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VIENT DE PARAÎTRE

François Albera, Jean Antoine Gili, Valérie Pozner

AFRHC | « 1895 »

2020/1 n° 90 | pages 269 à 292


ISSN 0769-0959
ISBN 9782370290908
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-1895-2020-1-page-269.htm
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1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze
Revue de l'association française de recherche sur
l'histoire du cinéma 
90 | 2020
Varia

Vient de paraître
François Albera, Jean A. Gili et Valérie Pozner

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/1895/7942
ISSN : 1960-6176

Éditeur
Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC)

Édition imprimée
Date de publication : 1 mai 2020
Pagination : 269-292
ISBN : 978-2-37029-090-8
ISSN : 0769-0959
 

Référence électronique
François Albera, Jean A. Gili et Valérie Pozner, « Vient de paraître », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-
quinze [En ligne], 90 | 2020, mis en ligne le 31 octobre 2020, consulté le 18 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/1895/7942

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Vient de paraître 1

Vient de paraître
François Albera, Jean A. Gili et Valérie Pozner

Livres
Ada Ackerman (dir.), Sergueï Eisenstein, l’Œil extatique, Paris, Centre Pompidou, 2019,
347 p.
Ce catalogue de l’exposition homonyme qui s’est tenu au Centre Pompidou-Metz
jusqu’en février 2020 est un important complément à cette dernière. Il propose une
série d’essais de spécialistes du cinéaste-théoricien, un ensemble de données
documentaires notamment iconographiques (« Portfolio ») et la traduction de textes
restés inédits en français (il n’en manque pas !), publiés en russe depuis quelques
années (« Écrits »). Parmi les essais réunis sous les titres « Regards sur Eisenstein » et
« Eisenstein et les avant-gardes », les commissaires de l’exposition signent chacun des
contributions (« Eisenstein collectionneur, curateur, homme de musée » par A.
Ackerman et « Eisenstein, le film et la peinture d’histoire » par P-A. Michaud), ainsi que
Naoum Kleiman (« Un Eisenstein non didactique », entretien), Antonio Somaini
(« Pouvoir des images, efficacité du montage »), François Albera (« Eisenstein historien
de l’art »), Dominique Païni (« Les passages parisiens d’Eisenstein »). Parmi les écrits
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inédits au nombre de dix – plus des notes de Malévitch destinées à « la mise en forme
pour la première » du Cuirassé Potemkine – « Le jeu sur les objets » (1925-6), « De la
forme du scénario » (1929), « Le livre sphérique » (1929), « La synthèse des arts » (fin
1930), « Le tambour rythmique » (1940), « La magie de l’art » (1947), « Le film
autobiographique » (1947). Retenons en priorité le document le plus singulier et le plus
suggestif, le « Plan de sonorisation de la Ligne générale » du 17 août 1929, époque où le
cinéaste croit encore que le film pourra être sonorisé en Allemagne et que la
collaboration avec Edmund Meisel (qui a écrit la musique du Potemkine et d’Octobre pour
l’exploitation allemande) semble envisageable (ils se verront à Londres, mais Meisel
meurt en 1930). On avait déjà pu lire des éléments de ces notes dans le livre de Jay
Leyda et Zina Voynow (Eisenstein at Work) qui avait inauguré la publication de pièces
d’archives (manuscrits, carnets, photographies) concernant le cinéaste. Y sont
dominants des usages hétérogènes des sons, musiques et voix avec des procédés de

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montage, de déformation jouant beaucoup sur le « collage » sonore entre sons


naturalistes et sons codés culturellement, leitmotiv et mélodies de toutes sortes
(chœurs nègres, valse), bruits (machine écrire, moteur) et cris (stridulations de grillon,
beuglements de vaches) essentiellement irrévérencieux. Les beuglements du taureau se
« déplacent » sur des images de nuages, les halètements des moutons atteints de la
tremblante sonorisent les prosternations des croyants, le son d’une scie devient
sanglot, etc. En outre, Eisenstein prévoyait d’utiliser le « son graphique » que les
praticiens du cinéma d’animation avaient découvert, ainsi que le Thérémin, cet
instrument de musique électronique avant la lettre (équivalent des ondes Martenot en
France). Ces propositions qui seront reprises de manière plus modérée dans le projet
inabouti à Hollywood, An American Tragedy, connaîtront un début d’application dans le
film parodique réalisé à Paris en 1930, Romance sentimentale.
Citons un passage particulièrement discontinu de ce « plan » dans la séquence de la
révolte de Marfa qui suit la mort de sa vache (« On ne peut plus continuer ainsi ») :
Marfa : [son] leitmotiv de Marfa ; [carton] « On ne peut pas vivre ainsi » ; Marfa jette
l’araire : [son] boum ; [voix] « On ne peut pas » ; pause ; Marfa et l’araire : [voix] « On ne
peut pas » ; Marfa : [son] grondement ; [voix] « On ne peut pas » ; [voix] « ON NE PEUT
PAS » (paroxysme) ; Divergence entre le grondement de [son] pas lourds et le rythme
du montage ; [voix] « On ne peut pas vivre ainsi » : [son] un tambour voilé accentue le
rythme de la phrase ; [son] Les sons éclatants de la fanfare (cornet à piston) mêlés à
ceux du meeting ; [son] la fanfare devient un rire perçant ; [son] bruit de scie déformé
en rire. Rire animal. La conclusion « On ne peut pas vivre ainsi » n’est rien d’autre que
l’aboutissement de l’explosion. Meeting : la base rythmique du bruit (éclat) de
l’explosion ; la fanfare domine, devient stridente puis se transforme en rire. Cascade de
rires. Agronome : commence le leitmotiv-thème de l’industrie ; Groupe : peut-être
accompagné de Roussalka [la Sirène] (les noces)...
Voir compte rendu de l’exposition dans ce numéro.
François Albera, Eisenstein et le constructivisme russe, [s.l.], Mimēsis, coll. « Images,
Medium », 2019, 474 p.
Nouvelle édition revue et augmentée d’un ouvrage paru en 1989 et qui prend pour
centre de gravité le texte d’une conférence qu’Eisenstein devait prononcer à
l’exposition Film und Foto de Stuttgart en 1929, connue ultérieurement sous le titre
« Dramaturgie de la forme filmique ». L’édition du texte original allemand, sa
traduction et ses variantes dans les éditions successives (française et anglaise en 1930,
italienne, espagnole et allemande dans les années 1970) forme une première partie,
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suivie d’une seconde qui contextualise ce texte en évoquant la place du cinéma dans le
mouvement constructiviste soviétique et la proposition originale d’Eisenstein pour s’y
inscrire avec le projet révolutionnaire de « cinéma intellectuel » qui sous-tendra les
projets inaboutis de Glass House et du Capital après avoir été expérimenté dans certaines
séquences d’Octobre et de la Ligne générale (dont sont proposées des analyses détaillées
dans le livre).
Sylvain Amic, Dominique Païni, Joanne Snrech (dir.), Arts et cinéma. Les liaisons
heureuses, Gand, Snoeck, 2019, 264 p.
Catalogue richement illustré d’une exposition homonyme qui a eu lieu à Rouen, au
Musée des Beaux-Arts (jusqu’au 10 février 2020), avant d’être présentée à la Fondation
de L’Ermitage à Lausanne (26 juin-1er novembre 2020). Celui qui a eu « l’idée » de
l’exposition, Dominique Païni, la place sous le double patronage d’Élie Faure et de Jean
Epstein. L’un et l’autre – ils ne sont pas les seuls – partent du bouleversement que l’art

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cinématique va produire sur les arts statiques. Epstein, dans Bonjour cinéma (1921) écrit
ainsi : « Le peintre et le sculpteur pelotent la vie, mais cette garce qui a de belles et
vraies jambes s’en sauve au nez de l’artiste perclus d’inertie. La statuaire paralysée de
marbre, la peinture ligotée de toiles sont réduites à la frime pour capter le mouvement
indispensable. Artifice de lecture. Ne dites pas : l’obstacle et la limite font l’art, boiteux
qui avez le culte de votre béquille. Le cinéma prouve votre erreur. Lui, tout entier, est
mouvement sans obligation de stabilité ni d’équilibre ». L’entretien avec Olivier
Assayas, qui ouvre le catalogue, faisant état de sa pratique de la peinture avant celle du
cinéma, renverse quelque peu les prémisses epsteiniennes puisqu’il fait fonds sur une
préoccupation narrative et figurative rattachée à la peinture de Warhol, Hockney,
Bacon et veut ouvrir, sur cette base, « la page blanche de la modernité » au cinéma (au
mieux une « deuxième » modernité, par conséquent). Après quoi c’est un axe
chronologique des rapports entre les arts plastiques et le cinéma qui est déployée dans
les essais qui occupent une première partie du catalogue, de l’impressionnisme au
cubisme, de l’expressionnisme au surréalisme, à Yves Klein et à l’art-vidéo. La seconde
partie commente les pièces exposées, divisées en 9 sections : Avant le cinéma, Les frère
Lumière et la coïncidence impressionniste, Charlot peintre cubiste, Rythmes formels,
L’inquiétude expressionniste, Le dynamisme révolutionnaire, Le cinéma, art surréaliste
par excellence, Filmer les gestes des peintres, L’invention du cinéma moderne : la
Nouvelle Vague. Une troisième partie présente les deux apports neufs à la question déjà
souvent exposée des rapports arts-cinéma (songeons à l’exposition marseillaise de
Germain Viatte, « Peinture-Cinéma-Peinture » en 1989, catalogue chez Hazan et aux
multiples ouvrages et colloques comportant cet intitulé) : d’une part l’œuvre de
photographe de plateau d’Anne Wiazemsky (tournages de Week-end et de La Mariée était
en noir) et un ensemble de photographies sur le tournage de la Chinoise ou d’autres
circonstances, y compris familiales, ainsi que 6 pages tirées d’un cahier d’écritures
imagées dues à Jean-Luc Godard : « 5 + 4 portraits d’A.W. en forme de Travaux Pratiques
pour la recherche d’A.W. quand elle s’éloigne à la campagne et que le week-end devient
la fin du monde » (1967). D’autre part un ensemble de photographies d’Alain Cuny,
d’affiches qu’il conçut dans les années 1920 (pour Carmen et Gribiche de Feyder, la Rue
sans joie de Pabst) et, c’est plus surprenant, des dessins au crayon réalisés à l’hôpital
psychiatrique de Maison-Blanche dans les années 1930 quand il accompagnait
Françoise Dolto, alors interne, dans ses visites aux femmes pensionnaires de cet
établissement (dessins conservés par Cinémathèque française).
Adèle Bossard-Giannesini, l’Attrait du sommeil, Crisnée, Yellow Now, « Côté cinéma/
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Motifs », 2020, 112 p.
Le sommeil fait-il partie du mouvement, celui-ci définissant l’essence du cinéma,
demande l’auteure ? Pourquoi le cinéma se confronte-t-il si fréquemment à
l’immobilité du sommeil de ses personnages ? Son hypothèse : le sommeil serait le flot
souterrain dans lequel se revitaliserait sans cesse le cinéma.
Robert Brasillach, Chronique du 7e art, Toulouse, Auda Isarn, 2020, 267 p.
Un volume (préfacé par Philippe d’Hugues) rassemblant (presque) tous les articles sur
le cinéma qu’a écrits Robert Brasillach de 1927 à 1944 dans différents périodiques, de la
Tribune de L’Yonne et du Coq catalan à Je Suis Partout et la Gerbe. L’auteur a moins été un
critique de cinéma se confrontant chaque semaine aux sorties commerciales qu’un
chroniqueur, songeant dans l’écriture journalistique à abonder son Histoire du cinéma
publiée en 1935 avec Maurice Bardèche, rééditée en 1943 et régulièrement après sa
mort par son co-auteur, jusqu’en 1964 où le Livre de Poche le répand à des milliers

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d’exemplaires.
Voir compte rendu dans ce numéro.
Catherine Brun, Jeanyves Guérin, Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Genèse
des études théâtrales en France. XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, « Le Spectaculaire », 2019, 427 p.
Dans le cadre du retour historiographique sur les disciplines et leur histoire, cet
ouvrage reconstitue la genèse scientifique et institutionnelle, en France, de cette
discipline aujourd’hui appelée « Études théâtrales » officiellement reconnues comme
telles à la fin des années 1950 à l’université et au CNRS. Cette nécessaire analyse
historique et le repérage de ses enjeux cognitifs, épistémologiques et politiques – que
les directeurs de l’ouvrage disent en conclusion « inachevés » – ne sont qu’à peine
amorcés dans le domaine voisin et plus ou moins contemporain des « études
cinématographiques » (1895 revue d’histoire du cinéma a entamé une enquête qui
demeure encore trop partielle et devrait être relayée ou renforcée au sein de
l’institution universitaire avec l’appui de quelques laboratoires et d’une ANR). Pourtant
certains acteurs de ces deux domaines sont communs à commencer par Étienne
Souriau. Comme l’écrivent encore les directeurs, il s’est agi pour eux de « substituer à la
légende qui entourait la naissance de la discipline une histoire digne de ce nom, ou du
moins d’en poser les premiers éléments ». Pour cela la perspective adoptée a été celle
du new historicism où, « contre la propension à lire – passionnément – les périodes
éloignées selon les grilles du présent, la thick description permet de saisir et de faire
saisir « la radicale étrangeté du passé », même proche.
Erik Bullot, Roussel et le cinéma, Paris, Nouvelles Éditions Place, « Le cinéma des
poètes », 2020, 125 p.
Roussel n’a pas parlé de cinéma, on ne saurait donc parler stricto sensu d’« influence »
du film sur son écriture. Cependant Erik Bullot soutient la gageure de démontrer que
c’est le cas, en passant par Georges Méliès, la « cinématographie-attraction » et
l’archéologie des médias. En outre il envisage le roussellisme au cinéma à travers
quelques films dont le « polyèdre temporel » l’Année dernière à Marienbad que Resnais
doit à l’admirateur de Roussel qu’était Alain Robbe-Grillet.
Delphine Chedaleux et Mélisande Leventopoulos (dir.), Cinéphilies plurielles dans la
France des années 1940-1950. Sortir, lire, rêver, collectionner, Paris, L’Harmattan,
Champs Visuels, 2019, 212 p.
Dans cet ouvrage dirigé par Delphine Chedaleux et Mélisande Leventopoulos avec la
France pour terrain d’étude, les cinéphilies des années 1940-1950 sont pensées dans
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leur pluralité et appréhendées en tant qu’usages ordinaires du cinéma, ce qui permet
de cibler les comportements du commun des spectatrices et spectateurs, c’est-à-dire de
celles et ceux qui ne relèvent pas de l’élite culturelle ni de la cinéphilie dite « savante »,
sans les réduire aux seules classes populaires. Ces pratiques cinéphiliques concernent
bien sûr le temps des séances, mais circulent aussi en dehors des salles de cinéma pour
modeler une multitude d’activités se déployant dans des espaces publics comme privés
arpentés par les spectateurs et spectatrices. Ce livre collectif se situe ainsi dans le
prolongement de l’ouvrage de Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto Cinéphiles et
cinéphilies : une histoire de la qualité cinématographique (voir 1895 revue d’histoire du cinéma
no 70, 2013) et des travaux issus du programme de recherche CINÉPOP50, « Cinémas et
cinéphilies populaires dans la France d’après-guerre 1945-1958 ». Y sont publiées une
partie des interventions au séminaire dédié aux cinéphilies organisé au sein de ce

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dernier programme de recherche au cours de l’année 2013-2014, qui avait


particulièrement souligné l’intérêt d’appréhender, hors de toute posture surplombante,
les pratiques cinéphiles dans la France de l’après Seconde Guerre mondiale. Il s’agit
donc ici de prolonger l’effort d’investigation des pratiques de consommation du cinéma
qui a déjà permis ces dernières années l’ouverture d’un espace de croisements
disciplinaires entre histoire du cinéma, histoire culturelle et sociale, cultural studies,
sociologie de l’expertise mais aussi études de genre.
Alessandro Corsi, Dictionnaire du cinéma italien. De la marche sur Rome à la
République de Salò. 1922-1945, Paris, Vendémiaire Editions, 2019, 648 p.
La formule du dictionnaire avait déjà été adoptée pour l’ouvrage dirigé par Mathias
Sabourdin, Dictionnaire du cinéma italien. Ses créateurs de 1943 à nos jours, paru en 2014 aux
éditions Nouveau Monde (un mastodonte de 1 250 pages). Le livre de Corsi, lui aussi
substantiel, présente plusieurs singularités, d’abord d’être l’œuvre d’un seul auteur,
ensuite de ne pas se borner aux créateurs mais de considérer aussi les acteurs, les
producteurs, les films, les institutions, l’économie, les centres de production, enfin
d’aborder une période rarement prise en considération par l’édition française. L’auteur
examine sous forme de notices souvent détaillées (14 pages pour analyser le mot
« Industrie », 12 pages pour « Propagande », 11 pages pour « Église », 9 pages pour
« Censure », 8 pages pour « Mostra de Venise », 7 pages pour « Colonies »), le cinéma de
la période fasciste, à partir de la Marche sur Rome en octobre 1922 – le cinéma est
encore muet et il le demeurera jusqu’en 1930 – jusqu’à la fin de la République de Salò en
avril 1944, et même un peu au-delà jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en mai
1945, manière d’évoquer les prémisses du néo-réalisme.
Françoise Coursaget, François Roulet. L’art en passant. 1931-1979, Lausanne, L’Âge
d’Homme, « Histoire et esthétique du cinéma », 2020, 121 p.
Le graphiste de la Cinémathèque algérienne des années 1960 et du Centre d’animation
cinématographique de Genève était d’abord un comédien de théâtre (élève du cours
Dullin, cofondateur du Théâtre Populaire Romand, passé par le Berliner Ensemble), de
dramatiques télé (dirigées par Claude Goretta) avant de jouer au cinéma pour Alain
Tanner. Mais il était aussi dessinateur, plasticien et animateur culturel. Un homme
engagé à tous les sens du terme et avant tout dans un combat artistique visant à
l’émancipation sociale et culturelle des spectateurs. 1895 revue d’histoire du cinéma a
consacré un dossier à certaines de ses affiches (no 84, 2017) et publié une présentation
de F. Coursaget qui développe ici l’entière biographie de François Roulet et présente
son œuvre graphique « libre » et « appliquée » que conserve le Musée des Beaux-Arts
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de La Chaux-de-Fonds.
Jacques Demange, Michelangelo Antonioni. D’un regard à l’autre, La Madeleine,
Editions LettMotif, 2019, 180 p.
Thème récurrent du cinéma d’Antonioni, le regard nourrit l’imaginaire de l’artiste.
Dans son livre, Jacques Demange éclaire la démarche du créateur. Antonioni parcourt
de nouveaux registres expressifs : les silences, les attentes, les creux valent plus que les
moments apparents de progression de l’action : un nouveau langage se met en place
dans lequel le décor n’est plus le signe de reconnaissance du monde extérieur mais
l’expression des états d’âme, des sensations indicibles, du mystère même qui entoure
l’homme. Le cinéma d’Antonioni accorde la priorité aux temps morts sur la dynamique
de la narration, l’espace signifiant est hors champ. Comme l’écrit l’auteur dans sa
conclusion : « Antonioni retrouve cette esthétique du tableau héritée du cinéma de

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Méliès accompagnée du caractère aléatoire propres aux vues des frères Lumière. Une
synthèse des regards au fondement de l’art cinématographique ». Dans sa préface, Jean
A. Gili évoque le court métrage que le cinéaste consacra à Michel-Ange : Antonioni est
pétrifié face au Moïse de marbre dans la basilique de Saint-Pierre-aux-liens à Rome.
Quel meilleur raccourci de l’œuvre que cette situation de sidération ?
Jean-Pierre Esquenazi, le Dictateur de Charlie Chaplin, Lyon, Presses universitaires de
Lyon, 2020, 162 p.
En octobre 1940, Chaplin présente The Great Dictator et ce faisant, malgré les pressions
qui s’exercent sur lui (notamment via le consulat allemand à Los Angeles), dénonce
avec les moyens qui sont les siens le nazisme et la barbarie qui l’accompagne. Dans un
brillant essai, Jean-Pierre Esquenazi analyse les différents niveaux de discours et met
en évidence la possibilité pour un artiste de décrire une situation intolérable et de tenir
un discours politique clairement référencé à l’actualité.
Voir compte rendu dans un prochain numéro.
Jean-Christophe Ferrari, Journal intime de Valério Zurlini, Crisnée, Yellow Now,
« Côté films » no 40, 112 p.
Journal intime peint un tableau de « cette vie nue que la modernité crée nécessairement
en elle-même, mais dont la présence est absolument intolérable » comme l’écrit
Agamben.
Antony Fiant, Gilles Mouëllic, Caroline Zéau (dir.), Johan van der Keuken.
Documenter une présence au monde, Crisnée, Yellow Now, « Côté cinéma », 2020, 213 p.
Suite à la journée d’étude qu’avaient organisée les universités de Rennes et de Poitiers
l’an dernier – dans la foulée de la rétrospective van der Keuken de la Cinémathèque du
Documentaire au Centre Pompidou – voici les contributions des intervenants qui
s’attachent aux divers aspects du cinéma que mit en œuvre Johan van der Keuken
(1938-2001) dont il ressort en premier lieu l’articulation recherchée, expérimentée,
travaillée entre écriture formelle, rythme, montage, relations images-sons et regard
politique sur le monde. Photographe (nombreux ouvrages et expositions), essayiste,
théoricien de sa pratique (Aventures d’un regard), van der Keuken a incarné un type de
réalisateur autonome, subvertissant le terrain du documentaire où il intervenait.
Amélie Gastaut (dir.), Affiches cubaines. Révolution et cinéma 1959-2019, Paris, Musée
des Arts décoratifs, 2019, 144 p.
Un ensemble de textes et de reproductions autour de la production des affiches
cubaines dans différents domaines, dont le cinéma, qui apporte un éclairage sans
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précédent sur le sujet.
Voir le Cahier couleur de ce numéro et sa présentation.
Pierre Gabaston, Sierra de Teruel d’André Malraux, Crisnée, Yellow Now, « Côté films »
no 39, 2020, 112 p.
Monographie sur l’unique film signé par Malraux – et qui devait aussi beaucoup à Max
Aub et quelques autres – auquel 1895 a consacré un dossier en 2015 (n o 76). L’auteur –
qui a signé déjà un livre sur la 317e section de Schœndoerffer et Rio Bravo de Hawks –
appréhende le film à partir des catégories mises en œuvre dans le Temps du Mépris du
même Malraux et le place dans la perspective des livres sur l’art qui suivront dans
l’après-guerre.
Enrico Giacovelli (dir.), Gérald Morin (dir. pour l’édition française), Tout sur Fellini,
Rome, Gremese, 2019, 572 p.
Le centenaire de la naissance de Fellini va sans doute provoquer une avalanche de

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livres, d’hommages, de manifestations. Les éditions Gremese occupent le terrain avec


ce gros volume que préface Michel Ciment, ayant mobilisé une quarantaine d’auteurs,
sans compter ceux dont les œuvres sont abondamment citées ou qui ont écrit des textes
non signés. Conçu comme un « dictionnaire encyclopédique fellinien », le livre entraîne
le lecteur dans les voies les plus surprenantes, tant la démarche offre des perspectives
inattendues. On dispose ainsi d’une masse considérable d’informations (y compris un
très riche cahier iconographique) sur une des carrières les plus éblouissantes de toute
l’histoire du cinéma. Le livre aurait toutefois mérité une meilleure qualité de mise en
page et d’impression.
Jean A. Gili (dir.), l’Italie au miroir de son cinéma, tome 3, « Une floraison multiple. L’
Italie du nouveau millénaire », Toulouse, Editalie, 2019, 416 p. Hors-série de la revue
RADICI.
Ce fort volume, troisième volée d’une entreprise commencée en 2014 ayant d’abord
évoqué l’histoire du cinéma italien dans son apogée de 1945 aux années 1970, puis les
années 1980-1990 marquées par un certain recul, enfin le renouveau depuis le début
des années 2000, est composé de textes et d’entretiens rassemblés par Jean A. Gili.
Nourri de contributions publiées en Italie et quelquefois en France, ce troisième tome
propose également de nombreux textes inédits écrits spécialement pour l’ouvrage (Cf.
par exemple le long texte de Gian Piero Brunetta sur Carlo Mazzacurati). Il se propose
de montrer la richesse et la diversité du cinéma italien au cours de ces vingt dernières
années en montrant la cohabitation de cinéastes de diverses générations, en partant
des références tutélaires que sont Paolo et Vittorio Taviani et Marco Bellocchio, pour
suivre les auteurs des générations suivantes, Gianni Amelio, Nanni Moretti, Marco
Tullio Giordana, Carlo Verdone, Carlo Mazzacurati, Mario Martone, Paolo Virzì, pour
arriver enfin à une sorte de nouvelle « floraison », Matteo Garrone, Paolo Sorrentino,
Emmanuelle Crialese, Francesco Munzi, Roberto Andò... Et il en manque ! Le livre
aborde aussi dans des textes transversaux la question des réalisatrices dans le cinéma
italien, le documentaire proche de la fiction, le Sud comme foyer de créativité, les
auteurs de partitions musicales (Nino Rota, Ennio Morricone, Nicola Piovani, Franco
Piersanti) destinées à des cinéastes qui accordent une grande importance à
l’accompagnement musical de leurs œuvres.
Christine Grammont, Dominique Païni (dir.), Cinématisse, Nice, in fine/Musée
Matisse, 2019.
« Lorsqu’est évoqué le rapport des avant-gardes avec l’art du film, ce sont les noms de
Fernand Léger, Man Ray ou Marcel Duchamp qui s’imposent, ces artistes ayant eux-
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mêmes fait l’expérience du cinéma. Sans doute parce qu’il ne fréquentait pas ceux-là, et
qu’il n’a pas pratiqué le film, Henri Matisse, jusqu’à présent, n’avait jamais été
considéré à travers le prisme du cinéma. Nous ne savions rien, ou presque, de son
rapport avec le septième art. Matisse se situe plus volontiers dans notre imaginaire du
côté de la Peinture et d’une certaine idée de la lignée qui le soustrait du monde dans
lequel il a évolué pour en faire un symbole de l’art français. Le cinéma, donc, serait un
medium bien trop neuf pour lui ». Ces lignes tirées du beau catalogue accompagnant
l’exposition « Cinématisse. Dialogues d’un peintre avec le cinéma » (musée Matisse de
Nice, 19 septembre 2019 – 5 janvier 2020) due aux deux directeurs de cet ouvrage,
disent très justement l’extériorité « spontanée » de Matisse et du cinéma, même si le
Pare-brise sur la route de Villacoublay (1917) instituait un écran mobile sur la toile par le
biais de surcroît de l’automobile – une Peugeot 9 CV –, compliquant le dispositif de la
fenêtre, récurrent dans son œuvre (le catalogue rapproche ce tableau de trois

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photogrammes de la Glace à trois faces d’Epstein [1927] où le paysage est vu depuis une
décapotable, ce qui trouble cette filiation). Au mieux pouvait-on considérer qu’il
existait un sujet qui fût « Matisse au cinéma » : la Blouse roumaine (1940) figurant sur
l’affiche de Pauline à la plage, ce même tableau commenté par Godard dans un Cinéastes
de notre temps d’Hubert Knapp (1965), Demy s’inspirant de certaines toiles dans les
Parapluies de Cherbourg. Et puis dans un autre ordre, le fameux documentaire de
François Campaux sur Matisse au travail qui avait étonné et mobilisé successivement
Aragon, Merleau-Ponty, Bazin (avant le Mystère Picasso de Clouzot) et peut-être
engendré cette référence à Matisse dans les écrits de Jacques Rivette (« Lettre à
Rossellini ») valorisant l’esquisse, la variation. Mais la rencontre du peintre avec les
cinéastes Flaherty et Murnau lors de son séjour à Tahiti en 1930 et les effets repérables
dans ses dessins de sa vision de Tabou a commencé d’instiller l’idée que Matisse avait pu
s’intéresser au cinéma. Comme son amitié avec Gaston Modot et sa fréquentation des
studios de la Victorine à Nice où se tourne le film orientaliste de Le Somptier, la Sultane
de l’amour (1919), puis sa fréquentation de Rex Ingram dans les années 1920, sa visite
aux studios de la Goldwyn Mayer à Hollywood. Matisse est un spectateur assidu des
salles parisiennes comme niçoises, à Tanger, Papeete ou New York. On trouve ainsi
mention, dans les agendas du peintre, des films qu’il voit, le plus souvent non
commentés malheureusement – Madame Bovary, le Cuirassé Potemkine, Sous les toits de
Paris –, films très divers (de Laurel et Hardy, Michael Curtiz, Chaplin, Albouker). Plus
que cela, plus que cette « cinéphilie avérée » (Païni), « Matisse a toujours pensé son art
en des termes proches de ce qui occupe le cinéma en son essence. Cela en premier lieu
parce que son œuvre tout entière évoque la durée tout autant que l’espace, au point
d’en faire le matériau premier de sa recherche plastique. Entre le cinéma et l’art de
Matisse il y a donc une frappante analogie que lui-même avait perçue et réfléchie.
Comme il le confie à un journaliste du New York Herald Tribune lors de son séjour aux
États-Unis en 1933 : “Je ne vais pas au cinéma tous les jours, comme cela a été dit je
crois par Maurice Sachs. Ce serait trop. J’y vais parfois pour étudier ce que le cinéma
peut apporter à l’art de la peinture et vice versa” » (C. Grammont). « Au cinéma, écrit
Matisse, un simple documentaire de paysage contient combien de paysages différents
traversés par le vent. [...] un amateur d’images peut avoir une collection de films
représentant des vues du monde entier, tandis qu’un amateur de tableaux a bien peu de
toiles à considérer ». L’image cinématographique est, à ses yeux, suspecte de trivialité,
commente la directrice du Musée Matisse. « Enregistrement mécanique de la réalité,
elle menace de déformer notre perception : “cinéma, publicité et magazines nous
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imposent quotidiennement un flot d’images toutes faites, qui sont un peu dans l’ordre
de la vision, ce qu’est le préjugé dans l’ordre de l’intelligence. Il incombe donc à
l’artiste, resté fidèle au devoir de dire “la vérité en peinture”, de se dégager de cet
acquis et de faire l’effort de “voir toutes choses comme s’il les voyait pour la première
fois” ». Autre aspect du « cinématisme » matissien, le souci de fixer par la photographie
les différents états d’un tableau en cours d’exécution (comme le Nu rose assis [1935-6]) et
surtout la production de dessins en série offrant autant de variations, presque
d’instantanés qui se succèdent comme dans le cinéma d’animation (Aragon le souligne
dans Henri Matisse roman). « On pense au cinéma, écrit-il à son fils Pierre. Car la suite du
même moment fait croire à celui qui regarde que c’est le modèle qui bouge d’une feuille
à l’autre – et pourtant, ce n’est pas ça, c’est l’esprit du spectateur qui est entraîné
ainsi ». Rosalind Krauss avait déjà repéré cette pratique chez Picasso et l’avait
rapprochée du flip-book et, sans doute, peut-on remonter à Monet et ses meules

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successives pour inscrire cette démarche dans une « épistémè » dont le cinéma est le
plus frappant révélateur mais qui innerve la littérature, la peinture et la photographie
dans la société industrielle du XIXe siècle où les « valeurs » de vitesse, succession,
répétition adviennent. Propre à Matisse cette fois, il y a enfin ce système des formes
découpées que le peintre utilise dans ses grandes compositions (comme la Danse) afin de
faire « bouger » celles-ci de l’intérieur, intervenant sur un point pour faire se
recomposer l’ensemble, technique qu’avait évoquée Eisenstein à propos du Greco dans
son essai « El Greco y el Cine » sous le nom de « personnages découpés » (selon la
formule de Willumsen) en l’inscrivant dans la problématique du montage (dans
Cinématisme, les presses du réel, 2009).
Marco Giusti, Polidor e Polidor, Bologne, Cineteca di Bologna, 2019, 296 p.
Publié par la Cinémathèque de Bologne, l’ouvrage de Marco Giusti suit la carrière de
Polidor, un clown appartenant à une lignée d’artistes dont le célèbre Antonet, clown
blanc qui apparaît dans les Clowns de Fellini. De son vrai nom Ferdinand Guillaume,
Polidor travaille pour la société Cines de Rome dans les années 1910 sous le
pseudonyme d’abord de Tontolini puis de Polidor. En 1911, il est un des premiers
Pinocchio du cinéma italien sous la direction de Giulio Antamoro. Il est alors une des
personnalités les plus célèbres de la production comique aux côtés de Marcel Fabre
(Robinet) et d’André Deed (Cf. Jean A. Gili, André Deed. Boireau, Cretinetti, Gribouille,
Bologne, 2005). Polidor se reconvertira dans le « Théâtre du rire » dans l’entre-deux
guerres avant de revenir épisodiquement au cinéma à partir des années 1940 dans de
petits rôles, notamment chez Fellini (Le notti di Cabiria, La dolce vita, Boccace 70, 8 1/2, Toby
Dammit), mais aussi chez Gianni Puccini, Marco Ferreri et même Pier Paolo Pasolini
(Accattone) et Abel Gance (Cyrano et D’Artagnan).
Niklaus Manuel Gübel, Gustave Courbet – Une enquête sur le paysage, Dijon, les presses
du réel, 2019, 334 p.
Avec les plus anciennes notes de cours de philosophie de Courbet lui-même éditées par
Roger Bruyeron parues chez Hermann, la Correspondance de Courbet – 20 ans après (éditée
par Yves Sarfati, Thomas Schlesser, Bertrand Tillier) aux presses du réel, cette
publication célèbre le bicentenaire le plus discret qui fut en France – hormis la Franche
Comté –, celui du peintre Gustave Courbet auquel aucune rétrospective ni aucune
production éditoriale parisiennes ne furent consacrées à cette occasion. Devenu
« iconique » grâce à l’Origine du monde désormais à Orsay, Courbet demeure largement
méconnu pour l’importance qu’il eut dans l’histoire de la peinture française – dont
Cézanne, pour ne parler que de lui, ne manquait jamais de faire état (Cf. ses entretiens
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avec Joachim Gasquet qu’Une visite au Louvre de Jean-Marie et Danièle Huillet avait
remis dans l’actualité en 2004 : il y oppose justement l’Enterrement à Ornans au Sacre de
Napoléon de David comme le fait aussi Niklaus Güdel). Cette « enquête sur le paysage »
de l’historien de l’art suisse Gübel, paraissant au moment où Rancière publie de son
côté sa réflexion sur le Temps du paysage (La Fabrique, 2020) est une bonne occasion
d’entrer dans la complexité de son art par une entrée très concrète, documentée et
analysée avec profondeur. L’auteur part d’un événement singulier, la donation par M.
Hugo Berthold Saemann, industriel zurichois d’origine jurassienne, à la République et
Canton du Jura en Suisse, en 2017, d’un tableau de Courbet qui ne figurait dans aucun
catalogue et demeurait inconnu des spécialistes du peintre. Il l’appelle « Jura-
Landschaft ». Ce Paysage du Jura une fois déposé au Musée jurassien d’art et d’histoire
de Delémont suscita une curiosité et un engouement inattendus dans la région,
soulevant des questions géographiques et historiques : Courbet était-il passé dans la

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région ? Où avait-il posé son chevalet ? Est-ce bien une toile de Courbet ? L’enquête de
Güdel se mène en « montage alterné » en quelque sorte : une étude d’histoire de l’art
savante consacrée au rapport de Courbet aux paysages de sa région natale (Ornans et
alentours), sa connaissance précise et son amour des lieux, la signification identitaire
de cet intérêt pour le paysage (qui démarre, notamment, avec la commande par Louis
XV à Horace Vernet de « peindre tous les ports de France », une sorte de « mission »
confiée aux peintres qui s’apparente, avant la lettre, à ces « missions photographiques »
qui se développeront au XIXe et XXe siècles), les modèles parfois très éloignés qu’il se
donne dans certaines compositions (un bas-relief assyrien de 700 avant notre ère et la
Rencontre de 1854), et d’autre part, la suite événementielle du legs, des démarches
notariales, l’expertise en authenticité jusqu’à des visites sur les lieux du tableau et
d’autres, jusqu’à une hypothèse que l’historien de l’art se refuse à considérer comme
une certitude.
Laurent Guido, De Wagner au cinéma. Histoire d’une fantasmagorie, [s.l.], Mimēsis,
« Images, Médiums », 2019, 191 p.
Les rapports de Wagner avec le cinéma remontent à peu de choses près aux débuts du
cinéma lui-même. En effet, en 1904 la production Edison, combinant innovation
technologique et prosélytisme culturel propose une adaptation de Parsifal. Quoique son
exploitation initiale dans une version Kinetophone, avec musique enregistrée, n’ait
guère été concluante, ce film a d’emblée cristallisé les usages ambivalents de l’œuvre de
Wagner dans l’avènement du grand spectacle audiovisuel, entre valorisation
commerciale d’une nouveauté technologique et légitimation artistique d’un spectacle
destiné aux foules. Il s’est en effet situé dans le sillage de la représentation
controversée de Parsifal au Met, du 24 décembre 1903 vigoureusement condamnée par
la famille Wagner pour défaut de « sacralité ». Le cinéma achevait ainsi la
transfiguration de Parsifal en « Broadway Attraction ».
L’essai de Laurent Guido, étayé par une érudition quadrilingue sans faille, s’attache aux
discours théoriques ayant retenu l’existence d’un rapport privilégié entre Wagner et le
cinéma. Il s’agit de mettre en lumière les généalogies en vertu desquelles les milieux
cinématographiques ont pu s’approprier une certaine esthétique propre au
wagnérisme. Le lieu commun d’un Wagner proto-hollywoodien, tourmenté par
l’« immersion » technologique, fait notamment débat. Une première partie du livre
aborde les réflexions ayant cherché à définir le cinéma en tant que synthèse des formes
d’expression artistique (« Le cinéma comme Gesamtkunstwerk »), en revenant sur les
propos de divers théoriciens du cinéma (de Canudo et Delluc à Elie Faure, Emile
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Vuillermoz, Paul Ramain et bien d’autres jusqu’à Kittler), du scénographe Adolphe
Appia ou du cinéaste Serguei Eisenstein (qui a mis en scène un opéra de Wagner
parallèlement à son œuvre filmique qui tendait elle-même, dans les années 1930-1940, à
la forme « opéra »). Au début du XXe siècle, l’œuvre de Wagner joue en effet un rôle
central dans divers courants postromantiques qui aspirent à une convergence entre
art, mystique et science – que Nietzsche avait prévu et sur laquelle il avait ironisé. Une
seconde partie envisage la référence à Wagner dans le domaine de la musique de film,
plus particulièrement au travers de la question du leitmotiv (« Formes et leitmotive du
“cinéma lyrique” »). Ancrée d’abord dans le grand spectacle « muet », cette tradition
s’est vue récemment revitalisée par le biais de blockbusters comme Stars Wars ou The
Lords of Rings. Modèle international, Wagner est devenu un « fétiche hollywoodien ». On
pourra discuter la démarche qui envisage sur le même plan Wagner et John Williams et
la distorsion qui s’établit entre le projet wagnérien qui oppose son théâtre musical pour

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le peuple à l’opéra comme lieu proprement bourgeois et le fait d’envisager


l’accomplissement de ce projet au sein de l’opéra. En dépit du parti pris négatif
qu’Adorno développe dans son Essai sur Wagner, il n’en avait pas moins pointé le rôle
(involontaire) qu’a joué ce compositeur dans la standardisation généralisée de l’œuvre
d’art : « les opéras de Wagner tournent à la marchandise ». Néanmoins Guido ne suit
pas tant Adorno qu’il ne se réfère plutôt à l’approche d’Eisenstein qui, non dupe des
excès fantasmagoriques et des universaux totalitaires du compositeur, a privilégié en
lui le projet d’un croisement dynamique des arts.
Laurent Guido, Cinéma, mythe et idéologie. Échos de Wagner chez Hans-Jürgen
Syberberg et Werner Herzog, Paris, Hermann, « Esprit du cinéma », 2020, 276 p.
Cet autre essai sur Wagner de Laurent Guido revient sur la manière dont l’œuvre, la
personnalité et les idées du compositeur ont marqué le cinéma au travers de l’apport de
deux cinéastes allemands : Hans-Jürgen Syberberg (cinq films tournés entre 1972 et
1985, ainsi qu’une imposante production théorique, pour une part inédite en français)
et Werner Herzog (une dizaine de films, avant tout documentaires). L’un comme l’autre
ont en effet largement contribué à la « rédemption » cinématographique de Wagner, en
insistant sur les ambiguïtés idéologiques profondes du grand compositeur. Ils ne
cherchent pas tant à servir la postérité de Wagner lui-même qu’à s’en emparer pour
explorer la portée contemporaine des aspirations romantiques au mythe que le
wagnérisme a poussé à ses limites. Ces conceptions se révèlent très productives pour
comprendre une certaine vision de la culture occidentale dans le contexte mondialisé
du XXIe siècle.
Joséphine Jibokji, Objets de cinéma. De Marienbad à Fantomas, Paris, cths-INHA, 2019,
347 p.
Préface de Joël Daire
Les objets expressément réalisés pour entrer dans le décor ou le milieu de films de
fiction, tel est le sujet explicite de cet ouvrage. Mais ces objets sont plutôt des objets
d’art que des choses – auxquelles le titre peut faire croire et qui correspondent par
contre à l’esthétique de Borowczyk – et l’ouvrage examine en profondeur plusieurs
films dont statues (Marienbad, le Mépris), l’architecture (Playtime), les portraits, tableaux
voire objets de design forment des sortes de personnages, des actants du récit. Ils
s’inscrivent, dit l’auteur, dans « l’exubérance formelles et les révolutions artistiques des
années 1960 » marquées par le passage des diverses formes d’abstraction qui
occupaient le devant de la scène artistique depuis l’après-guerre au Pop Art.
Compte rendu dans un prochain numéro.
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Ernst Kitzinger, le Culte des images avant l’iconoclasme ( IVe-VIIe siècles), Paris, Macula,
2019, 238 p.
Ernst Kitzinger, historien de l’art, spécialiste de l’Antiquité tardive, du Moyen Âge et de
l’époque byzantine a publié ce livre en 1954 aux États-Unis jamais traduit en français en
dépit du rôle fondateur qu’il a joué dans les études portant sur ce sujet et qu’on a vu
refleurir depuis quelques années (Marie-Claude Baudinet, Hans Belting). Dans ce livre,
l’auteur expose « la manière dont l’adoration des images autour du bassin
méditerranéen entre le IVe et le VIIe siècles allait produire au siècle suivant la réaction
iconoclaste qui, à son tour, générerait, par contrecoup, l’institution d’une adoration des
images de type tempérée » (Michaud). Adoptant un schéma marxiste « puisque la
pratique des images précède et conditionne la justification théorique de leur culte »,
Kitzinger montre que « l’adoption, le rejet et la justification des images de culte

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correspondant aux différentes phases d’un développement interne à la culture


chrétienne se manifestent sporadiquement dans l’Empire byzantin bien avant la grande
crise des VIIIe et IXe siècles. Il montre encore que les positions iconoclastes
correspondaient moins au refus de toute image ou du fait figuratif en tant que tel,
qu’au rejet de leur adoration » (id). Dans sa postface, « L’adoration des surfaces »,
Philippe-Alain Michaud (qui est aussi le traducteur du texte de Kitzinger) conclut en
disant que « la question des images telle qu’elle s’élabore dans la sphère du
christianisme byzantin s’éclaire de la théorie moderne des médias, et que celle-ci, à son
tour, gagnerait une nouvelle intelligibilité en s’ouvrant à la byzantinologie ».
Claire Lebossé (dir.), Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes, Gand-Nantes,
Snoeck-Musée d’arts de Nantes, 2019, 256 p.
Il ne manque rien à la recension qu’a faite la commissaire de cette exposition des
relations que les avant-gardes eurent avec Charlie Chaplin. Le personnage de Charlie
(ou Charlot en France) fait, en effet, irruption dans le monde de l’art, de la poésie, de la
littérature et du théâtre dans la plupart des pays pour servir aux artistes d’avant-garde
à bousculer les conventions et les canons en célébrant la création d’un medium
populaire mais tenu en lisière par les institutions artistiques. Si Duchamp reprit à son
profit les loufoqueries des zutistes et les inventions paradoxales de Gaston de
Pawlewski, il ne fit pas état de l’opération de détournement qu’il pratiquait, tandis que
Cendrars, Tzara, Léger, Chagall, Aragon ou Soupault, Blumenfeld, Ivan Goll,
Ehrenbourg, Stepanova ou Kozintzev et Trauberg revendiquent leur emprunt et
rendent hommage à Chaplin. Cas unique de consensus entre le plus grand nombre et
une élite soucieuse d’en découdre avec les idées reçues, l’effigie chaplinienne migre
d’un champ à l’autre. Dada, le surréalisme, l’excentrisme, le constructivisme, tous les
ismes émargent à cette fascination pour Chaplin. À l’inverse, Chaplin, s’il reconnut le
génie de Cami (lui-même marginal dans le champ artistique), n’entra pas dans le
« triple jeu de l’art moderne ». Les échanges demeurent donc à sens unique : Chaplin
féconde les arts et on peut y voir la suprématie d’un medium appartenant à « l’âge de la
machine » sur ceux d’avant et qui s’efforcent d’obtenir avec difficulté les mêmes effets
que lui pour lequel ils coulent de source... Benjamin s’est avisé de cela et ce phénomène
explique en partie pourquoi Elie Faure pouvait parler de la « fin » de la peinture face au
cinéma. Moins mis en lumière dans l’exposition, la position politique de Chaplin joue
également un rôle important dans la valorisation de son personnage – dont ne
bénéficient ni Keaton, ni Harold Lloyd et que retrouveront brièvement et partiellement
les Marx aux yeux de quelques-uns (Artaud, Leiris). Car Chaplin, en même temps qu’il
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est dans « l’œil des avant-gardes » artistiques est dans celui des avant-gardes
révolutionnaires et leurs organisations de masse : ciné-clubs, affiches, banderoles... Le
catalogue de cette exposition accompagne utilement cette dernière (qui devait, avant le
déferlement viral, être reprise, sous une forme réduite, au Louvre d’Abou Dabi) avec
des essais de Claire Lebossé, Daniel Banda et José Moure, Olivia Crough, Charlotte
Servel, Henri Béhar et Morgan Jourdren.
Marie-Claude L’Huillier, Anne Jollet (dir.), Révolution(s). Entre commotions et
commémorations 1917-2017, Rome, Effigi, 2019, 232 p.
Issu des 5e Rencontres d’histoire critique de Gennevilliers de 2017, cet ouvrage est
centré à la fois sur des contributions portant sur la Révolution française (« La prise de
parole populaire en Révolution. Le cas des citoyens des sections parisiennes de l’an I »
par Alexandre Guermazi ; « La prise de parole des citoyens à la commune de Paris sous
le mandat du maire Pasche, 1793-1794 » par Aurélien Larné), la Révolution russe de

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1917 (Frédéric Genevée, Stéfanie Prezioso – sur les effets en Italie –, Olivier Coquelin –
sur le cas irlandais et ses soviets), celle de Chine en 1949 (« Les deux corps de Mao » par
Alain Roux). Une deuxième section de l’ensemble est dévolue au passage « de
l’événement au mythe » (« La révolution russe et l’impossible conférence socialiste de
Stockholm » par Andrea Benedetti ; « Russie-Ukraine, 1917-2017 : quelle révolution
pour quelle commémoration ? » par Éric Aunoble ; « Le siècle rouge du New York Times,
24 février-7 novembre 1917 » par Nelcya Delanoë). Enfin la troisième section porte sur
les « Images de révolution » et concerne le cinéma à travers la Fin de Saint-Pétersbourg de
Poudovkine abordé par Bernard Eisenschitz et le film de Claire Angelini Avant-hier le
futur ! (2017) dont parle la réalisatrice reprenant le modus operandi de son travail qui
« assemble » plusieurs blocs temporels et politiques à partir d’images et de sons et
musiques, et sur lequel revient Olivier Le Trocquer (« La force du temps contre l’atonie
présente. Mouvement des images et mouvement de l’histoire dans Avant-hier le futur !
»). L’ouvrage se clôt sur un dialogue entre l’historien français Serge Wolikow et Andrei
Gratchev, historien et politologue russe, spécialiste des relations internationales, sur le
thème « Révolution(s) et pouvoir du peuple ».
John MacKay, Dziga Vertov. Life and Work, volume 1 1896-1921, Boston, Academic
Studies Press, « Film and Media Studies », 2018, 372 p.
Premier de trois volumes d’une biographie documentée et analytique de Dziga Vertov
abordant l’homme et son œuvre dans les contextes historiques, sociaux, politiques et
culturels où ils ont vu le jour. Une somme désormais incontournable pour la
connaissance de l’entrée de Vertov dans le champ du cinéma d’actualités et du
documentaire auquel les dirigeants de la Russie révolutionnaire attachèrent une
grande importance (contre-information, propagande, construction d’une identité
multinationale, prophylaxie, etc.) et au sein duquel Vertov fit des propositions
originales par leur articulation entre innovations techniques, dispositifs sociaux de
production et représentation.
Voir compte rendu dans ce numéro.
Evgenij Margolit, V ozhidanii otveta. Otechestvennoe kino : fil’my i ih ljudi [Dans l’attente
d’une réponse. Le cinéma national : des films et leurs hommes], Moscou, Rosebud, 2019,
463 p.
L’ouvrage réunit des articles écrits au cours de la dernière décennie, sans se préoccuper
de faire figurer la date et le lieu de leur première publication, ou d’indiquer s’il s’agit de
présentations orales – genre dont le critique et historien est familier – reprises ou
complétées dans un second temps. De même, les quatre grandes parties qui constituent
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l’ensemble ne semblent pas regrouper des films selon un découpage chronologique ou
thématique, laissant le lecteur face à ses interrogations. Le seul critère général ayant
présidé au choix des titres qui vont du premier film de fiction édité en Russie
(Ponizovaja vol’nica, 1908) aux derniers films d’Andreï Kontchalovski (Belye nochi pochtal’
ona Alekseja Trjapicyna, 2014) est, comme l’indique l’auteur dans sa succincte
introduction, d’être des « films cultes », à savoir d’avoir eu un « immense succès
commercial ». L’ambition avouée est de trouver des réponses à « cette question
lancinante : à quoi ressemblerait l’histoire du cinéma si elle était écrite du point de vue
de la salle, des préférences spectatorielles ? » (p. 11). Mais cette ambition se heurte
aussitôt à une difficulté de taille – la quasi impossibilité de trouver des chiffres précis
sur les entrées ou les recettes engrangées – difficulté que l’auteur préfère simplement
contourner, en se référant à des « données indirectes : témoignages de contemporains,
comptes rendus décrivant les réactions d’une salle précise, impressions notées dans un

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journal intime, remarques surgies dans des textes sans rapport avec le cinéma, jusqu’au
folklore urbain dans lequel certains détails d’un film peuvent être passés de l’écran
pour s’encrer dans la vie quotidienne » (p. 12). L’ouvrage répond-il à ces promesses ?
Aucunement, ce qui n’est pas étonnant de la part de cet éminent spécialiste de la
« science cinématographique » (kinovedenie) cultivée en Russie qui a davantage à voir
avec la critique et l’analyse de texte qu’avec l’histoire, sans parler de la sociologie. En
témoignent le faible nombre de notes, où on ne relèvera pratiquement aucun renvoi à
des journaux intimes, ou à une documentation autre que cinématographique. Il n’en
reste pas moins que les chapitres, d’un inégal intérêt, offrent un très vaste panorama de
la culture russe et soviétique, brassant une quantité de références hétéroclites allant de
la politique à la littérature des XIXe-XXIe siècles. Le monde cinématographique et la
culture cinéphilique nationale constituent néanmoins l’arrière-fond indispensable pour
apprécier les analyses proposées. L’auteur fait en effet le pari de s’adresser à un
lectorat déjà très ferré pour lequel il est inutile de clarifier les allusions, de préciser les
rapprochements, de nommer noir sur blanc les œuvres auxquelles il se réfère ou
d’expliquer les événements ou personnages évoqués. On pourra certes discuter
l’interprétation de certains films (l’Homme du restaurant, Protazanov, 1927, pp. 40-62),
mais on trouvera dans l’ouvrage quantité d’analyses rafraîchissantes, stimulantes,
adossées à un savoir solide et une intuition remarquable, qui convaincront le lecteur et
susciteront à n’en pas douter des développements plus académiques.
Isabelle Marinone, Un monde et son double. Regards sur l’entreprise visuelle des
Archives de la Planète (1919-1931), Perpignan, Presses Universitaires/Institut Jean Vigo,
2019, 300 p.
Premier titre d’une nouvelle collection « Cinémas » éditée par les Presses Universitaires
de Perpignan et la Cinémathèque euro-régionale Institut Jean-Vigo (dirigée par Michel
Cadé et Jocelyn Dupont qui l’introduisent), cet ouvrage collectif est issu d’une journée
de travail et d’un colloque international organisés à Dijon en 2014 au Centre Georges-
Chevrier (Université de Bourgogne), sous la direction d’Isabelle Marinone. Les Archives
de la Planète et la collection Albert-Kahn de Boulogne ont déjà fait l’objet de plusieurs
études dont une dans les colonnes de notre revue, de la part de Teresa Castro qui
préface l’ouvrage après avoir été co-organisatrice de la journée d’étude (n o 54, 2008). On
sait que fondées en 1912 par un mécène, le banquier alsacien Albert Kahn (1860-1940),
ces Archives (ADLP) furent dirigées de l’origine à la cessation de leurs activités, par le
géographe Jean Brunhes (1869-1930), puis acquises par le département de la Seine en
1939 et conservées au sein d’un musée en 1986. On sait encore qu’elles réunissent 4 000
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plaques stéréoscopiques, 72 000 autochromes et 183 000 mètres de films, y compris
autochromes et souvent non développés, elles constituent un fonds documentaire
unique au monde et une source incomparable pour l’étude du cinéma de non-fiction.
Les différentes pistes d’exploration de ce fonds dont la nature reste incertaine
s’agissant des films (confusion entre rushes, chutes, vues, assemblages ultérieurs sous
formes de « films composés »), tracées depuis une vingtaine d’années par les
chercheurs sont, dans cet ouvrage, reprises, développées, d’autres sont ouvertes de la
part de différentes catégories d’intervenants : des documentalistes du musée Albert-
Kahn, des chercheurs « pionniers » déjà présents lors d’un colloque à Perpignan en
2000, d’autres encore, dont un documentariste petit-fils de Jean Brunhes. C’est donc un
riche ensemble de données documentaires et d’analyses que présente cet ouvrage
centré successivement sur la personnalité de ce philanthrope héritier des Lumières
qu’est Kahn, animé par un « élan vital » visant à ouvrir les sociétés les unes sur les

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autres afin de parvenir à une « paix perpétuelle » – pour employer la formule kantienne
–, soutenu très tôt dans sa démarche par Bergson. Puis sur la pratique de l’image mise
en œuvre « au service d’une vision du monde », ensuite sur les questions idéologiques
et les représentations, enfin sur la postérité de ces archives (déjà vérifiable sur
l’exemple des traces et ruines de la Première Guerre mondiale qu’elles donnent à voir
dans les années d’après-guerre) et leur place dans l’histoire du cinéma. Parmi les
contributeurs on relève notamment les noms de Paula Amad, Michel Cadé, François De
La Bretèque, Jocelyne Leclercq-Weiss, Isabelle Marinone, Shelley Rice, Sun Yung Yeo.
Adilson Mendes (dir.), Ruy Guerra. Arte e Revolução, São Paulo, Desconcertos Editora,
2019, 304 p.
Fruit d’un séminaire consacré au thème « Art et Révolution » tenu en 2017 – à
l’occasion du centenaire de la révolution russe – au siège de la Cinemateca Brasileira de
São Paulo et de la Cinemateca do MAM de Rio de Janeiro, l’ouvrage, coordonné par
Adilson Mendes – que les lecteurs de cette revue connaissent bien pour les
contributions qu’il y a publiées et pour le livre qu’il a dirigé avec Isabelle Marinone
Paulo Emilio Sales Gomes ou la critique à contre-courant (AFRHC, 2016) – examine la carrière
d’un cinéaste emblématique de la problématique affrontée. Figure essentielle du
Cinema Novo, avec Glauber Rocha et Nelson Pereira dos Santos, Ruy Guerra a
notamment réalisé Os cafajestes (1961), Os fuzis (1964), Os Deuses e os mortos (1970). Le
livre se divise en trois parties. Il présente d’abord trois longs entretiens donnés en
Europe et non au Brésil par le cinéaste à Jean-André Fieschi et Jean Narboni (Cahiers du
cinéma, no 189, avril 1967), à Thomas Elsaesser (Monogram, no 5, Londres, 1974) et à Jean
A. Gili (Études cinématographiques, no 93-96, 1972). Il présente ensuite des textes publiés à
l’occasion de la sortie des films (signés notamment par les figures tutélaires que sont
Paulo Emilio Sales Gomes, Alex Viany et Jean-Claude Bernardet), enfin des lectures
contemporaines qui mettent les œuvres en perspective (notons en particulier l’étude
d’Adilson Mendes consacrée à l’actualité d’Os fuzis). L’ensemble offre une contribution
essentielle pour comprendre un chapitre clé de l’histoire du cinéma brésilien.
Rappelons la tenue d’un colloque international à l’INHA en octobre 2015 sur le thème
« Ruy Guerra et la pensée critique des images », colloque où intervint le chef opérateur
argentin Ricardo Aronovitch, responsable de l’image de Os fuzis et de Sweet Hunters.
Judith Michalet, Deleuze penseur de l’image, Paris, Presses Universitaires de
Vincennes, « Philosophie hors de soi », 2019, 258 p.
Judith Michalet a choisi d’aborder la pensée de l’image de Deleuze et non sa pensée du
cinéma – qui en est un sous-ensemble. Bien que Cinéma 1 et 2 partent de la question de
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l’image chez Bergson – et d’une certaine manière chez Peirce –, et créent les concepts
d’image-mouvement et d’image-temps, s’y restreindre eût empêché d’envisager la
peinture non moins que le film dans cet examen d’une philosophie de l’immanence de
l’image, de la défense des états de fusion. Critiquant les distances réflexives et
médiatrices de la représentation (songeons aux apports de Louis Marin sur ce point),
Deleuze privilégie la pure présence de ce qui est image, ainsi que la propagation directe
des vibrations qu’elle véhicule. Davantage que dans les domaines musicaux et
littéraires, le philosophe semble avoir développé une pensée à contre-courant de la
définition usuelle du medium qui leur est associé, selon laquelle l’image est la copie
d’un substrat originaire ou la trace d’un référent. Cet ouvrage questionne ce paradoxe,
en approchant la pensée deleuzienne de l’image selon des perspectives multiples et en
la resituant parmi d’autres théories contemporaines de l’image, afin d’en mieux
dégager la singularité. Les chapitres ont des intitulés qui introduisent bien au

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cheminement qui se poursuit dans ce questionnement : « corporéité de l’image »,


« inconscient de l’image », « esthétique de l’image », « ontologie de l’image »,
« poïétique de l’image », « temporalité de l’image », « spatialité de l’image »,
« sémiotique de l’image », « politique de l’image ».
Frédéric Monnier, Céline mon père et moi, Tusson, Du Lérot, 2019, 76 p.
L’auteur de la monographie sur Maurice Mariaud qu’a éditée l’AFRHC avait un père,
Pierre Monnier, qui connaissait bien Louis-Ferdinand Céline. Il rendit visite à l’écrivain
exilé au Danemark et devint l’un de ses soutiens en France après la guerre (Cf. sa lettre
à Jean Paulhan du 17 janvier 1949 où il l’appelle « un petit pote à moi ») et publia le
premier, sous le nom de François Chambriand, Casse pipe et Scandale aux abysses (un
scénario de dessin animé avec des dessins de Pierre-Marie Renet, autre pseudo de
Monnier) et réédita Mort à crédit. Un autre Monnier, prénommé Jean, a publié un livre
sur Elizabeth Craig, danseuse américaine qui fut une passion de Céline, mais ce n’est
pas la même personne. Céline aspirait à paraître dans la Pléiade (« Bernanos, diable
pouvait attendre il à l’Éternité pour lui plus le Bon Dieu. Moi je n’ai ni l’un ni l’autre je
trouve le temps long » [lettre à Claude Gallimard, 3 avril 1961) et Gaston Gallimard
louvoyait pour y consentir. Pierre Monnier aida l’écrivain en attendant. Frédéric
Monnier, qui reprend certains aphorismes de son crû dans ce livre tel que : « Je mourrai
alors qu’il me restera des tas de choses à faire que de toute façon je n’aurais jamais
faites », est mort après avoir tracé les dernières lignes de ce livre qu’il a donc pu mener
à bien. C’est une manière d’autobiographie légère dont le centre de gravité demeure ce
père qui lui fit connaître nombre de personnalités et dont il trace quelques gouaches
enlevées : outre Céline, Gripari, Arletty, Louis Nucera notamment.
Pietro Montani (dir.), I Formalisti russi nel cinema, Milan-Udine, Mimēsis/Cinema,
2019, 251 p.
Pietro Montani, éditeur par ailleurs de la monumentale édition italienne des écrits
d’Eisenstein (chez Marsilio) et de ceux de Vertov, reprend, dans une édition revue et
augmentée de nouvelles contributions, le choix qu’avait fait un premier éditeur et
traducteur, Giorgio Kraiski (chez Garzanti, 1971, rééd. 1979) qui ne retenait de Poètika
kino (publié en 1927 sous la direction de Boris Eikhenbaum), que les contributions
d’Eikhenbaum, Tynianov et Chklovski et lui ajoutait, d’une part, d’autres textes de
Chklovski (sur les FEKS, Eisenstein, Vertov, les « lois » du cinéma) et, d’autre part, un
texte d’Ossip Brik (« La fixation du fait », appartenant à la problématique factualiste
contemporaine). Montani qui signe une nouvelle introduction où il met en évidence les
liens du cinéma d’Eisenstein avec la démarche des formalistes russes, ajoute à cette
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anthologie trois textes importants et plus éloignés dans le temps mais héritiers de
l’école formelle : le seul texte de Roman Jakobson sur le cinéma (« Décadence du
cinéma ? ») publié à Prague en 1933 et qui fut longtemps la seule trace de cette
réflexion des « formalistes » russes sur le cinéma, un texte du tchèque Jan Mukařovsky,
« Sur l’esthétique du film » (1933) et un autre de Iouri Lotman, l’un des animateurs de
« l’école de Tartu » éditeur d’un périodique intitulé Études tynianoviennes qui fut le
creuset d’un renouvellement des études narratologiques, sémiologiques et culturelles
en URSS : « La place de l’art cinématographique dans le mécanisme de la culture »
(1977).
Tommaso Mozzati, L’estate calda dei Teddy Boys. Pier Paolo Pasolini, Elio Petri e una
collaborazione alla fine degli anni Cinquanta, Rome, Carocci editore, 2019, 184 p.
Le notti dei Teddy Boys est un film de 1959 dirigé par Leopoldo Savona, écrit par Elio

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Petri, Franco Giraldi, Tomaso Chiaretti et Leopoldo Savona, et interprété par Geronimo
Meynier, Corrado Pani, Alessandra Panaro, Enio Girolami, et des acteurs familiers du
public comme Mario Carotenuto, Franca Betoja, Massimo Girotti ou Ave Ninchi. À
l’écriture du sujet de ce film avaient collaboré Pier Paolo Pasolini et Tonino Guerra dans
un contexte sociologique auquel l’auteur de Ragazzi di vita avait consacré de
nombreuses pages. Le sujet brûlant relayé par une presse à scandales – la délinquance
juvénile dans les milieux bourgeois – avait valu au film d’être interdit aux moins de 16
ans. Le livre de Mozzati essaye de débrouiller les fils d’une gestation chaotique qui voit
intervenir des noms prestigieux, notamment Pasolini et Petri, à l’orée de leur carrière
de cinéaste. De fait, de 1954 à 1960, Pasolini collabore, à des titres divers, à de très
nombreux films, notamment avec Soldati, Bolognini, Lattuada, Vancini, Emmer, et
même Fellini. Mozzati a d’ailleurs consacré en 2017 un livre fondamental à ces années,
Sceneggiatura di poesia. Pier Paolo Pasolini e il cinema prima di Accattone (Mimēsis).
Leonardo Quaresima (dir.), Cinema tedesco : I Film, Milan-Udine, Mimēsis, 2019, 487 p.
Spécialiste du cinéma allemand sur lequel il a déjà publié plusieurs ouvrages marquants
dans les années 1970-1980, éditeur rigoureux de Balázs et de Kracauer (voir 1895 n o 57,
2009), Quaresima aborde ici ce cinéma des années 1910 aux années 1990 à travers 16
titres emblématiques de courants esthétiques, de genres et de sujets qui scandent les
différentes époques. Ce n’est donc pas un exercice de « cinéma sans noms » (voir 1895,
no 80, 2016) auquel il a convié ses 15 collègues et lui-même mais plutôt une approche
par le biais de cas-limites. Ainsi Metropolis (traité par Francesco Pitassio) apparaît
comme un « laboratoire des principes de la modernité » procédant à une
« récapitulation » des différentes tendances des années 1920 en littérature, théâtre,
architecture (expressionnisme, rationalisme, néo-classicisme, arts déco) en même
temps qu’il offre une « hyperbole du statut de l’auteur ». Georg-Wilhelm Pabst est
appréhendé (par Giulia Disanto) comme le cinéaste de la transition de
l’expressionnisme au réalisme, suivi par le cinéma prolétarien qui conjugue un néo-
objectivisme avec les acquis du cinéma d’avant-garde, marqué par le cinéma soviétique
comme par le modèle mélodramatique. Dans son introduction, Quaresima interroge
sous plusieurs angles la question du modernisme et de son association, souvent vue
comme « naturelle », avec l’avant-garde et le progressisme. Il cite le cas contradictoire
à cet égard du Bergfilm, le « cinéma de montagne » impulsé par Arnold Fanck où brilla
également Leni Riefenstahl. S’il souscrit au jugement de Kracauer qui y voit un
« idéalisme héroïque », il relève cependant que l’accent que met ce cinéma sur la
dimension subjective, la multiplication des points de vue et l’adoption d’une structure
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rythmique par le montage, le conduit « au seuil de l’abstraction ». S’agissant de la
césure instituée par l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, il tient à la relativiser. Si le
contrôle sur le cinéma est absolu dès ce moment-là, la continuité du cinéma de genres
est patente. Par ailleurs la distinction nette que faisait Goebbels entre diffusion de
l’idéologie nazie (par les actualités et les documentaires) et mission confiée à l’art
d’opérer en profondeur une « unification idéologique » complique l’approche en terme
de réfraction de la Weltanschauung nationale-socialiste. 1100 films de fiction furent
réalisés sous le 3e Reich dont 20-30 % seulement peuvent être qualifiés de films de
propagande. La continuité du cinéma de genres de Weimar au 3 e Reich et de celui-ci à
l’Allemagne fédérale sous contrôle occidental est également relevée jusqu’à la césure
du nouveau cinéma allemand qu’Alexandre Kluge emblématise avec Die Artisten in der
Zirkuskuppel : Ratlos (Artistes sous un chapiteau : perplexes), inaugurant une esthétique du
fragment et de l’hétérogène. Dommage que le sort réservé à Kuhle Wampe (par Giovanni

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Spagnoletti) se soit borné à reconduire un certain nombre de clichés, d’inexactitudes et


de jugements de valeur politique auxquels il a déjà été répondu (voir 1895 n o 46, 2005)
qui occultent le lien qu’on pourrait établir entre Dudow-Brecht-Ottwalt et Kluge (qui
cite récurremment le film de 1932 dans les siens propres, via la musique d’Eisler ou les
images).
Éric Rohmer, Le Sel du présent. Chroniques de Cinéma, édition établie par Noël Herpe,
Paris, Capricci, 2020, 512 p.
Les anthologies de textes critiques constituent des ouvrages de grand intérêt et leur
multiplication semble indiquer qu’ils reçoivent un accueil favorable de la part des
lecteurs. Ainsi, on peut citer récemment les textes de Jacques Rivette (Textes critiques,
édités par Miguel Armas et Luc Chessel, Post-éditions, 2018), François Truffaut
(Chroniques d’Arts-Spectacles 1954-1958, édité par Bernard Bastide, Gallimard, 2019) (voir
1895 n o 89, 2010), Bernard de Fallois (Chroniques cinématographiques, Editions de Fallois,
2019) et, auparavant, Jacques-Bernard Brunius (Dans l’ombre où les regards se nouent.
Écrits sur le cinéma, l’art, la politique 1926-1963, édition établie par Grégory Cingal avec la
collaboration de Lucien Logette, éditions du Sandre, 2016), ainsi que les textes de Léon
Moussinac rassemblés par François Albera et Valérie Vignaux aux éditions de l’AFRHC
et, en attendant, toujours aux éditions de l’AFRHC, les textes de Jean George Auriol
rassemblés par Lucien Logette. À noter que trois de ces anthologies reprennent des
textes publiés dans Arts, François Truffaut, Bernard de Fallois, Éric Rohmer. Esprit
incisif et plume brillante, Rohmer offre au lecteur l’occasion de relire toute une période
de l’histoire du cinéma : près de deux cents textes parus entre 1949 et 1959 dans Opéra,
la Parisienne, Arts, organes de la droite littéraire des années 1950. « Rohmer s’y révèle –
note Noël Herpe dans sa préface – comme un critique d’intervention, injuste,
provocant, souvent méchant, réagissant à chaud aux objets disparates que lui propose
l’actualité des sorties (ou des reprises). Ce n’est peut-être pas exactement l’image qu’il
eût voulu conserver de son œuvre écrite. C’est, me semble-t-il, un reflet de l’homme
qu’il fut en son temps, pris dans la mêlée de cet après-guerre tout en se fabriquant, bon
an mal an, une idée du cinéma très cohérente ». On l’a compris, se plonger dans ces 500
pages réserve pas mal de moments jubilatoires et aussi de réactions d’agacement.
Voir compte rendu dans ce numéro.
Alfredo Rossi, la Voie lactée de Luis Buñuel, Rome, Gremese, 2020, 148 p.
Dans une collection éditée à Rome en langue française dans laquelle on trouve déjà des
monographies sur Once Upon a Time in America (Il était une fois en Amérique) et Once Upon a
Time in the West (Il était une fois dans l’Ouest) de Sergio Leone, Le Deuxième souffle de Jean-
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Pierre Melville, Heaven’s Gate (la Porte du paradis) de Michael Cimino, Zoo de Peter
Greenaway, l’Atalante de Jean Vigo (signé Jean-Max Méjean), Madame de... de Max Ophuls
(signé Dominique Delouche), 8 1/2 de Fellini, 2001 de Kubrick, et déjà d’Alfredo Rossi
Splendor in the Grass ( Fièvre dans le sang) d’Elia Kazan, paraît aujourd’hui le film de
Buñuel. L’analyse de la Voie lactée comporte des propositions particulièrement
éclairantes en mettant en regard des plans du film et des tableaux, en éclairant aussi
des images cinématographiques avec des images empruntées à d’autres œuvres (Cf. le
rapprochement très explicite avec Simón del desierto [Simon du désert] dans un prologue
qui prolonge des réflexions sur le contexte idéologique du film). « Le récit du film »
procure beaucoup de plaisir en permettant de suivre une intrigue complexe avec le
support de captures d’écran. Signalons que l’auteur vient de rassembler ses textes
critiques – publiés notamment dans Cinema & Film –, sur Elio Petri, Elia Kazan, Philippe

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Vient de paraître 19

Garrel, John Ford, ainsi que de nombreux textes de contenu plus théorique, sous le titre
Lontano dal cinema. Critica e feticismo, ideologia, psicoanalisi (Milan, Mimēsis, 2020).
Pascal Rousse, le Montage organique. Eisenstein et la synthèse des arts, Genève,
MētisPresses, « Voltiges », 2019, 299 p.
Préfacé par Philippe Sers, cet ouvrage aborde l’œuvre d’Eisenstein dans la perspective
de la « synthèse des arts » que poursuivait Eisenstein dans les années 1930-1940,
retrouvant la référence à Wagner – dont il mit en scène la Walkyrie en 1939. C’est le
montage qui apparaît comme le vecteur de cette synthèse élaborée dans l’ouvrage en
trois moments : « L’art et l’affectivité », « le montage intellectuel » et « le montage
vertical », eux-mêmes examinés plus en détail à partir de « la mise en forme de la
représentation », « l’image et l’événement » pour le premier ; « « principes et modèles
constructifs », « le montage et la vie » pour le second ; « vers le montage vertical (la
Ligne générale) » et « l’expérience émotionnelle de l’espace (Alexandre Nevski) » pour
conclure à la définition du « paradigme artistique du montage ».
Augusto Sainati (dir.), Vero, falso, reale. Il cinema di Paolo Sorrentino, Pise, 2019, 128 p.
Riche aujourd’hui de huit longs métrages, de deux séries pour la télévision, de courts
métrages et d’adaptations de pièces d’Eduardo De Filippo pour la télévision, l’œuvre de
Paolo Sorrentino suscite un intérêt grandissant. Le présent ouvrage, coordonné par un
enseignant d’une université de Naples – la ville est la matrice culturelle du cinéaste –,
rassemble une vingtaine de collaborateurs et propose une série d’études synthétiques
aptes à décrire le style singulier du cinéaste ainsi que des textes consacrés à chacun des
films.
Michel Sportisse, la Rome d’Ettore Scola, Lyon, Editions Le Clos Jouve, 2019, 144 p.
Dans cette monographie préfacée par Jean A. Gili, l’auteur cerne les liens entre le
cinéaste et sa ville et décrit, de film en film, la source d’inspiration qu’a constituée
Rome pour l’auteur. De ce point de vue, des films comme C’eravamo tanto amati (Nous
nous sommes tant aimés), Brutti, sporchi e cattivi (Affreux sales et méchants), Una giornata
particolare (Une journée particulière), Gente di Roma, en sont une parfaite illustration. Il
s’attarde aussi sur des thèmes spécifiques tels que la famille, la comédie, les
contradictions du miracle économique, l’idéal politique, fascisme et résistance, quitte à
perdre un peu de vue le rapport du cinéaste avec la ville. Le livre se clôt avec un texte
de Jack Ralite paru dans l’Humanité lors du décès du cinéaste où, citant Sophie
Wannisch, celui-ci déclarait de son ami qu’il donnait « des forces pour renouveler
quelque chose qui permettait d’habiter le monde ».
Benoît Turquety, Medium, Format, Configuration : The Displacements of Film,
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Lüneburg, Meson Press, 2019, 54 p.
Comment identifier et appréhender une « configuration » de film ? Comment déployer
et mettre en pratique cette idée de configuration de film dans le travail savant ?
Contrairement aux médias construits comme de vastes systèmes ontologiquement
homogènes et non localisés, les formats présentent des réseaux matériels d’inter-
opérabilité et d’exclusions, inscrits dans des spécificités locales, et impliquant des
conditions précises de circulation des images et des sons. Les formats, institutionnalisés
en tant que normes, encadrent les « réseaux techniques » définis par Gilbert Simondon,
qui déploient des objets techniques dans des réseaux économiques et politiques
structurés qui couvrent le monde. Les médias sont toujours formatés et, en tant que
tels, ne disparaissent pas : ils sont déplacés.

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Benoît Turquety, Inventing Cinema. Machines, Gestures and Media History,


Amsterdam, Amsterdam University Press, 2019, 268 p.
Avec des machines médiatisant la plupart de nos pratiques culturelles et des
innovations, avec l’obsolescence et les renaissances transformant constamment notre
relation avec les images et les sons, les médias se sentent plus instables que jamais.
Mais y a-t-il jamais eu un moment « stable » dans l’histoire des médias ? Ce livre
propose d’aborder cette question à travers une archéologie et une épistémologie des
machines médiatiques. L’archéologie les analyse comme les archives des gestes des
utilisateurs ainsi que des modes de perception. L’épistémologie reconstruit les
problèmes que les concepteurs et les utilisateurs des machines se sont efforcés de
résoudre et le réseau de concepts qu’ils ont élaborés pour comprendre ces problèmes.
S’inspirant de la philosophie de la technologie et de l’anthropologie, ce livre soutient
que les réseaux de gestes, de problèmes, de perception et de concepts sont inscrits dans
les machines de vision, de la camera obscura au stéréoscope, au cinématographe et au
cinéma numérique. L’invention du cinéma est finalement considérée comme un
processus continu irréductible à un seul moment de l’histoire. Ce livre est la traduction
anglaise d’un ouvrage paru en 2014 aux éditions L’Âge d’Homme (Inventer le cinéma.
Épistémologie. Problèmes, machines).
Benoît Turquety, Danièle Huillet, Jean-Marie Straub « Objectivists » in Cinema,
Amsterdam, Amsterdam University Press, « Film Culture in Transition », 2020, 316 p.
Danièle Huillet et Jean-Marie Straub ont réalisé des films du milieu des années 1960 au
milieu des années 2000, faisant des adaptations formelles radicales dans plusieurs
langues des œuvres majeures de la littérature européenne d’auteurs tels que Franz
Kafka, Bertolt Brecht, Friedrich Hölderlin, Pierre Corneille, Arnold Schönberg, Franco
Fortini, Cesare Pavese et Elio Vittorini. L’impact de leur travail procède en partie d’une
recherche d’objectivité radicale, un thème présent dans certains courants souterrains
de l’art et de la théorie modernistes, dans les écrits de Benjamin et Adorno et dans un
mouvement oublié de la poésie moderniste américaine, « l’objectivisme », dont les
membres étaient Louis Zukofsky, George Oppen et Charles Reznikoff, avec des liens
avec William Carlos Williams et Ezra Pound. À travers une analyse détaillée des films de
Straub et Huillet, des œuvres qu’ils ont adaptées et des poèmes et essais objectivistes,
Benoît Turquety repère les pratiques communes et explore une approche esthétique
singulière où une œuvre d’art est conçue comme un objet, l’artiste un artisan anonyme,
et où la force du politique et la démarche formelle entrent en adéquation. Ce livre est la
traduction anglaise d’un ouvrage paru aux éditions L’Âge d’Homme en 2009.
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Paul Vidal de la Blache, Carnet 9. Allemagne & varia, Paris, Macula, 2019, 200 p.
Vidal de La Blache (1845-1918) fameux géographe dont on connaît les cartes murales
scolaires, commença par soutenir une thèse en histoire de l’Antiquité avant de parvenir
à faire valoir la géographie comme discipline autonome et asseoir sa réputation avec
une série d’entreprises de cartographie (Tableaux de la géographie de la France, Géographie
universelle). Directeur de Normale Sup’ il eut comme élève Jean Bruhnes qui
développera, grâce au mécénat d’Albert Kahn, sa conception d’une « géographie
humaine » (voir supra l’ouvrage le Monde et son double d’Isabelle Marinone). Les tableaux
de de La Blache étaient nourris par des notes recueillies dans des dizaines de carnets
conservés à la bibliothèque de l’Institut de géographie national où les aspects
géologiques, humains, de transport, de politique sont abordées de front. Hors de
France, il avait d’abord voyagé dans le Bassin méditerranéen, de l’Italie à la Palestine.
Dans le carnet 9 ici édité, il s’agit d’un voyage en Allemagne qu’il effectue en 1885-1886

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par chemin de fer. Ce carnet est reproduit en fac-similé et retranscrit en regard à l’aide
de protocoles empruntés aux travaux de génétique textuelle sur Flaubert et Proust. Un
commentaire critique de Marie-Claire Robic et Jean-Louis Tissier éclaire ce texte
difficile car laconique en même temps que simple dans ses observations factuelles.
Jordi Xifra, Buñuel et le cinéma, Paris, Nouvelles Éditions Place, « Le cinéma des
poètes », 2020, 125 p.
L’auteur réussit dans ce petit livre à renouveler l’approche de Buñuel en passant par
son lien à la poésie et sa pratique de la poésie avant celle du cinéma. C’est en examinant
l’appartenance de Buñuel aux courants artistiques espagnols et catalans que s’opère ce
réexamen. Bien qu’un certain nombre de poèmes aient déjà été publiés en français
(dans le Christ à cran d’arrêt), cette dimension a jusqu’ici été mal prise en compte. On
connaissait par contre le courant ultraïste auquel appartenait également Salvador Dalí.
À cet égard il est rassérénant de voir l’apport du peintre catalan, souvent passé sous
silence ou sous-estimé, remis ici à sa place (Rohmer, à l’inverse, faisait de Buñuel le
simple « collaborateur » de Dalí). La position anti-artistique, objectiviste (factualiste) à
laquelle se rallie Buñuel est en effet capitale pour comprendre la réalisation du Chien
andalou et de l’Âge d’or. Contrairement à Gance qui avait dit à Nalpas : « Pourquoi ne
fait-on pas des films psychologiques où l’on verrait des sentiments au lieu de voir
seulement des faits ? » (cité par François Ede dans le livret de la Roue), Buñuel veut
« désinfecter » le cinéma du sentimentalisme et du pathos, érigeant en idéal la beauté
d’une salle de bain. Gance inclinera, avec la Roue, à la promotion de l’objet, du moins
dans un premier temps (« je décide d’exécuter le Rail de Pierre Hamp au cinéma. [...] Je
tiens en effet avec ce film le véritable langage dramatique de l’écran, à savoir le
pathétique dans les choses et non dans les hommes » (Carnets, 1919, cité par F. Ede),
mais il procédera à une véritable humanisation de la machine (Cf. la scène où la Norma
expire, geint et sanglote).
On pourrait discuter l’acception de Xifra donne de « l’avant-garde » qui l’envisage dans
un registre formel sinon formaliste. On voit bien, dans l’accueil des films de Buñuel et
Dalí par le critique de l’Humanité en 1929 par exemple, combien, au contraire, la
dimension politique de l’avant-garde prévaut sur le formel. C’est pourquoi également on
pourra nuancer la manière dont le lien à Epstein est ici envisagé sur le mode de la
coïncidence parfaite, via la photogénie. L’éloge que fait Epstein de la « fatigue »
coïncide-t-elle avec la dénonciation buñuélienne du caractère hypnotique du cinéma,
lequel conduit le public à un certain conformisme du même ? La proposition
epsteinienne est plus intriguante par sa valorisation d’un aspect à première vue
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« négatif » – qu’à sa façon W. Benjamin reprendra – tandis que Buñuel, sans rejoindre
Georges Duhamel, réclame une distance et une maîtrise...
Maria Youdina, Pierre Souvtchinsky, Correspondance et documents (1959-1970),
Genève, Contrechamps, 2020, 806 p.
Ces échanges épistolaires (édité et traduit par le pianiste virtuose Jean-Pierre Collot)
entre une fameuse pianiste soviétique, Maria Youdina et un émigré russe en France,
Pierre Souvtchinsky, mais aussi avec Theodor Adorno, Pierre Boulez, André Jolivet,
Karlheinz Stockhausen, Iannis Xénakis et quelques autres, n’éclairent pas seulement la
vie musicale en URSS et en France dans la période concernée (années 1960) mais la vie
culturelle (poètes – Khlebnikov, Pasternak, Akhmatova, Evtouchenko, Michaux –,
écrivains – Kafka, Soljénitsyne –, peintres – Chagall, Picasso –, philosophes – Florenski,
Bakhtine –, linguistes – Jakobson...) voire politique (le Manifeste de 121, le « Dégel »).
Youdina, que des anecdotes controuvées font la musicienne préférée de Staline (voir

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Une journée dans la vie d’Andréi Arsenesevitch de Chris Marker ou la Mort de Staline, BD et
film) fut une importante introductrice de la musique contemporaine en URSS
(Schönberg, Berg, Messiaen, Jolivet, Boulez) et promotrice auprès de personnalités
occidentales des compositeurs soviétiques les plus intéressants. Son interlocuteur
privilégié, Souvtchinsky, est lui aussi un personnage passionnant, cheville ouvrière du
Domaine musical avec Boulez, musicologue intransigeant et convaincu que la Russie
soviétique est à la pointe de l’évolution culturelle par l’accès de la musique et de la
culture qu’elle permet au plus grand nombre. Tous deux échangent des jugements et
des appréciations sans concession de la scène musicale et artistique en général (Thomas
Mann « faux grand maître » pour Youdina, Rachmaninov « dégoûtant » pour
Souvtchinsky). S’il est peu fait mention du cinéma (tout de même on voit passer
Eisenstein, un film d’Henri Michaux, la Dame au petit chien de Kheifitz), on apprend
entre autres qu’outre l’enregistrement sur bande, les Russes pratiquaient aussi
l’enregistrement sur film (Tonfilm) des prestations musicales destinées à être gravées
sur disque.

Revues
Bianco e Nero, no 594-595, mai-décembre 2019
La dernière livraison de la revue du Centro Sperimentale di Cinematografia se présente
sous la forme d’un numéro double de 480 pages, en réalité deux numéros simples
accolés, le premier en italien, le second en anglais. Le thème abordé explique le choix
de ce bilinguisme, « Netflix e oltre » / « Netflix and Beyond ». Le cahier passe en revue
une série d’interrogations autour du bouleversement qu’a induit l’apparition de Netflix.
L’introduction est claire, deux textes posent le problème : « Le nouvel ordre
numérique », « La révolution numérique qui a bouleversé le système audiovisuel ». Six
chapitres examinent successivement « L’économie de la diffusion en streaming »,
« Production et créativité à l’ère de Netflix », « Films en salle, films en streaming », « La
distribution et le rôle des spectateurs », « La technologie du streaming », « Le streaming,
l’Europe et les contraintes de la loi ». L’ensemble fournit un outil remarquable pour se
familiariser avec les transformations en cours : il n’y a pas de doute que des œuvres
comme Roma d’Alfonso Cuaron, The Ballad of Buster Scruggs de Joel et Ethan Coen ou The
Irishman de Martin Scorsese brouillent les pistes et font vaciller les certitudes sur les
frontières entre l’écran de la salle de cinéma et celui de la télévision ou de l’ordinateur.
Où situer enfin la reconstruction par Netflix du film inachevé d’Orson Welles, The Other
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Side of the Wind ?
Décadrages. Cinéma à travers champs, no 40-42, automne 2019
Un copieux numéro triple de la revue universitaire lausannoise consacrée au cinéma
ethnographique envisagé sous deux angles : le film ethnographique proprement dit, tel
qu’il s’est développé depuis les années 1950 au sein du Comité du film ethnographique
international et l’anthropologie visuelle étatsunienne qui infléchit le film
ethnographique dans une direction « résolument artistique ». Si l’entreprise de Jean
Rouch est connue au point de sembler résumer tout le film ethnographique (on évoque
cependant Luc de Heusch), celle des Américains est largement ignorée dans les études
francophones (de Grigori Bateson, Margaret Mead à Tim Asch, Robert Gardner...). On
pourrait sans doute modérer cette appréciation en consultant la Revue internationale de
filmologie et, plus près de nous, le colloque sur « L’expérimentation documentaire » qui

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s’est tenu à l’Université Lyon 2 en 2015, et surtout distinguer les captations


documentaires délibérément factuelles qu’ont pu développer photographes et cinéastes
ethnographes des essais d’ethno-cinéma de Rouch ou de Heusch.
L’article d’ouverture de Caroline Eades (auteure du Cinéma post-colonial français, 2006)
s’intéresse au Comité du film ethnographique « de la création au bilan ». L’article est à
la fois bien documenté (encore qu’il ne fasse que très marginalement allusion à l’étude
d’Alice Gallois publié ici même sur le sujet [no 58, 2009]) et lacunaire, en particulier sur
le plan du contexte idéologique et politique qui nourrit l’argumentation postcoloniale
de l’approche, ainsi que de l’évocation des courants de pensées au sein du cinéma
(réduits aux Cahiers du cinéma, Henri Langlois et Bazin. Encore une fois on « oublie »
l’Institut de filmologie où se dispensaient des cours sur le cinéma ethnographique !).
Une ambivalence traverse l’article quand l’auteure qualifie de désuète la préoccupation
de Mauss d’archiver les pratiques en voie de disparition ou celle de Griaule de collecter
des faits sans procéder à des répétitions ou des reconstitutions, et salue la « réponse
moderne voire postcoloniale » de la « caméra-participante » et de la « ciné-transe » qui
rapprochent le cinéma ethnographique du spectacle vivant. Il est en effet « aussi
possible d’y voir une nouvelle étape du processus d’appropriation et d’occidentalisation
de la culture africaine », tout en exaltant la « filiation surréaliste », voire celle du
« musée imaginaire » de Malraux ! Jamie Berthe, auteure d’une thèse sur Rouch
soutenue à New York, part, elle de « l’art de l’ambivalence » chez l’ethno-cinéaste : ses
films m’intéressent justement pour [leur] ambiguïté politique. En tant que produits du
colonialisme, ils marquent toujours une certaine limite critique et politique envers leur
contexte de production, tout en invitant à dépasser ces limites ». Elle aborde alors sur
ces bases la Bataille sur le grand fleuve (1951) qui passe généralement pour le plus
« ethnographiquement orthodoxe » des films de Rouch. Or l’auteure y voit au contraire
le tournant qui va faire découvrir au cinéaste ce qu’il a appelé une « anthropologie
collaborative » fondée sur l’échange avec les sujets filmés. Jean-Paul Colleyn revenant
sur les Maîtres fous (1952) évoque à son tour la « surinterprétation en termes de
subversion politique » de ce film présenté par la « vulgate » comme « une forme de
résistance... par rapport au colonialisme européen » (Paul Henley) – ce qui est un
anachronisme – et la surinterprétation thérapeutique, assimilant le rituel Haouka à une
pathologie mentale. Le dossier de Décadrages souhaite interroger, rapprocher et
distinguer les deux démarches « française » et « étatsunienne » – pas si éloignées l’une
de l’autre quand on constate que Robert Gardner était « un vieux copain » de Rouch. La
démarche américaine est présentée par Moira Sullivan à partir de « l’hybridation des
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travaux ethnographiques de Maya Deren, Margaret Mead et Gregory Bateson »). Deren
affirmait que sa formation d’artiste avait servi à mettre en lumière des domaines de la
mythologie vaudou « dont la procédure anthropologique classique ne se préoccupe
pas ». Puis par William Rothman sur Robert Gardner et Carolyn Anderson sur John
Marshall, enfin Nancy Lutkehaus sur Timothy Asch. Clôturant le dossier, François
Bovier et Serge Martel s’interrogent sur « Le “film-séquence”, une pratique d’avant-
garde à l’intersection du cinéma et de l’ethnographie ». Dans la rubrique « suisse » on
revient sur Rose de Pinsec, beau film de Jacques Thévoz de 1978 sur une vieille paysanne
solitaire du Valais qui nourrit encore hors-dossier ces analyses du film ethnographique.
Perspective. Actualité en histoire de l’art, no 2, 2919
La revue d’histoire de l’art de l’INHA s’est donné comme thème la question des
« Multiples », des moulages en plâtre aux reproductions du XIXe et XXe siècles et leurs
outils technologiques jusqu’aux plus récents, les outils numériques contemporains.

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Recherches en Esthétique, no 24, janvier 2019


La revue du CEREAP (Centre d’Etudes de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques)
consacre ce numéro au thème « Art et détournement » avec notamment une section
intitulée « Détournement et cinéma ». Dans son éditorial, Dominique Berthet, directeur
de la publication, donne la définition suivante du détournement : « modalité de
l’appropriation qui consiste à utiliser une source, un référent déjà existant dans la
réalisation d’une œuvre nouvelle ». Une appropriation « productrice d’un écart plus ou
moins significatif, débouchant sur une transformation ». Picasso s’appropriant un
morceau de toile cirée et un fragment de corde dans sa Nature morte à la chaise cannée
(1912) ou Marcel Duchamp assemblant une roue de bicyclette et un tabouret (Roue de
bicyclette, 1913) changent l’utilisation ou le contexte de l’objet et lui donne une autre
fonction et un sens nouveau : « l’objet du quotidien est hissé au rang d’œuvre d’art. Le
rebut, l’insignifiant changent de statut ». Cet intérêt pour le détournement dans les arts
s’est depuis lors accru, généralisé, jusqu’au détournement du détournement (Hamilton
repartant des Ménines de Picasso [D. Château]), jusqu’à l’artivisme d’Anish Kapoor
(Frédéric Lefrançois), ou les performances de Deborah de Robertis posant nue devant l’
Origine du monde ou l’Olympia de Manet pour « répondre » à la démagogie publicitaire du
Musée d’Orsay (« Emmenez vos enfants voir des gens tout nus »). La notion a été élevée
au rang de concept par les Situationnistes sans que l’on puisse toujours la distinguer de
la citation ou du collage. Un entretien avec Marc Jimenez revient sur les raisons de cet
intérêt (« Au détour des moustaches ! ») en repartant d’une interrogation
philosophique : « l’art en lui-même n’est-il pas le détournement de la réalité
sensible » ? Platon, en effet, considérait l’artiste comme un faussaire et cette position se
poursuit jusque dans les avant-gardes du XXe siècle qui préconisent un retour au réel,
soit via la reproduction photographique ou cinématographique, soit en promouvant la
réalité de la toile, du support, des pigments. Deux sortes de « matérialisme » en somme,
issus, paradoxalement, du platonisme voué pourtant à la suprématie des essences et à
la dévalorisation des apparences matérielles. Debord et Wollman écrivaient que « c’est
évidemment dans le cadre cinématographique que le détournement peut atteindre à sa
plus grande efficacité et sans doute, pour ceux que la chose préoccupe, sa plus grande
beauté » (« Mode d’emploi du détournement », les Lèvres nues, n o 8, mai 1956).
Christophe Génin s’applique à étudier le détournement filmique des situationnistes, en
particulier chez René Viénet (La dialectique peut-elle casser les briques ?) tandis que
Hugues Henri présente le collectif bordelais Présence Panchounette (1969-1990) dans la
même veine. De son côté Sébastien Rongier s’attache à la pratique du « refaire
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cinématographique », du remake aux pratiques contemporaines de reboot, prequel,
sequel, spin-off, cross-over, midquel, interquel, sidequel, « un réseau marketing ouvrant une
nouvelle ère, celle de la franchise ». À l’intérieur de laquelle l’auteur s’intéresse au
détournement de l’idée du refaire qu’engagerait Michel Gondry dans Be Kind Rewind
(2008), peut-être à la recherche de l’acinéma selon Lyotard. La revue publie notamment
des auteurs venus de ou exerçant aux Antilles, à la Martinique et en Guadeloupe, au
Portugal et au Brésil (dont, malheureusement, on ne donne pas les références
françaises des ouvrages auxquels ils se réfèrent en portugais ou espagnol).
Studies in Russian and Soviet Cinema, vol. 13, no 2, juin 2019
Numéro spécial « 100 ans du VGIK » avec des contributions sur les débuts des études
cinématographiques en URSS, le système d’entraînement des acteurs à Leningrad,
plusieurs études concernant Serguei Guerassimov qui fut un professeur influent de
cette école, ainsi que des témoignages ou documents sur la place des étudiants

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étrangers au VGIK pendant la Guerre froide, qu’ils vinssent de Grèce, d’Afrique ou


d’ailleurs.
Studies in Russian and Soviet Cinema, vol. 13, no 3, novembre 2019
Deux cinéastes russes contemporains et remarqués, Alexei Balabanov, Alexei
Fedortchenko, fournissent la matière à plusieurs études de ce numéro qui comporte
également une revue des publications en langue anglaise sur le cinéma soviétique.

DVD
Abel Gance, La Roue, Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 2020
Coffret comportant la version restaurée récemment du film dans sa durée initiale et
plusieurs documentaires concernant le cinéaste et son film. Livret où François Ede
rapporte ce qu’a été le travail de cette restauration.
Voir compte-rendu dans ce numéro.
Jean-Patrick Lebel, Cité de la Muette, Ciné-Archives, 2020
Le premier film consacré à Drancy (en 1982), cité « moderniste » des années 1930
transformée en camp de rétention par les autorités françaises durant l’Occupation
nazie et qui devint le lieu de transit des milliers de déportés « raciaux » envoyés dans
les camps d’extermination.
Voir compte-rendu dans ce numéro.
Boris Lehman, Magnum Beguynasium Bruxellense, Re:Voir, 2020
Un film-clé dans l’œuvre d’un des cinéastes indépendants les plus prolifiques,
documentaire mariant l’insolite et l’attention aux autres, réalisé dans un quartier de
Bruxelles voué à la spéculation immobilière en 1978.
Voir compte-rendu dans ce numéro.
Peter Nestler, Neuf films de 1962 à 2009, Survivance, 2020
Première édition d’une partie de l’œuvre d’un documentariste allemand aujourd’hui
octogénaire resté mal connu en France.
Voir compte-rendu dans ce numéro.
Renaud Victor, Présence proche, cinéma hors capitale no 7 avec Film flamme, livre-
DVD, éditions Commune, 2019
« Présences proches », c’est ainsi que se désignaient eux-mêmes les jeunes gens –
paysans ou ouvriers en rupture – venus vivre dans les Cévennes près de Fernand
Deligny et les enfants autistes qui lui étaient confiés. Parmi eux se trouvait Renaud
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Victor qui réalisa son premier film, Ce gamin-là (avec l’aide de Truffaut en 1975) dans ce
milieu et inspira également des films ultérieurs tels Hé ! tu m’entends... (1979) – la vie
dans une cité ouvrière à Grenoble –, le Meilleur de la vie (1984) et plus encore De jour
comme de nuit, tourné dans la prison des Baumettes à Marseille (1991). Textes et
entretiens de Bruno Muel, Anne Baudry, Richard Copans, Jean-François Neplaz,
Caroline Caccavale, José Césarini. Ensemble réalisé par Martine Derain. Le DVD
comporte deux titres : Fernand Deligny, à propos d’un film à faire (1989) et De jour comme de
nuit.
Compte rendu dans un prochain numéro.

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