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L’alternance codique:
I.1.Définition:
On désigne par « l’alternance codique » le changement fonctionnel d’une langue à une autre
au sein d’un même énoncé dans le but de se faire comprendre. Ce changement est également
appelé « code-switching ».
La notion d’Alternance Codique (AC) remonte aux années cinquante et est liée au nom du
linguiste américain Haugen qui a été le premier à avoir utilisé ce terme : « l’alternance
codique a lieu lorsqu’un bilingue introduit un mot non assimilé d’une autre langue dans son
discours ».
Avant lui, et dès 1953, Weinreich s’était intéressé dans son ouvrage Languages in Contact
aux phénomènes liés au contact des langues. Il considérait alors le transfert d’éléments
lexicaux d’un système linguistique vers un autre comme relevant de l’inattention. Lorsque un
individu est confronté à deux ou plusieurs langues qu’il utilise tour à tour, il arrive quelles se
mélangent dans son discours et produisent des énoncés ‘’bilingues’’
Il s’agit de collage, de passage dune langue à une autre, que l’on appelle ‘’mélange des
langues’’ (de l’anglais : code mixing) ou alternance codique (de l’anglais : code switching)
Les deux notions peuvent répondre à des stratégies conversationnelles à savoir : produire du
sens.
J. Gumperz déblayait le champ de ce phénomène : « L’alternance codique dans la
conversation peut se définir comme la juxtaposition à l’intérieur d’un même échange verbal
de passage ou le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux
différents. ».
Il précise à ce sujet que le « code-switching » est « l’alternance ou le glissement qui a lieu à
l’intérieur d’une même conversation d’une manière moins consciente, plus automatique, sans
qu’il y ait changement d’interlocuteur, de sujet ou d’autres facteurs majeurs dans
l’interaction ». La sélection et le passage d’une langue à une autre se font d’une façon
automatique loin d’être soumise à une règle de mélange.
Shana Poplack , qui s’est intéressée au coté grammatical, présente de son coté l’AC comme
« l’alternance de deux langues au sein d’un discours, phrase ou constituant de phrase ».
Selon elle, il y a plusieurs catégories d’AC : si l’alternance a lieu dans une discussion entre les
phrases,
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elle sera qualifiée d’alternance extra-phrastique (extra- ou inter-sentential switching) ;
lorsqu’elle a lieu au sein d’une même phrase, il s’agira là d’une alternance intra-phrastique
(intra-sententialswitching).
La troisième catégorie, qu’elle nomme « alternance codique emblématique », est celle qui a
lieu lorsque le locuteur change de langue pour utiliser une expression exclamative ou une
interjection (Tags) et que Louise Dabène appelle « insert ».
I.2. Les types de l’alternance codique :
Le mélange de deux langues dans le discours du sujet bilingue ; peut être caractérisé en
plusieurs formes qui se différencient les uns des autre. Nous proposons, dans ce point,
quelques typologies de l’alternance codique qui nous semblent complémentaire, il s’agit plus
précisément des typologies de J.Gumperz, Shana Poplack, Louisse DABENE et Jacqueline
BILLIEZ.
I.2.1. La typologie de GUMPERZ:
J. GUMPERZ (1982) a distingué deux usages de l’alternance linguistique qui exposent son
emploi au sein d’une conversation chez des locuteurs bilingues, le premier sous l’échéance
d’alternance codique situationnelle, le second sous l’appellation d’alternance codique
conversationnelle ou métaphorique.
L’alternance codique situationnelle dépend des variétés, des activités et des réseaux différents
dans divers situations, mais aussi de l’appartenance sociale du locuteur. Les moyens
langagiers du répertoire sont variés d’une façon divisée selon le thème traité et le changement
lié aux modifications des circonstances de communication (interlocuteur, lieu, sujet, etc.).
Gumperz, déclare, « cas de compartimentation de l’usage langagier : Les normes de sélection
des codes tendent à être relativement stables, correspondent à des étapes où à des épisodes
structuralement identifiables. »
L’alternance de type situationnel, attachée à des échanges diglossiques en emploi du contexte,
du genre d’activité ou encore des interlocuteurs
L’alternance codique conversationnelle : dite aussi métaphorique, présente tous les
changements ou modification spontanées qui se produisent de manière automatique à
l’intérieur d’une même conversation, sans le changement d’interlocuteur ou de sujet de
discussion, c’est une alternance de code à l’intérieur de la même interaction, avec le même
interlocuteur et sur le même thème.
Le bilingue va utiliser son répertoire linguistique pour faire passer le message dans la langue
de son choix tout en sachant qu’il sera compris par son interlocuteur.
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J. GUMPERZ, dans un texte bien connu, a mis en évidence les fonctions conversationnelles
de bases de l’AC et envisagé une typologie organisée qui vaut pour chaque situation de
communication et comprennent 06 fonctions.
Robert Nicolaï les résume ci-dessous :
Les citations : des énoncés peuvent être rapportés au style directe ou non, s’ils
sont rapportés au style directe, alors on a affaire à une « mise en scène » où
l’auteur « choisit ». Il peut également « choisir » la langue,
La désignation d’interlocuteur : sélectionner son interlocuteur, à qu’il l’on s’adresse,
ce type d’alternance a une fonction emphatique et est principalement employé par les
locuteurs qui ne maitrisent la langue de laquelle se produit la conversation.
Les interjections : pour montrer, plutôt qu’affirme, les sentiments du locuteur. Chacun
sait qu’on jure mieux de sa langue,
Réitération : équivalent à une reformulation du discours, ce sont des passages d’une
langue à l’autre ayant une fonction paraphrastique qui peuvent être mieux assurée par
l’effet d’un changement de code ,
La modalisation du message : le locuteur modalise ou précise le contenu de la phrase
principale par le biais de la phrase secondaire,
La personnification/ objectivation : s’impliquer ou ne pas s’impliquer dans le
message traduit, exprimer une opinion personnelle, un fait généralement admis.
Cette typologie, qui fut souvent reprise, appelle un commentaire.
I.2.2. La typologie de Poplack :
Selon la structure syntaxique des segments alternés, Shana Poplack distingue trois types
d’alternance codique, intra-phrastique, inter-phrastique ou extra-phrastique. En s’appuyant
sur deux contraintes linguistiques : la première concerne la contrainte grammaticale, c’est la
contrainte du morphème libre où l’alternance peut se produire entre un morphème et un
lexème et la seconde c’est la contrainte d’équivalence des éléments juxtaposés où la régularité
syntaxique est fondamentale.
L’alternance intra-phrastique, se caractérise par l’existence de deux structures syntaxiques
dans deux langues distinctes à l’intérieur d’une même langue.
Elle peut affecter aussi des mots d types nom-complément, verbe-complément et même entre
préfixe ou suffixe appartenant à une langue et un lexème appartenant à une autre langue.
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L’alternance inter-phrastique : dite aussi phrastique, correspond à l’usage alternatif au niveau
d’unités plus longues, de phrases ou des fragments de discours dans les productions d’un
même locuteur ou dans les prises de parole entre interlocuteurs.
Dans ce type d’alternance, le locuteur cherche une facilité ou une fluidité dans les échanges.
Il se donne le choix de langue et de passage d’une langue à une autre.
L’alternance extra-phrastique : apparait lorsque les segments alternés sont des expressions
idiomatique ; des proverbes (on parle aussi, pour ces cas d’étiquettes).
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Exemples :
-« Ouaalach tadahki wch kayn » ? pourquoi tu ris ?qu’est ce qu’il y a.
-« Ekteb ou eskout rak felkism ». écris et tais-toi, tu es en classe.
-« maalabalekch win rana »? tu ne sais pas où nous sommes.
-« Wec rak edir » ? qu’est ce que tu es en train de faire ?
1.1.2- Poser des questions d’ordre personnel :
-« win raw kourask ?maandkch français lyoum » ? où est ton cahier ? tu n’as
pas français aujourd’hui ?
-« Win raw lmiizar taak »? où est ton tablier ?
1.1.3- Evaluer la réponse d’un élève :
-« Lala rak ghalet ».non, c’est faux.
-« Sahit, hadhi hya ».très bien, c’est cela.
-« hayel ». excellent.
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1.2.3- Demander quelque chose :
-Madame, « kemelt, arwahi choufini ». J’ai terminé, venez me voir
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par exemple.
L’enseignant va expliquer et résoudre le problème de la manière suivante :
-Attention ! « ngoulou » arbre / les arbres [en écrivant au tableau] / « choufou
maaya » regardez moi / « esse bin » deux voyelles « nekrawh » : « zède »,
lorsque le « s » se trouve entre deux voyelles on le lit « z ».
-Le français « nekrawh mina lyassare ila lyamine ». la lecture en français se fait
de la gauche vers la droite.
Pour rappeler que la lecture en français n’est pas comme celle en arabe, mais
dans le sens contraire.
2.1.3- Donner des consignes :
En donnant aux apprenants une consigne en langue étrangère, si l’enseignant a
constaté qu’ils ont du mal à saisir le bon sens de la consigne, il peut leur donner
la traduction de la consigne en langue maternelle. Exemple :
Cocher la bonne réponse [mettant une croix au tableau] / « nhot « x » amam
elijaba esahiha ». Je mes une croix devant la bonne réponse.
2.1.4- Faire passer le message :
Il se peut aussi que le recours se fait pour passer le message entièrement, par
exemple en posant la question : « quel temps fait-il en hiver ? », si les
apprenants n’ont rien compris, l’enseignant doit –après quelques essais- se
retourner vers la langue maternelle pour faire passer le message d’une manière
plus explicite :
-« kifah ykoun ljaw » ? Comment est le temps ?
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2.1.5- Guider l’apprenant :
Nous pouvons aussi répertorier la fonction de « guidage » de l’alternance
codique :
-Zo « maa » ro / ensemble, « yalah » allez y.
Passant à l’utilisation des chiffres, l’utilisation de la langue maternelle dans ce
cas est considérée comme une des stratégies de l’alternance codique à ce niveau
d’apprentissage :
-Ouvrez vos livres de lecture à la page 46 / « sita oua arbaoun » / quarante six
[en écrivant le chiffre au tableau car il se peut que les élèves à ce niveau ne
savent pas compter en français que jusqu’à dix].
2.1.6- Clarifier :
Les alternances initiées par l’enseignant en vue de clarification des contenus :
-Corriger l’incompréhension :
-C’est faut ! / « khati » (ce), ce n’est pas( ce) / c’est « esse » (s).
-Non ! / « mich » (e) ce n’est pas (e) / c’est (u).
-Lever une ambiguïté :
-Le dernier jour / « akhir yaoum filosbouaa », le dernier jour de la semaine.
- Eviter un malentendu :
Prenant l’exemple des quatre saisons, si l’enseignant constate qu’un apprenant a
confondu une des saisons avec une autre, il va intervenir de la manière suivante :
-Comment on appelle l’hiver en arabe ? « wech men fasl »,quelle saison ?
2.2- Du côté de l’apprenant :
2.2.1- Fonction de vérification :
Elle permet à l’apprenant de s’assurer s’il a bien saisis une consigne :
-« Nersmou jadwal »? nous dessinons un tableau ?
-Madame ! « nektbou eff » ? on écrit (f) ?
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2.2.2- Fonction d’explication :
Pochard15 a constaté que l’emploi récurrent de la langue maternelle dans ce cas
est souvent utilisé pour répondre à deux types de questions :
Qu’est-ce que c’est ? , Comment cela s’appelle ?
-qu’est-ce que c’est l’hôpital ?
-« Almostachfa » l’hôpital.
-Il y a sept jours dans une semaine, qu’est-ce que c’est une semaine ?
-« Alousbouaa » (la semaine).
Dans ce cas, l’enseignant incite les apprenants indirectement à répondre en
langue maternelle, l’alternance codique ici joue un rôle très important, elle lui
permet de vérifier la compréhension des mots et des énoncés présentés aux
apprenants.
2.2.3- Fonction de compensation :
Pour remédier son insuffisance linguistique, l’apprenant utilise l’alternance
comme une stratégie de secours :
-L’infermière ou…./ comment ça s’appelle aussi ?
-« Almoumaridha » (l’infermière).
-ça c’est en arabe / mais comment ça s’appelle aussi en français ?
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L’enseignant encourage parfois l’apparition des alternances codiques à des fins
d’apprentissage, pour mieux expliquer une leçon ou une consigne, structurer le déroulement
d’un cours ou chercher la proximité et la chaleur humaine dans le contact avec les apprenants.
V.2. Une stratégie d’apprentissage :
Les apprenants préfèrent souvent le passage d’un code à l’autre quand ‘ils ne trouvent pas les
mots exactes à utiliser pour traduire leur pensée.
D’après Coadou52, le changement de code servirait de « soupape de sécurité pour canaliser
l’angoisse et la surmonter ». En d’autre terme, les apprenants peuvent s’exprimer librement
sans angoisse. Car l’alternance codique a une influence très remarquable sur le coté expressif
et émotionnelle des apprenants.
V.3. Une stratégie discursive :
D’après Thiam53, « le passage d’une langue à l’autre est considère comme l’intégration
sociale des individus ». En d’autre terme, avec la non maitrise de la langue cible (le français)
par les apprenants à ce niveau là, l’alternance codique devient une stratégie qui influe sur les
relations interpersonnelles. C’est également un rappel à l’auditoire que le locuteur à des
identités multiples associées à chacune des variétés linguistiques.
V.4. Un caractère ludique :
Le passage d’une langue à l’autre peut procurer un plaisir qu’il ne faut pas oublier de
souligner, le mélange est très drôle et la créativité en mélangeant permet aux vrais bilingues
d’éprouver un grand plaisir à mélanger les langues. Ainsi lorsque les interlocuteurs s’amusent
avec les différents codes, ils créent un sentiment de complexité.
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