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Henri Portine, Cours de Master 2 (2006).

INTRODUCTION AU FOS
1. FLE et FOS

La notion de FLE est née du divorce entre le français comme langue internationale
et le français pour « étrangers » qui a eu lieu à la fin de la deuxième guerre
mondiale. La montée en puissance de l’économie états-unienne, de la guerre de
14-18 à celle de 39-45, entraîne l’internationalisation de l’anglais (en l’occurrence
l’anglo-américain) comme langue des échanges et du commerce. Jusqu’alors, le
français était la langue internationale des gens cultivés et de la diplomatie. En
conséquence, il n’y avait pas deux façons d’apprendre le français mais bien une
seule : apprendre le français pour parler en français ; aucune notion d’utilité dans
cet apprentissage. Les années 1945-1950 mettent en évidence le décalage entre
cette représentation qui perdure et une nouvelle réalité dans laquelle la langue
française perd de sa valeur de mode d’échange international. Dès lors, il
conviendra de distinguer l’apprentissage du français par quelqu’un qui veut parler
en français et l’apprentissage du français parce que l’on a besoin du français, pour
voyager, pour faire des affaires ou des études. Le FLE était né. L’apprentissage
de la langue devait devenir utile. Sous la houlette du Ministère des Affaires
étrangères (MAE), allait se constituer une commission pour étudier comment faire
perdurer l’apprentissage du français, désormais comme langue étrangère. La
direction de cette commission fut confiée au linguiste Gougenheim, professeur à
la Sorbonne. Elle bénéficia de la collaboration de linguistes comme Benveniste et
Sauvageot. On invita toutes les semaines un linguiste phonéticien de Zagreb,
Guberina. Tout ce travail déboucha sur l’élaboration du Français élémentaire très
rapidement renommé Français fondamental (dans une optique volontairement
différente du Basic English, mais ceci concerne l’histoire parallèle du FLE et de
l’EFL) et d’une méthode, Voix et Images de France (VIF), fondée sur une
nouvelle méthodologie, le SGAV (structuro-global audio-visuel) avec une
nouvelle méthodologie de la correction phonétique (qui était auparavant basée sur
l’articulation physiologique), le verbo-tonal développé par Guberina et par Renard
à l’Université de Mons. Ce mouvement déboucha aussi sur la création
d’institutions spécialisées : le CREDIF d’abord (même s’il mit un peu de temps à
s’institutionnaliser), le CIEP qui était un organisme un peu « politique » et le
BELC, institutions auxquelles s’ajouta une revue Le français dans le monde. Il
faut préciser pourquoi on parle d’emblée de « correction phonétique » : l’oreille
étant un filtre, on parle la langue étrangère à travers sa langue maternelle ; on est
donc toujours dans un processus de correction, c’est-à-dire de réajustement.

Il faut insister sur le point cardinal de ce qui précède : le nouvel apprentissage du


français comme langue étrangère est un apprentissage utile (d’où d’ailleurs la
difficulté qu’aura toujours la littérature à se positionner dans ce nouveau paysage
alors qu’elle régnait sur l’ancien). Mais il faut bien comprendre « utile » : cela
signifie que cet apprentissage permet de parler de la vie de tous les jours, de
voyager, de commander un plat au restaurant, etc. Le caractère « utile » s’oppose
ici au caractère « culturel » qui présidait au français langue internationale jusqu’en
1945. Ce vocable « utile » n’a donc pas le même sens lorsqu’on l’utilise pour le
FOS. C’est d’ailleurs pourquoi, lorsqu’il s’agira du FOS, nous aurons tendance à
employer non pas « utile » mais « spécifié ».

Très vite, la question d’un enseignement du français pour les relations


commerciales ou pour la coopération technique se posa. Dans les années 1960, on
utilisa « français instrumental » auquel se substitua « français fonctionnel » au
milieu des années 1970. Enfin l’étiquette FOS (français sur objectifs spécifiques)
— calquée sur English for Specific Purposes, ESP — s’imposa à la charnière des
années 1970-1980. Ce changement d’étiquette a porté avec lui un changement
d’attitude. Le français instrumental se voyait comme pur outil réduit à son utilité.
Le français fondamental allait mettre l’accent sur l’importance de l’analyse des
discours. Le français sur objectifs spécifiques tend à faire la somme des diverses
positions.

Parallèlement au FOS, apparu le FLS, français langue seconde, qui avait pour
objectif de résoudre un autre problème : désigner les apprentissages du français
qui ne sont ni tout à fait apprentissage de la langue maternelle ni tout à fait
apprentissage du FLE, ce qui recouvre des cas très différents :

– français langue d’enseignement (ce que l’on nomme EMILE en Europe,


enseignement d’une matière intégrée à une langue étrangère, en anglais : Content
and Language Integrated Learning, CLIL) ;

– français pour les « primo-arrivants », enfants de migrants venant de pays non


francophones et intégrés directement dans des classes du primaire ou du collège ;

– français des DOM-TOM dans lesquels il y a une langue indigène (le cas du
créole est un peu plus complexe mais relève, partiellement, du même type) ;

– français dans les ex-colonies françaises non francophones lorsque le pays a


conservé des liens privilégiés avec la France ou est devenu membre d’une
communauté liée à la Francophonie ;

– français demeuré langue nationale (ou l’une des langues nationales ou


véhiculaires) dans certaines ex-colonies ;

– français pour les jeunes sourds ayant d’abord appris la LSF (Langue des Signes
française).

Le FLS a, dans certains cas (notamment comme langue d’enseignement et comme


français pour « primo-arrivants ») des liens avec le FOS. Mais il n’est pas habituel
de traiter les deux en parallèle. Nous considérerons donc ceci comme une autre
histoire.

Le FOS peut couvrir tous les domaines. Cependant, selon les époques (et les
politiques menées), tel ou tel domaine peut devenir prégnant : dans les années
1970, la France avait fait un gros effort pour offrir des bourses à des étudiants
étrangers ce qui avait entraîné un FOS scientifique pour ingénieurs ; la mise en
place de l’Europe, actuellement, a pour conséquence l’élaboration d’un droit
européen qui a lui-même pour conséquence une montée de l’intérêt pour le droit
européen en français. Actuellement, on considère que les FOS les plus courants
sont le FOS commercial, le FOS juridique, le FOS du tourisme et le FOS médical.

Hutchinson et Waters représentent l’English for Specific Purposes de la façon


suivante (cf. Tom Hutchinson & Alan Waters, English for Specific Purposes,
Cambridge Univ. Press, p.17) :
Toutefois, l’enseignement du FOS se heurte à quatre écueils :
– des
enseignant(e)s qui ne sont pas spécialistes du « fond spécifique » ;

– risque de transformer le FOS en apprentissage d’une nomenclature parce que,


quand on pense langue, on pense d’abord vocabulaire ;

– difficulté à penser une progression qui ne soit par celle du FLE, d’où le risque
d’émiettement des activités ;

– difficulté de traiter des textes longs, ce qui caractérise certains aspects du FOS.

Ces difficultés expliquent le fait que le FOS ait toujours été considéré comme un
FLE un peu marginal. Pourtant, entre 1976 et 1978, à la fin du SGAV, quatre
orientations nouvelles étaient possibles :
– recourir aux « documents authentiques » (contre les « documents fabriqués » du
SGAV) ; – opter pour une approche communicative (contre l’aspect « informatif
» du SGAV) ;

– opter pour une approche notionnelle — ou « onomasiologique » — (contre le


côté « structural » du SGAV) ;

– opter pour un français radicalement fonctionnel — c’est-à-dire « sur objectifs


spécifiques » — (contre l’aspect universaliste du SGAV).

Cette concurrence fut officialisée par un numéro du Français dans le monde de


1978 intitulé « Le notionnel-fonctionnel-communicatif ». On connaît la suite : ce
furent les « approches communicatives » (au pluriel) qui triomphèrent.

Le FOS est donc marqué par cette difficulté à « trouver sa place » (l’English for
Specific Purposes a toujours été plus serein). L’autre difficulté du FOS a été de
déterminer son « objet de référence ». Trois « objets » ont été envisagés comme
objet privilégié :

– d’abord le lexique ; c’est l’époque du VGOS (Vocabulaire général à orientation


scientifique) paru en 1971 ; mais comment faire un cours centré sur le lexique
sans tomber dans les listes de mots (nomenclatures) ?

– puis ce furent les discours ; c’est l’époque de Lire en français les sciences
économiques et sociales, matériel pédagogique piloté par Denis Lehmann,
François Mariet et Sophie Moirand dans le cadre du CREDIF et paru en 1979 ; on
trouvera la trace de cette époque ci-dessous ;

– aujourd’hui, implicitement ou explicitement (et généralement plus


implicitement, voire refoulé, qu’explicitement), c’est plutôt à une variante du «
knowledge management » que l’on assiste.

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