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N°133
VAUT-IL MIEUX
Juin 2021
TRAVAILLER AVEC
OU SANS MUSIQUE ?
OBSESSIONS
TOC, manie du contrôle, perfectionnisme…
NEUROSCIENCES
A-T-ON RECRÉÉ LA CONSCIENCE
EN LABORATOIRE ?
BIEN-ÊTRE
UNE NOUVELLE
THÉRAPIE CONTRE LES
ÉMOTIONS NÉGATIVES
HYPERSENSIBILITÉ
CONCEPT SÉRIEUX
OU DIAGNOSTIC BANCAL ?
NOMOPHOBIE
QUAND L’ATTRAIT
POUR LES ÉCRANS
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3
N° 133
p. 26-31
Eva-Lotta Brakemeyer SÉBASTIEN
Professeuse de psychologie clinique
et de psychothérapie à l’université de Greifswald,
BOHLER
en Allemagne, elle propose notamment la thérapie Rédacteur en chef
de bien-être comme suivi des thérapies classiques,
notamment dans le traitement de la dépression.
Le cerveau,
cet obsédé
p. 40-46
Anne-Hélène Clair
Psychologue, docteure en neurosciences
du contrôle
I
et chercheuse à l’Institut du cerveau et de la moelle
épinière, à Paris, elle est l’autrice de plusieurs ouvrages l vous est sûrement arrivé un jour de vérifier que le gaz était
sur les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
coupé avant d’aller vous coucher. Une précaution n’est jamais
de trop. Mais que serait-il arrivé si, à peine allongé, vous aviez
voulu vérifier encore une fois ? Cela aurait été un surcroît de
prudence, certes superflu, mais peu handicapant. En re-
vanche, imaginez que le doute vous ait saisi à chaque fois que vous
vous glissiez de nouveau sous les draps, vous faisant aller et venir
entre la chambre et la cuisine dix, vingt ou trente fois dans la soirée ?
On pourrait dire que l’instinct de précaution de votre cerveau aurait
p. 56-63 perdu les pédales et commencerait à transformer votre vie en enfer.
Vincent Trybou C’est tout le problème avec notre cerveau : des mécanismes ini-
Psychologue clinicien et psychothérapeute, il pratique tialement utiles à la survie peuvent se transformer en vrai désavan-
la thérapie comportementale et cognitive, la thérapie tage. Le TOC (trouble obsessionnel compulsif) résulte d’un tel glis-
d’acceptation et d’engagement (ACT), la pleine
conscience et la thérapie des schémas, pour traiter les sement d’un contrôle utile vers un contrôle pathologique. Et
troubles anxieux, de l’humeur et de la personnalité. certaines personnes intègrent ce schéma dans leur personnalité :
on les appelle alors les « POC », ou maniaques du contrôle. Vous les
découvrirez dans le dossier central de ce numéro.
Relâchons le contrôle. Cultivons, par exemple, l’émerveillement.
Cette posture mentale neutre, sans a priori, qui s’ouvre à des choses
simples du quotidien, sans crainte ni désir de maîtrise, nous reconnecte
à nous-mêmes et au monde. Ou développons notre humilité, autre
anticontrôle : comme nous l’explique Sylvie Chokron, accepter de ne
pas tout savoir, c’est s’exposer, c’est ne plus maîtriser. Avec, à la clé,
p. 64-66
une meilleure mémoire, plus d’autorité et d’intelligence.
Nicolas Gauvrit Le contrôle est un cadeau empoisonné de l’évolution : il nous a
Psychologue du développement et enseignant-
chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille,
servi pendant des millénaires dans un milieu hostile, ne le laissons
il observe le développement des croyances pas gâcher notre quotidien quand celui-ci se veut, en comparaison,
irrationnelles et des superstitions dans la société. relativement sûr. £
SOMMAIRE
N° 133 JUIN 2021
p. 39-63
Dossier
p. 14 p. 18 p. 26 p. 32
p. 6-38
DÉCOUVERTES p. 39
COMMENT
VAINCRE SES
p. 6 ACTUALITÉS p. 26 PSYCHOLOGIE
Les drogues rendent-elles créatif ? La thérapie
du bien-être
OBSESSIONS
Dépressifs : le plaisir retrouvé
Huntington : enfin l’espoir
d’un traitement ? Cultiver les ressentis positifs du quotidien
Twitter : un test pour les fonctions pour réduire les affects négatifs : c’est
cognitives le but de la thérapie du bien-être, dont
p. 40 PSYCHIATRIE
En amour, quel est votre style les résultats commencent à être mesurés.
d’humour ? Silke Hoffmeyer, Bita Stelling, Marie Tobin, LE CERCLE VICIEUX
Quand la méditation rend égoïste Susanna Tschipke et Eva-Lotta Brakemeier DES TOC
Les personnes atteintes de trouble
p. 14 FOCUS p. 32 NEUROSCIENCES
obsessionnel compulsif osent rarement
Le regard peut-il Les cerveaux artificiels consulter, et s’enfoncent alors dans un
déformer les objets ? ont-ils une conscience ? véritable enfer. Mais des thérapies existent.
Dans des expériences récentes, des Anne-Hélène Clair
Cette illusion très répandue est due à un biais
de notre cerveau, appelé « extramission ». scientifiques ont fait pousser des embryons
p. 48 INTERVIEW
de cerveaux en culture. Ils ont émis
Robert Martone
des ondes semblables à celles de bébés OBSESSIONS,
p. 18 CAS CLINIQUE prématurés. Que se passerait-il s’ils COMPULSIONS :
développaient une forme de conscience ?
Sara Reardon
ÇA SE SOIGNE !
GRÉGORY MICHEL Antoine Pelissolo
p. 56 PSYCHOLOGIE
p. 68 p. 94
p. 64 p. 70 p. 74 p. 80
p. 92
Les « je-sais-tout »…
ont tout faux !
L’humilité, et non l’arrogance, confère
intelligence, mémoire et autorité.
Actualités
Par la rédaction
COGNITION
N. L. Mason, Translational
Psychiatry, vol. 11, p. 209, 2021.
PHARMACOLOGIE
P
Plus récemment, des chercheurs les sujets avaient l’impression d’être
des universités de Bâle et de plus créatifs mais ne l’étaient pas,
Maastricht ont mis en évidence une voire l’étaient moins. En revanche, une
propriété intéressante de la psilocy- semaine après, ils obtenaient de bien
bine. Cette molécule hallucinogène meilleures performances dans ce test our une personne sur trois atteintes de
contenue dans le champignon psilo- de pensée divergente. Puis, en ana- dépression majeure, les antidépresseurs clas-
cybe (qui a une répartition géogra- lysant le fonctionnement de leur cer- siques sont sans effet. Une autre molécule psy-
phique assez étendue) est un psy- veau grâce à la technique d’IRM fonc- choactive, la kétamine, livre alors des résultats
chotrope hallucinogène qui provoque tionnelle, on s’est aperçu que le intéressants. Des recherches menées à la faculté
des visions colorées et très vives. Les réseau d’aires cérébrales sous-ten- de médecine Icahn du Mont-Sinaï, à New York,
scientifiques ont voulu savoir si cette dant le vagabondage mental (la capa- montrent qu’elle normalise l’activité d’une zone
molécule donnait « des idées » aux cité à dériver sans cesse d’une pen- du cerveau qui permet d’anticiper les plaisirs.
personnes en état d’hallucination : sée à l’autre, sans direction fixée a L’anticipation du plaisir est une des clés du
pour cela, ils leur ont fait passer un priori) voyait son activité augmenter. tonus psychique qui fait défaut dans la dépression.
test dit des « usages alternatifs ». Ce réseau d’aires appelé « réseau du Au plus fort de la tristesse, le patient n’éprouve
Dans ce test, il s’agit de trouver mode par défaut » est systématique- plus de joie à rien, parce qu’il ne parvient plus à
autant d’utilisations possibles à un ment impliqué lorsque nous sortons se projeter ni à désirer quoi que ce soit. Cet émous-
objet, par exemple une brique : on du cadre habituel de pensée pour sement émotionnel se traduit par le sentiment
peut se servir de cet objet comme proposer des solutions inattendues. d’être englué dans un présent pesant et intermi-
presse-papiers, comme marteau, nable. Or la capacité de se projeter vers une gra-
comme casse-noix, comme marche- … ET LA RECENTRER tification future dépend du bon fonctionnement
pied, etc. La psilocybine, correctement d’un repli du cortex cérébral appelé « cortex cin-
administrée sous surveillance médi- gulaire antérieur subgénual ». Le problème est que
FAIRE DIVERGER LA PENSÉE… cale, pourrait donc stimuler l’imagi- celui-ci est hyperactif chez les dépressifs, constam-
Plus une personne parvient à naire et l’innovation pure. Reste à ment stimulé par de fortes concentrations du neu-
imaginer d’utilisations diversifiées canaliser cette force de proposition rotransmetteur glutamate libéré par une autre aire
de la chose en question, plus elle du cerveau en utilisant les zones cérébrale, l’hippocampe, et qu’il ne peut plus fonc-
déploie une forte « pensée diver- frontales et pariétales, afin de choisir tionner normalement.
gente ». La pensée divergente est les usages les plus adaptés à un Laurel S. Morris et ses collègues ont tiré parti
© Shutterstock.com/Billion Photos
en quelque sorte le premier volet de cahier des charges, par exemple. Or de la capacité de la kétamine à se fixer sur les récep-
la créativité, la part génératrice, qu’il ces zones « de contrôle » requièrent teurs du glutamate et à empêcher leur activation.
faut ensuite compléter par un une lucidité et une concentration Dès lors, le cortex cingulaire antérieur subgénual
contrôle du résultat, notamment intactes. Ce qui, en général, a ten- des patients s’est apaisé. Leur envie de passer des
d’après des critères de faisabilité, dance à s’éroder en cas de prise de tests cognitifs récompensés par de l’argent est reve-
de praticité, d’esthétique, etc. drogues. Au fait, avez-vous trouvé la nue, signe de leur capacité à se motiver et à se
Les mesures réalisées par l’équipe réponse à la devinette du début ? Le projeter dans le futur. Une voie de traitement confir-
de Natasha Mason ont montré que, mot mystère était… « souris » ! £ mée, donc, pour les patients ne réagissant pas aux
pendant l’absorption de psilocybine, Sébastien Bohler antidépresseurs traditionnels. £ S. B.
MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES
Vers un
traitement
de Huntington ?
A. Virlogeux et al., Science Advances, le 21 mars 2021.
L
Dans un neurone du striatum, la protéine huntingtine mutante
(en rouge), qui provoque la maladie de Huntington, s’accumule
dans le noyau (en bleu) pour former un agrégat composé
de huntingtine et d’autres protéines (en jaune).
es personnes atteintes de la maladie de autres dans le contrôle de l’humeur et des mouvements. D’où
Huntington développent les premiers signes de la patholo- la panoplie des symptômes observés chez les patients. L’objectif
gie entre 30 et 50 ans : mouvements incontrôlés ressemblant des chercheurs était donc de restaurer ce transport.
à une danse, mais aussi troubles psychiatriques et cognitifs, Chez des souris atteintes de la maladie de Huntington, les
notamment des symptômes anxiodépressifs, le tout s’aggra- scientifiques ont analysé toutes les protéines des vésicules de
vant avec le temps et aboutissant au décès en moins de vingt BDNF et identifié une enzyme, nommée APT1, qui est suractivée
ans… Or aucun traitement curatif n’existe. Pour l’instant en tout quand la huntingtine est mutée et qui diminue la « palmitoyla-
cas ! Car des chercheurs de l’université Grenoble-Alpes, du tion » (c’est-à-dire l’ajout d’acides gras) des protéines insérées
CHU Grenoble-Alpes et de l’Inserm viennent peut-être de mettre dans la membrane de ces vésicules. En restaurant la palmitoy-
le doigt sur un médicament potentiel, la molécule ML384, avec lation, grâce à un composé chimique nommé ML384 qui bloque
laquelle ils lancent aujourd’hui des essais précliniques chez APT1, ils ont donc relancé le transport des vésicules de BDNF
l’animal afin d’évaluer sa sécurité et sa dose efficace. le long des prolongements neuronaux entre le cortex et le stria-
Quelle piste ont-ils suivie ? La maladie de Huntington est tum chez les souris malades, ainsi que l’activité de leurs
une maladie neurodégénérative rare et héréditaire, liée à la connexions. Avec pour conséquence une diminution de la mort
mutation d’un seul gène qui code une protéine appelée « hun- de leurs neurones et une disparition de leurs symptômes
tingtine ». Quand cette dernière est mutée, elle n’assure plus moteurs et cognitifs. Et ce, sans effet secondaire toxique.
correctement le transport des vésicules contenant une molécule C’est la première fois que l’on identifie une molécule neu-
cruciale appelée BDNF (pour brain-derived neurotrophic factor), roprotectrice contre la maladie de Huntington, qui, potentielle-
un facteur nourricier des neurones qui assure leur survie et le ment, épargnerait certains neurones de la dégénérescence et
bon fonctionnement de leurs connexions, notamment entre le pourrait ralentir la progression de la pathologie. Un résultat
cortex cérébral et le striatum, des régions impliquées entre porteur d’espoir pour tous les patients. £ B. S.-L.
Dopamine
20 %
de la dopamine, un important
neurotransmetteur. Pour tester
et hallucinations cette hypothèse, des chercheurs
ont entraîné des souris
à appuyer sur un levier quand
à 40 % de risques
L ors d’épisodes délirants,
les patients atteints
elles entendaient des sons,
puis ont stimulé ces circuits en plus de souffrir
de schizophrénie ont souvent
des hallucinations, par exemple
à dopamine à l’aide de minuscules
faisceaux laser : les souris ont
de démence, pour
auditives : ils entendent des voix appuyé sur le levier, en l’absence les personnes de
qui les interpellent, et qui semblent de tout son réel. Preuve qu’elles 50 à 60 ans dormant
© Frédéric Saudou
parler « dans leur tête ». Au niveau étaient victimes d’hallucinations moins de 6 heures
cérébral, on suspecte une
hyperactivité de certains circuits
auditives. D’où des pistes de
recherche ciblant les neurones
par nuit.
Source : Séverine Sabia et al.,
de neurones fonctionnant à l’aide à dopamine. £ S. B. Nature Communications, le 20 avril 2021.
COGNITION
Êtes-vous un
« twitter-écervelé » ?
M. Mosleh et al., Cognitive reflection correlates with behavior
Les vieux on Twitter, Nature Communications, vol. 12, p.921, 2021.
sont généreux
S i vous deviez fournir un effort physique
afin d’obtenir une récompense, seriez-vous
prêt à produire le même effort afin que
cette récompense soit attribuée à une autre
S
personne ? Surprenant constat fait par une
équipe de chercheurs de l’université d’Oxford :
en vieillissant, nous sommes de plus en plus
capables de fournir un effort physique pour
les autres. Il s’agissait en l’occurrence de serrer
une poignée à ressorts, ce qui provoque
un épuisement et une douleur dans les muscles i, lors d’une course de De fait, les chercheurs des uni-
de l’avant-bras, en échange de récompenses vélo, vous dépassez le deuxième, versités de Cambridge et d’Exeter
monétaires. Dans ce type d’effort, les jeunes quelle place occupez-vous ? Selon ont observé que les personnes ayant
de 25 à 30 ans arrivent surtout à se motiver la réponse que vous avez donnée, les moins bons scores de contrôle
pour gagner de l’argent pour eux-mêmes, vous avez plus ou moins de chances cognitif sont ceux qui relaient le plus
mais les personnes de plus de 70 ans le font d’être un internaute qui relaie des de fake news. S’ils lisent sur Twitter
tout autant pour des inconnus. Et si l’avenir fake news sur Twitter. qu’un groupe pharmaceutique a pla-
était aux vieux ? £ S. B. En effet, à la devinette ci-dessus, nifié la diffusion du coronavirus pour
une réponse rapide et intuitive consiste en retirer des profits sur ses ventes
à dire qu’en dépassant le deuxième on de vaccins, cela leur semble à la fois
devient premier. Mais en réalité, si l’on tellement logique et tellement
Antimasques : dépasse le deuxième, on se trouve
entre lui et le premier, donc on prend
typique des grands groupes indus-
triels, qu’ils relaient l’information
sacrée réactance ! la deuxième place. Pour aboutir à cette
conclusion exacte, il faut bloquer la
sans la questionner sur le plan de la
faisabilité, par exemple. Ils se
réponse intuitive, celle qui nous vient retrouvent aussi plus souvent dans
plus quand leurs proches ou un médecin leur un esprit critique contre ses propres choses sur le monde, mais d’être
ont dit que c’était mauvais pour eux. L’être biais mentaux, par exemple quand une habitué à examiner les informations
humain redouterait plus que tout de perdre son info circulant sur les réseaux sociaux à l’aide de la logique et d’être prêt à
sentiment de liberté, et préférerait parfois agir nous semble intéressante à relayer réfuter ses propres arguments. Pas
en dépit du bon sens plutôt que de se conformer uniquement parce qu’elle est nouvelle très agréable, peut-être, mais totale-
à une norme imposée de l’extérieur ! £ S. B. ou intrigante. ment indispensable. £ S. B.
PSYCHOLOGIE
Personnalité :
ce que votre
voix dit de vous
J. Stern et al., Do voices carry valid information
about a speaker’s personality ?, Journal of
Research in Personality, le 26 mars 2021.
ÉMOTIONS
Le toucher
aveugle
S i l’on pique l’extrémité du majeur de votre
main droite avec une aiguille, vous pourrez
E
dire que vous avez senti une piqûre et que
celle-ci est localisée sur la dernière phalange
de votre majeur droit. Ces deux informations
– la sensation de piqûre et sa localisation –
créent l’expérience tactile complète. Or, en
bloquant l’activité d’une zone cérébrale
appelée « cortex somatosensoriel primaire », n matière de séduc- autres : une personne « sécure » tend
des chercheurs ont éliminé la conscience tion, l’humour est un atout de poids. à être confiante et épanouie dans ses
du toucher mais pas sa localisation. Mais de l’autodérision joyeuse au relations, tandis que quelqu’un
Autrement dit, bizarrement, les sujets testés sarcasme cassant, il y a de multiples d’« insécure » peine davantage à
répondaient « non » à la question : « Avez-vous façons de faire rire. Certaines sont créer des liens satisfaisants. Or plus
été touché ? », mais pouvaient montrer positives, aidant à créer un lien cha- les participants étaient insécures-évi-
où le contact avait eu lieu ! Un phénomène leureux avec les autres ou à gérer tants (une sous-catégorie du style
baptisé « toucher aveugle ». £ S. B. une situation difficile – par exemple insécure, qui se caractérise par une
lorsqu’on s’esclaffe après avoir été certaine méfiance envers ses congé-
éclaboussé par une voiture –, tandis nères), plus ils jugeaient séduisants
que d’autres confinent à l’agressivité. les styles d’humour négatifs, en par-
Jalousie Une étude menée par Victor
Luevano, de l’université d’État de
ticulier celui fondé sur la dépréciation
des autres. Ce serait une façon pour
de chien Californie, et ses collègues révèle
que selon notre profil psychologique,
eux de fuir les liens émotionnels, car
cette forme d’humour est connue
nous ne sommes pas attirés par le pour leur nuire.
d’un réflexe, certes adaptatif, car il a l’avantage qui se moque souvent de ceux qui et rassurants. Elles étaient tout parti-
de préserver une relation potentiellement utile. font des erreurs. Résultat : globale- culièrement attirées par ceux qui
Or des expériences viennent de montrer que ment, les participants étaient plus tendent à se dévaloriser eux-mêmes
des chiens sont contrariés quand ils voient leur attirés par les styles d’humour posi- dans leurs blagues. Selon les cher-
maître caresser un autre chien, mais aussi tifs. Toutefois, leurs préférences cheurs, elles percevraient ces indivi-
quand la scène est brusquement occultée dépendaient de leur style d’attache- dus comme désireux de contenter
par un paravent. Signe qu’ils se représentent ment, mesuré par ailleurs. Ces styles, les autres à leur dépens, ce qui les
mentalement l’infidélité de leur maître en partie forgés dans l’enfance, rassurerait car elles y verraient l’ex-
et en souffrent… £ S. B. décrivent notre façon d’être avec les pression d’un besoin de lien. £ G. J.
PSYCHOLOGIE SOCIALE
«
S i l’on enseignait la
méditation à tous les enfants de 8 ans
du monde, nous éliminerions la violence
en une génération », déclarait le dalaï-
lama. De fait, on s’imagine volontiers cette
pratique comme une voie privilégiée vers d’enveloppes remplies) chez les partici- Une intervention simple peut alors
l’empathie et la compréhension univer- pants qui se voyaient comme interdépen- décupler le pouvoir prosocial de la
selle. Les résultats obtenus auprès de dants, mais elle les a diminués de 15 % chez méditation. C’est ce qu’a montré une
plus de 600 participants par Michael ceux qui se considéraient comme indé- deuxième expérience, où les cher-
Poulin, de l’université d’État de New York pendants. « La méditation peut vous rendre cheurs ont commencé par orienter les
à Buffalo, et ses collègues confirment son égoïste », analyse Michael Poulin. Pour les participants vers un plus grand senti-
potentiel, tout en dessinant une réalité chercheurs, cette pratique favoriserait une ment d’interdépendance, en leur faisant
plus contrastée : l’effet de la méditation plus grande conscience de soi et de ses lire un texte écrit à la première personne
sur les comportements prosociaux objectifs profonds. Et c’est là que le bât du pluriel (« Nous allons en ville »). Cette
dépend des gens et des techniques uti- blesse : dans les sociétés orientales où elle intervention est connue pour entraîner
lisées. Heureusement, les chercheurs ont s’est développée, très focalisées sur l’inter- une pensée davantage tournée vers le
trouvé un moyen simple pour le renforcer dépendance, la méditation accroît proba- collectif. La probabilité qu’ils acceptent
– moyen qui concorde avec certaines blement les tendances prosociales. Mais de participer à une œuvre de charité a
pratiques ancestrales. dans nos sociétés occidentales, les objec- alors augmenté de 40 % après une
Dans une première expérience, tifs profonds sont davantage tournés vers séance de méditation.
Michael Poulin et ses collègues ont l’indépendance et la réalisation de soi – Pour renforcer les comportements
demandé aux participants leur degré même s’il y a bien sûr des variations selon d’entraide grâce à la méditation – et ainsi
d’accord avec des phrases du type : « Les les individus, comme l’a d’ailleurs montré ajouter des bienfaits sociaux à ceux,
groupes auxquels j’appartiens sont un cette étude, et selon les moments. D’où attestés par de nombreuses études, sur
reflet important de qui je suis. » L’idée un effet parfois contreproductif. l’anxiété et le stress –, il serait donc inté-
15 %
était de mesurer leur tendance à se ressant de se focaliser sur le sentiment
considérer comme fondamentalement d’interdépendance : Michael Poulin pré-
indépendants des autres, ou plutôt conise de penser, avant ou pendant une
comme des membres interdépendants séance, à la façon dont nous sommes liés
d’entités plus grandes. Puis ils ont été à notre famille, à nos amis, à des inconnus
assignés soit à une séance de méditation ou même à la nature. Une pratique très
de 15 minutes, fondée sur des exercices proche d’une autre forme de méditation
de focalisation sur la respiration, soit à de baisse des d’inspiration bouddhiste, dite « metta » (ou
© Shutterstock.com/Fox_Ana
un groupe témoin. On leur a ensuite pro- comportements prosociaux méditation de l’amour bienveillant), et
posé de participer à une œuvre de cha- chez les individus de connue pour augmenter l’empathie et le
rité, en mettant sous pli un nombre de sentiment de connexion avec les autres.
tempérament indépendant,
leur choix de lettres d’appel aux dons. En pratique, ces deux formes de médita-
La méditation a alors augmenté de 17 % après une séance tion sont d’ailleurs souvent utilisées de
les comportements prosociaux (le nombre de méditation façon combinée. £ G. J.
Comment limiter
Cerveau & Psycho
Rédacteur en chef : Sébastien Bohler
Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle
la « zoom fatigue » ?
Rédacteur : Guillaume Jacquemont
Conception graphique : William Londiche
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel,
Ingrid Leroy, Charlotte Calament
A. A. Bennett et al., Journal of Applied Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble
Psychology, vol. 106, pp. 330-344, 2021. Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Community manager : Aëla Keryhuel
Marketing et diffusion : Charline Buché
Chef de produit : Eléna Delanne
Directrice du personnel : Olivia Le Prévost
Sécrétaire général : Nicolas Bréon
Fabrication : Marianne Sigogne, Zoé Farré-Vilalta
Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
Ont également participé à ce numéro :
Maud Bruguière, Caroline Vanhoove
S
Anciens directeurs de la rédaction :
Françoise Pétry et Philippe Boulanger
Presse et communication
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i la pandémie de Covid-19 vient en grande partie de l’effort Espace abonnements
a drastiquement accéléré le recours requis pour maintenir une attention www.boutique.groupepourlascience.fr
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au télétravail et aux visioconfé- soutenue sur un même objet. Couper Téléphone : 01 86 70 01 76
rences, ces pratiques sont appelées son microphone permettrait alors de Adresse postale :
à durer. Dès lors, il est essentiel de relâcher sa concentration, tandis que Service abonnement
mieux comprendre leur impact sur le sentiment d’appartenance aug- Groupe Pour la Science
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notre état physique et psycholo- menterait notre intérêt pour la réu- 75008 Paris
gique. Andrew Bennett et ses collè- nion et focaliserait notre attention
Diffusion de Cerveau & Psycho
gues de l’université Old Dominion, naturellement, sans effort, sur ce qui Contact kiosques : À juste titres ; Alicia Abadie
aux États-Unis, se sont penchés sur s’y raconte. Tel : 04 88 15 12 47
la fatigue liée aux visioconférences, Pour économiser l’énergie de Information/modification de service/réassort :
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souvent appelée « zoom fatigue ». chacun, les chercheurs recom-
Pendant cinq jours, les cher- mandent donc d’utiliser la fonction Abonnement France Métropolitaine :
cheurs ont demandé à 55 employés mute quand on ne participe pas et 1 an – 11 numéros – 54 € (TVA 2,10 %)
Europe : 67,75 € ; reste du monde : 81,50 €
qui télétravaillaient de remplir un de tenter de renforcer ce sentiment
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questionnaire une fois par heure. Ils d’appartenance – par exemple en français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les
ont alors constaté l’omniprésence créant des espaces de discussion documents contenus dans la revue Cerveau & Psycho doivent
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de cette forme particulière de informelle dans les équipes, même Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.
fatigue : 93 % des participants disent de façon virtuelle. Autre recomman- © Pour la Science S.A.R.L.
l’avoir ressentie à un moment ou à dation : planifier les visioconférences Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de
un autre et le suivi de l’état de forme en début d’après-midi, vers 13 h 30. représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de
ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der
au cours de la journée montre des C’est à ce moment-là qu’elles Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft,
creux liés aux visioconférences. semblent causer le moins de fatigue. mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957,
il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la pré-
Mais certains travailleurs étaient En revanche, le fait d’éteindre sa sente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français
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moins fatigués que d’autres : ceux caméra n’a pas eu d’influence sur de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins
— 75006 Paris).
qui éteignaient le plus souvent leur l’état de forme. Deux mécanismes
microphone et ceux qui éprouvaient s’opposeraient, pour un bilan nul : Origine du papier : Finlande
Taux de fibres recyclées : 0 %
le plus fort sentiment d’apparte- d’un côté, couper la caméra permet « Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » :
nance au groupe. Des résultats de faire des pauses et de relâcher Ptot 0,005 kg/tonne
La pâte à papier utilisée pour la fabrication du papier de cet
cohérents avec la théorie dite « de l’attention, mais de l’autre, ne pas voir ouvrage provient de forêts certifiées et gérées durablement.
restauration de l’attention », selon ses collègues diminuerait le senti-
laquelle la fatigue psychologique ment d’appartenance. £ G. J.
ROBERT MARTONE
Neuroscientifique, directeur scientifique
de l’entreprise de biotechnologie Biogen.
ILLUSIONS
Le regard peut-il
déformer les objets ?
Implicitement, notre cerveau considère que les regards
« appuient » sur les choses. Cette illusion, dissipée
par des expériences astucieuses, est probablement
à l’origine d’une foule de croyances depuis l’Antiquité…
intuitive de la vision, courante chez les est d’ailleurs remarquable que les UN « RAYON DE FORCE »
enfants et qui persiste chez de nombreux sujets restants aient eu l’intuition Et c’est bien ce qu’ils ont constaté.
adultes, mais opposée à la conception d’une force basée sur le regard, alors Dans leur expérience, les participants
© Shutterstock.com/Andrey_Popov
scientifique moderne : selon celle-ci, la même qu’ils déclaraient ne pas croire observaient un visage qui regardait un
vision résulte de l’entrée de lumière dans en une telle force. Ces expériences arbre, tandis qu’ils étaient placés dans un
les yeux – on parle d’« intromission ». mettent donc en évidence un raccourci appareil d’IRMf. Les zones du cortex
La croyance en l’extramission a-t- cognitif implicite, autrement dit une impliquées dans le traitement visuel du
elle pu influencer les participants ? interprétation subconsciente et auto- mouvement (zones temporales moyennes
Non, car tous ceux qui adhéraient à matique, qui nous amène à considérer droites) et dans la compréhension des
cette thèse ont été identifiés lors d’ana- les regards comme quelque chose pensées et des intentions des autres
lyses préalables et exclus de l’étude. Il affectant les objets physiques. (jonction temporopariétale droite) se
a) b)
sont alors activées. Là encore, ce Dans l’expérience menée par entraîner peu de conséquences néga-
phénomène disparaissait lorsque les chercheurs, les participants ont tives, voire aucune. Au contraire,
estimé qu’un rouleau d’essuie-tout
le visage avait les yeux bandés. Le devait s’incliner davantage pour nous utiliserions ce raccourci cogni-
cerveau semble donc bien traiter les tomber quand une personne tif pour décoder les regards de façon
le regardait (a), par rapport au cas
regards comme des mouvements, où cette personne avait les yeux rapide et efficace. Ce qui est essen-
alors même que rien ne bouge dans bandés (b). Signe que nous imaginons tiel, tant ils constituent une forme
la scène, ce qui témoigne d’une éton- inconsciemment que le regard exerce élémentaire de communication,
une force sur l’objet, suffisante
nante méconnaissance de la réalité. pour le repousser vers la verticale ! exerçant une influence puissante sur
Ce phénomène est peut-être à nos interactions. Les exemples sont
l’origine de références culturelles multiples. Le regard d’une personne
riches et variées sur le pouvoir du révèle où elle pose son attention et,
regard. En Occident, la croyance en lorsqu’il est dirigé vers nous, il est
ce pouvoir apparaît dans nombre capable de nous inspirer des émo-
d’histoires et de mythes à travers les tions fortes. Il joue aussi un rôle dans
siècles. Les yeux de Méduse pas- l’organisation sociale, traduisant la
saient ainsi pour transformer les dominance quand il est direct et la
gens en pierre, tandis que ceux du position inverse quand il est fuyant.
basilic, animal fabuleux décrit par Sur scène, les danseurs l’utilisent
Pline l’Ancien, les tuaient sur le d’ailleurs pour transmettre la dyna-
coup. Dans Vénus et Adonis, une mique du pouvoir entre les person-
pièce de Shakespeare, l’héroïne Bibliographie nages, tandis que les musiciens s’en
déclare à son amant : « Ton œil fait servent pour se synchroniser au sein
jaillir le feu qui me brûle. » Dans The A. Guterstam et al., d’un orchestre ou d’un chœur. Dans
Other people’s gaze © Shutterstock.com/Graphiteska/kaisorn/urfin/Box design
Ecstasy, du poète anglais John certains cas, l’indifférence ou l’aver-
encoded as implied
Donne (1572-1631), le regard de sion pour le contact visuel est le
motion in the human
deux amoureux s’entrelace, les liant brain, PNAS, vol. 17, signe d’un trouble émotionnel ou
comme des mains jointes. Et, bien pp. 13162-13167, 2020. neurologique. Et lorsque nous regar-
sûr, n’oublions pas les maîtres Jedi et dons quelque chose ou quelqu’un, les
A. Guterstam et al.,
Superman, dont le rayon visuel est autres ont inconsciemment tendance
Implicit model of
capable d’atomiser sa cible ! other people’s visual à nous imiter, ce qui redirige leur
attention as an invisible, attention – un phénomène dont les
LES VRAIS POUVOIRS force-carrying beam magiciens tirent parti pour leurs
DU REGARD projecting from the eyes, tours de passe-passe. S’ils ne sont
On pourrait s’attendre à ce PNAS, vol. 116, pas encore capables de déplacer les
qu’une telle interprétation erronée pp. 328-333, 2019. objets, les regards ont donc bien de
soit préjudiciable, mais elle semble multiples pouvoirs ! £
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18
Le secret
d’Inès, accro
au smartphone…
À 14 ans, Inès change radicalement : d’enfant
studieuse et calme, elle devient une ado
irritable, en retrait socialement, complètement
dépendante de son smartphone. Un lourd
secret l’a transformée et rendue addicte
aux écrans et aux réseaux sociaux.
© Shutterstock.com/MJgraphics
N° 133 - Juin 2021
DÉCOUVERTES Cas clinique 19
GRÉGORY MICHEL
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie
à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences
criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute
I
en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.
l y a quelques années, une maman parfois l’impression qu’elle est bipolaire : elle
me contacte par courriel pour que je rencontre s’énerve vite, puis ne fait plus rien et s’enferme
sa fille, Inès, devenue « insupportable depuis dans sa chambre. On se demande si elle n’est pas
plusieurs mois et qui aurait besoin de parler à dépressive aussi. Avec Patrick, nous pensons
un psy » ! Au téléphone, cette dame me précise qu’elle doit être suivie. »
qu’elle vient de se séparer de son mari et que la
situation avec Inès est maintenant fortement ten- UNE MAMAN LOGORRHÉIQUE
due : « Elle monte très vite dans les tours, s’em- La jeune fille, dans le fauteuil voisin de sa mère,
porte rapidement, surtout avec moi, et a tendance reste impassible, indifférente. Elle laisse dire, s’affi-
à s’isoler dans sa chambre. » chant en simple spectatrice. Elle regarde sa mère
s’agiter et pérorer en pure perte. Mais quand cette
14 ANS ET FORT BIEN APPRÊTÉE dernière me dit « nous nous séparons avec son père,
Le papa, pourtant convié au premier rendez- mais nous nous entendons très bien, hein ma ché-
vous, ne vient pas. Je reçois donc la mère et la fille rie, et c’est vrai que nous sommes tous les deux très
quelques jours après. Dans la salle d’attente, d’un pris par notre travail et qu’avec la séparation, ça ne
EN BREF ton assez familier, la maman me dit d’une voix à la va pas s’arranger… », Inès pose, avec insistance,
£ Inès, jeune fille gentille fois puissante et aiguë : « Patrick n’a pas pu venir à son regard sur moi – un regard qui n’a plus rien de
et studieuse, devient cause de son travail. Mais ce n’est pas grave… Je détaché. Bien que son corps reste figé et statique,
vite insupportable et suis là. » Inès me regarde d’un air renfrogné. son visage devient vraiment expressif émotionnel-
renfermée sur elle-même,
au moment du divorce Visiblement, elle n’a aucune envie d’être là. lement. Elle présente un air dubitatif et interroga-
de ses parents. Remarquablement fashion victim, elle porte un tif, comme si elle se demandait ce que j’en pense.
rouge à lèvres carmin et un maquillage appuyé, et J’interromps alors sa mère : « Et qu’en pense Inès ? »
£ Surtout, elle ne quitte s’habille de façon apprêtée, avec un vrai souci du Tout à fait simplement, la jeune fille répond,
plus son smartphone détail. De toute évidence, cette jeune fille fait extrê- sans jeter un regard à sa mère : « Je ne sais pas
ni sa tablette, en passant
des heures sur mement attention à son apparence physique. pourquoi je suis ici. Je viens pour faire plaisir à
les réseaux sociaux. Dans le cabinet, à peine assise, la maman se mes parents, enfin, surtout à elle. Mais si je dois
Diagnostic : elle est met à parler très vite et très fort, d’un ton saccadé parler à un psy, alors je suis d’accord », dit-elle en
nomophobe – a peur et autoritaire, sans laisser personne s’exprimer, me regardant.
de ne pas avoir son
téléphone à portée surtout pas sa fille… Le flot de ses paroles est si Explorons l’histoire d’Inès. À tout juste 14 ans,
de main – et est addicte précipité et continu qu’il semble s’apparenter à elle est scolarisée en troisième. Elle a un demi-
aux jeux de défi une tachyphémie, un trouble du débit verbal. Peu frère âgé de 19 ans, né du premier mariage de sa
sur internet. à peu sa logorrhée devient moins bredouillante, mère. Étudiant en école d’architecture, ce dernier
£ Mais elle a mais reste rapide et incoercible lorsqu’elle évoque a vécu en garde alternée une semaine sur deux
une bonne raison… les difficultés de sa fille : « Depuis quelques mois, avec chacun de ses parents avant, à l’adolescence,
liée à la séparation nous ne pouvons plus rien lui dire. Elle se braque de choisir d’habiter principalement avec son père,
de ses parents. instantanément et se met vite en colère. Au col- lui-même architecte. La jeune fille n’a de contact
lège, ses notes dégringolent… Et elle passe tout avec son demi-frère que via les réseaux sociaux,
son temps sur son portable et sa tablette. J’ai car il étudie au Canada. Le père d’Inès est
N° 133 - Juin 2021
20 DÉCOUVERTES Cas clinique
LE SECRET D’INÈS, ACCRO AU SMARTPHONE…
journaliste dans la presse écrite, sa mère travaille Les parents sont maintenant séparés depuis
aux ressources humaines dans une grande entre- quelques semaines. Ils ont mis la maison en vente.
prise d’import-export. Le père a quitté le domicile familial et vit seul dans
Âgés d’une quarantaine d’années, tous deux un appartement. Et la mère recherche activement,
sont pleinement occupés par leurs activités pro- avec son nouveau compagnon, une maison dans
fessionnelles et l’ont toujours été. Avant d’aller en le secteur du collège de sa fille, « pour ne pas trop
crèche, Inès a eu une nourrice quelques mois. la déstabiliser ». Pour la maman, tout se passe fort
Pendant toute sa scolarité de maternelle et de bien. La séparation est consentie des deux côtés,
primaire, son père et sa mère se relayaient pour et tout est mis en œuvre pour le bien-être d’Inès.
la conduire à l’école le matin, et sa babysitter la « On la tient toujours au courant, on lui demande
ramenait pour lui faire faire ses devoirs, lui pré- toujours son avis et, surtout, avec Patrick, il n’y a
parer le dîner et bien souvent la coucher car ses aucun problème. En revanche, avec moi… c’est
parents rentraient tardivement du travail. « On différent : elle se met très vite en colère. »
s’était habitué à ce rythme », me dit la maman. Consultation suivante : le père amène Inès. Il
ne me faut pas longtemps pour constater que, en
UNE FILLE INTELLIGENTE réalité, « tout n’est pas si parfait ». Le père, même
À l’école, Inès fait preuve, dès le plus jeune s’il ne parle guère de lui, donne d’évidents signes
âge, d’excellentes capacités d’acquisition et d’ap- de dépression. Il est à la fois accablé, résigné,
prentissage. Au point qu’on envisage de lui faire apathique, mais aussi vraiment investi et inquiet
sauter la classe de CE2. Son père s’y oppose fina- pour sa fille. Sa relation avec Inès est beaucoup
lement, contre l’avis de sa mère, craignant que sa moins tendue que celle entre la jeune fille et sa
fille ne soit pas assez mature affectivement pour mère : l’adolescente est bienveillante à l’égard de
un passage direct en CM1. Inès fait toujours par- son papa tant elle le sent fragile et vulnérable. Il
tie des premières de sa classe au début du collège évoque alors un point important : « Ce qui m’in-
mais, à partir du milieu de la quatrième, elle quiète, c’est surtout le temps qu’elle passe sur son
montre de premiers signes de relâchement. Ses portable et sa tablette, souvent les deux en même
résultats fléchissent et sa motivation décline. temps ! Elle ne s’en sépare jamais. Je ne com-
C’est à ce moment-là que son comportement prends pas. L’année dernière, nous sommes partis
commence à changer, d’après ses parents. une semaine en montagne, sans connexion wifi…
D’enfant « sage, calme et sérieuse », elle devient Inès ne l’a pas supporté et s’est mise dans tous ses
irascible, soupe au lait, avec des moments de repli états. Comme son forfait 4G est limité, elle n’a
sur elle-même, ou elle s’enferme pendant des pas arrêté de nous harceler pour que nous le lui
heures dans sa chambre ou dans la salle de bain, augmentions… Ce que nous avons fini par faire. »
sans que l’on sache ce qu’elle y fait. La mère Voilà un élément intéressant sur lequel je
ajoute : « À nous, elle ne dit rien… Elle est com- rebondis avec Inès. C’est en entrant en CM2 que
plètement renfermée et passe tout son temps sur la jeune fille a eu son premier portable. Ses
son portable et sa tablette. » parents, qui rentraient assez tard du travail, ont
Je demande alors aux parents s’ils ont noté vite décidé que leur fille devait disposer d’un
d’autres changements, portant sur l’alimentation smartphone pour qu’ils puissent la joindre facile-
ou encore le sommeil. Sa maman me répond ment. Les premières années, Inès regardait sur-
alors : « C’est vrai qu’elle fait davantage attention tout des vidéos et téléchargeait quelques jeux.
à ce qu’elle mange depuis quelque temps et Puis, au collège, elle a fait connaissance avec le
qu’elle s’est beaucoup affinée. Je mets ça sur le monde des réseaux sociaux. Elle s’est créé des
compte de l’adolescence car j’étais comme ça à comptes sur plusieurs applications afin de vision-
son âge. Et son sommeil… eh bien, j’ai un peu ner et partager photos et vidéos, et de communi-
laissé tomber !… Je dois dire qu’elle s’énerve tel- quer avec ses amis via les messageries internes.
lement quand je lui dis de dormir que c’est son
père qui gère ce problème-là. » C’est vrai que la « PLUS DE BATTERIE ! NOOONNNNN ! »
jeune fille a une allure très longiligne et que son Inès décrit bien sa relation avec son smart-
indice de masse corporelle doit être en dessous phone comme particulière : elle passe beaucoup
de la moyenne. Je reste donc vigilant sur ce point. de temps dessus et reçoit continuellement des
La mère note aussi des changements dans ses notifications, ce qui exaspère ses parents. Elle
relations amicales : « Inès a longtemps gardé ses vérifie constamment, presque de façon compul-
amies de primaire, voire certaines de maternelle. sive, son téléphone pour voir si elle a reçu des mes-
Mais depuis deux ans, elle fréquente de nouvelles sages, des notifications, des alertes… Elle me dira
copines, moins sérieuses… » plus tard à quel point elle contrôle tout le temps le
niveau de sa batterie : « Ça m’est arrivé de ne plus travail en français. Nous voulions donc lui confis-
avoir de batterie. J’ai paniqué, je ne pouvais quer son téléphone. Cela a été terrible… On en est
joindre personne. » Depuis, elle a toujours une bat- venu aux mains… Elle a hurlé… J’ai dû lui arracher
terie externe sur elle, ainsi qu’un chargeur… son téléphone des mains. Elle a claqué la porte et
Toute punition portant sur la confiscation de jeté par terre la photo de nous trois qui était dans
son smartphone la met hors d’elle. À ce sujet, la sa chambre. » Inès reconnaît ce violent incident et
mère rapporte un événement : « Juste après les ajoute qu’elle ne supporte pas l’idée de ne pas avoir
vacances de la Toussaint, elle a eu coup sur coup son portable : « Mon téléphone, c’est toute ma vie.
deux mauvaises notes, car elle n’avait pas du tout Vous ne vous en rendez pas compte, mais j’ai tout
préparé son devoir d’histoire et avait bâclé son dessus… Le reste, je m’en fous ! Mes parents m’ont
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24 DÉCOUVERTES Cas clinique
LE SECRET D’INÈS, ACCRO AU SMARTPHONE…
son smartphone. Pas étonnant : la littérature psychothérapie. Mais je n’arrivais pas à la com-
scientifique montre que l’utilisation excessive des prendre. Jusqu’à ce qu’Inès, après m’avoir narré
réseaux sociaux de type Instagram et Snapchat tous ses exploits sur internet, m’explique enfin
est associée à davantage de symptômes anxio- « tout » sur « ses raisons »… Elle a découvert, envi-
dépressifs et à une faible estime de soi. ron un an et demi auparavant, que la tablette (qui,
Plus grave encore : Inès me confie avoir joué à au départ, était familiale avant de devenir la
d’autres jeux de défi, parmi lesquels le « Kylie sienne) était paramétrée avec le téléphone de sa
Jenner challenge » (du nom de la demi-sœur de mère, de sorte que tous les messages destinés à sa
Kim Kardashian). Cette pratique consiste à se gon- mère arrivaient aussi sur la tablette… Elle com-
fler les lèvres par effet de succion à l’aide de bou- prend alors que sa mère entretient une relation
chons de bouteilles. « Je ne le fais plus mainte- adultérine avec un homme depuis plusieurs mois.
nant, mais avec mes copines, c’était pour rire. On « Je voyais les messages et surtout les photos…
le faisant ensemble et on se prenait en vidéo. » Certaines étaient dégueulasses. Vous vous rendez
Mais ce type de pratique n’est pas sans risque : le compte ! Ils s’envoyaient des sextos ! Et moi, je ne
Kylie Jenner challenge a d’ailleurs été à l’origine pouvais pas m’empêcher de les lire et de regarder.
de graves lésions et déchirures des lèvres ayant Ça me faisait mal, tellement mal… Et je ne savais
nécessité des actes de chirurgie réparatrice. pas quoi faire… Je ne voulais pas en parler à mon
père, car j’avais peur qu’il demande le divorce, et
DES « LIKES » j’avais trop honte pour en parler à ma mère. Mais
POUR SE SENTIR BIEN ET AIMÉE j’y pensais sans cesse. Je revoyais les photos que
Lors du bilan psychologique de la jeune fille, je n’aurais jamais dû voir… »
je relève aussi des traits de la personnalité his-
trionique : le besoin d’attention, une certaine SURMONTER LA DÉCOUVERTE
théâtralité dans l’expression des émotions, et une DE L’ADULTÈRE D’UN PARENT
forte suggestibilité. Ce qui explique qu’Inès uti- Ses troubles du sommeil remontent à cette
lise beaucoup son apparence physique, en s’habil- période. « J’étais perdue. J’en voulais à ma mère,
lant parfois de façon provocante et sexy. Son et je surveillais sans cesse ses messages. » Inès se
estime d’elle-même dépend du regard d’autrui, sent alors extrêmement soulagée par cet « aveu ».
du nombre de likes qu’elle obtient sur les réseaux Dire ou ne pas dire : pendant de long mois, elle
sociaux. « Lorsque je n’ai pas beaucoup de likes, se sentait détenir un secret qui pouvait faire voler
je déprime, et si j’ai des commentaires négatifs, en éclat sa famille. « Maintenant que mes parents
ça me tue. » Elle est aussi très influençable : « Je se séparent, je me demande si j’ai bien fait.
fais tout ça… aussi parce que mes copines le J’aurais peut-être dû en parler à mon père… Et
font… Je me sens belle et aimée en le faisant. » comment le faire maintenant ? » Cette question
Toutes ces activités reposant sur l’image de qui la taraude aujourd’hui va donc nécessiter que
soi répondent au besoin de reconnaissance de la la prise en charge s’élargisse à ses parents…
jeune fille. Elle doit se montrer, faire quelque Faisons là une petite digression. Il est de plus
chose de singulier (voire spectaculaire) pour se en plus fréquent que des tablettes familiales
sentir exister narcissiquement. « Avec ces jeux, je fassent l’objet de partage d’images involontaires,
me sens bien. Mes parents ne semblent pas me
voir, comme si j’étais transparente. Maintenant,
je suis dans un groupe de copines et on ne fait pas
que travailler. Avant, j’étais sérieuse, mais c’était
ennuyant. Et puis les garçons ont commencé à me
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25
53 %
ceux qui les reçoivent ou les découvrent, sans en
être les destinataires. Ce qui est d’autant plus
préjudiciable et dommageable quand il s’agit de
l’intime, plus particulièrement des frontières de
l’intime entre parents et adolescents, rendues
poreuses et fragilisées par ces objets de commu-
nication interconnectés et synchronisés. DES UTILISATEURS DE TÉLÉPHONES
Prudence, donc ! Il faut éviter un mélange des mobiles présentent des symptômes d’anxiété en cas de perte,
genres et des rôles qui fasse effraction de façon de non-couverture du réseau ou de batterie faible, selon une étude de 2008.
violente dans l’intime en construction des ado-
lescents, eux-mêmes fragilisés par cette ten-
dance à exposer leur propre intimité sur les
réseaux sociaux. détailler), afin de travailler sur ses habitudes de
Revenons à Inès. Nous avons donc travaillé connexion au smartphone.
progressivement sur la relation entre Inès et sa Concrètement, avec Inès, nous avons déve-
mère, de sorte qu’au bout de deux années de thé- loppé les éléments suivants pour la « détoxifier » :
rapie, alors que l’adolescente avait d’abord choisi elle doit maintenant limiter le nombre de pages
de vivre avec son papa, a de nouveau partagé son ouvertes dans son navigateur, supprimer les noti- Bibliographie
temps, de façon équivalente, chez son père et sa fications, réduire le nombre d’applis de réseaux
mère. Particulièrement intelligente, la jeune fille sociaux sur son smartphone, développer des inte- E. J. Ivie et al.,
a réussi, sans difficulté, à dépasser tous ses res- ractions sociales réelles (sport, musique, sorties A meta-analysis of the
sentiments à l’égard de sa mère et a même eu avec la famille et les amis…), faire un travail association between
l’occasion de lui faire part de la découverte de sa introspectif (autocritique) et d’observation des adolescent social
media use and
relation adultérine et combien cela l’avait plongée effets objectifs. Inès s’astreint aussi désormais à
depressive symptoms,
dans un dilemme insoluble. vivre les moments de façon réelle (sans filmer un Journal of Affective
Peu à peu, elle a également reconnu les effets concert ou prendre des photos), à ne pas conser- Disorders, vol. 275,
délétères de l’utilisation addictive de son smart- ver son smartphone dans la chambre le soir (elle pp. 165-174, 2020.
phone – la tablette n’était finalement utilisée que ne l’utilise plus comme réveil), à ne plus le consul-
T. Haynes et
pour épier sa mère… –, sur les aspects tant chro- ter en présence d’autres personnes, et à l’oublier R. Clements, Dopamine,
nophages que psychiques, somatiques, affectifs, volontairement par moments. Smartphones & You :
sociaux, cognitifs et motivationnels, notamment Dès lors, la jeune fille a pu observer directe- A battle for your
vis-à-vis de sa scolarité. Sur ce point, pour aider ment les effets de son traitement : ses douleurs au time, Sci. News, 2018.
Inès, j’ai utilisé le « modèle global de change- poignet et ses maux de tête (liés au temps passé J. D. Elhai et al.,
ment », publié en 2001 par deux psychologues sur les écrans) ont progressivement disparu. Et Problematic
américains : James Prochaska et John Norcross. elle se montre désormais moins anxieuse, moins smartphone use :
réactive émotionnellement et moins irritable, et a conceptual overview
SE « DÉTOXIFIER » DU SMARTPHONE a aussi retrouvé un temps de sommeil plus adapté and systematic review
Ce modèle a permis à l’adolescente de déci- à son âge, en s’endormant plus facilement. of relations with
der, par elle-même, de changer de comporte- De 40 à 50 heures par semaine sur son télé- anxiety and depression
ment, en six étapes : d’abord, la « pré-intention » phone, Inès est passée à environ 7 ou 8 heures ! psychopathology,
J. Affect. Disord., vol. 207,
(on n’envisage pas de changer) ; puis l’« inten- Tout ce temps libre lui permet aujourd’hui de
pp. 251-259, 2017.
tion », où l’on entrevoit les possibilités de change- reprendre ses activités sportives délaissées, comme
ments, mais où ces dernières restent ambiva- l’athlétisme, ainsi que le piano. Elle a retrouvé son G. Michel,
lentes ; ensuite, la « décision », qui voit le sujet capital cognitif, très largement entamé par l’utili- Psychopathologie des
jeux dangereux chez les
s’engager dans le changement, mais sans agir ; sation compulsive de son smartphone, ce qui se
jeunes : lorsque le plaisir
alors vient l’« action », où l’on franchit les obs- traduit par une amélioration de ses capacités de est conditionné par
tacles, mais sans stabilisation ; puis l’« entretien », concentration et d’attention, en classe et lors de ses la violence et le risque,
qui permet au patient d’atteindre ses objectifs et révisions et devoirs. Ses notes ont remonté, lui
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26
La thérapie
du bien-être
Par Silke Hoffmeyer, Bita Stelling, Marie Tobin et Susanna Tschipke, qui étudient
la psychologie à l’université de Greifswald, en Allemagne. Eva-Lotta
Brakemeier y est professeuse de psychologie clinique et de psychothérapie
et directrice du Centre de psychothérapie psychologique (ZPP).
P
EN BREF
£ Pour une bonne santé
mentale, il est important
de prendre soin de son
propre bien-être
subjectif. Le psychiatre
italien Giovanni Fava
a élaboré une thérapie
brève qui met l’accent
sur cet aspect : la
thérapie du bien-être. ar un bel après-midi chaud, le
soleil brille, vous êtes allongé dans une chaise
£ Dans le cadre de cette longue et regardez la verdure. Tout semble par-
thérapie, les patients fait. Puis vous vous souvenez que vous devez
tiennent notamment absolument terminer une dernière chose pour le
un journal de bien-être
quotidien et cherchent bureau. La date limite est dans deux semaines.
des occasions de détente Vous avez déjà fourni pas mal d’efforts, mais
et de « flux », où l’on est pouvez-vous vraiment vous permettre de vous
entièrement absorbé reposer sur vos lauriers maintenant ? Cette pen-
parce que l’on fait.
sée ne vous lâche pas. Vous craignez de manquer
£ La thérapie l’échéance parce que vous vous êtes détendu
du bien-être intègre pendant trop longtemps. Tout d’un coup, vous
des concepts importants ne vous sentez plus aussi à l’aise dans votre fau-
de la psychologie
positive, mais ne vise teuil. Une seule pensée a suffi pour gâcher ce qui
pas explicitement était pour vous un beau moment… Et si notre
à provoquer des difficulté à être heureux ne provenait pas tout
émotions très agréables. simplement d’une tendance que nous avons par-
fois à assombrir les moments de bien-être par
£ Il s’agit davantage
© Shutterstock.com/Alina Kruk
JOURNAL DE BIEN-ÊTRE
Une belle journée dans Je dois rendre mon travail Tu as travaillé
la chaise longue, premier dans deux semaines, dur jusqu’à présent.
soleil chaud du printemps. 80 je n’ai pas le droit de Tu mérites une pause !
me détendre. Je me lève
et je m’assieds devant
l’ordinateur.
Dans le journal de bien-être, les situations quotidiennes sont évaluées en fonction de leur qualité perçue sur une échelle
allant jusqu’à 100. La reconnaissance des pensées et des comportements perturbateurs provoque un changement de perspective
qui aide à se regarder de l’extérieur.
patients rechutent-ils après une thérapie ? Il Il faut commencer par établir une claire dis-
voyait une explication possible dans le fait que tinction. Viser le bien-être, dans la thérapie qui
les thérapies conventionnelles visent unique- porte ce nom, ce n’est pas s’entourer de mas-
ment à réduire la souffrance. L’atténuation de sages, d’atmosphères de vacances, de spa ou de
symptômes tels que l’anxiété, la tristesse, l’iso- senteurs provoquant la détente – ce qu’on
lement social ou la rumination réduit certes la appelle en anglais le wellness. La thérapie du
détresse, mais les patients ont malgré tout du bien-être est une approche structurée, de
mal à accumuler des expériences clairement courte durée, destinée aux personnes souffrant
positives dans leur quotidien. de divers troubles mentaux. Elle vise à mobili-
ser les ressources psychologiques de l’individu
ÊTRE BIEN, CE N’EST PAS SEULEMENT pour atteindre une stabilité à long terme. Il
NE PAS SOUFFRIR s’agit, à la base, de changer la perspective des
Fava prolongeait en cela une idée maîtresse patients sur ce qu’ils vivent, pour aller de la
de son mentor, le psychiatre new-yorkais réduction des symptômes à la promotion d’un
George Libman Engel (1913-1999), selon bien-être équilibré.
laquelle la santé signifie plus que l’absence de Des impulsions importantes à cet égard sont
maladie. Elle requiert, en outre, un certain venues de la psychologie dite « positive ».
degré de bien-être. C’est ce qui donnera nais- Nombre de ces études ont montré qu’un senti-
sance à la thérapie du bien-être, la well-being ment de bien-être durablement altéré doit être
therapy, ou WBT. Peu importe que la vie apporte considéré comme un facteur de risque important
des souffrances ou des malheurs, pense Fava, de troubles dépressifs, et que les émotions posi-
l’essentiel est de pouvoir lui créer un contre- tives renforcent généralement la santé mentale
poids par des choses, des sentiments, des sou- et physique. L’idée est donc de veiller à ce que le
venirs ou des émotions réellement positives. sentiment de bien-être psychologique soit
préservé, maintenu à un niveau suffisant pour états de flux (ces moments où l’on est totalement
éviter cette vulnérabilité. C’est pourquoi absorbé par ce que l’on fait, où les pensées
Giovanni Fava considère la thérapie du bien- semblent claires et fluides au point que le monde
être comme une thérapie secondaire ou ter- extérieur semble ne plus exister, ce que
tiaire, c’est-à-dire une offre destinée aux per- connaissent les artistes dans certains moments
sonnes qui ont déjà suivi un traitement intensif de créativité, les promeneurs face à des pay-
reconnu. C’est une thérapie dite « de mainte- sages à couper le souffle ou les passionnés de
nance », c’est-à-dire de prévention des rechutes. modèles réduits quand ils soignent les détails de
D’une durée de quatre à vingt séances maxi- leur maquette), ainsi que des techniques éprou-
mum, le programme est assez court, facile à vées de la thérapie cognitivo-comportementale
mettre en œuvre et peu coûteux. Les séances de (TCC). Prenons un exemple : Annabelle (le pré-
thérapie individuelle doivent être espacées de nom a été changé), 46 ans, célibataire depuis
plusieurs semaines afin de renforcer l’autono- cinq ans, travaille au sein du département des
mie du patient. ressources humaines d’une grande entreprise
et a précédemment souffert de dépression et de
COMMENT SE DÉROULE UNE THÉRAPIE phobie sociale pendant plusieurs années. Grâce
Les chercheurs
DU BIEN-ÊTRE ? distinguent différentes un traitement nommé CBASP(pour cognitive
Il s’agit d’une approche d’autoassistance qui dimensions du bien-être behavioral analysis system of psychotherapy),
met en œuvre des méthodes précises. On y range subjectif. Personne qui apprend notamment au patient à ne plus
n’atteint les valeurs
notamment la tenue d’un journal du bien-être maximales pour tous fuir les stimuli angoissants en l’amenant juste-
(où l’on note tous les jours les émotions positives ces éléments en même ment à les affronter dans un cadre rassurant,
temps ; ce qui importe,
que l’on a vécues, ce qui les a favorisées, com- c’est la pondération ces problèmes se sont bien résorbés. Comme
ment on a pu les prolonger), la recherche des et l’équilibre individuels. des symptômes résiduels subsistent et que la
crainte d’une rechute demeure élevée, son psy-
chologue lui propose une thérapie du bien-être
de quatre heures.
de soi personnel
d’une part, le bien-être décrit une sensation qui
survient lorsque nous interrompons des senti-
ments négatifs tels que les peurs et le vide inté-
rieur. D’autre part, elle peut aussi naître d’expé-
riences positives ou d’une activité concentrée.
Annabelle réf léchit aux moments où elle
traverse de tels moments de « flux ». Le terme de En prenant l’exemple C’est le plus grand obstacle pour la plupart :
« flux », inventé par le psychologue américain de la dimension le patient est encouragé à se regarder de l’exté-
« adaptation à
Mihály Csíkszent mihályi, désigne des états l’environnement », rieur et à développer des alternatives à ses
mentaux dans lesquels nous sommes complète- on peut montrer schémas habituels de pensée et de comporte-
ment absorbés par notre activité en cours, que tant les charges ment. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que cette
trop pesantes que les
oublions le temps et l’espace et ressentons un facteurs consolidants thérapie ne vise pas à se sentir le plus heureux
profond sentiment de satisfaction. trop faibles font le lit possible, ni à être toujours « de bonne humeur ».
des problèmes mentaux.
Annabelle note dans son journal si et quand La résilience, comme Le bien-être mental varie naturellement et se
de telles expériences lui arrivent. Elle se pose souvent, se trouve compose de plusieurs dimensions. On en dis-
les questions suivantes : Combien de temps est- au milieu. tingue au moins six, décrites par la psycho-
ce que je consacre à l’activité en question ? Ce logue sociale britannique d’origine autri-
temps a-t-il plutôt augmenté ou diminué récem- chienne Marie Jahoda (1907-2001) dès 1958,
ment ? Que puis-je faire de manière à prêter plus puis par la chercheuse en résilience américaine
d’attention à ces moments et à les concrétiser ? Carol Ryff. Ces six dimensions sont l’autono-
Elle se souvient qu’elle avait pour habitude de mie, l’adaptation à l’environnement, l’existence
chasser ses soucis en faisant son footing ; que de relations humaines positives, le développe-
parfois, elle était complètement absorbée par la ment personnel, le but et sens de la vie, et
lecture ou même par une tâche passionnante. l’acceptation de soi.
La thérapeute encourage alors sa patiente à
rechercher plus souvent de telles occasions, par LE BUT N’EST PAS D’ÊTRE « TOUJOURS
exemple en réenfilant ses chaussures de sport DE BONNE HUMEUR »
ou en se procurant un livre passionnant. C’est le Plutôt que de simplement promouvoir la
principe de la thérapie du bien-être : elle ren- pensée positive (comme le préconisent certains
force la capacité de la patiente à observer son praticiens de la psychologie positive répandus
bien-être en toute autonomie. Il s’agit notam- aux États-Unis), la thérapie du bien-être vise à
ment d’identifier les pensées, les croyances et les déclencher un engagement plus profond avec
© Shutterstock.com/zmicier kavabata
comportements qui l’atténuent, voire le ruinent. sa propre vie et son état d’être. L’objectif est de
À cette fin, la troisième colonne de l’agenda du passer d’un état de vulnérabilité et de faiblesse
bien-être est réservée aux « pensées ou compor- chronique à un meilleur équilibre. Par consé-
tements perturbateurs » (tels que la peur de ne quent, il ne s’agit par pour le patient de recher-
pas terminer une tâche à temps ou d’attraper le cher le plus grand bien-être possible dans
Covid-19). Lorsque le patient est capable de les toutes les dimensions de sa vie, mais d’adopter
nommer, une quatrième et dernière colonne est un fonctionnement individuel équilibré qui
ajoutée au journal. augmente la résilience mentale. La manière
Les cerveaux
artificiels ont-ils
une conscience ?
N° 133 - Juin 2021
DÉCOUVERTES Neurosciences 33
tention que les autres. Dans un article publié dans facteurs à surveiller et et en les infusant avec un cocktail chimique, les
sur l’attitude à adopter,
Cell Stem Cell en août 2019, le groupe de Muotri notamment en raison chercheurs avaient ravivé les fonctions cellu-
a rapporté la création d’organoïdes de cerveau des difficultés à définir laires des neurones et leur capacité à transmettre
humain produisant une activité coordonnée, sous la conscience. des signaux électriques.
N° 133 - Juin 2021
34 DÉCOUVERTES Neurosciences
LES CERVEAUX ARTIFICIELS ONT-ILS UNE CONSCIENCE ?
Le neuroscientifique
Nenad Sestan a utilisé
la plateforme BrainEx
pour restaurer l’activité
neuronale dans des
cerveaux de porcs.
Ce ne sont pas les seules expériences qui sus- Les inquiétudes suscitées par les cerveaux
citent la controverse : d’autres, visant par exemple cultivés en laboratoire ont également mis en
à insérer des neurones humains dans des cer- lumière un angle mort de la recherche : aucun
veaux de souris, sont contestées par certains consensus n’existe sur la façon de définir et de
scientifiques et éthiciens, qui estiment qu’elles ne mesurer la conscience. Et en l’absence de défini-
devraient pas être autorisées. tion, les éthiciens craignent qu’il soit impossible
Ces études ont en tout cas ouvert la voie à un de mettre fin à une expérience avant qu’elle ne
débat entre ceux qui veulent éviter la création franchisse une limite fatidique.
d’une conscience et ceux qui voient dans les orga- La série d’expériences en cours pourrait accé-
noïdes complexes un moyen d’étudier des mala- lérer le débat. Si les scientifiques sont convaincus
dies dévastatrices. Pour Muotri et bien d’autres qu’un organoïde a acquis une conscience, ils
neuroscientifiques, les organoïdes de cerveau feraient peut-être bien de se mettre rapidement
humain pourraient permettre de comprendre des d’accord sur ce qui a conduit à ce résultat,
pathologies propres à notre espèce, comme l’au- explique Anil Seth, neuroscientifique à l’univer-
tisme et la schizophrénie, qu’il est impossible sité du Sussex, près de Brighton, au Royaume-
d’étudier en détail avec des modèles murins. Un Uni. Mais, ajoute-t-il, si un chercheur privilégie
objectif qui nécessitera peut-être la création déli- une théorie qui conclut que l’organoïde est
bérée d’une conscience, selon Muotri. conscient, tandis qu’un autre scientifique est d’un
Les chercheurs réclament désormais que soit avis contraire, toute confiance dans cette conclu-
fixé un ensemble de lignes directrices, similaires sion s’évanouit. « La confiance dépend largement
à celles qui régulent l’expérimentation animale, de la théorie à laquelle on adhère. C’est un pro-
afin d’encadrer l’utilisation des organoïdes céré- blème circulaire. »
braux et les autres expériences susceptibles de
créer une conscience. En juin dernier, les UN ÉTAT DIFFICILE À DÉFINIR
© Nature/Jesse Winter
Académies américaines des sciences, de l’ingénie- En fait, il se pourrait bien que créer un système
rie et de la médecine ont lancé une étude visant conscient soit plus facile que de le définir. Les cher-
à définir les problèmes juridiques et éthiques cheurs et les cliniciens ont de multiples façons de
potentiels liés à ces organoïdes, ainsi qu’aux décrire ce qu’est la conscience, et ils le font à des
chimères homme-animal. fins diverses. Mais il est difficile de synthétiser ces
N° 133 - Juin 2021
35
descriptions en une définition opérationnelle ni cligner des yeux ni manifester une réaction de
claire, susceptible d’être utilisée pour décider du Cet article est une retrait après un stimulus douloureux, ils ne pas-
statut d’un cerveau cultivé en laboratoire. traduction de seraient pas le test clinique de la conscience.
Par exemple, les médecins évaluent généra- « Can lab-grown brains En revanche, il est bien plus probable qu’un
become conscious ? »,
lement le niveau de conscience de patients dans publié sur Nature.com cerveau intact provenant d’un porc récemment
un état végétatif en observant s’ils clignent des le 27 octobre 2020. tué possède les structures nécessaires à la
yeux ou s’ils tressaillent en réponse à la douleur conscience, ainsi que des connexions créées par
ou à d’autres stimuli. Les chercheurs mesurent les souvenirs et les expériences vécues par l’ani-
également la réaction du cerveau – notamment mal. « Il est difficile d’imaginer qu’un cerveau soit
à l’aide d’électroencéphalogrammes (EEG) – vide après avoir été rempli de tout cela », déclare
lorsqu’il est soumis à une impulsion électrique. Jeantine Lunshof, philosophe et neuroéthicienne
Un cerveau conscient émet une activité élec- à l’université Harvard, à Cambridge, dans le
trique bien plus complexe et imprévisible qu’un Massachusetts. « J’ignore ce dont il reste capable
cerveau inconscient, lequel réagit par des sché- en termes de réflexion, mais ce n’est certaine-
mas simples et réguliers. ment pas rien », ajoute Lunshof. Ramener un cer-
Toutefois, les tests pratiqués ne semblent pas veau mort à un semblant de vie, comme l’a fait
infaillibles. Des études d’imagerie ont montré que l’équipe de Yale, permettrait peut-être de restau-
certains patients dans le coma ou dans un état rer un certain degré de conscience, bien que les
végétatif présentent une activité cérébrale qui scientifiques aient pris soin de l’éviter en utilisant
évoque la conscience, même lorsqu’ils n’ont des agents chimiques bloquants, qui empêchent
aucune réaction par ailleurs. Ainsi, leurs zones l’activité de se propager au cerveau tout entier.
motrices s’activent quand on leur demande de
s’imaginer en train de marcher... LES THÉORIES DE LA CONSCIENCE
Il serait de toute façon difficile d’appliquer les Les chercheurs s’accordent sur la nécessité de
tests médicaux classiques de la conscience à des prendre au sérieux les possibilités soulevées par
cellules cérébrales cultivées dans des boîtes, ou ces études. En octobre 2019, l’UCSD a organisé
à des cerveaux désincarnés. Lorsque le professeur une conférence réunissant une douzaine de neu-
Muotri a suggéré que les schémas d’activation de roscientifiques et de philosophes, ainsi que des
ses organoïdes étaient aussi complexes que ceux étudiants et des citoyens lambda. L’objectif était
observés chez les prématurés, les avis ont été par- d’établir et publier un cadre éthique pour les
tagés. Certains chercheurs considèrent que l’acti- futures expériences. Mais l’élaboration du docu-
vité cérébrale d’un prématuré n’est pas suffisam- ment a été retardée pendant des mois, notamment
ment sophistiquée pour être qualifiée de parce que plusieurs des auteurs n’ont pas réussi à
consciente. Et comme les organoïdes ne peuvent s’entendre sur les critères de base de la conscience.
Presque tous les scientifiques et éthiciens esti-
ment que, jusqu’à présent, personne n’a créé de
conscience en laboratoire. Mais ils s’interrogent
sur les facteurs à surveiller et sur les théories les
plus pertinentes. Selon la théorie de l’information
intégrée, par exemple, la conscience dépend de
la densité des connexions entre les réseaux neu-
ronaux dans le cerveau. Plus il y a de neurones
En 2019, des chercheurs ont qui interagissent les uns avec les autres, plus le
degré de conscience est élevé – une quantité dési-
fait pousser des organoïdes gnée sous le nom de « phi ». Si phi est supérieur à
zéro, l’organisme est considéré comme conscient.
de cerveau humain à côté d’une La plupart des animaux atteignent ce seuil,
à se contracter spontanément.
exigent une entrée sensorielle ou une activité élec-
trique coordonnée dans de multiples régions du
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36 DÉCOUVERTES Neurosciences
LES CERVEAUX ARTIFICIELS ONT-ILS UNE CONSCIENCE ?
cerveau. La théorie de l’espace de travail global, Connecter des organoïdes à des organes,
par exemple, postule que le cortex préfrontal fonc- cependant, pourrait se révéler assez simple.
tionne comme un ordinateur, traitant les entrées En 2019, l’équipe de Lancaster a fait pousser des
sensorielles et les interprétant pour former un organoïdes de cerveau humain à côté d’une
sentiment d’exister. Comme les organoïdes n’ont moelle épinière et de muscles dorsaux de souris.
pas de cortex préfrontal et ne reçoivent pas d’en- Lorsque les nerfs de l’organoïde se sont connectés
trées, ils ne peuvent pas devenir conscients. « Sans à la moelle, les muscles ont commencé à se Dans les organoïdes
entrée ni sortie, les neurones se parlent peut-être, contracter spontanément. de cerveau humain
mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils pro- La plupart des organoïdes sont construits en développement,
les cellules
duisent quoi que ce soit d’analogue à la pensée pour reproduire une seule partie du cerveau – le préneuronales (en
humaine », explique Madeline Lancaster, biolo- cortex. Mais quand des cellules souches humaines rouge) se transforment
en neurones (en vert),
giste du développement à l’université de se développent assez longtemps en présence de qui se connectent
Cambridge, au Royaume-Uni. facteurs de croissance adéquats, elles recréent en réseaux (en blanc).
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37
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38 DÉCOUVERTES Neurosciences
LES CERVEAUX ARTIFICIELS ONT-ILS UNE CONSCIENCE ?
Si Muotri trouve un intérêt à ce que ses orga- conscience, car elle estime que les connaissances
noïdes puissent être comparés, au moins à cer- scientifiques ne sont pas encore suffisantes.
tains égards, aux cerveaux humains, c’est parce Selon Hyun, le groupe d’experts en neuroé-
qu’il souhaite se pencher sur les troubles qui thique des NIH n’a pas encore eu connaissance
touchent notre espèce et leur trouver des traite- de propositions visant à créer des organoïdes
ments. Il a une motivation personnelle pour cela : complexes et conscients qui nécessiteraient de
son fils de 14 ans est à la fois épileptique et nouvelles directives. Et Muotri affirme ne
autiste. « Il se bat avec acharnement dans la vie », connaître personne d’autre qui essaie délibéré-
raconte Muotri. Les organoïdes cérébraux ouvrent ment de créer des organoïdes conscients, bien
une voie prometteuse, car ils reproduisent de qu’un tel système puisse, selon certaines défini-
manière simplifiée les premiers stades du câblage tions, atteindre ce statut accidentellement s’il est
cérébral, impossibles à analyser lors du dévelop- assez sophistiqué.
pement d’un embryon humain. Mais étudier les Néanmoins, Muotri et d’autres se disent favo-
troubles qui affectent notre encéphale sans dis- rables à certaines directives. Celles-ci pourraient
poser d’un cerveau pleinement fonctionnel serait notamment exiger des scientifiques qu’ils justi-
comme étudier un pancréas qui ne produit pas fient le nombre d’organoïdes de cerveau humain
d’insuline. « Pour y parvenir, il faut un modèle utilisés, qu’ils s’en servent uniquement pour des Bibliographie
d’organoïde cérébral qui ressemble vraiment à un recherches impossibles à mener d’une autre
cerveau humain. Peut-être même un organoïde façon, qu’ils limitent la douleur risquant d’être G. A. Silva et al.,
qui devienne conscient. » infligée à ces systèmes et qu’ils les éliminent de Understanding the
human brain using
Muotri se déclare agnostique quant à la défi- manière humaine.
brain organoids and
nition à utiliser pour décider si un organoïde a structure-function
atteint la conscience. À un moment donné, dit-il, LE BESOIN D’INNOVATIONS theory, biorXiv, 2020.
ces systèmes nous éclaireront peut-être sur la THÉRAPEUTIQUES
C. A. Trujillo et al.,
façon dont les cerveaux produisent des états Ces directives aideraient les chercheurs à
Complex oscillatory
conscients. Le mathématicien Gabriel Silva, de peser les coûts et les avantages de la création waves emerging from
l’UCSD, étudie d’ailleurs l’activité neuronale dans d’entités conscientes. Et nombre d’entre eux sou- cortical organoids model
les organoïdes de Muotri afin de mettre au point lignent que de telles expériences sont susceptibles early human brain
un algorithme qui permette d’en rendre compte. de fournir des informations importantes. « Il network development,
L’objectif de son projet, partiellement financé par existe des personnes réellement conscientes qui Cell Stem Cell, vol. 25,
Microsoft, est de créer un système artificiel qui souffrent de troubles neurologiques et qui ne dis- pp. 558-569, 2019.
fonctionnerait comme la conscience humaine. posent d’aucun traitement, déclare Lancaster. Si S. L. Giandomenico et al.,
nous arrêtions toutes ces recherches à cause d’une Cerebral organoids at
UNE RÉFLEXION expérience de pensée philosophique, ajoute-t-elle, the air-liquid interface
SUR LA RÉGLEMENTATION ce serait très préjudiciable aux êtres humains qui generate diverse nerve
Pour l’instant, il n’existe aucune réglementa- ont besoin d’innovations thérapeutiques. » tracts with functional
tion aux États-Unis ou en Europe qui empêcherait Il serait néanmoins possible de tester les trai- output, Nature Neurosci.,
tements sur des organoïdes cérébraux fabriqués vol. 22, pp. 669-679, 2019.
un chercheur de créer une conscience. Le groupe
des Académies américaines prévoit de publier un à partir de cellules souches de souris, ou sur des Z. Vrselja et al.,
rapport dans le courant de l’année, où il présen- modèles animaux ordinaires. De telles expé- Restoration of brain
tera les dernières recherches et tranchera quant riences alimenteraient par ailleurs les discussions circulation and cellular
functions hours post-
aux éventuelles contraintes légales requises. sur la façon d’exploiter les organoïdes humains
mortem, Nature, vol. 568,
Entre autres questions, il compte se prononcer de manière éthiquement acceptable. Hyun aime- pp. 336-343, 2019.
sur la nécessité d’obtenir le consentement d’une rait par exemple que les chercheurs comparent
personne pour créer des organoïdes cérébraux à les tracés EEG des organoïdes cérébraux de souris G. Quadrato et al.,
Cell diversity and
partir de ses cellules, ou sur la façon d’étudier et avec ceux de rongeurs vivants, ce qui renseigne-
network dynamics in
d’éliminer ces systèmes de manière humaine [le rait sur la précision avec laquelle les organoïdes photosensitive human
rapport est maintenant publié : National humains modélisent notre cerveau. brain organoids, Nature,
Academies of Sciences, Engineering, and Pour sa part, Muotri ne voit guère de diffé- vol. 545, pp. 48-53, 2017.
Medicine, « The emerging field of human neural rence entre utiliser un organoïde humain ou une
M. M. Monti et al., Willful
organoids, transplants, and chimeras : science, souris de laboratoire. « Nous travaillons avec des modulation of brain
ethics, and governance », The National Academies modèles animaux qui sont conscients et cela ne activity in disorders
Press, 2021, ndlr]. La Société internationale pour pose pas de souci, dit-il. Nous devons aller de of consciousness,
la recherche sur les cellules souches travaille éga- l’avant et s’il s’avère qu’ils [les organoïdes, ndlr] N. Engl. J. Med., vol. 362,
lement à l’élaboration de lignes directrices sur les deviennent conscients, pour être honnête, je ne pp. 579-589, 2010.
organoïdes, mais n’aborde pas la question de la le vois pas comme un gros problème. » £
N° 133 - Juin 2021
Dossier SOMMAIRE
39
p. 40
Le cercle vicieux
des TOC
COMMENT
p. 48 Interview
Obsessions, compulsions :
ça se soigne !
p. 56
Attention, POC !
VAINCRE SES
Ou les maniaques
du contrôle…
OBSESSIONS
Obsédé(e) par votre travail, vous ne
vous arrêtez que lorsque la tâche est accomplie et bien
faite. Obsédé(e) par la propreté, vous passez l’aspirateur
chaque matin… Êtes-vous « toqué(e) » ? Voilà la question à
laquelle les plus grands spécialistes répondent dans ce
dossier : si votre passion ou petite manie est une « obses-
sion positive », qui ne vous fait pas souffrir au quotidien et
ne vous prend pas tout votre temps, vous n’êtes pas atteint
de trouble obsessionnel compulsif, encore nommé TOC.
À la limite, vous êtes une personnalité obsessionnelle ou
perfectionniste, cherchant à tout contrôler, y compris votre
entourage, et peut-être qu’un jour vous devrez consulter
un psy si vous devenez insupportable…
En revanche, si vous vous lavez les mains plusieurs
fois de suite pendant des heures, car vous craignez de
transmettre le Covid-19 à autrui, votre obsession de
contamination devient en quelque sorte une « passion
négative » s’accompagnant de compulsions – le lavage
(trop) fréquent –, qui vous prennent toute votre énergie.
D’où un handicap et une souffrance.
La bonne nouvelle, c’est que les thérapies cognitivo-
comportementales (entre autres) fonctionnent souvent
très bien et atténuent drastiquement les rituels dispro-
portionnés. Surtout si vous consultez dès les premiers
mois… Il ne faut donc pas hésiter à voir un médecin.
Bénédicte Salthun-Lassalle
LE CERCLE VICIEUX
DES TOC
Par Anne-Hélène Clair, psychologue, docteure en neurosciences
et chercheuse à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à Paris.
N° 133 - Juin 2021
41
Q
trouve entravé, on parle
de trouble obsessionnel
compulsif, ou TOC.
«
£ La maladie est due
à un dysfonctionnement
de certaines zones
cérébrales. Des
traitements se révèlent
efficaces : ils corrigent
ces anomalies
cérébrales.
uand j’étais adolescente, mes copines
m’appelaient Monk, parce que je me lavais les mains toutes
les heures, souvent sans raison valable… », relate une jeune
femme souffrant de troubles obsessionnels compulsifs, ou
TOC, qui, à seulement 30 ans, se décide enfin à consulter un
médecin pour ses compulsions qui empoisonnent son quoti-
dien. Nous avons presque tous en tête ce fameux personnage
de série télévisée, Monk, (trop) méticuleux, qui vit une lingette
à la main, effrayé par tout microbe, mais arrive tout de même
à garder une activité professionnelle.
Si la peur de la saleté et le lavage incessant des mains, ou
encore les vérifications des portes, du gaz, etc., sont les types
de symptômes les plus connus de la pathologie, il en existe
bien d’autres. Mais peu importe, en fait, le comportement
répétitif que la personne atteinte réalise en boucle. Ce qui
compte, c’est la présence des critères diagnostiques du trouble
© Getty Images/Jena Ardell
N° 133 - Juin 2021
42 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
LE CERCLE VICIEUX DES TOC
handicap provoqué par les obsessions et compul- sion » – d’un trouble qui perturbe le quotidien.
sions. Les symptômes représentent souvent plu- On ne peut pas dire qu’on a un TOC parce qu’il
sieurs heures perdues dans la journée, et nous arrive de temps en temps de vérifier que
N° 133 - Juin 2021
43
notre voiture est bien fermée, que la lumière est de notre cerveau (derrière le front) : il s’agit des
bien éteinte avant de partir, ou encore parce cortex cingulaire antérieur, orbitofrontal et pré-
qu’on aime que la maison soit bien propre… Si frontal dorsolatéral.
cela ne dérange pas la personne concernée, ce Ces aires corticales se projettent – envoient
n’est pas un TOC (voir l’encadré page 44). des fibres – et donc des informations vers un
Toutefois, les TOC affectent tout de même ensemble de noyaux situés en profondeur et au
environ 3 % de la population générale… Le centre du cerveau, et appelés « ganglions de la
nombre réel de personnes atteintes est probable- base ». Ces derniers sont aussi impliqués dans les
ment sous-estimé, car nombreux sont ceux qui TOC. On parle ainsi de « dysfonctions des boucles
ressentent de la gêne ou de la honte, n’osent pas cortico-sous-cortico-corticales », car le cortex
en parler, voire n’osent plus sortir de chez eux, ce transmet des données aux ganglions de la base,
qui retarde le diagnostic et le traitement. Mais le qui les traitent puis les renvoient vers le cortex,
trouble obsessionnel et compulsif n’est pas une formant ainsi un système de boucles (voir la
maladie des temps modernes ni une pathologie figure page ci-contre).
due à l’évolution de notre mode de vie ou de notre
culture, car sa fréquence reste relativement QUAND LE CERVEAU TOURNE EN BOUCLE
constante, quelle que soit la population étudiée. Il Dans les TOC, les connexions anatomiques, à
n’existe donc pas « d’épidémie de TOC » ni d’événe- savoir les fibres constituées des prolongements
ment particulier dans l’environnement qui serait des neurones, entre les aires corticales impor-
susceptible de moduler cette fréquence : même la tantes dans la maladie et les ganglions de la base,
crise sanitaire que nous traversons depuis plus sont perturbées de diverses manières. Ces dys-
d’un an ne semblerait pas en avoir augmenté la fonctionnements sont corrélés à la gravité des
prévalence, de façon significative (contrairement compulsions : plus les fibres sont altérées, plus les
à celle des troubles anxieux et dépressifs). patients ont des troubles intenses et fréquents. Le
Ce trouble affecte autant les hommes que les nombre de fibres et leurs répartitions diffèrent
femmes, et débute généralement dans l’enfance, aussi entre les patients et les personnes qui ne
entre 10 et 12 ans. Il est fréquent d’observer, chez sont pas malades.
les jeunes, des symptômes de type obsessionnels De telles observations laissent penser que les
compulsifs, qui reposent souvent sur le jeu, TOC seraient dus à un contrôle défaillant du
comme marcher sur les bandes blanches du pas- cortex sur les automatismes gérés par les
sage piéton ou les rebords des trottoirs, ou encore
ranger les petites voitures de façon symétrique.
S’ils sont le plus souvent transitoires et n’en-
gendrent pas de handicap, il arrive qu’ils soient
aussi le début d’un trouble obsessionnel. Mais on
« Si je ne me nettoie
voit aussi des TOC se développer à tout autre âge
de la vie, à la retraite, après une promotion ou pas “correctement”
les mains, cela
une période stressante…
m’angoisse
Comme pour beaucoup de maladies neuro-
psychiatriques, nous ne savons pas encore préci-
sément pourquoi une personne développe un
TOC. Il est probable qu’il existe une combinaison
de causes biologiques, psychologiques et sociales. fortement et je
me sens obligé(e)
C’est-à-dire une part de génétique (plusieurs cen-
taines de gènes semblent associés aux TOC), une
part de dysfonctionnement cérébral, et une part
de recommencer
de personnalité et de vécu.
Ces dernières années, les recherches sur le
fonctionnement cérébral des individus atteints
de TOC ont beaucoup progressé. Grâce à un
ensemble d’études scientifiques, nous savons
que trois régions du cortex cérébral sont impli-
jusqu’à ce que je
quées dans le fonctionnement cérébral « aty-
pique » des patients. Elles sont situées à l’avant me sente mieux. »
N° 133 - Juin 2021
44 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
LE CERCLE VICIEUX DES TOC
ganglions de la base, ainsi qu’à un problème trois régions corticales, comparativement à une
d’intégration des informations corticales au sein situation expérimentale où on leur montre des
des ganglions de la base. Ce qui expliquerait images sans rapport avec leur TOC.
pourquoi les patients restent enfermés dans
leurs comportements et leurs habitudes, bien MANQUE DE FLEXIBILITÉ :
qu’ils les désapprouvent et souhaiteraient s’en TROIS AIRES CORTICALES IMPLIQUÉES
débarrasser. C’est un peu comme si leur cortex, Ces régions corticales dysfonctionnelles dans
raisonné et raisonnable, ne maîtrisait plus les les TOC seraient impliquées dans certaines situa-
actions automatiques et routinières produites tions faisant appel à des capacités cognitives
par les ganglions de la base. particulièrement touchées dans la maladie,
De plus, des analyses menées en imagerie comme la flexibilité mentale – le fait d’être
cérébrale chez les personnes atteintes de TOC ont capable de modifier ses comportements en fonc-
mis en évidence des anomalies du volume des tion de la situation, pour agir de manière plus
cortex cingulaire antérieur, orbitofrontal et pré- adaptée au contexte – et le contrôle. Au moment
frontal dorsolatéral, ainsi que des ganglions de la de changer de règle (c’est-à-dire de devoir être
base. Et plus les symptômes sont graves, plus le flexible), les patients présentent une activité plus
volume cérébral de ces zones est anormal par faible que les sujets témoins au niveau des cortex
rapport aux personnes non malades, c’est-à-dire préfrontal et orbitofrontal. Et même lorsque le
qu’il est plus important ou plus faible selon la patient arrive à changer correctement son com-
structure considérée. portement, le cortex préfrontal dorsolatéral et
En outre, il n’y a pas que le volume de ces un noyau des ganglions de la base sont moins
zones cérébrales qui diffère chez les patients actifs que chez les sujets sans TOC, comme si ces
atteints de TOC, par rapport à des personnes régions n’étaient pas efficaces d’un point de vue
saines. Leur activité se trouve elle aussi modifiée. fonctionnel, alors qu’on a vu ci-dessus qu’elles
Lorsqu’on provoque de manière intentionnelle réagissaient de façon excessive quand les symp-
des symptômes d’un TOC chez des patients (par tômes du TOC des patients étaient présents.
exemple, en leur montrant des images de mains Ainsi, on a proposé que ces dysfonctions céré-
sales, s’il s’agit d’un TOC de propreté), on mesure brales reflètent une incapacité des patients à
ainsi par IRM une activité plus importante de ces changer de comportement pathologique (les
DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE :
CE QUE N’EST PAS LE TOC…
N° 133 - Juin 2021
45
atteintes de TOC, et l’impression qu’elles ont que s’accentuent ; et plus les TOC sont réalisés, plus
« quelque chose ne va pas »… le fonctionnement du cerveau est altéré.
Comment sortir de ce cercle vicieux ?
DES HABITUDES ANCRÉES
DANS LE CERVEAU
En outre, on a observé les dysfonctions des
3%
ganglions de la base dans les TOC lors de situa-
tions impliquant des comportements répétés et
la formation des habitudes. En 2015, Claire
Gillan, de l’université de Cambridge, et ses col-
lègues ont montré que les patients persistaient à
choisir certains stimuli même si un changement
de règle du jeu faisait en sorte que ces compor- DES FRANÇAIS SERAIENT ATTEINTS DE TOC.
tements entraînaient désormais des consé- Mais ce chiffre serait en deçà de la réalité… Car nombreux sont ceux qui ont honte
quences négatives. Gillan a lié ce comportement de leurs obsessions et compulsions, et n’osent pas consulter.
à une hyperactivité du noyau caudé (faisant
N° 133 - Juin 2021
46 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
LE CERCLE VICIEUX DES TOC
N° 133 - Juin 2021
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INTERVIEW
ANTOINE
PELISSOLO
PSYCHIATRE, CHEF DU SERVICE DE PSYCHIATRIE SECTORISÉE
AU CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE HENRI-MONDOR,
À CRÉTEIL, ET SPÉCIALISTE DES TOC ET DES TROUBLES ANXIEUX.
OBSESSIONS,
COMPULSIONS :
ÇA SE SOIGNE !
En clinique, quelles sont
les obsessions et compulsions
les plus fréquentes que
vous observez chez les
patients atteints de trouble
obsessionnel compulsif,
ou TOC ?
Les obsessions les plus répandues
sont celles de contaminations, liées
à la propreté et à la souillure, et
celles dites « d’erreur », liées à la
crainte de mal faire les choses. La
plupart des patients ont au moins
une de ces thématiques : la peur des
N° 133 - Juin 2021
49
contaminations conduit aux rituels cette pathologie. Ces obsessions cor- de rituels chez un même patient
ou compulsions de lavage – c’est ce respondent à ce que l’on appelle les n’est pas forcément synonyme d’une
qu’on connaît le mieux, par exemple « phobies d’impulsion », la peur ex- plus grande gravité de la maladie.
la personne qui se lave les mains dix trême d’une perte de contrôle impul- Tout dépend de l’intensité des obses-
fois de suite – et la crainte de faire sive… Ce ne sont pas des phobies au sions et de l’angoisse associée. Par
des erreurs provoque les vérifica- sens médical du terme, mais bien exemple, un sujet peut n’avoir qu’un
tions de portes, de gaz… des obsessions liées au TOC. Qui ne seul symptôme, disons de contami-
Mais il y en a bien d’autres… Les rendent absolument pas dangereux ! nation, mais voir sa vie très pertur-
plus complexes et difficiles à décrire bée tant ses rituels de lavage
sont les obsessions dites « d’agressi- Les patients ont-ils parfois prennent de la place et du temps au
vité » : les patients ont peur d’être plusieurs types d’obsessions ? quotidien. Avec un bémol toutefois :
agressifs ou impulsifs envers autrui Oui, plusieurs configurations sont une personne qui souffre de mul-
ou eux-mêmes, parce qu’ils ont des possibles. Certaines personnes n’ont tiples types d’obsessions, de surcroît
images ou des idées violentes ou à qu’une seule thématique d’obses- depuis plusieurs années, est souvent
thématique sexuelle qui tournent sion, d’autres en ont plusieurs, à dif- plus fragile psychologiquement et
en boucle dans leur tête. De sorte férents moments de leur vie ou en risque davantage de développer une
qu’ils ont l’impression de pouvoir même temps. Souvent, les patients forme grave du TOC.
subitement devenir violents avec ont des parcours de vie avec des
leur entourage sans le vouloir. Il TOC qui durent assez longtemps, Comment distingue-t-on
s’agit d’une thématique plus rare leur trouble ayant débuté en général une obsession « bénigne »,
que les deux premières, mais que dans leur enfance : des symptômes par exemple de type amoureux
l’on rencontre régulièrement et qui apparaissent parfois tôt, puis dispa- (« je ne pense qu’à cette
provoque beaucoup de souffrance raissent, alors que d’autres obses- personne, toute la journée »)
chez les patients… Imaginez que sions s’installent. ou de rangement (« je ne veux
vous ayez peur d’agresser votre pro- C’est pourquoi je n’aime pas trop rien laisser traîner dans
chain en permanence ! parler « des » TOC comme s’il existait la maison »), d’un véritable
des troubles différents. Il s’agit d’une TOC (« je range même
Ils ont peur d’être violents, même maladie, avec un mécanisme quand c’est déjà rangé ») ?
© Unsplash/dmitry ratushny
mais passent-ils à l’acte ? commun, dans laquelle on observe Effectivement, la difficulté tient au
Non – c’est même totalement antino- diverses thématiques d’obsessions fait qu’on utilise le même terme
mique : ces actes sont contraires à la ou de compulsions. Mais le méca- – « obsession » – pour une multitude
volonté du patient, de sorte qu’il les nisme de formation et les consé- de comportements distincts qui
redoute, mais il n’y a aucun risque quences de ces pensées sont les n’ont rien à voir les uns avec les
de perdre le contrôle de soi dans mêmes et le nombre d’obsessions ou autres… Être obsédé par le football,
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50 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
OBSESSIONS, COMPULSIONS : ÇA SE SOIGNE !
et qui correspondent
seriez responsable. Cette notion de
dommage, de danger, est essentielle
pour définir le TOC. J’explique tou-
jours au patient que son obsession
est en réalité une alarme, qui permet
théoriquement d’être vigilant ou de
à un danger potentiel
corriger une erreur, mais qui se dé-
clenche de façon, le plus souvent,
inappropriée et trop fréquente. La
dépendant de soi.
compulsion vise à prévenir des dom-
mages, mais elle est en réalité sans classifications psychiatriques, on dé- à une question (en fait, un doute)
but, car le risque n’est pas avéré. finit un « spectre obsessionnel com- qui n’existe pas, et c’est sans fin, car
pulsif » (comme il en existe un pour la réponse est artificielle et n’est ja-
C’est un peu comme dans l’autisme), et la dysmorphophobie mais suffisante. Alors que nos pas-
les phobies : on a une peur en fait partie. sions classiques ne sont pas asso-
injustifiée et incontrôlable Le sentiment que le danger vient de ciées à l’anticipation d’un risque.
de quelque chose ? soi engendre une impression de res- Certes, il existe des thématiques
Oui, mais la différence entre phobie ponsabilité écrasante, ainsi que des d’obsessions autour du lien amou-
et TOC réside dans l’origine du dan- puissants sentiments de culpabilité reux dans les TOC, mais les pensées
ger perçu. Dans la phobie, le danger très angoissants. Surtout, le patient sont plutôt du type « suis-je à la hau-
vient d’une source extérieure à soi, a l’illusion qu’il a les moyens de teur de l’être aimé ? ». Certains
ressentie comme menaçante : l’agres- contrôler la situation et d’éviter les parlent également aujourd’hui de
sivité d’un animal (phobie des catastrophes redoutées. En effet, vé- « TOC du couple », qui repose en fait
chiens) ou d’une situation (phobie rifier, répéter ou nettoyer, est simple généralement sur un sentiment de
du vide). Alors que dans le TOC, le et accessible. La tentation d’effectuer jalousie et de crainte de la perte de
patient perçoit un danger provenant les compulsions et les rituels est l’amour du partenaire. Cela peut
de son propre comportement, avec la donc logique, d’autant qu’elle sou- correspondre en effet au mécanisme
crainte de ne pas bien se contrôler ou lage immédiatement la tension an- du TOC si la pensée devient obsé-
de ne pas bien maîtriser son environ- xieuse. Mais ce soulagement est arti- dante, avec l’idée de ne pas rater un
nement, au point de créer un dom- ficiel, car il répond à une crainte signe de désamour ou de tromperie.
mage grave : se contaminer, blesser irrationnelle au départ. Par exemple, Mais la jalousie repose en général
quelqu’un, provoquer un malheur… se laver les mains trois fois quand on sur d’autres types de mécanismes,
Il existe cependant des troubles un ramasse un stylo par terre ne se jus- proches parfois d’idées délirantes.
peu hybrides entre les deux patholo- tifie pas, alors qu’à l’inverse se laver Autre exemple : les idées fixes. Là
gies, comme la dysmorphophobie, les mains une fois en rentrant chez encore, ce ne sont pas des TOC à
constituée de pensées envahissantes soi, surtout en période d’épidémie, partir du moment où il n’y a pas
sur un défaut physique imaginaire. est tout à fait rationnel… cette notion de risque, de dommage.
L’obsession est bien présente, indé- D’autant que dans le trouble obses-
pendamment du regard des autres, D’où le cercle vicieux sionnel compulsif, tous les dangers
avec des pensées intrusives et sou- d’obsessions et de sont graves : « Je vais mourir, mes
vent des vérifications sur son appa- compulsions, qui n’a rien proches vont tomber gravement ma-
rence, mais la personne redoute à voir avec la passion pour lades, je vais mettre le feu à la mai-
aussi un jugement négatif des autres, le foot ou pour l’être aimé… son, écraser quelqu’un en voiture. »
ce qui correspond à une combinaison Oui, ce cercle vicieux tient au fait Avec toujours la notion de culpabi-
de TOC et de phobie sociale. Dans les qu’on tente obstinément de répondre lité en arrière-plan…
N° 133 - Juin 2021
51
Les patients ont-ils donc peur tère absurde de ces « manies », mais utile quand elle est proportionnée,
de ne pas contrôler leur vie, ne peuvent s’en empêcher, avec l’ex- mais qui devient pathologique
leurs actes… ? pression habituelle dans tous les quand elle tourne à l’obsession, aus-
Le danger est comme une épée de TOC : « C’est plus fort que moi. » si bien pour les vérifications que les
Damoclès dans leur esprit et l’idée lavages ou l’évitement des erreurs.
du contrôle est effectivement essen- Vous venez de parler Toute la problématique des TOC,
tielle. Le TOC, c’est vraiment la ma- de « manie » des chiffres c’est que l’on passe de comporte-
ladie de l’hypercontrôle. Les patients comme forme de compulsion ments initialement utiles et sains
ont besoin de tout maîtriser, en pour soulager une obsession (parce que nous sommes tous pro-
poussant le principe de précaution à de pensées interdites. grammés pour éviter des erreurs) à
son extrême : 0 % de risques. Et cela Qu’en est-il des autres manies : des comportements excessifs, gê-
porte sur n’importe quel type de su- pyromanie, érotomanie… ? nants, handicapants au quotidien, et
jet, que ce soit mal fermer une porte, Le mot « manie » a de multiples sens. l’on ne sait pas encore vraiment
contracter une infection ou avoir des Aujourd’hui, en psychiatrie, l’état pourquoi se réalise ce glissement. Le
passages à l’acte agressifs. Parfois, maniaque est l’inverse de la dépres- diagnostic repose donc sur la gravité
cela va encore plus loin, jusqu’au sion : c’est une excitation excessive. du handicap dans la vie courante.
besoin d’hypercontrôler ses propres Mais le terme est né au XIXe siècle : J’explique souvent aux patients
pensées. Ce sont alors les obsessions pour les psychiatres, la manie repré- qu’ils n’ont pas un cerveau complè-
dites « de pensées interdites » : les sentait tout ce qui est déviant, anor- tement dysfonctionnel et « extrater-
sujets ne supportent pas d’avoir une mal. Et n’était pas du tout spécifique restre », différent de la normale. Ils
« mauvaise » pensée, une idée malve- d’une pathologie. ont plutôt des systèmes cognitifs et
nue (un fantasme ?), souvent dé- L’érotomanie, quant à elle, n’est pas cérébraux très développés et très
viante au niveau moral, autour de la du tout un TOC, mais un symptôme efficaces pour essayer de se protéger,
sexualité ou de la religion. Ils tentent délirant que l’on retrouve surtout même « trop » en fait. C’est un pro-
donc en permanence de surveiller dans la schizophrénie. Il existe blème de réglage.
leurs pensées, sur le moment et sou-
vent longtemps après, ce qui devient
invivable, car il est notamment im-
possible de s’empêcher volontaire-
Être obsédé par le football n’est pas
ment d’avoir certaines pensées. un trouble obsessionnel compulsif ;
Comment contrôlent-ils
ce genre de pensées
c’est une passion qui, certes, est parfois
obsessionnelles ? Quels dévorante, avec quelques inconvénients
rituels ou compulsions
mettent-ils en œuvre ? par moments, mais ce n’est pas pathologique.
De même que pour les obsessions de
contamination ou d’erreur, les pa-
tients cherchent des solutions qui les d’autres troubles que l’on qualifie de Quelles sont donc
rassurent : chasser une mauvaise « troubles impulsifs », comme la pyro- les conséquences des
pensée ou l’annuler, grâce à d’autres manie ou la kleptomanie. Ils ne cor- obsessions au quotidien ?
pensées ressenties comme positives respondent pas à des TOC, mais il est Dans les premiers temps, les obses-
ou conjuratoires. Ce mécanisme est vrai que certains patients cumulent sions poussent les patients à modifier
proche de la superstition et de la les deux problèmes, probablement leurs comportements sans trop de
pensée magique : on se répète une pour des raisons cérébrales, car ce complications : « J’évite de passer à
phrase, une litanie, une prière et, sont en partie les mêmes réseaux tel endroit, je me lave les mains sou-
parfois, des suites de chiffres. C’est cérébraux qui dysfonctionnent, en vent, je vérifie la porte plusieurs fois,
d’ailleurs ce que l’on appelle l’arith- particulier le circuit cérébral de la je pense positif… » Tout cela semble
momanie, qui consiste à compter ou récompense, qui mobilise une partie assez facile à réaliser au début. Et,
à chercher des chiffres favorables des ganglions de la base (impliqués sur le moment, ils se sentent mieux,
(ou à en éviter certains, perçus dans les TOC, voir l’article page 40). soulagés, avec un sentiment de satis-
comme défavorables), pour se rassu- Pour bien comprendre les TOC, il faction assez fort, car ils ont l’impres-
rer. Tout cela occupe l’esprit mais, on faut rappeler qu’il existe une conti- sion (l’illusion) d’avoir échappé à une
le voit, de manière complètement nuité entre le normal et le patholo- situation critique. Le mécanisme cé-
artificielle, et d’ailleurs les patients gique. Par exemple, le perfection- rébral sous-tendant cette réaction de
ont eux-mêmes conscience du carac- nisme est une tendance qui peut être soulagement, notamment le système
N° 133 - Juin 2021
52 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
OBSESSIONS, COMPULSIONS : ÇA SE SOIGNE !
de la récompense qui provoque une dans le sommeil pour ne plus penser. rêt » soit défaillant. Car, je le répète,
libération de dopamine, est assez Imaginez que vous êtes en train de il est normal d’avoir des alertes dans
proche de celui associé aux addic- rédiger votre article pendant que le cerveau. Elles sont comme l’équi-
tions. Et cela explique que, lorsque 30 à 40 % de votre esprit réalise autre valent des notifications sur votre or-
l’obsession revient, la solution qui chose en même temps, par exemple, dinateur ou votre smartphone : vous
s’impose à la personne est de repro- compter… Il s’agit là d’un handicap les voyez, les effacez et passez à
duire le même comportement. D’où moins visible et moins mesurable, autre chose. Dans les TOC, les notifi-
le cercle vicieux : les actes compulsifs mais très invalidant, qui se trans- cations reviennent sans cesse, sans
renforcent certainement les boucles forme souvent en dépression. que l’on sache pourquoi ni comment
cérébrales entre obsessions et com- les stopper ou les maîtriser…
pulsions, tout comme ces dernières Pourquoi ces idées Il y a là comme un parallèle avec les
renforcent le dysfonctionnement des obsessionnelles tournent-elles superstitions. On ignore pourquoi
boucles (voir l’article page 40). en boucle dans leur tête ? l’homme est superstitieux (les ani-
Au bout de tout ça apparaît un vrai Les boucles qui relient les ganglions maux ne le sont pas a priori), mais le
handicap fonctionnel. Quand le sujet de la base au cortex sont déréglées, fait d’avoir ce genre de pensées « ma-
est incapable de vivre ou de travailler hyperactives dans des situations où giques » ou même religieuses est pro-
normalement parce qu’il passe trois elles ne devraient pas l’être, et c’est bablement utile à l’être humain, no-
heures par jour à fermer la porte ou cela qui engendre obsessions et com- tamment en le rassurant sur sa
à se laver les mains, la perte de pulsions. Mais aujourd’hui, on est destinée, tant qu’elles ne dérapent
temps est mesurable. Mais la princi- encore bien incapable de dire si ce pas en devenant incontrôlables.
pale conséquence est la souffrance sont effectivement ces boucles qui Dans les TOC, tout est démesuré.
des patients : l’envahissement de la sont hyperactives ou, au contraire, si
pensée et des émotions par les obses- elles fonctionnent normalement, Quelles sont
sions se traduit par de forts niveaux mais sans être suffisamment contrô- les aptitudes cognitives
d’angoisse, mais aussi de colère, de lées par d’autres structures céré- qui dysfonctionnent
dégoût, d’irritabilité, de honte… brales. Les deux effets peuvent d’ail- chez les patients ?
Autant d’émotions négatives qui leurs coexister : trop d’obsessions et Quand on fait passer des bilans
« usent » psychologiquement. Finale- pas assez de contrôle de ces der- neuropsychologiques, on constate
ment, certaines personnes, notam- nières… Pour l’instant, on est juste généralement que presque toutes
ment celles ayant des obsessions de en mesure de constater le mécanisme les fonctions cognitives du patient
pensées interdites, ont peur toute la en œuvre dans le cerveau et, claire- sont altérées. Mais ce sont surtout
journée et finissent par se réfugier ment, il semble que le système « d’ar- des conséquences du trouble : l’es-
prit est tellement occupé et fatigué
que le sujet devient moins concen-
tré, moins attentif, moins perfor-
ce type de pensée !
le doigt sur une aptitude cognitive
qui serait spécifiquement altérée
dans les TOC, en dehors des doutes
Le TOC de pensées
dienne, nous faisons beaucoup de
choses de façon automatique et il
m’arrive souvent, par exemple, de ne
N° 133 - Juin 2021
53
L
problème est différent lorsqu’on a un a crise sanitaire actuelle bouscule
TOC : cette fois, on a besoin de se ras- nos habitudes, nos comportements,
surer sur le fait qu’on a bien réalisé nos relations sociales et a un impact
les choses, donc il faut s’en souvenir considérable sur nos vies et notre santé,
et par conséquent avoir été attentif y compris mentale. Les équipes de
au moment où on l’a fait. C’est toute recherche de l’Institut du cerveau et de la
la problématique du trouble : accep- moelle épinière (ICM), à Paris, proposent,
ter l’idée que l’on est capable de réa- à tous, une application web nommée
liser quelque chose même lorsqu’on Covid-Out pour lutter contre les
n’est pas très concentré, grâce à nos souffrances mentales liées à l’épidémie :
nombreux automatismes efficaces. Le https ://www.covidout.fr
TOC serait ainsi un trouble de la mé-
tacognition, de la capacité à avoir
une conscience juste et équilibrée de
sa propre conscience, de sa mémoire,
de ses actes, de ses pensées. Il faut toutefois mentionner un évé- sionnels compulsifs engendre par-
nement fréquemment déclencheur fois des comportements de type
Quelles sont les causes du trouble obsessionnel : le fait obsessionnels chez les enfants, no-
probables ou facteurs d’avoir un enfant – et ce, aussi bien tamment des conduites de vérifica-
déclenchants des TOC ? pour une femme que pour un tion. On transmet souvent un cer-
Le fait de savoir que des boucles homme. Des adultes âgés de 25 à tain nombre de nos comportements
cérébrales sont altérées ne nous 30 ans, qui vont bien ou présentent ou habitudes à nos enfants. Ou
donne pas une cause des TOC ; elles quelques troubles psychologiques alors, c’est l’inverse : les jeunes en
représentent plutôt une photogra- légers, comme de l’anxiété, « dé- ont tellement assez de voir leur pa-
phie des anomalies. Sauf dans un compensent » quand ils ont leur rent tout vérifier et contrôler qu’ils
cas particulier, très rare : certaines premier bébé ou leur deuxième… adoptent des conduites opposées !
personnes ont des lésions céré- En cause probablement : les respon- On dispose également d’études
brales, après un accident vasculaire sabilités associées à la naissance, ou scientifiques sur les facteurs auto-
ou une intoxication par exemple, un besoin de tout contrôler qui immuns (des anticorps qui s’at-
dans les zones du cerveau qui en- s’accentue quand on devient parent. taquent à nos propres cellules) et
gendrent un TOC. Dans ce cas, on Les changements professionnels, les anomalies inflammatoires de
est certain que le trouble est provo- quand ils impliquent un surcroît de défense de l’organisme. En 1998,
qué par une anomalie neuronale. responsabilités, jouent aussi parfois des chercheurs américains ont dé-
Mis à part cela, les patients souf- ce rôle déclencheur. crit un syndrome de TOC post-in-
frants de TOC ont un cerveau (qua- fectieux qu’ils ont baptisé Pandas
si) normal du point de vue anato- Quel est l’âge moyen (pour pediatric autoimmune neuro-
mique et structurel (certaines d’apparition du trouble ? psychiatric disorder associated with
variations de volume ayant été mises Existe-t-il une transmission streptococcal infections). Il s’agissait
en évidence). À l’heure actuelle, on familiale ? d’enfants ayant développé des
ne reconnaît pas une cause unique La plupart du temps, le TOC débute symptômes de TOC après une an-
du TOC, mais des facteurs qui y dès l’enfance ou l’adolescence. Des gine à streptocoques, ce qui fait
concourent, comme c’est le cas dans facteurs génétiques sont probable- penser à une réaction auto-im-
de nombreuses maladies psychia- ment en cause, même si on n’a pas mune. D’autres mécanismes auto-
triques. Ainsi, les événements de vie encore défini de gènes précis ni de immunitaires sont suspectés, mais
graves, traumatisants, qui pro- transmission familiale, contraire- pour l’instant ces hypothèses n’ont
voquent de façon générale des dé- ment à ce que l’on sait pour d’autres pas de conséquences pour le dia-
pressions ou des troubles anxieux, maladies psychiatriques comme le gnostic ou les traitements.
favoriseraient également le dévelop- trouble bipolaire et la schizophré-
pement de ce trouble : traumatismes nie. Les chercheurs ont simplement La consommation
sexuels, agressions, décès ou sépara- constaté un surrisque dans cer- de substances toxiques
tions. Avec, parfois, des effets à re- taines familles, mais la transmission (alcool, cannabis, tabac…)
tardement, de plusieurs mois ou peut être aussi bien génétique joue-t-elle un rôle dans
années, et cumulatifs – le sujet déve- qu’éducative… En effet, malheu- le déclenchement des TOC ?
loppant un TOC seulement au deu- reusement, le seul fait d’avoir des Non, pour une fois, ce ne serait pas
xième ou troisième trauma. parents ayant des troubles obses- le cas, contrairement à ce qui se
N° 133 - Juin 2021
54 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
OBSESSIONS, COMPULSIONS : ÇA SE SOIGNE !
passe pour d’autres maladies psy- pratiquer de manière excessive, par- Justement, quels traitements
chiatriques comme la schizophrénie. fois jusqu’au TOC. Et même avant mettez-vous le plus souvent
Pour l’instant, on n’a pas trouvé de l’arrivée du coronavirus, je trouvais en œuvre ?
substances qui favoriseraient les qu’il existait un « marketing » du D’abord, les thérapies cognitivo-
TOC ou les intensifieraient. En cli- TOC : l’hygiénisme parfois excessif et comportementales, ou TCC, effi-
nique d’ailleurs, on observe quelque- la commercialisation de lingettes ou caces chez de nombreux patients.
fois – quoique rarement – l’inverse : de solutions diverses pour le lavage Surtout si ces derniers sont pris en
certains patients consomment des des mains ou le ménage. On consta- charge précocement, avant que les
substances, comme l’alcool ou le tait déjà que cela provoquait une symptômes ne s’amplifient et que les
cannabis, pour atténuer leurs obses- surutilisation chez certaines per- boucles de rétroaction cérébrales
sions. Mais, le plus souvent, les su- sonnes vulnérables au TOC. deviennent de plus en plus actives.
jets atteints de TOC ont plutôt ten- D’où l’intérêt de la psychoéducation
dance à se protéger de tout ce qui Vous constatez donc et de la diffusion des informations,
serait dangereux, y compris des dro- que l’épidémie de Covid-19 comme vous le faites, pour alerter la
gues… Toutefois, on a constaté a augmenté la prévalence population sur ce trouble et le dépis-
qu’environ 20 % des patients (sou- des TOC… ter au plus tôt. Si on attend 15 ans
vent les cas les plus graves) pré- Effectivement, nombre de mes pa- après le début d’un TOC, il est forcé-
sentent aussi un risque accru d’ad- tients ont vu l’intensité de leur ment plus difficile de s’en sortir,
dictions, à l’alcool ou au jeu trouble augmenter au début de même si cela est toujours réalisable.
pathologique par exemple. Proba- l’épidémie, notamment ceux qui Encore faut-il aussi que les patients
blement parce que les mécanismes craignent les contaminations. Cer- adhèrent à la thérapie ; pour cette
cérébraux des TOC et des addictions tains ne mettent plus du tout le nez raison, on passe d’abord deux ou
mettent en jeu les mêmes structures dehors depuis plus d’un an… À trois séances à leur expliquer le pro-
blème, on leur conseille des livres
sur le sujet afin qu’ils acceptent la
TCC et les médicaments – essentiel-
Les patients ont peur d’être lement des antidépresseurs – pres-
crits en cas de symptômes intenses.
agressifs ou impulsifs envers autrui
Pourquoi utiliser
ou eux-mêmes, parce qu’ils ont des antidépresseurs
des images ou des idées, souvent contre des TOC ?
Je comprends que cela puisse sem-
de violence ou à thématique sexuelle, bler étrange, d’autant que la plupart
des patients ne souffrent pas de dé-
qui tournent en boucle dans leur tête. pression. Mais c’est ainsi : seules les
substances de la famille des antidé-
presseurs fonctionnent contre les
troubles obsessionnels compulsifs,
cérébrales, sur lesquelles reposent l’inverse, maintenant que tout le et il y a maintenant plus de trente
entre autres nos comportements monde fait attention aux gestes bar- ans qu’on les utilise. Je les appelle
impulsifs (et la recherche d’une ré- rières et se protège, quelques-uns donc des anti-TOC. Au niveau du
compense ou d’un soulagement). de mes patients se sentent mieux et cerveau, on peut comprendre pour-
plus rassurés ! Mais, en moyenne, quoi cela fonctionne : ces molécules
Quelles sont les autres causes les sujets sont plus angoissés et sont ce qu’on appelle des inhibiteurs
favorisant les TOC ? leurs TOC sont plus intenses. Et de la recapture de sérotonine ; or la
Les facteurs socioculturels ! On le même si aucune étude ne l’a encore sérotonine est – avec la dopamine –
voit très bien en ce moment, avec la prouvé, on commence à observer le neurotransmetteur le plus actif au
crise sanitaire… Quand la société ou une augmentation de la prévalence niveau des ganglions de la base, les
les médias répètent sans arrêt qu’il de ces troubles dans la population structures sous-corticales impli-
faut sans cesse se laver les mains et générale. Je crains que cela ne s’ag- quées dans la genèse des comporte-
faire attention aux contaminations, il grave dans les mois à venir, car ments compulsifs et des obsessions.
est presque certain que les personnes cette pathologie se déclenche sou- Il faut toutefois rappeler que les
les plus sensibles ou fragiles, ou les vent à retardement et les personnes antidépresseurs représentent un
plus anxieuses, risquent de se focali- concernées ont honte de consulter traitement au long cours, à réserver
ser sur ces comportements et de les au début de leurs symptômes. aux TOC graves.
N° 133 - Juin 2021
55
60 %
Celui-ci est notamment amené à tômes (voir l’article page 40). Cette
noter ce qu’il fait de « normal » d’un technique est très efficace mais éga-
côté, et de l’autre côté ce qu’il fait de lement très invasive, ce qui suppose
« moins normal » ou de moins utile… que le patient accepte l’opération
Cela prend parfois du temps, le pa- DES PATIENTS chirurgicale associée, qui n’est pas
tient devant prendre conscience de dénuée de risque. Depuis longtemps,
ce sur quoi il doit agir. on essaie de réaliser des stimulations
Puis vient l’intervention elle-même : guérissent plus cérébrales, électriques ou magné-
ou moins rapidement
la principale technique utilisée se tiques, du même type que la stimula-
de leur TOC, mais
nomme « exposition avec prévention presque complètement, tion profonde, mais de façon non in-
de réponse ». Pour la mettre en uniquement grâce aux vasive, avec les électrodes posées sur
œuvre, on demande au patient de se TCC et aux médicaments. le crâne et qui stimulent le cerveau
confronter, petit à petit, par étapes, à « à distance ». Malheureusement, au-
tout ce qui déclenche ses obsessions, jourd’hui, la technique n’est pas en-
et de résister le plus longtemps pos- core suffisamment efficace dans la
sible à l’envie de réaliser le compor- plupart des cas.
tement associé. Il pourra s’agir, pour
une personne souffrant d’un TOC de Guérit-on totalement
vérification de la porte fermée, de de ses « TOC » ?
sortir de chez elle en fermant la Plus de 60 % des patients récupèrent
porte, puis de noter combien de plus ou moins rapidement mais
temps elle a résisté au besoin d’aller presque complètement, uniquement
vérifier que la porte est bien fermée. grâce aux TCC et aux médicaments.
Et, progressivement, de retourner On ne peut pas toujours parler de
moins souvent faire cette vérification. guérison totale, mais les périodes de
Au départ, il ne s’agit pas de s’inter- parasitage et de gêne sont bel et
dire complètement le comporte- bien réduites, rendant aux sujets
ment compulsif, mais de parvenir Bibliographie une vie normale. Pour certains, le
graduellement à ne pas y succom- résultat est partiel voire insuffisant,
ber. À force, on brise le cercle vi- A. Pelissolo, Place des alors il faut prolonger et adapter les
cieux des obsessions et des compul- antidépresseurs dans traitements au cas par cas. Le point
la prise en charge du clé est la précocité des interven-
sions, car on isole les deux dans le
trouble obsessionnel-
cerveau, lequel se réhabitue peu à tions : plus les TOC durent, plus le
compulsif, La Revue
peu à subir des alertes régulières du Praticien, vol. 70(7), cercle vicieux s’ancre dans les ré-
sans forcément penser à chaque fois pp. 799-800, 2020. seaux cérébraux et réduit l’efficacité
qu’il s’agit d’un réel danger. des thérapies. Il est donc préférable
A. Pelissolo,
Troubles obsessionnels- de consulter dès les premiers signes,
D’autres thérapies compulsifs, EMC Traité et pour cela il n’est pas nécessaire
existent-elles ? de Médecine Akos, d’aller voir à tout prix LE spécialiste
Oui, dans les formes graves et résis- vol. 14(2), pp. 1-7, 2019. des TOC : un psychiatre, un psycho-
tantes au traitement, on peut associer M. Morgiève logue ou un médecin généraliste
d’autres médicaments à l’antidépres- et A. Pelissolo, sont tout à fait en mesure de traiter
seur prescrit initialement. Ou d’autres TOC : la maladie de ces troubles, sans être des ultraspé-
types de thérapie, comme la médita- l’hyper-contrôle, cialistes mondiaux de la question. £
tion de pleine conscience – à condi- Le Cavalier Bleu, 2016. Propos recueillis
tion que le sujet y adhère (en général, par Bénédicte Salthun-Lassalle
N° 133 - Juin 2021
56 DOSSIER COMMENT VAINCRE SES OBSESSIONS
ATTENTION, POC !
OU LES MANIAQUES
DU CONTRÔLE…
Par Vincent Trybou, psychologue clinicien cognitivo-
comportementaliste et psychothérapeute au Centre des troubles
anxieux et de l’humeur (CTAH), à Paris.
EN BREF collègues : le courant ne passe pas avec eux, car sont décrites par des termes comme « rigidité,
ils ne sont pas sérieux. Si les gens faisaient froideur, intransigeance, critique inlassable ».
£ Certaines personnes
contrôlent tout dans comme il l’entend, tout serait mieux, cela ne fait Avec elles, il est souvent difficile de garder
leur vie, avec un souci aucun doute ! patience au fil des ans.
de perfection et du détail En très peu de temps, je comprends que cet Bien entendu, les individus obsessionnels ne
poussé à l’extrême. homme de 40 ans souffre d’une personnalité souffrent nullement de leur façon d’être… Ce
Souvent, c’est parce
qu’elles estiment que obsessionnelle compulsive, ou « POC », un sont en général leurs proches qui leur demandent
tout serait mieux si trouble de la personnalité reconnu par les scien- de consulter un psychologue, tant ils ne sup-
on pensait tous comme tifiques et les psychiatres, mais qui n’a rien à portent plus leur côté inquisiteur et leurs
elles ou par peur de voir avec le trouble obsessionnel compulsif ou remarques. Et, comme Hervé, ce genre de per-
ne pas être à la hauteur TOC, à part peut-être le fait que certaines idées sonnalité adhère peu à la thérapie : les obses-
ni appréciées…
tournent en boucle dans la tête des sujets (nous sionnels estiment que le monde fonctionnerait
£ Ce sont des y reviendrons). La personnalité obsessionnelle mieux si tout le monde était comme eux. Car ils
personnalités compulsive toucherait entre 3 et 8 % de la popu- ont toujours raison. On pourrait résumer en
obsessionnelles lation. Elle se caractérise par un besoin d’ordre, disant que les POC ont le syndrome de l’« huis-
compulsives ou, du
moins, perfectionnistes. de perfection, de contrôle, de recherche d’excel- sier de justice », personnage réputé gérer les
Elles finissent par souffrir lence, dans tous les secteurs de la vie. situations par l’application de règles inflexibles,
de leur rigueur ou sans considération pour la détresse des autres.
par faire souffrir leurs LE SYNDROME DE L’HUISSIER DE JUSTICE
proches, qui ne Les personnes ayant une POC – nous les LE SYNDROME DU POMPIER
les supportent plus.
qualifierons d’« obsessionnelles » dans cet « HYPERBOSSEUR »
£ Les thérapies cognitivo- article, par abus de langage (voir l’encadré page Autre ambiance, ou presque, dans mon
comportementales ci-contre) – adorent les détails, les règles, l’orga- cabinet : le même jour, une jeune femme vient
les aident en général nisation, les choses bien carrées. Rien ne également me parler, seule, pour son premier
à lâcher prise
et à mener une vie dépasse, rien n’est fait de travers. Elles rendez-vous. Céline, 32 ans, me dit tout de
plus tranquille. manquent de flexibilité, sont plutôt conserva- suite qu’elle souffre « d’être ce qu’elle est »…
trices et froides. Hautement scrupuleuses de la Car elle ne cesse de travailler. Arrivée le matin
loi, de l’éthique et de la morale, elles travaillent avant ses collègues, elle ne fait presque aucune
comme dix, n’aiment pas perdre leur temps ou pause, mange avec un lance-pierre à midi (et
être oisives, et ont du mal à déléguer, de peur culpabilise si elle déjeune avec ses collègues et
que la tâche soit mal faite. Elles jugent les prend autant de temps qu’eux), sort tard du tra-
autres surtout en fonction de leur niveau de per- vail. Combien de fois lui est-il arrivé de rappor-
formance. Maniaques du contrôle selon leur ter des dossiers à la maison, le soir ou le week-
entourage, parfois appelées control freaks, elles end… Pour son travail, elle lit des tonnes
d’ouvrages pour cerner le mieux possible ce
qu’on lui demande, des livres cités dans des
livres… Elle ingurgite sans broncher dix réfé-
Les individus
rences là où les autres en utiliseraient deux ou
trois. Quand elle travaille sur internet, elle ne
lit pas cinq ou six articles, mais vingt ou trente,
obsessionnels
qu’elle a toutes les peines du monde, après
coup, à synthétiser.
En effet, la jeune femme considère toute
estiment que
quantité considérable de données, il lui faut dix
heures pour accomplir une tâche que ses collè-
gues finissent en deux. On lui demande vingt
le monde irait
pages, elle en rend cinquante. Éprise de détail,
elle soigne tout dans les moindres recoins.
Ce qui ne signifie pas qu’elle en retire de la
est pas dupe. Cela fait des années qu’elle travaille ne soit pas parfait. Le perfectionniste et l’obses-
ainsi, m’explique-t-elle. Enfin… jusqu’à son pre- sionnel travaillent d’arrache-pied afin de confir-
mier burn-out. Un matin, elle fait une crise de mer leur valeur, de se prouver qu’ils valent
larmes. Et est incapable de franchir le palier de quelque chose, selon ce que les autres diront du
son appartement pour aller travailler. résultat final d’une tâche, avec la peur perma-
Céline souffre de perfectionnisme. Un symp- nente d’être désavoués, pris en flagrant délit
tôme de la personnalité obsessionnelle compul- d’échec. D’où une absence totale de limites dans
sive, même si ce n’est pas une pathologie reconnue la performance, qu’elle soit professionnelle, spor-
à part entière comme distincte de la POC, en dépit tive, familiale, sociale…
des efforts répétés des experts en ce sens depuis Céline s’est ainsi exprimée devant moi : « Si
les années 1960. Ce serait pourtant logique, car j’échoue, mon patron va me critiquer, et je vais
les perfectionnistes ne possèdent pas les autres m’effondrer. Mon patron ne fera que me dire la
symptômes typiques des obsessionnels. Par vérité : je suis une ratée, une bonne à rien. Je l’ai
exemple, ils sont très « émotionnels » et cherchent toujours su au fond de moi. » Le perfectionnisme
à ne jamais déplaire. Mais leur recherche d’excel-
lence et leur peur de passer pour dilettantes se
retournent contre eux.
T
et leur besoin d’être acceptés. Au fond d’eux- out le monde a ses petites obsessions ou manies. Cédric est obsédé
mêmes, ils sentent bien que leur fonctionnement par le foot et ne veut rater aucun match. Sarah est obsédée par Kim
est « hors norme » et leur porte préjudice. S’ils le Kardashian et ne manque aucune de ses stories Instagram. Thierry bichonne
pouvaient, ils se reposeraient, relâcheraient la sa voiture tous les week-ends et serait furieux de découvrir une rayure.
pression, mais c’est plus fort qu’eux, ils n’y Anaïs est très en colère quand elle voit qu’elle a pris deux kilos. Kevin fait
arrivent pas. Ils ont par ailleurs tendance à être la queue, depuis six heures du matin, pour avoir le nouveau smartphone
très altruistes, chaleureux, prennent peu soin dont on parle sans cesse sur Facebook depuis un mois. Ici, on parle
d’eux, et font passer autrui avant leurs propres de passions : la personne aime ce qu’elle fait, cela lui procure du plaisir.
intérêts. Ils s’affirment peu et ont peur de dire D’autres personnes ont des marottes : elles tournent en boucle sur un sujet
« non ». Mais ils ont besoin de sauver le monde et d’actualité. Soit parce que cela les passionne, soit parce que cela les agace
sont sensibles à la douleur des autres. On pour- et que le monde leur paraît devenir fou.
rait résumer en disant que les perfectionnistes Nous avons donc tous des sujets passionnels, et des choses qui nous énervent.
ont le syndrome du pompier « hyperbosseur ». Ces « obsessions » ne sont pas inquiétantes, car elles ne nous empêchent pas
Il est important de bien distinguer les de « fonctionner », c’est-à-dire de mener à bien notre journée. Elles ne décident
TOC (voir l’article page 40) des POC. Les pre- pas de notre vie à notre place. Elles y prennent une place qui reste mesurée
miers représentent une pathologie psychiatrique et ne perturbent pas notre vie sociale, familiale ou professionnelle.
dans laquelle les patients ont des pensées intru- Le terme « obsession » du langage courant est donc, comme on le voit,
sives, répétitives et non désirées (des obsessions), très éloigné des obsessions du trouble obsessionnel compulsif (TOC)
qui s’accompagnent d’une forte anxiété, d’un ou de la personnalité obsessionnelle compulsive (POC).
doute profond et du besoin de réaliser des rituels
précis (des compulsions) pour les apaiser. Ces
personnes souffrant de TOC ne supportent pas
leurs pensées et veulent s’en débarrasser. Alors
que les individus obsessionnels ont une certaine
façon de voir le monde, rigide, à la recherche de
l’excellence et de la perfection. Ils ne se sentent
pas obligés d’agir de la sorte pour chasser des
© Shutterstock/Kathy Hutchins
Sortir du
est donc une tentative désespérée de ne jamais se
retrouver nez à nez avec cette estime de soi pro-
fondément défaillante. Vivre normalement, aux
yeux de ces perfectionnistes, c’est échouer – et
tomber en dépression. Se tuer à la tâche, c’est en
réalité une fuite pour éviter de se sentir mal…
perfectionnisme
Même si cette technique revient à s’user psychi-
quement (voir l’encadré page ci-contre). et de la personnalité
UN TROUBLE DE L’ESTIME DE SOI
Le problème qui touche à l’estime de soi est obsessionnelle,
c’est accepter
clairement visible et reconnu de la part des per-
fectionnistes : ils n’ont aucune confiance en eux.
Il est aussi très présent chez les obsessionnels,
mais se cache sous un vernis plus « arrogant, pré-
tentieux et donneur de leçons ». Car comme vous
l’avez compris, le perfectionniste a une forte com-
de faire la paix
passion pour autrui, alors que l’obsessionnel a
plutôt tendance à le mépriser. Et bien entendu, avec son sentiment
d’imperfection
certaines personnes sont à cheval entre les deux
profils de personnalité. Comment certains indi-
vidus en arrivent-ils à se construire ainsi ?
et d’infériorité.
Ce qu’il y a de frappant chez tous les perfec-
tionnistes et obsessionnels, c’est qu’ils ont géné-
ralement eu la « même » enfance, à savoir que l’on
peut comprendre la construction de leur person-
nalité comme un apprentissage parental. En sim-
plifiant, quatre types d’éducation expliquent en entendu, ce sont alors les exigences parentales et
grande partie leur fonctionnement. leur style d’affection qui sont pathologiques, pas
Le premier : les parents avaient des attentes la valeur de l’enfant, mais ce dernier visait sa
importantes envers l’enfant, qui a tout fait pour survie affective et n’avait pas assez de recul.
les rendre heureux et ne pas les décevoir, pour
gommer tous ses points négatifs et être un enfant UN APPRENTISSAGE PARENTAL
modèle, voire lisse. D’où le manque de dévelop- Le deuxième type d’éducation se situe à l’op-
pement d’une personnalité propre et de la capa- posé de celui-là : les parents ont trop couvé l’en-
cité à s’affirmer. Dans ce type d’éducation, le mot fant, faisant tout à sa place, de peur qu’il ne réus-
d’ordre serait : « Je dois réussir pour être aimé(e), sisse pas. Mais le jeune ne comprenait pas que ses
pour qu’on soit fier de moi. La perfection permet parents étaient pathologiquement inquiets : lui
de ne pas être rejeté(e). » Les parents ont souvent pensait plutôt qu’il était incapable de gérer sa vie,
bien fait comprendre à leur enfant qu’il n’y a pas de se débrouiller seul, et qu’il n’avait pas les apti-
de câlins quand il n’y a pas de bonnes notes… Le tudes suffisantes pour surmonter les obstacles.
jeune n’existait que par ses performances : il ne Le troisième schéma éducatif repose sur la
méritait rien sans résultats probants. Bien différence. L’enfant se sentait très différent de ses
camarades, pour diverses raisons : pauvreté, han-
dicap, culture étrangère… Le jeune a alors voulu
compenser à tout prix grâce à l’école ou au tra-
vail, pour détourner l’attention sur ce qui faisait
ENTRE 3 ET 8 %
sa différence (sous-entendu sa « tare »). Son objec-
tif était de plaire à ses parents et de leur rendre
hommage pour tous leurs sacrifices, ou bien de
DES FRANÇAIS AURAIENT UNE PERSONNALITÉ se faire accepter par les camarades à l’école, mal-
gré la différence.
OBSESSIONNELLE COMPULSIVE (POC). Le dernier type d’éducation est tout autre : les
Elle se caractérise par un besoin d’ordre, de perfection, de contrôle, de recherche parents ont très bien réussi leur vie et représentaient
d’excellence, dans tous les secteurs de la vie. des modèles (universitaires, d’intelligence, de
beauté…) tellement brillants que l’enfant sentait
qu’il n’arriverait jamais à leur niveau. Dans ces cas- souffrir ou faire souffrir leurs proches.
là, le jeune a oublié l’histoire de vie de ses parents Heureusement, les thérapies cognitives et compor-
et les milliers d’échecs et de tentatives ratées qu’ils tementales sont très adaptées à leur fonctionne-
ont dû surmonter pour en arriver là où ils en ment pour diminuer leurs « symptômes », du moins
étaient. Un peu comme si ses parents avaient été chez les individus qui décident de consulter un
directement parfaits sans faire d’efforts, irradiants psychologue. Avec pour objectif de s’astreindre à
comme des dieux qui n’échouaient jamais… réduire les comportements qui les font souffrir et
de remettre en cause la notion de perfection…
COMMENT SORTIR Le thérapeute leur propose en général dix
DU BESOIN D’ÊTRE PARFAIT… étapes à travailler (voir l’encadré page 62) :
Mais au-delà de leur éducation, les personna- réduire les horaires de travail ; réintégrer des loi-
lités obsessionnelles compulsives ou, dans une sirs sans culpabiliser ; comprendre que les
moindre mesure, perfectionnistes finissent par modèles vénérés sont en fait imparfaits et ont
LE PERFECTIONNISTE ET L’OBSESSIONNEL
AU TRAVAIL
T out travail nécessite un certain degré d’exigence, c’est un fait, surtout dans certains métiers où la moindre
erreur serait extrêmement grave. Mais quand on travaille pour plaire aux autres, ou plutôt ne pas leur déplaire,
et pour compenser une mauvaise estime de soi, toutes les normes deviennent pathologiques. L’obsession
de la perfection commence alors à prendre le pas sur la tâche elle-même et sur la santé de l’individu qui travaille ainsi…
1 5
Diminuer les horaires de travail, afin de ne pas faire 13 mois en 12 Supprimer les activités « obsessionnelles »
et de ne pas rester plus de 50 heures par semaine sur le lieu de travail. dans lesquelles la personne est perfectionniste,
D’abord, on commence par ne plus apporter de dossiers à la maison, surtout s’il n’y a aucun danger à l’être moins :
puis on sort un peu plus tôt le soir, par exemple en retirant 30 minutes le rangement de la maison, le repassage
chaque semaine, jusqu’à atteindre les mêmes horaires que les de choses qui ne nécessitent pas d’être parfaites,
collègues. Il s’agit aussi de prendre les mêmes pauses que les autres. la surveillance des devoirs des enfants, le rendu
Il est très compliqué, mais important, que le perfectionniste comprenne de documents faisant 100 pages…
que le repos permet au cerveau de tenir le plus longtemps possible,
6
plutôt que de brûler toutes les réserves en quelques années…
Placer la barre moins haut, sans tomber dans
le « tout ou rien », en acceptant, par exemple,
2
Réintégrer une part de loisirs, tout en tolérant la culpabilité que cela de réduire le nombre de références nécessaires
engendre, car le travail n’est pas une fin en soi. Les loisirs permettent à une tâche : 3 livres plutôt que 10, par exemple.
de souffler, de recharger les batteries, et de repartir plus sérieusement Choisir des activités moins difficiles, que ce soit
sur les tâches. Ils améliorent également la personnalité qui est, pour un morceau de piano, la distance d’une
en général, très aride et inhibée, étant donné que l’individu n’accorde course à pied, le déroulé d’un régime…
du temps qu’à son activité professionnelle. Travailler sans cesse Par exemple, le « sans sucre ni gras » apporte
est en réalité un calvaire qui finit par provoquer de la procrastination, de moins bons résultats que de diminuer de
voire des burn-out. 50 % leur consommation, et il faut apprendre
à tolérer quelques dérapages de temps en temps,
3
plutôt que de fonctionner selon le principe du
Bien comprendre que les modèles appréciés sont imparfaits
« tout ou rien » : « Soit je réussis le régime parfait
et ont multiplié les échecs avant d’en arriver là où ils en sont.
pendant six mois, soit je mange un pot de Nutella
Nul ne naît parfait, nul ne maîtrise tout à la naissance ! C’est une
demain, car je suis déçu(e) de moi aujourd’hui. »
évidence, il n’y a pas de réussite sans échec, ni de maîtrise sans
Au travail, il s’agit aussi d’accepter que les
« essai erreur », et la personne perfectionniste ou obsessionnelle
demandes du patron sont ce qu’elles sont (il veut
doit en prendre conscience. Par exemple, on peut lui expliquer que tout
par exemple 2 pages de rapport) et non comme
apprentissage, qui met en jeu des réseaux neuronaux étendus, exige
la culpabilité et les scrupules l’exigent (c’est-à-dire
d’enregistrer et de mémoriser des informations, ce qui souvent
5 pages…). Parfois, on se demande si le
nécessite plus de 20 à 25 répétitions de ces données. Les parents,
perfectionniste a peur de déplaire à son patron
normalement, auraient dû lui expliquer, sans s’énerver ni la dévaloriser,
ou à la petite voix de ses parents dans sa tête…
que le cerveau est capable de tout quand on lui laisse du temps…
Il s’agit donc de bien lui faire comprendre que l’effort prime
7
sur le résultat, et que rien n’arrive en 10 secondes, contrairement Fragmenter les tâches, faire une liste des
à ce que nos sociétés « numériques » tendent à nous montrer urgences, fixer une limite de durée… Beaucoup
(même les célébrités ont travaillé dur la plupart du temps…). de difficultés sont dues à une mauvaise
méthodologie : les perfectionnistes prennent tout
4
en même temps, voient tout comme une globalité,
S’affirmer et apprendre à dire « non », pour avoir moins de travail
d’où des angoisses. Il est en général plus
et des délais plus longs, et apprendre à gérer la culpabilité. Le sujet
intéressant de décomposer les tâches, de les
ne peut pas, toute sa vie, dire « oui » de peur de déplaire. Apprendre
organiser par ordre de priorité et de les planifier.
à s’affirmer permet d’éviter ce piège et, après coup, de développer
Pour ce faire, on apprend au sujet à fragmenter
la personnalité. En effet, l’être humain n’urine pas sur les murs, comme
les tâches sur un carnet, avec les jours, les heures
les animaux, pour délimiter son territoire… Il s’exprime et marque
et le temps imparti pour chacune d’elles.
son territoire par le langage. S’il ne sait pas dire « non », il n’a plus
de territoire. Et comme ce territoire est aussi matériel que psychique,
la personnalité se construit quand on apprend à dire « non ».
8
Demander de l’aide et déléguer, où l’individu est perfectionniste ; placer la barre
même si cela provoque de la culpabilité, moins haut sans tomber dans le « tout ou rien » ;
car il est illusoire de croire que les fragmenter les tâches et les organiser ; demander
modèles de perfection que nous avons de l’aide et déléguer ; se remotiver quand tout est
en tête ont tout appris tout seuls, sans démotivant (en supprimant certaines tâches de
aide, sans conseils, sans autres bras… la journée pour bien gérer les autres) ; et fêter les Bibliographie
réussites (pour apprendre à se sentir gratifié).
9
Se remotiver quand l’excès de tâches V. Trybou, Trop
finit par être démobilisant. « Je dois me LIBÉRER L’ENFANT IMPARFAIT ! perfectionniste ? Manuel
lever, me doucher, rédiger mon CV, refaire Une fois ces dix points travaillés en thérapie pour les accros du détail,
ma lettre de motivation, aller sur internet, cognitive et comportementale, certains patients Josette Lyon, 2017.
recopier les 10 adresses d’entreprises, se portent mieux et commencent à avoir une vie A.-H. Clair et V. Trybou,
tout écrire, puis tout poster. Cela fait plus simple. D’autres sentent encore au fond de Comprendre et traiter
un mois que je dois le faire, mais ça me leurs tripes que leur « nature perfectionniste en les troubles obsessionnels
démotive à la simple idée de le réaliser. » recherche d’excellence » est toujours là, que « le compulsifs, Dunod, 2016.
C’est démotivant, car il y a trop de tâches moteur de la culpabilité » est toujours activé. On T. Ben-Shahar,
à réaliser. On reprend alors, avec le sujet, leur propose alors une approche complémentaire L’Apprentissage
cette liste, et on retire un élément après qui consiste à « libérer l’enfant imparfait » ayant de l’imperfection,
l’autre jusqu’à ce qu’il sente, à l’intérieur été malmené par des parents trop exigeants. Pocket, 2011.
de lui, « dans ses tripes », que cela On demande donc à ces patients de rédiger M. Ramirez Basco,
redevient motivant. « Je dois me lever, une lettre à leurs parents, lettre qui ne sera jamais Ces gens qui sont
me doucher, rédiger mon CV et refaire envoyée, mais dans laquelle ils disent tout ce perfectionnistes.
ma lettre de motivation » : c’est tout qu’ils ressentent : ils ont détesté que leurs parents Peuvent-ils être
leur vendent cette optique de vie ; ils en ont marre heureux ?, Les Éditions
pour aujourd’hui et c’est déjà très bien de l’Homme, 2009.
car, au moins, tout sera bouclé ce soir, de vouloir tout le temps plaire de peur de se sentir
et il pourra continuer les jours suivants. mal ; ils auraient aussi aimé des encouragements F. Fanget, Toujours
et des câlins quand ils n’y arrivaient pas ; leurs Mieux ! Psychologie
On respecte ainsi les cadences du cerveau.
parents ont oublié de leur dire que, eux aussi, du perfectionnisme,
avaient échoué mille fois avant de réussir ; ils Odile Jacob, 2006.
10
Fêter les réussites, car la personne n’aimaient pas parler uniquement, à la maison, de J. Young et al., La
perfectionniste ou obsessionnelle l’école et de rien d’autre, et auraient apprécié de Thérapie des schémas,
doit comprendre qu’elle mérite des pouvoir, de temps en temps, échanger avec eux De Boeck, 2017.
félicitations. Ce qui reprogrammera sur les choses superficielles typiques de leur âge… D. Pleux, Peut mieux
son cerveau qui, dans l’enfance, n’a Pour nombre de personnes, l’écriture de faire. Remotiver
souvent enregistré que des critiques. cette lettre a un effet libérateur et clairement son enfant à l’école,
Une éducation « saine » repose sur bénéfique. Pour d’autres, la prise en charge Odile Jacob, 2003.
la critique des mauvaises actions stagne encore… C’est là que d’autres thérapies S. J. Blatt,
et la gratification des bonnes. Mais – par exemple celle dite « des schémas » (par The destructiveness
l’éducation des perfectionnistes est plutôt « schémas », on entend les expériences précoces of perfectionism :
construite sur la critique des mauvaises n’ayant pas satisfait les besoins fondamentaux Implications for
actions et l’absence de compliments de l’enfant) et l’EMDR (la technique de désensi- the treatment of
pour les bonnes (sauf, peut-être, pour bilisation et de retraitement des traumatismes depression, American
les bonnes notes, mais sans affection). Psychologist, vol. 50,
émotionnels par des mouvements oculaires) –
pp. 1003-1020, 1995.
De sorte que leur cerveau souffre font souvent des miracles, car ce sont des
d’une carence en émotions positives. méthodes qui s’attaquent directement aux sou- J. B. Brookings
Tout cela s’apprend : c’est difficile au et J. F. Wilson,
venirs traumatiques enfouis ayant façonné la
début, mais le sujet s’y fait avec le temps. Personality and family-
personne et qui permettent donc de libérer environment predictors
« l’enfant imparfait ». Sortir du perfectionnisme of self-reported eating
et de la personnalité obsessionnelle compulsive, attitudes and behavior,
c’est donc accepter de faire la paix avec son sen- Journal of Personality
timent d’imperfection et d’infériorité, et de ne Assessment, vol. 63,
plus le cacher dans un tiroir (cérébral), en com- pp. 313-326, 1994.
prenant qu’il fait partie de soi. £
NICOLAS GAUVRIT
Psychologue du développement
et enseignant-chercheur en sciences cognitives
à l’université de Lille.
Tous superstitieux ?
Pourquoi tant de gens conservent-ils, à l’ère
du TGV et de l’ordinateur, des croyances parfois
totalement irrationnelles ? Les sciences cognitives
révèlent un fait étonnant : nos superstitions nous
aident parfois à être plus calmes et performants…
L e 22 mars 2021,
l’Allemagne comptait déjà 440 centres
de vaccination contre le coronavirus. À
Marbourg par exemple, où les équipes de
France Info se sont rendues, on vaccinait
quinze heures par jour, sept jours sur
généralement que 40 % de la population
au moins adhère à une partie de ces
croyances. Selon un sondage Ifop du
mois de décembre 2020, 58 % des
Français déclarent croire à au moins une
des disciplines de parascience, à savoir
tournée, expliquait-il en février 2021 à
l’antenne d’Europe 1. Pourquoi, après des
siècles de progrès intellectuel, l’être
humain reste-t-il si irrationnel ?
N° 133 - Juin 2021
65
pression intense. La superstition rempli- formances réelles ! conviées à participer à un jeu d’adresse,
rait alors une fonction psychique per- Un groupe de 28 étudiants a d’abord où il fallait placer correctement 36 petites
mettant de faire face à des situations participé à un test de lancer de ballon. Le billes dans des creux à la surface d’un
menaçantes ou stressantes. but était pour chacun de viser une cible, plateau en manipulant ce dernier avec
En 2010, Lysann Damisch, Barbara 10 fois. Lorsque les expérimentateurs ten- précaution. Le simple fait de dire aux
Stoberock et Thomas Mussweiler, tous daient le projectile en disant : « Voici votre joueuses : « Je croise les doigts pour vous »
trois chercheurs à l’université de Cologne ballon. Jusqu’ici, il a porté chance à tout plutôt qu’une autre phrase plus neutre
en Allemagne, ont même été plus loin. le monde » au lieu de : « Voici votre ballon. augmentait la vitesse de résolution du
Grâce à une série d’expériences, ils ont Tout le monde l’a utilisé jusqu’ici », les casse-tête.
N° 133 - Juin 2021
66 ÉCLAIRAGES Raison et déraisons
TOUS SUPERSTITIEUX ?
14 h - 15 h
De l’anecdote au savoir,
le nouveau magazine joyeux
de culture générale
68 VIE QUOTIDIENNE La question du mois
COGNITION
LA RÉPONSE DE
HANNA GENAU
Psychologue au sein de l’unité de recherche de Gerhard Blickles,
lui-même professeur de psychologie du travail et des organisations à l’université de Bonn.
Bibliographie
E. H. O’Boyle et al.,
A meta-analytic review
of the dark triad-
intelligence connection,
Journal of Research
in Personality, vol. 47,
pp. 789-794, 2013.
O. Sánchez de Ribera
et al., Untangling
Aucune corrélation
intelligence,
psychopathy, antisocial
telles que la confiance en soi, l’apparence frappé par de telles « bêtes intelligentes » à l’exception de celles chez qui les carac-
dominante ainsi que l’audace et l’intrépi- que par des psychopathes tout aussi pro- téristiques personnelles socialement
dité, ne semblent pas associées à des ten- blématiques mais beaucoup moins bril- appréciées (extraversion, domination)
dances antisociales. Les personnes lants. Et l’on s’en souvient aussi beau- sont exceptionnellement développées.
concernées ne sont pas nécessairement coup plus, ce qui pourrait être un biais à Ainsi, la prochaine fois que vous verrez
des génies surdoués comme Hannibal l’origine du mythe du psychopathe un film mettant en scène un génie psy-
Lecter, mais ce seraient en moyenne des superintelligent. chopathe, rappelez-vous : les Hannibal
personnes légèrement plus intelligentes Lecter existent, mais pas plus – en fait,
que la moyenne. Dans certains cas, il peut HANNIBAL LECTER, L’EXCEPTION clairement moins – que les Einstein, les
arriver qu’une personne ait à la fois de Dans les faits, les personnes forte- Beethoven ou les Léonard de Vinci.
fortes tendances psychopathiques et une ment psychopathes sont encore moins Même si ces derniers font, il faut l’avouer,
grande perspicacité. On est davantage intelligentes que les psychopathes légers, nettement moins peur. £
© Shutterstock.com/haroldguevara
YVES-ALEXANDRE
THALMANN
Professeur de psychologie au collège Saint-Michel
et collaborateur scientifique à l’université
de Fribourg, en Suisse.
L’hypersensibilité
existe-t-elle ?
Des réactions émotionnelles un peu vives,
des crises de larmes, et voilà une personne classée
L
– voire autoproclamée – hypersensible. Sauf qu’à
bien y regarder, cela ne veut pas dire grand-chose.
’hypersensibilité bienvenu. C’est du reste ce que suggèrent vont trouver supportable sera vécu
est à la mode, vu le nombre d’ouvrages les commentaires postés au sujet des comme une agression sonore, une lumi-
et de sites internet qui fleurissent sur livres traitant de l’hypersensibilité, en nosité sera perçue comme trop intense
ce thème depuis quelques années. substance : « Je me suis reconnu, cela me et nécessitera de détourner le regard,
Paradoxalement, l’importance que celui- fait tellement de bien, je sais maintenant voire de porter des verres filtrants.
ci occupe dans les médias semble inver- que je ne suis pas quelqu’un de bizarre… » Certaines textures irritent la peau : le
sement proportionnelle à celle que l’on L’acceptation de soi favorisée par ce type jean ne sera tout simplement pas toléré
trouve dans la littérature spécialisée. d’ouvrages explique sans doute une ou alors il faudra couper l’étiquette du
D’ailleurs, je dois marcher sur des œufs grande part de leur succès. Mais qu’en teeshirt parce qu’elle occasionne des
en abordant ce sujet : les personnes est-il lorsque l’on se tourne vers les tra- démangeaisons. Certains goûts et odeurs
concernées sont promptes à réagir – ce vaux scientifiques ? sont également puissamment répulsifs.
serait justement une de leurs caractéris- Une telle hypersensibilité est bien docu-
tiques – lorsqu’on essaie d’être un tant QU’EST-CE QU’UN HYPERSENSIBLE ? mentée et peut vite se muer en handicap
soit peu critique à propos de l’étiquette Le terme d’hypersensibilité (highly dans la vie quotidienne.
d’hypersensibilité. sensitive people) a gagné en popularité Il existe également une hypersensi-
Que les choses soient claires : mon au tournant du millénaire sous la plume bilité dont l’objet est plus diffus, par
propos n’est en aucun cas de nier ce qu’en- de la psychothérapeute américaine exemple l’électrosensibilité. Si les scien-
durent certaines personnes, ni à niveler Elaine N. Aron. À la base, ce qualificatif tifiques ne sont – et de loin – pas una-
les différences interpersonnelles. Le res- rend compte d’un fonctionnement parti- nimes à ce propos, une étude impliquant
senti et les impressions subjectives sont culier d’un ou plusieurs organes senso- l’imagerie par résonance magnétique
importants quand il est question de bien- riels. Ceux-ci réagissent plus fortement fonctionnelle a montré que les per-
être, et tout ce qui peut aider à mieux que la moyenne à une stimulation. Par sonnes persuadées d’être sensibles aux
accepter sa manière de fonctionner est exemple, un bruit que la plupart de gens émissions électromagnétiques ont leur
différent des autres, en constant déca- (mais qui risque de décevoir toutes l’Antiquité, aujourd’hui écarté des
lage par rapport à eux. C’est pourquoi celles et tous ceux qui cherchent à se nosographies psychiatriques car trop
recadrer positivement ces fonctionne- connaître et se reconnaître). flou (et non la conversion hystérique
ments particuliers pour en faire une des étudiée par Jean-Martin Charcot et
manifestations d’une intelligence hors UN CONCEPT NON MESURABLE Sigmund Freud, qui est bien une réalité
norme met du baume à l’âme. Revenons aux manifestations de et se traduit par exemple par la paraly-
Cependant, si l’hypersensibilité est l’hypersensibilité. Force est d’admettre sie d’un membre sans aucune cause
une étiquette aux contours flous dans qu’elles sont susceptibles de se retrou- organique). L’hystérie, vous savez, ce
laquelle on se reconnaît à grand renfort ver peu ou prou chez beaucoup de trouble énigmatique dont les symp-
de questionnaires permettant l’autodia- monde. Par exemple, l’impression tômes étaient, entre autres : la présence
gnostic, le haut potentiel intellectuel est d’être en décalage par rapport aux de débordements émotionnels face à
une notion bien définie. La subjectivité autres ou encore la tendance aux rumi- des situations communes, une ten-
n’y a pas sa place : c’est le résultat de la nations mentales. Et que dire de la labi- dance à amplifier les ressentis, à rire, à
mesure du quotient intellectuel (QI) lité du ressenti ? Un bref survol des pleurer, à s’emporter plus fréquemment
avec des tests que seuls les psycholo- réactions émotionnelles qui fleurissent qu’attendu, ainsi qu’une difficulté à
gues dûment formés sont habilités à sur les réseaux sociaux tend à montrer ordonner sa pensée, submergée par des
manœuvrer. Rappelons qu’aucun test que c’est plutôt la norme. Et n’est-ce pas idées foisonnantes et des ruminations
passé en ligne sur internet ne saurait le fonctionnement par défaut de notre mentales envahissantes. Ça ne vous
avoir valeur de diagnostic en la matière, esprit que d’être en constante ébullition rappelle rien ? £
ne serait-ce que parce que les conditions et de générer pensées sur pensées ?
de passation du test officiel doivent être N’oublions pas que des biais cognitifs
rigoureuses et identiques pour chaque sont à l’œuvre dans les conclusions que
sujet. L’interprétation des résultats elle- nous tirons sur nous-mêmes. Le biais de
même nécessite doigté et compétence. confirmation contribue ainsi à attirer
D’un point de vue psychométrique on notre attention vers les sources d’infor- Bibliographie
ne se sent pas HPI : on l’est ou on ne l’est mation et les souvenirs qui vont dans le
pas en fonction des performances mani- sens de nos convictions, au détriment M. Landgrebe et al.,
festées lors d’un test objectif, c’est-à- de celles à même de les remettre en Neuronal correlates
dire avec des réponses prédéterminées question. La prudence recommande of symptom formation
qui peuvent être cotées précisément. donc, lorsque nous tombons sur un in functional somatic
Le haut potentiel intellectuel est une article ou un livre qui décrit l’hypersen- syndromes : a fMRI
construction mathématique s’appuyant sibilité, de nous interroger : ces critères study, Neuroimage,
sur des calculs statistiques : seules les pourraient-ils s’appliquer à tout le vol. 41, pp. 1336-1344,
2008.
personnes dont le QI dépasse la moyenne monde ou presque ? Sont-ils suffisam-
de deux écarts-types, soit 130 points, ment larges pour que chacun s’y recon- E. N. Aron,
entrent par définition dans cette catégo- naisse ? Sommes-nous capables aussi Hypersensibles, Mieux
rie, ce qui représente environ 2 % de la de trouver chez nous des exemples de se comprendre pour
mieux s’accepter,
population. Peu importe leur ressenti ! situations vécues qui ne cadrent pas
Marabout, 2019.
De nombreuses recherches se sont pen- avec les critères présentés ?
chées sur les caractéristiques émotion- Il est certes plaisant et apaisant de C. Cuche et S. Brasseur,
nelles des individus avec HPI, pour arri- se reconnaître à travers une étiquette, Le Haut Potentiel en
questions, Mardaga, 2017.
ver à la conclusion… qu’il n’y en a pas de pouvoir mettre des mots sur un vécu
de typiques. En clair, on trouve autant et constater que nous ne sommes pas S. Brasseur, Étude
de spécificités affectives chez ces indivi- les seuls dans ce cas. Cependant, l’his- du fonctionnement
des compétences
dus que dans l’ensemble de la popula- toire montre que les diagnostics trop
émotionnelles des jeunes
tion, ce qui en fait un critère non déter- lâches, aux contours si larges que beau- à haut potentiel
minant à lui seul. Je ne peux que coup de monde s’y reconnaît, se intellectuel, thèse
recommander à ce sujet l’ouvrage de révèlent contre-productifs quand il de doctorat, non publié,
Catherine Cuche et Sophie Brasseur, un s’agit d’aider efficacement les gens et de université de Louvain,
texte documenté qui présente l’état des manière ciblée. Pensons par exemple à 2013.
connaissances scientifiques à ce propos l’hystérie, concept fourre-tout hérité de
N° 132 (mai 21) N° 131 (avril 21) N° 130 (mars 21) N° 129 (fév. 21) N° 128 (jan. 21) N° 127 (déc. 20)
réf. CP132 réf. CP131 réf. CP130 réf. CP129 réf. CP128 réf. CP127
N° 126 (nov. 20) N° 125 (oct. 20) N° 124 (sept. 20) N° 123 (juil.-août 20) N° 122 (juin 20) N° 121 (mai 20)
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74 VIE QUOTIDIENNE
p. 80 Travailler en musique... ou pas ? p. 84 Oups ! Vous avez été spoilé... p. 88 Les « je-sais-tout »... ont tout faux !
Réapprendre
à s’émerveiller Tomber en contemplation devant un brin d’herbe ou un rayon
de soleil sur un vieux mur… Cette capacité du cerveau est
sous-exploitée à notre époque utilitariste. Or elle remplirait
une fonction essentielle, à la fois pour l’individu
L
et pour ses relations avec les autres. Comment la retrouver ?
intérêt immédiat. Mais nous passons alors à côté et que nos stratégies d’appropriation cognitive
de l’expérience sensuelle du présent. Cela va de n’aboutissent à rien, nous sommes davantage sus-
pair avec une appropriation rationnelle du ceptibles de nous émerveiller. Les images ou les
monde : le coucher de soleil sur la mer, le scintil- événements que nous rencontrons ont plus de
lement des aurores boréales, un arbre puissant chance de nous submerger et de nous ensorceler.
aux feuilles noyées dans les nuages, nous savons Ainsi, l’émerveillement est un état d’excitation qui
désormais décrire tout cela en termes scienti- précède l’enregistrement du phénomène rencon-
fiques froidement objectifs. tré. Notre psychisme se réorganise, jusqu’à ce que
À l’inverse, lorsque nous n’avons pas encore de puisse être classé ce qui semblait au départ incom-
concept pour expliquer ce que nous rencontrons patible avec ce que nous savons déjà.
du xviie siècle nous
montre à quel point une
scène très quotidienne
peut dégager
une atmosphère
étrangement belle
et touchante.
L’émerveillement entraîne
une réorganisation
psychique, pour nous
permettre de classer
ce qui semblait
incompatible avec nos
connaissances préalables
un certain retour à l’émotion. Il s’agissait d’appré- l’université de Californie à Irvine. Les partici-
hender ce qui nous entoure non pas avec l’intel- pants de leur étude ont d’abord été conduits dans
lect, mais avec le cœur – et l’imagination. une forêt proche de l’université, où ils se sont
« S’immerger dans une œuvre d’art », c’est d’ail- émerveillés devant des arbres géants. Puis l’expé-
leurs ce que propose Georg Franzen, qui enseigne rimentateur a fait semblant de laisser tomber par
l’art-thérapie à l’université privée Sigmund-Freud, inadvertance devant eux une boîte contenant des Bibliographie
à Berlin. Grâce à la méditation, il aide ses patients stylos et des questionnaires. Les sujets se sont
à ouvrir leur perception. Selon lui, cela nous per- alors précipités pour l’aider à ramasser son maté- S. P. Goldy et P. K. Piff,
met de nous débarrasser de tout ce qui entrave nos riel, alors que d’autres ayant préalablement Toward a social ecology
sentiments et de nous émerveiller à nouveau. contemplé des immeubles de bureaux ont montré of prosociality :
Ekkehart Martens, professeur émérite de philoso- beaucoup moins d’enthousiasme. Why, when and where
nature enhances
phie à l’université de Hambourg, rapporte quelque Dans une autre expérience, l’émerveillement
social connection,
chose de similaire : « L’émerveillement face à la a poussé les participants à partager avec leurs Current Opinion
nouveauté et à l’inattendu nous déleste de ce que congénères des billets de loterie qui leur avaient in Psychology, 2020.
nous avons appris à la manière d’un savoir mort été distribués au préalable. Cette émotion semble
F. Breithaupt,
sans l’avoir réellement intégré. Nous sommes alors donc nous rendre plus solidaires et plus géné-
Poetiken des Staunens,
prêts pour de nouvelles expériences, qui élar- reux. Pourquoi ? Selon Piff, le fait d’être émer- Fink, 2018.
gissent et différencient notre vision de nous- veillé diminue notre confiance en notre propre
mêmes, des autres et du monde. » force. Lorsque l’ego est relégué au second plan, W. Tschacher
et M. Tröndle,
nous nous considérons davantage comme faisant
Verkörperte Ästhetik,
LE MOTEUR DE LA CURIOSITÉ partie d’un ensemble plus vaste, et nous sommes Psychoscope, 2016.
ET DE L’ALTRUISME plus portés à nous intéresser aux autres. En
d’autres termes, le « nous » devient plus important S. Pöppel,
L’émerveillement serait même le moteur de la
Das therapeutische
curiosité, selon Fritz Breithaupt, spécialiste des et influence nos actions. « Nos recherches sug-
Potenzial der
sciences cognitives à l’université de l’Indiana, aux gèrent que si les gens s’émerveillaient plus sou- Kunstrezeption,
États-Unis. Il en constitue en quelque sorte la vent, il s’ensuivrait davantage d’entraide et de Logos, 2015.
récompense : « Pour entretenir la curiosité, il faut considération », conclut Piff.
D. Keltner et J. Haidt,
être motivé. Or la motivation réside moins dans Ce spécialiste conseille alors de s’entraîner à Approaching awe,
un objectif intellectuel que dans un affect. Cet ressentir cette émotion par de petits exercices, de a moral, spiritual,
© Unsplash /vidar-nordli-mathisen
affect, c’est l’émerveillement. » En ce sens, cette préférence quotidiens. N’hésitez donc pas à and aesthetic emotion,
émotion apparemment inutile pourrait bien rechercher et à visualiser des expériences qui Cognition and
représenter un sérieux avantage évolutif. vous ont émerveillé – ne serait-ce qu’un coucher Emotion, 2003.
D’autant plus que l’émerveillement ne se de soleil, que vous avez pris le temps de savourer, E. Martens, Vom
contente pas de récompenser la personne qui en prenant bien conscience de sa beauté. Staunen oder Die
l’éprouve : il a aussi une composante sociale, S’accorder chaque jour ces petits moments per- Rückkehr der Neugier,
nourrissant l’altruisme. C’est ce qu’ont montré les met d’améliorer non seulement sa joie de vivre, Reclam, 2003.
chercheurs américains Paul Piff et Sam Goldy, de mais aussi son « bilan socioéthique ». £
JEAN-PHILIPPE
LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre
de recherche en neurosciences de Lyon.
Travailler en
musique… ou pas ?
La musique peut aider à réviser – à certaines
conditions. Mieux vaut les respecter pour
éviter les pertes de concentration !
E n ces temps de
révisions, on me pose souvent la ques-
tion de l’impact de la musique sur le
travail intellectuel. Peut-on travailler
efficacement en musique ou nuit-elle à
la qualité de la concentration ? En fait,
ce qui est – on s’en doute – irréalisable
en pratique. Malgré ces réserves,
quelques tendances émergent de l’en-
semble des travaux réalisés sur la
question.
au sein de chaînes de caractères tandis
que la musique jouée pendant l’expé-
rience reprenait des airs tranquilles et
bien connus. Dans ce cas particulier, les
performances étaient meilleures avec
une musique de fond, mais l’étude ne
les réponses apportées par la littérature IDÉAL : MUSIQUE SANS PAROLES ! précisait pas si les participants réali-
scientifique divergent, ce qui ne veut pas La première conclusion général est saient l’exercice tranquillement – comme
dire que personne n’en sait rien, mais qu’une musique calme, sans paroles et un sudoku rempli par plaisir, par
que plusieurs paramètres entrent en appréciée par l’élève peut avoir un effet exemple – ou en essayant réellement
ligne de compte. bénéfique sur la concentration. En d’obtenir les meilleurs scores possibles.
La plupart des études sur ce thème revanche, les morceaux très rythmés Or cette information est pourtant essen-
utilisent une procédure assez logique, avec des paroles ont un effet négatif sur tielle, et j’y reviendrai.
qui consiste à faire réaliser avec ou sans la stabilité de l’attention. L’étude montrait aussi – ce qui
musique un exercice qui demande de la Par exemple, une étude récente réa- mérite d’être souligné – que les musi-
concentration, et à comparer les perfor- lisée à Taïwan a comparé la qualité de la ciens obtenaient globalement de meil-
mances dans les deux cas. Mais quel concentration pendant une activité de leures performances que les non-musi-
type et quelle durée d’exercice sont pra- dix minutes, chez une centaine de parti- ciens, même si les deux populations se
tiqués, avec quel type de musique, pour cipants musiciens et non musiciens, distinguaient peut-être selon d’autres
quels participants ? L’étude parfaite selon qu’ils écoutaient ou non de la facteurs que la pratique instrumentale,
ferait varier tous ces paramètres pour musique. La tâche consistait à identifier comme la capacité à persévérer dans un
envisager toutes les situations possibles, et dénombrer un signe particulier (« * ») apprentissage long.
Juin 2021
N° 133 - Juin 2021
81
Certes, la tâche dans cette étude sur la qualité de l’exercice réalisé va comme ceux chargés de maintenir la
était relativement courte et avait peu en dépendre des processus cognitifs néces- concentration sur la tâche en cours.
commun avec un travail scolaire. C’est saires à son exécution. Plus le travail réalisé requiert une
pourquoi il est aussi intéressant de rai- concentration continue, plus il risque de
sonner – au-delà de données expérimen- INTERFÉRENCES DÉLÉTÈRES pâtir de l’écoute attentive d’un morceau
tales souvent limitées – à partir de ce Prenons un exemple : si vous tentez de musique, lequel imposera un va-et-
que nous savons du cerveau et de sa de rédiger un texte tout en écoutant une vient – même minime – de l’attention
capacité à mener deux activités de front. chanson dans la même langue, les struc- entre les deux, et donc de micro-inter-
Et là, la règle générale est la suivante : tures cérébrales impliquées dans la pro- ruptions de l’activité principale. Cela
quand le cerveau est confronté à une duction et la compréhension du langage peut avoir un effet délétère, par
situation qui exige d’une population sont activées par les deux « tâches » et on exemple, sur le maintien d’informations
© Shutterstock.com/Nata Bene
neuronale qu’elle fasse deux choses dif- peut donc s’attendre à une interférence en mémoire de travail, dont on sait qu’il
férentes en même temps, cela ne se négative. Vous vous en rendrez certaine- nécessite une attention très continue.
passe pas très bien. Cette population ment compte en essayant d’écouter une Tous les conducteurs le savent : quand
oscille alors entre les deux activités, avec chanson tout en vous récitant les paroles une portion du trajet demande tout d’un
une perte de rendement importante. d’une autre, je vous laisse faire le test. coup plus de concentration – parce qu’il
À partir de ce principe de base, on Mais l’interférence atteint aussi des faut trouver son chemin ou traverser
comprend bien que l’effet de la musique processus cognitifs plus généraux, u ne nappe de brou i l la rd – on a
N° 133 - Juin 2021
82 VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux
TRAVAILLER EN MUSIQUE… OU PAS ?
N° 133 - Juin 2021
PRENONS UNE LONGUEUR D’AVANCE SUR LE CANCER
QUI RESTE LA 1ÈRE CAUSE DE MORTALITE PREMATUREE EN FRANCE
Chaque année, 400.000 nouveaux cas de cancer, tout type confondu, sont dépistés.
Statistiquement, il y a un peu plus de 1000 nouveaux malades par jour,
Luc Fer r y, P h i l osoph e, écr i v ai n , an ci en Mi n i s t re d e l a Jeu n es s e, d e l ’E d u ca t i on
parmi lesquels N600 vont
a t i on al e et dguérir et 400
e l a Rech erch e vont mourir.
AIDEZ NOS
Chaque année, 400.000 nouveauxCHERCHEURS cas de cancer, À SAUVER tout type VOSconfondu,
VIES sont dépistés.
Statistiquement, il y a un peu plus de 1000 nouveaux malades par jour,
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parmi lesquels 600 vont guérir et 400 vont mourir.
01 80 91 94 60
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le combat, donnez sur C/i RETROUVEZ-NOUS SUR
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LE CANCER sont déductibles de l’IFI.
contact@vaincrelecancer-nrb.org # BMILANF
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84 VIE QUOTIDIENNE Psychologie
OUPS !
Vous avez été spoilé…
EN BREF
£ Rien n’est plus
insupportable qu’un
énergumène qui vient
vous révéler la fin
d’un film avant que
vous n’ayez eu le temps
de le voir !
Malheur ! Vous avez été pris dans une conversation
£ Pourtant, les études autour de votre série préférée, et quelqu’un
scientifiques ne montrent
qu’un effet mineur a raconté la fin. Tout votre plaisir est gâché…
des spoilers sur notre
appréciation de l’œuvre. Vraiment ? Pas si sûr…
Cet effet serait même
parfois positif !
Par Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences
£ Il résulterait de au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques
plusieurs mécanismes de l’université de Fribourg, en Suisse.
cognitifs et neuronaux,
qui entrent parfois
en concurrence.
UN CONCEPT RÉCENT
De fait, la préoccupation pour les spoilers
semble assez récente. Dans son acception actuelle,
jusqu’au dénouement. En tout cas, cela explique- le terme apparaît en 1971, dans un article du
rait pourquoi nous sommes si hostiles aux divul- magazine satirique américain National Lampoon,
gations précoces, ce qu’on appelle les spoilers (du qui se fait une joie de dévoiler la fin d’œuvres clas-
verbe anglais to spoil : « gâcher »). siques comme Citizen Kane, Le Parrain et Psychose.
Les spoilers sont en effet devenus un sujet Pendant longtemps, le concept ne concerne d’ail-
sensible, souvent source de disputes et de ten- leurs que la résolution finale de films à suspense,
sions... Qui ne s’est pas retrouvé au cœur d’une et une blague pénible consiste à dévoiler si le
discussion où les participants parlent d’un film ou héros meurt ou pas en sortant de la salle de
d’une série que l’on n’a pas soi-même vu, et qui cinéma, alors que la file se presse pour la séance
Allstar Picture Library Ltd. / Alamy Banque D’Images
menacent ainsi de dévoiler des péripéties surpre- suivante… Mais c’est aussi une façon de s’attaquer
nantes et importantes, que l’on aurait préféré à des dispositifs narratifs un peu forcés et artifi-
découvrir par soi-même ? C’est l’essence du spoi- ciels. L’incroyable révélation finale qui change
ler : il est indésirable, il gâche notre anticipation tout n’a en effet pas toujours été bien vue, et reste
d’une œuvre, et il crée des conflits. À tel point que encore considérée comme une astuce un peu
beaucoup de plateformes en ligne préviennent facile et convenue, voire racoleuse, qui cache une
d’un « Spoiler Alert ! » les indications qui en disent certaine pauvreté de l’œuvre en général.
trop sur certaines œuvres. Et que les recherches Mais indépendamment de tout jugement de
mettent en évidence une forte rancune envers les valeur artistique, est-ce vrai que les spoilers
personnes qui spoilent. gâchent le plaisir des gens ? En 2011, une étude
Mais n’exagère-t-on pas l’importance de cette provocante de Jonathan Leavitt et Nicholas
notion ? Que veut dire cette préoccupation pour Christenfeld, de l’université de San Diego, en
Californie, a sérieusement remis cette idée en attribuent à une perturbation des réactions corpo-
question. Ces chercheurs ont fait lire à près de relles et cérébrales que nous aurions normalement
1 000 personnes des nouvelles de Roald Dahl, manifestées face aux surprises d’une histoire.
de Tchékhov, d’Agatha Christie ou de Raymond Ces réactions sont aujourd’hui très bien
Carver qui se terminaient par un retournement décrites dans le contexte sportif. En effectuant
de situation ironique, tantôt avec un spoiler, une série de mesures sur des volontaires qui
tantôt sans. Ils ont trouvé que les participants regardaient les cinq dernières minutes de
appréciaient davantage, et non pas moins, les matchs de basketball très disputés, des cher-
récits dont la résolution avait été éventée !
Leavitt et Christenfeld expliquent ce résultat
SYLVIE
CHOKRON
Membre du laboratoire de psychologie
et neurocognition à Grenoble et responsable
de l’équipe Vision et cognition, à la fondation
ophtalmologique Rothschild, à Paris.
Les « je-sais-tout »...
ont tout faux !
Ils prennent la parole avec arrogance, ne laissent personne
s’exprimer, adoptent un ton condescendant si vous n’êtes pas d’accord
avec eux. L’humilité n’est pas leur point fort. Dommage pour eux !
Car cette qualité est associée à une intelligence supérieure, une
meilleure mémoire et des capacités de leadership plus développées.
D
été confrontés un jour à des personnes de notre
EN BREF entourage plus ou moins proche qui ne sont mal-
£ Ils sont partout dans heureusement pas enclines au doute. Ces gens
les médias, mais aussi ont généralement une confiance aveugle dans
à votre table : ceux qui
savent tout et dénigrent leurs propres opinions, qu’ils considèrent comme
les opinions contraires. bien supérieures à celles des autres, auxquelles
ils n’accordent d’ailleurs que très peu de crédit…
epuis le début de l’épidémie £ Les recherches en Pensez à cette belle-sœur qui vous a parlé, en
psychologie montrent
de Covid-19, on a parfois l’impression d’être que ce trait – le manque long, en large et en travers, des déchets nucléaires
entouré d’experts qui détiennent tous la vérité d’humilité – pousse lors du dernier repas en famille, le week-end der-
avec un grand V. Et on se dit que, décidément, parfois à prétendre nier. Non seulement elle était persuadée d’avoir
l’humilité sur le plan intellectuel n’est pas la règle savoir même des choses fait le tour de la question en regardant un repor-
depuis quelques mois sur les plateaux de télévi- qui n’existent pas. tage sur une chaîne documentaire, mais quand
sion ou dans les différents médias, y compris chez £ Cette attitude est vous avez voulu nuancer son propos elle est mon-
les scientifiques. Pourtant, notre impuissance à perdante. C’est au tée sur ses grands chevaux en disant que vous n’y
endiguer cette épidémie ainsi que ses consé- contraire l’humilité qui, connaissiez rien. Puis, voyant que vous rameniez
quences médicales, sociales ou économiques selon les études, est inlassablement vos arguments sur la table, elle
associée à plus de
aurait pu nous rendre plus humbles… mémoire, d’intelligence, vous a opposé votre niveau d’études, prétendu-
Ce problème ne se limite pas, et de loin, aux de connaissances ment inférieur au sien… Qu’a-t-elle à y gagner ?
plateaux de télévision. Toutes et tous, nous avons et de créativité. D’après ce que nous disent les études de
psychologie, pas grand-chose. Au contraire, elle Évidemment, cela a des conséquences sur
retirerait bien plus d’avantages à faire preuve leurs relations avec les autres, puisque par
d’humilité. Parmi les résultats obtenus par les manque d’humilité, elles refusent parfois de
scientifiques qui s’intéressent à cette question, la s’intéresser aux interlocuteurs qui ne partage-
posture d’humilité intellectuelle est une aide pré- raient pas leur avis. C’est bel et bien ce qui est
cieuse pour reconnaître que nos propres constaté dans les faits : l’équipe de Matthew
croyances sont parfois erronées et pour accepter Stanley, au fil de ces expériences, a confirmé que
l’idée que nos connaissances ne sont peut-être ni les individus très sûrs d’eux ont tendance à refu-
exactes ni fiables. ser l’idée même de liens amicaux avec leurs
contradicteurs ! Alors, comment amener votre
QUAND ON CRITIQUE TOUT LE MONDE... belle-sœur à respecter vos idées – et vous-même
Mais venons-en d’abord au comportement de par la même occasion – même si vous n’êtes pas
dénigrement caractérisé par l’attitude de la d’accord sur tout ?
fameuse belle-sœur. À l’université Duke de La même équipe de chercheurs de Durham
Durham, Matthew Stanley et ses collaborateurs tient peut-être un début de solution. Ils ont tout
ont mis en évidence ce trait caractéristique chez simplement choisi d’expliquer aux personnes un
les personnes manquant d’humilité, qui vont sys- peu trop campées sur leurs positions les résultats
tématiquement avoir tendance à dénigrer le de leurs propres recherches. Bilan : le seul fait
caractère, les compétences intellectuelles, voire d’informer sur les risques d’un manque d’humi-
le statut de leurs contradicteurs pour ne pas lité suffit à rendre les gens plus ouverts envers
prendre en compte leur avis. leurs contradicteurs et plus à même de nouer des
liens d’amitié avec ceux-ci.
Dans des expériences, les connaissances serait bien au contraire une qua-
lité sur le plan cognitif.
participants les plus humbles Tout part d’un constat simple : comment
à distinguer ce qui est vrai fort à parier qu’une capacité à douter s’accompa-
gnerait d’une plus grande ouverture d’esprit,
de ce qui ne l’est pas, ainsi que voire d’une plus grande curiosité intellectuelle
que chez des individus persuadés de détenir la
de meilleures performances vérité. Peut-on aller jusqu’à espérer de meilleures
de mémoire...
capacités d’apprentissage et une meilleure
mémoire, en conséquence de cette aptitude ?
Samantha Deffler et ses collègues de l’univer- vantant les bienfaits de la gratitude pour lutter
sité Duke ont tenté de répondre à cette question contre le stress, renouer les liens avec autrui ou
de manière expérimentale, en évaluant les capa- mieux connaître ses désirs profonds. Au point
cités de reconnaissance chez des sujets plus ou que certains thérapeutes recommandent de
moins humbles. Pour cela, ils ont soumis des par- tenir un journal de gratitude au quotidien, dont
ticipants à plusieurs tâches. Tout d’abord, ils les effets positifs seraient avérés. Alors, voici
devaient compléter une échelle d’humilité intel- une bonne nouvelle : d’après une étude récente
lectuelle, en notant de 1 à 5 des propositions du d’Elliott Kruse et de ses collaborateurs, de l’uni-
type : « j’accepte que mes croyances ou mes réac- versité de Princeton, l’humilité et la gratitude
tions puissent être fausses » ou encore « face à des seraient intimement liées…
preuves contradictoires, je suis prêt(e) à changer Dans cette recherche, les auteurs notent que
d’avis ». Parallèlement, les auteurs ont proposé un le degré d’humilité d’un participant permet de
questionnaire visant à mesurer la tendance des prédire jusqu’à quel point il éprouvera de la gra-
participants à affirmer leurs connaissances dans titude envers autrui, et vice-versa. De plus, Julie
des domaines très variés. À cet effet, on leur Juola Exline et Peter Hill de l’université Case
posait des questions sur des faits réels ainsi que Western de Cleveland ont décrit le même type
sur d’autres, totalement fictifs. L’idée étant de d’association, cette fois entre humilité et généro-
savoir si les sujets allaient affirmer avoir des sité. Humble, cultivé, reconnaissant et géné-
connaissances sur des sujets totalement inventés ! Bibliographie reux… qui refuserait une telle ribambelle de
Car pour les personnes sûres d’elles, il ne s’agit qualités ? Mais attention, toutes ces recherches
pas juste de maîtriser les sujets brûlants d’actua- S. A. Deffler et al., risquent bien de vous faire prendre la grosse tête,
lité, mais aussi parfois d’affirmer tout savoir sur Knowing what you et de vous rendre aussi peu humble que votre
des sujets qui n’existent pas, mobilisant en know : Intellectual infernale belle-sœur ! Quittons donc un instant
quelque sorte de fausses connaissances ! humility and judgments votre cas personnel et penchons-nous sur le cas
of recognition memory,
Enfin, dans la dernière partie de l’expérience, des chefs d’entreprise.
Personality and
les participants réalisaient une véritable tâche de Individual Differences,
mémoire dans laquelle on leur présentait des vol. 96, pp. 255-259, 2016. LE LEADER MODESTE EST PUISSANT
phrases qu’ils avaient précédemment lues ainsi De manière tout à fait similaire, plusieurs
E. Kruse et al., An
que d’autres totalement nouvelles, leur tâche recherches récentes proposent depuis peu aux
upward spiral between
consistant à reconnaître les phrases qui leur gratitude and humility, dirigeants d’entreprise de ne pas se cantonner
avaient été effectivement présentées. Social Psychological dans leur statut tout-puissant, sûrs d’eux-mêmes
Les résultats montrent clairement que les par- and Personality Science, et peu ouverts aux idées de leurs collaborateurs.
ticipants les plus humbles ont une plus grande vol. 5, p. 805, 2014. Ainsi l’étude de Jia Hu de l’université de l’Ohio
capacité à distinguer ce qui est vrai de ce qui ne E. J. Krumrei-Mancuso auprès de 354 salariés d’entreprises de techno-
l’est pas, ainsi que de meilleures performances et al., Intellectual logie de l’information indique que la créativité
mnésiques. La prochaine fois que vous entendrez humility and prosocial des salariés serait bien positivement corrélée au
votre belle-sœur pérorer sur les déchets values : Direct and degré d’humilité de leur leader ! En effet, on sait
nucléaires ou les vaccins à adénovirus, consolez- mediated effects, que pour être créatifs, des salariés doivent pou-
vous en pensant qu’elle en sait probablement The Journal of Positive voir être ouverts à de nouvelles idées, remettre
moins que vous et que sa mémoire est moins Psychology, vol. 12, en question leur propre point de vue ainsi que
bonne que la vôtre. pp. 13-28, 2017. celui de leurs collègues. Or ces chercheurs
J. J. Exline et P. C. Hill, montrent clairement à quel point l’attitude du
MÉMOIRE, GRATITUDE ET GÉNÉROSITÉ Humility : A consistent leader, en reconnaissant ses erreurs et en favo-
Et ce n’est pas tout ! Dans une autre étude fort and robust predictor of risant la prise de conscience des problèmes exis-
similaire à ce qui précède, Elizabeth Krumrei- generosity, The Journal tant dans l’entreprise et des améliorations à
of Positive Psychology,
Mancuso et ses collaborateurs, de l’université de apporter, joue un rôle facilitateur dans cette
vol. 7, pp. 208-218, 2012.
Malibu, arrivent aux mêmes conclusions, et sou- ouverture et favorise l’émergence de la créati-
lignent également que l’humilité serait aussi J. Hu et al., Leader vité. Les « je-sais-tout » ne savent donc pas ce
associée à une meilleure capacité d’analyse, un humility and team qu’ils perdent : de multiples occasions d’ap-
creativity : The role
plus grand engagement sur le plan cognitif, une prendre, de devenir plus intelligents, généreux
of team information
curiosité intellectuelle supérieure ainsi qu’à une sharing, psychological et aptes à entraîner les autres dans des projets
plus large ouverture d’esprit et une meilleure safety, and power collectifs. En somme, ils ont tout faux. Mais plu-
motivation à apprendre ! Moralité : quand on distance, Journal tôt que de le leur dire de façon autoritaire,
pense en savoir moins, en apprend davantage. of Applied Psychology, mieux vaut simplement leur exposer les conclu-
Vous avez peut-être lu, depuis quelque vol. 103, pp. 313-323, 2018. sions de ces recherches passionnantes. Rien
temps, tel article ou ouvrage de psychologie n’est jamais perdu. £
A N A LY S E SÉLECTION
Anne Charlet-Debray
INTELLIGENCE
ÉDUCATION ARTIFICIELLE
L’Autorité parentale… autrement !, Catherine Schwennicke Faire la morale
Mardaga, 2021, 144 pages, 14,90 € aux robots
Martin Gibert
Q
Flammarion
uel parent ne s’est jamais senti désorienté devant sa 2021, 168 pages, 17 €
progéniture qui refusait son autorité ? De fait, le rôle
«
d’éducateur est très difficile, et chacun l’assume avec plus ou
moins d’aisance, selon sa personnalité et celle de ses enfants
– qui sont loin de tous se ressembler, y compris au sein d’une même
PSYCHOLOGIE
SOCIALE
C e n’est pas demain
la veille qu’on
pourra se défausser sur
fratrie. Dans cet ouvrage, la psychologue Catherine Schwennicke Psychologie de la des machines de notre
nous explique comment « reprendre la main sereinement ». médiation et de la responsabilité politique
gestion des conflits
Adepte d’une méthode appelée « approche neurocognitive et Stéphanie Demoulin et morale », assène
comportementale », développée par le psychothérapeute Jacques Mardaga Martin Gibert, philosophe
Fradin, elle a accompagné de multiples parents et enseignants 2021, 336 pages, 34,90 € et chercheur en éthique
sur ce chemin. En s’appuyant sur de nombreux exemples, elle de l’intelligence
commence par nous apprendre à distinguer une opposition
ponctuelle, bien naturelle et tout à fait saine, d’un comportement
véritablement problématique. Les enfants présentant un caractère
D ans un conflit, tout
semble souvent
bloqué. Stéphanie
artificielle, en introduction
de cet ouvrage. Car
aussi performants que
« dominant » seraient ainsi les plus difficiles à gérer, parce que leurs Demoulin, professeuse deviendront ces
réactions sont imprévisibles et déstabilisantes. Il convient alors de psychologie sociale systèmes, nous devrons
d’adopter une attitude non verbale adéquate et une « intelligence et spécialiste de la toujours leur implanter
adaptative », sans se laisser envahir par le stress et la culpabilité. négociation, montre ici les principes qui les
L’autrice nous livre une série de conseils fort utiles pour cela. Il y comment la médiation par guident. Mais lesquels
aurait notamment dix règles d’or à appliquer (comme poser des un tiers, souvent juriste choisir ? L’auteur résume
questions ouvertes du type : « Qu’est-ce qui te motive à faire ça ? ») ou psychologue, permet les principaux débats en
et cinq réactions catastrophiques à éviter (par exemple laisser de s’en sortir par le haut cours et les divergences
transparaître des émotions comme l’agacement ou la tristesse, et de trouver une solution qui animent aussi
qui risquent d’être vues comme un succès par l’enfant dominant, créative. L’autrice examine bien les experts que
en lui donnant l’impression d’avoir du pouvoir sur ses parents). notamment les biais les novices, à travers
Des techniques dites « cognitivo-comportementales » permettent cognitifs et émotionnels des expériences
aussi de désamorcer les situations critiques. qui conditionnent notre de psychologie titillant
Au final, l’autrice donne envie au lecteur de prendre le taureau par perception des conflits, les limites de nos
les cornes, de se retrousser les manches et de tenter de devenir ainsi que les façons de conceptions morales.
un parent solide, calme et bienveillant, mais tout de même capable les surmonter. Un ouvrage Un petit livre limpide
de faire respecter son autorité. Un livre enthousiasmant, qui procure très complet, à lire si et stimulant, qui ose
aussi bien un mode d’emploi qu’une philosophie de vie. Truffé de vous envisagez un métier mener son raisonnement
questionnaires, de tests et d’exercices, il sera d’un grand secours dans le domaine de la jusqu’au bout pour
pour les parents qui se sentent démunis. médiation ou si vous êtes déboucher sur des
Anne Charlet-Debray, psychologue clinicienne, englué dans un conflit propositions concrètes.
est psychothérapeute pour enfants et adultes. qui vous paraît sans issue.
COUP DE CŒUR
Christophe André
HISTOIRE DES
NEUROSCIENCES PATHOLOGIE
Une brève histoire Il voulait croquer la Lune, Mimi Baird et Eve Claxton
du cerveau Michel Lafon, 2021, 302 pages, 18,95 €
Matthew Cobb
D
Dunod
2021, 464 pages, 24,90 € ébut d’accès maniaque vu de l’intérieur : « Je me sentais
merveilleusement bien mais également agité, fiévreux,
THÉRAPIE
Du nouveau dans
l’hypnose
S elon l’astronome
britannique Martin
Rees, un cerveau
hyperactif et impatient. J’avais l’impression d’être
possédé par une énergie démoniaque. J’étais en plein
accès de manie. » Et vu de l’extérieur : « Il parlait distinctement
Jean Becchio
et Bruno Suarez d’insecte est plus mais à une vitesse folle, à l’instar de ses pensées. Il était volubile
Odile Jacob complexe qu’une étoile. et surproductif. Il s’exprimait à renfort de grands gestes et de
2021, 256 pages, 22,90 € C’est dire l’ampleur grimaces faciales. Il lui est arrivé d’escalader des meubles pour
de la tâche visant à bondir sur un piano afin d’observer une horloge de plus près.
A ctualiser et simplifier
l’hypnose pour la faire
entrer dans le XXIe siècle :
comprendre cet organe
si particulier, a fortiori
quand il s’agit de celui
Lors d’une promenade, il a insisté pour grimper à plusieurs arbres
et mâts de drapeau. »
La maladie bipolaire est un trouble psychiatrique sévère, alternant
c’est ce que proposent de l’homme. Cette épisodes d’extrême excitation (accès maniaques) et périodes
ici les médecins et « brève » – 464 pages de profonde dépression. De nombreux ouvrages lui ont déjà été
hypnothérapeutes Jean tout de même – histoire consacrés, mais celui-ci est unique : il mêle les notes personnelles
Becchio et Bruno Suarez, du cerveau retrace alors de Perry Baird, jeune et brillant médecin atteint du trouble, les
avec les « techniques les grandes expériences observations des soignants, et le récit de sa propre fille, Mimi.
d’activation de qui ont jalonné son On y assiste à la lente destruction par la maladie d’un homme
conscience ». Préfacé étude. Elle s’attarde brillant et créatif, à une époque (l’Amérique des années 1940) où
par la neuroscientifique au passage sur la aucun traitement n’était disponible, autre qu’enfermement en hôpital
Ghislaine Dehaene- puissance et les limites psychiatrique et électrochocs. Tout est incroyablement fort, d’une
Lambertz, leur ouvrage des métaphores sincérité brute : les notes de Baird sont dans leur jus, par moments
décrit en détail ces successivement utilisées incomplètes ou incohérentes, comme l’était parfois sa pensée ;
techniques : genèse, pour décrire l’encéphale, il en va de même des observations des psychiatres, terrifiantes
indications (douleur, de l’automate de précision mais aussi d’impuissance à secourir.
dépression, phobies, etc.), hydraulique à Ironie de l’histoire : Baird, qui était aussi chercheur, avait publié
déroulement des séances, l’ordinateur. Une leçon avant de sombrer un article scientifique prémonitoire, paru en 1944 :
mode d’action supposé… d’histoire des sciences, « Biochemical component of the manic-depressive psychosis ».
Parsemé d’histoires en même temps qu’un Il y analysait les bases biologiques du trouble. Peu après, en 1948,
de patients qui intriguent panorama passionnant l’Australien John Cade découvrit l’efficacité des sels de lithium
ou émeuvent, il présente et accessible des dans la prévention des rechutes de la maladie, qui allait
en outre un intérêt récentes avancées radicalement changer le destin de tous les patients atteints
pratique, grâce à une en neurosciences. de bipolarité. Mais il était trop tard pour Perry Baird, qui finit par
vingtaine d’exercices être lobotomisé en 1949, à l’âge de 46 ans.
d’« autoactivation » Christophe André est médecin psychiatre
proposés en conclusion. à l’hôpital Sainte-Anne de Paris.
© Sylvie Perdrix
SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire
de sciences cognitives et neurologiques
de l’université de Fribourg, en Suisse.
Le Misanthrope
L’homme qui aimait
trop l’humanité
Les misanthropes détestent-ils vraiment le genre
humain ? La pièce de Molière met plutôt en évidence
un personnage ambivalent, déchiré entre idéalisme
V
et déception – ce que les recherches en psychologie
retrouveront trois siècles plus tard.
ous pensez que la plupart des EN BREF n’avait pas échappé à Molière, créateur d’Alceste,
gens sont immoraux, ingrats, irrespectueux, £ Dans la pièce le plus connu d’entre eux. Bien évidemment,
hypocrites, stupides et incompétents ? La poli- de Molière, Alceste l’aspect ridicule de ce caractère est aussi au
tique vous dégoûte, les foules vous rebutent, rejette tout le monde centre de la comédie.
et se réjouit d’être
vous ne supportez pas la présence d’autrui, et rejeté en retour.
vous concevez l’histoire de l’humanité comme UN ATRABILAIRE À LA COUR
une suite ininterrompue de destructions, de £ Les recherches en Évoluant dans la société de cour de Louis XIV,
guerres, de massacres et d’inégalités, sans aucun psychologie confirment où règnent les normes, les apparences et l’éti-
ce cercle vicieux :
espoir de rédemption ? Alors vous êtes sans les misanthropes se quette, le misanthrope Alceste est excédé par le
doute un misanthrope. comportent de façon caractère factice du comportement de tous ceux
Généralement définie comme la haine de exécrable avec les qui l’entourent. Dès la première scène, on
l’humanité dans son ensemble, la misanthropie autres, déclenchant découvre un personnage extraordinairement à
frappe d’emblée par son caractère excessif et cette attitude détestable cheval sur l’éthique et la vertu, qui se plaint de ce
qu’ils dénoncent.
inhabituel. Après tout, les humains sont des êtres que les autres ne suivent pas les mêmes standards
sociaux qui recherchent la compagnie, tissent £ Elles mettent de rectitude morale que les siens. En somme, tout
des amitiés, collaborent pour améliorer leur également en évidence le monde sauf lui ment, manigance, flatte, profite
bien-être… Et comment peut-on détester unifor- un second cercle vicieux : et manque de sincérité, et le héros atrabilaire est
la misanthropie dégrade
mément l’espèce dont on fait partie ? Il y a déci- la santé, ce qui renforce profondément heurté par le jeu des convenances
dément quelque chose d’étrange et d’illogique la misanthropie sociales, qu’il perçoit comme artificiel et détes-
avec les misanthropes. Un côté mystérieux qui en retour. table. En apparence, Alceste n’a tout simplement
p.
12 EXTRAMISSION
p.
32 ORGANOÏDE
Pour les anciens Grecs, la vision était une force Les organoïdes cérébraux sont
émise par l’œil, d’après un principe appelé des minicerveaux cultivés en laboratoire
« extramission ». On sait aujourd’hui que l’œil
à partir de cellules souches différenciées
reçoit la lumière des objets, et cette conception
est appelée « intromission ». en neurones. Ces cerveaux miniatures
produisent des ondes électriques
p.
80 MUSIQUE semblables à celles observées chez
un bébé prématuré, et peuvent
APAISANTE se connecter spontanément à des
Écouter de la musique aiderait à faire taire la petite
voix intérieure qui nous murmure en plein boulot :
muscles de souris disséqués, en prenant
« Si tu allais voir tes amis ? » ou « Que vas-tu faire le contrôle et parvenant à les faire
dimanche ? ». En effet, elle occupe notre cortex auditif, remuer « à volonté ».
qui ne peut plus alors entendre ces discours internes.
p.
18 SMARTPHONE ADDICT
« Cela a été terrible… On en est venues aux mains… Elle a hurlé… J’ai dû lui arracher
son téléphone des mains. Elle a claqué la porte et jeté par terre la photo de nous trois
qui était dans sa chambre. » Une maman à propos de sa fille, 14 ans, addicte à son smartphone
p.
64 N° 13 p.
56 POC !
En Allemagne, certains
vaccinodromes n’ont
POC : personnalité obsessionnelle compulsive,
pas de cabine n° 13. obsédée par le contrôle et l’ordre. Selon elle, tout irait
Les autorités craignent beaucoup mieux sur Terre si tout le monde faisait
d’éveiller les craintes
superstitieuses comme elle. Rien ne doit traîner ou être laissé au
des personnes venues
se faire vacciner. hasard. Aucune confiance, rien que des vérifications
– un véritable enfer pour l’entourage.
p.
84 BOX-OFFICE p.
18 KYLIE JENNER
Les films qui marchent le mieux au box-office Le « Kylie Jenner challenge »,
seraient ceux dont la fin est… spoilée ! un défi sur internet qui consiste
Connaître le dénouement d’une intrigue à se faire gonfler les lèvres un
n’obérerait finalement pas l’envie de suçant un goulot de bouteille,
a occasionné de graves lésions et
découvrir l’œuvre… De quoi rassurer déchirures des lèvres, nécessitant
artistes et producteurs. des actes de chirurgie réparatrice.
Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes – Dépôt légal : Juin 2021 – N° d’édition : M0760133-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412
– Distribution : MLP – ISSN : 1639-6936 – N° d’imprimeur : 253 943 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
bien
Grand
vous
fasse
ALI REBEIHI
!
10H / 11H
DE LA PSYCHO
DU QUOTIDIEN
© Photo : Christophe Abramowtiz / Radio France
DU SOURIRE
BRAINCAST
La voix des neurones
Le podcast de Cerveau & Psycho
en partenariat avec l’Institut du Cerveau
6ème épisode
Les secrets du cerveau créatif
www.cerveauetpsycho.fr/sr/braincast/
i s o d e e
6 ép
ème
u e l l e Vo ll
D r E m m a n
a v ec l e interviewé
e par S é b a s t i e n Bohler
Neurologue et chercheuse
en neurosciences cognitives