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Département de Langue et littérature Françaises

Master: Sciences du Langage

La transparence et l’énonciation, pour introduire à la


pragmatique
Du signe à l’énonciation
le texte et la marge
François RECANATI
Dans le cadre du séminaire de la
Préparé par:
pragmatique de:
Hassna CHAQUI M. Abdellatif MAKAN

Année universitaire
2020/2021
Introduction
Il faut comprendre, dit Benveniste, « tout ce
qu’implique (...) la doctrine saussurienne du signe. On
ne peut assez s’étonner de voir tant d’auteurs manipuler
innocemment ce terme de “signe” sans discerner ce
qu’il recèle de contrainte pour qui l’adopte et ce à quoi
il l’engage désormais»
Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, vol. II (Paris, 1974), p. 219.
 selonRécanati: « on comprend donc que le «
mouvement structuraliste » se soit intéressé à la
notion de signe, et que cette notion soit celle qu’a
promue Saussure » RECANATI, F. (1979). La transparence et
l’énonciation, Pour introduire à la pragmatique. Paris : Seuil.P 15

 lanotion de signe n’a cependant pas été clarifiée,


pour la raison suivante : la conception saussurienne
du signe est extrêmement étroite et particulière
Problématique
Comment on réalise un acte d’énonciation?
Plan:
I/ Le processus de l’énonciation:
a) le signe
b) la pensée
c) L’énoncé
d) Le discours
II/ Le texte et la marge
Récanati débute son premier chapitre du signe
à l’énonciation par un petit aperçu sur les
deux théories du signe à savoir :
1/ La conception saussurienne:
 Eléments d’un système sémiotique

2/ La conception classique :
« une chose représentant une autre chose »
Benveniste distingue, donc, entre deux
domaines d’investigation du signe:
 Le sémiotique

◦ Théorie saussurienne
◦ Signe sémiotique
 Le sémantique
◦ Théorie classique
◦ Signe sémantique
Dans le présent travail, Récanati traite de
la notion du signe sémantique et donc du signe
selon la conception des classiques.
Selon Récanati: « l’histoire de la philosophie atteste
que la notion de signe a servi à organiser l’ensemble
de la réflexion sur la pensée et la connaissance
pendant plusieurs siècles »
Selon Foucault « la philosophie classique, de
Malbranche à l’Idéologie, a été de fond en comble une
philosophie du signe »
Michel Foucault, Les Mots et les Choses(Paris, 1966), p.80.

 
La pensée tout entière, pour les classiques, est
signe
Exemple :
 Quand je pense à une pomme, j’ai dans l’esprit une
idée de la pomme, et cette idée que j’ai dans l’esprit me
représente la pomme

L’idée est donc un signe, à savoir une chose


qui représente une autre chose.
« plus généralement, le monde extérieur ne nous
est connu que par l’ intermédiaire de ces signes que
sont les idées » RECANATI, F. (1979). La transparence et
l’énonciation, Pour introduire à la pragmatique. Paris : Seuil.P16
Exemple:
 « Je vois venir mon ami. »
 Je suis affecté d’un certain nombre de sensations et de

ce de faisceau de signes j’infère la venue de mon ami.

Inférence automatique / Inférence inconsciente


Un autre exemple présenté par Récanati est celui de
la lecture:
« Quand je lis, je n’ai pas conscience des
caractères, je n’ai conscience que des idées
dont les caractères formés en mots sont les
signes, et pourtant je n’accède à ces idées
que par l’intermédiaire des signes »
Le paradoxe de la présence absence du signe

 Le signe doit être à la fois présent et absent pour


représenter la chose signifié.
 Si le signe est trop présent il finit par cacher la chose

qu’il est censé dévoiler .

Passer par le signe sans s’y arrêter


« d’un côté, pour accéder à la chose représentée,
on doit recourir au signe, à la chose représentante,
car nous connaissons la chose représentée par son
intermédiaire; mais d’un autre côté, on doit faire
abstraction du signe, de la chose représentante, pour
accéder à ce qu’elle représente »

 Le signe possède un double caractère, il est opaque et transparent


 Il découvre et cache à la fois la chose signifiée
Comme l’idée, la pensée est signe, parce qu’elle est une
chose représentant autre chose.
une pensée est, par exemple, un certain acte mental. Quand
je pense que « le carré a quatre côtés », cette pensée est
quelque chose (un acte mental), et elle représente aussi
quelque chose : elle a un certain contenu, elle est pensée de
quelque chose.
Selon Récanati :
Une pensée = ce qui se traduit dans le discours par un
énoncé
Réflexion virtuelle Vs Réflexion expresse

« Oscillant, comme tout signe, entre la transparence et


1’opacité, la pensée est à la fois transparente et opaque.
La pensée s’opacifie quand, dans la réflexion, ce qui est
pensé se trouve éclipsé par le fait de le penser ; mais si
une telle réflexion opacifiante est possible, c’est qu’elle
est donnée, à titre virtuel, dans la pensée elle-même . la
pensée, disent les classiques, est consciente, et quand je
pense quelque chose, je pense aussi que je le pense —
on ne pense pas seulement ce qu'on pense, on pense
aussi qu'on le pense. »
Je pense que « deux plus deux égale à quatre »
 Présent /absent

 réflexion virtuelle = conscience

Ex: quand je pense quelque chose, ce n’est pas parce que je


pense aussi que je le pense que je cesse pour autant de le
penser
 Le fait de penser occulte ce qui est pensé:

Réflexion virtuelleréflexion expresse


 L’objet représenté s’éclipse derrière la pensée se prenant elle-

même pour objet


La représentation cum-réflexion

Transparence actuelle + opacité potentielle


Quand je pense quelque chose,
ce n’est pas parce que je pense Même quand, transparent,
aussi que je le pense (réflexion il représente actuellement
virtuelle, conscience) que je la chose signifiée
cesse pour autant de le penser.

Cas n°1: Le représentant fait réflexion sur lui-même en même


temps qu’il représente le représenté

X → Y
Contrairement à 1:
Cas n° 2: Signe = seule vraie réalité
Chose signifié = mirage
Signe  opacifié (ne renvoi qu’ à lui-même)


X
Cas n°3:
Transparence absolue du signe
Il représente la chose signifiée sans lui-même

X → Y
Selon RéCANATI:
la seule solution au paradoxe du signe consiste en
l’assomption qu’outre la transparence et l’opacité, il y a
un troisième état du signe, la transparence-cum-
opacité → cas n°1
« Le principal jalon dans le développement
historique qui mène de la philosophie classique, axée
sur la théorie du signe, à la philosophie du langage
contemporaine, est Franz Brentano (1838-1917).
Brentano s’est intéressé à caractériser l’acte mental, ou
phénomène psychique. »
Brentano à fait revivre la distinction entre la
réalité objective de la pensée et sa réalité formelle,
entre ce qui est pensé et le fait de le penser,
distinction cartésienne qui était au cœur de la théorie
classique de la pensée comme signe.

Le propre de cet acte, c’est d’être signe, c’est-à-dire de


représenter autre chose que lui-même.
Exemple:
Dans l’acte de l’audition
 J’entends  son
 Entendre (acte mental)
 Le son comme objet est distinct de l’acte par lequel je

me le représente
Selon Brentano :
 « La représentation du son et la représentation de la

représentation du son ne forment qu’un seul


phénomène psychique »,
 « Dans le même phénomène psychique, où le son est

représenté, nous percevons en même temps le


phénomène psychique; et nous le percevons suivant
son double caractère, d’une part en tant qu’il a le son
comme contenu, et d’autre part en tant qu’il est en
même temps présent à lui-même comme son propre
contenu»
La période post-brentanisme :
HUSSERL( la phénoménologie)
 Lutte contre le psychologisme
 Abandon du cas n° 1

La philosophie analytique
RUSSELL/MORRE/FREGE
Séparation radicale entre;
Le fait de penser / ce qui est pensé
Psychologiques/ régis par des lois logiques
 les objets de pensée, avec les lois qui les régissent,

sont indépendants du sujet psychologique qui les


pensent et lui préexistent
 Ex :

Le continent américain est indépendant de


Christophe Colomb, qui le découvre
Réhabilitation du schéma du cas n°1

Wittgenstein/Austin/Strawson
 Apparition d’une nouvelle analyse (philosophie analytique)

 L’intérêt est porté, à l’occasion des études sur

l’énonciation, sur le fait de rétablir le schéma du cas n°1 de


la transparence/ opacité.
« La pensée, l’énonciation, l’écriture, en bref : le signe, est
transparent par rapport à ce qu’il signifie : ce que le signe est,
comme fait, ne compte pas, n’apparaît pas — le signe est
plutôt comme l’œil, qui permet de voir les choses, sans
appartenir lui-même au domaine du visible. »
  En opposition à l’ancienne analyse , la nouvelle analyse mettra
toujours plus l’accent sur la présence effective de la réflexivité
dans le langage.
La réflexivité que théorisent les nouveaux analystes n’est pas
autre chose que la réflexion des classiques, simplement dépouillée
de ses attributs psychologiques; il ne s’agit plus en effet d’analyser
la pensée, soit le « discours mental », mais

C’est le discours effectif, dont l’unité de base est l’énoncé,


c’est-à-dire la phrase en tant qu’elle fait l’objet de
l’énonciation.
« Un énoncé est, par son énonciation, quelque chose, à savoir
un certain acte de discours (speech act)
Récanati pour illustrer cela donne des exemples:
1. l’énoncé « le chat est sur le paillasson » est une affirmation,
2. l’énoncé « je te promets de venir » est une promesse,
3. l’énoncé « ferme la porte » est un ordre.
Mais
si un énoncé est un événement, ou un acte, de discours

Il a aussi un contenu représentatif


Alors
on distingue, dans un énoncé, ce qui est dit et le fait de le dire
Quelle est maintenant la relation entre le fait de
l’énonciation et le contenu significatif de l’énoncé,
entre ce qui est dit et le fait de le dire?
 L’ancienne analyse:
• La signification d’un énoncé appartient à la phrase,
indépendamment du fait de son énonciation dans un contexte
de discours particulier.
• les énoncés d’un langage sont, quant à leur sens, indépendants

du contexte où s’insère le fait de leur énonciation.


Exemple:
l’énoncé: « je te jure qu’il n’est pas venu »

 
 La nouvelle analyse:
la prise en vue de ce que sont les énoncés, comme
événements discursifs insérés dans un contexte, ajoute
à la signification des phrases une détermination
sémantique supplémentaire, sans laquelle les énoncés
ne présentent qu’un sens incomplet; le sens d’un
énoncé n’est donc pas indépendant du fait de son
énonciation.
Dire et montrer

Le texte et la marge
1. Tout énoncé est performatif, et se laisse paraphraser par un
performatif explicite
Exemple :
 Le chat est sur le paillasson (constatif)
 J’affirme que le chat est sur le paillasson (performatif
explicite)
Comparons (1), (2) et (3) :
 (1) Philippe affirme que la terre est plate
 (2) j’affirmais que la terre est plate
 (3) j’affirme que la terre est plate
2-Tout performatif explicite se laisse paraphraser par la
conjonction de deux proposition, dont l’une porte
métalinguistiquement sur l’autre
Exemple :
J’affirme que Frege est mort en 1925
=
«Frege est mort en 1925 »
Et
«Frege est mort en 1925 » est une affirmation

 Le performatif se présente en même temps qu'il


présente (cas n°1)
 Il signifie réflexivement sa valeur formelle d’acte

illocutionnaire.
3- les deux propositions conjointes dans la paraphrase du
performatif explicite ne sont pas signifiées au même titre par
celui-ci
J’affirme que Frege est mort en 1925
 Dit que Frege est mort en 1925

 Montre explicitement qu’il est une affirmation


 Exemple :
« L’homme est un âne »
Logique de Port-Royal

« Je soutiens que la terre est ronde »

Proposition incidente :
 Elle n’affirme rien
 Elle ne regarde que la forme de la proposition
 On peut la supprimer
 Aucun contenu
« La proposition incidente, elle, n’affirme rien, et ne véhicule
à proprement parler aucun contenu : sa fonction, dit la Logique
de Port-Royal, est de manifester « plus expressément» la forme
affirmative de la proposition globale où elle est insérée; elle est
un indicateur par lequel l’énoncé se pose de façon explicite
comme affirmation »
La proposition principale :
 Porte sur la réalité

 La rondeur de la terre

 Véhicule le contenu de l’énoncé global


Un autre type de paraphrase: déplacement
1-La terre est rond, je le soutiens (affirmation)
2- je t’ordonne de venir ici
viens ici, c’est un ordre
3- je te promets que tes ennuis sont finis
tes ennuis sont finis, je te le promets
 2 et 3 ne sont pas des affirmations

 Le rôle d’appendice métalinguistique de la proposition

incidente est mis en relief


Propositions ambigües

[Tous les philosophes nous assurent que]P1 [les choses


pesantes tombent d’elles mêmes vers le bas ]P2
 Selon le dessein de celui qui les prononce

 Montrer P2  P1 INCIDENTE

 Si rapporter l’idée des philosophes  p2 :partie de l’attribut


 La même ambigüité chez les médiévaux:
« Je dis que l’homme est un âne »
Selon que « je dis » = (principale ou incidente)
 La valeur de l’énoncé est susceptible de changer
 si « l’homme est un âne » principale

je dis  explicite le fait que l’énoncé est une


affirmation
Donc : l’énoncé  faux
Si « Je dis »  principale
si j’affirme non que « l’homme est un âne », mais
que je le dis, l’énoncé peut être vrai, s’il est vrai que
je dis de l’homme qu’il est âne
Métaphore typographique

Le colophon
Selon Lacan: le colophon dans un vieux texte, c’est
cette petite main indicative qu’on imprimait dans la
marge, du temps où l’on avait encore une typographie

les propositions incidentes = colophon


(Elle prenne place dans une sorte de marge)
Dans cette perspective de Port Royal, Récanati
introduit la notion du Texte et de la Marge en
s’appuyant sur la métaphore du colophon

Texte
◦ Le texte: c’est ce qui est énoncé
◦ Ce qui est dit
Marge
◦ Indications qui concernent le texte
◦ Ce qui est marginalement indiqué
2 modes de signifier (Hétérogènes/complémentaires)
 1: To say, to state, to assert, to symbolize, to describe, to report

 2: To indicate, to show, to imply, to evince , to suggest, to

express …
« Le représentationalisme consiste à privilégier le
premier mode de signifier au détriment du second, à
ignorer la marge en universalisant le texte »
« Au moyen des verbes performatifs explicites et
de quelques autres procédés, nous explicitons quel
acte précis nous sommes entrains d’accomplir par
notre énonciation » J. L. Austin, Philosophical Papers, p.245.
Austin tente de prévenir une confusion:
 La distinction (virtuel/explicite)
 Performatifs primaires/performatifs explicite
 La distinction du texte et de la marge
 Utilisationdes verbes performatifs:
Je prédis que /j’affirme que/je promets que
 nous explicitons la force illocutionnaire de l’énoncé
que ces verbes introduisent.
 L’énoncé performatif primaire :

Nous serons riches


 Force illocutionnaire : ambigüité
 L’auditeur ne peut pas déterminer, simplement

d’après le contexte et le ton employé par le locuteur


pendant son énonciation
énoncé = affirmation?/promesse?/pari ou prédiction?
 La distinction texte/marge
1- « nous serons riches »
2- « je te promets que nous serons riches »
 dans 1 et 2 le texte c’est nous serons riches
 La marge dans 1 : le mode verbal, l’intonation, et le

contexte de l’énonciation
 La marge dans 2 est donnée, explicitement, par le

verbe performatif.
Conclusion
le processus de l’énonciation passe par
plusieurs étapes, à savoir: le signe/ la
pensée/ l’énoncé/ le discours.
Bibliographie
 Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, vol. II (Paris,
1974),
 Franz BRANTANO, Psychologie du point de vue empirique(tard. Fr.,
Paris, 1944)
 J. L. Austin, Philosophical Papers
 Michel Foucault, Les Mots et les Choses (Paris, 1966),
 RECANATI, F. (1979). La transparence et l’énonciation, Pour introduire à
la pragmatique. Paris : Seuil.

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