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Journal des savants

À propos des «mathématiques babyloniennes»


Fr. Thureau-Dangin. Textes mathématiques babyloniens transcrits et
traduits, 1988
Abel Rey

Citer ce document / Cite this document :

Rey Abel. À propos des «mathématiques babyloniennes». In: Journal des savants, Janvier-mars 1940. pp. 16-26;

https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1940_num_1_1_6268

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Ì6 ABËL HEY

Si l'on tient compte de tous les faits mentionnés dans cette étude, cfue
l'archéologie nous a révélés et qu'elle continue de nous révéler chaque
jour, on reconnaîtra l'exactitude, au moins approximative, du chiffre
proposé par C. Jullian pour la population de toute la Gaule romaine. En
réalité, dans ce pays riche, florissant et laborieux, à qui la puissance
romaine avait assuré la paix intérieure et qu'elle avait protégé contre les
convoitises des Germains par la forte barrière militaire élevée dans la
vallée du Rhin, vivait une population dont la densité, la répartition, la
distribution entre les villes et la campagne ne devaient pas être très
différentes
étaient au xixe
de cesiècle.
qu'elles sont aujourd'hui, tout au moins de ce qu'elles

J. ToutAin.

A PROPOS DES « MATHÉMATIQUES BABYLONIENNES »

Fr. Thureau-Dangin. Textes mathématiques babyloniens transcrits et


traduits. Un volume in-8°, XL-293 pages. Leyde, E. J. Brill, 1988.

M. Thureau-Dangin vient de réunir en un beau volume les résultats


qu'il a acquis depuis de longues années surla mathématique chaldéenne
— du moins les plus importants et les plus originaux d'entre eux : ceux
qui concernent des problèmes proprement dits. Sont exclues ces tables,
si caractéristiques de la mathématique chaldéenne, de l'égyptienne et
de la logistique astronomique des Grecs (les tables des cordes). Caracté¬
ristiques, il faut bien dire, de toutes les mathématiques calculantes (nos
tables de multiplication, de logarithme, nos barèmes, etc...). Mais dans
les mathématiques archaïques 4, elles étaient plus capitales encore.
Le recueil des problèmes qui nous sont présentés ici n'est pas une

simple
leur structure
transcription
et une
ordonnée.
remarquable
11 suppose
perfection
une profonde
dans la réflexion
traduction.
sur

M. Thureau-Dangin possède, comme sans doute personne au monde, la


langue mathématique chaldéenne. Si l'on n'en était pas assuré par la

babyloniennes
passe
1. Archaïques
techniqueetdeetégyptiennes
calcul.
non primitives,
sont déjà
comme
trèsonévoluées
dit quelquefois.
et supposent
Us un
mathématiques
très lointain
textes mathématiques babyloniens il

simple traduction elle-même, car pour traduire des textes de ce genre


il ne suffit pas de posséder la langue et de faire un mot à mot, la
très savante, quoique très sobre, Introduction, qui la précède, nous en
serait le décisif témoignage.
Et l'on comprend très bien que la Société orientale « Ex Ofiehl'è
lux » ait tenu à demander à M. Thureau-Dangin, pout" inaugurer la
série de ses luxueuses publications, les « 'Textes mathématiques baby¬

loniens
gure
la savante
cette
», leur
Compagnie
série,
traduction
valent
d'Orientalistes
d'être
et leurrapportés.
commentaire.
de Leyde
Aussi
Les
remercie
bien
termes
résument-ils
celui
dansqui
lesquels
inau¬
d'a¬

vance le jugement que tous porteront sur l'œuvre.


« Après avoir mis au jour des ouvrages pour lesquels l'Assyriologie
et en particulier la connaissance de la langue Sumérienne lui doivent
tant, M. Thureau-Dangin donne maintenant le résultat de ses études
sur la mathématique babylonienne.
« Avec son acribie sans pareille et sa prudence rassurante, il est un des
savants à qui répugnent toutes les théories mal fondées, un de ceux qui
continuent la vieille gloire d'exactitude et de bon goût de la philologie
française. Ses œuvres équivalent à celles des archéologues français qui
ont ouvert la Chaldée pour la science moderne faisant connaître, eux 1rs
premiers, la civilisation des Sumériens. »
L'ouvrage in quarto comprend XL pages d'Introduction, le texte
établi et la traduction de 6a3 problèmes, et un Lexique comprenant les
termes mathématiques accadiens, les noms de nombres écrits phonéti¬
quement ainsi que les idéogrammes (en tout 243 pages). Y sont dé¬
chiffrées et classées 57 tablettes et énoncés les sujets de plusieurs frag¬

ments
Le classement
(qui n'apprennent
des tablettes
rien deestnouveau
fait d'abord
par rapport
d'aprèsauxleurs
précédentes).
lieux de

dépôt : Musée britannique, Musée du Louvre, Université de Strasbourg,


Université de Yale. Suit un appendice (comprenant des fragments divers).
Il est fait ensuite dans chacune de ces divisions, s'il y a lieu, trois
groupes chronologiques.
M. Thureau-Dangin, adoptant d'ailleurs les méthodes bien éprouvées
utilisées pour établir la chronologie des textes babyloniens, les rapporte
soit à l'ancien âge (autour de 2000), soit au moyen âge babylonien qui
suit, soit au temps des Séleucides (3i i-64).
ancienneté
La plupart
même,
des tablettes
appartiennent
(70) etàlesl'ancien
plus importantes,
âge. Une seule
à cause
tablette
de leur
du

SAVANTS. 3
ABEL tVEY

Musée du Louvre (AO 17264) appartient au moyen âge, et deiix au temps


des Séleucides, l'une au British (BM-34568), l'autre au Louvre (AO
6484). L'incomparable intérêt de l'ouvrage consiste dans l'établissement
du texte el dans la traduction de ce matériel, dont on ne pourrait exa¬
gérer l'importance. Il est à peine besoin de dire que ces deux tâches ont
été accomplies de main de maître. Tous les orientalistes seront de cet
avis Evidemment il y a des points controversés. L'auteur a toujours
soin de les discuter et de justifier ses interprétations. Il en est peut-être

qui
nos maintiendront
xvne et xvnie contre
siècles,luinous
les leurs.
constatons
Mais, même
de bien
pour
nombreuses
un classique
diver¬
de

gences sur la signification de certains textes. Ce qui est étonnant c'est


qu'il y en ail au fond si peu à l'égard des textes mathématiques cunéi¬
formes, dont la pensée, les procédés, sont pourtant bien loin des nôtrês.
Je ne suis pas orientaliste. Tout ce que je puis dire c'est que les propo¬
sitions de M. Thureau-Dangin me paraissent presque toutes ou plus
plausibles que celles de MM. Neugebauer ou Vogel, ou au moins aussi
plausibles. 11 n'y a guère que les très séduisantes explications mathéma¬
tiques de M. Gandz (il vise encore plus les deux savants allemands que
M. Thureau-Dangin, car ce dernier a bien vu les rapports avec Diophante)
qui me rendent hésitant au point de vue de certaines opérations.
Il faut dire tout de suite qu'il n'y a aucun raisonnement dans les
tablettes. Jamais on ne formule une règle, un rappel. Seuls, la suite des
opérations effectuées et les résultats nous permettent de reconstituer les
cheminements suivis. Et, dans cette reconstitution, le parallélisme avec
Diophante (livre I des « Arithmétiques » problèmes 27-30), la compa¬
raison avec les trois types arabes de l'algèbre d'Al-Khuwàrism", enfin le
caractère plus archaïque et aussi bien plus arithmétique qu'algébrique
au sens propre et strict des mots, que M. Gandz attribue d'une façon
générale à la solution des problèmes où interviennent les carrés, voire
les cubes, soit des problèmes du 2e ou 3e degré, me troublent et me
rendent hésitant. Ma constante méfiance est réveillée et confirmée, à
l'égard d'une algèbre, avant le bel ensemble de l'algèbre géométrique

d'Euclide,
marque
babyloniens
pas
quiet
assez
en
lesestthéorèmes
la une.
différence
Et ici,
grecs
d'esprit
je suis
universels,
aussi
et decontre
portée
indépendants
M.
entre
Gandz,
les decalculs
qui
toute
ne

mesure (puisque s'appliquant à toutes indifféremment), et valables pour


tous les nombres
longue, subtile etréels.
minutieuse
Il m'estpour
impossible
justifierd'entamer
mon hésitation.
ici une discussion,
Il faudrait
TEXTES MATHÉMATIQUES BABYLONIENS 19

d'abord commencer par définir l'algèbre, malgré l'indécision de ses


frontières avec l'arithmétique, les frontières non conventionnelles soni
toujours indécises. Aussi bien i'ai-je fait, et le ferai-je encore ailleurs,
de même que je reprendrai la question de l'origine du système sexagé¬
simal (insoluble de façon décisoire, je le crains). Je persiste à trouver
que M. Tliureau-Dangin dans celle question ne se soucie pas assez de
la division du cercle par te rayon du calendrier, puis de la mesure du

naïve
temps lieensi général
naturellement
(partout
au cercle
astronomique),
de l'horizon
et que
ou del'intuition
la trajectoire
la plus
des

astres (l'équateur, 1 ecliptique, le méridien) et qu'elle lui a lié à peu piès


partout ailleurs, jusque dans notre numération* actuelle relative à la fois
au cercle et au temps, héritée, à (ravers les Alexandrins, de la numéra¬
tion sexagésimale chaldéenne. A mes yeux, cette origine, complexe mais
une (le cercle annuel et quotidien des astres), surtout si l'on considère
ses attaches religieuses, et en l'absence de tout document clair sur la
question, reste possible — comme d'autres, pas plus mais pas moins. —
Bien entendu, le système sexagésimal des problèmes est un système
savant (M. Thureau-Dangin a le grand mérite de l'avoir mis en évi¬
dence), aussi loin des origines grossières de la numération sexagésimale
du temps, que notre numération décimale l'est du compte digital. 11 fut

des
développé
calculsconsciemment
astrologiques sans
en Chaldée,
doute à lesquels
cause decomportent
l'importance
(à religieuse
caufce de

l'importance des t2 mois lunaires, qui foiit, à 5 jours près, l'année de


36o jours), le facteur
sous-multiples. Dans une
6, rapport
arithmétique
du cercle
où laaumultiplication
rayon, et sesetmultiples
la division
et

sont opérations souvent difficiles avec la numération décimale (voir les


Égyptiens),
tait des avantages
le système
immédiats
chaldéenmalgré
en admettant
sa lourdeur,
les facteurs
étant 2,donné
3, 5, présen¬
surtout

que
M.les
Thureau-Dangin
ordres usuels yrésume,
étaient très
en tête
peudenombreux.
son Introduction, cette numé¬

ration savante, à laquelle il a déjà consacré, il y a quelques années, un


si intéressant ouvrage, dont un compte-rendu a paru ici même1. 11 rappelle

les
queunités
les ordres
successives
combinent
étantle1, système
10, 60, 600,
décimal
3, 600,
et leetc...,
systèmeen faisant
sexagésimal,
alter¬
ner les ordres décimaux et les ordres sexagésimaux. Ceci doit intéresser
directement la formation du système, héritier plausible de deux systèmes

1. Abel Rey, I e système sexagésimal assyrien , 1933, p. 107-1 1 y.


20 ABEL REY

plus rudimentaires : le système populaire babylonien, décimal, et le

système
tions avec
sexagésimal,
la mesure du
sumérien,
cercle et bientôt
du temps).
plus Rappelons
savant (à cause
nous de
queses
lesrela¬
pri¬

mitifs ont en général des systèmes de numération à base 5, 10 ou 20,


donc décimaux, et la base 10 paraît être celle que fixe finalement révo¬
lution. Le seul système sexagésimal connu jusqu'ici est le sumérien.
Cependant les nombres 3, 6 et 12 — nombres qui se présentent si sou¬
vent avec des caractères religieux, sont fréquemment utilisés dans le
sy>tème métrique : la douzaina et la demi douzaine, et dans la mesure
du temps, qui fait appel aussi au 3e terme de la progression arithmé¬
tique de raison 3, soit 9 (nones et neuvaines). Tout ceci, à mon sens,
peut être pris en considération quant aux origines lointaines, populaires
d'une part, ésotériques de l'autre, du système sumérien. Les relations
religieuses ou magiques devraient être cherchées plus qu'on ne le fait
dans les questions d'origines. Le nombre comme la figure géométrique,
représentations collectives au premier chef, a toujours et partout été
lié plus ou moins au sacré.
Or, en arrivant au système métrique dont M. Thureau-Dangin nous

donne une vue


l'utilisation de 12
d'ensemble
et 6 : le Nmda
remarquable,
est unedans
mesure
sa de
sobriété,
12 coudées
on aperçoit
et elle
est l'unité moyenne (par son ordre de grandeur) des mesures de lon¬
gueur, dont le doigt , la coudée et la canne (6 coudées) sont pour ainsi
dire des sous-multiples. Chaque coudée comptant 3o doigts, le Ninda a
36o doigts, ou 12 coudées de 3o doigts. Y a-t-illà un désir de symétrie,
une analogie lointaine avec la mesure des temps, ou plutôt avec des
nombres privilégiés à cause du caractère sacré de cette mesure qui
rythme les fêtes ?... Le même terme Ninda désigne t /60 de degré-temps.

La documentation
(c'est un pléonasme)
est pourrait
jusqu'ici peut
muette.
être Mais
y trouver
la sociologie
un thèmecomparée
de re¬
cherches. N'oublions pas que l'heure babylonienne est le double de la
nôtre : 6 heures de nuit et 6 de jour (quelle que soit leur valeur relative,
selon la saison, l'écart étant moindre du reste que sous nos latitudes);
cl
née,qu'elle
comme estledivisée
Ninda en
d'arpentage
3o degrés-temps,
et ses 36o
au doigts.
lotal encore 36o par jour¬
TEXTES MATHÉMATIQUES BABYLONIENS 21

II

Ce qui est vraiment magistral dans l'œuvre du grand assyriologue,


c'est l'incomparable documentation rassemblée sur la mathématique
babylonienne et surtout sur l'équation du 2'"e degré. Quelles que soient

les
et cette
interprétations
traduction,des
grâce
procédés
à l'excellent
de solution,
lexique
cette
et mise
aux remarques
au point des
philolo¬
textes

et
mière
giques
en main.
langue
de l'Introduction,
assyrienne permettent
de travailler
auxà profanes
même les en documents
lecture cunéiforme
de pre¬

M. Thureau-Dangin insiste d'abord avec raison sur I usage de « l'in¬


verse » en mathématique babylonienne : r/3 est appelé « l'inverse » de 3.

Il y a là l'indice
relativité, comparable
d'une àremarquable
celle que présente
analyse ladunumération
nombre abstrait
de position
et de sa
et

Cette
qui montre
notion lade haute
« l'inverse
valeur» de
a eulad'ailleurs
pensée mathématique
une fortune immense.
babylonienne.
La ré¬

duction des fractions égyptiennes aux tantièmes est évidemment une


commodité graphique et une commodité de calcul : l'utilisation pure et

simple, detelle
notion l'inverse
quelle, etdespar
règles
là peut-elle
relativesseaux
rattacher
entiers.à Mais
une même
elle esttradition
aussi la

ceux-ci
que la est
tradition
à peu près
des l'analogue
Babyloniens.
de celle
D'autant
des plus
quatre
que
papyrus
la géométrie
égyptiens
de

(pauvre documentation il est vrai) remontant à la fin du Haut Empire

renconirons
(1.800),
L'activité
géométrie
originale
dans aucun
toute
de métrique
laautre
mathématique
documeni
et calculante,
babyloniennne
de cette
sanslointaine
plus.— que
époque
nous (les
ne

premiers ensuite
l'ensemble si remarquable
seront lesdes
« Arithmétiques
problèmes, que
» de
nous
Diophante)
pouvons appeler,
— c'est

avec des précautions sur lesquelles j'ai insisté ailleurs algébriques :

nieuses
par là même
de Bortolotti)
purs problèmes
et bien qu'ils
de calcul
aient(malgré
pu, qu'ils
les aient
constructions
dû, serviringé¬
à la

mesure
reste aucune
(origine
trace).
géométrique
Rien ne paraît
bien avoir
difficile
été àfait
contester,
pour la pure
maissatisfaction
dont il ne

intellectuelle, avant
monstrative, pour le
la vepure
siècledémonstration,
hellène, jusqu'à
ni plus
cherché
ample
par
informé.
méthode dé¬

Ces problèmes, pour suivre une division qui, alors, est artificielle, sont
2$ ABEL REY

du ier et du 2e degré, avec une apparition du 3e : en réalité problèmes de


grandeurs linéaires, de produits et de doubles produits, parallèles aux
longueurs, surfaces et volumes, (mais sans référence directe, semble-t-il,
à des intuitions dans l'espace, encore qu'ils en aient pu vraisemblable¬
ment sortir). Témoins les expressions dont on se sert : front, flanc,
comme nous-mêmes disons carré, cube, pour les puissances. Mais en
l'état, M. Thureau-Dangin y insiste avec raison, ce sont questions numét
riques, qui ont pu et peuvent servir, mais ne servent pas nécessairemen-
et ne servent plus en réalité, à la mesure des grandeurs spatiales, bien
qu'on puisse les utiliser, selon la profonde définition de la mathématique
par Comte, à la mesure indirecte de ces grandeurs. Directement, ce sont
des calculs arithmétiques, tout du long.
A vrai dire, ce sont les problèmes du 2e degré qui constituent ici —
avec la part du lion — l'apport capital de la mathématique babylonienne
à la mathématique universelle. Car dans le Rhind le calcul du Hau est
du même genre que les problèmes du ier degré des tablettes. (N'en pro-
vienneut-ils pas?) C'est de l'arithmétique qui évoque tous nos problèmes
d'arithmétique élémentaire, encore traités tels quels dans nos écoles,
avant toute connaissance algébrique, ces problèmes de pommes, de
fioles, de bassins, des salaires, dont parle Platon pour les mépriser : art
(et non science) du calculateur (du logisticien). Ils sont résolus, à l'aide
des données numériques de l'énoncé et d'une certaine ingéniosité pour
les combiner. Ingéniosité qui se ramène, en sa plus grande finesse à la
méthode de fausse position, maniée d'une façon subtile et élégante par
toute la mathématique de la première grande époque (Egypte comme
Chaldée).
Il est manifeste que celte méthode évoque des solutions toujours assez
particulières — bien qu'elles servent de paradigmes à tous les problèmes

de même
près à ce mot
variété,
le sens
mais
qu'il
de amême
dans variété
les classifications
seulement,des
en naturalistes.
donnant à Ellepeu

est réellement une méthode d'essais constants. Mais ces essais impliquent
un savoir et des « habitudes » mentales plus ou moins conscientes,
permettant de passer de nombres privilégés, et choisis pour cela, aux
nombres proposés : paradigmes qui se subordonnent à un paradigme
plus général. Et c'est en cela que cette arithmétique s'approchera par
degrés d'une algèbre analogue à la nôtre. — Jusqu'à ce qu'on ait aban¬
donné toute considération de nombres pour ne plus avoir en vue que des
relations nécessaires entre nombres quels qu'ils soient, bref des fonç-
TEXTES MATHÉMATIQUES BABYLONIENS 23

lions. La fausse position Ja plus fréquente et la plus naturelle est de


fixer arbitrairement d'abord à i la valeur des deux inconnues (ier pro¬
blème du ier degré cité par M. Thureau-Dangin).
Le 2e exemple établit, entre les 2 inconnues qu'il comporte, Une rela¬
tion. Il exprime l'une en fonction de l'autre. On ne peut dire qu'il
transporte cette valeur d'une équation dans l'autre. Il n'y a jamais en
effet mise en équation ni calcul sur l'inconnue en tant que telle et repré¬
sentée alors nécessairement par un symbole, ce symbole figurant dans
les opérations au même titre que les données numériques : ce qui sera
le propre de l'algèbre de Diophante, des Indous, des Arabes et du
Moyen-âge, bref de la première forme de la véritable algèbre. II n'en
reste pas moins que cette opération évoque notre propre méthode de
substitution, amenée accidentellement ici sans doute par la facilité d'ex¬
primer une inconnue en fonction d'une autre. Il n'y a en tout cas nulle
trace d'une règle universelle, universelle parce q,ue rationnelle, d'après
une logique opératoire, un raisonnement déductif, caractéristique aussi
de la véritable algèbre. Rien donc de notre théorie démonstrative géné¬
rale de l'élimination par substitution.
On vient de dire : jamais de mise en équation. Quand nous arrivons
aux problèmes du 3e degré, nous en trouvons tout un lot dont l'énoncé
est formulé de telle sorte qu'il est lui-même une équation du 2e degré.
Et c'est pourquoi celle-ci a l'air d'être écrite à simple contingence. Dans
la tablette du British i3goi nous lisons : « J'ai additionné la surface
et le côté de mon carré : 45' ». Ce que nous écrivons x-f-x—fô' ;
puis le problème inverse : « J'ai soustrait... » (x2 — a;=i4'3o). Ce
lot fournit du reste les seuls exemples de ce langage. Partout ailleurs
l'énoncé fournit les données numériques comme elles viennent. Suivent
les opérations qui résolvent la question, sans qu'elles soient jamais moti¬

vées. C'est
exact — en un
général
paradigme
— : bref
de calculs
tout seà passe
faire etcomme
cjui nous
si nous
amène
étions
au résultat
en face

d'essais heureux qui ont été conservés, analogues aux résultats d'opéra¬
tions uniques (multiplication, division, et cubes), conservés sur les tables
qui paraissent un des buts de la mathématique de ce temps. La diffé¬
rence, c'est qu'ici les opérations sont complexes et, par conséquent, indi¬
quées et effectuées.
D'un intérêt immense est la solution de nombre des problèmes du
2e degré conservés dans les tablettes venues jusqu'à nous (et non de tous,
ce qui, pour l'histoire de la pensée mathématique, est capital, car cela
AËEL ftEY

montre bien qu'il s'agit de tours de mains empiriques trouvés heureuse¬


ment et conservés comme tels, sans théorie générale). D'un intérêt

immense,
par exemple
carselatraduit
suite dans
des opérations
notre langage
indiquées
commepour
suit les
: iers problèmes

x = (1/2)2 + 45' — 1/2 = 3o'


Qu'est-ce à dire, sihOn que l'énoncé x* -)-1 = 45', d été transformé
toujours dans notre langage d'équation en une équation équivalente.
x$ x + (1/2)2 = (1/2 Y + 45'

Pourquoi ? parce que, avec cette addition qui ne change rien, puis¬
qu'elle
est le carré
est faite
parfait
dans
deles
x deux
+ 1/2.
termes, le premier terme x* -)-x + (1 /if

nieuse
La méthode
extensiondea consisté
fausse position,
à transformer
dont tout
la somme
ceci n'est
donnée
qu'une
danstrès
l'énoncé
ingé¬

en un carré parfait', celui de x -j-1/2. O11 revient ensuite aux données,


selon la démarche rationnelle (proportionnalité) impliquée tout instincti¬
vement dans la méthode de fausse position.
Mais, on l'a vu tout de suite, c'est là la méthode que le génie humain

a2e plus
degrétard
et qui
universalisée
fournira le moyen
et démontrée
d'arriver
comme
par extension
solution etdetransformation
l'équation du

appropriées aux solutions, générales aussi, des équations pour lesquelles


il y a solution générale : celle du 3e et du 4e degré. Bien entendu,
comme M. Thureau-Dangin le fait remarquer, ce procédé implique la
connaissance, sans démonstration, au contraire, d'Euclide, des carrés
de la somme et de la différence des 2 nombres. La solution : compléter
le carré n'est, absolument parlant, que cette remarque technique.
Les calculateurs babyloniens nous ont laissé des problèmes beaucoup
plus compliqués, mais dont la formule finalement revient au même. Il
faut lire, dans la savante introduction du bel ouvrage, dont nous nous
excusons de donner un si faible aperçu, comment sont débrouillés et ces
problèmes complexes du 2e degré, et les quelques problèmes soit bi¬
carrés (4e degré mais facilement réductibles au 2'), soit du 3e degré qui,
après les surfaces, évoquent les volumes. Tout ce démontage est d'une
intelligence aiguë, mais il est trop technique pour entrer dans ce compte
rendu. Il faudrait citer le texte en son entier. Qu'on s'y reporte. Ceux
que la question intéresse y trouveront enseignement et plaisir certains.
Rappelons que Gandz a pu interpréter de façon différente nombre de
ces problèmes, en suivant lui aussi la suite des opérations indiquées par
TEXTES MATHÉMATIQUES BABYLONIENS

le scHbe. Je le mentionne {jour bien montrer que le travail n'était pas


simple. Il s'agit non seulement de traduire, mais d'interpréter. Il n'en
reste certaines
dans pas moinssolutions.
que le complément
Truc et non
du méthode
carré est dértlonstraliVe,
un truc qui apparaît
encorë

une fôis, puisqu'ailleufs le procédé de fcalcul, M. Thureau-Dangin l'a


expressément signalé, est absolument différent.
Mais que ce truc ait été trouvé et employé, quand les doniiées S'y
prêtaient, ne permet-il pas de conclure avec notre grand assyriologue :

« L'algèbre
n'a rien de « babylonienne,
transcendant ».
on Elle
a pu n'en
en juger
est pas
parmoins,
l'exposé
eu qui
égard
précède,
à son

antiquité, un fait surprenant. Les textes les plus anciens qui nous soient
parvenus, témoignent, dans le maniement de l'équation du deuxième
degré, d'une telle maîtrise, qu'il paraît peu douteux que l'algèbre ait eu
une
Sumériens
longue ».
histoire antérieure et que les Babyloniens l'aient héritée des

Ces textes sont, rappelons-le, de la fin du IIIe, ou du début du IIe


millénaire (Hammurabi 2002-1960). Je maintiens, pour ma part, une
différence nette, une différence d'essence, diraient les philosophes, entre
cette remarquable, très remarquable technique, restée empirique et, par¬
tant, sans universalité, et une algèbre véritable. Celle-ci, à mon humble
avis, ne commence — et encore d'assez loin — qu'avec l'algèbre géomé¬
trique d'Euclide (le géomélrisme étant une forme symbolique, par son
universalité, el les livres VII-X d'Euclide le ipontrent à l'évidence). Elle
se continue avec l'algèbre numérique de Diophante où l'inconnue est,
par son symbole, un nombre comme un autre, mais surtout avec l'algèbre
qui la développe chez les Indous, puis, chez les Arabes, avec la mise
en équation. Mais je crois aussi que les Grecs, dans les deux siècles de
recherches que condense Euclide, n'ont fait qu'universaliser en cherchant
« le nécessaire », dans une science « libérale », ces paradigmes
techniques et singuliers, mais privilégiés, trpuvés par les Babyloniens,
et avant eux sans doute par les Sumériens. Et c'est en rencontrant à
Alexandrie les résultats numériques accumujés dans le Proche-Orient
méditerranéen, que les trois siècles de travail résumés à son tour par le
compilateur Diophante (voir le papyrus du Ier siècle dit de Michigan,
commenté par Karpinski) que les derniers des Grecs ont enfin commencé
à rationaliser et à universaliser cette fois dans le calcul pur et simple,
dans aussi
mais leur logistique,
sa perfection
en démonstrative,
abandonnant letoutes
lourd ces
symbolisme
admirables
géométrique,
trouvailles.

SAVANTS. 4
Georges daiìx

Ces admirables trouvailles, dont nous trouvons l'héritage (à quelle daté


remonte-t-il ?) dans les tablettes de l'an 2000. et qui sont devenues
à travers les Indous et les Arabes, mais surtout à travers Viète; Fermât
et Descartes, l'algèbre des modernes, œuvre du pur entendement, de la
pure raison *.
Abel Rby.

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LA VILLE DE PHI LIPPES DEPUIS SES OtilGlNÉS


JUSQU'AU TRIOMPHE DU CHRISTIANISME

Paul Collart. Philippes, ville de Macédoine, depuis ses origines


jusqu'à lu fin de l'époque romaine (École française d'Athènes.

Travaux
d'études
Deux
contenant
volumes
françaises
et88
mémoires
phototypies.
in-8° et; publiés
les membres
texteParis,
: xn-558
par E.
lesétrangers
de
professeurs
pages
Boccard,
; planches
de l'École.
de
1937.
l'Institut
: unFascicule
portefeuille
supérieur
V).

« Les ruines de Philippi répondent encore aujourd'hui par leur impor¬


tance à la longue et brillante fortune de ce bourg de la Thrace, devenu tour
à tour une forteresse macédonienne, une colonie de Rome et l'une des
métropoles du christianisme naissant. Situées sur un promontoire de
rochers, au milieu de la vaste plaine de Drama, elles occupent une de
ces positions dominantes qui font d'une place forte la clef de tout un pays;
Dans la haute ville, qui représente l'antique cité macédonienne, une
enceinte en blocage recouvre encore partout de beaux restes de la
muraille hellénique. Toute la plaine, au pied des montagnes, n'est qu'un
champ de ruines, où l'on retrouve çà et là les marques de l'art fastueux.
des Romains ; parmi ces débris, quatre monuments ont attiré particu¬
lièrement notre attention ». Ainsi Léon Heuzey, dès 1862, dans son

Professeur
l'histoire
fondie
bénéficié
décès
1. L'auteur
dedenotre
de
des
l'histoire
à saSciences
ladu
très
vaste
Faculté
savant
distingué
des
érudition.
etSciences
des
article,
des Lettres
collaborateur
Techniques,
C'est
que
dansde
avec
l'on
l'antiquité.
l'Université
un
vient
Abel
(IV.profond
D.Bey
deL.lire,
Le
de
A.).
possédait
regret
Journal
Paris,
a succombé
que
Directeur
une
desnous
connaissance
Savants
le i3avons
dejanvier
l'Institut
avait
appris
appro¬
ig4°*
déjà
de
le

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