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UNIVERSITÉ CADI AYYAD

FACULTÉ POLYDISCIPLINAIRE DE SAFI


DÉPARTEMENT DE LANGUE,
LITTÉRATURE ET COMMUNICATION
FRANÇAISES

Filière des Études Françaises

Cours de Pragmatique
S6

M. El Mustapha Lemghari
Introduction

● La pragmatique, issue essentiellement des travaux d’Austin et de


Searle en philosophie de langage, est une branche de la
linguistique qui s’occupe de l’étude de l’usage du langage,
autrement dit des significations dont on ne peut rendre compte
que grâce au contexte extralinguistique.

● Le terme pragmatique réfère à bon nombre de théories dont le


point commun est de s'intéresser au langage sous sa dimension
extralinguistique.

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M. Lemghari
Introduction

Parmi les phénomènes qui forment l’objet d’étude de la


pragmatique, on trouve :

 les aspects indiciels du langage qu’introduisent des


éléments dits déictiques tels que les démonstratifs, les
pronoms personnels, les adverbes, bref, les éléments
linguistiques qui font référence au contexte d’énonciation,
à savoir le moment (temps et aspect du verbe) et la
situation de production de l’énoncé, les participants à la
communication.

 les procédés inférentiels auxquels nous recourons pour


comprendre aussi bien le sens des énoncés linguistiques
que les intentions des locuteurs à partir des connaissances
générales que nous partageons sur le monde. De telles
théories s’inspirent du philosophe américain Paul Grice en
matière de la distinction entre le sens littéral de l’énoncé,
formé par la somme des sens des unités constitutives, et le
sens non littéral ou impliqué que le locuteur assimile sur la
base d’un certain nombre de paramètres situationnels.
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M. Lemghari
Introduction

 les travaux de Ducrot sur la présupposition relèvent aussi


des études pragmatiques. Dans ce cadre, l’acte
d’énonciation se situe la plupart du temps à trois niveaux
de sens distincts : le sens explicite (sens posé), le sens
acquis (sens présupposé) et le sens implicite (sens sous-
tendu).

 ce qu’il convient de citer de prime abord comme objet


d’étude de la pragmatique, ce sont les actes de langage,
avec, en premier lieu, la distinction entre énoncés
performatifs et énoncés constatifs.

 Tout bien considéré, la pragmatique se définit, de manière


générale, comme l’étude des relations entre le langage et
les contextes extralinguistiques de ses différents usages.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

L’énonciation se définit par opposition à l’énoncé.

 L’énonciation est l’acte individuel de l’utilisation de la


langue.

 L’énoncé est le résultat de l’acte d’énonciation.

Ainsi définie, l’énonciation recouvre l’ensemble des facteurs et des


actes à l’origine de la production de l’énoncé. À cet égard, les
similitudes entre l’énonciation et les actes de langage sont claires.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

● L’énonciation a été la parente pauvre des études linguistiques.


Peirce (1931-1935) est considéré comme le premier à en avoir
décrit la nature complexe, attirant ainsi l’attention sur ses
aspects linguistiques et leur implication dans le processus de
communication en général.

● Peirce a constaté que certains signes linguistiques tels que les


pronoms personnels je, tu, etc. sont à la fois des symboles en ce
qu’ils appartiennent au lexique et des indices dans la mesure
où ils sont en relation de référence directe avec la situation
d’énonciation. Ces faits, qui relèvent de la deixis indicielle, ont
été systématiquement examinés par Jespersen (1922, Jakobson
(1963), Benveniste (1966, 1970, 1970), entre autres.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

● Les symboles indiciels sont de deux types, les symboles


grammaticaux et les symboles sémantico-référentiels.

 Au sein du premier groupe, on distingue les pronoms


personnels (je et tu), les démonstratifs (ce, cet, ces…), les
adverbes (ici, maintenant, aujourd’hui, hier,…), le temps du
verbe, les termes modalisateurs comme certainement, peut-
être, sans doute,…qui traduisent le degré d’adhésion du
locuteur à son énoncé, les verbes dits performatifs, etc.

 Le second groupe comprend des catégories comme


l’identité des interlocuteurs, le temps d’énonciation, le lieu
et les modalités d’énonciation.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Référence absolue / référence relative

La compréhension du rôle des déictiques commence par la


distinction de deux types de référence en rapport d’opposition,
la référence absolue et la référence relative (cf. Kerbrat-
Orecchioni, 1980; Nyckees, 1998, entre autres).

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

 On parle de référence absolue pour une entité sur laquelle


on ne dispose pas de connaissances particulières
susceptibles de l’identifier. A titre d’exemple, l’expression
un homme en manteau dans l’énoncé un homme en manteau
se promenait le long de la rivière est en référence absolue
parce que la relation avec la réalité n’a lieu qu’en vertu de
la connaissance de la langue et non en vertu de
circonstances identificatoires spécifiques.

 On parle de référence relative pour une entité sur laquelle


on dispose de connaissances propres à l’identifier
adéquatement. Cette référence subsume à son tour deux
autres types de référence, une référence par rapport aux
éléments du cotexte et une référence par rapport aux
éléments du contexte.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Contexte / cotexte

Les notions de contexte (ou situation de discours) et de cotexte


sont d’une importance capitale en pragmatique.

 Le contexte désigne l’ensemble des circonstances où se


réalise l’acte d’énonciation, autrement dit, toutes les
indications au sujet des relations interactionnelles qui
englobent les interlocuteurs et leur entourage physique,
social et historique dans le procès d’énonciation.

 Le cotexte désigne, par contre, l’entourage strictement


linguistique d’un élément à l’intérieur d’un énoncé, c’est-
à-dire les éléments qui le précèdent et le suivent dans cet
énoncé.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

 L’importance du contexte pour l’analyse linguistique


s’explique en termes de la contribution des éléments
situationnels à l’interprétation des énoncés. On s’accorde à
dire que l’interprétation uniquement cotextuelle de
certains énoncés est impossible parce qu’elle néglige tout
des motifs et des effets de l’énonciation.

 Notons incidemment qu’une différence entre le contexte


et le cotexte est que le premier, à la différence du second,
n’est pas constitué de mots.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Déictiques

● Les déictiques (dits aussi embrayeurs) appartiennent à la


référence contextuelle (ou situationnelle). Ils désignent une
classe d’unités linguistiques qui renvoient dans la situation
de communication à des éléments de la réalité non
linguistique. Tel est le cas, par exemple, de je et tu qui
désignent dans un échange verbal selon les tours de la
parole, alternativement , le locuteur et l’interlocuteur.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

● Ces unités n’ont de sens que lorsqu’ils se trouvent employés


dans le cadre d’un échange spécifique. Autrement dit, ils ne
parviennent à référer à des éléments de la réalité
extralinguistique que si les conditions d’énonciation (qui
parle ? à qui ? où ? quand ?), soit le cadre énonciatif, sont
remplies. Leur sens ou valeur réside donc dans le seul
processus de référence à des entités de la situation
d’énonciation.

● Les déictiques relèvent de différentes catégories syntaxiques,


dont notamment les catégories des pronoms et des
déterminants.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Pronoms déictiques / pronoms anaphoriques

● Les pronoms personnels je, tu, nous, vous ne sont pas


susceptibles d’emplois anaphoriques; donc, ils ne requièrent
pas la mise en œuvre de la distinction référence contextuelle /
référence cotextuelle.

● Les pronoms personnels il(s) et elle(s), eux, peuvent apparaitre


en emploi déictique ou anaphorique selon qu’ils réfèrent à des
éléments de la situation ou à des éléments du cotexte
linguistique.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

♦ Illustration

 Pour illustrer l’emploi déictique du pronom il, on imaginera


une situation où un locuteur, lors d’un échange verbal, dit à
son interlocuteur à la proche d’une personne Sera-t-il de la
partie ce soir? en accompagnant cet énoncé d’un geste du
menton à son endroit. Le il ici est déictique parce qu’il ne
permet d’identifier le référent que grâce aux éléments de la
situation d’énonciation, dont notamment l’indication
gestuelle du menton.

 Le même il peut être anaphorique si au cours d’une


conversation l’interlocuteur a déjà introduit le référent,
comme dans Paul est arrivé ce matin un peu vexé qu’on ne l’ait
pas prévenu assez tôt. Sera-t-il de la partie ce soir ? Le il ici est
en emploi anaphorique puisqu’il ne fait que reprendre un
élément du contexte antérieur.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

 On distinguera de plus, suivant en cela Nyckees (1998 : 245)


entre formes et fonctionnements des déictiques ou
anaphoriques. Dans un énoncé comme J’ai parlé à ce type, le
ce est la forme déictique du démonstratif, mais l’expression
ce type est le fonctionnement déictique du syntagme. Il en
va de même pour l’emploi anaphorique, comme dans Pierre
est arrivé. Cet homme est un importun où cet est la forme
anaphorique, alors que cet homme est le fonctionnement
anaphorique.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Déictiques spatiaux

Les déictiques spatiaux indiquent la position dans l’espace


physique de l’énonciateur lors de son acte d’énonciation. Ils
relèvent de plusieurs types.

 Les démonstratifs. Cet ensemble comprend deux classes :


celle des déterminants ce, cette, cet, etc. renforcés par les
particules -ci et -là (ex. ce livre-ci, ce livre-là,) et celle des
pronoms ça, ceci, cela, celui-ci, celui-là. Les démonstratifs
fonctionnent comme déictiques et comme anaphoriques,
comme dans :

• Je prends cette voiture (emploi déictique)


• J’ai choisi une Renault. Cette voiture est
performante (emploi anaphorique )

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

 Les présentatifs voici et voilà servent à attirer l’attention


sur des éléments nouveaux de la situation de
communication : Voici / voilà la pièce qui manquait. Ils sont
aussi susceptibles d’emploi anaphorique tout comme les
déictiques personnels et démonstratifs : Vous êtes fou !
Voilà tout ce qu’elle pouvait me dire.

 Les morphèmes adverbiaux (ici / là / là-bas, près / loin, en


haut / en bas, à gauche / à droite, etc.) constituent, comme le
note Maingueneau (1999 : 35), des « microsystèmes
d’oppositions qui correspondent à divers découpages de
la catégorie de la spatialité. ». Le sens de ces éléments est
entièrement tributaire du contexte situationnel et, plus
précisément, de la position du locuteur, et change suivant
son déplacement dans l’espace.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Les déictiques temporels

● Le point de repère des déictiques temporels est le moment de la


parole, c’est-à-dire le moment où l’énonciateur parle. Dans un
énoncé comme Aujourd’hui, je suis de bonne humeur, l’indication
temporelle et le temps du présent ne peuvent être interprétés
qu’en connaissance du moment de production de l’énoncé.

• Les déictiques temporels sont souvent des adverbes, des


locutions adverbiales et certains groupes nominaux
circonstanciels (maintenant, en ce moment, aujourd’hui, hier,
avant-hier, demain, après-demain, désormais, prochainement,
lundi prochain, le mois dernier, etc.).

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

● Il faut se garder de confondre l’usage déictique des


morphèmes temporels avec leur usage en repérage
contextuel, c’est-à-dire en tant que référence à un moment
défini du contexte linguistique : alors, à ce moment, ce jour là,
la veille, l’avant-veille, le lendemain, le lundi suivant, le lundi
précédent, etc. Considérons le repérage déictique du
morphème demain et le repérage du morphème le lendemain
respectivement dans les énoncés

• Je partirai demain
• Le lendemain, je suis parti plus tôt que d’habitude

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

● Parmi les déictiques temporels de la catégorie des temps


verbaux, le présent de l’indicatif est considéré comme le
temps le plus déictique, dans la mesure où il exprime un
procès coïncidant strictement ou non avec le moment
d’énonciation. C’est aussi le cas du présent générique (omni-
temporel) où le procès exprimé est supposé se vérifier à
toutes les époques (Les hommes sont mortels), ou encore le
présent historique ou de narration, utilisé pour décrire une
action passée (La guerre éclate en 1870). Le passé simple est
également déictique parce qu’il situe invariablement l’action
dans le passé du locuteur. Il en va de même du passé
composé, du futur et de l’imparfait.

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

► Une parenthèse

Dans certaines langues asiatiques, les pronoms personnels (je et


tu) ne dénotent pas seulement les participants à l’énonciation;
ils introduisent aussi des indications sur le statut social des
locuteurs et sur la nature de leurs rapports. On rapportera ici
la description que le poète Aragon (Blanche ou l’oubli, 1967 : 84-
85) a fait de l’emploi des pronoms personnels en Malais :

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M. Lemghari
Chapitre I. Enonciation

« Le je, c’est pis encore que les romans, entre personnes égales, à se poliment parler, on
dit saya, on écrit dans les livres sahaya. Entre Malais s’entend comme entre Malais et
Européens. Mais…le je… s’adressant à un Rajah se dira patek, et si nous sommes entre
Malais, en langage familier, aku… mais beta par écrit entre personnages officiels du cru.
Quant au pronom vocatif, le vous (il n’y a pas de tu), la relation entre celui qui parle et
l’autre se complique : un Malais parlant à un Européen dit tuan , à une dame européenne
mem, à une dame chinoise nyonya …mais s’il parle à un Rajah ce sera engku, à un prince
régnant tuanku , à un simple chef malais dato , à un Chinois né en Malaisie baba, à un
banquier chinois tanke (…). Mais si vous parlez pour une assemblée de Malais vous
direz angkau, entre gens de même rang entchek, et par écrit des personnages officiels se
diront sehabat-beta… Ce qui n’est encore rien : car, dans la correspondance, le pronom
porte entre amis et parents le caractère de la parenté ou de l’amitié, variant avec
l’âge…Par exemple : vous écrivez à votre frère cadet, à un jeune cousin, un jeune beau-
frère, le vous employé sera adinda, et sous sa plume à lui adinda signifiera je, s’adressant à
vous (…). Tandis que votre frère aîné (ou sœur aînée), un cousin, un beau frère ou belle-
sœur plus âgés, un ami d’une toute autre génération, vous écriront kakanda pour je, et ce
mot sous votre plume à leur adresse signifiera vous. Un fils, un une fille, un neveu ou
une nièce, un beau-fils, une belle fille, un très jeune ami, se désigneront par anakanda
qui sera le mot, qui sous votre plume, signifiera vous à leur égard. Dans les rapports
écrits d’un père, d’un oncle, d’un beau père, d’un ami âgé avec qui l’on correspond, je se
dira ayahanda et leurs correspondants emploieront ce mot avec le sens de vous … ».

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

► Enoncés performatifs / Enoncés constatifs

● L’expression acte de langage tire son origine de la distinction


fondamentale établie par Austin (1962) entre énoncés
performatifs et énoncés constatifs. Les premiers relèvent du dire
et les seconds du faire.

 Une expression est constative si elle ne fait que décrire un


état de chose. Par conséquent, elle est susceptible d’être
jugée comme vraie ou fausse. L’expression Je marche se
donne comme une simple description d’une action sur
laquelle il est possible de porter un jugement en termes de
vrai / faux.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

 Une expression est performative si, outre le fait qu’elle


décrit une certaine action, son énonciation implique
l’accomplissement de cette action. Les performatifs
relèvent ainsi du faire parce que leur réalisation entraîne
une transformation de la réalité. En énonçant une phrase
commençant par Je te promets…, j’accomplis l’acte de
promettre non pas par le dire mais surtout par le faire.
Autrement dit, je ne dis pas seulement que je promets,
mais, ce faisant, je promets bel et bien.

• A la différence des énoncés constatifs, les énoncés


performatifs ne sont pas jugés comme vrais ou faux,
mais comme heureux ou malheureux.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

● Les énoncés performatifs se reconnaissent à leur comportement


lors du passage du style direct au style indirect.

• Un énoncé comme Il m’a dit : « Je te promets un livre » se


traduit dans le style indirect par l’énoncé Il m’a promis un
livre.

• Un énoncé constatif comme Il m’a dit : « Je t’apporterai un


livre » ne se rend pas au style indirect comme Il m’apportera
un livre sur le modèle de l’énoncé performatif, mais comme
Il m’a dit qu’il m’apporterait un livre.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

● L’étude d’Austin a aussi porté sur la forme linguistique des


actes de langage, ce qui a entraîné la distinction entre leurs
formes explicites et leurs formes implicites.

• Une promesse peut s’exprimer explicitement à l’aide du


verbe performatif promettre, comme dans Je te promets de
revenir, ou implicitement, c’est-à-dire sans verbe
performatif, comme dans Je reviendrai.

• La différence entre les deux formes tient à leur valeur


sémantique, qui est spécifique dans le premier cas et donc
non susceptible de dénégation, et non spécifique dans le
second et du coup réfutable : le locuteur peut nier avoir
promis quoi que soit en disant, entre autres, : « Je n’ai rien
promis, j’ai simplement dit que j’essaierai de revenir ».

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

● Le constat d’énoncés performatifs implicites a conduit Austin à


réexaminer la distinction de départ et à étendre la notion de
performativité également aux expressions constatives.

• En considérant les formes impératives et interrogatives,


Austin en vient à constater qu’elles ne sont pas de simples
descriptions d’actions, mais aussi réalisations de ces
actions. En disant, par exemple, Tu viens demain ? on émet
un énoncé interrogatif. Toutefois, ce faisant, on n’exprime
pas seulement son incertitude et son désir de savoir, mais
on accomplit aussi un acte de langage, celui d’interroger.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

► Performatifs et actes illocutionnaires

Compte tenu de la performativité implicite, Austin a élaboré une


classification des actes de langage qui se résume à la
généralisation suivante :

 « En énonçant une phrase, on accomplit trois actes simultanés,


un acte locutoire, un acte illocutoire et un acte perlocutoire ».

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

♦ Acte locutoire

L’acte locutoire revêt trois aspects : phonétique, phatique et


rhétique. Pour tout énonciation, on accomplit simultanément

 une activité phonétique en articulant les sons de la


chaîne parlée selon les règles du système phonologique
de la langue concernée.
 une activité grammaticale en combinant les morphèmes
conformément aux règles syntaxiques de la langue.
 une activité sémantique, dans la mesure où l’énoncé sert
à exprimer une signification.

L’acte locutoire est indépendant de la situation du discours.


Une interrogation comme Est- ce que tu as lu ce livre ? ne tend
qu’à exprimer un doute ou une inquiétude. Et c’est
précisément ce qui distingue l’activité locutoire de l’activité
illocutoire.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

♦ Acte illocutoire

L’acte illocutoire tend à transformer les rapports entre les


interlocuteurs, en ce sens que l’énonciation s’accompagne de
la réalisation de l’action dénommée. En effet, en disant Je
promets… J’ordonne…, Est-ce que… ?... j’accomplis
respectivement l’acte de promettre, l’acte d’ordonner et l’acte
d’interroger.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

Austin dégage trois caractéristiques de l’acte illocutoire.

 L’acte illocutoire n’est pas une conséquence de


l’énonciation, mais un acte accompli dans l’énonciation.

 L’acte illocutoire peut être explicité par des expressions


performatives comme demander, ordonner, conseiller, etc.

 L’acte illocutoire est toujours conventionnel. Sa réalisation


nécessite l’existence d’un certain cadre cérémonial social
approprié aux circonstances de son accomplissement.
L’acte de baptême accompli dans Je te baptise Paul est
conventionnel, car son succès dépend de plusieurs
paramètres tels que le lieu, le temps, la cérémonie, la
personne désignée par je, etc.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

♦ Acte perlocutoire

L’acte perlocutoire se définit en termes des effets et des fins


lointaines que le locuteur vise à produire et à atteindre en
accomplissant un acte de langage. L’acte perlocutoire
concerne les différentes valeurs que le locuteur surajoute à
l’acte accompli. En émettant un énoncé comme Est-ce qu’il
fera beau demain ?, le locuteur accomplit un acte dont les
valeurs peuvent changer en fonction des fins escomptées. Il
peut, entre autres, chercher à ridiculiser l’interlocuteur pour
son ignorance ou le flatter pour sa science. Il peut aussi ne
chercher qu’à relancer la discussion, proposer ou reporter
une excursion.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

► Vers une redéfinition de l’illocutoire

● Ducrot (1991), pour une redéfinition de l’illocutoire, part


toujours du postulat que celui-ci est une activité destinée à
transformer la réalité, mais il ajoute que la nature de cette
transformation est d’ordre juridique, dans la mesure où elle
crée des droits et des obligations pour les interlocuteurs. La
question et l’ordre, par exemple, confèrent au destinataire
respectivement l’obligation de répondre et l’obligation de
faire. De même, la promesse et l’affirmation n’auront pas leur
statut respectif si le locuteur ne s’engage pas, pour le premier
cas, d’accomplir ce qu’il a promis et, pour le second,
d’assumer la vérité de son assertion.

● Etant défini en termes de droits et d’obligations, l’illocutoire se


distingue clairement de l’acte perlocutoire qui n’est soumis à
aucune obligation de quelque nature qu’elle soit.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

● Ducrot appelle à faire une distinction entre l’auditeur et le


destinataire d’un énoncé, qui sont souvent confondus.

• L’auditeur est celui devant qui on parle, c’est-à-dire le


spectateur du discours. Si le message lui est adressé, il
est à la fois l’auditeur et le destinataire.

• Lorsque le message concerne une personne autre que


celle à qui on parle, l’auditeur et le destinataire ne
coïncident pas.

Cette remarque autorise une distinction plus nette entre


l’illocutoire et le perlocutoire.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

 L’illocutoire suppose toujours que celui à qui on fait une


promesse, donne un ordre, pose une question, etc. est à la
fois l’auditeur et le destinataire du message. Dans ce cas,
la distinction auditeur/destinataire se neutralise : celui
qu’on interroge, par exemple, est celui qu’on soumet à
l’obligation de répondre.

 Le cas du perlocutoire est différent. Si on recommande à x


d’éviter un comportement donné, sachant tous que ce
n’est pas x mais y qui accomplit ce comportement, on ne
peut affirmer qu’on adresse le conseil à x. Certes,
l’illocutoire concerne ici l’auditeur x, puisque c’est à lui
qu’on parle, mais le perlocutoire ne vise que y en tant que
destinataire du message par x interposé.

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M. Lemghari
Chapitre II. Actes de langage

● Une autre remarque importante : Ducrot note que les


philosophes du langage partent du postulat que l’illocutoire
s’accompagne d’une transformation réelle du monde. D’où
l’idée que certains actes ne peuvent pas se réaliser en l’absence
des conditions appropriées : par exemple, un ordre n’est un
ordre que dans une situation de supériorité hiérarchique. Ceci
implique que « Le dire n’est faire que s’il est un dire autorisé »
(Ducrot, 1991: 293).

● Pourtant, selon Ducrot, il arrive que les rôles soient inversés,


c’est-à-dire qu’un subalterne donne un ordre à son supérieur,
qu’une personne autre que le président déclare la séance
ouverte. C’est que les devoirs et les obligations, en un mot, le
juridisme de l’acte illocutoire n’est pas d’ordre réel mais
énonciatif; il est créé par la parole et ne bénéficie d’aucune
existence indépendante. En somme, les différents actes de
langage n’ont de valeurs que dans le monde déployé par
l’énonciation.

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M. Lemghari
Chapitre III. Searle et la théorie des actes de langage

● Searle (1970 et 1979) va reprendre et développer la théorie


d’Austin sous deux aspects essentiels : les intentions et les
conventions. En un mot, les actes de langage et les phrases qui
les véhiculent constituent un moyen conventionnel d’exprimer
les intentions.

● Searle ne s’intéresse qu’aux actes illocutionnaires. Son apport


consiste à distinguer dans une phrase ce qui relève de l’acte
illocutionnaire lui-même, qu’il appelle marqueur de force
illocutionnaire et ce qui relève du contenu de l’acte, qu’il
appelle marqueur de contenu propositionnel.

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M. Lemghari
Chapitre III. Searle et la théorie des actes de langage

Dans une phrase comme

Je te promets que je viendrai demain

« Je te promets » est le marqueur de force illocutionnaire et « Je


viendrai demain », le marqueur de contenu propositionnel. Le
locuteur a l’intention de promettre de venir demain et il
satisfait cette intention en vertu des règles conventionnelles qui
fixent la signification de la phrase. Ceci revient à dire que le
locuteur a une double intention.

• Promettre de venir demain.


• Faire connaitre cette intention par la production de la
phrase conformément aux conventions linguistiques qui
gouvernent l’interprétation de la phrase.

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M. Lemghari
Chapitre III. Searle et la théorie des actes de langage

● L’autre contribution de Searle se rapporte à la description des


conditions à l’origine du succès ou de l’échec d’un acte
illocutionnaire. Il distingue plusieurs règles.

 Les règles préparatoires. Elles portent sur la situation de


communication (les interlocuteurs parlent la même
langue ; ils parlent sérieusement, etc.).

 La règle de contenu propositionnel (la promesse implique


que le locuteur se propose d’accomplir l’acte promis).

 Les règles préliminaires. Elles portent sur les croyances


d’arrière-plan (le locuteur qui donne un ordre s’attend
que son ordre soit respecté).

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M. Lemghari
Chapitre III. Searle et la théorie des actes de langage

 La règle de sincérité. Elle porte sur l’état mental du


locuteur. Le locuteur doit être sincère pour la promesse et
l’affirmation.

 La règle essentielle. Elle fixe le type d’obligation que le


locuteur doit assumer. Par exemple, la promesse engage le
locuteur à tenir sa parole. De même, l’assertion engage le
locuteur à croire à son affirmation.

 Les règles d’intention et de convention. Elles décrivent les


intentions du locuteur et la manière dont il les exprime au
moyen des conventions linguistiques.

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M. Lemghari
Chapitre III. Searle et la théorie des actes de langage

► Typologie des actes de langage

Une première classification des actes de langage a d’abord été


établie par Austin. Searle l’a reprise et l’a développée. Il dégage
cinq types de paradigmes de verbes performatifs.

 Les assertifs engagent le locuteur à croire à la vérité du


contenu propositionnel exprimé. Cette classe comporte
des verbes tels que suggérer, statuer, affirmer, se plaindre,
avertir, etc.

 Les directifs ont pour but illocutionnaire d’amener


l’interlocuteur à accomplir une action. Cette classe
comprend les verbes du type de demander, ordonner,
conseiller, etc.

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M. Lemghari
Chapitre III. Searle et la théorie des actes de langage

 Les commissifs engagent le locuteur à accomplir une


action future : promettre, entreprendre, menacer, jurer de faire
quelque chose, etc.

 Les expressifs dénotent l’état psychologique du locuteur


au sujet d’un état de chose : remercier, féliciter, exprimer des
condoléances, faire l’éloge, blâmer, pardonner, etc.

 Les déclaratifs entraînent une transformation du monde.


Les déclaratifs ne sont pas nettement distingués des
performatifs en général, mais leur propriété distinctive est
d’encoder la transformation opérée. Si quelqu’un dit Je
démissionne, il cesse en effet d’occuper son poste. Cette
classe comprend des expressions comme démissionner,
répudier, baptiser, déclarer ouvert une séance, excommunier,
condamner, etc.

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M. Lemghari
Chapitre IV. Hypothèse performative et performadoxe

♦ La théorie des actes de langage a aussi inspiré les linguistes et a


constitué la base des premiers travaux en pragmatique
linguistique. Dans ce sens, John Ross (1970), un sémanticien
générativiste, a postulé une hypothèse dite hypothèse
performative selon laquelle toute phrase ne possédant pas dans
sa structure de surface un performatif explicite a dans sa
structure profonde une préface performative. Ainsi, une phrase
comme Le chat est sur le paillasson a pour structure profonde
J’affirme que le chat est sur le paillasson. Selon Ross, les deux
phrases sont sémantiquement équivalentes. Le verbe
performatif affirmer se trouve tout simplement élidé lors du
passage de la structure profonde à la structure de surface.

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M. Lemghari
Chapitre IV. Hypothèse performative et performadoxe

♦ Ross justifie son hypothèse par un certain nombre d’arguments.


Le plus plausible en est celui de la présence dans certaines
phrases sans verbes performatifs d’adverbes comme
franchement ou d’expressions comme entre nous. A cet égard,
une phrase comme Franchement, Jean est incompétent ! serait
équivalente à la phrase Je dis franchement que Jean est
incompétent .

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M. Lemghari
Chapitre IV. Hypothèse performative et performadoxe

♦ L’hypothèse performative a été remise en cause par deux


philosophes Boer et Lycan (1980). Ils lui reprochent de rendre
sémantiquement équivalentes des phrases qui ne le sont pas en
réalité. Selon eux, les phrases Je dis qu’il pleut et Il pleut, phrases
sémantiquement équivalentes pour Ross, sont sémantiquement
différentes.

• La première phrase implique que le locuteur dit ce qu’il


dit indépendamment du fait qu’il pleuve.
• La seconde implique qu’il ne peut dire ce qu’il dit que s’il
pleut réellement.

Les auteurs en concluent que l’hypothèse performative conduit


à un paradoxe, qu’ils appellent performadoxe.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► La communication interindividuelle suppose deux types distincts


de connaissances langagières. Le premier type relève de la
compétence linguistique et le second, de la compétence
communicative.

 La compétence linguistique se définit comme la


connaissance intériorisée des mécanismes de
construction des énoncés, en somme, les règles qui
permettent aux locuteurs de bien former des énoncés et
de porter des jugements sur leur grammaticalité.

 La compétence communicative, elle, est responsable de


l’utilisation de la langue en situation de communication.
C’est cette compétence qui justifie le choix d’une forme
linguistique particulière, la violation de certaines règles
communicatives, l’interprétation des forces
illocutionnaires impliquées, etc.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

 Il importe de souligner à cet égard que la compétence


communicative est une appellation générale qui subsume
d’autres compétences :

• la compétence encyclopédique, c’est-ç-dire les


différentes connaissances que le locuteur possède sur
les divers sujet.

• la compétence logique, c’est-à-dire la capacité à faire


des raisonnements, des déductions, etc.

• la compétence pragmatique, c’est-à-dire l’ensemble


des règles et des mécanismes moyennant lesquels on
calcule le sens .

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► Signification naturelle / signification non naturelle

● Grice (1975) établit une distinction entre signification naturelle


et signification non naturelle.

 Le premier type désigne les rapports qui existent entre les


phénomènes et leurs symptômes ou leurs conséquences.
Par exemple, des boutons sur le visage d’une personne
indiquent qu’elle a la varicelle.

 Le second type porte sur le lien entre les contenus que les
locuteurs cherchent à transmettre et les phrases choisies
pour cette fin. Dans ce sens, le locuteur qui dit Votre
chambre est une porcherie veut dire au fait que la chambre
est sale. Le locuteur a l’intention de produire un effet sur
son interlocuteur en l’amenant à reconnaitre son intention.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

● Grice est convaincu que la signification d’une phrase dépasse


de beaucoup sa signification conventionnelle. Il distingue dans
ce sens entre la phrase et l’énoncé.

 La phrase est la suite de mots que les locuteurs peuvent


prononcer invariablement dans différentes circonstances
et à différentes époques.

 L’énoncé est le résultat d’une phrase. Il varie selon la


variation des circonstances de sa production.

● Grice s’intéresse tout particulièrement à la signification non


naturelle qu’il développe à la lumière de deux notions
fondamentales : l’implicature et le principe de coopération.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► Implicature

Dès lors que l’interprétation d’un énoncé ne se réduit pas


toujours à la signification linguistique de la phrase
correspondante, on admet qu’il existe une différence entre ce qui
est dit linguistiquement et ce qui est communiqué
conversationnellement.

 Ce qui est dit linguistiquement est la signification de la


phrase.

 Ce qui est transmis conversationnellement est


l’implicature véhiculée.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

● Grice distingue entre l’implicature conventionnelle et


l’implicature conversationnelle.

 L’implicature conventionnelle permet de communiquer


au-delà de ce qui est dit linguistiquement, mais elle n’est
déclenchée que par la présence de quelques moyens
conventionnels, donc, linguistiques. Ainsi, dans
l’exemple suivant :

Jean est anglais ; il est donc courageux

c’est le morphème donc qui déclenche l’implicature


conventionnelle : le locuteur dit ici que Jean est anglais et qu’il
est courageux ; il communique ainsi que Jean est courageux
parce qu’il est anglais et donc que les Anglais sont courageux.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

 L’implicature conversationnelle permet également de dire


davantage qu’il n’est dit linguistiquement. Mais, à la
différence du premier type, elle n’est pas déclenchée par
un élément linguistique comme donc. Le locuteur qui a
l’intention de dire que Jean est courageux parce qu’il est
anglais et que finalement les Anglais sont courageux peut
le communiquer en émettant l’énoncé suivant :

Jean est anglais

Dans ce cas, le locuteur est dit exploiter les maximes de


conversation.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► Principe de coopération et maximes conversationnelles

Comprendre et se faire comprendre est le but primordial de


toute communication. Mais pour que la compréhension soit
optimale, le locuteur doit respecter certaines normes et
prendre certaines précautions. Pour ce faire, Grice dégage
quatre catégories de maximes. Chaque catégorie subsume une
ou plusieurs maximes et dépend d’un principe général dit
principe de coopération.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► Catégories des maximes

 La catégorie de quantité se rapporte à la quantité


d’information. Elle subsume les maximes (a-b).

a. La contribution en information doit être aussi


suffisante que l’exige l’échange verbal.
b. La contribution ne doit pas fournir plus
d’informations qu’il n’en faut.

 La catégorie de qualité concerne la vérité de la


contribution. Elle coiffe les deux maximes (a-b).

a. Le locuteur ne doit pas affirmer ce qu’il croit être


faux.
b. Le locuteur ne doit pas affirmer ce qu’il ne peut
prouver.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

 La catégorie de pertinence comporte une seule maxime


qui est formulée comme suit : parlez à propos.

 La catégorie de manière concerne la manière de fournir


l’information. Elle s’énonce sous la forme de quatre
maximes .

a. N’utilisez pas les expressions inintelligibles.


b. Evitez l’ambiguïté.
c. Soyez bref.
d. Soyez cohérent.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Ces maximes sont un prérequis pour le succès de la


communication. La communication est optimale lorsque le
locuteur observe toutes les maximes, comme dans l’échange
verbal suivant :

Le mari : où sont les clés de la voiture ?


L’épouse : elles sont sur la commode

L’épouse a respecté toutes les maximes conversationnelles : sa


réponse est claire (maxime de manière), vraie (maxime de
qualité), ni sur-informative, ni sous-informative (maxime de
quantité) et, enfin, pertinente, dans la mesure où elle est bien à
propos. L’épouse a dit ce qu’elle a pensé, ni moins ni plus.
Donc, elle n’a rien implicité.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Procédure de déclenchement des implicatures conversationnelles

1. Le locuteur L a dit P.
2. L'interlocuteur I n’a pas de raison de supposer que L
n'observe pas les maximes de conversation ou du moins le
principe de coopération.
3. Supposer que L respecte le principe de coopération et les
maximes implique que L pense Q.
4. L sait (et sait que I sait que L sait) que I comprend qu'il est
nécessaire de supposer que L pense Q.
5. L n'a rien fait pour empêcher I de penser Q.
6. L veut donc que I pense Q.
7. Donc L a implicité Q.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► Violation des maximes

Pour Grice, les locuteurs ne respectent pas toujours les


maximes ; ils peuvent les violer soit parce qu’ils ne sont pas
capables de parler clairement à cause de quelque défaut
donné, soit parce qu’ils choisissent délibérément de le faire.
Dans ce dernier cas, la violation n’est qu’apparente, puisque le
principe de coopération est respecté en vertu de la
participation du locuteur à l’échange verbal. Il s’agit d’une
violation intentionnelle qui conduit à faire certaines inférences
à partir de ce qui est explicitement dit.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Violation de la maxime de quantité

Un locuteur viole la maxime de quantité soit en sous-


informant, soit en surinformant son interlocuteur.

A- Etes-vous Américain ?
B- Je dois rentrer chez moi… Il fait un peu chaud
aujourd’hui… Un bus arrive… Le train serait mieux…

B viole la maxime de quantité en surinformant son


interlocuteur. Si B voulait respecter la maxime de quantité, il
se contenterait d’une réponse par « oui » ou par « non ».
Mais comme il donne plus d’informations qu’il ne lui ai
demandé, il conduit A à inférer un sens qui n’est pas
explicité par l’énoncé, à savoir qu’il ne veut pas révéler sa
nationalité.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Violation de la maxime de qualité

Il y a violation de la maxime de qualité lorsque le locuteur


affirme un fait qui est clairement faux ou qu’il ne peut
prouver. Imaginons une situation où un comédien monte
pour la première fois sur scène et qu’au moment où il
commence son show une panne d’électricité se produit ; il
dit alors :

Fantastique, c’est mon jour de chance !

Le locuteur viole ici la maxime de qualité, car ce qu’il dit est


clairement faux. Cette violation génère une implicature qui
est le contraire de ce que le locuteur affirme. Il dit qu’il est
chanceux, mais il entend dire en fait qu’il est malchanceux.
Et c’est ce que l’interlocuteur comprend sur la base des
éléments contextuels.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Violation de la maxime de pertinence

La violation de la maxime de pertinence signifie que le


locuteur ne parle pas à propos. La réplique de B en réponse à
A:

A- Alors, vous avez acheté la maison ?


B- Le grand père est mort

enfreint la maxime de pertinence, puisque la réponse donnée


est à côté de la question. Or le principe de coopération est
respecté, puisque B participe à la communication par sa
réponse elle-même. A comprend donc que B laisse entendre
que la maison a été héritée du grand-père.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Violation de la maxime de manière

Soit la réponse suivante faite par un enseignant à son


collègue à propos de la candidature d’un ex-étudiant à un
poste universitaire.

Son français est excellent, et il était assidu à mes cours

Le locuteur ne respecte pas la maxime de manière, car sa


réponse ne dit pas clairement ce qu’il sous-entend, à savoir
qu’il ne recommande pas le candidat au poste vacant.

 C’est donc en ce sens que la violation des maximes


conversationnelles est dite génératrice d’inférence. Il s’agit
en fait d’une pseudo violation, car la coopération
demeure fondamentale à l’acte de communication.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

► Critères de distinction des implicatures

Grice a établi six tests pour distinguer les implicatures


conventionnelles des implicatures conversationnelles, en
l’occurrence la calculabilité, l’annulabilité, la non détachabilité, la
conventionalité, l’énonciation et l’indétermination. Le tableau ci-
dessous résume leurs propriétés distinctives.

Implicature conversationnelle Implicature conventionnelle


Calculable Non-calculable
Annulable Non-annulable
Non-détachable Détachable
Non conventionnelle Conventionnelles
Dépendante de l’énonciation Indépendante de l’énonciation
Indéterminée Déterminée

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Calculabilité

 Les implicatures conversationnelles sont calculables sur la


base du principe de coopération et des maximes de
conversation.

 Les implicatures conventionnelles ne sont pas calculables ;


elles se déclenchent automatiquement grâce au sens
linguistique de l’expression.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Annulabilité

 L’implicature conversationnelle a la caractéristique de


s’annuler sans contradiction. Dans l’énoncé A en réponse
à B, l’implicature C peut être annulée comme en D :

A- Je dois faire un saut demain à Paris.


B- J’ai prêté ma voiture à notre ami Paul.
C- Je ne peux pas te prêter ma voiture pour ton
voyage.
D- Je ne peux pas te prêter ma voiture pour ton voyage,
mais je peux te prêter celle de ma femme.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

 L’annulation d’une implicature conventionnelle se heurte


à une contradiction. Un exemple de ce cas est donné en C,
B étant l’implicature conventionnelle de A :

A- Le marquis de Bourgogne a trois châteaux, mais


seulement une voiture.
B- Il y a une contradiction entre le fait d’avoir trois
châteaux et seulement une voiture.
C- ??Le marquis de Bourgogne a trois châteaux et
seulement une voiture, et il n’y a aucune
contradiction entre ces deux faits.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Non détachabilité

 Une implicature est non détachable lorsqu’elle est


impliquée par le sens de l’énoncé et non par sa forme
linguistique. Ainsi, l’implicature conversationnelle B ne
peut pas être détachée de A sur la base de sa forme. Pour
calculer B, on a besoin d’un contexte spécifique.

A- Paul est un imbécile


B- Paul est un génie/un cerveau, une intelligence, etc.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

 Inversement, l’implicature conventionnelle est détachable


en ce qu’elle peut être implicitée conventionnellement sur
la base de la forme linguistique de l’expression. Les
phrases A et B ci-dessous ont les mêmes conditions de
vérité, mais elles n’implicitent pas toutes les deux C, seule
A le fait en effet.

A- Paul n’a pas réussi à atteindre le sommet.


B- Paul n’a pas atteint le sommet.
C- Paul a essayé d’atteindre le sommet.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Non conventionalité

Ce critère est considéré comme étant circulaire, car il va


presque de soi que les implicatures conversationnelles, à la
différence des implicatures conventionnelles, ne dépendent
pas du sens conventionnel des expressions.

♦ Dépendance de l’énonciation

Ce critère est cohérent avec le critère de la non


conventionalité de l’implicature conversationnelle. En effet,
une implicature conversationnelle, dans la mesure où elle
dépend du dire et non du dit, est principalement tributaire
de l’énonciation.

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

♦ Indétermination

L’indétermination caractérise l’implicature conversationnelle.


La métaphore constitue le meilleur cas d’application de ce
critère. En règle générale, les implicatures sont plus
indéterminées en cas de métaphores créatives et moins
indéterminées en cas de métaphores plus ou moins figées.
Comparons :

A- Ta chambre est une porcherie


B- Paul est un bulldozer

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M. Lemghari
Chapitre V. Communication, coopération et calcul interprétatif du sens

Les implicatures de A et b sont respectivement C et D :

C- Cette chambre est dans un état tel qu’elle ressemble à


une porcherie.
D- Paul est solide, robuste, fiable, résistant, etc.

Il est en effet plus simple de déterminer l’implicature C de A


que D de B, car B a une dépendance contextuelle plus grande
que A. Les implicatures inférables de B sont donc plus
indéterminées que celles inférables de A. Cette indétermination
dépend dans une large mesure de l’angle, positif ou négatif,
sous lequel on considère le caractère de Paul.

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M. Lemghari
Références

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University Press.
Benveniste, E. (1966). Problèmes de linguistique générale I. Paris :
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Jakobson, R. (1963). Essais de linguistique générale. Paris : Editions de
Minuit.

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M. Lemghari
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Kerbrat-Orecchioni, C. (1980). L’énonciation. De la subjectivité dans le
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Searle, J. (1970). Speech acts. An essay in the philosophy of language.
Cambridge : Cambridge University Press.
Searle, J. (1979). Expression and meaning. Studies in the Theory of Speech
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