l’évolution des
formes de l’art en général, mais démontre qu’elle s’y inscrit pleinement et reflète un problème
particulièrement central dans ces évolutions : le rapport au réel.

III.3.2.1. L’image de saint Michel, un objet d’histoire de l’art

Des images au style et à l’iconographie byzantins réalisées au début du XIIIe siècle,


jusqu’à la peinture de Raphaël exécutée en 1518, les représentations de Michel passent par les
différentes phases qui marquent les transformations plus globales de l’art italien des Due-
672
Tre- et Quattrocento. L’infiltration des formes byzantines dans la Péninsule n’est pas
nouvelle au début de notre période, mais propose à ce moment une version adoucie des
formes orientales, qui assouplit la rigidité des modèles. Certaines concessions italiennes sont
déjà réalisées en faveur du naturalisme, notamment en ce qui concerne les mouvements de
Michel. Les figures saintes et divines se détachent lentement des modèles byzantins, qui
survivent pourtant jusqu’au milieu du XIVe siècle, principalement dans la peinture siennoise
et dans le sud de l’Italie. L’explosion de la peinture sur panneaux dès le milieu du XIIIe siècle
et le développement des peintures murales sur les murs lisses des églises italiennes,
conjointement au développement du culte michaélique qui en fait un intercesseur de premier
ordre à la fin du Moyen Âge, expliquent l’accroissement fulgurant des représentations de
Michel au XIVe siècle. Si l’archange guerrier gagne en réalisme sous les pinceaux des grands
maîtres italiens du Trecento, la permanence du fond doré, d’une simplicité et d’une dignité
vestimentaire, et d’une retenue de la figure archangélique - qui n’empêche pourtant pas le
dynamisme - permet de garder le fidèle à distance de Michel, mais également du reste des
personnages saints, même s’ils paraissent moins lointains qu’au siècle précédent. La conquête
d’un espace plausible a déjà commencé à travers les recherches autour de la perspective,
notamment dans les scènes narratives (voir à ce propos les images du Mausolée d’Hadrien par
exemple), et des modelés des personnages, des drapés qui les habillent, de leur visage, alors
que les gestes se font plus souples. Les représentations de l’au-delà et de sa géographie
prennent de l’importance dans les surfaces peintes des églises, offrant un nouveau support de
figuration pour l’archange. Notons une certaine douceur des figures de Michel dans la
seconde partie du XIVe siècle. Le XVe siècle est davantage marqué par des personnages plus
élégants, voire maniérés, aux tenues parfois excentriques, goût auquel l’archange n’échappe
pas malgré sa fonction, désormais clairement affirmée, de soldat. Cet aspect est à mettre en
relation avec le développement du gothique international, qui influence également l’Italie. Les
visages se chargent d’expressions, qui prennent parfois la forme chez l’archange, qui ne peut
cependant être tourmenté par des émotions et des sentiments trop humains, d’une certaine
mélancolie, comparable à celle de la Vierge qui tient son Enfant. Mais Michel conserve un
détachement psychologique caractéristique de sa nature, dans les scènes de combat, même
lorsque l’implication physique de sa figure est plus importante, ou qu’il est en train d’achever
la bête dans un bain de sang. Cette retenue émotive, n’est pas partagée par les anges
« classiques » qui participent activement aux sentiments suscités, par exemple par la vue d’un
Christ sur la croix, dès la première partie du XVe siècle. Si les progrès des représentations
anatomiques se poursuivent, ils sont occultés chez l’archange par l’attribution de tenues lui
couvrant tout le corps, et lui donnant la silhouette d’un jeune chevalier italien à la mode. Mais
Michel gagne en épaisseur et sa carrure est désormais presque toujours celle d’un homme
grand et fort, malgré les positions déhanchées et gracieuses caractéristiques du Quattrocento,
et la jeunesse et la beauté de son visage. Les gestes de Michel, avant tout déterminés par
l’efficacité de l’image, simplifiée et symbolique, sont à présent davantage reliés à une
primauté du naturalisme et d’une plasticité, en dialogue constant avec la sculpture
contemporaine. En outre, les recherches de modelés, de dégradés et de jeux de lumière, sont
particulièrement importantes dans la figuration de l’armure de plates de l’archange, surtout
673
dans la seconde partie du XVe siècle. C’est à ce moment que Michel est, comme les autres
personnages chrétiens, de plus en plus souvent intégré dans des paysages ou des espaces
architecturés en perspective2053. Les trois dernières décennies du XVe siècle, marquent des
avancées sans précédent autour de l’humanisation de Michel, par la nudité de ses membres
inférieurs et / ou supérieurs, participant, avec le retour de la cuirasse musculaire, à la
monstration de la force physique de l’archange. Cette humanisation touche également
l’adversaire de Michel qui devient à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, un véritable
homme au caractère bestial peu affirmé. Notons également à cette période l’importance des
drapés dans les peintures italiennes, en tant qu’éléments décoratifs, permettant notamment
d’équilibrer les compositions librement, mais également en tant que démonstration des
capacités techniques des peintres à travers la maîtrise des couleurs, des matières, et surtout
des dégradés et des jeux de lumière. Dans le cas des représentations michaéliques, ces étoffes
se chargent d’une fonction supplémentaire : signifier le vol et la vivacité de sa figure. Enfin
rappelons l’importance des écoles et des propositions régionales propres à l’art italien en
général et aux images de l’archange en particulier, qui prend des allures d’ange espagnol dans
le sud de la Péninsule et surtout en Sicile et en Sardaigne, alors qu’il est davantage marqué
par les formes françaises ou gothiques dans le nord, et combine les différentes influences dans
les images toscanes.

III.3.2.2. Représentation et réel. L’image de Michel en perspective

Ce panorama de l’image de Michel dans une évolution plus globale de la peinture


italienne entre 1200 et 1518 prouve que l’archange s’inscrit pleinement dans une histoire
générale de l’art, notamment par son humanisation et son insertion dans des espaces tangibles.
Toutefois, si l’évolution des représentations archangéliques ne semble pas exceptionnelle,
plus que pour toute autre figure chrétienne, la traduction visuelle de l’être angélique sous la
forme d’un homme au physique réaliste inscrite dans un espace terrestre, est étonnante. Même
Dieu, incarné dans le Christ s’est, à un moment donné de l’Histoire, inscrit physiquement, et
même charnellement, dans cette forme. De ce fait, si la figure angélique s’accommodait
parfaitement des conventions médiévales qui tenaient peu compte des proportions et du
naturalisme des représentations, non par ignorance, mais parce qu’ils les considéraient sans
importance2054, l’humanisation de Michel et son insertion dans des espaces plausibles, n’ont
pas les mêmes conséquences que pour les autres saints. Car ce n’est pas seulement le corps de
Michel qui est rendu réel, mais ce sont également ses mouvements, et ainsi son combat et son
ennemi.
Avec la maîtrise de la perspective mathématique, systématisée pour la première fois par
Alberti en 1435, le rapport à la vision et au réel se modifie irrémédiablement dans les

2053
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 3.2. Dans le ciel ou sur terre. La représentation des fonds derrière
l’archange.
2054
GOMBRICH, 2001, pp. 240-250.
674
peintures italiennes. Du latin perspectiva, perspicere (voir clairement), traduit du terme grec
Optiké, ou science de la vision, la perspective désigne dans les traités de géométrie
descriptive, « la science qui apprend à représenter les objets tridimensionnels sur une surface
bidimensionnelle, de façon que l’image perspective coïncide avec celle que fournit la vision
directe »2055. Nelson Goodman précise que, pendant tout le Moyen Âge, l’objet artistique
n’avait clairement pas besoin de ressembler au monde pour représenter le monde, et que
l’image, pour représenter un objet ou un personnage, devait avant tout en être un symbole, y
faire référence, il ne devait pas pour autant en être une représentation « réaliste » 2056.
Cependant, à partir du XIVe siècle, les peintres semblent être gagnés par une obsession du
réel. La ressemblance au monde est désormais perçue comme un gage de qualité d’une œuvre
d’art. François Garnier relie cette évolution à la fin des représentations artistiques comme
langage. Selon lui, « le passage progressif du symbolisme au réalisme, entre les XIIIe et XVe
siècles, est bien connu » et « n’a pas affecté seulement le contenu et le style des
représentations, mais aussi la forme syntaxique de l’expression », car « à partir du moment où
une forme existe avant tout pour ressembler au réel avant d’être un signe, c’est, plus que le
style, la forme syntaxique de l’expression qui est affectée »2057. C’est donc un changement
profond du mode de représentation qui se dessine à ce moment, bouleversant les modes
d’expression, mais également le rapport entre représentation et vérité. Thomas Mitchell
précise que cette invention a convaincu « une civilisation entière qu’elle possédait une
méthode infaillible, un système de production automatique et mécanique des vérités au sujet
du monde matériel et mental ». Il continue en ajoutant que la perspective réfute sa propre
artificialité et « se revendique être une représentation naturelle de l’aspect des choses, de
notre manière de voir ou de l’état réel des choses »2058. Thomas Mitchell souligne que, dans
le prolongement de cette idée, se développe en plus la conviction qu’il existe une relation
d’identité entre vision naturelle et l’espace extérieur objectif2059. Dans ce contexte, la
figuration de l’archange ne peut qu’apparaitre en décalage, non seulement parce que Michel
n’a pas la forme de l’homme ailé qui le représente, et surtout parce cette enveloppe charnelle
n’est absolument pas une « représentation naturelle » de l’archange et ne correspond pas à sa
nature.
À partir du moment où les lois de la perspective sont appliquées dans la peinture, Erin
Panofsky précise qu’« il ne doit pas y avoir de contradiction flagrante entre ce que le
spectateur voit dans un tableau et ce qu’il pourrait voir en réalité – exception faite, bien
entendu, pour les représentations symboliques d’événements spirituels ou de phénomènes
surnaturels qui défient, par définition, les lois de la nature – comme c’est le cas pour les

2055
REINA P., La prospettiva, Milan, 1940, cité dans la préface de Marisa Dalai Emiliani de l’édition de 2006 de
l’ouvrage d’Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique, Paris, Les Éditions de Minuit, (1ère
édition en 1975), p. 7.
2056
GOODMAN, 1990.
2057
GARNIER, 1982, p. 14.
2058
MITCHELL, 2009, pp. 82-83.
2059
MITCHELL, 2009, p. 84.
675
anges, les démons, les visions et les miracles »2060. La figuration des anges est donc une
exception extraordinaire tolérée au sein des représentations naturalistes. Mais, si l’image de
l’archange au corps fort et puissant est déjà une entorse à la nature angélique de Michel, le
port de l’armure de plates réaliste, qui suppose une vulnérabilité de cette enveloppe charnelle,
est non seulement en décalage avec sa nature, mais également avec le texte biblique, qui
déclare bien Michel et ses anges vainqueurs du dragon de l’Apocalypse au moment du dernier
combat, sans faire mention du moindre doute quant à l’issue de la bataille. Les évolutions
formelles de l’art, peuvent donc être considérées à la limite de l’orthodoxie en ce qui concerne
l’iconographie michaélique, si l’on s’en tient à la fonction première de ces vêtements de
protection, et si l’on considère effectivement, comme semble l’affirmer François Garnier, que
les images de la Renaissance perdent tout symbolisme. Toutefois, nous comprenons aisément
que cette armure n’a pas, sur la figure de saint Michel, de rôle matériel strict, mais un rôle
purement symbolique : elle représente la protection divine et l’infaillibilité de son émissaire,
tout en permettant d’inscrire l’action de Michel dans le temps présent. L’image de l’archange
est une preuve que l’iconographie religieuse de la Renaissance n’est pas une simple
représentation réaliste du monde, qu’elle n’abandonne pas totalement les signes et les
symboles, qui avaient donné la preuve de leur efficacité pendant près de dix siècles. Les
peintures de Michel participent, à un degré moindre qu’un objet inerte, à ce que Panofsky
définit comme un « symbolisme caché ou déguisé, en opposition à un symbolisme manifeste
ou évident »2061. Les représentations de Michel sont avant tout une figure-symbole de la
puissance de Dieu et de la victoire du bien sur la mal. Si saint Thomas d’Aquin avait déjà
considéré les objets matériels comme des symboles des choses célestes, le corps naturaliste de
Michel participe bien, dans la peinture italienne du XVe siècle et du début du XVIe, à cette
même « métaphore corporelle des choses spirituelles »2062. Elle participe en outre à
présentifier l’archange, pour rendre son existence réelle et à « faire croire »2063 à l’effectivité
de son action, par la véracité et la matérialité de sa représentation. Au début de la
Renaissance, la question de l’efficacité de l’image religieuse n’est pas abandonnée, mais
transformée et à présent soumise à sa capacité d’illusion. Ces bouleversements formels
s’expliquent également par les évolutions de la spiritualité entre 1200 et 1518.

III.3.2.3. Des formes nouvelles au service d’une nouvelle spiritualité

Les images du Moyen Âge finissant et du début de la Renaissance, semblent souvent


moins attachées à la fonction religieuse et didactique qu’elle est censée assumer. Précisons
dès maintenant que les formes nouvelles prises par les figures humaines et leur implantation
dans des espaces peints plausibles, s’ancrent pourtant parfaitement dans les évolutions de la

2060
PANOFSKY, 2003, p. 264.
2061
PANOFSKY, 2003, p. 264.
2062
PANOFSKY, 2003, p. 265.
2063
ARASSE, 1981, p. 136.
676
religiosité des XIII, XIV et XVe siècles. Le Haut Moyen Âge et le Moyen Âge central avaient
privilégié des représentations du Christ glorieux, dont l’humanité était transcendée dans les
images par une majesté et une incorporalité propre aux formes de l’art religieux de cette
période. À partir du XIIe siècle, les peintres byzantins animent davantage les figures du
Christ, qui restent cependant triomphant2064. C’est ensuite sous l’impulsion des franciscains
que ce Christ triomphant humanisé devient un Christ de douleur humanisé vers le milieu du
XIIIe siècle, autour des images du Crucifié et dans un souci de justesse narrative et
pathétique2065. Au début du XIVe siècle, et, selon André Vauchez, particulièrement autour de
1348, la figure christique est davantage évoquée dans ses souffrances physiques et morales
autour de la Passion. Les mises en scène théâtrales des Mystères rejouent, par exemple, le
drame du calvaire2066. Dans les arts figuratifs, cette mise en avant de l’incarnation du Christ
exaltée dans les souffrances de la Passion, se traduit avant tout par la mise en place de
nouveaux thèmes iconographiques - comme la descente de croix, la mise au tombeau, le
Christ de douleur ou la Pietà - puis par une humanisation de la représentation de Dieu, qui
découle autant qu’elle justifie des nouvelles avancées techniques de l’art pictural et sculptural
dans la seconde partie du XIVe siècle et au XVe siècle. L’humanité christique rejaillit sur
l’ensemble des personnages saints, en s’adaptant parfaitement au développement du culte des
saints de la fin du Moyen Âge, alimentant désormais des rapports plus intimes et personnels
entre le fidèle, avec ses intercesseurs et même avec Dieu.
Les images de l’archange ont alors dû s’adapter à ces évolutions mettant l’humanité du Christ
au centre de la spiritualité, au risque de voir ses représentations, voire son culte, disparaitre.
Car la figure sévère et incorporelle de Michel se prêtait mal aux relations plus intimes et plus
personnelles avec le fidèle. C’est, selon nous, l’image même du guerrier contemporain qui a
permis la réhabilitation de Michel comme protecteur personnalisé, des guerriers dans un
premier temps, et des fidèles en général, grâce à sa fonction universelle de combattant du mal
et à son rôle de protecteur de la balance.
Il y a bien ainsi une concordance entre l’évolution de la religiosité et les nouveautés
techniques, formelles et iconographiques, qui permettent conjointement l’émergence de ce qui
est appellé « l’art de la Renaissance ». Ainsi, plus qu’une dé-sanctification des personnages
saints et divins, ou qu’une désacralisation de l’art, par l’imbrication du réel et du représenté,
Elisabeth Crouzet-Pavant propose d’y voir une re-sacralisation ou une re-densification du
sacré, car les figures humanisées dans l’espace créé, rendent présents les épisodes religieux et
appellent ainsi à la sensibilité du fidèle et plus seulement à sa connaissance des symboles
sacrés2067.

2064
RUSSO, 1984, p. 686.
2065
RUSSO, 1984, p. 717.
2066
VAUCHEZ, 1987, p. 33 ou VAUCHEZ, 1994, p. 29.
2067
CROUZET-PAVAN, 2001, p. 401.
677
III.1- Conclusion du chapitre 2. L’image de Michel en Italie entre 1200 et 1518

Le caractère polyvalent, déjà décelé dans le culte de saint Michel et ses fonctions au
sein du monde chrétien, se retrouve dans la pluralité de ses formes iconographiques. Les
images italiennes de saint Michel entre 1200 et 1518, ne marquent pourtant pas de révolution
dans l’iconographie de l’archange : tous les grands types vestimentaires, tous les attributs,
toutes les scènes dans lesquelles il intervient, étaient déjà présents dans son imagerie avant le
XIIIe siècle. Les modifications interviennent davantage dans l’association des différents
éléments constitutifs de cette image - au demeurant assez peu nombreux - dans leur
combinaison, et dans les formes qu’ils prennent. La figure michaélique s’inscrit toujours dans
des groupes plus larges où elle apparaît comme la représentante majeure, des anges, des
archanges, des saints ou des guerriers. Mais, tandis que son iconographie est encore largement
variée au XIIIe siècle et surtout au début du XIVe siècle, au XVe siècle, a lieu une véritable
cristallisation de sa représentation autour du guerrier, où seuls les attributs, ainsi que la
présence des saints près de Michel, participent encore à la diversification de son caractère et
surtout de sa fonction dans la peinture. L’évocation courante des grands épisodes dans
lesquels il intervient, le mouvement que prend son corps, la présence des attributs-agissants et
l’universalité du message véhiculé par son action, placent l’image de l’archange dans des
représentations où le degré de narrativité est variable, le plus souvent dans des images en
action mais non narratives qui traduisent bien l’ambigüité de la figure archangélique dans l’art
italien. Ambigüité d’autant plus importante au milieu du XVe siècle, lorsque la figure
archangélique, au corps humain réaliste, est insérée dans des espaces plausibles, voire même
terrestres, alors qu’il demeure une figure surnaturelle au milieu des autres saints hommes.
L’image de Michel s’articule ainsi dans des faisceaux complexes de relations entre objets,
personnages, formes, compositions et évolutions de mode, qui marquent une forte
acculturation de sa figure tout au long du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, et
illustrent les évolutions spirituelles de cette période en pleine mutation religieuse, tout en
étant au service d’un message religieux qui peut avoir différentes formes.

678
CHAPITRE 3:
UNE IMAGE FABRIQUÉE.
CRÉATION, SENS ET RÉCEPTION DE L’IMAGE DE
SAINT MICHEL

679
680
Après s’être plongés dans les peintures de saint Michel, leurs types iconographiques,
leurs évolutions, leurs formes, nous allons maintenant nous intéresser aux hommes qui les ont
commandées, créées, reçues et utilisées. La première partie de ce chapitre aborde ainsi tout ce
qui touche à la création de l’image michaélique, de la tradition aux peintres, en passant par les
commanditaires. La deuxième partie analyse les différentes significations, mises en place par
l’ensemble des acteurs de la création, et insiste ainsi sur les fonctions conscientes données à
l’image michaélique. Les deux autres parties, étudient la réception de l’image de Michel,
d’une part, par les fidèles pour qui elles sont créées, et d’autre part, par nous. La troisième
partie évoque la réception de ces images, les usages au centre desquels elles agissent, la
question de leur efficacité, notamment du lien entre l’apparition de l’archange et la
représentation matérielle. Enfin, la quatrième et dernière partie, analyse les témoignages
picturaux de Michel en tant que représentations de la société qui les a produites, dans l’aspect
politique, social, religieux et en tant que reflet des mentalités des hommes qui les ont créées.

681
682
I- AUTOUR DE LA CRÉATION DES IMAGES DE SAINT MICHEL

Une imagerie se construit par imbrications de plusieurs facteurs qui interagissent les
uns avec les autres et sont souvent difficilement dissociables. Selon leur importance, leur lien
avec notre sujet et la facilité de leur appréhension, ces facteurs sont plus ou moins étudiés
dans le cadre de notre recherche. La tradition textuelle - principalement la Bible, les textes
Apocryphes et les textes hagiographiques - est centrale, dans le christianisme, en tant
qu’inspirateur des thèmes narratifs et non narratifs. Ce constat est largement applicable à
l’archange et nous avons déjà déterminé les sources scripturaires à l’origine des images de
Michel dans le premier chapitre de ce travail 2068. La tradition orale a certainement un rôle
important à jouer, notamment à travers la transmission de récits et de légendes non officiels,
comme par exemple ceux autour de la mort et de la vision de l’au-delà, mais elle est
difficilement appréhendable dans le cadre de notre étude. Enfin, la tradition iconographique,
qui peut se définir par les permanences de l’imagerie chrétienne, est également centrale dans
la construction d’une image, d’un type iconographique. Nous avons également fait le tour de
cette question dans la troisième partie du premier chapitre sur les origines des représentations
des anges et de saint Michel. Les significations traditionnelles, inhérentes aux motifs
appartenant à une tradition iconographique, seront analysées dans le deuxième chapitre de
cette troisième partie2069, ainsi que les sens liés aux commanditaires ou au contexte de
création de l’image en elle-même.
La nature de la commande est une part importante dans l’élaboration d’un programme
iconographique puisqu’elle regroupe des préoccupations diverses comme le choix des motifs
en fonction de la destination de l’image, son usage, les goûts du commanditaire, ses moyens,
son statut social et parfois même politique. Cet aspect est fortement lié aux formes du culte et
des dévotions et à l’évolution de la sensibilité religieuse, qui permettent d’organiser la vie
religieuse, de hiérarchiser les épisodes importants des récits sacrés, d’influencer les formes de
leur représentation, et qui font des images des objets utilisés, dans certaines pratiques
collectives ou privées, officielles ou non. Le statut des images et leurs évolutions, influencent
également les représentations, notamment dans leurs usages, avec des décalages parfois
importants entre la théorie et la pratique.
Si les traditions scripturaires et iconographiques sont importantes, de même que la commande
qui joue un rôle déterminant dans la physionomie de l’image créée, c’est dans l’atelier que se
fait la synthèse de ces différentes données. Pourtant, le peintre est un exécuteur du contrat
passé entre lui et un tiers, en fonction d’un certain nombre d’éléments qui lui sont étrangers et
sur lesquels il ne peut pas agir. Les peintres, ont tout de même une certaine implication dans
le choix des motifs, et parfois leur organisation, et une part importante dans le choix des
formes que prennent les thèmes définis. À travers l’organisation du travail en ateliers, qui

2068
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1. Saint Michel et les anges dans la Bible et les Apocryphes.
2069
Chapitre 3. II. Des raisons de représenter l’archange. Significations de l'iconographie michaélique.
683
prévaut pendant la période étudiée, le succès de certains types et de certaines formes de
l’archange attestent d’une certaine liberté donnée au concepteur des images. La question de la
qualité de la peinture peut également entrer en compte ici. L’évolution des formes artistiques
et l’inscription des peintures étudiées dans un contexte plus large de la production artistique
entre 1200 et 1518, jouent également un rôle dans l’aspect esthétique, technique et
symbolique, d’une image2070.
Enfin, dans une temporalité différente de celle qui est directement liée au phénomène de
création, la réception de l’image, et ses différentes vies, participent parfois à la modification
d’une peinture, que ce soit physiquement ou dans son usage.

Tous ces aspects entrent en jeu dans la construction des images et la formulation de solutions
iconographiques dans un faisceau complexe de relations, de dépendances, d’influences, qui se
modèlent en fonction de permanences, d’abandon, de résurgences et d’assemblages, de
formes et de motifs.

I.1- Du rapport entre texte et image

I.1.1. Les textes sacrés et chrétiens anciens et l’iconographie de saint Michel entre
1200 et 1518

La Bible est à l’origine d’un grand nombre de motifs de l’iconographie chrétienne.


Même si les éléments évoquant l’apparence des anges en général et de Michel en particulier, y
sont limités2071, les Écritures Saintes fournissent les éléments qui permettent de définir la
nature des interventions de Michel, ses fonctions2072, qui déterminent grandement ses types
iconographiques. Pourtant, hormis les scènes apocalyptiques, les épisodes où l’archange est
clairement identifié2073, ne sont pas figurés dans l’iconographie italienne entre 1200 et 1518,
ni, à notre connaissance, dans tout le Moyen Âge occidental. C’est pourtant bien le texte de
Daniel qui, le premier, assigne à Michel une fonction de guerrier et de protecteur du peuple de
Dieu, si centrale dans son image2074. Dans l’Épître de Jude, l’archange s’oppose au diable à
propos du sort d’une âme, sans arme, la lutte est ici verbale. Enfin l’Apocalypse situe son
action à la fin des temps, comme combattant du dragon. Il est alors difficile d’affirmer que la
Bible n’a pas fourni les bases de l’iconographie michaélique, puisqu’il est bien, dans les
peintures étudiées, avant tout le guerrier, l’intervenant auprès des âmes, et le tueur du dragon

2070
Voir à ce propos le chapitre 2. III. 3.2.1. L’image de saint Michel, un objet d’histoire de l’art.
2071
Voir à ce propos l’introduction du chapitre 1. III. 2. Généalogie de l’image michaélique au Moyen Âge
jusqu’à 1200.
2072
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1. Saint Michel et les anges dans la Bible et les Apocryphes.
2073
Daniel (10, 13 ; 10, 21 et 12, 1) ; Epître de Jude (9) et Apocalypse (12, 7-9).
2074
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.1.2. Michel et les anges de l’Ancien Testament.
684
eschatologique. Ce sont les épisodes narratifs qui ne sont pas privilégiés, comme en général
dans tout notre corpus. En Orient, les épisodes bibliques où intervient l’archange, et ceux qui
lui sont généralement attribués, font l’objet de cycles narratifs en l’honneur de Michel. Les
raisons de ce développement d’images illustrant les épisodes bibliques pourraient être
l’existence précoce de l’homélie de Pantoléon, regroupant les diverses interventions
michaéliques2075. Malgré sa large diffusion, Catherine Jolivet-Lévy ne pense pas que ce texte
ait été directement utilisé comme source d’inspiration pour les cycles orientaux. Il faut
cependant noter un goût particulier, notamment dans les églises de Cappadoce, pour les
images narratives de l’archange, que l’on ne retrouve pas en Occident.
Seule une scène biblique où Michel n’est pas nommé, est attribuée à l’archange dans la
peinture italienne : il s’agit de la Chute des anges rebelles. Cet épisode marque la naissance
du mal et la première lutte des bons anges contre les mauvais et permet de marquer, dès la
Genèse, la qualité de chef de la milice céleste assumée par Michel. L’image a ainsi, en
quelque sorte, sur-interprété le texte. Pourtant, c’est ce même texte qui justifie cette
assignation des épisodes guerriers à Michel, puisque, dès l’Ancien Testament, l’archange
prend les armes pour défendre le peuple de Dieu2076. Il y a donc ici clairement un va et vient
entre texte et image, qui se légitiment l’un l’autre.
En règle générale, c’est principalement à travers les fonctions assignées dans la Bible à
Michel que vont naitre les « grands thèmes » de son iconographie. L’image de l’archange ne
s’écarte pas, à ce titre, du discours normé, créé par l’Église et contrôlé par elle, mais elle ne
constitue clairement pas une simple illustration littérale des textes sacrés.

L’écart semble plus important avec les récits apocryphes qui insistent particulièrement
sur la fonction de psychopompe de l’archange et sur son rôle de protecteur des âmes ou des
hommes. Les textes apocryphes précisent les fonctions déjà attribuées à Michel dans la Bible,
notamment sa supériorité par rapport aux autres anges, sa qualité de chef de l’armée céleste et
sa grande proximité avec Dieu qui lui donne directement ses ordres 2077. Contrairement aux
peintures italiennes réalisées entre 1200 et 1518, les récits apocryphes n’insistent pourtant pas
sur la lutte de Michel contre le mal. Il est, avant tout, un messager entre Dieu et les hommes,
l’accompagnateur de confiance envoyé par le Seigneur pour prendre soin des âmes défuntes
d’exception ou expliquer à certains hommes les visions qu’ils reçoivent de l’au-delà. S’il
assiste parfois au jugement, il n’est fait aucune mention de la balance. Le seul texte
apocryphe où l’archange intervient clairement comme acteur du jugement, est celui de Baruch
où le remplissage de coupes avec des fleurs constitue déjà une estimation symbolique des
mérites des hommes, dans laquelle saint Michel a un rôle majeur de contrôle, de rapporteur et
d’exécuteur de la sentence divine. Cette idée d’une comptabilité, déjà présente dès le IIe siècle
av. J.-C., est reprise dans son sens global, mais aucune image de Michel ne figure ce thème

2075
JOLIVET-LÉVY, 1997, p. 193
2076
Daniel (10, 13 ; 10, 21 et 12, 1).
2077
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.2.8. Autres textes apocryphes.
685
des coupes de fleurs. Quelques textes font également mention de son rôle en tant que
magistrat de la justice divine2078.
Le lien le plus direct qui semble exister entre textes apocryphes et iconographie italienne
michaélique, concerne son intervention au moment de la mort de la Vierge 2079. Dans la
Dormition de Marie du Pseudo-Jean, l’épisode de l’« ange du seigneur », qui, « par une force
invisible, avec une épée de feu » tranche les deux mains de l’Hébreu Jéphonias2080, est repris
littéralement dans deux peintures de notre corpus2081. Pourtant un décalage important est
encore décelable ici : l’ange du texte apocryphe n’est pas nommé alors que celui qui coupe les
mains de Jéphonias dans nos images est clairement saint Michel.
Dans les peintures de notre corpus, Michel n’apparaît presque jamais ni en guide dans l’au-
delà, ni en psychopompe2082. S’il intervient auprès des âmes, ce n’est pas pour les protéger
directement, ou les accompagner jusqu’à leur destination, mais pour protéger l’instrument
dans lequel elles se trouvent, ou plutôt, assurer le bon déroulement de l’action dans laquelle
ils sont tous engagés : la pesée. Précisons cependant que, dans les textes apocryphes, comme
dans les images, ses interventions sont clairement situées dans l’au-delà. De plus, dans ce type
de textes, apparaît un aspect qui n’était pas présent dans les écrits bibliques et qui sera
pourtant déterminant dans l’iconographie italienne de saint Michel : la fonction punitive
envers les hommes de l’archange guerrier. Dans les Actes de Philippe, Michel porte des
accusations et semble même être à l’origine des supplices infligés à certains damnés2083. À la
fin du Livre de Baruch, Michel commande aux anges de récompenser les hommes méritants
et de punir ceux qui ont péché2084. L’archange est autant un protecteur qu’un punisseur dans
ce texte.

Si les textes apocryphes n’ont pas été directement repris et illustrés dans l’iconographie
michaélique italienne, ils sont en grande partie à l’origine du développement de l’intérêt pour
les anges en général et Michel en particulier, régulièrement cité et mis en scène dans diverses
fonctions. Mais nous avons déjà largement pu constater le faible succès des images narratives
de l’archange en général, qu’elles soient bibliques, apocryphes ou légendaires. Sans insister
davantage sur son rôle de guerrier, l’archange apocryphe est surtout un personnage
incontournable de l’au-delà, aspect largement repris dans les peintures, même s’il est, d’un
côté un guide personnel, et de l’autre, un exécuteur distant de la sentence divine. Cette

2078
Notamment dans L’Apocalypse apocryphe de Paul ; voir chapitre 1. II 1.2.5.
2079
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.2.6. Le Livre du passage de la Très Sainte Vierge Marie.
2080
Écrits apocryphes chrétiens, 1997, p. 183 ; voir à ce propos le chapitre 1. II.1.2.6. Le Livre du passage de la
Très Sainte Vierge Marie.
2081
Celle d’un anonyme à Avignon, Musée du Petit Palais, peinture sur panneaux, 3 e ¼ du XIVe ; et celle d’un
peintre napolitain à Massaquano, chapelle Santa Lucia, peinture murale, fin XIVe. Voir à ce propos le chapitre 2.
II. 2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts.
2082
A l’exception de l’huile sur toile de Lazzaro Bastiani réalisée en 1495 et conservée au Museo Civico de
Padoue où Michel porte une âme et en protège une seconde d’un démon ; et de deux autres scènes de la
Dormition de la Vierge, celle de Lippo Vanni, localisation inconnue, peinture sur panneaux, 1350-1360 ; et celle
de Simone di Filippo, Bologne, Pinacoteca Nazionale, peinture sur panneaux, 1396-1398.
2083
Actes de Philippe, 8 et 12 ; voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.2.8. Autres textes apocryphes.
2084
III Baruch, XIV-XVI ; voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.2.8. Autres textes apocryphes.
686
remarque souligne une nouvelle fois le développement limité de l’archange protecteur dans
l’iconographie italienne, et sa prise de distance avec les hommes auprès desquels il intervient.

Aux origines du culte de l’archange, il faut noter l’importance de son rôle d’ange du
transitus, surtout dans la littérature apocryphe, mais également dans un genre littéraire
particulièrement prisé au Moyen Âge : les récits de voyage dans l’au-delà. Il s’agit de textes
retraçant les visions, en général de moines, principalement anglo-saxons au Haut Moyen Âge,
entrainant le protagoniste dans une visite des lieux de l’au-delà, qu’il soit mort ou vivant.
Dans ces légendes, saint Michel vient souvent en personne chercher le visiteur et
l’accompagne pendant tout son séjour pour lui commenter ses visions2085. Des illustrations de
ces épisodes ont vu le jour dans ces recueils, mais n’ont pas dépassé la frontière du livre. Ces
récits restent des textes non « illustrés » sur nos supports, d’autant que Michel n’est jamais
véritablement un guide des âmes dans l’iconographie italienne. Mais, pour autant, comme
pour les textes apocryphes, un certain dialogue s’instaure par le fait que ces écrits participent
grandement à définir l’univers de l’au-delà et à organiser les événements après la mort, dans
lesquels Michel a toujours ce rôle central. Dans certaines de ces scènes, il peut même
apparaître comme annonciateur de la sentence divine2086.
Les vies des saints ou des hommes peuvent également être le théâtre de scène de convoi de
l’âme par l’archange, comme celle de Roland2087, au chapitre X, ou dans la vie de Sant Fursy,
où Michel ne porte pas directement l’âme sainte, mais l’accompagne « armé d’un bouclier
éclatant de blancheur et d’un glaive flamboyant »2088, mais, là encore, nous n’en possédons
pas d’illustration dans notre corpus.

C’est principalement comme psychopompe et protecteur des âmes que l’archange est invoqué
dans les textes liturgiques2089. Notons en particulier la proximité de la Vierge et de Michel
dans les Litanies et certaines prières carolingiennes qui peuvent en partie expliquer la
présence régulière des images de l’archange près des Vierges à l’Enfant en plein Moyen Âge
et lors de la période étudiée. Il est également considéré dans les textes liturgiques comme un
guerrier par excellence. Une prière provenant du monastère Saint-Michel-de-la-Cluse,
invoque l’archange comme vainqueur du dragon, défenseur du genre humain et bellator
invictissimus2090.

Les légendes des fondations des sanctuaires michaéliques ont l’originalité de placer
l’action de Michel sur terre. Ce sont également les seuls textes, avec l’épisode de

2085
FAURE Philippe, 1997 (1), p. 200.
2086
FAURE Philippe, 1997 (1), p. 200.
2087
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 168.
2088
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 170.
2089
FOURNEE, 1971, p. 70 ; à propos de la vision optimiste de la protection archangélique, voir également
VAUCHEZ, 2007.
2090
Cité dans SERENO, 2011, p. 76 et dans LEMARIÉ, 1963, pp. 278-279.
687
l’Apocalypse, de la chute des anges rebelles et celui de Jéphonias, à être illustrés dans
l’iconographie italienne. Mais, comme dans les autres textes, aucune information sur l’aspect
physique de l’archange n’apparaît dans les différents récits et il n’y a pas non plus de
référence à sa mission guerrière2091. Mais, outre les acteurs et les actions, les récits et les
images ont notamment pour point commun d’insister largement sur le contexte
environnemental des apparitions de l’archange. Si la scène du taureau a été façonnée de
manière inédite, notons que les épisodes des apparitions aux évêques reprennent une
iconographie traditionnelle du personnage recevant une vision pendant son sommeil. Les
illustrations de ces épisodes sont les uniques représentations faisant uniquement référence à
l’histoire michaélique, et sont, à ce titre, employées dans les peintures italiennes comme de
véritables scènes hagiographiques, faisant des textes de véritables Vitae de l’archange. Elles
sont bien, effectivement, comme les Vies de saints, les histoires du passage sur terre de saint
Michel.
Nous retrouvons encore, à la fin du Moyen Âge, une production écrite qui a pu influencer les
images italiennes de l’archange entre 1200 et 1518.

I.1.2. L’iconographie de saint Michel et les légendes et écrits chrétiens de la fin du


Moyen Âge

La Légende dorée, écrite par Jacques de Voragine entre 1261 et 1266, confirme la
« sanctification » de l’archange, en germe dans le culte et les images de Michel dès le Haut
Moyen Âge. Il est effectivement le seul être angélique à « posséder une Vie » dans l’ouvrage
de l’archevêque de Gênes, qui « attribue à saint Michel beaucoup d’actions
extraordinaires »2092. Le texte est, en effet, le regroupement des différents faits attribués à
Michel, qu’ils soient bibliques, apocryphes ou légendaires, qu’ils se passent sur terre ou dans
la ciel, dans le passé, le présent ou le futur. Jacques de Voragine résume les actions de
l’archange des récits bibliques, en particulier les scènes où il n’est pas clairement nommé2093.
Il le présente comme le protecteur et le défenseur des élus et celui qui a chassé les anges
rebelles du paradis. Il évoque également sa dispute avec le diable à propos de l’âme de Moïse,
et son rôle de psychopompe, notamment dans les épisodes apocryphes. Michel est l’ange par
excellence, et c’est un personnage important de la fin des temps. Jacques de Voragine relate
ensuite les épisodes des fondations des grands sanctuaires michaéliques - du Mont Gargan, du
Mont-Saint-Michel et du Castel Sant’Angelo de Rome – qu’il considère comme la première,
la deuxième et la troisième apparition de l’archange2094. Puis, il décrit la place de Michel dans
2091
BELLI D’ELIA, 2003, p. 523.
2092
DE VORAGINE, 1967, p. 232.
2093
C’est lui qui « frappa l’Égypte des sept plaies » ; « partagea les eaux de la mer Rouge », « dirigea le peuple
hébreu jusqu’à la Terre promise » ; « porte l’étendard de Jésus-Christ » ; « foudroiera l’Antéchrist » ;
« présentera la croix, les clous, la lance et la couronne d’épines de Notre-Seigneur » ; et c’est « à la voix de
l’archange Michel que les morts ressusciteront » ; DE VORAGINE, 1967, pp. 232-233.
2094
DE VORAGINE, 1967, pp. 233-234.
688
la hiérarchie céleste, comme l’objet d’une quatrième apparition 2095. Ce paragraphe souligne la
nature différente de Michel par rapport aux autres saints de l’ouvrage. La cinquième
apparition relate un épisode où l’archange guérit un homme près de Constantinople. Puis,
l’auteur énumère séparément les différentes victoires de Michel, contre les Sipontins, contre
les anges rebelles, contre le dragon, contre les démons quotidiens et contre l’Antéchrist 2096. Il
revient ensuite en détail sur les particularités du culte rendu à Michel. Enfin, il profite de la
notice michaélique pour traiter de la dévotion aux anges en général.
Comme dans les images, le mal prend différentes formes qui renvoient à des moments
différents et des combats de natures différentes, dans lesquels Michel est toujours victorieux.
Ces différentes formes du mal sont presque toutes représentées dans notre corpus. De plus,
Jacques de Voragine, précise qu’il est donné à chaque homme deux anges : un bon et un
mauvais2097, aspect que l’on retrouve souvent dans l’iconographie de saint Michel à la balance
où un démon attend les résultats de la pesée ou tente de faire pencher un plateau à son
avantage.
Selon Pina Belli d’Elia, c’est bien à partir de ce modèle que sont réalisés certains cycles
réunissant des épisodes apocalyptiques et des apparitions de l’archange 2098. Cela expliquerait
en effet l’absence de représentation de l’épisode de la bataille de Siponto, dans les petits
cycles narratifs de notre corpus2099, qui est traité dans le texte du dominicain à l’écart des
autres apparitions apuliennes, comme une scène de victoire de l’archange, largement éclipsée
par la grande bataille apocalyptique ou la chute des anges rebelles. Ce texte justifie également
la présence du miracle de l’accouchée du Mont-Saint-Michel dans deux peintures italiennes,
puisque les deux sanctuaires ne semblent plus entretenir de liens particuliers à la fin du
Moyen Âge. Enfin, ce texte invite, comme le précise Pina Belli D’Elia, à réunir des épisodes
bibliques et des épisodes de la légende michaélique, toutes relatives aux interventions de
Michel.
Jacques de Voragine évoque également certaines actions de l’archange dans d’autres vies de
saints, notamment dans la mort de la Vierge2100, parfois représentée dans notre corpus2101, et
dans la vie de saint Laurent, où il est question d’une pesée des actions à la mort d’Henri II, et
où Michel porte la balance. Le lien entre ce passage et les peintures murales du narthex de
San Lorenzo Fuori le mura de Rome, est indéniable, mais reste un cas isolé2102.
Si la Légende dorée ne fournit pas nécessairement de thèmes iconographiques nouveaux, à
part dans le cas de la vie de saint Laurent, elle constitue une compilation importante des
différentes interventions de l’archange de tout temps.

2095
DE VORAGINE, 1967, pp. 234-236.
2096
DE VORAGINE, 1967, pp. 237-239.
2097
DE VORAGINE Jacques, La Légende Dorée, Paris, Flammarion, 1967, p.240.
2098
BELLI D’ELIA, 1994, p. 585.
2099
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint
Michel.
2100
FRUGONI, 2010, p. 279.
2101
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts.
2102
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts.
689
Aux derniers siècles du Moyen Âge, la pesée devient plus courante dans les écrits,
comme instrument d’évaluation des mérites des hommes. Le Pèlerinage de l’âme du
cistercien Guillaume de Diguleville (vers 1355) propose le récit d’un procès de l’âme sous
une forme judiciaire très élaborée, qui se déroule sous l’autorité de Michel, qualifié de
« prévôt » et de « lieu Dieu tenant »2103. La balance est bien présente, mais son résultat est
transcendé par l’intervention du Christ. Notons que nous sommes ici au milieu du XIVe siècle,
à un moment où l’image de l’archange porteur de balance est déjà largement diffusée.
Contrairement aux représentations peintes, ce texte permet de nuancer les résultats trop nets
de la pesée par l’intervention de différents acteurs, dont le Christ. L’archange est clairement
ici celui qui déclare la sentence et surveille le bon déroulement du procès religieux, comme
c’est souvent le cas dans l’iconographie italienne. Pour autant, une nouvelle fois, cet épisode
n’est pas représenté précisément dans notre corpus, et n’est en lien avec l’iconographie que
comme support parallèle de la définition du rôle de Michel dans le destin des âmes. Il semble
ainsi que le motif de la balance se soit ainsi développé parallèlement dans les textes et dans
les images, sans que l’on puisse établir de prééminence de l’un des supports sur l’autre.

Le récit de visions de l’au-delà est toujours un thème prisé à la fin du Moyen Âge,
comme en témoigne le plus célèbre : la Divine Comédie de Dante. Dans ce texte, les anges ont
une place importante au paradis, et sont particulièrement éclatants 2104, alors qu’ils ne sont
presque jamais évoqués dans le séjour en enfer. Seul Michel apparaît dans ce Cantica. Le
messager divin qui vient ouvrir la porte de la cité de Dité (sixième cercle)2105, n’est pas
nommé, mais largement identifié comme Michel, par la critique2106. Au chapitre VII de
l’Enfer, aux versets 10 et 11, il est écrit que « Michel vengea le superbe adultère ». Cette
référence à la chute des anges rebelles est importante pour nous, puisqu’elle insiste sur un
aspect important que l’on retrouve dans l’iconographie : Michel n’est pas ici ni un guide, ni
un accompagnateur des défunts, mais il est évoqué dans son caractère punitif et vengeur.
Cristina Sereno explique que, dans le corpus littéraire qu’elle a étudié, Michel est loin d’être
toujours la figure protectrice et bienveillante que l’on retrouve dans les récits de voyages dans
l’au-delà du Haut Moyen Âge. Plusieurs textes relatent des vengeances de l’archange contre
des impies ou des pécheurs, comme dans un écrit d’Adémar de Chabannes, au XIe siècle, qui
compare le prieur de l’abbaye de Saint-Michel-de-la-Cluse, Benoît, à un loup déguisé en

2103
Au verset 2212 ; voir BASCHET, 1995, p. 178.
2104
Joseph Duhr relève qu’ils sont, dans le texte florentin, d’une « indéfinissable splendeur, comme des oiseaux
célestes tout éblouissants de lumière dont l’œil ne peut supporter l’éclat, comme des étincelles du Saint-Esprit » ;
las anges apparaissent « comme des millions d’ondes qui scintillent dans un fleuve : « Je vis une lumière, en
forme de fleuve… de ce fleuve sortaient des étincelles qui se mêlaient aux fleurs des deux rives et leur donnaient
le brillant de rubis entourés d’or ; puis se rejetaient successivement dans le gouffre merveilleux tandis que
d’autres sortaient à leur tour. » ». Plus loin, il les décrit comme des cercles de feu qui tournent autour de Dieu
d’un mouvement si rapide qu’en comparaison la vitesse vertigineuse des mondes n’est que lenteur ; ou même des
« abeilles célestes ». D’après le Chant XXX du Paradis, dans DUHR, t. I, 1937, p. 619.
2105
Enfer, IX, 64-105.
2106
SERENO, 2011, p. 73.
690
agneau, ou à un dragon que Michel doit précipiter en enfer 2107. D’autres épisodes mettent
directement l’archange en scène en train de punir les fautifs, comme dans la Vita Benedicti
abbatis Clusensis2108. Ces exemples semblent s’accorder avec plusieurs images de notre
corpus, qui montrent un archange vengeur et punisseur. Bien sûr, Michel n’a pas toujours ce
caractère et il faut même noter une certaine réhabilitation de la miséricorde archangélique par
la pensée franciscaine. Saint François estimait en effet que Michel, à qui il vouait un culte
particulier, en tant que représentant des âmes, devait favoriser le salut du genre humain devant
Dieu2109. Il lui adressait notamment cette prière à la fin de l’Exhortation à la louange de
Dieu :
« Saint Michel archange, défends nous dans le combat ! »2110.
Il est aussi clairement le protecteur de plusieurs épisodes au Mont-Saint-Michel, par exemple.
Mais la fonction de guerrier et le rôle de l’archange dans l’au-delà, comportent un aspect
punisseur important dans la littérature du Moyen Âge, en lien avec certaines des peintures
étudiées.
Qu’il soit punisseur ou protecteur, deux fonctions loin de se contredire, Michel est de toute
façon, le guerrier par excellence, dans les images, comme dans les textes de la fin du Moyen
Âge en Italie. Des prières du XVe siècle, provenant de recueils de la Sacra, le définissent
comme un custos animarum, et lui donnent également plusieurs qualificatifs militaires2111.
Cristina Sereno précise que le culte de Michel correspond davantage à une « santità
umanizzata »2112, où il est, en général, dans la littérature du début de l’époque moderne, celui
qui doit être invoqué pour obtenir le pardon des péchés et la vie éternelle, et pour se faire
défendre des attaques du mal. Il assure, en outre, une protection contre les maladies, les
accidents et les catastrophes naturelles. Il est clairement un être supérieur mais pas
nécessairement détaché de l’homme. À cette période, ses interventions textuelles restent
généralement positives, ce qui n’est clairement pas toujours le cas dans les images du
Quattrocento. Comme dans les peintures, sa nature est largement simplifiée dans les textes :
les aspects thaumaturge et psychopompe deviennent largement secondaires, notamment dans
les écrits centres-italiens, au profit d’un caractère essentiellement guerrier2113. Les textes
semblent donc corroborer la simplification iconographique observée à partir du XVe siècle, et
marquée par une militarisation totale de la figure michaélique.

Rappelons ainsi que le christianisme n’est pas seulement une religion de la révélation
écrite, mais qu’elle laisse une place importante aux traditions orales et iconographiques. C’est
bien ainsi, par exemple, l’image des apparitions de l’archange qui font des textes des

2107
Dans Epistola de Apostolatu sanctis Martialis, cité dans SERENO, 2011, p. 78.
2108
SERENO, 2011, p. 79.
2109
À propos de la vision franciscaine de la mission de l’archange, voir SERENO, 2011, p. 80 et en particulier
les notes 32, 33 et 34.
2110
Exhortation à la louange de Dieu, 17, pp. 332-333, cité dans VAUCHEZ, 2007, p. 347
2111
SERENO, 2011, p. 88.
2112
SERENO, 2011, p. 88.
2113
SERENO, 2011, p. 89.
691
fondations des sanctuaires, de véritables Vitae de saint Michel. Le christianisme est, en
définitive, une religion de la révélation audio-visuelle.
Le champ textuel n’a pas favorisé une iconographie narrative abondante pour l’archange. Le
champ pictural a d’ailleurs largement privilégié l’acteur de la psychostasie, quand la
littérature faisait de l’archange un psychopompe. L’iconographie de Michel a surtout
reproduit les grands thèmes génériques, dont la ductilité était assurée par l’universalité des
messages qu’ils véhiculaient. Les textes ont permis la définition du caractère de Michel, et
surtout celle des missions qu’il exécute (guerrier, action près des âmes) et celle de son
domaine d’intervention (au-delà), aspects qui sont largement repris dans la peinture italienne.
Les écrits confirment le rôle punitif de l’archange, que nous avions observé dans plusieurs
peintures italiennes et que nous analyserons dans une prochaine partie2114. La simplification
de la figure de Michel à travers son caractère de combattant, se lit parallèlement dans les deux
champs évoqués ici. Nous pensons donc, comme Cristina Serena, que si la polysémie du culte
de Michel existe bien à la fin du Moyen Âge, elle est davantage diachronique2115.

I.1.3. Les mots dans l’image : la question de la notoriété de Michel

La relation entre texte et image peut également se réaliser à l’intérieur même du


champ figuratif, par l’insertion de mots peints. Dans notre corpus, les mots n’ont pas une
place primordiale. Au XIIIe siècle, l’inscription du nom de l’archange est encore régulière
(dans environ un tiers des images répertoriées2116), mais correspond à un usage classique du
texte dans l’image à cette période, qui consiste à accompagner la figure peinte de son nom. Le
mot a ici la même fonction que l’image : définir une figure présentée aux fidèles, en levant les
doutes possibles sur son identification2117. Au début du XIVe siècle, cette pratique est encore
courante, puis perdure ponctuellement pendant toute la période étudiée. Les formes du nom
peuvent varier sensiblement2118, mais le nom « Michael » est presque toujours accompagné du
qualificatif « saint » et seulement parfois de celui d’ « ange » ou d’ « archange ».

2114
Voir à ce propos, la partie suivante : chapitre 3. II. 2.3. Une image violente : une participation émotive par la
brutalité et une justification religieuse d’une certaine violence.
2115
SERENO, 2011, p. 89.
2116
Michel est nommé dans 12 peintures sur les 39 du Duecento, ce qui correspond bien sûr à un minimum si
nous tenons compte des images où l’inscription n’a pas été conservée, ou n’est pas aujourd’hui lisible sur la
reproduction que nous possédons.
2117
RUSSO, 2007, p. 10.
2118
Les différentes formes observées dans notre corpus sont : S. MICHAEL ; SCS MICCHAEL (?) ; S
MICHAEL ; SANCTUS . MIKA/EL . ARCANGIELUS ; S(ANCTUS) MICHEL ; SANCTUS MICHAELIS ;
Angelus potentia Dei Mi(chael); S. MICHAEL) ARC(H)ANGELUS; S. MICHAEL; ANGELVS (avec les 2
archanges) ; "[sanctus ang] ELUS MICAEL ; S. ANGELVS MICHAEL ; "S. ANGELUS" ; (Sctus) Michael
Arcangelus ; ARCHANGELUS MICHAEL ; S. MICHAEL ; S. MIKAEL ; S. MICHAEL ; SCS. MICHAEL ; S.
MICHAEL ; S. MKEL (?)
692
L’inscription du nom de l’archange peut être déterminante dans son identification. Dans la
peinture murale du monastère Sacro Speco de Subiaco, l’ange qui se trouve au-dessus de
l’image - plus tardive - du Christ de pitié, ne possède pas de caractéristiques formelles nous
permettant de reconnaître Michel. D’autant que, si la dalmatique et le pallium sont parfois
revêtus par l’archange, ce n’est pas du tout le cas de l’encensoir porté dans la main droite.
Ainsi, c’est la présence du texte, écrit en lettres blanches sur le fond foncé, qui fait de cet
ange, un saint Michel, qui est en plus ici un « PREPOSITUS PARADISI » à qui est portée la
prière « ESTOTE MEMORES NOSTRI ». Ce texte n’est pas seulement un moyen de
reconnaître l’archange, mais a également la forme d’une prière récitée par celui qui l’a faite
réaliser, et apparaît ensuite, dans un deuxième temps, comme le support de nouvelles prières,
récitées par le fidèle lisant ces lignes.
Sur le bouclier de l’archange agenouillé aux pieds d’un Christ en Majesté d’une peinture
murale déposée d’Arezzo, ce n’est pas le nom de Michel qui apparaît, mais l’expression
« POTENTIA DEO », indiquant que les armes présentées par l’archange, sont au service de
Dieu seul, d’autant que c’est sur l’arme défensive que se situe l’inscription, marque que la foi
en Dieu protège le fidèle. L’inscription des mots apparaît ici comme l’indication même de ce
qu’est censée représenter ce bouclier : la puissance de Dieu. La présence du texte est ici
toujours liée à la définition de la figure archangélique, même si, sans le nommer, il indique
l’une des caractéristiques de sa mission, qui est celle d’être au service de Dieu et de
représenter sa puissance.
Plusieurs inscriptions ne semblent pas concerner directement la figure archangélique. C’est le
cas des textes peints qui indiquent l’identité du commanditaire, du peintre, et / ou la date de
l’exécution et les raisons de la réalisation d’une peinture. Pourtant, certains de ces écrits
peuvent directement entrer en résonnance avec la figuration de Michel. Dans le polyptyque de
Mariotto di Nardo, l’inscription « HOC OPUS FECIT FIERI NICOLAUS ROBERTI DE
DAVANZATIS PRO ANIMA SUA ET SUORUM ANNO MCCCCXVI », ne fait pas, à
priori, référence à l’archange. Pourtant, Niccolò Davanzati, le commanditaire de la peinture, a
clairement fait réaliser cette image pour son âme. La présence de l’archange, juste à côté du
panneau central portant une représentation de la Trinité, prend alors une valeur
d’accompagnateur des âmes, et l’épée est au service de la protection des routes « extra-
terrestres », comme le souligne la présence du globe surmonté d’une croix qu’il porte dans la
main gauche. L’action guerrière de Michel n’est donc pas ici simplement circonscrite au
combat contre le dragon déjà vaincu à ses pieds, mais est également clairement au service des
âmes des hommes, et plus particulièrement ici, d’un homme, Niccolò Davanzati. Rien ne
diffère ici dans le type iconographique et la représentation de l’archange, par rapport à
d’autres peintures de vainqueur du dragon, mais l’inscription déplace l’action de Michel d’un
combat général et universel à une protection personnelle du défunt.

693
Frate Francesco, Chirst de Pitié Giovanni d’Agnolo di Balduccio, Mariotto di Nardo, Trinité et saints,
et saint Michel, Subiaco, Sacro Christ en gloire et saints, Arezzo, Florence, Santa Trinità, peinture sur
Speco, peinture murale, 1e ½ du Museo Statale di Arte Medievale panneaux, 1416.
XIIIe. e Moderna, peinture murale
déposée, 1e ½ du XVe.

Les inscriptions accompagnent rarement les épisodes narratifs de notre corpus. Dans la
chapelle des Reliques du Duomo de Sienne, l’image, très altérée, peinte par Venedetto di
Bindo entre 1409 et 1412, représentant l’Apparition de Michel sur le Mausolée d’Hadrien,
comporte une inscription encore lisible :
« [Com]E DIO LIBERO ROMA DA LA PISTOLENCIA PER LI MERITI E INTERCIESIONI
DI S[an]C[t]O GREGORIO PAPA E DEL SVO CHERICATO ANDANDO A PROCI[ssione ...
Ver]GINE MARIA ».
Ce texte explique bien les raisons de cette représentation, mais ne fait pourtant aucune
référence à l’archange. Les véritables protagonistes de la scène sont Dieu, et saint Grégoire,
comme en atteste la taille importante du motif de la procession. Mais l’archange, qui apparaît
comme une petite silhouette lointaine, n’intervient dans l’image que comme justificateur de
cette cérémonie religieuse exceptionnelle. La relation entre motifs peints et récit s’organise
comme si la peinture prenait ici le relais du texte pour compléter le récit commencé par les
mots, et alors terminé par l’image.
À la fin de la période étudiée, les mots prennent une place grandissante dans les
représentations de l’évaluation des hommes, et viennent, de plus en plus souvent, remplacer le
motif corporel des âmes, apparaissant sous la forme de petits hommes nus. Dans la peinture
murale d’Albenga, ce sont des lettres qui prennent place dans les plateaux : un « m » pour
malum et « b » pour bonum. L’usage des lettres permet de figurer plus logiquement le
jugement des bonnes actions par rapport aux mauvaises, d’un seul et même homme, et non
pas d’une âme par rapport à une autre. Mais la lettre, ici insérée, ne fonctionne pas comme
une inscription destinée à informer le fidèle, mais bien comme un véritable objet, auquel
s’appliquent les règles propres de la figuration, comme le volume et l’insertion dans l’espace.
L’association de l’écrit à proximité de l’archange du jugement peut ainsi servir la narration,
qu’il soit présent sous la forme de lettres pesées, ou de notes, consignées dans des livres
portés par des anges, comme on peut le voir dans la même peinture 2119. L’évaluation des

2119
Ou, par exemple, dans la peinture murale du narthex de San Lorenzo Fuori le mura à Rome, à la fin du XIIIe
siècle. Ce thème jouit d’un succès particulier à partir du XVe siècle en France.
694
hommes passe par une comptabilité écrite, largement liée aux évolutions de l’activité
économique de l’Italie des XIV et XVe siècles.

Tommaso e Matteo Bisaci, Jugement dernier (détail), Albenga San Bernardino, peinture murale, 1483.

L’insertion de mots dans le champ figuratif se fait, en général, de manière plus naturaliste à
partir du XIVe siècle et révèle un changement de conception du rapport entre mot et image,
mais surtout entre image et réel.

Daniel Russo précise que l’inscription du nom près d’une figure sainte, dans les
témoignages artistiques produits pendant et après la crise iconoclaste, participait à lui retirer
« son autonomie illusoire en introduisant dans le champ de la représentation l’avertissement
que le modèle et sa reproduction ne font qu’un pour le sens et l’appellation »2120. Outre l’aide
à l’identification de la figure, le mot avait également pour fonction d’éviter les risques
d’idolâtrie. Ce « phénomène d’homonymie » était donc central en plein Moyen Âge et
particulièrement adapté aux types formels de représentation du divin, permettant à l’image
d’acquérir clairement une valeur de signe2121.
Aux XIIIe et au début du XIVe siècle, le nom de Michel, comme celui des autres saints, est
encore ajouté artificiellement dans le champ de l’image même, inscrit sur le fond, à proximité
de la tête du personnage à nommer, ou dans les bandes peintes qui servent de cadre à l’image.
Au cours du Trecento, il est plus volontiers inscrit dans les sols ou les bases peintes qui
servent de socles aux figures, ou parfois sur de petits cartels peints 2122. Le texte ne « flotte »
plus souvent dans le fond. À une période où la présentification des personnages saints est au
centre des préoccupations et des nouvelles techniques mises en œuvre par les peintres de la
Renaissance, si le mot apparaît, il ne peut plus venir troubler la plausibilité de l’image. Au
XVe siècle, dans notre corpus, le mot devient un motif à part entière dans l’image et s’insère
de manière naturaliste à l’ensemble. Le nom, la nature de la mission de l’archange, les
informations relatives au commanditaire ou au peintre, sont désormais des éléments inscrits
sur des objets, ou transformés eux-mêmes en objet, comme dans la peinture d’Albenga que
nous venons d’étudier. La forme la plus courante d’inscription nominative, est celle qui
apparaît dans le nimbe des saints, comme dans le Gonfalone de Pérouse. Un seul motif

2120
RUSSO, 2007, p. 10.
2121
RUSSO, 2007, p. 10.
2122
Comme, par exemple, dans le panneau de Bartolomeo della Gatta, réalisé dans les années 1480, et conservé à
Castiglion Fiorentino, à la Pinacoteca Comunale.
695
regroupe ainsi deux informations capitales sur la figure : sa qualité sainte, et son nom. Le
phylactère permet, en général, de développer une phrase complète, qui apparaît comme les
mots dits par le personnage qui le porte. Dans le panneau de Marco d’Oggiono, la banderole
tenue par Michel comporte l’inscription :
« EGO SVM MICHAEL ARCHANGELUS QVI IN CONSPECTV DEI SEMPER A SISTO »
Ce texte insiste sur la fidélité de Michel à Dieu, et agit en même temps comme une
exhortation aux fidèles à faire de même, en luttant contre le mal, dont le combat est rappelé
par les armes et le démons, afin de parvenir au salut, évoqué par la balance. Les mots peints
permettent de lier ici les attributs autour d’un sens commun.
D’une manière plus originale, les mots peuvent prendre place sur la figure même de
l’archange, comme brodés sur ses vêtements. Dans l’encolure du saint Michel peint par
Francesco Bissolo au début du XVIe siècle, le nom de « MICHA EL » apparaît. Nous avons
déjà évoqué la présence de l’inscription sur le bord inférieur du plastron de Michel, peint par
Piero della Francesca - « ANGELUS POTENTIA DEI MI(CHAEL) » - pour justifier la
présence de certaines pierres précieuses sur son vêtement2123. Là encore, les mots nomment et
caractérisent l’archange par rapport à Dieu. Elle met en avant sa fonction principale, sa place
privilégiée auprès de Dieu et également l’entière soumission de ses actes guerriers, à la
volonté divine.
Ainsi, pour contrer le décalage entre le mode d’agissement du texte et celui de l’image, et
sans pour autant léser l’aspect symbolique et l’efficacité de l’image, les mots peints prennent
place dans l’espace pictural, comme tout autre motif, et s’inscrivent dans le cadre de l’image
selon les mêmes modalités que les éléments figuratifs. Tous les signes figurés, y compris les
lettres et les mots, prennent à présent un aspect naturaliste, pour qu’aucun ne trouble l’aspect
plausible de la représentation. C’est, une nouvelle fois, le rapport au monde créé qui
transforme le signe textuel en motif figuratif.

Mariano d’Antonio Marco d’Oggiono, saint Francesco Bissolo, Vierge à Piero della Francesca, saints
et Benedetto Michel (détail), Vérone, l'Enfant, saints et donateurs, (détail), Londres, National
Bonfigli, Vierge de Galleria Menaguale, Londres, National Gallery, Gallery, peinture sur
Miséricorde et peinture sur panneaux, 1e huile sur bois, 1500-1525. panneaux, 1470.
saints, Pérouse, ¼ du XVIe.
Oratoire San
Bernardino,
« gonfalone », 1464.

Michel n’est, pour autant, pas souvent nommé dans les peintures de notre corpus. Si la raison
première est certainement l’affaiblissement de cette pratique dans la peinture italienne de la

2123
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.1.4. Les attributs secondaires.
696
fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, il est également possible d’y lire un
certain succès de la figure archangélique. Comme le précise Jean-Philippe Antoine,
« l'absence d'inscription se justifie par la capacité qu'a l'image d'être lue de tous sans aucun
secours »2124. Si tout le monde pouvait reconnaître une figure de saint ailé et armé, comme
saint Michel, alors il n’y avait aucune raison d’indiquer son nom dans le champ pictural, si ce
n’est pour unifier la composition. Le mot qui accompagne l’image n’est donc pas fondamental
dans l’identification de sa figure. À ce titre, la relation qui unit le texte dans le cadre de
l’image, correspond à celle qui existe entre l’image et ceux qui la créent, et surtout qui la
pratiquent.

I.2- La commande

L’évocation de la destination des peintures à travers les inscriptions nous mène


naturellement à se questionner sur la commande des images de Michel, puis, dans un second
temps, à s’interroger sur les raisons qui poussent un homme à faire représenter l’archange.
Car les figures représentées sont aussi bien le reflet des choix des commanditaires, que du lieu
et du contexte qui l’accueille, ou que la fonction que l’on veut donner à l’image. Le succès de
la figure de saint Michel et l’universalité du message qu’il véhicule font de l’analyse de ses
commanditaires une chose malaisée. En effet, l’archange est représenté souvent, dans des
contextes très variés et par des commanditaires différents, avec une iconographie assez peu
variable. Nous tenterons alors de dresser une typologie de ces commandes à travers l’exemple
de quelques peintures dont le contexte de réalisation est bien connu.
Cet aspect de la création peut être connu à travers diverses sources, il peut exister des
documents écrits d’époque documentant la peinture, des contrats d’origine, qui donnent
parfois des informations sur l’iconographie et la destination de la peinture, des inscriptions sur
ou à proximité de la représentation. La localisation des peintures peut également être
signifiante, ainsi que l’iconographie qu’elles portent, soit parce que les personnages ou les
saints représentés sont caractéristiques d’un type de commanditaire, soit parce que le
commanditaire s’est fait lui-même représenter dans le champ figuratif. Les deux premiers
aspects – la conservation d’écrits - sont relativement fiables mais rares, et nécessitent des
recherches poussées impossibles à réaliser pour un corpus de plus de cinq-cents images. La
question de la localisation et de l’iconographie est plus abordable à notre niveau, mais il faut
alors se méfier de l’amalgame entre commande et destination. Le choix de l’iconographie
notamment, dépend de la nature du commanditaire, mais également des raisons de la
réalisation de cette peinture (traitées dans le II. du 3e chapitre), et des utilisations à laquelle
elle sera destinée (traitées dans le III du 3e chapitre). Nous traiterons ici les différents types de
commanditaires en fonction de leur état, et de leur statut politique ou social.

2124
ANTOINE, 1988, p.572.
697
I.2.1. Typologie des commanditaires de saint Michel

I.2.1.1. Les prélats

Les prélats sont des commanditaires réguliers des images de l’archange. Les abbés
semblent être à l’origine de plusieurs commandes destinées à orner les murs des églises
abbatiales, ou d’autres parties du monastère. La Sacra di San Michele porte ainsi plusieurs
représentations de Michel, commandées en partie par l’abbé Urbain de Miolans, ce qui n’est
guère étonnant puisque l’abbaye est dédiée à l’archange. À Pomposa, l’abbé Andrea a fait
représenter trois fois Michel dans le programme pictural : dans l’abside, la nef et sur la
contre-façade. Les différentes interventions guerrières de l’archange sont reprises ici : son rôle
dans la naissance du mal, par une figuration de la Chute des anges rebelles ; son rôle dans
l’accession directe des saints auprès de Dieu, puisqu’il porte la balance devant un cortège de
saints aux pieds du Christ en gloire dans la conque absidiale ; et son rôle à la fin des temps,
avec la représentation du Jugement dernier. Pour le commanditaire, Michel semble être une
figure clé des grands moments de l’Histoire du christianisme, un vecteur entre les diverses
luttes contre le mal qui jalonnent l’histoire du monde.
L’huile sur toile peinte par le Pérugin, en 1500, pour l’abbaye de Vallombrosa2125, ayant pour
thème principal une Assomption de la Vierge, ne laisse planer aucun doute sur le
commanditaire puisque l’abbé général, Biagio Milanesi, a fait représenter son portrait de
profil, accompagné de celui de son diacre Don Baldassare, aux extrémités d’une prédelle dont
les autres panneaux ont été perdus2126. Mais, davantage qu’une figure choisie directement par
le commanditaire, la présence de Michel est, sans doute, ici liée au fait qu’elle est un motif
privilégié de l’atelier du Pérugin, qui a représenté au moins quatre fois l’archange avant 1518.

Le Pérugin, Assomption et saints, Florence, Galleria dell’Accademia, huile sur toile, 1500.

2125
Et aujourd’hui à la Galleria dell’Accademia de Florence.
2126
Il existe également un contrat attestant de cette commande, voir TEZA, 2004, p. 371 et GARIBALDI et
MANCINI, 2004, notice p. 252.
698
La commande d’images de Michel dans les cathédrales est également courante, mais, en tant
qu’église urbaine, il est souvent difficile de délier ce qui est le fait du choix de l’évêque, de
laïques commanditaires ou de d’autres groupes d’hommes pouvant investir une partie de
l’édifice pour l’orner des images des saints qui leur sont chers. L’universalité de l’image de
l’archange ne nous aide pas dans cette analyse. La peinture du Maestro del Vescovado pour le
monument funèbre de Ciuccio di Vanni Tarlati di Pietramala (1334), par exemple, bien que se
trouvant dans la cathédrale d’Arezzo, ne semble pas, à première vue, émaner d’une
commande épiscopale. Pourtant, le défunt était le cousin de l’évêque Guido Tarlati, qui, s’il
n’a pas directement commandé la peinture, a autorisé son implantation dans l’espace du
Duomo. Rappelons également la présence d’une représentation de l’apparition de Michel sur
le Mausolée d’Hadrien à Rome, dans la sacristie du Duomo de Sienne. Nous venons
d’observer dans la partie précédente sur les inscriptions, l’importance accordée au cortège du
saint évêque de Rome, Grégoire le grand, véritable protagoniste de la scène, peinte dans un
endroit réservé aux officiants, et principalement à l’évêque, qui a certainement commandé
cette peinture. C’est encore des épisodes d’apparition de l’archange qui sont choisis pour
orner la chapelle funéraire du Cardinal Basilio Bessarione, dans la basilique dei Santi XII
Apostoli de Rome. Nous reviendrons sur la signification politique de ce programme dans la
partie suivante, mais notons simplement ici que les légendes michaéliques sont centrales dans
ce programme commandé par le prélat byzantin, même si, une fois de plus, c’est davantage le
cortège religieux, et le saint évêque qui est mis en avant, plus que l’archange.
Ces épisodes d’apparition de Michel, aussi ponctuellement soient-ils présents dans notre
corpus, sont largement prisés par les évêques. Mais l’apparition de l’archange, au Mont
Gargan, à Rome ou au Mont-Saint-Michel, n’est qu’un motif justifiant la représentation de la
procession épiscopale. Le véritable sujet de ces peintures commandées par les prélats, est la
cérémonie processionnelle conduite par un saint évêque (saint Laurent, saint Grégoire ou saint
Aubert), figurant au centre de ses fonctions, et de son pouvoir. Ces images sont un moyen de
figurer l’organisation religieuse et sociale de la communauté, à travers la disposition des
différents groupes de personnages, au sein d’un événement où tous les fidèles sont
subordonnés au pouvoir de Dieu, mais surtout au pouvoir de son représentant sur terre,
l’évêque. L’image sert ici à légitimer l’autorité épiscopale qui s’inscrit de manière forte dans
le territoire terrestre.
La commande du cardinal Giuliano della Rovere, futur pape Jules II, au Pérugin, est plus
difficile à interpréter. L’ensemble de la composition est empreinte d’un grand sentiment de
recueillement de tous les personnages représentés, autour du Christ-Enfant ou du Christ en
croix. Nouvelle représentation de Michel dans une peinture du Pérugin, sa figure entre
pourtant ici en résonnance avec le saint qui apparaît en pendant sur le panneau droit du
polyptyque. Il s’agit de saint Georges, qui insiste ainsi sur le caractère guerrier de Michel.
Peut-être pouvons-nous voir dans cette peinture une illustration de la soumission de la classe
guerrière à Dieu, et ainsi à l’Église ? D’autant que les deux saints soldats sont agenouillés,
alors que les deux autres saints sont debout.

699
La Dormition de la Vierge qui se trouve au Musée du Petit Palais d’Avignon 2127, pourrait être
une commande de l’entourage proche du pape, car la connaissance nécessaire de l’épisode
apocryphe de Jéphonias, rarement représenté dans l’iconographie chrétienne, atteste d’une
conception et / ou d’une destination de cette image par et pour un public lettré.
Enfin, la toile peinte par Raphaël en 1518, est une commande papale, de Léon X, pour l’offrir
au roi de France, François Ier, à l’occasion du mariage de Laurent de Médicis, neveu du pape,
avec Madeleine de La Tour d’Auvergne. Le roi de France était alors grand-maître de l’ordre
de Saint-Michel et l’archange était le saint patron du Royaume de France. L’image de Michel
réaffirme ainsi l’alliance – sacrée et guerrière - de la France et de l’Église, tous deux protégés
par l’archange, et défenseurs de la foi, dans une lutte commune contre le mal : les Turcs.
Les commandes attestées de l’image de Michel par les prélats, se greffent en général d’une
utilisation plus politique de la représentation du guerrier ailé.

I.2.1.2. Les autres religieux

Les autres commandes de religieux, sont encore plus difficiles à étudier, car la position
sociale moindre de ce type de commanditaires, qui s’accompagne d’une qualité parfois moins
importante des peintures, ne favorise pas la connaissance des conditions de réalisation de ces
images, même si cela n’est pas une règle générale. Les images des églises paroissiales
peuvent en effet être commandées par le prêtre, mais également par la communauté ou un
riche bienfaiteur laïque. Les commandes sont, bien sûr, plus courantes pour les églises placées
sous la protection de l’archange. La Vierge à l’Enfant entourée de saints, peinte par Niccolò di
Liberatore, en 1499, comporte une inscription, sur le pied du pilastre, qui indique clairement
que le commanditaire était Don Benigno di ser Marino da Spello, prêtre de l’église
Sant’Angelo de Bastia. Cette image aurait été commandée pendant une période de faste
économique de la commune de Bastia Umbra, due à la domination de la famille Baglioni de
Pérouse (1431-1572)2128. Elle est bien une œuvre commandée personnellement par le prêtre,
« per l'anima sua e per sua devotione »2129, mais dans une église dédiée à l’archange.
Dans les monastères, l’intérêt pour la figure de Michel peut parfois se justifier par une
dévotion particulière portée par l’ordre, ou certains de ses représentants. Les quelques images
de Michel qui apparaissent en contexte clairement augustin, peuvent s’expliquer par
l’importance des interrogations sur la liberté des hommes, les péchés et ses répercussions sur
l’au-delà dans la pensée de saint Augustin. Il faut d’ailleurs noter l’importance de la balance
dans ce type d’images, qui pourrait confirmer cette hypothèse, comme, par exemple, dans le
médaillon déposée au Museo Civico de Trévise, peint par Tomaso da Modena vers 1355-

2127
Réalisée par un ou plusieurs proches de Matteo Giovannetti, peinture sur panneaux, dernier quart du XIVe
siècle.
2128
A propos de cette peinture, voir MERCURELLI SALARI, 2004; BENAZZI et LUNGHI, 2004, notice 33,
pp. 241-243.
2129
Suite de l’inscription se trouvant sur le pilastre.
700
1366, pour l’église augustinienne de Santa Margherita ; la Vierge à l’Enfant et archanges,
peinte sur panneaux par Carlo da Camerino vers 1405, conservée à Cleveland, Art Museum,
et commandée par un frère augustin, Fra’Agostino Rogeroli ; ou le « polyptyque de Cellino »
peint par Jacobello del Fiore, en 1424-1430, qui se trouve au Museo Nazionale d’Abruzzo,
mais qui se trouvait à l’origine dans l’église de Santa Maria la Nuova di Cellino Attanasio, et
était également une commande augustinienne. Pour saint Augustin, la chute de l’âme, « revêt
un aspect intensément personnel: il la voit comme un champ de bataille dans le cœur de
chaque homme, une faiblesse torturante qui l'a forcé à se fuir lui-même »2130. C’est également
pour cela que l’image du guerrier céleste en lutte contre son adversaire est particulièrement
bien adaptée dans ce contexte. Pourtant, ces éléments sont ceux que l’on retrouve, de toute
façon, le plus souvent dans l’iconographie de Michel, et ne constituent pas ainsi une
particularité augustinienne. D’ailleurs ces aspects de la pensée de saint Augustin ont une
répercussion importante dans la pensée des ordres mendiants, eux-mêmes commanditaires
d’images de l’archange.

La commande des ordres mendiants, principalement dominicain et franciscain, est


notable dans notre corpus. Il ne faut cependant pas sur-interpréter cette observation. En effet,
c’est toujours la popularité de l’archange, et l’universalité du message que véhiculent ses
représentations, qui participent au développement de son iconographie, d’autant que les
adeptes de saint Dominique et de saint François ont largement utilisé l’image, et notamment
la peinture, comme support de dévotion privilégié dans leurs lieux de culte. Le rôle de
l’archange auprès des âmes et au moment de la fin des temps, possède une résonnance
importante pour les frères vivant dans le monde, qui ont pour mission première
d’accompagner tous les fidèles laïques au salut.
Nous n’avons pas remarqué de particularités iconographiques pour la figure de saint Michel
en contexte dominicain2131. Pour le contexte franciscain, il faut rappeler l’importance de la
dévotion de François à l’archange, dont nous avons déjà parlé2132, et qui se lit principalement
dans la présence conjointe des deux saints autour d’images du Crucifié2133. Il faut également
noter une proportion importante des images narratives de Michel dans les programmes
iconographiques franciscains2134, notamment à travers les deux cycles dédiés à l’archange à
Santa Croce de Florence et à San Francesco d’Arezzo. Ce développement de la mise en scène
de l’action michaélique, est directement lié à la fonction didactique donnée à l’image par
l’ordre, qui recouvre toutes ses églises de peintures, et qui incite les fidèles à une participation
émotive aux épisodes saints, à travers le média figuratif.

2130
BROWN, 2001, p. 220.
2131
Qui comporte une vingtaine de peintures, clairement reliée à un contexte dominicain.
2132
À propos de la vision franciscaine de la mission de l’archange, voir SERENO, 2011, p. 80 et en particulier
les notes 32, 33 et 34.
2133
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.1.2.2. L’association de Michel et du crucifié ; et le chapitre 2. II. 3.1.2.
Saint Michel et le Christ.
2134
Sur la trentaine d’images clairement reliée à un contexte franciscain, plus d’un tiers sont narratives.
701
Si nous avons ici distingué les types de commande en fonction de l’état des commanditaires,
il faut préciser qu’il n’existe pas nécessairement de différences fondamentales entre la
commande religieuse et la commande laïque, souvent réunies sous le toit des mêmes églises,
et utilisant, dans le cas de l’image michaélique, les mêmes types iconographiques.

I.2.1.3. Les laïcs

Les laïcs sont également de grands commanditaires de la figure de Michel et, c’est eux
que l’on retrouve principalement représentés à genoux aux pieds des saints dans les images.
Ces commandes émanent avant tout de la noblesse et des fonctionnaires, mais également des
rois. Charles IV, roi de Bohème, fait exécuter en 1355-1359, par Tomaso da Modena, une
Vierge à l’Enfant et un Christ de pitié au-dessus desquels on retrouve Michel et
Gabriel2135. Ferdinand Ier de Naples, roi de Sicile, se fait représenter aux pieds de ces saints
protecteurs, les saints Michel et Nicolas, pour remercier la Vierge du registre central, dans un
triptyque de Lacedonia2136. La noblesse est également bien représentée dans notre liste de
commanditaires. François II Gonzague, marquis de Mantoue, condottière au service du duc de
Milan, a fait réaliser par Andrea Mantegna, une huile sur toile dans laquelle il se fait
introduire, sous la forme d’un portrait peint, auprès de la Vierge par l’archange 2137. Le comte
Neri di Porciano, fait représenter l’archange en pied dans l’un des panneaux de son triptyque,
peint par Bicci di Lorenzo (1414), qui met également Michel en scène dans l’épisode du
taureau de la prédelle2138. Les fonctionnaires, qui peuvent être également nobles, peuvent faire
représenter l’archange, comme par exemple, Monaldo Paradisi, gouverneur du pape Eugène
IV en Corse, et commissaire aux comptes, qui commande le Jugement dernier de la chapelle
Paradisi, à Terni, dans l’église San Francesco, à Bartolomeo di Tommaso da Foligno (1445-
1451), où Michel apparaît deux fois au centre des compositions. Giovanni di Francesco
Buzzichelli, recteur de l'hôpital Santa Maria della Scala, a fait réaliser pour son établissement,
un autre Jugement dernier (1446-1449), dans la Sagrestia Vecchia, par Lorenzo Vecchietta,
où Michel a, encore une fois, une place centrale.

Mais il faut surtout noter l’importance de « nouveaux riches », les personnalités


importantes des communes italiennes, enrichies par le commerce et la finance, désireux de
s’assurer un avenir dans l’au-delà malgré les activités vénales qu’ils exercent. Dans ce
processus de rachat du salut, la commande artistique est un acte profondément religieux et
social, dans lequel Michel est une figure clé. Giovanni di Cosimo de’Medici, membre de la
puissante famille florentine, est surtout un banquier et un riche mécène des artistes de la
Renaissance. Il commande à Filippo Lippi, un polyptyque (1457-1458), malheureusement

2135
Aujourd’hui conservée à Karlštejn, dans le palais impérial.
2136
Conservé au Museo San Gerardo Maiella, huile sur toile, peu après 1486.
2137
Conservée à Paris, au Louvre, et réalisée entre 1495 et 1496.
2138
Conservé dans l’église Santa Maria Assunta de Stia, mais à l’origine destiné à San Lorenzo à Porciano.
702
aujourd’hui incomplet, mais sur les fragments2139 duquel on retrouve un saint Michel
agenouillé, présentant son épée et s’appuyant sur son bouclier. Cette peinture a été réalisée
pour Alphonse V d’Aragon, à qui le Florentin voulait en faire cadeau. L’ascension sociale de
Francesco di Marco Datini est plus spectaculaire. Alors que ses parents tenaient une taverne,
il devient négociant, banquier, producteur de laine et spéculateur, et regroupe une fortune
considérable qui lui permet notamment d’être le commanditaire d’une peinture murale dans la
salle capitulaire de San Francesco de Prato, à Niccolò di Pietro Gerini, dans les années 1390.
Le caractère expiatoire de la peinture est marqué par le thème principal de la composition, une
Crucifixion, et par la présence de Michel. Outre l’archange, le seul autre personnage non
contemporain de la scène du Golgotha, à être représenté dans le cadre de l’image est saint
Louis de Toulouse, dont la présence s’explique par son appartenance à l’ordre franciscain.
Mais la nature de la commande nous laisse entrevoir une autre raison. L’évêque de Toulouse
a, en effet, refusé son destin de roi de Naples, pour rentrer dans l’ordre mendiant, acceptant
pour cela, à contrecœur, la mitre épiscopale. Le commanditaire a lui-même pris un autre
chemin que celui qui semblait être le sien, qui l’a mené à la richesse. Bartolomeo Bolognini,
producteur et marchand de soie bolonais, commande, pour la chapelle familiale de la
cathédrale San Petronio De Bologne, un grand couronnement de la Vierge avec une
représentation du paradis et de l’enfer à Giovanni da Modena (1410). Michel possède
vraiment ici, une position centrale, dans le sens de la largeur, comme dans celui de la hauteur.
La pesée est clairement l’étape qui permet l’accès à l’un ou l’autre des versants de cette
image. La même composition est reprise dans un panneau, aux proportions moins
importantes, commandé toujours par Bartolomeo Bolognini au Maestro dell’Avicenna, vers
14352140. Le thème du Jugement est particulièrement prisé par ces riches banquiers ou
commerçants, en quête d’expiation. Dans ces compositions, Michel a une place centrale, avec
ou sans la balance, c’est lui qui gère l’accès au paradis.
L’archange est également choisi par les riches commanditaires laïques pour leur monument
funéraire, comme c’est le cas pour celui de Niccolò Brenzoni, riche citadin véronais mort en
14222141. Dans la partie peinte par Pisanello, Michel est le guerrier qui permettra d’assurer la
protection des routes de l’au-delà au défunt. Niccolò di Liberatore a peint, sur commande de
Brigida degli Elmi, veuve du riche marchand et banquier Michele di Niccolò Picche, un
polyptyque2142, qui se situait certainement à proximité du monument funéraire du défunt, et
où l’archange est clairement engagé dans un combat contre un démon pour protéger la pesée
qu’il réalise sûrement pour Niccolò Picche. Qu’il soit acteur du Jugement dernier, protecteur
de la balance ou guerrier prêt au combat, la figure de Michel devient dans ces images
commandées par de riches laïcs, l’intercesseur auquel ils se recommandent pour expier leurs
péchés.

2139
Aujourd’hui conservés au Cleveland Museum of Art.
2140
Conservé à la Pinacoteca Nazionale de Bologne.
2141
Dans l’église San Fermo Maggiore de Vérone, réalisé entre 1424 et 1426.
2142
Daté de 1492, qui se trouve actuellement dans l’église San Niccolò de Foligno mais, à l'origine produit pour
la chapelle Sant'Antonio abate de l'église augustinienne de Foligno.
703
C’est également dans ce but que les regroupements, religieux ou non, de laïcs font
représenter l’archange. Ces groupes sont quasiment absents de notre corpus jusqu’à la fin du
XIVe siècle, car cette pratique, initiée avec l’invention du Tiers-Ordre par saint François, n’en
était encore qu’à ses balbutiements. Mais ils sont largement représentés, à travers leur
commande ou parce qu’ils sont figurés dans le cadre de l’image, à partir des années 1380, et
pour tout le XVe siècle. Joseph Duhr précise que le Quattrocento et le Cinquecento sont les
siècles des confréries, et que se développe en parallèle le culte des anges gardiens, auxquels
certaines confréries étaient dédiées2143.
La « Compagnia di Sant’Angelo » d’Arezzo avait couvert les murs de l’église dédiée à
l’archange, de peintures, vers 1410, aujourd’hui déposées, mais sur lesquels deux figurations
de Michel sont encore reconnaissables, dans les fragments déposés sur toile et conservés à la
National Gallery de Londres. L’un représente Michel en buste dans un médaillon tenant son
épée et son globe, et l’autre, une scène de combat de l’archange accompagné de ses anges,
images narratives de la Chute des anges rebelles ou de la lutte apocalyptique contre le dragon.
L’archange, à qui était dédiée la compagnie, était, bien sûr, au centre du programme pictural
de l’église San Michele Arcangelo d’Arezzo. Si la destination précise du panneau peint sur
ses deux faces par Lorenzo di Alessandro en 14802144, n’est pas connue, l’iconographie ne
laisse aucun doute sur le fait que ce soit une commande passée par une confrérie pénitente,
puisque que les personnages représentés aux pieds de l’archange, qui s’en remettent
directement à sa protection, sont vêtus d’une toile grise ceinturée d’une corde et d’une
cagoule pointue. Le constat est le même pour le panneau, également peint sur ses deux faces,
par Girolamo del Pacchia2145, pour un frère de la Miséricorde peint agenouillé au pied d’une
croix sur le verso. Le fait même que le visage de ce personnage n’apparaisse pas, ni son nom,
prouve qu’il ne représente pas un homme particulier, mais toute la confrérie. Ce type de
peintures relie clairement le rôle de Michel d’évaluateur des âmes - notons d’ailleurs
l’importance accordée à la balance, mais également à l’épée punitive, dans ces deux images -
et la centralité de la pénitence pour ce genre de regroupements laïques.
Les commanditaires des peintures de Vierge de Miséricorde2146, que nous avons recensées
dans notre corpus, ne sont pas précisément connus, et nous ne savons pas s’il s’agit de
commandes collectives ou individuelles. De toute façon, même si le commanditaire est un
seul homme, et s’il est fort probable dans ce cas qu’il soit représenté au sein du groupe
protégé par le manteau de Marie, cette image est clairement destinée à toute une communauté,
que le ou les donateurs recommandent à la Vierge, secondée par Michel.

2143
DUHR, t. I, 1937, p. 617.
2144
Aujourd’hui conservé à la Walters Art Gallery de Baltimore.
2145
Peint dans la première partie du XVIe siècle et conservé à la Pinacoteca Nazionale de Sienne.
2146
Maestro di Sant’Agostino, Vierge de Miséricorde et saints, Fermo, Sant’Agostino, peinture murale, début du
e
XV ; Neri di Bicci, Vierge de Miséricorde et saints, Arezzo, Pinacoteca Comunale, peinture sur panneaux,
1456 ; Mariano d’Antonio et Benedetto Bonfigli, Vierge de Miséricorde et saints, Pérouse, Oratorio San
Bernardino, « gonfalone », peinture sur panneaux, 1464 ; Giovanni Angelo d’Antonio, Vierge de Miséricorde et
saints, Florence, Villa di Montalto, Santa Maria del Soccorso, peinture murale, 1468.
704
L’iconographie de l’archange est, dans ce contexte de commandes collectives, davantage
orientée vers le protecteur de la balance ou le guerrier qui met clairement ses armes au service
de la protection des hommes, sans que sa figure propre en soit particulièrement modifiée.

Précisons enfin que les hommes ne sont pas les seuls commanditaires de l’image de
l’archange. Malgré l’aspect viril et martial de la figure de l’archange, les communautés
religieuses féminines ou les épouses peuvent également choisir le guerrier ailé pour orner les
murs ou les panneaux qu’elles commandent. Cristina Sereno a noté que l’archange semblait
empreint d’une plus grande délicatesse envers les femmes, comme en attestait le miracle de
l’accouchée du Mont-Saint-Michel, unique cas d’apparition destinée à l’accomplissement
d’un miracle sans contrepartie négative pour les hommes ou sans trait de caractère autoritaire
de la part Michel. Son rapport avec Jeanne d’Arc, est également plus bienveillant, et la sainte
précise qu’elle le sent toujours à ses côtés pour la conseiller. Enfin, pour Marguerite de
Cortone, à qui il se rend visible au XIIIe siècle, il apparaît comme un speciosus angelus2147.
Pourtant, les images commandées par des femmes dans notre corpus, ne semblent pas
particulièrement montrer un aspect plus délicat de Michel. Notons, par exemple, la violence
du coup de lance porté par l’archange à son ennemi, dont la tête est recouverte de sang, dans
la peinture commandée par l’abbesse Lucia Rassica, du couvent San Michele de Salerne.
Rappelons tout de même que c’est principalement en tant qu’épouse, et / ou mère, que les
femmes participent aux commandes des images de l’archange, ce qui est prégnant dans les
représentations où toute la famille des donateurs est représentée. Dans le triptyque peint par
Allegretto Nuzi en 1365, conservé à la Pinacoteca Vaticana, le donateur, sa femme et leurs
enfants sont tous figurés agenouillés aux pieds de la Vierge à l’Enfant. Dans le panneau
principal de la peinture de Biagio d’Antonio, qui se trouve au Musée du Petit Palais
d’Avignon, mais réalisé pour l’église San Michele à Faenza, le couple de donateur, Niccolò
Ragnoli et sa femme, est représenté avec son fils dans l’espace de la Nativité. L’archange
figure, quant à lui sur la lunette supérieure, en train de juger les âmes des hommes ressuscités
à l’aide de sa balance. Ainsi, nous ne pouvons distinguer de particularités propres à la
commande féminine.

I.2.2. Saint Michel, une figure pour tous

Ce rapide panorama des différents types de commanditaires des images de Michel


nous permet quelques remarques. Si la figure de l’archange ne semble pas l’apanage d’une
catégorie de donateurs particulière, elle s’adapte à chacun des contextes dans lequel elle
s’insère, non pas de manière nette et spectaculaire, mais dans une lecture iconographique plus
minutieuse2148. Ainsi, si Daniel Russo notait que c’est par la multiplicité des formules

2147
SERENO, 2011, p. 81.
2148
Les détails qui permettent de relier plus personnellement la figure de l’archange à son commanditaire, sont
variés : déplacement de l’attention de Michel d’un attribut à un autre, placement différent de Michel dans
705
iconographiques de saint Jérôme que semble s’expliquer la diversification de ses publics 2149,
cette remarque est beaucoup moins valable pour saint Michel, voire même opposée, puisque
c’est avant tout par la multiplicité des significations possibles à partir d’un seul type – celui
du guerrier ailé à la balance – que la figure michaélique regroupe un public hétéroclite. Nous
dirions plutôt que ce sont les variations, à l’intérieur de cette formule iconographique, qui
permettent l’ajustement de l’image michaélique à ses différents commanditaires.
Quoi qu’il en soit, s’ils veulent produire une image efficace, les acteurs de la création d’une
peinture restent limités dans leur créativité, par la tradition iconographique. Comme le précise
André Grabar, l’image doit être lisible, reconnaissable et répondre à une fonction précise2150.
L’image religieuse n’est jamais, au Moyen Âge, ni au début de la Renaissance, l’expression
d’un unique caprice artistique soit du commanditaire, soit du peintre. À l’intérieur de ce
cadre, apparaissent pourtant de légers décalages, zones de liberté du donateur et du peintre,
dans lesquels se détectent la signification secondaire de la représentation, son utilisation
particulière, et c’est là que se « repèrent les liens entre iconographie et spiritualité »2151.
À travers cette adaptabilité aux différents hommes et femmes qui le font représenter, de
quelque genre, état, niveau social, politique ou culturel soient-ils, c’est, encore une fois, la
question de l’universalité de la figure michaélique qui est posée, et, à travers elle, celle des
raisons qui poussent un homme à commander sa représentation. Car n’est-ce pas justement
parce que la figure de l’archange est universelle, qu’elle constitue un saint idéal pour tous les
contextes, mais qu’elle n’est finalement pas spécifiquement un choix réfléchi et personnel du
commanditaire ? Cela est en partie vrai, pour un certain nombre de peintures de notre corpus,
mais totalement incorrect dans d’autres cas, où la figuration de Michel semble
particulièrement justifiée et revendiquée, comme nous allons le voir dans la partie suivante
sur les significations de l’image de l’archange.
Cette diversité de la commande invite également à s’interroger sur les différences de qualité
entre créations destinées à des hommes d’Église ou à des laïcs, ou entre un « art
aristocratique » et un « art populaire ». L’essor de la peinture comme support principal de la
représentation dans l’art italien, le développement de l’économie et de la finance dans les
communes, et les réunions de laïcs en groupes de solidarité, sont les facteurs majeurs qui ont
permis la diversification, entre le XIVe et le XVe siècle, des commanditaires en général, et de
ceux de l’image de Michel en particulier. André Grabar parle d’une « extension du recours à
l’art à des couches de la société plus large »2152. Certains auteurs ont pourtant avancé que le
culte de saint Michel était avant tout aristocratique. Cette idée est liée à l’importance de la
récupération du culte et des images de l’archange par les pouvoirs - qu’ils soient laïques ou
religieux - pendant le Haut Moyen Âge et le Moyen Âge central ; et au fait que Michel ne

l’image, geste ou dynamisme remarquable, association à des saints différents, relation directe ou indirecte avec
le donateur représenté dans le cadre de l’image…
2149
RUSSO, 1987, p. 275.
2150
GRABAR, 1979-1994, p.325.
2151
RUSSO, 1987, p. 233.
2152
GRABAR, 1979-1994, p. 389.
706
possédait pas de reliques, et ne pouvait ainsi satisfaire la piété populaire2153. Pourtant, des
reliques de l’archange ont bien été créées, et la nature même des commandes des images
michaéliques dans notre corpus, atteste bien de sa diversité. Cristina Sereno confirme
d’ailleurs, au travers d’un corpus textuel des XIIIe - XVe siècles2154, que le culte de Michel se
popularise surtout à la fin du Moyen Âge. L’iconographie de l’archange semble se développer
à cette période au-delà de tout clivage religieux / laïc ou aristocratique / populaire. Entre 1300
et 1518, tout le monde s’approprie sa figure. Mais, plus que dans la multiplicité des types
iconographiques (puisqu’ils restent relativement uniformes), les différences entre ces
commandes sont à rechercher au niveau des significations secondaires que chacun lui assigne,
et ainsi au niveau de la fonction et de la destination des peintures de l’archange ; puis, au
niveau des diversités formelles, dues à chaque peintre.

I.3- Le travail des peintres entre création et production

Comme pour les commanditaires, il nous est impossible d’étudier en détail chaque
auteur d’images de saint Michel de notre corpus. Nous aimerions pourtant rappeler ici les
caractéristiques du travail du peintre entre 1200 et 1518 - entre tradition et liberté, entre
travail collectif et travail individuel, entre copies et originalités - puisque ces modalités de la
création participent également à la permanence de certains types, à leur création, à leur
diffusion ou à leur disparition. L’analyse des spécificités individuelles n’est pas au centre de
notre étude car elle concerne, à priori, davantage les aspects formels d’une image, ce que l’on
pourrait appeler « le style »2155. Pourtant, nous avons déjà largement démontré que la forme
participait activement au sens général et à l’iconographie d’une composition. De plus, nier
cette aspect de la création artistique, la question de la zone de liberté de l’ « artiste » - qu’elle
soit formelle ou iconographique - reviendrait à estimer que l’image, entre 1200 et 1518, n’est
qu’un simple assemblage systématique de signes codés, déchiffrable dans sa totalité à partir
d’une analyse iconographique rigoureuse, ce que nous sommes loin de penser.

I.3.1. Le poids des traditions, de la commande et de l’atelier. La créativité des peintres


en question

Tout comme pour le donateur, le peintre doit construire un objet efficace, et est, à ce
point tributaire de la tradition iconographique qui détermine un langage de base permettant de
2153
Voir surtout ROJDESTVENSKY, 1922.
2154
SERENO, 2011, p. 86.
2155
Jérôme Baschet indiquait à ce propos que « sans nier la force de l’invention de certains artistes médiévaux,
l’analyse sérielle invite à préférer la notion d’inventivité des images à celle d’originalité de l’artiste ».
BASCHET, 2008 (1), note 13, p. 422.
707
rendre intelligible la représentation qu’il crée au public à qui elle est destinée. Il doit
également prendre en compte les directives du commanditaire qui sont, dans les contrats ou
les testaments conservés, plus ou moins brefs ou détaillés. Les informations contenues dans
ces documents sont souvent d’ordre iconographique : elles indiquent le thème principal et
énumèrent les noms des personnages à représenter. Elles concernent surtout le prix et la
quantité des matériaux nécessaires et peuvent également contenir des indications de
composition de l’ensemble, voire de forme. Dans ce cas, ces indications font souvent
référence à une autre peinture (ou sculpture) qu’il faut reproduire « modo et forma »2156. La
référence à la tradition, ou la copie de modèles renommés2157, est vue comme un gage de
qualité pour la future peinture. La copie est d’ailleurs au centre de l’apprentissage de la
technique. L’originalité de la création n’est pas encore au centre de la critique qualitative
d’une peinture ou de tout autre objet, qui n’est, de toute façon, pas réalisé par un artiste seul
au caractère bien individualisé. Le travail des XIII, XIV et XVe siècles, est encore largement
un travail collectif, organisé à l’intérieur d’atelier. Ce regroupement est généralement familial,
et les traditions figuratives, les cartons, les modèles, et le savoir-faire artisanal, sont ainsi,
dans la plus grande majorité des cas, transmis de générations en générations2158. Et même s’ils
ne travaillent pas en famille, les peintres sont très souvent obligés de se regrouper pour
pouvoir affronter la concurrence qui existait dans les villes italiennes à partir de la seconde
moitié du XIVe siècle. Les relations qui s’établissent sont d’abord de l’ordre de celles qui
s’établissent entre le maître et élève, mais, même après la formation, le peintre reste très
souvent attaché à l’atelier qui l’a formé, et devient alors disciple ou collaborateur de son
maître2159. Ce n’est qu’au début du XVIe siècle que l’organisation en atelier commence à
décliner2160.
Il existe ainsi un patrimoine spécifique à chaque atelier, composé d’une base de traditions
communes à tous, et de spécialités, iconographiques, formelles ou techniques. Ce sont ces
spécialités qui constituent les zones de liberté des peintes, dans la mesure où elles ne sont pas
trop brimées ou orientées par la commande. Dans tous les cas, cette « inventivité »2161 reste
liée au groupe constitué par l’atelier, même si ce dernier se cristallise souvent autour d’une
figure principale à la tête de cette petite ou moyenne entreprise.

2156
Cité dans RUSSO, 1984, p. 710.
2157
Herbert Kessler préfère utiliser le terme de « citation » qui renvoie à une conception plus active. Cité dans
BASCHET, 1997, pp. 101-135.
2158
RUSSO, 1986, pp. 364-365.
2159
RUSSO, Daniel, « Imaginaire et réalités : peindre en Italie aux derniers siècles du Moyen Âge », dans Xavier
BARRAL I ALTET, Artistes, artisans et production artistique au Moyen Âge, vol. 1 – Les hommes, Paris, Picard,
1986, pp. 368-369.
2160
RUSSO, 1986, pp. 369-370.
2161
Jérôme Baschet précise que cette inventivité est possible par l’ « absence de définition normative de
l’iconographie et l’inexistence d’un contrôle formel exercé par l’autorité ecclésiastique », BASCHET, 2008 (1),
p. 256.
708
I.3.2. Les séries iconographiques de saint Michel

La manière la plus fiable d’évaluer les spécificités d’un peintre, ou de son atelier,
autour de l’iconographie de saint Michel, est de réunir plusieurs images créées par lui,
destinées à des commandes différentes, dans lesquelles se trouvent des « variations créatives »
communes, qui ne peuvent être le fait du commanditaire puisqu’elles se retrouvent dans les
divers contextes dont le seul vecteur commun est le peintre. Nous allons désormais nous
pencher sur quelques cas qui sont particulièrement bien représentés dans notre corpus, soit
parce que nous possédons plusieurs peintures attribuées à un même peintre ou atelier, et / ou
parce que nous connaissons également des exemples de ses suiveurs, anciens élèves, souvent
fils et petits-fils, qui constituent de véritables dynasties de peintres, à travers lesquelles nous
allons tenter de détecter les permanences ou les ruptures.

I.3.2.1. Les ateliers florentins

Le cas florentin est exceptionnel à bien des égards. Nous arrivons, grâce aux images
conservées, à retracer les relations entre peintres sur presque deux siècles. Il est difficile de
savoir si le cas florentin reste un cas à part dans l’organisation du travail, les proportions des
ateliers, les dynasties de peintres, l’importance des commandes, ou s’il est juste mieux
documenté et ses pièces mieux conservés, grâce, en partie aux écrits de Giorgio Vasari qui
entérinent la supériorité florentine, et nous semble donc aujourd’hui faussement exceptionnel.
Quoiqu’il en soit, les exemples florentins constituent pour nous le meilleur moyen d’aborder
la question de la création.

La famille Gaddi, ses suiveurs, et la famille Bicci, tous liés par des relations de maître
à élève, parfois doublées de liens de sang, nous permettent de suivre l’évolution de l’image
florentine de l’archange de 1325 à 1480. Nous n’avons pas conservé d’images de Michel du
premier représentant de cette « dynastie », Gaddo Gaddi (1259 - 1332 ?), peintre et mosaïste
florentin. Son fils, Taddeo Gaddi (1259 - 1366), qui a également travaillé dans l’atelier de
Giotto, en a produit au moins deux2162, qui présentent à peu de choses près, la même
composition : un petit panneau, certainement destiné à la dévotion privée, figurant une Vierge
à l’Enfant sur un trône, autour de laquelle des saints prennent place. L’archange est représenté
à droite de ce cortège, au premier plan, vêtu de la tenue du général romain, et présente l’épée
et le globe. Bernardo Daddi était également élève de Giotto en même temps que Taddeo, et
propose, quant à lui, trois peintures2163 où Michel est en général plus dynamique, et porte à

2162
Le premier est conservé à Florence, à la Galleria dell’Accademia, et réalisé entre 1325 et 1330, certainement
pour une clarisse ; le second est conservé à Bern, au Kunstmuseum, réalisé ente 1335-1340, a une destination
inconnue.
2163
Saint Michel, Crespina, San Michele, peinture sur panneaux, 1320-1348 ; Vierge à l’Enfant et saints, Nantes,
Musée Municipal des Beaux-arts, peinture sur panneaux, 3e décennie du XIVe siècle ; Crucifixion et saints,
709
chaque fois le bouclier d’argent à la croix de gueules, alors que cet attribut n’est pas très
répandu dans notre corpus2164. Il semble s’agir ici d’une particularité du peintre. Notons
également le caractère original de la tenue inspirée de celle du général romain, mais nettement
réinterprétée en termes plus originaux, plus colorés, voire même parfois extravagants2165.
Jacopo del Casentino (1297-1358), élève de Taddeo Gaddi, réalise, dans le premier quart du
XIVe siècle, le premier cycle mural autour des légendes de l’archange dans la peinture
italienne : celui de la chapelle Velluti de Santa Croce à Florence. C’est également la première
fois, depuis le panneaux de Coppo di Marcovaldo, que sont réunis des épisodes bibliques et
des épisodes d’apparition de l’archange. Jacopo réalise églament deux peintures sur panneaux,
dans lesquelles le combat contre le dragon, largement exalté dans la peinture murale de
Florence, a une place importante. Dans la peinture de Santa Croce, et dans celle du panneau
conservé à Dunedin, le thème n’est pas tout à fait le même puisqu’il s’agit d’un côté d’une
image narrative du combat de Michel et de ses anges contre le dragon de l’Apocalypse, et de
l’autre une représentation en état, de l’archange combattant le mal, qui a pris ici la forme d’un
dragon. Le type vestimentaire du général romain est le même. La position du corps diffère
d’une peinture à l’autre, mais cela tient au changement d’arme, qui atteste lui-même de la
nature différente du combat. L’image traditionnelle liée à l’Apocalypse conserve la lance
comme arme majeure (même si l’épée est présente dans son fourreau, porté dans la main
gauche) alors que le saint Michel du panneau a adopté l’arme à la mode, l’épée, qui l’oblige à
imprimer un mouvement de rotation du buste. Malgré cela, le dynamisme des deux figures est
le même, ainsi que la position de la tête de Michel qui témoigne de sa concentration sur son
adversaire et sur le combat qu’il a bientôt gagné, dans les deux cas. Le dragon, pluricéphal
d’un côté et monocéphal de l’autre, possède pourtant des similitudes formelles, dont le motif
de la langue de feu qui menace l’archange. La différence de support entre programme mural
et petit panneau de bois, atteste bien de destinations différentes, mais un dialogue est
conservé, de nature iconographique et formel, à travers la figure de l’archange, dont le vecteur
commun ne peut être que le peintre et / ou son atelier.

Florence, Galleria dell’Accademia, peinture sur panneaux, 1340-1345.


2164
Il est présent dans moins de 20% des images de l’archange ; voir à ce propos le chapitre 2. II. 1.1.1. Les
armes et les attributs militaires.
2165
Comme la jupe à ptéryges de la peinture conservée à la Galleria dell’Accademia, remplacée par une
succession d’étoffes transparentes, rayées et foncées, et le plastron comportant un motif à pois.
710
Jacopo del Casentino, saint Michel et ses anges Jacopo del Casentino, Crucifixion, saint Michel et
combattent le dragon (détail), Florence, Santa Stigmatisation de François (détail), Dunedin, Public
Croce, peinture murale, 1e ¼ XIVe. Art Gallery, peinture sur panneaux, 1340-1350.

Notre corpus comprend quatre peintures d’Agnolo Gaddi (1350 - 1396), fils de Taddeo, et
également élève de Jacopo del Casentino, et deux autres attribuées à son atelier. Il s’agit ici
uniquement de peintures sur panneaux. Sur les quatre peintures attribuées à la main du
peintre, trois sont des fragments de prédelles, comportant des images narratives, illustrant à
chaque fois, des scènes différentes : miracles, apparitions au Mont Gargan, apparition à Rome
et épisodes bibliques2166. Il s’agit certainement d’un même ensemble, comme nous l’avons
déjà précisé au chapitre 2 de ce travail2167. Le rapprochement de ces trois fragments fait de cet
ensemble l’un des cycles illustrant les légendes de l’archange les plus développés 2168. Les
deux scènes communes à celles réalisées par Jacopo del Casentino à Santa Croce, celle du
miracle du taureau et celle du combat contre le dragon ou les anges rebelles, reprennent
plusieurs éléments de la composition de son maître, sans que la citation soit directe. C’est
surtout l’intérêt pour l’image de l’archange dans des épisodes narratifs qui crée un lien
important entre le maître et l’élève. Pourtant, encore une fois, l’absence d’information autour
de la commande de ces panneaux nous empêche d’estimer clairement l’implication des
donateurs dans le choix des épisodes représentés et celui du peintre.

2166
Miracle de l’accouchée du Mont-Saint-Michel et miracle du taureau, sous une Vierge à l’Enfant, New Haven,
Yale University Art Gallery, peinture sur panneaux, 1380 ; Apparition de Michel sur le Mausolée d’Hadrien,
Rome, Pinacoteca Vaticana, peinture sur panneaux, années 1380-1390 ; Chaveliers devant une porte (ou
préparation à la bataille de Siponto) et chute des anges rebelles, New Haven, Yale University Art Gallery,
peinture sur panneaux, vers 1390.
2167
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint
Michel.
2168
Seul le panneau de Coppo di Marcovaldo, comporte plus d’épisodes que la supposée prédelle d’Agnolo
Gaddi.
711
Agnolo Gaddi, divers miracles et apparitions de Michel, New Haven, Yale University Art Gallery (pour le
premier et le dernier panneau), Rome, Pinacoteca Vaticana (pour le panneau central), peinture sur
panneaux, 1380-1390.

Spinello Aretino (1350-1410) est, lui aussi, l’élève de Jacopo del Casentino. Comme son nom
ne l’indique pas, il est également florentin, mais, de famille gibeline, il fut contraint de se
réfugier à Arezzo, où il a travaillé une bonne partie de sa vie. Son activité crée donc un léger
décalage géographique dans le parcours florentino-florentin que nous sommes en train de
réaliser. Il exécute notamment le cycle de l’archange dans l’église San Francesco d’Arezzo,
comprenant deux grands épisodes de l’action michaélique sur le mur latéral de la chapelle
Guasconi (1404) : son apparition sur le Mausolée d’Hadrien à Rome et son combat contre le
dragon de l’Apocalypse. Notons la proximité du deuxième épisode avec celui de son maître à
Florence, et une nouvelle fois, l’intérêt pour la mise en scène de l’archange, imputable soit au
contexte franciscain dans lequel se trouve cette peinture, et dans lequel se trouvait déjà celle
de Jacopo del Casentino ; soit à un commanditaire privé2169 vouant un culte particulier à
Michel2170, et qui, ayant vu les peintures florentines du maître, aurait demandé à l’élève une
reproduction du cycle. Cependant, le choix divergeant en ce qui concerne le sujet de la
première scène, qui figure bien un épisode d’apparition, mais non celui du taureau proposé
par Jacopo, laisse planer un doute. La présence, sur les murs de la nef de l’église d’Arezzo
d’une autre figure de l’archange en état portant le globe et l’épée (1404), et les fragments de
peintures murales déposées à Londres, et destinées à l’église San Michele d’Arezzo (1408-
1410) - dont l’une reprend la même composition que la bataille peinte par Spinello dans la
chapelle Guasconi2171 - laissent penser à une véritable spécialité de l’atelier du peintre
florentin pour les figurations de Michel à Arezzo. Et si cet ensemble de peintures de
l’archange n’est pas forcément révélatrice d’une dévotion particulière du peintre pour le
soldat de Dieu (bien que cette hypothèse ne soit pas impossible), il est plutôt le reflet
d’habitudes figuratives et une preuve de la possession de cartons et de modèles par l’atelier,
permettant de répondre à une demande de représentations de l’archange, dont le culte est
particulièrement vif à Arezzo, comme en atteste la présence d’une église dédiée à Michel et la
création de la « Compagnia di Sant’Angelo ».

2169
Malgré le nom de la chapelle, nous ne savons pas si un membre de la famille Guasconi a effectivement
commandé ces peintures.
2170
Si l’archange figure également sur le polyptyque qui orne l’autel de la chapelle, peint par Niccolò di Pietro
Gerini à la fin du XIVe siècle, il n’y a pourtant été ajouté qu’au début du XXe siècle.
2171
L’autre est une représentation de l’archange en buste, dans un médaillon, présentant l’épée et le globe.
712
Spinello Aretino, vue générale du mur latéral de la chapelle Spinello Aretino, saint Michel et ses anges,
Guasconi (Vierge à l’Enfant et saints, combat de Michel Londres, national Gallery, peinture murale
contre le dragon, apparition de Michel sur le Mausolée déposée, 1408-1410.
d’Hadrien) Arezzo, San Francesco, peinture murale, 1404.

Nous avons recensé une peinture réalisée par le fils de Spinello Aretino, Parri Spinelli, qui
figure l’archange (1440-1450). Mais cette image ne présente ni une image narrative, ni un
archange participant au cortège entourant la Vierge à l’Enfant sur un trône. Il s’agit d’une
représentation en buste, qui se trouvait dans une lunette, au vu de la forme arondie du
support2172, où Michel est apparemment vêtu d’une forme dérivée du plastron, dont on
reconnait les épaulières, et porte son épée, qui n’est pourtant ni au centre de la composition, ni
au centre de l’attention de l’archange. Le visage de Michel est tourné dans une direction
opposée à celle de son buste, il vient de se retourner puisque ses cheveux flottent encore
autour de son visage. Ses yeux sont perçants, son regard fixe quelque chose au loin.
L’archange est comme absorbé par ce qu’il surveille, tout en restant détendu et détaché. On
retrouve ici le sérieux du visage de Michel peint par le père du peintre à Arezzo, qui
conservait le type physique angélique, tout en faisant passer par le regard toute la tension
contenue dans le personnage. Parri Spinelli a réalisé un véritable portrait de Michel, nous
pourrions presque dire un portrait psychologique du guerrier céleste, figurant la tension
constante dans laquelle se trouve le bras armé de Dieu pour assurer ses multiples missions et
sa lutte plus générale contre le mal. Son arme n’est pas rangée, prête à l’emploi, ses « sens »
sont en alerte. Ce type d’images ne peut avoir été réalisée que par un peintre qui était familier
des images de combats de l’archange, ou de Michel en général, et qui avait saisi toute
l’ambigüité de cette figure angélique, armée et en perpetuel mouvement.

Parri Spinelli, Saint Michel (détail), Museo Statale Spinello Aretino, saint Michel et ses anges
di Arte Medievale et Moderna d’Arezzo, peinture combattant le dragon (détail), Arezzo, San
murale déposée, 1404. Francesco, peinture murale, 1404.
2172
La peinture murale est aujourd’hui déposée sur toile et conservée au Museo Statale di Arte Medievale et
Moderna d’Arezzo.
713
Selon Giorgio Vasari, Lorenzo di Bicci, fut l’élève de Spinello Aretino, ce qui relie au groupe
des peintres étudiés jusqu’à maintenant, les créations de trois peintres particulièrement
productifs en images de l’archange. En effet, Lorenzo di Bicci (1350-1427), son fils Bicci di
Lorenzo (1373 et 1452), puis son petit-fils Neri di Bicci (1418-1492), ont, à eux trois, réalisé
au moins seize peintures de saint Michel recensées dans notre corpus. Le père exécute trois
images de l’archange en état, dont deux sont des figures isolées, où Michel présente l’épée et
l’orbe en foulant aux pieds le dragon2173 ; et une troisième, à l’extrême fin du XIVe siècle, où
il apparait dans un polyptyque de Vierge à l’Enfant et est en train de repousser un démon des
plateaux de la balance, alors que le dragon est toujours figuré sous ses pieds2174.
La production d’images de saint Michel de son fils, Bicci di Lorenzo, est particulièrement
uniforme. Dans les cinq polyptyques recensés2175, l’archange apparait à chaque fois en état, au
milieu d’un groupe de saints entourant une Vierge à l’Enfant ou une Annonciation, vêtu d’un
plastron, d’une jupe à ptéryges, d’une cape ou d’une chlamyde, présentant l’épée dans la main
droite et l’orbe dans la gauche, et foulant ou non le dragon de ses pieds. Seul le panneau de
Stia présente une certaine originalité puisqu’en plus de cette figuration en pied, on retrouve
l’épisode du taureau dans la prédelle, signe de la persistance d’un goût pour les épisodes
narratifs de Michel dans la peinture florentine.
Son successeur, Neri di Bicci, est le plus productif puisque nous avons conservé au moins huit
peintures de saint Michel qui lui sont attribuées2176. L’archange est toujours un guerrier,
même si les origines romaines du costume commencent à se faire lointaines. Il est, dans toutes
ces images vêtu d’une sorte de tunique courte dont la forme de la partie supérieure moulante
rappelle encore le plastron, mais dont la matière souple et fluide s’en éloigne. Michel porte
toujours l’épée dans cet ensemble, et elle est posée, dans cinq représentations, sur son épaule.
L’utilisation d’un modèle commun est ici évident pour ces images : la position est exactement
la même ; les vêtements sont similaires et presque toujours de la même couleur, l’épée est
tenue de la même façon. Seul le second attribut varie : dans l’image la plus ancienne, nous
retrouvons l’orbe des prédécesseurs florentins du peintre ; dans les trois suivantes, Michel
pose sa main sur un bouclier de grande taille, doré et réhaussé de bandes rouges ; et le dernier
porte une balance. Le dragon vaincu n’est pas systémagtiquement représenté.

2173
Il s’agit d’une peinture sur panneaux conservé à Milan, Longari, de 1350-1380, certainement fragment de
polyptyque ; et d’une peinture murale de San Barnaba de Florence, réalisée à la fin du XIVe siècle, ou au début
du XVe.
2174
Il s’agit d’une peinture sur panneaux conservée à Loro Ciuffenna, à Santa Maria Assunta, datée de 1400-
1410.
2175
Vierge à l’Enfant et saints, Cortona, Academi Etrusca, peinture sur panneaux, XIV-XVe ; Vierge à l’Enfant et
saints, Italie, collection privée, peinture sur panneaux, XIV-XVe ; Saints, Helsinki, Ateneum, peinture sur
panneaux, 1e partie du XVe ; Vierge à l’Enfant et saints, Pise, Museo Nazionale di San Matteo, peinture sur
panneaux, 1400-1410 ; et Annonciation et saints, Stia, Santa Maria Assunta, peinture sur panneaux, 1414.
2176
Hormis les six peintures présentées ci-après, notons également l’existence d’une Vierge à l’Enfant et saints
conservée à Londres, au Courtauld Institute of Art Gallery, peinture sur panneaux, 1440-1470 ; et d’un
Couronnement de la Vierge et saints, où Michel est figuré sur la prédelle, agenouillé en appui sur son épée,
conservé à San Giovanni dei Cavalieri de Florence, XVe.
714
Neri di Bicci
Vierge de Miséricorde et saints (détail), Arezzo, Pinacoteca Comunale, peinture sur panneaux, 1456 ;
Vierge à l’Enfant et saints (détail), Arezzo, San Michele, peinture sur panneaux, 1466 ;
Thomas reçoit la ceinture de la Vierge et saints (détail), Philadelphia, Museum of Art, peinture sur panneaux,
1467 ;
Les trois archanges et Tobie (détail), Détroit, Institute of Arts, peinture sur panneaux, 1471 ;
Couronnement de la Vierge, saints et anges (détail), Florence, Museo del Cenacolo, huile sur toile, 1473.

Le fragment de prédelle conservé au Boymans-Van Beuningen Museum de Rotterdam


reprend le modèle de la prédelle peinte, presque cent ans plus tôt, par Agnolo Gaddi : la
position de l’archange, sa tenue, jusqu’aux plis de sa cape, son bouclier, la forme du dragon…
Tous ces éléments sont repris dans la peinture de Neri di Bicci, attestant de la continuité
réelle, et non pas seulement fantasmée entre les peintres florentins, de la famille Gaddi, qui a
marqué le XIVe siècle, à la famille Bicci, qui marque le XVe.

Neri di Bicci, Chute des anges rebelles, Agnolo Gaddi, Chevalier devant une porte et
Rotterdam, Boymans-Van Beuningen Museum, chute des anges rebelles, New Haven, Yale
peinture sur panneaux, 1480. University Art Gallery, peinture sur panneaux,
1390.

L’étude des productions florentines à travers le prisme de l’organisation des ateliers, et des
relations de maître à élève, et entre collaborateurs, nous permet plusieurs remarques. Il faut,
avant tout, noter une certaine continuité iconographique dans le type même de l’archange, qui
est, dans ce contexte, toujours le général romain, plus ou moins éloigné du modèle initial.
Dans les figures en état, Michel porte presque toujours l’épée, et très souvent l’orbe, qui
apparait alors comme un attribut privilégié au sein de ce groupe. La place des représentations

715
de l’archange en scène est ici exceptionnelle. À partir de Jacopo del Casentino (et de la
décoration de la chapelle Velluti à Santa Croce de Florence au premier quart du XIVe siècle),
se développe chez ces peintres florentins, un goût pour les scènes narratives relatives aux
légendes de saint Michel, qui donne lieu à des cycles sur panneaux, celui d’Agnolo Gaddi, et
à des cycles muraux, par l’élève, de Jacopo, Spinello Aretino, ou à des panneaux narratifs
isolés. Cette tradition semble reprise, en plein XVe siècle, par Bicci di Lorenzo, dont le père
était l’élève de Spinello Aretino, puis par le fils de Bicci, Neri di Bicci. La grande majorité
des scènes narratives de notre corpus (hors Jugement dernier) est donc liée à cette tradition
florentine des XIVe et XVe siècles, autour des familles Gaddi / Bicci, et des peintres qui
gravitent autour d’elles. L’impulsion a été donnée en contexte franciscain, qui semble être le
premier promoteur des cycles de l’archange. Le relais est ensuite assuré par ce groupe
florentin, pour lequel l’image de Michel en général, et des épisodes de sa légende en
particulier, paraît être devenue une sorte de spécialité, qui peut se développer pleinement
grâce à la vivacité du culte de l’archange dans les communes toscanes, et à la place
grandissante de Michel au moment de la fin des temps. Notons cependant que l’iconographie
développée par ce groupe florentin n’insiste pas sur le rôle de l’archange dans l’au-delà,
puisqu’il est principalement représenté en vainqueur du mal, et ne porte presque jamais la
balance dans l’ensemble des peintures étudiées ici.
La particularité de chaque peintre n’est pourtant pas niée, et le modèle de Michel portant
l’épée sur son épaule, par exemple, mis en place par Neri di Bicci, semble bien être une
spécificité de ce peintre. Pourtant, la cohérence iconographique et formelle qui lie les
productions de cet ensemble de peintres n’est, bien sûr, pas le fruit du hasard, mais plutôt
celui de traditions, de cartons, de modèles et de savoir-faire transmis de génération en
génération au sein de ce groupe relativement homogène.

Cette « dynastie » de peintres florentins paraît s’éteindre dans la dernière partie du


e
XV siècle, au moment où un autre peintre toscan semble assumer le relais des commandes
des images de l’archange dans l’école florentine : il s’agit de Luca Signorelli (1450-1524).
Neuf peintures réalisées avant 1518, figurent saint Michel, presque toujours en état, et s’il
apparaît dans un épisode narratif, ce n’est pas dans une scène faisant partie de son « histoire »
propre. La balance est bien souvent au centre de l’attention de l’archange dans ces
représentations, même lorsqu’il combat un démon (jamais un dragon) placé à ses pieds, la
lutte est toujours liée à une dispute autour de la pesée. Le type vestimentaire adopté par
Signorelli pour Michel est en même temps uniforme et largement diversifié. La forme reste
sensiblement la même dans ce groupe d’images : un plastron agrémenté de manches larges et
courtes, souvenir de la cuirasse romaine à ptéryges sur les épaules ; et une jupe à lattes, là
aussi héritée de la jupe à ptéryges du général romain. À partir de cette base, le peintre varie
les couleurs, les matières, et les éléments couvrants les jambes : simples collants, éléments de
l’armure de plates, ou jambes nues. Cette organisation permet à Luca Signorelli de proposer
régulièrement la figure de Michel sans que deux de ses représentations soient semblables
(comme c’était le cas, par exemple, dans les cinq panneaux de Neri di Bicci). Un autre
élément apparaît presque toujours dans l’iconographie michaélique de Signorelli, mais qui
716
pourtant change de forme dans chaque image : le casque. Alors que cet élément est plutôt
ponctuel dans notre corpus, seule une peinture, sur les neuf exécutées par le peintre, présente
Michel la tête découverte. Cette particularité de la figure archangélique de Signorelli, apparaît
alors comme une sorte de signature au sein du groupe d’images étudiées. Mais, la rupture la
plus importante avec le groupe de peintres florentins étudiés, se trouve dans l’implication de
l’archange dans le destin des hommes, avec l’attention portée sur la balance, et surtout la
représentation des âmes, qui a largement évolué vers l’image de véritables nus, démontrant la
dextérité dans la figuration anatomique du peintre. Cette transformation peut être liée aux
évolutions de spiritualité du début de l’époque moderne, dans lesquelles l’homme est
désormais au centre, mais il ne faut pas, pour autant, minimiser le regard profondément
humaniste du peintre lui-même, comme le souligne Sara Nair James2177.

I.3.2.2. Dans l’Italie centrale (Marches et Ombrie), un saint élégant

Le pôle florentin, s’il est souvent le mieux connu, n’est pas le seul à proposer une
image de saint Michel dans laquelle sont décelables des particularités régionales, dues en
grande partie à l’organisation du travail en atelier entre le XIIIe et le XVe siècle, mais
certainement aussi à une émulation entre les différents créateurs d’une même zone. Dans
l’Italie centrale, par exemple, notamment entre l’Ombrie et les Marches, une petite série de
peintres représente l’archange en armure de plates dans des attitudes particulièrement
élégantes et délicates. Dans la chapelle Paradisi de l’église San Francesco de Terni,
Bartolomeo di Tommaso da Foligno (1408-1454) a peint un cycle autour du Jugement
dernier, dans lequel Michel intervient deux fois. Contrairement au type florentin, l’archange a
le corps recouvert d’une armure de plates, de forme similaire à celle que le peintre pouvait
observer à ce moment sur les chevaliers. Michel est clairement le séparateur armé, vigilant,
presque agressif, des élus et des damnés.
Son élève et fils, Niccolò di Liberatore ou Niccolo da Foligno dit l'Alunno (1430-1502) ne
semble pas avoir reçu de commandes d’images de la fin des temps, mais a figuré au moins six
fois Michel en état, principalement près d’une Vierge à l’Enfant (dans quatre de ces
peintures), ou près d’une Nativité, ou d’une Ascension. Hormis les deux peintures où il figure
en buste, et ne porte qu’une arme, Michel, en pied, est toujours le surveillant de la pesée qui
se déroule sous ses yeux, et pour lequel il est obligé d’utiliser sa lance contre un démon qui
tente d’en fausser le résultat. Ce peintre a conservé de son père le goût pour l’armure de plates
qui est portée systématiquement par les archanges de sa production, avec une attention aux
détails naturalistes particulièrement poussée. Le saint Michel peint par l'Alunno est, en plus,
particulièrement délicat dans ses gestes et pourvu d’une grâce qui n’était pas du tout présente,
ni dans la peinture de son père, ni dans les témoignages florentins. L’élégance de l’archange
du peintre ombrien, entre en résonnance avec celle que l’on retrouve dans l’œuvre de Carlo

2177
Qui jouit d’ailleurs du patronage de Laurent de Médicis, le plus humaniste des commanditaires de la fin du
Quattrocento ; NAIR JAMES, 2003, p. 37.
717
Crivelli (1435-1495), peintre vénitien, mais particulièrement actif dans les Marches, zone de
contact entre les deux hommes à partir de 1472, qui semblent avoir entretenu un dialogue
fécond2178. Si le type vestimentaire de Crivelli reste largement plus excentrique par rapport à
la rigueur des armures de l’Alunno, les deux créateurs se rejoignent autour des effets
décoratifs et de l’élégance de leurs personnages. L’image de l’archange atteste bien de ce
dialogue, notamment à travers la figuration du geste particulièrement délicat de Michel pour
tenir la balance, entre le pouce et l’index, alors que les autres doigts sont relevés. Le reste de
la composition et de l’iconographie michaéliques est également proche : un combat à la lance
ou au bâton, utilisés avec le bras droit, au coude relevé au niveau de la tête, pour frapper un
démon anthropomorphe particulièrement fourbe. Cette élégance se retrouve également chez
certains suiveurs de ces peintres, comme le Maestro dei polittici Crivelleschi, qui reprend la
position caractéristique de la main de Michel tenant la balance, mais dans une prestance
moindre, alors que le démon est remplacé par un dragon, et le geste du bras gauche beaucoup
moins ample et naturel.

Carlo Crivelli, Saint Michel, Niccolò da Foligno, Nativité, Maestro dei polittici Crivelleschi,
Monte San Martino, San Résurrection et saints, Vierge à l’Enfant, Christ de Pitié
Martino, peinture sur Foligno, San Niccolò, peinture et saints, L’Aquila, Cassa di
panneaux, 1477-1480. sur panneaux, 1492. Risparmio, peinture sur
panneaux, fin du XVe.

Lorenzo di Alessandro (1445-1501), actif également dans les Marches, a été influencé par
Carlo Crivelli et Niccolò da Foligno, comme en atteste les images de saint Michel dont les
costumes sont plus originaux que ceux du peintre folignate, mais moins extravagant que ceux
du peintre vénitien. La figure de Michel est empreinte de la même délicatesse qui semble ainsi
devenir, dans la seconde moitié du XVe siècle, une spécialité centre-italienne.

2178
ZAMPETTI P., 1986, notice pp. 271-273 ; MERCURELLI SALARI, 2004 ; BENAZZI et LUNGHI, 2004,
notice 22, p.213-215.
718
I.3.2.3. Des séries régionales

Nous aimerions revenir ici sur une petite série de peintures réalisées dans un espace-
temps restreint : celui de la ville de Sienne, autour des années 1320. Ce groupe est constitué
de sept peintures qui figurent toutes saint Michel en buste, présentant son arme dans la main
droite, parfois également la balance, un globe ou un phylactère dans la main gauche 2179. Les
représentations de l’archange en buste sont pourtant limitées dans notre corpus, et impose à
Michel un statisme qui n’est déjà plus de mise dans son iconographie au début du XIVe siècle.
Bien sûr, l’archange n’est pas le seul à figurer en buste dans ces panneaux peints, et le choix
de ce format n’est pas non plus la preuve d’une mise au second plan de sa figure sur des
panneaux latéraux, puisqu’il est souvent au registre principal, au côté de la Vierge à l’Enfant,
elle-même en buste2180. Cette série de peintures atteste d’une mode qui se développe dans le
cercle limité des peintres siennois, et ne semble pas voué à un succès particulier, car la
figuration en buste n’apparait ensuite que ponctuellement à partir de la troisième décennie du
Trecento. L’iconographie de saint Michel n’a fait ici que « subir » ce goût passager, qui
transforme sa figure d’archange combattant et victorieux, en ange-soldat statique présentant
ses attributs, dont la figure est marquée par l’absence de son adversaire.

À l’échelle plus restreinte de la production d’un peintre, des spécificités peuvent se


dessiner, souvent plus ou moins liées aux autres témoignages artistiques présents sur un
territoire donné. Giovanni di Paolo (1403-1483), peintre et miniaturiste, a, par exemple, pour
particularité de faire figurer l’archange dans des épisodes narratifs - le Jugement dernier ou
l’apparition sur le Mausolée d’Hadrien - qui sont plus proches du traitement de la miniature
que celui de la peinture monumentale, support sur lequel apparait plus souvent ce genre de
scène. L’image de Michel est ainsi limitée à une zone plus réduite (sur une prédelle, en tant
que scène secondaire ou sur un panneau de petite taille) mais dans laquelle l’intervention ou
la figuration de l’archange reste centrale.
Notons également l’uniformité de la production du peintre de la Sacra, Defendente Ferrari
(1490-1535), où Michel apparait toujours à côté d’une Vierge à l’Enfant, en train de
transpercer dynamiquement le démon qui se trouve sous ses pieds, à l’aide de sa lance, ou
dans un cas, brandissant l’épée. L’adversaire possède, dans les quatre peintures sur panneaux
conservées, une face d’animal poilu, cornu, au museau écrasé et aux grands yeux ronds, type
original que l’on ne retrouve pas chez d’autres peintres. L’archange a toujours la même

2179
Peintre de l’École de Duccio, Vierge à l’Enfant et saints, Birmingham, Museum of Art, peinture sur
panneaux, 1310-1320 ; Pietro Lorenzetti, Vierge à l’Enfant et saints, Seattle, Art Museum, peinture sur
panneaux, 1310-1320 ; Simone Martini, Saints et anges, Cambridge, Fitzmuseum, peinture sur panneaux, 1319 ;
Simone Martini, Vierge à l’Enfant et saints, Pise, Museo Nazionale di San Matteo, peinture sur panneaux, 1319 ;
Ugolino di Nerio, Crucifixion et saints, Lucques, Museo Nazionale di Villa Guinigi, peinture sur panneaux,
autour de 1320 ; Niccolò di Segna, Saints, Sienne, Galleria Nazionale, peinture sur panneaux, autour de 1320 ;
Maestro di Chianciano, Vierge à l’Enfant et saints, Chianciano, Museo della Collegiata, peinture sur panneaux,
2e ¼ du XIVe siècle.
2180
Comme par exemple dans le polyptyque d’un peintre de l’École de Duccio, conservé au Museum of Art de
Birmingham, 1310-1320.
719
position, le corps tourné vers la droite, la tête largement penchée sur son ennemi, qui semble
ainsi reposer sur son épaule gauche, et le bras droit presque tendu pour donner l’élan
nécessaire au coup fatal. Ces mouvements attestent d’une attention soutenue de l’archange
dans le combat, et la présence constante de la balance, précise que cette lutte est une
psychomachie. La bannière, d’argent à croix de gueule, est également un motif récurrent dans
la production de Defendente Ferrari, inscrivant le combat de Michel dans un parallèle
indéniable avec ceux menés par l’Église contre les infidèles en Terre sainte.

Defendente Ferrari,
Vierge à l’Enfant et saints, Sant’Ambrogio, Sacra di San Michele, peinture sur panneaux, début du XVIe ;
Immaculée Conception et saints, Sant’Ambrogio, Sacra di San Michele, peinture sur panneaux, 1503-1507 ;
Saint Michel, Turin, Museo Civico d’Arte Antica, peinture sur panneaux, 1510-1530 ;
Vierge à l’enfant et saints, Turin Galleria Sabauda, peinture sur panneaux, 1511-1535.

Au-delà des choix des commanditaires, l’uniformité des représentations de saint Michel
exécutées par le peintre piémontais, atteste clairement du poids des formes et des modèles
créés et reproduits par un peintre ou un atelier.

III.1.1.1. Conclusion

La zone de liberté du peintre semble davantage toucher les formes de l’habillement, le


choix de l’arme, les positions de l’archange, l’apparence de l’adversaire, l’ajout ou l’abandon
de certains motifs. Ces éléments sont pourtant loin d’être superficiels dans la définition de la
place de saint Michel dans l’image et dans la spiritualité. Les différents exemples étudiés dans
cette partie nous ont permis de confirmer qu’ « un type iconographique est d'abord l'invention
d'une boutique, autrement dit, le résumé de bien des pratiques antérieures »2181. Les peintres
des XIII, XIV et XVe siècles sont bien des créateurs, mais soumis à des contraintes liées à la
tradition iconographique et formelle, aux demandes des commanditaires, aux modes du temps
et aux spécificités territoriales. À la croisée de ces exigences, se situe le travail de création des
peintres, qui proposent alors, pour répondre à ses différentes contraintes, de nouveaux types,
dont ils deviennent – les peintres et les ateliers – eux-mêmes les garants et les spécialistes. Le

2181
RUSSO, 1987, p. 233.
720
type ainsi créé entre alors dans le patrimoine du peintre, qui peut le réutiliser et le transmettre,
mais qui peut être également être copié et transformé.
L’analyse des types iconographiques, de la commande et du travail des peintres, a déjà mis en
avant plusieurs éléments d’interprétation, sur lesquels nous allons à présent revenir, pour
comprendre les raisons qui poussent les différents acteurs de la création de l’image de Michel
à le représenter.

721
722
II- DES RAISONS DE REPRÉSENTER L’ARCHANGE. SIGNIFICATIONS DE
L'ICONOGRAPHIE MICHAÉLIQUE

Ce chapitre vise à comprendre les images de saint Michel dans un temps long qui est
celui de la tradition chrétienne, et notamment dans celui du développement de l’iconographie
médiévale. Il n’est pas ici question d’analyser les représentations de l’archange en tant que
reflet des évolutions d’une société passée (aspect qui sera évoqué dans le chapitre IV de cette
troisième partie), mais d’essayer de comprendre les raisons qu’avaient les fidèles italiens, de
1200 à 1518, de figurer Michel dans leurs peintures, et ce que représentait pour eux cette
image.
L’image religieuse est généralement le support d’un discours2182, porteuse de signification,
qui implique, de ce fait, une relation entre un signifiant et un signifié et donne à la
représentation des fonctions précises, où elle n’existe pas seulement pour elle-même mais
également en tant que figuration d’une réalité non représentable 2183. Ainsi pendant le Moyen
Âge, la reconnaissance du sujet est considérée comme supérieure à sa forme. Nous avons déjà
précisé que, dans la peinture italienne de la fin de l’époque médiévale, et du début de l’époque
moderne, la forme participait activement au sens même attribué aux images, et que, loin de le
nier, elle le rendait plus prégnant2184. Entre 1200 et 1518, les significations religieuses sont
toujours présentes, mais sous des formes plus variées qui ne sont plus limitées objectivement
par la fonction assignée à l’image2185. Beauté et naturalisme des formes propres à émouvoir et
support de discours religieux, ne sont pas, selon nous, des éléments antinomiques, comme
l’attestent, par exemple, les peintures de notre corpus2186. Nous n’avons pourtant pas à faire à
un simple langage dont les signes, les codes, la syntaxe seraient connus de tous et utilisés par
les concepteurs, puis lus par le public. L’image, qui plus est, pendant la période étudiée, est
un mode d’expression plus complexe, parfois difficile à « traduire », qui englobe plusieurs
strates de significations, servant des fonctions différentes assignées à l’image par la tradition,
ou par les concepteurs de la peinture, au service d’un ou plusieurs messages religieux,
2182
ANTOINE, 1988, p. 551.
2183
Jean-Philippe Antoine définit les fonctions des images médiévales jusqu’au milieu du XIIIe siècle en
affirmant que « l'image n'est jamais […] qu'un signe renvoyant immédiatement à la réalité surnaturelle qu'elle
désigne ; elle n'est pas tant, en ce sens, expression que simple figuration, mise en figure de quelque chose qui
n'est pas essentiellement figure. Elle est l'occasion d'une méditation qui n'est pas centrée sur elle.», ANTOINE,
1988, p. 549.
2184
Voir à ce propos le chapitre 2, III. 3. Iconographie et forme : y-a-t-il un style michaélique?.
2185
ANTOINE, 1988, p. 552.
2186
Contrairement à l’avis de Gotthold Ephraim Lessing, qui écrivait au XVIIIe siècle, dans son ouvrage
Laocoon (1776), p. 96, que « […] toute autre œuvre qui porte l’empreinte trop marquée des conventions
religieuses ne mérite pas ce nom [d’œuvre d’art] parce que l’art n’y a pas été souverain, mais simplement un
auxiliaire de la religion qui imposait des représentations choisies plus pour leur valeur symbolique que par souci
de la beauté » ; cité dans MITCHELL, 2009, p. 175. Pour lui, la religion est perçue comme une entrave à la
peinture car elle l’écarte de sa vocation de représenter des beaux corps dans l’espace, et l’asservit à un domaine
étranger.
723
politiques ou autres. Dans les trois fonctions définies par l’Église dans l’orthodoxie, et
rappelées par Daniel Arasse (pour le XVe siècle), l’image religieuse doit émouvoir, mouvoir à
la dévotion et rappeler les points essentiels du mythe religieux2187. C’est ce dernier point qui
nous intéresse à présent. Nous n’allons toutefois pas expliquer le sens de chaque forme prise
par Michel selon le schéma typologique utilisé dans le second chapitre, car ce classement
artificiel, s’il avait facilité la description des divers types vestimentaires et d’attributs de
l’archange, ne se prête pas à un découpage net pour l’étude des sens. En effet, les éléments
porteurs de sens sont beaucoup trop imbriqués dans l’iconographie de Michel pour être
séparés et analysés séparément. Ainsi, un type peut comporter plusieurs sens, et un sens peut
être porté par plusieurs types ; le guerrier et le psychopompe sont par exemple liés car c’est
bien en tant qu’accompagnateur des âmes que Michel est obligé de prendre les armes pour les
protéger. Les significations des images de l’archange vont donc être étudiées à travers les
quatre grandes fonctions de l’iconographie michaélique que nous avons relevé : affirmer la
toute-puissance de Dieu ; rappeler la lutte violente et permanente du bien contre le mal ;
affirmer l’inéluctabilité de la justice divine ; et promouvoir la figure de Michel pour des
raisons plus personnelles.

II.1- Affirmer la toute-puissance de Dieu

La première fonction de tout ange dans les images, de n’importe quel chœur qu’il soit,
et de n’importe quelle manière qu’il le fasse, est de souligner la puissance de Dieu par sa
présence, sa soumission, et son service. C’est d’ailleurs le sens à priori de toute image
chrétienne. À partir de l’époque romane, les anges sont régulièrement des suivants, des
accompagnants du Christ ou de la Vierge dans l’iconographie chrétienne. Les figures
angéliques se multiplient, correspondant aux écrits d’angélologie qui décrivent des nuées
d’anges autour de Dieu. L’iconographie de Michel se justifie en premier lieu par cette
fonction générale. Sa figuration près d’une représentation du Christ ou de la Vierge, en
pendant de Gabriel, permet d’insister sur l’importance des figures divines qui apparaissent
alors comme des souverains accompagnés de leur cour. Le parallèle entre royauté divine et
royauté céleste ne se joue pas seulement au sein des figures régnantes, mais également par la
présence de leur cour, attestant du faste et du cérémonial qui entourent le souverain. Notons, à
ce titre, que Michel et Gabriel n’apparaissent pas comme des petites figures au milieu de
nuées, ils ont des proportions importantes, parfois égales à celles de la divinité, qui les
distinguent clairement des anges classiques et leur donnent une fonction précise dans la
monstration de la gloire du Christ. Car, si le sauveur apparait sous une forme humaine, sa
nature divine n’est pas seulement représentée par la figuration du nimbe crucifère, la position
centrale de sa figure et la posture en majesté, mais également par le fait qu’il soit entouré de
personnages clairement non humains, dont la nature extra-terrestre est assurée par la présence

2187
ARASSE, 1981, p. 133.
724
des ailes. Lorsque les deux archanges portent, en plus, des armes, dans ce genre de
composition, ils deviennent une véritable garde rapprochée, et l’inaccessibilité de Dieu est
confirmée. Il y a déjà ici un assemblage de la fonction classique d’ange assumée par Michel
comme proche de Dieu, avec sa fonction guerrière, affirmée dans les Écritures et confirmée
dans les écrits chrétiens des Pères ou des théologiens, transformant le membre de la cour en
membre de la garde du souverain céleste. Escorte divine ou gardien armé, sont les principales
fonctions assumées par Michel en Italie avant le XIVe siècle, soit à travers le type byzantin,
soit à travers le type angélique, qu’il soit armé ou non. Le remplacement de Gabriel par un
empereur byzantin, ou le simple fait que Michel soit vêtu comme lui, signifie, nous le
rappelons, que les deux figures sont liées par la même fonction d’accompagnateur des
hommes vers le salut, et surtout par la même soumission au créateur, unique souverain
universel2188. Les évolutions de spiritualité, aboutissant dans les images à l’humanisation du
Christ et à un certain rapprochement des fidèles, participent à supprimer la garde armée de
Dieu des représentations. Malgré la disparition de l’affirmation de la toute-puissance de Dieu
comme thème principal dans l’iconographie michaélique, cet aspect est toujours présent dans
toutes les images de l’archange, car Michel n’est pas un homme inspiré par Dieu de plus ou
moins loin, sous des formes plus ou moins claires, mais il reçoit ses ordres directement du
souverain céleste avec lequel il est en relation directe.
Plus que tout autre ange ou saint, la présence de l’archange Quis ut Deus dans une
composition, est vue comme une intervention divine réalisée par son serviteur le plus fidèle.
Chacune de ses actions et de ses apparitions est donc clairement l’exécution d’une mission
divine. Pina Belli d’Elia précisait à ce propos que les épisodes d’apparitions étaient
particulièrement une « trasposizione personificata della dynamis, la potenza di Dio »2189.
Michel est le bras armé de Dieu, et c’est par la force de l’épée qu’il prouve sa fidélité sans
faille à son souverain. Les représentations de la chute des anges rebelles, attestent de
l’existence du libre arbitre des anges, et si certains sont déchus, d’autres sortent victorieux de
l’épreuve destinée à prouver leur fidélité à Dieu2190. Les mauvais anges sont alors jetés sur
terre, et la tradition attribue à Michel, l’ange-soldat, le soin de mener cette chasse, faisant de
l’archange la figure par excellence de la fidélité au souverain céleste. Dans cette optique, la
représentation de l’armure de plates au XVe siècle, peut alors être considérée comme la
protection assurée par Dieu à son serviteur en échange de son indéfectible loyauté. La
protection métallique est l’image de la foi de Michel en Dieu qui lui consent une protection,
non pas corporelle, mais spirituelle. Comme son maître, l’archange est juste mais également
intransigeant, en témoigne le sérieux de son visage dans toutes les peintures du corpus, et la
réalisation d’actions parfois punitives contre les hommes. Les épisodes d’apparition de
l’archange au Mont Gargan ou au Mont-Saint-Michel, et leurs représentations, insistent sur
l’exigence de l’archange face aux évêques auxquels il apparait pour ordonner la construction

2188
Voir à ce propos les chapitres 1. I.2.1.2.2. L’empire byzantin berceau de l’iconographie michaélique ? et
2. I. 1.1.1. Saint Michel et le basileus.
2189
BELLI D’ELIA, 2000, p. 123
2190
BAREILLE Georges, « Angélologie d’après les Pères », dans Dictionnaire de Théologie Catholique, t.I, 1,
Paris, 1930, p. 1203.
725
des sanctuaires en son honneur. Dans les images de ces apparitions, Michel a le doigt levé en
signe de communication d’un ordre. Dans les autres mises en scènes, et en particulier celles
où Michel apparait sur le Mausolée d’Hadrien à Rome, il est clairement présent pour délivrer
le message de Dieu aux hommes. Les épisodes épiphaniques de l’archange sont un écho aux
exigences divines qui met sans cesse la volonté des hommes à l’épreuve. Le port régulier de
la balance par cet archange sévère prouve que l’archange est bien « la manifestation visible du
pouvoir divin dans l’économie du salut »2191.

II.2- Rappeler la lutte violente et permanente du bien contre le mal

La fonction martiale de l’archange est la plus prégnante du corpus, à travers les


éléments du vestiaire michaélique, ses attributs inertes, ses attributs-agissants, ses positions,
ou ses actions2192. La présence de l’adversaire de Michel est particulièrement signifiante.

II.2.1. Michel contre son adversaire, une représentation symbolique de la lutte du bien
contre le mal

L’image de Michel luttant contre le dragon s’inspire, bien sûr, de l’Apocalypse 12, où
les adversaires sont clairement identifiés comme Michel et ses anges, contre le dragon à sept
têtes et ses anges. Pourtant, l’histoire même de l’iconographie de l’archange guerrier, montre
que l’image de Michel combattant s’est avant tout développée comme une image non
narrative2193, inspirée de celle de l’empereur victorieux. Dans ces représentations, le
vainqueur prend clairement la forme d’un personnage connu - un empereur identifié, puis le
Christ et enfin saint Michel - alors que le vaincu n’est pas individualisé mais apparait sous
une forme symbolique : un serpent ou un dragon. Ce qui importe dans les versions
michaéliques, plus que la référence à la fin des temps, est le caractère victorieux du soldat de
Dieu qui foule aux pieds son ennemi, en dehors de tout cadre temporel ou spatial. L’archange
est alors invoqué personnellement pour lutter contre le mal en général, sous n’importe quelle
forme qui soit. La figure classique du dragon, à une seule tête, qui est la plus courante, est
alors une figuration de l’ennemi à combattre, comme dans les images de Marguerite, Georges,
Marthe ou d’autres, il est l’incarnation de Satan, du péché ou du paganisme, selon les
contextes iconographiques ou de réalisation des peintures. Dans les représentations où le mal
est davantage individualisé par le cadre spatio-temporel, tels notamment les anges rebelles ou
le dragon pluricéphal, l’adversaire est moins un symbole qu’une entité vivante et participant
pleinement à l’Histoire dans la perspective générale du salut de l’homme. Mais ils sont, de
2191
GUARINO, 1987, p.84
2192
80% des images répertoriées font référence à la qualité martiale de Michel. Voir à ce propos le chapitre 2. I.
3.3.1. Les trois types de l’archange guerrier.
2193
Voir à ce propos le chapitre 1. III. 2.2.2. Origines et développement de l’image de Michel combattant le mal.
726
toute façon, des formes différentes d’un même ennemi, à des moments clés de l’histoire du
mal dans lesquels Michel a un rôle important à jouer : la naissance du mal, au moment de la
création de l’homme, et sa défaite définitive à la fin des temps.
À travers ce rôle fondamental de l’archange comme combattant du mal par excellence, c’est la
figure du protecteur qui apparait dans les images, d’autant que l’homme est souvent présent
dans les compositions, sous la forme des petites âmes ou des petits corps ressuscités, sur
lesquels nous reviendrons. Ce rôle de protecteur justifie notamment la présence de Michel
dans un contexte antipesteux. Dans le panneau peint par Barna da Siena, le combat de Michel
est associé à celui de Marguerite dans la prédelle. Au centre de cette dernière, un ange
réconcilie deux personnages qui ont déposé leurs armes à leurs pieds. Cette image, peinture
votive réalisée pour la fin de la peste, montre que les fidèles ont déterminé la cause de la
punition divine, et, qu’avec l’aide des saints, ils ont réussi à combattre le mal qui les rongeait,
en réparant leur faute, par la réconciliation. Michel est ici un assistant des hommes dans leur
lutte contre le mal, et un protecteur.

Barna da Siena, Mariage Mystique de sainte Catherine et saint Michel (et détail), Boston, Museum of
Fine Arts, peinture sur panneaux, 1340.

Cette fonction est également prégnante lorsque l’archange apparait aux côtés des Vierges de
Miséricorde. Dans le gonfalone peint par Mariano d’Antonio et Benedetto Bonfigli, et
commandé par la communauté pérougienne en ex voto pour la fin de la peste, figure, au
registre principal, une Vierge du Miséricorde qui protège la population de Pérouse 2194. Au-
dessus d’elle, le Christ, en buste, est armé de flèches qu’il lance en direction de ceux-là même
que protège Marie de son manteau. Il est accompagné de deux anges qui dégainent leur épée
pour frapper le peuple pécheur. Au registre inférieur, Michel (identifié par une inscription
dans son nimbe) charge de sa lance une représentation de la mort sous la forme d’un
squelette, devant une figuration de la ville ombrienne. Dans cette image, Dieu prend
clairement la forme du punisseur, alors que la Vierge, est l’intercesseur des hommes. L’action
de Michel participe, quant à elle, à la protection des fidèles, puisqu’en tuant la mort, il met fin
aux ravages de l’épidémie. Son action semble en contradiction directe avec celle du Christ, et
il parait davantage comme le bras armé de la Vierge que comme celui du Christ. Pourtant, son
image complète en définitive, le double aspect de la justice divine, punisseur des mauvais et
protecteur des justes. Car si le peuple était fautif, il se rachète par sa prière à la Vierge et par
la réalisation de cette peinture expiatoire. Lorsqu’il apparait à nouveau près d’une Vierge de
Miséricorde dans notre corpus, Michel n’est pas en action mais présente ses armes près du
2194
Aujourd’hui conservé dans l’Oratoire San Bernardino de Pérouse.
727
groupe de fidèles, signifiant qu’il est prêt au combat pour assurer la protection des hommes
placés sous le manteau de Marie.

Mariano d’Antonio et Benedetto Bonfigli, Vierge de Miséricorde et


saints (et détail), Pérouse, San Bernardino, peinture sur panneaux, 1464.

Michel est donc un envoyé de Dieu clairement identifié et armé, pour lutter contre le mal et
ainsi protéger les hommes de ses attaques.

Au-delà de cette figure d’archange nommée et individualisée, préposée à la lutte


contre les forces du mal, Michel apparait également dans les peintures de notre corpus comme
un symbole à portée plus générale, du bien, et son combat est une image du combat universel,
ici christianisé. La lutte du bien contre le mal est un thème universel des religions anciennes,
en Égypte, à Babylone, en Grèce, mais également en Chine, en Inde ou au Japon, comme le
précise Louis Réau2195. Le conflit chrétien prend racine dans la dispute entre les anges, à
propos de la place de l’homme dans le cosmos2196. Cette naissance du mal n’est rendue
possible que par l’existence du libre arbitre des anges, écho du libre arbitre des hommes, de la
désobéissance aux ordres de Dieu des uns, et de l’obéissance des autres. L’épisode se termine
par la chute des anges rebelles, qui marque le premier combat du bien contre le mal dans
l’histoire biblique, alors que le créateur avait déjà séparé la lumière et les ténèbres 2197. Avant
même le déroulement du péché originel, le cosmos est déjà divisé en deux pôles opposés.
Dans la tradition chrétienne, le fait d’attribuer à Michel la mission de chasser les anges
déchus, en fait de facto une personnification du bien. L’absurdité même du combat mené
physiquement par un ou plusieurs êtres immatériels et immortels2198, ne peut qu’insister sur le

2195
RÉAU, 1955, p. 115.
2196
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 1.1.5. Les mauvais anges dans la Bible.
2197
Voir, par exemple, TEYSSEDRE, 1986, p.225.
2198
Depuis le sixième concile œcuménique et le troisième de Constantinople (680-681), l’immortalité des anges
728
symbolisme de cette lutte et de ceux qui la mènent. Pourtant, il est presque certain que les
fidèles des XIII, XIV et XVe, pensaient que ce combat physique existait réellement, ce qui
explique en partie le réalisme des mises en scènes2199.
Selon Daniel Russo, toutes les images chrétiennes narratives seraient, de toute façon, sous une
forme ou une autre, l’illustration d’une psychomachie2200. Ce terme est le titre d’une œuvre
chrétienne de Prudence, de la fin du IVe siècle, et signifie le « combat pour l’âme » ou le
« combat de l’âme », double sens révélateur du fait que le combat des anges et des démons
pour les âmes est avant tout symbolique et représente une lutte qui doit se mener par
l’homme, de l’intérieur. Ce poème est le récit de combats entre des figures allégoriques des
vices et des vertus. Les images des épisodes médiévaux mettant en scène la vie des saints, des
récits d’apparition ou de miracles, portent en général ce sens global d’une opposition entre le
bien et le mal, et ne sont, en ce sens, jamais totalement narratives. L’iconographie de Michel
illustre parfaitement ce fait, notamment par le dialogue entre images de l’archange en état, qui
font également référence à cette lutte, et images narratives, qui reprennent souvent les mêmes
schémas que les images en état.
À la fin de notre période, lorsque figures archangéliques et figures démoniaques se
rapprochent autour de la figure humaine2201, l’opposition entre bien et mal semble se
cristalliser autour de l’homme. Michel paraît alors comme le pôle positif de la nature
humaine, une personnification des vertus, du bien présent en chaque homme, alors que le
démon est le versant négatif de cette nature humaine, une personnification des vices, du mal
présent en chaque homme.
Les significations prises par le combat de Michel, s’enrichissent également au contact
d’autres images, notamment celles de la Crucifixion. Les représentations de l’archange
victorieux ne sont pas seulement liées au Christ, par un transfert d’iconographie entre l’image
du Fils de Dieu foulant aux pieds l’aspic et le basilic, et celle de Michel sur le dragon. Ce lien
est également marqué par la signification symbolique de chacune de ces images. Le rachat de
l’humanité par le sacrifice christique, et par là, l’institution de l’Église, est célébré comme une
victoire sans armes du Christ, symbolisée dans les images par la croix, et plus spécifiquement
par la Crucifixion. Le lien, déjà souligné, entre image de l’archange et image du Crucifié2202,
réaffirme ainsi cette victoire par la figuration conjointe de la Crucifixion et de l’archange
foulant aux pieds le dragon vaincu, ou présentant simplement ses armes2203. Dans ce type de
composition, le Christ semble même être la proie, ayant servi à tendre un piège au mal,

est affirmée comme une grâce reçue de Dieu. VACANT, t.I, 1, 1930, p. 1266.
2199
MAURY Alfred, « Des divinités et des génies psychopompes dans l’Antiquité et le Moyen Âge », troisième
article, première partie, dans Revue Archéologique, Paris, Leleux, 1845, p. 239.
2200
RUSSO, Daniel, Saint Jérôme en Italie, étude d'iconographie et de spiritualité, XIIIe-XVIe siècles, Paris et
Padoue, éditions de la découverte, École Française de Rome, 1987, p. 277.
2201
Voir à ce propos le chapitre 2. III. 1.3. Au XVe siècle : le guerrier ailé dans un combat réactualisé.
2202
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 3.1.2. Saint Michel et le Christ.
2203
Ce lien était déjà clairement connu à travers des textes, notamment dans des œuvres romanes des régions
germaniques, où l’élément central des commentaires sur le combat de l’Apocalypse, était son parallélisme avec
la Crucifixion. AVRIL, 1971, p. 42.
729
désormais vaincu sous les pieds de Michel2204. L’image de l’archange armé d’une lance à
l’extrémité crucifère, réactualise également ce motif2205. Le combat de Michel contre le mal
est donc également une allégorie du mystère pascal2206.
Michel est donc, dans l’iconographie italienne des XIII, XIV, XVe et le début du XVIe siècle,
le représentant du pouvoir de Dieu, mais également, dans sa lutte constante contre le mal, de
l’Église triomphante, un protecteur des hommes et, plus généralement, une allégorie du
combat du bien contre le mal.

II.2.2. Le mouvement et le temps : l’image de Michel entre représentation d’un signe


et représentation d’un événement réel

Nous avons évoqué plusieurs fois déjà l’importance du mouvement dans la


représentation de l’archange Michel, en ce qu’il modifie la figure de l’archange, souligne la
particularité de sa mission, participe au naturalisme de la scène et ainsi à son insertion dans
l’histoire de l’art. Bien sûr, ce mouvement permet d’insister sur le combat de l’archange
contre le mal, mais une image de l’archange vainqueur accompagné d’un ennemi vaincu
suffit, dans certains cas, et démontre le caractère dispensable du mouvement dans
l’iconographie michaélique pour évoquer la bataille. Il semble ainsi que la figuration
dynamique de l’archange ou de ses attributs-agissants, porte une autre fonction, un autre sens.

Selon Jean Wirth, « l’immobilité est un effet de style qui permet de représenter
l’abstraction des substances pures, c’est-à-dire le spirituel, et de suggérer l’ordre stable des
choses invisibles »2207. Cette remarque peut éclairer la distinction nette qui existe entre le
visage de l’archange sans expression, et ceux des démons, grimaçants et indisciplinés. Mais
elle cesse d’être effective pour le corps de Michel, d’où un décalage souvent visible entre les
mouvements dynamiques et puissants du corps de guerrier de Michel et la retenue dans
l’expression de son visage juvénile. Le corps de l’archange semble, en quelques sortes,
entrainé malgré lui dans le mouvement et le désordre qu’introduisent les démons dans l’image
sainte. Mais il agit essentiellement pour mieux stopper ce trouble inconcevable dans les
représentations d’un au-delà ordonné et tourné entièrement vers la contemplation et
l’adoration calme et profonde du divin. Les gestes michaéliques traduisent surtout son

2204
AVRIL, 1971, p. 44.
2205
Nous n’avons par contre pas noté de liens particuliers pour notre période en Italie, entre l’iconographie de
Michel et le baptême - également considéré comme une victoire sur le mal - alors que ce lien était présent par la
figuration de plusieurs archanges au dragon dans des cuves baptismales d’Allemagne, de France, de Danemark,
de Suède, ou d’Angleterre. AVRIL, 1971, p. 49.
2206
AVRIL, 1971, p. 40.
2207
WIRTH J., « L’apparition du surnaturel dans l’art du Moyen Âge », p. 144.
730
efficacité. À ce titre, les anges en général, s’ils ne sont pas décrits physiquement dans la
Bible, sont toujours liés à un mouvement à l’image de leur efficience2208.
Si un attribut est un élément distinctif, ajouté à une figure pour préciser une fonction ou un
aspect de la personnalité ou de l’histoire d’un personnage, alors on peut considérer le
mouvement comme l’attribut majeur de l’archange, soit qu’il le porte lui-même, soit qu’il soit
reporté sur un autre objet ou personnage qui participe à définir Michel. La figure
archangélique peut être fixe et rigide, elle est presque toujours accompagnée de la balance,
instrument défini par sa capacité à se mouvoir dans l’espace, de l’arme, outil de l’action
guerrière qui n’est efficace qu’accompagné d’un geste, ou d’un attribut agissant, ennemi ou
petite figure humaine. L’insertion d’un personnage en mouvement dans une peinture, inscrit
immanquablement cette figure dans une action qui s’inscrit dans l’espace et dans le temps et
peut ainsi être porteuse de relations conflictuelles avec le support fixe et en deux dimensions
qui la reçoit. D’autant que l’image de Michel prend souvent place au milieu des cortèges de
saints entourant la Vierge à l’Enfant, ou, plus tard, dans des Saintes Conversations,
représentations hors du temps. L’action de l’archange semble s’inscrire dans une autre
temporalité que celle des saints. Même lorsque qu’il est immobile et porte simplement ses
attributs, eux-mêmes fixes, la relation de cause à effet qui unit les objets présents – l’arme et
l’ennemi vaincu, ou l’arme et la balance, ou la balance et l’ennemi - transforme la
représentation d’une simple image de saint en pied portant des attributs qui définissent sa
personnalité ou un épisode du passé, à l’illustration d’un instant qui suit directement une
action. Même statique, la figure michaélique fait référence à une action.

II.2.2.1. L’illustration d’un événement réel, passé, et futur

Le mouvement imprimé sur le corps de Michel est le signe qu’il participe à des
événements, et donc s’insère dans une temporalité, qui n’est pourtant pas celle de l’histoire
terrestre. Jacques de Voragine avait déjà bien résumé les trois interventions armées de Michel
qui font référence « à celle qu’il livra contre Lucifer quand il le chassa du paradis ; à celle
qu’il livre aux démons qui nous incommodent, et à celle enfin dont il est ici question, et qui
sera livrée à la fin du monde contre l’Antéchrist »2209. Le premier épisode, a lieu au moment
de la Création, moment qui précède le temps historique. La chute des anges rebelles est un
événement passé, clairement situé dans les temps, et achevé. Les représentations de cet
événement expliquent, en quelques sortes, les origines de la prise d’armes de l’archange au
moment de la naissance du mal. Le combat au moment de l’Apocalypse aura lieu dans un
futur indéterminé et sera le dernier combat du bien contre le mal. Cette référence au temps
futur est particulièrement importante dans la symbolique chrétienne car elle entérine de
manière définitive la victoire de Michel sur le mal, et met en image l’issue positive de
l’histoire du monde, ce qui explique le nombre important d’attributs évoquant le rôle de

2208
BEREFELT, 1968, p. 17.
2209
DE VORAGINE, 1967, p.239.
731
l’archange lors de la fin des temps. L’iconographie michaélique fait parfois l’amalgame entre
l’épisode passé de la chute des anges rebelles et l’épisode futur du combat contre le dragon de
l’Apocalypse, marquant l’universalisme temporel du combat de Michel2210. Encore une fois,
rappelons que les différentes formes de l’adversaire sont décisives dans la détermination du
moment représenté, car elles donnent une nature différente aux combats, et correspondent
ainsi à un événement plus ou moins précis de l’action michaélique. La forme du mal s’inscrit
donc dans l’histoire providentielle, mais aussi, et surtout, elle symbolise les moments
cruciaux de la vie humaine, dans sa confrontation au mal. Les divers types de l’adversaire
renvoient à des rapports différents entre le fidèle et Michel, autour de la protection apportée
par l’archange, dans divers moments de la vie de l’homme après la mort. Le combat contre le
dragon aura lieu au moment où le corps des hommes sera ressuscité et réuni à son âme pour le
partage définitif à la fin des temps. Il est redoutable mais lointain, car il interviendra dans un
moment encore indéterminé et dans un lieu extra-terrestre. L’archange qui le combat est
également un être à distance des hommes, général de l’armée angélique, qui n’a pas grand-
chose à voir avec le commun des mortels. Le petit démon, inspiré des êtres malveillants qui
tentèrent le Christ au désert, et après lui, les ermites, est celui qui tente le fidèle au quotidien,
et qui fera le compte de ses mauvaises actions au moment de sa mort. Ces créatures sont
proches de chacun, généralement circonscrites à des actions particulières, situées dans le
temps et dans l’espace terrestre. Lorsque Michel les repousse ou les transperce, il figure
comme l’auxiliaire quotidien de l’homme dans cette bataille ordinaire qui peut être réalisée
dans le présent ou dans un passé ou un avenir proche, à l’échelle de l’homme. Les deux
temporalités du Jugement – celle de l’âme au moment de la mort, à l’échelle humaine, et celle
de l’homme à la fin des temps à l’échelle de Dieu – sont imbriquées2211, et Michel est le
vecteur de cette imbrication. L’étalonnage dans le temps de l’action michaélique rappelle aux
fidèles que la lutte contre le mal est une entreprise de tous les temps, qui concerne chaque
homme.

II.2.2.2. L’affirmation de la permanence et de la proximité de la lutte contre le mal

Les images représentant un combat « générique » entre Michel et un démon, sans


éléments, attributs, mises en scènes ou paysages, permettant de situer clairement cette lutte
comme passée2212, ou future2213, semblent alors être une simple évocation de la fonction
guerrière de Michel et un symbole du combat universel du bien contre le mal2214, hors du

2210
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.1. Les scènes de combats de l’archange.
2211
À propos des deux jugements et de leur imbrication voir le chapitre 3. II.3. Affirmer l’inéluctabilité de la
justice divine.
2212
Dans une scène de chute des anges rebelles.
2213
Une balance, plaçant la scène au moment d’un jugement ; un paysage de l’au-delà situant l’action au
Jugement dernier ou un dragon pluricéphal pour l’Apocalypse
2214
Voir à ce propos la partie précédente, chapitre 3. II. 1.2.1. Michel contre son adversaire, une représentation
symbolique de la lutte du bien contre le mal.
732
temps. Mais, avec l’évolution des formes et de l’iconographie de la fin du Moyen Âge et du
début de l’époque moderne, nous comprenons que le combat n’est pas hors du temps, mais
plutôt de tous les temps, et particulièrement du temps présent. C’est bien ce que démontre les
modifications de la forme du mal dans les images de saint Michel, et en particulier le passage
du dragon aux démons, et des démons au démon humanisé. La multiplication des petits
démons à la fin du XIIIe et au XIVe siècle, avait déjà déplacé l’attention sur une psychostasie
personnelle qui intervenait directement après la mort de chaque homme, et où les fourberies
de l’ennemi étaient directement dirigées contre lui. Puis, l’agrandissement des démons, rend
ce jugement personnel plus menaçant. Enfin, l’humanisation du démon termine cette
évolution : l’adversaire de l’archange est presque aussi grand que lui, et les distinctions de
leur apparence se réduisent. Le combat mené par Michel, n’est plus, ni une petite dispute du
quotidien entre un bien largement supérieur et un mal espiègle et peu terrifiant, ou l’évocation
d’un grand combat, mais lointain, rejeté dans le passé ou à la fin des temps. Le fidèle est
amené à se méfier du mal, à le combattre, et surtout à être vigilant sur le fait qu’il prenne une
forme proche de celle du bien. L’insertion de la lutte dans des espaces plausibles,
architecturés ou paysagés, insiste sur le fait que le combat se situe bien sur terre, qu’il est
proche et ne se réalise pas seulement dans un avenir et un au-delà indéterminé. Le mouvement
participe pleinement à l’affirmation de la proximité et de la permanence du combat contre le
mal, en ce qu’il rend la scène vraisemblable. C’est également le cas des vêtements militaires
de Michel, qui siéent davantage à un combattant que l’aube ou la dalmatique. Lorsqu’il revêt
l’armure de plates, l’action de l’archange est plus encore inscrite sur terre, dans le temps -
celui du XVe siècle - dans l’espace - celui de l’Italie des communes - et dans un contexte où
les disputes politiques sont permanentes et les combats armés réguliers. C’est ici la
vraisemblance qui rend l’image de Michel effective, et permet une véritable présentification
du couple antagoniste et de leur lutte. Le choc émotif suscité par cette image, dont le combat
représenté semble si menaçant et si proche, doit, susciter la crainte, et surtout l’action du
fidèle, amené à confesser ses péchés et faire le bien pour éviter d’être prochainement, au
centre de cette bataille.
Le type de Raphaël note un certain recul de l’insertion temporelle de Michel dans une histoire
clairement déterminée et centrée sur l’homme, notamment par les transformations de sa tenue,
et l’absence de la balance, mais il permet une réactivation de l’universalité de l’intervention
michaélique, où le mouvement a une nouvelle fois un rôle central, et une réaffirmation de la
permanence du message religieux.

Au sein du groupe d’images représentant a priori la même action, il est également possible de
déterminer des décalages temporels légers, et ainsi un déplacement de significations du motif,
selon que l’adversaire soit encore bien vif, en train de recevoir le coup fatal, soumis ou déjà
mort, et ainsi selon que l’arme soit brandie, plantée dans l’ennemi, au repos et montrée ou au
repos dans le fourreau. À ce titre, les démons sont bien souvent plus vifs que le dragon,
toujours foulé aux pieds et la plupart du temps, déjà transpercé, et l’épée est souvent associée
à un plus grand mouvement que la lance. Le combat contre le dragon est gagné de manière
certaine, puisque cette victoire est signalée dans la Bible, mais le combat contre les démons,
733
n’est pas encore victorieux car tous les hommes ne seront pas sauvés. Ce qui est assuré, c’est
bien la victoire générale de Michel contre le mal, mais pas le sauvetage de tous les hommes.
Ce sont bien ces distinctions dans le motif général du combat, créant de légers décalages
temporels à l’intérieur des scènes, qui permettent de varier le degré de crainte qu’est sensée
susciter l’image, et d’assurance garantie par la protection de l’archange. François Garnier note
que, dans l’iconographie chrétienne, les personnages saints sont généralement représentés
dans leur état de perfection, « sans qu’aucun détail de sa situation, de ses gestes ou de ses
expressions puisse le lier à un être ou à une circonstance accidentelle »2215. Le degré
d’incertitude contenu parfois dans l’image en mouvement de Michel combattant, ne doit
pourtant pas faire douter de sa victoire, puisque cette indécision touche le destin des hommes
et non l’issue des actions michaéliques.
De la même manière, la mouvance de l’archange dans le cadre temporel, par les variations de
ses attributs, et donc de ses mouvements, est également visible dans le contexte du Jugement
dernier. Si la balance évoque un premier jugement qui a lieu dans une temporalité qui reste
humaine, l’absence totale de l’instrument de pesée au sein du Jugement dernier, déplace
également légèrement l’action de Michel dans le temps, par rapport aux épisodes de Jugement
dernier qui comporte une figuration de la pesée. Puisque le porteur de la balance symbolise le
moment où la sentence est rendue, le porteur de l’épée symbolise, quand à lui, le moment qui
suit de peu la sentence : celui où elle est exécutée2216.

Nous avons déjà plusieurs fois évoqué la question de la représentation de Michel


combattant son adversaire, comme celle d’une image entre le symbole et l’illustration d’un
événement : à partir de la question de la narrativité2217 et de celle du naturalisme de la figure
archangélique2218. Soulignons ici que ces deux aspects ne sont pas antinomiques, mais
correspondent à une fonction double des images chrétienne : édifier par l’exemple, sous la
forme d’images narratives, mais relier toujours le singulier au général, à une vérité divine et
universelle. En ce sens, la force expressive, mise, par exemple, au service de la narration, peut
également être au service du symbole, en le réactivant et en le rendant plus prégnant, tout
comme le mouvement et le dynamisme de l’archange. Jérôme Baschet écrivait, à propos de la
gueule de l’enfer, oscillant entre « célébration poétique de l’horreur de l’enfer » et « simple
dénomination », que c’était « sans doute le propre du motif iconographique que de se situer
dans l’intervalle qui sépare la métaphore et le signe »2219. Cette remarque est bien valable
pour les attributs de Michel, l’arme et la balance, qui sont avant tout des instruments, que
l’archange utilise d’ailleurs bien souvent dans les peintures italiennes, mais ils portent

2215
GARNIER, 1989, vol. 2, p. 50.
2216
Nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante, du chapitre 3. II. 3. Affirmer l’inéluctabilité de la
justice divine.
2217
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2. Nature de la représentation de Michel. Le degré de narrativité en
question.
2218
Voir à ce propos le chapitre 2. III. 3.2.2. Représentation et réel. L’image de Michel en perspective.
2219
BASCHET, 2014 (1e édition 1993), p. 285.
734
également un symbolisme fort, les transformant en symboles efficaces dans l’iconographie
michaélique. La figure même de l’archange, est encore plus ambiguë car sa représentation,
sous la forme d’un homme au corps puissant et naturaliste, correspond déjà à un premier
degré de symbolisme, puisque cette « incarnation » ne reflète pas une apparence naturelle,
mais l’idée d’une force angélique, elle-même reflet de la puissance divine. L’image de Michel
est alors davantage une personnification du combat du bien contre le mal, ou de la justice
divine2220, deux concepts centraux dans la spiritualité médiévale, mais pourtant totalement
abstraits. Cet aspect explique certainement le nombre restreint d’images narratives de
l’archange, mais le développement important de son iconographie « en état » et en
mouvement. Car même les combats menés « réellement » par Michel à un moment précis de
l’histoire, ne sont pas des luttes physiques entre plusieurs corps armés. L’illustration narrative
de l’événement est déjà elle-même le symbole d’un combat spirituel, qui prend la forme d’un
combat physique pour être accessible au plus grand nombre. La représentation de Michel et
de son adversaire est donc davantage, comme le note François Avril, un « événement
symbolique »2221.

À travers l’iconographie de saint Michel, et pour toute la période étudiée, le combat du bien
contre le mal est omniprésent et s’inscrit dans l'esprit du fidèle, comme un combat à la fois
passé, présent et futur, et en même temps réel et symbolique. La tension entre la vision
atemporelle de cette lutte, et historisante, se retrouve dans toute l’iconographie michaélique,
et particulièrement dans les images faisant référence à la fin des temps et à la justice divine.
Même si les évolutions formelles et iconographiques de l’archange en Italie entre 1200 et
1518, donnent l’impression d’un glissement de la figuration-signe vers la figuration-
événement, nous remarquons qu’il n’en est rien. La force symbolique de l’image du combat
n’est, en effet, pas amoindrie, mais bien plutôt réactualisée et réaffirmée par les moyens de la
narration, de l’insertion de l’anecdote, de la figuration du mouvement, du naturalisme, mais
également par la présence d’une certaine violence, porte d’accès vers une participation
émotive du fidèle.

II.2.3. Une image violente : une participation émotive par la brutalité et une
justification religieuse d’une certaine violence

Selon Henri Leclercq, la figure de saint Michel s’est rapidement fait une place dans
« l’Olympe chrétien, [où] il a été admis avec son caractère primitif, actif et violent, sorte de
divinité qui se révèle au monde par des apparitions quasi immatérielles »2222. Le caractère

2220
Comme nous allons le voir dans la partie suivante, chapitre 3. II. 3. Affirmer l’inéluctabilité de la justice
divine.
2221
AVRIL, 1971, p. 40.
2222
LECLERCQ Henri, « Culte de saint Michel », dans Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie,
Paris, t. XI, 1, 1933, p. 904.
735
violent de Michel est inhérent à sa fonction de combattant du mal. Le terme de violent est
employé ici pour qualifier un personnage usant de la force dans ses relations avec autrui2223.
Nous ne décelons pas, par contre, d’agressivité, car les traits du visage de l’archange sont
toujours détendus et sérieux, sans trace d’émotion. Le port de la lance ou de l’épée, est le
premier signe de cette brutalité, puisqu’une arme a pour fonction première de porter atteinte à
l’intégrité d’un être vivant. La violence de Michel se traduit ensuite par une vivacité et une
efficacité dans l’action et est révélatrice de la présence d’un danger, mais maîtrisé, ce qui
explique que le dragon ou le démon puisse parfois figurer dans l’espace commun à
l’archange, les saints et la Vierge à l’Enfant. La présence du sang, des membres sectionnés,
voire de l’agonie de la bête ou des démons, insiste sur la brutalité de l’action de Michel. Les
évolutions formelles centrées sur une observation plus attentive de la réalité, accentuent
encore la violence du combat par le réalisme des gestes, des armes, des vêtements et par
l’humanisation des protagonistes. Cette brutalité semble mal s’accorder à la figure angélique,
et avec une religion affirmant clairement que son Dieu est un Dieu de paix. C’est d’ailleurs
sans doute pour cette raison qu’on ne retrouve plus, en plein Moyen Âge, d’image du Christ-
guerrier, vainqueur de l’aspic et du basilic. Dans l’art roman, Dieu est désormais une figure en
représentation, inaccessible, immobile, immuable. S’il est encore en mouvement dans les
scènes narratives, son action est entièrement tournée vers des actes pacifiques. Le relais
assumé par Michel permet cependant de rappeler que Dieu est également un Dieu de l’action
et des réactions, et qu’à chaque acte, correspond une rétribution. À la fin du Moyen Âge, les
images du Christ exaltent sa Passion, à travers l’humanisation de sa figure souffrante et la
monstration de son corps de douleur. Dans ces images, plus que dans toutes autres, il ne peut
figurer en soldat belliqueux, car il est lui-même victime pour sauver l’humanité pécheresse.
Pourtant, ce pacifisme christique, qui n’oppose aucune résistance face aux assauts physiques
et psychologiques de ses bourreaux, est équilibré par les images plus violentes et plus réalistes
de la lutte de Michel contre le mal. Le dynamisme de l’archange permet, en quelques sortes,
de contrebalancer l’inaction du Christ. C’est justement parce qu’on exhibe les faiblesses
corporelles du Christ qu’on peut - qu’on doit - également représenter et dévoiler celui de
Michel. Aux images du corps meurtri du sauveur, blessé dans sa chair, répondent celles du
corps de Michel, fort, puissant, une enveloppe charnelle supra-humaine et inattaquable,
bastion de l’Église triomphante. Selon Jeanne Villette, les anges, dans l’iconographie
chrétienne, ont pour fonction d’exprimer ce qui n’est pas visible 2224. En ce sens, Michel
représente bien l’aspect combattant et victorieux sur le versant du mal de la nature divine,
dans un contexte spirituel d’impossibilité de figuration d’un Dieu guerroyeur. Il invite à
craindre la colère de Dieu, car, bien que le Christ soit pacifique, le développement des images
de l’archange soldat prouve que le Juge suprême ne laisse pas les injustices impunies.

Malgré le message de Jésus, l’Église a, bien vite, justifié une certaine violence, qui est
rendue nécessaire dans le lutte contre le mal. Comme lisible dans le texte de la Psychomachie
2223
Dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/violent .
2224
VILETTE, 1940, p.334.
736
écrit par Prudence à la fin du IVe siècle, c’est avant tout la loi du talion qui prédomine dans la
pensée chrétienne. Selon l’adage « œil pour œil, dent pour dent », la punition infligée doit
donc être en lien avec le degré mais également avec la nature de la faute commise, qu’elle soit
la même ou symbolique. Dans ce sens, la violence infligée aux personnifications du mal n’est
qu’un reflet de la réciprocité des crimes et des peines. L’instauration des Paix de Dieu, aux Xe
et XIe siècles, qui chemine des régions du centre de la Gaule, vers le midi par la vallée du
Rhône, malgré leur appellation, prouve que, loin de la nier totalement, l’Église justifie et
encadre la violence des combats entre les hommes. D’ailleurs l’instaurateur de ces
mouvements vers 970, l’évêque du Puy Gui, vouait un culte particulier à Michel et lui a fait
ériger un sanctuaire, aujourd’hui connu sous le nom de Saint-Michel d’Aiguilhe, dans sa cité
épiscopale2225. Les croisades sont bien sûr l’illustration la plus flagrante de cet encadrement
ecclésial des combats, puisque, c’est l’Église même qui appelle les hommes à prendre les
armes pour elle. Puisque cette violence est nécessaire, pour lutter contre les forces du mal, elle
est ainsi largement présente dans les programmes iconographiques chrétiens, surtout à partir
du XIIIe siècle, avec, notamment, les évolutions qui ont lieu autour des représentations de
l’au-delà et du Jugement dernier. Le moment de la séparation de l’humanité en deux groupes
est, en effet, un moment privilégié de mise en image de cette loi de la juste rétribution.
L’enfer, spécialement, prend une place considérable à partir du XIVe siècle, permettant
l’insertion d’un déferlement de violence sur les contre-façades des églises italiennes2226. Dans
ce contexte, le combat de Michel contre l’ennemi du bien, même s’il est particulièrement
dynamique et violent, a pleinement sa place dans l’iconographie chrétienne. L’archange fait
même figure de modèle pour les soldats qui mettent leurs armes au service de Dieu, dans le
contexte d’une société largement dominée par les rapports de force. Avant que ne se mette
clairement en place le code de la chevalerie chrétienne, Michel, accompagné de saints
guerriers comme saint Georges et saint Maurice, représentait l’idéal des bellatores2227.
L’institution de ces modèles était nécessaire pour moraliser les chevaliers dont l’ascension
sociale était importante en plein Moyen Âge. L’archange illustre bien la pureté nécessaire à la
réalisation des desseins belliqueux de Dieu, et l’efficacité de son action détachée de tout
sentiment vengeur ou agressif. Le lien entre le développement du culte de Michel par les
autorités ecclésiastiques et l’encadrement des laïcs militaires est indéniable. Avec le
développement des croisades, il devient le saint protecteur d’une certaine aristocratie
dominante2228, comme en atteste le motif d’argent à la croix de gueules qui figure dans ses
images sur son plastron, sa bannière ou son écu. Chaque homme est appelé à participer, à son
niveau, à l’action générale de Michel de lutte du bien contre le mal, notamment lors des
premières croisades, puisque les Sarrazins sont assimilés à l’Antéchrist. Mais après la

2225
LAURANSON-ROSAZ, 2001, p. 98.
2226
BASCHET, 1983, pp. 15- 36 ; 1985, pp. 185-207 et surtout, 2014 (1e édition 1993).
2227
LAURANSON-ROSAZ, 2001, p. 98.
2228
Notons par exemple sa participation, mentionnée dans un poème, à l’expédition menée vers 1087 par des
hommes de Pise et Gênes contre les cités musulmanes de Mahdia et Zawila. Voir H.E.J. COWDREY, « The
Mahdia campaign of 1087 », dans H.E.J. COWDREY, Popes, Monks and Crusaders, Londres, 1984, pp. XII 24 -
XII 29, cité dans DEHOUX, 2011, p. 128.
737
conquête victorieuse de 1099, et l’absence du retour du Christ, cet idéal eschatologique
s’effondre et Michel est de moins en moins souvent associé aux récits d’aides miraculeuses
pendant les croisades, largement devancé par saint Georges 2229. Dans ce contexte, Michel
n’est plus le soldat de Dieu principal, d’autant qu’au moment de la Réforme Grégorienne, les
autorités ecclésiastiques tentent de se démarquer des autorités laïques, alors détentrices du
pouvoir militaire, et préfèrent alors insister sur la singularité de la nature de Michel, son rôle
eschatologique, plutôt que sur des interventions guerrières terrestres2230. L’archange reste le
guerrier préféré des pouvoirs religieux, comme en atteste, par exemple, la présence courante
de sa figure, luttant contre le dragon, sur les crosses épiscopales. Ces objets rappellent
l’orientation de l’histoire générale des hommes vers la fin des temps, et ainsi la nécessité de
l’obéissance des fidèles aux évêques, remplaçant désormais les souverains dans le rôle de
guides efficaces vers le salut. L’histoire de l’Occident, notamment la mise en place des
seigneuries châtelaines, la Réforme Grégorienne, les croisades, l’affirmation de la suprématie
de Rome2231, explique le succès important de l’iconographie de Michel dès le Xe siècle, et le
développement de son image de guerrier. Car Michel est, par nature et par fonction, entre les
clercs et les laïcs : sa nature et ses fonctions angéliques le rapprochent des hommes d’Église,
alors que sa fonction de combattant le lie à l’aristocratie guerrière. Sa représentation cristallise
ainsi les conflits, les équilibres de pouvoirs, entre les deux ordres supérieurs de la société. La
militarisation presque totale de Michel à partir du XIVe siècle, atteste de relations plus
apaisées entre clercs et laïcs à la fin du Moyen Âge. Dès le XIIIe siècle, Pietro di Giovanni
Olivi insiste particulièrement sur le symbolisme de l’habillement militaire porté par les anges,
comme faisant le lien entre les anges - la Militia coelestis - les contemplatifs - les milities
Christi- et les chevaliers - les milites saeculi2232. Cet apaisement est certainement lié
également à l’apparition des nouveaux ordres religieux, et passe notamment par la
christianisation de la chevalerie, à qui l’Église a fourni, à partir de l’idéal archangélique, un
rôle dans la grande histoire du salut2233.
La violence affichée dans l’iconographie michaélique, a également des visées didactiques.
Elle participe amplement au discours terroriste émis par l’Église, qui permet l’instauration de
« parades sécurisantes »2234, qui passent principalement par la confession et donc par la
médiation des clercs. L’image de Michel contre le dragon ou le démon, est donc, tout à la
fois, figure du modèle à suivre dans le combat quotidien contre le mal, que doit mener chaque
fidèle, et modèle moral pour les chevaliers ; et figure punitive, où l’ennemi de l’archange
préfigure ce qui arrivera aux infidèles2235.

2229
DEHOUX, 2011, p. 128.
2230
DEHOUX, 2011, p. 129.
2231
DEHOUX, 2011, p. 130.
2232
BUSSAGLI Marco, Storia degli angeli, racconto di immagini e di idee, Milan, Rusconi, 1991, p. 158.
2233
DEHOUX, 2011, p. 132, note 129.
2234
Selon la formule employée par Jean Delumeau, 1978.
2235
Cette fonction répressive est déjà présente dans l’Homélie de Pantoléon où le dernier miracle, contemporain
de l’auteur, montre que le culte de Michel s’instaure également par la peur, car l’archange devient
particulièrement fort et méchant lorsque l’on doute de lui ; MARTIN-HISARD, 1994, p. 370.
738
Les significations des représentations de l’archange luttant contre son ennemi sont
donc multiples. Tout en illustrant la puissance divine, elles permettent avant tout de
symboliser le combat général et universel du bien contre le mal. Mais elles sont également
figuration d’un événement réel, passé, présent et futur, qui affirme la nécessité de la
permanence d’une lutte personnelle du fidèle et qui imbrique son histoire dans l’Histoire
générale. La violence de cette lutte doit marquer les fidèles en leur proposant des images
percutantes, pour les amener à prendre part à cette psychomachie, en choisissant le côté de
l’archange. Cette violence incitative de l’iconographie michaélique, révélatrice de la violence
acceptée, encadrée, voire même incitée par l’Église, est un outil didactique dans les mains des
autorités ecclésiales. Elle permet en effet de moraliser une société belliqueuse, tout en
poussant le fidèle à prendre les armes pour sa cause, et affirme, en outre, l’indispensabilité de
l’institution, en tant qu'intermédiaire entre l'homme et son salut. L’Église n’a pas pour but de
pacifier le monde, mais de sacraliser la guerre juste, ce que démontre, plus que toute autre
image, celle de Michel. L’iconographie de saint Michel en général, et l’importance donnée à
son caractère guerrier en particulier, si elles semblent en premier lieu participer à une
sécularisation de la représentation de l’archange, constituent en fait une affirmation des
pouvoirs spirituels et temporels de l’Église. Les fonctions, à priori contradictoires, remplies
par l’archange, et affirmées dans les images, de protection et de répression, tout en constituant
un modèle à suivre pour chacun, sont en fait les mêmes que celles remplies par Dieu, ou
même par l’Église, et correspondent plus généralement à une affirmation d’une justice
équitable, autour de principes religieux et moraux.

II.3- Affirmer l’inéluctabilité de la justice divine

Si les propos de la partie précédente étaient davantage centrés sur le rapport entre
l’archange et son ennemi, celle-ci se propose de déplacer notre regard vers les images des
âmes ou des corps ressuscités, portés ou accompagnés par le chef de la milice céleste, pour
comprendre les rapports entre Michel et les hommes et leurs significations, permettant
souvent une mise en perspective du combat de l’archange. La balance est centrale dans cette
analyse, ainsi que l’arme, toujours présente et signifiante.
Le combat de Michel contre les forces du mal semble le placer en protecteur des hommes,
mais l’archange n’est pourtant pas un simple ange gardien, constamment acquis à la cause
humaine contre le diable. En tant que symbole de la justice divine, il est autant protecteur que
punisseur, non pas seulement des démons, mais également des hommes pécheurs. De même,
les démons ont clairement un rôle à jouer dans l’exécution de la justice divine, et sont en
quelque sorte les procureurs indispensables au bon déroulement de la séparation de
l’humanité en deux. En effet, saint Augustin précisait déjà que le caractère bienfaisant des
anges les empêchait d’exécuter certaines sentences contre les hommes2236, qui étaient alors

2236
Saint Augustin In Ps., 77, 29 PL., 36, 1002, dans DUHR, t.I, 1937, p. 584.
739
commandées aux démons, comme l’énonçait Suarez2237. Ils sont, en outre, des faire-valoir
importants dans la représentation de la perfection michaélique.

II.3.1. L’archange acteur de la psychostasie, une allégorie de la justice divine

Autour de la balance, notamment dans les représentations en état, Michel est pourtant
encore clairement ce protecteur, de la pesée, et ainsi de la balance et des hommes qui y sont
évalués, contre les démons qui gravitent autour des plateaux. Au moment de la mort de
chacun, l’évaluation de l’âme du défunt est perçue comme une lutte entre les bons et les
mauvais anges, dont l’issue dépend des actions de l’accusé. Le type iconographique figurant
Michel portant la balance, dont les plateaux sont occupés par des petites figures humaines, et
usant de son arme contre un ou plusieurs êtres démoniaques (dragon ou démons
anthropomorphes), en dehors des contextes narratifs eschatologiques, réaffirme cette croyance
en représentant une véritable psychomachie, un combat pour l’âme. L’action de l’archange
permet alors souvent, dans les peintures italiennes, de délivrer une âme élue de l’emprise du
mal, affirmant ce rôle bienfaiteur, et faisant de l’image une exhortation à Michel pour qu’il
fasse de même pour les âmes des commanditaires ou de la communauté pour lesquels est
réalisée la peinture2238. Les rares images de Michel portant ou protégeant directement une
âme, sans la figuration de la balance, ont la même signification. Mais l’action de l’archange se
définit bien souvent comme surveillant du bon déroulement de la pesée, sans que son action
soit clairement en faveur ou en défaveur de l’homme, soit parce qu’il n’est pas évoqué dans
l’image, soit parce que Michel ne semble pas y porter une attention particulière. Ce type
d’images correspond alors à la figuration de l’archange sous la forme d’une allégorie simple
de la justice divine, qui prend son sens autour de la monstration de deux attributs majeurs de
l’archange : son épée et sa balance. Dans les images des Jugements derniers des XIIIe et XVIe
siècles, les deux attributs sont pourtant souvent représentés séparément : en France, Michel
est souvent le porte-balance, alors que les images italiennes semblent privilégier l’image de
l’archange séparant les élus et les damnés à la force de l’épée. Pourtant, les deux objets ne
sont pas forcément les révélateurs de deux aspects différents de l’archange, et sont
régulièrement portés conjointement par Michel dans les images en état ou dans les Jugements
derniers peints au XVe siècle en Italie.
L’instrument de pesée permet de prendre la mesure de chaque aspect d’une situation, ici d’un
individu, ou plutôt des actions d’un individu, pour parvenir à une décision équitable. Elle est
une évaluation entre deux choses, le bien et le mal, (qu’ils soient représentés par des âmes,
des corps ressuscités, des actions ou un objet symbolique). Elle est à ce titre une
représentation visuelle du jugement de Dieu2239. Mais l’épée peut également être le symbole

2237
Suarez, De Angelis, 1. VI, c. 19, n°6, éd. De Lyon, 1630, p. 519, dans DUHR, t.I, 1937, p. 584.
2238
Jean Fournée précise le rôle positif de l’archange comme annonciateur de la Parousie, porte-étendard du
Christ, et ami, intercesseur des âmes et introducteur au paradis. FOURNÉE, 1971, p. 66.
2239
Qui, selon saint Thomas, ne peut être rendu par la parole. Voir MÂLE, 1998 (8e ed.1e édition 1922).
740
de cette séparation et de cette justice divine. Dans l’Apocalypse, Jean décrit le Christ qu’il a
en vision et dit que « De sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants » (Ap. 1, 16).
L’épée est le symbole du Verbe au double pouvoir tranchant destructeur et créateur, symbole
donc de la séparation mais aussi de l’exécution de la justice. Elle a en plus une fonction
clairement punitive. Son côté tranchant est également symbole de la capacité de Dieu à
pénétrer l’âme des fidèles pour les estimer, comme l’explique l’Épitre aux hébreux, 4, 12-
132240 :
« Car elle est vivante la parole de Dieu ; elle est efficace, plus acérée qu'aucune épée à deux
tranchants ; si pénétrante qu'elle va jusqu'à séparer l'âme et l'esprit, les jointures et les moelles ;
elle démêle les sentiments et les pensées du cœur. Aussi nulle créature n'est cachée devant Dieu,
mais tout est à nu et à découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte »

Lorsqu’ils sont associés, loin de se répéter, les deux attributs sont complémentaires et
permettent en même temps de signifier la sentence et l’impartialité de la justice mais aussi la
force exécutive de cette sentence qui permet à l’archange « de trancher » ! Ils sont d’ailleurs
également réunis dans l’iconographie de la personnification de la justice, dont Michel est une
version chrétienne2241.
Le rôle de guerrier et le rôle de psychostase de Michel, sont de toute façon totalement
imbriqués dans ses fonctions comme dans son iconographie, qu’ils s’agissent des peintures de
l’archange en état ou en action. Ces deux aspects sont particulièrement présents
conjointement dans les scènes de partage où intervient Michel, car elles cristallisent son rôle
près des âmes, son rôle de guerrier et son rôle à la fin des temps. Jean Fournée évoque une
« dualité fonctionnelle qui correspond en réalité à deux modalités d’une même mission », à
travers l’image simplifiée de l’archange à la balance et combattant le mal 2242. Selon lui, il est
impossible de séparer le « triomphateur du Malin et l’assesseur du Juge Suprême. Le bras qui
porte le glaive est, comme celui qui tient la balance, au service de la même justice divine
»2243. Pourtant, l’insistance sur l’un ou l’autre de ces deux attributs reste signifiante.

Dans l’iconographie chrétienne, le port de la balance est révélateur d’une conception


plus individuelle du Jugement, chacun est jugé pour ses propres actes et nous ne sommes plus
devant un jugement collectif d’un peuple, d’un groupe d’hommes. Au cours du Moyen Âge, il
est établi qu’au moment de la mort, l’âme se sépare du corps du défunt et est alors soumise à
un premier jugement que l’on nomme jugement individuel ou jugement immédiat2244,
puisqu’il survient directement après la mort de chacun et non pas à la fin des temps. C’est le
moment du jugement de l’âme proprement dit, alors que le Jugement dernier permet de jauger
les hommes dans leur intégrité, juste après que leur corps ressuscité ait rejoint leur âme 2245. La
2240
Ce sens est déjà explicité par CHRISTE, 1999, pp. 93-94.
2241
Nous avons déjà vu que cet aspect est particulièrement affirmé dans le panneau de Jacobello del Fiore,
triptyque de la Justice, Venise, Galleria dell’Accademia, peinture sur panneaux, 1421.
2242
FOURNÉE, 1971, p. 65.
2243
FOURNÉE, 1971, p. 65.
2244
À propos du choix de ces termes, voir ANGHEBEN, 2013, p. 2.
2245
À propos de la distinction entre jugement de l’âme et Jugement dernier dans l’art, voir BASCHET, 1995, pp.
741
distinction entre le premier jugement de l’âme juste après la mort et un Jugement dernier de
l’âme réunie au corps au moment de la fin des temps, est fondamentale ici dans notre propos.
Le jugement de l’âme est une idée largement présente dans le christianisme, notamment
autour de l’essor de la liturgie des morts, et dans les récits de voyages dans l’au-delà2246. Dès
le XIIe siècle, on peut noter une multiplication des récits et des images du thème de
l’évaluation de l’âme directement après la mort, et les théologiens élaborent l’idée de
l’iudicium duplex autour de 1135-1155. Les conceptions autour de l’au-delà sont, à ce
moment, réorganisées, juste avant la naissance du Purgatoire (1170-1180). L’apparition de ce
troisième lieu marque un nouveau jalon dans la définition des événements qui se déroulent
entre la mort et la résurrection. Puis, dans la seconde partie du XVe siècle, les modalités du
Jugement de l’âme sont prises en compte par les théologiens, et le thème iconographique se
développe de différentes manières en Occident2247. Dans cette optique, les images de
l’archange à la balance se développent à partir du Xe siècle, mais principalement au sein des
Jugements derniers européens, que ce soit dans la sculpture romane2248, les reliefs gothiques
français et espagnols2249, et plus tardivement, dans la peinture flamande2250. Dans toutes ces
images, saint Michel est, le plus souvent, le porte-balance, mais notons que sa présence n’est
pas non plus indispensable. La balance dans les images de Jugements derniers peut être, soit
utilisée comme instrument pour évaluer les hommes ressuscités à la place des âmes, et
participe donc ainsi pleinement au grand partage ; soit être une évocation du premier
jugement personnel après la mort, dans une composition centrée sur la figuration du Jugement
dernier, qui résume alors le parcours de l’âme, de la mort à sa réunion avec le corps 2251. Dans
le premier cas, le terme de psychostasie ne peut être employé, puisque ce ne sont pas les âmes
qui sont pesées, mais les hommes dans leur intégrité retrouvée2252. La balance est, en outre, un
écho à la bipolarité chrétienne entre le bien et le mal, qui marque également la composition du
Jugement dernier en général. Elle est une forme plus pacifique de détermination du destin
d’une âme ou d’un homme2253, par rapport à l’affrontement d’anges et de démons dans les

159-203 ; 2000, pp. 5-30 ; 2009, pp. 103-123 ; et ANGHEBEN, 2013.


2246
CAROZZI, 1994.
2247
BASCHET, 1995, pp. 159-203.
2248
À Saint-Lazare d’Autun (1120-1135 environ) il est désaxé par rapport au reste de la composition. Il est
également présent à Sainte-Foy de Conques (1e ½ XIIe) et Saint-Trophime d’Arles (1180-1190).
2249
Il constitue presque toujours l’axe vertical avec la figure du Christ : cathédrales de Chartres (début XIIIe),
Notre-Dame de Paris (1210), Notre-Dame d’Amiens (1220-1230), Saint-Etienne de Bourges (années 1240) et
même chose pour les sculptures espagnoles : cathédrale de Leon, de Burgos.
2250
Saint Michel est souvent le porteur de la balance, par exemple dans le triptyque de Rogier Van Der Weyden
ou dans celui de Memling.
2251
Voir ANGHEBEN, 2013.
2252
Jean Fournée emploie le terme de Ponduator, celui qui pèse et considère la psychostasie comme une variété
iconographique du thème de la pesée ; FOURNÉE, 1971, p.76.
2253
Tout comme l’utilisation d’autres éléments, mais qui sont moins courants dans l’iconographie, qui
déterminent une comptabilité pacifique des bonnes et mauvaises actions d’un défunt. Par exemple, dans un texte
de Bède le Vénérable, à la mort d’un chevalier, les anges apportent le livre (libellus) contenant la liste de ses
bienfaits, et les diables celui où sont inscrits ses péchés (codex magnitudinis enormis et ponderis paene
importabilis) ; cité dans BASCHET, 1995, p. 174.
742
images en pieds, ou par rapport à une séparation physique à la force de l’épée dans les images
narratives2254. En portant la balance, saint Michel est, en quelques sortes, le porte-parole du
jugement de Dieu : l’objet est le symbole de la sentence qui est en train de se révéler aux
hommes. Dans ce sens, l’archange apparait dans une fonction angélique courante : celle de
messager divin auprès des hommes. La pesée des âmes se réalise de manière inéluctable : la
sentence est donnée et l’âme ne peut y échapper. En général, ce caractère inévitable rend les
scènes de pesée pacifiques : toute violence est inutile puisque personne n’échappe à son sort.

En Italie, les représentations de saint Michel portant la balance, se développent d’une manière
assez précoce2255, mais hors du contexte eschatologique. Nous avons déjà précisé que dans les
peintures du XIIIe siècle figurant l’archange comme acteur d’une pesée, notamment dans les
peintures murales des Abruzzes, les scènes ne représentaient pas une évaluation des hommes
à la fin des temps, mais bien une psychostasie, insérée dans un contexte de représentation de
l’au-delà, lieu d’attente entre la mort et l’Apocalypse2256. La multiplication des images de
Jugement dernier au XIVe siècle, ne voit pourtant pas le développement des images de
l’archange à la balance, et si le XVe siècle réhabilite l’instrument de pesée dans les mains de
Michel en contexte eschatologique, elle est pourtant davantage figurée comme un attribut non
utilisé que comme un instrument. La mise en scène de la pesée réalisée par Michel reste donc,
en Italie, uniquement liée à la figuration d’une psychostasie au sens propre, alors que
l’archange de la fin des temps utilise plus volontiers son épée.
La première raison de l’absence de la balance dans les Jugements derniers italiens, semble
être une prise en compte de l’individualité du jugement réalisé à la balance, qui n’a ainsi pas
sa place au sein de la séparation collective. En outre, le choix de l’un ou l’autre des attributs
michaéliques s’adapte alors à la matérialité de l’objet évalué : la balance pour les âmes,
évaluation symbolique pour un état immatérielle, et l’épée, instrument effectif pour la
séparation physique des corps. Cette discrétion peut, dans un second temps, s’expliquer par
une attention recentrée sur la figure du Christ-Juge. Émile Mâle évoquait le Jugement
gothique français en disant que « l’acteur principal de la scène du Jugement dernier n’est ni
Jésus, ni le Collège apostolique, c’est l’archange Michel »2257. Si cette remarque est exagérée,
il est vrai que l’humanité du Christ gothique fait passer son pouvoir de juge au second plan.
Dans la sculpture gothique française, nous ne sommes plus devant le Christ immense et

2254
Il est intéressant de remarquer que dans l’allégorie du bon et du mauvais gouvernement peint par Ambrogio
Lorenzetti dans la Sala dei Nove du Palazzo Publico de Sienne, la personnification de la justice du côté du bon
gouvernement, porte une balance, alors que celle du mauvais porte une épée et insiste clairement sur la fonction
punitive de l’action politique et judiciaire de ce mauvais gouvernement. Voir CARLI, 1975, p. 234.
2255
Une des attestations les plus anciennes de cette iconographie se retrouve sur un relief, de la fin du XIe ou du
début du XIIe, conservé au sanctuaire du Mont Gargan : saint Michel porte une balance de la main gauche dans
les plateaux de laquelle se trouvent deux petits personnages. Il foule au pied un démon qu’il transperce à l’aide
d’un bâton crucifère tenu dans sa main droite. (voir catalogue « L’angelo la montagna il pellegrino », p. 80).
2256
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts.
2257
« Il est debout, vêtu d’une longue robe à plis droits, car au XIIIe siècle, il ne porte pas encore l’armure
chevaleresque, et la balance est suspendue dans sa main. Près de lui, une âme attend en tremblant que son sort se
décide. », MÂLE, 1948, pp. 674-684.
743
impassible des compositions romanes. Le Christ-Juge gothique est homme et présente aux
fidèles ses blessures, signes visibles de son incarnation qui justifient sa présence à la tête du
tribunal céleste. Les anges qui l’entourent présentent les instruments de la Passion et insistent
une nouvelle fois sur le martyr tout humain qu’a subi le Christ. À Bourges, les mains de Dieu
ne condamnent plus dans une attitude de juge intransigeant mais elles découvrent les plaies,
preuves de son sacrifice et de sa bonté. Le jugement en lui-même est ainsi déplacé sur le
même axe vertical, au registre inférieur : la psychostasie devient le symbole de ce jugement
divin qui n’est plus présent dans la représentation même du Christ : le drame se concentre
désormais autour de la balance. A ainsi lieu une sorte de transfert de fonction du Christ à
l’archange, lié à l’humanisation de la divinité. Dans ce cas, aucune autre figure que saint
Michel ne pouvait mieux assumer cette fonction de suppléant du Christ juge dans les scènes
de Jugement. Pour autant, l’intervention directe de l’archange dans la pesée n’est pas censée
interférer dans le résultat, mais simplement empêcher les démons de perturber l’évaluation.
Michel reste un arbitre impartial et non pas un juge.

L’absence de balance des Jugements derniers du Trecento semble alors être un moyen de
recentrer le drame autour du Christ glorieux2258. L’iconographie italienne démontre que
Christ-homme et Christ-juge ne sont pas incompatibles et l’on retrouve parfois le Christ, torse
nu, avec ses plaies clairement exposées, qui réalise pourtant le geste du juge, du séparateur
des élus et des damnés, comme dans le détail de la prédelle de Giovanni di Paolo. C’est bien
par l’exhibition de ces blessures que la légitimité du juge s’expose aux yeux de tous. Cette
attention sur la figure du Christ est redoublée par le fait, qu’en plus d’être le seul élément
judiciaire déclarant la sentence, il devient, dans le schéma italien, le seul pôle positif de
l’image, puisque l’iconographie italienne ne propose plus de représentations du paradis, plus
de patriarches s’opposant à l’enfer comme lieu2259. Le signe de la sentence se retrouve
principalement dans la figure du Christ, et Michel est le bras armé de Dieu, c’est lui qui
permet l’exécution de la sentence. Michel reste dans les images italiennes, un simple
exécutant de la justice divine, et c’est dans ce sens que l’on perçoit le délaissement de la
balance, qui permet, en outre, de rendre plus immatérielle la pesée. Car cette évaluation, à
l’origine thème allégorique, était perçue par le peuple comme un fait véridique, matériel.
Alfred Maury parle même d’une déviance dans le fait de croire à la matérialité de la pesée2260,
qui ferait passer le pouvoir du Christ Juge au second plan puisque c’est la balance qui
détermine la place de chacun. Si l’archange à la balance pouvait parfois être pris pour le juge
lui-même, l’épée replace clairement Michel comme l’exécuteur de la volonté divine et
réaffirme ainsi son entière soumission au souverain céleste.

2258
Qui conserve d’ailleurs presque toujours sa mandorle dans les Jugements derniers italiens alors qu’elle
disparait rapidement de l’iconographie française.
2259
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.2. Le rôle de l’archange auprès des âmes et des hommes morts ; et
notamment le schéma résumant la disposition des différents pôles dans les images de Jugements derniers français
et italiens.
2260
MAURY, 1844, p. 145.
744
À travers l’emploi ou le rejet de la balance, les images italiennes de Michel insistent
sur le pouvoir du Christ-Juge dans les Jugements derniers, et semblent donner une réponse
cohérente au problème de définition des épisodes qui suivent directement la mort, et
notamment sur le destin des âmes dans l’intervalle de temps qui sépare le décès et la
séparation de l’âme et du corps, et le Jugement dernier qui marque la résurrection des
enveloppes charnelles et leur réunion à l’âme2261. L’archange intervient bien dans les deux
contextes temporels, mais de manière différente, utilisant différents instruments.

II.3.2. Archange surveillant le partage au Jugement dernier. L’utilisation des armes


contre les hommes

Si Michel ne porte pas la balance dans les Jugements derniers italiens du Trecento, et
parfois du Quattrocento, son rôle dans l’image et dans l’épisode s’en trouve nécessairement
modifié. L’archange n’est plus ni un protecteur, ni un acteur de la pesée, ni un messager.
Alors que la balance était un signe de la sentence rendue, l’épée fait de Michel un exécuteur
de la sentence divine. Comme dans plusieurs passages de la Bible, il est le bras armé du
Christ et une personnification de la toute-puissance de la justice divine. La séparation n’a plus
rien de morale et certains hommes tentent même d’échapper à leur destinée. Nous sommes
alors devant une séparation physique, réalisée à la force de l’épée et non plus par
l’infaillibilité de la pesée2262. La violence latente présente dans une grande partie de notre
corpus atteint ici son paroxysme autour de la figure de l’archange à l’épée des Jugements
derniers italiens, notamment à partir de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe2263. Pour
autant, la fonction des images michaéliques de participation à une terreur eschatologique,
n’est pas nouvelle au Trecento, car Michel n’est jamais, dans l’iconographie italienne des
jugements, un archange protecteur et rassurant. Avant 1200 et au XIIIe siècle, c’est davantage
par l’impassibilité et le hiératisme de l’archange du partage, que Michel instaure une distance
entre lui et les humains, et suscite une certaine crainte par l’intransigeance de sa
représentation. À la fin du Moyen Âge, au contraire, cette crainte est transmise par le réalisme
des figures de l’archange, qui crée une proximité entre Michel et le spectateur, et donc une
proximité entre le fidèle et son jugement. L’iconographie italienne des Jugements derniers est

2261
Cette réponse italienne n’est pas la seule qui est proposée en Occident. À propos de l’articulation du
jugement immédiat et du Jugement dernier sur les tympans français gothiques, voir ANGHEBEN, 2013,
notamment les chapitres 2, 3 et 4. Dans les livres d’Ars moriendi, Roger Chartier souligne la présence simultanée
des deux types de jugement, sur deux pages gravées, dont la première représente la bonne mort et la lutte de cinq
bons anges et de cinq mauvais, et la seconde montre saint Michel dans un Jugement dernier, pesant les hommes
dans une balance. CHARTIER, 1976, pp. 51-75.
2262
Dans l’iconographie byzantine, à Torcello par exemple, la violence était déjà présente puisque des anges
poursuivaient les damnés en brandissant leur épée jusqu’aux portes de l’enfer.
2263
Notamment à partir de la peinture murale de Pietro Cavallini de Santa-Cecilia-in-Trastevere à Rome,
exécutée en 1293, où démons et damnés sont repoussés par Michel et ses anges, du côté de l’enfer.
745
une démonstration d’une justice divine impitoyable, dont la mise en œuvre s’adapte aux
évolutions formelles et spirituelles.

La figure même de l’archange, dans ces Jugement derniers, ne se distingue pas de celles des
guerriers ailés que l’on trouve dans les peintures en état, vainqueur du mal ou le combattant
encore. Mais Michel n’use pas ici de ses armes contre les démons, mais contre les hommes.
Les démons ne sont d’ailleurs souvent pas présents lors de la résurrection des corps et le
jugement. Leur nombre se multiplie et leurs fonctions se diversifient mais ils restent confinés
dans l’espace désormais clos et compartimenté de l’enfer. Puisque les démons n’interviennent
plus pour récupérer les âmes pécheresses, ce sont les bons anges qui doivent les repousser et
c’est bien contre l’homme damné que Michel et ses anges usent de leurs armes. Ainsi, la
séparation elle-même, avant la vision infernale, est déjà le terrain d’un drame et de violences.
Nous sommes loin ici des premières évocations iconographiques du Jugement dernier dans les
peintures et les mosaïques paléochrétiennes, sous la forme d’un bon pasteur séparant des
brebis et des chèvres, scène qui se déroulait dans la paix et la sérénité. Les images de ce
thème avant 1200 en Italie et les images gothiques françaises représentent une séparation
sereine, rendue grâce à l’infaillibilité de la pesée. L’horreur de la damnation était malgré tout
rendue par les expressions des réprouvés et surtout par la représentation des supplices
infernaux. La violence étant circonscrite dans l’espace excentré de l’enfer. Mais déjà à
Torcello, les anges poursuivaient les damnés en brandissant leur épée jusqu’aux portes de
l’enfer. Et c’est surtout le développement sans précédent du lieu infernal qui marque
l’accroissement de la violence dans les images eschatologiques italiennes.
À partir des années 1330, a lieu un développement sans précédent de l’enfer : le lieu
s’organise, s’agrandit et se précise2264. Le lien qui apparait clairement entre péchés et
supplices, permet sans doute au fidèle d’identifier clairement les peines qu’il peut endurer en
fonction de la faute qu’il a commise2265. La multiplication et la description minutieuse de
chaque supplice permet une participation émotive et moralisante, mais également une
intériorisation de la culpabilité qui doit envahir le chrétien lorsqu’il se retrouve face à ces
images. En effet, la contemplation ou la méditation de l’enfer, doit amener le sujet à
s’imaginer en train de subir les supplices. Et c’est en se soumettant mentalement à ces
souffrances, qu’il tente de régler une partie de sa dette par une pratique expiatoire. En ce sens,
l’angoisse se négocie directement dans un face à face entre l’individu et l’image, et non dans
un premier temps par un recours à la médiation des clercs. La vue même des châtiments de
l’au-delà constitue déjà une sorte d’auto-châtiment que la figure punitive de Michel ne vient
pas réconforter. Car l’archange n’est plus la figure protectrice, nous l’avons dit, son
intervention se limite à participer à la punition. Ces évolutions d’iconographie sont à mettre
en parallèle avec l’évolution de la figure du Christ qui apparait plus souvent dans les images
italiennes comme un accusateur que comme un Dieu bienfaisant, alors que la présence de la
Vierge à ses côtés, constitue le versant miséricordieux. En tant qu’exécuteur des volontés

2264
BASCHET, 2014 (1e édition 1993).
2265
CHIFFOLEAU, 1980.
746
divines, l’image de Michel s’adapte à la nature des représentations christiques et participe à la
pastorale de la culpabilité mise en place par le clergé.
Les Jugements derniers italiens placent les fidèles de la fin du Moyen Âge devant leurs
propres responsabilités : ni les anges protecteurs ni les démons accusateurs ne sont présents
dans ces scènes, et les damnés sont seuls devant leur propre conscience2266. Alors qu’au début
du Moyen Âge la damnation était souvent perçue comme un mauvais coup des démons dont
l’âme était victime, l’homme de la fin de l’époque médiévale et du début de l’époque
moderne, est acteur de sa propre destinée et peut et doit participer à son propre salut. Si les
croyances orthodoxes sont collectives ; la faute, elle, est individuelle : le mal est un choix
personnel. Jacques Le Goff écrivait qu’« à l’intérieur de l’homme occidental s’ouvre un autre
front pionnier, celui de la conscience »2267. Pourtant cette responsabilisation n’a pas une visée
d’émancipation de l’homme par rapport aux institutions, mais plutôt de le culpabiliser « à
temps », pour qu’il ait recours aux sacrements de l’Église, unique institution capable de faire
parvenir l’homme au salut afin d’éviter les horreurs de l’enfer décrites dans les peintures
murales. Car s’il est damné, l’homme ne pourra échapper à son destin, car c’est Michel qui
surveille le bon déroulement du partage. La pastorale culpabilisatrice menée par le clergé se
manifeste donc également dans le choix de l’archange comme figure-clé de la séparation des
élus et des damnés, une figure forte et efficace : qui d’autre mieux que Michel peut incarner la
puissance effective et infaillible de Dieu ?
Pourtant le but ultime de ces représentations reste l’acte et non le sentiment, il ne s’agit pas de
faire peur mais de pousser les fidèles à agir, par le choix d’une vie conforme aux préceptes
chrétiens et surtout par le recours à la confession. Détentrice du monopole des sacrements,
l’Église est la seule capable de faire gagner le salut des fidèles2268. Ainsi, à travers ces images,
la culpabilisation des fidèles et la reconnaissance de leur responsabilité en tant qu’individu est
utilisée dans le but d’une réaffirmation de la nécessité de l’Église. Michel, figure centrale du
partage, cristallise l’aspect punitif de l’épisode eschatologique.

II.3.3. Michel, l’archange punitif de l’Italie

Dans les images de Jugements derniers italiens, l’aspect guerrier de Michel est
clairement affirmé par les vêtements qu’il porte et les armes qu’il tient2269, même au XIVe
siècle, lorsque son image est encore polymorphe. Son rôle est en général actif, voir même
parfois agressif2270 envers les hommes. Dans les compositions où il est au centre, débout,

2266
GOUREVITCH, 1982, p. 265.
2267
LE GOFF, 1981.
2268
BASCHET, 2014 (1e édition 1993), p. 580.
2269
Notamment par rapport aux représentations du reste de l’Europe. Citons par exemple la peinture flamande,
où, si le caractère martial de Michel peut être largement mis en avant, comme dans le Jugement dernier de Hans
Memling (1467-1471) du Muzeum Narodowe de Gdansk, il peut également être totalement absent, comme dans
celui de Rogier Van der Weyden (1452) du musée de l’Hôtel-Dieu de Beaune.
2270
Comme par exemple dans la peinture murale de Bartolomeo di Tommaso da Foligno, Terni, San Francesco,
747
d’une manière hiératique, il parait moins agressif, mais il n’est pas pour autant la figure
protectrice et rassurante des Jugements derniers français. Il est probable que cela soit
également lié à la mise en œuvre différente des images eschatologiques entre France et Italie.
La peinture, support privilégié de ce genre de scènes dans la Péninsule, est plus aisée à mettre
en œuvre, et peut s’étendre de manière plus large, puisqu’elle bénéficie de tout l’espace d’une
contre-façade et même parfois des parois à proximité, alors que le Jugement dernier français
est souvent limité à l’espace restreint d’un tympan sculpté ou d’un portail. Au XIIIe siècle, si
l’iconographie française du Jugement dernier insiste sur le caractère judiciaire de l’épisode,
où la balance prend clairement la place du symbole de cette justice, l’iconographie italienne
favorise la représentation des lieux de l’au-delà en général, figuration possible notamment par
la place disponible et la mise en œuvre de la technique choisie2271. Mais c’est surtout en
termes de localisation que cette différence est signifiante et induit alors des écarts d’utilisation
de l’image du Jugement dernier. En France, on les retrouve principalement sculptés sur le
tympan du la porte principale de la façade occidentale, alors qu’en Italie ils sont peints sur les
contre-façades. Même si les Jugements français et italiens se situent tous les deux au seuil de
l’édifice religieux, symbole du passage entre le monde terrestre et le monde céleste, entre
l’ici-bas et l’au-delà2272, l’un est visible dès l’entrée, à l’extérieur de l’église ; et l’autre est
visible en sortant, à l’intérieur de l’église. Alors que le Jugement dernier français s’impose
dès l’arrivée du fidèle, comme support de méditation, au-delà des Alpes, il se rappelle juste
avant la sortie, comme une dernière mise en garde aux fidèles avant leur retour dans le
monde2273.
Mais Michel n’est pas un archange punitif uniquement dans les épisodes eschatologiques.
Déjà dans les interventions de l’archange en Italie, les apparitions michaéliques sont souvent
l’occasion d’infliger aux hommes la punition divine, alors qu’en France on lui attribue
volontiers des victoires ou des miracles. Au Mont Gargan, la première intervention de
l’archange est marquée par le coup porté à Gargan, alors que les autres se déroulent sous la
forme d’ordres autoritaires aux évêques. Seule la bataille de Siponto marque une intervention
clairement positive, mais elle n’est jamais représentée dans notre corpus. Sur le Mausolée
d’Hadrien, l’apparition de Michel marque, bien sûr, la fin de l’épidémie, mais insiste surtout
sur le fait que cette maladie était bien le fait de Dieu, une punition dirigée, non pas vers les
démons, mais vers la population de Rome elle-même. L’épée de l’archange n’a donc pas un
rôle uniquement positif dans cette image. Finalement, le seul miracle totalement positif que
nous retrouvons dans les cycles michaéliques est le miracle de l’accouchée du Mont-Saint-
Michel, preuve que les images de Michel en tant qu’assistant désintéressé des hommes, n’est
pas une spécialité italienne. Lorsque Michel apparaît en pendant de l’archange Raphaël, dans

chapelle Paradisi, 1445-1451.


2271
La sculpture se prête en effet moins aisément à la définition d’un espace compartimenté et imbriqué, comme
celui des peintures italiennes des XIIIe et XIVe siècles.
2272
Comme le précise Jérôme Baschet, 1990, p. 552.
2273
Au XVe siècle, la peinture flamande, offre, quant à elle, un rapport beaucoup plus intime avec le ou les
fidèles qui le regardent, alors que Michel apparaît soit en guerrier punisseur, soit en acteur pacifique de la
psychostasie.
748
les images en état, le protecteur de Tobie est l’image-type de l’ange gardien, c'est-à-dire de la
protection personnelle, alors que Michel apparaît comme l’image-type du jugement personnel,
il prouve que les hommes doivent être dignes de la protection envoyée par Dieu, faute de
quoi, ils devront en assumer les conséquences.
À partir du moment où l’action punitive de Michel est dirigée contre les hommes et non plus
vers les démons, l’invocation au saint angélique à travers les images, prend davantage la
forme d’une prière au bourreau pour qu’il cesse sa punition, plutôt qu’une demande
d’assistance à un saint pouvant combattre le mal qui s’abat sur la population. Ainsi, les
Jugements derniers italiens des Tre- et Quattrocento, et plusieurs thèmes de l’iconographie
michaélique, semblent devenir des drames, destinés à impressionner et épouvanter les
fidèles2274 auxquels participent activement l’archange et son armée. Pour autant, si l’archange
n’est pas directement la figure protectrice et rassurante qu’il peut être dans d’autres
compositions, la violence qu’elle engendre est au service d’une prise de conscience destinée à
mener l’homme au salut. André Vauchez précise effectivement que la vision des supplices
infernaux, par exemple, ne débouche pas forcément sur un pessimisme et une passivité des
hommes face à leurs destinées, mais serait plutôt un moyen de les inciter à réagir pour que,
malgré la difficulté de la vie terrestre, les fidèles soient récompensés dans la vie éternelle2275.
Il semble que la volonté soit plus de provoquer un choc émotif par l’art. Michel use de son
épée dans les images pour épouvanter le fidèle et ne pas devoir ainsi l’utiliser réellement
contre lui au moment de la fin des temps.
Dans son culte, comme dans ses images, l’ambivalence de la figure de Michel demeure à la
fin du Moyen Âge, entre un archange protecteur et un archange punisseur, reflet du double
aspect de la justice divine, et révélateur de l’ambivalence des sentiments des hommes devant
l’eschatologie, mêlés d’espoir et de peur2276.

II.4- Promouvoir la figure de saint Michel : Le choix de l’archange pour des raisons plus
particulières

Au-delà des significations primaires et universelles que nous venons de décrire, une
deuxième strate de sens peut surcharger l’image pour s’adapter davantage à une commande ou
un contexte historique, social ou religieux précis. Elle explique souvent le recours conscient et
personnel du commanditaire ou du concepteur de l’iconographie à l’image de l’archange. Elle
correspond ainsi à des significations plus privées, ou au moins plus particulières, et nécessite
une meilleure connaissance de la peinture, de son contexte de réalisation. Il nous est

2274
COCAGNAC, 1955, p. 55.
2275
VAUCHEZ André, Conclusion de L’attente des temps nouveaux, eschatologie, millénarismes et visions du
futur, du Moyen Âge au XXe siècle, sous la direction d’André VAUCHEZ, Turnhout, Brepols, 2002, p. 145.
2276
VAUCHEZ André, Conclusion de Fin du monde et signes des temps, visionnaires et prophètes en France
méridionale (fin XIIIe-début XVe siècle), Toulouse, Privat, 1992, p.352 ; où il évoque l’importance de l’étude des
personnalités des visionnaires et des prophètes.
749
impossible, dans le cadre de ce travail, d’analyser une à une les peintures de notre corpus.
Nous avons choisi de présenter les trois groupes majeurs de ces sens secondaires : l’image de
Michel en tant que promotion des sanctuaires michaéliques et du pèlerinage ; l’image de
Michel au service d’un message politique ; ou l’image de Michel au service direct du
commanditaire.

II.4.1. Promotion du culte de saint Michel et des sanctuaires michaéliques

Chaque image de saint a, intrinsèquement, pour fonction de promouvoir le culte de la


personnalité sainte qu’elle représente. A ce titre, Michel ne déroge pas à cette règle générale,
car les dévotions qui lui sont rendues, nous l’avons vu2277, prennent largement la forme de
celles rendues à un saint traditionnel, de même que son image. Parallèlement aux évolutions
des types iconographiques, le polymorphisme du culte michaélique se cristallise, à la fin du
Moyen Âge, autour de sa fonction guerrière et de son rôle au moment de la fin des temps.
L’universalisme de ces deux fonctions contribue, de toute façon, à la diversification aisée des
significations portées par sa figure, reflet de la grande adaptabilité et malléabilité de l’image
de l’archange. Les images qui placent Michel au centre des compositions, se trouvent souvent
dans des lieux de culte dédiées à l’archange. La suprématie visuelle de sa représentation est
ainsi à l’image de l’attention majeure que lui porte la communauté et le commanditaire privé
lui ayant dédié ce lieu de culte. Pourtant, nous ne possédons pas de représentation de ce type
dans le grand sanctuaire de Monte Sant’Angelo. Au Mont Gargan, la technique picturale n’a
pas été privilégiée pour les représentations qui se trouvent dans l’enceinte du sanctuaire, du
moins pour la période étudiée2278. Nous ne pouvons ainsi pas définir de signification
spécifique donnée à l’image de Michel dans le berceau de son iconographie. A la Sacra di San
Michele, le peintre Defendente Ferrari, qui réalise plusieurs panneaux pour l’église abbatiale,
à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, dote toujours l’archange d’une croix de Saint-
Georges, portée sur une bannière. Il inscrit ainsi clairement le combat de l’archange dans la
perspective des croisades, sur la route desquelles se situe l’abbaye, et la place ainsi comme un
point central sur le chemin du plus grand pèlerinage à caractère guerrier. Outre cette
particularité piémontaise, il ne semble pas qu’il y ait eu de spécificités iconographiques au
sein des sanctuaires dédiés à Michel, si ce n’est une mise en avant de sa figure.
Les récits des apparitions et des miracles, qui sont à l’origine de la fondation des grands
sanctuaires dédiés à saint Michel, ont pour rôle principal d’apporter une caution religieuse à
ces établissements2279. La mise en image de ces récits est donc une preuve visuelle de la
sacralité du lieu et de sa légitimité, qui se diffuse bien au-delà des sanctuaires michaéliques,

2277
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 3.2.1. Saint Michel, les hommes, les anges et les saints.
2278
Notons en effet l’importance de cette technique au XIX et XXe siècle pour les ex-votos se trouvant au
sanctuaire. Voir BRONZINI, 1993 ; TRIPPUTI, 1999, p. 255 ; 2009, pp. 101-123 ; 2011, pp. 265-276 ; et
MAVELLI et TRIPPUTI, 2011, pp. 265-276.
2279
Voir à ce propos le chapitre 1. II. 3.1. Histoire et géographie du culte michaélique en Occident.
750
notamment pour le Mont Gargan, dans toute la Péninsule, en au-delà des Alpes. Nous n’avons
d’ailleurs pas de trace de cycles des récits de la légende de saint Michel à l’intérieur même
des sanctuaires italiens entre 1200 et 15182280. L’iconographie de ces légendes est une vitrine
de la sacralité imprimée, par l’apparition de l’archange, sur un territoire donné. Nous avons
déjà vu que ces images mettaient clairement en avant les spécificités géographiques du lieu
d’apparition2281, comme en atteste, par exemple, le motif indispensable et central du Mont et
de la grotte dans la scène du taureau ; ou encore, les détails architecturaux du Mausolée
d’Hadrien de Rome. Mais, plus que la promotion des sanctuaires ou du pèlerinage à saint
Michel, ces motifs témoignent de l’importance des apparitions dans le développement de son
culte, de son passage « physique » sur terre, garante de l’effectivité du pouvoir michaélique,
dont les images deviennent une nouvelle preuve matérielle. Ils sont ainsi l’équivalent, pour
l’archange, des épisodes de la vie d’un saint ou de ses miracles. C’est bien dans ce sens
qu’apparaissent, par exemple, les quatre scènes de la prédelle du polyptyque peint par Priamo
della Quercia en 1430. Cet ensemble, aujourd’hui au Museo Nazionale di villa Guinigi de
Lucques, était destiné à une église San Michele de la même commune. Ces panneaux avaient
donc pour fonction de rappeler les principales actions de l’archange, les moments forts de sa
« Vita », à la manière de celle d’un saint, avec lequel Michel partage la place dans les images
de cette période. Si l’illustration des légendes est loin d’être l’apanage de la peinture
italienne2282, et si le pèlerinage au Mont des Pouilles a largement perdu de son aura à la fin du
Moyen Âge, la création d’images des apparitions, dans plusieurs régions, à la fin du Moyen
Âge et au début de l’époque moderne, atteste du souvenir de ces sanctuaires comme des
éléments centraux du culte michaélique, et de la persistance d’une vision de ces lieux comme
des empreintes de l’archange sur la terre, et plus particulièrement sur le territoire italien.

II.4.2. Une iconographie au service de la politique et de la légitimation des actions


guerrières

Jean-Philippe Antoine note, dans un article sur les fonctions de l’image peinte en Italie
entre 1250 et 1400, que l’art religieux est l’unique lieu à partir duquel les peintres pouvaient
puiser des attributs symboliques reconnaissables de tous, pour pouvoir véhiculer un message
politique2283. L’habillage religieux des images politiques à la fin du Moyen Âge peut devenir,
selon l’auteur, un véritable instrument de la vie sociale. L’utilisation de grands programmes à
formes religieuses dans les palais publics, comme la Maestà peinte par Simone Martini dans
le Palazzo Pubblico de Sienne, attestent de l’usage politique de l’image par les gouvernements
2280
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint
Michel.
2281
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint
Michel.
2282
Voir à ce propos le chapitre 2. III. 2.1.2. L’échelle « nationale » et l’iconographie de saint Michel dans le
reste de l’Occident.
2283
ANTOINE, 1988, p. 610.
751
ou les personnalités importantes des communes. Les significations premières de l’image
sacrée ne sont pas pour autant niées ou simplement utilisées. Elles continuent d’exister pour
elles-mêmes et agissent toujours dans leurs fonctions de représentations religieuses, mais elles
ne constituent qu’une première strate de l’image. L’exemple des peintures murales d’une
chapelle de la basilique des Santi XII Apostoli de Rome, figurant le miracle du taureau et la
procession au Mont-Saint-Michel, en est un exemple prégnant2284.

II.4.2.1. Un exemple d’image michaélique comme support à la politique internationale

Dans la chapelle dédiée aux saints Eugénie, Jean-Baptiste et Michel archange, Basilio
Bessarione, patriarche latin de Constantinople et cardinal de l’Église romaine, fait représenter,
par Antoniazzo Romano e Melozzo da Forlì, entre 1464 et 1467, un Christ en gloire au milieu
des chœurs angéliques dans la conque absidiale (dont seule la partie inférieure est encore
visible aujourd’hui) et, dans la partie supérieure du registre central, les deux épisodes relatifs
à la légende de Michel. Dans la partie inférieure, selon le Padre Malvasia2285, étaient présentes
une Nativité de saint Jean-Baptiste, deux autres scènes relatives à sa vie, et une Vierge à
l’Enfant, remplacées, après une importante inondation entre le XVIe et le XVIIe siècle, par des
scènes de martyr de saintes Eugénie et Claudia. L’ensemble est recouvert en 16452286, puis
redécouvert en 1959 par Clemente Busiri Vici2287. Le cardinal avait fait de cette chapelle, sa
chapelle funéraire. Deux aspects semblent étonnants au premier abord dans ce programme.
D’une part, l’absence du miracle de l’apparition de Michel sur le Mausolée d’Hadrien, dans
un édifice romain proposant des scènes de la légende michaélique, est étrange. D’autre part,
l’illustration du miracle apulien et du miracle normand, par un commanditaire grec, alors
même que cette iconographie était absente de la tradition grecque, attire particulièrement
l’attention. Le cardinal n’était, en effet, pas spécialement lié ni à l’un ni à l’autre de ces
sanctuaires, ni ne vouait de dévotion particulière à l’archange. Michel n’est de toute façon,
pas figuré directement dans ces images. Ce n’est donc pas non plus le rôle de l’archange au
moment de la mort, qui pourrait se justifier dans une chapelle funéraire, qui est ici mis en
avant. La raison de la représentation de ces deux scènes sur ce mur, et donc la signification
secondaire de ces images, est à rechercher du côté de la biographie du commanditaire. Le
cardinal fut chargé d’une mission diplomatique en 1472 par le pape Sixte IV, pour tenter de
convaincre le roi Louis XI de France de prendre part aux combats contre les turcs, et ainsi de

2284
Voir à ce propos, l’article en ligne de Sabina ISIDORI « Il Cardinal Bessarione e gli affreschi della Cappella
dei Santi Eugenia, Giovanni Battista e Michele Arcangelo nella basilica dei Santi XII Apostoli in Roma », mis en
ligne le 18/11/2011, http://www.gliscritti.it/blog/entry/1133#ftnanc3 .
2285
Padre Bonaventura Malvasia, Compendio historico della ven. basilica di SS. dodeci apostoli di Roma, sua
fondatione, origine, nobiltà, sito, pretiosi tesori delle Sante reliquie, Roma 1665, pp. 36-37 ; écrit en 1645.
2286
A. CECCHINI, Instromento con l’imbiancatore, in V. Tiberia, Antoniazzo Romano per il Cardinale
Bessarione a Roma, Todi 1992, Doc. 10, p. 124.
2287
Voir à ce propos C. BUSIRI VICI, « Un ritrovamento eccezionale relativo all’antica basilica dei SS. Apostoli
in Roma », in Fede e Arte, XIII, Roma 1960.
752
partir en croisade pour libérer Constantinople. L’iconographie de la chapelle rappelle donc la
mission effectuée à la fin de la vie du cardinal. Saint Michel et les miracles de ses sanctuaires
lient symboliquement l’Église et l’Italie avec la France. Ce sont deux « patries » choisies par
Michel – et donc par Dieu – pour défendre la foi chrétienne et c’est à ce titre que le cardinal
byzantin va tenter de convaincre le roi de France de prendre part aux combats contre les turcs.
D’autant que les parallèles entre les deux images, et entre les deux légendes sont
nombreux2288. La présence de François della Rovere, futur pape Sixte IV et de son neveu
Giuliano della Rovere, futur pape Jules II, dans le groupe processionnel de la deuxième scène,
inscrit clairement la scène dans le contexte politique de l’époque. La représentation de moines
orientaux participe à faire de la scène peinte à Rome, une image de l’action du patriarche latin
de Constantinople. La figuration de ces divers personnages, qui prend la forme d’une
véritable délégation papale, permet également d’insister sur le rôle de l’Église comme vecteur
de diffusion du culte michaélique du sud de l’Italie vers la Normandie, mais surtout comme
reflet de la délégation envoyée par le Pape en France pour encourager le roi à participer à la
défense armée contre les ennemis de la foi. Le rôle central de guide de l’évêque d’Avranches,
saint Aubert, véritable protagoniste de la scène, au détriment de l’archange, semble alors être
le miroir du rôle assumé par le cardinal Bessarione lors de cette campagne de 1472. L’homme
d’Église, conscient que cette mission allait être la plus importante de sa vie, avait alors déjà
commandé les fresques pour sa chapelle funéraire2289.

Antoniazzo Romano et Melozzo da Forli, Légendes de saint Michel, Rome, Santi XII Apostoli, peinture
murale, 1464-1468.

Les images des légendes italiennes et françaises sont, pendant la période moderne,
régulièrement utilisées pour symboliser la protection d’un territoire ou la justification d’un
départ en croisade et permet alors de légitimer l’action guerrière entreprise et de requérir la
protection archangélique par la même occasion. Cet aspect pourrait également apporter une
certaine lumière sur la diffusion de ce genre de scène dans la peinture espagnole, avant-poste
de la croisade contre les Maures2290. Après 1518, la représentation de la bataille de Siponto,

2288
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 2.2.3. L’archange épiphanique et les cycles de la « légende » de saint
Michel.
2289
Le cardinal meurt au retour de France à Ravenne la même année, mais il avait réalisé un testament en février
1464, dans lequel il avait pris ses dispositions pour la réalisation de sa sépulture dans la chapelle de la basilique
dei Santi XII Apostoli à Rome. Ce document atteste que des accords ont déjà été passés entre le cardinal et le
peintre Antoniazzo Romano dès 1463 à propos de la chapelle.
2290
BELLI D’ELIA Pina, « L’iconographie de saint Michel au Mont Gargan », dans Culte et pèlerinages à saint
753
absente de notre corpus, rejoint les cycles michaéliques, et insiste particulièrement sur la
légitimité religieuse d’une bataille, comme celle menée contre l’hérésie luthérienne ou contre
la France ou l’Espagne sur le territoire italien2291.
L’iconographie michaélique, participe donc, comme la majorité du répertoire figuratif
chrétien, à « la construction d’une légitimité et d’une sacralité du pouvoir temporel »2292. Mais
la particularité des images de Michel dans cette fonction est de garantir une caution religieuse
dans la prise d’armes des hommes qui le font représenter.

II.4.2.2. Une caution religieuse pour les actions guerrières des commanditaires laïques

En tant que guerrier au service de Dieu par excellence, la figure de l’archange permet,
nous l’avons vu, de légitimer la prise d’armes dans le cadre particulier de la défense de
l’Église. A ce titre, l’image de l’archange sur le Mausolée d’Hadrien à Rome, cristallise la
fonction michaélique de défenseur en titre des hommes et de l’Église. A travers ce thème, et
par extension, s’il ne range pas, mais sort son épée, Michel est celui qui protège la forteresse,
la ville et le peuple de Dieu et plus particulièrement l’Église, dont le siège se situe à Rome,
des menaces extérieures2293. Il est, de toute façon, comme le définit la Bible, le bras armé de
Dieu, et quiconque associe son image à l’archange guerrier, s’associe à cette fonction de
protecteur de la foi. La présence de Michel dans une image rappelle ainsi la nécessité et même
la gloire des guerriers au service de Dieu. Dans la cathédrale d’Arezzo, le contexte de la
commande de la peinture murale du Maestro del Vescovado est assez bien connu. Le dévot
représenté sous la Crucifixion - Ciuccio di Vanni Tarlati di Pietramala – n’est pas le
commanditaire mais le frère de ce dernier. Roberto Tarlati da Pietramala a commandé cette
chapelle le 28 janvier 1334, en l’honneur de son frère défunt, commandant en chef de l’armée
d’Arezzo, cavalier gibelin décédé pendant le siège de Pise par l’armée de Louis IV de Bavière
en 13272294. Si l’iconographie de la Crucifixion constitue, dans ce contexte mortuaire, un
choix manifeste, la représentation de saint Michel fait, elle, écho à deux aspects de la
commande : l’archange est présent en tant que psychopompe - puisque la peinture est réalisée
pour un monument funéraire - mais également en tant que saint guerrier qui renvoie à la
condition du dévot et au contexte de son décès. Le peintre insiste d’ailleurs visuellement sur
l’attribut militaire de Michel : l’épée a une taille importante et une couleur blanche qui ressort
fortement sur le fond bleu nuit. De plus, l’archange pose ses deux mains sur le pommeau
comme pour amener notre regard sur l’arme tranchante. Le fourreau noir du dévot se
prolongeant au-delà du promontoire du Mont Golgotha, semble faire écho à l’épée de

Michel en Occident, les trois monts dédiés à l’archange, Rome, Collection de l’École Française de Rome, n°
316, 2003, p. 528.
2291
BELLI D’ELIA, 2003, p. 530.
2292
BASCHET Jérôme, « Introduction : l’image-objet », dans L’image. Fonctions et usages des images dans
l’Occident médiéval, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, 1996, p.7.
2293
MERCALLI, 1987, p. 110.
2294
BARTALINI, 2005, p. 291.
754
l’archange, arme au service de Dieu. L’image de saint Michel amène ici une caution
religieuse aux actions du défunt gibelin, alter-ego terrestre de l’archange. Michel était, en
outre, le saint protecteur de la maison des Tarlati2295.

Maestro del Vescovado, Crucifixion et saints, Arezzo, Duomo, peinture murale, 1334.

Ferdinand d’Aragon, roi de Naples, commande une peinture à Andrea Sabatini ou Antoniazzo
Romano2296, pour remercier la Vierge d'avoir échappé à la « congiura dei baroni » (1485-
1486). Dans la nuit du 10 au 11 septembre 1486, les barons du royaume s’étaient ligués contre
le roi et son fils, et l’historien napolitain Camillo Porzio, explique qu’ils étaient encouragés
par le pape et les autres princes du sud de la Péninsule, et il écrit :
« Di Lacedonia ecco la roccia alpestre/là i rubelli a vendicar le offese/sull'Ostia Santa staser le
destre/sperder giurando il seme aragonese»2297.
Le commanditaire est représenté aux pieds de saint Nicolas, et porte effectivement, dans la
main, un objet qui pourrait être l’ostensoir sur lequel fut prêté le serment. Cet objet qui atteste
de la caution religieuse des actes du roi, répond aux deux attributs portés par Michel, qu’il
présente distinctement : son épée et sa balance. L’archange apparaît ainsi clairement comme
une figure de la justice chrétienne, et indique que le roi a été sauvé grâce à l’intervention
divine, car il était juste qu’il le soit. La figure de Michel est donc, avant tout dans cette image,
une allégorie. Mais il apparaît également en tant que protecteur du roi, car il est l’un des saints
privilégiés de la dynastie aragonaise, touchée par un fort sentiment militaire et chevaleresque,
dans laquelle se transmet, de manière héréditaire, les dévotions familiales2298.

2295
Le défunt était également le cousin de l’évêque Guido Tarlati, seigneur d’Arezzo, BARTALINI, 2005, p.
291.
2296
Conservée au Museo San Gerardo Maiella de Lacedonia.
2297
Guida al Museo Diocesano Ariano Irpino, Lacedonia, Castellamare di Stabia, Grafiche Somma Industria,
2002, p.58.
2298
VITALE, 1999, p. 114.
755
Andrea Sabatini, Vierge à l’Enfant et saints, Lacedonia, Museo San Gerardo Maiella,
huile sur toile, peu après 1486.

Dans l’huile sur toile peinte par Mantegna entre 1495 et 1496, qui se trouve actuellement au
Louvre, le commanditaire est à nouveau représenté2299. Il s’agit de François II Gonzague, qui
apparait à genoux, sous un pan du manteau de la Vierge tenu par Michel. Il a commandé cet
ex voto pour orner la chapelle Santa Maria della Vittoria, qu’il a fait ériger à Mantoue pour
remercier la Vierge de lui avoir accordé la victoire à Fornoue en 1495. La raison d’être de
cette image (un ex voto pour une victoire guerrière) et sa destination (une chapelle « della
Vittoria ») expliquent le caractère guerrier qui prédomine dans la composition : les vêtements
du commanditaire, la présence conjointe de Michel et de Georges, en militaires qui présentent
clairement leur arme, du centurion Longin et sa lance, alors patron de Mantoue. Les autres
personnages, s’ils ne sont pas des saints armés, apparaissent dans leur fonction de protecteur :
la Vierge, intercesseur par excellence, dont le rôle de protecteur est appuyé par la présence de
son manteau de miséricorde ; saint André, autre protecteur de Mantoue ; et sainte Élisabeth,
accompagnée du jeune Jean, figure patronne d'Isabelle d'Este, épouse du marquis. L’archange
est celui qui protège directement la tête du commanditaire, et qui, plus que tout autre, justifie
la prise d’arme du seigneur, dont la victoire même est inscrite comme une preuve de la
caution religieuse.

Andrea Mantegna, Vierge à l’Enfant et saints (détail), Paris, Louvre, 1495-1496.

2299
A propos de cette peinture, voir la notice du site Insecula : http://www.insecula.com/oeuvre/O0001782.html
756
La nature angélique et la fonction guerrière de Michel font de l’archange, la figure protectrice
et légitimante privilégiée des seigneurs armés de l’Italie du XVe siècle et du début du XVIe.
La recherche de caution religieuse était en effet centrale dans les luttes entre guelfes et
gibelins, où, au-delà des luttes politiques, chacun se revendiquait comme le groupe choisi par
Dieu pour rétablir l’ordre sur terre.

II.4.3. Michel, le représentant du commanditaire ou du lieu qui reçoit son image

Il n’est pas évident de déterminer les intentions du commanditaire lorsqu’il fait


représenter l’archange, notamment parce que Michel est une figure importante du panthéon
chrétien en général, à qui l’on n’assigne pas forcément de caractère supplémentaire et
particulier. Il prend, sous diverses manières, le rôle de saint tutélaire, pour un homme, une
famille, une communauté. Dans le cas où le nom du commanditaire est connu, il est, dans
certains cas, possible de considérer que c’est l’homonymie qui justifie en partie la présence de
Michel au sein d’une peinture. Dans le polyptyque commandé par Brigida degli Elmi à
Niccolò di Liberatore, en 1492, pour la chapelle funéraire de son défunt époux, le riche
marchand et banquier Michele di Niccolò Picche, le choix de l’archange près du panneau
central ne laisse guère de doute sur le fait que l’archange était le saint homonyme du défunt.
Mais il est également présent en tant qu’assistant post mortem, comme en atteste l’attention
qu’il porte à la protection de la balance. Michel apparaît ainsi plusieurs fois dans des peintures
commandées par ou pour « des Michels », où sa présence se justifie également par son rôle de
protecteur personnel, et où l’archange est un vecteur entre l’homme qui porte le même nom
que lui et Dieu.
Ce lien nominal peut également se faire avec le lieu qui accueille les peintures de l’archange.
Mais il n’est pas alors de même nature, car si Michel est représenté dans une image destinée à
une église Saint-Michel, ce n’est pas seulement parce qu’il porte le même nom, mais bien
parce qu’il s’agit du même saint, à qui la communauté voue un culte particulier. La
représentation de l’archange est alors figure du protecteur principal, symbole du lieu qui
l’accueille et de la communauté toute entière qui se place sous sa protection. Dans ce genre de
composition, Michel occupe une place centrale, ou au moins l’une des principales.

Les congrégations religieuses laïques se multiplient à partir de la fin du Moyen Âge, et


choisissent un saint protecteur autour duquel ils se rassemblent au sens propre comme au sens
figuré. Car, si elles commandent une peinture, le saint tutélaire est parfois entouré des
membres de la Compagnie. Dans le panneau, peint sur les deux faces par Lorenzo di
Alessandro, le, ou plutôt les commanditaires, ne sont pas identifiés. Pourtant, le groupe de
dévots agenouillés aux pieds de l’archange, tous vêtus d’une toile grise ceinturée d’une corde
symbole d’obéissance à Dieu, et d’une cagoule pointue, dans un souci d’anonymat et
d’égalité, peut être identifié comme un groupe de pénitents, certainement une communauté

757
placée sous la protection de Michel, ou au moins au sein de laquelle la dévotion à l’archange
est centrale. Ces hommes s’en remettent à Michel pour les protéger au moment de la mort,
puisque le guerrier céleste porte la balance. C’est bien la repentance, véritable victoire sur le
mal, qui donne ici aux membres de la communauté l’accès à la protection de l’archange et
donc au salut de leur âme. La protection attitrée de Michel est directement liée aux pratiques
expiatoires auxquelles renvoie visuellement le type de vêtements de la communauté.

Lorenzo di Alessandro, saint Michel (et détail), Baltimore, The Walters Art Gallery, peinture sur
panneaux, revers, 1480.

Plusieurs autres confréries dédiées à l’archange sont les commanditaires de peintures de


Michel, sans que la communauté ne soit forcément figurée dans l’image. Dans ce cas, Michel
a une place centrale dans les compositions, en tant qu’intercesseur principal du groupe2300.

Les images de Michel se rencontrent également en contexte funéraire, même si cet


aspect est loin d’être majoritaire dans notre corpus. L’archange apparaît alors dans son rôle de
protecteur de la balance, mais agit également, non pas comme psychopompe, comme on le dit
souvent, car Michel ne transporte pas les âmes dans les images italiennes étudiées, mais bien
comme protecteur particulier du défunt au moment de la séparation de l’âme et du corps, et au
moment de la détermination du destin de la première. Rosso Nanno di Bartolo a commandé en
1422, pour un riche citadin véronnais, Niccolò Brenzoni, un monument funéraire dont les
peintures sont réalisées par Pisanello. Dans cette image, la protection archangélique a été
multipliée puisque Michel, en guerrier ailé à la balance, est accompagné de Raphaël,
l’accompagnateur des hommes par excellence, et Gabriel, le messager, qui figure dans la
scène de l’Annonciation. L’iconographie de ce programme peint, atteste du développement de
la figure angélique comme protecteur attitré des hommes, qui débouche sur la croyance aux
anges gardiens, dont nous reparlerons plus loin.

2300
Comme, par exemple, dans le panneau de 1360-1365, peint par Matteo di Pacino et conservé à la Galleria
dell’Accademia de Florence, commandé par un membre de la compagnie San Michele della Pace, où Michel est
en pied, au centre, et dans des proportions supérieures aux deux autres saints figurés : saint Barthélémy et saint
Julien. L’archange, désigné par le nom de la confrérie comme l’archange de la paix, porte pourtant son épée bien
en évidence, même si elle est au repos.
758
Le thème du Jugement dernier est, lui aussi, régulièrement présent dans les chapelles
funéraires, et ramène la mort du défunt, dans une perspective eschatologique plus générale. La
peinture murale déposée de Fra Bartolomeo, aujourd’hui conservée au Museo San Marco de
Florence, mais, à l’origine située dans le cimetière du monastère Santa Maria Nuova, figure
un Jugement dernier, au-dessus du tombeau de Dona Venna degli Agli, mère d’un patricien
florentin, Gerozzo Dini, qui a commandé cette peinture. Dans cette image, Michel est au
centre et surveille pacifiquement le partage. Il apparaît comme celui à qui il faut se
recommander pour accéder à la Vision Béatifique. Dans la peinture murale de Cristoforo da
Lendinara, réalisée dans la chapelle funéraire prévue par testament, de Filippo Bellincini,
mort en 1465, Michel est plus clairement le gardien du passage entre la résurrection des corps
et le Christ. Malgré la portée générale du thème, la présence de la balance insiste sur
l’individualité de chaque jugement, et sur celui du commanditaire en particulier.

Pisanello, Michel, Fra Bartolomeo, Jugement dernier, Cristoforo da Lendinara, Jugement


Rapahël et Annonciation, Florence, Museo di San Marco, dernier, Modène, Duomo, peinture
Vérone, San Fermo peinture murale déposée, 1499-1500. murale, 1424-1426.
Maggiore, peinture
murale, 1424-1426.

Dans ces images, où le commanditaire est présent, par son nom, sa figuration, ou,
directement, par la présence de ses restes corporels (dans le cas des chapelles funéraires),
Michel apparaît comme le protecteur individualisé pour l’homme qui pénètre dans le cadre de
l’image religieuse, et s’approprie les services d’un personnage religieux.

III.1.1.2. Conclusion

En tant que production chrétienne, l’iconographie de saint Michel remplit les fonctions
d’une image à la fin du Moyen Âge, comme elles ont été définies par Daniel Arasse, qui sont
celles d’émouvoir, de mouvoir à la dévotion et de rappeler les points essentiels du mythe
religieux2301. Sa qualité de guerrier archangélique, fait de son image un support privilégié de
la monstration de la puissance divine, dans son double aspect protecteur et punisseur, amenant
le fidèle à craindre la colère de Dieu ou à invoquer sa protection. L’inscription de plusieurs
2301
ARASSE, 1981, p. 133.
759
actions de Michel à la fin des temps, participe à faire de l’archange une véritable
personnification de la justice divine, en plus d’un symbole universel de la lutte du bien contre
le mal. Dans ces témoignages, la violence figurée est un outil au service de l’efficacité de
l’image et donc du message religieux basé sur la culpabilité et la peur de la damnation. Ces
aspects semblent assurer la pérennité des images michaéliques dans le contexte de la
reconquête tridentine, qui, selon Philippe Ariès, qui l’exprime avec quelques exagérations,
« se fait à l’aide d’une pédagogie terroriste qui ressort les vieilles imageries médiévales en
accentuant leurs aspects épouvantables »2302.
Parce qu’il est un être immatériel, et que ses missions ne sont, en général, pas physiques, mais
spirituelles, les actions de Michel - représentées sous la forme de gestes humains et de
mouvements physiques - ne peuvent ainsi être que symboliques, mais n’en restent pas moins
des images d’événements réels et inscrits dans le temps et un espace donné, même s’ils ne
sont pas toujours de l’ordre terrestre et humain. Il s’agit ainsi, bien souvent, d’images
« d’événements symboliques »2303. C’est, de toute façon, la nature spirituelle de Michel et de
ses actes, qui autorise, sans doute, cette iconographie à multiples facettes et cette richesse de
potentialité figurative, soulignée par Pina Belli d’Elia2304. Malgré la simplification des types
et des attributs de l’archange qui a lieu entre 1200 et 1518, la richesse symbolique de chaque
élément, évoluant en fonction des associations, des combinaisons ou des absences, permet à
Michel d’être le porteur de significations riches, variées et pouvant toucher tous les hommes.
Plus que la pluralité des formes, c’est bien l’adaptabilité des types à de multiples sens qui crée
l’efficacité de l’image michaélique.

2302
ARIES, 1982, p.164.
2303
AVRIL, 1971, p. 40.
2304
BELLI D’ELIA, 2000, p. 123.
760
III- REPRÉSENTATIONS DE SAINT MICHEL ET PUBLIC : USAGES,
PERCEPTION ET EFFICACITÉ D’UNE « IMAGE-OBJET »

L’image n’est pas seulement un acte de création pur des commanditaires et des
peintres, ni une représentation simple, mais elle est aussi un objet, destiné à des utilisations
plus ou moins précises et plus ou moins conscientes, et, en tant que tel, possède un public, des
modes de fonctionnement, des vies différentes. Elle s’affirme au centre de pratiques,
religieuses ou sociales, et apparait à ce titre comme une manifestation tout autant qu’un
support pour la dévotion. Nous allons ainsi étudier dans cette partie les différentes facettes de
l’« image-objet », terme employé par Jérôme Baschet « afin de souligner que l’image est
inséparable de la matérialité de son support, mais aussi de son existence comme objet, agi et
agissant, dans des lieux et des situations spécifiques, et impliqué dans la dynamique des
rapports sociaux et des relations avec le monde surnaturel » 2305. S’interroger sur l’usage de
l’image, c’est se poser diverses questions sur l’utilisation de l’image comme objet, sur les
gestes et les croyances qui entourent ces images, sur le statut de la représentation, sur les
agissements des peintures, sur leur pouvoir, et ainsi, dans le cadre de notre étude, sur la place
de l’image de saint Michel dans son culte et dans la spiritualité des hommes qui l’ont créée ou
reçue. Ces questionnements sont en lien direct avec les fonctions assignées à l’image, définies
dans le chapitre précédent, les complètent, les justifient, les contredisent parfois, ou les
transcendent.
Cette partie se propose d’évoquer, dans un premier temps, les différents usages de l’image de
saint Michel - bien qu’ils ne semblent pas spécifiques à l’archange - le rapport entre la
matérialité de l’image et les évolutions formelles et iconographiques, et la capacité qu’a
l’image de rendre présente le personnage représenté, et d’agir dans le sens d’une participation
émotive du fidèle. Dans un deuxième temps, nous aborderons la question de l’efficacité de
l’image michaélique, en analysant l’iconographie de l’archange comme vecteur principal de
sa sanctification, dans les images et dans la dévotion, puis, à travers l’exemple du démon
abîmé. Enfin, nous nous interrogerons sur le lien entre représentation et vision, dans la mesure
où, comme la représentation peinte, la vision de l’archange correspond toujours à une
épiphanie d’un être sans forme et sans corps.

2305
BASCHET, 2008 (1), pp. 33-34. Ce terme était déjà employé par Jean-Claude BONNE, dans une
contribution sur « Représentation médiévale et lieu sacré », dans Sofia BOESCH-GAJANO et Lucetta
SCARAFFIA, Luoghi sacri e spazi della santità, Turin, Rosenberg, 1990, p. 566.
761
III.1- Des usages de l’image médiévale entre représentation et matérialité

III.1.1. Usages et fonctionnements autour des images de Michel

Les images de saint Michel, comme toutes les images religieuses, sont des
manifestations de la foi et font partie des rares formes visibles, aujourd’hui conservées, d’un
intérêt pour un être saint, résultat de cet intérêt, support de dévotion, au centre d’un réseau de
gestes et de croyances. Elles peuvent, en outre, engendrer à leur tour de nouvelles pratiques.
Notons que pour être effective, l’image agissante doit être accompagnée de la médiation
d’une connaissance, portée soit par les récits bibliques ou d’autres écrits, soit par
l’intermédiaire du clergé, sans oublier le rôle de l’éducation et de la prégnance de la culture
chrétienne dès le plus jeune âge pour le fidèle. Étant donnée la popularité du culte de
l’archange et l’importance quantitative de son image, la figure de Michel faisait certainement
partie de celles qui étaient reconnues assez facilement et unanimement par les fidèles.
L’image religieuse, si elle est commandée bien souvent par un seul homme, lui est rarement
destinée à lui-seul, si ce n’est dans le cadre des peintures de dévotion privée. Pourtant, même
dans les images à usage personnel, l’objet ne disparait pas une fois le donateur disparu, elle
est réutilisée, réemployée, réappropriée, parfois transformée. L’image possède plusieurs vies,
qui peuvent apparaitre en décalage avec les usages prévus au moment de la réalisation de la
peinture. Les images étudiées sont, toutefois, pour la majorité, destinées dès leur création, à
être placées dans des espaces utilisés collectivement, par un public varié : ce sont des images
destinées aux lieux de culte.
Si l’image-objet est une entité vivante, l’iconographie, elle - comme les formes et la
composition générale d’une peinture, en un mot, la représentation portée sur ce support
physique - reste pourtant immuable, elle est créée et peinte une fois pour toute, et les
différents publics doivent alors s’accommoder à des images qui possèdent parfois plusieurs
dizaines ou plusieurs centaines d’années. La durée de vie d’une image est donc grandement
liée à sa capacité à s’adapter aux différents contextes qui la reçoivent, au risque d’être
recouverte, décrochée, démembrée ou détruite. Le caractère atemporel et universel de la
mission de saint Michel, exalté par le type guerrier dominant pendant la période étudiée, a
certainement contribué à faire que ses images ne soient jamais véritablement incomprises,
hors-mode et donc massivement détruites ou remplacées. De plus, la polysémie assumée par
cette figure de guerrier ailé, a certainement permis à plusieurs images d’être « réutilisées »,
même si l’une des strates du sens porté par la peinture n’était plus alors effective 2306. Il nous

2306
Nous pensons, par exemple, aux peintures portant un message politique, ou un sens particulièrement lié au
temps de sa création, comme dans l’huile sur toile d’Andrea Mantegna conservée au Louvre, peinte entre 1495 et
1496, faisant de l’archange l’introducteur privilégié de François II Gonzague auprès de la Vierge. Dans cette
image, le rôle de guerrier par excellence assumé par Michel le transforme en figure de protecteur de tous les
guerriers, dont l’image du commanditaire devient une représentation symbolique. C’est certainement cette
dépersonnalisation du sens de cette peinture qui lui a permis d’être conservée et de continuer à être agissante.
762
faut cependant nuancer ce propos puisque l’archange est finalement assez peu souvent
représenté seul.
Nous n’avons pas particulièrement noté de « mauvais usages » liés à l’utilisation de l’image
de saint Michel, qui sont, de toute façon, difficilement décelables car davantage liés à des
croyances. La critique de saint Bernardin de Sienne atteste pourtant des dérives présentes au
XVe siècle, où les fidèles portent une dévotion aux images, au lieu de la porter au
prototype2307.

Les images de l’archange, au sein de l’ensemble pictural dans lequel elles


apparaissent, peuvent répondre à différents usages, en fonction du commanditaire, du support,
de la place attribuée à l’objet, et donc de sa nature privée ou publique. Les peintures murales
dans lesquelles apparait Michel sont principalement situées sur les murs de l’église, et sont, à
ce titre, avant tout des supports liturgiques2308, retraçant les moments clés de l’Histoire
chrétienne, ou le portait des saints invoqués dans les prières. Elles servent à rendre présents la
divinité et les personnages saints, et ont une fonction majeure de rappel, d’aide-mémoire, à
destination de tous2309. Il ne faut pas non plus nier l’aspect décoratif de ces images. La
représentation de Michel peut aussi prendre place dans d’autres lieux, qui restent
majoritairement publics, comme par exemple le cimetière au Camposanto de Pise ou l’hôpital
de Prato. Dans ces programmes, l’image a avant tout pour fonction d’être un support de
méditation, fonction déjà remplie par l’image de l’église, mais qui est ici centrale. Si
l’archange prévient déjà les fidèles de l’inéluctabilité de la justice divine dans une
représentation de Jugement dernier située sur une contre-façade d’église, et peut à ce titre être
l’objet d’un support de sermon, ce même thème prend un caractère beaucoup plus prégnant
s’il figure sur les murs d’un hôpital, rappelant l’urgence du repenti et de la confession, au
moment où le fidèle est entre la vie et la mort. À ce titre, c’est bien la place de l’image de
l’archange qui lui assigne une efficacité supérieure. Le choix du type de bâtiment dans lequel
est figuré Michel, ainsi que sa place dans l’édifice ou la nature de son support, sont
déterminants dans la façon dont va agir son image. Les polyptyques et la grande majorité des
images peintes sur un support mobile, sont généralement destinés à orner un autel d’une
église ou d’une chapelle. C’est ce que l’on appelle, une « image de dévotion », définie par
Hans Belting comme une « œuvre d’art religieux mobile, peinte, parfois sur les deux côtés,
destinée à orner l’autel de l’église, de l’oratoire ou de la chapelle »2310. Ce type de

2307
ARASSE, 1981, p. 137.
2308
Jean Wirth précise qu’il n’existe pas d’image de culte pour saint Michel. Nous pensons qu’il fait
certainement référence au fait que l’archange soit rarement au centre d’une composition, et apparait donc
rarement en tant que figure de dévotion seule, ce qui, en outre, n’est pas totalement vrai puisque nous en
possédons quelques-unes. WIRTH, 2008, p. 276.
2309
Il faut souligner à ce propos les liens entre cette fonction de l’image religieuse et l’ars memoriae, système
d’images mentales servant à soutenir la mémoire, mis en place dans l’Antiquité, dans lequel la définition
technique servant à inventer les imagines agentes, sont réalisées en termes très plastiques et en donnant
notamment une place importante au lieu où se trouve les images. Voir à ce propos ARASSE, 1981, p. 133 et
ANTOINE, 1988, pp. 541-615.
2310
Définition donnée par Daniel Russo, à partir de l’ouvrage de 1981 d’Hans Belting, sur l’image et son public
763
représentation est au cœur des mêmes usages que les peintures murales, en tant que support
liturgique, d’aide-mémoire, de présentification et de méditation pour le fidèle. Il peut
également être le support d’usages « paraliturgiques »2311, comme dans le cas des images de
processions, généralement peintes sur les deux faces, telles la peinture de Lorenzo di
Alessandro, conservée à la Walters Art Gallery de Baltimore, vers 1480.
Le panneau, et plus tard la toile, sont les supports privilégiés des ex-votos peints. Dans ce cas,
c’est la réalisation même de la peinture qui la rend effective et sa visibilité est une preuve de
l’acte accompli. C’est l’objet qui est effectif, et la représentation qu’il porte n’est qu’un
renseignement, une précision du personnage remercié, ou de l’acte pour lequel il a été
invoqué. Dans ce genre d’images, c’est souvent le caractère guerrier de Michel qui justifie sa
présence, comme dans le cas d’ex-voto réalisés pour remercier d’une victoire, tel, par
exemple, celui commandé par François II Gonzague, à Andrea Mantegna pour célébrer sa
victoire militaire en 1495. Dans le contexte d’une peinture expiatoire, l’archange à la balance
peut apparaître au centre du rachat de l’homme, intercesseur efficace plus que punisseur. Si
l’acte lui-même de réalisation de l’image est ici central, l’efficacité de l’objet est également
déterminée par les gestes qui vont accompagner la représentation, support de prières, ou
autres, visant à demander le pardon de Dieu. Les peintures, murales ou sur panneaux, qui se
trouvent en contexte funéraire, sont certainement des supports de prières, réalisées pour le
défunts, dans le but de lui assurer un destin plus clément dans l’au-delà d’attente.
Dans le cas des peintures de dévotion privée, le format est bien souvent moindre et nous ne
notons pas une utilisation particulière, dans le cadre intime, de l’image de saint Michel. Il est
toujours figuré dans un ensemble, support de rappel et de méditation pour le commanditaire.
Les différences de place, de proportions ou de support dans l’édifice, sont également centrales
en ce qu’elles induisent un rapport physique et émotionnel différent entre la représentation et
le fidèle. L’impression (car il s’agit bien de sentiments) et donc l’usage et surtout l’expérience
d’une image de 3 mètres de haut ne sont évidemment pas les mêmes que pour une figure de
pinacle. Notons, en outre, que si Michel apparaît encore parfois dans de grandes proportions,
et plus ou moins isolé d’un groupe de saints, son image ne semble pas avoir été
particulièrement utilisée dans une visée apotropaïque, comme celle de saint Christophe ou de
saint Roch, alors que son caractère angélique et guerrier, aurait pu en faire un protecteur
quotidien particulièrement efficace. Il s’agit sûrement, une fois de plus, d’une preuve de son
caractère plus punisseur que protecteur dans l’iconographie italienne.

Michel est parfois en relation directe dans les images, avec une représentation de son
commanditaire2312. À partir du XIIIe siècle, l’insertion du « vif », le plus souvent sous la
forme du portrait du dévot, dans le champ pictural de l’image religieuse2313, outre la

au Moyen Âge. Voir RUSSO, 1996, p. 133.


2311
Défini dans l’introduction de Jérôme Baschet, de l’ouvrage collectif : L’image, Fonctions et usages des
images dans l’Occident médiéval, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, 1996, p. 17.
2312
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 3.3.3. Les images des hommes « normaux » ; et le chapitre 3. I. 2. La
commande.
2313
Initié par l’insertion de saint François, alors encore vivant, dans le cadre des Crucifixions, voir RUSSO,
764
connaissance de l’identité de ce dernier, permet surtout d’illustrer les modes d’utilisation des
représentations, et d’attester de la centralité de l’image dans la spiritualité des XIV et XVe
siècles, dont les manifestations sont de plus en plus personnelles et privées. Daniel Arasse
souligne que ces images constituent une « vérité de la conduite », une marche à suivre, une
« orthopraxie »2314. Elles sont la traduction, dans la peinture, des techniques de méditation de
l’image, et permettent, en outre, de réduire considérablement la distance entre le saint et le
spectateur, qui est alors invité à observer la même attitude que le vivant figuré dans l’image.
La figure du saint ou l’épisode représenté est inséré dans le monde contemporain, « on
pourrait parler d’irruption de l’image-souvenir dans la vie des individus, et conséquemment
dans la pratique sociale », comme le précise Jean-Philippe Antoine2315. L’insertion des
hommes « normaux » par la figuration des âmes au sein de l’iconographie de saint Michel, si
elle met en scène des fidèles semblables dans leur statut et leur nature, à ceux qui observent
l’image, ne constitue pas une insertion directe du monde réel dans l’image sainte, comme
c’est le cas pour le portrait d’un dévot. Les hommes participent ici directement à l’action et ne
sont pas dans une posture de contemplation devant une figure sainte ou une représentation de
figure sainte. Pourtant l’épisode rappelle indéniablement la proximité de cet événement qui
concerne tous les hommes, dans un avenir proche, qui est celui de leur mort, et atteste de sa
véracité.

III.1.2. La re-présentation, la vérité et la matérialité

Nous avons déjà précisé que l’image permettait de rendre l’absent, présent, de « re-
présenter »2316. Comme le précise Nelson Goodman « une image pour représenter un objet,
doit en être un symbole, valoir pour lui, y faire référence »2317. La mise en place d’un système
à base de formes simplifiées, signes efficaces représentant un signifié invisible et lointain,
devient, en plein Moyen Âge, la norme. Le but n’est pas, précise Chiara Frugoni, de rendre la
vérité, mais de la rendre intelligible à l’observateur 2318, l’image doit ainsi « être fournie dans
sa lisibilité la plus complète » 2319. C’est donc selon elle, à des fins didactiques que se
justifient le mécanisme additif et l’absence de fusion entre l’architecture, l’espace, le fond
d’or et les personnages. L’image n’est pourtant déjà pas un simple objet figuratif, mais
entretient un rapport étroit avec son prototype, et est elle-même porteuse d’une partie de la
sacralité de l’être représenté. La représentation prend justement une place centrale dans la
dévotion et le culte chrétien, parce que « l’image n’est pas seulement représentation, elle est

1984, p. 717.
2314
Dans le sens de l’accomplissement d’une action, de l’exécution d’un geste ; ARASSE, 1981, p. 132.
2315
ANTOINE, 1988, p.577.
2316
ARASSE, 1981, p. 133.
2317
GOODMAN, 1990, p. 35.
2318
FRUGONI, 2010, p. 115.
2319
FRUGONI, 2010, p. 122.
765
aussi présence d’une force surnaturelle » 2320, et est ainsi également soumise à des déviances
par les fidèles et des craintes par les autorités pensantes2321. Elle « agit » par médiation entre
celui qui la regarde, et le personnage représenté. Le pouvoir de présentification de l’image, à
la base de son efficacité, est ainsi gage de vérité, car, selon Johan Huizinga, « la naïve
conscience religieuse de la multitude n'avait pas besoin de preuves intellectuelles en matière
de foi : la seule présence d'une image visible des choses saintes suffisait à en démontrer la
vérité »2322. Ce qui prend forme sous les yeux du fidèle, qu’il s’agisse de vision mentale ou de
représentation picturale, est forcément vrai car visible. Pour Daniel Arasse, cette notion
d’efficacité passe également par la mémoire, car l’image est un « outil efficace du faire-croire
dans la mesure précise où elles sont un relais aide-mémoire de la croyance »2323.
Mais ce n’est pas seulement la représentation en elle-même qui acquiert une certaine sacralité,
mais l’objet tout entier sur lequel elle s’inscrit. La matérialité est de toute façon centrale dans
les manifestations de la dévotion chrétienne, qu’elle passe par des « images-objets », des
reliques ou des gestes. Le religieux se marque sur le corps, s’imprime dans les mouvements
réalisés2324, et la matérialité des objets liés au culte est garante de l’efficacité des expériences
religieuses2325. L’efficacité de l’image se situe bien entre médiation et matérialité.
Dans le cas de l’archange, son image est d’autant plus centrale dans son culte, que Michel est
un être sans apparence, ni matérialité. Seules ses représentations sont garantes de son
existence réelle, grâce à la « fonction psychologique » de l’image, « qui se borne à produire
une vive conviction de réalité et un sentiment profond de respect »2326. Pina Belli d’Elia note
que la présence effective de Michel, par l’image, est encore plus importante dans les églises
rupestres, dans la mesure où elle garantit l’absence du mal à l’intérieur des cavités
rocheuses2327. D’où l’importance dans ces lieux, des représentations en grand format de
l’archange, qui apparait souvent de manière frontale, droite, en tant que vainqueur du mal.

À la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance, le caractère matériel et les « vertus


esthétiques » de l’image, sont de plus en plus liés à l’efficacité, voire à la « puissance » de
l’image2328. La notion de vérité est encore renforcée lorsque les saints et les personnages
divins prennent la forme concrète et matérielle des hommes. Il ne suffit plus que l’image fasse

2320
BASCHET, 1997, p. 108.
2321
Ce transfert de sacralité entre signifiant et signifié est central dans les théories autour de la
transsubstantiation, où l’hostie, est le représentant matériel du corps du Christ, objet visible mais qui n’est plus
seulement le signe du sacré mais le sacré lui-même depuis la mise en place du dogme de la transsubstantiation
(1215). Voir MARCHAL et RIVIERE V., 1995, p. 1140.
2322
HUIZINGA, 2002, p. 316.
2323
ARASSE, 1981, p. 133.
2324
Sofia Boesch Gajano indiquait par exemple que « le corps est la réalité physique dans laquelle s’inscrit le
parcours spirituel », BOESSCH GAJANO, 2005, p. 105.
2325
Jérôme Baschet avait également souligné l’importance de la matérialisation du spirituel ; BASCHET, 2008
(1), p.259.
2326
HUIZINGA, 2002, p. 317.
2327
BELLI D’ELIA, 2011, pp. 213-236.
2328
BASCHET, 1997, p. 108.
766
croire, il faut en plus que le signifiant soit crédible pour que l’image fonctionne, et que l’on
puisse mieux croire au signifié2329. Bien sûr, comme le précise Nelson Goodman, la
ressemblance n’est nullement nécessaire pour faire référence à une chose non présente, car
une chose ressemblante n’est pas plus « représentative » de son modèle qu’une chose non
ressemblante2330 ; et Thomas Mitchell, d’ajouter que l’image « veut se faire passer pour une
immédiateté naturelle et une présence »2331, qu’elle n’est pas en réalité. Le risque est grand
également de déplacement du « faire-croire », vers le « savoir-faire », comme le précise
Daniel Arasse2332, et que la démonstration des qualités techniques illusoires prennent le pas
sur la fonction première de l’image religieuse qui est de rendre visible une vérité invisible.
C’est pourtant autour de ce passage du « faire-croire », au « faire-croire par
vraisemblance »2333 que se lève l’ambiguïté apparente d’une représentation réaliste de Michel.
La vraisemblance de sa figure n’a pas pour but de représenter la matérialité d’un corps, ou sa
force physique effective, mais est garante de l’efficacité de son image, et du fait que les
fidèles croient réellement en l’existence et l’efficience du chef de la milice céleste.

Mais ces modifications formelles ne sont pas sans ambiguïté, puisque le naturalisme même de
l’image refuse sa propre matérialité, voulant faire croire à l’œil du fidèle qu’il est bien devant
une figure de saints, ou devant une portion d’espace, alors qu’il s’agit d’une simple
représentation. Ces procédés semblent bien nier la matérialité de leur support, de la couche
picturale en deux dimensions, du panneau, de la toile ou du mur, alors même qu’elle propose
la figuration d’une matérialité visuelle, re-présentée. L’image reste tout de même la garante
d’une présence physique, notamment pour l’archange, qui ne possède pas de reliques. Émile
Mâle avait d’ailleurs noté à qu’« à défaut de reliques, il fallait aux pèlerins une image. »2334.
L’image de saint Michel constitue une matérialité palliative, puisqu’elle est, avec ses
sanctuaires dont la roche elle-même est devenue une forme de relique de contact suite à ses
apparitions, l’unique preuve perceptible par les sens, de son existence. Et c’est d’ailleurs là un
principe de fonctionnement majeur de l’image à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque
moderne : provoquer des émotions par sa « capacité à susciter la méditation intérieure »2335.

III.1.3. Des images qui invitent à une participation émotive

Jérôme Baschet note que c’est à partir des XI-XIIe siècles que les trois fonctions
données aux images dans le discours clérical sont clairement énoncées : celle d’instruire, de

2329
ARASSE, 1981, p. 136.
2330
GOODMAN, 1990, p. 35.
2331
MITCHELL, 2009, p. 91.
2332
ARASSE, 1981, p. 146.
2333
ARASSE, 1981 p. 146.
2334
MÂLE, 1998, p. 260. Notons également à ce propos l’importance de l’image de la Vierge comme élément
matériel central dans son culte, palliant le manque de reliques.
2335
ANTOINE, 1988, p. 550.
767
remémorer et d’émouvoir2336. La forme prise par les éléments à instruire et à remémorer ne
semble pas centrale, à partir du moment où elle est lisible et reconnaissable par le plus grand
nombre. Elle est uniquement liée à des impératifs d’efficacité, eux-mêmes dépendants de la
connaissance du spectateur. La troisième fonction ne se situe pas sur le même registre,
puisqu’elle est grandement tributaire des mouvements de l’âme, et liée à ce titre à la forme
prise par les signes pour susciter des émotions. Cependant, rappelons que l’empathie
n’empêche pas le symbole et que, si les peintures de la fin du Moyen Âge et du début de
l’époque moderne semblent privilégier la troisième fonction, les deux premières n’en sont pas
pour autant abandonnées, mais seulement absorbées dans cette volonté de faire participer le
fidèle au Mystère divin. L’utilité de l’image est réaffirmée en ce qu’elle est particulièrement
efficace pour émouvoir le fidèle2337. À une période de développement des expériences
mystiques, la recherche d’émotion devient centrale dans la pratique autour de l’image,
davantage que l’édification par le modèle représenté ou son adoration2338, et la représentation,
d’un « moteur de la mémoire », devient un « moteur des affections de joie ou de douleur
attachées à la méditation »2339. C’est bien l’émotion qui est la finalité, en ce qu’elle est
souvent elle-même le point de départ d’autres pratiques : expiation, confession, prière.

Nous avons déjà remarqué que la figuration des dévots dans l’espace pictural était un moyen
de représenter le comportement à adopter devant les images. Notons à ce propos que celles
des anges remplissent souvent la même fonction, au détail près qu’ils sont mis en scène dans
une plus grande participation émotive à l’épisode représenté. Les anges pleurent dans les
Crucifixions autour du Christ mort, dansent et chantent dans les Nativité, se recueillent autour
des Vierge à l’Enfant, ils sont un véritable reflet des émotions que doivent avoir les fidèles en
regardant telle ou telle image. L’iconographie angélique atteste de la place du pathos dans le
rapport aux images entre la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance. Pourtant, s’il
constitue en ce sens, un modèle à suivre pour le fidèle devant une représentation de Dieu, ce
type d’images n’est, à nouveau, pas sans ambiguïté, puisque la perfection des êtres angéliques
leur permet de ne pas utiliser de sens pour comprendre le mystère divin, et donc de ne pas
avoir recours à l’image ni aux sensations. Ils sont alors des révélateurs des limites propres aux
fidèles, dans la matérialité de leur rapport avec Dieu2340, mais n’en restent pas moins ici des
guides dans leurs réactions figurées et toutes humaines.
Michel ne participe pas à cette démonstration de sentiments des anges face aux épisodes en
train de se dérouler autour de lui. Il reste généralement, nous l’avons observé plusieurs fois,
impassible devant les actions qu’il exécute, signe de sa détermination et de son impartialité.
Pourtant, la violence au milieu de laquelle il figure et dont il est souvent l’un des acteurs

2336
BASCHET, 2008 (1), p. 29.
2337
ARASSE, 1981, p. 132.
2338
ANTOINE, 1988, p. 573.
2339
ANTOINE, 1988, p. 575.
2340
FAURE, 1988, p. 35.
768
principaux, a également pour fonction de susciter des émotions chez le fidèle, notamment un
état de « componction »2341.

Les gestes et les expériences au centre desquels se trouve l’image de Michel sont multiples et
variés, mais semblent correspondre aux usages classiques d’une image religieuse entre 1200
et 1518, avec une spécificité pour les contextes qui placent souvent l’archange au centre de
rites funéraires et d’actes expiatoires. Mais l’image de Michel est toujours comprise dans des
ensembles plus vastes, dans lesquels sa présence peut être centrale, mais presque jamais
unique. Sans que la question de l’usage de l’image michaélique soit au centre de nos
recherches, nous n’avons pas décelé d’usages exceptionnels des peintures de l’archange par
rapport à celles des autres saints. Si cette réflexion peut sembler banale, elle ne l’est pourtant
pas dans le cadre d’une étude sur l’iconographie d’un archange, et non d’un homme canonisé.

III.2- Efficacité de l’image michaélique

Le fait même que les images de Michel ne soient pas particulièrement au centre de
pratiques spécifiques par rapport à celles des autres saints, démontre en quelque sorte son
efficacité, puisque l’image semble ainsi avoir un rôle important dans la transformation de
l’archange Michel en saint Michel.

III.2.1. Michel ou la sanctification par l’iconographie

Dans la Bible, les anges sont parfois qualifiés de saints, comme dans le Livre
d’Hénoch qui annonce l’Apocalypse des Semaines où il est question de « la voix des saints
anges » (93, 2), ou dans un appendice aux Paraboles qui parle des « anges saints qui sont en
haut des cieux » (71, 8-9)2342. Dans son culte même, dès le Haut Moyen Âge, Michel possède
bien des sanctuaires qui lui sont dédiés, et des caractéristiques patronales et
thaumaturgiques2343 qui le rapprochent incontestablement des saints de l’Église. Ce terme de
saint est largement présent dans les inscriptions de notre corpus, davantage que ceux qui
rappellent sa nature angélique2344. Cette appellation ne semble pas étonnante dans le sens plus
général que l’on donne à ce terme, pour qualifier quelqu’un « qui a un caractère sacré, qui est

2341
Défini par le Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, du CNRS comme une
« tristesse profonde éprouvée à l’idée d’avoir offensé Dieu » ; http://www.cnrtl.fr/definition/componction .
2342
TEYSSÈDRE, 1986, p. 228.
2343
CARDINI, 2000, p. 119.
2344
Ce qui ne semble pas être le cas dans l’Empire byzantin, selon Bernadette Martin-Hisard, entre le IXe et le
XIe siècle qui inscrit plus souvent le terme d’« archange »; MARTIN-HISARD, 1994, p. 355.
769
éminemment vénérable »2345. Pourtant, si l’adjectif « saint » s’adapte ainsi à ses qualités, dans
les images, par les modalités de la représentation (la place, la taille…), il figure désormais
comme un saint, dont le substantif renvoie bien à la personne canonisée par l’Église, à un état
permanent qui l’associe au panthéon chrétien. Il est un saint ailé parmi les saints.

Nous avons vu que, dans les textes, Michel continue d’assurer des fonctions qui ne
peuvent être réalisées que pas un être angélique, et supérieur 2346. C’est encore le cas
également dans plusieurs images narratives de notre corpus. La présence d’un être éthéré est,
dans certains cas, indispensable pour exécuter les volontés de Dieu. Au moment de l’épisode
de la révolte de Lucifer, les hommes sont à peine créés, et seul un ange peut repousser une
armée d’êtres rebelles sur terre. Dans le déroulement des épisodes eschatologiques, aucun
homme saint n’est intégré dans la succession des actions. Ils peuvent intervenir dans leur
qualité d’intercesseurs, mais ne sont en aucun cas liés à l’exécution du partage, ou à un
quelconque épisode apocalyptique. Dans les quelques peintures figurant ces thèmes, Michel
apparaît donc clairement comme un archange. Mais il s’agit ici, des seuls exemples où sa
nature angélique est indispensable au sens même de l’image. Dans les autres épisodes
narratifs, où il est mis en scène dans ses apparitions, ce type d’interventions ne constitue pas
une spécificité angélique car des saints canonisés peuvent très bien apparaitre aux vivants
pour prodiguer des conseils ou réaliser des miracles. L’iconographie des apparitions de
Michel figure ainsi en lien, dans une large mesure, avec celle des saints apparaissant aux
hommes. Même le vol est ici partagé par saints et archange. La limitation des images de mises
en scènes du combat de Michel dans l’au-delà (hormis celles du Jugement dernier), et la
similitude de composition entre scènes d’apparition de Michel et scènes de miracles post
mortem de certains saints, semblent déjà noter une certaine volonté, à travers l’iconographie
narrative, d’assimilation de l’image de Michel au panthéon chrétien.

Les images en état constituent le cœur de la sanctification iconographique de Michel. Le


passage de l’archange au saint s’est pourtant réalisé progressivement, justement entre le XIIIe
siècle et le début du XVIe siècle. Autour de 1200, Michel est encore figuré comme un ange,
ou plutôt un archange, la plupart du temps en pendant de Gabriel, autour d’une figuration du
Christ ou d’une Vierge à l’Enfant. Pourtant, au cours du siècle, sa figure se déplace pour
apparaître de plus en plus souvent au côté d’autres saints. Le développement de la peinture sur
panneaux constitue un tournant dans la sanctification iconographique de Michel. Il figure, dès
le milieu du siècle, dans un « polyptyque hagiographique », dont le type de composition avait
été créé pour accueillir une figuration en pied et en état d’un saint, entourée des principales
scènes de sa vie. C’est sur des panneaux de bois qu’il apparaît désormais le plus souvent. Le
format et la multiplication des espaces intermédiaires sur ce genre de support, permettent le
développement des figures de saints autour d’une image centrale, le plus souvent une

2345
Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, du CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/saint .
2346
Voir à ce propos le chapitre 3. I. 1.2. L’iconographie de saint Michel et les légendes et écrits chrétiens de la
fin du Moyen Âge.
770
représentation de Vierge à l’Enfant. Dans ces compositions fortement hiérarchisées, Michel
prend nécessairement une place comparable, supérieure ou inférieure à celle d’autres saints,
mais dans tous les cas une place de saint. Son type iconographique le rattache pourtant encore
à la communauté angélique, avec qui il partage les mêmes vêtements et parfois les mêmes
attributs. La peinture de Simone Martini est, à ce titre, assez révélatrice, puisque Michel prend
place au milieu des saints, dans le registre principal, alors que des figures d’anges sont
figurées sur les pinacles, mais continuent pourtant d’être en lien avec l’archange puisqu’ils
partagent tous le même type de vêtements2347. Michel est, au début du XIVe siècle, désormais
figuré selon les mêmes modalités que les saints (image en pied, en état, aux mêmes registres
et utilisant la même surface picturale). Une nouvelle étape est franchie lorsque la tenue du
guerrier, clairement inspirée des panoplies humaines, devient l’attirail principal de saint
Michel, et, plus encore, à partir du milieu du XIVe siècle, et surtout au XVe siècle, lorsque
c’est l’armure de plates contemporaine, qui recouvre l’archange. L’humanisation du costume,
s’accompagne d’une humanisation plus générale de sa figure, le rapprochant encore
davantage des images des saints, dont les représentations exaltent également leur humanité.
L’humanisation formelle de saint Michel est donc la dernière étape de sa sanctification
iconographique.
Ce fait apparaît d’autant plus vrai, si l’on compare son iconographie avec celle des anges en
général, qui ont tendance, au XVe siècle, à perdre de la matérialité. Le développement de
procédés consistant à dissoudre le corps des anges en vol dans une nuée, ou à les camoufler
dans des drapés qui semblent vides, s’oppose aux images d’un corps de Michel plus palpable
et plus « incarné » que jamais2348. D’ailleurs, dans les Saintes Conversations de la seconde
moitié du Quattrocento, il figure bien au milieu des saints et non jamais dans le groupe des
anges proche du couple divin. À la fin du siècle, lorsque les figures angéliques rajeunissent
jusqu’à devenir des bébés joufflus, Michel reste un homme au corps mature et au visage
d’adolescent.
Notons également que cette transformation de l’archange en saint nous paraît particulièrement
prégnante en Italie, au vu du survol réalisé pour l’art français par exemple. De l’autre côté des
Alpes, il ne semble pas que la figure de Michel soit autant intégrée dans l’iconographie des
saints.

L’humanisation participe bien sûr, à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, à
l’humanisation plus générale du divin dans l’iconographie chrétienne. Mais précisons qu’au
moment où les images du Christ souffrant, remplaçaient celles d’un Christ glorieux, dès le
XIIe et surtout au XIIIe siècle, Michel est alors dans les images italiennes, pour encore au
moins un siècle et demi, un personnage transcendé par son caractère angélique, presque plus
divin que Dieu. Car, si l’archange a pris une forme humaine pour apparaître aux hommes, il
ne s’est jamais incarné et ne possède ainsi pas la douceur de Jésus, ni sa compassion, car il n’a

23472347
Voir à ce propos le chapitre 2. III. 1.2. Au XIVe siècle : la militarisation de la figure archangélique.
2348
Notons que la corporalité des anges est vite réaffirmée dans les images, avec l’invention des petites figures
d’angelots-enfants nus.
771
pas connu la souffrance de la Passion. La représentation de Michel reste, en toute situation, et
même lorsqu’il est un saint guerrier ailé, une image toute-puissante, autoritaire et active2349.

L’assimilation de la figure de Michel à celle d’un saint semble particulièrement évidente dans
l’iconographie italienne des XIII – XIV et XVe siècles, à tel point que c’est bien l’image qui
paraît avoir un rôle moteur dans cette sanctification michaélique en Italie. Bernadette Martin-
Hisard avait déjà souligné les similitudes entre le culte de Michel et celui des saints pour le
plein Moyen Âge2350. Elle précise qu’aux prémices de la dévotion à l’archange, cette
assimilation n’était pas possible, car on ne pouvait « ni l’attacher à un lieu ni le soumettre à
une date », à une période où le concile de Laodicée (IVe siècle) affirmait que les anges
n’étaient pas des saints, et il était d’ailleurs interdit de célébrer de fêtes en leur honneur2351.
Puis, les récits des légendes des sanctuaires michaéliques, accompagnés de scènes bibliques
attribuées à l’archange, viennent combler ce manque d’histoire. Il est désormais lié à l’histoire
de l’Église, identifiable, apparaît aux hommes dans le monde réel, parle2352. Dans l’Empire
byzantin, entre le IXe et le XIe siècle, Michel est, spirituellement, vénéré comme n’importe
quel saint, et son culte « s’est généralisé, enraciné et matérialisé dans l’image, les textes et le
bronze »2353. Le culte de Michel, comme son image, partage de grandes similitudes avec celui
des saints, mais conserve toujours un degré d’attachement à sa nature angélique,
particulièrement à travers l’exceptionnalité de ses interventions. Car l’archange ne semble pas
pouvoir occuper pleinement la place d’un saint, et son image être au centre des mêmes usages
que la représentation d’un homme canonisé.

III.2.2. Des usages des images michaéliques différents ?

L’iconographie du Christ et celle des saints, est centrale dans la spiritualité des
hommes de la fin du Moyen Âge, en ce qu’elle propose, à travers leurs figures, mais surtout à
travers la représentation des scènes de leur vie, un modèle à suivre pour les fidèles. Bien sûr,
les anges également correspondent à un idéal à atteindre, mais, moins accessible par le
commun des mortels, ils sont davantage des exemples pour les hommes de foi2354. Lorsque
Michel est figuré dans un combat générique du bien contre le mal, le fidèle peut alors
comprendre que lui-même doit prendre les armes, virtuelles, comme elles le sont d’ailleurs
pour l’archange, pour résister aux péchés qui le tentent quotidiennement. Mais cette
identification est difficile dans le sens où Michel reste le représentant de Dieu dans sa nature
toute-puissante et divine, et non dans son versant humain comme le Christ, qui, même s’il est
2349
ROJDESTVENSKY Olga, Le culte de saint Michel et le Moyen Âge latin, p. XVII.
2350
MARTIN-HISARD, 1994, p. 359.
2351
MARTIN-HISARD, 1994, p. 364.
2352
MARTIN-HISARD, 1994, pp. 367-370.
2353
MARTIN-HISARD, 1994, p. 373.
2354
Pour saint François, et dans la spiritualité franciscaine en général, les anges sont encore un modèle pour
l’homme à travers l’amour incomparable qu’ils vouent à Dieu ; VAUCHEZ, 2007, p. 348.
772
Dieu, s’est bien incarné. Ce constat est d’autant plus vrai dans les peintures où Michel tient
une balance portant des images de petites âmes. L’archange n’est plus du tout ici un modèle
puisqu’il exécute une action que jamais aucun homme ne sera amené à exécuter, aussi saint
soit-il. Ce motif indique bien où se situe l’homme : il est en train d’être jugé et c’est à lui que
s’identifie le fidèle, non pas parce qu’il constitue un modèle à proprement parler, mais parce
qu’il est une vision de l’avenir, de ce qui se passera inévitablement pour chaque homme. Ce
schéma iconographique dépasse ainsi un simple exemple à imiter, mais il prévient le fidèle
des dangers qu’il court s’il ne suit pas le chemin du bien. Si l’âme élue est clairement
représentée par rapport à une âme déchue, alors le petit personnage nu, agenouillé et en prière,
peut bien représenter un modèle à suivre pour celui qui regarde l’image.
C’est paradoxalement, dans un épisode où l’homme n’est pas présent, que Michel apparaît
davantage comme un exemple à suivre pour le fidèle. Le thème de la Chute des anges rebelles
indique clairement que le choix est possible entre le bien et le mal, puisque c’est grâce à son
libre-arbitre que Lucifer a choisi de se rebeller contre Dieu, et que Michel a décidé, lui, de
rester fidèle à son souverain céleste. Ce choix, à l’origine du mal, fait bien sûr écho aux
décisions prises quotidiennement par les hommes pour rester dans le chemin du bien. Michel
n’est pas réellement un modèle à suivre pour le fidèle, mais son image peut toutefois être un
moyen d’indiquer aux hommes les risques encourus à ne pas combattre le mal.
L’iconographie de l’archange ne rejoint jamais totalement l’iconographie des saints, dans la
fonction de modèle de perfection proposé aux fidèles. Car c’est bien à travers leur vie – que
Michel ne possède pas - que les saints sont des modèles, et, les épisodes narratifs mettant en
scène l’archange, ne sont pas des exempla. S’il y a imitation, elle se produit dans un registre
plus symbolique. Le fidèle est bien sûr appelé à faire le bien, et l’archange peut même
représenter le versant positif de l’âme de l’homme, tentant de combattre, dans une lutte
intérieure, les aspects du mal qui sont en lui, symbolisés dans l’image par un dragon ou un
démon. Dans les Jugements derniers, comme dans l’iconographie de saint Michel en général,
il y a bien une exhortation à la bonne conduite, mais le spectateur ne peut s'identifier
directement à l'archange psychopompe.

De toute façon, la nature angélique de Michel établit une distance avec le spectateur que ne
supprimeront jamais totalement les images, même en le représentant vêtu d'armures
contemporaines ou au milieu des autres saints. Dans l’aspect formel, déjà, Michel conserve
ses ailes, l'absence d'individualisation de ses traits et son caractère solennel, même quand il
exécute des gestes très réalistes de combats, qui font de lui un personnage supérieur aux
hommes et mêmes aux saints qui l'entourent. Les usages mêmes, autour des représentations,
diffèrent par rapport à celles des hommes canonisés, car l’image des saints semble agir par
compassion et invitation à imiter un modèle, à travers des exemples reproductibles de bonnes
actions, alors que l’image de Michel agit par componction et exhortation à faire le bien en
général, en présentant davantage les conséquences des actes des hommes, plus qu’en
indiquant le chemin pour parvenir au bien. La sanctification de saint Michel reste donc, dans
son iconographie, comme dans son culte, exceptionnelle pour un être de nature angélique,
mais partielle.
773
III.2.3. Le démon abîmé : un exemple de l’efficacité de l’« image-objet » au sein de
notre corpus

Au sein de l’iconographie de saint Michel, le mal a une place centrale, en tant


qu’image polymorphe de l’adversaire, permettant de représenter l’archange victorieux : sans
vaincu, pas de vainqueur. Mais il est également au centre de pratiques non-officielles qui
démontrent le pouvoir accordé aux images pendant la période étudiée. Dans plusieurs
peintures de notre corpus, la couche picturale qui portait la représentation du dragon ou du
démon a été abîmée2355. Parfois des traces d’usure qui pourraient être dues au temps, ou à une
mauvaise conservation, sont situées à des endroits trop précis pour ne pas être volontaires2356.
Nous avons recensé une douzaine de peintures sur laquelle un démon semble avoir été
intentionnellement gratté2357. Dans un cas seulement c’est le damné qui a été la cible
d’altérations volontaires : il s’agit de la peinture murale de la chapelle Sant’Onofrio du palais
ducale d’Atina de la seconde partie du XIVe siècle. Dans cette image la tête du personnage
qui se trouve sur le plateau inférieur de la balance, et qui s’oppose au personnage les mains
jointes en prière, a été piquée, alors que son buste est encore visible. Dans tous les autres cas,
c’est directement le ou les démons qui ont été altérés : soit juste sa tête, comme dans la pesée
des âmes de Bominaco, ou tout son corps, comme dans la peinture murale de San Pietro in
Marvino qui se trouve à Sirmione. Dans le cas de l’image peinte par Giovanni De Campo, la
silhouette du démon est encore bien visible mais tout son corps, et son visage, sont piquetés.
Cette procédure permet ainsi de conserver l’identification du démon, tout en montrant sa
dégradation, qui « figure » alors comme un caractère exemplaire de l’acte de destruction2358.
Le support mural a presque toujours été la cible de ces dégradations, certainement parce que
la peinture qui couvrait les murs des édifices religieux étaient plus accessible à tous les
fidèles. Une seule peinture sur bois semble avoir été abîmée intentionnellement : il s’agit de la
prédelle de Giocomo Pacchiarotti où, toute la zone contenant la représentation supposée du

2355
La contribution de Michael Camille, se concentre sur les actes de destruction en lien avec la question de
l’obscénité, voir CAMILLE Michael, « Obscenity under Erasure. Censorship in Medieval Illuminated
Manuscripts », dans ZIOLKOWSKI J. M., Obsenity. Social Control and Artistic Creation in the European
Middle Ages, Leiden-Boston-Köln, Brill, 1998, pp. 139-154. Gil BARTHOLEYNS, Pierre-Olivier DITTMAR et
Vincent JOLIVET, précisent, quant à eux, les différentes raisons de porter atteinte à une image, qu’elles soient
positives, ou négatives, elles sont toujours participatives, et relativement limitées ; BARTHOLEYNS,
DITTMAR et JOLIVET, 2006. Dominique Rigaux précise que cette pratique est courante au Moyen Âge, voir à
ce propos RIGAUX, Dominique, À la table du Seigneur. L’Eucharistie chez les Primitifs italiens 1250-1497,
Paris, 1989, p. 276 et ss., cité dans RIGAUX, 2009, p. 586.
2356
La tête de Satan est, d’ailleurs, régulièrement rayée aussi dans les manuscrits selon GRUBB, 1997, p. 105.
2357
Il faut être en effet prudent dans cette analyse puisque les images du mal se situent toujours dans les parties
basses des peintures qui sont, le plus souvent exposées, donc abîmées, à l’humidité, aux fumées des bougies, aux
dégradation des hommes, volontaires ou non. Il est également possible que la figure du mal n’ait pas été l’objet
de restauration, quand la figure de l’archange a pu être entretenue. C’est pour cela que nous n’avons conservé
dans ce groupe, que douze peintures où la dégradation apparaît de manière évidente comme intentionnelle.
2358
Comme c’est le cas dans un médaillon représentant le rapport incestueux d’une des filles de Loth dans un
modillon du portail central de Saint-Jean de Lyon, vers 1300-1310, voir BARTHOLEYNS, DITTMAR et
JOLIVET, 2006, p. 3.
774
mal, à proximité de la balance, et vers laquelle Michel brandit son épée, a été grattée et laisse
ainsi le support de bois visible. Remarquons, en outre, que tout le reste de la prédelle est dans
un état de conservation très bon, et que les stries produites par l’instrument qui a servi à
décoller la surface picturale, sont encore visibles.

Anonyme, saint École des Abruzzes, Anonyme, Saint Giovanni de Giacomo


Michel (détail), Scènes de l’au-delà Michel (détail), Campo,Saint Michel Pacchiarotti,
Atina, Palazzo (détail), Bominaco, San Sirmione, San (détail), Briona, San Visitation et saints
ducale, peinture Pellegrino, peinture Pietro in Mavino, Bernardo d’Aosta, (détails), Sienne,
murale, 2e ½ du murale, 1263. peinture murale, peinture murale, Pinacoteca
XIVe. 1321. 1463. Nazionale, peinture
sur panneaux, 1ère
décennie du XVIe.

Le dragon n’est pas du tout présent dans ce groupe, et est, de toute façon, souvent déjà vaincu
aux pieds de l’archange, ou en train de recevoir le coup fatal. La cible est bien le petit ou
moyen démon qui est encore agissant autour des plateaux de la balance. Michel ne l’a pas
totalement exterminé, puisque nous l’avons vu, son action ne nécessite pas forcément une
intervention musclée de la part de l’archange, qui le repousse seulement des plateaux. La
balance est, effectivement toujours présente dans ce type d’images. Mais, c’est bien cette
activité démoniaque qui semble gêner le fidèle, qui prend alors la décision d’arrêter lui-même
cette fourberie, en rayant la représentation du mal de la surface picturale. Le spectateur
devient alors lui-même acteur du combat mené par Michel, pour protéger la pesée, mais, en
quelque sorte, contre l’avis de l’archange lui-même, dans un « excès de participation »2359.
Puisque l’idée est de faire souffrir le démon, par le biais de son image, voire de le supprimer,
lui ou ses mauvaises actions, en effaçant sa représentation, il apparaît bien que le transfert de
pouvoir entre signifiant et signifié ne concerne pas seulement les personnages saints. Ainsi,
les images du mal « elles aussi re-présentent les forces ici négatives des créatures
représentées, à l’instar de la logique dévotionnelle qui rendait présents les saints dans leurs
images »2360. Thomas Mitchell a bien remarqué que l’image est, dans certains cas, plus qu’une
idole, le siège d’un pouvoir spécifique, qui doit être contenu ou exploité2361. Pour lui, l’image

2359
BARTHOLEYNS, DITTMAR et JOLIVET, 2006, p. 11.
2360
BARTHOLEYNS, DITTMAR et JOLIVET, 2006, p. 10.
2361
MITCHELL, 2009, p. 235.
775
est assimilable au fétiche, un « objet, naturel ou façonné, considéré comme le support ou
l’incarnation de puissances supra-humaines et, en tant que tel, doué de pouvoirs magiques
dans certaines religions primitives »2362. Ainsi, il semble que l’objet figuratif ne soit pas
seulement l’objet d’un culte, mais également au centre de manifestations miraculeuses, ou au
moins extraordinaires, qui justifient alors une dévotion, ou une dégradation. Si le signifié peut
agir à travers sa représentation, il faut que les commanditaires, les peintres et tous ceux qui
ont participé à l’élaboration d’une image comprenant une figuration du mal, au sein d’une
église, aient eu une grande confiance dans le pouvoir de Michel, qui introduit dans le lieu
sacré, et près des Vierge à l’Enfant, des figures démoniaques, qu’il est pourtant capable de
contenir, dans l’image comme dans la réalité. La dégradation du démon dans l’iconographie
de saint Michel témoigne peut-être d’un manque de confiance de certains fidèles envers le
pouvoir de la représentation de l’archange, mais, surtout, elle prouve la grande puissance et
l’efficacité des images.

III.3- De la re-présentation à la vision. L’image de saint Michel comme expérience


visuelle accessible à tous

L’image religieuse est perçue, vécue, touchée, au centre de pratiques et de perceptions


sensitives multiples, dans lesquelles la vue conserve une place centrale. Voir l’image d’un
saint est une expérience dans laquelle a lieu un véritable échange d’« « énergie » qui transite
entre les regards, par les yeux », puisque « la conception médiévale de la vue conçoit une
relation physique (un flux) entre les regards »2363. Par la contemplation prolongée d’une
image, le dévot doit pouvoir se sentir envahi par une présence vivante, qui lui permet de
confirmer la puissance active de l’image2364. Mais d’autres expériences que celles tournées sur
l’image peinte (ou sculptée, gravée ou à mosaïque) peuvent également donner à la vue une
place essentielle, en tant que facteur de rencontre avec le sacré, comme, par exemple,
l’apparition et la vision (mentale et/ou miraculeuse). Ces deux expériences sont intimement
liées à l’expérience même des images de Michel, pour au moins trois raisons. La première est
que l’archange peut être mis en scène dans un épisode peint d’apparition. La deuxième, est
que la figure peinte de Michel est elle-même une vision, dans la mesure où la forme humaine
qu’il prend est seulement empruntée pour se rendre visible aux hommes. Enfin, la troisième,
est que son iconographie peut également être le point de départ de visions, support et média,
qui inspirent l’image mentale, par le biais de la mémoire et donnent ainsi les contours d’une
image pensée.

2362
Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, du CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/f%C3%A9tiche
2363
BARTHOLEYNS, DITTMAR et JOLIVET, 2006, p. 10.
2364
SCHMITT, 1996, p. 35.
776
III.3.1. L’image, une forme privilégiée pour la perception de l’être angélique

La vision est au centre de la perception des anges en général et de l’archange en


particulier, par le fidèle2365. Le terme vision désigne en même temps le simple fait de voir,
l’apparition à la vue d’un être de manière surnaturelle ou une image mentale survenue de
manière indépendante ou non à celui qui la reçoit. La vision est donc en même temps ce qui
s’offre au sens visuel et ce qui s’offre à l’esprit. L’apparition miraculeuse peut ainsi, elle-
même, prendre plusieurs formes : en songe, à la vue ou en tant qu’image intérieure2366. Les
images d’apparition dans l’iconographie chrétienne sont courantes, et suivent divers procédés
décrits par Sixten Ringbom, le but étant de « faire appréhender au spectateur les expériences
subjectives d’un personnage »2367.

Michel n’a pas d’apparence réelle, puisque, comme le précise saint Thomas d’Aquin, les
anges n’ont pas d’étendue ni de dimensions, même s’ils peuvent être dans un lieu et se
déplacer d’un lieu à un autre2368. Ainsi, à chaque fois qu’un homme « le voit », c’est qu’il a
emprunté une forme perceptible – en l’occurrence celle d’un homme – pour « se rendre
visible ». La vision de l’archange correspond donc, dans un premier temps, à une volonté
propre à Michel qui décide de s’incarner visuellement pendant un instant plus ou moins court,
pour délivrer un message divin à un homme. L’apparition « réelle » - définie comme la
présence effective et « physique » de l’archange dans un lieu et à un moment donnés pour
exécuter une action précise - est donc toujours perçue par l’intermédiaire d’une image. Les
interventions des saints auprès des fidèles peuvent être réalisées à partir de leur propre corps,
de leur vivant, par une présence physique et humaine. Même leurs interventions port-mortem
ont quelque chose de plus matériel puisque leur corps est souvent au centre du miracle
accompli. Michel agit, lui, toujours auprès des hommes par l’intermédiaire d’une mise en
forme visible de son être invisible. Les représentations qui découlent de ces épisodes
d’apparitions, et toutes les figurations de Michel en général, sont donc des images de cette
prise de forme, des images d’une image. L’image d’un saint reste un souvenir de son
apparence réelle ou fantasmée, ce qui est particulièrement vrai pour les « nouveaux saints » de
la fin du Moyen-âge qui sont canonisés très vite et dont les images conservent certainement
des traits de leur physionomie, comme en particulier saint François. L’image de l’ange est un
souvenir de la forme qu’il a emprunté pour se rendre visible aux hommes, mais elle ne
correspond pas à la « réalité », d’autant que l’ange envoyé par Yahvé est parfois identifié

2365
Puisque c’est le seul mode de manifestation de l’ange auprès des hommes pour être compris de lui. Saint
Thomas d’Aquin précisait également que les anges peuvent introduire des images dans notre imagination ; Sum.
Theol., a. 3, dans VACANT, t. I, 1, 1930, pp. 1246.
2366
RINGBOM, 1995, p. 57.
2367
Les procédés mis en œuvres dans les images médiévales sont la contigüité cyclique ; la représentation
d’attributs qui évoquent le récit ; la modification de l’échelle ou de la taille ; la différenciation des niveaux,
souvent séparés par une nuée pour indiquer l’origine céleste de la vision ; ou l’adjonction d’un motif secondaire.
Voir RINGBOM, 1995, pp. 44-81.
2368
Sum. Theol., q. LII, dans VACANT, t. I, 1, 1930, p.1231.
777
comme Dieu lui-même2369. L’image angélique, et en particulier celle de Michel, vient fixer
pour l’éternité ces apparitions éphémères.
Car à partir du moment où la forme de l’archange au moment de l’apparition est déjà image,
elle entretient le même rapport avec le modèle que son image peinte, si ce n’est que l’une
prend forme par la volonté de Michel, et ainsi par celle de Dieu, alors que l’autre est
reproduite par la volonté d’un commanditaire associée à celle du peintre. Si cette différence
semble de taille, elle n’intervient pourtant que peu dans le statut commun de mise en forme
visible d’un être invisible, qui est, de plus, largement atténuée par le dialogue qui s’instaure
entre vision miraculeuse et représentation peinte. En outre, l’éphémèrité de l’apparition de
l’archange ne correspond que peu à la permanence de son état, que rend par contre
parfaitement l’image peinte. L’expérience visionnaire a, par contre, l’avantage d’être une
image animée et de figurer dans les quatre dimensions (avec la dimension temporelle), même
si dans la majorité des cas, elle a pour but premier la délivrance d’un message, sans qu’il y ait
une interaction « corporelle » entre les différents acteurs. L’iconographie palie le statisme de
son mode de figuration par le mouvement qu’empreinte souvent la figure de l’archange.
Enfin, puisque l’expérience de la vision miraculeuse ne concerne qu’une part infime de la
communauté, et que les autres sens ne sont pas sollicités dans le culte de l’archange par
manque de restes corporels2370, la représentation peinte ou sculptée de saint Michel prend
alors une place centrale dans le lien créé entre hommes et archange par l’intermédiaire du
regard.
L’image peinte de Michel est elle-même vision de l’archange, accessible à tous et pour
toujours. En ce sens, davantage qu’une vision, les représentations michaéliques sont de
véritables épiphanies. « Épiphanie » est un mot d'origine grecque, Ἐπιφάνεια (Epiphaneia)
qui signifie « manifestation » ou « apparition » – du verbe φαίνω (faïnò), « se manifester,
apparaître, être évident ». Dans la religion chrétienne, elle prend surtout le sens de la
manifestation d’une réalité cachée2371. Ainsi, si toutes les représentations picturales des
personnages saints peuvent être considérées comme des visions, des apparitions de ces saints
aux yeux du fidèle, elles ne sont pas toutes des épiphanies. Toutes les apparitions d’anges ou
leur représentation dans les images peintes ou sculptées peuvent, par contre, être considérées
comme des épiphanies populaires, dans le sens où elles sont largement vues par le peuple
chrétien, et accessibles à tous.

2369
Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, Paris, Hachette, 1988.
2370
Le toucher est particulièrement important autour du culte des reliques. L’odorat est également l’objet de
miracle dans certains récits hagiographiques où les restes corporels d’un saint peuvent dégager une certaine
« odeur de sainteté ».
2371
Dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS :
http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9piphanie .
778
III.3.2. Des formes peintes au service d’une expérience visionnaire surnaturelle

Les représentations des apparitions de Michel près de ses sanctuaires dans la peinture
italienne sont intéressantes en ce qu’elles lient les deux types de visions que nous venons de
décrire : l’apparition de l’archange à un fidèle et la représentation picturale. Elles sont
également les seules images-souvenirs du corpus, dans le sens où ce sont les seules mises en
scène de l’archange appartenant à des épisodes passés, situés sur terre, et incluant des
hommes. En effet, toutes les autres images sont de pures visions de l’esprit. La Chute des
anges rebelles est bien un épisode qui s’est déroulé dans le passé, clairement inscrit dans le
temps, mais en dehors de toute référence au cadre spatio-temporel humain et terrestre. Son
combat dans son acception générale, n’est pas un événement réel mais davantage un rappel et
un symbole. Enfin, les épisodes eschatologiques ne peuvent être des représentations de scènes
passées, puisqu’ils ne se sont pas encore déroulés, pas plus que ceux qui concernent
l’intervention de Michel à la balance après la mort prochaine du fidèle, puisqu’au moment où
il regarde la peinture, l’homme n’est, de toute évidence, pas encore décédé. Ainsi, les seuls
épisodes où l’image de Michel peut être en lien direct avec le souvenir d’un ou plusieurs
hommes ayant vécu l’expérience de la vision miraculeuse, sont les scènes qui représentent ces
visions. L’image de l’homme ailé - ou du taureau d’ailleurs – correspond alors à une double
vision : apparition pour le public qui regarde la peinture, selon les modalités que nous avons
décrit dans le paragraphe précédent, et apparition figurée pour les personnages peints qui sont
les acteurs de la scène. Notons que ces derniers ne sont pas indispensables puisque Michel,
objet de la vision, jonché au-dessus d’un édifice identifiable, suffit à figurer l’idée de
l’apparition2372. Dans ce cas, l’absence des acteurs qui habituellement reçoivent la vision,
semble alors comblée par le spectateur lui-même qui devient alors double-témoin de
« l’incarnation » michaélique, dans le passé près de son sanctuaire, et dans le présent sur la
surface picturale2373.

Un autre phénomène est décelable dans notre corpus pour déterminer la nature des
relations entre expérience visionnaire et expérience de la peinture. Il s’agit du remplacement
général et précoce, en Italie, du « faire-croire » par le « faire-croire par vraisemblance »2374,
qui place l’image au centre de nouvelles expériences. Erwin Panofsky souligne que la
perspective – et selon nous, tout procédé visant à rendre l’image plus naturaliste - « ouvre à
cet art religieux une région nouvelle, celle du « visionnaire » où le miracle devient alors
l’expérience immédiatement vécue par le spectateur, les événements surnaturels faisant pour
ainsi dire irruption dans l’espace visuel, apparemment naturel de ce spectateur et le

2372
Comme par exemple dans l’un des cadres des légendes de saint Michel peintes par Biagio di Goro Ghezzi
dans l’église San Michel de Paganico (1368).
2373
Mais l’absence de la procession dans les images d’apparition de saint Michel, notamment sur le Mausolée
d’Hadrien de Rome, est rare, car l’occasion est trop belle de glorifier l’organisation ecclésiastique et la centralité
de la médiation de l’Église dans le salut des hommes par ce motif.
2374
ARASSE, 1981 p. 146.
779
« pénétrant » à proprement parler de leur surnaturalité grâce à cette irruption même »2375. Les
formes naturalistes amplifient l’expérience sensorielle, en rendant le spectateur témoin de
l’événement qui est représenté sous ses yeux, ou de la sainteté des personnages peints. Le
spectateur est désormais clairement un acteur, dans un rôle participatif, même si cette
expérience se réalise en quelque sorte par la tromperie de ses sens 2376. Pourtant, rappelons,
une fois de plus, que les évolutions formelles ne rendent pas les images de saint Michel plus
« réalistes ». En effet, la forme qu’il prend dans les peintures reste forcément symbolique
puisqu’elle n’est pas liée à un principe de ressemblance physique, mais renvoie alors à la
nature de sa personne et de sa mission. De toute façon, comme le précise Jean Wirth, à partir
du milieu du XIIIe siècle, ce n’est pas sur l’imitation de la nature que l’art est centré, mais sur
celle du surnaturel2377 dans des formes vraisemblables. L’iconographie de saint Michel en est
une preuve tangible.

III.3.3. L’image source de l’expérience visionnaire, « à l’écart des modèles écrits »2378

À la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, l’expérience visionnaire tient


une place importante dans la spiritualité, dans ce que l’on appelle « le mysticisme
contemplatif »2379. Elle correspond désormais davantage à une expérience intérieure et
personnelle et les images, qui surgissent, sont de l’ordre du mental. La présence du
personnage ou de la scène apparaissant en vision est pourtant clairement ressentie comme
réelle, bien qu’elle ne se manifeste qu’à l’intérieur de l’esprit du visionnaire, et pour lui seul.
Ce phénomène s’inscrit dans une évolution plus générale de développement de la piété laïque
à la fin du Moyen Âge, où la dévotion privée acquiert un caractère personnel et où l’usage de
l’image privée devient courant2380. Le dialogue entre images intérieures et images peintes est
plus vif que jamais. Anna Benvenuti a souligné le va et vient constant entre images, visions et
littérature visionnaire dans la spiritualité italienne de la fin du Moyen Âge, et l’importance
des images comme origine courante des visions, et ainsi des récits des visions2381. L’influence
de l’image matérielle, par ses formes et son iconographie, sur le style des apparitions, est
désormais affirmée par les mystiques, et participe grandement au rapprochement entre les
deux types d’images2382. Sixten Ringbom précise dans ce sens que les visions de sainte
Thérèse d’Avila, prennent souvent appui sur des œuvres d’art2383. La bienheureuse

2375
PANOFSKY, 2006, pp. 181-182.
2376
Thomas Mitchell précise déjà que « l’image peut dès lors être pensée comme une entité immatérielle, une
apparence fantomatique, fantasmagorique mise au jour sur un support matériel ». MITCHELL, 2009, p. 22.
2377
WIRTH, 1991, p. 161.
2378
ANTOINE, 1988, p. 561.
2379
RINGBOM, 1995, p. 57.
2380
RINGBOM, 1995, p. 23.
2381
BENVENUTI 2005, p. 203 et ss.
2382
RINGBOM, 1995, p. 23.
2383
RINGBOM, 1995, p. 17.
780
Aldobrandesca a, par exemple, une vision devant une image, puis, dans un second temps, elle
décide de faire peindre, grâce à sa mémoire, l’image mentale qu’elle a reçue. Il y a donc une
boucle qui se crée et se referme entre l’image-objet comme support de méditation, l’image
mentale qui survient par la vision et l’image mentale-souvenir qui permet la création d’une
nouvelle image matérielle. L’image peinte ou sculptée est au centre de ce processus et est
pleinement agissante2384. Les apparitions de l’archange au Haut Moyen Âge, n’étaient pas du
même ordre, car après leur survenue, elles étaient ensuite consignées dans les récits des
fondations des grands sanctuaires, et pouvaient alors, dans un second temps être figurées à
partir du texte ou d’une tradition orale. La légitimité de la vision passe davantage par le récit,
alors qu’à la fin du Moyen Âge, elle passe par l’image matérielle, support, aide-mémoire et
témoignage de l’expérience visionnaire. L’iconographie peut ainsi devenir une grande source
d’inspiration des visionnaires alors que l’écrit ne devient qu’un langage pour retranscrire une
expérience vécue et visuelle. Pour Sixten Ringbom, les expériences mystiques du Trecento
sont ainsi une nouvelle possibilité pour « l’image de fournir le cadre d’une expérience à
l’écart de modèles écrits »2385.
Le lien entre image-matérielle, image-souvenir et image-mentale, se justifie pleinement par
les trois paliers de la vision de saint Augustin, qui constitueraient bien le fondement des
théories médiévales de la vision ordinaire ou surnaturelle2386. Dans son analyse de l’Ascension
de saint Paul au troisième ciel et au paradis (II Corinthiens, XII, 2-4), il distingue une vision
matérielle, celle de la perception sensitive pure, que le cerveau humain traduit dans une vision
spirituelle et la conserve dans sa mémoire, qui lui permet ensuite d’en avoir une vision
intellectuelle. Dans cette acception, l’image matérielle a bien un rôle important à jouer, même
si elle correspond à un premier palier d’une expérience qui la transcende. Pourtant, une
certaine confusion s’installe par l’ambiguïté de la terminologie2387. Malgré l’application du
mot « image », à l’origine « métaphore traduisant une notion psychologique » 2388, à l’art
pictural, certains penseurs souhaitent voir l’expérience visionnaire se détacher de l’artefact
humain. Au XVe siècle encore, le chancelier Jean Gerson souligne le danger des pensées
dérivées d’imaginations matérielles, mais il reconnait tout de même aux images leur rôle de
stimulant de la dévotion2389. Il précise que les fidèles doivent « ainsi apprendre à dépasser par
l’esprit ces objets visibles pour parvenir aux invisibles, et le matériel pour parvenir au
spirituel. Car c’est là le but de l’image »2390. Il se prononce ainsi contre les abus, et, de toute
façon, la double autorité de saint Augustin et de saint Grégoire avait déjà confirmé la place
des images matérielles comme des « accessoires légitimes de la dévotion »2391. À la fin du
Moyen Âge, comme le note Jean-Philippe Antoine, « la force de l’image réside donc dans sa

2384
ANTOINE, 1988, p. 152.
2385
ANTOINE, 1988, p. 561.
2386
RINGBOM, 1995, pp.18-19 ; voir également RUSSO, 2007, p. 9.
2387
RINGBOM, 1995, p. 23.
2388
RINGBOM, 1995, p. 32.
2389
RINGBOM, 1995, pp. 24-26.
2390
GERSON Johannes, Opera omnia, II, feuillet 71 L, Strasbourg, 1514, cité dans RINGBOM, 1995, p. 27.
2391
RINGBOM, 1995, p. 23.
781
capacité à fournir des modèles visuels à l’invention d’une expérience visuelle »2392. Ce
rapport, central dans la dévotion de saint Michel, entre apparition, image mentale de
l’archange et représentation peinte, s’exprime à ce moment avec encore plus de force.

Conclusion

Les images chrétiennes, à la fin du Moyen Âge, appartiennent à un réseau de pratiques


et de croyances, qui les place au centre d’une véritable expérience visuelle, accessible à tous,
dont l’efficacité est attestée par son rôle dans les pratiques mystiques du début de l’époque
moderne. Les évolutions de l’iconographie et des formes sont au service de cette efficacité de
l’expérience visuelle. Les représentations de saint Michel permettent de s’interroger
particulièrement sur ces relations entre image mentale, image matérielle, image fantasmée,
présentification, puisqu’en tant qu’être éthéré, il ne possède pas de forme « réelle » si ce n’est
celle dans laquelle il décide de se présenter aux hommes, ou celle que le peintre décide de lui
donner. L’iconographie de l’archange se situe ainsi à la croisée de plusieurs registres de
fonctionnements, ou plutôt d’agissements multiples de l’image : entre « image-objet »,
« image-fétiche » et « image-vision », qui l’assimilent tantôt aux pratiques et au culte des
saints, tantôt l’en tiennent éloigné.

2392
ANTOINE, 1988, p. 561.
782
IV- IMAGE, SPIRITUALITÉ ET IMAGINAIRE : L’ICONOGRAPHIE DE SAINT
MICHEL, REPRÉSENTATION D’UNE SOCIÉTÉ PASSÉE ?

Si les chapitres précédents ont tenté de mettre en avant les sens des images de saint
Michel pour ceux qui les ont produites, et les usages au centre desquels elles se trouvaient au
moment où elles ont été créées, puis utilisées, ce dernier chapitre a pour objet les sens que
prennent les peintures michaéliques pour nous aujourd’hui, ce qu’elles nous apprennent des
hommes qui les ont fabriquées et reçues. Puisque ces images mettent en lumière des pratiques
et des croyances, elles sont pour nous des révélateurs de certains aspects de la société, de sa
spiritualité et de sa mentalité. Ces sens sont visibles grâce à l’analyse conjointe de
l’iconographie, des types, des modifications, des permanences, des formes et de leurs
évolutions, de la nature de la commande, de l’implication du peintre, des diverses
significations que nous avons relevé. Ce niveau d’analyse est appelé, par Jérôme Baschet, le
rôle de l’image car il détermine le rôle attribué à la représentation dans la perspective d’une
analyse historique2393. Élisabeth Crouzet-Pavan explique bien que, dans ce genre d’études, il
s’agit d’analyser les « conceptions intellectuelles qui permettent soudain l'éclosion de telles
représentations et les savantes connexions qui lient, dans l'univers mental, l'œuvre d'art et les
constructions théoriques »2394. L’iconographie michaélique est au cœur des perceptions sur
l’au-delà et sur la fin des temps, et cristallise à ce titre, croyances, craintes et espoirs des
hommes face à la mort, et dans leurs rapports à Dieu.

IV.1- L'image de l’ange comme média entre les hommes du passé et nous

IV.1.1. Une étude sur l’imaginaire. L’idée que se construit l’homme de l’ange

L’image religieuse médiévale, et celle de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque


moderne, est un média en ce qu’elle consiste en une matérialisation de concepts invisibles par
les fidèles, et mis en image par le peintre de manière plus ou moins consciente. Elle est
déterminée par des modes de pensée et de croyances d’une époque, qui sont eux sous-jacents
et dans une large mesure inconscients. L’iconographie est ainsi pour nous aujourd’hui
« comme un vaste miroir spirituel »2395, que nous essayons d’analyser et de relier à des
phénomènes d’ordre plus général, en faisant alors nous-même acte de re-présentation. À la

2393
Introduction de L’image, Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Actes du 6e
« International Workshop on Medieval Societies », sous la direction de Jérôme BASCHET et Jean-
Claude SCHMITT, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, 1996.
2394
CROUZET-PAVAN, 2001.
2395
RUSSO, 1987, p. 277.
783
manière d’un peintre qui intériorise les connaissances religieuses, et observe le créé et le réel
pour façonner une image mentale, qu’il retranscrit ensuite dans un langage pictural, et qui est
largement tributaire de « l’esprit de son temps », nous nous servons de la perception de ces
images et de nos connaissances de l’histoire, de l’art et de la spiritualité des XIII, XIV et XVe
siècles, pour proposer ici une analyse, qui est retranscription par le langage des images
mentales que nous nous sommes faites de cette société à partir des images qu’elle a produites.
Nous tentons alors de procéder à une re-présentation des représentations mentales et
collectives passées à travers les représentations picturales, avec la double subjectivité que cela
induit : celle du peintre, dont la création n’est pas un reflet exact et sans discordance des
pensées collectives ; et la nôtre, tributaire de notre propre perception et de l’étroitesse de nos
connaissances sur les modes de pensées d’hommes ayant vécus il y a plus de cinq-cents ans.
Comme le précise Jacques Le Goff, les images sont également une incarnation de l’histoire de
l’imaginaire, et se transforment alors en document d’histoire2396. Cet aspect est d’autant plus
vrai pour les images qui participent à figurer et définir une réalité imaginée, celle de la vie
après la mort, point focal de la plupart des sociétés et des religions, car elle concerne un
univers inconnu générant craintes, réconfort et angoisses. Si l’une des fonctions principales de
l’image entre 1200 et 1518 est d’émouvoir, il y a donc forcément, à l’intérieur des images de
saint Michel réalisées pendant cette période en Italie, des éléments sensibles, propres à
toucher le fidèle, que nous tenterons de déceler ici.

L’image de l’ange, est une image à créer. Bien sûr, le poids des traditions est fort, nous
l’avons vu dès le premier chapitre, dans la détermination de la forme angélique. Mais l’être
céleste reste une figure qui absorbe particulièrement bien les évolutions iconographiques et
formelles liées au temps, aux modes et aux modes de pensée. Une malléabilité qui s’explique
également par l’absence d’individualisation des anges en général, par la multiplicité de leurs
interventions et l’omniprésence de leur représentation dans l’art chrétien.
Selon le classement du Pseudo-Denys, où les images sont hiérarchisées en fonction de leur
degré de vérité plus ou moins dégradé2397, et où la peinture est située au sixième et dernier
degré, l’image de l’ange en général et de Michel en particulier, peut alors sembler encore plus
dépréciée, car éloignée de son modèle, qui n’a pas de forme. Mais, c’est justement parce que
ces images renseignaient peu les fidèles sur l’apparence de l’être représenté, qu’elles sont
encore plus intéressantes pour nous comme reflet de l’idée que l’homme se faisait de l’ange.
Jeanne Villette notait ainsi, dans les années 1940, que l’image des anges était davantage
déterminée par la liberté et la fantaisie des hommes2398, plus que toute autre figure ; puis

2396
LE GOFF Jacques, dans la préface de BASCHET, 2014, p. XII.
2397
RUSSO, 2007, p. 9.
2398
Selon elle, l’étude de l’image de l’ange est un « moyen de connaitre les tempéraments esthétique des
hommes et les besoins de leurs yeux. Nous savons s’ils aiment la forme pour elle-même ou pour sa signification,
s’ils recherchent la ligne simple ou l’arabesque compliquée, sinueuse, enroulée, s’ils préfèrent avant tout la
couleur ou la ligne. Nous connaissons la forme de leur imagination tournée vers le réel, la fantaisie ou le
merveilleux. Nous devinons leurs goûts et leurs tendances en les voyant plus attentifs au pittoresque ou à
784
ajoute qu’avec l’ange, « l’artiste doit tout imaginer, tout créer, et par là nous dire
inconsciemment ce qu’il aime, ce qu’il pense. L’ange dans l’art, nous aide à mieux connaître
l’homme »2399. Le spécialiste de l’iconographie angélique, Marco Bussagli, précise avec force
que les images des anges « sono le immagini dell’idea che dell’Angelo l’Uomo si è costruito.
Ognuna di esse rispecchia un particolare momento, ma non dell’Angelo, bensì dell’Uomo
»2400. Étudier les anges, c’est avant tout étudier les hommes, dans sa relation avec l’éternité.
Être intermédiaire par excellence entre l’homme et Dieu, l’ange permet de penser la relation
entre ces deux extrêmes qu’il réunit dans sa nature et ses fonctions. Les mutations des images
des anges, sont avant tout des mutations qui s’opèrent à l’intérieur des hommes, dans leur
pensée, leur spiritualité et leur rapport avec le divin ; alors que les représentations (littéraires
ou artistiques) de l’au-delà permettent, comme le souligne Aaron Gourevitch, de « discuter
des notions du temps, de l’espace, de l’âme, ainsi que des différents éléments de la conscience
de soi chez l’homme de cette époque, de sa conception de l’Histoire et de tant d’autres
composantes de sa vision du monde» 2401. Michel, en tant qu’être angélique et acteur des
épisodes de l’au-delà, participe à travers son iconographie, à cette définition de l’homme.

IV.1.2. Un archange de l’au-delà reflet de l’importance de l’angoisse eschatologique ?

Dans l’iconographie de saint Michel, l’action de l’archange évoque, le plus souvent,


des épisodes qui surviennent dans un avenir plus ou moins proche, qu’il s’agisse de la vie
après la mort ou des épisodes eschatologiques. Cette orientation vers un univers futur, prouve
la préoccupation des hommes devant les événements qui interviendront après leur décès ou à
la fin des temps. Le lien entre les actions commises sur terre et une rétribution dans l’autre
monde est au centre d’un intérêt partagé par les théologiens, les clercs et l’ensemble des
fidèles, même si elle se manifeste de manière différente selon le milieu social, les périodes ou
les lieux. Le pèsement des âmes cristallise le moment où la conversion a lieu entre actions
commises et rétribution. Même dans les images en état où saint Michel est « sanctifié », il
reste irrémédiablement lié à une évocation de l’au-delà ou de l’eschatologie. La multiplication
des images de Michel peut donc être, dans une certaine mesure, le reflet de l’importance de
l’angoisse eschatologique, amplifiée par les évolutions iconographiques et formelles d’une
Renaissance précoce en Italie, qui apporte naturalisme et donc proximité et réalisme à
l’intervention de l’archange. La fin du Moyen Âge ne marque pas la fin des « terreurs

l’intime d’une scène, plus soucieux d’exposer, de raconter des faits ou d’en exprimer le sens profond. Nous
voyons quel est le caractère de leur intelligence, s’ils savent ordonner, établir une composition ou s’ils se
contentent de parler à nos yeux par des détails accumulés, s’ils savent se servir des matériaux que leur offre la
vie et les transposer pour exprimer leurs rêves. Nous apprenons aussi à connaître ces rêves par les sujets qu’ils
aiment et par la façon dont ils font agir et penser l’ange, et nous entrevoyons les besoins de leur esprit et de leur
cœur et la qualité de leur âme par la délicatesse des sentiments qu’ils lui prêtent » ; VILETTE, 1940, p. 366.
2399
VILETTE, 1940, p. 366.
2400
BUSSAGLI, 1991, p. 301.
2401
GOUREVITCH, 1996, p. 266.
785
médiévales » : le diable est toujours une figure omniprésente dans la vie des fidèles, et même
l’imprimerie véhiculent ces idées2402. En 1563, le Concile de Trente en interdit les
représentations, preuve de sa vivacité2403.
Michel Vovelle précise, dans une discussion avec Philippe Ariès, que « La mort s’enfle dans
les sociétés malades, déstabilisées ou inquiètes »2404. Si ces idées sont au centre de débats
historiographiques, il faut noter qu’effectivement, après l’équilibre du XIIIe siècle, les XIVe et
XVe siècles italiens sont ponctués de catastrophes temporelles - pestes, guerres, luttes de
factions, invasions – et le quotidien de souffrance et de terreur dans lequel parait avoir vécu
les italiens des derniers siècles du Moyen Âge semble transparaitre dans l’iconographie2405.
Autour de 1500, une véritable atmosphère apocalyptique se met en place dans les esprits, liée
au climat d’appréhension engendrée par les différentes catastrophes2406. Soulignons cependant
que l’iconographie chrétienne ne répond pas toujours à la violence par la violence, et d’autres
régions, en France, par exemple, ne sont pas en reste de leur lot de catastrophes et présentent,
malgré cela, une iconographie plus apaisée, notamment du Jugement dernier. Cependant, il est
tentant de lier le déferlement de violence des représentations de l’au-delà aux événements
tragiques qui ont pu marquer les fidèles de cette époque, également marqués par l’action de
certains prédicateurs peu positifs sur le devenir de l’humanité pécheresse.
Enfin, précisons que les images des supplices encourus par les pécheurs pouvaient également
avoir un caractère rassurant, dans la mesure où elles prouvent le rétablissement d’une justice
infaillible. Ainsi, ceux qui suivent les préceptes de l’Église et qui sont, en plus, frappés
d’injustice sur terre, doivent se réjouir de voir leur peine bientôt récompensée. Comme pour
l’apocalypse de Jean, l’iconographie de l’au-delà est tout autant pessimiste, dans la vision
négative du monde et de sa perversité, et optimiste par l’annonce triomphale du retour du
Christ2407. Michel révèle également ces deux aspects dans ses images : car il reste tout autant
protecteur (de bon déroulement de la pesée ou exceptionnellement des hommes2408) que
punisseur des anges déchus, des hommes pécheurs ou des damnés qui tentent d’échapper à
leur destin.

2402
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 198.
2403
CASSAGNES BROUQUET, 1993, p. 201.
2404
VOVELLE dans ARIES, 1982, p. 172.
2405
Jean DELUMEAU notait également une rupture dans l’histoire de l’Occident, au milieu du XIVe siècle, dans
un climat spirituel qui plaçait la fin du temps au cœur des peurs collectives, populaires et de l’élite.
DELUMEAU, 1978.
2406
ANGHEBEN et PACE, 2007, p. 233.
2407
« Introduction à l’Apocalypse de Jean » dans La Bible, traduction œcuménique, Paris, Éditions du Cerf,
1989, p.3025.
2408
Comme dans les images du miracle de l’accouchée du Mont-Saint-Michel, ou celles où il figure près d’une
Vierge de miséricorde par exemple.
786
IV.1.3. Michel n’est pas un archange de la mort

Pour Aaron Gourevitch, l’iconographie apocalyptique et les récits de voyages dans


l’au-delà sont au cœur de la compréhension de l’univers mental de l’homme médiéval sur la
mort2409. Si la mort est « bonne à penser » car elle concentre « les intérêts matériels et les
fantasmes de tous les hommes »2410, l’iconographie de saint Michel ne nous apprend
quasiment rien sur les pratiques, qu’elles soient religieuses ou sociales, autour du décès en lui-
même, et des croyances sur le déroulement de la séparation de l’âme et du corps. L’action de
Michel se concentre essentiellement dans nos images sur l’évaluation, qui est, en général,
totalement déconnectée de tout ancrage spatio-temporel lié à la mort terrestre en elle-même.
L’archange n’est pas présent au chevet du mourant, ni auprès de son corps, il intervient
uniquement auprès des âmes.
Jacques Chiffoleau indique que « peu à peu, c’est la peur de mourir intestat plus que la crainte
eschatologique du Jugement dernier qui s’exprime »2411, ce à quoi Jacques Le Goff rajoute
qu’a lieu une véritable régression de la peur de l’au-delà vers la mort2412. Au vu de
l’iconographie michaélique, il ne semble pas que ce soit le fait de quitter le monde terrestre
que les fidèles craignent réellement, mais davantage l’évaluation de leurs actions et leur
destinée dans l’au-delà d’attente entre la mort et la fin des temps. Dans les peintures
monumentales italiennes, Michel n’est pas un acteur de la bonne ou de la mauvaise mort, à
laquelle les anges anonymes et les démons peuvent prendre part. Le moment de la mort n’est
pas vu comme un moment décisif dans l’établissement du destin de l’homme, qui se
détermine plutôt une fois l’âme déjà clairement séparée du corps, dans la balance de
l’archange. Les angoisses se déplacent, selon nous, non pas vers la mort elle-même, mais
autour du jugement personnel, et aboutissent bien à la mise en place d’une comptabilité qui
détermine la sentence dans un calcul entre les actes du défunt, les actions expiatoires
réalisées, les confessions ou l’achat d’indulgences par exemple. Le développement du motif
de la balance, en dehors du contexte des Jugements derniers italiens, semble bien prouver que
l’angoisse de l’éternité est reportée à cet horizon d’attente, où Michel n’est ni un ange
eschatologique, ni un ange de la mort, mais un ange de l’au-delà d’attente.

2409
GOUREVITCH, 1982, p. 259.
2410
AUGÉ, 1977, pp. 19-21.
2411
CHIFFOLEAU, « Ce qui fait changer la mort dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge », dans Actes
du Colloque de Louvain (mai 1979), repris dans Death in the Middle Ages, Leuven, Leuven University Press,
1987, cité dans la préface de Jacques Le Goff, à l’édition de 1980 de La comptabilité de l’au-delà.
2412
Préface de Jacques Le Goff, à l’édition de 1980 de La comptabilité de l’au-delà, pp. 17-18.
787
IV.2- Le double jugement de Michel : une image de temporalités imbriquées pour
l’homme entre 1200 et 1518

IV.2.1. Michel, participant à la définition de l’espace de l’au-delà

Au moment de sa naissance, le Purgatoire s’inscrit dans une volonté plus globale de


définition de la géographie et de la temporalité de l’au-delà. Saint Michel fait partie de ce
processus de précision du déroulement, dans le temps et dans l’espace, des événements
suivants la mort, comme en attestent ses représentations.
Dans la dimension spatiale, Michel et sa balance constitue un accès, qui peut être accepté ou
refusé, entre deux zones de l’au-delà. Il est ainsi une séparation, en même temps qu’une
démonstration visuelle des conditions qui font qu’un homme est autorisé ou interdit dans
l’espace adjacent. La figure archangélique constitue donc un jalon et une épreuve dans
l’espace parcouru par l’âme, qui correspond bien aux évolutions dans le champ scientifique et
artistique, où les hommes mesurent, conceptualisent plus finement l’espace2413 et procèdent,
dans le domaine économique à une véritable prise de possession marchande du monde2414.
L’intervention de l’archange dans un endroit (entre le Purgatoire et le paradis d’attente ou
même le paradis) et à un moment donné (au moment de la mort ou à la fin du temps des
peines purgatoires) démontre bien qu’il existe une organisation spatiale, temporelle et
comptable de l’au-delà. Dans ces images, la balance est l’outil qui permet de donner un
résultat précis, débouchant ensuite par l’application d’un « tarif » de supplices en fonction du
péché, à un résultat clair et définitif dont l’archange est le calculateur. Michel apparait ici, en
quelque sorte, comme l’agent comptable de l’au-delà.
Enfin, le rapprochement spatial de Michel dans des représentations plausibles de paysages
terrestres, définit un lieu de rencontre possible avec les fidèles, et peut participer à la crainte
de ce jugement.

IV.2.2. Michel, les hommes et le temps

Aaron Gourevitch a précisé qu’observer l’homme devant la mort était, dans une large
mesure, étudier sa perception du temps2415. En ce qui concerne nos peintures, nous avons déjà
analysé le rapport au temps original et pour le moins complexe de la figure de l’archange2416.
Rappelons que l’iconographie des saints convoque des épisodes passés de leur vie ou de leurs
interventions post mortem, ou présente leur état permanent dans les images non narratives.

2413
MARTIN, 2001, p. 137.
2414
MARTIN, 2001, p. 142.
2415
GOUREVITCH, 1982, p. 256.
2416
Voir à ce propos le chapitre 3. II. 2.2. Le mouvement et le temps : l’image de Michel entre représentation
d’un signe et représentation d’un événement réel.
788
L’image de Michel est, elle, toujours comprise dans différents cadres temporels qui
s’entremêlent : une image du combat est en même temps image du passé, du présent et du
futur, mais également reflet de la permanence de sa lutte, alors que la re-présentation de
l’archange sous la forme d’un homme ailé, donne à l’image un caractère d’expérience
visionnaire qui s’accorde mal à la permanence d’un état physique qu’il ne possède pas et qui
est figé dans l’image. Cette tension temporelle qui se cristallise autour de la figure de
l’archange en état, et plus encore dans le rapport entre l’iconographie du psychostase et celle
du séparateur du Jugement dernier, se comprend à la lumière de la relation que le fidèle
entretenait avec le temps, imbriquant plusieurs réalités : la sienne, personnelle, une
temporalité collective, puis celle de l’Église et enfin celle de l’éternité de Dieu. La vie des
fidèles était rythmée par la liturgie, à l’échelle des années et des mois avec le calendrier
chrétien, et des jours avec les cérémonies ordinaires et les prières. La gestion de ce temps
collectif était primordiale et en lien direct avec le pouvoir car « gouverner c’est toujours un
tant soit peu régir le temps du travail et des célébrations, donner à la communauté des
références dans le passé et lui suggérer un avenir »2417. Cependant, à partir du XIIe siècle, un
schéma plus linéaire et cumulatif voit le jour2418 ; puis, dès la période centrale du Moyen Âge
le temps de l’Église entre en conflit avec le temps des marchands, à présent davantage réglé
sur le temps du travail2419. Pour les négociants, le temps est un véritable instrument de
mesure. L’invention de l’horloge portative (miniaturisable et transportable) fait passer le
fidèle d’une gestion du temps collectif à une discipline personnelle du temps2420. À la fin du
XIIIe siècle, le temps est unifié, découpé régulièrement dans la durée, même si les découpages
liturgiques sont toujours présents, et entremêlés avec cette nouvelle réalité temporelle. À ces
strates, s’ajoutent le temps de l’Église qui donne toujours une perspective tournée vers
l’avenir, car « L’Église est dans le temps présent, mais elle est de l’ère future : elle est une
réalité eschatologique, à la fois accomplissement des prophéties et prémices prophétiques de
la fin des temps »2421. L’histoire de l’homme, par sa vie éphémère, s’insère dans une Histoire
plus générale, qui le transcende mais auquel il est lié par le Jugement dernier.
Les actions de saint Michel dans les images sont bien révélatrices de cet entremêlement
temporel, qui doit pousser le fidèle à agir maintenant, mais toujours dans une perspective
future du jugement. Les images du Jugement dernier sont ainsi l’expression matérialisée
d’une telle tendance à se projeter dans l’avenir2422, mais c’est une caractéristique que possède
grand nombre d’images chrétiennes, à travers leur propension naturelle à déplacer vers la fin
des temps les images de la réalité présente. Car, comme le précise Yves Christe, le jugement
(personnel ou collectif), vision d’une réalité future, est souvent considérée comme une
admonestation présente, et c’est bien dans le présent qu’il a valeur de mise en garde

2417
MARTIN, 2001, p. 156.
2418
MARTIN, 2001, p. 163.
2419
MARTIN, 2001, p. 168.
2420
MARTIN, 2001, p. 169.
2421
Introduction à l’Apocalypse de Jean dans La Bible, traduction œcuménique, Paris, Éditions du Cerf, 1989, p.
3025.
2422
MÜLLER-EBELING, RÄTSCH et ZLATOHLAVEK, 2001, p. 203.
789
individuelle2423. L’auteur se demande d’ailleurs à ce titre si l’expression figurée n’est pas en
partie responsable d’une évolution de l’exégèse, et si les images n’ont pas anticipé la
réflexion des « savants » 2424. Aaron Gourevitch relie cette « présentification » du futur, à une
conscience populaire peu réceptive à la conception eschatologique du temps, et faisant ainsi
« entrer dans le présent, dans le temps de la vie de chaque homme, tout le contenu de
l’histoire du salut, confrontant le moment présent avec l’éternité, passant sans difficulté du
monde des vivants au royaume des morts et inversement, et dotant l’âme de propriétés
physiques »2425. Les images de saint Michel sont au centre de « cette dualité de la perception
du temps » qui « est un trait irréductible de conscience de l’homme médiéval »2426 et elle est
particulièrement lisible à travers les représentations de l’archange de la psychostasie et celle
de l’archange du partage, mettant en tension le jugement personnel et le jugement collectif. À
travers l’iconographie, Michel apparaît comme un personnage central de l’Histoire universelle
de l’Église, puisqu’il y intervient dans tous les moments clés, de la Genèse, à l’Apocalypse,
en passant par le moment présent. Par le motif de la balance, il est également un acteur d’une
histoire plus personnelle, centrée sur chaque homme. L’archange traverse et participe à
chacune des temporalités prise en compte par l’homme à la fin du Moyen Âge et au début de
l’époque moderne.

IV.2.3. Saint Michel au cœur d’une double eschatologie

L’imbrication de l’histoire de l’homme dans l’Histoire de l’Église se cristallise autour


de la perception d’une double eschatologie, articulant le jugement individuel directement
après la mort et le jugement collectif, à la fin des temps. La différenciation qui s’opère dans
l’iconographie michaélique, dès la fin du XIIIe siècle, entre l’usage de la balance et celui de
l’épée, insiste bien sur la distinction des deux moments, par la figuration de deux
interventions différenciées de l’archange dans l’histoire du salut : d’un côté l’instrument de
pesée, qui détermine le destin d’une ou deux âmes, où Michel intervient comme surveillant, et
de l’autre l’instrument du partage physique de tous les hommes, où l’archange est un
exécutant de la justice divine.
Nous avons déjà souligné qu’au Moyen Âge, la question du sort de l’âme entre la mort
individuelle et le Jugement universel est une question très débattue qui débouche sur la
naissance du Purgatoire, qui ne gomme pourtant pas toutes les incertitudes2427. Le destin
général de la race humaine se décline alors dans un destin personnel de l’individu2428.

2423
CHRISTE, 1996, p. 122.
2424
Il constate, par exemple, que les effets de la « déseschatologisation » de l’Apocalypse, de la part des exégètes
au Haut Moyen Âge, ont souvent été battus en brèche par les illustrations de ce texte ; CHRISTE, 1996, p. 121.
2425
GOUREVITCH, 1982, p. 272.
2426
GOUREVITCH, 1982, p. 273.
2427
Voir à ce propos le chapitre 3. II. 3.1. L’archange acteur de la psychostasie, une allégorie de la justice
divine.
2428
GOUREVITCH, 1982, p. 263.
790
Si toute l’anthropologie chrétienne est marquée par la tension que crée la double perspective
de l’immortalité de l’âme et de l’attente de la résurrection des corps, les XIVe et XVe siècles
représentent un temps de parité entre les deux jugements dans la théologie et la pensée
chrétienne. C’est bien ce que semble représenter l’iconographie italienne de la fin du Moyen
Âge. Les représentations de l’archange à la balance se multiplient dans des contextes
iconographiques variés, alors qu’au jour du Jugement dernier, ce dernier se contente de
séparer les élus des damnés dont la sentence a déjà été rendue. La double présence de Michel
ne se retrouve pas avec une telle force dans l’iconographie du reste de l’Occident, même si un
dialogue peut exister entre images du jugement personnel et du jugement collectif. Dans un
exemple de deux pages de gravure d’un livre d’Ars moriendi bavarois, étudiées par Roger
Chartier, se trouve, à gauche, une représentation de la bonne mort, où cinq anges victorieux
luttent contre cinq diables défaits, et, dans la partie droite, se trouve une représentation du
jugement dernier où prend place saint Michel au registre inférieur, en vêtements liturgiques
qui réalise une pesée des âmes selon un modèle flamand2429. L’archange n’apparait ici qu’une
seule fois, et sa présence au moment du dernier partage mais pesant les âmes, amène une
confusion entre jugement individuel et jugement collectif, qui n’est pas présente dans la
Péninsule2430. Dans la peinture italienne, les deux eschatologies sont clairement distinguées, et
leur dialogue se cristallise autour de la figure de l’archange, alors révélatrice d’une véritable
responsabilisation du fidèle devant ses actes.

IV.3- L’iconographie de saint Michel : une mise en scène de l’homme de la fin du Moyen
Âge face à l’Église, face à Dieu, face à son salut

IV.3.1. L’iconographie de saint Michel, un reflet du rôle que s’attribue l’Église dans le
salut de l’homme

La définition des événements qui surviennent entre la mort et la fin des temps, et en
particulier la naissance du Purgatoire, marquent une volonté de tisser des liens forts et
opérants entre les vivants et les morts, tout en précisant et renforçant l’utilité de l’Église, en ce
qu’elle fournit le cadre de cette relation, la rendant efficace pour les morts et réconfortante
pour les vivants. La multiplication des images de Michel à la balance, affirme le caractère
individuel et temporaire de la sentence, d’autant plus lorsque ce motif figure au sein de scènes
de l’au-delà, à proximité de représentations du Purgatoire, mais également dans les simples
images de l’archange en état procédant à la pesée. L’iconographie indique alors qu’il est
2429
CHARTIER, 1976.
2430
Précisons tout de même que si l’image de la pesée est bien souvent la preuve de l’existence d’un jugement
personnel et de l’existence d’une voie moyenne, le verdict de la balance est lui binaire et ne distingue pas les
âmes damnées des âmes à purger.
791
encore possible pour les vivants d’intervenir pour soulager leurs proches des supplices décrits
dans les images, mais également pour organiser leur propre vie ici-bas et éviter ainsi ce genre
de désagréments dans l’au-delà. Les interventions des fidèles suscitées par l’image, passent
alors par le recourt aux sacrements : les indulgences, les suffrages, la confession. À ce titre,
les sacrements sont centraux dans l’affirmation du caractère indispensable de l’institution
ecclésiale en tant que dispensatrice de la rédemption. La pénitence est davantage considérée
comme une nouvelle voie d’accès au ciel que comme une punition2431, et explique la
formation des groupes laïques pénitents, qui vouent d’ailleurs une dévotion particulière à
l’archange. Aux XIV et XVe siècles, la multiplication des suffrages - prières de l’Église
Universelle ou des saints pour les fidèles - est vue par Jacques Chiffoleau comme une preuve
de l’éloignement du divin, dans sa relation au fidèle2432, car ces prières sont estimées plus
efficaces que les invocations faites directement par les hommes individuellement, et
soulignent une fois de plus la nécessité d’intermédiaires dans l’accès à Dieu. Enfin les
indulgences - rémission (partielle ou totale) des peines temporelles liées aux péchés déjà
pardonnés, accordées par l’Église sous conditions variables - est également un moyen
important proposé par le clergé pour intervenir sur l’au-delà, mais qui agit davantage sur le
futur des vivants que sur le destin des hommes déjà morts. Pour amener les fidèles à avoir
recours à ces pratiques qui fondent leur dépendance à l’institution ecclésiale, le rôle de la peur
de la mort et de l’au-delà est central, et les médias privilégiés de cette pastorale
culpabilisatrice restent la prédication et l’image, ce qui explique alors en partie le caractère
plus punitif de l’archange dans l’iconographie italienne. Dans cette perspective, l’image de
Michel semble être l’un des outils employés par l’Église, si ce n’est dans la création, au moins
dans la mise en œuvre et l’exploitation de l’angoisse eschatologique. Grâce notamment à la
figuration de l’action intransigeante de l’archange, le respect de la conduite dictée par le
clergé apparait comme la seule issue salvatrice pour les hommes pêcheurs. L’Église est
l’institution qui révèle et permet d’éviter les violences eschatologiques. Il s’agit bien, comme
le précise Jérôme Baschet, de « faire peser l’au-delà de tout son poids sur l’ici-bas et inscrire
le gouvernement des hommes dans une référence à la justice divine qui se voudrait
inévitable »2433. Ce même auteur démontre d’ailleurs que cette domination spirituelle se lit
également comme une domination politique et sociale. Par la démonstration aux fidèles de
leurs propres pulsions destructrices, et ainsi en réactivant leur culpabilité, ces derniers
reconnaissent leur position de sujet et sont amenés à faire preuve d’obéissance car la justice
de l’au-delà est largement tributaire de la justice d’ici-bas2434. Cet aspect pourrait expliquer
les différences iconographiques entre Jugement dernier français et italiens, puisque le rapport
au pouvoir n’est pas du tout le même entre l’état capétien et les principautés de la Péninsule,
alors que ce sont ces pouvoirs qui sont les garants de la justice d’un côté à l’autre des

2431
VAUCHEZ, 1987.
2432
CHIFFOLEAU, 1984, p. 277.
2433
BASCHET, 2008 (2), p. 26.
2434
Cette imbrication entre justice d’ici-bas et justice de l’au-delà est particulièrement prégnante dans
l’utilisation usuelle des Jugements derniers peints dans les salles d’audiences des tribunaux civils des Terres
d’Empire ou dans les Anciens Pays-Bas méridionaux ; voir ANGHEBEN et PACE, 2007, p. 209.
792
Alpes2435. Notons également que, dans l’iconographie byzantine, la figure de Michel servait
déjà à penser la relation de pouvoir entre Dieu, l’Église et les puissances politiques. Les
représentations de l’archange en pendant à un empereur en costume impérial démontraient la
similitude de leur fonction et surtout leur entière subordination au souverain céleste, servi sur
terre par le clergé2436. L’iconographie des anges constituait déjà une image de compromis
entre le pouvoir impérial et celui de l’Église. La référence au jugement individuel dans les
images de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, permet à nouveau de penser
ces rapports pour affirmer la soumission du fidèle à Dieu, au pouvoir laïque et surtout à
l’Église.
L’iconographie de saint Michel participe ainsi pleinement au façonnage de l’au-delà, à
l’entretien d’une peur de la mort et à la démonstration d’une possibilité d’interagir avec les
défunts et de conjurer ainsi ces peurs, au centre de la gestion du monopole ecclésial. Il devient
alors lui-même le relais de cette médiation du clergé, comme l’atteste avec force son image
sur la contre-façade de Santa Maria in Piano de Loreto Aprutino où il figure tonsuré et vêtu de
la chape.

IV.3.2. Michel comme médiateur entre l’homme et Dieu

Pourtant, l’entreprise d’inculpation des fidèles par le clergé qui débute au XIIIe
siècle2437, moyen pour l’Église de s’imposer fermement entre les fidèles et Dieu, semble
entrer en contradiction avec les évolutions plus générales de la spiritualité laïque qui souhaite,
notamment par l’identification au Christ souffrant et la pénitence, un rapport plus direct avec
le divin2438. Dans l’iconographie italienne, Michel apparait comme celui qui affirme avec
autorité la médiation indispensable de l’Église, et pourtant, ses représentations mettent bien en
scène l’homme face à ses responsabilité et prenant en main son salut, remettant alors en cause
la fonction de l’institution. Notons également que, dans les polyptyques catalans, la figure de
l’archange à la balance est souvent figurée à proximité d’une scène du miracle de l’hostie par
saint Grégoire, et d’une représentation des peines purgatoires2439. Le rôle effectif de l’Église
est ici clairement démontré. Le rapprochement de l’image de saint Michel contre le mal et à la
balance et de celle d’un ange portant un porte-hostie autour d’une Vierge à l’Enfant sur les

2435
BASCHET, 2014.
2436
JOLIVET-LÉVY, 1998 (1), p.126
2437
BASCHET, 1995, p. 191. André Vauchez précise cependant que le sentiment de culpabilité est utilisé dès le
VIIe siècle, en contexte irlandais, par une pénitence tarifée par les moines. Pourtant l’époque carolingienne est
encore largement marquée par la passivité des fidèles dans les cérémonies et dans leur salut. VAUCHEZ, 1994,
p. 21.
2438
VAUCHEZ, 1987, p.104.
2439
Comme l’a démontré Paulino Rodriguez Barral, de l’Université de Paris I, dans une intervention intitulée
« Saint Michel et le Purgatoire : l’iconographie de la couronne d’Aragon », tenue lors de la 6e rencontre
historique de l’Association « Les chemins de saint Michel », Autour des images de saint Michel en Europe, qui a
eu lieu à Vire le 8 mai dernier, et qui doit donner suite à une publication.
793
insignes de pèlerinage français, semble à nouveau souligner la médiation du clergé dans le
salut des âmes2440. Pourtant, l’iconographie italienne ne propose pas d’affirmation nette de
cause à effet entre pesée, sacrement et salut. L’homme se retrouve principalement face à Dieu,
mais surtout face à lui-même. En fait, médiation de l’Église et implication individuelle ne sont
pas incompatibles. C’est en affirmant la responsabilité du fidèle que l’Église pointait du doigt
son individualité. Au même moment, la modification du rôle et de la représentation du Christ-
juge participait à un certain détachement de l’homme par rapport au clergé, tout en le
rapprochant de Dieu, dont il tentait de partager les souffrances à travers la méditation sur les
images du Sauveur et de sa Passion. Dans ce processus, l’image semble suppléer, voir
remplacer le statut d’intermédiaire de l’Église et proposer un contact plus direct avec la
divinité. Pourtant, il serait sans doute trop simpliste de considérer que le clergé était
totalement à l’écart de l’expérience émotive et personnelle suscitée par l’image, puisque cette
« vision » reste bien un moyen, pour inciter les hommes au repentir, et non une finalité.
Affirmation du pouvoir de l’Église et rapport intime et émotif par l’art avec Dieu, ne sont
donc pas incompatibles, la représentation de Michel le rappelle clairement.
Dans les Jugement derniers, si le Juge apparait parfois uniquement comme un Christ souffrant
et miséricordieux, l’archange, son bras armé, est présent pour communiquer son aspect
punisseur. Michel révèle au fidèle le caractère qui n’est pas lisible dans la figure christique. Sa
position dans la composition, souvent au centre, juste sous le Christ, permet d’affirmer un axe
de démarcation des élus et des damnés, créé par l’image de Dieu et de son serviteur armé. Il
apparait également dans sa situation sur la surface peinte, comme un intermédiaire entre le
Juge et les hommes ressuscités. Michel est l’une des faces visibles de la justice divine, il est
un représentant de Dieu. À ce titre, la relation qui s’établit entre les hommes et l’archange
dans les peintures, est un reflet de celle entre eux et Dieu, qu’il est pourtant impossible de
mettre en scène. En effet, les hommes ne peuvent encore voir le Christ, soit parce qu’ils sont
damnés (et la pire de leurs punitions sera d’ailleurs qu’ils ne le verront jamais), soit parce que
la fin des temps n’est pas encore arrivée et que même les élus ne jouissent pas encore de la
vue de Dieu. La représentation du Christ en train d’évaluer les âmes des hommes avant le
Jugement dernier est donc impensable, puisqu’alors, les justes, comme les damnés pourraient
le voir. Dans tous les cas, l’action de Michel et de la balance, fixe à jamais le fidèle dans ce
rapport visuel avec Dieu : le résultat de la pesée permet soit l’accès à la Vision Béatifique2441,
soit l’accès à la peine du dam. Dans la mesure où le rapport visuel avec Dieu (positif ou
négatif) est si central dans la question de la rétribution des hommes, et qu’il ne peut ainsi être
directement mis en scène dans l’image avec la figure du Christ, l’archange est un vecteur
indispensable pour penser la relation homme/Dieu au moment de la mort.

2440
Esther DEHOUX, dans une intervention intitulée « Sous la protection de l’archange. L’iconographie de saint
Michel sur les enseignes de pèlerinage (XIIIe-XVe siècles) », tenue lors de la 6e rencontre historique de
l’Association « Les chemins de saint Michel », Autour des images de saint Michel en Europe, qui a eu lieu à Vire
le 8 mai dernier, et qui doit donner suite à une publication.
2441
L’affirmation de la doctrine de la Vision Béatifique date de 1330-1335 et André Vauchez précise qu’elle
permet d’insister sur le jugement personnel qui survient directement après la mort. VAUCHEZ, 2009, p. 603. À
propos du traitement iconographique de ce thème, voir BASCHET, 1998, pp. 73-93.
794
Représenter la pesée des âmes, c'est représenter un rapport fondamental entre l'homme et le
divin : le moment de l'évaluation de l’un par l’autre, qui détermine le statut de l’individu pour
l’Éternité. Au-delà de son exploitation par l’institution ecclésiale, l’image de saint Michel
n’en reste pas moins, dans les Jugements derniers, mais également dans les images en état
avec balance, l’unique représentation où l’homme - pas le saint, le parfait, ou celui qui a un
rôle précis dans un récit édificateur - est représenté.

IV.3.3. Michel, une iconographie anthropocentriste ?

Les mises en scène de l’évaluation des destins des âmes ou des hommes dans l’au-delà
sont un reflet des évolutions de la perception que le fidèle a de lui-même dans sa propre
histoire, mais également dans la grande Histoire du salut et dans le cosmos. Nous avons déjà
établi que, dans les images de Jugements derniers italiens, l’homme était bien placé devant ses
propres responsabilités, sans aucun intermédiaire démoniaque ou angélique2442. Michel est
alors le seul être à qui il a à faire, celui qui indique le chemin qu’il doit suivre et l’homme est
finalement le seul responsable de la destination imposée. Si le Christ est toujours présent, et
parfois clairement punisseur dans la peinture italienne, il ne constitue plus l’action principale
dans les images de Jugement dernier. La place des représentations de l’enfer est en effet
particulièrement prégnante à partir des années 13302443, mais, avant même l’accès aux lieux
de supplices, les hommes sont dynamiquement mis en scène dans l’épisode de la résurrection
et de la séparation des corps. Ce ne sont pas ici seulement les physionomies qui sont
différenciées et indiquent alors la particularisation de l’homme, mais ce sont surtout les
réactions et les actions, dictées par la propre personnalité de chacun qui s’extériorisent et
démontrent le déplacement qui s’opère dans la considération de l’homme comme espèce,
appartement à la grande famille impersonnelle d’Adam et Ève, à l’homme comme être
individuel, objet d’un examen personnalisé et dont la biographie est prise en compte2444. Cet
aspect est clairement attesté dans la pesée des âmes, et également figuré dans les images de
Jugement dernier. Dans la mesure où la sentence rendue par la balance, ou le chemin attribué
au moment du Jugement dernier est propre à chaque individu, nous pouvons affirmer que
l’iconographie michaélique participe à un certain individualisme figuré de l’homme à la fin
du Moyen Âge et au début de l’époque moderne.
L’intérêt est déplacé de la transcendance de la figure christique à l’agitation toute humaine
autour de l’image de l’archange. Dans l’iconographie eschatologique italienne, l’acteur
principal n’est ni le Christ, ni même Michel - contrairement à l’affirmation d’Émile Mâle à
propos de certaines images françaises2445 - mais bien l’homme. À la fin du Moyen Âge et au

2442
Voir à ce sujet le chapitre 3. II. 3.2. Archange surveillant le partage au Jugement dernier. L’utilisation des
armes contre les hommes.
2443
Voir en particulier BASCHET, 2014.
2444
ARIÈS, 1983, p. 149.
2445
MÂLE, 1948, pp. 674-684 et voir chapitre 3. II. 3.1. L’archange acteur de la psychostasie, une allégorie de
795
début de l’époque moderne, si l’homme peut être au centre de l’attention iconographique,
c’est certainement parce que sa forme a déjà été considérée comme digne de représentation.
L’affirmation de l’humanité du Christ et son importance dans les nouvelles formes de la
spiritualité, sont relayées dans les images par des représentations centrées sur une approche
plus « naturaliste » de Dieu, des saints puis de tout le champ figuratif. L’image « réaliste » de
l’humain s’insinue dans l’art chrétien et permet, dans un second temps, à l’homme « normal »
d’intégrer les compositions, sous la forme individualisée du donateur, du dévot ou sous la
forme anonyme (ou non) de l’homme des épisodes eschatologiques. Le fait même de
représenter le divin sous une forme clairement humaine et même l’humain non exceptionnel
dans le cadre de l’image, révèle une vision plus positive de l’homme qui n’est plus seulement
l’être corrompu, nourri par le sentiment du péché originel, mais qui est plus optimiste, car il
est un être créé par Dieu à son image et est ainsi capable de participer à l’histoire du salut et
de sauver son âme2446. C’est bien ainsi parce qu’il s’est intéressé à l’humanité du Christ,
spirituellement et formellement, que l’homme s’est retrouvé dans les images, et a pu
s’interroger sur sa propre humanité.

Puisque l’individu prend une dimension importante dans les images de Michel, il
semble que l’archange ait pu prendre ici la place d’un ange gardien, ange préposé à la
protection d’un individu, dont le culte se développe à la fin du Moyen Âge. Plusieurs
historiens estiment d’ailleurs que c’est bien le culte de l’archange qui est à l’origine de celui
des anges gardiens, par son caractère de protecteur des Peuples2447, qui se déplace ensuite vers
une protection personnelle. Comme pour le Jugement, la protection collective devient une
protection individuelle. Déjà au XIIe siècle, personne ne doute de l’assistance que nous
recevons des anges gardiens. Pour saint Thomas, chaque homme a son ange gardien, attribué
avant même le baptême, au moment de la création de l’âme2448. Le succès de ce culte est
affirmé aux XVe et XVIe siècles, comme en atteste la fondation de confréries en leur
honneur2449. Certains ont voulu voir dans l’image de Michel humanisée, délestée de son
caractère mystérieux et hautain, l’image de l’ange gardien par excellence 2450. Au vu de notre
corpus, il nous est pourtant difficile de trouver dans les figures de l’archange en Italie, cet
aspect intime et bienveillant envers l’homme. Il est, bien sûr, figuré près des hommes, mais
n’en demeure pas pour autant un protecteur particulier. Car ce qu’il protège des fourberies des
démons dans les peintures italiennes, ce ne sont pas les hommes, figurés sous la forme
d’âmes, mais la pesée et son bon déroulement. Il est d’ailleurs plus juste de penser que le
destin de l’âme ne dépend pas d’une lutte des forces en présence, qu’elles soient bonnes ou

la justice divine.
2446
Comme précisé dans la préface de Jacques Le Goff, de L’homme médiéval, Paris, Seuil, 1994 ; cité dans
GOUREVITCH, 1997, p. 21.
2447
TEYSSÈDRE, 1986, p. 240 ; DELUMEAU, 1989 ; et particulièrement Philippe Faure, qui précise que c’est
par sa fonction defensor animarum et ductor animarum que provient le glissement vers une dévotion à un ange
gardien plus personnel ; FAURE, 1997 (1), p. 207.
2448
Dans Sommes théologiques, I, q. CXIII, a. 5, cité dans VACANT, t. I, 1, 1930, p. 1246.
2449
DUHR, t. I, 1937, p. 617 ; voir également FAURE, 1997, pp.199-211.
2450
Voir en particulier ROJDESTVENSKY, 1922.
796
mauvaises. Ni les anges, ni les démons, ni saint Michel ne doivent intervenir dans la sentence.
Nous ne sommes pas ici devant une scène de psychomachie à proprement parler. Le caractère
universel de la mission archangélique ne peut se limiter à la protection d’un seul homme.
Michel est l’ange gardien de toute l’humanité, et non pas d’un homme en particulier, dans son
individualité. Le rôle d’ange gardien par excellence est d’ailleurs assumé par un autre
archange nommé dans la Bible, Raphaël, presque absent du culte et de l’iconographie jusqu’à
la fin du Moyen Âge, mais qui connaît justement à partir de ce moment, un succès sans
précédent, comme en atteste son association à Michel dans plusieurs images de notre
corpus2451. De toute façon, Michel n’intervient auprès des âmes qu’après la mort, alors que
l’action de l’ange gardien se définit par son assistance à l’homme pendant tous les moments,
de sa naissance à sa mort, et même dans l’au-delà. Si le fait que l’archange ne soit pas
véritablement un protecteur attitré pour un homme dans l’iconographie michaélique, apparait
comme une limite à la démonstration d’une individualisation de l’homme dans l’image de
Michel, ce n’est, en fait, pas vraiment le cas. En effet, si un ange ne s’occupe pas de l’homme
personnellement, cela prouve, une nouvelle fois, la responsabilité de l’individu dans son
destin. Il n’y aura pas de lutte entre anges et démons pour déterminer la sentence, et personne
n’interviendra dans le verdict. Michel et les anges ne veulent pas intervenir par droiture et
respect pour le résultat de l’évaluation, et les démons ne le peuvent pas, car ils en sont
empêchés par l’archange. Dans les Jugements derniers italiens, anges et démons ont une seule
et même mission : accompagner les hommes vers leur destination finale. La limitation du rôle
des anges en général et de Michel en particulier, accentue une nouvelle fois l’implication de
l’homme.
André Vauchez note un certain archaïsme dans le culte de saint Michel à la fin du Moyen
Âge, dû en grande partie à la dévaluation du Jugement dernier et ainsi à la dévaluation de son
rôle dans cet épisode ; alors qu’il apparait bien souvent comme un spectateur lointain dans les
scènes de pesées2452. S’il est certain que sa présence semble moins déterminante dans le
déroulement de l’action, nous ne pensons pas cependant que son rôle soit limité « à celui d’un
simple ange gardien »2453, puisque nous avons vu qu’il n’intervient pas comme protecteur de
l’homme, et il nous semble qu’il est davantage le garant de la présence divine. La présence de
l’archange n’est pas inutile puisqu’elle indique qu’au moment de la mort et de la fin des
temps, aucun autre recours - qu’il soit positif ou négatif - n’est possible pour l’homme, qui
devra assumer ses actions. L’archange fournit le cadre de la responsabilisation du fidèle par
l’affirmation de l’inéluctabilité de la justice divine.

L’homme n’est pas seulement présent dans l’iconographie de l’archange de la pesée


ou du grand partage, il transparait également dans les représentations de lutte contre le mal.
Parce que son rôle au moment de la mort et de la fin des temps est établi et unanimement
reconnu, la présence de Michel, peut toujours se lire dans une perspective eschatologique et /

2451
Voir à ce propos le chapitre 2. II. 3.3.1. Michel un ange parmi les anges.
2452
VAUCHEZ, 2009, pp. 603-604.
2453
VAUCHEZ, 2009, p. 603.
797
ou anthropocentriste2454, même en dehors de contextes figurés précis, ou en l’absence de
l’attribut-balance et de l’image des âmes. Au travers des représentations du combat que livre
l’archange contre les démons et, au-delà d’une simple image manichéenne d’une victoire du
bien contre le mal, le corpus michaélique permet d’entrevoir le rôle que s’attribue le fidèle
dans cette bataille.
Cristina Sereno a indiqué pour les textes, que le combat de l’archange contre le dragon
pourrait être vu comme l’illustration d’un rite d’initiation, dans lequel Michel, image de
l’adolescent androgyne, affronte une dure épreuve, figurée par le combat, pour conquérir la
maturité psychologique, caractéristique de l’âge adulte2455. Si nous ne voyons aucune
confirmation de cette hypothèse dans nos images, les représentations de cette lutte peuvent
être considérées comme le symbole des forces naturelles dominées par l’homme. Le combat
du bien contre le mal se déroule tous les jours à l’intérieur d’une même personne, puisque
l’homme doit combattre les bassesses de sa nature dans ce qu’elle a de plus bestial, pour
réaliser l’élévation nécessaire dans l’accès à Dieu. Selon Érasme, Satan ne serait qu’une
image un peu grotesque des passions humaines, et c’est certainement pour cela que son image
est souvent plus anthropomorphe et moins folklorique à partir du XVe siècle2456. Le sérieux, le
respect et la douceur qu’incarnent Michel, semblent être des états qui demandent un certain
effort, même si l’archange ne le montre pas, et s’opposent en ce sens au ridicule, à
l’indécence, la nonchalance, le manque de tenue et de retenue du démon, qui peuvent eux
représenter les états d’un homme qui se laisse porter par ses plus bas instincts. L’opposition
visuelle entre les deux adversaires, et notamment les traits immondes du mal, permet au
fidèle, par l’abjection de l’Autre, de faire un choix facile en direction de celui qui lui
ressemble, l’archange, modèle à suivre dans les images de lutte contre le mal2457. Le fidèle est
bien perçu, à travers les différents modes de représentations de l’homme dans l’iconographie
de saint Michel, comme une voie moyenne entre l’archange et le démon. L’homme idéalisé
dans sa posture et sa physionomie représente Michel, bien absolu ; l’homme enlaidi dans sa
posture et sa physionomie est le démon, mal absolu ; l’homme nu et « normal », lorsqu’il est
représenté, est l’âme de l’homme, ni totalement bonne, ni totalement mauvaise, qui peut,
selon de légères variations de son attitude, montrer si le bien l’emporte en lui ou au contraire
s’il y est inférieur, et détermine alors s’il est élu ou damné. Le tableau ci-dessous indique
clairement que l’homme est perçu dans une posture moyenne entre l’archange et le démon,
dans sa nature, comme dans les images, par un dégradé d’humanité, qui va de l’homme à la
beauté idéale, au démon, aux formes humaines enlaidies et bestiales. Cette posture moyenne
dans l’apparence humaine est d’ailleurs amplifiée par le fait que le fidèle soit agenouillé ou en
pleine chute, position intermédiaire entre la station debout et sur ses deux membres inférieurs
de Michel - qui est une caractéristique centrale et hautement symbolique de
l’anthropomorphisme – et la position allongée ou écroulée du démon, marque de sa bestialité
et de sa déchéance.

2454
Elle est de toute façon création humaine donc vision de l’homme.
2455
SERENO, p. 2011, p. 84.
2456
CASSAGNES BROUQUET, 1993, pp. 198-202.
2457
ARASSE, 2009.
798
Michel < L’homme >
Le démon
Nature de l’être Spirituelle Humaine Spiritualité corrompue
basse matérialité
Figuration L’homme idéalisé L’homme « normal » L’homme enlaidi et
humaine (âme ou homme) bestial
Doc. 12. Tableau récapitulatif du rapport entre Michel, l’homme et le démon,
dans leur nature et dans leur figuration.

Michel et son ennemi sont, à la fin de notre période, lorsque les images humanisées de
l’archange se rapprochent des images humanisées du démon, les deux fronts d’une même
personne, et le combat lui-même, est l’image du parcours qu’elle doit mener pour accéder à la
Vision Béatifique par le domptage de sa nature physique et l’utilisation à bon escient de son
libre arbitre2458.
Avant même la survenue du péché originel, qui cause la chute de l’homme, le libre arbitre des
anges avait déjà provoqué la chute des anges rebelles, alors chassés, dans les images, par
Michel et son armée céleste. L’iconographie de la psychostasie et celle du partage au moment
du Jugement dernier sont bien des illustrations des conséquences du libre arbitre de chacun,
qui mène certains au paradis et d’autres en enfer. Nous venons de voir que la lutte de Michel
contre le dragon ou les démons est bien le reflet de la lutte intérieure de chaque homme, dont
le libre arbitre peut être une arme que le fidèle doit mettre au service du bien. Enfin, rappelons
qu’en tant qu’image du plus fidèle serviteur de Dieu, et doté lui-même d’un libre arbitre2459,
Michel est celui qui a choisi librement de suivre Dieu en opposition à Lucifer, qui a choisi
librement de ne pas le suivre. L’archange est une personnification de la bonne utilisation du
libre arbitre. Dans toute l’iconographie michéalique, saint Michel est l’archange qui impose
les conséquences des choix réalisés grâce au libre arbitre.
La fin du schéma binaire de l’au-delà, en créant une voie intermédiaire et moyenne, créait une
place à l’homme moyen, dans les images et dans l’Histoire du salut, celui qui n’est ni l’être
parfait, le saint ou le chrétien exemplaire, ni un démon ou le chrétien irrécupérable et rongé
par le vice. L’homme mis en scène aux côtés de Michel, est un homme « classique », qui doit
lutter chaque jour pour s’assurer une place acceptable et supportable dans l’au-delà. Dans les
images de notre corpus, l’archange est l’acteur de la mise en scène de cette voie moyenne et
majoritaire du peuple chrétien.

2458
L’idée d’un combat incessant contre le mal, dans la vie religieuse, est largement développée bien avant le
XIe siècle, selon André Vauchez qui précise que « toute la spiritualité de l’époque féodale est placée sous le
signe de l’effort douloureux et de la lutte ». VAUCHEZ, 1994, pp. 53-54.
2459
La question de la nature des anges avant et après la chute des rebelles est une question largement débattue
par les auteurs du XIIe siècle, dans laquelle le libre arbitre est central. Les théologiens s’accordent alors pour dire
que les démons seront endurcis dans le mal et que les bons anges sont pour toujours dans le bien mais pensent
tout de même qu’ils ont conservé leur libre arbitre ; dans VACANT, t. I, 1, 1930, pp.1224. Voir également
BAREILLE, 1930, p. 1203.
799
Nous ne voulons pas minimiser ici la fonction capitale des images étudiées dans la
responsabilisation des fidèles pour l’affirmation de la nécessité de l’institution ecclésiale,
mais nous souhaitons préciser, qu’à travers l’iconographie de Michel - combattant le mal,
pesant les âmes ou séparant les hommes - c’est bien aussi l’homme qui est mis en scène,
passant d’un rôle de spectateur à un rôle d’acteur. Car il ne s’agit pas non plus de tomber dans
l’excès inverse, comme l’a précisé Jérôme Baschet pour les images infernales, qui serait de
considérer l’image de Michel « uniquement comme une arme manipulée par l’Église pour
consolider son pouvoir sur la société »2460. Les images de l’archange étudiées mettent en
image la place que l’homme se donne par rapport à la divinité, au clergé, mais également par
rapport au Monde, à l’histoire (son histoire) et l’Histoire (temps de l’Église). La promotion de
l’individu dans l’iconographie de saint Michel ne se fait pourtant pas ici dans le sens d’un
développement d’un individualisme qui se développerait au détriment de l’organisation
sociale, dans une recherche d’autonomie du fidèle par rapport à l’institution ecclésiale ou à la
société en général. L’homme reste lié aux regroupements communautaires, plus encore
d’ailleurs au moment de la mort puisqu’il peut encore avoir besoin des suffrages des vivants
pour limiter son temps de purgatoire. Même lorsque saint Michel doit user de ses armes
contre les hommes, ce n’est pas pour démontrer une défiance des hommes de cette période
envers le pouvoir divin, ni forcément le signe d’une émergence de l’individu en marge des
organisations sociales et religieuses de la fin du Moyen Âge, mais révèle plutôt un désir
d’encadrement par l’institution ecclésiale des pratiques autour de la mort, pour limiter les
conceptions folkloriques et surtout s’assurer le contrôle de la société par le monopole des
sacrements. Dans ces images, c’est la responsabilisation du fidèle qui est interpellée et non
son individualité. L’archange, qui agit principalement dans l’au-delà, reste au cœur des
évolutions de la perception de la mort, et notamment de « la mort de soi » à la fin du Moyen
Âge, véritable témoignage de la conscience de soi, comme le précise Philippe Ariès2461.
L’iconographie de saint Michel interroge ainsi particulièrement la question du libre arbitre, et
prouve que le salut doit s’acquérir individuellement mais dans le cadre et par l’intermédiaire
de l’Église, alors source de grâce, ce qui rejette l’eschatologie dans un avenir lointain2462. À la
fin du XVe siècle, et au début du XVIe, en tant qu’acteur à part entière du système pénitentiel
de l’Église, à la base de tout son appareil institutionnel, et en tant qu’image centrale de la
figuration du libre arbitre, Michel semble cristalliser autour de sa représentation les tensions
touchant aux questions des moyens de rachat du salut et à la place de la grâce divine, au cœur
des critiques de Luther et des protestants2463. Dans ses 95 thèses écrites en 1517, le théologien
allemand ne critique pas seulement le commerce des indulgences, mais remet également en
cause l’existence même du Purgatoire. L’iconographie de l’archange prend alors un nouveau

2460
BASCHET, 1990, pp.551-563.

2461
ARIÈS, 1975, titre de la première partie.
2462
CAROZZI, 1999, p. 189.
2463
CAROZZI, 1999, p. 189. André Vauchez précise également que, dès le XIIe siècle, une partie des fidèles, se
met en marge de l’institution car elle refuse un « salut suspendu à la médiation de l’Église visible et du sacerdoce
institutionnel » ; VAUCHEZ, 1994, p. 109.
800
tournant, comme en atteste la toile de Raphaël, exécutée en 1518 sur commande du pape Léon
X, où Michel apparait clairement comme le bras armé de Dieu et surtout de l’Église, dans son
caractère triomphant, foulant aux pieds un démon à forme humaine, preuve que le mal peut
prendre une forme trompeuse.

801
802
CONCLUSION :
FIGURER L’ARCHANGE POUR REPRÉSENTER
L’HOMME

803
804
L’analyse de l’iconographie michaélique s’inscrit dans un intérêt plus global de la
recherche en sciences humaines pour la figure de saint Michel, à travers son culte, ses
sanctuaires et les phénomènes religieux, voire sociaux et politiques, qu’elle a suscités. Cette
étude se situe également à la croisée de deux grands axes développés ces dernières décennies
au sein de l’histoire de l’art : celui qui s’intéresse à l’iconographie des saints et ses liens avec
la spiritualité, et celui qui est centré sur l’iconographie de l’au-delà, versant figuratif de
l’intérêt pour l’étude de la mort et de la perception de l’au-delà. En liant ces divers intérêts
historiographiques, nous avons tenté de démontrer que l’archange est une figure importante
dans l’histoire du salut de l’homme, dans la perception de la vie après la mort, et notamment
dans le glissement d’une « grande eschatologie » collective et universelle, à une « petite
eschatologie », personnelle, à travers lequel l’homme pense ses rapports à Dieu et au monde.
Toutefois cette étude possède ses limites, comme autant de pistes de recherches potentielles,
qui tiennent avant tout à la nature et à la définition de notre corpus. Le nombre important de
pièces qui le constitue, pourtant loin de l’exhaustivité, a l’avantage de donner une vision
globale et relativement représentative de la production italienne de peintures monumentales
de saint Michel entre 1200 et 1518. Pourtant, cette quantité d’images ne nous a pas permis de
porter une attention particulière à chaque peinture ou à chaque peintre, ce qui a pu parfois
s’avérer frustrant. L’analyse plus poussée, notamment du contexte historique, religieux ou
social, de réalisation d’une peinture peut pourtant être parfois déterminante dans le sens donné
aux figures qui la composent. Nous espérons ainsi pouvoir, dans un futur proche, reprendre
quelques images « emblématiques » de notre corpus, pour pousser en avant leur analyse à
travers le prisme michaélique. Nous avons, de plus, certainement trop négligé l’aspect
régional du territoire péninsulaire, dont la prise en compte, peut constituer une piste
intéressante pour un travail prochain. L’élargissement des comparaisons à d’autres techniques
ou supports de l’iconographie michaélique donnerait également plus de perspective aux
particularités de la peinture monumentale, notamment à travers l’étude de la miniature et de la
sculpture, deux supports qui induisent un traitement différent, et opposé, du rapport entre la
figure michaélique et le degré de narrativité. Par ailleurs, notre désir est de pouvoir établir des
liens plus forts entre les évolutions culturelles et spirituelles et l’imagerie de saint Michel,
notamment à travers une focalisation sur les commanditaires, et particulièrement sur les
ordres mendiants et les regroupements de laïcs. Enfin, si notre attention s’est naturellement
portée sur la présence de l’archange dans le champ figuratif, il nous semble que ses absences
pourraient également être déterminantes dans l’évaluation de son rôle dans l’iconographie et
la pensée chrétienne.
Ces limites, relevées et avouées ici, sont autant des regrets que des consolations, de voir se
dessiner ici les grands axes d’une recherche prochaine au service de l’archange.

***

La Bible a défini le caractère et les fonctions principales de l’archange, en même


temps qu’elle établissait l’ambiguïté qui traverse toute « l’histoire » de Michel et ses
805
représentations, qu’elles soient figurées ou non, notamment par la matérialité de sa mission
qui se confronte à sa nature éthérée, et son appartenance à un groupe non individualisé, alors
qu’il est lui-même nommé. Le relais assumé par les textes apocryphes permet d’insister sur
son rôle dans l’au-delà qui est majeur dans notre propos, et, la multiplication des interventions
angéliques participe pleinement au développement du culte des anges en Égypte et en Asie
Mineure à partir du Ve siècle. En Occident, l’insertion du culte de Michel se cristallise autour
des sanctuaires qui lui sont dédiés, et s’inscrit ainsi fortement dans le territoire et dans
l’espace. Ces lieux de culte constituent des foyers de développement importants dans le
développement d’une iconographie de saint Michel, mais ont largement perdu de leur
influence à la fin du Moyen Âge. Au cours de la période médiévale, la forte possibilité
d’acculturation de la figure michaélique, due à son caractère polysémique, permet
l’instauration d’un culte pluriforme, qui, sans proposer de hiérarchisation ferme des
spécialités de Michel, permet de répondre aux diverses attentes des populations qui lui
rendent hommage. La densité de la figure archangélique est à la base d’une riche
iconographie. À l’aube du XIIIe siècle, tous les grands types de l’image de Michel sont déjà
formés et mis en scène dans divers contextes. Ce n’est donc pas à travers l’invention de
nouveaux types que la période étudiée se démarque du Haut Moyen Âge et du Moyen Âge
central, mais bien par l’affirmation de certains éléments, leur association, leur simplification,
leurs formes et leurs techniques, qui contribuent à l’évolution de l’iconographie de saint
Michel et de son utilisation entre 1200 et 1518.

Dès le premier niveau iconographique, celui qui s’attache aux formes générales et
intangibles de sa représentation (une forme anthropomorphe, un visage à la beauté idéalisée,
des ailes, un nimbe), la figure de Michel constitue déjà le terrain d’un dialogue entre des
éléments figuratifs qui font de lui un ange, et ceux qui font de lui un saint guerrier, dans une
synthèse complexe et originale qui se retrouve également dans les types de vêtements qu’il
porte. Le type angélique – défini par le port de la dalmatique et du pallium - est toujours
présent pendant la période étudiée, mais de façon très timide. Le type byzantin – caractérisé
par le lôros - est, lui, dominant pendant tout le XIIIe siècle et le début du XIVe, mais disparait
totalement au milieu du Trecento. À partir de ce moment, l’iconographie de saint Michel en
Italie se cristallise autour du guerrier, dont la représentation oscille entre une évocation
nostalgique d’un vestiaire passé, réalisme des tenues contemporaines, et originalité d’un
costume de soldat céleste, marquant des ancrages différents dans le temps de l’action
michaélique selon le contexte. La fonction martiale de Michel permet de regrouper dans une
même figure, par la variation des attributs et des contextes figuratifs, toutes les fonctions
assumées par l’archange dans la pensée chrétienne occidentale.

L’image de Michel s’insère à chaque fois dans des groupes plus larges, dans lesquels il
apparait toujours comme le représentant exceptionnel : il est un ange, mais portant des armes ;
il est un archange, mais nommé, pesant les âmes, portant les armes, et occupant une place de
saint ; un guerrier, mais ailé, dont la puissance supplante tous les bras armés humains, même
ceux des saints. Nous pourrions résumer la détermination de l’exceptionnalité de son être par
806
l’iconographie en Italie en quatre grandes phases : au XIIIe siècle, Michel est un « arch-
ange » ; au XIVe siècle, il est un « sur-saint » ; au XVe siècle, il est davantage un saint
guerrier hors du commun ; et de 1500 à 1518, il est un « sur-homme ». Les vêtements portés
par Michel, soulignent son caractère extraordinaire, il n’est jamais un simple ange ou un
simple homme, mais un ministre privilégié de Dieu, un haut dignitaire de sa cour céleste ou
un général atemporel et idéal. Les attributs tenus par Michel participent à définir sa nature, et
surtout ses missions. Ils sont constitués de peu d’éléments - une arme, une balance, un
adversaire et des hommes - mais se combinent dans une multitude de formules permettant de
nuancer les raisons de sa présence, en fonction du rôle attribué à l’archange dans la
communauté qui a créé et reçu son image. Ces éléments sont également nuancés par un degré
de narrativité variable, qui oppose le dynamisme de la figure de Michel à l’universalité du
message que véhicule son image, et qui le maintient dans un statut non narratif. Sa
représentation est à mi-chemin entre l’image fixe et l’épisode narratif. L’évolution de la
nature de l’adversaire qu’il affronte dans les images, transformant le dragon en démons
anthropomorphes, crée un glissement de l’action de Michel de la fin des temps vers le présent
ou le futur proche. La généralisation de la balance comme attribut participe également à ce
mouvement. À la fin de notre période, les attributs se simplifient et la figure de l’archange est
empreinte d’une plus grande simplicité autour de la représentation du soldat intemporel dont
la présence est réactualisée par le naturalisme qui touche toutes les strates de son image. Ce
type se fixe autour de la peinture de Raphaël, qui devient ensuite un véritable modèle, pour
tous les support. L’imbrication du réel dans l’iconographie de l’archange participe activement
à la sensation de présence et de véracité de l’existence de la créature céleste, tout en
réaffirmant toujours l’aspect surnaturel et exceptionnel de son être. C’est seulement à travers
l’étude de ces faisceaux complexes de relations entre personnages, objets, formes,
composition, évolutions de mode et de techniques, qu’est possible la lecture de l’image de
Michel et l’analyse de son rôle dans l’histoire de l’art, dans le culte de l’archange et dans la
spiritualité.

Le processus de création a été pris en compte dans le dernier grand volet de cette
étude, à travers le rapport de l’image de Michel au texte, à la commande et au processus de la
création entre 1200 et 1518. Rappelons que le champ textuel est à la base de la définition du
caractère de Michel, de ses missions et de son domaine d’intervention, et est, à ce titre, en
dialogue constant avec son iconographie. Pourtant, plusieurs éléments de son image mettent
en avant des aspects peu ou moins développés dans les textes, tels son rôle dans l’évaluation
des âmes et son aspect punitif. L’iconographie de saint Michel illustre bien la multiplication
et la diversification des commanditaires, entre le XIIIe et le XVe siècle en Italie, qui a lieu en
partie grâce au développement de la peinture, comme technique plus aisée à mettre en œuvre
et moins couteuse, à l’émergence de classes moyennes, aux regroupements laïques et, aspect
propre à l’image michaélique, grâce à la ductilité de sa figure. L’iconographie de l’archange
semble se développer à cette période au-delà de tout clivage religieux / laïque ou
aristocratique / populaire. L’étude de quelques dynasties de peintres nous a permis d’établir

807
que l’image de l’archange, notamment à travers sa mise en scène dans des épisodes narratifs,
pouvait constituer une véritable spécialité de certains ateliers.

En ce qui concerne les sens portés par l’iconographie de saint Michel en Italie entre 1200 et
1518, nous avons établi la force de son image dans la monstration de la puissance divine, où
l’archange doit aussi bien susciter la crainte que le désir de protection. Son combat contre
l’adversaire démoniaque en fait un symbole universel de la lutte du bien contre le mal, et,
lorsque des éléments figuratifs situent son action après la mort, il est une personnification de
la justice divine. Les sens de ces « événements symboliques » ont déjà été mis en lumière
pour l’iconographie de l’archange en général, dans d’autres études, mais il faut souligner ici la
violence de certaines représentations italiennes de Michel de la fin du Moyen Âge et du début
de l’époque moderne, qui s’explique par la place de la culpabilisation et de la peur de la
damnation dans la pastorale de l’Église. Si la période étudiée est marquée par une
simplification progressive des éléments iconographiques de saint Michel, par l’adoption d’un
type « générique » - celui du guerrier - qui semble peu adaptée aux multiples facettes de son
culte, cet allègement est largement compensé par la richesse symbolique des types de
l’archange, dont les sens sont modulables en fonction des associations, des combinaisons
d’éléments et du contexte de la représentation, et qui offre ainsi une large potentialité
figurative, pouvant toucher chaque homme. Plus que la pluralité des formes, c’est bien dans la
modularité du type principal et sa polysémie, que se retrouve la ductilité cultuelle et
l’efficacité de l’image michaélique.

Les peintures de saint Michel ont également été évoquées à travers le prisme des usages,
prévus ou non, conscients ou inconscients, en tant qu’image agissante. Il a été démontré que
la représentation picturale participe, voire provoque, la sanctification figurative de Michel.
Plus que toute autre figure chrétienne, par sa nature éthérée, la représentation de l’archange
est au cœur d’une expérience visionnaire où les contours de la figure de Michel, créés par la
couche picturale, deviennent apparition de l’être intangible pour le fidèle, alors en posture
d’acteur de l’épiphanie michaélique. Parce que Michel n’a pas d’apparence réelle, sa
représentation est au centre de relations nébuleuses entre images mentales, matérielles,
souvenirs, apparitions visionnaires, et la peinture peut devenir elle-même support de visions.
Les peintures de l’archange sont tout autant des « images-objets », des « images-fétiches » et
des « images-visions ».

Puisque le peintre ne peut re-produire l’aspect physique d’un être sans matérialité, la forme
qu’il lui donne correspond inévitablement à l’image mentale et symbolique qu’il se fait de lui.
C’est à ce titre que l’image de Michel apparait comme un média entre les hommes qui l’ont
créé et nous. De plus, l’imbrication de l’iconographie michaélique dans un contexte
eschatologique permet d’appréhender le point focal des angoisses de toute une société : celle
de la mort et de la damnation. L’image de Michel démontre l’importance prise par l’au-delà
d’attente, et la possibilité de l’interaction entre les morts et les vivants, processus dans lequel
il apparait comme le comptable de l’au-delà. Si la fin des temps semble relayée à un avenir
808
lointain, le premier jugement qui suit directement la mort est plus proche que jamais, et
l’archange traverse et participe à chacune des temporalités prises en compte par l’homme à
cette période. Dans la peinture italienne, les deux eschatologies sont clairement distinguées, et
leur dialogue se cristallise autour de la figure de l’archange qui crée un lien entre ces deux
événements. Par l’affirmation de l’inéluctabilité de la justice divine, l’image de l’archange
fournit le cadre de la responsabilisation du fidèle, largement mise en œuvre par le clergé.
L’organisation de l’institution ecclésiale repose désormais sur un système pénitentiel, fondé
sur la croyance au Purgatoire, et sur la nécessité des sacrements pour interagir avec le monde
des morts et assurer le salut de son âme. Dans cette optique, l’image de Michel doit amener
les fidèles à agir et apparaît comme un outil de la pastorale de la peur, instaurée par l’Église,
qui définit et organise l’au-delà d’attente dans cette optique. Pourtant, malgré cette
« utilisation » de l’image, l’Église demeure une organisation humaine qui appartient à son
temps, et son rapport avec l’au-delà illustre parfaitement le désir de contrôle de l’univers,
spatial et temporel, qui l’entoure, même s’il est extra-terreste, dans une volonté de
connaissance globale du monde qui est propre à son époque.

La période que nous avons étudiée se distingue en ce qu’elle bouleverse totalement le


rapport de saint Michel à l’homme, sous toutes ses formes (anthropomorphisme, humanité,
fidèles eux-mêmes). L’image de l’archange au Haut Moyen Âge et au Moyen Âge central, en
Occident, est une image de la transcendance. Il est déjà possible de considérer que
l’humanisation même du Christ à partir du XIIIe siècle, dans les contextes des représentations
eschatologiques, a été en partie possible grâce à la connaissance de l’existence de l’archange
et à sa figuration régulière dans le champ de l’image. Car comment expliquer qu’au moment
clé de l’histoire de l’humanité, il soit possible de représenter dans un Jugement dernier un
Christ de douleur, tout occupé à montrer les marques de sa Passion, si les signes du jugement
ne sont pas présents, au sein de la figure d’un suppléant, garant du rôle de Juge suprême du
Christ dans l’image ? C’est en partie parce que Michel - Quis ut Deus - est signe de la divinité
du Christ, que ce dernier peut s’humaniser dans le champ de l’image. Nous avons également
démontré que ce rapport avec l’humain se réalisait au sein même de la figure archangélique,
par le biais de la sanctification de Michel par l’iconographie entre 1200 et 1518, qui lui donne
la place, le statut et la forme d’un homme canonisé, même s’il reste « sur-saint ». Le culte
même de l’archange semble davantage centré sur l’homme. Aux origines du culte de saint
Michel, les établissements de ses sanctuaires dans des lieux reculés, sombres et mystérieux
attestaient du rôle de l’archange de dominateur des forces naturelles. À la fin du Moyen Âge,
les sanctuaires ne semblent plus être au centre de la religiosité michaélique, qui s’est déplacée
vers un autre front pionnier : l’individu. Michel est toujours une figure centrale dans la lutte
contre la nature comme manifestation démoniaque, mais elle se situe cette fois à l’intérieur
même de l’homme, qui doit composer avec la bassesse de sa nature, et la dompter.

Il apparaît surtout que, le lien entre la figure de l’archange et la perception de l’homme dans
son rapport au temps, à l’Église et à Dieu, est avant tout possible parce que Michel, aux XIII,
XIV, XVe et début du XVIe siècles, en Italie, incarne parfaitement l’idée d’un entre-deux,
809
alors que l’homme lui-même se définit à cette période comme une voie moyenne entre deux
extrêmes. La pensée chrétienne a conservé un fort sentiment de manichéisme, où le bien et le
mal s’affrontent et sont au cœur de la vision du monde des fidèles, qui doivent tendre vers
l’extrême positif, pourtant inaccessible, restant alors dans une position intermédiaire inhérente
à leur nature. Penser l’homme, c’est penser un entre-deux, comme en atteste la naissance et
l’affirmation du Purgatoire, qui permet de donner une place à l’homme moyen, alors mis en
scène au côté de l’archange. Car les hommes concernés, effrayés et surtout visés par les
images culpabilisatrices, et en particulier, par la pesée, ne sont ni les saints ou les chrétiens
irréprochables, ni ceux qui se placent en marge de la religion chrétienne, mais bien la
« moyenne », constituée de la majorité du peuple chrétien, qui peut participer à son salut,
aussi effrayant ou réconfortant soit-il. L’image de Michel, comme illustration des différentes
utilisations possibles du libre-arbitre confirme l’anthropocentrisme de son iconographie.
Mais, si l’homme est évalué dans son individualité et par rapport à sa biographie, dans ces
images, c’est avant tout la responsabilisation du fidèle qui est interpellée plus que son
individualité.

Mais cette rencontre entre l’archange et l’homme va bien au-delà de leur réunion dans un
entre-deux spatial qu’est la porte du Purgatoire, puisque, si l’homme est la créature de l’entre-
deux dans la pensée chrétienne, Michel se définit à travers la réunion d’antagonismes à
l’intérieur même de sa figure, propre à présenter un véritable dialogue dans les oppositions
qui le composent. Car, à tous les niveaux, de sa nature, de ses fonctions, de sa représentation
(aussi bien dans l’iconographie que dans les formes), la figure de saint Michel se caractérise
par ce qui semble être des ambigüités. Par sa nature angélique, Michel n’est pas aussi spirituel
que Dieu, mais pas aussi matériel que les hommes. Il remplit des fonctions de protecteurs, et
de punisseurs et agit entre le ciel et la terre. Son corps est éthéré, immatériel, mais représenté
sous la forme d’un guerrier au corps puissant, et parfois protégé dans sa matérialité par des
éléments défensifs. Son visage est d’une beauté idéalisée et adolescente, alors que son corps,
aux formes naturalistes est celui d’un homme mature. Michel figure la plupart du temps dans
des images en état, non narratives, mais est pourtant souvent en mouvement, engagé dans une
action non mise en scène. Il agit en même temps dans le passé, le présent et le futur, il est une
vision, déterminée par son caractère éphémère, mais son combat et sa représentation sont
permanents et ses images sont des événements symboliques. Enfin, il intervient dans les
différentes temporalités, entre temps de l’Église et temps de l’homme, entre Histoire
collective et histoire individuelle. L’iconographie de Michel reflète clairement ce que
représentait le Jugement dernier à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne : un
épisode à la croisée de l’intime et du social.

Au-delà d’une simple figure d’intermédiaire entre l’homme et Dieu, Michel est bien l’acteur
de la voie moyenne, tout autant qu’il cristallise le dialogue entre des aspects qui semblent
opposés, mais qui sont pourtant réunis dans sa figure. L’archange des antagonismes permet de
penser le rapport des oppositions et des intermédiaires. L’image du plus humain des anges, et
du plus céleste des saints, permet en définitive de penser l’homme, qui se débat entre un
810
extrême idéal, qu’il tente d’atteindre par imitation, et un extrême négatif, qui est désormais à
l’intérieur de sa personne, et qu’il doit dompter pour son salut. L’iconographie de saint
Michel apparait ainsi comme un symbole de la lutte intérieure de l’homme et, même si le mal
contre lequel lutte l’archange est bien extérieur à sa personne, ils sont unis par leur nature, du
moins jusqu’à la rébellion de Lucifer. L’image du démon anthropomorphe insiste sur la
faillibilité même des êtres célestes et sur la centralité du libre-arbitre. L’iconographie de saint
Michel entre 1200 et 1518 en Italie représente en définitive une figure d’exception au centre
d’une imagerie de la normalité, de l’humanité.

811
BIBLIOGRAPHIE

812
813
Les numéros 1, 2 ou 3 entre parenthèses se rapportent au classement des références citées
dans notre manuscrit pour un même auteur qui a rédigé plusieurs écrits la même année.

Sources imprimées

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TABLES ET INDEX

878
879
Table des illustrations hors-corpus

Cette table comprend uniquement le récapitulatif des figures hors-corpus. Pour les références
des figures du corpus, se référer à la liste des peintures du corpus ci-après, puis au catalogue
numérique.

Fig. 1. Annonciation, Rome, Catacombe de Priscille, via Salaria, cubiculum de l’Annonciation, II-IIIe siècles.
............................................................................................................................................................................ 192
Fig. 2. L’échelle de Jacob, Rome, Catacombes de la Via Latina, cubiculum B, ............................................... 193
Fig. 3. L’hospitalité d’Abraham, Rome, hypogée de la via Dino Compagni, cubiculum B. ............................. 194
Fig. 4. Balaam arrêté par l’ange, Rome, hypogée de la via Dino Compagni, cubiculum de Sansone (E),
arcosolium........................................................................................................................................................... 194
Fig. 5. La défunte Vibia accompagnée par l’ange aux Champs Elysées, et détail, Rome, Via Appia Antica,
Arcosolio di Vibia, fin IVe-début Ve siècle. ........................................................................................................ 195
Fig. 6. Maiesta Domini, Rome, Catacombe de San Sebastiano, nucleo de l’ex Vigna Chiaraviglio,
reconstruction de l’arcosolio de Paulus. .............................................................................................................. 195
Fig. 7. Annonciation et Épiphanie, et détail de l’Annonciation, Rome, Sainte-Marie-Majeure, ..................... 198
Fig. 8. L’hospitalité d’Abraham, Rome, Sainte-Marie-Majeure, mosaïque de la nef centrale, Ve siècle. ......... 199
Fig. 9. L’hospitalité d’Abraham, Ravenne, San Vitale, mosaïque de l’arcature, milieu du VIe siècle. ............. 199
Fig. 10. Vierge à l’Enfant entourée d’anges, Ravenne, Sant’Apollinare Nuovo, nef, deuxième moitié du VIe
siècle. .................................................................................................................................................................. 200
Fig. 11. Sarcophage de Volusia Longino, Musée archéologique de Palerme, II-IIIe siècle. ............................. 202
Fig. 12. Deux anges portant une couronne ornée d’un chrisme, sarcophage du Musée archéologique national
d’Istanbul, fin IVe-début Ve siècle. ..................................................................................................................... 202
Fig. 13. Scène des ossements desséchés de la vision d’Ézéchiel (37, 1-2), peinture murale de la seconde
synagogue de Doura Europos, paroi nord, registre inférieur, 254. ...................................................................... 203
Fig. 14. Victoires portant la Menorah, fragment de sarcophage provenant de la catacombe juive de Vigna
Randanini de Rome, conservé au Museo Nazionale Romano. ............................................................................ 204
Fig. 15. Giotto, Lamentation sur le corps du Christ et détail, Padoue, Chapelle Scrovegni, 1304-1306. ......... 210
Fig. 16. Fra Angelico, Annonciation, Florence, couvent San Marco, 1438-1450. ............................................ 211
Fig. 17. Sandro Botticelli, la Nativité mystique et détail, Londres, National Gallery, 1500-1501.................... 211
Fig. 18. Francesco di Giorgio Martini, Adoration des bergers et détail, Sienne, San Domenico, Cappella
Tancredi, 1490-1495. .......................................................................................................................................... 211
Fig. 19. Piero Della Francesca, Nativité, Londres, National Gallery, 1470-1475. ............................................ 212
Fig. 20. Mantegna, Vierge à l’Enfant et chérubins (détail), Milan, Pinacoteca di Brera, 1480-1490. .............. 212
Fig. 21. Mantegna, polyptique de Saint Zénon, détail, Vérone, chapelle Saint-Zénon, 1457-1460. ................. 213
Fig. 22. Raphaël, La Madone Sixtine, détail, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, 1513-1514. .............. 213
Fig. 23. Giovanni Bellini, Pietà, Rimini, Pinacoteca Communale, 1474. ......................................................... 213
Fig. 24. Saint Michel au pied-droit de la porte de l’église d’Alahan, en Isaurie, Turquie, ½ V e. ..................... 218
Fig. 25. Saint Michel sur une médaille, détail d’un collier d’enfant conservé au Musée de l’Ermitage de Saint-
Pétersbourg, V ou VIe siècle. .............................................................................................................................. 219
Fig. 26. L’archange Michel, plaque en ivoire, Londres, British Museum, 525-550. ........................................ 219
Fig. 27. La Vierge à l’Enfant entourée de Michel et de Gabriel, et détail, Kiti, église de l’Anghelòtistos
(Chypre), VIe siècle. ........................................................................................................................................... 220
Fig. 28. Poignée de peigne représentant l'Empereur Léon VI couronné par la Vierge, Berlin, Bode museum, fin
du IXe siècle. ....................................................................................................................................................... 221

880
Fig. 29. Christ entouré des deux archanges, mosaïque déposée et conservée au Bode Museum, VIe siècle. .... 224
Fig. 30. Saint Michel, Ravenne, Sant’Apollinare in Classe, Montant de l’arc triomphal, VIe siècle. ............... 224
Fig. 31. L’empereur Justinien et sa cour, Ravenne, San Vitale, panneau latéral de l’abside, 547. ................... 224
Fig. 32. Christ et deux archanges, maison de Pierre et Paul, Celio, Rome, reconstitution de la peinture murale
déposée, IXe. ....................................................................................................................................................... 225
Fig. 33. Archange, grotte de San Michele, Arpino, XIIe ( ?)............................................................................. 225
Fig. 34. Saint Michel bénissant trois moines pèlerins, Grotta di San Michele, Olevano sul Tusciano, IXe siècle.
............................................................................................................................................................................ 226
Fig. 35. Saint Michel, peinture de la lunette du portique, Sant’Angelo in Formis, Caserta, 2 e ½ du XIIe siècle.
............................................................................................................................................................................ 226
Fig. 36. Apparition du « chef de l’armée de l’Éternel » (Josué 5, 14) à Josué, Rome, Santa Maria Maggiore, nef,
Ve siècle. ............................................................................................................................................................. 227
Fig. 37. Chrismale de Mortain et détail de la face principale, Collégiale Saint-Evroult, Mortain, cuivre repoussé
et doré, VIIe-VIIIe siècle...................................................................................................................................... 228
Fig. 38. Saint Michel, revers de monnaie lombarde, sous le règne du roi Ratchis, 744-749............................. 230
Fig. 39. Liutprand et saint Michel, endroit et revers de monnaie lombarde, 713-744....................................... 230
Fig. 40. Roi Adalgis, Codex Legum Langobardorum, ms. 4 folio 188r., Abbaye de Cava de’Tirreni, début du
XIe. ...................................................................................................................................................................... 231
Fig. 41. Saint Michel, Monte Sant’Angelo, Museo Devozionale, 1 e moitié du XIe siècle. ............................... 231
Fig. 42. Détail de l’image ci-dessus. ................................................................................................................. 231
Fig. 43. Saint Michel, trésor de San Marco, Venise deuxième moitié du Xe ou première du XIe siècle. .......... 232
Fig. 44. Saint Michel, détail de la Pala d’Oro de Venise, San Marco, première moitié du XIe siècle. ............. 232
Fig. 45. Revers d’une monnaie de Constantin représentant un labarum planté dans un serpent, vers 326. ...... 233
Fig. 46. Revers de monnaie romaine, empereur Arcadius foulant aux pieds un captif, .................................... 233
Fig. 47. Christ foulant aux pieds l’aspic et le basilic, Ravenne, Palais épiscopal, mosaïque, 433-450. ............ 234
Fig. 48. Christ, anges et animaux, lampe d’argile du VIe siècle retrouvée à Rome. ......................................... 235
Fig. 49. Athanase d’Alexandrie terrassant Arius, BNF, ms. lat. 1684, folio 1, fin XIe siècle. .......................... 235
Fig. 50. Tissu copte, Athènes, musée des Arts décoratifs, VIe - VIIe siècle. ..................................................... 237
Fig. 51. Fragment de tissu copte en soie et reconstitution, Londres, Victoria and Albert Museum, VIe - VIIe
siècle. .................................................................................................................................................................. 237
Fig. 52. Saint Michel terrassant le dragon, bas-relief du trône épiscopal, Basilique Saint-Michel, Monte
Sant’Angelo, fin XIe début XIIe siècle. ............................................................................................................... 237
Fig. 53. Saint Michel, fragment d’une couverture de livre, en ivoire, Grassimuseum, Leipzig, vers 800. ....... 239
Fig. 54. Autel d’or, détail, saint Michel, Aix-la-Chapelle, Cathédrale, autour de l’an Mil. .............................. 239
Fig. 55. Christ foulant aux pieds l’aspic et le basilic, détail de la couverture en ivoire de l’Evangéliaire de
Lorsch, 778-820. ................................................................................................................................................. 239
Fig. 56. Saint Michel, détail du Jugement dernier, Torcello, revers de façade de Santa Maria Assunta, fin du XIe
siècle. .................................................................................................................................................................. 241
Fig. 57. Michel et Gabriel, église Sombre, Göreme, Karanlık Kilise, XIe - XIIe. ............................................. 242
Fig. 58. Saint Michel combattant un démon, Montceaux-l’Étoile, église Saints-Pierre-et-Paul, XIIe siècle. ... 242
Fig. 59. Maestro di Civate, La victoire des anges sur le dragon de l’Apocalypse, Civate, San Pietro al Monte,
fin XIe début XIIe................................................................................................................................................ 243
Fig. 60. La Femme et le dragon, folio 29v, et le combat contre le dragon, folio 30v, Apocalypse de Bamberg,
Bibliothèque d'État de Bamberg, Msc.Bibl.140, début XIe siècle. ...................................................................... 244
Fig. 61. La Femme et le dragon, Castel Sant’Elia, Sant’Anastasio, paroi sud de la nef, détail, XIe siècle. ...... 244
Fig. 62. Combat contre le dragon et chute des anges, folio 38 recto, Apocalypse de Trèves, Bibliothèque
municipale, 31, premier quart du IXe siècle. ....................................................................................................... 245
Fig. 63. Lucifer et ses anges chassés du Paradis, folio 3 verso, détail, manuscrit disparu de l’Hortus Deliciarum,
1176-1196, selon la copie de Christian Moritz Engelhardt (1812-1818). ........................................................... 246

881
Fig. 64. Michel vainqueur de Satan, premier panneau du battant gauche de la porte en bronze de la basilique
Saint-Michel de Monte Sant’Angelo, 1074......................................................................................................... 246
Fig. 65. La pesée du cœur, Papyrus du Livre des morts d’Ani, Londres, British Museum, 1275 av. J.-C........ 248
Fig. 66. Croix de Muiredach, Monasterboice (Irlande), Face est, Xe siècle. ..................................................... 250
Fig. 67. Saint Michel et Psychostasie, détails du Jugement dernier, Torcello, revers de façade de Santa Maria
Assunta, fin du XIe siècle. .................................................................................................................................. 251
Fig. 68. Saint Michel pesant les âmes, église Saint-Pierre, Chauvigny, chapiteau du chœur, 1ère ½ du XIIe. ... 252
Fig. 69. Psychostasie, détail du portail de Saint Trophime d’Arles et vue générale avec situation de la scène,
1180-1190. .......................................................................................................................................................... 253
Fig. 70. Saint Michel, Santa Maria in grotta, Rongolise, milieu XIIe siècle. .................................................... 254
Fig. 71. Saint Michel pesant les âmes, base du « trône royal », Monte Sant’Angelo, église grotte, fin XIe - début
XIIe siècle. ........................................................................................................................................................... 254
Fig. 72. Fragment de peinture murale, taureau et aile, crypte B, basilique San Michele, Monte Sant’Angelo, IX-
Xe siècle. ............................................................................................................................................................. 256
Fig. 73. Gargan et le taureau, bas-relief et reconstitution graphique, paroi du château de Dragonara, fin XIIe-
début XIIIe........................................................................................................................................................... 257
Fig. 74. Maître de Sant Pau de Casserres, devant de l’autel des archanges, Museu Nacional d'Art de Catalunya,
deuxième quart du XIIIe siècle. ........................................................................................................................... 258
Fig. 75. Vierge à l’Enfant entourée de Michel et de Gabriel, mosaïque absidiale, église de la Vierge,............ 260
Fig. 76. Saint Michel, Palerme, église de la Martorana, voûte de la quatrième travée, 1143-1141. ................. 261
Fig. 77. Saint Michel, Palerme, Duomo, paroi de l’abside, 1179-1182. ........................................................... 261
Fig. 78. Saint Michel, abbaye de Sant’Angelo in Formis, fresque de l’abside, 1180 environ. ......................... 262
Fig. 79. Michel, Santa Maria Maggiore, Monte Sant’Angelo, XIe siècle. ........................................................ 263
Fig. 80. Michel terrassant le dragon, Cathédrale du Puy-en-Velay, XIe siècle. ................................................ 263
Fig. 81. Michel pèse les âmes, Santa Maria in Grotta, Rongolise, milieu XIIe siècle. ...................................... 264
Fig. 82. Giotto, Lamentation sur le Christ mort (détail), Padoue, Chapelle Scrovegni, peinture murale, 1303-
1306. ................................................................................................................................................................... 292
Fig. 83. Duccio, Maestà (détail face arrière), Sienne, Museo dell’Opera del Duomo, peinture sur panneaux,
1308-1311. .......................................................................................................................................................... 300
Fig. 84. Le Christ présenté à Pilate (détail), Ravenne, Sant’Apollinare Nuovo, mosaïque, VI e siècle. ............ 378
Fig. 85. Jacobino Longo, Saint Michel, fragment de fresque de ....................................................................... 388
Fig. 86. Anonyme, Apocalypse (détail), Saint-Pierre-les-Églises, église paroissiale, peinture murale, 782-984.
............................................................................................................................................................................ 439
Fig. 87. Saint Michel contre les démons, Marestay, église Saint-Pierre, chapiteau, XIIe siècle. ...................... 490
Fig. 88. Le copiste présente son livre à saint Michel, Avranches, .................................................................... 505
Fig. 89. Jugement dernier, 1255-1260, Bourges, cathédrale Saint-Etienne, portail central, sculpture. ............. 550
Fig. 90. Konrad von Scheyern, Liber matutinalis, Munich, Staatsbibliothek, cod. lat. 17401, folio 14 verso,
Crucifixion, XIIIe. ............................................................................................................................................... 581
Fig. 91. Reconstitution graphique d’après G. D.Bertoli, des peintures d’Aquileia, église dei Pagani, IX-XIe. 581
Fig. 92. Antoniazzo Romano et Melozzo da Forli, Les neuf chœurs angéliques, Rome, Santa Apostoli, peinture
murale, 1464-1468. ............................................................................................................................................. 598
Fig. 93. Guariento di Arpo , Puissance, Principauté et Archange, Padoue, Museo Civici, panneaux de la
cappella Carravese, 1357. ................................................................................................................................... 599
Fig. 94. Christ Pantocrator entouré d’anges et des quatre archanges, Palerme, chapelle palatine, coupole,
mosaïques, XIIe. .................................................................................................................................................. 602
Fig. 95. Les trois archanges, Picciano (Matera), église rupestre Del Peccato originale, peinture murale, IXe.. 602
Fig. 96. Anonyme, Saint Michel, Lesnovo, église des Saints-Archanges, peinture murale, 1349. ................... 638
Fig. 97. Anonyme, Saint Michel, Thessalie, Monastère du Grand Météore, peinture murale, 1483. ............... 638
Fig. 98. Anonyme, Pesée des âmes, Serbie, église du Monastère de De Ani, peinture murale, 1 ère ½ du XIVe.638

882
Fig. 99. Maître de Sant Pau de Casserres, Devant de l’autel des archanges, Museu Nacional d'Art de Catalunya,
deuxième quart du XIIIe siècle. ........................................................................................................................... 644
Fig. 100. Anonyme catalan, Saint Michel et légendes, Paris, Musée des Arts Décoratifs, peinture sur panneaux,
début du XIVe. .................................................................................................................................................... 644
Fig. 101. Jaume Cirera, Retable de saint Michel et de saint Pierre (et détail), Barcelone, Museo de Arte de
Cataluña, peinture sur panneaux, 1432-1433. ..................................................................................................... 645
Fig. 102. Rogier Van Der Weyden, Jugement dernier, Beaune, Musée de l’Hôtel-Dieu, huiles sur bois, 1446-
1452. ................................................................................................................................................................... 647
Fig. 103. Anonyme, Incipit de l’Apocalypse d’une Bible latine, Dijon, Bibliothèque Municipale, ms.15, fol.
125, XIIe siècle. ................................................................................................................................................... 657
Fig. 104. Anonyme, Michel contre le dragon, Amiens, Bibliothèque Municipale, Bible de Pampelune, MS 108,
folio 202r., 1197. ................................................................................................................................................. 657
Fig. 105. Anonyme, Saint Michel et ses anges combattant le dragon, New York, Metropolitan Museum,
Apocalypse normande, peinture sur parchemin, 1320. ....................................................................................... 658
Fig. 106. Frère Limbourg, Chute des Anges rebelles, Chantilly, Musée Condé, Très Riches Heures du Duc de
Berry, folio 64 v., peinture sur vélin, 1409-1415. ............................................................................................... 658
Fig. 107. Pacino di Bonaguida, Michel et ses anges contre le dragon de l’Apocalypse et miracle du taureau,
Londres, British Library, Laudario della Compagnia di Sant'Agnese, peinture sur parchemin, vers 1340......... 658
Fig. 108. Frère Limbourg, Combat de Michel au-dessus du Mont-Saint-Michel, Chantilly, Musée Condé, Très
Riches Heures du Duc de Berry, folio 195, peinture sur vélin, 1409-1415......................................................... 659
Fig. 109. Anonyme, Michel contre le dragon et légendes, Paris, Bibliothèque F. Didot, Missel de Charles VI,
peinture sur parchemin, XVe. .............................................................................................................................. 659
Fig. 110. Anonyme, Initiale « N » comportant un saint Michel, Oxford, Bodleian Library, MS. Douce d. 13,
folio 018 r., peinture sur parchemin, milieu du XVe. .......................................................................................... 659
Fig. 111. Anonyme, Décoration marginale avec un saint Michel, Oxford, Bodleian Library, MS. Canon. Liturg.
343, folio 205 v., peinture sur parchemin, vers 1500. ......................................................................................... 659
Fig. 112. Sculpteur daunien, Saint Michel, Bari, Pinacoteca Provinciale, plaque de marbre sculptée, XII-XIIIe.
............................................................................................................................................................................ 661
Fig. 113. Anonyme, Saint Michel, Siponto, San Leonardo di Lama Volara, pierre sculptée, 1180-1200. ....... 661
Fig. 114. Anonyme, Pèsement des âmes, Talignano, San Biagio, lunette au-dessus de la porte d’entrée, 1ères
décennies du XIIIe. .............................................................................................................................................. 661
Fig. 115. Anonyme, Saint Michel, Gallipoli, San Francesco d’Assisi, pierre sculptée, XV e. ........................... 661
Fig. 116. Anonyme, Saint Michel, Corigliano d’Otranto, tour du château, pierre sculptée, XV-XVIe. ............ 661
Fig. 117. Sculpteur méridional, Saint Michel, Monte Sant’Angelo, Museo Lapidario del Santuario, pierre
sculptée, XIVe-XVe. ............................................................................................................................................ 662
Fig. 118. Monnaie à l’effigie de l’archange émise sous le règne de Ferrante Ier, à partir de 1488 et
successivement pendant le règne d’Alphonse II. ................................................................................................ 662
Fig. 119. Andrea Contucci, Saint Michel, Monte Sant’Angelo, Autel de l’église-grotte, marbre blanc de
Carrare, après 1507. ............................................................................................................................................ 664
Fig. 120. Guido Reni, Saint Michel, Rome, Église Santa Maria della Concezione dei Cappuccini, huile sur
toile, 1635. .......................................................................................................................................................... 664
Fig. 121. Statuette vendue à proximité de San Michele sur le Mont Gargan, acheté en février 2014............... 666
Fig. 122. Guido Reni, Saint Michel, Rome, Santa Maria della Concezione dei Cappuccini, huile sur toile, 1635.
............................................................................................................................................................................ 666
Fig. 123. Antonio Maria Viani, Saint Michel, Sant’Ambrogio, Sacra di San Michele, huile sur toile, vers 1630.
............................................................................................................................................................................ 666
Fig. 124. Souvenir vendu à la Sacra, acheté en 2012. ....................................................................................... 666
Fig. 125. Plaque aimantée achetée dans la boutique souvenir du Mont-Saint-Michel en novembre 2011. ...... 666
Fig. 126. Galette Saint Michel (inversée verticalement), par les biscuiteries Saint-Michel, 1905. ................... 666

883
Table des documents et schémas

Doc. 1. Exemple d’une fiche réalisée sur notre base de données ........................................................................ 273
Doc. 2. Typologie de l’iconographie de saint Michel en Italie (1200-1518)....................................................... 277
Doc. 3. Proportion de la présence de la lance par siècle dans notre corpus. ....................................................... 433
Doc. 4. Proportion de la présence de l’épée par siècle dans notre corpus. .......................................................... 448
Doc. 5. Proportion de la présence de la balance par siècle dans notre corpus. .................................................... 462
Doc. 6. Proportion de la présence de l’orbe par siècle dans notre corpus. .......................................................... 478
Doc. 7. Proportion de la présence de l’adversaire par siècle dans notre corpus. ................................................. 493
Doc. 8. Proportion de la présence du dragon par siècle dans notre corpus. ........................................................ 506
Doc. 9. Proportion des scènes narratives par siècle dans notre corpus................................................................ 534
Doc. 10. Proportion des images de Jugement dernier par siècle dans notre corpus. ........................................... 543
Doc. 11. Évolution du rapport entre l’image de l’ange et l’image du démon par rapport à l’image de l’homme.
............................................................................................................................................................................ 633
Doc. 12. Tableau récapitulatif du rapport entre Michel, l’homme et le démon, dans leur nature et dans leur
figuration. ............................................................................................................................................................ 799

884
885
Index
Cet index comprend les noms des peintres cités dans le manuscrit, les noms de certaines
pièces importantes anonymes, ou leur localisation, ainsi que les grands sanctuaires
occidentaux et les noms des saints qui accompagnent le plus souvent l’archange.

A Antonio del Pollaiolo……………289, 304,


Agnolo Gaddi .......……………………....2, 312, 351, 355, 454, 501, 588, 594, 906
366, 403, 479, 562, 563, 564, 567, 569, Antonio Maria Viani ..................... 667, 818
591, 646, 713, 717, 718, 900, 902, 903 Antonio Pollaiolo .......................... 329, 497
Aiguilhe………………………….. ........46, Antonio Veneziano ....................... 446, 901
153, 156, 164, 173, 739, 829, 844, 845 Apocalypse de Bamberg ............... 243, 816
Aimone Duce.................................416, 905 Apocalypse de Trèves ................... 245, 816
Albenga………………………….415, 466, Aquila…………………………… ...... 436,
473, 476, 555, 696, 697, 906, 909 861, 865, 893, 905, 910, 911, 914
Albi ........................................................466 Aquilée .................................................. 582
Alesso di Andrea ...................341, 549, 897 Arcè di Pescantina 340, 391, 470, 530, 901
Alesso di Benozzo .................348, 586, 910 Asciano ................. 299, 414, 896, 908, 912
Allegretto Nuzi ..............405, 525, 707, 899 Assistants de Cavallini .................. 346, 402
Almenno San Salvatore .358, 365, 545, 893 Atelier de Turino di Vanni .................... 355
Alvaro Pirez d’Evora .............449, 481, 499 Atina ............................. 463, 519, 776, 898
Ambrogio Lorenzetti .......…………….296, Avranches……………………….150, 151,
321, 323, 338, 339, 347, 366, 399, 414, 178, 186, 256, 360, 505, 567, 755, 817
422, 452, 456, 529, 558, 565, 575, 576, B
745, 850, 895, 896, 897 Baptistère de Padoue............................. 358
Anagni ......……………………………306, Barcelone .............. 177, 645, 646, 647, 818
337, 385, 524, 581, 657, 826, 851, 893 Barna da Siena .............. 444, 499, 729, 897
Andrea Contucci ....664, 665, 666, 667, 818 Barnaba da Modena ..... ………………354,
Andrea da Bologna ........330, 467, 521, 906 374, 433, 437, 473, 899
Andrea di Bartolo………………….. .......2, Bartolomeo Bolgnini ............................ 653
284, 299, 303, 350, 398, 403, 825, 904 Bartolomeo della Gatta……………….343,
Andrea di Bologna ................................453 344, 418, 623, 697, 909
Andrea di Cione ......………………….286, Bartolomeo di Tommaso da Foligno .... 290
378, 450, 451, 502, 557, 581, 605, 899 Bartolomeo Vivarini .... ………………326,
Andrea Mantegna……………….212, 339, 416, 507, 518, 621, 909, 910
446, 577, 596, 612, 704, 764, 766, 911 Bastia Mondovi ..................... 409, 473, 609
Andrea Piccinelli ...........................422, 913 Benedetto Bonfigli ........ 542, 706, 729, 907
Andrea Sabatini……………………. ...439, Benedetto di Bindo ....................... 564, 904
499, 508, 757, 909, 910 Benvenuto di Giovanni……………….312,
Angelo Puccinelli .......………………..286, 320, 404, 408, 435, 438, 488, 497, 579,
319, 397, 398, 483, 498, 586, 898, 900 602, 671, 907, 908, 913
Anonyme de Soleto ...............................299 Bernardino Butinone ..... 279, 310, 331, 911
Anonyme flamino-napolitain.355, 488, 623 Bernardino Luini ... 311, 331, 468, 531, 912
Antoniazzo Romano .......……………..561, Bernardo Daddi……………300, 325, 368,
567, 596, 754, 755, 757, 817, 907, 909 458, 481, 501, 580, 587, 711, 896, 897
Antonio de Carro ...........................439, 900 Bernardo Luini .............................. 402, 512

886
Bernardo Zenale……………………. ..312, Chiusdino . ……………………………339,
356, 374, 412, 454, 462, 521, 909, 912 558, 565, 610, 653, 657, 897
Biagio d’Antonio………………… ......355, Chônai……………..51, 116, 122, 123,
449, 457, 462, 521, 532, 594, 607, 707 124, 129, 131, 132, 134, 222, 258, 641
Biagio di Goro Ghezzi.....…………….296, Chrismale de Mortain ................... 228, 816
325, 369, 406, 458, 468, 469, 518, 519, Cimabue………………………………208,
530, 566, 571, 631, 781, 850, 899 209, 401, 536, 654, 841, 894
Bicci di Lorenzo……...299, 327, 344, 569, Cimetière de Vibia sur la Via Appia..... 195
602, 610, 704, 716, 718, 902, 903, 904 Civate San Pietro al Monte ................... 394
Bolzano………………..333, 347, 369, Codex Legum Langobardorum ..... 230, 816
453, 462, 466, 549, 845, 897, 899, 903 Côme ............................................. 598, 893
Bominaco…………………………… .283, Coppo di Marcovaldo ... ……………….19,
334, 345, 346, 386, 391, 471, 475, 492, 281, 297, 320, 352, 383, 385, 434, 479,
510, 517, 545, 546, 776, 831, 894 483, 561, 568, 570, 587, 628, 645, 654,
Bonaventura Berlinghieri ...…………..317, 657, 712, 713, 894
384, 434, 500, 575, 590, 894 Cristoforo da Lendinara ... ……………328,
Buonamico Buffalmacco .....………….287, 356, 468, 473, 653, 761, 908
298, 303, 333, 341, 397, 398, 405, 411, Cristoforo Faffeo .. 439, 509, 617, 910, 912
455, 456, 549, 551, 896 Cristoforo Scacco.................. 300, 517, 913
C D
Camposanto ....………………………..333, Defendente Ferrari ... …………………281,
397, 549, 550, 593, 765, 829 442, 488, 652, 667, 721, 752, 913, 914
Carlo Crivelli………………………. .......2, Domenico di Michelino .529, 579, 608, 907
283, 301, 311, 330, 344, 406, 440, 453, Domenico Ghirlandaio ……………….351,
466, 506, 507, 519, 720, 882, 909 355, 396, 418, 447, 450, 468, 494, 524,
Carlo da Camerino ........344, 366, 703, 903 605, 837, 909, 910
Carthage ........................................131, 217 Duccio .... ……………………………..208,
Castel Castagna ....……………………391, 299, 323, 336, 374, 721, 817, 828, 895
471, 545, 546, 654, 894 Dura Europos ........................................ 203
Castelsantangelo sul Nera………… ....563, E
566, 905, 909 Église d’Alahan ............................ 218, 815
Castiglione del Bosco ....................657, 897 Église de l’Anghelòtistos à Kiti .. …….220,
Catacombes de la Via Latina .........193, 815 223, 815
Catacombes della ex Vigna Chiaraviglio Église de la Dormition à Nicée ..... 225, 383
...........................................................195 Église de la Martorana .......... 260, 604, 817
Cathédrale de Bourges ..........................551 Église dei Santi Apostoli de Rome ....... 567
Cathédrale de Narni ...............................369 Église della Maddalena d’Alatri ........... 585
Cathédrale du Puy-en-Velay .........263, 643 Église des Saints-Apôtres de Rome ...... 596
Cenni di Francesco di Ser Cenni……. .303, Église du Cristo alla Gravinella de Matera
408, 456, 562, 621, 900, 902 .......................................................... 655
Cesare Sesto ....……………………….313, Église rupestre de Sasso Cavaoso ......... 317
320, 335, 471, 576, 618, 913 Église San Michele de Gavelli ...... 398, 572
Chapelle Scrovegni ..…………………288, Ercole de’Roberti……………………..290,
292, 322, 367, 506 329, 344, 346, 422, 433, 460, 513
Chapelle Velluti (Santa Croce, Florence) .. F
244, 286, 349, 503, 537, 538, 572, 658, Faenza ................................... 707, 895, 911
712, 718 Federico Tedesco .................. 325, 419, 904
Château de Corigliano d’Otranto ..........663 Filippino Lippi………………………..304,
Château de Dragonara ...........................257 355, 412, 449, 481, 607, 823, 909

887
Filippo Lippi ...………………………..320, Giotto....209, 288, 292, 322, 336, 351, 354,
419, 488, 595, 704, 842, 855, 907 367, 385, 387, 433, 439, 498, 506, 514,
Fossa…………………335, 391, 437, 465, 527, 602, 603, 604, 621, 711, 815, 817,
478, 520, 545, 546, 654, 894, 898, 901 843, 849, 860, 865, 868, 878, 895, 896
Fossacesia……………….285, 303, 337, Giovanni Angelo d’Antonio ………….300,
381, 384, 392, 478, 479, 480, 487, 894 320, 376, 463, 525, 706, 906
Fossato di Vico ..............................584, 903 Giovanni Baronzino ...... 403, 446, 496, 897
Fra Angelico ...………………………..210, Giovanni Bellini............................ 213, 815
334, 354, 356, 359, 403, 421, 502, 593, Giovanni Canavesio ...... 379, 586, 910, 912
600, 670, 815, 857, 865, 904, 906 Giovanni d’Agnolo di Balduccio .. 459, 617
Fra Bartolomeo ......................341, 761, 911 Giovanni da Modena …………………328,
Francesco Bissolo ..................596, 698, 913 473, 508, 510, 555, 599, 653, 705, 904
Francesco Botticini………...284, 293, 399, Giovanni da Rimini....................... 443, 895
417, 455, 531, 607, 609, 658, 906, 908 Giovanni De Campo ..................... 776, 907
Francesco d’Antonio Banchi .........295, 901 Giovanni del Ponte .. …………………398,
Francesco de Tatti .330, 410, 447, 473, 914 405, 472, 473, 521, 606, 611, 904
Francesco dei Franceschi ......312, 620, 906 Giovanni di Bartolomeo Cristiani . 450, 898
Francesco di Giorgio Martini 211, 815, 908 Giovanni di Francesco304, 329, 476, 512,
Francesco Pagano ..................444, 565, 910 527, 593, 704, 905
Francesco Traini ........................2, 387, 897 Giovanni di Paolo334, 422, 457, 510, 550,
Frate Francesco .............................364, 893 563, 564, 565, 576, 721, 746, 905, 907
Frères de Limbourg ...............................659 Giovanni Santi ...................... 304, 577, 909
G Girolamo di Giovanni ................... 613, 908
Gabriel ....………………………………48, Girolamo Pacchia.................................. 404
54, 76, 77, 80, 86, 87, 88, 90, 93, 94, 95, Giuliano Amidei ........... 337, 399, 416, 908
97, 98, 99, 100, 116, 118, 120, 122, 124, Giuliano di Simone da Lucca ....... 438, 900
126, 133, 134, 144, 161, 163, 164, 173, Giusto de’Menabuoi……………….. .. 358,
174, 179, 188, 191, 192, 215, 220, 223, 501, 539, 620, 877
225, 227, 228, 242, 248, 257, 260, 285, Göreme ......................... 133, 241, 401, 816
293, 341, 354, 356, 357, 381, 383, 401, Gravina ......................................... 581, 893
441, 527, 578, 579, 594, 601, 602, 603, Grotte d’Arpino .................................... 225
604, 605, 606, 607, 608, 609, 639, 645, Grotte de Rongolise .............................. 263
704, 726, 760, 772, 815, 816, 817, 898 Guido di Graziano......................... 438, 894
Gaddo Gaddi .........................................711 Guido Reni ............................ 665, 667, 818
Galgano ....……………………………339, Guillaume de Diguleville ...................... 692
366, 558, 565, 610, 653, 657, 897 H
Gavelli ...........................................657, 914 Hortus Deliciarum ........................ 245, 816
Gerino Gerini.........................415, 450, 913 Hypogée de la via Dino Compagni…193,
Gerino Gernini.......................................595 815
Ghelati ...................................................260 J
Gherardo di Jacopo Starnina ...……….400, Jacobello del Fiore…………329, 419, 472,
410, 480, 619, 903 475, 485, 500, 530, 703, 743, 904, 905
Giacomo di Mino del Pellicciaio ...399, 899 Jacopo del Casentino………324, 403, 408,
Giacomo Jaquerio .......………………..353, 460, 497, 500, 528, 537, 562, 583, 614,
455, 840, 903, 904, 905 646, 712, 713, 714, 718, 895, 896, 897
Giacomo Pacchiarotti ...………………331, Jacopo di Antonio ................. 450, 481, 906
605, 615, 776, 913 Jacopo di Casentino .............................. 288
Gian Francesco Caroto ..336, 471, 615, 914 Jacques de Voragine ... ……………….138,
Gianfrancesco da Tolmezzo ..........613, 907 162, 165, 556, 558, 562, 690, 691, 733
Giorgio Vasari .......................653, 711, 716 Jaume Cirera ......................... 646, 647, 818
888
Joan Figuera ..........................611, 656, 907 Maestro della Madonna di Strauss ....... 295,
K 356, 501, 903
Kalambaka .............................................640 Maestro della Pala di San Niccolo ........ 528
Konrad von Scheyern ....................582, 817 Maestro delle Traslazioni ……………435,
L 497, 524, 893
L’Aquila 336, 346, 392, 435, 441, 655, 865 Maestro di Barberino .... 286, 397, 521, 898
La Spezia .......................................283, 901 Maestro di Castelsardo . 380, 656, 910, 911
Laietto....................465, 616, 825, 866, 905 Maestro di Chianciano .. 323, 386, 721, 896
Lazzaro Bastiani .……………………..340, Maestro di Maddalena .......... 436, 528, 894
433, 512, 558, 688, 910, 912 Maestro di Olzai ................... 656, 909, 911
Leipzig (ivoire de) …………………. ....53, Maestro di Pratovecchio .... …………..305,
238, 321, 395, 432, 495, 816 338, 374, 607, 905
Lippo di Andrea ............................538, 900 Maestro di San Martino alla Palma ...... 378
Lippo di Benivieni .................322, 479, 894 Maestro di San Miniato ........ 605, 658, 906
Lippo Vanni...................345, 558, 688, 898 Maestro di San Quirico a Guamo . 499, 905
Livre des morts ..............................247, 817 Maestro di San Torpè.................... 384, 894
Lo Spagna ......................398, 572, 854, 914 Maestro di santa Cecilia........ 528, 583, 895
Lorenzo Cavaro .............................656, 913 Maître de Sant Pau de Casserres ……..257,
Lorenzo di Alessandro……..353, 396, 400, 817, 818
413, 416, 459, 460, 497, 583, 585, 618, Maître de Savoulx ......................... 443, 913
623, 706, 720, 759, 766, 900, 909, 911 Maître de Varlungo ....... 318, 481, 586, 894
Lorenzo di Bicci ……………………...326, Maître des anges rebelles .............. 540, 896
504, 592, 716, 898, 901, 903 Manfredino da Pistoia………………...318,
Lorenzo di Niccolo ................................327 347, 366, 525, 575, 617, 894
Lorenzo Monaco ...................348, 868, 902 Marco d’Oggiono…………………..... 331,
Lorenzo Vecchietta .………………….308, 350, 357, 370, 374, 486, 607, 698
416, 457, 550, 704, 906 Marco Palmezzano........ 531, 570, 596, 911
Loreto Aprutino…………………297, 376, Mariano d’Antonio ....... 542, 706, 729, 907
483, 484, 553, 593, 634, 655, 795, 905 Mariotto di Nardo …………………….479,
Luca Baudo ...................507, 511, 518, 911 511, 621, 695, 902, 903, 904
Luca di Tommè……… 286, 317, 408, 435, Matteo di Giovanni…………………...299,
449, 460, 491, 494, 610, 619, 898, 899 320, 450, 580, 584, 908
Luca Signorelli……………………….314, Matteo di Pacino ... 478, 525, 624, 760, 899
349, 353, 356, 402, 403, 407, 420, 422, Melozzo da Forli ........... 561, 567, 596, 817
423, 434, 440, 451, 465, 467, 490, 494, Meo da Siena ................................ 454, 896
497, 506, 509, 517, 518, 519, 576, 718, Michele Giambono………300, 375, 376,
845, 855, 871, 910, 911, 912, 913, 914 470, 479, 480, 483, 497, 584, 905, 906
M Modène ................................. 271, 411, 653
Monastère de Monasterboice ................ 250
Maestro de Santa Cecilia .......................392 Mont Gargan……….9, 10, 35, 36, 37, 38,
Maestro dei polittici Crivelleschi .……655, 40, 42, 43, 50, 52, 55, 60, 61, 62, 63,
720, 910, 911 119, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142,
Maestro del Coro di Sant’Agostino .......368 143, 144, 147, 148, 150, 151, 154, 155,
Maestro del Trittico del 1454……… ...406, 156, 159, 160, 163, 166, 167, 168, 169,
521, 907 170, 171, 173, 175, 176, 178, 179, 216,
Maestro del Vescovado…………299, 347, 222, 230, 231, 232, 237, 238, 240, 254,
446, 489, 584, 624, 701, 756, 895, 897 255, 256, 258, 259, 308, 360, 411, 531,
Maestro dell’Avicenna ..328, 349, 599, 705 534, 537, 560, 567, 569, 570, 571, 572,
Maestro dell’Osservanza ..……………312, 591, 592, 596, 599, 631, 645, 648, 650,
352, 422, 587 651, 653, 655, 656, 664, 666, 667, 690,

889
701, 713, 727, 745, 750, 752, 753, 755, Pellegrino di Giovanni di Antonio da
818, 832, 853, 863, 895, 900, 902, 914 Perugia ...................... 300, 419, 435, 905
Monticchiello di Siena ..511, 530, 588, 901 Pérugin………………..301, 338, 342, 349,
Mont-Saint-Michel…9, 10, 35, 36, 37, 40, 404, 423, 440, 459, 470, 612, 700, 701
41, 42, 44, 45, 60, 61, 62, 120, 137, 138, Piero della Francesca……………211, 287,
149, 150, 151, 152, 153, 154, 156, 157, 311, 406, 423, 447, 487, 698, 815, 833,
162, 163, 166, 167, 169, 170, 171, 172, 842, 908
173, 177, 178, 180, 238, 256, 258, 308, Pietro Alemanno ........... 433, 511, 908, 910
360, 365, 534, 560, 567, 569, 571, 596, Pietro Cavallini……….210, 282, 310, 352,
599, 644, 645, 650, 651, 660,뎼665, 357, 396, 397, 399, 435, 548, 747, 876
666, 667, 668, 690, 691, 693, 701, 707, Pietro di Domenico da Montepulciano
713, 727, 750, 754, 788, 818, 822, 824, ................................................ ..451, 902
835, 836, 840, 846, 849, 851, 857, 858, Pietro Lorenzetti .. ……………………274,
863, 866, 871, 878, 879, 881 298, 324, 349, 403, 440, 721, 895, 897
Mottola…………………….318, 346, 381, Pisanello ……………………………...416,
392, 443, 478, 479, 524, 586, 590, 893 606, 705, 760, 825, 826, 872, 904
N Plaisance ....................... 296, 333, 897, 900
Nanni di Jacopo .....................450, 898, 902 Pomposa…………………………… ... 358,
Nelli Ottaviano ......................519, 584, 903 359, 413, 467, 485, 510, 520, 540, 541,
Neri di Bicci320, 343, 346, 396, 397, 413, 549, 653, 700, 874, 881, 898, 899
479, 497, 504, 540, 541, 577, 592, 598, Pontormo............... 335, 471, 473, 576, 914
614, 706, 716, 717, 718, 905, 907, 908, Priamo della Quercia ............................ 563
909, 911 Pseudo Jacopino ……………………...286,
Neroccio di Bartolomeo Landi ...……..407, 462, 471, 496, 896, 897
409, 587, 908, 909 R
Niccolò Brenzoni...................606, 705, 760 Raphaël (archange)...74, 76, 77, 80, 86, 87,
Niccolò di Liberatore……………330, 420, 88, 94, 98, 99, 118, 120, 122, 144, 161,
438, 513, 520, 521, 587, 613, 702, 705, 163, 164, 174, 179, 186, 190, 215, 285,
719, 759, 832, 907, 908, 909, 910, 911 529, 579, 594, 601, 603, 604, 605, 606,
Niccolò di Pietro Gerini………………572, 607, 608, 609, 645, 658, 760, 799, 898
705, 714, 900, 901 Raphaël (Sanzio- peintre) ..... ………….19,
Niccolo Rondinelli 304, 433, 518, 610, 912 212, 279, 301, 315, 331, 341, 351, 357,
O 371, 400, 427, 438, 455, 509, 513, 515,
Oropa .............................................366, 895 532, 636, 640, 644, 665, 667, 668, 674,
P 702, 735, 750, 803, 808, 913, 914
Riccardo Quartararo………………..... 304,
Pacino di Bonaguida......................659, 818
331, 336, 349, 355, 399, 415, 444, 447,
Paganico……………………………... 292,
463, 526, 532, 579, 656, 906, 910, 912
296, 325, 348, 452, 458, 469, 499, 571,
Rogier Van Der Weyden ...... 648, 744, 818
631, 653, 657, 781, 850, 899, 908
Rossello di Jacopo ……………………408,
Pala d’Oro.............231, 232, 241, 446, 816
498, 501, 525, 901, 903
Palerme………….148, 171, 260, 261, 336,
S
383, 604, 606, 815, 817, 902, 906, 912
Paolo da San Leocadio ..................380, 912 Sacra di San Michele………………41, 44,
Paolo di Giovanni Fei ………………...449, 149, 178, 488, 560, 650, 652, 665, 700,
459, 587, 899, 900 752, 818, 825, 828, 854, 872, 878, 913
Paolo Veneziano ..…………………….286, Saint Antoine ................................ 616, 864
298, 339, 342, 403, 479, 496, 497, 580, Saint Aubert .................. 160, 567, 701, 755
604, 610, 671, 868, 896, 899 Saint Christophe.................................... 620
Parri Spinelli ..............................2, 715, 905 Saint Dominique ........... 621, 703, 901, 909

890
Saint François………………………... 169, Sandro Botticelli .... …………………..210,
528, 583, 584, 589, 617, 621, 703, 706, 292, 355, 397, 635, 815, 910
766, 774, 779, 895, 897, 911 Sano di Pietro ................ 378, 569, 592, 903
Saint Georges .………………………..157, Sant’Agata de’Goti ....... 286, 350, 475, 850
344, 417, 419, 442, 459, 478, 503, 610, Sant’Anastasio de Castel Sant’Elia ...... 244
613, 617, 640, 701, 739 Sant’Angelo in Formis………………. 226,
Saint Jean-Baptiste .…………………..162, 250, 261, 816, 817
304, 489, 491, 494, 575, 584, 617, 754, Sant’Apollinare in Classe de Ravenne …...
904, 905, 906, 908, 913 ……….144, 200, 224, 227, 816
Saint Martin ...........................378, 612, 617 Sant’Apollinare Nuovo de Ravenne .... 144,
Saint Pierre………………………… .....79, 199, 377, 815, 817
345, 491, 546, 553, 554, 588, 609, 617, Santa Cecilia in Trastevere de Rome…210,
647, 818, 859, 908, 910, 912, 913 399, 548, 894, 895
Saint Roch .............................181, 613, 766 Santa Croce de Florene ………………244,
Saint Sébastien ......................181, 613, 617 330, 503, 537, 572, 646, 653, 658, 659,
Saint Trophime d’Arles .................253, 817 703, 712, 713, 718, 895, 911
Sainte Marguerite ..................................614 Santa Maria in Grotta de Rongolise...... 253
Sainte Marthe ........................................501 Santa Maria in Monte Dominico de
Sainte-Priscille (catacombe) ....48, 192, 196 Marcellina ......................... 309, 356, 411
Saint-Michel de Cuxa ...………………..46, Santa Maria in Piano de Loreto Aprutino
834, 836, 837, 840, 846, 847, 848, 856, .......................................................... 484
858, 859, 870, 882 Santa Maria Maggiore de Rome …….138,
Saint-Pierre de Chauvigny ....252, 253, 439 197, 198, 226, 391, 401, 547, 815, 816,
Saint-Pierre de Marestay .......................489 817, 861, 894, 897, 901
Saints Cosme et Damien……………. .382, Santa Maria Maggiore de Monte
605, 615, 641, 914 Sant’Angelo ...................................... 262
Saints-Pierre-et-Paul de Montceaux- Santi Giacomo e Cristoforo a Rofeno ... 399
l’Étoile ...............................................242 Sasso Caveoso ...... 285, 381, 384, 574, 894
sammichelèri .........................................666 Schifanoia ..... 368, 420, 471, 657, 895, 901
San Biagio de Talignano .......................662 Simone di Filippo ......... 340, 558, 688, 900
San Fedele de Côme ......................364, 574 Simone Martini…………………209, 283,
San Fedele de Côme ..............................350 323, 384, 386, 391, 440, 449, 517, 598,
San Fiorenzo à Bastia Mondovì ............553 602, 630, 721, 753, 773, 842, 895, 896
San Francesco d’Assisi de Gallipoli......663 Sirmione................................ 583, 776, 896
San Leonardo de Siponto ......................662 Soleto .................... 271, 414, 554, 555, 898
San Lorenzo Fuori le Mura de Rome ...466, Spinello Aretino…….289, 302, 332, 353,
469 359, 398, 449, 481, 538, 564, 565, 598,
San Marco de Venise.............................231 623, 714, 715, 716, 718, 900, 903, 904
San Michel al Pozzo ..............................307 Spolète .... …………………………….138,
San Michele al Pozzo Bianco de Bergame 144, 623, 839, 847, 872, 898, 901
...........................................................443 Stuttgart......... 239, 296, 358, 504, 539, 896
San Michele d’Arezzo ...........................714 Subiaco . 364, 366, 490, 695, 852, 893, 912
San Niccolò de Cortona.........................434 Suiveur de Bourdichon . 329, 503, 507, 611
San Pellegrino de Bominaco .282, 545, 654 Suiveur de Martino Spanzotti ............... 354
San Pietro al Monte de Civate .......242, 401 Sutri....... 441, 562, 651, 848, 867, 893, 902
San Pietro in Marvino de Sirmione .......583 T
San Ponziano de Spolète ...............348, 374 Taddeo di Bartolo .. …………………..336,
San Vitale de Ravenne………………. 198, 397, 498, 561, 569, 900, 904
200, 224, 234, 389, 815, 816 Taddeo Gaddi........ 711, 712, 858, 896, 897
San Zan Dégolà de Venise ............404, 436

891
Terni ....……………………………….290, V
328, 349, 704, 719, 749, 859, 906 Vallerotonda ......................... 344, 402, 898
Timoteo Viti da Urbino ………………331, Viboldone ............................. 339, 624, 897
453, 476, 513, 521, 616, 914 Vincenzo Foppa .... 313, 453, 508, 826, 907
Tomaso da Modena…300, 344, 387, 391, Vitale da Bologna358, 398, 405, 413, 467,
473, 702, 704, 842, 851, 873, 898, 899 507, 510, 520, 540, 541, 549, 898, 899
Tommaso da Foligno328, 416, 704, 719, Z
749, 906 Zanino di Pietro ............................ 514, 904
Tommaso e Matteo Bisaci .....466, 554, 909
Torcello……………..240, 241, 250, 251,
261, 262, 383, 441, 747, 748, 816, 817
U
Ugolino di Nerio.....…………………..310,
322, 323, 342, 527, 721, 895

892
893
Liste des peintures du corpus
Les peintures sont triées chronologiquement. Le numéro en tête indique le numéro de la fiche du catalogue numérique.
Pour la référence de l’image et les indications bibliographiques, se reporter au catalogue numérique.

Abréviations :
sup. : support pm : peinture murale pp : peinture sur panneaux
pmd : peinture murale déposée pt : peinture sur toile

n° ATTRIBUTION TITRE LOCALISATION Sup. DATATION


e
1 Anonyme Saint Michel archange Altamura : grotta contrada "Curtianello" pm Début XIII
e
2 Anonyme Vierge et saint Michel Côme : Basilica di San Fedele pm Début XIII
Chrsit en Majesté entouré de saint e
3 Peintre local Gravina : église rupestre San Michele pm Début XIII
Paul et saint Michel
e
4 Anonyme de Padano Saint Michel archange Modena : Museo Lapidario del Duomo pm Début XIII
e
5 Anonyme Saint Michel archange Mottola : San Nicola a Casalrotto pm Début XIII
e
6 Anonyme Saint Michel combattant le dragon Mottola : San Nicola a Casalrotto pm Début XIII
Borgo San Pietro : Museo del Convento e
7 Anonyme della grotta di San Nicola Saints pm Début XIII
della Beata Filippa Mareri
e
8 Anonyme de Sutri Saint Michel archange Sutri : Santa Maria del Parto pm Début XIII
Marcellina : église Santa Maria in Monte e e
9 Anonyme Saint Michel archange pm 1 partie XIII
Dominico
e e
10 Frate Francesco Christ de Pitié et saint Michel Subiaco : monastère San Benedetto pm 1 partie XIII
e e
11 Anonyme Vierge à l’Enfant allaitant et saints L'Aquila : Museo Nazionale d'Abruzzo pm 1 partie XIII
Christ bénissant sur un trône et
12 Anonyme romain Anagni : Cathédrale Santa Maria pm 1230-1260
saints
13 Maestro delle Traslazioni Saint Michel archange Anagni : Cathédrale pm autour de 1250
Almenno San Salvatore : San Giorgio in
14 Anonyme Jugement dernier pm milieu XIIIe
Lemine
Sasso Caveoso : église Santa Lucia e
15 Anonyme Vierge allaitant et saint Michel pm années 1250
agata alle Malve
San Casciano Val di Pesa : Museo d'Arte
16 Coppo di Marcovaldo Saint Michel et légendes pp 1250-1255
Sacra
e
17 Anonyme Saint Michel archange Quarona : église San Giovanni al Monte pm 3 quart XIIIe
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
18 Bonaventura Berlinghieri Florence : Galleria degli Uffizi pp 1260-1270
saints
19 Peintre pisan, Maestro di San Torpè Saint Michel archange Pise : église San Michele in borgo pm 1262
20 École des Abruzzes scènes de l'au-delà Bominaco : oratoire San Pellegrino pm 1263
Saint Michel archange, Jugement
21 Anonyme Fossa : église Santa Maria ad Cryptas pm 1263-1283
dernier
22 Anonyme vénitien du XIIIe Saint Michel archange Venise : Basilique San Marco pm 1265
23 Manfredino da Pistoia Vierge à l'Enfant et saints Florence : Collection Acton pp 1275-1280
Assise : Basilique San Francesco,
24 Cimabue et atelier Lutte entre les anges et les démons pm 1275-1290
supérieure
Vierge à l'Enfant, saint Michel et Fossacesia: abbaye di San Giovanni in e
25 Anonyme pm 4 quart du XIIIe
saint Nicolas Venere
Atelier français, de catalogne romane Castel Castagna : église de Santa Maria di
26 Jugement dernier pm autour de 1280
ou germanique (?) Ronzano
27 Guido di Graziano (?) Vierge à l’Enfant et anges Montaione : pieve di San Regolo pp 1280-1290 env.
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
28 Maestro di Maddalena New Haven : Yale University Art Gallery pp 1280-1290 env.
saints
29 Maître de Varlungo Saint Michel archange et saints Rome : Collection M. Fiammingo pp 1280-1290 env.
Légende du calice d'or ou mort
30 Anonyme romain Rome : basilique San Lorenzo fuori le mura pm 1290-1300
d'Henri II
31 Manfredino da Pistoia Saint Michel archange Gêne : Museo di Sant'Agostino pm 1292
Rome : basilique de couvent Santa Cecilia
32 Cavallini Jugement dernier pm 1293
in Trastevere
Bergame : Santa Maria Maggiore, salle de
33 Anonyme bergamasque Jugement dernier pm fin XIIIe
curie
34 Anonyme italo-byzantin Saint Michel archange Pise : Museo Nazionale di San Matteo pp fin XIIIe
35 Anonyme de Galliano Vierge à l’Enfant et saints Galliano : église San Vincenzo pm 1290-1310
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
36 Lippo di Benivieni Inconnue, collection privée pp 1290-1310
saints

895
Fasano (Brindisi) : église rupestre de Santa
37 Anonyme Saint Michel archange pm XIII-XIVe
Virgilia
38 Cavallini Saint Michel archange fragment (?) Rome : Santa Cecilia in Trastevere pm XIII-XIVe
Couronnement de la Vierge et Schifanoia (Narni) : église San Michele
39 Anonyme pm XIII-XIVe
saints arcangelo
40 Giovanni da Taranto (?) Saints Brindisi : Sant'Anna pm Début XIVe
41 Anonyme cavallinesque Vierge à l'Enfant, Christ et saints Suburbio : Santa Passera pm Début XIVe
Oropa : chapelle du sanctuaire de la
42 Maestro di Oropa Annonciation et saints pm 1300-1310
Madonna di Oropa
Vérification des stigmates de saint Assise : basilique supérieure San e
43 Giotto pm 1 partie XIVe
François Francesco
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et e
44 Maestro di santa Cecilia Detroit : Museum, Institute of Arts pp 1 partie XIVe
saints
e
45 Giovanni da Rimini Vierge à l'Enfant et saints Faenza : Pinacoteca pp 1 partie XIVe
Grosseto : Museo Archeologico e d'Arte e
46 Ugolino di Nerio ou école de Duccio Saint Michel terrassant le dragon pp 1 partie XIVe
della Maremma
e
47 Ambrogio Lorenzetti Vierge à l'Enfant et saints Sienne: église San Agostino pm 1 partie XIVe
e e
48 Rinaldo da Taranto Jugement dernier Brindisi : Santa Maria del Casale pm 1 décennie XIV
Saint Michel et les anges e
49 Jacopo del Casentino Florence : basilica Santa Croce pm 1 quart XIVe
combattent le dragon
Apparition de saint Michel sur le e
50 Jacopo del Casentino Florence : basilica Santa Croce pm 1 quart XIVe
Mont Gargan
Femme de l'Apocaypse et e
51 Assistant de Cavallini Naples : Santa Maria di Donnaregina pm 1 quart XIVe
archanges
e
52 Assistant de Cavallini Jugement dernier Naples : Santa Maria di Donnaregina pm 1 quart XIVe
e
53 Maestro del Vescovado Vierge à l'Enfant, Christ et saints Sant'Angelo in Vado : Duomo pp 1 quart XIVe
54 Giotto Saint Michel archange Padoue : chapelle Madonna dell'Arena pm 1303-1308
55 Maestro del Coro di Sant'Agostino Saint Michel archange Rimini : église Sant'Agostino pm 1308-1318
56 École de Duccio Vierge à l'Enfant et saints Birmingham (Ala) : Museum of Art pp 1310-1320
57 Pietro Lorenzetti Vierge à l'Enfant et saints Seattle : Art Museum pp 1310-1320
58 Simone Martini Saints et anges Cambridge : Fitzmuseum pp 1319
59 Simone Martini Vierge à l'Enfant et saints Pise : Museo Nazionale di San Matteo pp 1319
60 Ugolino di Nerio Crucifixion et saints Lucques : Museo Nazionale di Villa Guinigi pp autour de 1320

896
61 Niccolo di Segna Saints Sienne : Galleria Pinacoteca pp autour de 1320
62 Suiveur de Giotto Crucifixion et saints collection privée pp 1320-1330
63 Bernardo Daddi Saint Michel archange Crespina : église San Michele pp 1320-1348
64 Anonyme Saint Michel archange Sirmione : église San Pietro in Mavino pm 1321
65 Anonyme Saint Michel archange Sirmione : église San Pietro in Mavino pm 1321
66 Paolo Veneziano Crucifix Croatie : Traù (Trogir) pp 1324-1350
67 Taddeo Gaddi ou atelier (?) Vierge à l'Enfant et saints Florence : Galleria dell'Accademia pp 1325-1330
e
68 Jacopo del Casentino Saint Michel et sainte Marguerite Florence : Santa Maria degli Ughi pp 2 quart XIVe
Vierge à l'Enfant, saints, Noli Me e
69 Anonyme pisan New York : Metropolitan Museum of Art pp 2 quart XIVe
Tangere et conversion de saint Paul
Vierge à l'Enfant, saints et scènes e
70 Suiveurs de Meo da Siena, pérousin Pérouse : Galleria Nazionale dell'Umbria pt 2 quart XIVe
de la Passion
e
71 Maestro di Chianciano Vierge à l'Enfant et saints Chianciano : Museo della Collegiata pp 2 quart XIVe
72 Ambrogio Lorenzetti Saint Michel combattant le dragon Asciano : Museo d'Arte Sacra pp 1330
Buonamico Buffalmacco ou Giovanni Arezzo : Museo Statale di Arte Medievale e e
73 Saint Michel archange pmd 3 décennie XIVe
d'Agnolo di Balduccio Moderna
Suiveurs de Taddeo Gaddi (et e
74 Vierge à l'Enfant et saints Florence : San Marco, Foresteria pmd 3 décennie XIVe
retouche au XVe siècle)
e
75 Atelier de Bernardo Daddi Vierge à l'Enfant et saints Nantes : Musée municipale des Beaux-Arts pp 3 décennie XIVe
Présentation au temple, Pietà et
76 Pseudo Jacopino Bologne : Pinacoteca Nazionale pp 1330-1335
saints
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
77 Paolo Veneziano Parme : Galleria Nazionale pp 1330-1340
saints
78 Anonyme giottesque napolitain Apocalypse Stuttgart : Staatsgalerie pp 1330-1340
79 Puccio Capanna Vierge à l'Enfant et saints Assise : basilique Santa Chiara pm 1330-1340
Maître des anges rebelles - Simone
80 Chute des anges rebelles Paris : Musée du Louvre pp 1330-1345
Martini (?)
Bologne : église de monastère de San
81 Paolo Veneziano Saints pp 1330-1350
Giacomo Maggiore
Assomption de Marie-Madeleine et
82 Paolo Veneziano Worcester : Art Museum pp 1330-1350
saints
83 Giotto Vierge à l'Enfant et saints Bologne : Pinacoteca Nazionale pp 1332-1334
Buonamico Buffalmacco di Martino di
84 Jugement dernier Pise : Campo Santo pm 1332-1342
Firenze

897
85 Maestro del Vescovado Crucifixion et saints Arezzo : Duomo pm 1334
Saint Galgano offre son épée à la
86 Ambrogio Lorenzetti Chiusdino : chapelle San Galgano pm 1334
Vierge introduit par Michel
Apparition de saint Michel sur le
87 Ambrogio Lorenzetti ou atelier Chiusdino : chapelle San Galgano pm 1334-1336
mausolée d’Hadrien
Vierge à l'Enfant, saints et anges
88 Taddeo Gaddi Bern : Kunstmuseum pp 1335-1340
musiciens
89 Peintre giottesque Jugement dernier Bolzano : église dominicaine pm 1335-1340
Anonyme Aretin, Maestro del
90 Saints Arezzo : église San Domenico pp 1336-1360
Vescovado (?) ou Giovanni d'Agnolo
Couronnement de la Vierge,
91 Pseudo Jacopino Bologne : Pinacoteca Nazionale pp 1340
Crucifixion et saints
Mariage mystique de sainte
Barna da Siena (ou Lippo Memmi?)
92 Catherine et combats contre les Boston : Museum of Fine Arts pp 1340
ou Maestro della Madonna Straus
démons
93 Lippo Memmi Vierge à l'Enfant, saints et anges Collection Berenson (?) pp 1340 environ
New Orleans : Museum, Isaac Delgado
94 Suiveurs de Bernardo Daddi Vierge à l'Enfant et saints pp 1340 environ
Museum of Art
95 Anonyme émilien Jugement dernier Plaisance : chiesa di San Francesco pm années 40 XIVe
Bernardo Daddi et Puccio di Simone
96 Crucifixion et saints Florence : Galleria dell'Accademia pp 1340-1345
ou atelier de bernardo daddi
Crucifixion, saint Michel et Dunedin (Nouvelle Zélande) : Public Art
97 Jacopo del Casentino pp 1340-1350
stigmatisation de saint François Gallery
Castiglione del Bosco : chapelle di San
98 Pietro Lorenzetti Annonciation et saints pm 1345
Michele
Mercatello : église et musée de San
99 Giovanni Baronzino Vierge à l'Enfant et saints pp 1345
Francesco
100 Anonyme bergamasque Jugement dernier Bergame : Santa Maria Maggiore pm 1347
Alesso di Andrea ou Bonaccorso Da Prato : Palazzo degli Spedalinghi, ancien
101 Jugement dernier pmd 1347
Cino hôpital della Misericordia
102 Maître de 1349 Vierge à l'Enfant et saints Viboldone : Abbaye di San Pietro pm 1349
103 Niccolo di Tommaso Jugement dernier Gênes : collection Bossi pp 1350
104 Luca di tommè Saint Michel archange Inconnue : vendu par Sotheby's London pp autour de 1350
105 Francesco Traini Saint Michel archange Lucques : Museo Nazionale di Villa Guinigi pp autour de 1350

898
106 Anonyme parmesan Saint Michel pesant les âmes Parme : baptistère pm milieu du XIVe
107 Naddo Ceccarelli Vierge à l'Enfant et saints Sienne : Galleria, Pinacoteca pp milieu du XIVe
Spolète : église de monastère San
108 Maestro di Fossa Saint Michel archange pm milieu du XIVe
Ponziano
Anonyme (proche de Matteo e
109 Dormition de la Vierge Avignon : musée du Petit Palais pp 3 quart du XIVe
Giovannetti)
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et e
110 Anonyme siennois Avignon : Musée du Petit Palais pp 3 quart du XIVe
saints
e
111 Maestro di san Martino alla palma Archanges Michel et Gabriel Utrecht : Museum Catharijneconvent pp 3 quart du XIVe
112 Tomaso da Modena Crucifixion et saints Baltimore : The Walters Art Gallery pp 1350-1355
inconnu, dernièrement Altenburg :
113 Lippo Vanni Dormition de la Vierge pp 1350-1360
Staatliches Lindenau-Museum
114 Maestro di Barberino Vierge à l'Enfant et saints Italie : Mercato Antiquario (1974) pp 1350-1380
Niccolo di Tommaso (ou Lorenzo di
115 Saint Michel archange Milan : Longari pp 1350-1380
Bicci ?)
116 Maestro di barberino Vierge à l'Enfant et saints Pagliericcio : chiesa di San Niccolò pp 1350-1380
e
117 Luca di Tommè Saint Michel archange Amiens : Musée de Picardie pp 2 partie du XIVe
Atina : Palazzo ducale, chapelle di e
118 Anonyme Saint Michel archange pm 2 partie du XIVe
Sant'Onofrio
e
119 Luca di tommè Saint Michel archange Florence : collection H. Acton pp 2 partie du XIVe
e
120 École florentine Saint Michel et légendes Florence : Orsanmichele pmd 2 partie du XIVe
e
121 Anonyme sicilien Saint Michel archange Inconnue pp 2 partie du XIVe
Peintre émilien, Maître du triptyque
Saint Michel et saint Raphaël et e
122 Demidoff ou Giovanni di Pietro Londres : Mercato antiquario 1993 pp 2 partie du XIVe
Tobie
Faloppi
e
123 Luca di Tommè Vierge à l'Enfant et saints Lucignano : Museo Comunale pp 2 partie du XIVe
Giovanni di Bartolomeo Cristiani et e
124 Vierge à l'Enfant et saints Milan : Museo diocesano pp 2 partie du XIVe
Nanni di Jacopo
Giuliano di Simone ou Angelo Pescia : Pinacoteca de l'ancien monastère e
125 Vierge et saints pp 2 partie du XIVe
Puccinelli bénédictin de San Michele
e
126 Anonyme Saint Michel archange Soleto : Capella Santo Stefano, paroi nord pm 2 partie du XIVe
e
127 Anonyme Jugement dernier Soleto : Capelle Santo Stefano pm 2 partie du XIVe
e
128 Anonyme Vierge allaitant et saint Michel Vallerotonda : église di San Michele pm 2 partie du XIVe
129 Vitale da Bologna Christ en Majesté et saints Pomposa : Monastère pm 1351

899
130 Vitale da Bologna Chute des anges rebelles Pomposa : Monastère pm 1351
131 Andrea di Cione (Orcagna) Christ en gloire et saints Florence : Santa Maria Novella pp 1354-1357
132 Andrea di Cione (Orcagna) Mort d’Henri II Florence: Santa Maria Novella pp 1354-1357
Vierge à l'Enfant, Christ de Pitié,
133 Tomaso da Modena Karlštejn : palais impérial pp 1355-1359
saints et anges
Tomaso Da Modena (Tomasso
134 Saint Michel archange Trévise : Museo Civico Luigi Bailo pmd 1355-1366
Barisini)
San Severino Marche : Pinacoteca
135 Paolo Veneziano Saints pp 1358
Comunale
Vitale da Bologna et Maestri della
136 Jugement Dernier Pomposa : Abbaye pm 1360
navata
137 Guariento et atelier Saint Michel archange Bolzano : église dei domenicani, nef pm 1360 environ
138 Turone Jugement dernier Verone : basilique Sant'Anastasia pm 1360 environ
139 Matteo di Pacino Saint Michel et saints Florence : Galleria dell'Accademia pp 1360-1365
Los Angeles : Los Angeles County
140 Luca di Tommè Vierge à l'Enfant, saints et anges pp avant 1362
Museum of Art
141 Giacomo di Mino del Pellicciaio Vierge à l'Enfant et saints Sienne : Pincoteca pp 1362
142 Allegretto Nuzi Vierge à l'Enfant et saints Rome : Pinacothèque Vaticane pp 1365
143 Andrea di Cione, (Orcagna) Crucifixion et anges New York: Museum, Metropolitan Museum pp 1365 environ
Jugement dernier, déposition du
144 Maître de la Vierge de Miséricorde Bologne : Pinacoteca Nazionale pp 1365-1370
christ et instruments de la Passion
145 Biagio di Goro Ghezzi Légendes de saint Michel Paganico : église San Michele pm 1368
146 Biagio di Goro Ghezzi Allegoria dell'oltretomba Paganico : église San Michele pm 1368
Fabriano : église San Dominico, capella
147 Allegretto Nuzi Saint Michel archange pm 1369
Sant'Orsola
148 Barnaba da Modena (ou élève de) Vierge à l'Enfant et saints Avignon : Musée du Petit Palais pp 1370
149 Anonyme parmesan Saint Michel pesant les âmes Parme : baptistère pm 1370
150 Andrea di Bonaiuto (di Firenze) Saints Rome: Pinacothèque Vaticane pp 1370-1377
Couronnement de la Vierge et
151 Jacobello di Bonomo ( ou atelier) Fermo : Pinacoteca Civica pp 1370-1390
saints
152 Giusto de'Menabuoi Apocalypse Padoue : Baptistère pm 1375
e
153 Paolo di Giovanni Fei (?) Saint Michel sur un trône Sienne : Museo dell'Opera Metropolitana pp 4 quart XIVe
154 Giusto de' Menabuoi et aides Vierge à l'Enfant et saints Cassino : abbaye de Montecassino pp 1376
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et Savona : église San Dalmazio in
155 Barnaba da Modena pp 1376
saints Lavagnola

900
156 Angelo Puccinelli Saint Michel et saints Sienne: Pinacoteca pp 1379 (?)
157 Giovanni del Biondo Vierge à l'Enfant et saints Montespertoli : église Sant'Andrea pp 1380
Agnolo Gaddi (ou Lippo di Andrea ou Chevaliers devant une porte et
158 New Haven : Yale University Art Gallery pp 1380-1390
suiveurs de Spinello Aretino) chute des anges rebelles
159 Agnolo Gaddi Miracles de saint Michel New Haven : Yale University Art Gallery pp 1380-1390
Apparition de saint Michel sur le
160 Agnolo Gaddi Rome : Pinacothèque Vaticane pp 1380-1390
mausolée d’Hadrien
161 Anonyme Saint Michel pesant les âmes Venise : église San Zan Degolà pm 1380-1390
162 Giuliano di Simone da Lucca Vierge à l'Enfant, saints et anges Livourne : Larderel Collection pp 1383-1397
Sant'Arcangelo di Romagna : Museo
163 Jacobello di Bonomo Vierge à l'Enfant et saints pp 1385
Storico Archeologico nel palazzo Cenci
Martyr de saint Barthélemy et
164 Cenni di Francesco di Ser Cenni apparition du taureau sur le Mont Philadelphia : Museum of Fine Art pp vers 1385
Gargan
Lorenzo di Alessandro ou Maître de milieu des
165 Saint Michel combattant le dragon Baltimore : The Walters Art Museum pp
Santa Verdiana années 1380
Couronnement de la Vierge et
166 Bartolo di Fredi Sienne Pinacoteca pp 1388
saints
167 Taddeo di Bartolo Christ de Pitié et saints Philadelphia : Museum of Art pp 1389
New Haven : Museum, Yale University Art
168 Agnolo Gaddi atelier Saints pp 1390
Gallery
Maestro senese, Maestro di Panzano Vierge à l'Enfant, Annonciation,
169 Rotterdam : Museo Boymans pp 1390 environ
ou Paolo di Giovanni Fei Crucifixion et saints
170 Cecco di Pietro Saints Pise : Museo Nazionale di San Matteo pp années 1390
Plaisance : Musei Civici di Palazzo
171 Antonio de Carro Saint Michel pesant les âmes pmd années 1390
Farnese
172 Niccolò di Pietro Gerini Crucifixion et saints Prato : San Francesco pm années 1390
Couronnement de la Vierge et
173 Cenni di Francesco di Ser Cenni Los Angeles : J. Paul Getty Museum pp 1390-1400
saints
Simone di Filippo detto "de'
174 Sept épisodes de la vie de le Vierge Bologne : Pinacoteca Nazionale pp 1396-1398
Crocefissi"
175 Jacopo da Verona Saint Michel pesant les âmes Padoue : Oratorio San Michele pm 1397
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
176 Antonio de Carro Paris : Musée des Arts Décoratifs pp 1398
saints
177 Niccolò di Pietro Gerini Vierge à la ceinture et saints Arezzo : San Francesco pp fin XIVe

901
178 Peintre napolitain Dormition de la Vierge Massaquano : Chapelle Santa-Lucia pm fin XIVe
179 Niccolò di Pietro Gerini Vierge à l'Enfant et saints Pelago : Museo Arte Sacra pp fin XIVe
e
fin XIV - début
180 Cenni di Francesco e Lorenzo di Bicci Saint Michel archange Florence : église San Barnaba pm e
XV
181 Anonyme Saint Michel archange Arcè di Pescantina : église San Michele pm XIVe
Cava de'Tirreni: Museo della Badia della
182 Anonyme Saints pm XIVe
Santissima Trinità
183 Segna di Bonaventura Saint Michel archange Cracovie : Muzeum Czartoryskich pp XIVe
184 École florentine Crucifixion et saints Florence : collection Frascione pp XIVe
185 Maestro della pala di San Niccolo Saints Florence : église San Miniato al Monte pp XIVe
186 École florentine Vierge à l'Enfant et saints Inconnue pp XIVe
187 École florentine (Nardo di Cione?) Vierge à l'Enfant et saints Inconnue pm XIVe
Vierge à l’Enfant, Annonciation et
188 École de Giovanni del Biondo Inconnue pp XIVe
saints
189 Maître du triptyque Horn Vierge à l'Enfant et saints Inconnue pp XIVe
190 Anonyme aretin Saint Michel archange Italie : Mercato Antiquario (1991) pp XIVe
191 École florentine Saint Michel archange La Spezia : Museo Civico Amedeo Lia pp XIVe
Jacopo Avanzi et Tommaso da
192 Crucifixion et saints Modena : Duomo pm XIVe
Modena (suiveur de)
Monticchiello di Siena : église Santi
193 École de Lorenzetti La confession pm XIVe
Leonardo di Limoges e Cristoforo abside
Antonio Veneziano (Antonio di
194 Saints New York : Collection Martello (1992) pp XIVe
Francesco)
195 Ugolino Lorenzetti Saints Pise : Museo Nationale San Matteo pp XIVe
196 Francesco d’Antonio Banchi, Saint Michel et saint Dominique Pise : Museo Nazionale di San Matteo pp XIVe
Vierge à l'Enfant, saint Michel et Sant'Elia Fiumerapido : église di Santa
197 Anonyme pm XIVe
saint Benoît Maria Maggiore
198 Anonyme Saint Michel archange double Schifanoia (Narni) : église San Michele pm XIVe
199 Anonyme siennois Saint Michel archange Sienne : église Sant'Andrea pm XIVe
200 Maestro di Fossa Vierge à l'Enfant et saints Spolète : Palais épiscopal pm XIVe
201 École siennoise (Barna da siena?) Saint Michel combattant le dragon Tokyo : National Museum of Western Art pp XIVe
202 Anonyme véronais Saint Michel pesant les âmes Vérone : basilique San Zeno Maggiore pm XIVe
Saint Michel et saint Jean
203 Rossello di Jacopo ("Franchi") Londres : H. Harris pp 1376-1456
l'Evangéliste

902
Berlin : Gemäldegalerie, Staatliche Meseen
204 Agnolo Gaddi Christ rédempteur entouré de saints pp 1380-1410
zu Berlin
e
Sant'Agata de'Goti : église della SS. fin XIV - début
205 Atelier de Ferrante Maglione Jugement dernier pm
Annunziata XVe
206 Anonyme Saint Michel archange Alatri : église della Maddalena pm XIV-XVe
207 Giovanni d'Agnolo di Balduccio Crucifixion et saints Arezzo : église San Domenico pm XIV-XVe
Caprile di roccasecca : église (rupestre)
208 Anonyme Saint Michel archange pm XIV-XVe
San Michele in Asprano
209 Bicci di Lorenzo Vierge à l'Enfant et saints Cortona : Academi etrusca pp XIV-XVe
210 Mariotto di Nardo Vierge à l'Enfant et saints Florence : église Sant’Angelo a Legnaia pp XIV-XVe
211 Mariotto di Nardo Saints Florence : Museo Nazionale del Bargello pp XIV-XVe
212 Cenni di Francesco di Ser Cenni Crucifixion et saints Inconnue pp XIV-XVe
Miracle du Mont Gargan et charité
213 Bartolo di Fredi Italie : Mercato Antiquario pp XIV-XVe
de saint Nicolas de Bari
214 Bicci di Lorenzo Vierge à l'Enfant et saints Italie : Mercato Antiquario (1990) pp XIV-XVe
215 Anonyme florentin Vierge à l’Enfant allaitant et saints Italie : Mercato Antiquario (avant 1993) pp XIV-XVe
216 Anonyme de Narni Saints Narni : Cathédrale San Giovenale pm XIV-XVe
217 Maestro di san Davino Vierge à l'Enfant et saints Parme : Galleria Nazionale pp XIV-XVe
218 Nanni di Jacopo Vierge à l'Enfant, saints et anges Rome : Palazzo Venezia pp XIV-XVe
Sant'Agata de'Goti : église della SS.
219 Atelier de Ferrante Maglione Saints pm XIV-XVe
Annunziata
220 Martino di Bartolomeo di Biagio Annonciation et saints Sienne : Pinacoteca Nazionale pp XIV-XVe
221 Anonyme de Sutri Miracle du Mont Gargan Sutri : Santa Maria del Parto pm XIV-XVe
222 Anonyme émilien Saint Michel archange Trévise : église San Nicolò pm XIV-XVe
223 Martino da Verona Jugement dernier Vérone : église San Fermo Maggiore pm XIV-XVe
224 Anonyme lombard Cène et saint Michel Domodossola : église San Quirico pm 1400
225 Pietro di Domenico da Montepulciano Saints Altidona : église paroissiale pp Début XVe
226 Maestro di Sant'Agostino Vierge de miséricorde et saints Fermo : Sant'Agostino pm Début XVe
227 Anonyme de Foligno Vierge à l'Enfant et saints Foligno : San Domenico a Foligno pm Début XVe
Saint Michel et ange de
228 Pietro di Giovanni (Lorenzo Monaco) Houston : Museum of Fine Arts pp Début XVe
l’Annonciation
Couronnement de la Vierge et
Anonyme Maestro del Polittico di Palerme : Galleria interdisciplinare
229 saints ou Polittico di San Michele pp Début XVe
Trapani Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis
Arcangelo

903
230 Mariotto di Nardo Vierge à l'Enfant et saints Pesaro : Musei civici pp Début XVe
Saint Michel et sainte Catherine
231 Rossello di Jacopo Franchi San Miniato : église de San Domenico pp Début XVe
d'Alexandrie
Arezzo : Museo Statale di Arte Medievale e e
232 Giovanni d'agnolo di Balduccio Christ en gloire et saints pmd 1 partie XVe
Moderna
Fossato di Vico : Cappella della Piaggiola e
233 Nelli Ottaviano Saint Michel archange pm 1 partie XVe
crocifisso
Helsinki : Ateneum, Sinebrychoff Art e
234 Bicci di Lorenzo Saints pp 1 partie XVe
Museum
Assomption, Crucifixion, saints et e
235 Sano di Pietro Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1 partie XVe
scènes de leur vie
e
236 Anonyme de Foligno Pietà et saints Foligno : San Domenico a Foligno pm 1 partie XVe
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et Notre Dame (USA) : The Snite Museum of e
237 Anonyme, atelier d'Agnolo Gaddi pp 1 partie XVe
saints Art, University
e
1 décennies
238 Giacomo Jaquerio Saint Michel pesant les âmes Pianezza : San Pietro pm
XVe
239 Jacopo di Paolo Saints Bologne : Pinacoteca pp 1400-1410
Vierge à l'Enfant, saints et Loro Ciuffenna : église de Santa Maria
240 Lorenzo di Bicci pp 1400-1410
Couronnement de la Vierge Assunta
241 Bicci di Lorenzo Vierge à l'Enfant et saints Pise : Museo Nazionale San Matteo pp 1400-1410
242 Gherardo di Jacopo Starnina Saints Lucques : Museo Nazionale di Villa Guinigi pp 1401-1407
243 Anonyme sud-tyrolien Saint Michel archange Bolzano : San Martino pm 1403
Apparition de saint Michel sur le
244 Spinello Aretino Arezzo : Basilique San Francesco pm 1404
mausolée d’Hadrien
245 Spinello Aretino Saint Michel archange Arezzo : Basilique San Francesco pm 1404
Saint Michel et les anges
246 Spinello Aretino Arezzo : San Francesco pm 1404
combattent le dragon
Vierge à l'Enfant, Christ de Pitié et
247 Lorenzo di Niccolò di Martino Venise : Collezione Vittorio Cini pp 1404
saints
248 Pietro di Giovanni Lianori Vierge à l’Enfant en gloire et saints Bologne : San Francesco pm 1405 environ
Vierge à l'Enfant allaitant et
249 Carlo da Camerino Cleveland : Art Museum pp 1405 environ
archanges
Couronnement de la Vierge et Florence : Museo dello Spedale degli
250 Maestro della Madonna di Strauss pp 1405 environ
saints Innocenti
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
251 Pitterio Jacopo Turin : Galleria Sabauda pp 1405-1412
saints

904
252 Atelier de Turino di Vanni Saints Avignon : Musée du Petit Palais pp 1405-1415
253 Giacomo Jaquerio Vierge à l'Enfant et saints Ranverso : abbazia di Sant'Antonio pm peu après 1406
254 Spinello Aretino Saint Michel et ses anges Londres : National Gallery pmd 1408-1410
Saint Michel, flagellant et saint
255 Spinello Aretino Londres : National Gallery pmd 1408-1410
Stéphane
Apparition de saint Michel sur le
256 Benedetto di Bindo Sienne : Duomo pm 1409-1412
mausolée d’Hadrien
Couronnement de la Vierge,
257 Giovanni da Modena Bologne : cathédrale San Petronio pm 1410
Paradis et Enfer
258 Andrea di Bartolo Saint Michel archange (fragment) Sienne: Pinacoteca Nazionale pp 1410 environ
L'incrédulité de saint Thomas et Mombaroccio : Pinacoteca conventuale
259 Zanino di Pietro pp 1410-1420
saints “Beato Sante”
Vierge à l'Enfant, Annonciation,
260 Taddeo di Bartolo Volterra : Pinacoteca Civica pp 1411
Christ benissant et saints
261 Alvaro Pirez D'Evora Saint Michel terrassant le dragon collection privée pp 1411-1434
Couronnement de la Vierge et Urbin : Galleria Nazionale (Michel et Jean-
262 Taddeo di Bartolo pp autour de 1413
saints Baptiste)
263 Bicci di Lorenzo Annonciation et saints Stia : Santa Maria Assunta pp 1414
264 Mariotto di Nardo Trinité et saints Florence : basilique Santa Trinità pp 1416
Rielasingen : Fondation Rau (Michel et
265 Fra Angelico Saint Michel et saint Nicolas pp 1419-1421
Nicolas), Chantilly : Musée de Condé
Assomption de saint Jean
266 Giovanni del Ponte Londres : National Gallery pp 1420- 1424
l’Evangéliste et saints
Anonyme vénitien ou Federico
267 Saint Michel pesant les âmes Venise : Museo Correr pp 1420-1430
Tedesco (?)
268 Michele giambono Vierge à l'Enfant et saints Fano : Museo Civico pp 1420-1462
269 Jacobello del Fiore Triptyque de la Justice Venise : Galleria dell'Accademia pp 1421
Lorenzo monaco pour les pinnacles et
270 Pala di Santa Trinità Florence : Museo di San Marco pp 1422-1423
Fra Angelico pour le reste
271 Alvaro Pirez D'Evora Saint Michel et saint Jean-Baptiste Varsovie : Musée National pp 1423
272 Alvaro Pirez D'Evora Vierge à l'Enfant et saints Volterra : Pinacoteca communale pp 1423
Glorification du Christ dans la cour
273 Fra Angelico Londres : National Gallery pp 1423-1434
céleste
274 Pisanello Saint Michel archange Vérone : église San Fermo Maggiore pm 1424-1426
275 Giovanni del Ponte Vierge à l'Enfant et saints Columbia : Museum of Art pp 1425-1426

905
e
276 Gaspare da Pesaro (?) Vierge à l’Enfant allaitant et saints Termini Imerese : chiesa della Misericordia pp 2 quart du XVe
277 Giacomo Jaquerio - atelier Saint Michel archange Fénis : château de Fénis pm 1426
278 Badile Giovanni Vierge et saints Vérone : Museo di Castelvecchio pp 1428
Vierge à l'Enfant, Rédempteur et
279 Jacobello del Fiore L'Aquila : Museo Nazionale d'Abruzzo pp 1428-1430
saints "polyptyque de Cellino"
Pellegrino di Giovanni di Antonio da
280 Saint Michel archange Boston : Museum of Fine Arts pp 1428-1437
Perugia ou Gualtieri di Giovanni
281 Anonyme Jugement dernier et au-delà Loreto Aprutino : Santa Maria in Piano pm 1429
282 Aimone Duce Saint Michel archange Villafranca Piemonte : Cappella di Missione pm autour de 1429
283 Anonyme Saints Laietto : San Bernardo pm 1430
Vierge à l'Enfant, saint Michel et Montemarciano : Oratorio di santa Maria
284 Francesco d'Antonio pm 1430
saint Jean-Baptiste delle Grazie
285 Michele Giambono Saint Michel sur un trône Florence : Collection Berenson pp 1430 environ
286 Priamo della Quercia Miracles de saint Michel Lucques : Museo nazionale di Villa Guinigi pp 1430 environ
287 Francesco d'Antonio di Bartolomeo Crucifixion, Annonciation et saints Montgomery : Museum of Fine Arts pp 1430 environ
Vierge à l’Enfant, Annonciation et
288 Sassetta Cortona : Museo Diocesano pp années 1430
saints
289 Francesco di Andrea Anguilla Vierge à l'Enfant et saints Camaiore : Museo d'arte sacra pp 1434
290 Maestro dell'Avicenna Paradis et Enfer Bologne : Pincateca Nazionale pp 1435
New-York : The Metropolitan Museum of milieu des
291 Pietro di Giovanni d'Ambrogio Saint Michel et saint Nicolas pp
Art années 1430
292 Giovanni di Paolo Saint Michel archange Rome : pinacothèque Vaticane pp 1436-1440
Giovanni di Francesco ou Maître de
293 Vierge à l'Enfant et saints New York : Collection Hugh Satterlee pp 1439
Pratovecchio
Vierge à l’Enfant, Annonciation et
294 Bartolomeo di Andrea Bocchi Serravalle Pistoiese : San Michele pp 1439
saints
295 Antonio Vivarini Vierge à l'Enfant et saints Baltimore : The Walters Art Gallery pp peu avant 1440
296 Anonyme Saint Michel archange Bergame : San Michele al Pozzo bianco pm 1440
297 Maestro di Pratovecchio Les trois archanges et Tobie Berlin : Staatliche Museen pp années 1440
298 Parri Spinelli ou Parri di Spinello Saint Michel archange Arezzo : Museo Statale di Arte Medievale pm 1440-1450
299 Maestro di San Quirico a Guamo Vierge à l’Enfant allaitant et saints Lucques : Museo Nazionale di Villa Guinigi pp 1440-1450
300 Neri di Bicci Vierge à l'Enfant et saints Londres : Courtauld Institute of Art Gallery pp 1440-1470
Saint Michel apparaissant sur le
301 Pseudo Paolo di Giovanni da Visso Castelsantangelo sul Nera : Municipio pm 1440-1480
mausolée d'Hadrien

906
302 Maestro dell'Osservanza Saint Michel combattant le dragon Sienne : Museo dell'Archivio di Stato pp 1444
Vierge à l'Enfant, saints et anges Rome : Museo Nazionale del palazzo
303 Giovanni Angelo d’Antonio pp 1445
musiciens Venezia
Jugement dernier, l'entrée des
304 Bartolomeo di Tommaso da Foligno Terni : San Francesco, capella Paradisi pm 1445-1451
saints au Paradis
305 Bartolomeo di Tommaso da Foligno Jugement dernier Terni : San Francesco, capella Paradisi pm 1445-1451
Albenga : église de San Giorgio di
306 Pittore monregalese Jugement Dernier pm 1446
Campochiesa
de déc. 1446 à
307 Lorenzo Vecchietta Jugement dernier (détail) Sienne : hoptital di S. Maria della Scala pm
sept. 1449
Vierge à l'Enfant et saints, appelé
308 Maestro Paroto Cemmo : San Siro pp 1447
également Polittico di San Siro
309 Francesco dei Franceschi Saint Pierre, Crucifixion et saints Padoue : Pinacoteca Civica pp 1447
Antonio Vivarini ou Giovanni
310 Annonciation et saints Venise : église San Giobbe pp 1447
d'Alemagna et atelier
312 Pietro di Ruffolo (Maestro di Lecceto) Vierge à l'Enfant et saints Florence : collection Frascione pp 1447-1448
313 Lorenzo Vecchietta Jugement dernier Sienne : Battistero di San Giovanni, voûte pm 1447-1450
314 Maestro di Eggi Saint Michel archange Eggi : église de saint Jean-Baptiste pm 1448
314 Maestro di Eggi Saint Michel archange Eggi : église San Michele arcangelo pm 1448-1451
Fra Angelico et atelier (ou Angelico
315 Jugement dernier Berlin : Gemäldegalerie pp 1450
Giovanni da Fiesole)
316 Michele Giambono Saints Venise : Galleria dell'Accademia pp 1450
Jacopo di Antonio ou maître de
317 Saints Londres : National Gallery pp 1450-1460
Pratovecchio
318 Andrea da Bologna Saint Michel archange Collection privée pp 1450-1477
319 Antonio del Pollaiolo Saint Michel combattant le dragon Florence : Museo Stefano Bardini pp milieu du XVe
milieu XVe ou
320 Francesco de'franceschi (?) Saints Monselice : Duomo Nuovo pp
années 1430
Maestro di San Miniato ou Francesco Florence : Tabernacolo de la Piazza della e
321 Vierge à l'Enfant et archanges pm 2 partie XVe
Botticini Piattellina
e
322 Antonio Vivarini et/ou atelier Vierge à l'Enfant, saints et Trinité Lecce : Museo pp 2 partie XVe
e
323 Maître napolitain, suiveur de Bermejo Saint Michel archange Nalpes : Museo Nazionale pp 2 partie XVe
e
324 Suiveur de Bourdichon Saints Naples : Museo Nazionale di Capodimonte pp 2 partie XVe
Couronnement de la Vierge, saints e
325 Riccardo Quartararo Palerme : Galleria Regionale della Sicilia pp 2 partie XVe
et anges

907
e
326 Gianfrancesco da Tolmezzo Vierge à l'Enfant et saints Socchieve : San Martino pm 2 partie XVe
e
327 Paolo da Visso Vierge à l'Enfant et saints Visso : Museo Sant'Agostino pp 2 partie XVe
328 Ercole de'Roberti Saint Michel et sainte Apolline Paris : Misée du Louvre pp 1451-1456
329 Maestro del Trittico del 1454 Crucifixion et saints Camerino : Museo Diocesano pp 1454
330 Joan Figuera Annonciation et saints Cagliari : Pinacoteca Nazionale pp 1455-1479
331 Neri di Bicci Vierge de miséricorde et saints Arezzo : Pinacoteca Comunale pp 1456
332 Filippo Lippi Saints Cleveland : Museum of Art pp 1457-1458
Niccolò di Liberatore ou Niccolo da Vierge à l'Enfant et sainte Anne ; Princeton : University Art Museum, New-
333 pp 1458-1461
Foligno dit l'Alunno saint Michel (revers) York : Metropolitan Museum
Saint-Petersbourg : Ermitage ; Düsseldorf :
334 Vincenzo Foppa Saints pp 1460 environ
collection privée
335 Domenico di Michelino Trinité, Annonciation et archanges Florence : Galleria dell'Accademia pp 1460-1470
Couronnement de la Vierge et
336 Anonyme bolonais Bologne : Pinacoteca Nazionale pp 1460-1475
saints
337 Biagio di Antonio (?) Les trois archanges et Tobie Florence : Collection Bartolini Salimbeni pt 1461-1471
Niccolò di Liberatore ou Niccolo da
338 Vierge à l'Enfant, saints et anges Assise : Museo Capitolare di San Rufino pp 1462
Foligno dit l'Alunno
Briona : San Brernardo d'Aosta detto
339 Giovanni De Campo et atelier Saint Michel et saint Augustin pm 1463
Oratorio della Mora
Mariano d’Antonio et Benedetto "gonf
340 Vierge de miséricorde et saints Pérouse : Oratoire de San Bernardino 1464
Bonfigli alone"
Antoniazzo Romano e Melozzo da
341 Légendes de saint Michel Rome : église des Saints-Apôtres pm 1464-1468
Forlì
Maestro dell'Annunciazione di
San Pellegrino di Gualdo Tadino : église
342 Spermento (Giovanni Angelo Vierge à l'Enfant, saints et anges pp 1465
Santa Maria delle Grazie
d'Antonio?)
343 Giovanni di Paolo Jugement dernier Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1465
Cristo paziente e Cristo triofante
344 Giovanni di Paolo Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1465
(détail)
Procession de saint Grégoire au
345 Giovanni di Paolo Paris : Louvre pp 1465-1470
château Saint Ange
346 Neri di Bicci Vierge à l'Enfant et saints Arezzo : église de San Michele pp 1466
347 Benvenuto di Giovanni Annonciation et saints Volterra : Museo d'Arte sacra pp 1466
Saint Thomas reçoit la ceinture de
348 Neri di Bicci Philadelphia : Museum of Arts pp 1467
la Vierge et saints

908
Florence : Villa di Montalto, Santa Maria
349 Giovanni Angelo d'Antonio Vierge de miséricorde et saints pm 1468
del Soccorso
350 Francesco Botticini Les trois archanges et Tobie Florence : Galleria degli Uffizi pp 1470
351 Piero della Francesca Saints Londres : National Gallery pp 1470
352 Andrea di Niccolò Vierge à l'Enfant, saints et anges Paganico : San Michele pp 1470
353 Ercole de'Roberti Saint Michel archange (?) Bologne : pinacoteca pp 1470-1480
354 Benvenuto di Giovanni Saint Michel et saint Jean-Baptiste Lyon : Musée des Beaux-Arts pp 1470-1480
355 Neri di Bicci Les trois archanges et Tobie Détroit : Institute of Arts pp 1471
Niccolò di Liberatore ou Niccolo da Vierge à l'Enfant, Christ de Pitié,
356 Gualdo Tadino : Pinacoteca Civica pp 1471
Foligno dit l'Alunno saints et anges
357 Anonyme Saints Bastia Mondovì : San Fiorenzo pm 1472
358 Anonyme L'enfer Bastia Mondovì : San Fiorenzo pm 1472
Vierge à l'Enfant, saint Michel et Rome : Galleria Nazionale d'Arte Antica di
359 Lorenzo da Viterbo pp 1472
saint Pierre palazzo Barberini
360 Cristoforo da Lendinara ou Canozzi Jugement dernier Modena : Duomo pm 1472-1476
Couronnement de la Vierge, saints Florence : Museo del Cenacolo di
361 Neri di Bicci pt 1473
et anges Sant'Apollonia
Bonifacio Bembo, Giacomino Vismara
362 Saints Milan : Château Sforza pm 1473
et Stefano de Fedeli
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et Monte San Martino : église Santa Maria del
363 Girolamo di Giovanni pp 1473
saints Pozzo
364 Pinturicchio Saint Michel archange Lipsia : Museum der Bildenden Kunst pmd 1473-1481
Assomption de la Vierge avec saint Asciano : Museo Civico, Palazzo Corboli et
365 Matteo di Giovanni pp 1474
Michel et saint Augustin Londres, National Gallery
366 Neroccio di Bartolomeo Landi Saint Michel archange Plzen : Museo della Boemia Occidentale pp 1475
367 Benvenuto di Giovanni Vierge à l'Enfant, saints et anges Vescovado di Murlo : parrocchiale pp 1475
Vierge à l'Enfant, Annonciation,
368 Giuliano Amidei Caprese Michelangelo : Parrocchiale pp autour de 1475
Dieu benissant et saints
369 Guidoccio Cozzarelli Vierge à l'Enfant, saints et anges Paganico : San Michele pp 1475-1485
Rome : Galleria Nazionale d'Arte Antica di e
370 Pietro Alemanno Saint Michel archange pp 4 quart du XVe
Palazzo Barberini
Matteo di Giovanni, Bernardino
Nativité, Christ de Pitié et saints, e
371 Fungai et Francesco di Giorgio Sienne : San Domenico pp 4 quart du XVe
Pala Tancredi
Martini

909
372 Biagio d'Antonio Saint Michel pesant les âmes Avignon : Musée du Petit Palais pp 1476
373 Carlo Crivelli Saint Michel pesant les âmes Londres : National Gallery pp 1476
374 Neroccio di Bartolomeo Landi Vierge à l'Enfant et saints Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1476
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
375 Maestro di Olzai Olzai : Chiesa Santa Barbara pp après 1477
saints, "retable de la peste"
376 Filippino Lippi Les trois archanges et Tobie Turin : Galleria Sabauda pp 1477-1478
Carlo Crivelli (dont le saint Michel) et
377 Polyptyque de Monte San Martino Monte San Martino : église de San Martino pp 1477-1480
Vittore Crivelli
Niccolò di Liberatore ou Niccolo da
378 Ascension et archanges Avignon : Musée du Petit Palais pp 1480
Foligno dit l'Alunno
379 École de Paolo da Visso Vierge à l'Enfant, Pietà et saints Castelsantangelo sul Nera : Museo pp 1480
380 Bernardo Zenale da Treviglio Vierge et saints Florence : Galleria degli Uffizi pp 1480
Crucifixion (recto) et saint Michel
381 Lorenzo di Alessandro Baltimore : The Walters Art Gallery pp 1480 environ
(verso)
Rotterdam : Boymans-Van Beuningen
382 Neri di Bicci Chute des anges rebelles pp 1480 environ
Museum
Castiglion Fiorentino : Pinacoteca
383 Bartolomeo della Gatta Saint Michel archange pp années 1480
Comunale
384 Domenico Ghirlandaio ou suiveurs Saint Michel et saint Dominique Portland : Art Museum pp 1480-1485
Vierge à l'Enfant, saint Michel et
385 Matteo cesa Belluno : Museo Civico di Belluno pp 1480-1490
saint Gottardo
Jugement dernier et jugement des
386 Tommaso e Matteo Bisaci Albenga : San Bernardino pm 1483
âmes
387 Bartolomeo Vivarini Saints Bari : Pinacoteca Provinciale pp 1483
388 Giovanni Santi Vierge à l'Enfant et saints Gradara : Palazzo Comunale pp 1484
389 Domenico Ghirlandaio Vierge à l'Enfant et saints Florence : Galleria degli Uffizi pp 1484-1486
390 Anonyme Trinité et saints Arrone: église de San Giovanni pm 1486
Castiglion Fiorentino : Musée de l'église
391 Bartolomeo della Gatta Vierge à l'Enfant, saints et anges pp 1486
San Giuliano
Andrea Sabatini ou Antoniazzo Lacedonia : Museo San Gerardo Maiella
392 Vierge à l'Enfant et saints pt peu après 1486
Romano ou cathédrale Santa Maria Assunta
Gionzana : Santa Maria detta oratorio della
393 Daniele De Bosis et atelier Vierge à l'Enfant et saints pm 1487
Madonna del latte
394 Fiorenzo di Lorenzo Adoration des bergers et saints Perouse : Galleria Nazionale dell'Umbria pp peu avant 1487

910
Bernardino di cola del Merlo da Civita
395 Vierge à l'Enfant, saints et anges L'Aquila : Museo Nazionale d'Abruzzo pp après 1487
di Penne
396 Bartolomeo Vivarini Vierge à l'Enfant, saints et anges Bergame : Accademia Carrara pp 1488
397 Anonyme Annonciation et saints Taggia : San Domenico pp 1488
Frate Domenico Marino di Angeluccio Pereto : église della Madonna dei
398 Jugement dernier pm 1488 (?)
da Pereto bisognosi
Frate Domenico Marino di Angeluccio Pereto : église della Madonna dei
399 Saint Michel archange pm 1488 (?)
da Pereto bisognosi
Vierge à l'Enfant, saints et anges,
400 Sandro Botticelli Florence : Galleria degli Uffizi pp 1488-1490
ou Pala di San Barnaba
Vierge à l'Enfant et saints, dit
401 Pietro Alemanno Ascoli Piceno : Pinacoteca Comunale pp 1489
"polittico degli Schiavoni"
Vierge à l'Enfant, Christ de Pitié et
402 Maestro dei polittici Crivelleschi L'Aquila : Museo Nazionale d'Abruzzo pp autour de 1489
saints
403 Alesso di Benozzo Saint Michel et saints Avignon: Musée du Petit Palais pp années 1490
404 Suiveur de Martino Spanzotti Saint Michel et saint Pierre Favria : église San Pietro Vecchio pm années 1490
405 Lattanzio di Nicolò Saint Michel archange Foligno : Museo della Città, Palazzo Trinci pp 1490-1494
406 Giovanni Canavesio Jugement dernier La Brigue : Notre-Dame des Fontaines pm 1491
Nativité, Crucifixion, Annonciation et
407 Perugino Rome : Collezione Albani Torlonia pp 1491
saints
408 Andrea Sabatini (Andrea di Salerno) Saint Michel archange Salerne : Museo Diocesano pp 1491
Niccolò di Liberatore ou Niccolo da
409 Nativité, Résurrection et saints Foligno : église San Nicolò pp 1492
Foligno dit l'Alunno
Castelsardo : Cathédrale Sant'Antonio
410 Maestro di Castelsardo Retable de Castelsardo pp 1492 environ
abate
Francesco Pagano ou Francesco da
411 Trittico dei Sarti Naples : Oratorio di Sant'Omobono pp 1492 environ
Napoli
412 Riccardo Quartararo Saint Michel pesant les âmes New York : collection privée pp 1492 environ
413 Pier Francesco Fiorentino Vierge à l'Enfant et saints San Gimignano : Sant'Agostino pp 1492 environ
Assomption de la Vierge avec saint
414 Luca Signorelli et atelier New York : Metropolitan Museum of Art pp 1493-1496
Michel et saint Bruno
415 Domenico Ghirlandaio Vierge à l’Enfant en gloire et saints Munich : Alte Pinakothek pp 1494
416 Cristoforo Faffeo Saints Aversa : Museo Diocesano pp 1495
Saint Michel et Lucifer se battent Padoue : Museo Civico agli Eremitani, inv.
417 Lazzaro Bastiani pt 1495
pour une âme n° 612

911
418 Andrea Mantegna Vierge de la Victoire et saints Paris: musée du Louvre pt 1495-1496
419 Jacopo da Montagnana Annonciation et archanges Padoue : Palazzo Arcivescovile pp 1496
Lorenzo di Alessandro dit "il Vierge à l'Enfant, Christ de Pitié,
420 Serrapetrona : église saint François pp 1496
Severinate" saints et anges
Vierge à l’Enfant et anges:
421 Pietro Perugino Londres : National Gallery pt 1496-1500
polyptyque de Certosa de Pavie
422 Pier Francesco Fiorentino Vierge à l'Enfant et archanges Montefortino : Pinacoteca Civica pp 1497
Vierge à l'Enfant et saints; Dieu le
423 Marco Palmezzano Faenza : Pinacoteca Comunale pp 1497-1500
Père et chérubins
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
424 Maestro di Castelsardo Tuili : parrocchiale di San Pietro pp 1498-1500
saints
Niccolò di Liberatore ou Niccolo da Vierge à l’Enfant, Annonciation et
425 Bastia Umbra : église de Santa Croce pp 1499
Foligno dit l'Alunno saints
426 Fra Bartolomeo Jugement dernier Florence : Museo di San Marco pm 1499-1500
427 Luca Signorelli Saint Michel archange Orvieto : Duomo pm 1499-1502
428 Anonyme flamino-napolitain Saint Michel, saints et donnateurs Bari : Pinacoteca Provinciale pp fin XVe
429 Fiorenzo di Lorenzo Saint Michel pesant les âmes Bettona : Museo della Città pm fin XVe
Maestro di Olzai, peintre anonyme Jugement dernier, partie du retablo
430 Cagliari : Pinacoteca Nazionale pp fin XVe
sarde di Santa Maria di Sibiola
Anonyme, tradition "fabrianese ", de
431 Crucifixion et saints Domo : San Paterniano, église supérieure pm fin XVe
Fabriano
Vierge à l'Enfant, Christ de Pitié et L'Aquila : Cassa di Risparmio della
432 Maestro dei polittici Crivelleschi pp fin XVe
saints Provincia dell'Aquila
433 Bernardino Butinone (da Treviglio) Déposition et Jugement dernier New-York : collection privée pp fin XVe
434 Antonio da Firenze Saint Michel archange Sesto al Réghena : abbazia pm fin XVe
Anonyme vénitien ou Bastiano
435 Saints Venise : Galleria dell'Accademia pt fin XVe
Lazzaro
436 Luca Baudo Saint Michel pesant les âmes Vicenza : Museo Civico pp fin XVe
437 École bolonaise Vierge à l'Enfant, saints et anges Fano pp XVe
438 Maestro di San Davino Vierge à l'Enfant et saints Florence : collection privée pp XVe
Couronnement de la Vierge et Florence : église San Giovannino dei
439 Neri di Bicci pp XVe
saints cavalieri
Anonyme proche de Simone da Matera : Cristo alla Gravinella, église
440 Vierge à l'Enfant et saints pm XVe
Firenze rupestre

912
441 Anonyme Vierge à l'Enfant et saints Monsano : église Santa Maria degli Aroli pm XVe
Monte San Giovanni in Sabina : grotte San
442 Anonyme Saint Michel archange pm XVe
Michele
443 Anonyme veneto-byzantin Saints Osimo : duomo pp XVe
444 Anonyme Saint Michel archange Palerme : Collection privée pp XVe
Couronnement de la Vierge et
445 Tommaso De vigilia Palerme : Museo Nazionale pp XVe
saints
446 Anonyme Vierge à l'Enfant et saints Parme : San Francesco del Prato pm XVe
Maestro degli Apostoli di Revigliasco
447 Vierge à l'Enfant et saints Pecetto : église de San Sebastiano pm XVe
(?)
448 Anonyme méridionale Saint Michel archange Reggio Calabria : chiesa di San Paolo pp XVe
449 Anonyme Saint Michel archange Subiaco : Sacro Speco pm XVe
450 Bernardo Zenale Saint Michel archange Suisse : collection privée pp 1480-1526
Vierge à l'Enfant, saint Michel et
451 Niccolo Rondinelli Baltimore : The Walters Art Gallery pp 1495-1502
saint Pierre
452 Luca Signorelli Damnés conduis en Enfer Orvieto : Duomo pm 1499-1502
453 Paolo da San Leocadio Saint Michel archange Orihuela : Museo diocesano pp autour de 1500
454 Francesco Bassano il vecchio Saint Michel archange Bassano del Grappa : Duomo pp XVe-XVIe
455 Riccardo Quartararo Saint Michel combattant le démon Inconnue, vendu par Sotheby's pp XVe-XVIe
456 Cristoforo Faffeo Saint Michel archange Naples : Museo diocesano pp XVe-XVIe
457 Riccardo Quartararo Saint Michel archange Palerme : Galleria Nazionale della Sicilia pp XVe-XVIe
458 Lazzaro Bastiani Saint Michel archange Zurich : collection Werner Abegg-Stockar pp XVe-XVIe
Saint Michel et saint Jean
459 Bernardino Luini Collection privée à Milan pp XVe-XVIe
l'Evangéliste
460 Maestro del polittico di Barletta Saint Michel archange Marché milanais pp XVe-XVIe
Pietro di Cristoforo di Pietro Vannucci,
461 Vierge à l'Enfant et saints Bologne : Pinacoteca Nazionale pt 1500
detto il Perugino
462 Perugino Assomption de la Vierge et saints Florence : Galleria dell'Accademia pt 1500
463 Giovanni Canavesio Pala de Pigna Pigna : église Saint Michel pp 1500
464 Vittore Crivelli et collaborateurs Saint Michel pesant les âmes Avignon : Musée du Petit Palais pt vers 1500
Giovanni Antonio Bazzi, dit Sodoma
465 Vierge à l'Enfant et archanges Asciano : Collegiata di Sant’Agata pm Début XVIe
ou Girolamo del Pacchia
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
466 Anonyme proche du Maestro di olzai inconnue pp Début XVIe
saints

913
Les trois archanges et la chute de
467 Marco d'Oggiono Milan : Galleria Brera pp Début XVIe
Satan
468 Benvenuto di Giovanni Le sang du Christ Montalcino : Museo Civico pp Début XVIe
469 Maître de Savoulx Saint Michel archange Oulx : Cappella di San Bernardo a Costans pm Début XVIe
470 Defendente Ferrari Vierge à l'Enfant et saints Sant'Ambrogio : Sacra di San Michele pp Début XVIe
e e
471 Giacomo Pacchiarotti Visitation et saints Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1 décennie XVI
e e
472 Giacomo Pacchiarotti Visitation et saints, prédelle Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1 décennie XVI
Saint Michel (recto) et frère de la
e e
473 Girolamo del Pacchia Miséricorde en adoration devant un Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1 partie XVI
crucifix
e
474 Marco d'Oggiono Saint Michel archange Vérone : Galleria Menaguale pp 1 quart XVIe
Vierge à l'Enfant, saints et
475 Francesco Bissolo Londres : National Gallery pp 1500-1525
donnateurs
476 Luca Signorelli Saint Michel archange Londres : Formely Sotheby's pp 1502
477 Cristoforo Scacco Saint Michel archange Salerne : Museo Diocesano pp 1503-1505
Triptyque de l'Immaculée
478 Defendente Ferrari et autres Sant'Ambrogio : Sacra di San Michele pp 1503-1507
Conception
479 Raphaël Saint Michel terrassant le dragon Paris : Musée du Louvre pp 1504
480 Lattanzio da Rimini Saints Piazza Brembana : chiesa San Martino pp 1505
481 Cima da Conegliano Vierge à l'Enfant et saints Parme : Galleria Nazionale pp 1505 environ
482 Michele Coltellini Vierge à l'Enfant et saints Ferrare : Collezione Santini pp 1506
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
483 Lorenzo Cavaro Sinnai : chiesa di Santa Vittoria pp 1508
saints
484 Gerino Gerini Sainte Conversation Pistoia : Museo Civico pp 1509
485 Tiberio Diotallevi, dit di Assisi Vierge à l'Enfant, Christ et saints Stroncone : Couvent San Francesco pm 1509
Vierge à l’Enfant, sainte Élisabeth,
486 Cesare Sesto Paris : Musée du Louvre pt 1510
saint Jean-Baptiste et saint Michel
Vierge à l'Enfant, saint Michel et
487 Benedetto di Paris da Vernio Prato : Museo dell'Opera del Duomo pp vers 1510
saint Pierre martyr
488 Luca Signorelli Vierge à l'Enfant et saints Cortona : Accademia Etrusca pp 1510-1512
489 Andrea Piccinelli dit "Il Brescianino" Pala di Monteoliveto a Porta Tufi Sienne : Pinacoteca Nazionale pp 1510-1515
490 Altobello Melone Saints Milan : Collezione Saibene pp 1510-1520
491 Defendente Ferrari Saint Michel pesant les âmes Turin : Museo Civico d'Arte Antica pp 1510-1530

914
Vierge à l'Enfant, saints et scènes
492 Defendente Ferrari Turin : Galleria Sabauda pp 1511-1535
de la Passion
493 Luca Signorelli Vierge à l'Enfant, saints et Trinité Florence : Gallerie degli Uffizi pp 1513-1514
494 Pontormo Vierge à l'Enfant et saints Florence : Santissima Annunziata pm autour de 1514
495 Atelier de Luca Signorelli Vierge à l'Enfant et saints Citerna : San Francesco pm 1515-1517
496 Luca Signorelli Déposition et saints Cortona : église de San Niccolò pp 1516
Luca Signorelli et Francesco
497 Vierge à l'Enfant et saints Città di Castello : Pinacoteca Comunale pp 1516-1517
Signorelli
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et
498 Francesco de Tatti (de Varese) Milan : Pinacoteca del Castello Sforzesco pp 1517
saints, polyptyque di Bosto
Saint Michel avec San bovo, saints Mantoue : église paroissiale de Santa
499 Gian Francesco Caroto pt ante quem 1519
Cosme et Damien Maria della Carità
Anonyme - école de Francesco da
500 Vierge à l'Enfant, saints et anges L'Aquila : Santa Maria di Collemaggio pm autour de 1520
Montereale
Noli me tangere avec saint Michel et
501 Timoteo Viti da Urbino Cagli : Sant' Angelo Minore, autel pp 1518
saint Antoine
502 Lo Spagna Saint Michel pesant les âmes Gavelli : église San Michele Arcangelo pm 1518
503 Lo Spagna Miracle du Mont Gargan Gavelli : église San Michele Arcangelo pm 1518
Vierge à l'Enfant, Crucifixion et Villamar : parrocchiale di San Giovanni
504 Pietro Cavaro pp 1518
saints Battista
505 Raphaël Saint Michel combattant le démon Paris : Musée du Louvre pt 1518 fin

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