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Des mots aux actes SEPTET, Éditions Anagrammes, Université de Strasbourg II, n 3/2010

Traduire les "effets d'évocation" des culturèmes : une aporie?


Georgiana Lungu-Badea

Université de l’Ouest – Timisoara

1. Introduction. Dans la présente étude, nous nous inspirerons de l’héritage de


Charles Bally mais surtout de celui, toujours en construction, de Jean-René Ladmiral, auquel
elle est dédiée. Nous souhaitons aller au-delà de la seule relation Jean-René Ladmiral-
traductologie, et établir des connexions inter-théoriques1, indissociables des connexions
diachroniques et synchroniques, entre la théorie traductologique ladmiralienne et d’autres
approches interdisciplinaires. Précisément parce que « rien n’existe sans théorie »2, nous
effleurons la théorie ladmiralienne de la traduction qui semble être la moins « contaminée
par les effets de mode »3, une théorie foncièrement moderne, au sens où elle décrit moins des
produits traductionnels que les opérations et les stratégies qui y conduisent, et également une
théorie résolument interdisciplinaire4.
Dans ce sens, il nous a semblé productif dans un premier temps d’insérer les acceptions
des concepts que nous utilisons (culturème et « effet d’évocation »), avant de traiter de la
traduction des culturèmes, éclaircie par quelques exemples.
En partant de l’évidence que la traduction est l’un des modes de communication
interculturelle (Ladmiral/Lipiansky, 1995), nous prendrons en considération la mise en
perspective des différentes manières de rendre le culturème à travers des choix
traductionnels différents, mais articulés autour du clivage ladmiralien : sourciers/ciblistes
(Ladmiral 1972, 1979). Nous décrivons un énoncé porteur d’information culturelle par le
concept de culturème5 qui renvoie – sans se confondre – aussi à des ethnonymes, realia et
folklorèmes. Unité culturelle de taille variable, non décomposable, qui ne représente qu’une
partie du culturel, le culturème soulève des difficultés de transfert ; sa traduction réclame
pour ainsi dire une démarche caractérisée par une complémentarité des perspectives.
Nous contestons le divisionnisme stratégique6 d’autant plus que l’approche binaire pose
des questions dans la mesure où il faut d’abord décider si l’on restitue ou non les « effets par
évocation » (Bally, [1909] 1951) ou « d’évocation » (Ullmann, 1955) des culturèmes, et
ensuite, si l’on choisit de rendre ces effets, il faut décider de la stratégie à mettre en œuvre
pour franchir ou combler le fossé culturel, sans pour autant le sauter. « [C]es effets par
évocation résultent d’un conflit entre deux modes d’expression porteurs tous deux de valeurs
symboliques, parce que chacun d’eux est la langue d’un milieu, et que ces conflits partiels,
d’un caractère essentiellement qualitatif, ont pour conséquence une vaste opposition de tous
les faits expressifs des milieux avec la langue commune, opposition essentiellement
quantitative. » (Bally, 1951, I, 234).
La traduction des culturèmes se situerait au rond-point de la traduction et de
l’adaptation, vu qu’ « il n’y a pas de point où ″s’arrête″ la traduction et où ″commence″
l’adaptation. Sans doute il y a là un continuum. » (Ladmiral, 2006 : 7). Étant donné que notre
approche se définit par rapport à la quadrichotomie : 1/ ultra-sourciers7, 2/ sourciers –
3/ciblistes, 4/ultra-ciblistes8, il s’impose naturellement de re-préciser les acceptions des
concepts. Les traducteurs ultra-sourciers mettent en œuvre un littéralisme extrême, à la fois
syntaxique et lexical, ce dernier résultant du fait que lors du processus de traduction ils
privilégient le signifiant-source auquel ils essayent de trouver un équivalent formel en LC9 ;
dans la catégorie des sourciers « modérés », nous situons les traducteurs littéralistes qui
s’intéressent au sémantisme du signe, au signifié-cible correspondant au signfiant-source
mais qui ignorent les contextes de réception susceptibles d’actualiser la signifiance. Les
traducteurs ciblistes prennent en considération le rapport institué entre signe et utilisateur,
dans l’intention de restituer l’effet (perlocutoire) du TS en LC.10 Les ultra-ciblistes sont les
auteurs des « fameuses ″belles infidèles″ »11. Ces quatre grandes catégories de traducteurs

1
renvoient intrinsèquement à une variété de stratégies traductionnelles significative que nous
faisons valoir par la restitution des culturèmes.

2. Quelques propos sur le culturème

En prenant en considération la correspondance qui se tisse entre les culturèmes (ou


unités culturelles ou unités de pensée) et les faits d’expression traductionnelle (ou : de
réexpression), nous avons identifié comme traits des premiers : la monoculturalité, la
relativité et l’autonomie « existentielle » du culturème par rapport à la traduction (Lungu
Badea, 2004 : 24-70 et 2009 : 15-78).
Le culturème est monoculturel ; il appartient à une culture unique. C’est dans cette
culture-là qu’il produit un certain effet en fonction de sa signifiance, de son entourage
culturel. Cet effet unique n’est que rarement observable dans une autre culture, et même
alors le degré d’intensité du culturème n’est pas identique à celui qu’il a en langue-source;
tout comme il est probable qu’il ne se retrouve pas tel quel non plus chez les usagers d’une
même langue, représentants d’une même culture ; d’où la relativité de son statut. Le
caractère relatif du culturème est dû à la subjectivité de l’émetteur et du récepteur, au
repérage individuel des unités de pensée et de sens, au bagage cognitif et à l’horizon d’attente
propre à chaque participant à la situation de communication. Le culturème n’est pas
dépendant du processus de traduction. Il se manifeste en dehors de l’acte de traduction. Sa
traduction entraîne le plus souvent le gommage de sa signifiance. Il en résulte que le
culturème n’est plus saisi dans le texte-cible en tant qu’élément porteur de signification
culturelle, mais en tant qu’unité de traduction (correspondance lexicale ou sémantique) dotée
de traits spécifiques tels que : symétrie, bitextualité, variabilité, etc.12
Nous avons mentionné que les culturèmes (historiques ou actuels) sont de taille
variable : vocable, simple13 ou composé14, collocation, expression palimpseste15 exigeant la
reconstitution de l’énonce d’origine. Un culturème issu d’une expression palimpseste
(littéraire ou, grosso modo, non littéraire) dégage des effets par évocation. De la même
manière que d’autres culturèmes (par exemple : Cetatenul turmentat, poujadisme, ubuesque,
un Fréron, cornecul, tartarinades, etc.) lorsqu’ils sont utilisés dans un autre contexte que
celui d’origine et en tenant compte de l’intonation, des inflexions de la voix, etc. (Bally, 1951,
I, 229-230).

3. Quelques propos sur les effets par évocation

Ces quelques notices ont comme point de départ la conception de Bally, selon lequel
« l’effet évocateur produit par la langue littéraire [et par d’autres langages]», n’existe que
parce qu’il se déploie « sur le fond général de la langue commune » (1951 : 247). Cela revient
à dire qu’entre effets naturels et effets par évocation, les variantes de la langue peuvent être
recensées et mesurées. Si « [l]es effets naturels sont dus aux mots eux-mêmes, au sentiment
de plaisir ou de déplaisir qu’ils suscitent, à leur valeur esthétique ; les effets par évocation
résultent de la faculté qu’ont les mots – les culturèmes en l’occurrence –d’évoquer le milieu
où leur emploi est plus courant. » (1951 : 247).
Les effets par évocation valent en tant qu’indices d’interprétation traductionnelle
exploitables dans la lecture traductologique entreprise par le traducteur. Dans le premier
temps de la traduction est à l’œuvre ce que J.-R. Ladmiral définit comme « une réception
interne à la lecture-même, c’est-à-dire l’attention portée aux effets qu’induit le texte-source ».
Et cela veut dire qu’il ne s’agit pas uniquement « des effets poétiques et littéraires, les effets
de style et les effets rhétoriques, mais aussi plus généralement les ″effets de sens″, les effets
sémantiques, voire les effets comiques, etc. ». Nous nous appuyons sur l’affirmation suivante
de Jean-René Ladmiral : « ce concept d’effet mérite d’être considéré comme un concept-clé
de la traductologie. » (2006, « Esquisses… », p. 10, 16 –nous soulignons). Nous convenons
donc que ce que le traducteur traduit « ce sont les effets – [« esthétiques », « par évocation »,
etc.] – qu’induit le texte-source, c’est-à-dire ce que [le traducteur] reçoi[t] de lui. » (2006 :
17). Parlant des effets esthétiques induits par le TS, Jean-René Ladmiral attire l’attention sur
la nécessité de « réinscrire la subjectivité au cœur de la traduction, de re-subjectiver [le]

2
rapport au texte et à la traduction » afin de traduire non pas ce qui est écrit, mais « ce qu’on
pense qu’a pu penser celui qui a écrit [le vouloir dire psychologique initial de l’auteur (2006 :
18) ou l’intention de l’auteur] ce qu’il a écrit quand il a écrit [le vouloir-dire sémantique du
texte, l’intention du TS]» (Ladmiral/Lipiansky, 1995 : 53)

La propriété d’évocation des culturèmes de perspective traductionnelle


existe à l’état latent dans tous les faits linguistiques (Bally, 1951, I, 204). Cette relativité
générale qui conditionne la valeur d’expression des culturèmes a pour conséquence que cette
valeur ne se révèle que par différenciation : on peut parler des culturèmes immédiatement
intelligibles (usuels, mais pas forcément à la portée du traducteur) pour les usagers natifs
d’une langue, des culturèmes peu usités (soit livresques, soit historiques, encore moins
saisissables par le traducteur), des culturèmes inusités, non usuels, variant d’un sujet à
l’autre de la langue-source (Bally, 1951, I, 208, 211).
On observera que les équivalences idiomatiques, par lesquelles triomphent
l’arbitraire, la singularité et le caractère opaque, fermé des langues (Ballard, 1993 : 253-254
et 2004 : 15), et les équivalences culturelles qui comblent, cachent l’écart culturel ne
paraissaient pas être l’heureuse solution à retenir pour rendre les culturèmes. Si l’on se
rapporte à la quadrichotomie traductionnelle déjà mentionnée, on reconnait là que ces
équivalences ne sont que des manières de fausser l’intention-source (psychologique,
sémantique et culturelle) qui se trouve brutalement remplacée par un élément de
signification et de culture propre à la LC (par la naturalisation, donc ultra-cibliste).
Avec à peu près le même effet perlocutoire, l’intraduisible (existence objective) et le
non traductible (existence subjective standardisée par le traducteur) effacent toute trace de
culturalité-source. Dans cette situation, le traducteur – en tant qu’agent transculturel –
s’empare de l’intraduisibilité culturelle et l’explique, la glose, la commente au risque de
« faciliter » la lecture. Il semblerait que la traduction littérale à la Berman16 fût la plus
appropriée des stratégies de traduction potentielles, car la seule qui permît au traducteur de
préserver l’altérité et qui exigeât de la part du lecteur-cible d’accepter la différence, et cela
sans « amender une œuvre de ses étrangetés pour faciliter la lecture, [… sans] la défigurer et,
donc, [… sans] tromper le lecteur que l’on prétend servir. [D’où la nécessité d’une] éducation
à l’étrangeté » (A. Berman, 1985a: 85-86).
Cependant, les distorsions de lecture en traduction que subit l’original actualisent des
connotations et dénotations parfois trop éloignées de la finalité du TS.17 Et si le message du
texte-source et de la culture-source passe néanmoins dans le texte et la culture cible, c’est
parce que grâce au dictionnaire « mental » du traducteur, le « sens global »18 n’est pas
entièrement altéré en traduction.
Puisque la traduction révèle l’état du dialogue culturel, le traducteur est soumis à la
toute puissance des modèles-source comme il l’est à celle de modèles-cible (texte et public).
Face à cette contrainte, l’auteur revendique l’invention et la liberté. Entre contrainte et
invention, il y a un espace dans lequel la traduction s’insère. Vu que les effets par évocation
des culturèmes résultent de leur valeur symbolique et de leur faculté d’évoquer le milieu où
leur emploi a été et reste le plus naturel (cf. Bally, 1951, 30), la représentation de la fidélité –
littérale, stylistique, sémantique, culturelle— emboîte le pas à la représentation des modes de
traduire.

4. Cas de (non)traduction des effets d’évocation des culturèmes

Pour illustrer ces cas, nous nous centrerons à la fois sur la traduction des écritures de
création que sur les articles de presse, certainement moins intéressants, car une pratique se
généralise : rendre le message en en ignorant les effets. Pour contextualiser, nous reprenons
l’idée de Bally : « nous pensons par les idées toutes les fois que nous nous affranchissons de
notre moi pour pénétrer dans le domaine de ce qui n’est pas nous. » (1951, 6). Le traducteur
s’approprie les idées qu’un autre a pensées. En conséquence, comment procédera-t-il pour
transmettre les sentiments et la réalité réfractée (et implicitement déformée subjectivement)
par les énoncés culturels employés par l’auteur?

3
La restitution littérale des éléments constitutifs du culturème-source détruit l’unité de
pensée insécable et s’il arrive que l’unité de traduction source corresponde à l’intention
sémantique (« vouloir-dire ») du texte-source, ce n’est que par hasard. Le texte-source
véhiculant des culturèmes risque d’être mal saisi si le traducteur ne démasque pas l’intention
fondatrice psychologique de l’auteur (« vouloir dire »).
Comme la possibilité de la mise en œuvre d’une stratégie de traduction
« alternativement sourcière ou cibliste » est contestée dans la mesure où précisément « les
sourciers n’ont jamais raison –que pour des raisons ciblistes ! » (J.-R. Ladmiral, « Sourciers
et ciblistes, revisités », p. 15, l’auteur souligne)19, pour traduire le culturel et le culturème, il
faut tenir compte en égale mesure de l’ « expression parlée » et du « fait de pensée » (Bally,
1951, 13).
Nous empruntons à Bally un exemple qui nous permet d’instituer un rapport entre :
fait d’expression, unité de traduction et culturème

Et bien ! cher beau-père, comment convenez-vous ce désespoir ? Êtes-vous toujours


furieux contre votre panier percé de gendre ? » (Augier, Le Gendre de Monsieur
Poirier, Bally souligne, 1951, 14)

Il faut en délimiter les contours « jusqu’à ce qu’ils correspondent à des unités


psychologiques [de pensée]. » (Bally, 1951, 14). Des deux potentielles unités de traduction: 1)
votre panier percé de gendre et 2) panier percé, seule la seconde est culturème et unité
sémantiquement indécomposable. La séquence de gendre est substituable et, par cela, la
première UT est susceptible d’engendrer des expressions palimpsestes à valeur de culturème.
Pour délimiter et identifier les culturèmes, « il faut savoir dans quelles portions d’un texte
donné, des unités expressives correspondent à des unités de pensée » qui signifient.
Pour illustrer leur comportement et les conséquences de la traduction sourcière ou
cibliste sur la transmission de leurs effets évocateurs, nous ne prendrons que trois
culturèmes simples : ubuesque, poujadisme, camembert.
Dans le langage littéraire, le mot ubuesque produit un effet naturel rendu en traduction
par une littéralité lexicale qui confirme l’assertion de Jean-René Ladmiral, « les sourciers
n’ont jamais raison que pour des raisons ciblistes ». Mais ce culturème français produit des
effets d’évocation dans un texte sociopolitique ou dans un article touchant aux aspects
sociaux, salariaux et syndicaux. Si pour le récepteur-source, il n’y a sans doute pas de
problème à saisir l’effet d’évocation, en traduction la situation est bien autre.
Prenons deux situations où un culturème, ubuesque (d’Ubu) produit des effets par
évocation : un texte géopolitique et un article de presse :

1) TS: Modifier tous les quatre mois les tarifs des médecins est un projet ubuesque (interview de
Jean-Marie Spathe, Le Monde, le 27 octobre1999).
TC: Modificarea tarifelor medicilor din patru în patru luni este un proiect absurd şi grotesc.
2) TS: (De même, les latents processus de formation nationale peuvent suivre la même
« translation », depuis les anciens États-nations de l’ouest du continent vers ceux qui, soit
renouent avec une souveraineté perdue […], soit enfin, en sont encore au stade initial de la
conscience nationale, comme on le voit en Biélorussie, soumise aux caprices d’un président
ubuesque (M. Foucher, République européenne, Paris, 2000: 99).
TC 1: […] fie că se află abia sub stadiul iniţial al conştiinţei naţionale, cum se întâmplă în
Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte ubuesc (A. Gheorghiu, M. Parău in Foucher,
Republica europeană, 2002: 101).
TC2: […]Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte inuman şi absurd
TC3: […]Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte inuman şi absurd, ubuesc
TC4: […]Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte, ubuesc, inuman şi absurd
TC5: […] Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte ceausist (de Ceausescu)
TC6: […] Belarus, ţară supusă capriciilor unui preşedinte ubuesc

Restituable par correspondance lexicale (emprunt, en l’occurrence, comme dans 1) TC 1),


le culturème à effet évocateur perdrait sa force d’évocation en LC. Expliciter le syntagme
projet ubuesque (« grotesque, inhumain, despotique, cruel, cynique », etc.), c’est tout à fait

4
approprié pour le premier exemple. Dans ces circonstances, la traduction par explicitation et
étoffement se présente comme une solution adroite et naturelle. Bien qu’elle entraîne une
entropie stylistique, la stratégie de traduction centrée sur le destinataire poursuit le transfert
d’information au détriment de la forme et de la lettre.
Dans la traduction du second exemple les traductrices prennent des risques et lancent
un défi aux lecteurs, contournent l’acculturation tiède, au profit d’une éducation rigoureuse à
la différence de l’Autre. Certes, la relativité du statut du culturème impose des traitements
divergents en traduction, dans le premier cas il est assimilé, dans le second, il est reconstruit
linguistiquement. Nous présentons dans ce qui suit les six solutions de traduction d’un
culturème, en commençant par la traduction directe d’assimilation (soit emprunt, donc
traduction exotique) : 1) traduction directe par emprunt et possible perte de l’effet
d’évocation ; 2) étoffement20, entraînant la perte stylistique et l’anéantissement de l’effet
d’évocation ; 3) préservation du culturème et insertion explicative dans le texte-cible,
conduisant à la confusion des voix de l’auteur et du traducteur, sans refaire pour autant la
signifiance-source concernant l’allusion littéraire au roi Ubu ; 4) solution composite qui
consiste à ajouter à la solution précédente (emprunt et incrémentialisation) une note en bas
de page dans laquelle le traducteur consigne les caractéristique d’un président à la Jarry ; 5)
adaptation culturelle (([preşedinte] ceausist) qui donnerait un résultat pour le moins curieux,
en dépit des éventuels traits communs aux dictateurs Ubu et Ceausescu. En tout cas un autre
effet d’évocation s’actualise en langue-cible. La recomposition de l’effet par évocation de cette
manière naturalisante/roumanisante est-elle une solution adéquate ? ultra-cibliste ?; 6) Il
n’est pas moins évident que la traduction littérale et l’explication dans une note conviennent
dans le transfert culturel parce qu’elles préservent le droit à l’identité de chacune des cultures
en relation des traduction. Maintenir le terme français, à valeur péjorative et livresque en
roumain, inusité et le commenter dans une note du traducteur assurent la distinction des
voix (intentions) de l’auteur et du traducteur, instances qui travaillent sur le sens en LS et en
LC, tout en conservant l’unicité du TS et « éduquant » en même temps le public-cible à
l’étrangeté. Cependant, il nous semble que l’effet d’évocation du culturème français est
complètement raté en langue-cible.
Ainsi, dans ces circonstances, est-elle vraiment correcte, l’affirmation selon laquelle la
liberté du traducteur est limitée par la liberté de l’auteur ? Ou devrions-nous la renverser?21
La « dialectique pratique » (Ricœur 2004, 27) de la fidélité et de la trahison,
fondement de l’esthétique de la réception (accommodée par le traducteur), fait en sorte que
cette dernière envisage de résoudre le problème de « dire la même chose ou de prétendre dire
la même chose de deux façons différentes [restituant] un identique sémantique » (Ricœur
2004, 14) à l’aide des codes linguistiques différents, dont parle Jakobson (1963, 79).
À chaque texte sa finalité, ses intentions. La réception d’un texte-source telle qu’elle
est faite par le traducteur dépasse les simples impressions subjectives et suit un itinéraire
dépendant du « vouloir dire psychologique initial de l’auteur (Ladmiral, 2006 : 18 ou
l’intention de l’auteur) et de la linguistique du texte-source ou « vouloir-dire sémantique du
texte» (Ladmiral/Lipiansky, 1995 : 53). La réception du texte-source que fait le traducteur est
fondée sur la perception esthétique (cf. Jauss 1978, 50) et sur la combinaison des « horizons
du vécu » « d’attente »22 husserliens. L’« écart esthétique » marquant la limite entre l’horizon
d’attente de l’œuvre préexistante et l’œuvre nouvelle dont la réception [et la reproduction
traductionnelle] peu[ven]t entraîner un "changement d’horizon" en allant à l’encontre
d’expériences familières ou en faisant que d’autres expériences, exprimées pour la première
fois, accèdent à la conscience » (Jauss 1978, 53).
Parfois quelque adéquate que soit sémantiquement, culturellement ou
idiomatiquement la solution, le traducteur ne préserve ni le culturème ni son entourage
culturel. L’adéquation sémantique ne garantit pas elle non plus le transfert du culturème. En
admettant qu’elle soit une option sinon une solution, il lui est pratiquement impossible de
recréer l’atmosphère culturelle source. La recréation –naturalisation, en fait— du culturème
en LC détruit l’altérité du TS parce qu’au lieu d’acculturer le lecteur-cible à l’étrangeté-
source, le traducteur favorise la production d’un texte facile à comprendre en « domptant »
l’Autre au profit du Même.

5
Les usagers d’une langue appartenant à la même catégorie sociale et bénéficiant d’une
même formation, reconstituent plus ou moins spontanément le sens du culturème dans
l’intention de la culture-source qui le produit, et non pas en dehors d’elle. Prenons un
culturème représenté par une autre lexie simple, camembert23 utilisé dans différents types
d’énoncés où il produit des effets naturels, désignant l’un des capitaux culturels français
« fromage de lait de vache, à pâte molle et fermentée » (cf. TLFi) ou des effets par évocation :

L’esprit du Camembert de Gérard Roger-Gervais, éditions Cheminements,


La fabuleuse histoire du Camembert, Gérard Roger et Marc Lalevee, 1991
Théorème du camembert paradoxal, Ladmiral (« Un triangle traductologique »,
texte inédit, 2010)

Nous n’allons pas insister sur les effets naturels pour les Français, culturels pour les
étrangers tels la première fabrication (controversée, Marie Fontaine, 1791) ou sur les
références apparaissant chez Brugerin de Champier24 ou chez Thomas Corneille (1708)
Inutile d’insister sur l’histoire de ce fromage qui met le plus l’accent sur le symbole
culturel de sorte que pour presque tout étranger il évoque la France. Si pour les deux
premiers énoncés retenus ici, des titres d’ouvrages, l’emprunt et la stratégie sourcière
paraissent s’imposer de soi, le Npr étant restitué à tort ou non par report, ou par
incrémentialisation (2) dans le texte du roumain brânza (fromage de type « telemea ») ou
cascaval (fr. fromage), et cela pour ne pas confondre avec la région, pour le troisième énoncé
les choses se compliquent. Pour respecter la position traductologique de l’auteur, on a choisi
de rendre à la cibliste le texte de J.-R. Ladmiral, et cela surtout pour rendre hommage au
philosophe de la traduction, père de l’orientation … Et sans entrer dans les détails de ce
problème, nous souhaitons seulement souligner que la traduction des effets d’évocation des
culturèmes qui paraissent dans ce texte pousse le traducteur à embrasser une stratégie
disculpante selon laquelle le texte-cible étant « entaché de disparates stylistiques », il n’a y
pas de continuum caractérisant le binôme sourciers/ciblistes (Ladmiral, « Sourciers et
ciblistes, revisités », p. 19). La version roumaine produit par compensation un (autre) effet
d’évocation en utilisant le correspondent lexical roumain caşcaval pour le fromage français
et misant sur la référence au fromage de La Fontaine (Le Corbeau et le Renard, Fables, Livre
I, Fable 2)

« Il y a le théorème du camembert paradoxal (version exotérique) ou théorème de double


lisibilité (version savante), à savoir : une bonne traduction se doit de déboucher sur un texte
qui coule et un texte qui tient — on m’accordera que pour un camembert, c'est pour le moins
paradoxal ! » (Lamdiral, 2010, art.cit.)

Conform teoremei caşcavalului pane paradoxal (versiune „exoterică”) sau conform teoremei
dublei lizibilităţi (versiune savantă), o traducere bună trebuie să producă un text care curge
(de la sine) şi care, în acelaşi timp, are consistenţă – veţi fi cu siguranţă de-acord că este cel
puţin paradoxal, pentru un caşcaval!

Et cela, parce qu’ être sourcier25 ici, ce serait garder la forme, un xénisme en roumain qui
finira sans doute tôt ou tard par être emprunté et assimilé phonétiquement et/ou
graphiquement en roum. camembert ou camambert . Cependant, parce que même les
signifiants cousins peuvent jouir d’un sémantisme radicalement différent26, et cela parce que
le traducteur sait fort bien que traduire veut dire trans-former, il n’oublie donc son devoir,
qui est de re-donner une forme au TS et de le re-mettre en forme (=texte-cible) dans la
langue-cible. Se rendant compte qu’il est impossible d’accomplir littéralement sa tâche, le
traducteur l’exécute de manière cibliste. Il nous semble néanmoins pertinent de noter que
parfois, lorsque les langues en présences sont apparentées, on ne peut exclure qu’il lui arrive
de préserver l’ordre des mots de l’original et de re-produire ainsi un effet stylistique propre à
la LS.
Néanmoins, selon nous, lorsqu’on parle de la littéralité de l’original on ne fait ni
uniquement référence à l’aspect syntaxique du texte-source, ni à la forme des signifiants-

6
source. L’effet d’évocation produit par l’unité de traduction : « théorème du camembert
paradoxal » ne passe vraiment pas en roumain. Si presque tous les Roumains savent, depuis
un certain temps, que le camembert est un fromage français, en tout cas étranger, ils n’ont
cependant pas les mêmes « attentes » que les Français : ils méconnaissent les qualités qu’on
doit exiger d’un bon camembert. Pour le public-cible ce qui peut et doit couler et tenir en
même temps est un cascaval pane (« fromage pané » ou beignet de fromage). 27
Pour le culturème poujadisme, employé dans deux types de texte : article de presse à
fonction strictement informative et texte sociopolitique) fonction à dominante
argumentative, on remarque une situation similaire au premier cas présenté !

TS: Ce concert d’attaques anti-OMC respire parfois le poujadisme rural (Le Journal du Centre,
28 novembre 2000).
TC1: Acordul de atac anti-OMC este marcat de o atitudine politică revendicativă rurală.
TC2: Acordul de atac anti-OMC are uneori accente de demagogie rustică.
TC3: Acordul de atac anti-OMC dă uneori impresia unei politici demagogice rurale
/demagogii rurale.
TS: Le poujadisme ou l’échec politique (A. Collovald, 1989 : 113-133)28
TC: Pujadismul sau eşecul politic

Il est à observer les stratégies de traduction auxquelles font recours les traducteurs,
selon la finalité du TS. Dans le texte sociopolitique, traduction par emprunt donc sourcière et
tactique d’assimilation, au cas où l’on déterminologise, il faut faire appel à la définition et
l’étoffement. Dans la traduction de l’article de presse, nous avons une traduction
approximative, par explicitation, déterminologisation et étoffement, car la finalité essentielle
de ce type de texte est de renseigner avec clarté ; simplicité et précision : transmettre une
information. La (non)traduction du français poujadisme ne relève d’aucune nécessité absolue
apparemment et l’on aperçoit en comparant les désignations de ce concept dans les deux
langues que le commentaire dans une note du traducteur nous épargnera toute confusion. Le
poujadisme c’est le signe d’un certain rapport de la culture française source (CS) avec la
culture roumaine, cible (CC). Analyser ce rapport présente un intérêt non seulement pour
l’espace culturel français, mais encore pour les autres cultures-cible.

Conclusion
Nous voudrions conclure notre étude consacrée à la réflexion sur la traduction des
effets d’évocation par l’affirmation renouvelée qu’il existe plusieurs façons d’appréhender et
traduire le message proposé par le culturème, tout en correspondant néanmoins à une
convenable adaptation aux intentions traductionnelles (psychologique, sémantique,
culturelle, idéologique) et en variant également avec les circonstances de réception ; elles
sont donc fonction du nombre de « variables variables » (Larose, 1998).
Considérant qu’avec les mots29 on peut dire « non seulement la même chose autrement,
mais aussi dire autre chose que ce qui est. » (Ricœur 2004, 50 – c’est l’auteur qui souligne), il
convient à cet instant de renforcer l’évidence (pour certains) et de dissiper le doute pour
d’autres à propos de ce qui se trouve en amont de la traduction. Rendre les effets d’évocation
des culturèmes ne semble alors plus être un paradoxe. Leur traduction se réalise avec plus ou
moins d’effets évocateurs ou avec d’autres effets d’évocation. Une dernière question reste à
poser30, en guise d’ultime conclusion : Le traductologue cibliste consent-il volontiers à ce
qu’on gomme les particularités culturalistes de son style lors de la traduction de ses œuvres ?

Notes
1 Nous nous référons aux éléments de la quadrichotomie traductologique qui renvoient chacun à une théorie de
traduction : les ultra-sourciers et la théorie de la fidélité à la langue-source, la théorie sémantique centrée sur le
discours, la théorie de la compréhension cibliste, située surtout au niveau de la parole, la théorie de l’adaptation
ultra-cibliste ; mais nous envisageons aussi les théories de l’intraduisibilité et de la non-traduction.
2 Voir J.-R. Ladmiral, « Sourciers et ciblistes, revisités », p. 16. Nous y voyons une théorie qui interroge les fausses

évidences (la traductologie est-elle un discipline autonome ou une sous-discipline ? une science ?), qui inverse les
points de vue et prend donc pour « objet spécifique l’activité même de traduire, en amont de ce qui deviendra le

7
texte-cible d’ « une traduction ». Au lieu de travailler à une « description linguistique », J.-R. Ladmiral s’engage
« dans la démarche réflexive d’une traductologie productive » (« Dichotomies traductologiques » 2004, 35).
3 Ladmiral, « Sourciers et ciblistes, revisités », p. 16.
4 Qui en appelle tout à la fois à la linguistique (car « s’agissant de la traduction, il est communément admis que

c’est l’affaire des linguistes », Ladmiral, 2004, 26), à la philosophie, à la psychologie cognitive, à la logique, à
l’épistémologie et à l’informatique. Et cela parce que « l’unité de la théorie […] permet de prendre la mesure
exacte de la pluralité des pratiques et de faire droit à leurs spécificités respectives. » (Ladmiral, « Un triangle
traductologique », discours prononcé à l’occasion de la remise du diplôme et des insignes de docteur honoris
causa de l’Université de l’Ouest –Timisoara, le 25 mars 2010).
5 Voir à ce sujet Moles, 1967, Els Oksaar, 1988, Vermeer et Witte, 1990, G. Lungu-Badea 2004. Je ne reprends pas

ici le problème de la définition des culturèmes que j’ai développé dans plusieurs articles depuis 2001, dont le
dernier est paru en 2009, « Remarques sur le concept de culturème ». Translationes: « Traduire le culturème »,
N° 1/2009, Timişoara, Editura Universităţii de Vest, Timişoara, p. 15-78.
6 Pour des raisons apparentées à celles qu’invoque J.-R. Ladmiral lorsqu’il récuse le « manichéisme conceptuel »

du clivage sourciers/ciblistes. Ce binôme ne représente pas une antinomie qui oppose deux entités en soi, pas plus
que le signifiant ne s’oppose au signifié, « les concepts de sourciers et de ciblistes ne devront pas faire l’objet d’une
essentialisation : les deux termes de cette polarité font un couple, ensemble ; et c’est à ce titre qu’ils permettent de
problématiser concrètement la pratique traduisante. » (Ladmiral, « Sourciers et ciblistes, revisités », p. 20 –
l’auteur souligne). Le modèle binaire ne peut pas être rejeté ni de la traductologie francophone, ni de la
traductologie générale issue de toutes les langues confondues (embabelées). À qui rendra service le fait de
renoncer à ce binôme jusqu’ici opérationnel ? Nous croyons que ce sont justement les arguments culturalistes de
ceux qui se réclament de Gideon Toury, 1995, et de ses concepts d’acceptabilité et d’adéquation qui viennent
renforcer la classique productivité de la dichotomie ladmiralienne antérieurement citée. D’ailleurs, Ladmiral
montre qu’il ne s’agit pas uniquement d’un dépassement, mais plutôt d’un déplacement car au-delà du fait
incontestable que l’adéquation à une culture et/ou à une époque historique données mais aussi que
« l’acceptabilité par le lecteur-cible désigne une problématique intéressante », ces concepts ne recouvrent
qu’incomplètement celle qu’évoque le clivage sourciers/ciblistes (Ladmiral, « Sourciers et ciblistes, revisités », p.
7).
7 « On pourra être sourcier jusqu’à un littéralisme inintelligible » (traduire du chinois, de l’hébreu, de l’allemand

en respectant l’ordre des mots/la syntaxe de la LS) (Ladmiral, « Sourciers et ciblistes, revisités », p. 19).
8 J.-R. Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction, p. 57, 190, 318 et passim, voir aussi « Sourciers et

ciblistes, revisités », p. 19. Christiane Nord (1991, 70-71) présente la traduction instrumentale comme le résultat
d’une intention traductionnelle qui consiste à gommer les traces de l’original, sacrifiées au profit de la
communicabilité et de l’acceptabilité (ultra-cibliste) afin de se présenter comme un texte autonome – pareil au
belles infidèles.
9 Voir Ladmiral (« Dichotomies traductologiques », 2004, p. 46, 2006, « Esquisse… », p. 5) sur la traduction

littérale « orthonymique » dont parlent Chevalier/Delport (1995) adéquate à la LC, mais en respectant fidèlement
les effets induits par le TS.
10 « Les ciblistes partent non pas du signifiant, ni même du signifié, mais du sens ou de l’ « effet », du texte à

traduire ; l’essentiel n’est pas la langue, mais la parole ou le discours, c’est-à-dire le message, le texte, l’œuvre ; et
enfin ils n’ignorent pas que la « tâche du traducteur » est de produire le texte d’une traduction qui va mettre en
œuvre l’ensemble des ressources propres à la langue-cible. » (Ladmiral, « Dichotomies traductologiques », 2004,
p. 46-47, – l’auteur souligne). Il n’est pas sans intérêt de mentionner le point de vue de Christiane Nord (1991, 70-
71) qui identifie quatre types de traduction documentaire : mot à mot, littéraire, philologique, exotisante, selon
que le traducteur se focalise sur tel ou tel aspect du texte, de la langue et de la culture source. La première est
centrée sur un littéralisme syntaxique, lexical, morphologique, sémantique, alors que les trois dernières tiennent
compte à des degrés différents du lecteur et de la finalité du texte-source. Celle des quatre qui présente le plus
d’intérêt ici, c’est la traduction exotique qui préserve les realia, les culturèmes ou mots culturels et les traits de la
culture-source.
11 Qui « ne sont pas des traductions ciblistes, contrairement à ce que certains semblent vouloir croire [mais] des

traductions ultra-ciblistes ! Car les ciblistes occupent en l’occurrence une position médiane : ils sont foncièrement
fidèles au texte, sur le mode de la dissimilation. […] c’est la position modérée de la raison classique par opposition
aux illusions romantiques de la position sourcière, et aux débordements de la licence ultra-cibliste. » (Ladmiral,
« Sourciers et ciblistes, revisités », p. 19-20 – l’auteur souligne).
12 Dépendant du contexte global, de l’intention de la culture-source et du « vouloir dire » d’origine, le culturème

peut être rendu par des lexies simples ou composées, par des syntagmes ou par des unités phraséologiques, par
des expressions idiomatiques ou par des allusions culturelles, par un minitexte ou encore par une unité de
traduction zéro lorsque le culturème et l’unité de traduction sont absents du texte-cible. Le culturème issu d’une
expression s’inscrit dans un processus individuel, non pas collectif, ce qui explique sa grande variabilité.
13 Par exemple, culturèmes actuels : ubuesque, poujadisme ; culturèmes historiques : Fréron, folliculaire,

optimisme (Candide de Voltaire).


14 Inutile de nous demander ce que veulent dire les culturèmes historiques suivants: Ileana Cosânzeana, Fat-

frumos, Oastea lu’ Papuc, limbă. Les mots qui composent le culturème, ils ont perdu toute signification
individuelle, le culturème devenant une unité insécable.
15 Embrassons-nous, X ! ou Embrassons-nous, le littéralisme ! selon l’expression française « Embrassons-nous,

Folleville ! » (Labiche)
16 Et par cela nous comprenons une littéralité sémantique et non pas une manière ultra-sourcière de traduire.

8
17 Dans « Linguistics and Ethnology in Translation Problems » (1945), E. A. Nida a abordé scientifiquement cet

aspect en utilisant les catégories de l’anthropologie culturelle américaine selon lesquelles il distingue cinq types de
problèmes de traduction dus 1) à l’écologie, 2) à la culture matérielle, 3) à la culture sociale, 4) à la culture
religieuse, 5) à la culture linguistique (Nida, 1945, 196).
18 « Traduire est aujourd’hui non seulement respecter le sens structural, ou linguistique, du texte (son contenu

lexical et syntaxique), mais aussi le sens global du message (avec son milieu, son siècle, sa culture, et, s’il le faut, la
civilisation toute différente dont il provient) s’ajoute au sens structural ou linguistique du texte (Cf. Mounin in :
Cary et Jumpelt, 1963, 51 et 55, cité par Jean-Claude Margot, Traduire sans trahir : la théorie de la traduction et
son application aux textes bibliques. Préface par Georges Mounin, Lausanne, L’Âge de l’homme, 1979, 81-82).
19 « Concrètement – continue-t-il son argumentation – : il arrive que, dans le cours de notre travail de traduction,

nous constations parfois que nous en sommes revenus à une solution de traduction qui se trouve être une
traduction littérale, certes. Mais je prétends que le bon traducteur en est arrivé là non parce qu’il a ″collé″ à la
formulation du texte original, en langue-source, mais parce que c’est la formulation en langue-cible qui s’est
trouvée la plus propre à donner une traduction qui soit un texte. Sans parler du fait que l’approche sourcière
suppose une proximité entre les langues en présence (sous-tendue par des affinités interculturelles) qui n’est
nullement donnée a priori même s’il arrive assez souvent que ce soit le cas. » (Ladmiral, « Sourciers et ciblistes,
revisités », p. 15)
20 L’étoffement (preşedinte) inuman şi absurd (dans 1) TC et 2) TC2) entraîne des pertes stylistiques. Il est

certain que la stratégie de traduction « traduit » la lecture-interprétation du traducteur, sa visée éthique et


poétique, subordonnée au bagage cognitif du traducteur et aux divisions sociolinguistiques par lesquelles les
cultures source et cible définissent leurs identités parfois irréconciliables.
21 « Lorsqu’on interprète une œuvre d’art, l’objet (l’œuvre elle-même) et le sujet (la culture du critique) se

déterminent réciproquement, et je pense que nous ne pourrons traduire cette double détermination en une image
théorique adéquate – c’est à dire sans courir le risque, par principe fatal, d’une trahison profonde- que si nous
faisons appel à […] la notion de pertinence » (Nanni, 1991, 3-4 – l’auteur souligne).
22 Chez Jauss, l’attente est quasi exclusivement l’expérience des premières lectures d’un ouvrage (Jauss 1978, 51).
23 Emprunté et assimilé phonétiquement et/ou graphiquement en roum. camembert ou camambert [Pr.:

camambér] : s.n. Brânză fermentată, moale, grasă, preparată din lapte de vacă. [fromage de lait de vache, à pâte
molle et fermentée] – Din fr. camembert. Au fig., fam. Situation lucrative et de tout repos. Synon. sinécure, en
roum. cascaval. Le fromage français correspond à cascaval , qui diffère de brânză telemea (fromage au lait cru et
fermenté ; obtenu par caillage).
24 Brugerin de Champier, Re Ciberia, 1569, les « fromages du Pays d'Auge ».
25 La réponse ne tarde pas : « on ne peut tenir la position du littéralisme sourcier en traduction que si l’on travaille

sur des langues proches, que rapprochent entre autre certains cousinages intellectuelles, comme c’est le cas pour
la plupart de nos langues ″occidentales″, et plus spécifiquement encore sur les langues romanes par exemple. Il y
faut des langues qui aient les mêmes ″parties du discours ″, des familles lexicales analogues, avec éventuellement
des étymologies parallèles, des références communes… faute de quoi l’idée même de littéralisme en traduction n’a
plus d’objet. Mais même là, dans le meilleur des cas, la proximité étroite des signifiants est bien trompeuse.
L’essentiel se joue au niveau [du] sens pragmatique de la phrase en parole, et plus encore du texte, dans les
diverses langues-cultures considérées, au niveau de tout ce que chacune d’entre elles véhicule. » (J.-R. Ladmiral,
« Sourciers et ciblistes, revisités », – l’auteur souligne).
26 Voir aussi les exemples de J.-R. Ladmiral : mouvance, movida, mouve.
27 Des effets d’évocation apparaissent dans la traduction roumaine des autres théorèmes, même si l’on n’a plus

affaire à des culturèmes, ou de la métaphore « la linguistique appliquée est un peu comme la chauve souris », dont
les solutions envisageables ont été : cal de mare « cheval de mer » (hippocampe) ou cântăreaţa cheală
« cantatrice chauve », où l’on a perte des effets d’évocation source et d’autres effets d’évocation en langue-cible.
28 Poujadiste (mouvement poujadiste, listes poujadiste cf. Collovald, 1989, 117, 122, 133) est l’attribut de ce

mouvement qui a essayé de devenir une force dans la politique française, ayant pour but de représenter toutes les
catégories de commerçants: artisans, boulangers, mécaniciens, etc., mais n’ayant pas trouvé la stratégie adéquate
pour devenir autonome, pour promouvoir ses droits (v. aussi Barthes, Mythologies, 1957, 182) et s’imposer face à
l’élite politique.
29 Selon Ricœur, il y a trois types d’unités : les mots, les phrases, les textes (2004, 46)
30 Pour des raisons techniques, je n’ai pas été en mesure de poser cette question lors de l’entretien du 28 mars

2010, « Qu’est-ce qu’un traductologue ? » qui paraîtra dans le numéro 2 (2010) de la revue Translationes.

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