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Introduction à la pragmatique

1- Actes de langage et maximes


conversationnelles
Cours de licence MASS
A. Lecomte
2001-2002
Une conception du langage adaptée?

• Conception classique du langage :


– basée sur la représentation
• Les « idées » ont une fonction représentationnelle,
elles décrivent le monde,
• Le langage est « transparent », c’est un simple
véhicule des idées,
• La connaissance est fondée sur une notion de
sujet donnée immédiatement à la conscience
(cogito cartésien)
Quelques acquis historiques
• A la fin du XIXème siècle, on «découvre»
vraiment le langage
– La pensée peut s’analyser de manière
symbolique  Frege, Russell
– La langue a ses lois propres  de Saussure
– On étudie l’énonciation (Benvéniste), le
fonctionnement des discours
Une autre conception du langage
• Austin dénonce « l’illusion descriptive » à
propos du langage : tout usage du
langage a valeur d’acte de discours

• apparaît alors une conception


pragmatique du langage
Qu’est-ce que la pragmatique?
• Morris (1938) : étude des rapports entre
les systèmes de signes et le contexte où
ils sont utilisés, en particulier avec les
actions commises par les usagers
• Apostel (1967) : la pragmatique ne peut
pas se concevoir sans une théorie
générale de l’action
Rudolf Carnap
Introduction to Semantics, 1942
• Si dans une investigation on se réfère uniquement à
celui qui parle, ou, en termes plus généraux, aux
usagers du langage, nous attribuons cette investigation
à la pragmatique. Si nous faisons abstraction des
usagers du langage et si nous analysons seulement les
expressions et leurs significations, nous nous trouvons
dans le domaine de la sémantique. Et si, finalement,
nous faisons abstraction des significations pour analyser
uniquement les relations entre expressions, nous
entrons dans la syntaxe. La totalité de la science du
langage, se composant des trois parties mentionnées,
forme la sémiotique.
J. L. Austin, 1962
How to do Things with Words
• On en est venu à penser communément
qu’un grand nombre d’énonciations
[utterances] qui ressemblent à des
affirmations, ne sont pas du tout destinées
à rapporter ou à communiquer quelque
information pure et simple sur les faits; ou
encore ne le sont que partiellement.
Exemples (Austin, 1962)
• (1) « oui [je le veux] » -- ce « oui » étant
prononcé au cours de la cérémonie du
mariage.
• (2) « je baptise ce bateau le Queen
Elizabeth »
• (3) « je lègue ma montre à mon frère »
• (4) « je vous parie six pence qu’il pleuvra
demain »
Ce sont des énoncés performatifs
• Ces phrases ne peuvent être dites
«vraies» ou « fausses», tout au plus
pouvons-nous dire qu’elles réussissent ou
échouent à accomplir l’acte auquel elles
sont dédiées
• Elles n’ont pas des conditions de vérité
mais des conditions de félicité
Conditions de félicité
• (1) il doit exister une procédure, reconnue par convention, dotée
d’un certain effet, et comprenant l’énoncé de certains mots par
certaines personnes dans certaines circonstances
• (2) il faut que, dans chaque cas, les personnes et circonstances
particulières soient celles qui conviennent pour qu’on puisse
invoquer la procédure en question,
• (3) la procédure doit être exécutée par tous les participants, à la fois
correctement et intégralement
• (4) lorsque la procédure implique certaines pensées et sentiments,
lorsqu’elle doit provoquer un certain comportement de la part de l’un
ou l’autre des participants, il faut que la personne ait en fait ces
pensées ou sentiments, et que les participants aient l’intention
d’adopter le comportement impliqué
exemples
• si nous sommes déjà mariés…
• si c’est une personne non habilitée qui
baptise…
• si nous prononçons les mots par dérision,
dans une pièce de théâtre, sans y penser
(sous hypnose) etc.
Comment reconnaître un performatif?

• En principe, un performatif consiste dans


l’emploi d’un verbe au présent, première
personne du singulier:
– Je promets…
– Je déclare…
– Je baptise…
• Tous les verbes de ce genre ne
correspondent pas à un performatif, cf.
– Je vous insulte (?)
Autres exemples de performatifs
• La classe des expositifs : la structure de
l’énonciation a la forme d’une affirmation pure et
simple mais commence par un verbe qui indique
comment l’affirmation doit être insérée dans la
situation (dialogue, conversation, discours)
– Je soutiens que…
– Je conclus que…
– J’admets que…
– Je pose comme postulat que…
En quel sens dire une chose est-ce
la faire?
• Il y a plusieurs manières de faire en disant:
• 1) dire en soi est toujours un faire… produire une suite
de sons, des mots selon une certaine grammaire, avec
un certain sens etc.
 Acte locutoire
• 2) mais en disant par exemple : «il va tirer!», on fait une
chose différente de seulement dire : on prévient, on
avertit …
 Acte illocutoire
• 3) on provoque certains effets sur l’auditeur et on peut
parler dans le dessein de provoquer ces effets
 Acte perlocutoire
• « attention, je vais tirer »
– Acte locutoire : je communique l’information
contenue dans cet énoncé,
– Acte illocutoire : ceci est fait avec une certaine
force (force illocutoire) qui fait de mon énoncé
une menace,
– Acte perlocutoire : la production de cet
énoncé entraîne des effets colatéraux
inévitables… par exemple effrayer
l’interlocuteur
• « tu n’as pas le droit de faire cela! »
– Acte locutoire : dire que l’interlocuteur n’a pas
le droit de faire ce qu’il se prépare à faire
– Acte illocutoire : protester avec véhémence
contre l’éventualité d’un acte auquel se
prépare l’interlocuteur
– Acte perlocutoire : dissuader, empêcher,
retenir,
Actes illocutionnaires
• ordonner, interroger, conseiller, exprimer un
souhait, suggérer, avertir, remercier, critiquer,
accuser, affirmer, féliciter, supplier, menacer,
promettre, insulter, s’excuser, avancer une
hypothèse, défier, jurer, autoriser, déclarer, etc.
• Actes qu’on ne peut commettre qu’en
prononçant des mots
• à la différence de bâtir, construire, faire cuire,
peindre, travailler, courir, lancer etc.
Force illocutionnaire
• L’intention que manifeste le locuteur
d’accomplir, par son énonciation, tel ou tel
acte illocutionnaire
• Un énoncé a la force d’un ordre si le
locuteur a l’intention, par son énonciation,
de donner un ordre à l’auditeur
Reconnaissance de l’intention
• Si je dis « viens ici! » à quelqu’un et… qu’il ne
reconnaît pas mon intention de lui donner un
ordre… il y a échec dans la tentative de
commettre l’acte illocutoire «ordonner »
• L’intention qu’a le locuteur d’accomplir par
un énoncé tel ou tel acte illocutionnaire se
réalise au moyen de la reconnaissance par
l’auditeur de cette intention.
• Le sens « pragmatique » de l’énoncé est
donc fondamentalement lié à une situation
duale locuteur / auditeur

• Cela s’illustre encore dans les actes


indirects et les sous-entendus
Actes de discours directs et indirects

• Acte direct : « passe-moi le sel »


• Acte indirect : «peux-tu me passer le sel?»

• Acte direct : «quelle heure est-il? »


• Acte indirect : « pouvez-vous me donner
l’heure? »
problèmes de l’implicite
• Comment infère-t-on dans le dialogue?
• cf:
– A (désolé, sur le bord de la route): ma voiture
est en panne…
– B: il y a un concessionnaire Renault à l’entrée
du village
implicitations
• Pourquoi l’assertion de B est-elle une
réplique appropriée à celle de A?
1. Il faut que la déclaration de A soit interprétée
par B comme une requête indirecte,
2. Il faut que A interprète l’assertion de B
comme une réponse appropriée à la
question déguisée qu’il a formulée en entrée
• Cf. théorie de l’implicitation
conversationnelle de Paul Grice
principe de coopération (Grice,1975)

• Grice voit au départ de toute conversation


une volonté minimale de coopération
• deux interlocuteurs, même dans une
dispute, s ’accordent sur un minimum :
l ’objet de leur dispute par exemple.
• dans le cours de la conversation, toutes
les manœuvres ne sont pas possibles
– A: J ’ai lu que le phénomène El Nino était
responsable de la tempête
– B: par un point extérieur à une droite ne
passe qu ’une parallèle à cette droite

ceci est un dialogue … mal formé!


– A: J ’ai lu que le phénomène El Nino était
responsable de la tempête
– B: au revoir.

idem
• On s ’attend à ce que certains principes
généraux soient respectés par tous les
participants :
• Grice : « que votre contribution
conversationnelle corresponde à ce qui
est exigé de vous, au stade atteint par
celle-ci, par le but ou la direction acceptés
de l ’échange parlé dans lequel vous vous
êtes engagé »
maximes
• QUANTITE :
– que votre contribution contienne autant
d ’information qu ’il est requis
– que votre contribution ne contienne pas plus
d ’information qu ’il n ’est requis
maximes
• QUALITE
– que votre contribution soit véridique
• n ’affirmez pas ce que vous croyez faux
• n ’affirmez pas ce pour quoi vous manquez de
preuves
maximes
• RELATION
– Parlez à propos ! (Be relevant!)

• MODALITE
– soyez clair!
• Évitez de vous exprimer de manière obscure
• évitez d ’être ambigu
commentaire
• Grice ne veut évidemment pas dire que
nous observons toujours ces règles!
• Bien sûr, il nous arrive de:
– mentir (!)
– être confus
– être trop long
– ne pas en dire assez
– être à côté de la plaque
– avancer des choses sans preuve...
• La caractéristique du dialogue (du
discours) est néanmoins qu ’on fait
toujours comme si ces règles étaient
respectées : supposer qu ’elles sont
effectivement valides est le moyen que
nous avons pour tirer des inférences à
partir de ce qui est dit
La notion d ’implicitation conversationnelle

• Un individu, en déclarant P, a implicité Q


aux conditions suivantes:
– 1- il n ’y a pas lieu de supposer qu ’il
n ’observe pas les règles
– 2- il pense que Q est nécessaire pour que le
fait qu’il dise P n ’entre pas en contradiction
avec le (1) ci-dessus
– 3- il pense que son interlocuteur est capable
de déduire qu ’il est nécessaire de faire
l ’hypothèse (2)
Exemples (Grice, 1975)
• Cas où aucune règle n ’est transgressée,
ou du moins pas de manière évidente.
– A: (à côté de sa voiture en panne) Je suis en
panne d ’essence
– B: il y a un garage au coin de la rue.

B enfreindrait la règle de pertinence s’il


pensait que ce garage est fermé ou qu ’il ne
vend pas d ’essence
• Cas où une règle est violée, mais où cette
transgression s ’explique en supposant que
cette règle entre en contradiction avec une autre
règle
– (A en train d ’établir l ’itinéraire d ’un voyage en
France avec B) où habite C?
– B: quelque part dans le midi de la France
• la réponse de B ne contient pas assez
d ’information pour satisfaire A, donc
transgression de la règle de quantité. Une telle
transgression s ’explique si on suppose que B
sait que donner plus d ’informations serait faire
infraction à la règle de qualité: « ne dites que ce
que vous pouvez prouver ». B implicite donc
qu ’il ne sait pas dans quelle ville C habite.
• Cas où une règle est bafouée dans
l ’intention d ’impliciter quelque chose par
le biais d ’une figure de rhétorique
• règle de quantité:
– (A rédige une lettre de recommandation que
lui a demandé un de ses élèves qui postule à
un poste de philosophie) : Monsieur X écrit
convenablement le français, il a assisté à tous
mes cours. Je vous prie d ’agréer...
• La règle de quantité: «contienne autant
d ’information qu’il est requis » est
bafouée… on en déduit qu’il répugne à
transmettre explicitement une certaine
information… à savoir que l ’étudiant est
nul en philosophie!
• règle de qualité:
– (B a démenti la confiance que A avait en lui)
– A: toi alors, tu es quelqu’un sur qui on peut
compter!
La règle « n ’affirmez pas ce que vous croyez
être faux » est manifestement bafouée (B est
conscient du fait). Comme il faut supposer
que les propos de A ne sont pas sans objet, il
faut croire que A a voulu dire quelque chose
de différent de ce qu ’il a explicitement dit,
mais tout de même en rapport. La proposition
la plus directement issue de ce qui est dit est
dans ce cas sa négation.
– A: où est Pierre?
– B: bôf… il est sûrement en train de se saouler
au bistrot du coin
ici, la règle « n ’affirmez que ce que vous
savez être suffisamment prouvé » est bafouée
: B n ’a pas de preuve que Pierre est au
bistrot, et A le sait… en admettant que B
intervient à propos, on en déduit néanmoins
que B a les preuves suffisantes de
propositions voisines, comme celles qui
concernent le fait que Pierre a déjà été vu
fréquemment au bistrot….
• Règle de modalité:
– A: Mademoiselle X produisit une suite de
sons qui ressemblait beaucoup au lied de
Schubert « Heidenröslein »

la concision qui est en principe requise est


bafouée… on déduit que A n ’a pas voulu
qualifier la prestation de mademoiselle X de
chant.
Principe de pertinence (Sperber&Wilson, 1986)

• Toutes les maximes de Grice sont-elles


nécessaires?
• Savons-nous bien en quoi consiste la
pertinence?
• Sperber & Wilson: la notion de pertinence
peut être définie de manière à ce que les
maximes de Grice s ’y ramènent
– A: prendrez-vous du café?
– B1: non, je ne prendrai pas de café
– B2: je ne prends jamais d ’excitant
– B3: je veux dormir dans deux heures
un raisonnement doit intervenir pour savoir si
B2 et B3 prendront ou ne prendront pas de
café
l ’auditeur utilise les prémisses mais aussi
tout le savoir partagé par les interlocuteurs
– A: prendrez-vous du café?
– B2: je ne prends jamais d ’excitant
ex. de raisonnement:
• B2 ne prend jamais d ’excitant [prémisse]
• le café est un excitant [savoir partagé]
DONC
• B2 ne prendra pas de café [implicitation]
Conséquences pragmatiques
• Celles qui découlent des prémisses et du
savoir partagé
La pertinence
• S’évalue en fonction des seules
conséquences pragmatiques
• Un énoncé est d’autant plus pertinent
qu’avec moins d’information, il amène
l’auditeur à enrichir ou modifier le plus ses
connaissances

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