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« Manuel d’économie critique » • 2016


X. Finance : l’insoutenable promesse • pages 164 et 165

jeudi Les BRICS, acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et


24 août 2023 Afrique du Sud, ont décidé, lors du sommet de
Johannesburg (22-24 août 2023), d’accueillir six nouveaux
membres – et non des moindres : Argentine, Arabie saoudite, Émirats
arabes unis (EAU), Égypte, Éthiopie, Iran. « Les Brics entament un nouveau
chapitre », s’est exclamé le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Seize
autres pays, dont l’Algérie, l’Indonésie et le Venezuela, avaient posé leur
candidature, soulignant l’attrait de cette organisation qui reste souple. Sans
préjuger de son avenir, cet élargissement, hier jugé impossible en raison de
tensions entre la Chine et l’Inde, marque une volonté des pays non-
occidentaux, y compris ceux proches de Washington comme l’Égypte, ou les
EAU, de se retrouver dans des structures propres.

Idée reçue

« Grâce aux BRICS, un monde


multipolaire »
Quand la crise de 2007-2008 a touché les pays riches, la vigueur
économique du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du
Sud (les Brics) a donné le sentiment que ces derniers allaient s’affirmer sur la
scène internationale. Un grand « découplage » semblait avoir fait émerger de
nouveaux pôles économiques et géopolitiques dans un monde jusque-là
caractérisé par la domination américaine.

par Julien Vercueil 

L
a croissance des pays émergents a conduit certains
observateurs à considérer que leurs économies
connaissaient un « découplage » par rapport aux pays
de vieille industrialisation. La réalité les a contredits :
les marchés émergents subissent aujourd’hui le contrecoup des
modalités de leur insertion dans l’économie mondiale. Pas de
découplage, donc, mais des ajustements variables, au fur et à
mesure de l’éclatement des bulles* apparues sur leurs marchés.

En septembre 2008, face à la menace d’effondrement de leur


système financier, les autorités américaines ont pratiqué une
nouvelle politique monétaire : le quantitative easing*. Il s’agissait
de soutenir le secteur par une injection massive de liquidités à
très faible taux d’intérêt*. Cela a provoqué un retour de la
confiance et une reprise des investissements. Cette politique a
conduit au maintien de taux d’intérêt plus élevés dans les Brics
que dans les pays occidentaux, de sorte que, à taux de change*
constant, il était plus avantageux d’investir dans les pays
émergents.

Les flux d’investissement de portefeuille* (achats d’obligations*,


essentiellement) ont donc repris vers les émergents, alimentant
une croissance parfois excessive des crédits et des prix. Suivant
les recommandations du FMI*, la majorité des Brics ont adopté
des formes variables de laisser-faire financier. Seule la Chine a
conservé des contrôles stricts sur les transactions financières
entre résidents et non-résidents. Mais les marchés émergents
sont plus étroits que les places occidentales et doivent donc
préserver un écart de taux d’intérêt pour éviter que le peu de
capitaux présents ne quittent le pays à la recherche d’une
meilleure rémunération. Ils sont donc plus sensibles à ces flux
internationaux de capitaux guidés par les écarts de taux d’intérêt
que l’on nomme carry trade*.

Autre facteur d’instabilité, l’évolution erratique des prix des


matières premières. Leurs marchés sont désormais largement
financiarisés*, ce qui explique la brutalité des hausses et des
baisses de prix depuis deux décennies. Les exportateurs, dont la
Russie et le Brésil, dépendent directement de leurs matières
premières pour leurs équilibres extérieurs. Leurs budgets publics
aussi. Lorsque les cours augmentent, l’excédent courant* s’élargit
et les devises* affluent vers le pays, ce qui soutient la monnaie
nationale tandis que les recettes de l’État s’accroissent. Mais
lorsqu’ils chutent, comme c’est le cas depuis juillet 2014, ces
processus s’inversent, et un doute peut naître sur la capacité des
autorités à maintenir la stabilité du taux de change*. Les
monnaies de la Russie, du Brésil et de l’Afrique du Sud en ont
tour à tour subi les effets : elles ont connu des dépréciations plus
ou moins brutales en 2014-2015.

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La nervosité financière en ir d es pays
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Le troisième facteur de l’incertitude financière est


spécifiquement chinois. Les autorités ont réagi à la crise de 2008
en lançant un vaste programme d’investissement dans les
infrastructures. Décentralisé, il a stimulé la construction et
l’immobilier sur tout le territoire. La croissance de la demande
étant au rendez-vous, les prix des logements dans les villes ont
flambé, atteignant par endroits (Shanghaï, Shenzhen, Pékin)
deux à trois fois les niveaux annonciateurs de bulle immobilière.
En 2015, celle-ci a commencé à se dégonfler. Il est difficile de
savoir si les limitations réglementaires à l’endettement des
investisseurs et la croissance des revenus réels* des ménages
suffiront à absorber la baisse des prix.

La situation boursière chinoise est elle aussi instable. La


libéralisation a attiré de nouveaux acteurs, en majorité des
particuliers, accélérant la hausse des cours entre 2014 et
juin 2015. Beaucoup se sont endettés, créant un effet de levier*
dangereux en cas de retournement. Or ce dernier s’est dessiné à
partir de juin 2015. Un premier krach boursier a eu lieu sur la
place de Shanghaï les 24 et 25 août, suivi d’un deuxième en
janvier 2016. Entre juin 2015 et février 2016, la chute a
atteint 45 %. Bien que les volumes restent modestes au regard de
la taille de l’économie chinoise, leurs effets peuvent être
significatifs sur l’économie mondiale. Avec le ralentissement
macroéconomique, la nervosité financière en Chine accroît
l’incertitude sur l’avenir des pays émergents.

Julien Vercueil
Maître de conférences en économie à l’Institut national des langues et civilisations orientales, rédacteur
en chef adjoint de la Revue de la régulation. Auteur de l’ouvrage Les Pays émergents. Brésil, Russie,
Inde, Chine. Mutations économiques, crises et nouveaux défis, Bréal, 4e édition, 2015.

Mot clés: FMI Finance Économie Géopolitique Mondialisation Relations Nord-Sud


Relations internationales Inde Chine Russie Brésil Afrique du Sud

Cet article est aussi diffusé sous le titre : « Idée reçue : “Grâce aux
BRICS, un monde multipolaire” ».

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