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2016 I m pr im er : 5 Sexualit é car cér ale et sida

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5 Sexualité carcérale et sida


Publié le Duminică 26 martie 2006 | Dernière modification le Sâmbătă 11 martie 2006

http://prison.eu.org/spip.php?article7877

Chapitre 5 : Sexualité carcérale et sida

L’apparition de l’épidémie du sida, identifiée aux États-Unis en 19811, a provoqué et provoque


encore des transformations sociales d’une ampleur probablement aujourd’hui encore
difficilement évaluable. Ses répercussions ont affecté, à un titre ou à un autre, l’ensemble des
secteurs composant les sociétés modernes complexes. Les secteurs juridique, médical,
politique, religieux, artistique, économique, scientifique, etc., ont tous été concernés par la
maladie, laquelle a du être intégrée, plus ou moins facilement selon les cas, aux pratiques
routinières des acteurs qui en font partie. Que l’on songe, à titre d’exemple, à l’embarras de
l’Eglise catholique devant l’épidémie et à la double contrainte devant laquelle se trouve sa
hiérarchie, qui se doit d’avoir une attitude de compassion à l’égard des personnes atteintes
tout en devant sauvegarder sa position traditionnelle à l’égard de la sexualité en général et
de l’homosexualité en particulier, laquelle position entre directement en opposition avec les
politiques de prévention préconisées par le secteur médical. Les conséquences culturelles de
la maladie sont elles aussi considérables : évoquant des notions symboliquement très
chargées de sang, de sperme, de mort, de drogue et de sexualité, le sida aura marqué la fin
du XXe siècle et affecté profondément les visions du monde au sein de l’ensemble de la
population.

Le paysage carcéral a lui aussi été bouleversé par l’épidémie. Si des différences sont sensibles
selon les établissements, on peut constater qu’une importante minorité de détenu-e-s sont,
en France, séropositifs et séropositives. Bien que la plupart des études indiquent une
corrélation extrêmement étroite entre nombre d’usagers de drogues incarcérés et taux de
séropositivité, d’autres modes de contamination, en particulier sexuels, que ces études ne
prennent le plus souvent pas en compte, sont également à l’oeuvre. Dans cette partie, on
tentera d’évaluer les conséquences de l’apparition du sida, dans ses multiples dimensions,
médicales, sociales ou encore politiques, sur la vie carcérale.

En prison comme dans le reste du monde social, l’épidémie de l’infection à VIH a agi comme un
révélateur, faisant apparaître de multiples aspects de la vie sociale auparavant occultés. Tel
est le cas de la sexualité carcérale. Comme nous l’annoncions dans les premières pages de cet
ouvrage, le fait même qu’une recherche telle que la nôtre sur la sexualité carcérale et les abus
sexuels en prison soit aujourd’hui simplement pensable et estimée digne de financement par
des agences publiques doit être directement mis en relation avec l’apparition du sida, laquelle
a contribué à reproblématiser la question générale de la sexualité dans notre pays.

Niée pendant des années par l’ensemble des acteurs intervenant de près ou de loin dans le
champ carcéral - à l’exception notable des associations de défense des droits des prisonniers
militant pour l’amélioration de leurs conditions de détention -, la sexualité des détenus
émerge, difficilement et lentement malgré le tragique de la situation, comme un enjeu de la
lutte contre le sida. La citation qui suit est un exemple, parmi d’autres, de l’apparition d’une
préoccupation des acteurs de santé publique sur les risques de transmission sexuelle du VIH :

" D’après ce que l’on peut apprendre des prisonniers à l’occasion, le rapport sexuel anal et
oro-génital est, semble-t-il, assez fréquent, même entre des détenus qui ont une activité
hétérosexuelle hors de la prison. Ainsi, le comportement homosexuel induit par la prison
constitue un "pont" entre un groupe à haut risque connu (les toxicomanes intraveineux) et
des personnes susceptibles d’être ultérieurement une source d’infection par leurs rapports
hétérosexuels. Ce phénomène de pontage peut jouer un rôle non négligeable dans la
propagation de l’épidémie, il est donc capital d’y mettre un frein. "

Dans ce chapitre, on se consacrera tout d’abord à une présentation des données


épidémiologiques disponibles sur la situation et l’évolution de l’épidémie au sein de la
population pénale. Une seconde partie sera consacrée plus généralement à la santé carcérale

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dans ses multiples dimensions. Une troisième partie étudiera les conséquences de la situation
d’incarcération sur la diffusion de l’épidémie. La quatrième partie évoquera la situation des
détenu-e-s séropositifs/tives et malades, et tout particulièrement les formes de stigmatisation
et d’exclusion dont ils ou elles sont fréquemment les victimes. Enfin, nous ébaucherons
quelques pistes de réflexion sur la prévention et le traitement des personnes atteintes dans le
cadre carcéral.

5.1. Le sida dans les prisons françaises : données épidémiologiques

La part des détenu-e-s séropositifs/ives ou sidéen-ne-s varie considérablement selon les


pays. Pour s’en tenir à l’Europe, si les pays du sud connaissent des taux élevés (25,7 % de
séropositifs en Espagne pour 25 000 détenus, 17 % en Italie pour 42 000 détenus) et les
pays du nord d es taux plus réduits (4,5 % en Écosse, 5 % en Allemagne pour 53 000 détenus,
2 % en Autriche pour 8 000 détenus), la France semble se situer en position intermédiaire.

En 1995, le taux de prévalence du VIH dans les prisons françaises était sept fois plus élevé
que dans la population générale. Cette situation dramatique prend encore un autre relief
quand on connaît l’état calamiteux des services de santé dans nombre d’établissements
pénitentiaires : locaux vétustes, surpopulation endémique, personnel réduit à l’extrême
(quand ce ne sont pas des détenu-e-s qui font office de personnel infirmier), secret médical
impossible à tenir (du fait de la présence des surveillant-e-s lors des visites médicales), etc.

Tous les ans d epuis 1988, une étude statistique " à un jour donné " fait le point sur l’évolution
de l’épidémie dans la population pénale incarcérée. Cette enquête annuelle est élaborée par
le SESI (Service de statistiques, des études et des systèmes d’information des ministères de la
Santé et des Affaires sociales), la Mission sida à la Direction des Hôpitaux et l’Administration
pénitentiaire. L’étude de 1990 avait recensé 2794 détenus atteints par le VIH sur une
population carcérale de 48 166 personnes, soit près de 6 % de la population pénale. Il s’agit
du record de l’infection par le VIH dans les prisons françaises. Ces effectifs, comme le montre le
tableau ci-dessous, ont par la suite eu tendance à diminuer, représentant 4,37 % de la
population pénale en 1991, 3,37 % en 1992 et 3,17 % en 1993. Toutefois, la part des cas de
sida avérés a considérablement augmenté, passant de 61 cas en 1988 à 169 en 1993. En
1995, les prisons françaises comptaient 1 330 séropositifs/ives parmi ses plus de 58 000
détenu-e-s.

Les chiffres du taux de personnes touchées par le VIH varient fortement en fonction des
établissements pénitentiaires, le visage géographique de l’épidémie au sein des prisons
correspondant à sa diffusion dans l’ensemble du pays (les régions parisienne et marseillaise
sont les plus touchées). Les détenu-e-s séropositifs/ives sont dans l’écrasante majorité
(90 %) des cas des toxicomanes qui, le plus souvent, ont été contaminé-e-s par voie
intraveineuse. Dans un article du Monde du 21 juin 1991, les docteurs Emmanuelli et Espinoza
affirmaient que " bien que les chiffres soient difficiles à établir avec précision, on peut écrire
que 30 % des détenus dans les maisons d’arrêt autour des grandes villes sont des
toxicomanes, et pas loin de 20% d’entre eux sont séropositifs ". Il convient cependant de ne
pas homogénéiser ces données, qui sont avant tout révélatrices de la situation des maisons
d’arrêt dans lesquelles les taux de séroprévalence VIH sont supérieurs à ceux des maisons
centrales et des centres de détention.

De fait, si le sida est devenu au cours des dix dernières années une forme de point émergent
autour duquel se sont cristallisés la plupart des discours, le plus souvent à forte tonalité
critique, sur la gestion carcérale française, cela tient en grande partie à la surpopulation
actuelle des prisons. Depuis plusieurs années, on l’a dit, le nombre de détenu-e-s ne cesse de
s’accroître dans notre pays. La toxicomanie, de plus en plus pénalisée et combattue au cours
des précédentes années, a indirectement contribué à cet accroissement dramatique des
effectifs pénitentiaires en devenant un des motifs les plus fréquents d’incarcération. Malgré le
rapport de la commission Henrion, publié en 1995, qui a condamné les effets pervers de cette
criminalisation de plus en plus importante de l’usage des stupéfiants, c’est toujours une
attitude d’intense répression qui prévaut dans notre pays. Avec elle, c’est la part des détenu-
e-s séropositifs/ives ou sidéen-ne-s qui s’est accrue.

Les résultats des enquêtes épidémiologiques annuelles appellent quelques commentaires


d’ordre méthodologique. Comme le signale le Dr M. Rotily, la mesure de la séroprévalence de
l’infection à VIH soulève un certain nombre de problèmes de méthode de recueil
d’informations, dont la discussion pourrait paraître ici oiseuse si elle ne rencontrait des aspects
centraux de notre propre travail. En effet, les prisons françaises proposent un dépistage du
VIH soit de manière systématique, soit de manière ciblée sur certains facteurs de risques, au
premier titre desquels la toxicomanie. Chaque établissement a ainsi sa propre manière de
procéder en matière de dépistage, dont les résultats sont communiqués tous les ans au
ministère de la Justice pour l’élaboration des statistiques épidémiologiques " à un jour donné
". En conséquence, ces statistiques prennent comme homogènes des données dont les
conditions de recueil sont en fait hétérogènes : dans tel établissement, par exemple, le
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dépistage a été proposé à tous/toutes les entrant-e-s, dans tel autre il ne l’a été qu’aux seul-
e-s toxicomanes. Environ deux entrant-e-s sur trois acceptent le dépistage, mais ce taux varie
selon les établissements et les conditions dans lesquelles le test a été proposé. Les
conséquences de cet état de fait, étroitement liées, sont doubles. D’une part, le taux de
séropositivité est très certainement sous-estimé, et il l’est de plus en plus, selon M. Rotily, du
fait de l’extension de l’épidémie chez les hétérosexuel-le-s non toxicomanes, qui ne sont pas
encore considéré-e-s comme une population ayant des pratiques à risques. Ces détenu-e-s
peuvent donc échapper au dépistage lorsque celui-ci n’est proposé qu’aux seul-e-s
toxicomanes. D’autre part, la représentation dominante est aujourd’hui qu’en milieu carcéral
seul-e-s les toxicomanes seraient contaminé-e-s par le VIH. Des études citées par Rotily
indiquant que 95 % des séropositifs incarcéré-e-s sont des toxicomanes souffrent du fait que
les seules études réalisées à un échelon national sont menées, précisément, par des
antennes toxicomanies pour l’INSERM. Il s’agit d’un biais important dans le recueil des
données épidémiologiques : les toxicomanes apparaîtront comme le groupe quasi-exclusif
concerné par le sida dans les prisons françaises tant qu’ils seront les seul-e-s dans certains
établissements à se voir proposer un dépistage. Ces biais nous semblent tout à fait pertinents
pour notre propos : ils constituent des indicateurs de la représentation (au sens d’image
mentale) du sida et de la sexualité dans l’univers carcéral. La toxicomanie constitue une forme
de phénomène-écran permettant de limiter le domaine de validité de la question du sida en se
dispensant d’un regard et d’une réflexion trop attentifs sur la sexualité.

5.2. La santé carcérale et le VIH

5.2.1. Le dispositif médical des prisons françaises et ses insuffisances

Il est nécessaire pour la cohérence de notre propos d’intégrer la question du sida en prison
dans le cadre plus général du système médical carcéral et des pathologies les plus fréquentes
derrière les murs. Pour ce travail, nous avons pu bénéficier, outre les informations que nous
avons nous-mêmes pu recueillir, de l’ouvrage du Dr Daniel Gonin.

L’intégration de véritables services médicaux à l’intérieur des prisons a pris la forme d’un lent
processus depuis la Libération, processus qui n’a pas été sans créer, comme le souligne le Dr
Gonin, des heurts récurrents entre directions des établissements d’une part, soucieuses de
sécurité et de contrôle des détenu-e-s, et médecins pénitentiaires d’autre part, inquiets de
l’efficacité des traitements et de la préservation du secret médical. Les prisons françaises
disposent aujourd’hui, à des degrés variables selon les établissements, d’infirmeries équipées
de salles de soins, de cabinet de consultation, de salle de radiologie, etc. dans lesquelles
travaillent une équipe généralement composée d’un médecin (souvent vacataire) et
d’infirmières. Les consultations du dentiste prennent le plus souvent la forme de vacations
régulières, pour lesquelles les temps d’attente sont fréquemment longs et en décalage avec
l’urgence des soins. Un Service médico-psychologique régional (SMPR) est chargé de la prise
en charge des problèmes psychologiques ou psychiatriques.

Le sous-équipement médical est patent dans les prisons françaises, et constitue une grave
entrave à la prévention et au traitement de certaines maladies. A titre d’exemple, cet extrait
d’une enquête du Journal du sida à Fleury-Mérogis indique comment un acte médical courant
tel que l’élémentaire dépistage de la tuberculose peut se révéler une entreprise ardue :

" L’appareil de dépistage radiographique de Fleury-Mérogis fonctionne depuis trois mois. De


1986 à 1993, il n’y avait pas de dépistage de la tuberculose pour cause d’appareil hors
service. Le dépistage est devenu systématique chez les hommes, mais pas à la maison d’arrêt
des femmes qui ne dispose pas d’appareil (un camion de dépistage passe chez les femmes
tous les trois mois). Depuis la mise en service de l’appareil radiographique, 6 cas de
tuberculose ont été diagnostiqués. "

Cette situation ne semblait pas exceptionnelle puisque le même problème de remplacement de


matériel se présentait au même moment à la maison d’arrêt des Baumettes :

" Le dernier dépistage de "masse" de la tuberculose date de juillet 1992, l’antique appareil de
radiographie ayant rendu l’âme. L’équipe médicale négocie avec le Conseil général et le
ministère de la Justice le financement d’un nouvel appareil. "

Il est fréquemment souligné que les locaux médicaux souffrent de graves défauts tels que leur
vétusté, leur faible surface, leur mauvaise aération, etc. Le personnel manque cruellement et
tout départ est soit remplacé avec retard, soit l’occasion d’une suppression de poste. D’une
façon générale, la santé pénitentiaire souffre d’être tributaire d’une administration qui, elle-
même faiblement dotée en moyens, tend à faire passer la question sanitaire comme une de
ses préoccupations mineures.

Des difficultés spécifiques apparaissent lorsqu’un détenu doit consulter une structure médicale
à l’extérieur. Tout rendez-vous avec un médecin à l’intérieur de la prison est soumis à un

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accord administratif préalable. Les consultations à l’extérieur entraînent souvent des


problèmes d’effectifs en ce qu’elles nécessitent la mobilisation d’un personnel important, soit
deux surveillants et un chauffeur pour un détenu. Pour l’administration pénitentiaire, toute
sortie de l’enceinte de la prison représente un risque potentiel d’évasion, ce qui contraint à
des aménagements spécifiques : non-respect systématique de l’heure de rendez-vous afin
d’éviter des complicités extérieures, détenu-e enchaîné-e ou entravé-e (ce qui s’oppose
parfois à l’intérêt sanitaire du malade), présence d’un-e surveillant-e lors de la consultation
destinée à protéger la sécurité du médecin qui pourrait être pris en otage, etc.

5.2.2. Pathologies carcérales

Si la plupart des observateurs, en particulier médecins, s’accordent pour décrire les


établissements pénitentiaires comme hautement pathogènes, il convient de distinguer entre
les maladies contractées avant l’incarcération et celles qui ont été contractées à l’intérieur des
murs, notamment du fait des conditions de vie (promiscuité) carcérales. La plupart des
maladies liées à des conditions d’existence précaires et à un accès limité à la santé se
retrouvent en prison à des taux supérieurs à ceux que l’on observe dans la population
générale. Ainsi de la syphilis et de la tuberculose, dont les prévalences respectives sont en
prison, d’après D. Gonin dont nous reprenons ici les données, nettement plus élevées que
dans le reste de la population.

L’incarcération se traduit chez la grande majorité des détenus par l’apparition de troubles qui,
s’ils ne sont p as tous des pathologies véritables, se révèlent rapidement handicapants. Ce
sont en premier lieu les différents sens, permettant normalement un repérage de la situation
dans le monde et une adaptation adéquate à celui-ci, qui sont affectés. Dans les jours qui
suivent leur incarcération, les prisonnier-e-s se plaignent fréquemment de vertiges, de perte
du sens olfactif, de troubles oculaires, d’une exacerbation ou au contraire d’une anesthésie de
l’acuité auditive et du sens tactile. A ces troubles sensoriels s’ajoutent des troubles de la
digestion (constipation, diarrhées, douleurs d’estomac, etc., qui représentent 29 % des
pathologies déclarées en prison).

Les conditions de vie à l’intérieur des prisons peuvent être considérées comme hautement
pathogènes. En ce qui concerne les maladies transmissibles, une étude menée à Fresnes
indiquait une importante fréquence de pratiques à risque de transmission du virus de
l’hépatite B : échange de vaisselle dans 90 % des cas, échange de rasoirs dans 3,6 %,
pratique du tatouage dans 7,2 % et le contact avec le sang (dans des circonstances telles que
plaies, rixes) dans 19 % des cas. D’autres troubles moins graves sont néanmoins
omniprésents : douleurs dentaires, pathologies dermatologiques (allergies essentiellement,
qui représentent 10 % des affections), troubles de la respiration (29 %, souvent directement
liés à l’air vicié des cellules et à leur manque d’aération). S’y ajoutent des accidents récurrents,
qui constituent autant d’expressions des conséquences psychologiques de l’incarcération :
ingestion d’objets, auto-mutilations, etc. Les troubles psychologiques et du comportement, et
tout particulièrement les sentiments d’angoisse ou la perte de sommeil conduisent à une
importante consommation de psychotropes. 55 % des détenu-e-s seraient ainsi pendant leur
incarcération des consommateurs réguliers de tranquillisants et de somnifères. A leur
libération, certain-e-s détenu-e-s sont devenus dépendant-e-s de tels produits et, ne pouvant
plus s’en passer, sont obligé-e-s d’entreprendre une désintoxication. Enfin, selon le Dr Gonin,
les suicides seraient en prison 6 à 7 fois plus nombreux que dans un même groupe d’âge en
liberté. Cette fréquence conduit à des dispositions de prévention (en fait prévention tant du
suicide que des agressions), telles que couverts peu coupants et difficilement aiguisables,
médicaments distribués dilués dans des " fioles " pour empêcher leur stockage ou encore filets
tendus entre les étages de la prison pour prévenir les chutes, volontaires ou non.

5.2.3. L’administration pénitentiaire face au sida

Accueillant des personnes " marginales " puisque délinquantes, la prison s’est rapidement
trouvée confrontée au sida qui, après avoir été une maladie des classes culturellement
dominantes, tend aujourd’hui à devenir caractéristique des populations victimes de l’"
exclusion " et dominées socialement et économiquement. Comme nous l’avons déjà signalé,
les toxicomanes, qui représentent une part non négligeable de la population incarcérée,
forment la plus grande partie des personnes séropositives ou atteintes à l’intérieur des
prisons. Leur présence parmi les autres détenu-e-s ou leurs interactions avec le personnel
pénitentiaire ont, dès l’identification des premiers cas, suscité des réactions marquées le plus
souvent par le rejet. Devant l’accroissement des dysfonctionnements liés à la confrontation à
l’épidémie, l’administration pénitentiaire a pris ces dernières années une série de mesures
destinées à gérer au mieux l’épidémie dans le cadre de la prison. Il peut être intéressant de
revenir en préalable sur les conditions du traitement administratif de l’épidémie du sida tel qu’il
s’est réalisé en France et de recadrer ainsi la situation pénitentiaire à l’intérieur du processus
général d’émergence du sida au sein du champ politique-administratif français.

L’apparition du sida et sa prise en compte par les pouvoirs publics ont pris une forme
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particulière dans notre pays. On a ainsi pu observer que c’est avec un certain retard que le
champ politique s’est saisi de la question du sida. Au cours des toutes premières années de
l’épidémie (de 1981 à 1984 environ), le problème du VIH a été objet d’attention avant tout de
la part du secteur médical et du monde associatif (avec le développement à partir de 1982 des
associations de lutte contre le sida). Cette appropriation par le champ médical a contribué
dans un premier temps à empêcher l’émergence du thème de l’épidémie dans le champ
politique. Des médecins, en particulier des épidémiologistes, ont constitué la nouvelle maladie,
dont les premiers cas ont été identifiés en France dès fin 1981, en problème de santé publique
propre à être a pproprié, de manière technicienne et non politique, par l’administration centrale
de la santé. Ainsi, c’est sur proposition du Dr W. Rosenbaum, un des premiers médecins à
recevoir des malades du sida en France, que fin 1981 a été créé au ministère de la Santé un
groupe de travail pluridisciplinaire d’étude et de surveillance de la nouvelle maladie. Les
acteurs politiques, en particulier gouvernementaux, ont été tenus à l’écart de ce processus, et
c’est dans le cadre exclusif d’une gestion administrative que le problème du sida a d’abord été
capté par le secteur public. Le secteur administratif agit dans un cadre précis qui définit les
limites de son action : limites budgétaires d’une part, et limites d’une action qui ne peut se
réaliser que par circulaires ou arrêtés et qui a nécessairement besoin de l’intervention du
politique dès lors qu’il s’agit de modifier une loi ou d’agir par décret. Cette gestion de
l’épidémie par l’administration centrale de la santé a duré, de manière fort discrète, jusqu’en
1985 et, surtout, s’est limitée aux aspects proprement médicaux de la maladie : des textes
d’information sur le problème du sida et sur la conduite à tenir dans les structures de soin
(protection du personnel médical, surveillance épidémiologique) sont les seules actions
publiques jusqu’au 23 juillet 1985, date à laquelle est publié un premier arrêté, qui rend
obligatoire le dépistage de tout don de sang. Si la recherche épidémiologique et fondamentale
a été un des principaux points forts de la politique menée ou soutenue par l’administration de
la santé, cela s’est fait aux dépens d’autres aspects tels que l’information et la prévention au
sein des groupes les plus concernés. Il a fallu l’arrivée de Michèle Barzach au ministère de la
Santé en mars 1986 et la polémique sur les modes de transmission du VIH et les " sidatoriums
" suscitée par le Front national à l’automne de la même année pour que soient mises en place,
avec une timidité qui sera amplement critiquée par la suite, les premières campagnes
d’information et de prévention du VIH du ministère de la Santé, et que soient votées les
premières lois ayant spécifiquement trait au sida (vente libre des seringues, publicité sur les
préservatifs, création des CDAG, etc.).

On peut également constater - et c’est le trait le plus pertinent pour notre propos - que les
différentes populations statistiquement les plus touchées par le VIH ont été prises en compte
et traitées différemment en fonction de leur degré d’intégration sociale : si les homosexuels,
les hémophiles, les femmes enceintes ou le personnel soignant ont, dans les mois qui ont suivi
l’identification des premiers cas français, suscité l’attention de l’administration de la santé (par
exemple par le biais de circulaires sur les risques de transmission lors des relations entre
malades et personnel soignant ou sur le dépistage des dons de sang ou d’organes), en
revanche les segments les moins intégrés, tels que les prostitué-e-s, les toxicomanes et les
prisonniers, n’ont été pris en compte qu’avec beaucoup plus de retard et avec un degré
d’attention nettement moindre. Dans le cas qui nous intéresse ici, les premières circulaires
concernant le VIH en prison datent seulement de 1989. Le stigmate du sida semble avoir été
l’objet d’une représentation et d’un traitement social différents selon le degré de
stigmatisation préalable des populations touchées, au point que certain-e-s militant-e-s de la
lutte contre le sida ont pu dénoncer la distinction implicite établie entre " bons " et " mauvais "
sida, entre " victimes innocentes " et " ceux qui l’ont bien cherché ". Les différents modes de
transmission jouent un rôle prépondérant dans ce processus de division. Les personnes
touchées au cours d’une transfusion sanguine, les enfants de mère séropositive ou le
personnel soignant contaminé dans un cadre professionnel tendent à être perçus par le sens
commun comme n’ayant eu qu’un rôle passif et surtout involontaire dans le processus de leur
contamination qui apparaît en conséquence comme une fatalité dont ils sont les victimes
irresponsables. En revanche ceux et celles qui doivent leur contamination à des pratiques
considérées comme déviantes et moralement condamnables telles que l’homosexualité, la
prostitution ou la toxicomanie, n’ont pas eu droit à la même compassion en ce que leur rôle
dans le processus de contamination est perçu comme actif et volontariste. Il est hautement
probable que c’est leur degré d’intégration sociale, fruit notamment des mobilisations passées,
qui a permis aux homosexuels d’échapper, mais seulement dans une certaine mesure, à ce
processus de stigmatisation. On peut à l’inverse constater que les détenus représentent de ce
point de vue une catégorie stigmatisée et marginalisée en ce qu’ils n’ont bénéficié que très
tardivement de l’attention des pouvoirs publics. L’administration pénitentiaire semble avoir été
une des administrations les plus lentes à prendre en compte le problème du sida, alors que la
population qu’elle gère est l’une des plus concernées par l’épidémie.

Pourtant, c’est très rapidement que les responsables en santé publique s’étaient rendus
compte de l’importance prise par le sida en prison. Le rapport sur le sida demandé en 1989
par le ministre de la Santé de l’époque Claude Evin au professeur Claude Got avait identifié la
plupart des conséquences de l’organisation carcérale sur la diffusion de la maladie. Il signalait

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les conséquences néfastes de l’occultation de la sexualité carcérale, notamment sous forme


contrainte, et n’hésitait pas à relancer le débat sur l’opportunité de la mise en place de "
parloirs sexuels " :

" Le débat sur les préservatifs mis à la disposition des détenus pour prévenir la transmission
homosexuelle du VIH me paraît également une façon bien étriquée d’aborder le problème de la
sexualité dans les prisons. Il est évident que s’il s’agit d’une homosexualité imposée, ce n’est
pas le plus faible intellectuellement ou physiquement qui tendra son préservatif au violeur. Si
cette homosexualité est librement consentie, on en arrive à ce paradoxe : c’est
l’homosexualité, réglementairement réprimée, qui bénéficie d’une "organisation" et d’un
soutien institutionnel.

" Comme il est difficile de demander à l’Administration d’organiser la transgression de sa


réglementation, c’est le médecin qui remplace le distributeur automatique de préservatifs, le
secret médical étant commode pour élever une barrière entre la règle et la pratique, barrière
d’autant plus pratique que la prison étant un milieu totalement "transparent", aller demander
un préservatif au médecin est une publication de son homosexualité. Il serait plus cohérent
d’organiser la sexualité dans les prisons sans privilégier bizarrement l’homosexualité et de
permettre une hétérosexualité lors des visites, sans la limiter à des acrobaties sur un
tabouret. Les parloirs sexuels existent en Espagne, en Hollande, je ne vois pas pour quelle
raison ils ne devraient pas exister en France. "

Les propositions du rapport du Pr. Got allaient pour les plus importantes d’entre elles
connaître une application pratique immédiate (création de l’AFLS et de l’ANRS) ; en revanche,
ses prises de position sur la prison allaient pour leur part rester ignorées.

La première véritable prise en compte de la question du VIH par l’administration pénitentiaire a


pris la forme d’une circulaire, datée du 17 mai 1989, émanant des ministères de la Justice et
de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale, relative aux " Mesures de prévention
préconisées dans l’institution pénitentiaire dans le cadre du plan national de lutte contre le
SIDA ". Ce texte - qui avait été précédé de la circulaire du 19 avril 1989 relative aux
consultations médicales et hospitalières des détenus atteints par le VIH et à la
contractualisation des relations entre les prisons et les CISIH - rappelle que le dépistage
obligatoire à l’entrée en détention est exclu car inefficace et excessivement coûteux ; en
revanche le corps médical exerçant dans les prisons est incité à proposer " aux personnes
mises sous écrou et exposées à des risques d’infection compte tenu de leur toxicomanie ou de
leur comportement sexuel un sérodiagnostic de dépistage ". D’autre part, à cette action de
dépistage s’ajoute un effort de prévention et d’information, tant au niveau des détenu-e-s
qu’à celui du personnel pénitentiaire pour qui des formations spécifiques sont à mettre en
place. Il est précisé que " les préservatifs doivent être disponibles auprès du service médical
de l’établissement pour les détenus qui en font la demande ". S’il s’agit bien là d’une des
premières réactions de l’administration pénitentiaire à l’épidémie, il faut néanmoins rappeler
que, comme pour toute déclaration d’intention, son application concrète a pu en maints
endroits être différée ou appliquée de façon seulement partielle, notamment du fait du
manque de moyens.

L’affirmation du caractère volontaire du dépistage n’allait pourtant à l’époque pas totalement


de soi. De nombreuses voix, en particulier dans le champ parlementaire, réclamaient
l’institution de dépistages obligatoires pour différentes catégories de la population (voire de la
population dans son ensemble), dont les prisonniers. De tels discours s’appuyaient sur les
représentations du sens commun en même temps qu’ils contribuaient à les renforcer. Une
enquête de l’observatoire régional de la santé Ile-de-France menée par questionnaire en
198723 indiquait que 74,6 % des personnes interrogées se déclaraient favorables à un
dépistage systématique des détenus. Cette option du dépistage obligatoire, qui a constitué
un saillance du débat politique sur le sida pendant plusieurs années, répondait le plus souvent
à des enjeux de compétition interne au champ politique et assez distants des réalités
médicales de l’épidémie. Les propositions de dépistage obligatoire des détenus qui ont pu
émerger à la fin des années 80 n’ont pas rencontré l’assentiment des spécialistes du fait des
multiples inconvénients d’une telle politique. T.W. Harding a ainsi pointé certaines impasses et
inconséquences de ce débat, tout en proposant des solutions plus concrètes mais qui n’ont
guère reçu d’écho :

" On peut défendre cette approche "paternaliste" [le dépistage obligatoire] en arguant que les
autorités de la prison sont directement responsables de la protection des détenus contre les
conséquences de la promiscuité ; dans les prisons, le risque de viol homosexuel est élevé.
Néanmoins, on a l’impression nette que les partisans d’un dépistage systématique obligatoire
des détenus cherchent des boucs émissaires pour des raisons politiques.

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