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Le mythe du sang (1/3) — Le sang, encre de la mort

Bonjour à toutes et à tous, je suis nouvelle sur ces pages et je souhaiterais


me présenter en quelques lignes. Je suis littéraire de formation et de cœur,
sans préférence particulière pour une époque ou un genre, même si je fus
médiéviste voici quelques années ; je ne cesse d’être touchée par la merveille
humaine et par la vie qui bat dans chaque œuvre, cette vie que l’art nous
donne à voir. J’ai également travaillé comme correspondante de presse, ce
fut une belle expérience que de tendre la plume à la mémoire des autres. Je
crois être passionnée par beaucoup de choses, par l’histoire des femmes et
des hommes, les paysages qui sont des ailleurs, les symboles, le dessin, les
arts graphiques, la photographie, la musique, du chant lyrique au rock,
j’aime les reflets de l’océan et le flot des étoiles… Et je suis vivement
intéressée par les possibilités informatiques, je dois d’ailleurs à cet intérêt la
découverte de ces lieux ; ici, j’ai lu des commentaires de personnes
chaleureuses et je vous remercie de vos textes toujours vivants. J’espère que
ce que j’écrirai sera tout aussi vivant, je souhaite un échange entre mes mots
et les vôtres, rien ne me touchera davantage que vos lumières.

Pour mon premier article, j’ai choisi de parler du sang, de son histoire et de
sa symbolique, de ce qu’il convient d’appeler le mythe du sang ; c’est un
sujet très large et je n’aurai donc pas la prétention d’être exhaustive,
articulant essentiellement mon intervention autour de la littérature et de l’art.
Cet article sera divisé en trois parties, vous trouverez la première sous ces
lignes et les deux autres seront publiées d’ici quelque temps ;
la deuxième traitera du sang méconnu et souvent malmené des femmes, de
la souillure, de la virginité, du sommeil et du désir, quant à la troisième, elle
tentera de s’approcher des vampires et du Graal, de sonder les nombreux
fantasmes liés au sang et de ressentir sa transcendance. Vous remarquerez
plusieurs références religieuses dans cette tentative d’essai, je me permets
de préciser que ce sont là des données culturelles, le mythe du sang étant lié
au sentiment religieux, et non une prise de position quelle qu’elle soit, mes
propos se voulant avant tout informatifs et évidemment respectueux de tous.
Après ce préambule, commençons…

 
Le sang… Combien de formules littéraires, combien d’images échappées de
la mémoire, liées à une sensation ou à une histoire et unies au sang ?
Combien de fois évoquons-nous ce liquide qui nous donne vie pour parler de
lien social ou de violence entre les hommes ? Assurément souvent. C’est
ainsi, le sang nous constitue et il est partout, inondant les journaux télévisés
ou mis en valeur sur des affiches qui nous invitent à donner le nôtre ; car le
sang se répand comme la mort, mais il se donne comme la vie, il porte en lui
cette dualité, toute sa symbolique, tout ce qui construit son mythe dans
l’histoire des hommes étant en effet lié à cette double appartenance. Le sang
est à la fois la vie et la mort, le bien et le mal, la pureté et la souillure, le
sacrement et le crime, il réunit dans une union étrange tous les contraires. Il
fascine inexorablement, terriblement même, le goût de la mort et du sang
versé n’étant hélas plus à démontrer, et pourtant on continue de le redouter,
certains ne s’évanouissent-ils pas à sa vue ? Le sang est comme la couleur
rouge, ambivalent : rouge clair, il est la vie, la force, le jour, l’action, la
libération, rouge sombre, il prend le visage de la mort, du mystère, de la
nuit, de la passion et de l’oppression.

Intéressons-nous tout d’abord au sang à ce point lié à la mort qu’il en


devient son encre ; dans l’histoire de l’humanité et au cœur même de son
expression artistique, le sang est là depuis toujours, on le verse, on le loue,
on le venge, des fleuves de sang coulent depuis des siècles sans qu’aucune
raison ne soit plus forte qu’eux, et l’art navigue sur ces fleuves rouges qui lui
servent, bien souvent, d’encre providentielle. On sait ainsi que certaines
peintures rupestres furent réalisées avec du sang animal mêlé à des
matériaux, on sait aussi combien les bains de sang purent être un spectacle
prisé, pensons aux jeux romains.

Le sang est visuel, celui qui perd son sang donne à voir une image concrète
du passage de la vie à la mort, le sang servant à la fois d’illustration et de
preuve à la fin de l’existence ; en cela, il est tragique, il s’accorde au destin, il
est un coup de théâtre. L’épopée médiévale regorge de pages qui mettent en
scène un héros perdant son sang au fil des mots, il en est de même pour la
tragédie qui préfère bien souvent la voie du glaive à celle du poison, c’est là
une voie plus sanglante, plus fatale, plus noble peut-être, « quels ruisseaux
de sang coulent autour de moi » fera dire Jean Racine à Oreste
dans Andromaque. William Shakespeare écrit quant à lui dans Macbeth que
« le sang attire le sang » ; de fait, le sang versé promet le sang des
lendemains funestes, il annonce la rage, la guerre, la vengeance et
finalement la mort, autant de réactions humaines fort prisées par la tragédie.
Dans Henry V, Shakespeare fait de ce sang versé au nom d’une cause le
garant d’un lien indéfectible ; le roi Henry déclare ainsi, au cœur d’une
terrible bataille, que « celui qui aujourd’hui versera son sang avec (lui) sera
(s)on frère ; si vile que soit sa condition, ce jour l’anoblira ». Les sangs versés
au combat se rejoignent alors, le sang du roturier est de la même eau que
celui du roi, c’est là le sang glorieux des frères d’armes qui ont payé le prix
du sang.

Le sang tragique est un sang-fleuve, un sang qui coule comme la destinée


des hommes. Toutefois, quand la mort fait cesser cet épanchement, le destin
est scellé ; dès lors, le sang se fige, et l’art est tout aussi attiré par cette
suspension de la vie qu’il ne l’est par son flot. Dans la musique baroque, les
éléments, et bien souvent les éléments liquides, furent mis à l’honneur, on
peut penser aux nombreuses larmes devenues lamentations ou encore aux
irrésistibles tempêtes et averses de croches. Antonio Vivaldi, dans son
opéra Farnace, reprend le thème de son premier mouvement du concerto
pour violon L’hiver, extrait des Quatre Saisons, pour accompagner la
souffrance d’un père qui tient son fils mort, et exsangue, dans ses bras (voir
la note 1) ; Vivaldi pose alors les mots et le souffle du chanteur sur un air qui
illustre viscéralement la perte du sang, la musique devient exsangue comme
l’est l’enfant décédé. Voici la traduction de cet air « Gelido in ogni vena » :

« Je sens couler dans mes veines

un sang gelé,

l’ombre de mon fils exsangue

me remplit de terreur. »

Le sang est gelé, il cesse de couler, il s’épuise, et la musique met ce sang en


mouvement jusqu’au dernier souffle du chanteur, la technique rejoignant ici
pleinement l’émotion recherchée. Je n’ai pas choisi ce passage au hasard, il
m’intéresse car il parle de filiation ; or, nous l’avons vu avec Shakespeare, le
sang unit sur le champ de bataille des hommes qui ne se connaissent pas,
mais il est aussi le lien que nous partageons avec ceux à qui nous donnons la
vie, notre progéniture, le sang de notre sang. Pensons comme ce sang
transmis est au cœur de l’actualité : la généalogie est à la mode, il s’agit de
renouer les liens du sang, on fait aussi appel au sang quand on débat du
droit à la nationalité, droit du sol ou droit du sang, ou encore quand il s’agit
de parler de la filiation des personnes homosexuelles ; le sang est ainsi pris à
partie pour justifier d’une certaine idée de la nature, de l’identité et de
l’hérédité. Et d’hérédité il est également question avec Émile Zola qui a
imaginé une partie de son œuvre autour d’elle ; ses écrits reposent en effet
sur les liens du sang unissant une famille, des liens porteurs de certaines
tares et du déterminisme social si important pour l’écrivain. Le sang transmis
recele donc en lui un mal probable.

Cette conception du sang liée à la maladie et à une forme de menace s’est


développée ces dernières années avec les écrivains souffrant du sida ; leur
sang potentiellement dangereux, la peur souvent fantasmée, la permanence
du risque ainsi que l’isolement des malades ont donné naissance à une
littérature qui a changé ce sang en encre. Hervé Guibert a ainsi mis sa
maladie en pages, il a imprégné ses romans autobiographiques d’une encre
trempée dans son sang en souffrance : « Il me fallait vivre, désormais, avec
ce sang dénudé et exposé, comme le corps dévêtu qui doit traverser le
cauchemar ».

Le sang est une encre de prédilection pour les écrivains et les artistes, il est
puissant comme la vie tout en étant la signature de la mort. Il est aussi un
lien solide entre les hommes ; en effet, quelle que soit la couleur de peau, le
sang est toujours rouge et porte ainsi en lui une idée de fraternité
universelle ; le sang des hommes les définit, il est leur nature et le garant de
leur santé.

Nous l’avons vu, le sang est bien souvent lié à la tragédie ; mais il peut
également devenir un ressort comique, comment ne pas se souvenir en effet
de l’ironie de Molière à l’égard des médecins et de leurs si fréquentes
saignées ? Ces fameuses saignées, héritées d’un Moyen Âge qui faisait sortir
du corps les mauvaises humeurs en même temps que le mauvais sang, furent
pour Molière prétexte à se moquer d’une médecine parfois dépassée.

Le sang est le véhicule du mal, les saignées ne disaient rien d’autre, il est un
révélateur, un témoin privilégié de ce qui nous constitue et nous définit, c’est
une encre rare ; et c’est comme encre qu’il fut utilisé pour conclure des
alliances, bien des textes sacrés l'attestent, nous pouvons penser aux pactes
de sang. Évidemment, ces pactes furent porteurs d’un grand potentiel
artistique et littéraire, signer un texte de son sang étant d’une portée
symbolique manifeste ; le mythe de Faust, un humain qui signe de son sang
un pacte avec le Diable, s’appuie sur cette singularité du sang qui inscrit
dans la chair toute entente conclue. Il est question d’honneur quand on signe
de son sang, on se lie à la vie, à la mort avec une personne. Et il convient
bien de ne pas négliger les principes moraux quand on les ancre dans le
sang ; combien d’honneurs bafoués se trouvent-ils en effet réparation que
dans le sang versé ? Cette idée de répandre le sang en compensation à un
manquement à l’honneur est fréquente dans de nombreuses cultures et à
toutes les époques ; dans la littérature, nous pouvons penser aux
mousquetaires qui rachètent la réputation malmenée d’Athos en tranchant la
tête de Milady de Winter, son épouse ; même s’il s’agit d’une femme, il faut
qu’elle paie de son sang l’honneur qu’elle semble avoir dérobé à chacune de
ses victimes. « Tous pour un ! Un pour tous ! », ce sont là des compagnons
d’armes et des frères de sang entre lesquels le sang lavé est un lien puissant.

Liant entre les hommes, encre d’un pacte social, le sang est à la fois la
preuve d’une faute et son rachat ; on exige le sang en dédommagement du
sang versé, on punit par le sang, et répandre le sang de l’ennemi n’est plus
seulement une nécessité ancestrale de survie, ce qui était le cas aux origines
de l’humanité, mais également une mesure sociale et codifiée. Lié à la mort,
à la tragédie et aux drames intimes, le sang est ce frère qui nous révèle, il
épouse notre identité au point que le suicide par la perte de sang soit
devenu, dans plusieurs civilisations, la réparation ultime de l’honneur perdu.
Pensons au seppuku des guerriers japonais qui choisissaient de s’ouvrir le
ventre, siège de la volonté, pour laver un échec et racheter leur dignité ; le
sang versé se pare alors d’une certaine noblesse, il est lié à une vision
hiérarchique de la société, il restaure l’intégrité des hommes et une
conception traditionnelle de l’équilibre collectif. On peut également penser
aux exécutions capitales différentes selon les classes sociales et à la
permission accordée aux nobles de mourir par l’épée, et donc dans le sang.
Quant à la trace de sang séché, la cicatrice, elle frappe d’infamie quand elle
rappelle une faute ou une punition, mais elle devient une marque honorable
si elle témoigne d’un acte de bravoure, la culture populaire transformant
souvent la cicatrice en coup de théâtre.
Le sang est intimement lié à la tragédie humaine, aux combats des hommes
et à leurs maux, à leurs fautes ou à leur gloire ; témoin de leur honneur, le
sang change les hommes en héros.

Dans l’imaginaire collectif, le sang est associé aux guerriers, il n’est donc pas
étonnant de trouver dans la mythologie des personnages marqués par le
sang et s’imprégnant de sa force. Ainsi Siegfried, le héros de la Chanson des
Nibelungen, combat-il le dragon Fafnir et se couvre-t-il du sang de la
créature morte, un sang qui le rend invulnérable ; toutefois, une feuille
malencontreusement tombée entre ses omoplates empêche son corps d’être
totalement recouvert du sang protecteur, et c’est cette partie du corps sans
défense qui sera naturellement à l’origine de la mort du héros.

Il est bien souvent question d’initiation dans le sang, et donc de souffrance,


pour devenir un homme, que ce soit dans l’Histoire, les mentalités ou les
légendes qu’elles ont façonnées ; lors d’actes rituels, un jeune homme doit
verser le sang afin d’être reconnu comme un homme, c’est l’épreuve du sang
qui délivre les clés de la maturité. Ce choix universel de la violence comme
principe d’action et d’évolution trouve un écho dans la peinture du Caravage
(voir la note 2) ; ses mises en scène réalistes de sacrifices et de crimes
donnent à voir le sang qui gicle, un sang qui se fait cri, celui-ci inonde les
ombres des tableaux de son rouge éclatant, il est peint pour nous
éclabousser, presque pour qu’on le sente. Le sang est là pour raconter la
violence inéluctable du monde et peut-être aussi pour l’exalter, comme s’il
s’agissait pour le Caravage de chercher une forme d’extase et de lumière au
sein même des ténèbres des corps et des cœurs.

Puisqu’il est question de force entre les hommes, puisque l’exigence du sang
versé semble inévitable, il faut dès lors codifier la violence qui entoure ce
sang, une société civilisée ne permettant pas de le verser à loisir, mais se
devant au contraire de maintenir l’équilibre indispensable à la vie. Tout le
monde ne peut donc pas tuer ; mais qui est autorisé à verser le sang ? C’est
dans cette optique que la société établit des ordres guerriers et que le mythe
du verseur de sang voit le jour ; pensons qu’on a autrefois adoubé des
hommes par l’épée pour qu’ils puissent répandre le sang ennemi et
qu’aujourd’hui, le célèbre espion James Bond 007 est doté du permis de tuer.
Le sang est l’encre d’une humanité toujours en combat qui se trouve des
adversaires, se cherche des frères et idolâtre des héros, il est le mal
nécessaire des sociétés humaines ; figure de la mort et de la vaillance, le sang
est bien celui des hommes. Mais qu’en est-il du sang des femmes dans
l’Histoire et l’imaginaire collectif ? Une femme aurait-elle pu être autorisée à
verser le sang ? Quelques femmes firent officiellement couler le sang et
furent considérées comme des guerrières, c’est le cas de la déesse Artémis,
des Walkyries, de Jeanne d’Arc par exemple, mais vous constaterez que ces
combattantes sont impérativement associées à la virginité ; il fallait en effet
vider ces figures féminines de leur sang féminin, si j’ose dire, pour qu’elles
puissent répandre le sang à leur tour. Nous verrons une prochaine fois que la
femme et le sang sont inévitablement liés ; la femme est inscrite dans un
cycle du sang qui lui est propre, un cycle apparemment bien étranger aux
hommes. Mais en attendant, espérons que l’humanité n’oublie jamais que
« le sang se lave avec les larmes et non avec le sang », comme l’écrivait
Victor Hugo.

Note 1 : Vous pouvez écouter l’air de Vivaldi sur cette page :, Gelido in ogni vena
 
Note 2 : Vous pouvez voir quelques œuvres du Caravage en suivant ces liens : Le Sacrifice
d’Isaac, David avec la tête de Goliath, Judith décapitant Holopherne
Anne L
Le mythe du sang (2/3) — Le sang des femmes, cet inconnu

Voici quelques semaines (voir Le sang, encre de la mort), nous regardions


couler un sang supposé rouge clair, celui de l’honneur et celui des frères ; en
abordant la symbolique du sang sombre, nous allons à présent parler des
femmes, car depuis l’aube des temps et dans beaucoup de cultures, celles-ci
furent associées au sang impur et à la souillure.

Des deux sexes, c’est la femme qui perd le plus de sang lorsqu’elle est
considérée comme « indisposée » (voir la note 1), lors de sa défloration ou
quand elle accouche. Or, tout liquide échappé du corps a terrorisé l’humanité
pendant des siècles, et en premier lieu le sang, ce fluide de vie et de mort qui
n’a cessé de conserver sa part de mystère. Aussi, de la peur de leur sang à la
crainte des femmes n’y eut-il qu’un pas souvent rapidement franchi.

Depuis l’aube des civilisations, les menstrues ont posé problème, quel
pouvait bien être ce mauvais sang que la femme perdait régulièrement ? Pire
encore, le sang échappé de la femme s’inscrivait non seulement dans la
temporalité, mais il semblait en outre lié à la Lune, beaucoup de langues
utilisant d’ailleurs le même mot pour désigner l’astre de la nuit et les
menstrues ; il n’en fallut pas davantage pour que ce sang obscur effraie
beaucoup de communautés. Toutefois, quitte à le redouter, autant prêter à
ce sang inconnu d’hypothétiques vertus afin d’exorciser l’angoisse, et c’est
ainsi que dans certaines cultures, le sang des règles se vit doté d’un pouvoir
particulier ; au sein des populations indiennes d’Amérique par exemple, la
force négative du sang menstruel était récupérée afin de défaire les ennemis.

Le judaïsme et l’islam ont fait preuve, au cours de leur histoire, de vigilance


envers ce sang particulier des menstrues, le christianisme quant à lui ne
pensant pas la femme réglée comme étant impure, même si les croyances
populaires se sont parfois éloignées des textes sacrés et si l’Église a
longtemps considéré que la femme perdait son sang afin d’expier la faute
originelle.

Il fait peur, il punit, le sang des menstrues est un authentique fléau ; aussi
rares sont-elles les civilisations qui l’ont véritablement loué. Ce fut le cas
dans un Japon ancestral qui considérait les règles comme une purification
naturelle, du moins si l’on en croit le poème d’amour composé par un
guerrier pour sa fiancée, une jeune femme dont le vêtement se vit
soudainement taché de sang :

« Au bas de ton vêtement


La nouvelle lune vient de paraître. »
Et l’intéressée de répondre :
« Au bas de mon vêtement
La nouvelle lune apparaît tout naturellement. » (voir la note 2)

Ce texte considéré comme étant le plus ancien du Japon, le Kojiki, semble


démontrer que les temps reculés n’éprouvaient pas de répulsion à l’égard du
sang menstruel. Bien au contraire, les jeunes filles réglées étaient proches
des dieux et pouvaient exercer la fonction d’oracle, un proverbe affirmant
même que « quand la femme avait ses règles, elle était purifiée et devenait la
femme d’un dieu ». (voir la note 2)

Cette idée de purification sera abolie avec le temps, la notion de souillure


présente dans le shintoïsme s’appliquant progressivement aux menstrues. La
pensée occidentale envisagea également cette purification, même si le sang
des règles s’est toujours heurté à une grande défiance qui a finalement
prévalu.

Il convient ici de remarquer une étrangeté entourant le cygne dans beaucoup


de civilisations ; en Extrême-Orient comme dans le monde turc anatolien,
chez les Germains ou encore les Slaves, et nous pouvons naturellement
songer à Piotr Ilitch Tchaïkovski, le cygne, animal par ailleurs associé au désir
masculin et à l’élévation, fut soumis aux menstrues féminines, et ceci sans le
faire entrer dans une disgrâce que l’on serait en droit d’attendre des
mentalités d’autrefois. Au contraire, dans les cultures précédemment citées,
il est fréquent que l’animal virginal se dépouille de ses plumes et révèle une
jeune fille nue ; c’est alors qu’intervient un chasseur totalement envoûté par
la belle apparition qui s’avise de la retenir captive auprès de lui en lui
cachant sa parure de plumes.

Mais cette conception poétique des menstrues comme étant un bienfait divin
s’avère exceptionnelle et, quelle que soit l’époque, nombreuses furent les
civilisations qui ont éloigné ou même reclus la femme réglée, il convenait en
effet de la tenir provisoirement en dehors du cercle social.
Et même à l’intérieur de ce cercle, la femme réglée se devait d’être vigilante
dans sa fréquentation des personnes et son utilisation des objets ; de fait, on
a longtemps considéré qu’elle avait une influence néfaste sur ce qui
l’entourait immédiatement. Pline l’Ancien explique ainsi dans son Histoire
naturelle qu’« aux approches d’une femme dans cet état, les liqueurs
s’aigrissent, les grains qu’elle touche perdent leur fécondité, les essaims
d’abeilles meurent, le cuivre et le fer rouillent sur-le-champ et prennent une
odeur repoussante ». La femme réglée apparaît comme nocive et cette
croyance a perduré dans les esprits ; au XXe siècle encore, on trouvait un
nombre élevé de superstitions entourant les femmes indisposées.

Les menstrues ont fait des femmes des êtres perçus comme potentiellement
dangereux et surtout sempiternellement malades ; on s’est mis à penser les
femmes fragilisées par leur propre sang et particulièrement menacées à la
puberté, lors d’une grossesse et à la ménopause, on a imaginé des
syndromes découlant des mutations successives du sang et surtout de
grands dérèglements psychiques, souvenons-nous que le mot « hystérie »
puise son origine dans le grec « hystera » qui signifie « utérus ».

Le sang de la femme est donc un piège et une souillure ; Antigone sera ainsi
emmurée vivante afin que son sang versé ne touche pas la cité. Et Jean
Anouilh de préciser dans sa pièce de théâtre :

« Je crois que j’ai entendu dire que pour ne pas souiller la ville de votre sang
ils allaient vous murer dans un trou ».

C’est le cycle du sang qui lui est intimement lié qui a fait de chaque femme
un être suspect au fil des siècles ; le corps féminin dans son ensemble est
devenu potentiellement impur, et non plus seulement une partie de ce corps
au moment des menstrues. Pour beaucoup de civilisations, la femme
conserverait en elle son sang altéré. Une fois ce pas franchi dans la
conception de la femme, on comprend bien que l’idée même de s’accoupler
avec une telle créature dangereuse, porteuse d’un sang débordant et
empoisonné, pose problème ; aussi le désir doit-il impérativement être
normalisé et il apparaît dès lors nécessaire d’établir des codes sexués afin de
se protéger des femmes, tout en continuant évidemment à vivre à leurs
côtés, la nature humaine et la vie sociale ne pouvant heureusement pas être
annihilées.
C’est ainsi que l’idée de purifier la femme s’est formée dans de nombreuses
communautés, on peut penser à la virginité associée à Marie dans la tradition
catholique ou aux immersions rituelles dans le monde grec et la pratique
juive par exemple ; il s’agit de laver la femme de la souillure du sang.
Toutefois, malgré le culte de la Vierge, je remarquais un peu plus haut que le
christianisme n’envisageait pas systématiquement la femme comme étant
impure. Cette notion apparaît vraisemblablement dans le Nouveau
Testament, quand Jésus guérit une jeune femme souffrant de grandes pertes
de sang, la Bible employant le terme d’hémorroïsse ; la tradition chrétienne
aurait vu dans ce geste symbolique de Jésus la libération de la femme de la
salissure permanente du sang.

En dehors des coutumes et des rites, nous pourrions penser que nos sociétés
modernes ont gommé les peurs ancestrales liées au sang des menstrues.
Pourtant, si nous observons les publicités de serviettes hygiéniques, le sang
est totalement chassé de l’image et remplacé le plus souvent par de l’eau, on
se doit d’éviter « d’indisposer » le spectateur, il s’agit de rendre les
menstrues invisibles, encore et toujours, même dans un monde consumériste
souvent éloigné des préceptes religieux.

Nous venons essentiellement de parler du sang des menstrues, car il pose


véritablement problème, mais qu’en est-il du sang de la défloration ? Comme
le sang versé est un passage initiatique pour le jeune homme, le sang perdu
lors du premier rapport sexuel par la jeune fille a évidemment une portée
symbolique, de même que les premières règles signent son appartenance à
un autre âge de la vie.

Le sang prouve, en théorie, la perte de la virginité et fait entrer la femme


dans sa vie d’épouse et de mère potentielle ; je pourrais ajouter dans sa vie
d’amante, ce qui donnerait à la femme une plus grande liberté personnelle
sur sa vie sexuelle et sociale, mais il s’agit ici d’observer les codes liés à la
femme au sein des sociétés dites patriarcales, ceci sans jugement aucun,
même si je pense que la précision est intéressante quand il s’agit de parler
de l’histoire des femmes. Or, ce sang de la défloration, considéré comme une
preuve de moralité dans beaucoup de cultures, est certes souvent exigé,
mais aussi fort redouté, puisque nous avons vu que le sang des femmes
faisait peur aux hommes. C’est ainsi que de nombreuses communautés ont
codifié le premier rapport sexuel et l’Histoire nous enseigne qu’au fil des
siècles, ce n’est pas forcément le conjoint qui fut le premier amant de sa
compagne, mais parfois un passant, comme c’était le cas selon la loi
babylonienne, un prêtre ou plus couramment un chef.

La femme est donc une promesse de sang versé, un sang dont l’homme ne
sait pas toujours quoi faire, mais qui ne l’empêche pas de désirer cet autre si
dissemblable et de vouloir éveiller son désir en retour. Je parle d’éveil, car le
sang de la défloration est souvent associé au sommeil, les contes de fées
étant une parfaite illustration de cette idée. Ainsi la jeune Blanche-Neige des
frères Grimm est-elle une « enfant aussi blanche que la neige, aussi rose que
le sang et aussi noire que le bois de la fenêtre », le blanc symbolisant la
virginité (et parfois le sperme), le rose et le noir étant les deux facettes du
sang, celui de la défloration et celui des menstrues. J’évoquerai plus
longuement dans la troisième partie cette étrange union du sang et de la
neige née dans Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes ; le conte de Grimm
reprend la métaphore pour peindre une héroïne virginale inscrite dans le
cycle du sang et du désir. Cachée par la forêt, préservée de l’appétit des
hommes par des nains peu menaçant sexuellement parlant (même si la figure
du nain dans la littérature médiévale est ambiguë), Blanche-Neige tombe
dans un sommeil protecteur de sa virginité en attendant le baiser de celui qui
animera son sang et ses sens.

Mais c’est le conte de La Belle au Bois dormant, imaginé tour à tour par
Charles Perrault et les frères Grimm à partir de sources plus anciennes et
parfois plus violentes, qui unit intimement le sang de la défloration au
sommeil ; en effet, l’héroïne tombe dans une profonde léthargie au moment
même où elle se pique le doigt, ce sang versé étant la métaphore de la perte
de sa virginité et des règles à venir, le sommeil symbolisant quant à lui la
peur de la jeune fille et la mort de son innocence, mort que seul l’amour
pourra enchanter. Dans les récits à l’origine de La Belle au Bois
dormant figure le roman médiéval Perceforest qu’il me semble intéressant de
mentionner ici. Dans ce texte, la princesse est fécondée par le prince alors
qu’elle est encore endormie ; le sommeil est donc bien lié à la défloration,
qu’il l’anticipe ou qu’il l’accompagne.

La femme éveille le sang, et par conséquent les sens, de l’homme, elle invite
au désir. Une fois la défloration passée, il n’est plus question de premier
sang, mais de sexualité ; or, le sexe et le sang demeurent viscéralement unis,
que ce soit d’un point de vue physique, le sang étant une composante de la
relation sexuelle, de manière consentie au sein de pratiques
sadomasochistes ou encore au cours d’affrontements qui n’ont cessé, depuis
les origines de l’humanité, de lier le sang versé des ennemis au sang des
viols. En effet, faire la guerre, c’est souvent vouloir s’approprier un territoire,
et ce besoin d’envahir la terre passe par la mise à mort de l’adversaire et la
possession forcée de sa compagne ; il y aura donc sur les champs de bataille
le sang répandu par le glaive et celui versé par le sexe.

Je parlais dans la première partie de l’exposé de la cicatrice, souvenir d’un


sang versé en pénitence ou en faisant preuve de bravoure ; nous pourrions
aussi remarquer que la cicatrice s’accompagne de fantasmes particuliers, elle
est fréquemment associée à un imaginaire érotique qui unit la blessure à
l’acte sexuel, la sexualité étant parfois une histoire de chasseurs et de
proies. Ce qui nous amène à nous référer aux Liaisons dangereuses ; dans
son roman épistolaire, Pierre Choderlos de Laclos met en scène des
prédateurs étrangement unis dans un jeu cruel d’orgueil et de sang-froid,
certes animés par un désir d’indépendance, mais qui n’hésitent pas à traquer
leurs proies, quitte à en devenir eux-mêmes, et à finalement faire couler le
sang.

S’agissant de prédation, il faut noter que l’histoire des mentalités atteste du


lien manifeste des hommes et de la chasse, à l’exception toutefois de la
divinité grecque Artémis et de sa transposition romaine Diane, déesses
rendues nécessairement vierges et farouches afin de les préserver de toute
ambiguïté sexuelle. La chasse et l’homme se rejoignent dans la sauvagerie
du sang, de même que la chasse exclut la femme, considérée comme trop
faible et pouvant faire fuir le gibier. Au fil des siècles, les femmes n’ont pas
pu verser le sang, celui des bêtes sauvages notamment, essentiellement
parce qu’elles en perdaient déjà beaucoup trop, tout n’étant pas
foncièrement misogyne dans l’histoire de l’humanité et la plupart des
femmes s’accommodant fort bien de la particularité supposée de leur sang ;
beaucoup de femmes entretinrent ainsi avec conviction la notion
paradoxalement sacrale entourant leur sang.

Mais revenons à la chasse et au gibier : s’il est inconciliable avec la femme,


l’animal est également en rivalité avec le chasseur, et c’est évidemment celui
des deux qui fera triompher son sang puissant qui l’emportera sur l’autre. Ce
rapport de force inscrit dans le sang est inhérent à la chasse, des textes
confirmant que jusqu’au XVIIIe siècle, des chasseurs buvaient le sang de
leurs proies et conservaient même un petit « gobelet à sang », ceci dans la
région de Berne ; c’était là un signe de virilité et une passation de la force
animale que nous retrouverons de manière dérivée dans le vampirisme.
Toutefois, il convenait de ne pas faire couler le sang de certains animaux
sauvages, certaines espèces ne pouvant pas être chassées parce qu’elles
digèrent le sang cru, c’est le cas des renards par exemple ; on pensait ces
animaux porteurs d’un sang noir, un sang tout aussi dangereux et maudit
que le sang obscur des menstrues. Mais dans l’imaginaire collectif, les
hommes sauvages, ceux qui ont peut-être un peu trop approché ce fameux
sang noir au point de s’en imprégner, sont toujours là, ce sont ceux-là qui
traquent le gibier, ce sont les mêmes qui chassent le plus assidûment les
femmes.

Le sang a un lien immédiat avec la virilité et la possession, il est à l’origine


du désir ; chez l’homme, il dirige l’acte sexuel, chez la femme, on a
longtemps considéré que l’âge des premières menstruations donnait une
indication précieuse sur le comportement sexuel de la jeune fille. Le sang
annonce donc la sexualité, il la permet, il est son complice et son ombre.

Mais la sexualité n’est pas seulement liée aux coups de sang, à l’excitation
comme à la sauvagerie, elle est aussi à l’origine de la reproduction ; c’est
ainsi que le sang est systématiquement associé à la naissance alors qu’il
n’est pas obligatoirement lié à la mort, chaque mort n’étant pas sanglante, à
la différence de chaque naissance.

L’accouchement est une nouvelle fois l’occasion de constater que le destin de


la femme est bien lié au sang puisqu’elle enfante dans le sang, un sang qui
fit longtemps peur, comme celui des menstrues ; il y eut ainsi, dans
beaucoup de civilisations, une période d’isolement de la femme sur le point
d’accoucher et un temps dit de retour de couches où il s’agissait notamment
de se protéger du sang versé lors de l’enfantement avant de retrouver une
sexualité sans risque auprès de la jeune mère. On pensait aussi que le sang
contenu dans le cordon ombilical était potentiellement dangereux, en France,
on a même cru qu’il risquait d’empoisonner le nouveau-né. Aujourd’hui, des
recherches sur le sang du cordon ombilical ont démontré qu’il véhiculait des
cellules souches qui pouvaient guérir les leucémies ; désormais, le sang de la
naissance se présente donc comme un sang porteur d’espoir. 

Il est également intéressant de savoir qu’on a longtemps regardé le lait


maternel comme étant du « sang blanchi », on croyait en effet que le sang
menstruel absent de la gestation se transformait en lait. Ainsi ce qui était
regardé comme impur et menaçant se fit source de vie, les femmes étant
uniquement « sauvées » de leur sang par la maternité, l’importance de la
mère passant avant l’émancipation de la femme.

Par le sang qu’elle perd, par ce sang méconnu, la femme donne la vie, et loin
de toute peur ancestrale, le sang de la femme est celui de l’humanité qui se
renouvelle. Car finalement, ce sang intriguant qui accompagne l’existence
des femmes, celui du cycle, celui de la sexualité et celui de l’accouchement,
c’est bien le sang de la vie qui ne s’arrête jamais. À des lieues du sang
inondant les champs de bataille, stérile et terrible, nous voyons se dessiner
l’image d’un sang quelque peu fantasmé qui distribue la force, on l’a bu pour
retrouver la santé, on s’est baigné dedans pour puiser son énergie...

Et quand on parle de bains de sang, comment ne pas penser à la comtesse


Élisabeth Báthory et à sa funeste soif de jouvence apaisée par le sang des
jeunes filles qui la servaient ? La légende et l’Histoire se mêlent
inévitablement dans ce fait divers liant la coquetterie supposée d’une
meurtrière à la folie sanguinaire tout aussi incertaine d’une femme, une
« verseuse de sang » que les hommes ont condamnée à être emmurée dans
une pièce de son château, comme Antigone, soit dit en passant ; mais cette
histoire porte en elle une illusion de jeunesse et un rêve de vie éternelle
inhérents au sang depuis l’aube de l’humanité, elle est à rapprocher des
vampires et du Graal que nous rencontrerons dans quelques semaines.

Le sang, lié au Soleil et souvent solidaire du feu dans de nombreuses


civilisations, est avant tout source de vie ; mêlé à la terre, il a donné
naissance aux êtres et aux mondes dans beaucoup de cultures, dans la
tradition chaldéenne par exemple ou encore dans la mythologie scandinave
qui regarde le monde naître du sang d’Ymir, un géant de lave et de givre tué
par Odin.

« De son sang, il créa l’humanité », dit le Poème babylonien de la Création.


De nos jours, nous sommes tous encouragés à donner notre sang afin de
sauver des vies ; le sang n’est plus une peur ou une salissure, il est un
bienfait que les femmes et les hommes peuvent désormais partager.

Note 1 : Nous pouvons relever la connotation quelque peu péjorative du terme.

Note 2 : J’emprunte ici la traduction proposée par Agnès Giard dans son
ouvrage Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon .
Anne L
Le mythe du sang (3/3) — Le sang, fantasmes et transcendances

Je me permets de rédiger un préambule à cette troisième et dernière partie


consacrée au mythe du sang pour vous dire que je suis désolée de sa
longueur ; croyez bien que j’ai tout tenté pour endiguer l’hémorragie des
mots, mais le sujet est si vaste qu’il m’a été impossible de condenser
certains passages. Aussi, pour vous remercier d’avoir le courage de me lire,
voudrais-je citer Alphonse Allais qui disait : « Une chose facile à avoir en
décembre, c’est du sang-froid ».

Je ne sais pas s’il vous sera facile de conserver votre sang-froid en ce mois
de mai, mais que vous le gardiez ou non, tous les commentaires seront les
bienvenus, qu’il s’agisse de précisions médicales, de souvenirs de lecture ou
de compléments d’analyse. Pour les plus vaillants d’entre vous, je me
permets également de mentionner que la première partie (« Le sang, encre
de la mort ») se cache ici et que la deuxième (« Le sang des femmes, cet
inconnu ») vous attend là.

Enfin, je retrouve mon sérieux pour rappeler que les références religieuses
présentes dans cette tentative d’essai sont seulement des données
culturelles, et non du prosélytisme de ma part, ou au contraire la critique de
faits religieux, quels qu’ils soient ; je respecte les convictions et les croyances
de chacun, soyez-en assurés.

« Le sang, c’est la vie », écrivait Bram Stoker dans son roman Dracula. Au fil
des siècles, ce besoin vital de sang n’a pas manqué de trouver des échos
imaginaires et le sang est devenu le breuvage d’une autre vie. C’est ce sang
promesse de renaissance, élixir de jouvence et or des dieux que nous allons
évoquer à présent, car des ombres des vampires à la lumière du Graal, le
mythe du sang s’est répandu, faisant d’un fluide de vie un miroir de
fantasmes et l’eau sacrée de la transcendance.

La croyance en un sang sale n’a pas manqué de donner vie à son contraire, à
savoir la dévotion à un sang pur, voire supérieur ; le mythe du sang
bleu connut ainsi ses heures de gloire et doit probablement encore perdurer
de nos jours. Pourtant rien n’est plus universel que le sang, chaque homme
ayant le même liquide qui circule dans ses artères. Point de privilèges
naturels donc, si ce n’est que le besoin de préserver une communauté, quelle
qu’elle soit, a donné naissance au cours des siècles à une hiérarchisation des
classes, et à l’apparition, au sommet de ces organisations sociales, d’un chef
doté de ce sang particulier que serait le sang bleu ; ce sang fut ainsi nommé,
car circulant sous une peau plus fine, il donnerait à voir la couleur bleue des
veines. Nous le devinons, ce sang prétendument supérieur ne saurait se
mêler et s’affaiblir, et il fut l’objet d’une vénération avant de perdre de sa
force avec l’éclosion de la bourgeoisie.

L’idée même d’un sang impur dépasse le clivage social, elle est souvent
politique. En effet, alors que toute société condamne le meurtre, il n’est pas
rare de trouver une exaltation de celui-ci au nom d’un sang qu’il faudrait
éliminer ; La Marseillaise, hymne d’une Révolution pourtant enfant des
Lumières, ne nous dit-elle pas « qu’un sang impur abreuve nos sillons » ? Ce
n’est plus directement l’idée de survivre et de verser le sang qui est en cause,
mais la volonté de préserver un sang particulier que l’on imagine comme
porteur d’espoir dans le meilleur des cas, et c’est probablement le sens de La
Marseillaise, ou comme étant supérieur, et c’est là le triste cas des théories
raciales et fascistes. La hiérarchisation du sang a ainsi coexisté avec des
doctrines des plus néfastes qui considéraient qu’une race d’un sang
d’exception se devait de dominer le monde et donc d’asservir, voire de
supprimer tout individu qui serait constitué d’un sang supposé inférieur ; on
pense évidemment ici à la prétendue suprématie du sang aryen
instrumentalisée par les nazis.

Cette idée de catégoriser le sang et les hommes prend paradoxalement


racine dans le progrès scientifique, même si la médecine n’est pas
responsable de l’éclosion des pires idéologies engendrées par l’humanité. Le
début du XXe siècle voit la découverte des groupes sanguins et donc du
classement des êtres humains selon leur empreinte biologique ; il convient
toutefois de rappeler qu’en aucun cas appartenir à l’un ou l’autre des
groupes ferait d’un individu un être supérieur, une personne possédant un
sang compatible pouvant sauver la vie d’une autre personne, quelle que soit
son appartenance ethnique. Dans la fiction occidentale, les groupes sanguins
et les profils psychologiques que certains courants de pensée leur attribuent
sont peu utilisés, même si l’œuvre d’Émile Zola dont nous avons déjà parlé
pourrait s’approcher d’une forme de déterminisme biologique ; au Japon en
revanche, il est amusant de constater que les personnages de mangas sont
souvent définis, entre autres choses, par leur groupe sanguin, ceci afin de
donner au lecteur une sorte de fiche de lecture sur le héros en question.

Le sang versé et partagé sur les champs de bataille formait un cercle


horizontal entre les hommes, il fondait une tribu ; le sang hiérarchique et
élitiste dont nous venons de parler dessine quant à lui une société verticale,
il instaure une vision de la communauté dans laquelle chacun aurait sa place
selon la valeur présupposée de son sang. Le sang des frères unissait, le sang
des autoproclamées élites divise.

Le sang est la force des hommes, mais au cours des siècles, il est aussi
devenu l’élixir des surhommes. Ce concept d’un homme exceptionnel n’a pas
toujours trouvé un écho systématique dans la réalité et donné naissance à
des régimes politiques dangereux, mais il a progressé dans l’imagination des
hommes et engendré de nombreux fantasmes. Car si le sang est capable de
donner la vie et de la sauver, pourquoi ne la redonnerait-il pas, qu’est-ce qui
pourrait en effet empêcher le sang d’avoir une force de vie supérieure au
déchaînement de la mort ? C’est ainsi que le mythe des vampires fit son
apparition dans l’imaginaire collectif, et c’est un mythe qui suscite, depuis le
XIXe siècle en particulier et l’invention du personnage de Dracula, un vif
engouement, même si les vampires contemporains fort prisés par la fiction
sont nettement plus photogéniques et aseptisés, osons-le dire, qu’ils ne le
furent jamais dans la littérature et les mentalités.

Dans les cauchemars inavouables des hommes, les vampires existent depuis
fort longtemps, l’image des buveurs de sang étant universelle et ancestrale :
l’Antiquité avait ses striges, des démons qui suçaient le sang des enfants, le
Moyen Âge était peuplé de revenants qui affaiblissaient toute vie autour
d’eux, des créatures qu’il fallait éliminer à tout prix en les fixant d’un pieu à
leur cercueil. La croyance en l’existence réelle des vampires était solide, elle
est d’ailleurs attestée dans de nombreux documents ; Jean-Jacques Rousseau
écrivait ainsi : « S’il y eut jamais au monde une histoire garantie et prouvée,
c’est celle des vampires ». Et même si la papauté a condamné cette croyance,
les hommes ont continué de prêter quelque attention à de surprenants
phénomènes survenus de-ci, de-là. Le XIXe siècle, loin de négliger les êtres
de la nuit, s’est emparé du vampirisme avec ferveur, la littérature a ainsi
inventé des vampires aussi disparates les uns des autres, on peut penser à La
Morte amoureuse de Théophile Gautier, au Horla de Guy de Maupassant ou
encore au Comte de Lautréamont qui demandait dans les Chants de
Maldoror :

« Homme, n’as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t’es coupé
le doigt ? Comme il est bon, n’est-ce pas ? »

Pourtant imaginés différemment, les vampires ont toujours la même nature,


ils sont des corps réanimés qui sucent le sang des vivants et entraînent leur
mort. En se nourrissant du sang d’autrui, le vampire se dote d’une force qui
le maintient dans une étrange vie, son cadavre ne se décomposant plus. Il
faut souligner que le mythe du vampire unit non seulement le sang au
dépassement de la mort, mais également à la sexualité, la morsure prenant
bien souvent une connotation érotique. Si le XIXe siècle a largement
contribué au succès du mythe du vampire, c’est le monde slave et l’Europe
de l’Est qui en ont posé les fondements. En effet, bien que l’on ne sache pas
avec certitude l’origine du mot « vampire », tout porte à penser qu’il dérive
d’un terme serbo-croate, transcrit en allemand et en français par « vampir »
et « vampyre », terme repris ensuite par les Anglo-Saxons ; l’origine elle-
même du mot est méconnue, mais on pense que le terme slave « ubyr »
signifiant « sorcière » est à retenir.

Personne ne méconnaît en revanche le vampire le plus célèbre, le


Comte Dracula, seigneur des ténèbres par excellence, élevé au rang de mythe
par le cinéma et la culture populaire, et né du souvenir déformé du guerrier
sanguinaire Vlad Tepes (l’Empaleur), même si la légende et les faits
historiques ne semblent guère s’accorder au sujet du prince des Carpates.
C’est l’écrivain Bram Stoker qui a ancré le vampirisme dans l’imaginaire
collectif en publiant en 1897 un roman directement intitulé Dracula, un
patronyme dont l’étymologie se réfère au dragon, et par extension au diable
(voir la note 1). Le succès de ce roman, et de l’image romantique du
vampirisme qu’il présente, peut essentiellement s’expliquer par la nécessité
d’exorciser la peur de la mort, mais également par le reflet qu’il renvoie à
une société en perte de repères et par la mise en scène d’un désir latent et
fascinant à la fois, tout aussi morbide que transgressif, qu’il propose.
Dracula, c’est un mal insaisissable surgissant d’un pays lointain et prenant sa
source hors du temps, c’est un pouvoir surnaturel sur les hommes et les
éléments, c’est l’errance sempiternelle d’un monde fébrile et un violent désir
de survie ; et ce sont là tout autant de thèmes séduisants pour la société
postromantique. Car le XIXe siècle est l’époque des révolutions industrielles,
des mutations, des sens bousculés, une ère de cendres et de sang, un siècle
qui donnera naissance à bien des fantasmes et à des ombres qui hantent
encore les esprits, l’ombre de Dracula donc, tendant à la société victorienne
le miroir de ses propres peurs, ou également l’ombre de Jack l’Éventreur,
monstre sanguinaire bien réel cette fois, mais dont le caractère sordide
engendra un imaginaire profondément malsain. Depuis le XIXe siècle, le
fantasme du sang s’est plus que jamais installé dans le cœur des hommes ;
loin de l’imagerie sanglante des champs de bataille, le sang est devenu peu à
peu la métaphore d’une époque et le reflet de ses misères.

Paré de tous les fantasmes, le sang s’est fait science, une science parfois
rationnelle, nous l’avons vu avec la découverte des groupes sanguins, mais
quelquefois aussi une science prêtant à polémique, c’est le cas dans
l’observation de la porphyrie. Des études médicales sur cette pathologie rare
(il s’agit d’une maladie génétique héréditaire due à des déficiences dans le
sang) virent le jour assez tôt au XXe siècle, le premier cas recensé par le
corps médical datant de 1920. Mais ce n’est qu’en 1985 qu’un professeur
divisa les scientifiques en affirmant que les malades de porphyrie étaient à
l’origine des hystéries ancestrales liées aux créatures de la nuit ; selon ce
chercheur, ces malades avaient tous les stigmates attribués aux vampires, à
savoir une pâleur extrême, des dents allongées, une photosensibilité ainsi
qu’une pilosité importante, et ils ne pouvaient trouver l’apaisement qu’en
buvant du sang.

On peut le constater, le sang est une énigme qui réussit à unir les fantasmes
les plus romantiques aux explications les plus rationnelles, les maladies liées
au sang n’ayant jamais cessé au cours des siècles de jeter le trouble, nous
pouvons penser au sida et à son cortège de peurs qui n’est pas si éloigné de
nous. Avec le sida, l’homme fut associé au sang malade, alors que nous
l’avons vu dans la deuxième partie, c’était auparavant la femme qui était
considérée comme malade de son sang indocile ; même si des femmes ont
également contracté le virus du sida, celui-ci a soudainement placé les
hommes sous le joug du sang, et il les a confrontés aux peurs et aux
préjugés des autres hommes.

Dans l’adaptation cinématographique du Dracula de Bram Stoker qu’il a


proposée, Francis Ford Coppola a bien montré cette tension liée à la
transmission du sang, il a filmé la vie que l’on prend brutalement ou que l’on
donne telle une alliance secrète et interdite. Car le mythe de Dracula
s’accompagne toujours du pacte de l’ombre, celle-ci se coule entre les mots
et abreuve les plans de cinéma, et le mal du sang inonde alors l’intrigue, il
envahit non seulement le temps, mais également l’espace. Comme un
fantôme insaisissable, le sang effraie parce qu’il se transmet et qu’il
s’échappe, il est un complice étrange, une créature surhumaine. Et même s’il
fait peur, par la fascination qu’il suscite, le sang s’avère grandement
cinématographique ; depuis ses débuts, le septième art a joué avec lui et il ne
l’a dissimulé que pour mieux le mettre en lumière.

Le sang est bien plus que la vie qu’il transmet ou qu’il ôte aux vivants, il
devient lui-même une entité dotée d’une existence propre, prenant une
identité certes informelle, mais perceptible. De fait, dans de nombreuses
civilisations, et ce depuis le néolithique, le sang et l’âme se confondent. Le
sang était puissant, le voici invisible et sacré. Pour les Hébreux et dans
la Bible, le sang est l’âme, le Lévitique nous le dit bien, « le sang, c’est
l’âme », les Romains quant à eux affirmant que « le sang est le siège de
l’âme ». Le sang et l’esprit sont donc indissociables, on trouve ainsi un
hadith qui nomme le sang « al-nafs al sa’da », l’âme liquide. Et seule la
civilisation chinoise a conservé l’idée de deux âmes distinctes, à savoir une
« âme-souffle » et une « âme-sang ».

Que le sang soit l’âme ou une entité en relation avec le souffle, il détermine
le comportement humain à adopter envers les vivants et les morts ; c’est en
effet notre attitude devant la mort qui va découler de cette relation intime
entre l’âme et le sang, et notamment la manière de tuer un animal en
versant, ou non, son sang. Dans la Genèse, Dieu dit à Noé : « Vous ne
mangerez point la chair avec son âme, c’est-à-dire avec son sang » ; les juifs
consomment ainsi une nourriture kasher et les musulmans sont tout aussi
attachés à ne pas ingérer le sang animal. Les Iroquois évitaient également de
verser le sang du cheval blanc qu’ils offraient en sacrifice, et les coutumes
turco-mongoles ont fait de même, non plus seulement pour les animaux,
mais aussi pour les êtres humains ; on sait par exemple que Gengis Khan fit
exécuter son grand chaman en lui brisant les reins.

Si le sang est l’âme, il est dès lors transcendé et divinisé, et c’est


naturellement que nous le retrouvons associé à l’image que les hommes se
font de leurs dieux. Le sang a ainsi permis aux hommes de cheminer vers le
divin ; en effet, combien de sacrifices d’humains ou d’animaux furent-ils
perpétrés au cours des siècles pour apaiser un dieu ou pour l’honorer ? « Les
sanctuaires des dieux ruissellent de sang », affirme Euripide dans Les
Troyennes ; de fait, nombre de civilisations ont adoré des dieux assoiffés de
sang, ce qui fera dire à Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal :

« Les sanglots des martyrs et des suppliciés


Sont une symphonie enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés ! »

Certes, les sacrifices avaient pour but de convoquer les dieux parmi les


hommes, mais ils étaient avant tout l’assassinat structuré d’un martyr choisi
pour mourir ; il fallait tuer un être vivant pour sauver tous les autres, il fallait
éviter une violence anarchique et préjudiciable à la communauté en la
concentrant sur une seule et même personne. Dès lors, le meurtre est érigé
en symbole et on associe le dieu à cette métaphore sanglante, il devient le
témoin du sacrifice, et aussi un peu son coupable, puisque c’est bien ce dieu
qui a voulu la mort des hommes, et c’est là l’occasion de le lui rappeler.

Car la valeur expiatoire du sacrifice n’est pas communément admise, elle est
essentiellement hébraïque et biblique ; ce qui est universel en revanche, c’est
la conscience sacrée de l’offrande, il s’agit de ne pas tricher, mais de donner
une victime parfaite aux dieux insatiables, on peut penser aux Aztèques qui
offraient des flots de sang humain au Soleil, celui-ci vieillissant sans cesse et
demandant toujours plus de sang pour réchauffer les hommes. L’humanité a
longtemps immolé hommes, femmes et animaux, mais finalement nombre de
simulacres finirent par voir le jour ; les Romains ont sacrifié des animaux en
sucre ou en pain, les Chinois ont brûlé des chevaux de papier, Marco Polo
mentionne même un chien de paille sacrifié par les Mongols.

Pour se relier à son dieu, l’homme a donc utilisé des subterfuges, mais la
divinité est également intervenue pour empêcher le sacrifice, c’est le cas
lorsque le dieu d’Abraham lui demande d’épargner son fils Isaac et de lui
offrir un bélier à la place. De fait, les civilisations judéo-chrétienne et
grecque ont substitué l’animal à l’homme lors des offrandes rituelles ; en
revanche, l’hindouisme ne distingue pas la vie humaine de la vie animale, et
celle-ci revêtant autant d’importance que la première, les sacrifices humains
ont longtemps perduré. Mais l’animal comme victime de substitution se
retrouve dans bien des cultures, le christianisme s’appuyant d’ailleurs sur la
croyance en l’agneau immolé qu’est le Christ, un acte fondateur qui abolit
toute idée de sacrifice ultérieur, quel qu’il soit. 

Le sang versé pour honorer une divinité n’est pas toujours lié à la mort,
l’homme pouvant entrer en relation avec son dieu en se mutilant lors de fêtes
ou de rites, en se flagellant par exemple comme c’est le cas dans la tradition
catholique ; les mutilations rituelles sont nombreuses au cours de l’Histoire
et datent même parfois de la préhistoire.

Mais les sacrifices et les mutilations ont laissé peu à peu la place aux
symboles, et ceux-ci furent utilisés non plus comme subterfuges, mais en
signe de commémoration, c’est le cas par exemple des fleurs rouges et du
vin. En effet, pour rappeler la force du sang versé, les fleurs rouges étaient
idéales et elles sont donc devenues la métaphore du sacrifice et de la mort ; à
Rome, elles ornaient les enclos funéraires. Quant au coquelicot, il évoque le
sang des champs de bataille et on le porte en souvenir de l’Armistice. La
fleur fit sienne la symbolique du sang, et dépassant la seule mémoire de la
mort, elle se fit également métaphore de la vie ; c’est ainsi que la rose fut
choisie pour illustrer le symbolisme du sang et de l’amour, offerte aussi bien
aux dieux antiques qu’aux femmes aimées, ce qui fera dire au mystique
musulman Rûmî :

« Dans le voile ensanglanté de l’amour, il y a des roses. »

Les fleurs rouges ne sont pas les seuls symboles du sang, chez les Bambaras
par exemple, le jus de tomate le représente également ; enfin, dans
l’imaginaire collectif, les eaux ferrugineuses sont fatalement sanglantes et
les fleuves de l’enfer ne peuvent être que de cette eau, souvenons-nous que
Dante en eut la vision.

Mais quelle meilleure métaphore du sang que le vin ? Du sang, le vin partage
et la couleur, et l’ivresse, aussi beaucoup de civilisations l’ont-elles choisi
comme étant l’allégorie parfaite du sang ; à Rome, il fut le « sang de la
vigne », dans la Bible, il est d’une importance capitale, essentiellement dans
le Nouveau Testament, comme nous allons le voir.
Pour voyager vers leurs dieux, les hommes ont donc versé le sang ; mais les
dieux ont également versé le leur pour rejoindre les hommes, et il convient
ici de parler non seulement de Jésus, mais aussi d’Osiris, de Dionysos et de
Mithra, le sacrifice des divinités n’étant pas rare au cours des siècles.

Nous pouvons penser que les hommes se sont initialement immolés afin de
rendre à leurs dieux le sang que ceux-ci avaient versé pour leur prêter vie.
Nous l’avons vu par exemple avec le Poème babylonien de la Création, de
multiples croyances et mythologies reposent sur le sang versé d’un être
divinisé ou supérieur, un sang qui conçoit le monde ; nous pouvons
également nous référer au Rig-Veda qui fait du sacrifice de l’être primordial
l’origine de tous les êtres humains. Nombreuses sont les divinités dépecées
pour donner vie et espérance aux hommes, et le dieu égyptien Osiris est
l’une d’elles ; si l’Égypte ancienne occulte plus ou moins le sang, Osiris est
néanmoins démembré et ramené à la vie par Isis, attestant ainsi de la
possibilité d’une vie après la mort :

« Osiris, regarde ! Écoute ! Lève-toi ! Ressuscite !


Osiris, tu es parti, mais tu es revenu.
Tu t’endormis, mais tu as été réveillé.
Tu mourus, mais tu vis de nouveau. »

Osiris revient à la vie et donne alors à l’humanité une raison d’espérer en


l’immortalité ; il en est de même pour le dieu grec Dionysos, lequel fut
dépecé par les Titans et ramené à la vie par Rhéa. Semblablement, le dieu
Mithra était une divinité de lumière que les Romains voyaient comme un
sauveur, un dieu exigeant le sang d’un taureau comme garant de
l’immortalité ; ce culte de Mithra, exclusivement réservé aux hommes, fut
contemporain des débuts du christianisme et l’on peut raisonnablement
penser que les deux religions se sont mutuellement nourries.

Ce qui nous amène à parler de Jésus dont le sacrifice est à l’origine, pour les
chrétiens, de la résurrection promise. Il faut noter que si le Christ agonise
dans d’atroces souffrances, il meurt de suffocation, comme tous les crucifiés,
et non en versant des flots de sang ; pourtant, il est bien question d’effusion
de sang dans le récit de la Passion du Christ, pensons à la lance qui perce
son flanc et qui unit le sang à l’eau, à la couronne d’épines, à la flagellation,
à la sueur de sang, celui-ci est donc bien au cœur du sacrifice chrétien. Un
sang que Jésus présente d’ailleurs explicitement à ses disciples comme
boisson de rédemption et de vie éternelle en tendant une coupe de vin et en
disant « Ceci est mon sang » ; dans le christianisme, celui qui est considéré
comme le fils de Dieu fait donc de son sang la porte de l’autre vie, il doit
l’offrir en sacrifice pour sauver les hommes, il doit également l’ancrer dans la
tradition, en usant du vin, afin que les hommes à venir soient tout autant
sauvés que les premiers disciples.

Le sang de celui que la chrétienté nomme Seigneur est très présent dans les
rites des fidèles, l’histoire catholique puisant en abondance dans ce sang de
mort devenu source de vie. De fait, à la suite de Jésus, nombreux sont ceux
qui se sont inscrits dans son sang, et ce essentiellement à partir du XIIIe
siècle qui mit en avant le sang rédempteur du Christ ; on peut penser aux
stigmates des saints ou encore au sang des rois considéré comme sacré. Car
il existe une mystique royale, universelle au demeurant, mais
particulièrement attachée aux rois de France dans sa forme catholique ;
certains spécialistes envisagent ainsi l’exécution de Louis XVI comme étant
davantage celle d’un symbole que celle d’un homme.

Le sang est un breuvage qui promet l’éternité et les hommes ont soif de son
mystère ; c’est cette quête d’ailleurs et de transcendance qui se cache
derrière l’image du Graal. Le Graal, qui ne connaît pas cette merveille qui
anima les récits arthuriens et qui n’a cessé, depuis des siècles, de toucher les
esprits ? Le sang est la mort, le sang est la vie, le sang est la survie, le sang
est l’alliance, nous l’avons vu ; avec le Graal, le sang devient un rêve, il est ce
désir que les hommes ne combleront jamais tout à fait, il est ce souhait d’un
bonheur enfui qui ne cesse de guider les hommes vers leur propre aventure.

Avant d’être saint, le graal fut simplement un objet, il s’agissait d’un plat. Et
c’est Chrétien de Troyes qui lui a donné une postérité littéraire avec Le Conte
du Graal, un roman initiatique qui a traversé les temps ; devant un Perceval
hésitant et interdit, voilà qu’un étrange cortège se met en place et que l’on
sert un Graal, accompagné d’une lance qui saigne, de jeunes gens, de
demoiselles et de lumière à un roi singulier. Là est le mystère, là est
l’imagination…

« Il sortait une goutte de sang


Du fer, à la pointe de la lance,
Et jusqu’à la main du jeune homme
Coulait cette goutte vermeille. […]
D’un graal tenu à deux mains
Était porteuse une demoiselle,
Elle s’avançait avec les jeunes gens,
Belle, gracieuse, élégamment parée.
Quand elle fut entrée dans la pièce,
Avec le graal qu’elle tenait,
Il se fit une si grande clarté
Que les chandelles en perdirent
Leur éclat comme les étoiles
Au lever du soleil ou de la lune. »

Ce qui fait la force du Graal de Chrétien de Troyes, c’est qu’il donne


naissance au rêve, il n’impose aucune interprétation, mais agit comme un
reflet, voire un révélateur, de Perceval, du monde arthurien, et finalement du
lecteur. Laissé sans explications, Perceval ne sait que dire devant ce spectacle
insolite et son silence sera à l’origine de la perte du Graal ; il fallait poser la
bonne question, il fallait oser devant le Graal, car celui qui n’ose pas plonge
le monde dans le chaos. Et il s’agira dès lors de tout mettre en œuvre pour
revivre cet instant de plénitude qui a suspendu le Graal tel un désir, tel un
rêve.

Mais aux confins du rêve et du Graal, tout est sang, le roi est blessé, la lance
saigne sans fin et l’âge d’or s’éteint dès que le Graal disparaît ; ainsi le
monde arthurien ne reconnaît-il plus ses chevaliers les plus valeureux et les
héros d’autrefois n’en sont plus, Gauvain échouant à retrouver le Graal et
Lancelot lui préférant Guenièvre dans le Perlesvaus, un texte du XIIIe siècle
qui suivit le roman inachevé de Chrétien. Car voilà, Perceval perd le Graal
dans le conte du même nom et Gauvain part à sa recherche, le monde
devient étrange, tout n’est dès lors qu’attente fébrile et inversions des codes
courtois, et soudain le récit se suspend, Chrétien de Troyes étant
probablement mort en laissant le Graal offert à notre imagination. Écrire que
le XIIIe siècle l’a cherché, ce Graal légendaire, serait peu dire, tant les
continuateurs de Chrétien l’ont imaginé ; ils ont tantôt altéré sa forme,
parfois son pouvoir, et peu à peu, de la merveille qu’il était, le Graal se fit
relique sacrée. Par voie de conséquence, les chevaliers des temps courtois ne
pouvaient plus trouver ce Saint-Graal et l’on imagina alors des chevaliers
mystiques dignes de rapporter la coupe du paradis perdu, Galaad étant
l’exemple parfait de ces chevaliers désincarnés.

La quête du Graal était une rêverie intérieure, elle se changea au fil des
siècles en une démarche spirituelle, et il devint impératif de trouver la coupe
du sang du Christ, une coupe qui donnerait la vie éternelle ; certes, le Graal
prit plusieurs formes, il fut même une pierre incandescente, mais c’est sous
sa forme de coupe qu’il est le plus représenté, la coupe répondant à la lance,
le principe féminin faisant écho au masculin. De tout temps, la coupe fut le
contenant d’une alliance divine, mais avec le Graal, elle est devenue le calice
d’un désir de vie nouvelle.

Quand le Graal apparaît dans la littérature arthurienne, il suscite en effet un


désir qui vient presque occulter toutes les aspirations courtoises de
l’époque ; ainsi les chevaliers qui partent à sa recherche se trouvent-ils
confrontés à un choix impossible, à savoir aimer leur dame ou adorer le
Graal, celui-ci excluant peu à peu l’appartenance de corps et d’âme à une
femme. Aussi le Graal serait-il le rival de la femme, serait-il un autre désir ?
Rien n’est tranché, mais c’est perceptible ; toutefois, s’il est certes mis en
concurrence avec les demoiselles de la littérature courtoise, le Graal est
également un garant de leur sécurité, car dès lors qu’il disparaît, le monde
devient violent, les dames sont bafouées et la bienséance s’efface. Il est
même des demoiselles étranges qui se dressent sur la route des chevaliers
pour les provoquer et rappeler leur faiblesse, la femme semblant à la fois la
complice du Graal et son autre versant. Peut-être que le Graal anime un désir
suprême qui se doit d’étouffer tous les autres désirs, celui de la dame avant
toute chose ; pourtant, malgré cette condition impérieuse, Lancelot préfèrera
Guenièvre au Graal, et c’est là une transgression magnifique que nous offre
la littérature médiévale.

Perceval, quant à lui, est bien l’élu du Graal, son destin est lié à cette coupe
qu’il a trouvée et qu’il a perdue ; mais il est aussi l’élu d’une demoiselle
nommée Blanchefleur dans Le Conte du Graal, un amour qu’il aurait pu
étouffer, mais qu’il finira par faire éclore. Perceval est peut-être le chevalier
de toutes les incertitudes, un chevalier débutant et pétri de conseils qu’il ne
faudrait pas forcément suivre. Et pourtant, c’est ce chevalier que le Graal a
choisi, signe que Chrétien de Troyes préfère assurément la fragilité
humaine à la perfection infaillible. Car au-delà de tout ce qui sera fantasmé
au cours des siècles autour de la glorieuse coupe, il ne faudrait pas perdre de
vue que le Graal parle avant toute chose à l’âme humaine, il reflète nos désirs
et nos peurs, il anime notre soif d’aventure et nous attire vers la lumière, il
parle de cet autre oublié qu’il faudrait retrouver, et peut-être parle-t-il
principalement de nous-mêmes, le Graal étant avant tout en nous.

C’est probablement le sens du fameux épisode du sang sur la neige du Conte


du Graal ; il s’agit là d’un thème folklorique auquel Chrétien de Troyes a
donné une portée et une force littéraires remarquables :

« Le sang et la neige ensemble


Sont à la ressemblance de la couleur fraîche
Qui est celle du visage de son amie.
Tout à cette pensée, il s’en oublie lui-même. [...]
Il n’était plus que regard. [...]
Sur les gouttes rêve Perceval,
Tandis que passe l’aube. »

Le sang sur la neige que contemple Perceval est bien celui d’un souvenir.
Mais cette vision du sang, c’est avant tout l’éveil des sens, c’est l’image
poétique de ce que l’on ne sait plus nommer, mais qui nous manque
intimement ; ce n’est pas une extase, mais bien un rêve éveillé, une
métaphore de ce qui nous anime et ce qui nous attend, l’aventure de l’amour
peut-être, l’aventure de la vie sûrement.

Le mythe du Graal est le mythe de la soif de l’âme, il raconte ce que le cœur


humain a de plus merveilleux et de plus secret ; et si le Graal annonce une
éternité resplendissante, il faut comprendre qu’il offre avant tout
l’illumination humaine. Le Graal est peut-être sacré, mais c’est le rêve
humain qu’il suspend dans les cœurs qui est encore plus sacré.

Si le Comte Dracula de Bram Stoker donne l’immortalité, le Graal de Chrétien


de Troyes promet l’éternité ; mais les deux romans sont bien initiatiques, il
s’agit de s’approcher du sang de l’outre-tombe et de désirer le sang de
l’autre vie. Dans les deux textes, le sang est lié au désir et aux sentiments
exacerbés, Dracula nous parle d’une possession qui défierait la mort, le Graal
nous invite à une quête d’amour. L’amour, le mot est lâché, car le sang, c’est
aussi l’amour, on saigne d’amour, on pleure du sang, et ces larmes qui
coulent, c’est bien le cœur qui saigne, Rûmî dira ainsi :

« Nos yeux, nos visages, nos cœurs sont ensanglantés. »

Beaucoup de civilisations ont considéré le cœur comme étant le siège des


sentiments ; au-delà de la pulsation de vie, le cœur est avant tout le centre
des émois, et Rûmî d’écrire encore :

« Et le sang de mon cœur a coulé jusqu’au sol,


Viens et vois ce que l’amour a fait de moi. » 

Le sang était la mort, il est devenu la vie et a donné l’amour ; « Quel bonheur
de comprendre que son sang coule dans les veines de l’objet aimé »,
précisera ainsi Bram Stoker dans Dracula. Imprégnant les champs de bataille,
s’échappant du corps des femmes, transmis comme une menace ou versé
comme une offrande, le sang est là, il coule inexorablement comme un
sentiment précieux.

Et malgré cette présence de tous les instants, le sens du sang est


vraisemblablement dans le « sans » ; en effet, c’est quand il s’éclipse qu’il
inonde tous les imaginaires. Aussi peut-on lire à la fin de Dracula : « Chose
curieuse, dans l’ensemble des témoignages qui composent le dossier, c’est à
peine s’il y a une pièce authentique ». Car la force du mythe du sang réside
peut-être principalement dans son évanescence ; ainsi Dracula peut-il bien
engendrer toutes les peurs du roman, il s’insinue cependant entre les lignes,
tel le Graal, objet d’un désir inassouvi et éternel absent. C’est bien
l’imaginaire qui rend le sang puissant, et finalement sacré.

Le sang est mort, il est naissance, il est renaissance ; il est la peur, il est le
désir, il coule dans nos veines, mais il nous échappe. Au-delà de tous les
fantasmes et toutes les transcendances, le sang est bien la vie, la vie dans ce
qu’elle a de plus humain, la vie dans son cycle éternel. Le sang circule dans
le corps humain comme les hommes cheminent dans leur histoire.

Note 1 : Pour celles et ceux qui auraient envie d’approfondir leurs connaissances sur le
mythe du sang et les multiples et étonnantes facettes du vampirisme, je ne saurais que trop
conseiller le jeu Dracula 3, la Voie du Dragon que vous pouvez découvrir et télécharger
sur cette page.

C’est un jeu un peu ancien (il fonctionne toutefois sur OS X Mountain Lion), aux graphismes
soignés, mais assez statiques, qui vous surprendra néanmoins par la richesse de son
contenu et l’intelligence de son scénario ; que vous aimiez l’Histoire, l’histoire de l’art ou les
mythes littéraires, que vous vous intéressiez aux sciences humaines, à la biologie, aux
sociétés secrètes ou au symbolisme, je pense que ce jeu, assez difficile, saura vous toucher .

Note 2 : Je souhaite préciser que les recherches de Jean-Paul Roux et le Dictionnaire des
symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant m’ont grandement accompagnée dans la
rédaction de cet article.

Addenda : Comme cette troisième partie de l’article s’articule autour des fantasmes et des
transcendances liés au sang, donc autour du mythe de Dracula et du mythe du Graal (ce
sont-là deux grands mythes du sang), j’ai divisé le plan en quatre parties, Dracula et le Graal
formant les parties 2 et 4, parties que j’ai liées à deux mouvements en rapport avec elles, à
savoir un sang élitiste dans la partie 1 et un sang lié à l’âme dans la partie 3,
puisqu’évidemment, qui dit vampires dit hiérarchie supposée et qui dit Graal imagine une
forme d’élévation.

Le sang bleu, lié aux classes, permet d’enchaîner sur un sang instrumentalisé par la
politique, un sang qui répertorie les êtres humains, ceci à l’image des groupes sanguins qui
les classent également, et j’explique que cette hiérarchisation du sang instaure une vision
élitiste.

Ce qui permet de continuer sur le mythe des vampires né d’une volonté d’imaginer des
surhommes ; je débute la partie par l’histoire des vampires suivie de Dracula, et comme
celui-ci est lié aux fantasmes et à la thématique de la transmission, je parle d’abord de la
porphyrie, « maladie des vampires » (qui fait miroir aux groupes sanguins précédemment
évoqués), puis du sida, maladie liée à bien des fantasmes également et évidemment à la
transmission ; quant à la vision de Francis Ford Coppola, elle s’inscrit dans cette thématique
du fantasme, d’autant plus que le film est sorti au cœur des années sida et que Coppola le
soulignait à l’époque.

Dracula personnifiant le sang, il ouvre naturellement la partie 3 puisque j’explique que le


sang a été vu comme une entité vivante par bien des civilisations et qu’il fut même lié à
l’âme. Je développe ensuite ce qui découle de ce lien, à savoir le rapport à la mort et au
divin, et donc au sacrifice. Le sacrifice des hommes est alors abordé, suivi de celui des
dieux, en précisant en parallèle les subterfuges proposés et par les hommes, et par les
dieux, ainsi que les substituts du sang. Le vin comme substitut par excellence nous permet,
tout en restant dans la thématique de l’âme, de parler du Christ et des dieux sacrifiés, la
mystique royale s’inscrivant dans la même vision sacralisée du sang que nous retrouverons
avec le Graal, la coupe du sang du Christ servie à un roi.
L’enchaînement avec le Graal me paraît donc évident. Je le présente d’abord, j’interprète la
scène du Graal ensuite, scène qui unit le sang au rêve (ce qui donne donc comme
mouvements l’élite, les fantasmes, des hommes et des dieux et enfin le rêve, vous pouvez
ainsi voir les échos entre les parties). J’explique que le Graal de cette scène deviendra une
merveille sacrée au fil du temps, ceci en étant une coupe, et la coupe étant liée au principe
féminin, je tente ensuite de montrer le lien existant entre la femme et le Graal (ce qui fait
miroir avec la deuxième partie de l’article qui s’articulait autour des femmes) ; des femmes,
du Graal et du désir, j’en arrive à l’interprétation du sang sur la neige qui les concerne tous
les trois. Cet épisode me permet de dire que le Graal est humain avant tout, l’humanité, le
sang et le rêve étant contenus dans le Graal.

Je continue en liant Dracula au Graal, les deux étant associés au thème du désir, et donc aux
passions et au cœur ; celui-ci est même lié au sang qui coule dans la littérature, ce que je
remarque. Enfin, je parle du « sans », car la notion d’absence s’applique aussi bien à Dracula
qu’au Graal. Et je conclus en essayant de faire écho à l’introduction générale qui se trouve
dans la première partie de l’article.

J’espère que cette explication un peu technique vous aura été utile, Alias, c’est son seul but,
et je m’excuse une nouvelle fois de vous avoir éventuellement tous endormis avec cette
structure. Quand il s’agit de plan, il ne faut pas non plus oublier que chaque personne a sa
propre logique et qu’on peut imaginer, à partir d’un même sujet, plusieurs dissertations qui
seront toutes intéressantes, mais construites sur des plans aussi différents que cohérents ;
c’est là une des richesses du travail littéraire d’ailleurs, car c’est passionnant de voir en quoi
la pensée doit suivre des codes pour être intelligible, mais conserve avant tout une grande
liberté d’expression.

Anne L

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