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santé mentale
w w w. s a n t e m e n t a l e . f r

Le mensuel des équipes soignantes en psychiatrie


N° 190 | SEPTEMBRE 2014

Dossier

Burn-out: comprendre
et accompagner
S A N T É / S O C I A L / É D U CAT I O N / M É D I C O - S O C I A L

CERF,
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au service de votre
épanouissement professionnel
PSYCHOLOGIE - PSYCHIATRIE
Psychiatrie d’urgence, soins spécifiques en urgence psychiatrique 16 au 20/03/2015 Paris
- Niveau 1
Dépendance et conduites addictives 23 au 27/03/15 Paris
Deuil et clinique du deuil 07 au 10/04/15 Paris
Troubles des contenants de pensée et difficultés d’apprentissage 07 au 10/04/15 La Rochelle
EFFICACITÉ PROFESSIONNELLE ET TRAVAIL EN EQUIPE
Catalogue
Le “burn out”. L’épuisement professionnel et ses dangers 16 au 20/03/15 La Rochelle
Leadership “le personnel” et “le management” - Niveau 1 30/03 au 03/04/15 Lyon
2015
disponible
Changement et/ou permanence. 18 au 22/05/15 La Rochelle
Comment passer du subir au devenir ?
La fonction coordination et animation dans une équipe : 01 au 05/06/15 Lyon
le management sans lien hiérarchique
ACCOMPAGNEMENT D’ENFANTS ET D’ADOLESCENTS
La dépression et la maladie mentale des parents. 09 au 13/03/15 Paris

www.glyphes.fr - Photo : Fotolia, Thinkstock


Effets sur l’enfant et la pratique des professionnels
Adolescence et sexualité : comment en parler ? 17 au 20/03/15 Nimes
La violence chez l’enfant et l’adolescent 23 au 27/03/15 La Rochelle
De la négligence à la maltraitance, l’enfant en souffrance. 30/03 au 03/04/15 Paris
Niv. 1 : dépistage, révélation et recueil d’informations préoccupantes
L’éveil sensoriel, corporel et les explorations motrices du bébé 30/03 au 03/04/15 La Rochelle
et du jeune enfant
L’ennui chez l’enfant ou l’ambivalence des sentiments 11 au 13/05/15 Paris
ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES HANDICAPÉES
Comment accueillir et accompagner un sujet psychotique ? - Niv.1 16 au 20/03/15 La Rochelle
Comment travailler avec le délire dans la psychose ? - Niveau 1 23 au 27/03/15 Toulouse
Approche psychodynamique 07 au 10/04/15 Paris
de la réadaptation des patients psychotiques
Vers un travail de prévention de la maltraitance aux personnes âgées 18 au 22/05/15 Paris
ACTIVITÉS À MÉDIATION (ARTISTIQUE, CORPORELLE,...)
Initiation à l’art-thérapie en Dessin-Peinture-Collage - Niveau 1 09 au 13/03/15 Tours
Relaxation et musique, massage relaxant sur sonorités musicales 09 au 13/03/15 La Rochelle
Le jeu de clown. Outil de médiation - Niveau 1 23 au 27/03/15 Paris
Piscine - Balnéo. 23 au 27/03/15 Niort
Un environnement singulier pour une pratique singulière - Niveau 1
L’écriture, une médiation thérapeutique 01 au 05/06/15 Paris
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professionnel continu
SM190_Sommaire_SM190_P001_INT 18/09/14 15:19 Page1

Santé mentale est une publication SOMMAIRE


190
des éditions ACTE PRESSE,
12, rue Dupetit-Thouars, 75003 Paris.
Courriel : santementale@wanadoo.fr
Internet : www.santementale.fr
Tél. : 01 42 77 52 77 ; fax : 01 42 77 52 37.
N° de commission paritaire : 0317T81361
N° ISSN : 1273-7208
Prix au numéro : 18 euros (frais de
port inclus). Revue indexée avec le
thesaurus Santepsy du réseau ascodocpsy.

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Isabelle Lolivier

RÉDACTRICE EN CHEF
Isabelle Lolivier (01 42 77 55 30)

RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT


Dominique Friard

© Christian Fafet. No Face A n° 25, 2009.


SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Valérie Westphal
(01 42 77 55 32)

23
RÉDACTION
Valérie Westphal (Actualités)
Louis Joseph (Lu quelque part)
Virginie de Meulder
(Les petits bonheurs du soin)
Ascodocpsy (Pour en savoir plus)
Viviane Beltrame, Sophie Le Mignon Dossier :
Burn-out : comprendre
(indexation des articles)

PUBLICITÉ

et accompagner
Béatrice Bertelli (01 42 77 55 31)

ABONNEMENTS
Virginie Langlais (01 42 77 52 77)

CRÉATION GRAPHIQUE
24 Définir le burn-out – Michel Delbrouck
Laëtitia Loas, Mamma Mia Design 30 Risques organisationnels et burn-out – Christine Jeoffrion, Abdel Halim Boudoukha
MAQUETTE 36 Burn-out, idéal du moi et désir – Vincent Charazac
Brigitte Ourlin
42 La fatigue de soigner – Pierre Canouï
IMPRESSION
Imprimerie de 48 Le sentiment de satisfaction au travail – Jean-Paul Lanquetin
Champagne,
52200 Langres 54 Retrouver le plaisir de soigner – Martine Pacault-Cochet

COMITÉ DE RÉDACTION 56 Reconnaissance au travail : mission impossible ? – Bénédicte Vidaillet


F. Mousson, M. Jaeger, Y. Gigou,
J.-F. Lévêque, R. Isnard, P. Arene, J. Morin,
62 Le burn-out, une pathologie de civilisation – Pascal Chabot
J.-P. Le Guen, M. Castagna, M. Rajablat, 68 « Toute ma vie, j’ai voulu être utile » – Ariane Bilheran
X. Frégosi, S. Szerman, M.-P. Reynaud,
V. Kapsambelis, J. Szpirko, V. Di Rocco. 74 « Je ne sers à rien » – Charly Cungi

COMITÉ SCIENTIFIQUE 82 L’après burn-out – Sabine Bataille


Dr G. Massé (psychiatre),
Dr P. Bailly-Salin (psychiatre),
88 Pour en savoir plus – Ascodocpsy
F. Pétoin (IG psy – ADI),
D. Feuille (IG – AP-HP),
J. L. Gérard (cadre inf. psy –formateur), 2 Actualités 14 Lu quelque part
J.-M. Evain (IG psy),
W. Hesbeen (IG – ENSP), – La qualité de vie au travail
J. Martinez (directeur d’hôpital), des infirmiers psy 16 Art de soigner
G. Laroque (Unafam),
– Un kit pédagogique sur les droits Un programme mère-bébé
Dr C. Bonnet (Féd. Croix-Marine),
J. Lombard (FNAP-PSY), des usagers pour soigner le lien
M. Bretin-Naquet
(maître de conférences), – L’information pharmaceutique 21 Les petits bonheurs du soin
Pr. E. Zarifian † (psychiatre) à l’hôpital
« On dirait un bébé!… »
Un encart MNH est broché au centre – Soins sans consentement :
de ce numéro. une pseudo-judiciarisation ? 22 Classique du soin
10 Agenda Épuisement professionnel
TABLEAU DE COUVERTURE
© Christian Fafet. 12 Kiosque 91 Petites annonces

SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014 1


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ACTUALITÉS

UNE ENQUÊTE SUR LES AIDANTS


Eufami (Fédération européenne des
La qualité de vie au travail des infirmiers psy
associations de familles malades RECHERCHE EN SOINS. Un programme de recherche infirmière et paramédicale
psychiques) lance une enquête pour s’intéresse aux éléments qui impactent la qualité de vie au travail.
recenser les besoins des aidants de
personnes atteintes de troubles psychiques. hez les infirmiers, la souffrance
Pour participer :
www.surveymonkey.com/s/CR5HXQC C
psychologique au travail est un
des principaux déterminants
d’une éventuelle intention de quit-
ÉVALUER LA RÉCIDIVE ter leur institution (1). Améliorer la
qualité de vie au travail (QVT) per-
© Stocklib – Cathy Yeulet.

Selon les auteurs de cet article, en


complément de leur jugement clinique, mettrait donc de fidéliser ces soignants
« les praticiens français doivent et d’accroître l’attractivité des insti-
s’approprier des outils actuariels » pour tutions de soins. Néanmoins, il reste
évaluer de façon plus mathématique le difficile d’évaluer le bien-être psycho-
risque de récidive… logique au travail et peu de travaux
Évaluation du risque de récidive : de la se sont intéressés spécifiquement
nécessité d’une evidence based expertise. aux aspects structurels de l’organisation des soins et aux variables propres aux soignants.
M. Abondo, R. Bouvet, R. Palaric et al. Un projet de Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP),
Médecine et droit, n° 127, juillet 2014. coordonné par Pierre Cheyroux, cadre de santé au Pôle Psychiatrie au CHRU de Tours,
vise à identifier les facteurs individuels, organisationnels et managériaux pouvant impac-
FORMATION 2015 ter la QVT des infirmiers en psychiatrie et au-delà, le retentissement de cette QVT sur
Pour l’année 2015, le ministère des la qualité des soins.
Affaires sociales et de la Santé retient, Dans ce contexte, la psychiatrie constitue un terrain d’expérimentation idéal. Les équipes
entre autres priorités, les axes de formation soignantes y prennent en charge des patients souffrant de pathologies chroniques,
qui contribueront au Plan Psychiatrie et sévères et invalidantes, objets d’une stigmatisation sociale importante et exposant les
santé mentale 2011-2015. Notons que la infirmiers à un taux élevé d’épuisement professionnel. Étudier les déterminants de la
prise en charge somatique des patients QVT chez les infirmiers en psychiatrie constitue donc un objectif important pour mettre
ayant une pathologie mentale sévère est en place des actions permettant de renforcer le bien-être psychologique au travail, de
une des trois thématiques retenue des diminuer le turn-over et d’améliorer la qualité des soins.
programmes nationaux de DPC. Concrètement, ce PHRIP, retenu par la Direction générale de l’organisation des soins
(DGOS) en 2013, débutera fin 2014, et incluera 400 infirmiers de 7 centres hospita-
Instruction DGOS/RH4/2014/238 du 28
liers (CRHU de Tours, CHS d’Allonnes, CHS de Bourges, CHIC de Château-Renault, CH
juillet 2014 relative aux orientations en matière
de Sainte-Anne, CESAME de St-Gemmes sur Loire, CHS des Fleury-les-Aubrais). Ces
de développement des compétences des
soignants seront invités à remplir un même questionnaire deux fois à un an d’intervalle.
personnels des établissements de la FPH
L’équipe de recherche souhaite que l’analyse des résultats ouvre de nouvelles pistes de
réflexion sur les pratiques organisationnelles et managériales favorisant la QVT.
ÉLECTROSTIMULATION
CRÂNIENNE ET DÉPRESSION 1– Tzeng, H. M. (2002). The influence of nurses’ working motivation and job satisfaction on intention to quit : an
empirical investigation in Taiwan. International Journal of Nursing Studies, 39(8), 867–878.
Selon une analyse de la littérature,
l’efficacité de l’électrostimulation Déterminants individuels, organisationnels et managériaux de la qualité de vie au travail des infir-
miers en psychiatrie et retentissement sur la qualité des soins. PHRIP, 2013. En savoir plus auprès de
crânienne (auto-administration d’un
Pierre Cheyroux, p.cheyroux@chu-tours.fr
courant électrique de faible intensité avec
un appareil portatif) dans le traitement de
la dépression n’est pas démontrée. Le CH Esquirol gère le long cours
Alternating current cranial electrotherapy Grâce à une stratégie de suivi et de prise en charge Cette gestion efficiente des hospitalisations
stimulation (CES) for depression (Review), des patients hospitalisés au long cours, le CH implique de développer des partenariats avec le
Kavirajan HC, Lueck K, Chuang K, The Cochrane
Esquirol de Limoges est parvenu à trouver des secteur médico-social. 19 patients handicapés
solutions d’hébergement adaptées pour ces psychiques vieillissants, hospitalisés au long cours
Library 2014, Issue 7, 8 juillet 2014.
patients et à optimiser l’occupation des lits au CH Esquirol, ont par exemple pu intégrer
d’hospitalisation. Selon A. Pacheco, le directeur, récemment un Établissement d’hébergement pour
MÉDICAMENTS « le travail d’un comité de suivi, qui gère chaque personnes âgées dépendantes (EHPAD) adapté aux
Ce manuel édité par la revue Prescrire situation au cas par cas, a permis qu’il n’y ait plus pathologies psychiatriques grâce à la création de
permet de retrouver les principaux de patients hospitalisés au long cours au CH structures d’hébergement dédiées en partenariat
médicaments connus pour causer ou Esquirol, en dehors des hospitalisations médico- avec l’Hôpital Intercommunal du Haut Limousin
aggraver divers problèmes de santé. légales. Une nouvelle dynamique d’équipe permet (87) et l’hôpital de Saint-Yrieix (87)
d’avoir un taux d’occupation de l’hôpital de 93 % Initiée en 2007, cette démarche s’accompagne
Petit manuel des troubles d’origine
(au lieu de 100 %) et une durée moyenne de d’une réflexion globale pour de nouvelles solutions
médicamenteuse, Prescrire, septembre 2014, séjour de 21 jours (au lieu de 29), ce qui est plus d’hébergement adaptées à ces patients.
224 p., 20 euros. www.prescrire.org raisonnable. » En savoir plus : www.ch-esquirol-limoges.fr

2 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


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ACTUALITÉS

Un kit pédagogique sur les droits des usagers PHRIP 2014


50 projets ont été retenus dans le cadre de
INFORMATION. Le Psycom propose « Histoires de droits », un nouvel outil gratuit la présélection des Programmes hospitaliers
pour dialoguer sur les droits en psychiatrie. de recherche infirmière et paramédicale
2014 de la Direction générale de l’offre
n psychiatrie, les droits des usagers sont complexes de soins. Relevons parmi eux :

E et mal connus. Les modalités de soins sans consen-


tement, en particulier, ont besoin d’être accompa-
gnées d’un important travail pédagogique auprès des
– évaluation de l’adjonction d’un entretien
infirmier semi-directif à la stimulation
magnétique transcrânienne répétée
patients, des proches et des professionnels. Selon une dans les prises en charge de patients avec
enquête menée au CH Gérard-Marchant à Toulouse (1), un épisode dépressif majeur
« la plupart des patients hospitalisés expriment ne pas (CH Guillaume-Régnier) ;
connaître les changements liés à la loi, et 43 % décla- – le sujet obèse et son image corporelle
rent ne pas avoir été informés des voies de recours. » Dans (CHRU Tours) ;
ce contexte, le Psycom, en partenariat avec l’agence – éducation thérapeutique et effets
Valorémis, a développé un kit pédagogique d’information procognitifs, le programme Modem : entre

©Psycom
sur les droits des usagers des services de psychiatrie, bap- équilibre alimentaire et plaisir : étude
tisé « Histoires de droits ». Depuis la conception jusqu’aux biocentrique sur la schizophrénie
phases de test, il a été élaboré avec la participation de tous les acteurs concernés. (CH Sainte-Anne) ;
« Histoires de droits » s’adresse à des petits groupes (de 2 à 8 personnes) et peut être – validation des tests d’évaluation
utilisé par les associations d’usagers et de proches, les soignants et les professionnels écologique des fonctions exécutives
de l’accompagnement (travailleurs sociaux, juristes, tuteurs…), ou encore dans le cadre chez des patients souffrant de schizophrénie
de formations. Le kit est composé de 18 fiches-questions, qui chacune s’appuie sur de (AP-HP) ;
courts récits pour questionner le groupe. Les 18 thèmes ont été identifiés par les per- – entraînement cognitif assisté par
sonnes de terrain auditionnées en amont. Les questions évoquent des cas concrets dans ordinateur chez des enfants avec un trouble
trois domaines : droits fondamentaux, droits dans la société et droits dans le soin. Elles déficit de l’attention avec ou sans
invitent les participants à approfondir leurs connaissances, à réfléchir à des situations hyperactivité (TDAH) (AP-HP) ;
ambivalentes et à des pistes d’actions pour améliorer ou renforcer le respect des droits. – étude randomisée d’un suivi ambulatoire
Il n’est pas nécessaire d’être un expert de la question pour jouer ou animer ce kit péda- infirmier dans le cadre de la prévention de la
gogique. Les sujets abordés invitent au débat et à la construction de réponses à plu- récidive suicidaire (CHU Montpellier).
sieurs. Une clé USB contenant des informations sourcées permet d’imprimer ou de www.sante.gouv.fr
consulter des contenus pour en savoir plus. Enfin, chaque participant garde une « fiche
mémo » listant ce qu’il a appris, ce qu’il souhaite mieux comprendre ou les démarches
qu’il aimerait réaliser. Cette fiche comporte une liste de structures et numéros utiles
L’URGENCE PSY EN QUESTION
Dans la Revue de droit sanitaire et social.
pour aider dans ces démarches.
S. Théron dresse un état des lieux de la
1– Enquête Loi du 5 juillet 2011, qu’en pensent les usagers. CH Gérard-Marchant, www.ch-marchant.fr
prise en charge psychiatrique dans
Kit pédagogique sur les droits des usagers en psychiatrie, Psycom-Valoremis. Gratuit (frais de port,
l’urgence. Elle constate que nombre
disponible sur le territoire national). Développé avec le soutien du Ministère de la Santé et des Affaires
d’urgences résultent d’« un délaissement
sociales. Contact : Sophie Arfeuillère, chargée de mission formation, s.arfeuillere@psycom.org.
préjudiciable des structures ambulatoires »,
Plus d’infos sur www.psycom.org
lié à un « défaut de lisibilité » dû à la
complexité du système. La conséquence de
Comment reconvertir une structure sanitaire cette orientation est la disparité et
L’accompagnement proposé aux personnes À partir de l’analyse de douze reconversions l’inégalité dans le traitement du patient.
souffrant de troubles psychiques doit tenir (présentées chacune séparément), l’Anap dégage Les urgences psychiatriques en établissement.
compte des particularités de leur situation des enseignements convergents et des éléments RDSS, n° 4, juillet-août 2014.
(impossibilité d’exprimer une demande de méthode qui pourraient contribuer à la
d’accompagnement, importance de prendre en réussite des nombreux projets de coopération ou
compte les relations avec l’entourage familial et d’adaptation en cours ou à venir. CANARD DE PSYCHANALYSE
de voisinage, évolution de leur situation…). Le Il ressort surtout de ces analyses que Comment c’est qu’on ment ? est un canard
soutien à leur apporter mobilise alors de les reconversions, qui doivent être replacées de psychanalyse édité sous la forme d’un
nombreux acteurs à la fois sanitaires et sociaux. au cœur d’une réflexion stratégique globale, blog, un des lieux d’expression de
Pour mettre en évidence les dynamiques améliorent incontestablement l’association « Dimensions de la
d’adaptation visant à développer ces prises en l’accompagnement des personnes et qu’il existe
psychanalyse ». Il publie des écrits à
charge et accompagnements multiples, l’Agence plusieurs éléments qui facilitent la réalisation
propos de littérature, d'expos, de films, de
nationale d'appui à la performance des de ces opérations.
établissements de santé et médico-sociaux rencontres, d'événements, de politique…
L’accompagnement médico-social des personnes adultes
(Anap) publie un retour d’expériences sur les handicapées psychiques. Retours d’expérience de reconversions un champ mettant en tension culture
créations ou reconversions d’établissements ou de créations. Anap, septembre 2014, à télécharger et psychanalyse.
sanitaires en structures médico-sociales. gratuitement sur www.anap.fr, onglet Publications et outils http://canardosatworpress.wordpress.com

SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014 3


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ACTUALITÉS

PROTOCOLES DE COOPÉRATION
ENTRE PROFESSION DE SANTÉ L’information pharmaceutique à l’hôpital
Un peu plus de deux ans après la mise en
place de protocoles de coopération entre MÉDICAMENTS. La pharmacie de l’EPSM de Caen a mis en place une véritable
professionnels de santé permettant à des politique d’information pour les soignants.
soignants volontaires d’organiser des
a thérapeutique médicamen-

L
délégations d’actes ou d’activités à travers
des protocoles validés par les Agences teuse est en constante évolu-
régionales de santé, la Haute autorité de tion et les professionnels de
santé (HAS) dresse un bilan. Sur santé doivent donc disposer d’une
57 dossiers traités ou en instruction fin information actualisée de qualité.
2013, 29 concernaient le premier recours Cette information sur le bon usage
et 28 des actes ou activités hospitalières. du médicament est une des mis-
Notons encore que 34 correspondent à la sions du pharmacien hospitalier
réalisation de consultations par l’IDE. La (Code de la Santé publique). Au sein
© Stocklib.

HAS constate une qualité très variable des de la Pharmacie à usage intérieur
protocoles qui sont globalement « peu (PUI) de l’EPSM de Caen, cette infor-
reproductibles » car ils résultent souvent mation constitue une activité impor-
d’un historique propre au lieu émetteur. tante qui se traduit en particulier par la mise au point de supports de communica-
Dans ce contexte, la HAS suggère (entre tion. Les destinataires sont prioritairement les professionnels de santé de l’établis-
autres) de faire évoluer le dispositif « vers sement mais certains documents sont transmis aux pharmaciens hospitaliers et offi-
des protocoles qui auraient d’emblée une cinaux de la région ou partagés plus largement via des sites professionnels (1). Les
vocation nationale et contribueraient à une pharmaciens ont également participé à l’élaboration de fiches d’information sur les
évolution des métiers et/ou des psychotropes destinées aux patients de l’établissement.
organisations des soins. » Plusieurs supports d’information sont donc proposés aux professionnels :
En savoir plus : www.has-sante.fr • Deux bulletins d’information :
– l’un médico-pharmaceutique, la Lettre de votre Apothicaire, (4 pages, 2 à 4 numéros/an)
UNE CHAIRE EN ÉCONOMIE sur des prises en charge médicamenteuses ou thérapeutiques (synthèses bibliogra-
DE LA SANTÉ phiques, conduites à tenir, observations de pharmacovigilance…).
Cocréée par l’Assistance puplique-Hôpitaux – le second intitulé Info-Soignants (2 pages recto verso) a pour objectif de contribuer à
de Paris (AP-HP) et la Paris School la formation continue des infirmiers (nouveaux antipsychotiques présentés, diffusion de
Economics (PSE), Hospinnomics est protocoles de surveillance, rappels réglementaires concernant les stupéfiants…).
une chaire en économie de la santé centrée • Chaque année, Quoi de neuf en… ? compile les informations sur les nouveautés médi-
sur l’innovation à l’hôpital. Elle mobilise camenteuses. Ce document est découpé en chapitres traitant des nouveaux principes actifs,
les compétences des économistes au changements d’indications et de posologie, nouvelles formes, nouveaux dosages, nouvelles
service d’une prise de décision éclairée associations, arrêts de commercialisation… Un chapitre consacré aux nouveautés en phar-
et contribue à développer l’évaluation et macovigilance est confié à un pharmacien du Centre régional de pharmacovigilance.
l’expérimentation. • Le Livret du Médicament est conçu comme la liste des médicaments disponibles sur
En savoir plus www.hospinnomics.eu l’établissement. Classé par famille, il associe de nombreuses recommandations/proto-
coles de prescriptions (médicaments déconseillés chez la personne âgée), des tableaux
JEUNES ET ADDICTIONS d’équivalence et des conseils de bon usage aux infirmiers (logo devant les médicaments
Destiné aux professionnels, le manuel à ne pas écraser, durée de conservation des collyres ou solutions buvables…).
PAACT (Processus d’accompagnement • D’autres guides d’aide à la prescription et/ou à l’utilisation des produits de santé sont dis-
et d’alliance changement thérapeutique) ponibles, par exemple un Guide de choix et de bon usage des pansements pour les
est un outil d’aide pour la prise en charge plaies chroniques ou un Livret des dispositifs médicaux. Dans le domaine des médica-
des pratiques addictives chez les jeunes ments psychotropes, et dans l’objectif de contribuer à la formation continue des infir-
consommateurs. miers, un guide synthétique a été conçu en ciblant, pour les médicaments utilisés pour
Manuel PAACT, Fédération Addiction, 104 chaque famille médicamenteuse, le rôle infirmier en termes d’information du patient,
pages, gratuit sur www.federationaddiction.fr d’aide à l’observance et de surveillance pharmacothérapeutique.
• Des fiches de bon usage sont également remises au moment de la dispensation de
SUR GRAND ÉCRAN médicaments ou de dispositifs médicaux peu prescrits en psychiatrie (anticancéreux,
Cet automne, le cinéma fait la part belle anticoagulants, aérosols…).
à la santé. Parmi les films de la rentrée, • Enfin, certains travaux ou projets font l’objet de communications sous forme de
mention spéciale pour Mommy, de Xavier posters dans des congrès et sont ensuite exposés au niveau de l’accueil infirmier de
Dolan qui raconte le quotidien chaotique la pharmacie.
d’une veuve et de son fils, adolescent 1– Sites de l’ADIPH, Association pour le Développement de l’Internet en Pharmacie, www.adiph.org, ou du Réseau
hyperactif et violent, et Flore, PIC Psychiatrie Information Communication, www.reseau-pic.info
de Jean-Albert Lièvre qui évoque avec C. Roberge, C. Gabriel-Bordenave, V. Auclair, M. Colombe, pharmaciens. En savoir plus :
finesse la maladie d’Alzheimer. www.epsm-caen.fr, pharma.labo@epsm-caen.fr

4 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


COMMUNIQUé

PARAMÉDICAL et assurance 

Exercez sereinement
votre métier !
3 questions à Sophie Charles,
infirmière hospitalière

Parce que
les métiers
paramédicaux
sont soumis à
des risques
professionnels
bien spécifiques, Contrat GMF
la GMF a conçu
Quels sont, à «Assurance Personnelle des Infirmiers(2)»
spécialement pour Une protection à la hauteur des risques encourus
les agents des vos yeux, les
L’Assurance Personnelle des Infirmiers s’adresse aux agents des
services publics avantages du services publics, c’est-à-dire aux fonctionnaires hospitaliers, aux
un produit offrant contrat GMF salariés des établissements privés participant au service public
hospitalier et aux salariés d’associations : auxiliaires médicaux
des garanties «Assurance

Serec Communication / mars 2014 - Photo Plain Picture - GMF Assurances : 76 rue de Prony, 75857 Paris cedex 17
(infirmiers, professions paramédicales telles que puéricultrices,
étudiées. Personnelle des podologues…), et aides-soignants (auxiliaire de vie sociale,
conducteur ambulancier…).
Infirmiers» ? Ce contrat conforte leur protection personnelle dans l’exercice
Avez-vous Si ma responsabilité de leur métier grâce à des plafonds de garantie appropriés :
des inquiétudes personnelle est engagée suite - responsabilité civile professionnelle : jusqu’à 3 millions d’euros
à une erreur ou une faute garantis par sinistre
lorsque vous personnelle détachable du - défense pénale et recours, protection juridique (assistance juridique,
exercez votre service, j’ai accès à un paiement des honoraires d’avocat)
métier ? avocat dans le meilleurs - garanties accidents corporels (décès, invalidité, frais de soins).
Jusqu’à présent, je me suis délais. Cette couverture
toujours efforcée de ne s’exerce aussi en dehors de
pas trop y penser d’autant mon lieu de travail, par
plus que je n’ai jamais eu exemple si je fais l’objet Ce contrat a-t-il Pour en savoir plus
sur ce contrat GMF :
de problèmes. Cela dit, le de poursuites après avoir changé quelque appelez le
métier d’infirmier comporte porté secours à une
un certain nombre de personne dans la rue…
chose dans la 0 970 824 970 (n° non surtaxé)
pratique de votre ou connectez-vous
risques… En cas de mise sur www.gmf.fr
en cause dans l’exercice profession ?
de mes fonctions, l’hôpital Pour 59 €(1) J’exerce plus sereinement
pour lequel je travaille me par an ! mon métier ! De plus,
défendrait… Mais on n’est l’Assurance Personnelle
jamais trop prudent ! Il n’est pas si rare de devoir des Infirmiers comporte des
Il peut arriver que mes intervenir dans l’urgence… prestations d’assistance
intérêts divergent de ceux Je suis également couverte bien utiles, notamment
de mon employeur… pour les activités de un accompagnement
C’est pourquoi j’ai souscrit formation qu’il m’arrive psychologique en cas de
le contrat Assurance d’avoir à titre bénévole, traumatisme survenu dans
Personnelle des Infirmiers. en dehors de l’hôpital. le cadre professionnel.
(1) Tarif au 01/04/2014
(2) Assurance Personnelle des Infirmiers et autres professions paramédicales, des aides-soignants et des professions à caractère social

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ACTUALITÉS

Soins sans consentement :


Alors que les derniers articles de la loi sur les soins sans consentement en psychiatrie sont
entrés en vigueur le 1er septembre, le Groupe information asiles (GIA) (1) dénonce une
pseudo-judiciarisation de l’hospitalisation sous contrainte.

Septembre noir pour les psy- – 27 septembre 2013 : nouvelle loi toi- – Les UMD perdent tout statut légal par-
chiatrisés ? Depuis le 1er septembre est lettant la précédente et dont la plupart ticulier, sans être pour autant suppri-
entrée pleinement en application la Loi des nouveautés voient leur application mées. Pour y entrer ou en sortir, c’est le
du 27 septembre 2013 modifiant certaines différée au 1er septembre 2014 (2). droit commun aux soins sans consente-
dispositions issues de la loi du Les principales modifications peuvent se ment qui s’applique.
5 juillet 2011 relative aux droits et à la résumer ainsi : – Les irresponsables pénaux font l’objet
protection des personnes faisant l’objet – Le JLD doit statuer avant l’expiration du d’un régime légal particulier seulement
de soins psychiatriques et aux modalités douzième jour (au lieu du quinzième), le s’ils ont commis des atteintes aux per-
de leur prise en charge. S’il est trop tôt délai de première saisine obligatoire étant sonnes entraînant une peine d’au moins
pour en faire le bilan, nous pouvons désormais précisé à 8 jours à compter de cinq ans d’emprisonnement ou des atteintes
cependant tirer quelques enseignements l’admission du patient. aux biens entraînant une peine d’au
des évolutions récentes pour les usagers. – Un seul certificat médical à remettre au moins dix ans d’emprisonnement.
JLD avant audience reste exigé au lieu – Les parlementaires ont le droit de visiter
LA NOUVELLE LOI de deux. Par ailleurs, le certificat au hui- à tout moment un service psychiatrique
Rappelons quelques dates et faits : tième jour est supprimé, vu que le JLD fermé (comme ils peuvent déjà visiter
– 2 décembre 2008 : discours sécuritaire sera saisi plus tôt qu’avant. une prison ou un centre de rétention).
de Nicolas Sarkozy à l’hôpital psychiatrique – L’assistance par un avocat devient obli-
Érasme d’Antony, qui sera suivi d’effets gatoire. L’INTERVENTION DU JLD
dans beaucoup d’établissements : vidéo- – Alors que jusqu’à présent, les deux En 2012, on dénombre 54 382 saisines
surveillance, perfectionnement des sys- tiers des audiences se tenaient au Tribu- du juge des libertés et de la détention (JLD)
tèmes de verrouillage des portes, aug- nal de grande instance (TGI), les audiences et 64 713 en 2013 (3). Les saisines (voir
mentation du nombre de chambres foraines à l’hôpital où réside le malade en lexique) concernant les hospitalisations
d’isolement et de places en Unités pour hospitalisation sans consentement devien- sans consentement (HSC) (la quasi-tota-
malades difficiles (UMD)… nent la règle en première instance. Ces lité) ont abouti à des mainlevées dans 8
– 5 juillet 2011 : loi facilitant l’admis- audiences hors tribunal ont désormais à 9 % des cas lors des saisines automa-
sion en soins sans consentement et dur- le statut juridique d’audiences délocali- tiques et plus ou moins 20 % des cas lors
cissant les conditions de sortie de celle- sées, des salles ad hoc devant être amé- des saisines à la demande. Quelques sai-
ci… avec toutefois l’introduction d’une nagées. Toutefois, une salle pourra ser- sines concernaient un programme de
intervention automatique du juge des vir pour plusieurs hôpitaux. En seconde soins (402 en 2012 et 569 en 2013) :
libertés et de la détention (JLD) devant instance, les audiences ont lieu à la Cour dans ce contexte, 16 % en 2012 et
statuer sur le bien-fondé du maintien en d’Appel. Les audiences par visioconférence 13,5 % en 2013 ont abouti à une main-
soins sans consentement avant la fin du sont par ailleurs supprimées. levée du programme de soins.
quinzième jour d’hospitalisation sans – La possibilité de sortie non accompagnée Les mainlevées ne sont donc pas négli-
consentement. est rétablie sans qu’elle interrompe le geables, mais peut-on s’en satisfaire ?
statut d’hospitalisation complète sans En effet, comment interpréter ces déci-
consentement en cours. Une telle sortie sions quand les statistiques n’en mention-
ne pourra excéder une durée de 48 heures. nent pas les motifs ? Il faudrait pouvoir
– Aucune mesure de contrainte ne peut lire le libellé complet de chaque ordon-
Nicole MAILLARD-DÉCHENANS être mise en œuvre à l’égard d’un patient nance de mainlevée. Notons cependant
pris en charge sous la forme d’un pro- que d’une part, les JLD, depuis le 1er jan-
Membre du Groupe information asiles (GIA), gramme de soins, c’est-à-dire sous une forme vier 2013, ont pris le relais des juges admi-
www.groupeinfoasiles.org ambulatoire. nistratifs en matière de compétence sur

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ACTUALITÉS

une pseudo-judiciarisation?
une éventuelle irrégularité formelle de (CGLPL) (4) dans son rapport 2013. de leurs représentants légaux qui souhai-
l’HSC, et que, d’autre part, l’expérience Au regard des droits de l’Homme, une tent leur admission en soins psychia-
des adhérents du Groupe information telle interprétation du rôle du juge est triques. Leur hospitalisation n’est pas alors
asiles (GIA) montre qu’une ordonnance insatisfaisante puisqu’elle cautionne le considérée comme une HSC et ne peut donc
de mainlevée d’HSC peut tout à fait fait qu’une garde à vue de 12 jours est de faire l’objet d’aucun recours, même si le
présenter un argumentaire élogieux des toute façon légitime si elle est motivée par mineur s’y oppose farouchement !
« bons soins psychiatriques ». Dès lors des raisons prétendument psychiatriques ! • Admission en soins psychiatriques sur
comment attaquer ensuite sur le fond ? Cette judiciarisation est aussi très partielle décision du représentant de l’État (ASPDRE)
Même en appel, le président de la Cour pour une autre raison : la loi du 27 sep- La loi mentionne trois cas possibles :
n’hésite pas parfois à en « remettre une tembre 2013 continue de faire la part belle – ou bien il s’agit de personnes « dont les
couche » dans le même sens, comme s’il aux médecins qui gardent le pouvoir, troubles mentaux nécessitent des soins et

“ Pourquoi la justice, avec la bénédiction d’associations,


de syndicats et, un comble, du Contrôleur général
des lieux de privation de liberté, continue-t-elle à stigmatiser
les prétendus “fous”, en les traitant à part, comme s’il y avait
une honte à avoir (peut-être !), une maladie mentale ? »
s’agissait de dissuader la personne enfin
libérée d’engager sur le fond une pro-
cédure contre l’HSC. Y a-t-il seulement
comme on peut le repérer dans les for-
mulations de ces « nouveaux » articles
du Code de santé publique (CSP).
compromettent la sûreté des personnes ou
portent atteinte, de façon grave, à l’ordre
public » (CSP L. 3213-1-I) ; la décision
un JLD qui oserait prendre une déci- • Admission en soins psychiatriques sur du préfet est prise « au vu d’un certifi-
sion de mainlevée sur le fond contraire décision du directeur d’établissement cat médical circonstancié ne pouvant
à un avis médical ? Au mieux, il deman- (ASPDDE) émaner d’un psychiatre exerçant dans
dera une expertise et s’y conformera… – D’une part, il s’agit des variantes d’ad- l’établissement d’accueil » (ibidem). Cette
Les décisions des JLD ne devraient donc mission en soins psychiatriques « à la dernière formulation, déjà présente dans
pas beaucoup varier maintenant que le demande d’un tiers » : le directeur d’éta- la loi du 5 juillet 2011, reste ambiguë :
délai dans lequel ils doivent statuer est blissement vérifie si les conditions for- en effet, elle laisse entendre qu’un méde-
raccourci à 12 jours… melles sont réunies et prend la déci- cin non-psychiatre exerçant dans l’éta-
sion. Soulignons la possibilité pour un blissement d’accueil est habilité à un tel
ÉBAUCHE RATÉE directeur de décider d’enfermer une per- certificat lourd de conséquences…
Cette intervention du JLD n’est-elle pas sonne à la demande d’un tiers, sur cer- – ou bien il s’agit de « personnes dont
finalement qu’une ébauche ratée, une tificat médical unique d’un médecin le comportement révèle des troubles men-
pseudo-judiciarisation de l’internement exerçant dans l’établissement en « cas taux manifestes » avec « danger immi-
psychiatrique, un faux-semblant ? d’urgence, lorsqu’il existe un risque grave nent pour la sûreté des personnes, attesté
L’apparente judiciarisation des HSC appor- d’atteinte à l’intégrité du malade » (CSP par un avis médical » (CSP L. 3213-2) ;
tée par la nouvelle loi reste en effet par- L. 3212-3). remarquons là encore l’adjectif ambigu
tielle puisqu’elle consiste finalement en – D’autre part, il s’agit de l’admission en « imminent »…
une simple procédure, qui plus est tardive, soins psychiatriques « en cas de péril – ou bien la personne, dans le cadre du
de contrôle des mesures. « Le temps a (…) imminent pour la santé du patient » : le premier alinéa de l’article 122-1 du Code
aidé les magistrats, au fil des audiences, directeur prend la décision, sans demande Pénal et de l’article 706-135 du Code de
à mieux apprécier leur rôle, qui est celui d’un tiers, au seul vu d’un certificat Procédure Pénale, « nécessite des soins
de savoir, non pas si l’admission aux soins médical unique établi par un médecin hors et compromet la sûreté des personnes
sans consentement est justifiée ou non, établissement (CSP L. 3212-1-II-2e et L. ou porte atteinte de façon grave à l’ordre
mais si la motivation qui justifie la pour- 3212-9-2e-2e §). Remarquons l’ambi- public » (CSP L. 3212-9-2 e -3 e §,
suite de soins sans consentement est suf- guïté de l’adjectif « imminent ». L. 3213-6, L. 3213-7).
fisante et appropriée », écrit le Contrôleur Précisons que les mineurs (CSP L. 3211-10) Ces trois variantes peuvent concerner
général des lieux privatifs de liberté sont entièrement soumis au bon vouloir des mineurs.

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ACTUALITÉS

LA TOUTE-PUISSANCE Les chiffres noirs des soins sous contrainte


DU PSYCHIATRE
Le maintien de la toute-puissance médi- Les statistiques accessibles en matière de soins sous contrainte (2) n’ont rien de réjouissant : en
cale est également manifeste dans les six ans, de 2006 à 2012, le nombre de personnes ayant été hospitalisées sans consentement
réserves explicitement formulées en maints (HSC) a augmenté de 32 % et la durée moyenne annuelle de journées cumulées d’enfermement,
en un ou plusieurs séjours, a augmenté de 4,5 %.
articles concernant l’état du « patient ».
Par exemple : – En 2006, 56 104 personnes ont fait l’objet d’une ou plusieurs HSC toutes catégories confondues,
– « Dans la mesure où son état le per- en 2012, 74 034… soit près de 18 000 de plus ! En nombre d’entrées (ou de séjours), l’écart est
met » (CSP L. 3211-3, 2e §), « de manière presque le double, allant de 52 744 en 2006 à 101 457 en 2012, une même personne pouvant faire
appropriée à son état » (CSP L. 3211-3, plusieurs séjours en HSC dans l’année. Le nombre total de journées passées en HSC en 2006 était
fin 2e § et 3e § a), « aussitôt que son état
de 2 493 600, il est passé à 3 439 100 en 2012.
le permet » (CSP L. 3211-3, 4e §), «dans – Si l’on compare le nombre total de journées avec le nombre de séjours (ou d’entrées), la durée
toute la mesure du possible » (CSP L. 3211- moyenne de séjour était de 37 journées en 2006 et de 34 journées en 2012. Si l’on compare le
3, 2e §), passages concernant l’informa- nombre total de journées avec le nombre de patients, alors, la différence est inversée : 44 jours
tion du « patient » sur sa situation juri- en 2006, 46 jours en 2012. N. M.-D.
dique, ses droits et le recueil de ses
observations et de son avis sur les moda- juillet 2013 témoigne de la dérive à les prétendus « fous » en les traitant à
lités de soin ; laquelle peut conduire une telle pratique part, comme s’il y avait une honte à avoir
– « Si, au vu d’un avis médical motivé, (6). Elle relève que le JLD a adopté sys- (peut-être !), une maladie mentale ? Le GIA
des motifs médicaux font obstacle, dans tématiquement le huis clos pour empê- qui a toujours soutenu la position d’au-
son intérêt, à son audition » (CSP L. cher que les malades ne viennent assis- diences publiques et non délocalisées
3211-12-2-I, 2e §), passage concernant ter aux audiences pour, selon lui, « se en établissement psychiatrique conti-
l’absence non décidée par lui-même du divertir » ! Huis clos toutefois bien élas- nuera à combattre ce qui est non seule-
« patient » à l’audience le concernant ; tique, car il tolère la présence de soignants ment une stigmatisation, mais aussi une
– « Si l’état de la personne (…) le per- et leurs interventions, même intempes- discrimination.
met » (CSP L. 3213-7, 3e §), passage tives, et paraît franchement ravi qu’un psy-
concernant l’information du « patient » chiatre non seulement soit présent, mais
par les autorités judiciaires de la mesure prenne la parole aux audiences… en l’ab-
d’HSC prise à son encontre. sence de tout avocat ! 1– Le GIA est une association de lutte pour les droits et
Un autre pouvoir accordé aux psychiatres Le simple fait que la présence de ce der- la dignité des personnes psychiatrisées ou l’ayant été.
reste inscrit en maints passages de la nier soit désormais obligatoire ne chan- 2– Signalons également le décret 2014-897 du 15 août
loi du 27 septembre 2013. Il s’agit de gera pas grand-chose. L’avocat commis 2014 modifiant la procédure judiciaire de mainlevée et
la possibilité de rédiger des certificats ou d’office n’aura ni la possibilité d’enquê- de contrôle des mesures de soin psychiatriques sans
des avis médicaux sur la base seule du ter sur le contexte de l’hospitalisation, ni consentement et la circulaire du 18 août 2014 relative
dossier médical, sans examiner le « patient » celle de s’entretenir suffisamment avec à ce décret qui précisent les modalités d’application de
(par exemple CSP L. 3211-11 dernière la personne hospitalisée, ni même celle ces nouveaux textes.
phrase ; L. 3212-7, fin du premier § ; de lire chaque dossier attentivement pour 3– D’après les chiffres du Rapport 2013 du Contrôleur géné-
L. 3212-9, dernier § ; L. 3213-3-I, fin vérifier si au moins la forme procédu- ral des lieux privatifs de liberté (Ed. Dalloz, 2014. p. 333-
du premier § ; L. 3213-6). rale a été effectivement respectée. 335) et ceux diffusés en mars 2014 par le ministère de
Une judiciarisation véritable de l’interne- la Justice, Direction des Affaires civiles et du Sceau (DACS)
TARTUFFE EN AUDIENCE ment psychiatrique exigerait une enquête et du Pôle d’évaluation de la justice civile (PEJC).
DÉLOCALISÉE précise sur les circonstances du prétendu 4– Op. cit. p. 84.
L’avenir immédiat nous apparaît d’au- comportement nécessitant une hospita- 5– Le Tartuffe ou L’imposteur (1664), Molière, Garnier-
tant plus sombre que les audiences délo- lisation sans consentement. À très courte Flammarion, 2008.
calisées en première instance auront lieu échéance (pas au-delà de 72 heures pas- 6– Marguerite Chadi, Une folle judiciarisation ? Une
au sein d’établissements souvent éloi- sées sans traitement chimique imposé), approche socio-historique du contrôle judiciaire des hos-
gnés et aux nombreux contrôles internes l’audience devrait permettre un débat pitalisations contraintes en psychiatrie, juin 2014, mas-
dissuasifs, ce qui rendra quasi-systéma- contradictoire public, avec audition de la ter de recherche, Paris VII-Diderot, UFR Sciences sociales,
tique le huis clos, sinon par décision personne concernée et de son entourage CSPRP. Ce mémoire est accessible sur le site du GIA
explicite du juge (la loi l’y autorise), du familial, mais aussi amical, profession- (groupeinfoasiles.org).
moins dans les faits. nel et/ou militant, de son voisinage et
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir : pas seulement du tiers demandeur.
par de pareils objets les âmes sont bles- Le 14 juin 2014, des « usagers » de la LEXIQUE
sées… » : l’esprit de cette « nouvelle » loi psychiatrie ont courageusement organisé Saisine automatique. Le juge est saisi de façon
est bien rendu selon nous dans cette célèbre la première « mad-pride » en France, à obligatoire à délai précis fixé par la loi.
réplique de Tartuffe (5), qu’on pourrait Paris, sous forme d’un cortège teinté de Saisine à la demande. Toute personne concernée
par la mesure (patient, proche…) peut saisir le
ainsi parodier : « Couvrez ces hospitalisés carnaval, pour déstigmatiser la folie. Alors
juge à tout moment.
que le monde ne saurait voir… ». pourquoi la justice, avec la bénédiction Mainlevée. Acte juridique par lequel il est mis fin
Une sociologue qui a étudié des audiences d’associations, de syndicats et, un comble, à une situation.
foraines en deux hôpitaux différents en du CGLPL, continue-t-elle à stigmatiser

8 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


colloque_PA_Mise en page 1 17/09/14 09:55 Page1

COLLOQUE JEUDI 12 MARS 2015


LIEU : MAISON DE LA CHIMIE - 28 RUE SAINT DOMINIQUE 75007 PARIS
FRAIS D’INSCRIPTION : 200 € / 150 € (INDIVIDUELS) / 50 € (ÉTUDIANTS) • DPC : 250 € / 200 €

L’EMPRISE ET LES PRÉDATEURS EN GÉRIATRIE :


ODPC habilité
à dispenser des
RISQUES, REPÉRAGE ET PRÉVENTION
programmes de DPC
Sous la direction du Dr Jean-Claude Monfort, psychogériatre, CH Sainte-Anne, Paris,
et du Dr Anne-Marie Lezy, gériatre, chef de service, Hôpital Corentin Celton, AP-HP, Issy-les-Moulineaux.
organisme gestionnaire
du développement
professionnel continu

La gériatrie, comme les autres disciplines ayant à accompagner les aléas de la condition humaine,
Référence DPC n°12001400042 n'est pas exempte de situations dans lesquelles des personnes se présentent comme des alliés mais
se révèlent être des destructeurs. Sous leur emprise, des personnes âgées, des adultes, des équipes et
des professionnels peuvent paradoxalement être soumis au point d'adhérer aux demandes de leurs
prédateurs. Ces processus d'emprise n'ont pas disparu malgré les progrès de la psychologie indivi-
PROGRAMME * duelle, des foules et des masses. Invisibles, il s'agit de les identifier pour tenter de les neutraliser.

MATIN APRÈS-MIDI
08h15 Accueil des participants 14h00 - 15h15 Les équipes soignantes sous l'emprise
08h45 Ouverture du colloque : d'une famille qui épuise
Catherine Monfort, directrice fondatrice de l’Afar Modérateur : Dr Pierre Charazac, psychiatre, psychanalyste, Lyon
Dr Marie-Pierre Hervy, gériatre 14h00 - 14h15 Les situations rencontrées par les équipes. Analyse des
Dr Jean-Claude Monfort et Dr Anne-Marie Lezy pratiques : Dr Pierre Lutzler, gériatre, CHRU d’Embrun
14h15 - 14h30 Les résultats d'une enquête hospitalière :
09h15 - 10h30 Les personnes âgées sous l'emprise Dr Olivier Drunat, gérontopsychiatre, chef
d'un séducteur de service, Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris
Modérateur : Dr Joël Oberlin, psychiatre, CH de Rouffach 14h30 - 14h45 Un axe d'amélioration : l'échelle d'évaluation des
09h15 - 09h30 La captation affective : le syndrome d'Ulysse avec familles qui épuisent : Dr Anne-Marie Lezy,
Circée, Calypso et les sirènes : Dr Camille Lejeune, Dr Jean-Claude Monfort
gériatre, CH de Rouffach 14h45 - 15h00 Table ronde
09h30 - 09h45 Les agresseurs sexuels : les adultes pédophiles 15h00 - 15h15 Echanges avec la salle
devenus gérontophiles : Dr Véronique Villemur,
gériatre, CASVP, et Dr Sophie Baron-Laforêt, 15h15 - 15h30 Pause
psychiatre, SMPR Perpignan, CH de Thuir 15h30 - 16h45 Les professionnels sous l'emprise
09h45 - 10h00 L'emprise et les aménagement pervers. Violence d'une organisation pathologique
sexuelle et identification des passages à risques :
Sylvie Brochet, psychologue clinicienne, Modérateur : Dr Joël Laporte, gérontopsychiatre,
et Dr Gabrielle Arena, responsable médical, CRIAVS Clinique de Régennes
Ile-de-France, EPS Ville-Evrard, Neuilly-sur-Marne 15h30 - 15h45 L’enjeu des tutelles : aider sans contraindre,
10h00 - 10h15 Table ronde
une ligne de crête très étroite : Danielle Lorrot,
présidente de France Alzheimer 89
10h15 - 10h30 Echanges avec la salle
15h45 - 16h00 La solidarité des professionnels et ses limites : cécité,
10h30 - 11h00 Pause surdité, incrédulité et mutité : Dr Muriel Salmona,
psychiatre, Antenne 92 de l’Institut de Victimologie
11h00 - 12h15 Les enfants et les adultes sous l'emprise
16h00 - 16h15 Les managements pathologiques et leur prévention
d'un parent âgé dominateur
16h15 - 16h30 Table ronde
Modérateur : Dr Cyril Hazif-Thomas, psychogériatre, CHRU Brest
16h30 - 16h45 Echanges avec la salle
11h00 - 11h15 La soumission à un tyran familial : le syndrome de la
Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart : 16h45 - 17h00 Clôture du colloque
Dr Annie Papin, gériatre, CH Le Mans
11h15 - 11h30 La soumission des enfants à des parents sous l'in-
fluence d'une secte et l'identification des premiers Inscriptions, informations et contact :
signes d'une emprise : Annick Benoist, reporter
honoraire à l’AFP, spécialiste des religions
11h30 - 11h45 La décision de se libérer d'une dissimulation familiale
11h45 - 12h00 Table ronde
www.afar.fr
colloque@afar.fr - 01 53 36 80 50
12h00 - 12h15 Echanges avec la salle

12h15 - 14h00 PAUSE DÉJEUNER


* au 17/09/14, sous réserve de modifications

AFAR • 46 rue Amelot BP 436 75527 Paris cedex 11 • 01 53 36 80 50 • N° de déclaration d'activité : 11 75 04 139 75
SM190_agenda_SM190_P00_INT 16/09/14 18:54 Page10

SUR VOTRE AGENDA

OCTOBRE 2014 17 OCTOBRE NOVEMBRE 2014 12 ET 13 NOVEMBRE


BRUXELLES GENÈVE (SUISSE)
Rencontre avec Martine Lamour Addictions et société
15 OCTOBRE Dans le cadre des Journées de la 3 ET 4 NOVEMBRE Quels regards, quels enjeux ?
LYON psychothérapie institutionnelle, à LYON
Colloque scientifique à l’initiative du
Acteurs, réseau et articulation de la l’initiative du Séminaire de thérapie Partageons nos expériences
Groupement Romand d’Études des
prise en charge de la douleur en institutionnelle du Méridien et de Accompagner les personnes malades
Addiction (GREA)
psychiatrie l’Association des Services de ou invalidées et leurs proches aidants
Rens. : www.grea.ch
Journée organisée par le Centre Psychiatrie et de Santé Mentale de 1res rencontres francophones
régional de traitement et d’évaluation l’Université Catholique de Louvain sur le répit organisées par 13 ET 14 NOVEMBRE
de la douleur en psychiatrie (APSY-UCL) la Fondation France Répit PARIS
Rens. : tél. : 04 37 30 10 76, Rens. : Mmes Jamar et Plaza, Approches non-médicamenteuses
Rens. : Henri de Rohan-Chabot,
http://sjd.arhm.fr/ secretariat@ssmlemeridien.be, de la maladie d’Alzheimer
tél. : 06 07 42 82 91,
www.apsyucl.be Prendre soin et milieux de vie
henri.derohanchabot@france-repit.fr,
15 OCTOBRE Nutrition et restauration
www.rencontres-repit.fr
LILLE 18 ET 19 OCTOBRE 7e colloque de formation
Médecine générale et psychiatrie PARIS
DU 5 AU 7 NOVEMBRE professionnelle à l’initiative
Demi-journée de la Fédération Sexologie en tous genres d’Agevillage-pro, de l’Institut de
PARIS
Régionale de Recherche en Santé 15 Journées-rencontres de
e
Salon infirmier
formation Gineste-Marescotti, de Silver
Mentale (F2RSM) du Nord Pas de l’Association des Sexologues Cliniciens Organisé par l’Infirmière Magazine économie, et du Ministère des Affaires
Calais et Francophones (ASCLIF) Rens. : Pamela Neyt, tél. : 01 76 21 92 77,
Sociales et de la Santé
Rens. : Tél. : 03 20 44 10 34, Rens. : CISP – Centre Maurice Ravel, Rens. : tél. : 01 42 46 65 00, fax :
pamela.neyt@initiativessante.fr,
www.santementale5962.com tél. : 01 43 58 96 00, asclif@free.fr, 01 42 46 07 60, contact@igm-formation.net,
www.saloninfirmier.fr
http://asclif.free.fr www.igm-formation.net ou
16 ET 17 OCTOBRE www.agevillagepro.com
6 ET 7 NOVEMBRE
MONTPELLIER 21 ET 22 OCTOBRE PARIS
Thérapies innovantes en PARIS
Ces enfants en mal de liens, confiés…
14 NOVEMBRE
psychopathologie du développement Vulnérabilité : l’empathie, LYON
Comment les accompagner en action
Journées régionales de pour une éthique relationnelle Au risque de la rencontre
médico-sociale précoce ? La place de leurs
psychopathologie de l’enfant et de Journées de réflexion et d’échanges parents et la cohérence entre les différents
Quand la démence s’en-mêle :
l’adolescent à l’initiative de organisées par l’institut de formation intervenants…
entre difficulté et créativité
l’Association de Formation et de M&R en collaboration avec Michel Billé 30e Journées d’études de l’Association 4e colloque de Géronto-Psy-
Recherche sur l’Enfant et son et l’Association européenne pour la Nationale des Équipes Contribuant Développement
Environnement (AFREE) Validation™ (EVA) à l’Action Médico-Sociale Précoce Rens. : geronto.psy@ch-le-vinatier.fr
Rens. : tél. : 04 67 56 09 27, Rens. : tél. : 03 26 87 20 88,
(ANECAMSP)
afree@afree.asso.fr, www.afree.asso.fr institut.metr.secretariat@orange.fr,
Rens. : tél. : 01 43 42 09 10,
14 ET 15 NOVEMBRE
www.vfvalidation.fr DIJON
fax : 01 43 44 73 11, contact@anecamsp.org,
16 ET 17 OCTOBRE Corps et narcissisme
www.anecamsp.org
PARIS 22 OCTOBRE 12e Congrès National à l’initiative
La folie entre administration et justice SAINT-ÉTIENNE
7 NOVEMBRE de Corps et Psyché
L’institution psychiatrique au prisme du droit Management et bien-être au travail Rens. : tél. : 07 62 33 20 03,
PARIS
Colloque à l’initiative de l’Université Colloque à l’initiative de l’Hôpital S’étonner pour apprendre
corpsetpsyche@yahoo.fr,
Panthéon-Assas Paris II, le Centre du Gier et l’Hôpital Maurice-André Journée de réflexion et d’échanges http://corpsetpsy.canalblog.com/
d’Etudes et de Recherches de Sciences Rens. : Annie Debard, tél. : 06 09 72 88 49
autour du 200e numéro d’Éducation
Administratives et Politiques (CERSA) ou 04 77 02 84 71, colloque@hopital-saint-
permanente en partenariat avec le 14 ET 15 NOVEMBRE
et le CNRS galmier.fr ou annie.debard@yahoo.fr PARIS
CNAM
Rens. : contact@cersa-cnrs.fr, La raison du plus fou. Tony Lainé
Rens. : fax : 01 58 50 05 22,
www.cersa.cnrs.fr DU 28 AU 31 OCTOBRE educperm@wanadoo.fr, www.education-
Penser la psychiatrie aujourd’hui
FORT DE FRANCE (MARTINIQUE)
permanente.fr
Colloque organisé par les Céméa,
16 ET 17 OCTOBRE Le suicide est-il un traumatisme Mouvement national d’éducation
PARIS héréditaire ? nouvelle
7 NOVEMBRE
Émotions et travail : quels apports Rôle de l’environnement, du biologique Rens. : sante.mentale@cemea.asso.fr,
PARIS
des sciences sociales ? et du trauma www.colloquetonylaine.fr
Garder l’équilibre tout au long
Colloque international coorganisé par Congrès du Groupement d’Études de sa vie
DIM-Gestes (Groupe d’études sur le et de Prévention du Suicide (GEPS) Journée européenne de la dépression à 14 ET 15 NOVEMBRE
travail et la souffrance au travail), le Rens. : 0 596 59 25 72, PARIS
l’initiative de l’Association France-
CNAM et les Universités Paris Nord, geps2014@gmail.com, www.geps.asso.fr Sensibilisation au psychodrame
Dépression
Paris-3, Paris-8 psychanalytique
Rens. : www.france-depression.org
Rens. : despratdiane@yahoo.fr, 31 OCTOBRE Colloque du Département de
albena.tcholakova@cresppa.cnrs.fr, LAUSANNE (SUISSE)
DU 10 AU 12 NOVEMBRE Psychiatrie adulte de l’ASM-13
www.gtm.cnrs.fr Accompagner le deuil Rens. : Ingrid Favier, tél. : 01 40 77 43 18
MONTRÉAL (CANADA)
Journée à l’initiative de la Société Santé mentale et monde
ou 43 16, ingrid.favier@asm13.org,
17 OCTOBRE d’études thanatologiques (Set) contemporain
yann.taverne@asm13.org, www.asm13.org
PARIS Rens. : info@penserlamort.ch,
Vivre de nouvelles solidarités
Quels outils de gestion www.penserlamort.ch
17e colloque de l’Association 15 ET 16 NOVEMBRE
pour quels comportements ? PARIS
Québécoise pour la Réadaptation
2e Journée des innovations Être mère
Psychosociale (AQRP)
Fantasmes de maternité en psychanalyse
managériales à l’hôpital, à l’initiative www.santementale.fr Rens. : colloque@aqrp-sm.org,
de l’École des Hautes Études en Santé www.aqrp-sm.org
44e Journées de l’École de la Cause
Publique (EHESP) Freudienne
Rens. : tél. : 02 99 02 22 00, fax : Rens. : tél. : 01 45 49 02 68,
02 99 02 26 25, candidaturefc@ehesp.fr, journeesecf@gmail.com, www.journeesecf.fr
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continue.ehesp.fr

10 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


SM190_agenda_SM190_P00_INT 16/09/14 18:54 Page11

SUR VOTRE AGENDA

DU 17 AU 19 NOVEMBRE DU 20 AU 22 NOVEMBRE 21 NOVEMBRE 21 ET 22 NOVEMBRE


LA ROCHELLE AVIGNON PARIS LYON
Rencontre(s) à l’adolescence Empathie dans la relation de soin À la recherche du sens perdu Les liens de travail
Journées à l’initiative de l’Association Naissance de l’empathie et empathie Le psychologue, entre dimension clinique Enjeux psychiques contemporains
de Recherche Clinique sur autour de la naissance et mutations institutionnelles 10e journées scientifiques
l’Adolescence (ARCAD) et les 11e Colloque International de 17e Journée d’Etude de l’Association et 4e journées internationales
Passagers du Temps Périnatalité de l’Association pour la Nationale des Psychologues pour la à l’initiative d’Apsylien (Association
Rens. : arcadasso@gmail.com, Recherche et l’(In)formation en Petite Enfance (ANAPSYpe) de la psychanalyse des liens)
http://arcad33.fr Périnatalité (ARIP) Rens. : tél. : 01 45 41 40 32, Rens. : tél. : 06 87 71 84 55,
Rens. : tél. : 04 90 23 99 35, anapsype@free.fr, www.anapsype.org apsylien@wanadoo.fr, www.apsylien.com
DU 17 AU 19 NOVEMBRE fax : 04 90 23 51 17, arip@wanadoo.fr,
SÈVRES http://arip.fr 21 NOVEMBRE 21 ET 22 NOVEMBRE
Famille(e), parentalité(e) et autres PARIS PARIS
enjeux contemporains 20 ET 21 NOVEMBRE Soins études en psychiatrie Quelles vies possibles après
20 journées d’études et de formation
e
PARIS de l’adolescent une trahison ?
du Réseau Pratiques Sociales 16e Rencontres Vidéo en Santé Colloque à l’initiative de l’Association Colloque annuel à l’initiative du Centre
Rens. : secrétariat, tél. : 06 45 90 67 61, Mentale Française de Psychiatrie d’Études Cliniques des
fax : 01 49 85 18 19, Rens. : http://danielsimonnet.wixcom Rens. : tél. : 01 42 71 41 11, Communications Familiales (CECCOF)
pratiques.sociales@gmail.com, contact@psychiatrie-francaise.com, Rens. : tél. : 01 48 05 84 33, fax :
www.pratiques.sociales.org 20 ET 21 NOVEMBRE www.psychiatrie-francaise.com 01 48 05 84 30, colloques@ceccof.com,
ACIGNÉ www.ceccof.com
18 ET 19 NOVEMBRE Psychologues en gérontologie 21 NOVEMBRE
BRON 4e séminaire à l’initiative PARIS 21 ET 22 NOVEMBRE
Psychiatries d’ailleurs de l’association Psychologie Fille ou garçon : destin de l’embryon PARIS
4e Journées Cinéma et Psychiatrie et Vieillissement ou choix de l’enfant ? Formez-vous à la Télémédecine !
à l’initiative du CH Le Vinatier Rens. : tél. : 02 99 54 94 68, fax : Journée scientifique à l’initiative de la 7e congrès européen de l’ANTEL
Rens. : tél. : 04 37 91 50 23, 02 99 54 67 42, Société Française de Psychiatrie de (Association Nationale
julie.guitard@ch-le-vinatier.fr, psychologie.vieillissement@wanadoo.fr, l’Enfant et de l’Adolescent et de Télémédecine)
www.ch-le-vinatier.fr www.psychogronto.com Disciplines Associées (SFPEADA) Rens. : JCD Conseil, tél. : 01 58 47 77 00,
Rens. : ndufour- antel@jcdconseil.com,
secretariat.sfpeada@hotmail.fr, www.congres-antel.com
www.sfpeada.fr

OÙ EN EST
LA PROTECTION DE L’ENFANCE ?

Gérard Lopez Roland Coutanceau, Ouvrage dirigé par :


9782100716678 - 27 € Joanna Smith Roland Coutanceau,
9782100712380 – 27 € Joanna Smith
9782100553723 – 40.60 €
Ouvrage dirigé par :
Marylene Cloitre, Lisa R. Cohen, Roland Coutanceau,
Karestan C. Koenen Joanna Smith
9782100588220 - 38 € 9782100712526 – 40 €

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Tous nos livres sur www.dunod.com
SM190_kiosque_SM190_P0_INT 16/09/14 18:53 Page12

KIOSQUE

L’enfant et son psychisme L’éthique soignante approche projective complète cette démarche
d’ensemble et fournit une méthode pour
Réflexions sur les principaux enjeux du soin
PIERRE DELION médiatiser la subjectivité propre du clinicien.
Cet ouvrage pratique s’adresse à tous ceux qui
PHILIPPE SVANDRA
Revenant sur son parcours sont soucieux d’une vue d’ensemble et actua-
aux dimensions multiples, lisée de l’approche clinique de la vie psychique
La démarche éthique peut se
Pierre Delion présente ici des et des formes de sa pathologie. Cette deuxième
concevoir comme une confron-
articles illustrant les points forts édition a été enrichie des nouvelles théma-
tation de réflexions. L’auteur pro-
de son travail de psychiatre tiques suivantes : le travail de psychothérapie
pose son point de vue, son
d’enfants et d’adolescents : et les médiations thérapeutiques, ainsi que
regard philosophique sur le
la psychiatrie du bébé, la prise la psychopathologie du sujet vieillissant.
soin. Il s’agit à la fois de dres-
en charge des enfants autistes, les réflexions Éd. Elsevier Masson, juillet 2014, 39 €.
ser les contours de l’éthique soi-
sur les institutions, sa philosophie des soins gnante et de tenter de déterminer la nature
et ses rapports avec l’éthique et le politique, et les fondements de l’activité de soin. Il
et enfin l’enseignement, ouvrant plus géné- montre aussi les liens immémoriaux qui unis- Soi-même, identité
ralement sur psychiatrie et culture. sent le soin et la philosophie. Ce livre peut et styles de personnalité
Éd. Dunod, janvier 2014, 24 €. ainsi constituer une introduction à la réflexion
éthique et philosophique pour un futur soignant GIAMPIERO ARCIERO ET GUIDO BONDOLFI
ou un soignant en exercice. En réinterrogeant
La thérapie neurocognitive du dehors ce qu’il est difficile de discerner du Ce livre, texte clé pour les psy-
et comportementale dedans, le détour par la philosophie peut enri- chiatres, les psychologues et
les psychothérapeutes, ainsi
Prise en charge neurocomportementale des chir et approfondir la perspective sur le soin
en plaçant les soignants dans une tension que pour les étudiants, pro-
troubles psychologiques et psychiatriques pose de fonder une approche
salutaire entre le concept et la réalité.
Éd. Seli Arslan, août 2014, 22 €. scientifique de l’expérience
JACQUES FRADIN ET CAMILLE LEFRANÇOIS subjective et de l’unicité de la
personne, sans toutefois renoncer aux inva-
S’appuyant sur des recherches Manuel de psychologie riances existentielles qui permettent de cer-
pluridisciplinaires et plus de et de psychopathologie ner la continuité entre la normalité et la psy-
vingt-cinq ans d’expérience cli- clinique générale chopathologie, ainsi que d’établir un dia-
nique, ce manuel présente une logue et un nouveau champ de recherche avec
nouvelle forme de thérapie, ins- SOUS LA DIRECTION DE RENÉ ROUSSILLON les neurosciences. La première partie est
crite dans la lignée des trois consacrée à l’illustration des principes théo-
vagues de Thérapies Cognitivo Ce manuel présente la logique riques dans le cadre de référence de la tra-
Comportementales : la Thérapie Neurocognitive des processus de la vie psy- dition phénoménologique et herméneutique.
et Comportementale (TNC). Centré sur la dimen- chique à tous les âges de la Ces quatre premiers chapitres montrent com-
sion comportementale, ce livre apporte un vie, de la naissance à la ment le sens de soi découle des expériences
regard neuf sur le diagnostic et le traitement vieillesse. Les auteurs, issus à la première personne et comment l’iden-
de troubles psychologiques ou psychiatriques, de la pensée psychanalytique, tité narrative émerge du vécu émotionnel. Dans
y compris sur certains troubles jugés incu- retracent l’histoire de la réa- la deuxième partie, la description des cinq
rables. Cet ouvrage intéressera les praticiens en lité psychique de la subjectivité. Ils présen- styles de personnalité est enrichie par de
demande d’outils pratiques dans leur quoti- tent ensuite les logiques, en large partie nombreuses vignettes cliniques et éclairée par
dien professionnel (fiches diagnostics, des- inconscientes, qui sous-tendent les formes des dimensions littéraires, psychologiques
criptions d’exercices, de cas cliniques…). d’expression de la psychopathologie. L’apport et neuroscientifiques.
Éd. De Boeck, mai 2014, 30 €. des neurosciences est également abordé. Une Éd. Médecine & Hygiène, juin 2014, 29 €.

REÇUS À LA RÉDACTION
LE SENTIMENT DE SOI HIKIKOMORI, CES ADOLESCENTS SURMONTER LES TRAUMATISMES PENSER LE MANAGEMENT EN ACTION
Histoire de la perception du corps EN RETRAIT DE L’ENFANCE SOCIALE ET MÉDICO-SOCIALE
Georges Vigarello M. Fansten, C. Figueiredo, N. Pionnié-Dax Helen Kennerley Jean-René Loubat
Éd. Seuil, septembre 2014, 21 €. et N. Vellut (dir.) Éd. Dunod, juin 2014, 22 €. Éd. Dunod, juillet 2014, 35 €.
Éd. Armand Collin, août 2014, 21,90 €.
LA FIN DE L’ÉCOLE MYTHE DE LA PARENTALITÉ, TRAUMATISMES PSYCHIQUES
L’ère du savoir-relation VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES RÉALITÉ DES FAMILLES Prise en charge psychologique des victimes
François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils Comprendre pour agir Saül Karsz Sous la direction de Louis Crocq
Éd. PUF, août 2014, 19 €. R. Coutanceau et J. Smith (dir.) Éd. Dunod, juin 2014, 23,90 €. Éd. Elsevier Masson, juin 2014, 34 €.
Éd. Dunod, mai 2014, 27€.
PRENDRE EN CHARGE LES VICTIMES
ADDICTIONS CHEZ L’ENFANT LA MÉMOIRE ENTRE NEUROSCIENCES
D’AGRESSIONS ET D’ACCIDENTS
ET L’ADOLESCENT VIOLENCES INSTITUTIONNELLES ET PSYCHANALYSE.
Accueillir, orienter, traiter
G. Picherot, C. Stheneur et P. Cochat Analyse et interventions Claudia Infurchia
Gérard Lopez
Éd. Doin, mars 2014, 49 €. Bernard Gaillard Éd. Erès, juin 2014, 30 €.
Éd. Dunod, août 2014, 27 €.
Éd. Champ Social, mars 2014, 16 €.
www.santementale.fr LA NATURE HUMAINE FEUILLES OUBLIÉES,
JEUX DE HASARD ET D’ARGENT FEUILLES RETROUVÉES
D.W. Winnicott
Lucia Romo et Mohamed-Ali Gorsane François Roustang
Éd. Gallimard, Tel, septembre 2014, 8,50 €.
Éd. Dunod, août 2014, 24 €. Éd. Petite Bibliothèque Payot, juin 2014, 9 €.

12 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


pub-SanteMentale-sept 12-09-14+2 15/09/14 12:04 Page1

La rentréeDeuxcheznouvelles collections et un roman


SINGULIER-PLURIEL Guite Guérin
Nouvelle collection dirigée par Jean-Pierre Lebrun L’ÉNIGME
La collection Singulier-pluriel DE LA STÉRILITE
accueillera des textes témoignant du Histoires cliniques
travail de ceux qui prennent en En écoutant les femmes venues
compte l’inconscient et le transfert, consulter pour stérilité, l’auteure
qui reconnaissent les incidences de ce entourée de gynécologues a constaté
que parler implique et qui le font que celle-ci n’était généralement
dans une langue accessible à tous. pas liée à des causes organiques
ou que, si tel était le cas, elle
Andrée Lehmann s’accompagnait d’empêchements
psychiques. Son travail en tant
L’ATTEINTE DU CORPS que psychanalyste a consisté
Une psychanalyste en cancérologie à découvrir avec elles ces
Écrit dans un style vivant et limpide, inhibitions, ces paralysies.
cet ouvrage est d’abord un livre 14 x 20,5, 272 pages, 23 €
clinique. En faisant place à la parole des
patients, de leurs proches et aussi à
celle des soignants, l’auteure a pu
montrer qu’une atteinte corporelle 1914-2014
ne peut aller sans répercussions
psychiques. Celles-ci vont bien au-delà de l’angoisse : les équilibres
de vie sont déstabilisés, ce qui induit un retour sur soi et mène vers
le « narcissisme »
des changements dans les façons d’être. Le livre montre comment le
psychanalyste peut aider, dans le respect de chacun, à faire face à
fête ses 100 ans,
ces bouleversements et à restaurer une dynamique psychique.
Préface d’Anne Joos - 14 x 20,5, 296 pages, 23 € un roman
qui illustre
CENTRE PRIMO LEVI
Nouvelle collection dirigée par Eléonore Morel
sa naissance et
Le Centre Primo Levi, centre de soins pour les personnes
victimes de la torture et de la violence politique, est à
ses développements
l’initiative de cette nouvelle collection, espace de réflexion,
de recherche et d’échanges autour de questions
liées au traumatisme.
Sous la direction de
Ghislaine Capogna-Bardet Frédéric de Rivoyre
CLINIQUE DU TRAUMA CECI EST UNE ILLUSION
L’ouvrage s’attache à repréciser ce que l’on Pour (ré)introduire le narcissisme
entend par traumatisme, terme dont le sens a été Ce livre est un essai de psychanalyse écrit
largement remodelé depuis les premiers travaux comme un roman. Il raconte comment
entrepris par Jean-Martin Charcot jusqu’au discours la théorie du narcissisme va trouver son sens
neuropsychiatrique actuel. Il rend compte de cette dans la passion de l’image. André Breton,
clinique qui implique notamment un retour aux Sigmund Freud, Carl Jung, Sandor Ferenczi,
apports successifs de la psychanalyse concernant Salvador Dalí et Jacques Lacan sont les acteurs
le trauma. Il s’agit de les retraverser, d’y trouver principaux des échanges qui ont eu lieu entre
des outils d’élaboration, de prendre note aussi 1909 et 1939 et qui sont restitués sur la base
des questions laissées en suspens par Freud et de faits tantôt connus, tantôt inventés.
ses élèves et par leurs successeurs, de rechercher L’histoire de la théorie psychanalytique
comment s’articule le trauma freudien avec les s’écrit à travers des dialogues
traumatismes liés aux violences extrêmes… et des situations romanesques.
13,5 x 21,5, 200 pages, 22 € 14 x 22, 312 pages, 23 €

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SM190_LuQQp_SM190_INT 16/09/14 18:52 Page14

LU QUELQUE PART…
PAR LOUIS JOSEPH

est de constater que la guerre d’Algérie


(longtemps nommée « les événements »)
divise toujours cinquante ans après. Le
Sociographe met en évidence ces séquelles
psychosociales et tente cependant de mon-
trer en quoi l’espoir existe aujourd’hui
d’une libération de la parole et d’une
réconciliation. Des témoignages souvent
passionnants constituent le corps du dos-
sier : ceux d’acteurs de la guerre, ceux de
fils et de filles de… porteurs d’un sourd
héritage.
LES ENFANTS DIFFICILES et psychologique (comme celles liées à Le silence de la mémoire. Algérie, le travail social
Riche de ses « auteurs du monde entier », l’enfance et à l’adolescence), marquent le à l’épreuve de l’histoire, Le Sociographe, Champ
la revue Books consacre un dossier globe- temps qui passe. Tous ces changements social, n° 46, Juin 2014.
trotteur aux enfants difficiles. D’emblée, une requièrent des capacités de transformation
série de questions se pose : les enfants d’au- des individus et du groupe pour élaborer PROCESSUS DE DÉCISION ENTRE
jourd’hui sont-ils vraiment plus difficiles que ces pertes successives. La revue Dialogue RATIONALITÉ ET RATIONALISATION
leurs aînés ? Est-ce au contraire dû à l’édu- analyse ces transitions dans la société Si le pouvoir appartient au registre de l’ima-
cation dans un monde de plus en plus contemporaine. Le travail d’intersubjecti- ginaire et l’autorité à celui du symbo-
complexe qui les fait percevoir comme vité qui lie les différents protagonistes est- lique, la décision est du registre du réel.
tels? On a longtemps cru que l’enfance était il pris dans des enkystements provoqués Comment décider ? La prise de décision
une invention moderne. Elle a plutôt par des normes sociales imprécises, fluc- elle-elle uniquement définie comme l’ac-
changé : les rescapés d’une mortalité infan- tuantes voire paradoxales, ou des réponses tion de faire des choix rationnels à par-
tile, liée au lait animal et au recours à des insécurisantes dans les familles et les ins- tir de plusieurs possibilités ne présentant
nourrices à l’hygiène aléatoire, travaillaient titutions ? Les blocages peuvent-ils deve- pas les mêmes avantages ou inconvé-
dès l’âge de 7 ans, puis quittaient le cocon nir féconds ? Sont abordés quelques cas nients ? Sûrement pas, détaille la revue
familial vers l’âge de 12 ans. Le rôle des de transition bloquée : renoncement au Connexions. La décision est une représen-
parents dans l’éducation de leur progéni- désir de maternité, difficultés de réali- tation sociale définie par trois dimen-
ture est loin d’être aussi important que ce ser un projet de vie chez des jeunes sions : un moment qui ponctue le quo-
que l’on croit : la destinée serait inscrite adultes issus de milieux aisés, angoisse tidien, qui l’extraie du flux, un contenu
dans les gènes et largement modelée par et ménopause, amours idéalisées, deuils qui produit un discours destiné à la jus-
les pairs. Les parents ne serviraient donc impossibles. tifier et le processus qui la fabrique. La
à rien ? L’éducation n’est pas ce que les Transitions de la vie, Dialogue, Érès, n° 204, 2e tri- possibilité de décider n’est pas l’apa-
parents font avec leur enfant, mais ce que mestre 2014. nage des dirigeants, elle relève d’une
les deux parties créent ensemble. Des autonomie et d’une rationalité limitée. Les
enfants qui prennent le pouvoir à la pseudo- LE SILENCE DE LA MÉMOIRE formes de décision peuvent être pensées
épidémie d’hyperactivité, un dossier qui fait En accueillant et en écoutant des patients, selon le modèle Focus en fonction des styles
le ménage dans nos croyances les plus il m’est régulièrement arrivé d’être confronté d’organisation (règles, soutien, objectifs
tenaces ! aux traces laissées par la guerre d’Algérie. et innovation), puis selon le modèle Lewin
Les enfants difficiles, Books, n° 56, juillet-août 2014. J’ai rencontré des pieds-noirs bien sûr, en fonction des types d’autorité (laisser-
des anciens du Front de libération natio- faire, modèle autoritaire, modèle démo-
TRANSITIONS DE LA VIE nale (FLN), des appelés – témoins, com- cratique). On repère ainsi des stratégies
De la naissance au grand âge, des étapes plices ou acteurs d’horreurs –, leurs enfants d’évitement ou de contournement des
jalonnent le développement de chacun et meurtris par ce que leurs parents taisaient, décisions difficiles à assumer. Un dossier
se répercutent sur le couple et le groupe leurs petits-enfants au psychisme agi par passionnant qui devrait enrichir chacun.
familial. Ces transitions impliquent sou- un impensable qui impliquait de mobili- Processus de décision entre rationalité et rationa-
vent des séparations (de quelqu’un, d’un ser les aspects transgénérationnels d’une lisation, Connexions, Érès, n° 101, 2014.
groupe, d’un lieu, d’un contexte, d’une histoire douloureuse. Si la guerre est en géné-
activité…). Certaines, d’ordre biologique ral un vecteur de cohésion sociale, force

La rédaction a lu…
– Analyse des obstacles à l’intervention infirmière auprès des familles dans les unités de soins de santé mentale à la lumière du modèle de changement de Collerette, S. Daneau,
J. Goudreau, C. Sarrazin, Recherche en soins infirmiers, n° 117, juin 2014.
– L’expérience subjective du schizophrène. Examen critique de la notion de qualité de vie, F. Jardon, C. Glineur, S. Heenen-Wolff, N. Vercruysse, P. Fouchet, Bulletin de
psychologie, tome 67 (3), n°531, mai-juin 2014.
– Les féminismes. Questions sur la liberté et l’égalité, dossier du Journal Français de Psychiatrie, n° 40, éditions Érès, 2014.
– Individu, organisation société, changer le travail. 20 pistes pour améliorer la qualité de vie au travail, Sciences humaines, Les grands dossiers, n°36, septembre-octobre-
novembre 2014.

14 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


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Crédits photos : J. Deya.
SM190_ART_DE_SOIGNER 18/09/14 11:25 Page16

ART DE SOIGNER

Un programme mère-
Le programme mère-bébé des Hôpitaux universitaires de
Genève accueille des mères en souffrance psychique, avec
ou sans antécédents psychiatriques. Au fil des années, les
infirmiers ont acquis une véritable expertise dans les soins
aux mères et à leurs proches.

Les théories sur l’attachement « La crise que provoque la naissance (…),


(Guédeney, 2006) montrent que le senti- tout comme d’autres événements de la vie,
ment de sécurité, qui aide l’enfant à comporte donc une période de déséquilibre
construire son identité, est impacté par des qui offre la possibilité d’un processus de
difficultés dans l’établissement du lien développement dont l’issue pourrait être une
affectif précoce entre le bébé et ses parents. réintégration personnelle et l’atteinte d’un nou-
« L’insécurité d’attachement de l’enfant semble vel équilibre » (De Grâce, 1986). Chaque
liée à l’altération des capacités de caregiving femme vit cette étape de remaniement
maternel », précise Guédeney (2010). Ce psychique de manière différente en fonc-
concept de caregiving fait référence à la tion de son histoire, de ses fragilités, de
capacité à prendre soin de l’autre et trouve son contexte socioculturel, de son âge.
son origine dans ces relations maternelles Ce bouleversement entraîne parfois des
précoces (Guédeney, 2006). difficultés d’adaptation, très variables
En cas de troubles psychiques, « c’est la d’une femme à l’autre et qui peuvent
conjonction de la maladie mentale et de repré- provoquer une souffrance psychique qui
sentations préalables d’attachements insé- nécessite parfois un accompagnement
cures des mères qui aura le plus de consé- spécialisé. Dans des situations de vul-
quences sur le caregiving et donc sur le nérabilités psychiques déjà existantes,
développement de l’enfant » (Guédeney, la maternité (crise maturative selon Raca-
2010). Selon F. Ansermet (1999) « le stress mier, 1978) se complexifie encore.
prénatal et postnatal aura des conséquences Pour ces cas difficiles, jusqu’à la créa-
épigénétiques (2) sur l’enfant à venir et tion de l’Unité psychiatrique hospitalière
sur sa descendance ». adulte (UPHA), il n’existait souvent pas
de solution alternative à la séparation
mère-enfant. Nous allons décrire la spé-
cificité de l’unité et l’expertise que nous
y avons acquises.
Sabrina DELEAN*
Miléna ROCH-LESQUEREUX** UNE UNITÉ SPÉCIALISÉE
Véronique ROBERT* L’UPHA voit le jour au sein des Hôpi-
Vanda SERRANO* taux universitaires de Genève (HUG) en
© Stocklib – Jasmin Merdan.

1999. Cette structure très innovante per-


* Infirmière certifiée en soins aux patients met d’hospitaliser des patients souffrant
en souffrance psychique, ** Infirmière de troubles psychiatriques et somatiques
Unité psychiatrique hospitalière adulte, Département aigus. Elle dépend du département de
de santé mentale et psychiatrie, Service de psychiatrie santé mentale et psychiatrie et est ratta-
de liaison et d’intervention de crise, Hôpitaux chée au Service de psychiatrie de liaison
universitaires de Genève. et d’intervention de crise (SPLIC). Cette unité

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ART DE SOIGNER

bébé pour soigner le lien

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ART DE SOIGNER

est géographiquement intégrée à l’hôpital autour de la naissance, avec ou sans de soins communautaires (UMSCO). À
général et bénéficie ainsi du plateau tech- antécédent psychiatrique : dépressions, son arrivée, elle est enceinte de 8 mois
nique nécessaire à sa mission. Trois pro- décompensations psychotiques, troubles mais présente un déni de grossesse et
grammes de soins sont proposés : du comportement alimentaire, troubles de évoque « une goutte d’huile dans son
– le programme de soins complexes (11 lits) la personnalité, addiction… ventre ». Elle présente un état d’agitation
concerne les patients qui souffrent La première année, en 2000, le pro- psychomotrice, des hallucinations et un
conjointement de pathologies psychiatriques gramme a accueilli cinq mamans. Il s’agis- délire enkysté. Annie ne connaît pas l’iden-
et physiques, dont les soins requièrent sait surtout d’admissions en urgence, avec tité du père de son enfant. Suite à une
les deux dimensions intégrées : soma une durée moyenne de séjour de 30 jours. fugue de l’hôpital, une mise en danger et
et psyché ; Par la suite, un travail de communication des comportements à risque, elle passe
– le programme mère-bébé (3 lits), axé sur sur ce programme a été réalisé (dépliant, les dernières semaines avant son accou-
le lien mère-enfant, existe depuis 2000. congrès médicaux et infirmiers…). chement en chambre d’isolement. Durant
L’investissement, la créativité des soi- La durée de séjour, très variable et peu ce temps, le déni de grossesse perdure.
gnants ont été récompensés par le « Prix prévisible, tient compte du rythme de la Elle semble prendre conscience de son état
coup de cœur » dans le cadre du Prix Qua- résolution de la crise et des ressources alors qu’elle part en salle d’accouche-
lité des HUG en 2003 ; familiales et sociales de la patiente. En ment. Elle est accompagnée par l’infirmière
– le programme pour patients souffrant de 2011, la durée moyenne dans le pro- de l’unité qui reste avec elle pour la durée
troubles de la conduite alimentaire (ano- gramme mère-bébé est de près de 51 de la naissance. Lorsqu’Annie tient son
rexie, boulimie et hyperphagie) (4 lits) a jours, avec des durées individuelles pou- fils dans ses bras, elle répète : « Qu’est-
intégré l’UPHA en 2007, il était aupara- vant atteindre 150 jours. ce qu’il est beau ! » Elle prend soudain
vant implanté dans le service de médecine. La proportion d’hospitalisations conjointes conscience de la réalité et se montre
La richesse et la variété de la population mère-bébé est le plus souvent égale ou supé- inquiète de l’avenir de son fils.
accueillie témoignent d’une réelle com- rieure à celle des hospitalisations sépa- Après l’accouchement, Annie revient à
plexité des soins au quotidien, ce qui rées, ce qui reste pour nous un gage de l’UPHA et son fils est hospitalisé à l’Unité
nécessite une coordination efficace et réussite et un témoin de confiance de la de développement de pédiatrie des HUG.
pertinente de tous les intervenants, inté- part des différents intervenants (pédiatrie, Tout au long de ce séjour, le lien entre
grés ou non à l’équipe de soins. La plu- obstétrique, psychiatrie). Le pourcentage la mère et l’enfant est maintenu. Annie
ridisciplinarité dans ce contexte prend de patientes hospitalisées en cours de rend visite quotidiennement à son bébé
tout son sens. grossesse oscille entre 14 et 40 % tan- puis l’enfant vient pour des demi-jour-
Au départ, l’équipe soignante était confron- dis que celui des patientes admises pour nées à l’UPHA. Tous ces moments sont
tée à des demandes d’hospitalisation en une IVG dans le cadre d’un trouble psy- accompagnés et encadrés par les soi-
urgence sans moyen spécifique pour y chique reste faible. Ces parents accueillis gnants du service, en collaboration avec
faire face, ce qui a entraîné des ajuste- sont en souffrance dans leur fonction, ou les professionnels de pédiatrie.
ments. Cela a été aussi le début d’une future fonction parentale qui les sub- L’équipe pluridisciplinaire travaille la
réflexion et d’un travail commun entre le merge, soit de leur propre constat, soit de relation dans l’ici et maintenant tout en
service d’obstétrique, le département de celui de tiers. Ils se sentent en décalage préparant le projet de sortie. Les recherches
psychiatrie et la pédiatrie. Cette collabo- avec leur projet initial, la réalité ne cor- d’une structure pouvant accueillir la
ration a permis progressivement de struc- respond plus au bonheur attendu. Dans mère et l’enfant en France s’intensifient.
turer l’accueil des mères et de leurs bébés, le cadre du suivi prénatal, la maternité des Les troubles psychiques restent pré-
et de créer des outils d’observation de la HUG propose également une consulta- gnants. Annie choisit de faire adopter son
relation mère-enfant dans un cadre de tion hebdomadaire et pluridisciplinaire enfant. Cette décision est prise en concer-
référence commun. Le savoir-faire infir- (gynécologues, sages femmes, assistantes tation entre la maman, les équipes de psy-
mier et l’autonomie des soignants dans ce sociales, pédopsychiatres, psychiatres), chiatrie et de pédiatrie et les services de
programme mère-bébé se sont construits pour les femmes en situations psychoso- protection des mineurs. Après cinq mois
dans une pratique réflexive en collaboration ciales à risque. Dans ce contexte, ce pro- passés à l’UPHA, Annie fugue à nou-
avec une sage-femme. gramme mère-bébé propose une expertise veau, et l’enfant est placé dans l’attente
dans un cadre de prévention primaire d’une adoption.
ÉVOLUTION DES BESOINS mais aussi de soins curatifs, pré et post-
Au fil du temps, l’équipe pluridisciplinaire partum. OBJECTIFS ET CADRE
a dû s’adapter à la complexité et à la diver- L’hospitalisation à l’UPHA offre un cadre
sité des demandes de soins en périnatalité. • Annie, « une goutte d’huile dans spatio-temporel qui favorise l’observation
Nous rencontrons des situations fami- mon ventre » et l’évaluation de la relation mère-bébé.
liales multiples : mariage mixte, sépara- Annie, 38 ans, sans-domicile fixe, est Ce temps s’inscrit dans une chaîne de col-
tion, famille recomposée, monoparenta- une patiente française en rupture de tout laboration : le département de l’enfant et
lité ou homoparentalité, procréation lien social. Elle souffre d’une psychose infan- de l’adolescent, le département d’obsté-
médicalement assistée… ainsi que des dif- tile et a été victime de maltraitance phy- trique et de gynécologie, le département
ficultés sociales : immigration, pauvreté, sique et psychique durant son enfance. de santé mentale et psychiatrie, les ser-
isolement, violence. Il s’agit d’accueillir Elle a également fait plusieurs voyages patho- vices de protection des mineurs et les
chaque mère, quelle que soit sa souf- logiques (3). Elle est admise à l’UPHA en structures d’accueil (foyers, familles,
france en lien avec une crise majeure soins sans consentement via l’Unité mobile crèches).

18 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


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ART DE SOIGNER

Chaque famille, chaque situation, reste Son investissement et son soutien ont mieux aider les patientes à réaliser leurs
singulière. Une admission est toujours largement contribué au développement et projets.
une nouvelle rencontre. Pour bien accom- à la pérennité du programme. Grâce à cette – Projection/clivage/identification pro-
pagner ces mères (ou mères en devenir) collaboration, nous avons appris à pen- jective. Le soignant doit garder à dis-
en difficultés psychiques, les soignants ser le soin à l’enfant au travers des théo- tance ce qui est de sa propre histoire et
doivent les accepter de manière incon- ries de Brazelton (2). de sa conception de la parentalité afin de
ditionnelle et porter sur elles un regard En parallèle, nous avons affiné notre capa- rester ouvert aux représentations et aux
bienveillant, sans jugement, avec ce que cité d’observation en créant des grilles spé- attentes des familles.
cela comporte parfois comme incidence cifiques. Peu à peu, l’équipe a ainsi acquis Ces mécanismes de défense, avec lesquels
sur les émotions des soignants. des compétences dans les soins du post- nous devons évoluer, peuvent entraver

“ Le soignant doit faire le deuil de sa vision de la mère parfaite,


et faire un travail quotidien pour mettre à distance ses propres représentations
et ses valeurs personnelles et mieux aider les patientes à réaliser leurs projets. »

Les objectifs des prises en charge consis-


tent à :
– accompagner la mère dans la rencontre
avec son enfant en l’aidant par exemple
à faire le deuil du bébé imaginaire face
partum comme l’allaitement, le sevrage
ou les rythmes de l’enfant.
Dès l’admission d’une maman (ou future
maman) dans le programme, nous contac-
tons systématiquement cette sage-femme
la qualité de la relation thérapeutique
et biaiser notre objectivité. Afin d’éviter
ces écueils, la supervision est indispen-
sable. Elle permet de faire le tri entre nos
émotions, nos projections et la situation
à celui qui se présente à elle ; pour une consultation d’anamnèse obsté- réelle, de dégager des objectifs réalistes
– amener la femme à la rencontre de la tricale, afin de favoriser la prise en soins et bienveillants, sans jugement, et de
mère en elle et l’aider dans la transition globale. De même, l’équipe de pédopsychiatrie maintenir ainsi une distance « suffisam-
de ses rôles ; intervient rapidement auprès des mères ment bonne ».
– aider à décrypter le langage du bébé, afin de faciliter le décodage de la relation
les signes non verbaux ; mère-enfant et permettre un renforcement LE COUPLE PARENTAL
– créer et/ou maintenir le lien mère- des compétences de la maman et de son L’arrivée d’un enfant dans un couple,
enfant. enfant. Face à la sage-femme, à l’infir- dans une famille, est un facteur de désé-
– apporter une sécurité affective à la mière ou aux pédopsychologues, la patiente quilibre du système, qui engendre de
mère pour lui permettre de développer ses livre généralement des informations dif- fait une période de crise. La plupart du
compétences ; férentes. Nous croisons donc systémati- temps, cette crise reste dans le registre
– permettre à la mère d’acquérir et de valo- quement nos perceptions, nos données et dit des crises évolutives, c’est-à-dire liées
riser des compétences, des ressources et notre compréhension de la situation. Plus au cycle de la vie. Dans le cas des
des limites dans le maternage par modé- globalement, il est primordial de partager patientes qui arrivent à l’UPHA, à cette
lisation des professionnels. nos impressions en équipe pluridiscipli- crise évolutive s’ajoute une crise dite
Ce programme se déroule dans un lieu où naire, le comportement de la maman pou- situationnelle, induite par une fragilité psy-
sont hospitalisés des patients souffrant vant être diamétralement différent en pré- chique, une dynamique familiale per-
d’autres pathologies. Nous observons que sence de l’enfant et du professionnel qui turbée, un handicap ou un accident.
la présence de bébés favorise les interactions observe (infirmier, sage-femme…). Dès Durant l’hospitalisation de la mère et de
et encourage les rencontres au sein de lors, il est important de croiser ces obser- l’enfant, le papa est souvent un allié pri-
l’unité. Les mamans présentent leur bébé vations avec les professionnels spécialistes mordial. En effet, à leur arrivée, les
et sont attentives à leur image de mère. de l’enfant afin d’optimiser notre percep- mamans sont souvent épuisées. Nous
Les autres patients valident leurs com- tion de la situation. demandons donc aux pères de garder à
pétences et ainsi les renforcent. Ils modi- L’équipe soignante est souvent confron- domicile les bébés pour permettre à leur
fient également leurs attitudes et leurs com- tée à des difficultés inhérentes à ses compagne de se reposer. Ils organisent
portements : posture calme, voix adaptées, propres représentations. Parmi elles, on des visites et assurent la fonction « mater-
babillage et interactions, inquiétudes par distingue : nelle » pendant ce temps, ce qui offre à
rapport au bébé. Dans leurs échanges, – Toute-puissance/impuissance. Il est leur femme un espace de sécurité afin
ils font appel à leur propre expérience impératif d’être à l’écoute de nos limites qu’elle puisse prendre du temps pour elle.
de la parentalité (réelle ou imaginaire) (disponibilité, compétences) pour mieux Lorsque l’état de la maman permet une hos-
pour accompagner et soutenir les mères. garantir un cadre de soins sécurisant. pitalisation conjointe avec l’enfant, nous
– Idéalisation/jugement. Le soignant doit invitons alors le père à prendre du temps
LA NÉCESSAIRE PLURIDISCIPLINARITÉ faire le deuil de sa vision de la mère pour se reposer, se « recharger ». Le retour
Lors de la création du programme mère- parfaite, et faire un travail quotidien à domicile se fait progressivement, avec
bébé, nous avons sollicité l’aide d’une col- pour mettre à distance ses propres envies, des permissions de plus en plus longues,
lègue sage-femme, spécialiste clinique. ses valeurs personnelles pour pouvoir d’abord en couple puis en famille avec bébé.

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ART DE SOIGNER

Chaque sortie est évaluée lors d’entre- Face à la stagnation de la situation et Cet article a également été rédigé avec la participation
tiens familiaux qui peuvent être poursuivis à l’épuisement de la famille, le bébé est d’Anne Bardet Blochet, sociologue, et Brigitte Corabœuf,
en ambulatoire. placé en pédiatrie. Pour Ingrid, cette déci- infirmière spécialiste clinique, HUG et avec le soutien de
sion crée l’occasion d’éprouver le manque Christel Alberque, médecin adjoint du service de psychia-
• Ingrid et son « manque d’amour » de son enfant. Elle initie un travail de trie de liaison et d’intervention de crise, Sylvie Beyoux, infir-
Ingrid, 35 ans, est adressée à l’UPHA par rapprochement avec l’aide des pédo- mière responsable d’unité de soins et du Prof. Alessandra
la consultation de périnatalité. Mariée, psychiatres. Après une dizaine de jours, Canuto, médecin cheffe du service du service de psychia-
avec un emploi stable, elle n’a pas d’an- l’enfant rejoint sa mère à l’UPHA. Au trie de liaison et d’intervention de crise, HUG.
técédent psychiatrique. Elle présente un état bout de quelques semaines, Ingrid sort 1 – L’épigénétique désigne l’étude des influences de l’en-
d’épuisement et un syndrome dépressif malgré la persistance de ses craintes et vironnement cellulaire ou physiologique sur l’expression
suite à la naissance de son deuxième fils. sa peur de « ne pas y arriver ». Elle nous des gènes.
Dans un premier temps, Ingrid est hos- recontacte quelques mois plus tard via 2 – Le pédiatre américain T. B. Brazelton est un des pre-
pitalisée seule et ses proches s’occupent une carte postale pour témoigner de miers à avoir fait connaître les compétences du tout-petit.
des deux enfants. Au cours des semaines son évolution et de son attachement à On lui doit notamment Écoutez votre enfant (Petite biblio-
précédentes, la patiente avait perçu son petit dernier. thèque Payot, 2006). Il a également mis au point une
ses difficultés à domicile mais persé- échelle d’observation du nouveau-né, dite échelle Brazel-
véré dans son rôle de maman. Aujour- CONCLUSION ton, très utilisée en pédiatrie.
d’hui, à bout, épuisée, elle ne trouve plus Près de quinze ans après la création du 3 – Le voyage pathologique est un déplacement réel motivé
les ressources pour continuer. programme-mère bébé au sein de l’Unité par des causes psychopathologiques : le patient explique par
Elle n’a pas d’idée suicidaire mais pleure de psychiatrie hospitalière adulte des exemple qu’il fuit un complot, qu’il a une mission à accom-
beaucoup, se sent angoissée, a l’im- HUG, nous mesurons le chemin parcouru. plir, que ses voix lui ont ordonné de se rendre sur un lieu
pression de ne pas aimer ce nouveau-né Pluridisciplinarité et partage des connais- précis.
et d’être une mauvaise mère. Son mari sances ont fait de cet espace un lieu
se montre très présent et soutenant mais d’expertise dans les soins apportés aux
se sent impuissant à l’aider davantage. mères, mais aussi à leurs proches. La BIBLIOGRAPHIE
– Ansermet F. 1999, Clinique de l’origine : l’enfant
Ingrid décrit une relation très fusionnelle diversité des situations accueillies et trai-
entre le médecin et la psychanalyse. Lausanne :
avec son fils aîné, ce qui la culpabilise tées en fait aussi sa spécificité. L’UPHA Payot.
d’autant plus du « manque d’amour » peut accueillir des mères souffrant de – De Grâce GR, Joshi P. 1986, Les crises de la vie
qu’elle dit éprouver pour son cadet. toxicodépendance, de troubles psychotiques adulte, Montréal, édition Décarie.
Ingrid a besoin de temps et d’espace pour ou de schizophrénie, avec ou sans anté- – Guédeney N, Guédeney, A. 2006, L’attachement :
se recentrer sur elle, se reposer, reprendre cédent psychiatrique, ce qui la distingue concepts et applications, Paris : Masson.
ses marques et réapprendre à se faire d’autres programmes. – Guédeney N, Guédeney A. 2010, L’attachement :
confiance. L’équipe l’accueille dans ses On ne saurait conclure sans reconnaître approche clinique, Paris : Masson.
– Racamier P.C. 1978, Mère mortifère, mère
difficultés, l’aide à contenir son angoisse, l’importance des moyens mobilisés, la
meurtrière, mère mortifiée. Paris, ESF.
à la mettre en mots en l’apprivoisant. nécessité de travailler au sein d’un réseau – Winnicott D.W. 2006, La mère suffisamment bonne.
Les soignants l’entourent, la soutiennent, très élargi et l’investissement quotidien des Éditions Payot et Rivages, Paris.
l’aident à décrypter et à décoder ce soignants. Nous avons conscience des
qu’elle vit, la « maternent » afin qu’elle coûts engendrés par ces hospitalisations
puisse elle-même redevenir mère. Au prolongées et complexes. D’un point de
début de la prise en charge, Ingrid reste vue soignant et humain, la rencontre et
très angoissée lors des visites de son la création du lien mère-enfant restent un
enfant. Elle a des crises de panique, ne crédit pris sur l’avenir.
peut concevoir l’hospitalisation conjointe
et répète qu’elle n’est pas prête.

Résumé : Créé en 2003, le programme mère-bébé de l’Unité psychiatrique hospitalière adulte (UPHA) des Hôpitaux universitaires de Genève
accueille des mères (ou future mères) en difficultés, notamment psychiques, mais aussi sociales, économiques. L’équipe infirmière a développé des
compétences et une expertise particulière dans l’observation et le soin du lien précoce mère-enfant.

Mots-clés : Accompagnement thérapeutique – Attachement – Cas clinique – Équipe pluridisciplinaire – Hospitalisation mère-
enfant – Interaction précoce – Supervision.

20 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


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LES PETITS BONHEURS DU SOIN

pour travailler avec lui et il m’a fait alors

« On dirait un bébé!… »
des grands « non ! » du doigt tout en fron-
çant les sourcils et en me repoussant du
bras. C’était si théâtral et si drôle que j’ai
éclaté de rire. Il a souri et continué ses
mimiques tout en m’acceptant quand même.
À 16 ans, Ismaël a l’apparence d’un jeune adulte. Mais dans À table, il commence toujours par servir de
sa tête, il reste un petit garçon qui a besoin de rituels et de l’eau à tout le monde, remplissant à nou-
veau rapidement chaque verre qui se vide.
la présence réconfortante des soignants. Comme un enfant qui a besoin de vérifier
chaque chose pour se rassurer, il me pose
toujours les mêmes questions : « Virginie,
VIRGINIE DE MEULDER est-ce que je peux prendre toute la sauce
Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris-13e.
sans en laisser aux autres ?
– Bien sûr que non, Ismaël.
– Et pourquoi je n’ai pas le droit de prendre
toute la sauce pour moi ?
– Parce qu’il faut en laisser pour les autres,
tu l’as dit toi-même. »
Et il répète sa question au moment du
fromage, des yaourts, des fruits… Il m’in-
terroge avec un sourire rieur comme si
cela faisait partie d’un jeu entre nous. Un
jour, un de ses voisins de table, exaspéré
par son manège, s’est mis à hurler : « Mais
arrête avec toutes tes questions, on dirait
un bébé ! » Comme un enfant, Ismaël
© Tarokichi – Fotolia.com.

cherche à accaparer le soignant et ses


réflexions sont souvent d’une grande can-
deur : « Mais pourquoi il pleut Virginie, moi
j’aime pas la pluie, j’aime pas. Et ça me
rend triste moi la pluie, ça me fait pleu-
rer la pluie !… »

« Le 19 juillet, je vais me lever père a quitté le foyer conjugal dans son « C'EST QUOI, UNE PETITE AMIE ? »
et faire ma valise avec ma maman. Elle enfance et le garçon a fugué de nom- Le temps lui semble un éternel recom-
mettra cinq pantalons, cinq shorts, des breuses fois pour partir à sa recherche. Ismaël mencement : « Après l’été, ce sera l’hiver,
t-shirts, des chaussettes, des slips, des san- a cinq sœurs et une maman très pieuse n’est-ce pas, et puis Noël, et tout va recom-
dales et un maillot de bain. Ensuite, on qui élève seule ses enfants. Entouré de mencer comme l’an passé, n’est-ce pas, tout
ira chez ma tata et on prendra la voiture femmes, il se dessine parfois au milieu de va recommencer pareil et le temps va pas-
pour aller au Souffle neuf. Je vais retrou- sa famille avec une robe et des cheveux ser pareil. »
ver mes copines Océane, Laurie et Mégane. longs. À son entrée à l’hôpital de jour, il Le temps continue de s’écouler néan-
Après on partira à la mer et Océane met- gérait difficilement toute forme d’excita- moins à l’hôpital de jour… Ismaël a beau-
tra son maillot de bain rose et moi mon tion qui dérapait alors en agitation psy- coup grandi, son corps est celui d’un jeune
maillot noir et on se baignera ensemble dans chomotrice difficilement contrôlable. homme. Pas sûr qu’il en soit conscient.
les vagues. » Entre avril et juillet, Ismaël Curieux du vent, il s’amusait à jeter par Alors qu’il racontait à Myriam, une patiente,
a récité chaque jour à qui voulait l’en- la fenêtre sacs en plastique, feuilles de une baignade avec Océane, elle lui a
tendre cette belle tirade, les yeux pétillants papier… pour les regarder voltiger. Il souf- demandé si Océane était sa petite amie.
comme s’il était déjà dans l’eau avec flait aussi sur les cheveux longs du per- « Oui », a répondu Ismaël, puis il s’est tourné
Océane. Ses phrases en boucle semblaient sonnel féminin pour les faire voler. Aujour- vers moi pour vérifier : « C’est quoi Virgi-
avoir chez lui un fort pouvoir calmant, d’hui, il a fortement investi les soignants nie une petite amie ?
apaisant et manifestement jouissif. qu’il «utilise», au sens winnicottien du terme, – C’est quand on s’embrasse », a coupé
selon ses besoins. Myriam.
UN UNIVERS FÉMININ – Sur la bouche », ai-je précisé.
Très soigné, Ismaël, 16 ans, est un bel ado- RITUELS BAVARDS – Ah, alors non, c’est pas ma petite amie
lescent d’origine marocaine et mauricienne En ce moment, Ismaël me demande chaque Océane, c’est mon amie. »
à la peau dorée et aux yeux clairs. Souf- jour s’il peut déjeuner à ma table. Pour- Et Ismaël m’a lancé son regard complice
frant de troubles du comportement depuis tant, il n’a pas toujours été aussi soucieux et son grand sourire enfantin et rieur.
la maternelle, il fréquente des institutions d’être près de moi. À ses débuts à l’ate-
soignantes depuis l’âge de 4 ans. Son lier informatique, je me suis approchée

SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014 21


SM190_classique du soin_SM189_INT 17/09/14 16:30 Page22

CLASSIQUE DU SOIN

sphères professionnelle et familiale jouent

Épuisement professionnel également un rôle important. Face à ces


stresseurs, les ressources individuelles
(notamment le sentiment d’auto-effica-
Approches innovantes et pluridisciplinaires cité), collectives (soutien de la famille,
des collègues et du supérieur hiérarchique)
et organisationnelles ont des effets modé-
Philippe Zawieja, Franck Guarnieri rateurs.
Les travaux du psychologue Yves Clot sur
l’architecture du métier permettent de
Un ouvrage accessible et rigoureux à partir des travaux de modéliser une « boussole des ressources
recherche les plus récents sur le burn-out. psychosociales » susceptible d’aider les enca-
drants à identifier les points d’équilibre et
de déséquilibre d’une équipe. Les quatre
DOMINIQUE FRIARD instances identifiées par Clot permettent
ISP, Centre de santé mentale Hélène-Chaigneau, Gap (05).
de regrouper différents leviers d’action.
– L’instance « Impersonnel » concerne la
circulent. Certaines restreignent le burn- tâche, ce que l’organisation prescrit pour
out aux professions soignantes, d’autres ten- réaliser son travail.
tent de le définir comme un état voire – L’instance « Interpersonnel » rend compte
comme la phase finale d’un processus. À du fait que le travail est effectué toujours
cette conception statique, d’autres préfè- pour et avec les autres. Le rôle de l’encadrant
rent une approche dynamique qui définit est ici de favoriser la coopération.
le burn-out comme un processus où se – L’instance « Personnel » intègre le style
retranche un collaborateur, jusqu’ici impli- « personnel » qui est la façon que nous
qué, en réaction aux exigences et au far- avons d’aborder l’activité professionnelle.
deau de son travail. – L’instance « Transpersonnel » corres-
Décrit dans plus de 60 métiers, le stress pond au répondant collectif de l’activité
professionnel coûterait environ 200 mil- personnelle, l’histoire qui se poursuit ou
liards de dollars par an aux seuls États- s’arrête à travers moi.
Unis. En France, les estimations attei- Au fil des interventions, l’ouvrage s’inté-
gnaient de 1,9 à 3 milliards d’euros en 2007. resse à des professions aussi diverses que
Dix chapitres présentent différentes inno- les travailleurs sociaux, les aides-soignants,
vations théoriques et méthodologiques les chefs d’entreprise, les entrepreneurs de
(voire empiriques), au travers d’approches travaux forestiers ou les préparateurs de com-
concrètes de diagnostic ou de prévention mandes de la grande distribution.
du burn-out.
L’association entre burn-out et agressivité L’INTÉRÊT POUR LES SOINS
apparaît comme processuelle et fait inter- Aide-soignant, infirmier, cadre de santé,
venir des variables de contexte et d’autres médecin…, chacun pourra trouver ici
LES AUTEURS individuelles. Parmi elles, la charge de comment mettre en échec le burn-out. Il
Cet ouvrage est issu du colloque Épuise- travail est considérée comme le facteur s’agit dans tous les cas de faire groupe
ment professionnel : innovations théo- de stress le plus important, indépendam- et de prendre soin du groupe, chacun à
riques et méthodologiques, organisé par le ment de la profession ciblée. Les rythmes sa place et de sa place. Dans l’analyse des
Centre de recherche sur les risques et les et les cadences imposées provoquent une pratiques ou la supervision, la mise en parole
crises de MINES ParisTech en fatigue progressive du corps, puis des du travail, de son contenu, de ses pratiques
décembre 2012 (1). L’objectif était de facultés émotionnelles et cognitives. L’am- (bonnes ou mauvaises), parce qu’elle met
permettre à de jeunes chercheurs de tous biguïté des rôles correspond à un flou sur en travail nos valeurs, constitue proba-
les champs disciplinaires (psychologie, la manière d’agir où l’individu est livré à blement la meilleure des préventions.
sociologie, management/ressources lui-même sans consignes claires. L’incer-
humaines…) de confronter leurs travaux sur titude qui en résulte est génératrice de
le burn-out dans plusieurs types de métier. conflits entre des personnes qui ne savent 1– Plus d’infos et les actes de ce colloque sont disponibles
Ces auteurs constituent ainsi la « généra- plus où se situent les limites de leurs res- sur le site des MINES-ParisTech, www.mines-paristech.fr/
tion montante », à la pointe de la littéra- ponsabilités et prérogatives. Actualites/Epuisement-professionnel/339
ture scientifique internationale. Surchargés, manquant d’informations et
d’orientations, les salariés peuvent provo-
L’OUVRAGE quer des conflits interpersonnels. Les situa-
L’un des obstacles majeurs à la recherche tions d’injustice au travail sont accompa-
sur le burn-out est l’absence d’une défi- gnées d’un vécu émotionnel intense et ce Zawieja P., Guarnieri F. (dir.) Épuisement professionnel.
nition opérante, convaincante et consen- quel que soit le domaine concerné. Les Approches innovantes et pluridisciplinaires, Armand
suelle. Plus d’une cinquantaine de définitions conflits naissant de l’interférence entre Colin, coll. Recherches, Paris, 2013-2014.

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DOSSIER

Burn-out : comprendre
et accompagner
Le burn-out apparaît comme un syndrome en trois phases : l’épuisement émotionnel, la
déshumanisation de la relation à l’autre, le sentiment d’échec professionnel. Ces stades
s’installent progressivement en réponse à un stress émotionnel chronique et répétitif. Chez les
soignants, quand la relation d’aide « tombe malade », il faut mettre en œuvre non seulement
des réponses individuelles et collectives mais aussi une réflexion éthique.

24 Définir le burn-out
Michel Delbrouck

30 Risques organisationnels et burn-out


Christine Jeoffrion, Abdel Halim Boudoukha

36 Burn-out, idéal du moi et désir


Vincent Charazac

42 La fatigue de soigner
Pierre Canouï

48 Le sentiment de satisfaction au travail


Jean-Paul Lanquetin

54 Retrouver le plaisir de soigner


Martine Pacault-Cochet

56 Reconnaissance au travail : mission impossible ?


Bénédicte Vidaillet

62 Le burn-out, une pathologie de civilisation


Pascal Chabot

68 « Toute ma vie, j’ai voulu être utile »


Ariane Bilheran
© Christian Fafet. No Face A n° 40, 2009.

74 « Je ne sers à rien »


Charly Cungi

82 L’après burn-out
Sabine Bataille

88 Pour en savoir plus


Ascodocpsy

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Définir le burn-out
L’épuisement professionnel se caractérise par la survenue de trois phases  : l’épuisement
émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre et le sentiment d’échec
professionnel. Histoire du concept et principales caractéristiques.

L’histoire du concept de burn- dirigeants, cadres, avocats, entrepre- Le burn-out, concept récent, ne se super-
out commence en 1974, à New York. neurs, soignants, enseignants, forma- pose pas à un diagnostic psychiatrique
Un psychologue, Herbert Freudenberger, teurs, journalistes, architectes, policiers, et peut mener à la dépression. Consi-
constate que des professionnels en santé commerçants… Toutes les professions déré au départ comme une maladie spé-
mentale développent au contact de leurs où la relation est primordiale sont sus- cifique de la relation d’aide, il englobe
patients un état d’épuisement particulier, ceptibles d’entraîner ce type de réac- et dépasse le stress et donne une perte
accompagné de plaintes pour des douleurs tion. Cette notion peut être étendue à tout du sens du travail. Le burn-out révèle
diverses. Ces soignants montrent des dif- professionnel débordé par sa tâche. un malaise existentiel singulier et social.
ficultés à gérer les situations frustrantes Il paraît indispensable de distinguer épui- Il pose la question du sens de la vie.
et cultivent des sentiments de colère et sement professionnel (ou burn-out) et épui- L’épuisement professionnel se rencontre
de suspicion à l’égard de leur entourage. sement émotionnel, qui en est le premier surtout chez la personne qui poursuit
Ils deviennent butés, rigides, inflexibles stade et passe avec du repos. De même, des idéaux (5) élevés dans sa vie person-
et sont dans l’incapacité de fournir les la confusion peut régner entre burn-out et nelle, familiale ou professionnelle, puis-
efforts d’adaptation nécessaires à leur dépression, insatisfaction passagère ou qu’elle consacre toute son énergie à
vie professionnelle. « Certaines personnes durable au travail, stress au travail, démo- atteindre un but irréaliste dans les condi-
sont parfois victimes d’incendie, comme tivation ou envie de changement. tions données, mais il peut aussi résul-
une maison, rapporte le psychologue. Sous S’agit-il d’un processus ? D’un état ? Est- ter d’un travail où on a l’impression de
l’effet de la tension, leurs ressources en vien- ce le stade final d’un mal-être qui se déve- répéter la même routine, de tourner en
nent à se consumer, comme sous l’effet de loppe progressivement, avec l’accumulation rond, jour après jour, semaine après
flammes, ne laissant qu’un vide immense continue du stress sans qu’aucune atti- semaine, de s’ennuyer, de se sentir déso-
à l’intérieur, même si l’enveloppe externe tude de coping (3) ou d’adaptation ne soit rienté, de soupçonner les autres de ne pas
semble plus ou moins intacte. » (1) adoptée ? nous apprécier… Dans ces cas, certains
Aujourd’hui, la notion de burn-out (2) Du côté de la prise en charge, seuls les ont parlé de bore-out (6).
est passée dans le langage courant : dès praticiens reçoivent des personnes en C’est à C. Maslach et S. Jackson (7)
que quelqu’un ressent de la fatigue ou burn-out pathologique. La difficulté pour que l’on doit d’avoir éclairci le syn-
est excédé par son travail, il clame au burn- aborder et résoudre cette question réside drome en trois stades décrits ci-des-
out. Rappelons ce que nous entendons dans le fait que les causes sont mul- sous. Selon elles, le burn-out découle-
exactement par ce terme. Ce syndrome tiples, variées, collectives mais aussi que rait d’une inadéquation entre la personne
peut atteindre toute personne qui assume le soin est essentiellement individuel. et son contexte organisationnel. Ces
des responsabilités importantes ou est auteurs abordent le burn-out à travers
en relation d’aide au sens large du terme : UN SYNDROME EN TROIS TEMPS l’analyse de la relation de la personne
Le syndrome complet du burn-out comprend avec son travail et notamment de l’exis-
un trépied de phases progressivement tence d’un décalage entre ce qu’elle vit
évolutives : et six dimensions de l’organisation de son
– l’épuisement émotionnel ; environnement :
Michel DELBROUCK – la déshumanisation de la relation à – la charge de travail ;
l’autre ; – la reconnaissance de son travail ;
Médecin, psychothérapeute, formateur, – le sentiment d’échec professionnel ou – le soutien de la communauté de travail,
ex-président de la Société Balint Belge la diminution de l’accomplissement. – le sentiment d’équité ou de justice au
et de la Société Belge de Gestalt, Membre affilié La plupart des personnes ne présen- travail ;
de l’Institut International de Psychanalyse et tent heureusement que la première – le respect des valeurs ;
de Psychothérapie Charles Baudouin (Genève), phase (près de 50 % de la population – le respect du sens du sens donné à son
Maître de stage intra et post-universitaire. concernée, [4]). travail.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

.© Christian Fafet. No Face A n° 43, 2009.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

• L’épuisement émotionnel Un point clé du diagnostic est évidem-


Premier stade du syndrome de burn-out, ment le changement d’attitude du tra-
l’épuisement émotionnel est autant phy- vailleur : en début de carrière, la personne
sique que psychique. Intérieurement, le était hypermotivée, chaleureuse. La trans-
sujet ressent une fatigue effective au tra- formation n’est cependant pas toujours
vail, un sentiment d’être « vidé » et une facile à observer car elle s’installe insi-
difficulté à être en relation avec les émo- dieusement et sournoisement comme à
tions de l’autre, si bien que travailler l’insu de la personne et, pourrait-on dire,
avec certaines personnes devient de plus malgré elle. Paradoxalement, même les
© Christian Fafet, No Face A n°9, 2009.

en plus difficile. Cette fatigue émotion- professionnels en relation d’aide dévelop-


nelle n’est pas ou peu améliorée par le pent cet état d’esprit.
repos. Toutes les tâches deviennent des
corvées. Outre des sensations de vide • Le sentiment d’échec professionnel
émotionnel interne, on peut observer des Résultant des deux précédents, le sen-
explosions comme des crises d’énervement timent d’échec ou diminution de l’ac-
et de colère, mais aussi des difficultés complissement personnel est douloureu-
cognitives à se concentrer marquées par sement vécue. À ce stade, la personne vit
des oublis de réponse à des demandes et exprime un sentiment d’inefficacité,
même anodines. Cet épuisement se heurte de ne plus être capable de faire du bon
L’artiste : à l’incapacité à exprimer toute émotion : travail et d’être frustrée par rapport au sens
Christian Fafet dans nos cultures, la personne compétente
doit rester forte et n’exprimer aucune
qu’elle donnait à son métier. Elle com-
mence à douter d’elle et de ses capaci-
Peintre, graphiste, photographe, Christian
Fafet s’est mis à la création numérique en faiblesse. L’émotion risque donc d’être tés à aller vers l’autre. La dévalorisation
2001, « le hasard ayant mis un ordinateur sur déniée et déviée par des comportements de soi, la culpabilité et la démotivation
ma route… », explique-t-il. Les images de de contrôle. Ainsi, l’épuisement peut apparaissent. Les conséquences sont
ce dossier, extraites de la série No Faces, prendre l’aspect d’une froideur, d’une variées et variables : absentéisme, motivé
sont ainsi toutes réalisées avec une palette distanciation à l’autre. ou non, fuite du travail, projet de chan-
graphique. Pour l’artiste, ce médium permet Cet état est décrit dans la littérature amé- ger de métier ou à l’inverse présentéisme
l’exploration de la matière avec une très ricaine sous le nom de John Wayne Syn- exacerbé (8). La réaction la plus fré-
grande liberté, ouvrant au jeu avec une drom. À l’image du célèbre acteur dans ses quente est souvent une hyperactivité
œuvre non figée, en mouvement. Très rôles de cow-boy, la personne devient réactionnelle. La personne prolonge son
réalistes, au point que l’on peut penser impassible et nie tous les problèmes, alors temps de travail mais sa rentabilité et son
parfois à de la photographie, ces toiles que les flèches et les balles sifflent à ses efficacité ont diminué.
explosent au regard du spectateur avec une
oreilles.
grande intensité.
La question de l’individu est au cœur de
ÉVOLUTION DU CONCEPT
cette série sans visages. Les silhouettes,
• La déshumanisation Le burn-out apparaît donc comme un
compactes, de dos, se découpent sur des Le stade de déshumanisation est la consé- syndrome à trois dimensions, en réponse
murs, des fenêtres sans horizon… Hachurées, quence directe du premier : « Puisque les à un stress émotionnel chronique et
raturées, brisées, elles se heurtent, se émotions me débordent, mettons-les de répétitif.
confrontent, vont « dans le mur » et côté ! ». Ce noyau dur du syndrome est Une définition de Gil-Monte (9) reprend
semblent s’y dissoudre. Ces images marqué par un détachement, une séche- les données liées au stress chronique
puissantes, inquiétantes, évoquent la dureté resse relationnelle s’apparentant au découlant d’un travail à caractère imper-
du réel et les impasses sans espoir. Cette cynisme. L’autre est chosifié. Pour le soi- sonnel et émotionnel. Se profile tout
peinture engagée montre aussi la fragilité gnant, le malade devient un objet, un d’abord une détérioration cognitive. La per-
et la faiblesse humaines. Christian Fafet cas, un numéro de chambre. À ce stade, sonne vit une désillusion professionnelle
écrit : « C’est un constat : l’humanité, la personne fait un usage abusif et trop qui peut aller jusqu’au désenchantement
tournant le dos à la vertu de son devenir, constant d’un humour grinçant et noir et à une impression de perte de réalisa-
préfère s’écraser le visage contre le mur
qui devient le mode d’échange journalier. tion personnelle au travail. Par la suite,
réaliste du vice. Je fais allusion aux notions
Dans certains cas, cette dimension de déper- une détérioration affective s’installe qui
de vice et de vertu développées par Adam
Smith, grand dogmaticien du libéralisme, sonnalisation s’exprime sous des formes se manifeste par un épuisement émo-
et non à la morale judéo-chrétienne. C’est plus acerbes comme des attitudes de tionnel et une fatigue physique. Enfin
l’attitude actuelle des dirigeants de ce monde rejet, voire de maltraitance. Le chef de apparaissent des attitudes et des conduites
qui nous martèlent à longueur de temps chantier considère alors ses subordon- négatives qui vont être progressivement
“Cognons-nous, cognons-nous”… Mais nés comme des outils, des pièces desti- ou rapidement préjudiciables envers la clien-
le risque couru quand on n’a plus de visage nées à faire tourner la machine et ignore tèle, l’organisation et la famille.
est de n’être plus humain ». l’être humain derrière sa fonction. Le
• En savoir plus : ww.christian-fafet.com médecin se retranche derrière une des- SYMPTÔMES
À (re)voir également dans le numéro 159 cription scientifique du corps malade qui Deux types de symptomatologie tradui-
de Santé mentale, juin 2011, ne tient plus compte de l’état de santé sent ce burn-out : des troubles psy-
La Famille dans les soins globale de la personne. chiques et physiques.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

• Manifestations physiques d’assurance, l’indécision, l’insatisfac- LES FACTEURS DE RISQUE


En tout premier lieu, apparaissent l’épui- tion, l’impatience, la diminution de l’es- Les études (11) mettent en évidence que
sement physique et la fatigue. Viennent time de soi, l’anxiété flottante, le senti- les personnes prédisposées au syndrome
ensuite d’autres symptômes dont un certain ment d’impuissance, le sentiment de de burn-out possèdent de hautes valeurs
nombre de plaintes plutôt atypiques. Dans culpabilité, la culpabilité… morales et sont performantes et efficaces.

“ Il n’y a pas de solution durable si, au plus profond de sa démarche,


la personne en burn-out n’accepte pas une remise en question et une réflexion
philosophique, psychologique et éthique de son mode de fonctionnement. »
certains cas, ces symptômes physiques res-
tent la seule manière dont le patient peut
exprimer sa souffrance. Le médecin consulté
devra décoder leurs signifiants plus larges
et dépister un éventuel syndrome d’épui-
sement professionnel sous-jacent.
– Des symptômes émotionnels se mani-
festent sous la forme d’irritabilité, de
cynisme, de colère, de crises de larmes
ou de nerfs, de désespoir, d’agressivité,
d’une sensibilité et d’une nervosité accrues,
d’angoisse, d’excitation, de tristesse,
Par ailleurs, un certain nombre d’entre
elles sont perfectionnistes et ne savent
pas déléguer leurs tâches. Ce sont de
grands travailleurs qui se croient indis-
pensables, tentent de réussir trop de
choses et sont convaincus que leur éner-
Nous citons comme symptômes majeurs d’une culpabilité excessive… Plus connus gie ne leur fera jamais défaut.
les troubles du sommeil (réveils précoces, et plus facilement dépistables, ces symp- Une certaine conception exigeante du
nocturnes, difficultés d’endormissement) tômes sont parfois masqués par le sujet travail, un sens de la « vocation » trop
qui alertent sur l’existence probable d’un et leur prise de conscience sera un des élevé, le maintien coûte que coûte d’une
état dépressif majeur. Viennent ensuite objectifs du traitement. certaine image de soi et la recherche
les troubles musculo-squelettiques (maux – Des symptômes intellectuels – diffi- exagérée de la réussite sociale ou du
de dos, douleurs et contractions muscu- cultés de concentration, distraction, pouvoir personnel sont des facteurs qui
laires, douleurs articulaires…), les mani- erreurs fréquentes, pertes de mémoire, favorisent le développement et l’éclosion
festations cardiovasculaires (poussées oublis… – dominent parfois le tableau cli- de ce syndrome.
d’hypertension, palpitations, douleurs nique. Au fur et à mesure de l’aggrava- On peut repérer des types de personna-
dans la poitrine…), les troubles digestifs tion de la situation, apparaissent des dif- lités (12) plus exposées au burn-out : les
(perte d’appétit, épisodes boulimiques, ficultés à prendre des initiatives, de la personnalités dépendantes, obsession-
digestion difficile, douleurs dans l’abdo- confusion, de l’insatisfaction, un senti- nelles compulsives, narcissiques décom-
men, coliques, nausées, diarrhées…), la ment d’impuissance et d’incompétence pensées, évitantes, passives agressives. Les
sphère neurologique et hormonale avec professionnelle, une nette perte d’estime troubles anxieux primaires de même que
les migraines, les pertes d’équilibre, les ce soi, des attitudes négatives de fuite les troubles bipolaires mineurs ou majeurs
vertiges, tremblements, troubles sensitifs, ou d’opposition passive ou active. feront l’objet d’une attention particulière.
sueurs inhabituelles, les baisses d’éner- – Des symptômes comportementaux se Nous ajouterons à ces facteurs l’alimenta-
gie, les déséquilibres hormonaux. Enfin, manifestent également par des compor- tion anarchique, le non-respect de l’horloge
nous pouvons observer l’installation de mala- tements inhabituels pour la personne. Ce biologique, la sédentarité excessive, l’absence
dies organiques plus systématisées comme sont des modifications ou aggravations de vie intérieure et de pensée positive, les
les ulcères d’estomac, l’hypertension de troubles alimentaires, l’apparition de abus d’excitants et de médicaments, la
artérielle sévère, les problèmes cardiaques comportements violents et agressifs, des mauvaise organisation de son temps de
majeurs, l’hyperthyroïdie… attitudes négatives, une perte ou une dis- vie, les paradis artificiels comme l’argent,
Pour certains patients, ces troubles ou mala- torsion de ses valeurs, un isolement social le jeu, l’alcool, la drogue, le shopping
dies physiques constituent les signes (repli sur soi, difficultés à coopérer) et enfin sexuel, la recherche absolue du pouvoir
prémonitoires de ce burn-out. Les proces- des comportements addictifs comme la et/ou de la reconnaissance et la boulimie.
sus de somatisation peuvent être une consommation de produits calmants ou exci- Une certaine prédisposition au stress, une
voie d’entrée pour la prise de conscience tants (café, tabac, alcool, somnifères, incapacité de se reposer sans se sentir
de l’épuisement professionnel. Au soi- anxiolytiques, drogues douces ou dures…) coupable, le désir impérieux d’être reconnu
gnant de permettre doucement de faire ou de la cyberaddiction, de l’addiction et récompensé, la tendance à faire plusieurs
des liens… au sport, au sexe… choses à la fois, le besoin de gagner ajouté
Enfin, le désintérêt et même le dégoût à la souffrance lorsque l’on perd consti-
• Manifestations psychiques pour un métier que la personne aimait tant tuent des facteurs additionnels. De même
Les symptômes psychiques, inégalement vont l’envahir, porte ouverte à une aggra- que la surcharge de travail au quotidien,
repérables, montrent divers aspects : vation de son état qui pourrait la mener les arrivées tardives systématiques, les
– Des dysfonctionnements psychiques vers un état dépressif majeur. Pour délais peu réalistes pour réaliser ces tâches,
peuvent se manifester par la négation des d’autres, la manifestation d’une tension les urgences, les fréquentes heures supplé-
échecs, l’oubli de soi, la perte du sens interne qui grandit et d’un vide intérieur mentaires, les programmes trop serrés, les
de l’humour, l’indifférence, le désinté- précédera la fatigue physique, émotion- imprévus qui deviennent désastre et catas-
rêt, la dépersonnalisation, le manque nelle ou mentale. trophes, les surcharges de travail, le goût

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

excessif pour la compétition, les multiples en a besoin pour survivre. Elle travaille facteurs pronostics qui vont lui permettre
projets à délais trop courts, l’inorganisation alors le minimum de temps requis, éviter de bénéficier de l’aide requise en fonction
ou le manque de structuration et d’orga- si possible les défis et les clients, et se pro- de ces trois niveaux. Ceci va influer le dia-
nisation, l’impatience et le manque d’an- tège de tout ce qui pourrait mettre en dan- gnostic et la prise en charge.
ticipation… ger cette pseudo-position de sécurité qui
Les facteurs de stress internes (histoire semble compenser son mal-être, de manière FACTEURS ÉTIOPATHOGÉNIQUES
personnelle et/ou familiale chaotique, passé inadéquate toutefois, pour la satisfaction Certaines conceptions sur l’origine et la
dépressif, antécédents de traumatismes au travail. On observe parfois un absentéisme prise en charge du burn-out risquent de
par négligence ou par excès…) et externes important et des difficultés de réadapta- freiner le processus de délivrance au lieu
(harcèlement professionnel, environnement tion fonctionnelle au travail. de le favoriser. Nous voulons éviter les
agressif, excès de bruit, insalubrité…) Toute la panoplie des mécanismes de visions univoques tant au niveau causal
seront à dépister et à traiter. défense ou d’évitement s’installe : déni, qu’au niveau curatif. Le développement
désensibilisation, projection, refoulement, de nouvelles conceptions étiopathogé-
DÉNI ET PRISE DE CONSCIENCE identification projective. Mais la personne niques (13), avec le modèle bio-psycho-
La personne qui développe un burn-out y continue inexorablement, sans écouter social, vise à contourner cet écueil. Les
entre très progressivement. Des indices son corps, les appels désespérés de ses facteurs étiologiques sont en effet mul-
fournissent des pistes pour éviter que ce proches et les mises en garde de ses col- tiples, interconnectés, interactifs et com-
processus ne se développe vers des stades lègues à poursuivre son travail effréné et plémentaires. Le professionnel dans sa
de gravité plus importants. La mise en évi- même parfois à en rajouter. Poussée dans toute-puissance risquerait de figer et de
dence de facteurs prédictifs du burn-out ses derniers retranchements, elle finit par renforcer la situation bloquée. L’approche
permet aussi de le dépister et le prévenir « craquer », décompenser, déprimer ou pré- systémique de circularité aide à dépas-
chez les étudiants (12), les jeunes cadres, senter une ou des affections physiques ser celle de la causalité directe et donne
ou les personnes à responsabilités. qui l’obligeront malgré elle à s’arrêter paradoxalement « de la capacité à agir ».
Les étapes du burn-out se présentent dans contrainte et forcée. Tout changement, si minime soit-il, d’un
un ordre quasi habituel. Il débute par un Lorsque la personne en burn-out vient seul paramètre du système le fait déjà faire
enthousiasme idéaliste, où le travail pro- consulter, il va lui falloir un certain temps évoluer. Inversement, isoler une seule
met de tout combler, avec une suridenti- pour prendre conscience et accepter sa cause et le traitement qui s’y rapporte risque
fication avec la clientèle et une dépense situation. Comme dans le cas du deuil, d’amener à terme un échec.
d’énergie excessive et inefficace. Par la d’une maladie ou d’un accident, la personne La collaboration du patient demeure donc
suite, une stagnation s’installe où le tra- passe par une série d’émotions et d’états essentielle car c’est lui qui va engager le
vail n’est plus perçu comme aussi excitant d’esprit avant d’accepter son problème. processus du changement là où il lui
et n’est plus le substitut de tout dans la Le thérapeute doit la soutenir dans ces paraîtra plus aisé consciemment ou incons-
vie. La personne traverse ensuite une étapes de déni ou de refus et l’accompa- ciemment d’agir. Nous comprenons com-
période de frustration pendant laquelle gner dans la découverte de ce qu’elle a tou- bien humilité, gestion de la honte et de
elle s’interroge sur son efficacité au travail jours refusé consciemment ou inconsciem- la compétence professionnelle demeu-
et sur la pertinence et la valeur du travail ment. Parallèlement, il mesure le degré rent indispensables. Chaque patient jugera
comme tel, et enfin une apathie où elle se de gravité du burn-out, à quel stade d’évo- et ira là où il se sent prêt à aller inves-
sent chroniquement frustrée au travail mais lution le patient se situe et quels sont les tiguer. Nous partirons donc de la sur-
face pour aller vers le cœur, vers le plus
profond, du plus simple au plus com-
À lire. Comment traiter le burn-out. plexe, en sachant que les causes et les
Principes de prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel solutions sont et resteront multifacto-
rielles. Toutes les hypothèses, qu’elles
Le burn-out, syndrome d’épuisement professionnel, affecte l’ensemble des catégories sociales.
soient sociologiques, environnementales,
Dépisté trop tardivement, ce syndrome peut déboucher sur une dépression sévère, parfois
accompagnée de répercussions physiques sérieuses. Confronté quotidiennement au vécu de ses comportementales, psychologiques et
patients, Michel Delbrouck dresse dans cet ouvrage un panorama exhaustif et détaillé de la prise psychanalytiques, de même que biologiques
en charge du burn-out. Il décrit le syndrome, les différentes phases et passe en revue les facteurs ou basées sur les récentes découvertes
étiopathogéniques et les fondements philosophiques de la pathologie afin de permettre de mieux des neurosciences, seront à envisager
la détecter et d’en évaluer le degré d’intensité. Suivant un modèle évolutif, il propose un du point de vue étiopathogénique.
traitement efficace en dix phases pour avancer à son rythme. Combinant outils de prévention et
pistes de traitement, ce guide pratique s’adresse aux thérapeutes, psychologues et responsables LE CONTEXTE DE TRAVAIL
des ressources humaines. Selon P. Canoui et d’autres auteurs, le burn-
• M. Delbrouck, Bruxelles, De Boeck, 2e éd. 2013, 461 p. out est lié étroitement aux facteurs de tra-
Et aussi : Le burn-out du soignant vail et à l’environnement. Dans ce type
de conception, le burn-out est indissociable
Fruit d’une collaboration internationale, cet ouvrage constitue une référence en matière d’analyse du contexte de travail. Bien que nous
conceptuelle et étiologique du syndrome d’épuisement professionnel des personnels de santé. soyons pour une approche plus globalisante,
Dépassant le cadre théorique, il est aussi un outil d’autoévaluation pour le soignant, et de pistes évoquons sans les développer quelques
de concrètes de gestion du burn-out.
facteurs composants cette hypothèse
• M. Delbrouck, Bruxelles, De Boeck, rééd. 2011. sociologique (14).

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

• Facteurs spécifiques à l’activité de sérieuses répercussions organiques, 5– Voir La notion de Moi idéal dans les hypothèses étio-
professionnelle vivre un burn-out peut pourtant être un for- pathogéniques, in Delbrouck M., Comment traiter le burn-
Certains éléments concernent le type de midable clin d’œil de la vie ou à la vie. Cette out, principes de prise en charge du syndrome d’épuise-
travail effectué : implication trop importante dans la vie ment professionnel, Bruxelles, de Boeck, 2011, p. 54.
– le volume et les exigences du travail ; professionnelle par rapport à la vie privée 6– Le terme vient de l’anglais to bore, ennuyer.
– le manque de reconnaissance et de peut résonner comme un signal d’alarme 7– C. Maslach & S.E. Jackson, Burnout in health profes-
soutien au travail ; pour qui sait l’entendre. Quel sens cela a- sions : a social psychological analysis, in G.S. Sanders &
– le rythme de travail ; t-il pour la personne qui consulte ? Avec J. Suls (Eds.), Social Psychology of Health and Ilness,
– les aspects psychologiques vécus au le recul de quinze ans de prise en charge London, Laurence Erlbaum Associates, 1982.
travail ; du burn-out, nous pensons que celui qui 8– Le présentéisme s’oppose à absentéisme et désigne la pré-
– les critères de pénibilité au travail (pour a la capacité d’oser s’arrêter et analyser sence abusive de la personne sur le lieu de travail, menant
les soignants notamment) ; ce qu’il a vécu et ce qu’il est en train de à un état pathologique de surmenage (personne démotivée,
– les facteurs de stress psychosociaux. vivre, acquiert une chance inouïe et ines- fatiguée, peu productive et souffrant de somatisations
pérée de modifier sa trajectoire de vie diverses).
• Facteurs organisationnels avant qu’il ne soit trop tard. 9– P. Gil-Monte, B. Moreno & J.-P. Neveu, 2006, cité in
et relationnels Un fossé existe entre les idéaux défen- S. Claeys, Quand le travail agresse le professionnel ou le
Quelle que soit l’activité, elle suppose dif- dus par ces personnes et les contraintes burn-out de l’intervenant en violence scolaire, mémoire en
férentes structures et processus opératoires. de la réalité de terrain, ce qui oblige une vue de l’obtention du Master en psychologie, Université Catho-
Dans ce registre, les facteurs de risque adaptation de la posture thérapeutique pour lique de Louvain, promoteur professeur B. Galant, p. 265.
sont : soigner le burn-out, modifiée par rap- 10– Sur les types de personnalités, voir Delbrouck M.,
– l’ambiguïté de rôles ; port au modèle médical ou psychothéra- Comment traiter le burn-out, Bruxelles, De Boeck, 2011,
– le conflit de rôle dans la répartition peutique habituel. Car ce qui caracté- chapitre 8, p. 147.
des responsabilités et dans les tâches ; rise la personne en burn-out, contrairement 11– Maslacch C., Letter M., Burn-out, le syndrome d’épui-
– la nature des relations émotionnelles et à une personne qui entame une psycha- sement professionnel, Paris, Ed. Arènes, 2011.
sociales entre les collègues, entre le nalyse ou une psychothérapie, c’est que 12– Évaluer les traits et les troubles de la personnalité in
patron et ses subordonnés ; la seconde recherche une réflexion Delbrouck M., Comment traiter le burn-out, opus cité p. 89.
– la structure de l’organisation ; consciente et volontaire par rapport à Pour les facteurs prédictifs de burn-out chez les étudiants
– les difficultés relationnelles avec le elle-même. Alors que dans le cas de en médecine, voir M. Delbrouck, Le Burn-out du soignant,
client ou le patient ; l’épuisement professionnel, ce sont les Bruxelles, De Boeck, chapitre 6, p. 139.
– le harcèlement moral ou professionnel. événements de vie ou bien la symptoma- 13– Etiopathogéniques : étiologiques (origine) et pathogé-
tologie physique, le corps qui n’en peut niques (mode de fonctionnement).
• Facteurs liés à l’environnement plus qui vont déclencher ou « forcer » 14– Cet aspect est développé dans Delbrouck M., Comment
professionnel quelque peu la démarche. traiter le burn-out, opus cité, p. 44-66.
Dans ce registre, on relève que les rai-
sons pour lesquelles un collaborateur
décompense sont souvent liées à des
changements dans les lois de l’écono- BIBLIOGRAPHIE
mie ou du marché. Le burn-out prend – Canoui P., Maurange A., (1998), Le syndrome d’épui-
ainsi racine sur des terrains où les condi- sement professionnel. De l’analyse du burn-out aux
tions dans lesquelles le métier s’exerce réponses, Paris, Masson, 2001.
– Delbrouck M. (2007), Psychopathologie, manuel à
changent ou doivent être relativisées. 1– Freudenberger H., L’Épuisement professionnel. La brû-
l’usage du médecin et du psychothérapeute,
lure interne, Québec, Gaétan Morin éditeur, 1987.
Bruxelles, De Boeck, 2e édition, 2013.
EN CONCLUSION 2– Le terme vient de l’anglais to burn : se consumer. – Lebrun J.-P., De la maladie médicale, Bruxelles,
Le concept du burn-out peut être étendu 3– Le Coping décrit des stratégies d’ajustement que l’on De Boeck, 1993.
à l’ensemble des situations de l’homme adopte en fonction des agents stressants. Ils peuvent être – Revue Balint Belge, n°103, Le travail, c’est la
en relation d’aide et de l’homme « sim- orientés vers la diminution de la réaction de stress ou vers
santé ? Nos patients souffrant au travail, Bruxelles.
– Salathe N. K., Psychothérapie existentielle, une
plement » au travail. Bien que ce syndrome le contrôle de la situation stressante.
perspective gestaltiste, Paris, Amers, 1992.
puisse devenir une maladie et débou- 4– Voir Delbrouck M., Le burn-out du soignant, le syndrome – Winckler M., La maladie de Sachs, Paris, POL éd,
cher sur une dépression sévère, et/ou sur d’épuisement professionnel Bruxelles, de Boeck, 2008. 1998.

Résumé : Concept relativement récent, le syndrome du burn-out ou épuisement professionnel touche toutes les catégories professionnelles. Il se déve-
loppe selon un trépied, progressif qui comprend l’épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre, le sentiment d’échec professionnel ou la
diminution de l’accomplissement. L’auteur, médecin, psychothérapeute et spécialiste du burn-out en particulier chez les soignants, en présente des symptômes phy-
siques et psychiques, les facteurs de risque, ceux liés à l’individu et à l’environnement. Multifactoriel, le burn-out appelle une prise en charge globalisante.

Mots-clés : Clinique – Concept – Dépersonnalisation – Déshumanisation – Échec – Épuisement professionnel – Expression de


l’émotion – Facteur de risque – Mécanisme de défense – Prise en charge – Somatisation – Souffrance psychique – Travail.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Risques organisationnels
Parmi les Risques psychoso-
ciaux (RPS) au travail, le burn-out occupe Plusieurs facteurs de risque du burn-out sont liés à l’organi-
une place particulière. S’il trouve une par-
tie de ses racines dans des facteurs indi-
sation du travail et notamment au changement. Différentes
viduels, l’environnement de travail ne peut mesures peuvent être prises pour accompagner les évolu-
en être exclu : le burn-out est avant tout
le résultat produit par des contextes situa- tions, afin de préserver la santé psychique des salariés.
tionnels, même si ce phénomène se tra-
duit essentiellement au niveau de l’indi-
vidu. Notre première partie s’attachera
donc à définir les RPS et le burn-out. La
deuxième partie sera l’occasion de présen-
ter les facteurs de risque organisation-
nels, traversés par la question du change-
ment organisationnel, et leurs répercussions
sur la santé mentale des salariés. Enfin nous
proposerons des pistes de prévention de
la santé psychologique au travail.

LES RPS DANS LA LOI


Le droit du travail a pendant longtemps pri-
vilégié le versant physique de la protection
de la personne. Les évolutions démogra-
phiques, sociales et économiques ont incité
le législateur à intégrer à la politique de
prévention des risques professionnels une
dimension psychique avec les risques dits
« psychosociaux ». Cette volonté entre en
conformité avec la définition de l’OMS
selon laquelle « la santé est un état de com-
plet bien-être physique, mental et social ».
La prévention des RPS s’inscrit en France
dans l’obligation générale de prévention
des risques professionnels : tout employeur
a l’obligation de prendre les mesures néces-
saires pour assurer la sécurité et protéger
la santé des salariés qu’il emploie (loi du
31 décembre 1991) (1). La loi de moder-
nisation sociale du 17 janvier 2002 (2) a

Christine JEOFFRION*,
Abdel Halim BOUDOUKHA**

*Maître de conférences HDR


en psychologie sociale, du travail et des
organisations, **Maître de conférences
HDR en psychologie clinique,
Université de Nantes, Laboratoire de Psychologie
des Pays de la Loire.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

et burn-out

© Christian Fafet. No Face A n° 14, 2009.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

complété cette législation en ajoutant l’obli- – L’épuisement émotionnel réfère à une Le burn-out a été initialement identifié
gation de prendre en compte les risques sensation de restriction ou de souffrance chez des personnels médico-sociaux en
psychosociaux au même titre que les autres lors du ressenti ou de l’expression des souffrance (Freudenberger, 1974). Or, les
risques professionnels. émotions. Il est d’autant plus intense que recherches montrent que la relation à
Selon Nasse et Légeron (2008), les RPS le sujet semble ne disposer d’aucun moyen l’autre chronique et stressante est un élé-
sont des « risques pour la santé mentale, de régulation émotionnelle. ment clé dans l’expression et le dévelop-
physique et sociale, engendrés par les condi- – Le désinvestissement ou désengage- pement du burn-out, ouvrant progressive-
tions d’emploi et les facteurs organisa- ment de la relation à l’autre se traduit par ment l’étude du burn-out vers d’autres
tionnels et relationnels susceptibles d’in- une attitude négative et détachée de la domaines comme le sport (Smith, Lemyre,
teragir avec le fonctionnement mental » personne envers autrui qui peut être trai- & Raedeke, 2007), l’enseignement (Bren-
(p. 49). Ils résultent donc d’une combi- tée comme un objet. ninkmeijer, Van Yperen, & Buunk, 2001),
naison entre les dimensions individuelles, – Enfin, la diminution du sens de l’accom- ou encore la sécurité (Boudoukha, Haute-
collectives et organisationnelles de l’ac- plissement et de la réalisation de soi est une keete, Abdellaoui, Groux, & Garay, 2011).
tivité professionnelle. Il est cependant forme de sentiment d’inefficacité person- Comme le propose Boudoukha (2009), il
nécessaire de distinguer la notion de nelle. Cette perte de confiance en soi résul- paraît donc primordial de faire une dis-
« risque », à savoir la probabilité d’y être tant de ce type d’attitude est associée à des tinction entre deux formes de burn-out :
confronté, de celle de « trouble » en tant états dépressifs importants et à une inca- – le burn-out en tant qu’objet de recherche.
que conséquence d’une exposition aux pacité à faire face aux obligations. La forte Il s’agit de la souffrance plus ou moins
risques (Montreuil, 2011). sensation d’être inefficace peut aboutir à intense qu’expriment des professionnels
Le premier accord-cadre européen signé long terme sur un verdict d’échec que l’in- mesurée à l’aide d’instruments validés.
le 8 octobre 2004 (3) a été exclusivement dividu s’impose et dont les conséquences – le burn-out en tant que concept psycho-
consacré au stress, considéré dans de peuvent être particulièrement graves. pathologique. Il désigne l’état des personnes
nombreuses études internationales comme
le premier risque psychosocial. Le stress
en tant que risque est donc à relier ici à
l’organisation du travail, notamment son
intensification et les changements mis en
place… On parle alors d’agents stres-
seurs. Mais le stress, du point de vue
des salariés, peut aussi être considéré
comme un trouble, une conséquence : les
salariés « stressés » décompensent de dif-
férentes manières : troubles musculo-
squelettiques (première maladie profes-
sionnelle répertoriée) (Roquelaure et al.,
2006), burn-out (Boudoukha, 2009)…
Considéré comme une conséquence spé-
cifique de stress notamment profession-
nel, le burn-out occupe une place telle
qu’il est nécessaire de revenir sur une défi-
nition consensuelle.

LE BURN-OUT : UNE SOUFFRANCE


PROFESSIONNELLE ?
Le burn-out est un terme introduit par
Bradley dès 1969 pour décrire des personnes
présentant un stress particulier et massif
en raison de leur travail. Il qualifie aujour-
© Christian Fafet. No Face A n° 11 (détail), 2009.

d’hui la souffrance psychique intense que


ressentent des sujets en raison d’une acti-
vité (professionnelle ou non) impliquant
un investissement relationnel important
(Boudoukha, 2009). Plus précisément, le
burn-out est décrit comme un syndrome tri-
dimensionnel composé par un épuisement
émotionnel, une forme de désinvestissement
de la relation à l’autre et enfin par une dimi-
nution du sentiment d’accomplissement
personnel (Maslach & Jackson, 1991) (voir
aussi l’article de M. Delbrouck, p. 24).

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

qui souffrent tellement des stress relation- RPS, qu’il nomme les « facteurs psycho- participation dans la prise de décisions
nels chroniques auxquels elles sont expo- sociaux de risque au travail » (Gollac & le concernant et aussi l’utilisation et le
sées que leur mal-être clinique nécessite Bodier, 2011). Ces facteurs sont au développement de compétences.
une prise en charge psychothérapique. nombre de six. – Les rapports sociaux au travail se mesu-
Pour le distinguer du précédent, les termes – L’intensité du travail et le temps de tra- rent à travers le soutien social perçu
de « burn-out pathologique », de « burn- vail : ce facteur étend les concepts de (Karasek & Theorell, 1990) de la part
out dysfonctionnel », « burn-out clinique » « demande psychologique » (Karasek, des collègues et de la hiérarchie, et/ou
ou encore trouble de burn-out sont plus 1979) et d’« efforts » (Siegrist, 1996). des partenaires extérieurs. Il est en lien
appropriés. Les déterminants immédiats renvoient avec les concepts d’intégration, de jus-
Quelle que soit la forme étudiée, l’envi- d’une part à la durée et l’organisation du tice organisationnelle et de reconnais-
ronnement plus global dans lequel il prend temps de travail (nombre d’heures et de sance (Bagger, Cropanzano, et Ko, 2006).
naissance (organisation de l’entreprise, jours travaillés…) et d’autre part à son inten- Les relations avec les collègues sont à com-
administration, famille, relation…) est sité et à sa complexité (objectifs flous…). prendre par rapport à la coopération. Les
une variable importante. Dans un contexte – L’exigence émotionnelle renvoie au fait formes plus abstraites de la relation à l’en-
professionnel, ce sont alors les facteurs de devoir contrôler ses émotions, afin de treprise comme la rémunération ou les pers-
de risque psychosociaux qui devront néces- maîtriser celles des personnes avec les- pectives de carrières, sont aussi à prendre
sairement être pris en compte. quelles on travaille. C’est souvent le cas en compte. Les formes de violence interne
dans les emplois où l’on est en contact à l’entreprise ont toute leur importance :
LES FACTEURS DE RISQUE avec un public (élèves, patients…). insultes, harcèlement moral ou sexuel…
Un Collège d’expertise de suivi des RPS – L’autonomie au travail explore la latitude – La souffrance éthique fait partie des rap-
a sélectionné des « variables à mesu- décisionnelle (Karasek, 1979), en incluant ports sociaux au travail, mais renvoie
rer » en vue d’élaborer des indicateurs de la marge de manœuvre du salarié, sa essentiellement aux conflits de valeurs.
– L’insécurité de la situation de travail com-
prend l’insécurité socio-économique et le
risque de changement non maîtrisé de la
tâche et des conditions de travail.
D’autres facteurs méritent également
d’être considérés : le genre, l’âge, l’ori-
gine sociale, le niveau scolaire, la trajec-
toire professionnelle et les éléments rela-
tifs au statut socioprofessionnel.

LE CONTEXTE DU CHANGEMENT
Nombre d’auteurs s’accordent pour dési-
gner les transformations modernes d’or-
ganisation du travail comme facteur d’ex-
plication à l’intensification de la souffrance
au travail. Ainsi, mondialisation, restruc-
turations, nouvelle organisation, affaiblis-
sement des collectifs de travail, se situe-
raient bel et bien en amont des souffrances
au travail.
Le contexte contribue à légitimer des pra-
tiques professionnelles dysfonctionnelles,
plus fréquentes dans les organisations
présentant une centration interne comme
les administrations, les établissements
médicaux et sociaux (Viaux et Bernaud,
2001). Paradoxalement, les institutions
censées aider, soigner, rendre service sont
celles où les pratiques harcelantes sont
les plus fréquentes (Desrumaux-Zagrod-
nicki, 2003).
Les conséquences de ces différents fac-
teurs sur la santé physique et psychique
des salariés sont nombreuses. Selon Bou-
doukha et Jeoffrion (2013), ces éléments
peuvent avoir des effets sur la tension,
mais aussi sur le sommeil, les troubles
musculosquelettiques, cardiovasculaires,

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

digestifs, rhumatologiques, ou la prise du projet de changement. Ces représen- de demandes déraisonnables, ou encore
de poids, les troubles endocriniens, diges- tations ont un pouvoir d’orientation et de la difficulté voire l’incapacité à faire des
tifs… Les effets s’exercent également structuration de l’action (Jeoffrion, 2013). demandes raisonnables de services, ont
sur la peau, l’asthme, le cancer et les mala- Au cours de notre intervention auprès de des conséquences professionnelles. Aussi,
dies chroniques. deux structures médico-sociales en cours la mise en œuvre d’ateliers de gestion des
Concernant les conséquences sur la santé de fusion (Jeoffrion & Barré, 2011), nous compétences sociales destinés aux mana-
psychique, le burn-out est de plus en avons travaillé sur les représentations des gers, décideurs et employés permet par
plus fréquent, de même que les séquelles salariés (cadres et non cadres). Ce travail une action collective, de diminuer des
psychologiques car les salariés sont éga- individuel a fait l’objet d’un partage des repré- conséquences psychiques individuelles.
lement confrontés à des situations trau- sentations en grand groupe, et a permis de
matisantes (agressions, violences ver- se rendre compte que les salariés, au-delà • Encourager un management participatif
bales, harcèlement, décès de collègues, des résistances exprimées, partageaient Sur la base d’audits de climat social
d’usagers…). Les répercussions sont alors une vision commune du changement pré- réalisés dans des dizaines d’entreprise
de divers ordres : senté comme « un mal nécessaire » favo- de différentes tailles et de différents
– émotionnelles (choc, terreur, culpabi- risant une clarification des fonctions de cha- secteurs d’activité, Landier (2010)
lité, anxiété, hostilité, dépression…) ; cun, et donc aussi une amélioration souhaitée montre que ce ne sont pas tant les chan-
– cognitives (affaiblissement ou diminu- de l’ambiance de travail. Des obstacles gements qui sont critiquables, car sou-
tion des capacités) ; ont pu ainsi être franchis, et chacun est vent inévitables, mais bien la façon dont
– somatiques (perturbation du sommeil devenu acteur du changement, en y appor- ils sont menés. Selon l’auteur, les
avec insomnies, cauchemars), ou psy- tant les modulations qui lui semblaient réformes décidées par le haut, puis
chosomatiques ; importantes, au lieu de se réfugier dans une imposées aux salariés, ont pour effet
– comportementales (stratégies d’évite- conduite d’hostilité qui, à long terme, pou- bien souvent de détruire les collectifs de
ment, retrait social, stress interpersonnel, vait les rendre vulnérables. De même, Sar- travail. À cela s’ajoute la place de plus
voire abus de substance). nin, Bobillier Chaumon, Cuvillier, et Gros- en plus importante des messages élec-
Les cas de dépression et de troubles psy- jean (2012) ont observé que le rôle le plus troniques qui remplacent les échanges
chosomatiques sont nombreux, résultant important qu’ils ont pu jouer dans la prise de vive voix entre collègues. Enfin,
d’un état d’anxiété chronique et s’ac- en charge des souffrances au travail au « l’unité de lieu, de temps et d’action,
compagnant d’un ensemble de symp- sein d’une grande entreprise est d’avoir qui caractérisait l’entreprise traditionnelle,
tômes (ralentissement psychomoteur, participé à l’évolution des représentations a ainsi laissé place à “l’entreprise
humeur triste, pensées morbides…) et de l’encadrement. nomade”, fondée sur des processus déci-
un risque de passage à l’acte. Les consé- dés de l’extérieur et non plus sur la
quences sont aussi importantes sur le • Développer des compétences coopération entre personnes impliquées
plan organisationnel, puisque les arrêts sociales des professionnels dans un même projet » (p. 85).
maladies, les turn-overs ou les départs d’une La dimension relationnelle est primor- Divers autres travaux montrent l’intérêt
organisation génèrent des coûts finan- diale dans le développement de l’épui- de favoriser la participation des salariés
ciers parfois importants. sement émotionnel, du désinvestisse- pour faciliter la mise en place de chan-
ment et du sentiment d’inefficacité gements. C’est notamment ce que Koua-
MODALITÉS DE PRÉVENTION DES RPS personnelle. Il est donc nécessaire d’y inté- benan, Doutre, Dubois et Joud (1997) révè-
Le changement organisationnel, qui tra- grer une dimension assertivité-affirma- lent à partir de l’analyse de l’introduction
verse la notion de RPS, permet aux orga- tion. L’assertivité (fait d’exprimer son d’une démarche qualité au sein de deux
nisations « de répondre au problème cru- point de vue et ses intérêts avec aisance, structures, tout en relativisant certaines
cial de l’adaptation à l’environnement sans anxiété et sans dénier ceux des de leurs observations.
dont elle se nourrit et dont elle dépend » autres) trouve son origine avec le concept Intéressé par ces questions, Colombat
(Perret, 1996, p. 2). d’assertion (acte de parole par lequel un (2012) a proposé le concept de
La question à se poser devient alors : locuteur pose une proposition comme « démarche participative » dans les
est-ce que ce sont les changements qui vraie) qui recouvre une gamme large de structures de soins (4). Étayée par deux
posent problème ou la façon de les appré- comportements (Boisvert & Beaudry, études de terrain qui essaient d’établir
hender ? Comment expliquer les inégali- 1979). La taxonomie de Lazarus (1973) une cohérence entre la souffrance res-
tés de ressources des salariés face aux distingue quatre grandes catégories d’as- sentie, le management participatif et
changements ? sertion : la qualité de vie au travail, sa démarche
– l’expression des émotions positives ou est fondée sur le désir de mettre en
• Les représentations du changement négatives appropriées ; exergue « l’importance des relations
Une voie d’entrée insuffisamment explo- – le refus des demandes déraisonnables ; sociales et interprofessionnelles, la
rée semble être celle des représentations – la demande raisonnable de services ou nécessité de clarifier le rôle des inter-
que les acteurs ont du changement. Elles de faveurs ; venants et leur place dans l’équipe de
vont en effet influencer les choix, les – et enfin l’art de la conversation, c’est- soins » (p. XIX). Le management parti-
objectifs, les actions des agents de chan- à-dire savoir amorcer, soutenir et clôtu- cipatif proposé vise à améliorer la qua-
gement et des destinataires, qui sont les rer une conversation. lité de prise en charge des patients en
acteurs de l’organisation quels que soient Dans le cadre du travail, la non-expres- passant par l’amélioration de la qualité
leur niveau hiérarchique et leur maîtrise sion des émotions adaptées, l’acceptation de vie au travail des soignants.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

CONCLUSION – Boudoukha, A. H. (2009). Burn-out et Traumatismes des risques psycho-sociaux dans un établissement
Psychologiques. Paris : Dunod. d’accueil pour personnes âgées : l’intérêt d’une
La prévention des RPS et du burn-out est approche mixte et participative. Le Travail Humain.
– Boudoukha, Hautekeete, Abdellaoui, Groux, & Garay,
un enjeu majeur pour l’ensemble des acteurs (2011) Burnout et victimisations : effets des agres- – Karasek, R. A. (1979). Job demands, job decision
du monde du travail. Pour l’employeur, elle sions des personnes détenues envers les personnels latitude, and mental strain : implication for job
permet d’éviter des dysfonctionnements de surveillance. L’Encéphale, 37(4), 284-292. redesign. Admin Science Quartely, 24, 285–308.
– Boudoukha, A. H., & Jeoffrion, C. (2013). Les risques – Karasek, R. A., & Theorell, T. (1990). Healthy Work :
organisationnels et des coûts directs et Stress, Productivity and the Reconstruction of the
psychosociaux. Formation proposée au Groupe pluri-
indirects. Pour les autres acteurs de la pré- disciplinaire de réflexion sur les Risques Psychoso- Working Life. New York : Basic Books.
vention (CHSCT, médecins du travail, syn- ciaux (Présidence de l’Université). Université de – Kouabenan, D. R., Doutre, E., Dubois, M., & Joud, P.
dicats…), elle contribue à la protection de Nantes, 19 février. (1997). La participation comme modalité d’intro-
– Brenninkmeijer, V., Van Yperen, N. W., & Buunk, B. P. duction d’une démarche qualité. Cahier de La
la santé physique et psychique des salariés. Recherche Scientifique En Qualité, 3(2).
(2001). I am a better teacher, but other are doing
Elle est inévitablement liée à la question worse : Burn-out and perceptions of superiority – Lazarus, A. A. (1973). Multimodal Behavior Therapy,
du changement organisationnel et à celle among teachers. Social Psychology of Education, Treating the «basic id». Journal of Nervous and
des valeurs que l’on souhaite promouvoir. 43(3-4), 259-274. Mental Disease, 156, 404-411.
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Ce n’est pas uniquement l’individu qu’il peut réussir le changement contre ceux qui en subis-
les risques psychosociaux. Paris : La Découverte.
faut soigner, mais également son environ- – Colombat, P. (Ed.). (2012). Qualité de vie au travail sent les effets. Humanisme & Entreprise, 296, 81–92.
nement professionnel (Légeron, 2011). Il et management participatif. Rueil-Malmaison : – Lazarus, R. S., & Folkman, S. (1984). Stress, Apprai-
est donc primordial d’articuler une prise en Lamarre. sal and Coping. New York : Springer.
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1– Loi 91-1414 du 31/12/1991 modifiant le code du tra-
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2– Loi n° 2002-73 du 17/01/2002 de modernisation
gical predictor of Health. American Journal or Public – Nasse, P., & Légeron, P. (2008). Rapport sur la déter-
sociale. Health, 92(1), 105–108 mination, la mesure et le suivi des risques psycho-
3– Framework agreement on work-related stress, accord-cadre – Freudenberger, H.J. (1974). Staff burn-out. Journal sociaux au travail. Paris : Ministère du Travail, des
européen du 8 octobre 2004. of Social Issues, 30, 159-165. Relations Sociales et de la Solidarité.
– Garcia, A., Hacourt, B., & Thomas, V. (2005). Vio- – Perret, V. (1996). La gestion du changement orga-
4– Le concept de démarche participative repose sur quatre
lences au travail : Facteurs organisationnels pou- nisationnel : articulation de représentations
points : la formation interne de l’équipe ; le projet de service, vant générer des violences physiques et du harcèle- ambivalentes. Article présenté à la 5ème Confé-
ou plus généralement la démarche projet, qui permet à ment sexuel et moral sur les lieux de travail. rence Internationale de management stratégique,
l’équipe, à partir d’une difficulté de fonctionnement, de Louvain : Université Catholique de Louvain. Lille, 13-15 mai.
– Gollac, M., & Bodier, M. (2011). Mesurer les facteurs – Roquelaure, Y., Ha, C., Leclerc, A., Touranchet, A.,
s’approprier le problème et de faire des propositions pour le
psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Mariot, C., Imbernon, E., & Goldberg, M. (2006).
résoudre; les staffs pluriprofessionnels; le soutien aux équipes Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques Troubles musculo-squelettiques en France : don-
qui permet d’analyser les difficultés à l’origine d’une situa- psychosociaux au travail, faisant suite à la demande nées du réseau pilote de surveillance épidémiolo-
tion de crise et de proposer des processus d’adaptation ou du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé. gique dans les entreprises des Pays de la Loire en
– Jeoffrion, C. (2013). Des représentations sociales 2002 et 2003. Santé, Société et Solidarité, 2, 34–43.
des solutions, avec un psychothérapeute extérieur.
comme vecteurs de changement aux diagnostics et – Sarnin, P., Bobillier Chaumon, M.-E., Cuvillier, B., &
à l’accompagnement des changements organisa- Grosjean, M. (2012). Intervenir sur les souffrances
BIBLIOGRAPHIE au travail : acteurs et enjeux dans la durée. Bulle-
tionnels : Identification des facteurs de risques
– Bagger, J., Cropanzano, R., & Ko, J. (2006). La justi- psycho-socio-organisationnels pour la prévention de tin de Psychologie, 3(519), 251–261.
ce organisationnelle : définitions, modèles et nou- la santé psychologique au travail. Habilitation à – Smith, A. L., Lemyre, P.-N., & Raedeke, T. D. (2007).
veaux développements. In E. Arkemi, S. Guerreo, & diriger des recherches. Université de Nantes. Advances in athlete burn-out research. International
J.-P. Neveu (Eds.), Comportement organisationnel – Jeoffrion, C., & Barré, S. (2011). Accompagner le Journal of Sport Psychology, 38(4), 337-341.
(Vol. 2) (pp. 25–45). Bruxelles : De Boeck. processus de changement lors d’une fusion : – Siegrist, J. (1996). Adverse health effects of high
– Bradley, W. B. (1969). Community-based treatment réflexions autour d’une expérience d’intervention effort low-reward conditions. Journal of Occupatio-
for young adult offenders. Crime and Delinquency, psychosociale en organisation. Psychologie Du Tra- nal Health Psychology, 1, 27–41.
15(3), 359-370. vail et Des Organisations, 17, 90–107. – Viaux, J.-L., & Bernaud, J.-L. (2001). Le harcèlement
– Boisvert, J.-M., & Beaudry, M. (1979). S’affirmer et – Jeoffrion, C., Hamard, J.-P., Barré, S., & Boudoukha, A. psychologique au travail : une recherche auprès des
communiquer. Québec : Les éditions de l’homme. H. (in press). Diagnostic organisationnel et prévention victimes. Pratiques Psychologiques, 4, 57–69.

Résumé : Les Risques psychosociaux (RPS) au travail, qui incluent le burn-out, trouvent leurs racines non seulement dans l’individu, mais égale-
ment dans son environnement de travail. Tout employeur a l’obligation de prendre en compte ces risques au même titre que les autres risques profession-
nels. La prise en charge des RPS et du burn-out doit conjuguer un volet individuel et un volet organisationnel. Sur ce deuxième volet, il s’avère que la ques-
tion du changement organisationnel traverse ces risques et peut influencer la santé physique et psychique des salariés. Une meilleure prise en compte des
représentations lors des changements organisationnels, des ateliers d’affirmation de soi ainsi que la mise en place d’un management participatif pourraient
constituer des garants du maintien de la santé psychologique au travail.

Mots-clés : Accompagnement – Changement – Compétence professionnelle – Épuisement professionnel – Expression de


l’émotion – Management participatif – Prévention – Qualité de vie – Représentation – Risques psychosociaux – Travail.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Burn-out,
idéal du moi et désir
Cadre depuis plus de quinze ans dans une grande institution, Estelle souffre jusqu’au
burn-out de ne pas satisfaire sa hiérarchie, illustrant ainsi son rapport douloureux avec
l’idéal du moi.

Cet article présente la prise en Le terme de prise en charge a été volon- La prise en charge d’un sujet épuisé pro-
charge psychologique d’une patiente confron- tairement écarté, l’institution qui met en fessionnellement peut utilement conduire
tée à un épisode d’épuisement profession- tension pouvant difficilement être aussi celle le thérapeute à interroger le rapport du
nel. Ce suivi s’est déroulé sur le lieu de tra- qui soigne ; l’accompagnement proposé y patient à ses instances internes (moi,
vail sous la forme d’une psychothérapie prend la forme d’entretiens psychothéra- surmoi et idéal du moi). Cette investiga-
brève d’inspiration psychanalytique. peutiques. Les séances durent entre 40 et tion élargit la profondeur de vue sur la situa-
Avant de détailler la vignette clinique, 60 minutes, selon un rythme guidé par l’état tion du sujet, en ne se restreignant pas
quelques mots sur l’institution et les dis- clinique du patient et ses objectifs. Je à la scène professionnelle et en stimulant
positifs déployés pour y prendre en charge les assure en qualité de psychologue cli- les associations avec les autres champs
la souffrance au travail. Il s’agit d’un orga- nicien référencé à la métapsychologie psy- de son monde interne. Elle repositionne
nisme privé gérant un service public de santé. chanalytique : la règle de l’association également le patient dans une position
Il s’inscrit dans un réseau constitué il y a libre (Roussillon, 2007) permet d’explo- active, et par conséquent susceptible de
près d’un siècle mais qui connaît une pro- rer des liens inconscients ; le repérage et changer sa perception, voire de se réap-
fonde mutation depuis une dizaine d’an- l’analyse des phénomènes transférentiels proprier une capacité de changement de
nées. Aux restrictions budgétaires régu- permettent de « caractériser la projection la situation vécue.
lières se sont ajoutées des démarches de du monde interne du sujet, de ses angoisses,
restructuration entraînant la fusion d’une de ses conflits, de ses défenses, de ses fan- « FAIRE BIEN TOUT DE SUITE »
centaine d’organismes départementaux en tasmes spécifiques (…) » (Ciccone, 2010). À 37 ans, Estelle, cadre, travaille dans l’ins-
une vingtaine de superstructures régio- Dès la première séance, il est précisé au titution depuis plus de quinze ans. Elle
nales. Progressivement, les salariés ont patient que l’accompagnement s’étend l’a intégré immédiatement après un solide
développé des symptômes de souffrance au sur 2 à 6 séances (à l’inverse de l’offre de cursus universitaire en comptabilité.
travail (1), sous les formes et avec l’am- soins hospitalière ou libérale sans terme Diverses promotions et formations internes
pleur constatées depuis les années 1990 prédéfini). Il n’y a pas de contre-indica- lui ont permis de passer du statut d’em-
dans d’autres secteurs d’activité. tion psychopathologique, la coordination ployée à celui de cadre, l’amenant depuis
La direction a donc décidé en 2012 de créer avec le médecin du travail est dynamique, 2010 à manager quatre agents.
un service chargé d’identifier les situa- et l’accompagnement peut ouvrir sur une À partir de 2011, l’institution s’engage
tions de mal-être au travail, de les diagnos- orientation externe (CMP, hospitalisation dans une profonde restructuration qui
tiquer en lien avec la médecine du travail ambulatoire ou cabinet libéral), étant pré- entraîne une instabilité majeure pour ses
puis de proposer un accompagnement. cisé au patient qu’il pourra alors se tour- cadres. Estelle change de directeur en 2012
ner vers d’autres types de psychothéra- et doit s’adapter à un style de manage-
pie s’il le souhaite (TCC, thérapies ment beaucoup plus exigeant, dans un
systémiques…). contexte tendu. Elle demande à me ren-
Notons enfin que j’interviens comme sala- contrer fin 2012.
Vincent CHARAZAC rié, avec donc le même employeur que les
patients. Dans ce contexte, l’énoncé et la • Lors du premier entretien, Estelle pré-
Psychologue d’entreprise, psychologue garantie absolue de la déontologie du psy- sente un rapport douloureux au travail.
clinicien, psychothérapeute, doctorant chologue constituent une condition incon- Bien que s’y investissant intensément,
à l’Université Lyon 2. tournable de l’alliance thérapeutique. elle n’en tire plus de satisfaction durable :

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© Christian Fafet. No Face B n° 14, 2009.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

« Je suis nulle, transparente, sans valeur satisfaire l’instance surmoïque qui lui
ajoutée… N’importe qui pourrait faire indique de « tout donner pour son travail »
mon travail, cela ne changerait rien. » Cette (le père déçu par la carrière d’expert-
tension se prolonge le soir et souvent le comptable avortée, le directeur lui repro-
week-end. Elle identifie un détachement chant la qualité de ses productions) ou ses
progressif vis-à-vis de « l’objet » travail : deux enfants « qui ont aussi besoin de moi ».
elle sent ne plus rien y apporter et en attend
« de moins en moins : je suis très déta- « C’ÉTAIT LE RÊVE DE MON PÈRE »
chée, absente ». Des membres de son • Le second entretien a lieu un mois plus
équipe lui confirment cette dépersonna- tard, en janvier 2013. Il s’engage sur une
lisation (Dejours & Gernet, 2012), la sensation un peu confuse : « Je ne sais pas
trouvant de plus en plus « distante et froide, ce que je ressens, si c’est bien ou mal,
moins impliquée qu’avant ». Elle n’inves- agréable ou désagréable. » Estelle l’ex-
tit plus les relations humaines, ne fré- plique par un récent courrier qu’elle a
quente plus le restaurant d’entreprise ni transmis à sa hiérarchie pour exprimer son
les temps de pause collectifs. Si certains mal-être. Elle s’étonne d’avoir « réussi à
signes cliniques relèvent d’une dimen- l’écrire et être allée au bout : d’habitude,
sion anxio-dépressive (altération durable je n’aurais pas osé par peur d’être mal
du sommeil, trouble de l’humeur et de l’ap- vue » (pas osé décevoir ses parents ?),
pétit, rumination), deux éléments lais- d’autant que sa démarche a effectivement
sent supposer un état d’épuisement pro- irrité son directeur. Elle me demande plus
fessionnel. Estelle confie s’être énormément tard « comment sortir d’un conflit œdi-
investie depuis le début de l’année 2012, pien » prolongeant nos échanges de la
redoublant d’efforts pour satisfaire sa première séance sur la rivalité dans la fra-
nouvelle hiérarchie ; les vacances lui per- trie vis-à-vis du regard des parents. Ensemble,
mettent de se détacher provisoirement nous constatons que l’enjeu actuel est
de « l’écho interne » de ce contexte dou- moins de « sortir » du conflit œdipien que
loureux. L’anamnèse psychopathologique de se dégager de cette confusion des affects
relève un épisode dépressif pré-partum en consécutifs à une décision importante, en
2011 : « Je pleurais tous les matins dans l’occurrence, l’expression d’une difficulté
ma voiture avant d’aller bosser. » auprès d’une hiérarchie. Estelle est désta-
Parmi ces signes cliniques, un élément bilisée par la perspective de son prochain
confirme l’altération du sentiment d’ac- entretien annuel d’évaluation qu’elle appré-
complissement personnel : Estelle est très hende sur un mode très dévalorisé.
affectée par l’insatisfaction que sa hiérar- « Expert-comptable, c’était le rêve de
chie exprime progressivement vis-à-vis de mon père… Quand j’ai dû renoncer, je lui
son travail. Elle me relate un épisode où son ai demandé si ça lui convenait que j’entre
directeur « est entré dans mon bureau, a dans cette institution… Finalement, il a
fermé la porte et m’a fait des reproches. Je dit oui. » Dans la dimension œdipienne,
me suis sentie comme une petite fille, hon- il est effectivement question de faire plai-
teuse ». Elle associe avec « les reproches sir au père et de tenir à distance l’angoisse
de mon père qui était déçu que j’entre de castration. Ainsi, quand je demande
dans cette institution et que je ne sois pas à Estelle quel est son plus beau souve-
devenue expert-comptable après mes études. nir d’enfance, elle me cite « le jour où j’ai
(…) Il a longtemps refusé de me parler », renversé mon chocolat et que mon père
tout comme ce supérieur hiérarchique très m’en a refait un autre, sans me disputer…
distant… Elle indique chercher « à faire bien Je ne me suis jamais sentie aimée de
tout de suite, dès la première fois… J’ai du façon inconditionnelle autant que ce jour-
mal à simplement “essayer” »… Tout ça pour là ». Être aimée par le père malgré ses mal-
être la première, la préférée ». Nous consta- adresses ou ses échecs, tels l’inaboutis-
© Christian Fafet. No Face A n° 33, 2009.

tons ensemble que les imagos parentales sement professionnel ou le courrier sensible
sont régulièrement projetées sur son enca- adressé à la hiérarchie… Mais il faut
drement. Si la honte est éprouvée dans de aussi entendre ici le rapport à l’idéal du
nombreuses circonstances professionnelles, moi, l’ambition professionnelle s’étant
la colère et la révolte sont peu mobilisées. constituée en référence au désir du père.
D’une façon générale, l’angoisse de castra-
tion domine, les situations de rivalité étant • Je retrouve Estelle un mois plus tard pour
douloureuses. un troisième entretien, dominé par une
En fin d’entretien, Estelle me fait part sensation de malaise dont elle regrette « de
de son tiraillement de mère, hésitant à ne pas pouvoir trier la part professionnelle

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

et la part personnelle ». Elle a encore dû carrière professionnelle ; son directeur la


faire face aux reproches de son direc- pousse actuellement vers deux postes à
teur portant sur son comportement (le responsabilité alors qu’Estelle est ins-
courrier qu’elle a envoyé à sa hiérarchie, tinctivement plus attirée par le troi-
une récente demande de bilan de com- sième… Ce qui semble se répéter, c’est
pétence, ses congés et arrêts maladie). qu’un homme décide pour elle, non pas
Elle en est très affectée : « Je n’ai plus autoritairement mais en stimulant son
confiance en personne au travail ». propre désir, en faisant en sorte que le
désir de l’homme devienne le désir d’Es-
« TU SERAS DÉÇU » telle. Ainsi, les tentatives « d’avoir le
• Estelle me sollicite pour un rendez-vous père pour elle toute seule » identifiées
en urgence quelques jours après pour durant la deuxième séance peuvent s’ana-
un quatrième entretien non programmé. lyser comme des mouvements de retour-
Son directeur, conscient des difficultés nement passif/actif (Freud, 1920).
qu’elle traverse, lui propose trois options : Sur ma suggestion, Estelle évoque un
conserver son poste actuel, évoluer sur rêve récent : elle effectue une agréable
une fonction de chef de service comptable promenade champêtre à vélo avec son
(impliquant des liens étroits avec lui) ou conjoint. Ce dernier chute sur un nid-
rejoindre le service budget en tant qu’ex- de-poule. Une « femme directrice » se
pert. Elle relève le paradoxe de la situa- moque de lui ; Estelle prend alors vigou-
tion : « Au milieu de tous ces reproches reusement la défense de son mari « en
qui s’accumulent, voilà d’un coup des pro- se rebellant ». La fin de séance appro-
positions de promotion. » chant, et comme Estelle souhaiterait que
Estelle m’annonce qu’elle cherche actuel- je lui dise « quel poste choisir entre les
lement à avoir un troisième enfant. Les trois » (transférant sans doute son rap-
deux premiers postes proposés impli- port au désir des hommes), je lui propose
quant un investissement majeur, Estelle une lecture du rêve : vie personnelle et
doit intégrer la dimension maternelle vie professionnelle croisent leurs routes,
dans son choix. « Après que le patron m’a ce qui ne va pas sans risque (nid-de-
annoncé cela, j’ai eu envie d’écrire à poule) et difficultés plus ou moins dou-
mon père pour lui dire “tant pis, je fais loureuses (la chute, les brimades) ; mais
le choix de la famille, je serais au chô- Estelle y réagit avec une capacité d’af-
mage, tu seras déçu”. » Je lui restitue firmation en contradiction avec son rap-
la radicalité de sa position : refuser un port au travail actuel. En retenant la pro-
poste à responsabilité entraînerait un position que « le rêve est la satisfaction
bannissement définitif (le chômage, alors inconsciente et déguisé d’un désir refoulé »
que ce n’est pas le propos de l’institu- (Freud, 1922), on pourrait avancer qu’il
tion qui l’emploie !) et la déception pater- est question de s’opposer aux mouve-
nelle. Elle m’explique ensuite que son ments institutionnels, par exemple celui
conjoint et elle ont ce désir d’enfant de la voir prendre des fonctions qui l’éloi-
depuis plusieurs mois ; dans le trans- gneraient de sa vie familiale.
fert, Estelle n’a pas osé m’en parler jus-
qu’à ce que son directeur (autre repré- « JE ME TAISAIS POUR ÊTRE AIMÉE »
sentation paternelle) la place devant un • Un mois plus tard, Estelle entame le
dilemme la contraignant à choisir entre cinquième entretien en me racontant
ses aspirations. immédiatement le rêve qu’elle a fait
Après avoir identifié ce double transfert après la dernière séance : « Je suis au
paternel (sur le directeur et le théra- centre d’un amphithéâtre, avec mon père
peute), nous nous confrontons à la ques- au premier rang [elle pratique le chant
tion de son désir. Sa hiérarchie lui demande lyrique en amateur]. Un homme armé
de choisir, ce qui revient à interroger sa prend Isabelle [une proche collègue] en
volonté de professionnelle, de mère, de otage. Je lui dis “prenez-moi à la place” ;
femme et de fille. Ses associations indi- il me prend en otage, je me dis “s’il pose
quent la primauté du désir des hommes son arme, je pourrais me sauver” ; fina-
sur sa vie : son père avait insisté pour qu’elle lement on part ensemble. » Sur cette
devienne experte comptable alors qu’elle scène œdipienne explicite, on peut voir
aspirait à une carrière artistique ; son le désir masculin « la prendre en otage »,
conjoint avait exprimé sa volonté qu’elle Estelle finissant à nouveau par s’y sou-
soit à enceinte à différents moments de mettre, cette fois-ci sans se rebeller ; la
sa vie sans tenir vraiment compte de sa tension entre les sphères privée (le chant)

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

et professionnelle (la collègue) est mani- cacher mes faiblesses, être forte… Ce pas comme une voie d’étayage interne.
feste. Estelle conclut : « À la fin de ce matin, devant la glace, je ne voulais pas La souffrance s’étant réduite, nous évo-
rêve, je me suis réveillée, mais je n’étais mettre mes lunettes, ne pas montrer mon quons l’interruption de ce suivi après six
pas libérée » : explicitement « toujours handicap, rester désirable. » Cet exemple séances. J’indique à Estelle qu’elle pour-
pas libérée du choix », mais implicitement traduit, par le corps, le conflit intra-psy- rait utilement le prolonger « à l’exté-
« pas libérée du désir de l’homme » ! chique provoqué par l’aliénation de son rieur » : le monde interne et les mouve-
Estimant que ses rêves-oracles ne l’éclai- désir au regard de l’Autre – l’homme, le ments transférentiels sont utilement
rent pas, Estelle rédige un tableau « points père, le directeur. « J’ai tellement voulu mobilisés, les associations et la vie onirique
forts – points faibles » des trois postes et bien faire, faire plaisir que je me suis sont d’une grande richesse. Je suggère

“ Ce qui m’a aidée, c’est ce que vous m’avez dit : “Pourquoi


se laisser guider par le désir d’un autre”. »

constate que le troisième lui ferait « perdre


le moins de choses : je garderai du temps
pour le chant, les enfants, ma grossesse,
mon temps libre ». Mais elle n’est pas à
l’aise et a l’impression que ce choix consti-
tue « un caprice » puisque son directeur
l’a ainsi commenté : « avec vos états
perdue, je ne sais plus qui je suis, si je
suis nulle ou parfaite. » Cette séquence
aux confins du narcissisme primaire fait
surgir la dimension archaïque; mon contre-
transfert est traversé d’éprouvés de dégra-
dation. Je les lui formule à travers mon
impression qu’elle a été « corsetée, tel-
donc quelques noms de psychothéra-
peutes à Estelle. Elle en contacte un
quelques jours après.

IDÉAL DU MOI ET DÉSIR…


Les séances avec Estelle et le suivi cli-
nique avec le médecin du travail ont
d’âme, dans le privé vous auriez été licen- lement tributaire du désir des autres notamment permis d’établir le diagnos-
ciée ». Le regard du père sur ses choix pro- qu’elle s’est organisée autour de cela ; tic de burn-out puis d’apprécier l’évolu-
fessionnels est donc toujours aussi pré- difficile après ça d’être au contact de tion favorable de ces symptômes. Au
gnant et menaçant. Mais si ces son désir propre… » Je lui suggère qu’elle plan étiologique, l’hypothèse la plus évi-
commentaires ont teinté d’angoisse son est davantage « annulée » que « nulle ». dente est l’exposition à un « stress émo-
retour de vacances, nous constatons Estelle me répond : « J’ai peur du bilan tionnel chronique » (Perlman & Hart-
ensemble que trois mois après le premier de compétence, de ce que je vais trou- man, 1982) ; lui-même lié à une charge
entretien certains symptômes de l’épui- ver si je vais au fond », peur archaïque de travail débordant les capacités de la
sement professionnels se réduisent. d’être au contact de la singularité de son patiente, du bouleversement de ses repères
Même si sa nouvelle affectation a été offi- désir et de son éventuelle sauvagerie s’il professionnels suite à la restructuration,
cialisée, elle m’indique ne pas arriver à s’y allait contre la norme ou la contre le désir de la perte du sens de son travail ou
projeter « à cause de ma culpabilité vis- des parents ou de la direction… encore les critiques régulières de son
à-vis de l’équipe » ; j’associe avec le mou- directeur sur la qualité de ses productions
vement sacrificiel dans le rêve : « se faire • Notre dernier entretien a lieu un trimestre (Gollac, 2011). Ces hypothèses ont pu être
prendre à la place de la collègue ». Estelle plus tard. Estelle est ravie de ses nouvelles approfondies pendant le suivi afin d’in-
m’indique qu’elle a appris à se taire et à fonctions, « comblée par les horaires : si terroger l’incidence des conditions de tra-
se sacrifier dans ses fonctions précé- le travail est terminé, je peux partir sans vail sur la souffrance de la salariée.
dentes : « Comme avec mes parents, je me me sentir mal ». Elle semble libérée du Mais l’accompagnement a aussi emprunté
taisais pour être aimée, pour être bien regard de la direction qu’elle trouvait un autre chemin guidé par les associations
vue, pour garder ma place ». Je lui pro- culpabilisant dans un mouvement un peu et le travail du rêve d’Estelle, permettant
pose : « L’amour en échange d’un com- régressif (« J’ai jamais autant ri qu’en par- de mettre en perspective ces éléments pro-
portement conforme, ni rebelle ni colérique, tant à 16 heures »). Elle m’annonce aussi fessionnels avec une souffrance liée aux ima-
soumis ? – C’est tout à fait ça. » Elle m’ex- être enceinte. gos parentales et à ses instances internes.
prime alors toute sa colère accumulée Les symptômes d’épuisement profession- Le rapport au surmoi lui est particulièrement
« contre les parents, contre l’équipe ». nel ont disparu : « Je suis récemment repas- douloureux. S. Freud (1923) rappelle que
Je lui formule l’hypothèse que la culpa- sée à l’étage de la direction, j’ai réalisé le surmoi « est né à la faveur d’une iden-
bilité puisse constituer le versant « accep- qu’avant j’étais oppressée tout le temps, tification avec le prototype paternel » et qu’il
table » de cette colère, dans un retourne- même après le boulot. » Mais je dois lui « se manifeste principalement comme (…)
ment contre soi lui permettant de continuer suggérer qu’elle retrouvera une bonne une instance critique ». Nous avons pu
à être aimée et de garder sa place dans image d’elle-même si elle réussit dans cette supposer qu’Estelle transférait sur son direc-
la famille et dans l’équipe. Mais se mettre nouvelle mission « pour elle-même », et teur et sur son thérapeute certains aspects
en colère, c’est aussi courir le risque de non pas seulement comme elle l’exprime du rapport à son père. Ce mouvement est
ne pas la maîtriser lorsqu’on n’a pas l’ha- « pour que ma hiérarchie soit satisfaite potentialisé par les critiques de son supé-
bitude de l’exprimer « sous contrôle ». de moi ». Cette remarque d’Estelle m’in- rieur, qui trouvent de facto un écho très éprou-
« Je vis un paradoxe entre ma sensation dique qu’elle appréhende encore le tra- vant chez Estelle. Dans le même mouve-
d’être nulle et mon aspiration à être par- vail comme un enjeu de satisfaction ment, elle cherche à étouffer sa colère, à
faite : ne pas faire d’erreur, être irréprochable, (infantile) du regard des parents, et non adopter un « comportement conforme », ou

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

s’étonne de parvenir à exprimer par écrit cer- « l’idéalisation est le processus psychique parentales lui a permis d’identifier une
taines difficultés à son employeur. P. Moli- par lequel les qualités et la valeur de entrave à l’expression d’un désir propre,
nier (2008) rappelle que « l’agressivité l’objet sont élevées au rang de la perfec- avatar d’un idéal du moi envahissant. L’iden-
suscitée par les interdits parentaux est tion » (ibid.). Lorsqu’elle remarque qu’elle tification de cette tension a sans doute
“retournée” contre le moi, tandis que par cherche « à faire bien tout de suite, dès contribué à la restauration partielle d’une
le mécanisme de l’identification celui-ci la première fois (…) pour être la pre- capacité d’investissement professionnel.
prend en lui la puissance, la sévérité, la ten- mière, la préférée », l’idéal du moi semble Estelle a pu choisir un poste en cohérence
dance à “surveiller et punir” des parents ». « sévir contre le moi de façon cruelle » avec ses aspirations de future mère, tenant
Estelle évoque un sentiment de « culpabi- (Freud, op. cit.) et comparable à la « sévé- à distance les injonctions épuisantes de
lité » vis-à-vis de l’équipe, dont M. Houser rité » du surmoi. La clinique l’illustre ses instances internes.
(2008) souligne qu’il relève de la fonction également à travers l’image du rêve de cette
de « conscience morale » du surmoi. « femme directrice » (fusion des ima-
Le lien entre le burn-out et l’idéalité fait gos ?), qui se moque de son conjoint, ou
consensus chez les « psychistes » réfé- lorsqu’elle (dis)-qualifie de « caprice » un 1 – On notera que le burn-out est un symptôme psycho-
rencés à la psychanalyse (Delbrouck, choix professionnel légitime et cohérent. pathologique dont l’apparition est potentialisée par les
2010) ou non (Delgènes, 2014). Il implique La dimension œdipienne et l’angoisse de réorganisations organisationnelles (enquête HIRES sur la
donc d’interroger le choix d’objet profes- castration prédominent. S. Freud sou- santé dans les restructurations, 2009).
sionnel, ce dernier pouvant représenter « un ligne que « l’être idéal, qui est devenu l’idéal
autre facteur de fragilité ou de faille pos- du moi, représentait autrefois la menace BIBLIOGRAPHIE
sible » (Delbrouck, op. cit.). Estelle met de castration » (op. cit.), se transformant
– Ciccone A. (2010), L’observation clinique, Paris :
cette question au travail à travers son plus tard en angoisse et « scrupules de
Dunod.
rapport à l’idéal du moi. M. Houser (op. conscience ». Dans cette dynamique, – Dejours C. & Gernet I. (2012), Psychopathologie du
cit.) le définit comme « un modèle auquel Estelle est tiraillée entre son développe- travail, Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson.
le sujet cherche à se conformer », en ment de carrière et son rôle de mère ; en – Delbrouck M. (2010), Je suis épuisé(e) par ma char-
ge de travail. Que puis-je faire ? Le burn-out ou la
soulignant sa fonction « essentielle » de rêve, elle se voit prendre la place d’un otage
souffrance des soignants, in Imaginaire & Incons-
« référence au sentiment d’estime de sous le regard de son père. cient, 2010, 25, 157-165.
soi » dont l’origine « reste principale- P. Molinier (op. cit.) note que « l’idéali- – Delgènes JC. et al. (2014), Le syndrome d’épuise-
ment narcissique ». L’auteur souligne sation pose le problème de la dépen- ment, une maladie professionnelle, Paris : Cabinet
Technologia.
« l’actualisation renforcée [de cette ins- dance à l’objet (…) et de l’aliénation
– Freud S. (1920), Au-delà du principe de plaisir, in
tance] au moment de l’Œdipe ». Pour dans l’idéal lorsque celui-ci est entière- Essais de psychanalyse, Paris : Petite bibliothèque
S. Freud (1923), cette instance est une ment inféodé à un autre externe ». Le Payot (1963).
« formation substitutive de la passion rapport de la patiente à son idéal du moi – Freud S. (1922), Introduction à la psychanalyse,
pour le père »; Estelle situe l’acmé de cette aboutit à des conflits internes entre ses Paris : Petite bibliothèque Payot (1990).
– Freud S. (1923), Le moi et le ça, in Essais de psy-
passion dans l’infantile, lorsque l’amour investissements professionnels et person- chanalyse, Paris : Petite bibliothèque Payot (1963).
de son père avait résisté au « raté » du nels, traduisant une prédominance du – Gollac M. et al. (2011), Mesurer les facteurs psycho-
chocolat renversé. Mais la clinique illustre désir paternel sur le sien propre. Mon sociaux de risque au travail pour les maîtriser,
surtout le rapport douloureux qu’elle entre- option thérapeutique avec Estelle a donc DARES, Paris : Ministère du travail et de l’emploi.
– HIRES (2009), La santé dans les restructurations :
tient avec l’idéal du moi. Elle souffre été d’interroger l’influence de l’Autre approches innovantes et recommandations de prin-
d’échouer à satisfaire son père, ou son (notamment paternel) sur son désir pour cipe, rapport consultable sur le site internet
représentant professionnel dans le trans- stimuler une pulsion d’investissement qui www.travailler-mieux.gouv.fr.
fert qu’elle opère sur le travail. De cette inca- lui soit propre. Le choix parmi les postes – Houser M. in Bergeret J. et al. (2008), Psychologie
pathologique théorique et clinique, Paris : Masson.
pacité découle un sentiment d’infériorité proposés permettait d’éprouver in situ – Molinier P. (2008), Les enjeux psychiques du travail,
« en rapport avec la fonction d’idéal » cette capacité. Après avoir décidé, et pour Paris : Petite bibliothèque Payot.
(Houser, op. cit.) faisant d’Estelle « une petite conclure ce suivi, Estelle me confie : « Ce – Perlman B. & Hartman E.A., (1982), Burn-out : sum-
fille, honteuse ». « Nulle, transparente, qui m’a aidée, c’est ce que vous m’avez mary and future research, in Human relations, 35,
529-535.
sans valeur ajoutée » : le narcissisme secon- dit : “Pourquoi se laisser guider par le – Roussillon R. et al. (2007), Manuel de psychologie et
daire est affecté (Molinier, op. cit.) à la désir d’un autre” ». On peut supposer que psychopathologie clinique générale, Issy-les-Mouli-
mesure de l’exigence qu’Estelle a d’elle-même : ce parcours à travers le rapport aux imagos neaux : Elsevier-Masson.

Résumé : Dans la prise en charge d’un patient confronté à un épisode d’épuisement professionnel, le thérapeute peut utilement interroger le rap-
port du sujet à ses instances internes (moi, surmoi et idéal du moi), le burn-out étant notamment une « maladie de l’idéal ». Cette investigation élargit la
profondeur de vue sur la situation du sujet, en ne se restreignant pas à la « scène » professionnelle et en stimulant les associations avec les autres champs
de son « monde interne ». Elle repositionne également le patient dans une position « active », et par conséquent susceptible de changer sa perception des
choses, voire de se réapproprier une capacité de changement de la situation vécue.

Mots-clés : Accompagnement – Angoisse de castration – Cas clinique – Conflit psychique – Culpabilité – Épuisement professionnel
– Idéal du moi – Imago – Médecine du travail – Psychologue – Psychothérapie brève – Psychothérapie psychanalytique – Stress – Travail.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

La fatigue de soigner
Le burn-out du soignant a une psychopathologie particulière, liée à la perte de la capacité
d’empathie. Mais il renvoie aussi à une réflexion sur l’éthique du soin et la relation d’aide.

Apparu dans les années 1970, que la personne est déjà installée dans une de la vie de la personne. Pour cela il est
le burn-out ou syndrome d’épuisement pro- maladie psychiatrique. Certes, une des important de dépister les états précli-
fessionnel a connu depuis un curieux et caractéristiques du burn-out est de faire niques.
intéressant destin. Le terme a été créé le lit d’un trouble psychiatrique anxieux Les premières enquêtes françaises et
par des soignants pour des soignants : les et/ou dépressif mais ce n’est pas tou- d’autres travaux internationaux (2) poin-
premières publications sur le sujet étaient jours le cas. taient un des éléments particuliers du
consacrées au problème spécifique de L’objet de cet article est d’étudier la spé- burn-out des soignants, que je retrouve
la fatigue et des risques de soigner (cf. cificité du burn-out des soignants afin de toujours régulièrement à l’occasion de
infra). Progressivement, le terme s’est mieux comprendre le phénomène et sur- consultations et de conférences sur le
élargi pour définir un ensemble de symp- tout de penser la prévention, qui reste le sujet, et qui consiste à vouloir changer
tômes qui caractérise le trouble de l’adap- véritable enjeu. de métier. Ainsi, dans l’étude de Rodary
tation de l’homme à son travail. et Gauvain Piquard (3) réalisée parmi
Le burn-out combine une fatigue pro- UN TROUBLE TABOU les personnels paramédicaux de deux
fonde, un désinvestissement de l’activité Une des premières caractéristiques du pro- grands hôpitaux, environ 25 % des per-
professionnelle, et un sentiment d’échec blème réside dans la réticence des soi- sonnes souffraient d’un état de burn-out.
et d’incompétence dans le travail. Il est gnants eux-mêmes à en parler. Il existe Près de la moitié d’entre elles avaient pensé
considéré comme le résultat d’un stress une incapacité à exprimer que prendre soin changer de travail dans l’année précédente,
professionnel chronique (par exemple lié d’autrui est un métier à risque pour soi. marquant ainsi une perte significative
à une surcharge de travail). L’individu ne Cette omerta a longtemps été puissante d’accomplissement au travail alors que,
parvient pas à faire face aux exigences adap- dans les milieux infirmiers et paramédi- fait remarquable, près de 85 % restaient
tatives de son environnement profession- caux. Elle l’est encore chez les médecins, passionnées par leur métier.
nel et son énergie, sa motivation et son les chirurgiens-dentistes et certains cadres
estime de soi déclinent. de santé. C’est peut-être une des rai- UN PEU D’HISTOIRE
Si le burn-out est un sujet d’actualité sons qui explique le taux important de En 1969, aux États-Unis, Harold Brad-
dont les journaux font régulièrement leur dépressions et de suicides dans cette ley (4) est le premier à désigner un stress
Une, il est malheureusement aussi devenu population (1). particulier lié aux conditions de travail sous
un fourre-tout dans lequel se concentrent Les soignants victimes de burn-out ne se le terme de burn-out, à propos de soignants
toute la psychopathologie du travail et la soignent pas, par idéal de don de soi, travaillant dans des conditions difficiles
détresse de l’individu. Beaucoup de troubles par ignorance ou par vanité. Ils négligent auprès de toxicomanes. Le psychiatre
psychiatriques (des troubles de la person- les signaux d’alerte. Déprimés, ils conti- américain Herbert Freudenberger (5) en
nalité, des troubles anxieux graves et des nuent à travailler, un peu moins bien, un fait une première description dans son
dépressions) qui n’ont rien à voir avec le peu plus lentement, avec surtout beaucoup ouvrage consacré au sujet. Il écrit avec
burn-out, sont considérés comme tel, alors moins de plaisir et d’efficacité jusqu’à finesse : « Je me suis rendu compte au
l‘instant fatal où tout bascule. cours de mon exercice quotidien que les
Or, ce n’est pas quand le soignant est tota- gens sont parfois victimes d’incendies
lement épuisé, déprimé, tellement usé qu’il tout comme les immeubles ; sous l’effet
ne peut plus travailler ni penser à lui et de la tension produite par notre monde
Pierre CANOUÏ que la seule issue est alors l’arrêt de tra- complexe, leurs ressources internes en vien-
vail, l’effondrement dépressif voire le nent à se consumer comme sous l’ac-
Pédopsychiatre, Psychothérapeute, suicide, qu’il faut réfléchir à la fatigue tion des flammes, ne laissant qu’un vide
Docteur en éthique médicale, Praticien d’être soignant. Au contraire, il faut recon- immense à l’intérieur, même si l’enveloppe
hospitalier, hôpital Necker-Enfants Malades Paris, naître les symptômes, repérer les petits externe semble plus ou moins intacte. »
Président de la Fédération française de Psychothérapie signes d’alerte pour agir avant que le Mais si l’on veut être honnête, il faut
et Psychanalyse (FF2P). phénomène n’envahisse toutes les facettes rendre au psychiatre français Claude Veil

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© Christian Fafet. No Face A n° 69, 2009.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

la primeur de la réflexion (6). En 1959, UNE MALADIE DE L’ÂME


il écrit dans le Concours médical à pro- Deux notions vont nous permettre de
pos des états d’épuisement : « L’état comprendre ce burn-out spécifique du
d’épuisement est le fruit de la rencontre soignant : le stress et la relation d’aide.
d’un individu et d’une situation. L’un et – Le stress est un phénomène normal et
l’autre sont complexes et l’on doit se nécessaire d’adaptation de l’être vivant.
garder des simplifications abusives. Ce Il n’y a pas d vie sans stress. Cependant
n’est pas simplement la faute à telle ou quand les capacités de réponse ou d’adap-
telle condition de travail, pas plus que ce tation sont dépassées, le stress devient
n’est la faute du sujet : de telles façons maladie et s’exprime sous forme de symp-
de voir sont inexactes et au fond très tômes. Selon Epictète, « Ce qui trouble
pessimistes car elles conduisent à l’abs- les hommes ce ne sont pas les choses mais
tention thérapeutique. » Il définit ainsi les les jugements qu’ils portent sur elles. »
éléments de compréhension et d’analyse Le stress des soignants est particulier
du syndrome d’épuisement professionnel parce qu’il est chronique, répété, progres-
et situe le problème dans le fait que ces sif. La clinique des soignants atteints de
états résultent de la rencontre entre un burn-out montre que l’insidiosité de ce
individu précis et une situation, ici la fonc- type de stress professionnel en rend son
tion soignante, que l’on peut définir comme identification délicate. Il faut pour le sujet
un travail ayant pour but d’aider les gens, une particulière vigilance pour prendre
basé sur la relation. conscience des facteurs stressants qui,
Claude Veil pose la notion de complexité accumulés, vont conduire au burn-out.
bien avant qu’Edgar Morin lui donne – La relation d’aide est au cœur du métier
toute son ampleur en 1982 sur le plan de soignant. Elle est le fait de toute inter-
philosophique et épistémologique. Il per- vention soignante entre un sujet deman-
met de penser une multiplicité de facteurs deur et un sujet qui accepte de répondre
potentiellement pathogènes et d’éviter à la demande et de la prendre en charge.
des analyses réductrices et fausses. Il s’agit d’une interaction complexe carac-
Nous savons donc aujourd’hui que le térisée par la capacité d’ajustement à
burn-out n’est pas la conséquence unique l’autre, en fonction de sa personnalité et
de certaines conditions de travail. Plusieurs de la situation. Trouver la bonne distance
études (7) ont par exemple montré que est ce qui permet d’être efficace dans la
le burn-out des soignants n’est pas lié au relation thérapeutique et d’éprouver une
type de pathologie pris en charge. Il satisfaction profonde dans son travail.
existe des services de soins palliatifs qui L’art de soigner réside ainsi dans l’adap-
ne connaissent pas le burn-out et d’autres tation à l’autre, dans la réalisation d’un lien
où l’exposition à la souffrance, la douleur intersubjectif. Ce sont le respect d’autrui
et la mort est très limitée mais qui ont et de sa dignité et la réussite de l’alliance
des professionnels totalement épuisés. thérapeutique qui permettent le soin.
Une étape clé dans l’identification du phé- La relation d’aide met en jeu la compas-
nomène est venue avec le travail de Chris- sion, l’empathie et nous verrons que c’est
tina Maslach et Suzanne Jackson (8), qui aussi cela qui tombe malade dans le
ont élaboré un instrument aujourd’hui uti- burn-out des soignants : « Quand la rela-
lisé par presque tous les chercheurs : le MBI tion d’aide tombe malade la symptoma-
(Maslach burn-out Inventory). Il s’agit d’un tologie est celle du burn-out. » (Pierre
auto questionnaire de 22 items, qui mesure Canouï, 9).
trois dimensions du syndrome d’épuise- Chez le soignant, la déshumanisation de
ment professionnel : la relation avec autrui se traduit par une
– l’épuisement émotionnel ; sécheresse relationnelle, un cynisme
– l’accomplissement personnel ; envers autrui, un détachement excessif
© Christian Fafet. No Face A n° 42, 2009.

– et la dépersonnalisation, qu’il convient envers la souffrance et parfois des atti-


de traduire en français par la déshuma- tudes impersonnelles négatives voire de
nisation de la relation avec autrui. la violence dans le soin.
Cet instrument d’analyse, quasi compor- Le soignant en burn-out se voit dans l’in-
temental en apparence, permet de mettre capacité de toute relation empathique
le doigt sur la dimension intérieure et spé- de qualité envers autrui, il est asséché
cifique du burn-out des soignants, sur ce dans sa capacité compassionnelle. L’ajus-
qui en fait le noyau dur, c’est-à-dire la tement relationnel qui est un des apanages
déshumanisation de la relation avec autrui de l’art de soigner n’est plus possible.
que nous allons explorer. Cet état n’est pas recherché par le soignant.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

Burn-out et questions éthiques


Les soignants sont confrontés à un certain nombre de problèmes éthiques, qu’il convient d’identifier et de poser collectivement pour prévenir
l’épuisement professionnel. Parmi eux :
– Le problème de l’accompagnement de vie et de la mort de ce qu’il avait à faire mais aussi renforce l’ambiguïté des rôles
Le syndrome d’épuisement professionnel met en relief le (quand une infirmière annonce une nouvelle qui devrait l’être par le
mouvement d’idée concernant l’accompagnement de la mort, le médecin mettant les différentes personnes en décalage les unes par
développement des soins palliatifs aussi bien chez l’adulte que chez rapport aux autres).
l’enfant. La mort, même quand elle est naturelle, n’est pas un Le problème de la communication sur le plan éthique peut s’énoncer
événement facile. C’est un facteur d’épuisement professionnel qui ainsi : Les patients ont le droit de savoir. Ils sont a priori capables de
justifie une réflexion particulière de la part des équipes qui y sont comprendre ce qui leur est dit à condition d’utiliser un langage clair
confrontées de façon répétée (réanimation, neurochirurgie, et simple. (…) Nous sommes donc ici dans une éthique de vérité en
immuno-hématologie, cancérologie, gériatrie…). matière de communication et de respect de l’autre dans sa capacité
En devenant de plus en plus scientifique et efficace, la médecine d’autonomie et de lucidité.
renforce l’inacceptation de ses limites et rend encore moins Cependant dire la vérité n’est pas forcément faire le bien. Jusqu’où
tolérables la maladie et la mort. aller dans cette transparence et comment ? L’éthique de vérité peut
La médecine moderne, dans une conception restrictive de être en contradiction avec un principe de bienfaisance et
technoscience, est tentée d’aller toujours plus loin, de réussir encore d’humanité. Si nous devons la vérité aux patients, nous devons tenir
plus de guérisons, de repousser encore plus les limites des possibles. compte de leur affectivité et de leur état psychologique, d’autant
Le médecin réussit souvent mais pas toujours. La mort est toujours là. plus que le message sera chargé de mauvaises nouvelles.
Il est ainsi demandé à la médecine de répondre à des questions La transparence a ses limites en matière de communication.
auxquelles elle ne peut donner de réponse. Les soignants sont Apporter une information claire, loyale et appropriée s’impose aux
emportés dans cette illusion mégalomaniaque et « invités » à tenir un médecins auxquels il revient de fournir les informations mais la
rôle de toute-puissance que la société « civile » leur demande de jouer. question reste de savoir comment le faire, sous quelle forme et quel
Les hôpitaux sont devenus des ghettos pour la souffrance, la maladie soutien leur apporter.
et la mort. On entend souvent dans les services, les soignants Il est clair qu’une meilleure communication serait un facteur de
affirmer « que l’état des malades pris en charge est de plus en plus réduction du stress. Apprendre à communiquer permet d’avoir une
grave ». Cela semble vrai et apparaît comme la double rançon de attitude plus cohérente vis-à-vis du malade et évite les faux pas
l’efficacité et du développement des soins ambulatoires pour des relationnels. C’est dire l’intérêt des réunions, assises ou debout,
raisons économiques et de confort. Seuls sont hospitalisés les brèves ou longues, mais dans lesquelles s’expriment et se
malades les plus graves ou ceux qui ne peuvent se soigner pour des transmettent les informations.
raisons psychosocio-économiques.
– La douleur et la souffrance, les incertitudes concernant les
Dans une interprétation anthropomorphique, on peut dire que
traitements, les situations difficiles, les pronostics sombres, la
« notre société » se décharge de ses drames sur « ses » soignants.
qualité de vie sont des facteurs insuffisamment pris en compte,
Dans un cloisonnement dangereusement renforcé, n’exclut-elle pas
mais qui concourent à l’épuisement émotionnel des soignants. Nous
des souffrances de l’existence qui sont les drames normaux de toute
les avons nommés en reprenant la formule de Goldenberg (1) les
vie humaine ? Les soignants sont ainsi les seuls à être confrontés à
« désespoirs thérapeutiques ». Toutes ces situations sont liées aux
ces souffrances ; et ils doivent aussi dès qu’ils quittent leur service
limites de possibilités médicales et à la finitude de l’être. Trop
adopter l’apparente insouciance de la vie civile. Ils affrontent de plus
souvent les problèmes d’éthiques ne sont abordés qu’au dernier
en plus seuls le tabou de la mort, les accidents de la vie relégués dans
moment, ou en comité restreint. Pendant ce temps, ils demeurent,
ces lieux spécialisés. Leur épuisement émotionnel n’est-il pas une des
stagnent… « les situations pourrissent » comme on l’entend souvent
manifestations de cette mission impossible que subrepticement la
dire par les soignants qui doivent les assumer. Garder en soi une
société leur a confiée ?
question d’éthique est source d’épuisement professionnel.
– La difficulté de relation avec les malades et les familles, la De plus, beaucoup de soignants ne savent même pas que les
communication des informations, l’annonce du diagnostic sont des questions qu’ils se posent sont de vraies questions intelligentes.
facteurs de stress reconnus. Communiquer notamment des Pour paraphraser une réplique de théâtre célèbre, « beaucoup
mauvaises nouvelles, des pronostics sombres, des traitements pensent éthique » sans le savoir, comment Monsieur Jourdain avec
incertains n’est pas facile. Les médecins ne sont pas forcément la prose…
toujours à l’aise pour l’assumer. Ceci leur est souvent reproché par
1– Goldenberg E. – Comment aider des soignants en souffrance ? Krankenpflege-Soins
les équipes soignantes lors de réunions ou de groupe de paroles.
Infirmiers, mai 1988.
Les conséquences en matière de charge psychique sont importantes,
en particulier quand d’autres personnes sont obligées de reprendre Extrait de : Le burn-out à l’hôpital. Le syndrome d’épuisement
des échecs de la communication sur des sujets difficiles. Ceci pose le professionnel des soignants, P. Canouï, A. Mauranges. Elsevier-
problème de la responsabilité de celui qui n’a pu aller jusqu’au bout Masson, 4e éd., 2008, 256 pages

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

À lire. Le burn-out à l’hôpital. perspective un peu trop technico scienti-


fique et insuffisamment humaniste…
Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants Ces éléments sont issus des enquêtes
Cet ouvrage définit le concept d’épuisement professionnel des soignants et indique ses limites, auprès de soignants (9). Chacun d’entre
permettant de le situer au plan clinique et psychopathologique. En positionnant la relation à l’autre eux mérite une réflexion particulière afin
au centre de ce syndrome, les auteurs en révèlent la spécificité : quand la relation d’aide « tombe que la médecine ne perde pas son âme.
malade », la symptomatologie est celle d’un burn-out. Les auteurs font le point sur les facteurs de
stress spécifiques, les stratégies d’adaptation et indiquent les instruments d’évaluation d’un burn- EN CONCLUSION
out. Ils accordent ensuite une large part aux réponses institutionnelles et individuelles pour y
Ainsi le burn-out, phénomène de société
remédier, débouchant sur les possibilités de prévention comme la notion de développement
personnel chez les soignants, et les aspects éthiques. Une introduction d’une étude sur la santé reconnu, met en exergue les difficultés
mentale des infirmières et des travaux concernant la notion de hardiesse psychique sont également de relation de l’homme avec son travail.
proposés ainsi qu’un éclairage sur le contexte de pénurie des effectifs paramédicaux. Mais si l’homme tombe malade de son
travail, il faut aussi se demander si celui-
• P. Canouï, A. Mauranges. Elsevier-Masson, 4e éd., 2008, 256 pages. ci n’est pas lui-même malade de notre
société actuelle (voir aussi l’article de
Il s’est installé progressivement, dans une incapable de faire face à une demande P. Chabot, p. 62).
tentative de se protéger du stress chronique nouvelle sans exploser ou s’effondrer. Si le burn-out des soignants mérite d’être
que nous avons décrit plus haut. – La perte de l’accomplissement de soi identifié, c’est d’abord parce qu’il a une
Si la déshumanisation de la relation avec au travail s’exprime dans le sentiment psychopathologie particulière liée à la
autrui est présente dans tout burn-out d’échec professionnel, d’inutilité, de perte de capacité d’empathie et donc
quelle que soit la profession, on com- baisse de motivation au travail avec son d’exercice. Mais en devenant ce qui res-
prend bien que cet item n’a pas la même corollaire : changer de travail. semble parfois à une véritable épidémie,
incidence dans d’autres métiers. Dans les facteurs déterminants du burn- le burn-out des soignants nous renvoie à
Quand la relation d’aide tombe malade, out des soignants, on retrouve donc des une réflexion en profondeur sur l’éthique
le soignant ne peut tout simplement plus facteurs communs à toute pathologie du du soin et la dynamique de la relation
exercer son métier. Et pourtant il va conti- travail : les conflits interpersonnels au tra- d’aide. C’est peut-être la chance du burn-
nuer au prix d’un effort considérable, vail, l’insuffisance de reconnaissance, la out des soignants. À nous de la saisir.
d’une lutte intense pour malgré tout ten- surcharge de travail, une exigence de
ter de remplir sa mission. Sa santé peut performance et de rentabilité excessive,
être atteinte. Celle d’autrui aussi. la mauvaise organisation de travail, des
Le métier de soignants n’est pas un soutiens défaillants, des moyens insuf- 1– Yves Léopold. Les médecins se suicideraient-ils plus que
métier comme les autres car au cœur de fisants pour permettre la réalisation de les autres ? Infos ordinales, janvier-février 2003.
celui-ci se trouve souvent une aspiration tâches demandées… 2– P. Canouï, A. Mauranges. Le burn-out à l’hôpital. Le syn-
à aider autrui, motivation de choix de Mais il existe aussi des facteurs spéci- drome d’épuisement professionnel des soignants. Elsevier-
cette profession. Cette observation clinique fiques que nous ne pourrons qu’énumé- Masson, 4e éd., 2008.
a fait écrire à Herbert Freudenberger (5) : rer ici (voir aussi encadré) : 3– Rodary C. et Gauvain-Piquard A. et al. Stress et épui-
« l’épuisement professionnel des soi- – la confrontation à la souffrance et la mort; sement professionnel. Objectif Soins, 1993, 16, p. 26-34.
gnants est une maladie de l’âme en deuil – l’insuffisance de prise en compte des 4– Bradley H. B. Community-based treatment for young
de son idéal ». problématiques psychologiques et éthiques adult offenders, in Crime and Delinquency, 1969, 15(3),
en santé ; 359-370
LA CONFRONTATION – les difficultés de relations avec les 5– Freudenberger H. J. (1970) L’Épuisement profession-
À LA SOUFFRANCE familles de malades, l’annonce de pro- nel. La brûlure interne, Québec, Gaétan Morin éditeur, 1987.
Les deux autres critères du burn-out sont nostic sombre ; 6– Claude Veil. Les états d’épuisement. Le Concours médi-
communs à toutes les formes de burn-out – l’insuffisance d’accompagnement des cal, Concours médical, 1959, p. 2675-2681
quel que soit le travail concerné : personnes malades en situation de détresse; 7– P. Canouï, A. Mauranges, op. cit.
– l’épuisement émotionnel caractérise – l’insuffisante prise en compte de la qua- 8– Maslach J., Jackson S. Maslach Burn-out Inventory.
le sentiment éprouvé par une personne lité de vie, une médecine de l’homme Consulting psychologist press, Palo Alto, 1996.
vidée de son énergie, stressée, devenue devenue une médecine d’organe dans une 9– P. Canouï, A. Mauranges. op. cit.

Résumé : Le burn-out touche en particulier les soignants, dont la relation à l’autre constitue le cœur de leur métier et souvent leur motivation prin-
cipale. L’auteur explore les spécificités du burn-out du soignant et montre comment le dépistage en amont et la réflexion éthique sont des facteurs de pro-
tection importants.

Mots-clés : Concept – Déshumanisation – Épuisement professionnel – Expression de l’émotion – Psychopathologie – Relation


d’aide – Soignant – Stress.

46 SANTÉ MENTALE | 190 | SEPTEMBRE 2014


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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Le sentiment de satisfac
Une recherche en soins sur l’activité informelle des infirmiers en psychiatrie permet de
dégager les principaux facteurs qui contribuent à générer un sentiment de satisfaction au
travail, meilleur rempart contre le burn-out. Dans cette perspective, les soignants pointent
en particulier l’importance de parvenir à un équilibre entre travail prescrit et initiative.

La satisfaction professionnelle d’expériences positives, si elles sont moins n’avoir pas fait d’erreur… avoir pu finir mon
est souvent liée au fait que les travailleurs souvent convoquées et énoncées que les travail » entendu ici avec sa marge d’ap-
aiment ou non leur métier. Un travail insatisfactions, constituent néanmoins des propriation.
apprécié donne alors un sentiment d’ac- séquences riches d’enseignements. La crainte d’être débordé se traduit par
complissement, de réponse à ses aspira- Les éléments de satisfaction au travail nous la mise en cause de la disponibilité, de
tions, au premier rang desquelles, la pos- sont apparus comme un indicateur puis- la qualité de réponse (« pouvoir répondre
sibilité d’être en mesure de « bien faire » sant mobilisant les questions d’organisa- sans débordement ») et par une perte de
son travail (1). tion, de finalités, de sens, d’utilité sociale, chance (« avoir raté une occasion »). Une
Dans le cadre d’une recherche en soins d’autonomie et de plaisir. Ces derniers forte sollicitation peut satisfaire le cadre
(voir encadré) sur l’activité informelle termes agissent comme autant d’élé- de santé : « Moi par contre j’étais content
des infirmiers en psychiatrie (en hospi- ments protecteurs face à des situations parce que la masse de problèmes qui
talisation temps plein), cette question exposantes. Inversement, l’absence de m’était présentée ce matin avait trouvé
de notre guide d’entretien concluait l’in- ces facteurs protecteurs, notamment dans une réponse », mais ne pas être parta-
terview : « Pour vous, quels sont les élé- un contexte d’insatisfactions profession- gée par l’infirmier. Ce même cadre de santé
ments à réunir pour dire que vous avez nelles soutenues et récurrentes, génère relève des exigences liées aux logiques
passé une bonne journée au travail ? » anxiété, stress négatifs, et détresse pou- soignantes : « Mais ce n’était pas suffi-
Initialement, nous avions pensé aborder vant évoluer vers un burn-out. samment satisfaisant, il n’y avait eu pas
cette thématique de la satisfaction au Ces éléments protecteurs traduisent le réel, assez de temps mort. L’enchaînement
travail sous l’angle d’un questionnement ils sont le fruit de l’expérience et fixent avait été trop fort, ce qui lui nuisait était
visant à en réunir les éléments constitu- les priorités des soignants. le manque de temps informels. »
tifs. Cette démarche prospective ren- 12 thèmes ont été dégagés lors de l’ana- Les éléments qualitatifs sont formulés
voyait alors appel aux manques, aux lyse thématique, nous en présentons de différentes manières : pour un infir-
attentes non satisfaites, aux correctifs à quatre, numériquement et symboliquement mier, « avoir bien bossé est différent
apporter au réel de l’activité des profes- importants. d’avoir beaucoup travaillé ». Pour d’autres,
sionnels. Mais ce type d’interrogation cela résulte de l’atteinte des objectifs
nous éloignait de notre objectif. Notre LA MARGE D’INITIATIVE qu’il s’était assigné : « ce qui devait être
propos n’était pas de repérer ce qui est Plus des deux tiers des personnes inter- fait a été fait » et la référence au devoir
par nature perfectible, mais de s’appuyer viewées évoquent spontanément l’impor- n’est pas liée ici à la seule réalisation du
sur l’expérience de ce qui fonctionne. tance d’un équilibre entre le travail pres- prescriptif. Avoir pu « effectuer mon rôle
Nous avons donc choisi une formulation crit et l’initiative. Plusieurs idées convergent propre », « atteindre mes objectifs, vis-
qui recherche cet existant et avons constaté pour définir ce critère, parmi lesquelles à-vis de moi, des patients et des col-
que la mobilisation et l’identification nous retrouvons l’importance de garder une lègues » constitue des objectifs profes-
marge d’amortissement devant la pres- sionnels individualisés.
sion des tâches à réaliser. Dans ce rapport entre travail prescrit et
Celle-ci est évoquée à travers des formu- initiative, un objectif apparaît bien par-
lations comme « ne pas courir… voir au tagé, celui « d’avoir vu tous les patients
Jean-Paul LANQUETIN fur et à mesure… faire trop vite empêche un moment », « d’avoir pu voir tout le
d’avoir un temps de retour… prendre le temps monde », « d’avoir pu parler à tout le
ISP, Praticien chercheur en soins infirmiers, de faire ». La peur de faire des erreurs est monde » ou encore « d’avoir eu un mot
CH de Saint-Cyr au Mont d’Or. aussi présente : « n’avoir rien oublié… pour chacun ».

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tion au travail
© Christian Fafet. No Face C n° 25, 2009.

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© Christian Fafet. No Face C n° 28 (détail), 2009.


DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

Cette exigence de contacts avec chaque l’accompagnement, ne font qu’aggraver la


patient évoque la représentation d’un souffrance de ceux qui terminent chaque
travail « bien fait » et s’inscrit dans une journée avec des inquiétudes et des regrets
dynamique d’unité. L’expérience asilaire sur ce qu’ils n’ont pas pu faire pour sou-
nous a enseignés cependant qu’au delà tenir “leurs” malades. »
de 20-25 lits, cet objectif ne tient plus. L’écart ainsi répété entre la réalisation
Ce dont témoigne cet infirmier : « Une de la tâche et le travail souhaité par le
bonne journée, cela va être quand ma col- professionnel est porteur de souffrance.
lègue à la relève va me poser des ques- À l’inverse, s’approprier sa manière de
tions sur les patients et où j’aurais alors travailler, s’autoriser son déploiement
un mot à dire sur chacun parce que j’ai dans le cadre du rôle propre, partager
l’impression d’avoir été là pour tous. » ses valeurs professionnelles dans un
À côté du rôle prescrit coexiste un pré- collectif de travail constituent des vec-
visionnel d’activités lié aux initiatives : teurs à la fois de sens, de ressources et
« Avoir pu réaliser mon idée », « m’être de protection.
donné les bonnes priorités », « réaliser
les tâches et avoir du temps informel ». ÊTRE UTILE ET EFFICACE
Ou encore : « Avoir pu faire mes tâches Plusieurs idées convergent pour illustrer
et rester disponible », « Combiner les l’importance du sentiment d’utilité et
tâches et l’informel », « limiter la program- d’efficacité soignante. Ce ressenti se
mation pour garder mon prévisionnel » ou construit en regard du soin. Aider, sou-
encore en quittant son service sur un lager, progresser en seront ses princi-
écart : « Ne pas avoir à penser à des pales déclinaisons et les professionnels
choses que je n’ai pas faites et que j’au- savent qu’il n’y a rien de spectaculaire
rais voulu faire. » La satisfaction au tra- et beaucoup d’invisibilités dans leurs
vail survient quand cette infirmière « a actions quotidiennes. Il existe un appren-
pu faire un peu autre chose que ce qui tissage de l’humilité, comme l’exprime cette
est programmé ». infirmière : « Avant, je n’aurais pas cru
Pour les infirmiers, une bonne journée au pouvoir être humble, en fait c’est en
travail passe par la réunion et le solde de étant confronté au réel au fur et à mesure
cette double tension d’activité. Faire ce que je me dis que j’ai été prétentieuse. »
qui doit être fait et faire ce que le pro- Le sentiment d’utilité est un élément
fessionnel pense ou souhaite réaliser constitutif de l’identité soignante. Il est
pendant sa séquence. L’équilibre entre rôle déterminé par la raison sociale de l’ac-
prescrit et rôle propre, ou encore entre tivité ou du service rendu et s’inscrit en
ce qu’il faut faire et ce que le profession- cohérence avec la tâche primaire. Dans
nel à envie de faire, constitue donc un les soins en psychiatrie, ce médecin
élément significatif pour le vécu de satis- observe « que nous sommes dans un
faction au travail. Cet équilibre entre ces environnement professionnel où vous
deux tensions de travail est en ce sens n’avez pas de gratification financière
une donnée structurelle. selon que l’on travaille bien ou mal. Le
Nous relevons que l’attribut de cet inva- salaire est le même. La satisfaction, c’est
riant se traduit par l’exigence d’équité qui le sentiment d’avoir été utile (…) la
consiste à porter au quotidien une atten- constatation d’une réussite là où nous vivons
tion à chaque patient hospitalisé. Ce que environnés de nos échecs ».
résume par la négative le propos de cet Ce sentiment d’être utile s’adapte à la tâche
infirmier : « Le plus fort de l’insatisfac- primaire et aux contingences des soins
tion, c’est quand on a passé une journée en psychiatrie. Il s’appuie sur des avan-
et pas vu un patient », ce soignant pré- cées apparemment modestes, mais réelles,
cisant que « voir » ici dépasse le simple comme le relate cet infirmier : « Voilà,
échange de civilités et nécessite une quand j’ai apporté des réponses aux
marge de temps patients, là je suis satisfait » ou pour ce
Ces constats sont partagés et soulignés dans médecin : « quand on a l’impression
l’étude Presst-Next. Madeleine Estryn- d’avoir fait quelque chose de bien pour
Behar (2) observe alors que : « l’insatis- les patients (…) où l’on a pu constater
faction de la qualité de son travail est l’utilité de notre action ».
particulièrement difficile à supporter pour Pour cette infirmière, la satisfaction se
les soignants comme l’ont montrée les ressent « quand on voit une amélioration
résultats statistiques. Mais, recomman- chez les patients, c’est vraiment bien. Ou
der de travailler autrement et former à quand eux le disent et que nous remarquons

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

une stabilisation. » Un autre infirmier s’est noué. Le sentiment d’avoir avancé assise à table, pour qu’untel agisse autre-
témoigne « du sentiment d’avoir aidé avec un patient, pouvoir se dire “J’y suis ment qu’avec violence, et qu’une telle par-
des personnes, d’avoir suffi, d’avoir contri- arrivé” quand on n’arrivait pas à le faire vienne à quitter son lit ? Qu’est ce qui les
bué à ce que les choses se dénouent un les jours précédents. Bien bosser, ce a rendus un instant désirants ? Désirants
peu ». Pour ce médecin, la satisfaction n’est pas, j’ai fait des choses, c’est je ou seulement un peu plus présents ? Bien
passe par « des indices montrant que le suis arrivé à accrocher une relation avec sûr, il est souterrain, ce travail-là. Diffi-
travail qu’ils font (les infirmiers, Ndr) un patient, je suis arrivé à dépasser une cile à repérer à quantifier, très obscur… »
apporte des bénéfices au patient, que peur. Cela ne se voit pas, cela se vit ». Dans ce travail infirmier, il existe une
ça bouge un tout petit peu ». Ce témoignage résume bien les facettes appropriation de ces actions informelles.
Plusieurs soignants évoquent une satis- de la satisfaction au travail en lien avec Le sentiment d’utilité et d’efficacité
faction et un sentiment d’utilité quand le sentiment d’utilité, qui se situe dans résonne (et raisonne) de son lien organique
ils arrivent à « construire du lien… créer les méandres et les plis du quotidien, avec la tâche primaire et constitue un puis-
du lien… apporter du lien » et cela par- dans les recoins de l’activité. Rien de sant vecteur de l’identité soignante.
ticulièrement quand ils ont pu provoquer spectaculaire, que du vernaculaire… un
une occasion au bon moment : « Là où travail en profondeur sur l’ordinaire dont UN SERVICE CALME
je suis satisfaite, c’est quand j’ai le sen- les effets se mesurent par des critères sen- Le fait de trouver en arrivant et de lais-
timent d’avoir été là au bon moment (...) sibles et une lente maturation. ser en partant un service calme et une
d’avoir pu accueillir l’autre correctement, Le sentiment d’utilité se construit sur l’hu- régulation satisfaisante est citée dans
d’avoir pu l’aider, d’avoir pu dégager du milité d’accepter de modestes avancées. un quart de nos réponses. Parmi elles, les
sens. » Dans ces moments, ces soignants Pour ces soignants, l’avancée compte infirmiers de nuit sont très représentés.
peuvent « accrocher le patient, avan- au final moins que le mouvement, qui sym- Le calme de la nuit est logiquement asso-
cer », « trouver une accroche », c’est-à- bolise la vie et définit l’effet de l’acti- cié à un critère qualitatif qui rejoint ici
dire le bon moment, le bon mot, le bon vité soignante. L’utilité et l’efficacité se la tâche primaire. Ce soignant résume
support, la bonne proximité pour qu’une situent dans les détails, dans cet acces- ainsi son appréciation : « Quand tout
rencontre se produise. soire dont nous avons vu le côté essen- s’est bien passé, quand tout a été très
tiel, dans ce « miracle de l’ordinaire » calme, alors c’est aussi une bonne nuit
« PAS UN CHAPEAU DE VENDU » évoquée par Blandine Ponet (3) : « Seuls de travail. » Un premier infirmier de nuit
« On fait un boulot passionnant, mais par- l’invisible, l’inouï permettent de tenir explique qu’une bonne nuit se définit
fois usant parce qu’on a l’impression compte de ces “petits riens” ». Il ne quand « tout s’est bien passé, quand les
que cela n’avance pas. Se dire que les s’agit pas de surestimer de modestes patients ont passé une bonne nuit avec
choses ont avancé, c’est important. Un évolutions, même s’il n’y a pas d’évolu- un sommeil réparateur », un deuxième
collègue me dit “Encore une journée de tions modestes en psychiatrie, mais de affirme : « Le sentiment de satisfaction,
travail et pas un chapeau de vendu”, prendre la mesure du sens de cette évo- c’est le sommeil, ça, c’est clair ! » et un
pour dire que rien n’a avancé, que l’on lution ainsi que de l’investissement et du troisième confirme : « s’ils arrivent à
part en se disant que ça n’a servi à travail qu’elle a représenté. dormir, à avoir un bon sommeil, on est
rien. Et je crois que c’est important Anne Marie Norgeux (4) prend cette quand même là pour que le sommeil se
d’avoir l’impression que des choses ont mesure quand elle écrit : « Quel travail passe le mieux possible ». Du côté des
progressé ; quelqu’un qui va mieux, une invisible a été accompli pour que Mon- infirmiers de jour, ce souci est partagé.
rencontre avec une famille, une situation sieur X. prenne enfin une douche et Le sentiment de satisfaction s’exprime alors
que l’on a comprise. Ou encore que l’on change de vêtements sans être saisi de par un : « Si je laisse un service relati-
a accroché une relation, quelque chose panique, pour que Madame Y. soit là, vement calme à mes collègues. »
Enfin, un petit nombre de profession-
L’informel dans les soins en psychiatrie nels associe une bonne journée à la qua-
lité d’ambiance générée dans l’unité entre
Validée et financée par le Conseil scientifique de la recherche du CH le Vinatier (69), ce travail sur soignant et soigné. Le sentiment de satis-
l’informel dans les soins en psychiatrie est une recherche qualitative descriptive appliquée au faction s’exprime alors : « Des fois, cela
domaine des soins infirmier. Elle vise à identifier, qualifier et surtout caractériser les fonctions de
ne tient à pas grand-chose, des fois juste
l’informel dans le soin infirmier en psychiatrie, objectiver les savoir-faire mobilisés, mais aussi
leurs impacts et leurs spécificités, et affirmer la nécessité d’asseoir ces pratiques. l’ambiance du service » ou simplement
lorsqu’« on passe des bons moments
Les résultats présentés ici proviennent de l’outil d’investigation par entretien, avec un avec les patients » ou que le climat de
questionnaire destiné aux populations infirmières et aux populations témoins ; professions cadres l’unité est propice à ce qu’il règne « une
et médicales (dans une proportion de quatre infirmiers pour un cadre et un médecin). bonne entente ».
43 personnes ont été interviewées sur quatre sites hospitaliers représentant huit unités de soins.
L’ambiance de travail agréable est évo-
Les éléments recueillis ont fait l’objet d’une analyse thématique à partir du dégagement des idées
centrales. quée de manière significative. Les infir-
miers soulignent une séquence de travail
• L’informel dans le travail infirmier en psychiatrie, Groupe de recherche en soins infirmier, non vécue « avec des bons moments », « des
publié, 2013, 430 pages, disponible auprès J.-P. Lanquetin, grsi@ch-st-cyr69.fr et S. Tchukriel, moments de convivialité partagée » à
grsi@ch-le-vinatier.fr
l’occasion d’événements de vie pour un
À lire également : Travail d’équipe et activité informelle, J.-P. Lanquetin, Santé mentale, n° 186, des membres de l’équipe. Le rire et l’hu-
mars 2014. mour sont retenus comme indicateurs

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

qualitatifs d’une bonne journée : « Une Le corollaire de l’absence de « paquet » tâche. En psychiatrie, dans le travail
bonne journée, c’est une journée où l’on se traduit par « l’envie de retourner tra- infirmier, c’est l’appropriation qui permet
a bien bossé et un peu ri », nous dit ce vailler, de continuer ». Ce sentiment est de générer le sentiment bénéfique du
médecin. Le rire peut aussi être destiné partagé par cette infirmière qui constate : travail « bien fait ». Ne prendre en compte
au patient : « Il est important de faire rire « Si je ne suis pas là à ressasser ! C’est que la tache au détriment des dimensions
ou sourire » commentera un infirmier. grâce à cela que je sais si cela s’est bien de satisfaction au travail amène à un
D’autres aspects concernent une « conflic- passé. Et si j’ai envie de revenir le len- constat également porté par Marie Alder-
tualité non dangereuse » capable d’ac- demain. » Enfin, un quart des réponses son (5) : « L’ensemble de ces éléments
cueillir les désaccords sans les vitrifier. associent la question du sens, en termes restreint le plaisir, génère un manque de
Il s’agit, quand on quitte son service, de de réflexions sur les soins, et « l’envie de sens dans le travail, porte atteint à l’iden-
pouvoir « dire au revoir à tout le monde revenir le lendemain ». Cette dernière tité professionnelle des infirmières et
avec le sourire » ou pour ce cadre de perception agissant comme un indica- fragilise leur santé mentale. »
santé « quand on sort et que l’on a le teur également du sens de leur travail. La satisfaction au travail, si elle a un
sourire, c’est que l’on a passé une bonne effet bénéfique sur la santé des soi-
journée ». EN CONCLUSION gnants, entretient des effets directs sur
Les résultats de notre recherche don- la qualité des soins, et dans le cadre de
L’ABSENCE DE « PAQUET » APRÈS nent une visibilité au réel de l’activité des notre recherche, sur la qualité du soin.
LE TRAVAIL infirmiers en psychiatrie. Par sa sou-
Le constat d’une absence de charge men- plesse, sa malléabilité, sa réactivité et sa
tale et psychique résiduelle apparaît comme capacité à s’immiscer dans les moindres
un indicateur pertinent de la bonne jour- méandres du quotidien avec le malade,
née. Un premier cadre de santé exprime l’activité informelle dans les soins fon-
ainsi sa perception : « Je pense que je sais dent la pertinence de ce métier. C’est
très vite si j’ai passé une bonne journée une possibilité pertinente des soins. 1– Yves Clot, Le travail à cœur. Pour en finir avec les
ou pas. Quand je sors du service et que Nous notons que la thématique de la risques psychosociaux, Paris, 2010, Éditions La Découverte,
je n’y pense plus, alors c’est que j’ai passé reconnaissance (voir l’article de B. Vidaillet, 190 pages, page 172.
une bonne journée. (…) si je me mets à p. 56), souvent mise en avant dans le repé- 2– Madeleine Estryn-Behar, Protocolisation et/ou collectif
ruminer, alors ce n’était pas le cas. » Ce rage sur les éléments d’insatisfaction au de travail? Outil informatique et/ou personnalisation des soins? »,
propos est repris par d’autres profession- travail, est quasiment absente des résul- 2009, www.presst-next.fr
nels dont cette infirmière, satisfaite quand tats de notre étude. Cette reconnaissance 3– Blandine Ponet, L’ordinaire de la folie, Éditions Érès,
« elle ne part pas avec un paquet trop est à différencier de la gratitude, éma- mai 2006, 110 pages, page 86.
difficile à porter ». Le temps de trajet vers nant ici du côté des patients qui, elle, appa- 4– Anne Marie Norgeux, La Borde, le château des chercheurs
le domicile est parfois propice au dépôt : raît dans nos thématiques liée à la satis- de sens, Éditions Érès, 2009, 123 pages.
« Si l’on part avec des choses difficiles à faction au travail. 5– Marie Alderson, Analyse psychodynamique du travail infir-
vivre et qu’on les garde jusqu’à arriver L’émergence de ces thématiques liées à mier en unités de soins de longue durée, entre plaisir et
chez soi, alors on n’a pas passé une très la satisfaction au travail confirme que le souffrance, Recherche en Soins Infirmiers, nº 80, mars
bonne journée. » travail ne peut jamais être ramené à la 2005, p. 76-86, p. 80.

Résumé : Une recherche en soins, intitulée L’impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie a mis en évidence quatre facteurs impor-
tants de satisfaction au travail. Parmi eux, le fait d’atteindre un équilibre entre ce que le professionnel doit faire (la prescription) et ce qu’il veut faire (du
côté de son initiative et donc du rôle propre) est un élément majeur et peut être considéré comme une protection face au burn-out.

Mots-clés : Infirmier – Prévention – Recherche – Reconnaissance professionnelle – Relation soignant soigné – Risques
psychosociaux – Rôle propre – Satisfaction – Soin psychiatrique – Temps informel – Travail.

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Retrouver le plaisir de soigner


Une consultation de prévention de l’épuisement professionnel des soignants

Depuis 2012, le Groupe Pasteur Mutualité propose à ses adhérents une consultation de
prévention de l’épuisement professionnel destinée aux soignants
a souffrance au travail des soignants avec son cortège d’ad- RETROUVER LE PLAISIR DE SOIGNER

L dictions, de troubles anxio-dépressifs et du comportement


voire de suicides, reste un sujet tabou. Dès 2008, Groupe
Pasteur Mutualité met en évidence, lors d’un colloque précurseur
Tous les soignants sont concernés par la souffrance au travail comme
en témoignent les statistiques de fréquentation de la consulta-
tion : libéraux, hospitaliers, et de plus en plus de jeunes diplô-
sur ce thème (1), qu’à l’instar de la Catalogne (2), une approche més en demande d’aide face à la gestion de situations complexes
spécifique et anonyme, conduite par un médecin formé aux soins et anxiogènes. Il nous arrive fréquemment lors du premier contact
aux soignants est à privilégier. Il s’agit de permettre au soignant (débriefing réalisé par une assistante sociale spécialisée), avant
en souffrance de prendre conscience de ses pathologies et d’en- même la prise de rendez-vous avec le médecin du réseau, de
trer dans une démarche de soins. devoir dédramatiser et rassurer le soignant enfermé dans une
Progressivement, en partie grâce aux médias, les choses évo- vision faussée de lui-même et de sa valeur et un déni de ses
luent. Une prise de conscience s’amorce et des actions émergent. symptômes d’épuisement.
Face à la montée en puissance de ces risques psychosociaux, véri- Dès qu’il ne se sent plus apte à exercer, il ne se sent plus digne
tables «  pathologies professionnelles  » rarement reconnues, d’exister. À un certain stade, il n’a plus conscience qu’il peut être
Groupe Pasteur Mutualité choisit de proposer à ses adhérents dangereux pour lui-même (passage à l’acte) ou pour les autres
(médecins libéraux, hospitaliers, professionnels de santé et étudiants) (erreurs médicales). À un stade ultime, il ne voit plus d’issue.
une consultation spécialisée de prévention de l’épuisement profes- En parallèle à la consultation, une aide financière et sociale, un
sionnel. En 2010, le bien-fondé de cette consultation est confirmé soutien psychologique peuvent se mettre en place, sachant
par une enquête interne menée auprès de plus de 3 700 médecins qu’un faisceau de difficultés cohabite souvent. Notre souci pre-
qui estiment à 86 % qu’ils auront besoin un jour d’un tel dispositif mier est de permettre au soignant de se faire prendre en charge
pour évaluer leur niveau de stress et d’épuisement professionnel. avec si besoin un arrêt maladie. Cette éventualité reste sou-
En 2012, la consultation est mise en place et propose une évalua- vent difficile à envisager quand le soignant se trouve dans un
tion et un bilan de la situation puis une orientation éventuelle. équilibre financier précaire.
Un suivi au long cours peut également être envisagé. Elle est Notre réseau national de médecins consultants est composé
assurée par un réseau national de médecins consultants spécia- pour un tiers de médecins généralistes, un tiers de psychiatres
lement formés. Gratuite, elle se tient dans le plus strict respect de et un tiers de médecins du travail formés spécifiquement à
l’anonymat et de la confidentialité. l’écoute et aux soins aux soignants.
La consultation est gratuite et prise en charge par l’action sociale
L’IDÉAL SOIGNANT MIS À MAL… du Groupe Pasteur Mutualité. Elle dure entre une heure à une
Mettre des mots sur son vécu et sa souffrance et accepter d’en par- heure trente et permet d’analyser avec distance le contexte, de
ler à un professionnel reste une démarche difficile pour un soignant, décrypter les symptômes, d’évaluer le niveau d’épuisement.
habitué sans cesse à repousser ses limites et à faire taire ses Elle a pour finalité d’aider le soignant à prendre conscience des
symptômes pour remplir sa mission de soin. Tout puissant ou mis facteurs de risques et des comportements qui pourraient le
à mal parfois par ses patients, il ne s’autorise aucune faiblesse, conduire au burn-out et au point de non-retour.
écartelé sans cesse entre son idéal, son éthique, les patients et Ce bilan permet de structurer le suivi : arrêt de travail, orienta-
les tâches administratives, reléguant au second plan sa famille et tion vers un psychiatre, thérapie comportementale et cogni-
ses besoins propres. tive, ateliers de gestion du stress… ou parfois hospitalisation.
Lorsqu’un soignant perd la maîtrise de son temps et s’épuise émo- Aider à stopper les engrenages destructeurs, retrouver la maî-
tionnellement, il adopte alors des comportements de fuite et de trise de sa vie et le plaisir de soigner, tel est l’enjeu de ce dispo-
retrait. Il se consume de l’intérieur, sans rien laisser transparaître, sitif au cœur d’une formidable solidarité médicale.
et se considère comme un mauvais soignant. Un médecin spécifi- 1– Vulnérabilité et souffrance du soignant. Groupe Pasteur Mutualité, 2008.
quement formé, peut alors, en miroir, au sein d’une relation thé- 2– A. Arteman, Programme d’aide intégrale aux médecins malades de Catalogne.
rapeutique clairement définie, faire alliance et percer le mur de l’in-
communicabilité. Cette consultation peut aider ce soignant à Martine PACAULT-COCHET,
prendre conscience que le burn-out se met en place insidieusement Assistante Sociale Spécialisée,
et qu’un événement peut faire brutalement tout basculer : plainte, Responsable du service d’Action Sociale
altercation, pression de la hiérarchie, erreur médicale, divorce… du Groupe Pasteur Mutualité

Les adhérents de Groupe Pasteur Mutualité peuvent être mis en relation avec un des médecins du réseau via le
Service d’Entraide du Groupe en contactant le 01 40 54 53 77 ou en adressant un message à consultationprevention@gpm.fr
• Le site www.souffrancedusoignant.fr permet aux professionnels de santé de s’informer sur le burn-out, d’évaluer leur niveau
d’épuisement professionnel et de prendre connaissance des dispositifs d’accompagnement mis à leur disposition par Groupe
Pasteur Mutualité. 
• L’Association pour la Promotion des Soins aux Soignants (APSS) dont Groupe Pasteur Mutualité est un des membres fon-
dateurs vise à promouvoir les actions de prévention menées en matière de pathologie psychique et addictive et à organiser
la prise en charge médicale et sociale des médecins qui en font la demande.
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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Reconnaissance au travail :
© Christian Fafet, No Face A n° 7, 2009.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

mission impossible?
Pour les paramédicaux, la question de la reconnaissance
est importante et paraît faire sens. Sans une place
« garantie », leur lutte pour être reconnu risque d’absorber
une grande partie de leur énergie psychique.

On ne cesse d’entendre et de – les résultats. La reconnaissance au tra-


lire qu’il y aurait une problématique de la vail est alors considérée comme venant
« reconnaissance au travail » : salariés récompenser des résultats effectifs, obser-
non reconnus souffrant terriblement de vables et contrôlables du travail et peut
ce « manque de reconnaissance » et s’en se traduire par exemple par un intéres-
plaignant ; organisations incapables de sement aux bénéfices, une commission,
répondre à ce besoin et devant y travailler. une prime ;
La question qui hante les directions des – l’effort. En cas de mauvaise conjonc-
ressources humaines et que l’on entend ture, les salariés peuvent redoubler d’ef-
aussi posée par les syndicats est ainsi la forts sans que les résultats suivent. Cette
suivante : comment répondre au besoin de conception de la reconnaissance porte
reconnaissance des salariés ? Quelles sont sur l’effort, l’engagement et les risques
les meilleures pratiques à cet effet ? encourus ;
Pourtant, ici, le problème est mal posé, – les compétences. Il s’agit ici de recon-
ce qui conduit non seulement à ne pas naître par exemple les savoir-être dans
pouvoir le résoudre, mais, de manière le souci porté à autrui, la qualité de la
bien plus préoccupante, à l’aggraver. La relation ;
psychanalyse, notamment lacanienne, – la personne. Dans cette conception
peut nous aider de manière significative existentielle de la reconnaissance, il s’agit
à nous y retrouver. d’exister « aux yeux de » son chef, ses
collègues, ses clients ; d’être rassuré,
UNE NOTION FOURRE-TOUT réconforté.
Au préalable, regardons de plus près ce Une telle variété devrait nous alerter.
qui se cache derrière la demande de recon- Comment reconnaître tous ces éléments
naissance. Celle-ci porte généralement la fois ? D’autant que ces différents points
sur des choses très différentes : revendi- s’opposent parfois. Les outils mis en
cations de salaires, de statuts, mais aussi place pour reconnaître les résultats peu-
de façon plus diffuse sur la personne elle- vent aller à l’encontre de ceux destinés
même, le « respect » et la dignité auxquels à reconnaître les efforts puisque malgré
chacun a droit. Objet insaisissable, elle est ces derniers il arrive que les résultats ne
à la fois individuelle et collective, concerne suivent pas. Mais alors, qu’est-ce que la
autant la personne que le travail et peut reconnaissance ?
être financière comme « symbolique ».
Elle renvoie généralement à une attente UN TONNEAU DES DANAÏDES
de reconnaître : Les psychanalystes sont fortement concer-
nés par la question de la reconnaissance,
et pas seulement au travail, que les sujets
viennent sans relâche poser et reposer dans
leurs cabinets. Derrière la reconnais-
Bénédicte VIDAILLET sance, c’est la question du lien à l’autre,
de sa possibilité, de ses malentendus, celle
Professeure agrégée des Universités aussi du sujet et de son désir, qui se
Université Paris Est Créteil, psychanalyste, Lille. posent. La psychanalyse nous enseigne

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

notamment que ce questionnement n’est même. Le « moi » du sujet se précipite est reconnu par l’Autre que se pose en
jamais définitivement résolu pour le sujet (au sens employé en chimie), prend consis- même temps l’énigme insoluble de ce
et qu’il serait illusoire d’imaginer un sys- tance, au prix d’une double aliénation : le qu’il est pour Lui. Cette impossibilité,
tème prétendant la régler une bonne fois sujet « se reconnaît » dans une image qui liée à la nature même du langage, met
pour toutes. Essayons de comprendre lui apparaît initialement comme celle d’un son désir en route. Dans cette optique,
pourquoi. autre ; cette reconnaissance passe d’abord le fameux « besoin de reconnaissance »
Le psychanalyste Jacques Lacan définis- par la reconnaissance par l’Autre. Pour est impossible à résoudre définitivement
sait le sujet par son « manque-à-être » : Lacan, cet Autre est l’Autre symbolique : puisque la reconnaissance par l’Autre
au départ, le sujet existe mais n’a pas d’es- même s’il s’agit d’une personne réelle, rouvre toujours une forme d’énigme pour
sence (1). C’est ce qu’expérimente cha- celle-ci parle, utilise des mots qui ren- le sujet. Le processus est dialectique.
cun face à la vertigineuse question de savoir voient à un ordre plus vaste, préexistant Pour employer une métaphore, on pour-
« ce qu’il est », « qui il est ». S’il existe à l’enfant, avec ses règles et ses lois rait comparer la demande de reconnais-
une infinité de méthodes (tests de per- propres, qui lui a indiqué une place, avant sance au tonneau des Danaïdes, impos-
sonnalité, typologies de comportement, même sa naissance, dans une filiation sible à rendre étanche. Il y a toujours un
astrologie…) pour y répondre, c’est que (son nom) et dans le désir de ses parents. « trou » dans le tonneau de la recon-
chacune passe toujours immanquable- Cette opération de reconnaissance, qui est naissance.
ment à côté de la réponse. Une tentative fondamentale, se reproduit régulière- Le problème – l’arnaque, même – est
essentielle de répondre à cette question ment, notamment à chaque fois qu’un nou- alors de faire comme s’il était possible
est de la poser sous la forme suivante : veau mot est « collé » sur le sujet pour de répondre au « besoin de reconnais-
« Que suis-je pour l’Autre ? » Dans le le désigner : lorsqu’il est amené à occu- sance » une fois pour toutes. Or c’est
vocabulaire lacanien, l’Autre s’écrit alors per une nouvelle place, qu’il acquiert un ce que prétendent faire des outils de
avec un A majuscule, pour le distinguer nouveau titre, un nouveau grade, un nou- management contemporains.
de ce « petit autre », double de soi, rival, veau statut, il devient par exemple
modèle, voisin, celui qui nous ressemble « mari de » ou « femme de », « père » LA FAUSSE RÉPONSE
ou dont on cherche à se distinguer. Bien « mère »… Il faut alors qu’à son tour il DU MANAGEMENT
au contraire, l’Autre, le grand Autre, a un parvienne, par le regard de l’Autre, à Sous prétexte d’y répondre, certaines
statut particulier et asymétrique pour le faire correspondre une image à cette pratiques managériales alimentent ainsi
sujet, puisque c’est à ses yeux et par sa place qui lui est donnée dans le système la plainte sur la reconnaissance, voire
bouche que le sujet essaie d’être reconnu, symbolique. l’aggravent. Examinons de plus près ce
c’est-à-dire d’avoir la confirmation de ce L’Autre, en passant par le langage, attache paradoxe à partir des systèmes d’évalua-
qu’il est dans son désir, et pour lui. ainsi des mots à l’image. Or ceux-ci ne tion individualisée de la performance
Pour comprendre cela, revenons à la peuvent être définis que par d’autres mots. appuyés sur la fixation d’objectifs chif-
fameuse scène du stade du miroir célèbre Le sujet a beau être reconnu comme « ceci », frés (chiffre d’affaires, taux d’activité,
dans l’enseignement de Lacan. Vers l’âge ou « cela », « untel » ou « une telle », il volume de clients, indice de publica-
de 12 à 18 mois environ, l’enfant ne se ne sait pas pour autant « qui il est » ni « ce tion…) sur lesquels les salariés sont éva-
reconnaît dans « je », ne s’éprouve comme qu’il est ». C’est ici que se constitue quelque lués individuellement et récompensés
« je », qu’au moment où l’image de lui qui chose d’essentiel dans la subjectivité : d’un (sous forme de primes, promotions…)
lui est tendue dans le miroir est authen- côté le sujet est nommé, et de l’autre il n’a et/ou sanctionnés. Ces systèmes se déve-
tifiée comme étant « lui » par un Autre (un pas accès à ce que signifie ce par quoi il loppent dans toutes les organisations : à
adulte référent à ses côtés). Il a tout est nommé. Le sens de qui il est pour l’hôpital par exemple, certains services
d’abord besoin du regard de l’Autre, puisque l’Autre, ce qu’il est dans le désir de l’Autre, d’urgence sont évalués sur le temps d’at-
c’est via ce regard que se constitue son est définitivement perdu. Mais c’est préci- tente par patient soigné, ce qui conditionne
moi. Il a également besoin de la voix et sément dans cet interstice que peut se les moyens du service mais également les
des mots de l’Autre qui le confortent : loger le désir du sujet lui-même, alimenté primes attribuées aux soignants et chefs
« Regarde, c’est bien toi, là. » Le langage par ce manque fondamental. de service (2). Ces outils sont souvent « ven-
vient se superposer à l’image, le sujet Le paradoxe de l’opération de reconnais- dus » avec, entre autres, l’argument sui-
peut relier son prénom à une image de lui- sance apparaît : c’est lorsque le sujet vant : on pourrait satisfaire en continu le
besoin de reconnaissance du salarié en
lui donnant un retour objectif, juste et per-
À lire. Évaluez-moi ! Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination manent sur son travail, via une note et
L’évaluation a fait l’objet de nombreuses critiques de spécialistes du travail. Pourquoi alors des « signes de reconnaissance ».
continue-t-elle de se développer dans tous les secteurs d’activité ? Cet essai passionnant Certes, avec ces systèmes, nul doute que
propose une réponse : les salariés veulent être évalués, parce que cela leur promet de l’Autre semble être là. On pourrait même
résoudre des problématiques qui se posent à chacun au travail. Ainsi l’évaluation semble-t- dire qu’on est dans un « excès d’Autre ».
elle offrir une reconnaissance nécessaire à l’équilibre psychique. Mais elle fonctionne comme – D’une part, le propre des systèmes
un piège. En montrant à partir de nombreux exemples concrets sur quels ressorts psychiques d’évaluation contemporains est en effet
l’évaluation joue pour nous séduire alors qu’elle contribue grandement à détruire notre désir de s’appuyer sur des dispositifs parti-
de travailler et notre relation à l’autre, cet essai tranchant et fouillé donne aux salariés les culièrement sophistiqués supposés maté-
moyens de cesser de s’y plier.
rialiser le regard de l’Autre : il s’agit des
• B. Vidaillet, Seuil, 219 pages. appareillages technologiques et outils

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

informatiques destinés à « capter » et à est « vraiment » pour l’Autre. Mais c’est Nous avons vu que dans le stade du
intégrer un ensemble de données concer- précisément ce mystère qui fait surgir miroir, il fallait que le sujet ait été
nant les évalués tout à fait gigantesque. le désir du sujet. reconnu dans l’ordre symbolique pour
L’omniprésence du regard peut aussi se Au contraire, dans le système d’évalua- pouvoir se reconnaître dans sa propre
matérialiser par les auditeurs des démarches tion individualisée de la performance, la image, cette reconnaissance restant

“ Le problème – l’arnaque même – est de faire comme s’il était


possible de répondre au “besoin de reconnaissance” une fois pour toutes.
Or c’est ce que prétendent faire des outils de management contemporains. »

qualité, par les « clients mystères » char-


gés d’évaluer très méthodiquement le
service proposé, ou encore par les ques-
tionnaires de satisfaction donnés systé-
matiquement aux clients ou aux patients
place du sujet n’est pas définie au préa-
lable. C’est la note obtenue à l’évaluation
qui est censée indiquer la position du sujet
par rapport à d’autres sur une échelle. Elle
la détermine provisoirement : il n’y a pas
partiellement insatisfaisante. Dans le
champ du travail, la seule reconnais-
sance qui vaille, c’est-à-dire qui soit
capable de lester suffisamment le sujet,
est celle d’ordre symbolique passant par
pour recueillir leur avis. de places différenciées, distinctives, aux- la nomination, le fait d’être à un poste,
– D’autre part, l’Autre se manifeste dans quelles le sujet serait, quoi qu’il arrive d’avoir un statut, en un mot d’avoir une
l’évaluation par l’équivalent d’une parole et quoi qu’il fasse, associé ; la place de place garantie. La seule manière de ne
portée sur le salarié : l’Autre ne se contente chacun se joue et se rejoue sans fin sur pas rouvrir en permanence le trou de la
pas de « voir » ce que fait et produit la base des évaluations constantes dont reconnaissance est d’attribuer une place
celui ou celle qui travaille, il y porte une il fait l’objet ; chaque place est relative au sujet. Cette place reconnaît l’individu
appréciation, une note, lui attribue une et provisoire (c’est une position plutôt en lui-même et confirme qu’il s’y trouve
grandeur, qui peut ensuite être traduite qu’une place), elle ne définit rien. Il n’y parce qu’il en a les capacités, a réussi
en primes, cadeaux, promotions… et est a donc pas d’inscription du sujet dans le un examen, un concours, un recrute-
censée dire quelque chose d’essentiel Symbolique et par conséquent, il n’y a ment, possède une expérience… Cette place
sur le salarié, et notamment en quelle pas de reconnaissance possible. l’inscrit dans une histoire : il a un passé
mesure il correspond ou non aux attentes Si l’on reprend la métaphore du tonneau et un avenir, qui se lisent au travers des
portées sur lui. des Danaïdes de la reconnaissance, impos- fonctions occupées. Celle qu’il occupe à
Cela ne vous rappelle rien ? Le sujet ne sible à rendre étanche, on voit que plus un moment donné n’a pas vocation à
sait rien de lui et seul le regard et la on prétend évaluer, a posteriori, ce qu’a effacer les précédentes mais au contraire
parole de l’Autre lui permettraient de se effectué l’individu et le récompenser en à leur succéder au sein d’une trajectoire
reconnaître, en l’occurrence dans la note fonction, plus on élargit le trou. C’est professionnelle. Il s’agit donc d’une recon-
attribuée ou le retour qui lui est donné aux- un cercle vicieux. Car moins les condi- naissance de place, ou par la place. À par-
quels il s’identifie. Ne s’agirait-il pas là tions de la reconnaissance par l’Autre tir de là, le travail peut se faire sans que
d’une autre version de la scène du miroir ? sont réunies, plus la demande de recon- l’individu soit incessamment en quête
Ce serait aller bien trop vite en besogne… naissance augmente, s’intensifie, et plus d’un regard extérieur porté sur lui et ce
car précisément, il manque quelque chose le sujet dépend de la parole et du regard qu’il fait. Il peut tirer une satisfaction du
de fondamental à cette configuration de de l’Autre pour lui dire « ce qu’il est », travail lui-même, parce que son résultat
l’évaluation pour qu’elle fonctionne comme « ce qu’il vaut »… Plus ses bases iden- n’est pas susceptible de remettre en
la scène expliquée par Lacan. titaires sont fragilisées, plus son angoisse question en permanence sa place dans
Dans cette dernière, il est essentiel que existentielle augmente, et avec elle la l’organisation.
le sujet ait au préalable été reconnu par fameuse « plainte » relative au manque
l’Autre, qui lui a attribué un nom, un de reconnaissance. Il s’agit donc d’une LE RÔLE DES PAIRS
prénom, a défini son sexe, lui a attribué fausse opération de reconnaissance. Quand la reconnaissance par la place a
une place (fils de, fille de, sœur de…) pour eu lieu, celle du travail lui-même vient « en
qu’il puisse alors se reconnaître dans UNE PLACE DANS L’ORGANISATION plus », comme un élément certes non
l’image qui lui est tendue. Ces attribu- Si la question de la reconnaissance est négligeable, mais auquel celui qui l’effec-
tions ne sont pas provisoires, et généra- en partie insoluble, la seule chose que tue n’est pas sans cesse rivé. Elle se pro-
lement, elles sont même définitives. La peut faire l’organisation est d’éviter que duit souvent par le biais des pairs, de
reconnaissance symbolique permet la cette problématique ne devienne trop ceux qui font le même travail et vont
reconnaissance imaginaire. Bien sûr, centrale pour le sujet. Que pourrait être confirmer plus ou moins discrètement la
comme nous l’avons déjà dit, cette recon- une organisation dans laquelle l’énergie tâche réalisée, de manière plus ou moins
naissance est insuffisante à combler le psychique de ceux qui travaillent ne serait attendue, parfois totalement imprévisible.
manque-à-être du sujet et même, elle pas absorbée par la demande d’« être • Prenons le cas par exemple de ce
fait émerger le mystère de ce que le sujet reconnu » ? conducteur de train chevronné de la

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

SNCF, Michel, qui forme un élève conduc- autonomie plus élevée, semblent peu s’en suffisamment forte pour ne pas avoir
teur. Michel arrive en gare du Nord, d’un préoccuper : ainsi 62 %, soit presque les besoin de signes permanents supposés
abord réputé difficile qui oblige les deux tiers, ne répondent pas à cette ques- objectiver sa valeur.
conducteurs à freiner en plusieurs fois. tion ou déclarent qu’ils ne savent pas.
« Je me souviens avoir donné un grand Plus précisément, à la question « Votre tra- EN CONCLUSION
coup de frein, car j’arrivais assez vite. Et vail est-il reconnu à sa juste valeur? », 42 % Lorsqu’il n’y a pas de cadre symbolique
puis j’ai desserré par petits à-coups. Le des médecins répondent ne pas savoir ou pour lester les personnes qui travaillent,
jeune élève observait tous mes gestes, ne répondent pas. Ils semblent donc glo- leur donner un statut associé à une place
et quand nous sommes arrivés aux trois- balement assez peu sensibles à l’idée que bien identifiable, ou bien que le cadre existe
quarts du quai, ne restant alors qu’une leur administration ou leur chef de service mais ne permet pas de donner une place,
vingtaine de mètres à parcourir, il me dit : se fait d’eux, et semblent même assez la lutte pour se « faire reconnaître »
“Dis donc, l’ancien, champion ton coup embarrassés par la question de leur recon- risque d’absorber, vainement, une grande
de frein ! Un seul coup de frein pour naissance. partie de l’énergie psychique des sujets.
s’arrêter en gare du Nord, chapeau !” À l’inverse, pour les paramédicaux, plus Or, c’est ce qui se produit dans de nom-
Effectivement, je me suis soudainement encadrés, moins autonomes et plus breuses entreprises, dans lesquelles les
rendu compte que j’avais ainsi bousculé dépendants de leur hiérarchie, la ques- réorganisations permanentes, le dévelop-
des tabous. Je venais de faire un arrêt tion paraît faire sens et être importante. pement de la polyvalence, le culte de la
à Paris d’un seul coup de frein. (…) On peut déduire de cette enquête que mobilité et de la flexibilité, l’invocation
J’étais quand même très fier de moi et plus les personnes qui travaillent dis- systématique du changement, justifiés
je dis à mon jeune : “Tu as vu un ancien, posent d’autonomie dans leurs pratiques par l’impératif d’augmenter sans fin les
comment ça bosse ! Prends-en de la et se sentent légitimes, moins elles sont objectifs de croissance et de rentabilité,
graine !” Sur ces paroles, nous avons susceptibles d’être sensibles à la problé- concourent à faire disparaître l’idée d’une
bien rigolé. » (3) Le conducteur prend matique de la reconnaissance et à recher- structure symbolique suffisamment stable
soudain conscience que ce qu’il fait de cher une visibilité auprès de leur hiérar- pour affecter des places différenciées et
manière tacite est en fait exceptionnel chie, une meilleure mise en avant de déterminantes, auxquelles les personnes
et relève d’une compétence forgée par leurs « performances »… Ainsi, pour la puissent se référer identitairement. S’il
des années de pratique. Mais le plus plupart des médecins, l’évolution dans y a un combat à mener, au lieu de gémir
intéressant ici est que cette découverte la carrière impose le franchissement sans cesse de ne pas être suffisamment
aurait pu ne pas se produire : elle arrive d’étapes successives, marquées par des reconnu, c’est bien celui d’une structure
comme un « cadeau » pour le conduc- concours, des changements de statuts bien symbolique à maintenir coûte que coûte.
teur, comme un élément qui lui fait réel- balisés et ritualisés (externe, interne, Une structure organisationnelle qui ne
lement plaisir sans qu’il l’ait pour autant chef de clinique, praticien hospitalier…) soit pas pensée comme une variable
attendu ni qu’il ait été dépendant d’une ainsi qu’une hiérarchie clairement iden- d’ajustement permanente mais bien au
telle appréciation. Sa place au sein du tifiée. Le compagnonnage est également contraire comme un préalable garantis-
groupe des conducteurs, sa légitimité présent lors de nombreuses étapes, ce sant les sujets de leurs fondements pour
dans son métier (il est formateur, ce qui qui permet, lentement mais sûrement, pouvoir travailler.
atteste de fait son expérience et ses d’accompagner l’évolution et l’accroisse-
compétences) lui permettent de se recon- ment progressif de légitimité. Ce déve-
naître suffisamment dans ce qu’il fait sans loppement s’inscrit dans un cadre sym-
qu’il attende avec angoisse ou excitation bolique porté par une longue tradition, 1– Lacan, Le Stade du miroir comme formateur de la fonc-
un jugement extérieur censé lui révéler opérant sur un territoire précis, enca- tion du Je : telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience
quelque chose d’essentiel sur lui. dré par des règles strictes et même par psychanalytique, Revue française de psychanalyse, T 13,
• Prenons un autre exemple. À la ques- certaines lois, contrôlé par de nom- n° 4, octobre 1949, p. 449-455.
tion de savoir s’ils s’estiment correctement breuses instances (universitaires, éta- 2– Cf. Les recherches passionnantes du sociologue Nico-
évalués par leur hiérarchie, des soignants tiques…). Tous ces aspects sont essen- las Belorgey, L’hôpital sous pression, la Découverte, 2010.
d’un service d’urgence répondent de tiels si l’on veut comprendre comment 3– G. Fernandez, F. Gatounes, P. Herblain, P. Vallejo, 2003,
manière très contrastée (4). Les paramé- se mettent en place les conditions per- Nous, conducteurs de train, Paris, La Dispute, 2003, p. 39.
dicaux s’estiment très majoritairement mettant à un professionnel d’asseoir pro- Cf. également Y. Clot, Le Travail à cœur, Paris, La Décou-
correctement évalués, alors que les méde- gressivement sa légitimité et surtout verte, 2010.
cins, qui disposent d’un statut et d’une d’intégrer une identité professionnelle 4–Nicolas Belorgey, 2010, op. cit.

Résumé : Les personnes en burn-out évoquent souvent un manque de reconnaissance dans leur travail. Mais de quoi parle-t-on ? Cette notion fourre-
tout peut porter sur les résultats, l’effort fourni, les compétences, la personne… En proposant un petit détour par la psychanalyse, l’auteur éclaire d’une façon
nouvelle ce besoin, et montre pourquoi les outils de management contemporains, censés répondre à ce besoin, l’aggravent.

Mots-clés : Autre – Évaluation – Interprétation psychanalytique – Management – Reconnaissance professionnelle – Relation


entre pairs – Stade du miroir – Travail.

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ANNONCE DICO PSY A4.pdf 1 18/08/2014 13:14

VIENT DE PARAÎTRE
EXISTE EN VERSION EBOOK
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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Le burn-out, une patho l


Problème individuel, le burn-out peut aussi être envisagé
comme un mal de la société postmoderne. Il reflète le culte
du toujours plus et de la performance, démultiplié par des
technologies qui imposent des temporalités folles.

Je voulais écrire un livre sur l’âme, Qu’est-ce que le burn-out, sinon une
notion essentielle et désuète, et plus pré- conséquence de ces régimes effrénés ? Ses
cisément sur l’âme aujourd’hui… Mais symptômes de fatigue, d’anxiété, de stress
voyant autour de moi, dans beaucoup d’en- ingérable, de dépersonnalisation et de
vironnement professionnel, un des destins sentiment d’incompétence dressent le
contemporains de l’âme : être brûlée, en portrait de personnes qui ont trop donné,
anglais to burn-out, c’est-à-dire s’épuiser, sans recevoir ce dont elles avaient besoin.
ne plus pouvoir avancer, j’ai voulu com- Elles se sont souvent oubliées, sans tou-
prendre ce qui lui arrivait et pourquoi. jours avoir le choix de faire autrement.
Ma thèse est que le burn-out est une C’est le travail qu’il faut défendre. Au
pathologie de civilisation. Il n’est pas seu- fond de ce trouble, il n’y a pas un désir
lement un trouble individuel qui affecte de paresse. Les personnes affectées ont
certaines personnes mal adaptées au sys- été consciencieuses, ardentes, dures à la
tème, ou trop dévouées, ou ne sachant pas tâche. C’est d’ailleurs en partie leur pro-
(ou ne pouvant pas) mettre des limites à blème. Mais ces qualités prouvent que la
leur investissement professionnel. Il est aussi pire erreur serait de rabattre le débat sur
un trouble miroir où se reflètent certaines l’opposition entre l’activité et l’oisiveté. Le
valeurs insoutenables de notre société : son travail est une valeur qui est source d’éman-
culte du plus, du trop, de la performance, cipation. Son organisation est d’emblée poli-
de la maximisation, tout cela démultiplié tique. La « coopération » qu’il institue, pour
par des technologies qui imposent souvent reprendre le terme de Christophe Dejours (1),
leur temporalité à l’homme. est une école où s’apprennent les manières
Le syndrome du burn-out n’est pas uni- de vivre ensemble.
quement un problème individuel. Il appa- La question du sens, longuement tue,
raît plutôt lié aux questions du progrès, refait alors surface avec toute la vigueur
de la technologie et des envies qui par- d’une requête insistante qu’on n’a pu
courent notre ère d’expérimentation. Dans étouffer. Qu’est-ce qui importe vraiment ?
l’air du temps se lisent les signes d’une Où est le centre ? Quelle est la valeur de
frénésie étrange, à la fois inquiétante et cette vie ? L’œuvre au noir du burn-out est
© Christian Fafet, No Face C n° 22 (détail), 2009.

excitante. Les humains se voient modi- souvent douloureuse à traverser. Mais si


fiés par leurs outils. Le système imprime elle a pu engendrer ces questions, et
sa marque sur leurs mentalités et leurs donner le courage de les considérer sans
espoirs. concession, elle n’aura pas été vaine.

LES ORIGINES DE LA NOTION


Le terme « burn-out » est utilisé pour la
première fois dans un sens psychologique
Pascal CHABOT aux États-Unis par Herbert J. Freudenber-
ger (2). Dans les années 1970, ce psy-
Philosophe, enseignant à l’Institut des hautes chologue exerce dans une free clinique
études des communications sociales (Ihecs), Bruxelles. (établissement gratuit) de New York

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

logie de civilisation

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

où un personnel, souvent bénévole, accueille L’ADAPTATION PARFAITE ? sont des œuvres culturelles importantes,
et cherche à aider des toxicomanes. Pour Dans son essai l’Éloge du carburateur (4), conduit à la création d’un « milieu tech-
ces derniers, to burn-out signifie « se Matthew Crawford raconte son expérience nique » complexe, auquel chacun doit
cramer ». professionnelle de compilateur d’articles s’adapter. Ce milieu a ses lois et ses exi-
Or Freudenberger s’est vu, lui aussi, scientifiques. Il avait d’abord 5 articles gences, menant à ce que le sociologue
épuisé et même « cramé ». C’est là que à résumer par jour, puis 8, puis 15… Hartmut Rosa a nommé « l’accélération »,
la métaphore de l’incendie prend son Sommé de toujours accélérer, il s’appa- (5) devenue source d’aliénation. Pour en
sens : l’individu sent en lui un vide se rentait à un frère lointain du Charlie Cha- sortir, nous avions avancé le thème de la
propager, aussi rapide qu’un feu, aussi plin des Temps modernes, quoique dépourvu « polychronie » (6).
étrange qu’une flamme. Il devient ce de gestuelle comique, car la chaîne de Il y a une autre façon de dire la dangero-
vide, cette terre brûlée. montage ressemblait plutôt, dans sa tête, sité d’un désir continuel de perfection,
On distingue dans ces cas trois aspects à un chaos de termes savants. qui mise tout sur une adaptation parfaite,
qui permettent de reconnaître un burn-out : Crawford a toujours voulu s’adapter au sys- sans se soucier d’épanouissement. Quel est
– d’abord une dimension d’épuisement : tème, mais il a vite compris que cela ne en effet le modèle d’un comportement
c’est la plus visible, car elle est la pre- pouvait être une fin en soi. Le burn-out parfaitement adapté, mais qui ne se sou-
mière réaction au stress. Il peut s’agir d’un est le miroir d’une adaptation devenue cie en rien de la réalisation de soi? La seule
sentiment d’énorme lassitude, ou davan- absurde et frustrante, car elle ne vise réponse convaincante est : le fonctionne-
tage encore, d’une incapacité à agir. plus qu’elle-même. Il est le piège d’un ment d’un objet technique. Quand on
– ensuite, une dimension de déperson- perfectionnisme impossible. L’histoire de exige d’une personne qu’elle opère avec
nalisation, dont l’apparition de jugements Crawford et de ses résumés peut être lue perfectionnisme mais sans question, on est
cyniques est le meilleur révélateur. comme la tentative d’un homme de bonne souvent inconsciemment guidé par le désir
– enfin, une troisième dimension est l’in- volonté pour s’acclimater au mieux à des de la faire ressembler à une machine,
efficacité. contraintes qui, chaque fois qu’elles com- fiable, polyvalente et sans état d’âme. La
mencent à être supportables, évoluent rivalité entre l’humain et la machine hante
UN ANCÊTRE, L’ACÉDIE vers plus de difficulté. Dans son cas, le l’inconscient de nos sociétés.
Au Moyen Âge, l’acédie (3) fut pour l’Église management avait prévu de ne jamais le
ce que le burn-out est au monde de l’en- laisser souffler et de profiter de chaque PROGRÈS UTILE ET PROGRÈS SUBTIL
treprise : un affect redouté qui touche l’in- signe d’adaptation pour lui poser ce que À l’origine, le burn-out affectait surtout les
dividu, mais qui sape aussi la foi dans l’on appelle un nouveau défi. professions d’aide : le personnel soignant,
le système, ce qui explique qu’il soit pris Dans beaucoup de cas de burn-out, ces les enseignants et les éducateurs. C’est par
au sérieux. Car l’acédie n’est pas une difficultés d’adaptation se traduisent la suite que les cadres, les employés et les
paresse comme les autres : elle est le burn- aussi par un sentiment de course perpé- ouvriers, viendront grossir ces rangs.
out du moine qui affecte sa vie surnatu- tuelle contre la montre. Le temps s’est On peut se demander pourquoi ces pro-
relle et ses relations avec Dieu. métamorphosé en une denrée dont l’épui- fessions d’aide ont été en première ligne.
L’acédie a été traitée avec effroi, car elle sement est source d’inquiétude. L’indi- Les premières explications soulignent
est la paresse de Dieu. Elle surprend, vidu a l’impression de ne jamais pouvoir qu’aider, c’est voir souffrir, et se confron-
parmi les moines, les perfectionnistes de souffler, de ne jamais profiter du temps. ter à l’imperfection et au défaut. La mala-
la foi aux tâches réglées et aux prières quo- Pour cette dimension aussi, le parallèle die induit toujours du stress. Les difficul-
tidiennes, qui ne reculent ordinairement avec notre civilisation techno-scienti- tés scolaires d’un enfant peuvent être
pas devant un jeûne supplémentaire, mais fique, est incontournable. Car notre époque lourdes de conséquences. Il n’est pas
qui, parfois, s’effondrent. Dans ces cas, a produit de nombreux objets techniques anodin de remarquer que ces métiers
comme aussi dans de nombreux épisodes destinés à nous faire gagner du temps d’aide sont exactement les mêmes que
contemporains de burn-out, la croyance alors que, pourtant, nous trouvons fré- ceux dont Freud (7) disait qu’il s’agissait
dans le système est définitivement ébran- quemment que nous en manquons, au de « métiers impossibles », comme édu-
lée. Le burn-out est toujours une remise point que nous devons aller plus vite, cou- quer, soigner ou gouverner. Ce sont des
en cause des valeurs dominantes. On rir et nous agiter, simplement pour conti- métiers où l’on peut, dit-il encore être,
peut dire qu’il engendre les nouveaux nuer à exister. C’est que la multiplication « d’emblée sûr d’un succès insuffisant ».
athées du techno-capitalisme. des technologies, qui individuellement Dans ce contexte, le burn-out confirme son
rôle de miroir des dysfonctionnements de
l’époque. Il est un symptôme de la diffi-
À lire. Global burn-out culté de soigner, éduquer et civiliser le sujet
Cet ouvrage établit un constat : avant d’être un problème individuel, le burn-out est d’abord une dans une société technicienne. Le trouble
pathologie de civilisation. Marquée par l’accélération du temps, la soif de rentabilité, les tensions contemporain a lieu dans ce qui nous est
entre le dispositif technique et des humains déboussolés, la postmodernité est devenue un piège le plus précieux, et on peut dire, dans cette
pour certaines personnes trop dévouées à un système dont elles cherchent en vain la ligne, que le burn-out atteste un épuise-
reconnaissance. Mais ce piège n’est pas une fatalité. Face aux exigences de la civilisation ment de l’humanisme.
postmoderne, on peut se demander comment transformer l’œuvre au noir du burn-out afin qu’il Dans le sillage de mes précédentes ana-
devienne le théâtre d’une métamorphose, et que naisse de son expérience un être moins fidèle lyses (6), j’ai voulu voir dans le burn-out
au système, mais en accord avec ses paysages intérieurs.
un symptôme du conflit profond qui, aujour-
• Pascal Chabot, PUF, perspectives critiques, 2013, 147 pages. d’hui, oppose deux formes de progrès.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

– Le progrès utile fonctionne par capitali- entreprise, évoluent en fonction de la


sation, et de manière linéaire. Chaque manière dont ils sont perçus. Les priver de
acquis peut être la source d’un nouvel toute considération en oscillant entre déni-
investissement ou d’une nouvelle découverte. grement, mépris et ignorance, c’est attaquer
Le caractère exponentiel du progrès techno- le cœur de leur personne et saper leur
scientifique s’explique en partie de cette façon : confiance en eux-mêmes. Les pathologies
le mieux engendre du toujours du mieux. les plus graves peuvent en découler. Car des
– Par contre, le progrès subtil ne connaît stratégies conscientes de méconnaissance
pas d’accroissement par capitalisation. sont organisées dans certains milieux.
Dans cette dimension, il faut toujours reve- Dans une grande partie de la philoso-
nir à zéro, repartir des singularités des indi- phie allemande, la notion de reconnais-
vidus. C’est le cas dans tous les métiers de sance est devenue centrale. Elle est un
l’humain (comme l’éducation, la santé ou de ces termes qui fédèrent le nouvel
les ressources humaines), et c’est là qu’in- humanisme dont a besoin, comme anti-
tervient le burn-out, qui peut être un symp- dote, l’âge techno-capitaliste. Comme
tôme du conflit entre les deux progrès. La Hegel l’a vu, la reconnaissance est une
sphère fragile de l’humain connaît une lutte. Ce combat, aujourd’hui, a pris des
pression énorme de la part des puissances formes multiples. La reconnaissance fait
techniques et économiques. Elle ne peut l’objet de la concurrence la plus redou-
se prévaloir de résultats aussi manifestes table. Et si l’insistance des humains à être
qu’une usine performante. On n’y fait pas reconnus est aujourd’hui si forte, c’est parce
de profit direct, on ne peut y prétendre à qu’ils font face à des puissances de
des rendements énormes. Au contraire, le dépersonnalisation très importantes.
subtil frôle toujours le néant. Mais il est aussi De manière pratique, reconnaître l’autre
le lieu où l’humain se montre dans toute et reconnaître son humanité, notamment
sa grandeur, à la fois fragile et puissant. par la parole, s’avère toujours fondamen-
tal pour construire des relations profession-
LE BESOIN DE RECONNAISSANCE nelles saines.
La soif de reconnaissance paraît la plus par-
tagée des passions contemporaines. Dans BURN-OUT AU FÉMININ
les cas de burn-out, les plaintes pour déni La sociologue Pascale Molinier (8) s’est
de reconnaissance sont fréquentes. La intéressée à la situation actuelle des
reconnaissance est une contrepartie sym- femmes dans le monde du travail qui les
bolique au travail fourni. Elle se présente confronte, de même que les hommes,
comme l’aveu qu’un sujet contribue bel et aux trois dimensions analysées précé-
bien à l’organisation du travail, et que, demment, à savoir l’essoufflement du
sans sa participation, des tâches reste- perfectionnisme, l’épuisement de l’huma-
raient inachevées. Elle est ensuite une nisme et la course à la reconnaissance.
gratitude pour l’apport fourni, une sorte Mais selon elle, pour chacun de ces
de remerciement fondamental qui ne thèmes, le télescopage de singularités
concerne pas une action particulière, mais féminines et du machisme inhérent à
salue plutôt le fait que telle personne passe certains environnements de travail, ren-
une partie de sa vie à travailler pour autrui. force les problèmes et augmente donc les
Dans les cas de burn-out où l’une des risques de décompensation.
causes soulignées est le manque de recon- Molinier est sensible au caractère encore
naissance, la transformation de la souffrance très masculin de certains environnements
en plaisir ne se fait plus. Le sujet en reste de travail. L’ingénieur blanc a été insti-
à sa fatigue et ne parvient plus à la valo- tué, selon ses mots, comme « l’étalon de
© Christian Fafet, No Face B n° 63 (détail), 2009.

riser. Son sens lui échappe, et c’est comme l’intelligence », en même temps peut-être,
s’il était alors deux fois épuisé : de faire, faut-il ajouter, que son talon d’Achille. Les
d’abord, de faire en vain, ensuite. Les hommes dominants, dit encore Molinier,
causes en sont multiples. Elles peuvent être « ont progressivement empli le monde des
intrapsychiques. Certaines personnes, trop concrétisations de leur intelligence abs-
dures avec elles-mêmes, parcimonieuses traite : chiffres, ratios, diagrammes, régu-
voire avares dans leur jouissance, sont larités quantifiées, systèmes complexes,
incapables de quitter la sphère de la souf- robots, plans rationnels et stratégiques,
france pour gagner celle du plaisir. programmes d’action, nouvelles techno-
La reconnaissance est centrale dans la logies de la communication ». Il en a
construction identitaire. Les individus, en résulté ce qui est peut-être le trait domi-
société ou dans le microcosme d’une nant de notre époque, ce grand sérieux

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

qui est comme une chape sur la planète toute-puissance d’un système. Une parenté Être équilibré, c’est pouvoir être déséqui-
et qui, sous couvert de tolérer quelques secrète lie entre eux tous ces symptômes libré sans tomber. Telle pourrait une
divertissements qui lui profitent, exige en de civilisation, de même qu’elle rapproche conclusion, sur un plan personnel.
réalité de chacun qu’il s’incline devant les les individus sensibles qui, à travers les âges, Mais sur un plan global, on perçoit que nous
nombres, obtempère aux diktats écono- auraient souhaité voir chez leurs contem- avons aujourd’hui besoin d’un nouveau
miques et accepte que la vie soit dure. porains un peu plus de raison et de dignité. pacte, qui serait un contrat technologique
De nombreux spécialistes estiment que La condamnation du système est la pierre affirmant que le but à préserver est l’être
les femmes sont souvent en première ligne angulaire de ces états mentaux. humain et la biosphère, au service duquel
dans les cas de burn-out. Plusieurs expli- Il semble qu’aujourd’hui, le burn-out soit doivent travailler les logiques de dévelop-
cations peuvent être avancées pour le devenu le nom contemporain de ce trouble. pement en abdiquant leur violence.
comprendre. La difficulté de faire ses Malaise dû à l’excès, au stress, à la perte J’ai l’impression que c’est en vue de ce
preuves dans un monde parfois très mas- de sens, au diktat de la rentabilité, à la pacte qu’il faut agir, car il est l’expres-
culin peut amener certains individus à difficulté de porter des valeurs humanistes sion d’un humanisme compatible avec les
vouloir toujours en faire plus, dans une sorte dans un système technocratique, il est le progrès utiles dont bénéficie notre civi-
de course au perfectionnisme. Molinier révélateur des aspects sombres de l’orga- lisation, mais mettant aussi au centre
évoque ces femmes qui ressentent incons- nisation contemporaine du travail. ce qui me paraît le plus important : les
ciemment qu’elles sont en « dette » par Si l’on accepte de regarder les choses de progrès subtils de l’humain.
rapport à une entreprise, peut-être parce cette manière, l’expression « pathologie
qu’on leur a fait comprendre que c’était de civilisation » prend un sens plus pré-
une faveur d’engager une femme. Elles cis : elle est une maladie de la relation
compensent alors par un déploiement entre l’individu et la société, dont la res-
anormal d’énergie ce qu’elles croient lui ponsabilité ne peut être attribuée totale-
devoir. Pour certaines, la perfection se ment ni à l’un ni à l’autre. Les patholo-
présente parfois comme la meilleure issue, gies de civilisation sont globales et se
puisqu’elle semble victorieuse sur tous nourrissent autant de petits faits que
les tableaux : totalement femme, entière- d’une atmosphère générale. La postmo- 1– Christophe Dejours, Travail vivant. 2. Travail et éman-
ment active. Mais c’est oublier que son prix dernité, comme toutes les époques inté- cipation, Paris, Payot, 2009.
peut être élevé. Il faut aussi souligner, ressantes, est marquée par la plus haute 2– Freudenberger H., L’Épuisement professionnel. La brû-
pour comprendre les chiffres plus élevés ambiguïté. Aucun manichéisme ne lui lure interne, Québec, Gaétan Morin éditeur, 1987.
de burn-out chez les femmes que chez les convient, car une condamnation globale 3– L’acédie est une dépression se manifestant par un
hommes, que ce sont elles, encore trop sou- des sphères techniques et économiques dégoût de vivre, une indifférence affective, de l’inhibition
vent, qui doivent rendre compatible la vie apparaîtrait la moins crédible des réponses et même de la peur, considérée par les théologiens du
professionnelle avec la vie familiale, ce à cette maladie de civilisation. Moyen-Âge comme un péché car volontairement entretenue
qui peut parfois ressembler à deux véritables par le sujet. In : Dictionnaire de psychiatrie et de psycho-
plein-temps… De même, ce sont souvent EN CONCLUSION pathologie clinique, J. Postel, Larousse, 1998.
elles qui s’investissent dans ces métiers de J’ai également voulu placer cette étude 4– Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du
l’humain, dont on a pu voir qu’ils pou- sur le burn-out sous le signe de la méta- travail. Matthew Crawford. La découverte, Cahiers libres, 2010.
vaient être plus difficiles en raison de ce morphose, c’est-à-dire de la possibilité d’un 5– Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théo-
que Freud appelait le « succès toujours insuf- changement. La prise de conscience phi- rie critique de la modernité tardive, Paris, La Découverte,
fisant », c’est-à-dire l’impossibilité de la losophique et l’élucidation des circons- 2012.
perfection. tances de ce problème, peuvent, me 6– Après le progrès, P. Chabot. PUF, 2008.
semble-t-il, contribuer à ouvrir la voie à 7– L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, S. Freud. In :
UN TROUBLE CONTEMPORAIN des améliorations. On le voit dans de Résultats, idées, problèmes, T. 2, PUF, ed. 1985, p. 263.
Chaque époque développe sa propre patho- nombreuses entreprises, où les questions 8– L’énigme de la femme active. Égoïsme, sexe et compas-
logie de civilisation : la mélancolie au du bien-être au travail sont prises en sion. P. Molinier. Payot, 2003.
XIXe siècle, la neurasthénie au début du XXe, compte. On le voit aussi chez certains indi- 9– Par exemple, Kafka dans Le Procès, Huxley dans Le Meilleur
ou plus tard, dans l’entre-deux-guerres, la vidus, qui accordent plus de crédit à la des mondes et Orwell dans 1984 montrent leurs pitoyables
paranoïa si visible dans les écrits de Kafka, question de l’équilibre, qui ne peut être héros broyés par des organisations anonymes, cruelles par
d’Huxley et d’Orwell (9), qui disaient la nourri que de déséquilibres… idéologie.

Résumé : Le burn-out ou épuisement professionnel touche des individus dépassés par leur tâche. On peut également y voir une pathologie de civi-
lisation. Dans une perspective sociologique, l’auteur, philosophe, montre comment la société postmoderne, marquée par l’accélération du temps, le dictat
des technologies… pousse à l’épuisement certaines personnes.

Mots-clés : Civilisation – Épuisement professionnel – Organisation – Performance – Question de société – Reconnaissance


professionnelle – Relation homme femme – Syndrome d’adaptation – Technologie – Travail.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

« Toute ma vie,
j’ai voulu être utile »
Victime de conditions de travail dégradées et violentes, Mathilde, la cinquantaine, souffre
de burn-out. Une consultation spécialisée « Souffrance et travail » lui permet d’analyser
les processus à l’œuvre dans l’organisation pathogène de l’entreprise mais également
dans son histoire personnelle.

Selon ses propres termes, certaines situations professionnelles qui sur un mode somatique (accidents vas-
Mathilde (1) se présente « tard » à la consul- l’empêchent de dormir sereinement, et culaires cérébraux, crises cardiaques…),
tation Souffrance et travail (voir enca- d’une phobie du lieu de l’entreprise. Elle ou encore, des conduites suicidaires ?
dré). Elle a « beaucoup attendu », car elle éprouve des difficultés à retranscrire avec Mathilde travaille dans le secteur finan-
« ne sait plus où elle en est ». Elle se dit précision la chronologie des événements cier et bancaire. Son entreprise, c’était
« perdue ». Effectivement, le regard et ressent une tristesse intense. Un syn- « comme une histoire d’amour », la pre-
hagard et, dès les premières minutes, drome anxio-dépressif se surajoute à ce mière et la seule, puisqu’elle y était
embué de larmes, Mathilde ne comprend tableau clinique, entraînant un senti- entrée à l’âge de vingt ans. « Il m’a fallu
pas ce qui lui arrive. Elle est en arrêt de ment de culpabilité, une honte et un attendre cinquante-trois ans pour m’aper-
travail depuis quinze jours, et son méde- jugement sans appel sur son « incapacité » cevoir qu’on m’avait menti, que je ne
cin traitant l’a mise sous antidépres- professionnelle. Cette autodévalorisation méritais aucune reconnaissance ». Cette
seurs, car elle ne pensait plus qu’à mou- est telle que Mathilde a le sentiment entreprise, au départ plutôt « familiale »,
rir. Cela ne lui est jamais arrivé. qu’elle ne s’en « sortira jamais ». où il faisait bon vivre et où existait du lien
Sa parole est confuse : « J’ai le cerveau social avec les clients, s’est vue sauva-
embrouillé », dit-elle. « UNE HISTOIRE D’AMOUR » gement rachetée par un grand groupe
Mathilde présente tous les signes d’un burn- En psychopathologie traditionnelle, nous financier. Derrière cette « fusion-acqui-
out consécutif à plusieurs chocs trau- interrogerions les liens du sujet à son sition » se cachent des logiques de rachats
matiques aigus, sur fond de surmenage histoire, la répétition des situations et des extrêmement meurtrières, s’apparentant
professionnel. rôles, pour en dégager des modes de à la « conquête » de marché. En clair, les
Elle dit se « sentir vide », « ne plus avoir fonctionnement psychiques récurrents. salariés de l’entreprise achetée sont « les
goût à rien », ne plus trouver de sens, se Dans notre consultation, nous ajoutons la vaincus », qui doivent se plier à une nou-
sentir désormais inutile au travail. Elle pré- dimension de la clinique du travail. Sans velle culture, des nouveaux process, voir
fère s’isoler. « Je suis incapable, je ne suis écarter une réflexion sur la participation leur direction se faire limoger pour lais-
pas parvenue à gérer cette agence, c’est de l’individu à ce qui lui arrive, notre ser la place aux « vainqueurs ». Ces
de ma faute », répète-t-elle régulière- valeur ajoutée est d’interroger le système périodes de rachat sont extrêmement
ment. Elle explique souffrir de trous de « organisation du travail », dans lequel éprouvantes pour les salariés de l’entre-
mémoire, de flash-back récurrents sur l’individu est broyé, à un moment donné, prise rachetée. Souvent, l’entreprise
sans avoir conscience des processus en acquérante ne daigne même pas mettre
jeu et de la violence engendrés sur les en place de processus d’accompagne-
travailleurs, jusqu’à créer des troubles ment au changement, au motif que « l’hu-
psychosociaux en chaîne. main s’adapte à son environnement ». De
Ariane BILHERAN Que s’est-il passé, dans l’organisation du façon très cynique, ces modes de mana-
travail, qui a conduit Mathilde, comme beau- gement peuvent entraîner des départs et
Normalienne, psychologue clinicienne, coup de ses collègues, à subir des troubles des démissions, ce qui permet de renou-
consultante et présidente de la société psychosociaux graves, comme le burn- veler le personnel ou, tout simplement,
de conseil Sémiode. out, la dépression, des décompensations de « dégraisser la masse salariale »…

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Dans ce contexte, que s’est-il passé pour et mentir aux clients jusqu’à la fermeture C’est alors qu’une étrange proposition lui
Mathilde ? définitive de l’agence. est faite. Il s’agit de reprendre un poste
Son directeur d’agence est parti, lui aussi C’en est trop. Mathilde s’effondre, pour de « simple » conseillère de clientèle,
victime d’un burn-out, sans doute lié aux plusieurs raisons : dans une agence située à 80 km de chez
pressions de la nouvelle direction et à – cette agence, qu’elle a portée à bout elle, sous les ordres d’un directeur connu
ses exigences démesurées. Mathilde a de bras, va être fermée, en dépit de tout pour son tempérament harceleur. Mathilde
donc assuré l’interim, exerçant deux bon sens, puisqu’elle fait l’un des meilleurs juge cet homme « incompétent, carriériste,
métiers à la fois, celui habituel de conseillère chiffres de la région. Cela entraîne un sen- opportuniste ». Elle sait qu’ils ne pour-
de clientèle, et celui de directrice d’agence timent d’incompréhension, d’injustice et ront pas s’entendre. D’ailleurs, ce supé-
qu’elle ne connaît pas. Elle a tout de de colère ; rieur hiérarchique l’a avertie : « Je reprends
même accepté cette charge, mue par une – cette agence est fermée dans la préci- tous tes gros portefeuilles clients », et
forme d’héroïsme : « Il fallait bien que pitation, ce qui prive Mathilde de la pos- l’a déjà humiliée devant autrui.
l’agence tourne, pour les clients. » sibilité de prendre du recul et de poser Mathilde refuse ce changement. La direc-
On retrouve là un des traits saillants du des décisions sereines ; tion lui propose alors un poste dans une
burn-out au travail : il touche des popu- – les clients sont méprisés par une entre- autre agence, mais cette fois sans bureau !
lations extrêmement investies dans leur prise qui les prend en otage. Cette déci- Mathilde comprend qu’elle est devenue
vie professionnelle, concernées par l’image sion heurte les valeurs et l’éthique pro- indésirable. Elle sollicite néanmoins un
et la culture de l’entreprise, et avec une fessionnelles de Mathilde, pour qui les entretien avec les ressources humaines,
forte éthique. « Je n’ai jamais compté mes clients sont au cœur du travail, et l’ob- au cours duquel on lui reproche « sa
heures », ajoute Mathilde, qui s’est donc jet d’un service au sens noble, allié à mauvaise foi », et « sa résistance au
mise, comme toujours, au service de son un profond respect. Ce cynisme choque changement ».
entreprise. profondément sa sensibilité ; Mathilde fond en larmes, rencontre la
Mais c’est sans entrevoir l’orientation de – Mathilde doit se charger du déména- médecine du travail qui l’oriente vers
la nouvelle direction, désireuse de se gement, c’est-à-dire qu’elle doit mettre son médecin traitant. En urgence, il lui
débarrasser des « anciens », qui coûtent en œuvre une décision incompréhensible, prescrit des antidépresseurs, un arrêt de
trop cher, sont trop imprégnés par la cul- absurde et amorale de son point de vue. travail, et l’envoie vers notre consultation
ture de l’ancienne entreprise et ont déve- Bien entendu, elle souffre là d’un conflit spécialisée.
loppé un fort esprit critique. On ne peut de loyauté ;
pas leur faire tout accepter… – Mathilde doit dissimuler la nouvelle aux « LES AUTRES Y ARRIVENT BIEN… »
Mathilde assure donc les deux fonctions clients, ce qui exige une attitude contra- Nous entreprenons alors un travail régu-
de façon concomitante et fait tourner dictoire. Elle doit en effet orchestrer ce lier avec Mathilde, afin qu’elle sorte de
l’agence. Elle n’en reçoit aucune recon- déménagement auquel elle ne souscrit son état de sidération et retrouve ses
naissance, ni morale, ni symbolique, ni finan- pas sans en informer les clients, ce qui facultés. Elle est tiraillée entre sa
cière. « Cela ne me dérangeait pas, je est contre son éthique professionnelle et conscience, ses valeurs, qui lui comman-
savais qu’ils ne me paieraient pas pour exer- la désignera d’ailleurs directement à la dent de ne pas perdre son intégrité, et
cer les fonctions de directeur par intérim, vindicte, puisque les clients risqueront un sentiment de culpabilité intense, car
d’ailleurs je n’attendais pas d’argent. » bien de lui attribuer ce comportement, « les autres se soumettent, et pas moi,
Certes, mais cette absence de reconnais- et de l’en incriminer. je dois avoir un problème ». Mathilde
sance fragilise Mathilde, en surmenage, qui Mais ce n’est pas tout. Mathilde s’entend souffre beaucoup du rejet, seul son ancien
voit peu à peu s’écorner son image d’elle- très bien avec un collègue, avec qui elle collègue la soutient. Les autres se sou-
même au travail. La charge devient de a tenu l’agence durant plusieurs mois. mettent effectivement, et le mot d’ordre
plus en plus importante, et elle ne parvient Suite à des pressions majeures de la part est de ne plus la contacter.
plus à tout absorber, ce qui la conduit à de la direction, ce dernier quitte l’entre- Nous engageons sur plusieurs mois un tra-
travailler en « mode dégradé » et au sen- prise et retrouve rapidement un emploi. vail de type analytique. Nous pouvons
timent d’échec qui s’ensuit. Mathilde est désormais seule, avec un en extraire la maltraitance organisation-
sentiment d’isolement face à la « barba- nelle mais aussi un surinvestissement
« SEULE FACE À LA BARBARIE » rie » ambiante. au travail. Cela nous mène à enquêter sur
Le premier choc traumatique aigu pour
Mathilde intervient au terme de huit mois
d’investissement acharné dans cette situa-
À lire. Se sentir en sécurité.
tion. Par téléphone, on la prévient que Comment se protéger de l’anxiété, de la peur et du stress
l’agence va fermer deux semaines plus tard. Si la société n'offre plus d'appui ni de reconnaissance, chacun doit pouvoir se créer un espace
Les clients ne doivent pas en être aver- intérieur de sécurité. Protéger son intimité, savoir dire non, choisir ce qui est bon pour soi,
tis. Ils découvriront l’agence fermée, ce échapper au stress et aux personnes toxiques, ou juste s'offrir un peu de repos psychique : ce livre
qui les obligera à se rabattre sur l’agence montre comment, à l'aide de méditation et d'exercices simples, il est possible de se créer, dans la
de la même enseigne située non loin de vie professionnelle et familiale, un nid psychique douillet où l'on se sentira en sécurité, un havre
là. Ils n’auront ainsi pas le temps de par- de paix intérieure où l'on reviendra à volonté pour se ressourcer, se renforcer, se recentrer. Des
tir à la concurrence. Mathilde doit se
exercices audio accompagnent la lecture de cet ouvrage : visualisation, autohypnose et
méditation à pratiquer régulièrement.
charger de déménager elle-même les
locaux (vider les bureaux, faire les cartons…) • A. Bilheran, Paris, Payot, 2013, 208 pages.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

© Christian Fafet, No Face B n° 39, 2009.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Les consultations spécialisées Souffrance et travail


La souffrance au travail nécessite une prise en charge adaptée, car psychologues du travail, médecins du travail, psychiatres… Ils
le travail est un facteur pathogène en soi, structuré selon des répondent néanmoins tous au même référentiel de
processus psychopathologiques susceptibles d’enclencher une psychopathologie du travail et de psychodynamique du travail, ainsi
souffrance psychique et des troubles somatiques, davantage connus qu’à une déontologie garantissant la confidentialité des échanges.
sous le terme « troubles psychosociaux » (voir encadré ci-dessous). À qui s’adresse la consultation ?
Ils doivent être interrogés, tout autant que le sujet humain, pour La consultation s’adresse à toute personne qui se sent en souffrance
œuvrer à la résolution de cette souffrance et de ses conséquences, dans son travail, souhaite y voir clair et trouver des chemins pour s’en
parfois extrêmement graves (suicides). sortir. Elle s’adresse donc autant à un ouvrier, un infirmier, un cadre
Organisées en réseau, une centaine de consultations spécialisées commercial qu’à un chef d’entreprise.
existent en France. Elles ont pour objectifs de :
Quels sont les tarifs ?
– Permettre à la personne d’identifier et de comprendre sa
Le tarif dépend du professionnel et du cadre de la consultation
souffrance
(public/privé). Les consultations de médecins sont prises en charge
– Replacer la santé comme une priorité absolue
par la sécurité sociale, et les psychologues peuvent être remboursés
– Identifier l’origine, souvent multifactorielle de cette souffrance
pour tout ou partie par des mutuelles. Certaines demandes de
– Comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’organisation du
consultation peuvent être prises en charge par l’employeur, sur
travail (techniques de management pathogènes par exemple)
demande ou non de la médecine du travail.
– Connaître les droits
– Trouver une aide pragmatique et psychothérapeutique Descriptif du dispositif de la consultation
– Être efficacement orienté vers des professionnels dans une prise en • Anamnèse
charge pluridisciplinaire (avocat pour un conseil juridique ou la prise Il s’agit de retracer l’historique de la situation (historique de
en charge d’un contentieux, médecin pour un arrêt de travail ou une l’entreprise, parcours professionnel du salarié, chronologie de la
aide médicamenteuse, médecin du travail pour envisager une dégradation), afin d’identifier le contexte et les facteurs
procédure d’inaptitude, ostéopathe pour traiter les lombalgies dues déclencheurs.
au travail…). • Analyse de l’environnement de travail
– Envisager une stratégie de résolution de la situation (en interne, Cette phase permet d’identifier les modifications organisationnelles
saisir les délégués du personnel, les membres du Comité d’hygiène, (fusion/acquisition), les processus psychopathologiques dans
de sécurité et des conditions du travail (CHSCT)(1), les RH, en l’organisation du travail (techniques de management pathogènes,
externe, contacter l’inspecteur du travail, le médecin traitant…). surcharge ou sous-charge mentale de travail…), et d’analyser la
Qui sont les professionnels ? qualité du collectif en milieu de travail, ainsi que les vécus
Les professionnels sont avant tout reliés par une éthique émotionnels de la personne.
professionnelle, des valeurs et une vision commune des souffrances • Analyse des autres événements de vie éventuellement conjoints
relatives au milieu du travail et à leur résolution. Leur parcours et leur (deuil, divorce…)
sensibilité peuvent être hétérogènes : psychologues cliniciens, • Diagnostic psychopathologique de la personne
Nature des troubles (sémiologie), diagnostic clinique et explicitation
Les troubles psychosociaux au patient (syndrome de stress post-traumatique, burn-out,
Les troubles psychosociaux désignent une souffrance psychique pouvant dépression…).
occasionner des maladies psychosomatiques, ainsi que des difficultés tant
• Identification des modes de résolution de la souffrance à court,
relationnelles que comportementales dans le milieu de travail. Les risques
moyen et long terme
psychosociaux désignent le potentiel que de telles situations se produisent. Ils sont
à évaluer en amont. L’intensité, le cumul et la durée des risques psychosociaux sont
– En réseau pluridisciplinaire : prise de contact avec la médecine du
susceptibles d’engendrer des troubles psychosociaux se distinguant par leur travail, le médecin traitant, un avocat, mise en place d’une prise en
gravité. Car il existe une échelle, dans les troubles psychosociaux, allant du stress charge psychothérapeutique…
jusqu’au burn-out et aux idées suicidaires. Toute situation de souffrance au travail, – Transmission des informations au patient sur son état psychique,
si elle n’est pas traitée, est vouée à devenir plus sérieuse au fil des mois, pouvant les professionnels à contacter, les stratégies de résolution
mettre également en danger la compétitivité de l’entreprise. (…) Ainsi, l’individu envisagées. Aide à la prise de conscience et à la sortie de
n’est pas seul en soi : il est le produit du climat de son environnement et est
mécanismes de défense pathogènes (dénégation, banalisation…).
également responsable à son niveau de ses propres interactions avec cet
environnement. Le point de vue est appelé systémique, l’individu étant un point • Si le professionnel est spécialisé dans la prise en charge
du système que peut être l’entreprise, et au sein duquel des interactions ont lieu. psychothérapeutique, la consultation peut déboucher sur un
accompagnement psychologique.
• Adam, P., Bilheran, A. 2010. Risques psychosociaux en entreprise.
• En savoir plus : www.souffrance-et-travail.com
1– Le CHSCT a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des salariés, à l’amélioration des conditions de travail, de veiller à
l’observation des prescriptions légales en ces matières (Article L4612-1 du code du travail). En informant le CHSCT, parfois en même temps que l’inspecteur du travail, on commence
à donner une dimension collective au problème du salarié et à poser les questions sur les effets de l’organisation du travail, les responsabilités qui en découlent.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

son histoire familiale : si les symptômes Mathilde, en exerçant des pressions sur un espace pour retrouver du sens, ren-
dépressifs sont aussi violents et persis- d’anciens collègues afin qu’ils l’accu- forcer son intégrité, lui redonner le désir
tent, par-delà le burn-out, c’est bien sent de fautes professionnelles. Mathilde d’agir. Le travail psychothérapeutique a
parce que la maltraitance de l’entreprise souffre considérablement de la lâcheté et été le lieu pour analyser les processus à
lui évoque celle de sa mère, son rejet, sa de la soumission de ses anciens col- l’œuvre dans cette organisation du travail
froideur, sa dureté, tandis que la passi- lègues : « Je me sens punie, en prison pathogène, et se départir du sentiment
vité de ses collègues et leur soumission dans un château-fort dont je ne sortirai de culpabilité. Ayant repéré des répéti-
lui rappellent l’attitude de son père. jamais, car j’ai désobéi ». tions inconscientes, Mathilde considère
Mathilde a par ailleurs été mariée à « un S’appuyant sur son travail thérapeutique, désormais qu’elle a « bien le droit d’exis-
pervers narcissique », un homme qu’elle Mathilde finit par changer d’avocat. Dès ter pour elle-même, sans être systéma-
décrit être comme sa mère, froid, dur, et lors, l’horizon commence à se dégager, tiquement utile aux autres ». Elle ajoute,
violent physiquement. Elle a divorcé juste et une entente est enfin trouvée avec avec humour, qu’elle « n’acceptera plus
avant que son entreprise ne soit rachetée. l’employeur, afin que Mathilde quitte jamais de patron. »
Mathilde croise alternativement ces figures l’entreprise. Elle ne souhaite pas enga-
maltraitantes soit dans la vie privée, soit au ger un procès car elle sait que ce sera « le
travail, et c’est lorsqu’elle s’en est défaite pot de terre contre le pot de fer ».
dans sa vie privée que la maltraitance est Mathilde renaît doucement, entrevoit des 1– Le prénom a été changé.
arrivée par le biais du travail. projets, décide de s’occuper d’elle. Dans
Sa déception est immense, car « toute sa le même temps, elle apure ses relations
vie », elle a voulu être « utile » dans son familiales, et cesse de subir les sar-
travail. N’existant ni dans le regard de sa casmes de sa mère, en posant des limites
BIBLIOGRAPHIE
propre mère ni dans celui de son mari, il et de la distance.
– Bilheran A. (coll). 2010. Comprendre les troubles
fallait qu’elle existe au travers de son tra- Chaque jour couronne un petit exploit : psychosociaux par l’approche organisationnelle, in
vail. Sa désillusion est à la hauteur de ce aller se baigner en affrontant la honte de La souffrance au travail (coll.), Paris, Armand Colin.
surinvestissement. son propre corps (depuis l’annonce de la – Clot, Y., Gollac, M. 2014. Le travail peut-il devenir
fermeture de son agence, Mathilde a pris supportable ?, Paris, Armand Colin.
– Dejours, C. 2000. Travail, usure mentale. De la psy-
« JE ME SENS PUNIE » vingt kilos), consulter un médecin homéo- chopathologie à la psychodynamique du travail,
En même temps que le travail psychothé- pathe pour dormir mieux, voir un ostéo- Paris, Bayard éditions.
rapeutique, Mathilde enclenche une pro- pathe pour soulager son dos, ne plus – Dejours, C. 2012. Psychopathologie du travail, Paris,
cédure juridique pour négocier son départ répondre au téléphone lorsqu’elle ne le Elsevier Masson.
– Pezé, M. 2008. Ils ne mouraient pas tous mais tous
de l’entreprise, avec un premier avocat souhaite pas… Elle entrevoit l’avenir : « J’ai- étaient frappés, Pearson Éducation.
par lequel elle ne se sent absolument pas merais refaire ma vie à l’étranger. » Par-
soutenue. Elle a l’impression qu’il décon- fois, ce projet lui paraît irréalisable,
sidère le dossier mais elle ne parvient pas d’autres fois, il nourrit son désir. FILMOGRAPHIE
à s’en dégager, se sentant « trop cou- – Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés,
pable », « vilaine fille », qui ose attaquer CONCLUSION documentaire de Sophie Bruneau et Marc-Antoine
la « mère entreprise » en justice, société La crise traversée par Mathilde aura duré Roudil, ADR productions/Alter Ego Films, 76 mn, 2005.
qui l’a « nourrie » durant toutes ces années. près de trois ans, le burn-out apparent – La mise à mort du travail. La destruction, l’aliéna-
tion, la dépossession. Comment les logiques de ren-
Les processus pathologiques à l’œuvre cachant une dépression qui a trouvé ici
tabilité pulvérisent les liens sociaux et humains,
dans l’organisation du travail continuent. l’opportunité de s’exprimer et d’être prise série documentaire de J.R. Viallet, sur une idée
L’entreprise refuse une négociation amiable, en charge. La consultation spécialisée a originale de Christophe Nick, France Télévisions
et constitue un dossier calomnieux contre permis de l’accompagner, et de lui offrir Distribution, 2009.

Résumé : La consultation spécialisée Souffrance et travail propose une aide concrète (travail en réseau et prise en charge pluridisciplinaire) et psy-
chique à des personnes en souffrance sur leur lieu de travail. La psychopathologie du travail permet d’élargir le point de vue de la psychopathologie tradi-
tionnelle, en introduisant une réflexion sur les organisations du travail pathogènes et les impacts psychiques et somatiques sur les individus, sans pour autant
écarter une analyse des collusions entre l’histoire personnelle et le vécu dans l’entreprise. Illustration avec le cas de Mathilde, en burn-out lié à un rachat
de l’entreprise et masquant une dépression plus profonde et étant l’occasion pour la personne de mettre en lumière des répétitions inconscientes tout au
long de son histoire.

Mots-clés : Cas clinique – Clinique – Entreprise – Épuisement professionnel – Maltraitance – Psychopathologie – Psychothérapie –
Répétition – Traumatisme psychique – Travail.

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

« Je ne sers à rien »


Un matin, épuisé et paniqué, Dominique, médecin généraliste depuis vingt ans, est
incapable de se rendre à son cabinet. Il reprend confiance et dépasse ce burn-out grâce
à une thérapie comportementale et cognitive.

Le concept de burn-out reste Le mot burn-out est employé pour la pre- avec le burn-out, est plus important que
discuté et le diagnostic n’est pas réper- mière fois en 1969 par Harold Bradley (8). dans la population générale avec un sexe-
torié dans les principales classifications, Le psychologue Herbert Freudenberger le ratio identique, ce qui n’est pas habi-
la CIM-10 (1) et le DSM-5 (2). En effet, reprend, en 1974 à propos des bénévoles tuel. La dépression et le suicide apparais-
les corrélations entre troubles dépres- de son équipe (9). Il fait déjà clairement sent alors comme la conséquence ultime
sifs, troubles anxieux, fatigue chronique, le lien entre les aspirations, l’investisse- du burn-out.
troubles du sommeil, addictions et d’autres ment des soignants et les déceptions Devant l’ampleur du problème, les méde-
pathologies comme les troubles de la vécues dans le domaine du travail. cins se sont mobilisés. Des numéros verts
personnalité sont si importantes (3) que En 1996, Christina Maslach (10) pré- auxquels les praticiens peuvent faire
les experts n’ont pas tranché. Le burn- cise le concept avec la mise en évidence appel 24 heures sur 24 s’ils se sentent
out favorise-t-il la survenue de troubles de trois critères nécessaires pour poser en burn-out ou en danger en Suisse et en
psychiatriques ou inversement, les troubles le diagnostic (11) : France (18) ont été mis en place.
psychiatriques favorisent-ils le burn-out, – l’épuisement émotionnel, caractérisé Dans le traitement du burn-out, les thé-
cela reste en discussion. La « vérité » se par une fatigue importante, souvent mar- rapies comportementales et cognitives
trouve probablement dans les deux sens. quée dès le matin, évoquant la fatigue (TCC) ont fait la preuve de leur effica-
Un problème médical est pratiquement dépressive ; cité (19, 20, 21).
toujours une diathèse : la rencontre entre – le désintérêt pour les autres, voire le
un terrain (la personne, ses antécédents développement d’un cynisme par rap- UN GÉNÉRALISTE EXEMPLAIRE
génétiques, familiaux et personnels) et un port à la souffrance d’autrui. Le terme Le cas de Dominique, un généraliste de
contexte (dans le cas du burn-out, l’en- anglais depersonalisation a souvent été 56 ans, est typique du burn-out rencon-
vironnement de travail). traduit par déshumanisation. tré chez les médecins et exemplaire pour
À notre connaissance, cette pathologie n’est – la perte du sens de la vie profession- l’application de la psychothérapie. Je l’ai
reconnue officiellement qu’en Suède et nelle ; reçu en consultation alors que depuis
aux Pays-Bas. Il s’agit cependant d’une Ce syndrome se développe progressivement, un mois il ne pouvait plus se rendre à son
réalité clinique fréquente dans la popu- avec l’apparition dans un premier temps cabinet.
lation générale et particulièrement parmi de troubles émotionnels comme l’irritabi- Que s’est-il passé ? Un lundi matin,
les soignants (4). Les premières descrip- lité, l’anxiété puis la fatigue. Dans un Dominique s’est levé comme d’habitude
tions font d’ailleurs références aux infir- second temps, les symptômes concer- vers 6 heures et s’est préparé pour aller
mières. nant le désintérêt pour les autres et la perte travailler. Il s’est soudain senti très mal,
Le burn-out est indissociable du stress chro- du sens du travail apparaissent (12). Pour avec une tachycardie importante et le sen-
nique (5) dont il est l’évolution logique. d’autres chercheurs (13), le problème timent d’être en train de mourir. Son
Cette réalité est déjà décrite par Walter commence par le désintérêt pour autrui épouse, Chantal, a appelé les urgences.
Bradford Cannon (6) et Hans Selye (7) et évolue ensuite vers les troubles émo- Une ambulance l’a transporté à l’hôpi-
même si ces deux chercheurs n’utilisent tionnels puis l’épuisement. tal. Un bilan médical en particulier car-
pas le terme. Les professionnels du soin sont particu- dio-vasculaire n’a rien relevé de grave
lièrement touchés par le burn-out. Dans et Dominique a pu rentrer chez lui. Le
différents pays, des enquêtes (14, 15) mon- lendemain, au moment de se rendre à
trent clairement un taux important de son cabinet, des sueurs, une tachycar-
médecins souffrant de burn-out. Une die, un sentiment de malaise sont à
Charly CUNGI étude Suisse (16) indique qu’un praticien nouveau apparus. Un de ses amis, infir-
sur trois en médecine générale est concerné. mier installé en libéral non loin de son
Psychiatre, psychothérapeute FMH, Clinique Enfin, le risque suicidaire des méde- cabinet, lui conseille de s’arrêter et
Belmont, Genève. cins (17), au moins en partie en rapport l’oriente vers moi.

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© Christian Fafet, No Face A n° 12, 2009.


BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Les étapes d’une thérapie comportementale et cognitive


Apparues au début du XXe siècle, les Thérapies comporte-
mentales et cognitives (TCC) découlent de l’application de la
théorie et de la neurobiologie de l’apprentissage.
Les objectifs d’une TCC sont :
– d’une part, l’acquisition de nouvelles manières de percevoir, de
penser et d’agir dans le contexte où vit la personne, y compris
quand ce contexte change, ce qui est fréquent à notre époque.
– d’autre part, le maintien des acquis pour l’avenir et la préven-
tion des rechutes.
Une TCC est fortement structurée en différentes étapes
Chacune des étapes s’établit à partir de la précédente, sans l’an-
nuler. Une bonne métaphore est celle des poupées russes  :
chaque « poupée-étape » englobe et développe les acquis.
– La première étape consiste à établir avec le patient une rela-
tion de collaboration active ;
– la seconde étape est l’analyse fonctionnelle durant laquelle
thérapeute et patient construisent ensemble un modèle du pro-
blème et précisent les objectifs et les méthodes ;
© Christian Fafet, No Face B n° 120 (détail), 2009.

– la troisième étape est l’application des méthodes ;


– la dernière étape est l’évaluation du résultat.
Plan des séances de la psychothérapie
– Accueil du patient (lequel doit faire le lien avec la session pré-
cédente, par exemple : « Quel est le point le plus important que
nous avons traité la dernière fois ? »)
– Revue des tâches assignées (tâches convenues de faire entre
les séances de psychothérapie)
– Agenda de la séance  : définir l’objectif de la session et les
méthodes
– Travail de la séance
– Mise au point des tâches assignées pour la session suivante de méthodes bien validées sont des conditions majeures pour
– Résumé de la séance l’efficacité. Mais « le solfège et la pratique de l’instrument ne sont
– « Retour » sur la session, les impressions du patient et du thé- pas ennemis de la musique », au contraire : plus je possède les
rapeute, ce qui a été utile et ce qui ne l’a pas été. techniques plus je peux faire preuve d’imagination et d’adapta-
tion sans prendre de risque.
Les méthodes employées ont été l’objet, pour les thérapeutes,
d’un entraînement spécifique et font référence aux critères de Soulignons enfin deux principes directeurs :
l’evidence based medecine, la médecine basée sur des preuves : – Le respect de la règle éthique si importante en médecine  :
une bonne validation scientifique et la possibilité pratique de les « Primum non nocere »,
appliquer. – L’importance du principe de parcimonie, issu du rasoir
Un contrat précisant le nombre de séances, les objectifs et les d’Ockam (1) : « les multiples ne doivent être utilisés sans nécessi-
méthodes, est passé entre le patient et le thérapeute. Un nou- té  ». Les conceptualisations simples et les méthodes parcimo-
veau contrat est établi quand se présentent de nouveaux objec- nieuses font les meilleurs résultats. Complexifier est souvent plus
tifs, avec une nouvelle analyse fonctionnelle. « intéressant pour faire de jolies théories » la plupart du temps
inefficaces. Simplifier est bien sûr plus difficile. Certes, un être
L’évaluation est la règle : humain « simple » n’existe pas et la complexité ne peut pas être
– à court terme, chaque hypothèse, chaque application de réduite, par contre les problèmes, les projets et les méthodes
méthode est appréciée ; pour aller de l’avant le sont bien davantage.
– à moyen terme, et à la fin de la thérapie les résultats sont
mesurés ; 1– Le « rasoir d’Ockam » est un principe de raisonnement philosophique entrant dans
– à long terme le maintien des résultats et l’évolution sont éga- les concepts de rationalisme et de nominalisme. Ockam, in Encyclopédie de la philo-
lement évalués. sophie, 1176-1177, Vattino G, Ferraris M, Marconi D, Pochothèque, le livre de poche,
L‘organisation de la psychothérapie, l’entraînement systématique Paris 2002.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

– Dominique exerce depuis vingt ans, dans tout le monde est gâté et je participe au (22) apparaît : pessimisme sur soi-même,
une ville de moyenne importance. Sa “gâtage” général » ; « Je suis devenu un sur le contexte (profession, entourage…),
consultation est surchargée (au moins distributeur de médicaments et d’arrêts de sur l’avenir. L’anxiété est également
20 consultations par jour et parfois jus- travail » ; « A quoi sert de s’occuper des importante.
qu’à 35 et plus). Ses vacances d’été vieux, pour prolonger leurs souffrances ? »
durent rarement plus de deux semaines, Cette perte de sens envahit sa vie per- « JE NE SUIS PAS UN CAS ISOLÉ »
et il ne part jamais plus de quelques sonnelle et familiale : « Je ne vois jamais Ces premiers éléments sont recueillis au
jours dans l’année. mes enfants, ils ont grandi sans moi » ; cours du premier entretien, où s’établit
Il commence son travail tôt le matin, « Nous ne sommes plus un couple, sim- une alliance thérapeutique (23) sur les
vers sept heures, et termine rarement plement des colocataires. » « Si je n’avais diagnostics et la conceptualisation du
avant vingt et une heures. pas la charge familiale, j’arrêterais tout. » problème. L’hypothèse que nous formu-
Chantal, son épouse, assure la gestion du – Plutôt soucieux depuis toujours, comme lons ensemble est la suivante : l’engage-
cabinet : prise de rendez-vous, comptabi- d’ailleurs l’étaient ses parents, Dominique ment de Dominique dans ses études,
lité, administration. Le couple a deux enfants. dort mal depuis plusieurs années. Il pré- puis dans sa vie professionnelle, résul-
– Dominique m’explique qu’il a commencé sente à la fois des difficultés d’endormis- tait des vertus qui sont les siennes :
à exercer dès la fin de son internat, et a sement et des réveils vers quatre heures altruisme, ténacité, courage. L’anxiété
été rapidement débordé de demandes de du matin, un rendormissement difficile familiale préexistait au trouble et rend
soins. Il ne refuse jamais de recevoir un et un lever très pénible vers six heures compte en grande partie des craintes de
patient, ce n’est pas dans ses valeurs, et et demie. Il éprouve des difficultés pour refuser, et aussi de sa disponibilité conti-
apaise aussi sa crainte de « perdre des se concentrer et maintenir son attention, nuelle : peur de laisser passer un diagnos-
patients ». des troubles de la mémoire. Il a perdu tic, de ne pas avoir fait assez, des consé-
Chantal éprouve aussi beaucoup de réti- quatre kilos ces derniers mois, et n’a quences en cas d’erreur.
cence à refuser les demandes des patients, plus d’appétit. La surcharge professionnelle durant des
même quand elles n’ont aucun caractère – Épuisé, il est pessimiste sur lui-même, années a entraîné un épuisement com-
d’urgence. Dominique a la vocation ! les autres, le contexte et l’avenir. Des idées plet. « Le nez dans le guidon » en per-
Prendre soin des autres est prioritaire dans de mort et parfois suicidaires lui pas- manence a réduit le sentiment altruiste
sa vie. Au cours de ses études, il passait sent par l’esprit, par exemple lorsqu’il de Dominique et lui a fait perdre le sens
déjà une grande partie de son temps à l’hô- est au volant : « Si je rentrais dans cet de son métier. La dépression dans ce
pital. Mais avec l’âge, les pressions conti- arbre, je serai tranquille » ; « Un accident, contexte apparaît logique et alimente le
nuelles et la surcharge permanente ont ce serait le mieux… ». désespoir : pas de solutions autres que
érodé considérablement sa disponibilité. Dominique n’a plus goût pour rien, et disparaître.
– Dominique exerce son métier de façon même des activités habituellement plai- Je délivre à Dominique une information
plutôt solitaire. Il rencontre ses confrères santes ne l’intéressent plus. scientifique sur son syndrome. Je détaille
et d’autres professionnels de santé de – Ayant facilement accès aux médica- les trois critères du burn-out selon Chris-
façon épisodique, uniquement lors de ments, en prescrivant « pour son épouse » tina Maslasch, que l’on retrouve aisément
soirées de formation médicale continue. ou « ses parents », il a tout essayé : les dans sa problématique, mais également
– De plus en plus fatigué, Dominique a perdu antidépresseurs, les anxiolytiques et les le modèle de Robert Karasek et Thores Theo-
l’intérêt qu’il portait aux patients. Ceux- neuroleptiques. Il prend un antidépresseur rell (24) sur les trois points constitutifs
ci sont même devenus un « poids ». Il sérotoninergique en continu, et très réguliè- de la souffrance au travail : surcharge
se sent de plus en plus irrité, découragé, rement des benzodiazépines, parfois un neu- professionnelle, perte d’autonomie, manque
voire parfois hostile. « J’en ai marre de roleptique. de soutien et d’aide par les autres.
m’occuper de ces “tout m’est dû”, qui n’hé- – Dominique a arrêté de fumer depuis six J’indique également la fréquence du burn-
siteront pas une seconde à me coller un ans au moment de la première consulta- out des médecins, le taux de suicide.
procès si c’est rentable pour eux ! », tion, mais sa consommation d’alcool est Comme première tâche assignée, je lui
répète-t-il souvent. Son discours devient devenue plus importante. Souvent un double recommande un film sur ce thème, que je
cynique, envers les patients, l’adminis- whisky le soir lui sert de somnifère. lui remets sous la forme d’un compact-disc
tration, ses confrères et même l’humanité (25). Je conclus qu’il s’agit d’une patho-
en général : « Ils feraient mieux de tra- DIAGNOSTIC CLAIR logie bien connue et que les solutions
vailler, seuls les arrêts de travail les inté- Selon les critères de Christina Maslach, existent. Nous convenons également de la
ressent ! » ; « La Sécu ne fait que nous le burn-out de Dominique est assez évi- nécessité de maintenir l’arrêt de travail tant
emm… » ; « On ne peut plus compter dent et clairement relié à la surcharge de que le problème n’est pas réglé, ce qui sou-
sur les confrères, tout le monde se défile… travail. Un trouble dépressif est également lage visiblement beaucoup Dominique.
Impossible de trouver un psychiatre pour repéré : humeur triste, fatigue, trouble du Les faits de bien identifier son problème,
un patient… » ; « L’homme est un loup sommeil, troubles cognitifs (difficultés de disposer d’une information, lui permet-
pour l’homme » ; « Ça ne vaut pas le coup pour maintenir son attention, troubles tent déjà de modifier sa manière de voir
de faire quelque chose pour l’être humain! »; mnésiques), perte d’appétit et amaigris- les choses :
« Tout le monde s’en fout ! »… sement, perte d’intérêt pour tout, y com- – « Il s’agit d’un burn-out, c’est clair et
À fond, sa vie professionnelle n’a plus de pris les activités habituellement plai- visiblement cela n’arrive pas qu’aux
sens à ses yeux : « À quoi je sers? »; « Nous santes et enfin des idées suicidaires. autres, mais nous sommes nombreux
sommes dans une drôle de civilisation, La triade cognitive dépressive de Beck dans ce cas. » [Je ne suis pas un cas isolé]

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

– « Ce n’est pas moi le problème, ni les


Tableau 1 – Synchronie autres, c’est le burn-out, qui est une
maladie. » [Attribution du problème à
Problème cible une maladie, pas à la personne]
Épuisement professionnel – « Il y a des solutions. » [Et donc de
l’espoir]

Anticipations « JE NE VOIS PAS DE SOLUTION »


Cela ne finira jamais ; autant tout arrêter. Trois jours plus tard, un second entretien
vise à effectuer une analyse fonction-
nelle afin de préciser :
– les buts de la psychothérapie ;
– les méthodes d’évaluation ;
Situation – les méthodes thérapeutiques ;
– le contrat pour un nombre de séances
Aller au travail
et leur rythme.
Pratiquée avec la grille SECCA de Jean
Cottraux (26), cette analyse fonction-
nelle comporte :
– une phase synchronique (voir tableau 1),
Émotions qui met en évidence de quelle manière
Angoisse très importante (jusqu’à l’attaque le problème cible est maintenu ou aggravé,
« ici et maintenant » ;
de panique) avec une forte composante
– une phase diachronique, qui organise les
physique (tachycardie, facteurs historiques et éclaire la genèse
transpiration) ; épuisement. du problème cible (voir tableau 2).
Cette analyse fonctionnelle est un moment
crucial de la psychothérapie et doit être
renouvelée autant de fois que nécessaire.
À travers ce travail, la discussion avec Domi-
Croyances nique montre l’importance de la dépres-
Je dois être toujours disponible ; sion et du risque suicidaire :
Thérapeute (T.) : « Si cela continue comme
je ne peux pas refuser. ça, que va-t-il se passer ? »
Dominique (D.) : « Je ne vois pas de solu-
tion… Ça va mal finir… »
T. : « Vous pensez de plus en plus à en
finir, au suicide ? »
D. : « De plus en plus. »
T. : « Donc autant prendre le temps de
Comportement Pensées automatiques bien traiter le problème, l’arrêt de travail
Se forcer puis Je suis nul ; j’ai tout raté ; je ne me vous a déjà soulagé, autant le maintenir,
« tomber malade ». suis même pas occupé de mes la thérapie est prioritaire maintenant : dans
nos métiers il vaut mieux être un cordon-
enfants ; le monde est pourri ; nier bien chaussé… »
l’homme est un loup pour l’homme ; D. : « Effectivement… De toute manière
il n’y a pas de solution, je ne tiendrai je n’ai pas le choix, ou je fais ça ou ça
finira mal, je n’ai rien à perdre. »
pas, il vaudrait mieux que tout
Dans ce court dialogue, je n’hésite pas
s’arrête ; cela n’a pas de sens. à mettre à plat le problème tel que Domi-
nique le vit, particulièrement son vécu de
Entourage désespoir et les idées suicidaires, et j’in-
Chantal [épouse] anxieuse, siste sur la priorité de la psychothérapie
n’arrive pas à refuser et sent par rapport à la reprise du travail. Cette
façon de procéder installe confortablement
impuissante. Également le cadre du soin.
surchargée de travail mal Trois autoévaluations, réalisées avec les
reconnu : cabinet, enfants. échelles de burn-out de Maslach (27), de
dépression de Beck (22) et de l’anxiété
trait-état de Spielberger (28), confirment

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

les diagnostics de burn-out, de dépres-


sion et de trouble anxieux. Tableau 2 – Diachronie
Le programme thérapeutique découle
logiquement de l’analyse fonctionnelle Données structurales possibles
et des priorités mises en évidence.
Génétiques : parents anxieux, craignant pour l’avenir
DÉPASSER LA DÉPRESSION Personnalité : les valeurs (ténacité, persévérance, courage, altruisme)
• Durant la première phase du traitement, je
propose à Dominique une thérapie cogni-
Facteurs historiques de maintien
tive de la dépression et de l’anxiété.
Cette étape comporte : Les valeurs des parents, l’importance de la réussite dans les études et de
– une phase comportementale de reprise la réussite sociale, le rôle des garçons qui doivent réussir, les filles doivent
progressive d’activités. Nous construisons élever les enfants (« Ma sœur est comme ma mère »)
ensemble un programme de sorties en
montagne avec son épouse et un planning
de bricolage à la maison, accompagnés de Facteurs déclenchants initiaux invoqués
l’évaluation de la maîtrise et du plaisir res- Surcharge de travail ; isolement professionnel (« À l’hôpital ça allait
senti pour chaque activité. Des entretiens
mieux ») ; tracasseries administratives ; prise de conscience du fait que
de couple sont régulièrement effectués,
afin de favoriser la communication entre les enfants ont grandi et de l’état dégradé de la vie familiale.
Chantal et Dominique et de définir leurs
objectifs communs. Un arrêt progressif des
benzodiazépines se passe bien.
Événements précipitant les troubles
– une seconde phase cognitive concerne Attaque de panique inaugurale, impossibilité de retourner au travail
les manières de percevoir et de penser malgré la volonté, sentiment dépressif de plus en plus marqué.
les choses. Le questionnement socratique
en est l’outil principal. Dominique et Chan-
tal remettent assez rapidement en ques-
tion les pensées automatiques, ceci étant
Autres problèmes
bien sûr facilité par le fait de ne plus tra- Problème de couple, « Colocataires plutôt que couple » ;
vailler. Les croyances sur la nécessité de Position de père : « Je me sens malhabile ».
disponibilité permanente pour bien faire Tendance à boire de plus en plus d’alcool. Surconsommation de café.
son travail sont relativisées. L’engagement
familial particulièrement au niveau des
enfants et du couple est largement discuté.
Traitements précédents
REPRENDRE CONFIANCE Antidépresseur sérotoninergique continuellement, benzodiazépines
• La seconde phase de la thérapie com- pour se calmer et pour dormir, auxquels sont rajoutés alcool
porte un entraînement spécifique au
et café pour tenir le coup.
contrôle émotionnel, avec un programme
centré sur la relaxation rapide en situa-
tion. Avec Dominique, il s’agit d’un entraî-
nement à la cohérence cardiaque (29),
d’un apprentissage des « crises de calme » samedi de congé. Les temps de travail pour « tester » les méthodes : « Les choses que
(30) et la relaxation profonde (selon la la consultation, pour l’administratif (cour- l’on doit apprendre on les apprend en les
méthode de Benson, 31). rier, documents à remplir) font l’objet faisant », écrivait Aristote (32). Domi-
• La troisième phase de la thérapie est d’une attention particulière ; nique et Chantal s’exercent à utiliser leurs
centrée sur l’affirmation de soi, avec un – la mise en place de plages horaires nouveaux acquis dans le contexte pro-
entraînement en jeu de rôle. dédiées à la prise de rendez-vous et aux fessionnel.
• La quatrième phase de la thérapie consiste appels téléphoniques ; Dominique fait ainsi l’expérience que
à préparer la reprise progressive du tra- – la redéfinition du mandat profession- son travail est de meilleure qualité, qu’il
vail. Avec Dominique, différents outils nel : ce qui est nécessaire et/ou accep- en retire du plaisir et du sens. La fatigue
sont utilisés : table ou non, l’intérêt de prendre le temps est prise comme un signal indiquant la
– une méthode de résolution de problème de soigner vraiment… ; nécessité de se reposer ou de réfléchir sur
lui permet d’aborder les choses diffé- – l’apprentissage de techniques pour dif- ses causes afin d’en tenir compte de
remment et concrètement ; férer une consultation, refuser un arrêt modifier la conduite à tenir.
– la réorganisation de la charge de tra- de travail ou un certificat, demander des • La cinquième et dernière phase de la thé-
vail. Ses journées sont planifiées, avec des efforts au patient… rapie consiste à participer à un groupe
horaires et un emploi du temps pour la La reprise de travail d’abord à mi-temps de thérapie cognitive basée sur la pleine
semaine, particulièrement le jeudi et le est utilisée comme un laboratoire pour conscience (Mindfulness Based Cognitive

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

Therapy, 33), deux heures hebdomadaires 1– CIM 10, Classification Internationale des maladies, 10e 19– Therapy of the burn-out syndrome (17 studies ), Korc-
durant huit semaines avec comme objec- édition, OMS Genève. zak D., Wastian M., SchneiderM, GMS Health Technol
tif la prévention des rechutes dépres- 2– DSM-5 Diagnostic and statistical maual of mental disor- Assess. 2012.
sives et une meilleure gestion du stress. ders, fifth edition, American Psychiatric Association, 2013. 20– Stressmanagement als Burn-out-Prophylaxe (Preven-
3– Voir l’excellente revue faite par Ulrich Michael Hemme- tion of burn-out by stress management) Günthner A., Batra
EN CONCLUSION ter : Treatment of burn-out : overlap of diagnosis, in Bah- A., Bundesgesundheitsblatt Gesundheitsforschung Gesund-
La TCC de Dominique a été réalisée au rer- Kohler S., Burn-out for experts, Springer New York, 2013 heitsschutz, 55(2):183-9.2012.
cours de 32 consultations individuelles 4– Burn-out syndrome in an international setting, Javier Carod- 21– Take charge : patients’ experiences during participa-
ou en couple, 8 sessions de groupe pour Artal F., Vásquez-Cabrera C. in Bahrer- Kohler S., Burn-out tion in a rehabilitation programme for burn-out Fjellman-
la pratique de la pleine conscience. Ces for experts, Springer New York, 2013 Wiklund A., Stenlund, Steinholtz K. Christina Ahlgren C.,
séances se sont étalées sur seize mois. 5– Savoir gérer son stress, Cungi C., éditions Retz, Paris Rehabil. Med ; 42: 475–481.2010.
La reprise du travail a démarré après une 2005, Pocket 2013. 22– Cognitive therapy of depression, Beck AT., Rush AJ.,
année de prise en charge. Relevons que 6– The Wisdom Of The Body, Cannon W. B. WW. Norton Shaw BF, Emery G., Guilford Press, New-York 1979.
la participation active de l’épouse a consi- and Company, Inc. Ré édition 1963 23– L’alliance thérapeutique, Cungi C, Retz, Paris 2006.
dérablement facilité le processus théra- 7– The stress of life, Selye H., New York : McGraw-Hill, 1956 24– Healthy work : stress, productivity and the recons-
peutique et modifié le fonctionnement du 8– Community based treatment for young adult offenders, truction of working life. Karasek, R. A., & Theorell, T., New
couple. Bradley HB., Crime and delinquency, 15(3), 359-370. York : Basic Books, 1990.
Des évaluations réalisées quatre ans après 1969. 25– Emission de télévision de la Ratio télévision Suisse
la fin de la thérapie montrent que les 9– Staff burn-out, Freudenberger HJ . Journal of social (TSR) : Mise au point, 12 février 2012.
bénéfices sont maintenus. Le traitement issues, 30, 159-165. 1974. 26– SECCA pour Stimulus emotion cognition comportement
antidépresseur et anxiolytique a été arrêté 10– Burn-out : recent developments in theory and research. anticipation. Cottraux J, Bouvard M, Legeron P, Méthodes
et la consommation d’alcool n’est plus que Maslach C., Marek T., Schaufelin W., CRC ed. new york. et échelles d’évaluation des comportements, ed. EAP,
conviviale. 1996. 1985.
Dominique a ainsi pu bénéficier d’un 11– Burn-out, the cost of caring, Maslach C., Malor book, 27– The Maslach burnout inventory : manual edition, Mas-
soutien thérapeutique relativement court, Los Altos 2003. lach C, Jackson SE., Palo Alto, Consulting Psychologists Press;
qui a profondément modifié sa manière 12– Controlling stress and tension. Girdin D., Everly G., Dusek 1986.
d’appréhender son métier et au-delà, sa DE., Needham Heights, MA Allyn & Bacon, 1996. 28– Adaptation canadienne-française de la forme révisée
vie. Aujourd’hui il a acquis une certaine 13- Stress in organisation, Toward a phase model of burn- du State–Trait Anxiety Inventory de Spielberger., Gauthier,
distance et sait se préserver, tout en out, Golembiewski RT., Munzenrider R., Stevenson JG., J., Bouchard S., Canadian Journal of Behavioural Science/Revue
étant satisfait de son travail. Praeger, New York, 1986. canadienne des sciences du comportement, Vol 25(4), Oct
14– Burn-out syndrome in an international setting, Javier 1993, 559-578.
Carod-Artal F., Vásquez-Cabrera C. in Bahrer- Kohler S., Burn- 29– Cohérence cardiaque, Cungi C, Deglon C., Retz, Paris
out for experts, Springer New York, 2013 2014.
15– Burn-out among french general practitioners Cathébras 30, 31– Savoir se relaxer, Cungi C., Limousin S., Retz
P, et col., Presse Med 2004 ; 33:1569-74 Paris, 2013.
16– Psychosocial and professional characteristics of burn- 32– Éthique à Nicomaque, Aristote, Flamarion, Paris 1998.
out in Swiss primary care practitioners : a cross-sectional 33– Mindfulness-based Cognitive Therapy for Depression,
survey. Goehring C, Bouvier GM, Kunzi B, Bovier P. Swiss Segal ZV., Williams JMG., Teasdale JD., Guilford press,
Med Wkly. ; 135(7-8):101–8. 2005. New-York 2013.
17– La santé psychique des médecins suisses sous la
loupe des médecins du travail, Kursner D., Danuser B,
Charly Cungi est directeur de l’enseignement à
Highlights, 2006 Forum Med Suisse 2007 ; 7:7–8 - Sui-
l’Institut francophone de formation et de
cide Rates Among Physicians : A Quantitative and Gender
recherche en thérapie comportementale et BIBLIOGRAPHIE
cognitive (IFFORTHECC), qui dispense plu- Assessment (Meta-Analysis), Schernhammer ES., Colditz GA.,
Am J Psychiatry 161 : 12, December 2004.
– Les psychothérapies comportementales et cogni-
sieurs diplômes et des cycles de perfectionne-
tives, Jean Cottraux, éditions Masson 2011.
ment à la pratique des TCC. Plus d’infos sur 18– Pour la Suisse : Remed, Réseau de soutien pour méde-
– Savoir gérer son stress, Charly Cungi, éditions Retz
www.ifforthecc.org. Des programmes de forma- cins 0800 0 73633, help@swiss-remed.ch ; pour la France :
et Pocket, 2012.
tion et d’entraînement en ligne sont également AAPML Association d’aide professionnelle aux médecins libé- – L’alliance thérapeutique, Charly Cungi, éditions
diffusés sur : www.tccformation.com
raux 0826 004 580 Retz, 2006 (avec un DVD d’entraînement).

Résumé : Après un point sur le concept de burn-out, l’auteur, psychiatre, présente l’apport des thérapies comportementales et cognitives dont l’as-
pect pratique favorise certainement les bons résultats reconnus par la littérature scientifique. À travers la thérapie de Dominique, médecin généraliste « à
bout », il expose les étapes et les méthodes.

Mots-clés : Cas clinique – Concept – Épuisement professionnel – Médecin généraliste – Processus – Thérapie cognitive –
Thérapie comportementale.

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

L’après burn-out
Une enquête sociologique menée auprès de cadres victimes d’épuisement professionnel a
mis en évidence les étapes de leur reconstruction. Ce parcours est ponctué de stades
inscrits dans le temps et l’espace. Autant de repères pour accompagner le salarié.

Après un burn-out, le retour au Hôpitaux, institutions, entreprises publiques social. Le salarié subit alors une double
travail ne va pas de soi et les approches ou privées, tous les actifs de l’emploi sont peine : celle d’un investissement anté-
classiques des services de ressources déstabilisés et impactés par la logique rieur non reconnu et cher payé et celle
humaines sont généralement insuffi- gestionnaire. Les notions de rentabilité de la restriction dans sa possibilité et
santes. Dans ce contexte, nous avons déséquilibrent le système sociétal tout ses espoirs de retour.
effectué en 2012 une enquête sociolo- entier. De ces cinq paradoxes, découle une pro-
gique (1) auprès de cadres victimes (trois 2e paradoxe : la sur-médiatisation banalise blématique tripartite (salarié, médecin,
à cinq ans après leur burn-out). Il s’agis- le burn-out et masque un phénomène DRH). Quand rien n’est fait, les consé-
sait d’étudier les conditions et les moyens plus grave, la peur de retourner travailler. quences sont les suivantes :
de leur reconstruction. Basé sur une Ces salariés traumatisés souffrent par- – sans retour dans l’emploi, le salarié perd
approche pragmatique, constructiviste fois de syndrome de stress post-trauma- confiance en lui et ancre son traumatisme lié
et non-pathologisante, ce travail a cher- tique (2), et manifestent parfois des au travail (risque de désocialisation et
ché à éclairer le « Comment on se recons- symptômes et des malaises rien qu’à difficulté de réinsertion) ;
truit » plus que le « Pourquoi le travail l’évocation de leur CV ou d’un projet pro- – sans retour ou accompagnement adapté du
consume ». Cette posture méthodolo- fessionnel. « Arrêtés-actifs » (en arrêt, mais salarié, l’entreprise se prive d’une compé-
gique a évité les écueils de la stigmati- ni au chômage, ni à l’âge de la retraite), tence sur laquelle elle avait pourtant investi
sation des victimes. Le burn-out laisse une ils sont paralysés face au monde du tra- (fuite des compétences, mauvaise image
cicatrice indélébile dans la carrière d’un vail. Pour eux, l’urgence n’est pas de interne du management et des RH) ;
cadre. Les résultats posent la question du changer de travail, mais de changer leur – sans soutien des RH, le médecin du tra-
capital social et des ressources humaines rapport au travail. Les entrelacs sont si vail ne peut aider son patient-salarié à retrou-
de l’entreprise dans les années à venir. complexes que bien souvent, le salarié vic- ver sa place et son estime profession-
time et le médecin (du travail, psychiatre nelle (sentiment d’inutilité et d’impasse).
DE QUELQUES PARADOXES… ou généraliste) sont démunis et déso- À cela s’ajoute un phénomène de plus en
1er paradoxe : la médiatisation du burn- rientés. plus récurrent : les personnes épuisées,
out est exponentielle et confuse, or aler- 3e paradoxe : reprendre le travail après laissées sur le bas-côté du chemin de
ter ne suffit plus, puisque le nombre de un burn-out ne garantit rien en matière l’emploi, ne réinvestissent plus jamais
victimes et de plaintes autour du travail de santé au travail. Les médecins restent leur travail de la même façon.
ne cessent d’augmenter. Cette contagion d’ailleurs dubitatifs devant l’équilibre
sociale qui exprime le mal-être des sala- bénéfices/coûts. Retrouver une activité QUE RESTE-T-IL APRÈS UN BURN-OUT?
riés pose de gros problèmes en matière sociale peut-être bénéfique en effet mais Le burn-out est un chagrin d’honneur qui
de ressources humaines. Sur fond de les risques de rechutes sont importants. blesse à vie. Ses conséquences en matière
crise économique et de pression des 4e paradoxe : reprendre le travail est devenu de trajectoires professionnelles sont défini-
actionnaires, les salariés et les entre- un risque psychosocial. Il arrive que des tives et représentent un véritable casse-
© Christian Fafet, No Face A n° 21, 2009.

prises doivent faire plus avec moins de Directions de ressources humaines (DRH) tête pour les services de santé au travail,
moyens et de qualité ressentie. Le sens rejettent l’avis du médecin-conseil pré- qui doivent se former aux métiers de l’orien-
du travail et la belle ouvrage se perdent. conisant la reprise car elles redoutent tation. Les résultats de notre enquête mon-
les conséquences juridiques (risque pénal trent que pour l’ensemble des interviewés,
et faute inexcusable, art. L. 4121-1 du les phases de reconstructions sont longues…
Code du travail) en cas de rechute grave (entre 6 et 24 mois). « On ne se remet pas
du salarié (suicide sur le lieu de travail). d’un burn-out : on vit avec ».
Sabine BATAILLE 5e paradoxe : bloquer l’accès et le retour Dans tous les cas, le vécu du burn-out et
à l’emploi devient une sécurité para- les étapes de la reconstruction révèlent que
Sociologue, RPBO Conseil, Paris. doxale, qui bloque l’ensemble du système la finalité du travail (l’intrinsèque) reste

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

plus importante que la centralité du tra- important à leurs yeux mais contribue périodes sont décrites comme ascen-
vail (la place occupée dans la vie de la juste à l’équilibre (temps partiel…). Les dantes, d’autres stagnantes, mais avec très
victime), car la finalité est plus structu- promotions et les opportunités profes- peu de retour arrière. Des personnes sont
rante pour le cadre qui reconstruit son iden- sionnelles sont rejetées si elles mettent restées bloquées sur des paliers plusieurs
tité professionnelle. en péril ce nouvel équilibre. mois, voire plusieurs années. Néanmoins,

“ Au regard de sa santé mentale, le salarié victime de burn-out n’a d’autre


choix que de renoncer à son poste pour espérer repartir sur de bonnes bases mais
avec des cicatrices personnelles, visibles et ancrées dans son identité professionnelle. »

Le vécu de la reconstruction démontre que


la centralité du travail va se déplacer,
véhiculant avec elle les valeurs de l’in-
dividu (socle de base de l’identité pro-
fessionnelle). La reconstruction conduit
– les « aveuglés du travail » sont des
funambules en équilibre précaire et tou-
jours en danger. Leur centralité du tra-
vail reste forte aussi bien d’un point de
vue économique qu’expérientiel. Ces deux
certains témoignages permettent de voir
clairement une issue favorable, marquant
la réussite de la dynamique de recons-
truction par l’atteinte d’une identité pro-
fessionnelle de nouveau en flow (aspiré
le sujet à revoir son mode d’investisse- lignes de forces sont encore très pré- par l’inspiration au travail).
ment au travail, car cette centralité du sentes et non négociables malgré leur C’est sur la base de ces témoignages que
travail interroge l’ethos (3) personnel et souvenir du burn-out. Ils risquent la la matrice RPBO© (reconstruction post-
l’amène à reconsidérer sa place dans le rechute, mais restent dans le déni de ce burn out) (voir tableau) a été élaborée.
système-travail. Le vécu d’un burn-out est qui leur est arrivé. L’équilibre idéal repose sur un triptyque
un événement impactant la mémoire bio- conditionnel (émotion, motivation, ambi-
graphique des salariés, qu’ils traîneront LE RAPPORT AU TRAVAIL tion), un duo de compétences (jouer,
en filigrane dans leur trajectoire profes- Parler de reconstruction post burn-out ne oser) et un duo d’aptitudes (être soi et
sionnelle comme un enjeu, ou comme vise pas à proposer un remède, mais à for- y trouver un plaisir dans l’exercice de
un « en – je » cristallisé. Cette cristalli- maliser un passage incontournable pour ses comportements) : c’est le « seuil de
sation du trauma affecte ainsi non seu- éviter la rechute. Dans une approche l’Ethos » ou « seuil d’épanouissement ».
lement la carrière (bifurcations, réorien- constructiviste, s’interroger sur le proces- Ce seuil est cependant le plus difficile
tation, rupture avec le marché de l’emploi), sus vaut davantage que de s’interroger sur à atteindre, à dépasser et à conserver
mais aussi ses représentations sur le tra- le contenu. Ainsi, au-delà du « Pourquoi pour éprouver du plaisir au travail et res-
vail (motivations, intérêts, retour sur ? » (Phase 1), c’est le « Comment ? » ter performant. Garantir les conditions
engagement). (Phase 2) et le « Vers quoi ? » (Phase 3) de son atteinte est une responsabilité
L’enquête insiste sur le fait que tous les qu’il s’agit d’explorer. Libérer la parole tripartite (service de santé au travail,
témoins avaient envie de retourner au professionnelle, observer les changements salarié et Ressources humaines).
travail et que cette projection dans le d’opinions permet impulser les leviers d’ac- L’enquête a permis d’élaborer une méthode
travail faisait partie intégrante d’une des tion sensibles de la reconstruction et d’éla- pour :
phases (sans doute la plus importante) borer un nouveau rapport à son travail. Ce – aider à retracer les étapes de l’expérience
de leur reconstruction et aussi d’un prin- dernier mis à distance du soi, devient alors vécue ;
cipe de réalité réenclenché. moins central pour laisser place à des – rendre compte des phases d’alarme
Les résultats font ressortir différents scé- choses plus essentielles, plus simples, non entendues ;
narios de reconstruction (4) : mais plus affirmées, plus fermes, plus – dessiner sa cartographie des risques ;
– Les « incompris » manifestent leur révolte délimitées et aussi plus protectrices. – aider le salarié à s’auto-positionner sur
par une rupture catégorique (abandon Apprendre à repositionner les limites qui la matrice RPBO©.
de poste, démission…). Ils refusent d’être ont été dépassées devient un apprentissage – responsabiliser le salarié dans ses actes,
maintenus dans leur sphère antérieure. de chaque instant. Le plus difficile est de dans ses choix et ses non-choix.
Ils sortent et cassent le moule dans lequel tenir les bonnes résolutions. Les processus pédagogiques et théra-
ils se sentaient à l’étroit. Ils perdent et Les résultats de l’enquête montrent qu’il peutiques sont les suivants :
rejettent la contrainte économique. Ils y a bien un avant et un après burn-out. Le – exploration du vécu par entretien cli-
perdent tous en salaire et risquent la rapport au travail s’est modifié fondamen- nique (psychologue) ;
désinsertion professionnelle (chômeur talement, irrémédiablement et ce pour – analyse contextuelle et interactionnelle
longue durée). l’ensemble des personnes rencontrées. des zones de risques par un systémicien
– Les « désenchantés » abandonnent une (sociologue) ;
partie de leur ambition au profit d’une reva- ACCOMPAGNER LES VICTIMES : – désensibilisation des émotions négatives
lorisation de leurs enjeux identitaires LA MATRICE RPBO© liées au travail (psychiatre avec théra-
personnels. Le travail n’est plus le lieu Toutes les victimes entendues sont pas- pies cognitives et comportementales) ;
principal de construction identitaire, il reste sées par les mêmes stades. Certaines – retour d’expérience et réintégration

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

La matrice Reconstruction post burn-out - RPBO©

L’axe de l’espace

? ? ?
L’ère du « Je » 9

L’aire du « jeu » 8 Seuil d’Ethos


L’aire d’intégration 7
? ?
L’aire de projection 6

L’aire de réflexion 5
L’endroit réservé,
le repaire 4

L’aire de repos 3

La convalescence 2

Le lieu de soin 1
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

© S. Bataille (2013).
L’axe du temps
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Destinée aux accompagnants, cette grille est un outil pour aider les personnes en situation de post burn-out à se situer dans le processus
de reconstruction. Elle permet de tracer un axe personnel de progression, ici représenté de façon idéalement linéaire.
Les quelques points dédoublés symbolisent le fait que certains individus peuvent rester bloqués plus longtemps que d’autres
sur un palier, avant de reprendre une progression voire de s’interroger sur leur seuil maximal.

professionnelle (RH et consultant spécia- « positions temporelles » qui suivent – le pouvoir-agir : capacité de mise en mou-
lisé en mobilité professionnelle). trois grands jalons : le passé, le pré- vement orientée vers un but.
Insistons sur le fait qu’évoquer le travail sent, l’avenir. Ces 12 positions s’enchaînent de façon
est un travail sur soi, ce qui implique d’être – le retrait : date de diagnostic de burn- séquentielle mais à des rythmes et des
encadré par des professionnels rigoureu- out ou arrêt de travail. fréquences différents en fonction des
sement formés à cette pratique. – l’arrêt : début réconciliation temps personnes.
quantitatif/temps qualitatif. • L’espace (2e axe), comme lieu et conte-
PRÉSERVER L’IDENTITÉ – le repos : temps de pause, temps calme, nant l’action, dévoile les lieux de la
RECONSTRUITE temps suspendu. reconstruction. L’espace se séquence en
Le salarié peut s’appuyer sur deux axes – les ressources à stocker : période de réap- neuf jalons symboliques à traverser.
réparateurs de la matrice : l’axe du temps provisionnement, réserves d’énergie. – le lieu du soin : espace protecteur et
et l’axe de l’espace. Abstraites, ces deux – la réflexion : imaginaire, idées, pistes. institutionnel (l’hôpital ou le cabinet de
dimensions sont pourtant très contex- – le désir : frémissement, envie de (re)faire médecin).
tualisantes. Elles ont la spécificité de des activités. – l’espace de convalescence : espace
générer une qualité émergente et de per- – le risque : enjeux, le pour/ le contre. privé, intime (la maison).
mettre à l’identité professionnelle de se – l’écologie : équation désir-risque-béné- – l’aire de repos : convalescence avec
« mailler » entre ces deux repères. fices. quelques interactions sociales.
• Le temps (1er axe) permet de repérer des – l’agir : résolution de l’équation désir- – le repaire : endroit réservé, connu,
indices de la reconstruction dans la risques mesurés-bénéfices garantis. apprécié et protégé par des repères sécu-
façon qu’ont les victimes de transformer – le pouvoir : capacité d’agir sur et pour risants (espace à soi).
leurs contraintes en opportunités. Le faire les choses. – l’aire de réflexion : lieu où la personne
temps se séquence en étapes, en douze – le vouloir-agir : volonté d’action. réfléchit à ce qui lui semble essentiel

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DOSSIER BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER

(cabinet d’un consultant-coach-théra- – affirmer leur décision et la faire res- bénéficier de l’aire de repos trop long-
peute ou groupe d’échanges et de ren- pecter ; temps (espace échelle 3), elles disent
contres). – se faire aider ou soutenir dans cette acqui- ne pas avoir d’endroit, ni de repaire
– l’aire de projection : endroit où le sym- sition de nouveaux réflexes. (espace échelle 4) où elles pourraient
bolique (idées) précède le rationnel (prag- Ce travail aide les salariés à se situer prendre le temps du recul ou de la
matique de l’action). dans la matrice RPBO©, puis à perce- réflexion (espace échelle 5) sur leur
– l’aire d’intégration : endroit où s’imbri- voir leur progression (sentiment de réap- avenir professionnel. Leur ascension
quent les idées, les actions et leurs com- propriation de leur identité professionnelle). dans la reconstruction est donc plus
binatoires. lente et plus incertaine.
– l’aire de « jeu » : lieu où la personne L’ETHOS ET LA CENTRALITÉ • Claude, quant à lui, est déjà dans la
commence à prendre plaisir à agir, à DU TRAVAIL période de projection (espace échelle 6)
inventer, à innover. – Dans les épisodes de burn-out, c’est l’ethos alors que son médecin le freine dans son
– l’ère du « Je » : la personne s’ex- qui souffre (le temps de la faille) et envie de reprendre le travail et l’invite
prime de nouveau comme sujet et mani- l’éthique (la morale, l’évaluation) qui à garder le repos quelque temps (temps
feste la renaissance de l’identité pro- finit par trancher. échelle 3 et 4) : « J’ai plein de pistes
fessionnelle. – Dans les épisodes de post burn-out, il intéressantes, des beaux projets [temps
Ces neuf espaces ou jalons se dévelop- semblerait que ce soit l’inverse qui se pro- échelle 6] et j’ai des rendez-vous la
pent et s’étendent de façon linéaire, mais duise : c’est l’éthique qui souffre durant semaine prochaine [temps échelle 9].
avec des retours en arrière parfois néces- l’arrêt de travail (de ne plus rien avoir à Ça fait rager mon médecin, parce que
saires pour consolider les étapes. évaluer, ni trancher, car les repères ont je suis encore en arrêt maladie [espace
• Enfin, l’identité (3e axe), comme maillage été momentanément perdus), et l’ethos échelle 2 et 3], il ne veut pas… (il rit),
émergeant, exprime la reconstruction de qui rebranche le système pour repartir et mais bon moi il faut que j’avance, hein,
l’identité professionnelle au carrefour entre offrir l’énergie d’un nouveau départ moi j’ai besoin de ça… [temps échelle
le psychique et le social (Bidart, 2010). (reconstruction). 6 et 7] ». Claude a connu malheureu-
En réalisant un focus sur les logiques sement un second burn-out quelque
dynamiques et les façons de cheminer, DES HAUTS ET DES BAS… temps plus tard.
l’enquête montre l’articulation entre l’évé- • Cinq ans après un burn-out, Céline
nement (le burn-out) et la bifurcation savoure son ascension au-delà du « EN CONCLUSION
(changement de cap) dans les trajectoires seuil de l’Ethos » professionnel, quand La mobilité professionnelle et la trajec-
professionnelles et les changements de elle dit qu’elle se « réalise » dans son toire d’un cadre se construisent para-
représentations accompagnant les bifur- job actuel. Elle considère son travail doxalement a posteriori car la construc-
cations durables (Bataille, 2012). comme une aire de jeu (espace échelle tion du sens se fait après coup et sur la
Devant les efforts qu’exige la reconstruc- 8) dans laquelle elle peut s’exprimer, base parfois du trauma. Les plans de
tion, les interviewés évoquent leur fragi- elle veut agir (temps échelle 11) et elle carrière n’existent plus. Il est à déplorer
lité de façon récurrente. La peur sub- a la compétence et le pouvoir-agir (temps que dans les écoles d’ingénieurs, de com-
siste au point de faire apparaître des échelle 12) : « Aujourd’hui, je me sens merce et les universités, la communica-
syndromes du survivant (5), qui attend qu’on bien dans mon nouveau job, je m’amuse tion corporate (institutionnelle) insiste
le délivre de cette souffrance invisible même ! C’est facile après ce que j’ai fait… sur cette planification, idée restrictive
(mélange de sentiments de culpabilité J’ai profité d’une réorganisation [espace et dangereuse. D’une part, elle ne tient
et impression d’imposture). Cependant, échelle 5] et pour me repositionner pas compte du contexte que la personne
la fonction de leur souvenir est double et [espace échelle 7 et 8] et je me sens va rencontrer, ni des interactions que
nécessaire : protéger (la simple évocation vraiment bien là où je suis… [espace cela va provoquer ; d’autre part, elle laisse
suffit à prévenir) et alerter (suffit à stop- échelle 9]. En regardant derrière, je germer l’idée qu’il serait possible d’évi-
per). La nécessité de réinstaurer un cadre suis fière de moi (…), j’ai retrouvé un ter de penser, de se penser soi-même
de travail protégé post burn-out, passe pour équilibre » [espace échelle 9]. dans son rapport au travail. Au contraire,
les victimes par trois conditions : • Annabelle et Clara disent connaître des il serait plus responsable d’expliquer
– réviser leurs enjeux, leurs priorités, hauts et des bas. Toutes les deux en qu’une carrière ou un parcours profes-
leurs habitudes ; profession libérale, elles ne peuvent sionnel sont semés d’obstacles et que
pour se construire, il est nécessaire de ren-
À lire. Se reconstruire après un burn-out. contrer ces embûches, ces fameux « trous
dans le CV » redoutés par les cadres et
Les chemins de la résilience traqués par les recruteurs. Il serait bon de
Consultante RH, conseil et formatrice, spécialisée dans le suivi de l’épuisement professionnel, découvrir derrière chaque zone aveugle ou
l’auteur propose un guide pratique destiné à la personne ayant traversé un épisode de burn-out. point obscur, comment le cadre a réussi
Ce manuel décrit les étapes de reconstruction visant un retour à l’emploi. Il éclaire les leviers à exploiter ses ressources internes pour
d’action et montre comment mener une nouvelle vie, faite d’équilibre et de dynamisme. Vrai guide les combiner en ressources disponibles :
de résilience, il s’adresse plus globalement aux soignants et aux accompagnants RH. c’est cette attitude qui fait de lui un pro-
• S. Bataille, Dunod, Inter éditions, 2013 fessionnel.
À découvrir également : le site www.rpbo.fr, animé par S. Bataille, présente actualités, témoignages, informations L’équation du burn-out dans une carrière
sur le cadre juridique… change ainsi la donne et reste une vraie

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BURN-OUT : COMPRENDRE ET ACCOMPAGNER DOSSIER

problématique RH. La centralité du tra- protéger juridiquement en matière de BIBLIOGRAPHIE


vail et le sens qui lui est accordé bou- Risques psychosociaux (RPS) ; – Alter, Norbert. Donner et prendre : la coopération dans
gent irrémédiablement au point d’en – de bloquer la dynamique de recons- l’entreprise. La Découverte, 2010 [Poche]. 232 pages.
– Bataille, Sabine. Reconstruction de l’identité profes-
déstabiliser certains ou d’ouvrir les che- truction et de retarder le retour à l’em- sionnelle post burn-out : quel capital social en hérita-
mins de la résilience à d’autres. Le socle ploi. ge pour les entreprises? in Approche interdisciplinaire
de la reconstruction du salarié se situe Le burn-out et l’épuisement au travail des risques psychosociaux au travail. Editions Octarès
fondamentalement en lui, mais il puise connaissent une évolution dramatique 2014. Colloque International Comparisk, 2013.
– Bataille, Sabine. Se reconstruire après un burn-out : les
sa force dans son environnement social. que l’injonction légale en matière de
chemins de la résilience. Dunod. InterÉditions, 2013
La place qu’il cherche désormais à santé mentale au travail ne contiendra – Bataille, Sabine. « La reconstruction professionnelle
prendre correspond à une quête d’iden- pas seule. La responsabilité du salarié, après un burn-out », in Revue Référence Santé au
tité professionnelle renouvelée. du médecin du travail et celle de l’en- Travail n° 130, mars 2014. http://www.rst-sante-
L’expérience et la pratique de la gestion treprise sont systémiques au risque de travail.fr/rst/pages-article/ArticleRST.html?ref=RST.
– Bidart Claire, Bessin Marc, Grossetti (dir). Bifurca-
de carrière durant plus de douze ans, le voir une évolution pandémique des cas
tions. Les sciences sociales face aux ruptures et à
suivi des salariés en post burn-out depuis de burn-out. l’événement. La Découverte, 2010 [Recherches].
huit ans et les résultats de cette enquête La sécurisation des parcours profession- – Clot, Yves. Le travail à cœur : pour en finir avec les
montrent qu’en l’état actuel des choses, nels n’a qu’un prix : celui du maintien risques psychosociaux. La découverte, 2010. 190 pages.
le salarié victime de burn-out n’a d’autre dans l’emploi. La reconstruction n’a pas – Clot, Yves. « Théorie en clinique de l’activité », in
Interpréter l’agir : un défi théorique, ss la dir. Bruno
choix, au sens de la sauvegarde de sa santé de valeur économique mais c’est la Maggi, PUF, 2011.[Travail Humain]. 352 pages.
mentale, que de renoncer à son poste, ou richesse et l’affaire de tous (médecins du – Dejours, Christophe. Travail vivant, sexualité et tra-
à son entreprise, pour espérer repartir travail, soignants, cadres, responsables vail, Payot. 2009. Vol 1. 214 pages.
sur de bonnes bases mais avec des cica- de carrière, managers, directeurs). Alors – Demazière Didier. Analyser les entretiens biogra-
trices personnelles, visibles et ancrées dans peut-être pourra-t-on commencer à espé- phiques. 2305 rue Université, 2004.
– Dubar, Claude. La socialisation : Construction des iden-
son identité professionnelle. rer réfléchir aux véritables bases de Qua- tités sociales et professionnelles. Armand Colin 2010.
Réintégrer un salarié dans son poste lité de Vie au Travail. – Loriol, Marc et al. « La résistance à la psychologisation
(même mission, même activité) n’est pas des difficultés au travail ». Le Seuil. Actes de la recherche
souhaitable si l’entreprise ne se remet pas en sciences sociales. N° 165. 2006/5. p .106-113.
– Mercure, Daniel. Les temporalités sociales. L’Har-
en question et si le salarié ne demande
mattan, 1995 [Logiques sociales]. 176 pages
pas à être accompagné. C’est même dan- 1– Bataille Sabine. « La reconstruction post burn-out est- – Servel, Laurence. « Dire le temps, dire le change-
gereux pour le cadre fragilisé (risque de elle possible ? », en partenariat avec Université Dauphine ment », Temporalité – Revue des Sciences
rechute) et pour l’entreprise (risque pénal). et l’Anact (Agence Nationale d’Amélioration des Condi- Humaines et Sociale. 10/2009
L’alerte du burn-out est un signal fort tions de Travail).
– Servel Laurence. Exister dans l’entreprise. Labora-
toire du changement social. L’Harmattan 2008
pour les deux parties et il ne retentit 2– Post-traumatic stress disorder.
– Tabboni, Simonetta. Les temps sociaux. Armand
qu’une seule fois. 3– L’éthos est cette partie du salarié qui résonne en lui de Colin, 2006 [Cursus]. 183 pages.
Le rôle des médecins du travail gagne de façon favorable et plaisante lorsqu’il fait des actions qui – Truchot, Didier. Épuisement professionnel et burn-
l’importance et c’est sans doute grâce à ont du sens pour lui. out. Dunod 2004.
leurs expertises et leurs opinions que les 4– Bataille, Sabine. Se reconstruire après un burn-out : les
choses pourront évoluer. chemins de la résilience. Dunod. InterÉditions, 2013
Aujourd’hui, les risques majeurs émergents 5– Le syndrome du survivant ou de Lazare désigne l’ensemble
sont : des comportements nouveaux d’une personne après un
– de banaliser la souffrance au travail événement traumatisant où elles ont été persuadées de
des salariés par la sur-médiatisation ; mourir, comme un accident grave, une catastrophe natu-
– de mettre en place des plans d’actions relle, une prise d’otages…
qui ne font que déculpabiliser les entre- 6– Bataille, Sabine. « La reconstruction professionnelle
prises ; après un burn-out », in Revue Référence Santé au Travail
– de laisser l’entreprise se dédouaner et n° 130, mars 2014. http://www.rst-sante-travail.fr/rst/pages-
trouver la fausse bonne parade pour se article/ArticleRST.html?ref=RST.

Résumé : Une enquête menée auprès de cadres victimes de burn-out a permis de recueillir des témoignages et de tracer le cheminement de la
reconstruction. L’auteur présente les résultats de l’enquête et propose un outil à destination des soignants qui accompagnent des salariés en souffrance au
travail (4). Le burn-out, qui laisse une trace indélébile dans le parcours de la personne, est une vraie problématique RH.

Mots-clés : Cadre – Enquête – Épuisement professionnel – Espace – Gestion du personnel – Reconstruction – Risques psycho-
sociaux – Sociologie – Syndrome post-traumatique – Temps – Travail.

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DOSSIER POUR EN SAVOIR PLUS

Chaque mois, le réseau documentaire en santé mentale, Ascodocpsy, propose


des éléments de bibliographie en lien avec la thématique du dossier : « Burn-out :
comprendre et accompagner ».

©.Christian Fafet © No Face B n° 49 (détail), 2009.

Monographies Delbrouck M, Vénara Pascale, Goulet François, et al. Comment trai-


ter le burn-out ? - Principes de prise en charge du syndrome d’épuisement
Allione C. L’usure des soignants. In : La part du rêve dans les institutions : professionnel. Bruxelles : De Boeck ; 2011.
régulation, supervision, analyse des pratiques. Encre marine : 2005 ; p. 63-87.
Bernaud JL Dir, Lemoine C Dir. Traité de psychologie du travail et des
Arcand M, Brissette L. Accompagner sans s’épuiser. Ruel-Malmaison : organisations. Paris : Dunod ; 2012.
ASH ; 2012.
Grasset Y, Debout M, Rouat S, Bachelard O. Risques psychosociaux au
Boissières-Dubourg F. Les soignants face au stress. Comment se pré- travail : vraies questions, bonnes réponses. Rueil-malmaison : Liaisons
munir contre l’épuisement professionnel. Rueil-Malmaison : Lamarre ; sociales, 2011.
2012.
Gaulejac V de. Travail, les raisons de la colère. Paris : Seuil ; 2011.
Boudoukha AH. Burn-out et traumatismes psychologiques. Paris :
Dunod ; 2009. Maslach C, Leiter M. Burn-out : le syndrome d’épuisement profession-
Canoui P, Mauranges A, Florentin A. Le syndrome d’épuisement profes- nel. Paris : Ed. Les Arènes ; 2011.
sionnel des soignants. De l’analyse du burn-out aux réponses. Issy-les- Manoukian A. La souffrance au travail. Les soignants face au burn-out.
Moulineaux : Masson ; 2008. Rueil-Malmaison : Lamarre ; 2009.
Dejours C, Gernet I. Psychopathologie du travail. Issy-Les-Moulineaux : Molinier P. Les enjeux psychiques du travail, introduction à la psycho-
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Delbrouck M. Le burn-out du soignant : le syndrome d’épuisement pro- de la consultation « souffrance et travail » 1997-2008. Paris : Pearson
fessionnel. Bruxelles, De Boeck ; 2008. éducation ; 2008.

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DOSSIER POUR EN SAVOIR PLUS

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psychiatr 2008 ; 84(9) : 801-45. étaient frappés. Paris : ADR productions/Alter Ego films ; 2005. 76 min.

• RECHERCHE EFFECTUÉE PAR : Carine Herbez (CH Montfavet) et Viviane Beltrame (GH Paul Guiraud, Villejuif) avec la collaboration de Sophie
Karavokyros (CH Valvert, Marseille), Marie-Agnès Potton (CH Sainte-Marie, Le Puy-en-Velay), Danièle Alouani (CH Henri Guérin).
• CONTACT ASCODOCPSY : Nathalie Berriau, coordonnatrice du groupement d’intérêt public (GIP) Ascodocpsy, CH Saint-
Jean-de-Dieu, 290 route de Vienne, 69373 Lyon cedex 08. Tél. : 04 37 90 13 07 ; fax : 04 37 90 13 37 ; mobile :
06 82 44 18 24. Courriel : nberriau@arhm-sjd.fr ; internet : www.ascodocpsy.org

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professionnels des repères pour s’orienter dans les problématiques et nouvelles composantes de la maternité.
10 axes thématiques
Demandes et désirs d’enfant • Mère et fille, mère et fils • La langue maternelle • La mère et ses
partenaires • Passions de mère, passions de femme (amour, ravissement, ravage…) • Les corps de la
maternité • Inquiétantes étrangetés : déni, dépersonnalisation, dépression… • Sexualité et maternité :
désordres, obstacles, surprises • Un monde sans enfant ? • Sublimation, fantasme, délire •
n Le samedi : témoignages et conversations cliniques sur « Être mère aujourd’hui » (cabinet ou institution).
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comment la modernité a modifié la maternité.
Toutes les infos : www.causefreudienne.net – www.etremere.fr
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