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La politique étrangère
des Pères fondateurs de la nation haïtienne
Weibert Wien ARTHUS
La géopolitique date, par sa pratique, de la naissance des nations à tra- colonie espagnole de Cuba a
vers le monde. Les pères fondateurs d’Haïti, ont fait leurs premières maintenu le système esclavagiste
jusqu'en 1886. Pour sa part, le géant
armes sur l’échiquier politique international avec leurs idéaux, des inté-
sud-américain, le Brésil, a mis fin à
rêts politiques et économiques cherchant reconnaissance, appartenance l'esclavage en 1888. Et les aboli-
et solidarité. Cet article donne à voir l’évolution et la complexité des tions n'ont pas produit l'émanci-
relations et enjeux internationaux et laisse songeur sur la politique pation des noirs ni la fin du système
étrangère actuelle. De la mise à l’écart au protectorat, il y aurait-il un colonial. Aux États-Unis, l'interdic-
tion de l'esclavage consacrée dans
lien entre ces deux situations peu enviables ?
le 13ème amendement a été suivie
par une ségrégation raciale durant
plus d'un siècle. La plupart des
voisins caribéens d'Haïti ont été des
colonies jusque dans les années
1960. L'anomalie qu'a constituée la
création de l'État haïtien adonc duré
plus d'un siècle.
Du fait même de sa création par des
anciens esclaves et de l'idéal qu'el-
le a projeté dans les imaginaires
notamment au début du 19ème siècle,
la première république noire a été
considérée comme une menace
pour les négriers et les racistes ; un
'mauvais exemple' pour le système
politico-économique international
établi sur la colonisation et l'escla-
1/10/1918 : Abolition par les Étasuniens de la corvée, système très impopulaire qui exigeait
annuellement aux paysans 6 jours de travail forcé pour construire des routes et d'autres vage. Haïti a montré que l'esclava-
infrastructures publiques. ge n'était pas une normalité et que
les noirs pouvaient disposer d'eux-
mêmes. Le défi haïtien, multiforme,
aïti a pris naissance le 1er jan-
H vier 1804 après une longue et
épuisante guerre contre le système
de l'historien afro-américain
Rayford W. Logan. Dans les
colonies françaises de la région,
dont un pan a consisté sur le plan
interne en la construction d'un État
esclavagiste et colonial de la l'esclavage a perduré jusqu'en 1848. postcolonial antiesclavagiste, a été,
France. Évoluant dans un système L'indépendance des États-Unis dans le contexte international,
esclavagiste pendant des décennies, d'Amérique de la Grande Bretagne l'épanouissement de cet archétype
cet État a été a été mis en en 1776, a été le fruit d'une révo- antisystème. Les premiers diri-
quarantaine parce que son indé- lution plus politique que sociale et geants haïtiens ont vite compris que
pendance a été considérée comme économique. Aussi l'esclavage dans l'existence d'Haïti ne dépendait pas
une « une anomalie, une menace et ce pays a-t-il été laissé intact uniquement des prouesses de ses
un défi », pour reprendre la trilogie pendant plusieurs décennies. La
Monde et Société 93
Nonobstant, pour une meilleure
compréhension de la politique de la
jeune nation au cours de cette
période il s'avère impérieux d'ap-
préhender les conceptions et actions
de ceux qui y ont rempli des fonc-
tions exécutives. De 1804 –déjà
depuis la fin des années 1790– à
1825 et jusqu'en 1838, des actions
notables ont été entreprises dans le
sens de la construction et le renfor-
cement d'un territoire souverain, un
État, avec ses formes de gouver-
nement, ses institutions, ses lois et
ses politiques. Cette étude porte
donc sur les politiques des hommes
17/10/1918 : À Hinche, Charlemagne Péralte à la tête d'une centaine de Cacos attaque la d'État qui ont conduit aux destinées
Gendarmerie initiant une nouvelle révolte. 35 Cacos et 2 gendarmes sont tués, après quoi, les
Cacos battent la retraite. du pays au cours de la période
fondatrice. Il s'agit de Toussaint
Louverture, Jean-Jacques Dessali-
guerriers mais aussi de ses rapports système établi. De 1791 à 1803, du nes, Henry Christophe, Alexandre
avec les autres nations et de sa marronnage à la guerre ouverte Pétion et Jean-Pierre Boyer. Ces
place dans le monde. Comment, de contre l'armée napoléonienne, des hommes d'État ont évolué dans des
ce fait, les pères fondateurs ont-ils milliers d'hommes et de femmes ont contextes différents : certains
agencé l'insertion d'Haïti dans le cimenté de leur vie la fondation de d'entre eux ont été des collabo-
système international ? Qu'est-ce la nation haïtienne. Le général en rateurs immédiats ; d'autres des
qui a caractérisé la politique étran- chef, les généraux de division, les ennemis acharnés. Cependant, ils
gère d'Haïti au cours de la période généraux de brigade, les adjudants ont tous partagé les idéaux de
fondatrice ? généraux, les chefs de brigade et les liberté et d'autodétermination ; deux
officiers de l'armée révolutionnaire notions qui, en relations inter-
Nous considérons à la suite de
qui ont signé l'Acte de l'Indépen- nationales, renvoient aux droits des
Leslie Manigat que la période de la
dance d'Haïti ne peuvent être consi- peuples à disposer d'eux-mêmes. Il
fondation de la nation haïtienne
dérés comme les seuls fondateurs est important de noter qu'au cours
s'étend sur cinquante ans, soit à
de cette patrie. L'histoire retient de la période fondatrice, Haïti a
partir des premières révoltes dans la
toujours les noms des guerriers défini sa politique extérieure avant
colonie française de Saint-
illustres. Cependant, s'agissant de la même d'avoir une politique inté-
Domingue à la signature du traité
révolution haïtienne, pour citer le rieure. Les pères fondateurs ont eu
de 1838 révisant l'indemnité fixée
récent ouvrage de Jean-Pierre le une posture par rapport au monde
par l'ordonnance de 1825 pour la
Glaunac2, les anciens esclaves sans avant même de déterminer quel
reconnaissance de l'indépendance
grades, sans noms ni héritages ont type de nation ils voulaient cons-
d'Haïti par la France1. 1791 est
joué un trop grand rôle dans les dif- truire et quel système de gouver-
généralement admis comme point
férentes batailles pour l'indépen- nement serait l'idéal3.
de départ de la lutte réelle et
dance pour être occultés.
étendue contre le système esclava-
giste à Saint-Domingue ; les mou-
vements des planteurs blancs et des 1. La liberté n'est pas négociable
affranchis pour l'égalité entre eux et Le défi haïtien, multifor-
En août 1793, Toussaint Louverture
avec les métropolitains étant unani- me, a été, dans le contex-
s'est formellement introduit comme
mement considérés comme des te international, l'épanouisse-
un personnage central dans la lutte
révoltes dont les objectifs n'ont pas ment d'un archétype antisys-
contre le système esclavagiste. Son
été de remettre en question le tème
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La Constitution de 1801,
la première de l'Améri-
que latine, clarifiait les notions
de liberté et d'égalité issues des
idéaux de la révolution fran-
çaise
Monde et Société 97
l'objectif de consolider l'indépen-
dance nouvellement acquise,
avaient entrepris des démarches
auprès des autorités haïtiennes de
manière à être autorisées à arborer
dans leur commune le pavillon de la
République d'Haïti. L'idée la plus
répandue dans l'historiographie
dominicaine est que dans l'esprit
des dirigeants dominicains de
l'époque, arborer le pavillon haïtien
revenait à se mettre sous la
protection haïtienne, à avoir son
assistance militaire au cas où il
aurait fallu se battre à nouveau
contre l'Espagne, mais non d'être
sous la tutelle haïtienne10.
Le 9 février 1822, Jean-Pierre Bo-
yer s'est rendu à Saint-Domingue et
31/3/1919 ː Déploiement à Port-au-Prince de l'escadron E (6 hydravions Curtiss HS-2 et 6 JN-4 a scellé la réunification de l'île. Il a
Jennies) pour renforcer la 1ère Brigade de Marines. été reçu à la Porte du Comte par les
autorités dominicaines et les clés de
la ville lui ont été remises par José
Au mois de mars, il s'apprêtant à France qui déjà en 1815 ne recon- Nuñez de Cáceres, chef de la mu-
entrer à Santo Domingo, il décida naissait pas l'indépendance d'Haïti, nicipalité de Santo Domingo. Au
de rebrousser chemin quand, en avait, en application du traité de cours de la cérémonie, Boyer a
plus du débarquement d'une esca- Paris, perdu les territoires acquis promis aux Dominicains que son
dre française à Santo Domingo, des après 1790. Cela a facilité une gouvernement mettrait tout en
rumeurs faisaient état de la présence reprise par l'Espagne de la partie œuvre pour « garantir leur sureté et
française dans les eaux haïtiennes. orientale de l'île qui, en conséquen- leur tranquillité ». Mais ces promes-
Il est presque certain que Dessalines ce de la capitulation des troupes de ses n'ont pas été entièrement res-
aurait personnellement repris ce Rochambeau en 1803, avait de fait pectées durant les 22 ans d'unifica-
projet s'il n'avait pas rendu l'âme au intégré le nouvel État d'Haïti. tion de l'île. En 1844, profitant de
Pont-Rouge, le 17 octobre 1806, Cependant, après la mort de Des- l'instabilité politique qui a suivi la
âgé seulement de 48 ans. salines, Alexandre Pétion et Henry chute de Jean-Pierre Boyer, les
Christophe, déchirés par les luttes Dominicains ont proclamé leur
Seize ans après la tentative de Des-
internes ont établi deux États dif- indépendance d'Haïti. Les diri-
salines, la démarche d'unification
férents au Nord et à l'Ouest d'Haïti geants haïtiens qui ont succédé à
est venue de l'autre partie de l'île.
et abandonné la partie orientale. Boyer ont tenté vainement de
En réalité, le terme « invasion »
Dans une correspondance datant du reprendre le contrôle de Santo
utilisé pour évoquer la (ré) unifi-
19 janvier 1822au président Jean- Domingo de manière à s'assurer que
cation de l'île d'Ayti, est abusif. Les
Pierre Boyer, Cáceres a affirmé que des troupes étrangères n'utilise-
notes d'archives montrent que les
la municipalité de Santo Domingo raient pas ce territoire pour mettre
Dominicains ont été à l'origine de la
et les militaires, réunis en assem- en danger l'indépendance d'Haïti.
demande d'unification de l'île sous
blée la veille, « convinrent tous Fabre Nicolas Geffrard, en 1861,
autorité haïtienne. En effet, le 30
unanimement de se ranger sous les s'est insurgé contre la déclaration
novembre 1821, une junte diri-gée
lois de la République d'Haïti et d'en du président dominicain, le général
par José Nuñez de Cáceres a
arborer le pavillon en cette ville ». Pedro Santana, annonçant le retour
déclaré Saint-Domingue indépen-
Bien avant cette demande, plusieurs de la République dominicaine sous
dante de l'Espagne. En fait, la
municipalités dominicaines, dans la tutelle espagnole. Haïti a servi de
4/4/1919 ː À Hinche, une patrouille de 55 Marines met en déroute 500 Cacos sans une seule
Le triptyque liberté, perte.
citoyenneté et propriété
a renforcé le caractère inter-
nationaliste de la révolution Américains à fuir l'esclavage et la sang, nés dans les colonies ou en
haïtienne ségrégation aux États-Unis pour pays étrangers, qui viendraient
s'établir en Haïti pendant le 19ème résider dans la République seront
siècle. reconnus Haïtiens », c'est-à-dire
Sur le plan de la politique intérieu- libres et citoyens12.
Ce triptyque liberté, citoyenneté et
re, la période postindépendance a propriété a renforcé le caractère
servi à édifier des forteresses dans internationaliste de la révolution Pour la région latino-
le but de sécuriser Haïti contre une haïtienne. Les nouvelles recherches américaine et caribéenne
éventuelle attaque des forces colo- montrent qu'un nombre considéra- comme partout ailleurs, les
niales. Une politique exclusiviste a ble d'esclaves a fui les colonies pères fondateurs ont fourni
été systématiquement mise en voisines pour être libres en Haïti. leur support aux luttes pour la
place, interdisant aux étrangers de Le cas le mieux documenté, parce liberté et l'indépendance
posséder des terres dans le pays de qu'il a été l'objet de disputes inter-
manière à écarter toute possibilité nationales, est celui des esclaves de
de conflits internationaux. Parallè- la colonie britannique de Jamaïque. Les pères fondateurs n'ont pas
lement, et de manière paradoxale, la En janvier 1817dans l'ile de la mesuré leur support aux luttes pour
République d'Haïti a été une terre Jamaïque, sept esclaves en quête de la liberté et l'indépendance dans la
de refuge pour ceux qui fuyaient liberté, ont saisi un bateau à bord région latino-américaine et cari-
l'oppression, peu importe la couleur duquel ils servaient et l'ont conduit béenne comme partout ailleurs dans
de leur peau. Les Polonais et les vers Haïti où ils ont trouvé la pro- le monde. Le gouvernement haïtien
Allemands, qui avaient abandonné tection légale et tous les privilèges a fait un don de 25 000 livres de
l'expédition Leclerc pour épouser la garantis par la Constitution haïtien- café et ainsi que des dizaines de
cause de la liberté, ont eu le privilè- ne. Le président Alexandre Pétion soldats pour prendre part à la guerre
ge d'obtenir des propriétés ainsi que n'a pas cédé aux pressions des de l'indépendance de la Grèce. Haïti
la nationalité haïtienne avec tous les 'propriétaires' d'esclaves et des est le premier pays à reconnaître la
droits y afférant. Ce même privilège autorités britanniques pour que les Grèce indépendante, le 15 janvier
a été octroyé aux Africains et aux sept soient rendus à leur 'maitre' à la 1822. Par ailleurs, la jeune
Amérindiens qui, en foulant le sol Jamaïque, évoquant notamment république noire a été une étape
haïtien, devenaient libres, citoyens l'article 44 de la constitution de substantielle dans l'Expédition du
et propriétaires. Ces garanties, entre 1816 qui stipule que« Tout Afri- Léandre lancée par Francisco de
autres, ont encouragé les Afro- cain, Indien et ceux issus de leur Miranda entre fin 1805 et début
Monde et Société 99
nous devons partir d'ici pour notre
terre avec une expédition de
quatorze bateaux de guerre, 2 000
hommes, des armes et munitions
suffisantes pour faire la guerre
pendant dix ans ». Au nombre de
ces bateaux se trouvait le « Wilber-
force », puissant vaisseau de guerre
haïtien, équipé de vingt canons, que
Pétion a mis à la disposition du
Libertador14.
Bolivar a remporté des succès mili-
taires significatifs durant les mois
de mai et de juin 1816. Cependant
en juillet 1816, il a été mis en
déroute à Ocumare de la Costa.
Indexé par certains de ses généraux,
eux-mêmes victorieux sur d'autres
fronts, d'être responsable de la deu-
15/6/1919 ː Des soldats étasuniens envahissent une seconde fois le nord du territoire mexicain xième déroute de l'entreprise indé-
sous le prétexte de « poursuivre le bandit Pancho Villa ». S'en suivront cinq autres incursions. pendantiste, le Libertador a de
nouveau trouvé asile en Haïti, de
1806. Parti de New York pour le Parmi les plus illustres, on retrouve septembre à décembre 1816. Dans
Venezuela avec deux-cents hommes le révolutionnaire argentin Manuel ses lettres, Bolivar a décrit Haïti
à bord et équipé d'armes, de muni- Dorrego qui, pendant son séjour en comme « l'asile de tous les républi-
tions et d'une imprimerie, le Léan- Haïti, a rencontré des survivants de cains ». Le 16 novembre 1816, il a
dre (nom du vaisseau-amiral de l'armée rebelle et s'est imprégné des écrit à ses officiers : « j'emporte
Miranda) a fait escale en Haïti en idéaux et stratégies des pères avec moi vers la patrie de nouvelles
vue d'obtenir des appuis supplé- fondateurs dans leur lutte pour l'in- ressources en hommes, en armes, en
mentaires. Arrivé à Jacmel en fé- dépendance. Lorsque l'Argentine munitions et en bateaux ». Le 18
vrier 1806, le précurseur de l'indé- s'est libérée de la colonisation décembre 1816, la deuxième expé-
pendance sud-américaine a été espagnole, Haïti a été le premier dition dite expédition de Jacmel a
accueilli avec bienveillance par les pays à reconnaître son indépendan- mis le cap pour l'Amérique du Sud.
autorités locales. Durant son séjour ce. Francisco Javier Mina et Pedro Avec les aides reçues d'Haïti, Boli-
en Haïti, Miranda a été reçu en Labatot ont obtenu des aides de var a pu mener ses luttes décisives
audience par l'empereur Jacques Ier Pétion pour des expéditions respec- pour l'indépendance du Venezuela,
qui lui a procuré, en plus des con- tivement en direction du Mexique et de la Colombie, du Pérou, de la
seils militaires, une importante aide de la Nouvelle Grenada. C'est en Bolivie et de l'Équateur respective-
matérielle en hommes, armes et Haïti que Javier Mina a rencontré ment15.
munitions. Le drapeau aux trois celui qui est devenu le Libertador. Haïti a donc une part considérable
bandes horizontales (jaune, bleu et Simon Bolivar a effectué son pre- dans la lutte pour la liberté en Amé-
rouge) de la Grande Colombie a été mier voyage en Haïti, du 24 décem- rique latine, y compris en Républi-
créé en Haïti, le 12 mars 1806, par bre 1815 au 31 mars 1816. Dans que dominicaine. Beaucoup de lea-
Francisco de Miranda13. une lettre qu'il a écrite aux Cayes, le ders latino-américains ont mis leur
27 mars 1816, quelques jours avant famille en sureté en Haïti au mo-
Dans le courant des années 1810,
le départ de sa première expédition ment de lutter pour la liberté dans
beaucoup de leaders indépendan-
dite l'expédition des Cayes, Bolivar leur pays. Des historiens avancent
tistes de la région se sont retrouvés
a indiqué à son ami le colonel que plus de 600 familles d'indépen-
en Haïti en quête de support pour
Leandro Palacios : « après-demain, dantistes de Carthagène et Caracas
leur lutte contre le système colonial.
Notes
1
Manigat date la période fondatrice plus 14/1/1920 : 300 Cacos, avec à leur tête Benoît Batraville, attaquent Port-au-Prince. Les Marines
précisément de 1789 à 1838 dans Leslie F. réagissent rapidement, et sortent victorieux du combat qui s'ensuit. Plus de 60 Cacos sont tués, et
Manigat, Éventail d'Histoire vivante le reste prend la fuite.
d'Haïti, tome 1, Port-au-Prince, 2001.
Cependant, plusieurs historiens dont les
auteurs de deux ouvrages que nous utilisons
1798), Madrid, 1953. caine. Une île pour deux (1804-1916),
dans ce texte considèrent en toute logique 6
Le projet national de Toussaint Louver- Paris, 2003.
l'année 1804 comme le début de la période 12
fondatrice, Michel Hector et Laënnec Hur- ture et la Constitution de 1801, Port-au- FERRER, Ada. “Haiti, Free Soil and Anti-
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21
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Alexandre Pétion, en deux médaillons dis- l'État : Joseph Balthazar Inginac » dans
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22
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Venezuela », Revue Outre-mers, Vol. 90, Pourchet, L'expérience haïtienne de la dette
Construction démocratique
et refondation nationale en Haïti1
Gérard PIERRE-CHARLES
Dans chaque période historique et dans chaque contexte ethno- De sorte qu'on ne peut dresser le
sociologique, le combat permanent de l’humanité pour la survie, la profil de l'Amérique sur la carte de
l'histoire du monde sans tenir
liberté et la justice, prend des caractéristiques nouvelles et des traits
compte de cette matrice caribéenne
spécifiques dans son contenu et sa forme. Cette vérité a son illustration qu'est Haïti. La rébellion, l'indépen-
en Amérique latine et dans la Caraïbe, dans la richesse et l’étonnante dance et la dissidence historique
diversité de ses scénarios politiques et idéologiques qui constituent la dans ce pays ont inspiré le concept
contribution de la région au monde contemporain. Cette variété même et les premières pratiques de
solidarité continentale au seuil du
inspirée par les modalités les plus diverses de l’action sociale, est à la
19ème siècle lorsque Toussaint
mesure de l’inventivité des peuples, des besoins de la vie matérielle et Louverture, Dessalines et Pétion
des phénomènes de conscience selon le vécu des communautés. imbus de la dimension interna-
tionale de la révolution haïtienne,
décidèrent de contribuer à l'indé-
pendance de la Caraïbe et de
l'Amérique continentale.
La démocratie a acquis
une importance croissan-
te dans cette dynamique socia-
le, avec des principes recteurs
et des traits particuliers dans
chacun de nos pays
Institutionnalisation et défense
des principes démocratiques
La liberté conquise en Haïti a créé
de nouvelles règles et un niveau de
consentement illimité pour les
droits civiques et politiques de
l'ensemble de la population. Elle a
introduit la notion d'éthique dans la
10/4/1922 : Joseph Louis Borno est élu président. Il rentrera en office le 12 mai, remplaçant
politique, favorisée par la lutte
Sudre Dartiguenave. contre la corruption et le trafic. Elle
a aidé à créer de nouvelles
institutions –comme la police–, et a
lation la conscience du besoin de Progressivement la conscience s'est introduit des mesures de redres-
lutter pour la promotion du déve- généralisée sur le besoin de mettre à sement et réformes entre autres.
loppement humain, dans le but de disposition d'une population de plus Elle a contribué aussi à questionner
mettre à disposition des Haïtiens de sept millions d'habitants –la de manière constante les insuf-
des services de santé, éducation et plupart vivant en dehors des fisances et perversions du système
logement. Il a contribué à libérer conquêtes du 20ème siècle– des en particulier en ce qui concerne
des chaines un effort collectif dans conditions matérielles et spirituelles l'impunité.
le cadre de cette œuvre civilisatrice leur garantissant une vie digne et
qui cherche à fournir l'éducation qui, ajoutées à la personnalité De même, elle a ouvert la voie à la
fondamentale et la formation tech- individuelle et ethnoculturelle, leur réforme judiciaire exigée par la
nique; à propager les valeurs de permettent de s'intégrer dans l'ordre population. Ces progrès atteignent
tolérance et de dignité humaines et de la mondialisation à la veille du l'administration de la justice et la
à promouvoir la culture nationale troisième millénaire. mise en œuvre d'un nouvel ordon-
populaire valorisant les richesses de nancement juridique pour la
L'étape historique qui mène à cette construction démocratique.
notre communauté trop souvent
rénovation du système politique et
inconnues et mises de côté à cause
social part de la volonté d'une
de nos misères matérielles.
communauté qui aspire au dévelop-
Après un régime de
pement économique. Elle corres-
terreur de longue durée,
pond aussi à la recherche du bien-
Le processus de chan- il n'est pas facile de parvenir à
être des hommes, des femmes, des
gement a créé dans la une gestion correcte d'un
enfants de cette communauté aussi
population la conscience du espace de liberté aussi bien
bien que des formes d'organisation
besoin de lutter pour la pro- considérable que peu courant
sociale qui garantissent la participa-
motion du développement tion populaire, l'égalité et la justice.
humain L'agenda de cette entreprise de
Le renforcement de l'État de droit et
rénovation supporte sans doute le
le processus d'institutionnalisation
bouleversement dans les pratiques
Michel-Rolph TROUILLOT
L'Occupation américaine
détruisit les maigres gar-
de fous du système et renforça
la centralisation fiscale, mar-
chande et militaire
L'Occupation accéléra la
centralisation économi-
que aussi bien que la centrali-
sation politique et militaire
La centralisation économique se
19/4/1925 ː Des troupes étasuniennes débarquent dans le port hondurien de la Ceiba pour « proté- doublait d'une centralisation admi-
ger les étrangers » durant le conflit causé par le rejet général de la continuité du gouvernement de nistrative et militaire, et même avec
Miguel Paz Barahona, qui avait gagné les récentes élections avec l'appui des États-Unis.
le recul du temps, il n'est pas facile
de déterminer lequel de ces
Dans les dernières années de l'Oc- nements du vingtième, des processus cause le plus de tort. Ce
cupation, les impôts de douane méthodes de plus en plus efficaces n'est pas sans raison que des
représentaient 80 à 83% des recettes d'extraction. observateurs aussi éloignés que
totales de l'État (De la rue et al. James Leyburn et Paul Moral
L'Occupation renforça donc les
1930-1933), augmentant le fardeau situent tous deux la nouvelle
problèmes économiques les plus
déjà lourd des petites gens. Les balance militaire parmi les
importants : la dépendance et l'ex-
impôts à l'importation augmentèrent conséquences les plus importantes
traction d'un surplus massif de la
pendant l'Occupation, passant de de l'Occupation.
paysannerie par les non-produc-
23% de la valeur des marchandises
teurs. Mais ce n'était pas tout.
en 1916-1917 à 46 % de leur valeur
L'Occupation accéléra la centra-
en 1932-1933. Pendant la même Une Armée pour combattre le
lisation économique en culbutant
période, les impôts à l'exportation peuple
les pyramides provinciales. Elle
passaient de 19% de la valeur des
accéléra la centralisation politique Le prétexte officiel de l'Occupation
marchandises à 28 % de leur valeur.
et militaire en systématisant l'arbi- était l'établissement de la démocra-
Autrement dit, les impôts de
traire et en faisant de la seconde tie et des libertés civiles qu'elle
l'Occupation grevaient encore plus
armée d'Haïti, l'instrument idéal de impliquait. Ironie des ironies,
la paysannerie et les petites gens
la violence d'État exercée contre la l'Occupation renforça au fait la
que les impôts du dix-neuvième
nation. conviction de l'oligarchie politique
siècle. Cette paysannerie qu'on
que le pouvoir était au bout du fusil;
avait forcée à subventionner l'État L'Occupation Américaine marqua
sauf que, dans ce cas-la, le fusil se
pendant tout le dix-neuvième siècle, le commencement de la fin pour les
trouvait dans des mains étrangères.
était maintenant au pressoir des pyramides régionales1. Dans l'an-
Toutes les pratiques absolutistes
termes d'échange encore plus née fiscale 1932-1933, Port-au-
pour lesquelles les généraux haïtien
injustes imposés par l'Occupant. Prince fournit 47% des reçus de
savaient été critiqués –et à juste
L'Occupant imposa de force des douanes (69% des importations et
titre– furent à nouveau légitimées
augmentations de prix sur des 23% des exportations). Cette cen-
par le militarisme américain. La
articles aussi communs que le sel tralisation contribua à l'homogénéi-
liste est longue et imposante. Elle
ou les allumettes, vivifiant des sation des marchands et des politi-
inclut, entre autres, l'imposition de
pratiques qui avaient alimenté la ciens à la capitale, au renforcement
la loi martiale (3 septembre 1915),
corruption du dix neuvième siècle, de leur puissance, et à la croissance
la conduite de procès civils par des
et indiquant aux futurs gouver- des groupes de parasites urbains qui