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ROMÂNIA

MINISTERUL EDUCAŢIEI NAȚIONALE ȘI CERCETĂRII


ȘTIINȚIFICE
UNIVERSITATEA „VASILE ALECSANDRI” DIN BACĂU
FACULTATEA DE LITERE
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ADRIANA-GERTRUDA ROMEDEA

FORMES DISCURSIVES

2016
2
III. Les actes de discours

III.1. La théorie des actes de langage

La théorie des actes de langage part de la prémisse que : «l’unité minimale de la communication
humaine n’est ni la phrase ni une autre expression. C’est l’accomplissement (performance) de
certains types d’actes »1.
L’acte de discours est une notion cardinale dans divers domaines : la rhétorique, l’étude
linguistique de la communication, la philosophie du langage, la pragmatique. L’acte de parler est lié
aux codes et aux fonctions sociales extralinguistiques. Le nombre des possibilités de manifestation
d’un énoncé est infini : d’ici la difficulté de spécifier toutes les nuances de sens qu’une phrase peut
avoir en fonction de la diversité des situations.
Nous rappelons que Oswald Ducrot, dans son ouvrage Le dire et le dit, fait la distinction entre
phrase et énoncé, la phrase est « un être linguistique abstrait, identique à lui-même à travers ses
diverses occurrences» et l’énoncé est « l’occurrence particulière de la phrase »2. En outre, il faut
distinguer l’énoncé (l’objet produit par le locuteur ayant choisi d’employer une phrase) et
l’énonciation (action qui consiste à produire un énoncé, donner à une phrase une réalisation
concrète).
Ducrot appelle « signification » la valeur sémantique attachée à la phrase, et « sens » celle de
l’énoncé, autrement dit, l’ensemble des actes de langage (les actes illocutoires) que le locuteur
prétend accomplir par son énonciation. Pour le même énoncé on peut avoir bon nombre de lectures
différentes : par exemple, le locuteur s’adresse au destinataire lui donnant un ordre ou lui adressant
une prière, etc. : « Ferme la fenêtre ! » ; « Je te prie de fermer la fenêtre ».
Oswald Ducrot définit l’énoncé comme un ensemble d’actes de langage. On sait en même temps
que la même phrase peut servir à l’accomplissement d’actes différents : une phrase assertive, par
exemple, Il fait mauvais, peut servir à affirmer, à adresser un reproche, un compliment, à rappeler, à
faire une demande, etc. Alors, on doit connaître non seulement la phrase mais la situation où elle est
employée pour savoir ce que fait celui qui l’énonce. « Si l’on intègre l’intonation à la phrase, les
marques linguistiques prendront une importance encore plus grande, attestant la multiplicité des
allusions intralinguistiques aux lois de discours ».3
Dans la perspective de la philosophie analytique du langage, parler une langue signifie adopter
un comportement gouverné par des règles complexes.4 Dans son ouvrage Sens et expression,5 John
Rogers Searle considère qu’on doit comprendre le langage comme un comportement intentionnel,
donc un moyen d’accomplir quelque chose par la parole, à savoir un acte de langage.
Pourtant, le comportement intentionnel implique-t-il aussi la possibilité d’exprimer tout ce que le
locuteur a l’intention de dire ? Pour répondre à cette question, Searle a formulé un principe qui
établit qu’on peut toujours exprimer ce qu’on veut dire (whatever can be meant can be said). Toute
langue détient un ensemble de mots et de constructions syntaxiques par l’intermédiaire desquels on
peut s’exprimer. Parfois, il est possible qu’on ne puisse pas transmettre tout ce qu’on a l’intention de
dire. Searle souligne aussi qu’on doit faire une différence entre ce qu’on veut dire et les
conséquences qu’on a l’intention de produire sur les auditeurs.
Le principe de Searle essaie de prouver que toute intention douée de signification peut être
exprimée dans le langage d’une manière exacte. Cela signifie que le sens donné par le locuteur à son
énonciation peut être toujours explicité par des marques linguistiques, même s’il est nécessaire
d’emprunter ou de construire des mots nouveaux.

1
Françoise Armengaud, La pragmatique, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, 3 e édition, p. 77
2
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Editions Minuit, Paris, 1984, p. 95
3
Ibidem, p. 114
4
John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire, Seuil, Paris, 1970
5
John Rogers Searle, Sens et expression, Les Editions de Minuit, Paris, 1982
3
Petru Ioan, dans le volume Adevăr şi performanţă. Pretexte şi contexte semiologice, fait une
synthèse des contributions des philosophes et des linguistes dans l’analyse des actes de langage.
Cette synthèse met en évidence la distinction logico-sémiotique des trois types d’énonciation :
cognitifs, pragmatiques et esthétiques.6

III.2. Les actes locutoires, illocutoires et perlocutoires

Les douze conférences de John Langshaw Austin, publiées en 1962, sous le titre How to do
things with words (Quand dire, c’est faire)7, contiennent une analyse approfondie des actes de
langage : « son but est de fonder une nouvelle discipline philosophique, la "philosophie du
langage" ».8 Austin considère qu’un locuteur accomplit, par sa parole, trois actes simultanés : un
acte locutoire, un acte illocutoire et un acte perlocutoire.
1. L’acte locutoire consiste dans la prononciation des mots, la production des énoncés qui
présuppose:
- un acte phonétique (la simple production des sons) ;
- un acte phatique (la combinaison des mots appartenant à un vocabulaire et qui se soumettent aux
règles grammaticales), acte qui peut être simulé et reproduit par gestes, mimique, intonation, etc. ;
- un acte rhétique qui représente l’utilisation des mots ayant du sens et de la signification (l’acte
locutoire est purement et simplement, l’acte de dire quelque chose)9 : « Il fais beau aujourd’hui ».
2. L’acte illocutoire c’est l’acte qui se réalise en disant quelque chose. Il a de l’influence sur les
rapports entre les interlocuteurs ; ce type d’acte de langage est accompli en et par la parole et se
réalise seulement dans un cérémonial social qui présuppose l’utilisation de certaines formules, par
une certaine personne, dans une certaine circonstance, d’ici son caractère conventionnel : « L
accomplit un acte illocutoire A dans son énonciation E, si L présente E comme destinée à produire
certaines transformations juridiques, et les produisant »10 : « Je t’emmènerai au théâtre demain ».
3. L’acte perlocutoire est produit par le fait de dire quelque chose et dans le but de persuader. Il
provoque un certain effet sur les sentiments, les pensées, les actes de l’auditoire, de celui qui parle ou
des autres personnes. Les actes perlocutoires correspondent aux verbes : convaincre, émouvoir,
agacer, intimider, avertir, etc. : « Je t’avertis que… » est une perlocution dans la mesure où celui
auquel on parle est influencé par cet énoncé : « Je suis convaincu par la vérité de tes paroles ».

III.3. Performatif vs constatif

Dans la conception de Austin, le performatif indique un énoncé qui n’est ni vrai ni faux : « Je te
baptise Marie ». Il ne décrit, ne rapporte et ne constate rien. Son énonciation est l’exécution d’une
action, c’est-à-dire il fait quelque chose.
Il y a des cas où le langage performatif comporte, soit implicitement, soi manifestement, une série
d’attitudes :
1. les attitudes-émotions : la sympathie, la gratitude, l’indignation ;
2. les attitudes-conduites – qui accompagne un comportement (par exemple le fait d’être
respectueux, méprisant, affectueux, etc.) ;
3. les attitudes-opinions – relevées par des propositions qui expriment une opinion ;
4. les attitudes-intentions – manifestées par des attitudes qui montrent une intention.11
Le terme performatif provient de l’anglais to perform qui signifie « accomplir, effectuer ». Il est
en opposition avec celui de constatif. Les énoncés performatifs sont identifiés par quelques traits

6
Petru Ioan, Adevăr şi performanţa. Pretexte şi contexte semiologice, (Vérité et performance. Prétextes et contextes
sémiologiques) Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, Bucureşti, 1987
7
John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire, Seuil, Paris, 1970
8
Anne Reboul et Jacques Moeschler, La pragmatique aujourd’hui, Seuil, Paris, 1998, p. 27
9
Ibidem, p. 119
10
Jean-Claude Anscombre, « Voulez-vous dériver avec moi ? » in Communications, n0 32, Paris, 1980, p. 68
11
Petru Ioan, op. cit., p. 241
4
tels : un verbe à la première personne du singulier, au présent de l’indicatif, à la voix active. Mais ce
n’est pas obligatoire parce qu’il y a quelques cas qui font le problème. Pour démontrer cela, Jean
Cervoni, dans L’énonciation,12 prend les exemples de « Je parie » et « Je cours ». Le verbe parier
est performatif à la première personne du présent, mais constatif à toutes les autres formes. Courir
est constatif à toutes ses formes, autres que l’impératif. « Je cours » ne peut effectuer l’action de
courir, mais il indique ce que le locuteur est en train de faire ou ce qu’il fait habituellement.
Il y a deux types d’énoncés performatifs : explicites et primaires. Si on prend les exemples
suivants : « Je vous ordonne de venir !» et « Venez !», on observe que dans le premier exemple on a
affaire à un ordre et rien d’autre (indication très précise), tandis que le deuxième est vague et ambigu
parce qu’on ne sait pas s’il s’agit d’un ordre, d’une prière, d’un conseil, etc. La dénomination
d’énoncé primaire s’applique aussi bien, dans certains cas, à des énoncés apparemment constatifs.
L’énoncé « La tempête va commencer » est performatif primaire s’il est un avertissement qui
pourrait être explicité en disant : « Je t’avertis que la tempête va commencer ». L’explicitation
suppose l’existence d’une forme verbale à la première personne du présent, suivie de que ou de, dans
des énoncés qui ont valeur d’acte. Pourtant, toutes les actions ne permettent pas l’explicitation, par
exemple, l’acte d’insulter : « Tu es un idiot ».
Jean Cervoni remarque aussi les énoncés mixtes. Proches des performatifs, ils servent quand
même à décrire des sentiments ou des attitudes : « Je suis heureuse de vous revoir » est proche de
« Je vous souhaite la bienvenue ». Ce type d’énoncés ne sont ni purement performatifs, ni purement
descriptifs. Il considère aussi que, tant que ces énoncés sont vrais ou faux, il est possible que le
locuteur ne soit pas sincère (le principe de sincérité) et qu’il n’accomplisse alors aucun acte de
langage.
Austin situe le verbe « affirmer» parmi les performatifs en s’appuyant sur l’énoncé suivant : « En
disant qu’il pleuvait, je ne pariais pas, ni ne démontrais, ni n’avertissais : j’affirmais simplement un
fait ».13 Le verbe affirmer se trouve sur le même plan que prouver, parier, avertir, donc on peut y
placer les affirmations.

III.4. La taxinomie des actes illocutoires selon Austin

L’acte de langage articule une composante propositionnelle et une composante actionnelle,


nommée « force illocutoire ». La force illocutoire des actes a permis à Austin de les classer en cinq
catégories14 :
1. les verdictifs (produire un jugement) : considérer, analyser, estimer, évaluer, concrétiser,
classer, condamner, décrire, établir, interpréter, acquitter…
Je considère ton effort remarquable ;

2. les exercitifs (affirmer une influence / force) : ordonner, commander, plaider pour, implorer,
recommander, conseiller, avertir, proclamer, déclarer une session ouverte / fermée, choisir,
révoquer, promulguer, dégrader…
Je révoquerai le testament fait en ta faveur ;

3. les promissifs (s’assumer une obligation ou déclarer une intention) : promettre, jurer, adhérer,
être décis de, donner la parole, protéger, parier, prévoir, s’engager par un contrat,
entreprendre…
Je jure de dire la vérité, rien que la vérité ;

4. les expositifs (exposer des arguments) : affirmer, nier, répondre, exemplifier, paraphraser,
identifier, objecter, prouver, répliquer, retirer, donner son accord, se diriger vers, considérer
que, comprendre, accepter, signifier, appeler…
12
Jean Cervoni, L’énonciation, PUF, Paris, 1992, p. 106
13
Ibidem, p. 108
14
John Langshaw Austin, op. cit., pp. 151-164
5
J’accepte ta provocation ;

5. les comportatifs (adopter des attitudes) : s’excuser, remercier, féliciter, critiquer, bénir,
protester, exprimer les condoléances, maudire, toaster…
Je vous remercie pour votre hospitalité.

Eric Grillo affirme que « Austin avait perçu très tôt la nécessité d’en venir à une doctrine qui eût été
capable de traiter de manière unifiée la totalité des actes de discours ».15

III.5. La « force expressive du langage » de Evans

Donald Dwight Evans, dans le volume The Logic of Self Involvment, 16 utilise le terme de
performatif. Si Austin parlait d’une force illocutoire des énoncés, Evans propose et applique le terme
de « force causale » dans les conditions où les effets du discours sont intentionnés par le locuteur.
L’utilisation expressive du langage permet de signaler quelques sensations, états, réactions et
sentiments : l’usage expressif est toujours autoimplicatif. Il va grouper les propositions « qui font
quelque chose » par le fait même d’être prononcées ou dites : les constatations, les décrets, les
engagements, les conduites, les verdicts. Les actes causaux d’Evans sont comparables, par contenu et
effets, aux actes perlocutoires d’Austin et Searle.
1. les constatations sont des énoncés qui affirment, tirent des conclusions, évaluent quelque chose :

Il est deux heures. Le courrier d’Asuncion atterrira à deux heures dix.17

2. les décrets peuvent être illustrés par des énoncés qui expriment une conduite du type :

Vous m’apporterez ce dossier pour que je le contrôle.18

3. les engagements peuvent être représentés par des injonctions comme :

Je vous promets que, si l'on n'est pas juste avec vous, ce sera moi qui dirai aux chefs leurs
quatre vérités...19

4. les conduites relèvent de l’idée de sincérité :

Je ne leur en veux pas, je les excuse même.20

5. les verdicts se retrouvent dans des énoncés tels :

Je dis que cet homme qui est assis sur ce banc est coupable aussi du meurtre que cette cour
devra juger demain. Il doit être puni en conséquence.21

15
Eric Grillo, La philosophie du langage, Seuil, Paris, 1997, p. 52
16
Dwight Evans, The Logic of Self Involvment. A Philosophy Study of Every Day Language about God and Creator, The
Library of Philosophy and Theology, S. C. M. Press, London, 1963, apud: Petru Ioan, Adevăr şi performanţa. Pretexte şi
contexte semiologice, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, Bucureşti, 1987, pp.240-241; Donald
17
Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit, Gallimard, Paris, 1931, p. 171
18
Idem
19
Emile Zola, Germinal, Fasquelle, Paris, 1974, p. 408
20
Ibidem, p. 342
21
Albert Camus, L’Etranger, Gallimard, Paris, 1957, p. 150
6
III.6. Les actes de discours dans la version searlienne

Une autre classification des actes de langage illocutoires appartient à John Rogers Searle. Le
philosophe américain a synthétisé la logique des actes illocutoires dans son œuvre, écrite en
collaboration avec Daniel Vanderveken, Foundation of Illocutionary Logic.22 Le but de la logique
illocutoire est d’analyser les conditions de succès et de satisfaction de différents types de discours
par lesquels les locuteurs font la liaison entre la réalité et le contenu des énoncés. Selon Searle,
seulement les énoncés complets ont une valeur illocutoire. Ces énoncés ont besoin de deux
composants pour accomplir le sens, à savoir « le contenu propositionnel » (les relations syntaxiques
qui existent entre les éléments lexicaux) et « la force illocutoire » (elle indique à quel type d’acte
s’adresse l’énoncé).
« La force illocutoire » engendre quelques éléments obligatoires qui contribuent à sa réalisation.
Le plus important est « le but illocutoire » (illocutionary point) qui détermine le succès des énoncés
et la direction de concordance des mots dans le langage (word-to-direction of fit world).
John Rogers Searle considère l’acte illocutoire comme l’unité minimale de la communication
humaine. Il y inclut : les affirmations, les questions, les ordres, les excuses et les promesses. En ce
qui concerne les actes de langage, Searle en distingue :23
1. les assertifs – le but est « d’engager la responsabilité du locuteur sur l’existence d’un état de
choses, sur la vérité de la proposition exprimée »24 :
Je déclare ouverte la journée de la francophonie ;

2. les directifs – le locuteur essaye de déterminer l’allocutaire d’accomplir une action : demander,
commander, ordonner, implorer, plaider, prier, solliciter, inventer, se conseiller, se promettre :
Je demande que vous soyez ici demain. Je vous ordonne de rester ;

3. les promissifs – le locuteur doit accomplir l’acte dans le futur (l’intention) en respectant la
condition de sincérité :
Je vous promets de dire tout ce que je sais de cette affaire ;

4. les expressifs – expriment l’état psychologique du locuteur : remercier, féliciter, s’excuser,


présenter des condoléances, plaindre…
Je vous présente mes condoléances ;

5. les déclarations – tâchent de réaliser une liaison entre le contenu propositionnel et la réalité et, de
déterminer l’allocutaire d’agir, d’exprimer des sentiments et des attitudes, de faire des
changements ; parfois, on accomplit plusieurs actes dans le cadre de la même énonciation :
Je démissionne de toutes les fonctions ;

Denis Vernant estime que « si les assertifs et les expressifs correspondent exactement aux
fonctions traditionnelles de représentation et d’expression du discours, les directifs et promissifs
manifestent une dimension non plus "cognitive", informative du langage, mais proprement
"volitive" »25.
Si un acte illocutoire est accomplit par l’intermédiaire d’un autre acte illocutoire, on parle d’actes
de langage indirects. De cette manière, le locuteur ne communique pas toutes les informations à son
auditoire parce qu’il s’appuie sur les informations de l’arrière-plan (linguistique et non linguistique)
qu’ils ont en commun et sur la capacité de raisonner et d’inférer de l’auditoire. Searle qualifie ces
actes comme des écarts, car il est difficile d’interpréter un énoncé en dehors de tout contexte.

22
John Rogers Searle et Daniel Vanderveken, Foundations of Illocutionary Logic, Cambrige University Press, 1985
23
John Rogers Searle, 1982, pp. 52-60
24
Ibidem, p. 52
25
Denis Vernant, Du discours à l’action, Presses Universitaires de France, Paris, 1997, pp. 15-16
7
Ces énoncés ont un sens non littéral, c’est pourquoi Searle les appelle des écarts aux règles
syntaxiques et sémantiques du discours littéral. Ils peuvent être classifiés en quatre classes :
1. les allocutions indirectes – on accomplit par une seule énonciation deux actes de langage
(l’ironie, par exemple) ;
2. les références – le locuteur utilise la description pour suggérer à l’auditoire de qui ou de quoi il
parle ;
3. l’énonciation métaphorique – dire une chose dans l’intention de transmettre autre chose (le
locuteur se détache du sens littéral des expressions ou des phrases et exploite les indices
d’inférence) ;
4. le discours fictionnel – transmettre des informations sérieuses par des textes de fiction.26

III.7. Les « buts illocutoires » de Vanderveken

Dans, Les actes de discours. Essai de philosophie du langage et de l’esprit sur la signification
des énonciations, Daniel Vanderveken27 distingue cinq types de « buts illocutoires » fondamentaux :
1. assertif – représenter un état de choses d’une manière actuelle et responsable ;
2. engageant – engager le locuteur dans une action future ;
3. directif – déterminer le locuteur à effectuer une action future ;
4. déclaratif – accomplir une action par l’énonciation ;
5. expressif – exprimer les sentiments du locuteur.
Le deuxième élément est représenté par « la direction de concordance ». Dans la perspective
logique, on identifie quatre directions possibles de concordance :
1. la direction des mots aux choses (word-to-world direction of fit) : les prédications, les
témoignages, les conjonctures, les assertions, les objections ;
2. la direction des choses aux mots (world-to-word direction of fit) : les promesses, les désirs, les
recommandations, les menaces, les implorations ;
3. la double direction de concordance (the double direction of fit) : congédier, excommunier,
définir, capituler (to bring about a change in the world bu presenting the world as so changed) ;
4. la direction nulle de concordance (null or empty direction of fit) : les excuses, les remerciements,
les condoléances, les félicitations.
Un autre élément est constitué par la manière d’accomplir un acte illocutoire (mode of
achievement). De cette façon, le locuteur détermine l’allocutaire d’agir, de faire quelque chose pour
accomplir le but particulier de la situation d’énonciation.
La force illocutoire impose au contenu propositionnel des conditions (propositionnel content
conditions) qui dépendent de l’ensemble des contextes et des énoncés et se réalisent par des
contraintes syntaxiques sur les formes grammaticales des stipulations des énoncés élémentaires. Si le
locuteur fait des présuppositions sur le caractère vrai au faux de l’énoncé et accomplit l’acte
illocutoire, il respecte des conditions préparatoires. Les conditions de sincérité (sicerity conditions)
s’imposent lorsque le locuteur peut mentir dans une énonciation et alors l’acte illocutoire ne se
réalise plus. Ce type de condition conduit vers un autre élément de la force illocutoire, c’est-à-dire le
degré de pouvoir des sentiments qui s’exprime par des verbes tels que : ordonner, commander,
insister, demander, suggérer, conseiller, recommander ou par des adverbes : sincèrement, avec
sincérité, franchement, etc.

III.8. La classification des énoncés performatifs de Récanati

Une autre classification a été réalisée par François Récanati, dans Les énoncés performatifs. Pour
éviter les malentendus, le linguiste français apprécie que sa taxinomie « est possible en ce qui
concerne les grands types d’actes illocutoires, sans préjuger de la question de savoir si la
26
John Rogers Searle, « Le sens littéral », in Langue française, no 42, Larousse, Paris, 1979, pp. 45-46
27
Daniel Vanderveken, Les actes de discours. Essai de philosophie du langage et de l’esprit sur la signification des
énonciations, Pierre Mardaga, Bruxelles, 1988, p. 108
8
représentation arborescente est, ou non, adéquate quand on passe au niveau des actes
illocutionnaires spécifiques ».28

Actes illocutionnaires

essentiellement non essentiellement


représentatifs représentatifs

performatif constatifs
s

déclaratifs promisssifs prescriptifs

Actes de discours dans la classification de François Récanati29

Récanati affirme aussi qu’« en accomplissant un acte illocutionnaire, le locuteur s’assigne un


certain rôle complémentaire : en donnant un ordre, le locuteur exprime sa volonté que l’auditeur
suive une conduite donnée, et se pose comme ayant l’autorité qu’il faut pour que l’auditeur soit
obligé de suivre la conduite en question simplement parce que c’est la volonté du ».30Il y a un point
faible dans cette taxinomie (cf. p. 76) ; l’absence de l’ « assertion au sens large ».31 L’analyste
français critique les taxinomies d’Austin et de Searle. Ainsi, il apprécie que les directifs, les
promissifs et les déclaratifs de Searle sont tous des actes performatifs : par leur intermédiaire, le
locuteur comprend influencer et transformer la réalité, par l’acte même d’énonciation.
Si le locuteur produit un discours qui suit un certain effet, alors on parle de la « force causale »
des énoncés. Cet effet se réalise par le langage expressif, qui peut signaler des sensations, des états,
des réactions et des sentiments (Les mains de X tremblent d’émotion), des manifestations (X est
heureux et chante), des expressions (X sourit) et des informations (X m’informe : « Je suis
amoureux »). Cette manière de se manifester du langage prouve son caractère autoimplicatif.
Dans les exemples : Ouvre la porte ! et Peux-tu ouvrir la porte ?, pour comprendre leur force
illocutoire effective, l’allocutaire doit la déduire au moyen d’un raisonnement qui lui permettra de
spécifier s’il s’agit de la présentation d’une requête (ou d’une prière) sous la forme d’une question ou
d’une convention qui fait partie du code de la courtoisie.
Les philosophes anglo-saxons du langage ont développé l'idée que le plus important pour un
énoncé, c’est qu'il signifie quelque chose avant d'être ce qu'il signifie. Les phrases, qui sont les
instruments utilisés pour réaliser ces actes, ont une forme généralement adaptée à leur fonction (une
phrase impérative sert à ordonner, une phrase déclarative à informer, une interrogative à
questionner), mais cette corrélation reste imparfaite, et le problème essentiel de la théorie des actes
de langage est de représenter et d'identifier ces rôles profonds à partir des formes de surface.
Pour qu’un acte de discours soit réussi, il faut et il suffit que le récepteur comprenne que c’est un
acte qui lui est adressé. Il peut y parvenir en s’aidant des marques univoques (une structure
impérative ou un « préfixe performatif » comme « je t’ordonne » dans l’acte d’ordonner) de
l’intonation ou du contexte.

28
François Récanati, Les énoncés performatifs, Les Editions de Minuit, Paris, 1981, p. 181
29
Idem
30
Ibidem, p. 19
31
Ibidem, p. 182
9
III.9. Pragmatique cognitive et actes de langage

Patrick Charaudeau, dans Langage et discours. Eléments de sémiolinguistique, met en évidence


le fait que les sujets d’une communauté linguistique interprètent d’une façon différente le même acte
de discours, même s’il s’agit d’un article de journal, d’une déclaration politique ou d’une annonce
publicitaire. En même temps, chacun est susceptible de trouver une cohérence au discours qu’il
interprète.32 Bien que chacune de ces cohérences soit propre à chaque interprète, leur ensemble a
quelque chose en commun qui fait que tous acceptent qu’il s’agit d’un certain genre discursif:
publicitaire, politique, journalistique, scientifique. C’est cette coexistence de la spécificité et du
consensus de l’acte de discours qui rend difficile la fixation d’une typologie des discours.
Dans le volume, Les actes de langage dans le discours, Catherine Kerbrat-Orecchioni présente
les approches les plus « classiques » de cette théorie, ensuite les contributions de la perspective
interactionniste à la notion d’acte de langage. Elle distingue au niveau de l’énoncé la structure
formelle et la valeur illocutoire et analyse, entre autres, la question et la requête dans certains types
d’interaction verbale. Pour la sémioticienne française, la question est « tout énoncé qui se présente
comme ayant pour finalité principale d’obtenir de son destinataire un apport d’information »33. En
ce qui concerne la requête, elle a comme principale caractéristique « la diversité de ses formulations,
diversité que l’on peut mettre en corrélation avec le caractère fondamentalement "menaçant" de cet
acte de langage »34.
Dans Pragmatique pour le discours littéraire, Dominique Maingueneau présente une approche
de l’unité de discours à un niveau supérieur à la phrase, les macro-actes de langage. Le linguiste
français développe une pragmatique du discours, mettant en évidence les macro-structures
sémantiques aussi bien que celles pragmatiques. Si les premières macro-structures sont en mesure
d’éclaircir les différents principes d’unité de l’œuvre en discours, telles la thématisation, la cohésion,
la cohérence, les autres permettent la compréhension de la pertinence des énoncés, en fonction de
l’objectif suivi par l’échange linguistique, assimilable à un macro-acte de langage : « quand on
s’intéresse non à des énoncés isolés mais à des textes, comme la littérature, on ne peut se contenter
de travailler avec des actes de langage élémentaires. La pragmatique textuelle est confronté à des
séquences plus ou moins longues d’actes de langage qui permettent d’établir à un niveau supérieur
une valeur illocutoire globale, celle de macro-acte de langage ».35
4
actes
propositionnels
(ou de référence)
actes actes
illocutoires (propositionnels)
ou performatifs de prédication
5 3

6 2 actes (expressifs)
actes perlocutoires d’expression
(d’interaction)
actes (phonétiques et
phatiques d’énonciation)
1
Typologie des actes de discours, en accord avec le schéma del’hexagone de la logique
situationnelle36

32
Patrick Charaudeau, Langage et discours. Eléments de sémiolinguistique, Paris, Hachette, 1983, p. 88
33
Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les actes de langage dans le discours, Editions Nathan, Paris, 2001, p. 86
34
Ibidem, p. 109
35
Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, 4e éditions, Editions Nathan, Paris, 2001, pp. 11-
12
36
Adriana-Gertruda Romedea, op. cit., p. 191
10
Nous avons remarqué que les recherches actuelles en linguistique, logique, informatique et
philosophie du langage étaient orientées, de plus en plus, vers l’élaboration d’un appareil conceptuel
capable d’opérer pertinemment dans le cadre de deux processus : l’utilisation des phrases, dans des
conditions normales de communication, comme discours, et la combinaison des phrases, leur
constitution dans un texte. Dans ces conditions, l’énonciation, comme production des messages,
devient un objet d’analyse. Une telle analyse, au niveau transphrastique, permet d’établir, à un
niveau supérieur, la valeur illocutoire des macro-actes de langage. Le discours comme macro-acte de
langage est construit d’une suite d’énoncés ; il peut être : une communication simple, un pamphlet
politique, un roman fleuve, etc. Le discours règlemente l’ordre du langage ; il caractérise la manière
de parler du locuteur, l’aspect de l’expression, le style de locution, tandis que l’énoncé représente
l’ordre des mots comme choses désignées. Ainsi, le terme de « discours », dans le sens le plus large,
signifie, en même temps, l’expression verbale de la pensée et l’expression oratoire d’un locuteur.

III.10. Les actes de discours dans la perspective sémiotique et hyper- sémiotique


En vue de formuler un modèle intégrateur des macro-actes de discours, nous nous sommes
proposé de partir du concept de « situation sémiotique », présenté par Petru Ioan dans le volume
Educaţie şi creaţie în perspectiva unei logici situaţionale, plus précisément, du hexagone des
situations sémiotiques qui, par sa nature récurrente et contextuelle de chacun des facteurs (variables,
pôles, paramètres ou coordonnées), soutient une marge impressionnante d’applicabilité.
Nous allons nommer les coordonnées de cet hexagone selon notre intention de réaliser
l’intégration des macro-actes de discours :
1. D est « l’univers de discours », « le monde », « le discours comme miroir du monde », « le
contexte », etc. ;
2. S est « le texte », mais aussi « la formation discursive » (Michel Foucault) ou « la formation de
discours » (Dominique Maingueneau);
3. I est le message du texte, « le contenu informationnel objectif » véhiculé par le texte, etc. ;
4. C est « le sous-texte », « l’interdiscours » (D. Maingueneau), « la sphère de l’action et du
comportement », etc. ;
5. E est « le contexte de la production du texte », l’émission (l’énonciation) et l’émetteur
(l’énonciateur) ;
6. R est la réception et le récepteur, « l’interprétation » et « l’interprète », etc.

référence
D

I
C signifié objectif
signifié subjectif

FONCTON-SIGNE UNE SITUATION SEMIOTIQUE

R E
récepteur énonciateur

S
signifiant

Schéma du hexagone de la situation de communication, selon Petru Ioan37

37
Petru Ioan, Educaţie şi creaţie în perspectiva unei logici situaţionale, (Education et création dans la perspective
d’une logique situationnelle) Editura Didactică şi Pedagogică, Bucureşti, 1995, p. 78
11
Par cet hexagone, nous proposons un modèle intégrateur des actes de discours, si nous avons en
vue que : (1) T U d est l’interlocuteur créé par Je comme destinataire idéal adéquat à son acte
d’énonciation ; Je présuppose que l’intention de son énonciation sera totalement transparente à
T U d ; T U d (le destinataire) est un sujet institué par Je, appartenant à l’acte de production de
l’énoncé par Je ; un T U d sera toujours présent dans un acte de discours, explicitement ou non ; au
même acte de discours peuvent correspondre plusieurs T U d; (2) T U i (sujet interprétant) est un être
qui agit en dehors de l’acte d’énonciation produit par Je ; cela ne signifie pas que T u i n’intervient
pas dans l’acte de discours ; T U i est le sujet responsable du processus d’interprétation, qui lui
donne l’occasion de devenir en quelque sorte indépendant de Je ; (3) Jeé (l’émetteur) est toujours
présent dans l’acte de discours, soit explicitement, soit implicitement ; (4) Jec est le sujet
« producteur de mot », (dans la perspective du processus d’interprétation), Jeé est une image de
l’énonciateur construite sur T U i comme hypothèse à l’égard de l’intentionnalité de Jec, réalisée
dans l’acte de production : Jec, comme sujet qui communique, agit en s’instituant comme émetteur,
utilisateur du mot et des séquences de mots.
Dans la perspective du signifiant (S), les actes de discours sont des formes linguistiques à même
d’assurer des descriptions d’état et de changement.
A l’horizon de l’intention (I), les énoncés sont des actes de prédication ou de relation des
noms, des dits ou des sens.
Sur l’emplacement de l’extension, ou de la dénotation (D), les actes de discours sont des
références au monde, des relations de faits, la réalisation de la correspondance pensée - réalité.
Du point de vue de la connotation (C), les actes de discours expriment des constatations (ou
« références au monde »), mais aussi des désirs, promesses, prières.
Sous l’impression de l’émetteur (E), les actes de discours expriment des intentions de se
rapporter à soi, états d’esprit, allocutions et invitations à l’interlocution.
Au niveau du récepteur (R), les actes de discours sont des « vecteurs de la perlocution et
d’appels à l’interlocution ». Les valeurs spécifiques de ce type d’actes sont la persuation, la
crédibilité du locuteur, la consensualité de ses articulations.
D

C I

TUi TUd Jeé Jec

S
La complication du modèle du hexagone des situations de communication, par le doublement des
variables personnelles38

38
Adriana-Gertruda Romedea, op. cit., p. 71
12
Les conditions de réussite de l’acte de discours sont accomplies quand le destinataire, par ses
réactions, démontre qu’il a correctement compris l’intention du locuteur ; ainsi, le destinataire
reconnaît qu’il assume le rôle attribué par le locuteur. Par les actes de discours les énonciateurs
peuvent informer, intimider, convaincre, attrister, etc. ; ils ont la possibilité d’accomplir ces actes,
mais ils n’ont pas la garantie de réussite. Le contrôle sur les conséquences du discours est assez
limité. On ne peut pas entièrement ignorer l’intention de l’écrivain mais on apprécie que seulement
le sens du texte est déchiffré par son lecteur, celui-ci étant le seul agent par lequel le sens peut être
activé ; autrement, le texte seul n’est qu’un objet. L’effet perlocutoire d’un acte de discours
représente l’accomplissement de l’intention illocutoire. Au niveau des macro-actes de discours il y a
la possibilité que le perlocutoire ne soit pas atteint, qu’il soit atténué ou qu’il provoque des réactions
inverses.
Louis Hjemslev, dans Prolégomèmes à une théorie du langage, considère que « le langage est
inséparable de l’homme et le suit dans tous ses agissements. Le langage est l’instrument grâce
auquel l’homme façonne ses pensées, ses sentiments, ses émotions, ses efforts, ses actes et sa
volonté, l’instrument grâce auquel il influence et est influencé, l’ultime et le plus profond fondement
de la société humaine »39.
Le locuteur adapte sa parole à son auditoire en fonction des réactions qu’il perçoit. Ainsi il peut
corriger ses erreurs et éclaircir les points obscurs. En outre, il n’est pas limité au verbal ; les gestes,
les inflexions de la voix, les mimiques peuvent contribuer à faire passer le message et à lui attribuer
du sens.
L'enjeu du discours est "celui des actes discrètes et chaque fois uniques, par lesquels la langue
est actualisée, par la parole d’un locuteur" 40. Le discours est le moyen d'expression de
l'homme dans la société. Dans toute communauté humaine sont élaborées des procédures qui
peuvent contrôler, organiser et sélectionner la réalisation du discours.
L’exemple que nous allons présenter a un effet sur l’allocutaire seulement s’il est prononcé par
un critique de théâtre. À travers son article de spécialité, il peut recommander si une pièce de
théâtre vaut la peine d’être vue ou non.

Ondine au théâtre Antoine-Simone Berriau


de Jean Giraudoux.
Mise en scène de Jacques Weber.
Avec: Laetitia Costa, Xavier Gallais, Thibault Lacroix

Cette Ondine version 2004 réveille chez chacun les souvenirs enfouis des amours de jeunesse.
Elle rejoint le panthéon romantique des Ophélie, des Juliette et autres Marianne. L'héroïne de Jean
Giraudoux nous envoûte en sirène venue des profondeurs de notre subconscient.
Laetitia Casta est émouvante dans ce rôle de petite fée amie du peuple des océans. A la fois mutine,
fragile, sensible, aérienne et frémissante, elle se déplace avec légèreté dans un décor baroque et décadent à
souhait où la mise en scène de Jacques Weber fait merveille. Xavier Gallais incarne avec justesse et
élégance un chevalier, Hans, dont les sentiments ne peuvent être à la hauteur de cet amour si pur
d'Ondine. Ce pauvre humain, avec toutes ses faiblesses, va briser le rêve de la petite sirène et l'amour
impossible mènera à la mort41.

Catherine Kerbrat-Orecchioni résume le mieux le principe général des actes de langage en


affirmant que « tous les énoncés possèdent intrinsèquement une valeur d’acte, et même les
assertions, qui ne se contentent pas de faire savoir à A ce que L pense de X, mais visent ce faisant
influer d’une manière ou d’une autre sur la manière de voir de A »42.

39
Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, Minuit, Paris, 1998, p. 9
40
Emile Benveniste, 1966, op. cit., p.25
41
Jean-Claude Narcy, Théâtre, en « Pleine Vie » no 222, p. 32
42
Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les actes de langage dans le discours, Nathan, Paris, 2001, p. 22
13
Si on dit à quelqu’un par exemple : Dis-moi tout ce que tu sais ! Ducrot explique que l’on peut
comprendre cet énoncé comme un ordre et alors « il attribue à son énonciation le pouvoir d’obliger
à dire quelque chose qui avant n’avait pas une telle obligation ».43 Mais si on interprète cet énoncé
comme une interrogation, alors on suppose que son énonciation oblige à donner un renseignement à
quelqu’un qui pouvait garder l’information pour lui seul. Ainsi, chaque énoncé contient-il une charge
pragmatique, plus ou moins évidente.
Kerbrat-Orecchioni continue à mettre en évidence que « "le contenu propositionnel" ne
s’actualise jamais seul, il est pris en charge par une valeur illocutoire de nature variable ».44
Dominique Maingueneau pose le problème des actes de langage indirects : « il s’agit d’actes de
langage qui sont accomplis non plus directement mais à travers d’autres »45, comme dans les
allusions, l’ironie, la métaphore et les cas d’équivocité.
Les actes de langage indirects ont été analysés aussi par Dan Sperber et Deirdre Wilson, pour
lesquels, « la reconnaissance des actes de parole indirects est généralement expliquée sur le modèle
des implicitations gricéennes »46. Ils mettent en cause la pertinence même des classifications de
Austin et Searle. Ainsi, proposent-ils la réduction des classes d’actes de langage à trois classes : « il
s’agit de l’acte de "dire que", de l’acte de "dire de" et de l’acte de "demander" (au sens de
demander si, quoi, quand, où, etc.) ».47
1. les actes de dire que correspondent aux phrases déclaratives : assertions, promesses, prédictions,
etc. ;
2. les actes de dire de correspondent aux phrases impératives, aux ordres, aux conseils, etc. ;
3. les actes de demander si correspondent aux phrases interrogatives, aux questions et aux demandes
d’information.48
Sperber et Wilson n’ont pas introduit dans cette classification les règles qui régissent les actes
institutionnels.

III.11. « Quand dire, c’est faire »

Selon l'opinion d'Austin, en énonçant une phrase quelconque, l'émetteur réalise trois actes
simultanés49 : un acte locutoire, un acte illocutoire et un acte perlocutoire.
1. L'acte locutoire.

Je me sentais un peu malade et j’aurais voulu partir. Le bruit me faisait mal. Mais d’un autre côté, je
voulais profiter encore de la présence de Marie. Je ne sais pas combien de temps a passé. Marie m’a
parlé de son travail et elle souriait sans arrêt. Le murmure, les cris, les conversations se croisaient »50.

Dans ce fragment de Camus, Meursault réalise des énoncés qui supposent: un acte phonétique, un
acte phatique et un acte rhétique.

2. L'acte illocutoire - il s'agit d'un acte effectué en disant quelque chose, par opposition à l'acte de
dire quelque chose ; un acte qui influence les rapports entre les interlocuteurs. Cet acte s'accomplit
dans et par le langage et il n'est jamais en aucun cas une conséquence de la prononciation. Il est
toujours conventionnel puisqu'il se réalise seulement en vertu d'un cérémonial social qui confère à
une formule utilisée par une personne dans certaines circonstances, une valeur d'action.

43
Oswald Ducrot et al., Les mots du discours, Minuit, Paris, 1980, p. 37
44
Catherine Kerbrat-Orecchioni, op.cit., p. 22
45
Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Nathan Université, Paris, 2001, 3e édition, p. 7
46
Dan Sperber et Deirdre Wilson, La pertinence. Communication et cognition, Editions de Minuit, Paris, 1989, p. 356
47
Ibidem, p. 368
48
Ibidem, p. 370
49
John Langshaw Austin, op.cit., p. 115
50
Albert Camus, L’Etranger, Gallimard, Paris, 1957, p. 111
14
Mes amis, dit-il, je vais vous mettre tous d’accord ; notre Columbiad tiendra de ces trois bouches à feu
à la fois.51

3. L'acte perlocutoire - est l'acte qui est produit par le fait de dire quelque chose52 et dans le but
de convaincre, étant suivi par des effets, des conséquences sur la personne qui parle ou sur les
locuteurs, en déterminant leurs sentiments, leurs désirs, leurs comportements.
Nous avons choisit un fragment de Père Goriot pour analyser les effets perlocutoires obtenus sur
Bianchon après le discours d’Eugène:

- Mon cher, dit Eugène à voix basse, nous nous sommes trompés sur le père Goriot. Ce n’est ni un
homme imbécile ni un homme sans nerfs. Applique-lui ton système de Gall, et dis- moi ce que tu en
penseras. Je lui ai vu cette nuit tordre un plat de vermeil, comme si c’eût été de la cire, et dans ce
moment l’air de son visage trahit des sentiments extraordinaires. Sa vie me paraît être trop mystérieuse
pour ne pas valoir la peine d’être étudiée. Oui, Bianchon, tu as beau rire, je ne plaisante pas.
- Cet homme est un fait médical, dit Bianchon, d’accord ; S’il veut, je le dissèque.53

On peut remarquer l’acte perlocutoire, dans la tentative d’Eugène de déterminer Biachon


d’étudier la vie de Père Goriot et les actes qui aident à réaliser ces effets perlocutoires, c’est-à-dire,
les modulations de la voix, l’emploi des adjectifs comme « extraordinaire », « mystérieuse ». Enfin,
on observe que l’acte perlocutoire est réussi car Bianchot est convaincu par le discours d’Eugène et il
est d’accord à faire ce que celui-ci lui avait demandé.
Pour mieux illustrer les différents types d’actes illocutoires nous allons analyser un fragment du
roman Les Tambours Sauvages, écrit par Michel Peyramaure :

Une heure environ plus tard, d'autres canots surgissaient, annoncés par un signal de fumée. Ils étaient plus
nombreux que les précédents. Denis bondit à travers les écorchis pour atteindre Chicot qui était en train de
casser tranquillement des noisettes dont il avait toujours une poche pleine, au milieu de ses Hurons.
- Il faut décrocher, mon gars! dit-il. Ceux qui arrivent sont trop nombreux. Tu serais débordé.
- Pas question! dit Chicot. Tu oublies que j'ai un vieux compte à régler. Ils ne me prendront pas deux fois
mon scalp. Mes Indiens peuvent partir. Moi, je reste!
Il dit quelques mots en « sauvageois » à l'intention de Hurons qui se concertèrent.
- Tu vois, dit Chicot. Ils veulent rester eux aussi.
- Tête de mule! dit Denis. Tu ne tiendras pas dix minutes ou alors c'est que Dieu sera avec toi.
- Je préférerais une gourde d'eau-de-vie, dit le scalpe.
- J'en ai plus une goutte.
- Alors salut, compagnon!
Chicot était perdu: ils allaient tomber sur son poste comme une nuée des sauterelles.
-Tu aurais dû lui ordonner de se replier sur le fort, lui reprocha Dollard.
- Celui qui peut lui donner des ordres n'est pas encore né. Il semble avoir pris racine, le bougre!
Cet homme ne fait que ce qu'il veut, mais il le fait bien, et jusqu'au bout.
- C'est bon, soupira Dollard. J'ai oublié que ces hommes ne sont pas des soldats et qu'ils ignorent la
discipline.
- Le soleil commençait à chauffer. Des maringouins sortaient des sapinières. Denis, qui avait mal
dormi la nuit passée, rêvait de s'allonger à l'ombre de la forêt, comme le dimanche, à l'heure de la
sieste, sur le bord du Saint-Laurent, avec la tête de Catherine sur sa poitrine. Il s'ébroua en pensant:
«Imbécile !» II entendit Archambault bougonner :
- Foutus « sauvages »! Qu'est-ce qu'ils attendent?
- Je parie, dit Dollard, qu'ils mûrissent un plan d’attaque.
Anaotaa secoua la tête.
- En ce moment, mon frère, ils sont les yeux fixés sur toi, sur moi, sur nous tous. Tu vois ce rocher
au-dessus du fort ? Ils sont cachés derrière et n’attendent qu’un signe pour nous tomber dessus.
- Il a raison, dit Denis. Ils sont partout autour de nous et ils ne perdent aucun de nos gestes. 54

51
Jules Verne, De la Terre à la Lune, trajet direct en 97 heures, Librairie Hachette, Paris, 1922, p. 87
52
John Langshaw Austin, op.cit., p. 119
53
Honoré de Balzac, Père Goriot, Gallimard, Paris, 1971, pp. 63-64
15
Dans ce texte, il y a les trois actes que le locuteur réalise simultanément, en énonçant une phrase :
- l’acte locutoire : « Denis bondit à travers les écorchis pour atteindre Chicot… », « Je
préférerais une gourde d’eau- de- vie… ».
- l’acte illocutoire : « Pas question ! ».
- l’acte perlocutoire : la décision de Dennis de décrocher « Il faut décrocher, mon gars ! » -
mais elle n’atteint pas son but, car Chicot refuse totalement de partir.
Selon la taxinomie de John Langshaw Austin :
- les verdictifs : « Pas question ! », « Celui qui peut lui donner des ordres n’est pas encore
né », « Cet homme ne fait que ce qu’il veut », « Il a raison, dit Denis ».
- les exercitifs : « Il faut décrocher, mon gars », « Mes Indiens peuvent partir. Moi, je reste ! »,
« Tu aurais dû lui ordonner de se replier sur le fort… »
- les promissifs : « Ils ne me prendront pas deux fois mon scalp. », « Je parie, […] qu’ils
mûrissent un plan d’attaque. »
- les expositifs : « Ceux qui arrivent sont trop nombreux », « Ils sont cachés derrière et
n’attendent qu’un signe pour nous tomber dessus. »
- les comportatifs : « Tête de mule ! », « Il semble avoir pris racine, le bougre ! », « Foutus
‘sauvages’ ! ».
Qu’il s‘agisse d’une simple énonciation ou de l’intention d’effectuer une action, les actes de
langage constituent un mécanisme complexe qui a provoqué les chercheurs à pénétrer dans ses
mystères.
D’après le but illocutoire, on peut établir un nombre limité de façons d’utiliser la langue : on dit
à quelqu’un d’autre comment sont les choses ; on tente de déterminer l’interlocuteur à faire quelque
chose ; on exprime nos propres sentiments et attitudes ; on provoque des échanges à travers nos
énoncés.
Les actes de discours sont des formes linguistiques capables d’assurer des descriptions d’état et
de changement. Leur valeur fondamentale constitue l’adéquation linguistique, leur cohérence
morpho-syntaxique.

54
Michel Peyramaure, Les tambours sauvages, Editions France Loisirs, 1992, pp. 341-342
16
IV. Les lois du discours

Oswald Ducrot remarque, dans son œuvre Le dire et le dit, qu’un énoncé peut avoir des sens
différents en fonction de la situation de discours. La signification de la phrase est donnée par la
valeur référentielle du discours, mais aussi par les informations concernant les circonstances où il est
utilisé.55
L’ordre des phrases dans un discours est donné, premièrement, par les intentions qui ont conduit
le locuteur à faire ses affirmations. En conséquence, le processus d’interprétation de l’énoncé
présuppose deux étapes : le passage de la phrase à la signification et le passage de la signification au
sens, mais en tenant compte des circonstances de l’énonciation.
L’interprétation d’un discours est possible si l’émetteur et le récepteur respectent certaines
«règles du jeu». Herbert Paul Grice, dans l’article intitulé Logique et conversation, appelle ces règles
« implicitations conversationnelles » ou «maximes conversationnelles»56.
En France, on préfère utiliser «lois de discours», terme imposé par Oswald Ducrot57 et repris par
Dominique Maingueneau58. Les lois de discours sont également valides pour n’importe quel type
d’énonciation. Cependant, il ne s’agit pas de vérifier si les locuteurs respectent toujours les règles,
mais de bien voir que l’échange verbal, comme toute activité sociale, repose sur un « contrat » tacite
que les partenaires accomplissent, se conformant aux règles, en attendant que les autres en fassent
autant. Ces règles jouent un rôle très important dans le processus de compréhension des énoncés. Les
listes des lois du discours et leur organisation interne varient considérablement d’un auteur à l’autre,
pourtant on y trouve à peu près les mêmes éléments.

IV.1. Le principe de coopération

Les règles qui doivent être respectées par les participants se concrétisent dans un effort de
coopération : « chaque participant reconnaît dans ces échanges (toujours jusqu’à un certain point)
un but commun ou un ensemble de buts, ou au moins une direction acceptée par tous »59. Les
interlocuteurs doivent partager ce dessein commun, faute de quoi ils ne communiquent pas.
Ce principe général est appelé, selon Grice, le principe de coopération: « que votre contribution
conversationnelle corresponde à ce qui est exigé de vous, au stade atteint par celle-ci, par le but ou
la direction acceptée de l’échange parlé dans lequel vous êtes engagés »60.

IV.2. Les « maximes conversationnelles »

Du principe de coopération découlent des règles, groupées par Grice en quatre « maximes
conversationnelles »61 :
A. la maxime de quantité :
1. « que votre contribution contienne autant d’information qu’il est requis » ;
2. « que votre contribution ne contienne pas plus d’information qu’il n’est requis » ;
B. la maxime de qualité : « que votre contribution soit véridique » ;
C. la maxime de relation : « Parlez à propos » [be relevant]) ;
D. la maxime de modalité : « Soyez clair ».
En conséquence, si le récepteur combine ses connaissances générales avec ces informations, il
pourra apprécier autant le sens sémantique du message que celui pragmatique, parce que le langage,

55
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Les Editions de Minuit, Paris, 1984, p. 96
56
Herbert Paul Grice, « Logique et conversation », in Communications, no 30, Seuil, Paris, 1980, p. 60
57
Oswald Ducrot, « Les lois du discours », in Langue française, no 42, Larousse, Paris, 1979, pp. 21-33
58
Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Bordas, Paris, 1990, pp. 101-120 ; Le discours
littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Armand Colin, Paris, 2004 (la dernière mise au point)
59
Herbert Paul Grice, op. cit., p. 60
60
Ibidem, p. 61
61
Idem
17
limité dans son contenu explicite, ne peut pas être informatif, « le sens conventionnel des mots
utilisés servira non seulement à déterminer ce qui est dit, mais également ce qui est implicité »62.
Pour analyser les « maximes conversationnelles », nous proposons un fragment de Michel-Jean
Sedaine:

M. Vanderk fils : Mon père, on vient de lire le contrat de mariage de ma sœur : nous l’avons tous
signé. Quel nom avez-vous donc pris ? et quel nom m’avez-vous fait prendre ?
M. Vanderk père : Le vôtre.
M. Vanderk fils : Le mien ! et celui que je porte ?…
M. Vanderk père : Ce n’est qu’un surnom.
M. Vanderk fils : Vous êtes titré de chevalier, d’ancien baron de Salvières, de Clavières, de…etc.
M. Vanderk père : Je le suis.
M. Vanderk fils : Vous êtes donc gentilhomme ?
M. Vanderk père : Oui.
M. Vanderk fils : Oui ?
M. Vanderk père : Vous doutez de ce que je dis ?
M. Vanderk fils : Non, mon père ; mais est-il possible ?
M. Vanderk père: Il n’est pas possible que je sois gentilhomme !
M. Vanderk fils : Je ne dis pas cela. Est-il possible, fussiez-vous le plus pauvre des nobles, que vous
ayez pris un état ?…
M. Vanderk père : Mon fils, lorsqu’un homme entre dans le monde, il est le jouet des circonstances.
M. Venderk fils : En est-il d’assez fortes pour vous faire descendre du rang le plus distingué au rang…
M. Vanderk père : Achevez : au rang le plus bas ?
M. Vanderk fils : Je ne voulais pas dire cela.
M. Vanderk père : Ecoutez : le compte le plus rigide qu’un père doive à son fils est celui de l’honneur
qu’il a reçu de ses ancêtres.63

Dans le dialogue qui s’établit entre M. Vanderk père et M. Vanderk fils, le principe de
coopération est respecté, les deux locuteurs étant d’accord avec l’échange verbal. Le but de la
conversation est l’influence réciproque des partenaires, en respectant les maximes
conversationnelles. Chacun des protagonistes reconnaît à son co-énonciateur les droits et les devoirs
attachés à l’élaboration de l’échange.
Pourtant, dans le cas où l’échange verbal n’est pas accepté par l’un des partenaires, le principe de
coopération est transgressé. Voici un exemple extrait de La Cantatrice Chauve d’après Eugène
Ionesco:

Mme Smith : Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre
au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu de l’eau anglaise. Nous avons bien mangé ce soir.
C’est parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est Smith.
M. Smith, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme Smith : Les pommes de terre sont très bonnes avec le lard, l’huile de la salade n’était pas rance.
L’huile de l’épicier du coin est de bien meilleure qualité que l’huile de l’épicier d’en face, elle est
même meilleure que l’huile de l’épicier du bas de la côte. Mais je ne veux pas dire que leur huile à eux
soit mauvaise.
M. Smith, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme Smith : Pourtant, c’est toujours l’huile de l’épicier du coin qui est la meilleure…
M. Smith, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme Smith : Mary a bien cuit les pommes de terre, cette fois-ci. La dernière fois elle ne les avait pas
bien fait cuire. Je ne les aime que lorsqu’elles sont bien cuites.
M. Smith, continuant sa lecture, fait claquer sa langue64.

62
Ibidem, p. 60
63
Michel-Jean Sedaine, « Le philosophe sans le savoir » in Arsène Chassang et Charles Senninger, Recueil de textes
littéraires XVIIIe siècle, Hachette, Paris, 1966, pp. 233-234
64
Eugène Ionesco, La Cantatrice Chauve, Gallimard, Paris, 1954, pp. 11-12
18
Dans ce cas, les partenaires ne réalisent pas une communication proprement dite, mais seulement ils
la feignent.

IV.3. Le principe de pertinence

Le principe de pertinence est aussi important que celui de coopération. L’évaluation de la


pertinence dans un énoncé dépend des destinataires, parce qu’elle sera faite en fonction de leurs
connaissances et circonstances.
Dans le volume La Pertinence. Communication et cognition, Dan Sperber et Deirdre Wilson
présentent la pertinence comme l’axiome fondamental de l’échange verbal : « il existe une propriété
unique – la pertinence – qui détermine quelle information particulière retiendra l’attention d’un
individu à un moment donné »65.
Pour interpréter les énoncés du locuteur, le destinataire présume qu’il respecte l’axiome de
pertinence : « tout acte de communication ostensive communique la présomption de sa propre
pertinence optimale »66. Ainsi, la pertinence est appropriée au contexte dans lequel intervient. Elle
intéresse le destinataire en lui apportant des informations qui modifient la situation. Par exemple, si
on lit dans un restaurant « Ne pas fumer », on sait qu’il s’agit d’un lieu réservé aux non-fumeurs,
donc le message délivré est susceptible de modifier la situation des fumeurs. Un autre exemple
éloquent est constitué par le fragment suivant, extrait des Aventures prodigieuses de Tartarin de
Tarascon:

Tout y était rangé, soigné, brossé, étiqueté comme dans une pharmacie ; de loin en loin, un petit
écriteau bonhomme sur lequel on lisait :
« Flèches empoisonnées, n’y touchez pas ! »
ou « Armes chargées, méfiez-vous ! »
Sans ces écriteaux, jamais je n’aurais osé entrer67.

Ces slogans donnent au destinataire les informations les plus pertinentes pour qu’il sache exactement
comment se protéger des dangers imminents.
Dan Sperber et Deirdre Wilson définissent la pertinence en fonction de deux conditions :
1. si l’interprétation d’un énoncé demande un effort plus grand, l’énoncé est moins pertinent ;
2. si un énoncé produit les effets visés, il est plus pertinent.68
En conséquence, chaque énoncé contient dans sa structure la garantie de sa propre pertinence
optimale.
Le dialogue entre M. Vanderk fils et M. Vanderk père est pertinent dans la mesure où il apporte
de nouvelles informations sur la situation de M. Vanderk père. L’utilisation de la IIe personne du
pluriel dans la conversation entre le père et le fils et la distance créée entre les espaces intimes des
personnages suggèrent une attitude pertinente, mais, en même temps, on observe l’intention du fils
de s’imposer devant le père qui l’excuse de son comportement passé par la compétition qui existe
entre les gens dès le moment de leur naissance. M. Vanderk père est conscient du fait que, s’il veut
garder le respect de son fils, il faut qu’il prouve son innocence sans devenir ridicule. Il sait très bien
comment défendre ses opinions.

IV.4. Le principe de sincérité

Un autre principe est celui de sincérité, qui concerne l’engagement de l’énonciateur dans l’acte
de discours qu’il accomplit ; « les locuteurs sont supposés adhérer à leurs propos. Mais ce n’est là
65
Dan Sperber et Deirdre Wilson, La Pertinence. Communication et cognition, Les Editions de Minuit, Paris, 1989, p.
76
66
Ibidem, p. 237
67
Alphonse Daudet Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon, Libraire de la Société des Gens de Lettres, Paris,
1882, pp. 6-7
68
Dan Sperber et Deirdre Wilson, op. cit., p. 235
19
qu’une sorte de règle du jeu, non une thèse sur la sincérité "effective" des sujets. », c’est-à-dire « ils
sont censés d’asserter que ce qu’ils tiennent pour vrai, n’ordonner que ce qu’ils veulent voir
réaliser, ne demander que ce dont ils veulent effectivement connaître la réponse, etc. »69.
La sincérité a plusieurs degrés, mais elle représente en général la qualité de vérité du discours.
Ainsi, si l’émetteur énonce un souhait qu’il ne veut pas voir réalisé ou s’il affirme quelque chose
qu’il sait faux, ce principe est « bafoué ». Celle-ci est la règle du jeu, non une thèse de sincérité
« effective » des sujets qui doivent seulement adhérer à leurs propos. En fait, on oscille entre la
conception cynique de ce principe (il n’y a ni sincérité, ni insincérité) et une conception
psychologique ou éthique (être sincère, c’est dire ce qu’on pense).
Le discours de M. Vanderk père semble sincère, mais on n’est pas sûr si ce qu’il dit c’est la vérité
ou une modalité de se défendre contre « l’attaque » de son fils. En supposant qu’il soit sincère, M.
Vanderk fils respecte les règles du jeu sans glisser vers le cynisme.
Un autre personnage très connu, le Renard, fait tout le possible pour se trouver au pôle opposé de
la sincérité. Tout le monde sait qu’il n’est jamais sincère et pourtant il s’échappe toujours. Même le
roi qui devrait être un modèle de sagesse se laisse tromper par lui:

Quand il vit dresser la potence, alors, il fut plein de tristesse et dit au roi : « Beau gentil sire, laissez-
moi un peu parler. Vous m’avez fait lier et prendre, et maintenant vous voulez me prendre sans forfait.
Mais j’ai commis de grands péchés dont je me suis fort accablé : maintenant je veux m’en repentir. Au
nom de la Sainte Pénitence, je veux prendre la croix pour aller, avec la grâce de Dieu, au-delà de la
mer. Si je meurs là-bas, je serais sauvé. Si je suis perdu, ce sera mal fait : ce serait une bien mesquine
vengeance. Je veux maintenant me repentir ». Alors il se laisse tomber aux pieds du Roi. Le roi est pris
d’une grande pitié. […] Le Roi répond : « Qu’il prenne la croix, à la condition qu’il reste là-bas ».
Quand Renard l’entend, il est rempli de joie. Il ne sait s’il fera le voyage, mais, quoi qu’il advienne, il
met la croix sur son épaule droite. […] Il s’éloigne de la cour, un peu avant la neuvième heure, sans
saluer personne ; au contraire, en son cœur il les défia, Sauf le roi et son épouse, madame Fère,
l’orgueilleuse, qui était très courtoise et très belle. Elle s’adresse noblement à Renard : « Sire Renard,
priez pour nous, et de notre côté nous prierons pour vous. – Dame, fait-il, votre prière me sera
infiniment chère ; heureux celui pour qui vous daigneriez prier ! Mais si j’avais cet anneau que vous
portez, mon voyage en serait meilleur. Sachez, si vous me le donnez, que vous en serait bien
récompensée : je vous donnerai en retour, de mes joyaux pour la valeur de cent anneaux ». La reine lui
rend l’anneau et Renard s’empresse de le prendre. Entre ses dents, il dit à voix basse : « Certes, qui
jamais ne le vit, cet anneau, payera elle s’il veut le voir ! Jamais nul ne le retrouvera ». Renard a mis
l’anneau à son doigt ; puis a pris congé du roi. Il pique son cheval et s’enfuit au grand trot70.

Pour Renard, même le simple souhait est faux. De cette manière le principe est transgressé et les
règles du jeu ne sont pas respectées.
Dans le discours littéraire, il y a des écrivains qui revendiquent leur droit à la sincérité.
Dominique Maingueneau considère que « l’auteur doit instituer un contrat privé avec le lecteur :
dire toute la vérité »71 même s’il s’agit de sa vie, de sa personnalité et ses conceptions ou de la
véridicité de son œuvre. Pourtant, la vérité choque en général parce qu ‘elle dévoile des choses qu’on
préfère cacher ou ignorer. Les hommes ne sont pas toujours sincères, voilà la cause pour laquelle le
discours s’éloigne de sa fonction – de représenter la nature.

IV.5. La loi d’informativité

La loi d’informativité exclue le fait de parler pour ne rien dire. Les énoncés doivent apporter des
informations nouvelles au destinataire, dans des contextes donnés. Si on prend les tautologies (« la
loi est une loi »), elle n’apporte apparemment aucune information. La même chose se passe dans la
cas d’une publicité pour la marque de FIAT en 1997 : « Pour ceux qui la Punto ne suffisait pas, voici

69
Ibidem, p. 105
70
***, Le roman de Renart, Larousse, Paris, 1972, pp. 53-54
71
Dominique Maingueneau, 1990, op. cit., p. 126
20
la Punto ». On constate que l’énoncé semble ne rien apporter de nouveau, mais si le récepteur
s’appuie sur la loi d’informativité va découvrir pourtant une information nouvelle, par exemple qu’il
s’agit d’une nouvelle Punto.
Pour communiquer, M. Vanderk père et M. Vanderk fils doivent faire un échange
d’informations, c’est-à-dire apporter quelque chose de nouveau et éviter de parler pour ne rien dire.
Les informations ont le rôle d’intervenir dans l’action de décoder le message, cependant il faut
qu’elles soient précises, sans détails accablants. Un autre exemple représentatif pour ce principe est
celui du théâtre de l’absurde où les locuteurs ne font que prononcer des mots sans transmettre aucune
information pertinente, nouvelle, qui contribue au succès de l’échange verbal:

M. Smith : Les chiens ont des pouces, les chiens ont des pouces.
Mme Martin : Cactus, Coccyx ! Coccus ! cocardard ! cochon !
Mme Smith : Encaqueur, tu nous encaques.
M. Martin : J’aime mieux pondre un œuf que voler un bœuf.
Mme Martin, ouvrant tout grand la bouche : Ah ! oh ! ah ! oh ! laissez-moi grincer des dents.
M. Smith : Caïman !
M. Martin : Allons gifler Ulysse.
M. Smith : Je m’en vais habiter ma Cagna dans mes cacaoyers.
Mme Martin : Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! Les
cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! Les cacaoyers des
cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao !
Mme Smith : Les souris ont des sourcils, les sourcils n’ont pas de souris.
Mme Martin : Touche pas ma babouche !
M. Martin : Bouge pas la babouche !72

Les œuvres littéraires ne satisfont pas à la loi d’informativité de la même façon que la
conversation, à cause des genres qu’elles définissent ou qui les définissent.

IV.6. La loi d’exhaustivité

La loi d’exhaustivité précise que l’émetteur doit donner l’information pertinente « maximale ».
« La loi d’exhaustivité est subordonnée au principe de pertinence, c’est-à-dire que le locuteur est
censé donner un maximum d’informations, mais seulement celles qui sont susceptibles de convenir
au destinataire. Submerger de détails est aussi répréhensible que retenir l’information »73. De toutes
les informations dont il dispose, le locuteur offrira au destinataire, celles qui sont, selon lui, les plus
importantes :

Madame Lepic : Mon petit Poil de Carotte chéri, je t’en prie, tu serais mignon d’aller me chercher une
livre de beurre au moulin. Cours vite. On t’attendra pour se mettre à table.
Poil de Carotte : Non, maman.
Madame Lepic : Pourquoi réponds-tu : non, maman ? Si, nous t’attendrons.
Poil de Carotte : Non, maman, je n’irai par au moulin.
Madame Lepic : Comment, tu n’iras par au moulin ? Que dis-tu ? Qui te demande ?… Est-ce que tu
rêves ?
Poil de Carotte : Non, maman.
Madame Lepic : Voyons, Poil de Carotte, je n’y suis plus. Je t’ordonne d’aller tout de suite chercher
une livre de beurre au moulin.
Poil de Carotte : J’ai entendu. Je n’irai pas.
Madame Lepic : C’est donc moi qui rêve ? Que se passe-t-il ? Pour la première fois de ta vie, tu refuses
de m’obéir.
Poil de Carotte : Oui, maman.
Madame Lepic : Tu refuses d’obéir à ta mère.

72
Eugène Ionesco, op.cit., pp. 76-77
73
Dominique Maingueneau, 1990, op. cit., p. 109
21
Poil de Carotte : A ma mère, oui, maman.
Madame Lepic : Par exemple, je voudrais voir ça. Fileras-tu ?
Poil de Carotte : Non, maman.
Madame Lepic : Veux-tu te taire et filer ?
Poil de Carotte : Je me tairai, sans filer.
Madame Lepic : Veux-tu te sauver avec cette assiette ?74

C’est sur le plan de la réalité que Poil de Carotte refuse de coopérer avec Madame Lepic. Il se
révolte, c’est pourquoi ses répliques sont courtes et transmettent son refus. On parle dans ce cas de la
transgression de la loi d’exhaustivité. Cette loi indique au locuteur ce qu’il faut dire et ce qu’il ne
faut pas dire pour éviter de devenir ridicule ou ennuyeux.

IV.7. La loi de modalité

La loi de modalité tient compte de la clarté des énoncés (la prononciation, le choix des mots, la
complexité des phrases) : «par là sont condamnés les multiples types d’obscurité dans l’expression
(phrases trop complexes, elliptiques, vocabulaire inintelligible, bafouillage, etc.) » 75. Mais on ne
doit pas éviter la norme universelle de la clarté : on s’exprime différemment en fonction du style
adopté (le style familier utilise d’autres moyens conversationnels que celui officiel) et de la situation
conversationnelle:

La conversation britannique est un jeu comme le cricket ou la boxe : les allusions personnelles sont
interdites comme les coups au-dessous de la ceinture, et quiconque discute avec passion est aussitôt
disqualifié.76

En général, il y a une tension permanente entre l’usage restreint de la langue et son usage
universel. La traduction des termes étrangers en langue maternelle est difficile, c’est pourquoi il y
aura toujours un conflit entre les écrivains pour imposer telle ou telle forme dans le vocabulaire
universel. « Les modalités sont des facettes d’un processus plus général de modalisation,
d’affectation de modalités à l’énoncé, par lequel l’énonciateur, dans sa parole même, exprime une
attitude à l’égard du destinataire et du contenu de son énoncé »77.
Le locuteur est celui qui va décider la forme utilisée, en fonction de ses nécessités phonétiques et
linguistiques. Puisque les actes indiqués littéralement sont toujours accomplis au moment de
l’énonciation, l’interprétant supposera, donc, que le locuteur ait la capacité de les accomplir.

IV.8. La loi d’intérêt

La loi d’intérêt stipule qu’ « on ne peut parler légitimement à autrui que de ce qui est censé
l’intéresser »78 . Cette loi doit intéresser le destinataire et elle rappelle celle de la maxime de relation
d’Herbert Paul Grice :

Si tu veux manger, le repas est dans le four.

IV.9. La loi d’enchaînement

La loi d’enchaînement suppose un enchaînement d’énoncés A+B : « le lien établi entre A et B ne


concerne jamais ce qui est présupposé mais seulement ce qui est posé A et B »79. Si le destinataire

74
Jules Renard, Poil de Carotte, Libraire Générale Française, Paris, 1984, pp.154-155
75
Dominique Maingueneau, 1990, op. cit., p. 110
76
André Maurois, Les silences du colonel Bramble, Grasset, Paris, 1962, p. 42
77
Dominique Maingueneau, in Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours,
Seuil, Paris, 2002, p. 384
78
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Hermann, Paris, 1972, p. 9
22
n’est pas intéressé de l’acte d’affirmation du locuteur, alors il répondra : Cela ne m’intéresse pas. Et
alors ? Cette loi correspond à la maxime de relation de Grice.

IV.10. La loi de litote

La loi de litote « amène à interpréter un énoncé comme disant plus que sa signification littérale »80.
L’interprétation de la litote est liée au contexte d’énonciation :

Je ne dis pas que je n’ai pas une certaine expérience dans l’enseignement → Je crois avoir une certaine
expérience.

Nous avons vu jusqu’à présent que le discours implique plusieurs règles. Si le discours respecte
ces règles, il est plus explicite, plus facile à comprendre.
Ce qui est à retenir, c’est que la signification d’une phrase n’est pas purement descriptive : elle
est en quelque sorte pragmatique et contient des indications portant sur la force illocutoire de
l’énonciation ; les actes de parole, qu’on accomplit en parlant, se reflètent dans la signification des
phrases énoncées.
François Récanati, affirme que « pour interpréter un énoncé, c’est à dire pour déterminer l’acte
illocutionnaire accompli par le locuteur, il suffirait en principe de comprendre la phrase énoncée.
Certes, il est nécessaire de recourir au contexte, dans bien des cas, pour compléter les indications
insuffisantes données par la phrase, pour passer de la signification de celle-ci au sens de l’énoncé »
81
.
Tout discours doit parcourir, pour être accepté comme tel, quelques étapes fondamentales :
premièrement, on doit pouvoir l’encadrer dans un type ou un genre selon le but de la communication
(voir les types de discours dans la conception de Charles Morris 82) ; deuxièmement, il doit accomplir
les principes qui s’imposent dans un cas ou un autre de la communication (voir les maximes
conversationnelles d’Herbert Paul Grice83) et ensuite, il doit tenir compte d’un ensemble de lois dont
on a vu l’importance. Il faut savoir qu’on ne peut pas comprendre un discours si on n’établit pas, si
on ne découvre pas dès le début le but de la communication.
Patrick Charaudeau, dans Langage et discours, considère qu’il faut retenir aussi que tout acte
de langage est le résultat « d’un jeu entre l’implicite et l’explicite qui naît dans des circonstances de
discours particulières »84. Cet acte est personnalisé par deux entités dont chacune est dédoublée en
«sujet de parole » et « sujet agissant ». Toutes ces règles aident à former un bon discours, véridique
et correct. Reste à nous de les appliquer en vue d’une bonne maîtrise de la langue.
Dominique Maingueneau apprécie que l’application des lois de discours est dépendante du
milieu social et des circonstances, de la manière dont chaque individu essaie de valoriser la quantité
de sa propre image. Néanmoins, il évitera en même temps de dévoiler ce que la société apprécie
comme négatif puisque « ménager la face positive et le territoire d’autrui est une préoccupation
fondamentale des interlocuteurs »85.
Herbert Paul Grice considère, outre les « maximes convesationnelles », on doit respecter des
règles esthétiques, sociales et morales et d’être poli (« Soyez poli ! ») autant de normes « que les
participants observent normalement dans les échanges parlés, et qui peuvent donner lieu à des
implications non conversationnelles »86.
En effet, en adressant la parole à quelqu’un, en accaparant son attention, signifie l’intrusion dans
son espace intime, un acte réellement agressif.
79
Ibidem, p. 81
80
Ibidem, p. 137
81
François Récanati, Les énoncés performatifs, Minuit, Paris, 1979, p. 35
82
Charles Morris, Writing on the General Theory of Signs, Mouton, The Hague, 1971, pp. 46-47
83
Herbert Paul Grice, op. cit., p. 60
84
Patrick Charaudeau, Langage et discours, Hachette, Paris, 1983, p.46
85
Dominique Maingueneau, 1990, op. cit., p. 112
86
Herbert Paul Grice, op. cit., p.62
23
IV.11. Les contraintes du discours

Au-delà des mots, on découvre des dominations et des contraintes, des souffrances, des luttes et
des victoires, l’activité discursive ayant des pouvoirs et des périls qu’on peut à peine imaginer. On
ne peut nier l’existence d’une menace en ce qui concerne le discours, dans sa réalité matérielle de
chose écrite et parlée.
Michel Foucault apprécie que, dans une société, il y a des processus qui peuvent contrôler,
interdire et sélectionner la manière dont on produit un discours. Il identifie trois types
d’interdictions87 :
- le tabou de l’objet (on n’a pas le droit de dire tout, on ne peut pas parler de n’importe quoi) ;
- le rite de la circonstance (on ne peut pas dire n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand) ;
- le droit privilégié et exclusif du sujet parlant (tout le monde ne peut pas parler de n’importe quoi).
Dans la société contemporaine, l’opposition entre la folie et la raison fait la distinction entre le
discours du fou et le discours des autres en se basant sur le fait que « c’était à travers ses paroles
qu’on reconnaissait la folie d’un fou » 88. Dans le théâtre, sous le masque de la folie, on dit la vérité :

La Comtesse : Venez, monsieur. Je veux éprouver votre savoir-vivre.


Le Bouffon : Vous verrez que je suis très bien nourri et très mal élevé. Je n’ai affaire qu’avec la Cour.
La Comtesse : La Cour? De quoi faites-vous donc cas, si vous traitez la Cour avec un pareil mépris? La
Cour!
Le Bouffon : A parler franchement, madame, si Dieu a donné quelques manières à un homme, il peut
aisément s’en débarrasser à la Cour. Celui qui ne sait pas se façonner une jambe, ôter son chapeau,
baiser sa main, et ne rien dire, celui-là n’a ni jambes, ni mains, ni lèvres, ni chapeau. Un tel
compagnon, pour s’exprimer en termes précis, n’est pas fait pour la Cour. En ce qui me concerne, j’ai
une réponse qui peut servir pour tous les hommes.
La Comtesse : C’est-à-dire une réponse convenant à toutes les questions.
Le Bouffon : Comme un fauteuil de barbier convient à toutes les fesses: les fesses en pointe, les fesses
rondes, les fesses charmes, n’importe quelles fesses. […]
La Comtesse : Avez-vous une réponse allant aussi bien à toutes les questions?
Le Bouffon : De votre duc à votre constable, elle répond à toutes les questions.
La Comtesse : Ce doit être une réponse d’une monstrueuse dimension pour aller à toutes les demandes.
Le Bouffon : Rien qu’une plaisanterie, en bonne fois, pour le savant qui dirait la vérité sur elle. La voici
avec toutes ses propriétés. Demandez-moi si je suis un courtisan, vous allez être de suite renseignée.
La Comtesse : Redevenons jeunes, si nous pouvons! Je vous poserai la question comme une folle, dans
l’espérance que votre réponse me rendra plus sage. Je vous prie, monsieur, êtes-vous un courtisan?
Le Bouffon : O Dieu, monsieur!… voilà une réponse bien simple. Encore, encore, questionnez-moi
cent fois.
La Comtesse : Monsieur, je suis un de vos pauvres amis, et je vous aime.
Le Bouffon : O Dieu, monsieur! Vite, vite, ne me laissez pas respirer.
La Comtesse : Je pense, monsieur, que vous ne pouvez pas manger un plat aussi vulgaire?
Le Bouffon : O Dieu, monsieur!…Allez, allez, vous ne prendrez pas en défaut. […]
La Comtesse : Criez-vous, O Dieu, monsieur! et Ne m’épargnez pas quand on vous fouette? En vérité,
votre O Dieu, monsieur! serait de circonstance. Vous répondriez fort bien au fouet, si vous étiez sur le
point de le recevoir.
Le Bouffon : Je n’ai jamais eu si mauvaise chance dans mon O Dieu, monsieur! Je vois que les choses
peuvent servir longtemps, mais pas toujours.
La Comtesse : C’est honteux pour une ménagère de gaspiller ainsi son temps à plaisanter avec un fou!
Le Bouffon : O Dieu, monsieur!…Il me sert encore.89

87
Michel Foucault, L’ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971, p. 11
88
Ibidem, p. 12
89
William Shakespeare, Tout est bien qui finit bien, Gallimard, Paris, 1996, pp. 327-329
24
L’opposition entre le vrai et le faux met en discussion la distinction entre le discours vrai,
prononcé d’après un rituel imposé et le discours faux. Un exemple de discours vrai est celui de la
prédiction de l’avenir faite par une personne qui va participer à son accomplissement :

Le Bouffon : Vous savez, madame, que je suis un pauvre garçon.


La Comtesse : C’est bien, monsieur.
Le Bouffon : Non. Madame, il n’est pas bien que je sois pauvre, quoique beaucoup de riches soient
damnés. Mais si votre seigneurie consentez à ce que je me mariasse, la femme Isabeau et moi ferions
comme nous pourrions. […] J’ai été, madame, une faible créature, comme vous et tous les êtres de
chair et de sang, et je veux me marier pour me repentir.
La Comtesse: De ton mariage ou de ta faiblesse?
Le Bouffon: Je n’ai pas d’amis, madame, et j’espère en trouver par l’entremise de ma femme.
La Comtesse: De tels amis sont des ennemis, coquin!
Le Bouffon : Vous manquez de profondeur, madame. De tels amis sont de grands amis, car les drôles
feront pour moi ce que je suis fatigué de faire. Celui qui labourera ma terre, m’épargnera l’attelage, et
me permettra de rentrer la récolte. S’il me fait cocu, j’en ferai mon homme de peine. Celui qui soignera
ma femme, soignera ma chair et mon sang; celui qui soignera ma chair et mon sang, aimera ma chair et
mon sang; enfin celui qui aimera ma chair et mon sang, sera mon ami. Ergo, celui qui embrassa ma
femme sera mon ami. Si les hommes se contentaient d’être ce qu’ils sont, ils n’auraient pas peur de se
marier. Le jeune Charboe, le puritain, le vieux Paysan, le papiste, bien que leurs cœurs et leurs religions
diffèrent, ont des têtes identiques. Ils peuvent se heurter de leurs cornes comme n’importe quel cerf du
troupeau.
La Comtesse: Tu sera donc toujours une mauvaise langue et un calomniateur?
Le Bouffon : Je suis prophète, madame, et je dit la vérité sans ambages. Car je répéterai la ballade
Que les hommes trouveront pleines de vérité.
Le mariage vient par la destinée,
Et le coucou chante par nature90.

La nécessité de vérité de la société de nos jours a un support institutionnel – la littérature est


consolidée et actualisée par toute une série de pratiques (la pédagogie, les livres, les laboratoires,
etc.), mais aussi de la manière dont la connaissance est valorisée dans le social : la littérature a dû se
fonder sur la vraisemblance, le naturel, la sincérité, la science, en bref, sur le vrai discours.
Selon Michel Foucault, l’auteur est responsable de la relation entre le réel et la fiction, de la
cohérence, de la signification, de l’unité des textes et qu’il doit rendre compte de cette unité qui lui
est attribuée.
Néanmoins, pas n’importe qui peut dire n’importe quoi (n’importe où). Pour soutenir un
discours, on doit satisfaire à certaines exigences. Ces exigences ont le rôle de donner de la crédibilité
au discours. Selon Dominique Maingueneau : « encore faut-il se méprendre sur le sens de telles
règles. […] En réalité, il ne s’agit pas de savoir si, de fait, les locuteurs respectent toujours ces
règles, mais de bien savoir que l’échange verbal, comme toute activité sociale, repose sur un
« contrat » tacite (qui varie évidemment selon les genres de discours) »91.
Voyons maintenant de quel type de contrat ou coopération pouvons-nous parler dans la relation
conte–récit ? Maingueneau l’appelle « coopération narrative »92, liée à des systèmes d’attentes
mutuelles : « on accomplit quelque chose en se conformant à une règle et l’on attend que les autres
en fasse autant »93. Il s’agit d’une relation auteur – lecteur (ou texte – lecteur). En fait, nous croyons
que c’est une question qui tient plutôt du lecteur : importante est sa perspicacité, sa possibilité de
s’imaginer des choses à partir de la lecture d’un texte. A cet égard, Umberto Eco considère que :
« toute fiction narrative est nécessairement, fatalement rapide, car – lorsqu’elle construit un monde,
avec ses événements et ses personnages – il lui est impossible de tout dire de ce monde. Elle
mentionne, et pour le reste, elle demande au lecteur de collaborer en comblant une série d’espaces

90
Ibidem, pp. 313-314
91
Dominique Maingueneau, 1990, op. cit., p. 101
92
Ibidem, p. 102
93
Idem
25
vides. Du reste, ainsi que je l’ai déjà écrit, tout texte est une machine paresseuse qui prie le lecteur
d’accomplir une partie de son propre travail »94.
Dans la Pragmatique du discours, Anne Reboul et Jacques Moeschler considèrent que la
cohérence est celle qui définit le discours : « De même qu’une séquence de morphèmes est
grammaticale si la composition de ces morphèmes entre eux obéit aux règles de la syntaxe, de même
une séquence de phrases est COHERENTE si la composition de ces phrases entre elles obéit aux
REGLES DU DISCOURS »95.
Dans cette optique, Michel Charolles propose quatre méta-règles de cohérence qui sont
supposées rendre compte de la bonne formation des discours96 :
1. méta-règle de répétition : « Pour qu’un texte soit […] cohérent, il faut qu’il comporte dans son
développement linéaire des éléments à récurrence stricte »97 - cette règle se réfère à un
développement thématique continu du discours ;
2. méta-règle de progression : « Pour qu’un texte soit cohérent, il faut que son développement
s’accompagne d’un apport sémantique constamment renouvelé »98 ;
3. méta-règle de non-contradiction : « Pour qu’un texte soit […] cohérent, il faut que son
développement n’introduise aucun élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé
par une occurrence antérieure ou déductible de celle-ci par inférence »99 ;
4. méta-règle de relation : « Pour qu’une séquence ou un texte soient cohérents, il faut que les faits
qu’ils dénotent dans le monde représenté soient reliés »100.
Ces règles ne sont pas les seules normes nécessaires à la cohérence des textes, leur satisfaction
est utile, mais elles ne sont pas suffisantes. Charolles lui-même les considère seulement comme un
point de départ. Ce que nous voulons souligner, c’est que cette cohérence se lie à un autre terme,
aussi très nécessaire dans un texte, et qui apparaît dans trois de ces définitions des règles de
cohérence ci-dessus.
Pour conclure, nous devons préciser que les lois du discours ou les maximes conversationnelles
ne sont ni règles morales, ni règles grammaticales. Elles ont pour fonction de permettre la
« dérivation de significations non-dites et, d’une façon générale, de restructurer la signification des
échanges, de manière à leur conserver cohérence, rationalité et courtoisie»101.

94
Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Bernard Grasset, Paris, 1996, p. 9
95
Anne Reboul, Jacques Mœschler, Pragmatique du discours, Armand Colin, Paris, 1998, p. 15
96
Michel Charolles, « Introduction aux problèmes de la cohérence des textes », in Langue française no 38, Larousse,
Paris, 1978, pp. 7-41
97
Ibidem, p. 14
98
Ibidem, p. 20
99
Ibidem, p. 22
100
Ibidem, p. 31
101
Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Seuil, Paris, 2002, p. 357
26
V. De la phrase au discours

V.1. La phrase

La phrase en tant qu’unité sémantique et pragmatique, est conçue comme interprétant la


structure syntaxique. Le texte est un macro-signe auquel on fait rapporter tous les autres signes
linguistiques comme des parties du signe, considéré sous sa triple dimension: syntaxique,
sémantique et pragmatique. Ainsi, phrase et texte sont-ils placés en relation de continuité comme
formes linguistique du discours.
Dans la linguistique de l’énoncé, on utilise souvent les termes phrase et énoncé, qui se
confondent en général. Mais quels sont les traits qui les distinguent ?
La syntaxe oppose énoncé et phrase sous prétexte que l’énoncé est « une unité de
communication élémentaire, une séquence verbale douée de sens et syntaxiquement complète » et la
phrase est « un type d’énoncé qui s’organise autour d’un verbe »102. La phrase représente l’énoncé
complet d’une idée. Par exemple, Il fait beau aujourd’hui. Je vais me promener : on peut y avoir
effectivement l’énoncé d’une idée, exprimée en deux phrases. Comme fragment de discours,
« l’énoncé doit être distingué de la phrase, qui est une construction du linguiste, permettant de
rendre compte des énoncés »103.
Du point de vue de la pragmatique, la phrase est « une suite de mots organisés conformément à
la syntaxe » et l’énoncé « la réalisation d’une phrase dans une situation déterminée. On remarque
alors que différents énoncés d’une phrase ont généralement des sens tout à fait différents »104.
Au niveau transphrastique, l’énoncé devient presque l’équivalent du texte, étant considéré
comme une séquence verbale qui forme un tout relevant d’un genre de discours déterminé.
Dominique Maingueneau y inclut : le bulletin météorologique, le roman, l’article de journal, la
conversation, etc. Néanmoins, on peut opposer le texte à l’énoncé dans la perspective de la
linguistique textuelle. Dans ce sens, Jean-Michel Adam affirme : « un énoncé, au sens d’objet
matériel oral ou écrit, d’objet empirique, observable et descriptible, n’est pas le texte, objet abstrait
[…] qui doit être pensé dans le cadre d’une théorie (explicative) de sa structure
compositionnelle »105.
Jean-Michel Adam, toujours, adopte la notion de proposition énoncée pour désigner l’unité
minimale du texte. En d’autres termes, le texte est « une suite linéaire de parties »106 qui forme une
structure compositionnelle donnée, soit conventionnelle (fixée par les genres de discours), soit
occasionnelle (inventée et découverte à l’occasion).

Proposition énoncée
Acte

de référence [A] d’énonciation [B] de discours [C]


Représentation Prise en Valeur illocutoire et
discursive charge énonciative orientation argumentative

Schéma de la proposition énoncée107

102
Patrick Charaudeau, et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Seuil, Paris, 2002, p. 222
103
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Minuit, Paris, 1984, p. 177
104
Oswald Ducrot et Jean-Marie Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, Paris,
1995, p. 250
105
Jean-Michel Adam, Les textes : types et prototypes, Nathan, Paris, 1992, p. 15
106
Jean-Michel Adam, Linguistique textuelle. Des genre de discours aux textes, Nathan, Paris, 1999, p. 69
107
Ibidem, p. 50
27
Dans l’organisation pragmatique, on peut distinguer : la visée illocutoire, les repérages
énonciatifs et la cohésion sémantique. L’articulation des propositions est fixée par connexité (la
grammaire de la phrase et la grammaire de texte) et la structure compositionnelle (les formes de
mises en texte).
Une autre opposition marquante est celle entre énoncé et discours dans le cadre de l’analyse de
discours, signalée par Louis Guespin : « L’énoncé, c’est la suite de phrases émises entre deux blancs
sémantiques, deux arrêts de la communication ; le discours, c’est l’énoncé considéré du point de vue
du mécanisme discursif qui le conditionne. Ainsi, un regard jeté sur un texte du point de vue de sa
structuration "en langue" en fait un énoncé ; une étude linguistique des conditions de production de
ce texte en fera un discours »108.
Dans L’Archéologie du savoir, Michel Foucault fait une analyse de l’énoncé dans la perspective
philosophique qui complète la définition de L. Guespin : « L’énoncé n’est pas une unité du même
genre que la phrase, la proposition ou l’acte de langage […] Il est dans son mode d’être singulier
(ni tout à fait linguistique, ni exclusivement matériel), indispensable pour qu’on puisse dire s’il y a
ou non phrase, proposition, acte de langage et pour qu’on puisse dire si la phrase est correcte (ou
acceptable, ou interprétable), si la proposition est légitime et bien formée, si l’acte est conforme aux
réquisits et s’il a été bel et bien effectué»109.
La phrase, cette représentation « abstraite » de l’énoncé, constitue le principal l’objet de la
grammaire générative-transformationnelle. Elle a une structure hiérarchique qui implique des
subordinations et lui donne un caractère formé. Quand même, la théorie de Noam Chomsky
considère la phrase comme une structure infinie même si la pratique lui impose toujours des limites
parce que toute activité idéologique est présentée sous la forme de certains énoncés finis du point de
vue de la composition110.
Dominique Maingueneau affirme que « la phrase n’est qu’un des types d’énoncés », elle est
« une structure où s’associent un groupe verbal et un groupe nominal sujet et qui peut être affirmée
ou niée »111. A son tour, Pierre Le Goffic définit la phrase comme : « cette séquence autonome dans
laquelle un énonciateur (locuteur) met en relation deux termes, un sujet et un prédicat »112.
La phrase française se manifeste sous deux grands types : la phrase simple (spécifique au
langage parlé ou écrit courant) et la phrase complexe (le langage écrit et littéraire). La phrase simple
peut être constituée de cinq manières : GN seul ; GV seul ; GN + GV ; GN + GV + compléments;
GN + GV + attribut. La phrase complexe utilise des groupes nominaux et des groupes verbaux
complexes.
Une autre caractéristique de la langue française est la nominalisation, c’est-à-dire un procédé qui
demande la transformation de la phrase et le choix des mots pour donner, en peu de temps, une
grande quantité d’informations (concision) et les hiérarchiser. En outre, il y a des verbes qui ont
pour correspondants des substantifs (coordonner – la coordination, le coordinateur, coordonné/e).
Ce procédé est souvent utilisé pour annoncer les titres des journaux ou pour présenter des
informations orales.
La nature de la phrase implique une autre classification : si l’énonciateur présente un énoncé
comme vrai et en informe éventuellement son interlocuteur, on distingue la phrase déclarative
(affirmative et négative) ; si l’énonciateur présente un énoncé qui n’est ni vrai ni faux et demande
une information à son allocutaire – la phrase interrogative ; si l’énonciateur exprime sa volonté
(ordre, prière, conseil) et entend que l’allocutaire agisse ou se garde d’agir – la phrase impérative ; si
l’énonciateur exprime ses sentiments (admiration, contentement, colère, mépris, dégoût) – la phrase
exclamative.

108
Louis Guespin, « Problématique des travaux sur le discours politique », in Langages, no 23, Larousse, Paris, 1971, p.
10
109
Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969, pp. 114-115
110
Noam Chomsky, Structures syntaxiques, Seuil, Paris, 1969, p. 21
111
Dominique Maingueneau, Syntaxe du français, Hachette, Paris, 1999, p. 29
112
Pierre Le Goffic, Grammaire de la phrase française, Hachette, Paris, 1994, p. 8
28
Entre les phrases s’établissent plusieurs types de relations. Si le locuteur utilise des informations
empiriques dans son raisonnement déductif, à savoir des informations particularisantes sur le monde,
il réalise des inférences contextuelles qui contribuent à l’identification du sens de la phrase. Dans la
mesure où la corrélation entre les informations n’est pas absolue, on parle d’inférences probables.
Nous établissons le sens de la phrase si nous avons comme point de départ le sens de l’énoncé,
déterminé pourtant par la sémantique de la phrase. Si nous affirmons : Certains objets faits en
céramique sont des tasses, la phrase attire immédiatement l’inférence : Certaines tasses sont faites
en céramique et non pas Toutes les tasses sont faites en céramique ; compte tenu de l’adjectif
quelques et de la structure de la phrase : GN + GV + complément ayant le rôle de fixer et de décrire
le sens de l’énoncé.
Oswald Ducrot recommande qu’on adopte le terme signification à propos de la phrase et celui de
sens à propos de l’énoncé pour désigner le sens global d’une production langagière. « Je prolongerai
cette première distinction, du point de vue sémantique, en opposant la "signification", valeur
sémantique attribuée à la phrase, et le "sens", valeur sémantique lue dans l’énoncé »113.
D’une part, pour que la phrase ait une signification, elle doit présenter une adéquation à ce qui a
été dit auparavant (cohésion textuelle) et être adaptée au contexte situationnel, là où il n’existe pas de
contexte verbal. Selon Robert Martin, « la cohésion textuelle se fonde sur des critères comme ceux
d’isotopie, d’anaphore, de communauté présuppositionnelle, dont la fonction s’exerce à l’intérieur
même du texte, indépendamment de toute variation situationnelle »114 et vise la linguistique. D’autre
part, la cohérence met en jeu des situations, des intentions, des connaissances de l’univers, des codes
autres que linguistiques, c’est-à-dire pragmatiques.
Les marques typographiques de la phrase sont considérées comme des signes de délimitation de
l’homogénéité grammaticale. Presque le même rôle est accompli par les éléments de coordination et
de subordination qui établissent des rapports fondamentaux dans la phrase.
Dans la description syntaxique, la phrase fixe « le cadre à l’intérieur duquel se déploie un réseau
de relations (les fonctions grammaticales) et les classes d’unités simples (les groupes de mots) qui
constituent l’architecture syntaxique des énoncés »115.
En ce qui concerne les rapports établis dans et entre les phrases, on identifie la coordination et la
subordination. La coordination représente la « relation, explicite ou implicite, qui unit des éléments
de même statut : soit des phrases, soit, à l’intérieur d’une phrase, des termes qui ont la même
fonction, par rapport au même mot »116. La subordination définit, à l’intérieur de la phrase, la
relation qui unit « des éléments qui ne sont pas de même niveau, qui ont des fonctions différentes,
dont l’un dépend de l’autre »117. Les limites typographiques font entrer dans la phrase des unités
diverses du point de vue morphologique (groupes nominaux, groupes adjectivaux, groupes
adverbiaux …), indiquées à la subordination par différentes conjonctions, ayant des rôles différents :
modalisation, topicalisation, prédication seconde, détermination du cadre. Toutefois, elles présentent
un trait commun : celui d’appartenir à un système syntaxique de dépendance, même si elles illustrent
difficilement la notion d’intégration qui caractérise la structure de la phrase.
La cohésion syntaxique représente ce qui « enchâsse » la phrase dans un développement textuel,
ce qui la « soude » à ce qui précède et à ce qui suit. Elle peut être établie par la pronominalisation.
Ainsi, la présence des pronoms dans des phrases telles :

1. X, je le vois.
2. X, je me suis promenée avec lui.
3. X, il est venu.

113
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Hermann, Paris, 1991, p. 280
114
Robert Martin, Pour une logique du sens, PUF, Paris, 1983, p. 18
115
Paula Gherasim, Grammaire conceptuelle du français, „Demiurg”, Iaşi, 1998, p. 290
116
Maurice Grevisse, Le bon usage, Duculot, Paris, 1993, p. 363
117
Ibidem, p. 387
29
Nous renforçons l’analyse en termes de détachement ou de segmentation comme si la forme
anaphorique constituait une trace du constituant déplacé et expliquait la description suivante de
phrases :

1. Je vois X.
2. Je me suis promenée avec X.
3. X est venu.

Un autre moyen d’établir la cohésion syntaxique est le phénomène d’ellipse, c’est-à-dire, qu’en
rétablissant le verbe sous-entendu, on peut reconstituer une structure syntaxique dans laquelle
chaque élément entre en relation de dépendance d’une manière plus facile. Dans la phrase : Si vous
voulez le savoir, je pense sérieusement à cette affaire, la notion de subordonnée hypothétique
s’applique à la première proposition si nous reconstituons la principale : Si vous voulez le savoir, je
vous annonce que je pense sérieusement à cette affaire, comme une structure hiérarchisée dans
laquelle l’élément périphérique trouvera sa place.

V.2. Le texte

Le concept de texte prend consistance et commence à être mis en discussion par Quintilien et
surtout pendant la Renaissance. Au Livre IX de l’Institution oratoire, Quintilien associe le texte
(textus et textum) à la compositio, c’est-à-dire à l’inventio (choix des arguments), l’elocutio (mise en
mots) et la dispositio (mise en ordre ou plan du texte) réunis118.
L’usage du terme est presque habituel parmi les locuteurs d’une langue, sans poser de grandes
questions. Jean-Paul Bronckart constate ainsi que les locuteurs sont « aptes à distinguer un texte de
ce qui n’en serait pas un, avec au moins autant d’efficacité qu’ils sont capables de distinguer une
phrase grammaticale d’une non phrase »119. Le texte est une unité de signification et il n’importe
pas qu’il s’agisse d’une interjection, d’un article de journal, d’une nouvelle, d’une publicité, d’une
pièce de théâtre, etc.
Selon Umberto Eco, « un texte, tel qu’il apparaît dans sa surface (ou manifestation), représente
une chaîne d’artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire»120.
L’utilisation du terme texte nous fait immédiatement penser notamment au texte littéraire. Dans
la littérature, nous employons la notion de texte d’un drame, d’une esquisse ou d’une poésie. La
littérature représente tout ce qui est écrit d’une certaine manière, destiné à un public, c’est pourquoi
nous pouvons considérer la littérature comme texte sans que le rapport inverse soit possible, le
domaine d’action du texte étant plus vaste que celui de la littérature.
Selon Harald Weinrich, « le texte n’est pas un pur alignement de signes repliés sur eux-mêmes ;
c’est au contraire à partir du réseau de leurs déterminations mutuelles qu’il peut se constituer »121.
Jean-Paul Bronckart considère qu’« une langue naturelle n’est appréhendable qu’au travers des
productions verbales effectives, et celles-ci prennent des allures très diverses, notamment parce
qu’elles sont articulées à des situations de communication différentes. Et ce sont ces formes de
réalisation empiriques diverses que nous qualifions de textes »122.
Jean-Michel Adam analyse le texte dans la perspective pragmatique et textuelle : « un texte peut
être considéré comme une configuration réglée par divers modules ou sous-systèmes en constante
interaction »123.

118
cf. Charaudeau et Maingueneau, 2002
119
Jean-Paul Bronckart, « Les genres de textes et leur contribution au développement psychologique », in Langages no
153, Larousse, Paris, 2004, p. 103
120
Umberto Eco, Lector in fabula, Grasset, Paris, 1979, p. 61
121
Harald Weinrich, Le temps, Seuil, Paris, 1973, p. 11
122
Jean-Paul Bronckart, « L’acquisition des discours », in « Le discours: enjeux et perspective », Français dans le
monde – Recherche et applications, Hachette EDICEF, Paris, 1996, p.71
123
Jean-Michel Adam, 1992, p. 21
30
TEXTE

Configuration Suite de
pragmatique propositions
[A] [B]

Visée Repérages Cohésion Connexité Structure


illocutoire énonciatifs sémantique compositionnelle
(cohérence) (mondes) [B1] [B2]
[A1] [A2] [A3]

L’organisation de la textualité selon Jean-Michel Adam124

Dans la perspective de la linguistique générale, le texte transmet un message d’un émetteur à un


récepteur. Le message est une sélection de signes d’un ou de plusieurs codes qui doit être décodé par
le récepteur. Le code est la condition d’existence du texte d’exister tandis que le message en est la
réalisation, le texte concret. L’émetteur joue le rôle de l’auteur du texte tandis que le récepteur joue
celui du public/du lecteur. Selon Umberto Eco, « la compréhension d’un texte se base sur la
dialectique acceptation - rejet des codes de l’émetteur et proposition - contrôle des codes du
destinataire »125.
Jacques Fontanille estime que, pour les spécialistes des langages, le texte est « ce qui se donne à
appréhender, l’ensemble des faits et des phénomènes qu’il s’apprête à analyser »126. Ainsi, le
linguiste a affaire à des faits textuels et non pas à des « faits de langue ».
La partie matérielle du texte est la langue dans sa forme acoustique et graphique par laquelle le
locuteur transmet un message. La communication textuelle demande la présence d’un locuteur (un
émetteur), d’un allocutaire (un récepteur), d’un message à communiquer, d’un contexte (un référent),
d’un canal (un contact) et d’un code. Le texte contient une relation de ressemblance avec la phrase
qui contribue à l’analyse (rhétorique, narrative ou thématique) du texte. Cette analyse porte sur
quelques aspects tels : l’aspect verbal, qui surprend tous les éléments linguistiques des phrases qui
le composent (phonologiques, grammaticaux, etc.) ; l’aspect syntaxique rapporté aux relations qui
existent entre les unités textuelles (phrases, groupe de phrases, etc.) ; l’aspect sémantique – le
contenu sémantique des unités linguistiques.
Nous partageons l’opinion de Mariana Tuţescu qui considère le texte comme « l’unité
linguistique supérieure à la phrase », c’est-à-dire « un ensemble de propositions, une séquence ou
un ensemble de séquences de propositions rattachées par des rapports logico-syntactico-
sémantiques »127 qui reflètent l’univers d’attente ou d’expectation des locuteurs. Le texte permet
d’accomplir un processus de décodage pour que l’auditoire reçoive le message envoyé.
Carmen Vlad, dans Textul aisberg, considère que tout acte de communication verbale présuppose
une addition de mots qui se succèdent dans le temps et dans l’espace. Mais cette succession
représente seulement une partie du sens textuel. Pour surprendre la partie indirectement exprimée,
Carmen Vlad redéfinit le texte en utilisant la notion de texte-iceberg : « nous avons recours au
syntagme texte-iceberg pour suggérer la compréhension permissive, totalement modifiée, que nous
lui attribuons ; dans le plan théorique, cette expression signifie une catégorie linguistique-
sémantique, d’une complexité fonctionnelle et structurale sans pareille dans la sphère du verbal, et
dont le contenu spécifique, le sens, est la conséquence du syncrétisme relationnel et fonctionnel des
signes engrenés dans le tissu textuel »128.
Le texte-iceberg est un signe verbal complexe, le résultat de la sémiose textuelle, pris
simultanément comme produit et comme partie d’un processus (toujours bipolaire et dialogique),
réalisé dans des conditions spécifiques d’interprétation. Comme produit, le texte-iceberg signifie la
124
Idem
125
Umberto Eco, Tratat de semiatică generală, Editura Ştiinţifica şi enciclopedica, Bucureşti, 1982 p. 348
126
Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, PULIM, Limoges, 1998, p. 79
127
Mariana Tuţescu, Le texte. De la linguistique à la littérature, Universitatea din Bucureşti, 1980, p. 15-16
128
Carmen Vlad, Textul aisberg, (Le texte-iceberg) Casa cărţii de ştiinţă, Cluj, 2003, p. 14
31
structure des signes verbaux (mots, énoncés, etc.) destinée à la connaissance du monde; pourtant, on
ne peut pas le considérer comme une structure statique, fixe et définitive. Comme partie du
processus de communication, il représente la source qui déclanche la communication et le support de
l’acte d’interprétation du sens. Par sa fonction communicative, le texte facilite l’adaptation du
processus enregistrer – interpréter l’acte de l’énonciation.
Revenons maintenant au texte littéraire. Dans la perspective de la sémiotique générale, celui-ci
peut être décrit comme un ensemble de mondes possibles (cf. fiction). Les mondes possibles sont des
états de choses, des constructions culturelles ou des productions sémiotiques129. La littérature,
comme texte artistique, représente ce que le public perçoit, non seulement de manière pragmatique,
mais aussi comme manifestation particulière dans un certain lieu et à un certain moment.130
Heinrich F. Plett met en discussion la possibilité d’établir le commencement et la fin du texte.
Selon lui, tout texte peut être augmenté à l’infini par l’addition d’un nombre illimité de signes
partiaux (par exemple de propositions) : « Le texte est un signe linguistique qui porte sur la
convention sociale »131.
Dans le texte, un aspect très important est la cohérence des éléments qui rend possible l’existence
du texte et des unités linguistiques structurales résultées de la combinaison des éléments structuraux
inférieurs: le morphème et la proposition. La simple succession des propositions sans aucune liaison
entre elles ne peut pas constituer le texte.
Le passage de la phrase complexe au domaine transphrastique du texte se réalise à l’aide des
connexions qui ne reposent pas sur des critères structuraux. Ces connexions ont deux propriétés
essentielles : elles « reposent sur l’occurrence de marques instructionnelles ayant pour fonction
conventionnelle de signaler au destinataire que telle ou telle unité doit être comprise comme
entretenant telle ou telle relation avec telle ou telle autre » ; elles « sont capables de fonctionner à
longue distance et elles n’entrent pas dans des schémas préétablis, ce qui fait que le discours, à la
différence de la phrase, est une entité structuralement ouverte »132. Les connexions sont établies à
l’aide de marques qui recoupent partiellement les catégories morphologiques sans détruire la
cohérence du texte.
Si on prend en considération les fonctions pragmatique et textuelle, on peut mettre en opposition
les conjonctions de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car) et les connecteurs de la classe
textuelle, en observant que ces connecteurs sont plus proches de puisque, parce que, quand même,
cependant que de et, ou, ni. Au niveau du texte se passent aussi d’autres phénomènes semblables. La
IIIe personne du pronom personnel doit être mise en relation avec les pronoms démonstratifs tandis
que la première personne avec les possessifs et les modalisateurs, la classe des déictiques et
l’ensemble du domaine énonciatif. La phrase passive peut être reliée à la morphologie verbale :
présence d’un paradigme verbal (être + participe verbal) et permutation des syntagmes sujet/objet.133

V.3. Les types de textes

Jean-Michel Adam souligne l’importance des liages textuels dans la structure compositionnelle
du texte. Ceux-ci se divisent en liages compositionnels (suite linéaire) et liages configurationnels
(tout cohésif – cohérent). Les liages compositionnels comportent deux types d’opérations : la
planification et la structuration. La planification est définie comme une « composition textuelle
globale », « descendante », plus ou moins réglée par des genres ou des sous-genres, qui a comme
finalité la construction de plans de textes fixes (conventionnels, normés).134

129
Adriana-Gertruda Romedea, Actele de discurs : o perspectivă semiotică, Editura “Ştefan Lupaşcu”, Iaşi, 1999, p. 121
130
Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, Seuil, Paris, 1983, pp. 38-39
131
Heinrich F. Plett, Ştiinţa textului şi analiza de text, Editura Univers, Bucureşti, 1983, p. 40
132
Michel Charolles, « Les plans d’organisation du discours et leurs interprétations », in Parcours linguistiques de
discours spécialisés, Peter Lang, Berne, 1993, p. 311
133
Jean-Michel Adam, Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes, Nathan, Paris, 1999, p. 44
134
Ibidem, p. 68
32
Liages textuels

Liages compositionnels Liages configurationnels


(suite linéaire) (tout cohésif-cohérent)

Planification Structuration Thématique Macro-actes


sémantique

Plan de texte Plan de texte


conventionnel occasionnel

T E X T E

Le schéma des liages textuels135

Les typologies ne permettent pas de rendre compte de la description, elles peuvent s’appuyer sur
les discours et les genres du discours. C’est pourquoi celles-ci peuvent « aborder la question de la
poésie descriptive d’une époque ou les descriptions réalistes »136. Les typologies sont de grandes
classes de textes comme le récit, le dialogue, l’argumentation, la description, la conversation, le
dialogue, etc. Mais, nous remarquons dans le schéma que l’effet de texte est le produit de
l’interférence de deux dimensions : l’une sémantico-pragmatique (CONFIGURATIONNELLE),
l’autre SEQUENTIELLE ayant les catégories textuelles pures. Le configurationnel-pragmatique a le
rôle de marquer les différences entre les genres textuels ou les sous-types qui rejoignent les genres
du discours. Par exemple une histoire policière peut être distinguée d’un conte, un récit fantastique
d’une histoire drôle. La description peut être encadrée dans la typologie séquentielle.
Tout texte, soit-il descriptif ou narratif, repose sur un effet de séquence. Ainsi, cet effet de
séquence consiste-t-il « en la "reconnaissance d’une complétude configurationnelle"
(reconnaissance d’une macro-structure sémantique ou base thématique, d’un ancrage énonciatif
général et établissement d’un macro-acte de discours directement donné ou dérivable), d’une part, et,
d’autre part, en la "reconnaissance d’un regroupement de proposition en structure séquentielle
spécifique" »137. Ce regroupement coïncide soit à une structure séquentielle acquise, soit à une
structure séquentielle donnée à l’occasion. La structure séquentielle acquise est représentée par les
acquisitions culturelles, familières à l’auditeur/lecteur.
Michel Charolles distingue quatre types de connexions non structurales (opérateurs
relationnels) : les connecteurs (« expressions linguistiques qui permettent de traduire les "liens
logiques" entre les propositions »): conjonctions de subordination (parce que, comme) et de
coordination (donc, car), adverbes ou les locutions adverbiales (en effet, par conséquent), groupes
nominaux ou prépositionnels (malgré cela); les substituts anaphoriques : pronoms personnels de
troisième personne, déterminants possessifs, certains groupes nominaux définis qui correspondent à
la classe des anaphores ou à la « chaîne de référence » ; « les expressions introductrices de cadre du
discours ; les marques configurationnelles de segmentation »138.
Bernard Combette envisage une cinquième « catégorie textuelle », il s’agit des positions de
thème et de rhème : « une partie d’un groupe nominal ou verbal, ou d’une phrase, peut avoir – de
façon relativement indépendante du découpage en constituants syntaxiques – une valeur de thème ou

135
Jean-Michel Adam, 1999, op. cit., p. 68
136
Jean-Michel Adam et André Petitjean, 1989, op. cit., p. 81
137
Ibidem, p. 81
138
Michel Charolles, « Cohésion, cohérence et pertinence du discours », in Travaux de linguistique, no 29, Duculot,
Bruxelles, 1995 ; apud : Jean-Michel Adam, 1999, op. cit., p.46
33
de rhème liée à sa place dans la dynamique de la phrase et sa visée communicative (information
présentée comme connue ou comme nouvelle) »139.
Dans le métalangage naturel, selon Jean-Claude Beacco, on distingue les types de textes
suivants140 : l’éditorial, le reportage, le mode d’emploi, le procès-verbal, la dissertation, le fait
divers, le manuel, la lettre, la circulaire, le rapport, etc. Au contraire, Jean-Michel Adam considère
qu’il est profondément erroné de parler de types de textes à ce niveau, étant donné qu’il faut
représenter « des régularités linguistiquement observables et codifiables », c’est pourquoi il fait
appel au niveau séquentiel : « les séquences sont des unités de composition textuelle très inférieures
à l’ensemble représenté par le texte »141. A ce niveau, il inclut : le récit, la description,
l’argumentation, l’explication et le dialogue.
Les tentatives d’établir une typologie des textes est due aux structures communicatives
conventionnelles, utilisées dans la société, qui sont présentes dans la conscience des locuteurs.
Pourtant, parler de types de textes au niveau global et complexe signifie parler de « types pratiques
sous-discursives », à savoir les genres.
Denise Malrieu constate que « le genre se définit à la fois par son appartenance à un domaine,
par son contexte externe de communication […], par son insertion dans des surensembles d’objets
sémiotiques […] et par sa structure interne »142.
Pour François Rastier, le genre détermine « un mode de régulation du contexte interne et externe
(textualité et intertextualité). Il permet enfin au texte de rester compréhensible alors même que la
situation qui lui a donné naissance, ou du moins prétexte, a disparu sans retour »143. Le genre
définit aussi « ce qui rattache un texte à un discours », autrement dit, ce qui met en relation un texte
singulier à une famille de textes. Entre les textes s’établissent des relations (manifestées ou secrètes)
qui présupposent une transcendance textuelle des textes littéraires et signalent l’appartenance d’un
texte à un ensemble qui le définit.
Gérard Genette en distingue cinq types : l’intertexte (la citation, l’allusion), le métatexte et
l’épitexte (commentaires d’un texte dans et par un autre), l’hypertexte (les reprises, les pastiches, les
imitations et les subversions d’un texte [hypotexte] par un autre), l’architexte (le rapport d’un texte à
une catégorie générique) et le paratexte (le rapport d’un texte à ce qui l’entoure matériellement – le
péritexte ou à distance – l’épitexte)144.
Umberto Eco considère que chaque énoncé nécessite un contexte / co-texte dans lequel il soit
actualisé dans toutes ses possibilités sémantiques145. Mais le contexte désigne aussi la modalité
abstraite par laquelle un terme donné peut entrer en relation avec d’autres termes qui appartiennent
au même système sémiotique.
Selon George Kleiber, le contexte désigne : « l’environnement extralinguistique (situation
d’énonciation et situation d’interprétation décalées ou non dans le temps et / ou dans l’espace) ;
l’environnement extralinguistique immédiat (contexte de la schématisation textuelle) ; les
connaissances générales présumées, partagées »146.
Toute phrase a besoin d’un contexte qui est choisi en fonction de son accessibilité (il donne la
possibilité de réaliser une bonne interprétation) et qui implique la mémoire (même si les contextes se
différencient par leur origine, ils ont tous le statut de représentation interne). C’est aussi le contexte
139
Bernard Combette, « Questions de méthode et de contenu en linguistique du texte », in Etudes de linguistique
appliquée, no 87, Didier, Paris, 1992 ; apud: Jean-Michel Adam, 1999, op. cit., p. 46
140
Jean-Claude Beacco, « Types ou genres ? Catégorisation des textes et didactique de la compréhension et de la
production écrite », in Etudes de linguistique appliquées, no 83, Didier, Paris, 1991, p. 23
141
Jean-Michel Adam, 1999, op. cit., p. 82
142
Denise Malrieu, « Linguistique de corpus, genres textuels, temps et personnes », in Langages no 153, Larousse, Paris,
2004, p. 73
143
François Rastier, « Poétique et textualité », in Langages no 153, Larousse, Paris, 2004, p. 125
144
Gérard Genette, Introduction à l’architexte, Seuil, Paris, 1979 ; Palimpsestes, Seuil, Paris, 1982 ; Nouveau discours
du récit, Seuil, Paris, 1983 ; Seuils, Seuil, Paris, 1987 ; Fiction et diction, Seuil, Paris, 1991
145
Umberto Eco, Limitele interpretării, Editura Pontica, Constanţa, 1996, p. 307
146
George, Kleiber « Contexte, interprétation et mémoire : approche standard vs approche cognitive », in Langue
française, no 103, Paris, Larousse, 1994, p. 14

34
qui contribue à la distinction entre les différents types de discours. Par exemple, si on prend le
discours quotidien et le discours littéraire, on met en relief la différence à l’aide des actes de
discours, et tout particulièrement ceux qui sont illocutoires indirects, mais en tenant compte du
contexte d’énonciation.
En conséquence, nous pouvons définir le texte comme une unité sémiotique macro-linguistique
(dans le cas des propositions, des mots et des sons, on parle de signes partiaux qui doivent être
rapportés au macro-signe texte), formée de la succession minimale de deux propositions cohérentes
avec une structure sémique.

FINALITE
PROCEDES (de la Situation TYPES DE
COMPOSANTES
DISCURSIFS de TEXTES
Communication)
- Inventaire
- Listes
recenser récapitulatives
- Listes
Identification
identificatoires
renseigner - Nomenclatures
- Presses
- Romans
- Textes de loi
- Textes
définir
didactiques
NOMMER
- Textes
Construction expliquer
scientifiques
LOCALISER objective du
- Chroniques
monde inciter
- Modes d’emploi
SITUER
- Annonces
raconteur
- Récits littéraires
QUALIFIER
- Résumés
- Publicités
- Déclarations
- Annonces
- Messages
Construction inciter
- Récits
subjective du
journalistiques
monde raconteur
- Chansons
- Bandes
dessinées
- Textes littéraires

Tableau de types de textes selon Patrick Charaudeau147

147
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 686
35
V.4. Le discours

Le discours est « l’unité d’analyse de la sémiotique. Il permet de saisir non seulement les
produits figés ou conventionnels de l’activité sémiotique (les signes, par exemple), mais aussi et
surtout les actes sémiotiques eux-mêmes »148. Voici quelques définitions du discours:
- « une séquence de phrases est un discours si elle est cohérente »149 (Anne Reboul) ;
- « le discours, considéré comme manifestation du langage, est l’unique source de renseignement
sur les significations immanentes à ce langage »150 (Algirdas-Julien Greimas) ;
- « une dispersion de textes que leur mode d’inscription historique permet de définir comme un
espace de régularités énonciatives »151 (Dominique Maingueneau) ;
- « un ensemble de règles anonymes, historiques, toujours déterminées dans le temps et l’espace
qui ont défini à une époque donnée, et pour une aire sociale, économique, géographique ou
linguistique donnée, les conditions d’exercice de la fonction énonciative »152 (Michel Foucault).
Dominique Maingueneau souligne que la notion de discours est « tellement utilisée parce qu’elle
est le symptôme d’une modification dans notre façon de concevoir le langage »153. D’ailleurs, le
linguiste français établit les traits essentiels du discours :
1. le discours est une organisation au-delà de la phrase : « il mobilise des structures d’un "autre
ordre" que celles de la phrase »154 (un proverbe, un récit, un dialogue, une argumentation) ;
2. le discours est orienté : « il est "orienté" non seulement parce qu’il est conçu en fonction d’une
visée du locuteur, mais aussi parce qu’il se développe dans le temps, de manière linéaire »155 ;
3. le discours est une forme d’action : « parler est une forme "d’action" sur autrui, et pas seulement
une représentation du monde »156 (les actes de langage) ;
4. le discours est interactif : « cette activité verbale est en fait une "inter-activité" qui engage deux
partenaires, dont la trace dans les énoncés est le couple JE-TU de l’échange verbal »157
(conversation) ;
5. le discours est contextualisé : « le discours intervient "dans" un contexte, comme si le contexte
n’était qu’un cadre, un décor ; en fait, il n’y a de discours que contextualisé »158 ;
6. le discours est pris en charge par le sujet : « le discours n’est discours que s’il est rapporté à un
sujet, un JE, qui à la fois se pose comme "source des repérages" personnels, temporels, spatiaux et
indique quelle "attitude" il adopte à l’égard de ce qu’il dit et de son co-énonciateur »159 ;
7. le discours est régi par des normes : l’activité verbale « comme tout comportement, est régie par
des normes »160 ;
8. le discours est pris dans un interdiscours : « le discours ne prend sens qu’à l’intérieur d’un univers
d’autres discours à travers lequel il doit se frayer un chemin »161. Donc, le discours est conçu
comme le produit de l’énonciation, il caractérise la manière de parler, la qualité de l’expression et le
style de la locution, étant une organisation au-delà de la phrase.
Le discours n’est pas une unité linguistique, mais il est lié à l’énonciation parce que l’émetteur
adresse le discours à un récepteur : « C’est un homme parlant que nous trouvons dans le monde, un

148
Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, PULIM, 1998, p. 77
149
Anne Reboul et Jacques Moescheler, Pragmatique du discours. De l’interprétation de l’énoncé à l’interprétation du
discours, Armand Colin, Paris, 1998, p. 58
150
Algirdas-Julien Greimas, Sémantique structurale. Recherche de méthode, Librairie Larousse, Paris, 1966, p. 39
151
Dominique Maingueneau, Genèses du discours, Pierre Mardaga, Bruxelles, 1984, p. 5
152
Michel Foucault, Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969, p. 154
153
Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Nathan, Patis, 2002, p. 38
154
Idem
155
Idem
156
Ibidem, p. 39
157
Idem
158
Ibidem, p. 40
159
Ibidem, p. 41
160
Idem
161
Idem
36
homme parlant à un autre homme, et le langage enseigne la définition même de l’homme »162 pour
en construire la signification. Celle-ci se compose de formes syntaxiques et de l’orientation
prédicative qui est déterminante et qui prend en charge les formes syntaxiques.
Le discours est donc « une instance d’analyse » où l’énonciation ne saurait être dissociée de son
produit, de l’énoncé. Pourtant le discours ne se contente pas «d’utiliser les unités d’un système et
d’un code préétabli », il «invente sans cesse de nouvelles figures, contribue à infléchir ou à
déformer le système, que d’autres systèmes avaient nourri auparavant »163.
Pour que le discours se produise, on doit créer une situation de discours. Dans le Dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, la situation de discours est définie comme « l’ensemble des
circonstances au milieu desquelles se déroule un acte d’énonciation (qu’il soit écrit ou oral) »,
comprenant par là « l’entourage physique et social où cet acte prend place, l’image qu’en ont les
interlocuteurs, l’identité de ceux-ci, l’idée que chacun se fait de l’autre […], les événements qui ont
précédé l’acte d’énonciation »164. C’est pourquoi la connaissance de la situation contribue à :
1. déterminer le référent des expressions employées (les déictiques : « les expressions dont le
référent ne peut être déterminé que par rapport aux interlocuteurs »165 : je, tu, ici, maintenant…) ;
2. choisir entre différentes interprétations d’un énoncé ambigu ;
3. déterminer la nature d’un acte de parole accompli (sa valeur illocutoire) ;
4. déterminer la valeur particulière de l’énonciation (précieuse, emphatique, pédante, familière,
grossière,…).
Selon Patrick Charaudeau, « communiquer, c’est procéder à une mise en scène »166 (échos de la
conception de Goffman « la mise en scène de la vie quotidienne »), c’est-à-dire l’action du locuteur
est pareille à celle du metteur en scène qui s’adresse à un public qu’il imagine. De la même manière
le locuteur utilise les composants du dispositif de la communication pour produire des effets sur son
interlocuteur, réel ou imaginaire.
Nous ne devons pas oublier qu’à chaque discours correspond une finalité qui vise l’action
d’ÉNONCER, de DÉCRIRE, de RACONTER ou d’ARGUMENTER quelque chose.
Jean-Michel Adam affirme que « parler de discours, c’est considérer la situation d’énonciation-
interaction toujours singulière et l’interdiscursivité dans laquelle chaque texte est pris »167. Si le
texte est un objet concret, matériel, empirique, « le discours […] n’est pas une catégorie naturelle
scientifiquement pertinente […]. Il n’a donc pas besoin d’un traitement propre et l’économie
scientifique consiste à s’en tenir à l’étude du fonctionnement d’une catégorie naturelle
scientifiquement pertinente, à savoir l’énoncé »168.
Dans ce schéma169, on peut remarquer que le discours est pris dans l’interdiscours. Le terme
discours désigne des discours comme publicitaire, journalistique, politique, littéraire, etc., reliés aux
GENRES DU DISCOURS. Ainsi, l’éditorial, le fait divers, le reportage sont des genres du discours
journalistique ; le théâtre, le roman, avec leurs sous-genres, sont des genres du discours littéraire, etc.

162
Emile Benvéniste, 1966, op. cit., p. 259
163
Jacques Fontanille, op. cit., pp. 81-82
164
Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Edition du Seuil, 1972, p.
417; Oswald Ducrot et Jean-Marie Schaeffer, Noul dicţionar enciclopedic al ştiinţelor limbajului, Editura Babel,
Bucureşti, 1996, pp. 492-499
165
Ibidem, p. 232
166
Patrick Charaudeau, Grammaire du sens et de l’expression, Hachette, Paris, 1992, p. 635
167
Jean-Michel Adam, La linguistique textuelle. Introduction à l’analyse textuelle des discours, Armand Colin, Paris,
2005, p. 28
168
Jacques Moeschler et Anne Reboul, « Le dialogue n’est pas une catégorie naturelle scientifiquement pertinente », in
Cahiers de linguistique française, Université de Genève, 1995, p. 246
169
Jean-Michel Adam et André Petitjean, Le texte descriptif, Nathan, Paris, 1989, p. 80
37
PRATIQUES DISCURSIVES

FORMATIONS INTERDISCOURS
DISCURSIVES

Institutions DISCOURS
&
Formations imaginaires
Genres rhétoriques
de discours
INTERACTION
(Force illocutoire)

TEXT

DIMENSION SÉQUENTIELLE
DIMENSION CONFIGURATIONNELLE (Structure séquentielle)
(Pragmatique textuelle)

Orientation Représentation Super-structures Plans de textes


argumentative (Sémantique)

Énonciation

LINGUISTIQUE TEXTUELLE

V.5. Les types de discours

Le philosophe Charles Morris, dans « Signs, Language and behavior », définit une notion connue
comme ASCRIPTOR qui correspond au terme proposition. Il relève le fait que ces ascripteurs
influencent différemment le comportement des personnes qui les interprètent, c’est pourquoi il
distingue plusieurs types des propositions : désignatives, évaluatives, prescriptives et formatives.
Charles Morris a établi les quatre dimensions dans le processus d’utilisation des signes :
1. L’utilisation informative des signes : c’est le cas où le producteur utilise les signes pour informer
l’interprète visant les propriétés d’orientation de l’objet identifié ;
2. L’utilisation injonctive des signes : le producteur utilise les signes pour que l’interprète
perfectionne les propriétés d’un objet identifié ;
3. L’utilisation évaluative des signes : le producteur utilise les signes pour que l’interprète apprécie
d’une manière satisfaisante les propriétés d’un objet identifié ;
4. L’utilisation systématique des signes : le producteur utilise les signes pour organiser son
comportement.
Charles Morris est le philosophe qui a distingué entre la syntaxe, la sémantique et la pragmatique
qui dominera dans la philosophie contemporaine du langage. « Les lois syntaxiques créent des
relations entre les signes et les véhicules des signes ; les lois sémantiques sont en corrélation aux
véhicules des signes avec d’autres objets ; les lois pragmatiques énoncent les conditions pour les
interprètes en vertu de laquelle un véhicule de signe est un signe »170. Connaissant cette perspective,
le langage peut être défini comme une série intersubjective de véhicules de signes dont l’utilisation
est déterminée par les lois syntaxiques, sémantiques et pragmatiques.
Ce système complexe de signes représente le langage quotidien. Charles Morris a appelé ce
système les types de discours. On fait la distinction entre ces types de discours soit par leur moyen
de signification, soit par l’utilisation des termes spécifiques, soit par les deux. 171

170
Charles Morris, Writing on the General Theory of Signs, Mouton, The Hague, 1971, pp. 46-47
171
Ibidem, p. 204
38
Usage
INFORMATIF EVALUATIF INCITIF SISTEMATIQUE
Mode

Désignatif Scientifique Fictif Légal Cosmologique


Evaluatif Mythique Poétique Moral Critique
Prescriptif Technologique Politique Religieux Propagandistique
Logico-
Formatif Rhétorique Grammatical Métaphysique
matématique

Types de discours dans la classification croisée de Charles Morris

Premièrement, Morris a considéré cette classification des signes visant la proportion relative,
distinguant six types de discours désignatifs, six types de discours évaluatifs etc., au total vingt-
quatre types de base.
Dans une autre perspective, on pourrait relier les vingt-quatre types et les spécialisations du
langage. C’est pourquoi les discours prédominant désignatifs, formatifs, prescriptifs et évaluatifs
semblent corréler avec le discours scientifique. Mais dans le cas où les signes seraient prescriptifs,
évaluatifs et formatifs, ils pourraient être corrélés avec le discours religieux, etc.
Le mode-use-classification représente le moyen dominant de signification par le langage, même
l’usage primaire du langage. Dans son tableau, Charles Morris n’a pas introduit le discours
descriptif, mais il est étudié dans le cadre du discours poétique.
En fonction des modes fondamentaux de structuration qui se combinent dans les textes, Jean-
Paul Bronckart172 distingue quatre types de discours fondamentaux, fondés sur les
dichotomies implication vs autonomie et conjonction (exposer) vs disjonction (raconter) : discours
interactif (exposer / impliquer), récit interactif (raconter / impliqué), discours théorique (exposer /
autonome) et la narration (raconter / autonome). Ce sont à la fois des types linguistiques (ils
mobilisent en chaque langue des éléments spécifiques) et des archétypes psychologiques,
indépendants des langues particulières.
Gustave Guillaume a donné la définition suivante du discours : « Dans le discours […] le
physique qu’est la parole en soi se présente effectif, matérialisé, et donc, en ce qui le concerne, sorti
de la condition psychique de départ. Au niveau du discours, la parole a pris corps, réalité : elle
existe physiquement »173.
Les activités de paroles effectives sont nommées le plus souvent des genres de discours ou des
genres de textes. Mais une classification rigide de ces genres est, selon Jean-Paul Bronckart,
impossible car « ces genres s’adaptent en permanence à l’évolution des enjeux socio- communicatifs
et ils sont dès lors porteurs de multiples indexations sociales. Ils sont organisés en nébuleuses, aux
frontières floues et mouvantes »174. Cela veut dire que les critères homogènes tels : le statut des
participants, le médium, la finalité, le lieu et le moment, l’organisation textuelle sont des éléments
qui peuvent intervenir pour réaliser l’analyse et la classification des genres, mais seulement à
l’intérieur d’un domaine délimité. En fait, les critères de classification sont très nombreux.
Cependant, tout énoncé est individuel et représente un tout de sens sémantique ou pragmatique
qui, en fonction d’un contexte, élabore des types relativement stables d’énoncés appelés par Mikhaïl
Bakhtine des « genres discursifs »175 du langage. Bakhtine considère qu’entre le langage et le
discours s’institue une relation étroite de complémentarité fondée sur le principe que les genres de
discours organisent la parole de la même manière que la syntaxe. La diversité des discours détermine
l’utilisation du terme genre de discours qui désigne les diverses sortes de textes attestés.
172
Jean-Paul Bonckart, Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionisme socio-discursif, Delachaux et
Niestlé, Lausanne, 1996, pp. 138
173
Gustave Guillaume, Principes de linguistique théorique de Gustave Guillaume, Klincksieck, Paris, 1973, p. 71; apud:
Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Seuil, Paris, 2002, p. 186
174
Jean-Paul Bronckart, 1996, op. cit., p. 110
175
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Gallimard, Paris, 1984, p. 285
39
Les genres de discours sont d’une infinie diversité à cause du fait que l’activité humaine est
inépuisable dans son action de développement des sphères virtuelles. Cette activité complexe évolue
en fonction des formations sociales auxquelles elles s’associent et « en fonction de leurs intérêts et
leurs objectifs propres »176. Bronckart, toujours, met en évidence le caractère flou et complexe des
genres qui les empêchent de « faire l’objet d’un classement rationnel stable et définitif »177. Le genre
et le texte forment un couple macrolinguistique ; le texte est, par définition, l’élément qui perturbe la
relation qui existe entre les régularités discursives d’un genre et les variations inhérentes de l’activité
énonciative des sujets (toujours singulière du point de vue historique).
Maingueneau considère que « l’acte de langage d’un niveau de complexité supérieure, un genre
de discours est soumis lui aussi à un ensemble de conditions de réussite »178 :
1. une finalité reconnue : « tout genre de discours vise un certain type de modification de la situation
dont il participe »179 ;
2. le statut des partenaires légitimes : « la parole dans un genre de discours ne va pas, en effet, de
n’importe qui vers n’importe qui »180 ;
3. le lieu et le moment légitimes : « tout genre de discours implique un certain lieu et un certain
moment »181 ;
4. un support matériel : « un texte peut passer seulement par les ondes sonores […] être manuscrit
[…] figurer dans la mémoire d’un ordinateur, etc. »182 ;
5. une organisation textuelle : « maîtriser un genre de discours, c’est avoir une conscience plus ou
moins nette des modes d’enchaînement de ses constituants sur différents niveaux »183.
L’acte de communication présuppose plusieurs composantes, à savoir : la situation de
communication (physique ou psychique), le mode d’organisation du discours (les principes
structurants de la matière linguistique), la langue (le matériel verbal) et le texte (le résultat matériel
de l’acte de communication).
Nina Ivanciu, dans Epistemă şi receptare, prend le discours comme un ensemble cohérent
d’énoncés en vertu des relations qui s’établissent entre eux (relations de nature syntaxique et
sémantique) et qui sont produites par un auteur situé spatio-temporel pour un lecteur, déterminé lui
aussi dans le temps et l’espace.184 Cela signifie que tout discours s’organise en fonction de la période
historique dans laquelle il est conçu. Pourtant, nous ne devons pas oublier qu’à chaque discours
correspond une finalité qui vise l’action d’énoncer, de décrire, de raconter ou d’argumenter quelque
chose.
La signification réunit à son intérieur un plan d’expression (E) et un plan de contenu (C).185 Le
point de vue du texte suit le chemin [E → C] pour réaliser la signification alors que celui du discours
suit le chemin [C → E] :
1. le chemin [E → C] est descendant (des organisations concrètes jusqu’aux structures abstraites);
2. le chemin [C → E] est ascendant (des structures abstraites jusqu’aux organisations concrètes).
Cette perspective a permis à Jacques Fontanille186 de qualifier le point de vue du discours comme
génératif (il part des structures du contenu les plus générales pour retrouver graduellement la
diversité et les particularités de l’expression) et le point de vue du texte comme herméneutique (il

176
Jean-Paul Bronckart, « L’acquisition des discours », in « Le discours: enjeux et perspective », Français dans le monde
– Recherche et applications, Hachette EDICEF, Paris, 1996, p. 56
177
Jean-Paul Bronckart, « Les genres de textes et leur contribution au développement psychologique », in Langages no
153, Larousse, Paris, 2004, p. 138
178
Dominique Maingueneau, 2002, p. 51
179
Idem
180
Ibidem, p. 52
181
Idem
182
Ibidem, p. 54
183
Idem
184
Nina Ivanciu, Epistemă şi receptare (Epistème et réception), Editura Univers, Bucureşti, 1988, p. 16
185
Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, PULIM, Limoges, 1998, pp. 84-85
186
Ibidem, p. 86
40
cherche une explication et une intentionnalité qui seraient sous-jacentes aux faits textuels
proprement-dits).
Jusqu’à ce moment, nous avons l’impression que ces deux points de vue sont constitués d’une
manière symétrique. Pourtant, il y a aussi des aspects qui en font la différence. Le point de vue du
discours impose toujours le problème des actes qui, sous le contrôle de l’énonciation, guident,
sélectionnent et convoquent les structures pour les inscrire dans une expression. Du point de vue du
texte, ces actes sont plutôt marginaux ou considérés comme des obstacles qu’il faut effacer au fur et
à mesure, pour retrouver les structures les plus générales et sous-jacentes.
Une autre différence est mise en évidence par le contexte. Jean-Michel Adam propose une
analyse en prenant comme point de départ le schéma187 :

Discours = Texte + Contexte


Texte = Discours – Contexte

Cependant, Jacques Fontanille n’adopte pas cette hypothèse parce que l’usage a prouvé que,
dans une perspective herméneutique, le point de vue du texte demande la présence des éléments
contextuels, qui ont le rôle de compléter l’interprétation et de satisfaire la compréhension. En
opposition, le discours n’a pas besoin de contexte parce que cette notion « n’est pas pertinente de ce
point de vue »188. Le discours neutralise la différence entre texte et contexte, « adopter le point de
vue du discours, c’est admettre d’emblée que tous les éléments qui concourrent au procès de
signification appartiennent de droit à l’"ensemble signifiant", c’est-à-dire au discours, et quels
qu’ils soient. Bref, c’est le point de vue du texte seul qui "invente" la notion de contexte »189.
Dans le cas du discours, on a affaire à une mémoire de manière constitutive sur deux plans
complémentaires : celui de la textualité et celui de l’histoire.
Le contexte est conçu en général comme « un phénomène éminemment mémoriel », en illustrant
une réalité cognitive (contexte linguistique, situation extralinguistique, connaissances générales) qui
a le statut de représentation interne même si ses éléments ont des origines ou des niveaux de
représentations (mémoire courte / longue…) différentes.
Un discours qui se manifeste comme espace textuel se construit progressivement une mémoire
intratextuelle, à savoir à chaque moment il peut renvoyer à un énoncé antérieur (on a vu que, la
section précédente).
Dominique Maingueneau constate que la formation discursive est prise dans une double
mémoire, c’est-à-dire une mémoire externe qui vise les formations discursives antérieures et une
mémoire interne créée avec les énoncés produits antérieurement à l’intérieur de la même formation
discursive. Pourtant, on n’y parle pas de la mémoire psychologique190.
Tout genre de discours entretient une relation avec la mémoire ; ainsi, certains énoncés sont
conservés, d’autres non. Le discours peut être considéré comme un ensemble d’événements
discursifs qui entre en relation et qui donne aux gens la possibilité de communiquer.

187
Jean-Michel Adam, 2005, op. cit., p. 39
188
Jacques Fontanille, op. cit., p. 87
189
Idem
190
Dominique Maingueneau, Nouvelles tendances en analyse du discours, Hachette, Paris, 1990, p. 84
41
VI. La polyphonie du discours, la pluralité des voix

VI.1. La polyphonie

L’objectif de la polyphonie est de mettre en cause « l’unicité du sujet parlant »191, concept
élaboré par Mikhaïl Bakhtine. Le texte signale dans son énonciation une superposition de plusieurs
voix. Cette notion de la pluralité (poly) des voix (phonie) constitue un principe organisateur et
intégrateur pour l’examen de différentes questions qui se posent à l’analyse du discours.
La polyphonie est présente dans un énoncé de voix différentes, distinctes de celle de l’auteur de
l’énoncé ; le fait que tout énoncé consiste en une mise en scène d’instances énonciatives distinctes,
auxquelles le locuteur peut se présenter comme associé ou non : « ce qui compte objectivement, pour
l’analyse du contenu, c’est la nécessité de reconnaître l’existence, dans certains cas, de plusieurs
plans isotopes dans un même discours »192.
Selon Christian Plantin, « le discours doit s’entendre comme un déploiement d’énoncés,
effectuant divers actes de langage attribués à des "énonciateurs" ».193 L’auteur réel d’un texte,
lorsqu’il construit un monde, avec des événements et des personnages, ne peut dire absolument tout
de ce monde-là. C’est pourquoi il revient au lecteur le rôle de découvrir ce qui est implicite dans le
texte, donc de collaborer avec l’auteur pour compléter les espaces vides.
Dominique Maingueneau considère qu’on aborde le texte pour mieux le comprendre : « tout
texte est négociation subtile entre la nécessité d’être compris et celle d’être incompris, d’être
coopératif et de déstabiliser d’une manière ou d’une autre les automatismes de lecture »194.
Déchiffrer un texte signifie « mobiliser un ensemble diversifié de compétences pour parcourir de
manière cohérente une surface discursive orientée temporellement »195. L’interprétation du texte
suppose plusieurs lectures et une interaction entre le texte et le lecteur.
Umberto Eco apprécie que le texte laisse au lecteur l’initiative de l’interprétation : « un texte,
d’une façon plus manifeste que tout autre message, requiert des mouvements coopératifs actifs et
conscients de la part du locuteur »196. Le texte postule la coopération du lecteur comme une
condition propre d’actualisation, c’est-à-dire chaque texte est ouvert à l’interprétation. L’ensemble
du texte fonctionne comme un vaste acte de langage indirect qui exige au destinataire de découvrir
son sens caché.
Dominique Maingueneau, toujours, estime que la personne qui parle joue dans l’énonciation
trois rôles : producteur physique de l’énoncé, sujet de l’énonciation et personne responsable de
l’énoncé197. Selon lui, souvent celui qui parle, ou exprime un énoncé assume, simultanément, trois
statuts ; « celui de producteur physique de l’énoncé (l’individu qui parle ou écrit) ; celui de "je",
c’est-à-dire celui qui en se posant comme énonciateur se place à l’origine de la référence des
embrayeurs ; celui de responsable des " actes illocutoires" »198.
Si l’émetteur dit, par exemple, à un ami: « Je vais à Paris», il est à la fois le producteur de
l’énonciation, la personne qui coïncide avec le sujet de l’énonciation et le responsable de son
assertion. Toute énonciation accomplit, en effet, un acte qui change les relations entre les
interlocuteurs (assertion, requête, question, promesse, ordre, etc.); faire une assertion, c’est
considérer son énoncé comme vrai et devenir garant de cette vérité.
Oswald Ducrot sépare le locuteur comme individu avec une certaine identité, responsable de
l’acte d’énonciation, du locuteur comme être humain199. Il distingue, dans le cadre du même

191
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Les Editions du Minuit, Paris, 1984, p. 171
192
Algirdas-Julien Greimas, Sémantique structurale. Recherche de méthode, Librairie Larousse, Paris, 1966, p. 97
193
Christian Plantin, Essais sur l’argumentation, Editions Kimé, Paris, 1990, pp. 41-42
194
Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Nathan, Paris, 1990, p. 36
195
Idem
196
Umberto Eco, Lector in fabula, Editions Grasset, Paris, 1985, p. 62
197
Dominique Maingueneau, Eléments de linguistique pour le texte littéraire, Dunod, Paris, 1993, p. 75
198
Ibidem, p. 75
199
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Les Editions du Minuit, Paris, 1984, p. 172
42
discours, entre énonciateurs et locuteurs200. Ducrot fait une distinction entre le sujet parlant (être
empirique), le locuteur (être de discours, responsable des actes illocutoires) et l’énonciateur. Le sujet
parlant est celui qui produit l’énoncé. Le locuteur est l’instance qui assume la responsabilité de
l’acte de langage : « j’entends par locuteur un être qui, dans le sens même de l’énoncé, est présenté
comme son responsable »201. L’énonciateur est l’auteur d’un point de vue, qui ne s’exprime pas
nécessairement par des mots. Cette dissociation entre le sujet parlant et le locuteur est clairement
illustrée par les phénomènes de reprise, si fréquents dans le dialogue.
Pour clarifier ces distinctions, l’analyste français recourt à la polyphonie. Ce concept est
repris à Mikhaïl Bakhtine, pour lequel, dans tout texte, on peut reconnaître plusieurs voix (auteur,
héros) qui parlent simultanément, sans que l’une d’entre elles soit prépondérante et juge les autres.
La théorie de la polyphonie constitue le fondement, à côté de la théorie des actes de langage, du sens
de l’altérité, elle permet aussi de contester l’unicité du sujet d’énonciation. Elle ajoute à une altérité
soi-disant « externe », une altérité « interne », établissant que le sens d’un énoncé décrit
l’énonciation comme une sorte de dialogue cristallisé, dans lequel plusieurs voix se confondent.202
Oswald Ducrot constate que « l’introduction systématique de la notion de polyphonie permet
donc de séparer nettement ce qui tient à une nécessité linguistique (la dualité des destinataires) et ce
qui est déterminé par la situation »203.
Henning Nlke considère qu’il y a deux types de polyphonie : « la polyphonie linguistique se
situe au niveau de la langue, restant une notion purement abstraite ; la polyphonie de l’analyse de
discours est un phénomène de parole et en ce sens concret »204.
Ducrot a développé la notion de la polyphonie linguistique, tandis que pour Bakhtine, la
polyphonie littéraire « concerne les rapports multiples qu’entretiennent auteur, personnages, voix
anonymes (le "on dit"), différents niveaux stylistiques, etc. : on parlera de "polyphonie" s’il s’établit
dans le texte un jeu entre plusieurs voix »205.
Catherine Kerbrat-Orecchioni, dans l’article « Hétérogénéité énonciative et conversation », montre
que « dans la dynamique de l’échange verbal, on assiste à un double processus de différenciation
accrue" et d’"homogénéisation relative" »206. Au niveau dialogal, on distingue « des voix des co-
locuteurs » et au niveau dialogique « il semble que ce soit, tout à fait symétriquement, le processus
inverse que l’on observe »207.
Le locuteur est la personne responsable de sa propre énonciation, ainsi, nous y avons affaire à
une intervention discursive qui ne coïncide pas, nécessairement, avec le producteur physique de
l’énonciation. Par exemple, si je signe un formulaire (rédigé par une institution) tel : « Je, soussigné,
déclare que … », je du locuteur de ce texte n’est que je, qui ne suis pas l’auteur effectif du texte.
Pour Gérard Genette, « la voix désignera un rapport avec le sujet (et plus généralement
l’instance) de l’énonciation »208. Il fait la différence entre la « personne » (« le narrateur absent de
l’histoire qu’il raconte » et « le narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il
raconte »209), le « héros/narrateur » et le « narrataire » (« ne se confond pas plus à priori avec le
lecteur (même virtuel) que le narrateur ne se confond nécessairement avec l’auteur »210).

Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de Manon put la soutenir, c’est-à-dire environ deux
lieues, car cette amante incomparable refusa constamment de s’arrêter plus tôt. Accablée enfin de
200
Ibidem, p. 193
201
Idem
202
Adriana-Gertruda Romedea, Actele de discours : o perspectivă semiotică, Editura Ştefan Lupaşcu, Iaşi, 1999, p. 44
203
Oswald Ducrot, Les mots du discours, Minuit, Paris, 1980, p. 236
204
Henning Nlke, in Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Editions du
Seuil, Paris, 2002, p. 448
205
Idem
206
Catherine Kerbrat-Orecchioni, « Hétérogénéité énonciative et conversation », in Herman Parret (sous la direction de)
Le sens et ses hétérogénéités, Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1991, p. 123
207
Ibidem, p. 124
208
Gérard Genette, Figures III, Seuil, Paris, 1972, p. 76
209
Ibidem, p. 252
210
Ibidem, p. 265
43
lassitude, elle me confessa qu’il lui était impossible d’avancer davantage.211

Ce n’est pas l’abbé Prévost qui raconte les amours de Manon et des Grieux ; c’est des Grieux
lui-même, « où " je "ne peut désigner que lui, et où " ici" et "maintenant" renvoient aux
circonstances spatio-temporelles de cette narration, et nullement à celles de la rédaction de Manon
Lescaut »212.
Oswald Ducrot sépare le « locuteur en tant que tel » (noté L) et « le locuteur en tant qu’être du
monde » (noté λ)213. L est défini comme responsable de l’énonciation et il est considéré seulement le
possesseur de cette propriété ; λ est plus complexe, il a aussi d’autres qualités. Si le locuteur parle de
lui-même, comme être du monde, alors λ sera impliqué. Pour Ducrot « tout énoncé est polyphonique,
c’est-à-dire qu’il donne la parole simultanément à différents énonciateurs disant des choses
différentes, même si le locuteur ne s’identifie et si l’allocutaire ne s’intéresse qu’à certains ou même
un seul d’entre eux... »214.
On retrouve la même idée de la pluralité des voix chez Jacques Fontanille. Il affirme:
« l’unicité du sujet d’énonciation n’étant qu’un effet de l’embrayage le plus poussé, la situation
ordinaire de l’instance de discours est la pluralité: pluralité des rôles, pluralité des positions,
pluralité des voix »215. Puisque ce mouvement inverse n’est pas toujours parfait, il est subordonné à
des degrés : « si l’embrayage s’interrompt à mi-chemin, la personne restera dissociée, plurielle ou
duelle ; dans ce dernier cas, le "Tu" pourra par exemple être une des figures du sujet de
l’énonciation, tout autant que le "Je" »216.
Julia Kristeva a repris à Bakhtine le terme d’« intertextualité »: le texte « est une permutation
de textes, une intertextualité : dans l’espace d’un texte plusieurs énoncés, pris à d’autres textes, se
croisent et se neutralisent »217. Cette relation permet de surprendre de nouveaux chemins de
compréhension du discours littéraire. Julia Kristeva emprunte de Bakhtine l’idée que dans tout texte
le mot introduit un dialogue avec d’autres textes.
Selon Genette, l’hypertextualité offre la possibilité de parcourir l’histoire de la littérature en
comprenant l’un de ses traits majeurs : elle se fait par imitation et transformation : « J’appelle donc
hypertexte tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation simple (nous dirons désormais
"transformation" tout court) ou par transformation indirecte : nous dirons "imitation" »218.
L’intertexte est la manière de reprendre, de rappeler et de réécrire les textes : cette opération
renferme une transformation (parodie) ou une imitation (pastiche) du texte antérieur219.
L’intertextualité désigne la coprésence de deux textes, elle est alors : « sous sa forme la plus
explicite et la plus littérale, […] la pratique traditionnelle de la citation (avec guillemets, avec sans
référence précise), sous sa forme moins explicite et moins canonique, celle du plagiat […] ; sous sa
forme encore moins explicite et moins littérale, celle de l’allusion »220.
L’interdiscours est une mise en relation réciproque et une ouverture permanente du discours
sur d’autres discours : « Le "domaine de mémoire" représente l’interdiscours comme instance de
construction d’un discours transverse qui règle pour un sujet énonciateur […] le mode de donation
des objets dont parle le discours, ainsi que le mode d’articulation de ces objets »221.
Dominique Maingueneau affirme que : « le pastiche se distingue en principe de la parodie en
ce que le pastiche idéal est le faux, qui devrait pouvoir figurer parmi les œuvres du corpus qu’il

211
L’Abbé Prévost, « Manon Lescaut », dans Textes d’étude, XIe–XVIIIe siècles, Cours de Civilisation Française de la
Sorbonne, Paris, 1991, p. 121
212
Gérard Genette, op. cit., p. 226
213
Oswald Ducrot, 1984, op. cit., pp. 199-200
214
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Hermann, Paris, 1972, p. 317
215
Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, Presses Universitaires de Limoges, 1998, p. 95
216
Jacques Fontanille, op. cit., p. 95
217
Julia Kristeva, Séméiotiké. Recherches pour une sémanalyse, Editions du Seuil, Paris, 1969, p. 52
218
Gérard Genette, Palimpsestes, Seuil, Paris, 1982, p. 14
219
Ibidem, p. 11
220
Ibidem, p. 8
221
Dominique Maingueneau, Nouvelles tendances en analyse du discours, Hachette, Paris, 1987, p. 84
44
imite »222. Dans le cas du pastiche, l’auteur doit introduire dans son texte des indices de
distanciation : Pastiches et mélanges (M. Proust), Pastiches et postiches (U. Eco).
Le linguiste François Rastier va plus loin et inclut les divers processus d’interaction, implicite ou
explicite, entre les textes (citations, renvois…). La lecture l’incite à écrire, à continuer l’histoire et à
l’interpréter à sa propre manière223.

VI.2.La pluralité des voix


VI.2.1. Ironie et polyphonie

Dans le Dictionnaire de rhétorique, l’ironie est définie de la manière suivante : « l’ironie est
une figure de type macrostructural, qui joue sur la caractérisation intensive de l’énoncé »224. Une
autre définition est donnée par Pierre Fontanier : « l’ironie consiste à dire, par raillerie, ou
plaisante, ou sérieuse, le contraire de ce qu’on pense, ou de ce qu’on veut faire penser »225. Du
Marsais définie l’ironie comme « une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce
qu’on dit : ainsi les mots dont on se sert dans l’ironie, ne sont pas pris dans le sens propre et
littéral »226.
Oswald Ducrot assimile l’ironie à la théorie de la polyphonie : « parler de façon ironique,
cela revient pour un locuteur L à présenter l’énonciation comme exprimant la position d’un
énonciateur E, position dont on sait par ailleurs que le locuteur L n’en prend pas la responsabilité
et, bien plus, qu’il la tient pour absurde. Tout en étant donné comme le responsable de
l’énonciation, L n’est pas assimilé à E, origine du point de vue exprimé dans l’énonciation»227.
Selon lui, l’énonciateur est le personnage ridicule dont le point de vue est mis en lumière par
l’énonciation ironique et il oppose l’énonciateur au sujet parlant et au locuteur. L’énoncé ironique
est directement exprimé, sans être pris en charge par le sujet parlant. C’est le cas d’une « énonciation
paradoxale, autodestructrice dans laquelle le sujet invalide sa propre énonciation »228. Dans une
argumentation, l’ironie est parfois utilisée comme procédé rhétorique pour entraîner la complicité du
lecteur.
L’énoncé ironique fait entendre une autre voix que celle du locuteur, une voix qui exprime un
point de vue non soutenu, imposant une distance entre les paroles et le locuteur. Le locuteur assume
ses mots, mais non pas le point de vue que ceux-ci présupposent. Dans Linguistique pour le texte
littéraire, Maingueneau considère que « dans l’ironie on fait entendre un point de vue distinct de
celui du locuteur »229. Il existe plusieurs théories de l’ironie et nous allons essayer d’en présenter
quelques-unes.
Dan Sperber et Deirdre Wilson traitent les ironies comme « mentions » : « on aurait tort de
prendre d’emblée "l’ironie" comme objet d’étude et de se fonder sur ses illustrations typiques. Il y
a, si l’on veut, "des ironies", c’est-à-dire des effets particuliers produits par des énoncés particuliers
et des parentés perçues entre ces effets »230. Le terme « mention » ou emploi autonyme est: « l’écho
plus ou moins lointain, de pensées ou de propos, réels ou imaginaires, attribués ou non à des
individus définis »231. Une énonciation ironique met, ainsi, en scène un personnage qui énonce
quelque chose de déplacé et dont le locuteur se distancie par son ton et sa mimique. Le locuteur
devient, en effet, une sorte d’imitateur de ce personnage, qui s’exprime de manière incongrue.
Le relation entre mention et ironie n’est pas symétrique : « toute mention n’est pas ironique,

222
Ibidem, p. 76
223
François Rastier, Marc Cavazza, Anne Abeillé, Sémantique pour l’analyse. De la linguistique à l’informatique,
Editions Masson, Paris, 1994, p. 192
224
Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Librairie Générale Française, Paris, 1992, p. 180
225
Pierre Fontanier, Les figures du discours, Flammarion, Paris, 1977, p. 145
226
César Chesneau Du Marsais, Des tropes, Flammarion, Paris, 1988, p. 156
227
Oswald Ducrot, 1984, op. cit., p. 211
228
Dominique Maingueneau, 1993, op.cit., p. 85
229
Dominique Maingueneau, Linguistique pour le texte littéraire, Nathan, Paris, 2003, 4e édition, p. 98
230
Dan Sperber et Deirdre Wilson, « Les ironies comme mentions », dans Poétique, no 36, 1978, p. 400
231
Ibidem, p. 408
45
mais toute ironie peut se décrire comme mention, à partir du moment où les indices textuels
signalent une suspension de prise en charge de l’énoncé ».232

Il n’y a rien de si extravagant que de faire périr un nombre innombrable d’hommes, pour tirer du fond
de la terre l’or et l’argent ; ces métaux d’eux-mêmes absolument inutiles, et qui ne sont des richesses,
que parce qu’on les a choisis pour en être les signes.233

L’ironie de Montesquieu dans la Lettre CXVIII se décrit en termes de « mention ». Les


esclaves nègres travaillent dans les mines pour extraire des métaux précieux « absolument inutiles ».
Alain Berrendonner soutient que: « faire de l’ironie, ce n’est pas inscrire en faux de manière
mimétique contre l’acte de parole antérieur ou virtuel, en tout cas extérieur, d’un autre. C’est
s’inscrire en faux contre sa propre énonciation, tout en l’accomplissant »234. L’ironie implique un
énonciateur qui, dans sa propre voix, fait entendre, avec un ton caractéristique, la voix d’un autre qui
est posé comme responsable de l’énoncé.
Pour Jean Milly « la communication ironique est à la fois une communication et une action.
Elle repose sur un message à double signifié, l’un littéral, bien apparent et conforme au code de la
langue et à des codes socio-culturels admis, l’autre dissimulé et déviant par rapport au
précédent »235.
La conception polyphonique de l’ironie continue et précise la théorie des ironies comme
mentions. Le terme « mention » pourrait faire croire que l’ironie est un discours rapporté : « il n’y a
rien d’ironique à rapporter que quelqu’un a tenu un discours absurde. Pour que naisse l’ironie, […]
il faut "faire comme si" ce discours était réellement tenu, et tenu dans l’énonciation même ».236
Voilà un fragment de la Lettre XXI de La Bruyère à Santeul, le premier (La Bruyère) offrant
l’image d’un locuteur modeste, autocritique ; il dévalorise l’autre, sur un ton ironique :

Voulez-vous que je vous dise la vérité, cher Monsieur ? Je vous ai fort bien défini la première fois :
vous avez le plus beau génie du monde et la plus fertile imagination qu’il soit possible de concevoir ;
mais pour les mœurs et les manières, vous êtes un enfant de douze ans et demi. […] La circonstance du
passé est faible contre les assurances que vous donne avec plaisir et avec estime infinie, Monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur, De La Bruyère.237

Ironiser, selon Orecchioni, signifie dire « le contraire de ce qu’on veut faire entendre, et non
dire le contraire de ce qu’on pense »238. C’est une figure qui a aussi deux sens, un sens littéral - le
contenu dénoté - et un sens intentionnel - le contenu dénoté. C’est souvent le contexte qui permet le
décodage de l’énoncé : « C’est un auteur très estimé » (c’est-à-dire médiocre). Il y a des indices
dans le discours de l’ironie : le ton de la voix, l’intonation, la ponctuation (les guillemets, les points
de suspension, d’exclamation), le rapport entre le message et le contexte où il est transmis. Voltaire
se montre ironique et sceptique sur les prétendus droits de la guerre et le terme de « boucherie
héroïque » ne fait que souligner ironiquement l’idée de stupidité de la guerre et de la vanité de
l’héroïsme guerrier :

Candide, qui tremblait comme un philosophe se cacha du mieux qu’il pu pendant cette boucherie
héroïque. Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son champ, il prit
le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas des morts et de
mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les

232
Anne Herschberg Pierrot, Stylistique de la prose, Belin, Paris, 2003, p. 156
233
Montesquieu, Lettres persanes, Gallimard, Paris, 1973, p. 268
234
Alain Berrendonner, Eléments de pragmatique linguistique, Minuit, Paris, 1981, p. 216
235
Jean Milly, Poétique des textes, Nathan, Paris, 2001, p. 207
236
Oswald Ducrot, 1984, op. cit., p. 210
237
La Bruyère, « Lettre XXI, La Bruyère à Santeul », in M. Ad. Regnier, Les Grands Ecrivains de la France, Hachette,
Paris, 1923, pp. 514-517
238
Catherine Kerbrat-Orecchioni, op, cit., p. 134.
46
Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public.239

Le fragment suivant de Voltaire surprend la distinction entre le sujet parlant (l’auteur) et le locuteur
(le narrateur):

Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était l’oracle de la maison,
et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge. Pangloss enseignait la
métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu‘il n’y a point d’effet sans
cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus
beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.240

Si l’énoncé est considéré comme sincère, alors on entend la voix du locuteur qui raconte, sans
l’intention d’attirer l’attention sur quelque chose de spécifique. Mais, s’il est ironique, on surprend la
voix d’un émetteur qui proteste contre le courant de l’optimisme, qui ridiculise la personne de son
adversaire.
Selon Ducrot, l’ironie est « une forme d’antiphrase : on dit A pour laisser entendre non A, le
responsable de A et celui de non A étant censés identiques. Il s’agit donc d’une figure, modifiant un
sens littéral primitif pour obtenir un sens dérivé (comme la litote transforme "un peu" littéral en un
sens "beaucoup" dérivé) la seule différence étant que la transformation ironique est une inversion
totale »241.
« Si le sens est trop clair, l’ironie tourne au sarcasme, à l’injure, à la menace, etc. »242.

VI.2.2. Le comique

Le comique a une fonction presque semblable. Il essaie de faire les gens éclater de rire et de
montrer du doigt le ridicule de la société. Molière sait très bien comment signaler ce ridicule.

Maître le philosophe: Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose ou les vers.
Monsieur Jourdain : Et comme l’on parle, qu’est-ce que c’est donc cela ?
Maître le philosophe: De la prose.
Monsieur Jourdain : Quoi ? Quand je dis : "Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon
bonnet de nuit", c’est de la prose ?
Maître le philosophe: Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain : Par ma foi ! Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse
rien.243

Nous pouvons distinguer le comique de situation provoqué par un « élève » ignorant qui a un
immense appétit d’apprendre, mais qui est limité, faute de connaissances.

VI.2.3. L’énonciation proverbiale

Les proverbes sont « des manières commodes d’exprimer soit des valeurs, soit des vérités
éternelles »244. Dans l’énonciation proverbiale il y a une distinction entre énonciateur et asserteur.
Dominique Maingueneau montre que « lorsque quelqu’un dit un proverbe, par exemple Tel père, tel
fils, il accomplit un acte de discours singulier : il pose une assertion qu’il donne pour validée par
une entité aux contours indéfinis, la "sagesse des nations", il présente son dire comme l’écho d’un
nombre illimité d’énonciations antérieures »245 :
239
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, Bordas, Paris, 1976, p. 37
240
Ibidem, p. 3
241
Oswald Ducrot, 1984, op. cit., p. 210
242
Bernard Dupriez, Les procédés littéraires (Dictionnaire), Union générale d’Editions, Paris, 1984, p. 264
243
Molière, Le bourgeois gentilhomme, Librairie Larousse, Paris, pp. 36-37
244
Jean-Jacques Robrieux, Rhétorique et argumentation, Nathan, Paris, 2000, p. 200
245
Dominique Maingueneau, 1999, op. cit., p. 146
47
Qui vole un œuf, vole un bœuf.
Pierre qui roule n’amasse pas mousse.
Qui fait le malin tombe dans le ravin.
Une hirondelle ne fait pas le printemps.

« Les proverbes sont devenus tels à force de servir comme citation »246.

VI.2.4. La parodie

La parodie est « l’imitation consciente et volontaire, soit du fond, soit de la forme, dans une
intention moqueuse ou simplement comique »247. Dans la réalisation de la parodie « le locuteur y fait
entendre à travers son dire une autre source énonciative qu’il pose comme ridicule, montrant par là
même sa supériorité »248.
Dans Linguistique pour le texte littéraire, Maingueneau affirme que « la parodie fait
intervenir deux instances énonciatives : le locuteur y fait entendre à travers son dire une autre
source énonciative qu’il pose comme ridicule, montrant par là même sa supériorité »249. Le locuteur
prend distance de son énonciation, ce qui permet à l’allocutaire de saisir une dissonance.
Dans Candide, Voltaire parodie la philosophie dominante au siècle des lumières à cause de
l’influence de Leibnitz, pour mettre en évidence l’abîme existant entre la vision idéale de la vie et la
réalité, et pour exprimer un état de révolte face à l’absurdité du monde. Le précepteur Pangloss est
le porte-parole de cette philosophie idéale :

Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout était fait pour une fin, tout
est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des
lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et
nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux,
aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ;
et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année: par conséquent, ceux
qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux250.

Nous pouvons percevoir l’ironie du narrateur, et derrière le narrateur, celle de l’auteur. Si le


narrateur est celui qui assume son assertion, « il se dissocie en tant qu’énonciateur du point de vue
optimiste mis en scène, attribuable à un autre énonciateur, qui est la cible de l’ironie »251.

VI.2.5. La négation

Certains traits remarquables du phénomène de la négation peuvent être envisagés dans le cadre de la
polyphonie. Ainsi, Oswald Ducrot, dans Le dire et le dit, distingue trois formes de négation :
1. La négation métalinguistique : « j’appelle "métalinguistique" une négation qui contredit les
termes mêmes d’une parole effective à laquelle elle s’oppose. Je dirai que l’énoncé négatif s’en
prend alors à un "locuteur" qui a énoncé son correspondant positif »252 :

Pierre est intelligent (énoncé prononcé).


Pierre n’est pas intelligent, il est génial (effet majorant)253.

246
Bernard Dupriez, Les procédés littéraires (Dictionnaire), Union générale d’Editions, Paris, 1984, p. 367
247
Ibidem, p. 331
248
Dominique Maingueneau, 1993, op. cit., p. 88
249
Dominique Maingueneau, 2003, op. cit., p. 109
250
Voltaire, op.cit., p. 4
251
Anne Herschberg Pierrot, Stylistique de la prose, Belin, Paris, 2003, p. 162
252
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Minuit, Paris, 1984, p. 217
253
Idem
48
2. La négation polémique : « ici, le locuteur de "Pierre est intelligent", en s’assimilant à
l’énonciateur E2 du refus, s’oppose non pas à un "locuteur", mais à un "énonciateur" E1 qu’il met en
scène dans son discours même et qui peut n’être assimilé à l’auteur d’aucun discours effectif »254 :
Pierre n’est pas intelligent (il est idiot).

3. La négation descriptive : « je la tiens pour un dérivé délocutif de la négation polémique »255 :


Pierre n’est pas intelligent.

VI.3. Dire et présupposer

Dans la conception d’Oswald Ducrot, une information est transmise par un code et elle est
destinée à celui qui est capable de déchiffrer le code. « Or on a bien fréquemment besoin, à la fois de
dire certaines choses, et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de
façon telle qu’on puisse refuser la responsabilité de leur énonciation »256.
Le linguiste français recourt au schéma suivant pour relever l’implicite de l’énonciation : X, donc Y,
alors: Z. Par exemple : X (Jean est allé à la banque pour demander un crédit) ; donc, Y (Jean a
besoin d’argent) ; alors, Z (Jean n’a pas d’argent et ne peut pas faire appel aux personnes privées).
Tout acte de langage est caractérisé par deux dimensions, absolument inséparables l’une de
l’autre – l’explicite et l’implicite. L’implicite est ce qu’un énoncé suggère en plus de ce qu’il dit
d’une manière explicite. Soit la proposition : Prends ton parapluie. Nous pouvons trouver le sens de
cette énonciation, en excluant le contexte, dans la mesure où nous la reconnaissons comme différente
des propositions du type : Ne prends pas ton parapluie ; Prends ton manteau ; Je te demande de
prendre le parapluie, etc. Toutes ces alternatives (paraphrases) à la première proposition relèvent des
opérations de commutation et de combinaison entre les signes.
Patrick Charaudeau, dans Langage et discours, soutient que « la production de ces
paraphrases permet que se mette en place, dans le langage, un jeu de renvois constants à quelque
chose d’autre que l’énoncé explicite, qui se trouve avant ou après l’acte de profération de la
parole »257.
Nous allons reprendre l’exemple : Prends ton parapluie, tenant compte, cette fois-ci, des intentions
du locuteur et des circonstances de la production de l’énoncé. Dans ces conditions, nous pouvons
imaginer que l’énonciateur communique, en fait, au moment même de la prononciation : qu’il pleut,
qu’il y a des nuages, que dans un voyage il faut toujours prendre un parapluie, etc. Ces phrases
mettent en évidence le sens implicite du langage, un sens dépendant des circonstances discursives.
Par l’implicite, nous entrons dans « un jeu constructeur de la signification d’une totalité discursive
qui renvoie le langage à lui-même comme condition de réalisation des signes »258. Ainsi, le sens
implicite fixe le sens explicite, pour constituer la signification d’une totalité discursive.
Charles J. Fillemore affirme, dans « Essai de description sémantique », que dans la
conversation quotidienne « nous utilisons constamment deux niveaux de communication : l’implicite
ou le présuppositionnel et l’explicite ou l’illocutoire »259.
Supposons qu’un commentateur sportif, présentant les incidents passés à un match de rugby, ait fait
la remarque suivante : « Mais n’oublions pas qu’une confrontation sportive de ce genre n’est pas
une confrontation entre intellectuels ». Le commentateur sportif oppose ainsi le terme « sportif » au
terme « intellectuel », se rapportant à quelques « représentations collectives » que la société, à
laquelle il appartient, a de ces termes :
a. les intellectuels s’engagent dans des disputes par leur esprit, alors que les sportifs entrent dans des
confrontations physiques ;

254
Idem
255
Ibidem, p. 218
256
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Hermann, Paris, 1972, p. 5
257
Patrick Charaudeau, Langage et discours, Hachette, Paris, 1983, p. 17
258
Ibidem, pp. 17-18
259
Charles J. Fillemore, « Essai de description sémantique », in Langages, no 17, Didier-Larousse, Paris, 1970, p. 60
49
b. dans le cadre des débats, les corps des intellectuels sont toujours à distance les uns des autres,
tandis que les sportifs se rencontrent dans un même espace, provoquant les uns aux autres des chocs
physiques. Ces interprétations possibles sont suggérées par le contexte de l’énonciation et non pas
prises du dictionnaire.
Si nous acceptons le fait que le public, auquel s’adresse le commentateur, aime le sport, ou
même pratique un sport quelconque, alors le terme « intellectuel » peut être valorisé négativement :
la froideur, le détachement et la réserve de l’intellectuel sont opposés à la chaleur, à l’enthousiasme,
à la générosité qui caractérise, implicitement, les sportifs. Il y a pourtant une autre représentation
collective qui valorise négativement le sens du terme « sportif » : la spontanéité naïve et agressive, la
nervosité du sportif s’opposent au sang froid et au calme qui caractérisent l’intellectuel. Par
conséquent, nous pouvons conclure que la production et l’interprétation des actes de discours sont
déterminées par : le rapport qui s’établit entre le locuteur et le sujet interprétant quant au sens de
l’énoncé ; le rapport qui existe entre l’énonciateur et le récepteur, etc.
L’acte de langage, comme production de signes et d’articulation dans le code, dépend des
connaissances communes qu’on présuppose avoir les protagonistes des situations de communication.
Les locuteurs partent de l’hypothèse que certaines informations sont déjà connues par les auditeurs.
Etant déjà connues, ces informations ne seront pas exprimées explicitement, mais elles feront partie
de ce qui est communiqué et non pas dit, cela se retrouve dans la notion de présupposition.

VI.4. La présupposition et le sous-entendu

La présupposition est issue de l’énoncé, tandis que le sous-entendu, de la situation


d’énonciation (c’est-à-dire du contexte). On parle de présupposition quand le contenu du propos que
l’on soustrait à la discussion est présenté comme allant de soi.
Umberto Eco soutient que la présupposition est « une catégorie ouverte, qui peut être expliquée
seulement dans le cadre de la théorie du discours »260. Selon le sémioticien italien, pour
individualiser le concept de présupposition, il faut partir d’une caractéristique générale du discours
« une organisation hiérarchique de l’information à l’intérieur de sa structure »261.
Dans un discours, les unités d’information sont organisées sur des plans différents et
distribuées selon des degrés différents de relevance. Certaines unités d’information sont plus
intensément focalisées que d’autres, qui paraissent être moins importantes. « L’existence du
présupposé est manifestement liée à des principes d’économie ; la communication serait impossible
si l’on ne présupposait pas acquis un certain nombre d’informations, à partir desquelles il est
impossible d’en introduire de nouvelles »262.
En d’autres termes, certaines informations sont mises à l’arrière-plan du discours, tandis que
d’autres sont mises en relief. « Les présuppositions font partie de l’information donnée par un texte ;
elles sont soumises à l’accord réciproque de la part du locuteur et de l’auditeur, et forment une
sorte de "cadre textuel" qui détermine le point de vue d’où part le discours. Ce cadre textuel
constitue "l’arrière-plan" du texte et il est différent des autres informations qui représente le
relief »263.
Dieter Wunderlich, dans Les présupposés en linguistiques, montre que « quand un locuteur
énonce une phrase s, les présupposés t de s sont ceux que pose le locuteur en énonçant s et que
l’allocuté doit pouvoir reconstruire à partir de la forme de l’énoncé, selon des règles
grammaticales ; le locuteur s’engage en énonçant s, à reconnaître comme valables les présupposés
de s et à les expliciter en cas de besoin ultérieurement dans des phrases affirmatives »264. Les
énoncés qui contiennent des présuppositions ont comme arrière-plan le signifié présupposé de

260
Umberto Eco, Limitele interpretării, Editura Pontica, Constanţa, 1996, p. 317
261
Ibidem, p. 318
262
Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Nathan, Paris, 1990, p. 81
263
Umberto Eco, op. cit., p. 319
264
Dieter Wunderlich, « Les présupposés en linguistiques », in Linguistique et sémiologie, no 5, Presses Universitaires de
Lyon, 1978, p. 43
50
l’énoncé, qui est accepté comme vrai tant par l’émetteur que par le récepteur ; le signifié affirmé
représente l’information en relief.
En énonçant : Le frère de Marie a acheté deux pavillons, le locuteur a fait les présuppositions
suivantes : il y a une personne qui s’appelle Marie ; elle a un frère (éventuellement un seul frère) ;
celui-ci a beaucoup d’argent, etc. Toutes ces présuppositions appartiennent au locuteur. Mais
l’énoncé peut être soumis aussi à un processus d’implicitation265 (en anglais ; « entailement », terme
employé inclusivement pour le conditionnement et même pour l’inférence) ; cela découle
logiquement de l’énoncé. Ainsi, l’ « implicitation » de la proposition : Le frère de Marie a acheté
deux pavillons est que : le frère de Marie a acheté quelque chose, qu’il a acheté deux pavillons et
d’autres conséquences de ce type.
Dans la littérature de spécialité, les phénomènes présuppositionnels ont été associés aux
nombreux syntagmes et structures syntaxiques. La réalisation d’une typologie des présuppositions
est une démarche complexe et difficile, car « certains cas sont exclus par quelques-uns des auteurs,
et d’autres sont ajoutés »266. Malgré ce fait, nous considérons qu’il faut présenter les types de
présuppositions que nous apprécions les plus représentatifs :

a. Les présuppositions existentielles sont liées aux noms et aux descriptions définis et sont exprimées
par des expressions référentielles (la phrase Marie admire la fleur rouge, présuppose : il y a une
fleur rouge et il y en a d’autres qui ne sont pas rouges) ;

b. Les présuppositions factives, réalisées lorsque, après des verbes comme : savoir, se rendre
compte, regretter, etc. et aussi après les syntagmes qui les incluent, suit une information qui porte
sur un fait (Nous regrettons lui avoir tout dit, présuppose : nous lui avons tout dit ; Je ne savais pas
que Pierre était à la maison, présuppose : Pierre était à la maison, ainsi de suite) ;

c. Les présuppositions lexicales, construites à l’aide des verbes tels : s’arrêter, cesser de,
commencer, etc. (ces verbes « véhiculent l’information comme partie du propre contenu,
indépendamment des contextes où ils apparaissent ; néanmoins, leur représentation sémantique
prévoit des contextes discursifs où quelque chose doit être donné comme sûr »267 ; c’est la raison
pour laquelle la proposition il a réussi/il a eu du succès est interprétée, d’une manière
conventionnelle, comme avoir du succès et présuppose essayer : l’action de réussir a lieu seulement
dans le contexte où quelque chose a été essayé ! );

d. Les présuppositions contrafactuelles relèvent le fait que ce que l’on présuppose est opposé à la
vérité, c’est-à-dire contre les faits ou contrairement à la réalité (l’énoncé si tu avais été un vrai ami,
tu m’aurais aidé, présuppose : tu n’es pas un vrai ami !) ;

e. Les présuppositions non-factives, possibles par l’utilisation des verbes tels : rêver, imaginer,
prétendre, etc. (la proposition il prétend être heureux, présuppose : il n’est pas heureux !).

Pour que l’utilisation des énoncés soit correcte, la présupposition doit être vraie ou pensée
comme vraie par le destinataire. La fausseté des présuppositions détermine « un vide » concernant la
valeur de vérité de la proposition. Par exemple : les enfants de Louise sont blonds présuppose :
Louise a des enfants, mais si Louise n’a pas d’enfants, ne signifie pas que nous avons le droit de
soutenir que les enfants respectifs de Louise ne sont pas blonds. En plus, les enfants de Louise sont
blonds et les enfants de Louise ne sont pas blonds présuppose, les deux : Louise a des enfants.
Selon Oswald Ducrot, « ce qui produit l’"évidence" du présupposé, ce n’est donc pas une
nécessité logique ou empirique, mais une nécessité interne au discours, une nécessité que le locuteur

265
Grâce à son caractère logique, l’« implicitation » ou « entailement » ne se discute pas assez dans la pragmatique
contemporaine comme la notion de présupposition.
266
Umberto Eco, op. cit., p. 319
267
Ibidem, p. 320
51
crée par sa parole même, en instaurant à partir d’elle un discours dont le présupposé constitue la
charte »268. Pour le linguiste français, la présupposition est un acte illocutoire, comme l’ordre ou la
promesse269.
La présupposition peut apparaître dans l’hypostase de tactique argumentative des
interlocuteurs ; elle est liée à leur façon de se provoquer, poursuivant le même but d’imposer l’un à
l’autre une certaine manière de continuer la discussion. Dans la communication, l’interrogation, non
seulement offre, mais impose le dialogue. « La différence essentielle, et qui rend particulièrement
paradoxal le rôle de l’interrogation dans les relations de discours, c’est - selon Ducrot - que la
question ne se contente pas d’offrir le dialogue, mais l’impose : pour la définir, […] il faut mettre en
évidence le fait qu’elle oblige l’auditeur à parler à son tour […] ; la phrase interrogative a cette
propriété remarquable d’obliger le destinataire à reprendre à son compte telle ou telle proposition
que l’on a présupposée dans la question »270.
Si la présupposition est une partie intégrante des sens des énoncés, le sous-entendu vise la
manière dont le sens doit être déchiffré par le destinataire. On parle de sous-entendu quand le
destinataire peut tirer une signification du contexte dans lequel l’énoncé est formulé. « Le sous-
entendu concerne la façon dont ce sens doit être déchiffré par le destinataire, c’est la façon dont
l’énonciateur présente son acte d’énonciation, l’image qu’il entend imposer au destinataire de sa
prise de parole »271.
François Récanati, dans l’article « Insinuation et sous-entendu », fait la distinction entre sous-
entendre, qu’il oppose à laisser entendre et donner à entendre : « un locuteur L sous-entend q si L
donne à entendre q et si L et A savent cette chose, je sais que l’autre sait et je sais que l’autre sait
que je sais ». Ainsi, nous ne pouvons pas sous-entendre quelque chose sans donner à entendre et
nous ne pouvons pas donner à entendre sans laisser entendre. « L’acte accompli par le sous-entendu
a donc toutes les caractéristiques de l’acte illocutionnaire, et sa particularité est que uptake (le
sens) n’est pas garanti du fait des indications incluses dans la phrase, puisque les indications
présentes dans la phrase concernent non pas l’acte sous-entendu, mais l’acte "littéral", à l’aide
duquel il est accompli »272. Ce qui distingue le sous-entendu de donner à entendre est le fait que le
sens (uptake) doit être garanti, pour que l’acte de langage s’accomplisse.
Pour Alain Berrendonner, « le sous-entendu consiste à passer d’une ø-fausseté flagrante à
une ON-vérité »273. Le sous-entendu n’est pas marqué dans la phrase ; il se manifeste suite à un
processus d’interprétation, étant toujours compris comme réponse à des questions du type : pourquoi
le locuteur a dit ce qu’il a dit ? Ce qui a fait possible son énoncé ?

Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur
une entrée ouverte à la lumière; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés,
de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la
tête; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les
prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil
aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font
voir leurs merveilles. […] Penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-
mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait
face? 274

Le fragment fait partie du dialogue platonicien La République. L’interprétation du texte nous


aide à découvrir son sous-entendu : La caverne est le monde matériel, concret, où nous vivons ; les

268
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Hermann, Paris, 1972, p. 94
269
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Les Editions de minuit, Paris, 1984, p. 42
270
Oswald Ducrot, 1972, op. cit., p. 92
271
Oswald Ducrot, 1984, op. cit., p. 44
272
François Récanati, « Insinuation et sous-entendu », in Communications, no 30, Seuil, Paris, 1980, p. 102
273
Alain Berrendonner, Eléments de pragmatique linguistique, Minuit, Paris, 1981, p. 123
274
Platon, La République, version électronique,
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/rep7.htm
52
hommes enchaînés sont les prisonniers de ce monde ; « les chaînes » sont nos sens, mais aussi nos
préjugés ; « les ombres projetées » sur les murs de la caverne correspondent aux choses sensibles
avec lesquelles nos sens nous ont habitués dans la vie quotidienne et dont nous croyons qu’elles sont
la réalité toute entière, la seule réalité puisque nous ne connaissons pas d’autre ; « le long de cette
route » vers la sortie de la caverne à la lumière ( le monde des concepts, mais aussi le monde réel),
c’est le long chemin initiatique vers le Monde des Idées où il y a la vrai connaissance et où nous
pouvons accéder seulement par la raison et par l’effort.
Ainsi, une condition nécessaire mais aussi, bien sûr, insuffisante, pour qu’un énoncé E sous-
entende X, est que X paraisse comme une explicitation de son énonciation.

VI.5. Les formes du discours rapporté

La problématique de la polyphonie nous permet aussi d’analyser d’autres phénomènes,


comme le discours rapporté. « En fonction de son positionnement esthétique, chaque écrivain est
amené à combiner de manière spécifique la voix du narrateur et celle de ses personnages »275.
Dans le volume Analyser les textes de communication, Dominique Maingueneau présente le
discours rapporté comme polyphonique : « quand on rapporte au discours direct les propos de
quelqu’un, on ne se pose pas comme le responsable de ces propos ni comme le point de repère de
leur ancrage dans la situation d’énonciation »276.
Comme « intervenants discursifs », les énonciateurs sont ceux dont les voix sont prévues
dans l’énonciation, sans pouvoir leur attribuer des mots précis ; ils ne parlent pas vraiment, mais
l’énonciation leur permet l’expression d’un point de vue. Ainsi, le locuteur peut mettre en scène,
dans sa propre énonciation, des positions distinctes de soi. « Les énonciateurs ne se contentent donc
pas de transmettre des contenus représentatifs, ils s’emploient constamment à se positionner à
travers ce qu’ils disent, à s’affirmer en affirmant, en négociant leur propre émergence dans le
discours (« je me permets de vous dire que… »), en anticipant sur les réactions d’autrui (« vous me
direz que… »), etc. »277.
Traditionnellement, les paroles et les pensées sont rapportées selon trois manières : le
discours direct, indirect et indirect libre. « A côté du marquage verbal permettant d’identifier
l’origine empirique de la voix, toutes les voix n’ont pas le même statut linguistico-pragmatique, du
discours présenté comme tenu dans le discours rapporté, au simple point de vue, dans la
présupposition »278.
Dans L’énonciation en linguistique française, Dominique Maingueneau fait la distinction
entre « l’énonciateur, celui qui produit l’énoncé, et l’asserteur, celui qui le prend en charge »279.
Dans une même énonciation, on peut désigner des voix différentes. La citation est un propos dit ou
écrit par quelqu’un d’autre que soi et que l’on rapporte pour l’utiliser à l’appui de son propre
raisonnement.
Le discours rapporté constitue « une énonciation sur une autre énonciation »280 :

Les revenus des PDG des principales entreprises britanniques ont augmenté de 16,1% depuis un an.
Selon The Guardian, le revenu moyen (salaires, stock-options …) des PDG s’établit désormais à plus
de 2,5 millions de livres par an, 113 fois le salaire moyen britannique.281

L’auteur de l’article indique qu’il s’appuie sur un autre discours, celui de selon « The

275
Dominique Maingueneau et Gilles Philippe, Exercices de linguistique pour le texte littéraire, Armand Colin, 2005, 4e
édition, p. 43
276
Dominique Maingueneau, 2002, op. cit., p. 116
277
Dominique Maingueneau, 1990, op. cit., pp. 17-18
278
Jacques Moeschler et Antoine Auchlin, Introduction à la linguistique contemporaine, Armand Colin, Paris, 1997, p.
151
279
Dominique Maingueneau, L’énonciation en linguistique française, Hachette, Paris, 1999, p. 142
280
Ibidem, p. 117
281
Revue L’Expansion, no 700/septembre 2005, p. 18
53
Guardian », c’est la modalisation en discours second282. Grâce aux modalisateurs, l’énonciateur peut
commenter ses propres mots. La presse emploie beaucoup le résumé avec citation, comme mode de
discours rapporté, signalé par le cumul de l’italique et des guillemets. « Les expressions mises entre
guillemets ou en italique sont à la fois inscrites dans le fil de l’énonciation et mises à distance, et le
lecteur doit les interpréter en s’appuyant sur divers indices dans le contexte et la situation de
communication »283 :

Pour la première fois, les achats de voyages en ligne ont dépassé cette année ceux réalisés en agence.
"Avec L’Internet, on obtient en un seul clic un marché de concurrence pure et parfaite, synonyme de
prix bas", explique Antoine Lamarche, directeur de la communication de Cdiscount, filiale du groupe
Casino.284

Ce résumé du texte original n’apparaît que fragmenté dans le discours. A la fin de la citation est
indiqué le nom de l’énonciateur du discours. Le résumé avec citation se retrouve dans le journalisme
qui « amène la voix du discours citant à se faire la plus discrète possible »285.

VI.5.1. Le discours direct

Dans le discours direct, les paroles sont rapportées mot pour mot. Il y a rupture; les paroles
forment un tout indépendant, distingué de la narration par la ponctuation (deux points, guillemets
ou tirets dans les dialogues). Le discours cité garde sa typographie (majuscules) et sa ponctuation
propre (? !, etc.).

Il lui cria: « Hé! je viendrai te voir demain », et s’en alla.

Le locuteur donne la parole à l’interlocuteur qui est cependant absent. « Le discours direct
reprend non seulement un énoncé mais un acte d’énonciation. Rien ne garantit qu’il est donné
authentiquement, puisqu’il n’existe qu’au travers de l’énoncé qui le rapporte »286. Le discours direct
restitue les paroles d’autrui et en même temps il « constitue bien plutôt un redoublement ou un
dédoublement, c’est-à-dire une certaine mise en exergue »287. En d’autres termes, le discours direct
présente la voix qu’il fait entendre comme celle de l’émetteur, qui peut être plus ou moins nettement
signalée :

Ah ! Manon, lui dis-je en la regardant d’un œil triste, je ne m’étais pas attendu à la noire trahison dont
vous avez payé mon amour. Il vous était bien facile de tromper un cœur dont vous étiez la souveraine
absolue et qui mettait sa félicité à vous plaire et à vous obéir. Dites-moi maintenant si vous en avez
trouvé d’aussi tendres et d’aussi soumis. Non, non, la Nature n’en fait guère de la même trempe que le
mien.288

Dans ce texte, le discours direct est introduit par le verbe de parole « dis-je » dont le sujet
indique qui est le locuteur, précédé de l’interjection « Ah ! », pour transmettre le signifiant des mots
rapportés. Dans le discours direct, « les deux actes d’énonciation se trouvent parfaitement disjoints,
étant rapportés à leurs situations d’énonciation respective ; le DCt (discours citant) et le DCé
(discours cité) possèdent donc un repérage distinct pour les embrayeurs »289.

282
Dominique Maingueneau, 2002, op. cit., p. 117
283
Dominique Maingueneau, Linguistique pour le texte littéraire, Nathan, Paris, 2003, p. 104
284
Revue L’Expansion, no 700/septembre 2005, p. 39
285
Dominique Maingueneau, 2002, op. cit., p. 133
286
Anne Herschberg Pierrot, Stylistique de la prose, BELIN, Paris, 2003, p. 112
287
Georges-Elia Sarfati, Eléments d’analyse du discours, Nathan, Paris, 2001, p. 59
288
L’Abbé Prévost, op. cit., p. 121
289
Dominique Maingueneau, 1999, op. cit., p.121
54
VI.5.2. Le discours indirect

Le discours est rapporté en substance, plus ou moins fidèlement. Les interjections, les mots
mis en apostrophe et certaines expressions du discours direct disparaissent. Il n’y a pas rupture :
les paroles sont rapportées dans une complétive insérée dans la phrase narrative. Cela peut
entraîner d’importantes modifications dans la forme de l’énoncé:

Il lui cria qu’il viendrait le voir demain.

Le discours indirect intègre l’énoncé rapporté, dans l’énoncé rapportant, dans la narration.
« Dans le cas du DD (discours direct), l’invariance entre énoncé originel et énoncé rapporté se
situant sur le plan de la matérialité linguistique : les deux énoncés étaient censés identique ; avec le
DI (discours indirect) l’invariance est au niveau du contenu pensé, de l’interprétation de l’énoncé
originel »290. Le discours indirect est introduit par un verbe de parole du type dire, suivi de la
conjonction que (Paul a dit que Victor viendrait la semaine prochaine), des interrogatifs indirects si,
quand, où, qui, lequel, etc. (Paul a demandé si Victor arriverait la semaine prochaine).

Il demanda seulement si le vieux dormait toujours, là-haut291.

Les discours indirect et direct peuvent être insérés dans du discours direct et du discours indirect :

Donc, je suis retourné chez Maigrat, je lui en ai dit, ah ! je lui en ai dit… Et qu’il ne fallait pas
avoir de cœur, et qu’il lui arriverait du mal, s’il y avait une justice…292

Rapporter un discours au discours indirect, c’est une opération de paraphrase. « Il ne se contente pas
de paraphraser le signifié du discours rapporté, mais suppose une interprétation de son contenu et
de son énonciation »293.

VI.5.3. Le discours indirect libre

Le discours est rapporté en conservant le ton (ponctuation ?! …), le mouvement, et jusqu’à la


forme parfois du discours direct. Il y a une phrase introductrice (parfois un mot), mais les
paroles citées ne sont pas insérées dans une complétive. L’énoncé conserve cependant certaines
modifications du discours indirect:

Il put lui crier quelques mots: Il viendrait le voir le lendemain.

Le discours indirect libre « superpose au moins deux instances d’énonciation, le discours rapportant
se faisant l’écho d’une autre voix, dont on ne peut reconstituer les paroles comme une citation
distincte »294.
Ce type de discours a été identifié pour la première fois dans la littérature narrative du XIXe siècle :

Il la revit le soir, pendant le feu d’artifice ; mais elle était avec son mari, Madame Homais et le
pharmacien […]295.

A la voix de Rodolphe se joigne la voix d’Emma ; mais son émergence est fugitive.
On peut dire que le discours indirect libre fait appel à un locuteur (dans le récit, le narrateur)
290
Ibidem., p. 123
291
Emile Zola, Germinal, Fasquelle, Paris, 1974, p. 110
292
Ibidem, p.113
293
Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 114
294
Ibidem, p. 116
295
Gustave Flaubert, Madame Bovary, Librairie Générale Française, Paris, 1961, p. 186
55
qui s’assimile à un énonciateur E1 et laisse entendre l’écho d’une autre voix, d’un autre point de vue,
ceux d’un énonciateur singulier ou collectif E2. Le locuteur-narrateur laisse entendre dans ses mots
deux énonciateurs : l’énonciateur-narrateur auquel il s’assimile et l’énonciateur qui exprime le but du
personnage, dont les points de vue se fondent. L’énonciateur est pour le locuteur ce que le
personnage d’une fiction est pour son auteur.
Nous allons exemplifier la question du point de vue des voix (cf. Genette) et de la polyphonie, dans
un fragment du roman L’Enfant de Jules Vallès :

La fête de ma mère ne me produit pas les mêmes émotions : c’est plus carré.
Elle a déclaré nettement, il y a de longues années déjà, qu’elle ne voulait pas qu’on fît des dépenses
pour elle. Vingt sous sont vingt sous. Avec l’argent d’un pot de fleurs, elle peut acheter un saucisson.
Ajoutez ce que coûterait le papier d’un compliment ! Pourquoi ces frais inutiles ? Vous direz : ce n’est
rien. C’est bon pour ceux qui ne tiennent pas la queue de la poêle de dire ça ; mais elle, qui la tient, qui
fricote, qui dirige le ménage, elle sait que c’est quelque chose. Ajoutez quatre sous à un franc, ça fait
vingt-quatre sous partout.
Quoique je ne songe pas à la contredire, mais pas du tout (je pense à autre chose, et j’ai justement mal
au ventre), elle me regarde en parlant, et elle est énergique, très énergique.
Puis, les plantes, ça crève quand on ne les soigne pas.
Elle a l’air de dire : on ne peut pas les fouetter !296

Dans ce texte, la voix du narrateur ne domine pas. Il y a une difficulté dans la distinction de la
voix du narrateur enfant de celle de l’adulte. La voix du narrateur adulte se fait sentir dans la
distance ironique et les jugements. Chaque alinéa crée l’effet d’une prise de parole, sous une forme
qui suggère la narration orale. Le discours indirect libre superpose, d’une part, la voix du narrateur à
l’expression des pensées de l’enfant (« je » narré et « je » narrateur), d’autre part, le narrateur
rapporte au discours indirect libre les paroles de Madame Vingtras (« ceux qui ne tiennent pas la
queue de la poêle », « Puis, les plantes, ça crève quand on ne les soigne pas »). Le présent de la
narration sort les événements passés vers le présent. La seconde personne (« Ajoutez », « Vous
direz ») peut être élargie à tous les destinataires, y compris le narrateur et le narrataire. L’énonciation
de la mère se manifeste, ironiquement, dans la narration rétrospective.
En conclusion, la polyphonie présente un triple intérêt :
« - elle rend sensible à la diversité des voix qui s’expriment, notamment dans les textes
argumentatifs, et donne des outils pour l’analyser ;
- reposant sur une conception "théâtrale" du langage, elle s’articule avec des travaux sur le langage
théâtral ;
- autre passerelle possible, entre la triade : sujet empirique/locuteur/énonciateur et la distinction
couramment utilisée en narratologie entre auteur, narrateur, et "centre de perspective" ou point de
vue privilégié ("focalisations") » 297.

296
Jules Vallès, L’Enfant, Flammarion, Paris, 1968, p. 98
297
Alain Boissinot, Les textes argumentatifs, Bertrand-Lacoste, Toulouse, 1992, p. 26
56
I. Le mode d’organisation descriptif

I.1. La « séquence descriptive »

La séquence descriptive repose sur la régularité conventionnelle. « Si la narration qui prend en


charge la conduite du récit voit sa fonction majorée, la description n’est qu’un atout textuel, une
parenthèse, une excroissance, qui n’intervient pas dans la dynamique narrative, un arrière plan du
récit »298.

développement
descriptif

déroulement narratif

Le plan descriptif299

Pour garantir la linéarisation de la séquence, on doit tenir compte du plan descriptif. « La


description suit donc un circuit sélectif ; dans un roman, une fois ce circuit parcouru, la narration
peut reprendre »300.
Philippe Hamon désigne par plan de texte descriptif des « grilles descriptives additionnelles »301
qui représentent des stéréotypées, du genre : les quatre points cardinaux, les quatre saisons, les cinq
continents, etc. Ces grilles utilisent des organisateurs énumératifs du type : d’abord - ensuite - enfin,
d’une part - d’autre part, les uns - les autres - d’autres encore, etc., ou des oppositions du type :
d’un côté - d’un autre côté, d’énormes - de minuscules, etc.
Jean Michel Adam et André Petitjean proposent quatre plans de textes descriptifs qui
correspondent aux quatre dimensions302 :
1. La première dimension (ou la perspective verticale) correspond à la distribution verticale
classique : dessus vs dessous, haut vs bas, exploitée dans le portrait, le blason épique, etc. :

Sa figure mâle et brune possédait ce charme inexplicable qu’une parfaite régularité de traits
communique à de jeunes visages. Son front était large et haut. Ses yeux de feu, ombragés de sourcils
épais et bordés de longs cils, se dessinaient comme deux ovales blancs entre deux lignes noires. La
pourpre de ses lèvres était rehaussée par les sinuosités de l’inévitable moustache noire. Ses joues larges
et fortement colorées offraient des tons bruns et jaunes qui dénotaient une vigueur extraordinaire. Sa
figure, une des celles que la bravoure a marquées de son cachet, offrait le type que cherche aujourd’hui
l’artiste quand il songe à représenter un des héros de la France impériale303.

2. La deuxième dimension (ou la perspective latérale) correspond à une distribution horizontale : à


gauche vs à droite :

A sa droite, le voyageur embrasse d’un regard toutes les sinuosités de la Cise, qui se roule, comme un
serpent argenté, dans l’herbe des prairies auxquelles les premières pousses du printemps donnaient
alors les couleurs de l’émeraude. A gauche, la Loire apparaît dans toute sa magnificence304.

298
Annick-Marie Gervais-Zaninger, La description, Hachette, Paris, 2001, p. 9
299
Alain Boissinot et Marie-Martine Lasserre, Techniques du français, Bertrand-Lacoste, Paris, 1988, p. 36
300
Idem
301
Philippe Hamon, Introduction à l’analyse du descriptif, Hachette, Paris, 1981, p. 152
302
Jean-Michel Adam et André Petitjean, Le texte descriptif, Nathan, Paris, 1989, p. 82
303
Honoré de Balzac, La femme de trente ans, Editeur Calmann Lévy, Paris, 1891, pp. 13-14
304
Honoré de Balzac, op. cit., p. 20
57
3. La troisième dimension (ou perspective en approche vs recul) correspond à l’opposition proche vs
éloigné, devant vs derrière ; dedans vs dehors :

De l’autre côté du fleuve, les plus belles campagnes de la Touraine déroulaient leurs trésors à perte de
vue. Dans le lointain, l’œil ne rencontre d’autres bornes que les collines du Cher, dont les cimes
dessinaient en ce moment des lignes lumineuses sur le transparent azur du ciel305.

4. La quatrième dimension correspond à l’utilisation du temps du cosmos (saison, heure, jours, mois,
etc.) ou temps du logos (de l’écriture et de sa linéarité) :

Au commencement du mois d’avril 1813, il y eut un dimanche dont la matinée promettait un de ces
beaux jours où les Parisiens voient pour la première fois de l’année leurs pavés sans boue et leur ciel
sans nuages306.

Le discours descriptif vise à informer, à inciter, à expliquer et se réalise sur trois niveaux : la
Situation de Communication qui assigne une finalité au texte, le mode d’organisation du discours,
qui utilise des catégories de langue et le type de discours mis en place par la situation.
La recette de cuisine constitue un exemple éloquent de type de discours descriptif (type de texte)
qui offre un modèle à suivre (la situation de communication) et décrit une succession d’actions ou
d’actes énonciatifs qui sont des demandes à faire (le mode d’organisation du discours) :

La veille de la cuisson, faites larder le morceau de viande par votre boucher. Préparez une marinade
composée d’un demi-litre de vin rouge ou blanc additionné d’un verre de cognac, d’un gros oignon
haché, de 2 carottes coupées en rondelles, de quelques grains de poivre, de 2 gousses d’ail et d’un
bouquet garni. Mettez la viande dans cette préparation et laissez mariner toute une nuit307.

I.2. Le mode d’organisation descriptif

Le résultat du mode d’organisation descriptif est la description, utilisée généralement en


opposition avec le récit. Cette opposition est mise en évidence par des traits spécifiques, à savoir : la
description est statique, hors du temps et de la succession des événements, pendant que le récit est
dynamique, inscrit dans le temps, décrivant la succession des actions. 308 Dans la littérature française,
se font remarquer de grands écrivains tels : Balzac, Flaubert, Stendhal, Zola, qui ont réalisé des
descriptions impressionnantes en ce qui concerne le contenu, mais aussi les dimensions. Nous avons
choisi pour exemplifier, un fragment de Germinal, d’Emile Zola :

La salle était d’une saleté noire, le carreau et les murs tachés de graisse, le buffet et la table poissés de
crasse ; et une puanteur de ménage mal tenu prenait à la gorge. Près du feu, les deux coudes sur la table,
le nez enfoncé dans son assiette, Bouteloup, jeune encore pour ses trente-cinq ans, achevait un restant
de bouilli, avec sa carrure épaisse de gros garçon placide309.

Le Descriptif est un mode d’organisation qui inclut trois types de composantes :


1. La première c’est nommer, c’est-à-dire « donner existence à un être, au terme d’une double
opération »310. C’est le mode d’organisation qui produit les taxinomies (grilles, représentations
hiérarchisées, etc.), les inventaires (fichiers, catalogues, index, guides, etc.) et toute sorte de listes
qui construisent ou passent en revue certains êtres de l’univers qui ont le rôle d’informer,
d’expliquer, d’inciter.

305
Idem
306
Ibidem, p. 1
307
Hubert Salmon (sous la direction), SEB une nouvelle manière de vivre, Editions Euro-Advertising, Paris, 1980, p. 83
308
Alain Boissinot et Marie-Martine Lasserre, op. cit. pp. 34-36
309
Emile Zola, Germinal, Fasquelle, Paris, 1974, p. 101
310
Patrick Charaudeau, Grammaire du sens et de l’expression, Hachette Paris, 1992, pp. 659-660
58
2. La deuxième composante est localiser-situer. Cela signifie « déterminer la place qu’occupe un
être dans l’espace et dans le temps et apporter à cet être des caractéristiques dans la mesure où il
dépend, pour son existence, pour sa fonction, bref pour sa raison d’être, de sa position spatio-
temporelle»311 :

Je me trouvais à Mantoue il y a quelques années, je cherchais des ébauches et de petits tableaux en


rapport avec ma petite fortune, mais je voulais les peintres antérieurs à l’an 1600… 312.

3. La troisième composante est qualifier, c’est-à-dire attribuer à un être, de manière explicite, une
qualité qui le caractérise. Toute qualification témoigne du regard que le sujet parlant porte sur les
êtres du monde, donc de la subjectivité qui lui permet de satisfaire le désir de « possession du
monde ». « C’est lui qui le singularise, le spécifie, lui donne une substance et une forme
particulières, en fonction de sa propre vision des choses qui passe par sa rationalité, mais aussi par
ses sens et ses sentiments »313. Bref, nous parlons dans ce cas de la manière dont chaque personne
perçoit le monde entier. Nous allons exemplifier la qualification dans un poème en prose de
Baudelaire:

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel,
l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont
un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des
navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à
entretenir dans l’âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir
mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans
le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui
reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir314.

Les sujets parlants qualifient aussi les êtres en fonction des normes de la pratique sociale :
relatives aux sens (odorat, toucher, ouïe, vue, goût) ou fonctionnelles (à qui servent les objets, quelle
est leur finalité pragmatique, pourquoi il possède telle ou telle qualité). « Qualifier est donc une
activité qui permet au sujet parlant de témoigner de son imaginaire, individuel et/ou collectif »315.

I.3. La description ornementale

La fonction la plus ancienne de la description est celle ornementale. C’est pourquoi on doit
chercher l’origine des descriptions que l’on qualifie d’ornementales dans la littérature romanesque
greco-latine et spécialement dans l’épopée : « en étudiant la description des épopées grecques, on
constate qu’elles portent, pour leur quasi-totalité sur des objets dont on affirme et souligne le
caractère ornemental et l’esthétique extraordinaire»316.
Virgile fait forger par Vulcain un bouclier pour Énée. C’est une vision prophétique de Rome, ses
légendes, son histoire, ses fastes, tout à la gloire d'Auguste.

C'était l'histoire de l'Italie et les triomphes des Romains; instruit des prophéties, pénétrant les âges
futurs, le maître du feu les avait gravés là, et aussi toute la race de ceux qui sortiraient d'Ascagne, et
dans leur ordre les guerres et leurs combats. Il montrait aussi dans l'antre vert de Mars la louve couchée
à terre ; elle venait de mettre bas ; à ses mamelles deux enfants suspendus jouaient, tétaient leur mère
sans effroi; elle, tournant vers eux son cou arrondi, les caressait tour à tour et façonnait leurs corps de
sa langue. Non loin de là, il avait placé Rome, les Sabines enlevées d'insolite manière, sur les gradins

311
Ibidem p. 661
312
Stendhal, L’abbesse de Castro et autres chroniques italiennes, Pocket, Paris, 1996, p. 21
313
Patrick Charaudeau, op.cit., p. 663
314
Charles Baudelaire, « Petits poèmes en prose » in Arsène Chassang et Charles Senninger, Recueil de textes
littéraires, XIXe siècle, Hachette, Paris, 1974, p. 475
315
Patrick Charaudeau, op.cit., p. 664
316
Debray-Genette Raymonde, « La pierre descriptive », in Poétique, no 43, Seuil, Paris, 1980, p. 296
59
de l'amphithéâtre, au cours de grands jeux dans le Cirque, et soudain c'était une guerre d'un nouveau
genre qui s'élevait pour les Romulides, pour le vieux Tatius et l'austère cité de Cures317 .

Les descriptions ornementales accordent une place importante aux descriptions documentaires
qui sont des descriptions de paysages, de villes, de bâtiments, considérés comme des lieux idéalisés.
Nous pouvons parler de description documentaire dans les grandes fresques de Zola, comme les
Halles dans Le Ventre de Paris.

Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes; les énormes choux blancs, serrés
et durs comme des boulets de métal pâle; les choux frisés, dont les grandes feuilles ressemblaient à des
vasques de bronze; les choux rouges, que l'aube changeait en des floraisons superbes, lie de vin, avec
des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. A l'autre bout, au carrefour de la pointe Saint-
Eustache, l'ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux
rangs, s'étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d'un panier d'oignons, le rouge saignant
d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe
d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil,
laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil318.

Roland Barthes affirme que « le paysage est détaché du lieu, car sa fonction est de constituer un
signe universel, celui de la nature : le paysage est le signe culturel de la Nature »319.

I.4. La description expressive

Une autre fonction de la description apparaît à la fin du XVIIIe siècle avec l'avènement du
romantisme. La description a changé son rôle dans la littérature, elle ne vaut plus seulement pour
elle-même, en tant qu'imitation d'un décor ou d'un paysage. Elle établit une relation entre l'extérieur
et l'intérieur, la nature et les sentiments de celui qui la contemple. En décrivant la nature on cherche
à exprimer un paysage psychique.
Jean-Michel Adam et André Petitjean identifient deux champs littéraires. Le premier représente
« une conception individualiste, "bourgeoise", du sujet, représentée par la notion de "génie" »320, le
deuxième fait référence à « la consécration de l’imagination (sous-catégorisée spécialement sous la
forme du rêve ou de la rêverie »321. C’est pourquoi ces « idées littéraires » ont modifié la fonction
des descriptions de paysages. De plus, ce que nous considérons étant comme expressif dans la
description, c’est le fait qu’elle présente un point de vue, soit celui de l’auteur, soit celui du
personnage. Pour exemplifier, nous avons choisi un texte de Jean-Jacques Rousseau, Les
Confessions :

Je m’acheminais gaiement avec mon dévot guide et sa sémillante compagne. Nul accident ne troubla
mon voyage ; j’étais dans la plus heureuse situation de corps et d’esprit où j’aie été de mes jours. Jeune,
vigoureux, plein de santé, de sécurité, de confiance en moi et aux autres, j’étais dans ce court mais
précieux moment de la vie, où sa plénitude expansive étend pour ainsi dire notre être par toutes nos
sensations, et embellit à nos yeux la nature entière du charme de notre existence. Ma douce inquiétude
avait un objet qui la rendait moins errante et fixait mon imagination. Je me regardais comme l’ouvrage,
l’élève, l’ami, presque l’amant de Mme de Warens. Les choses obligeantes qu’elle m’avait dites, les
petites caresses qu’elle m’avait faites, l’intérêt si tendre qu’elle avait paru prendre à moi, ses regards
charmants, qui me semblaient pleins d’amour parce qu’ils n’en inspiraient; tout cela nourrissait mes

317
Virgile, « Le bouclier d'Énée » in Énéide, VIII, Les Belles Lettres, Paris, 1989 (traduction de Jacques
Perret), p. 626
318
Emile Zola, Le ventre de Paris, Gallimard/Folio, Paris, 2002, p. 63-64.
319
Roland Barthes, « L’ancienne rhétorique », dans Communications, no 16, Seuil, Paris, 1970, p. 208
320
Jean-Michel Adam et André Petitjean , op.cit, p. 18
321
Idem
60
idées durant ma marche, et me faisait rêver délicieusement. Nulle crainte, nul doute sur mon sort ne
troublait ces rêveries322.

Cette description dévoile l’état d’âme de l’auteur qui est très heureux après avoir rencontré Mme
de Warens. Il ne donne aucune importance aux autres choses qui lui semblent sans intérêt ; ce
bonheur le fait rêver, le fait perdre la tête.
Ce que nous pouvons remarquer, c’est le champ lexical du bonheur («gaiement », «la plus
heureuse situation », «précieux moment »), rendu par des mots exprimant les émotions de l’auteur,
plein d’enthousiasme et plein de vie comme si la mort ne pouvait pas empêcher cette joie : « Nul
accident ne troubla mon voyage », « Nulle crainte, nul doute sur mon sort ne troublait ces
rêveries ». Un autre champ lexical est celui de la rêverie « nos yeux », « mon imagination », « je me
regardais », « rêver », « rêverie », l’auteur se laisse aller dans sa rêverie, en se rappelant tous les
mouvements, les regards et les caresses de Mme de Warens.
Les temps verbaux utilisés sont l’imparfait de la description « rendait », « regardais » et le plus-
que-parfait qui évoque des actions anciennes, déroulées dans un passé lointain : « Les choses
obligeantes qu’elle m’avait dites, les petites caresses qu’elle m’avait faites, l’intérêt si tendre qu’elle
avait paru prendre à moi, ses regards charmants, qui me semblaient pleins d’amour ». En ce qui
concerne l’imparfait, il est le temps de la subjectivité, il est « le tiroir qui se prête le mieux à des
effets de subjectivisation »323.
Dans cette description, nous remarquons la présence du déictique « je » qui nous renvoie à l’idée
que tout ce qui est présenté dans cette description est vu par les yeux du personnage. Il passe par le
filtre de son cœur toutes ces émotions et ensuite il nous les transmet sous une forme finie par la
mémoire.
En général, les descriptions expressives appartiennent à des structures narratives, ayant certaines
propriétés organisatrices. C’est le cas des romans à la première personne où « je » est omniprésent :
les autobiographies (Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau) ou les romans épistolaires
(Oberman de Senancour, Le lys dans la vallée de Balzac, etc.). Dans ces œuvres, on trouve une autre
propriété de la description expressive, celle qui nous présente la structuration spatiale de la fiction
(le voyage d’Oberman à travers la Suisse) et la structuration temporelle (reprise des linéaments
narratifs du roman d’apprentissage, Le lys dans la vallée).
Dans une description expressive, le paysage peut avoir plusieurs fonctions. Une fonction que
nous avons déjà analysée dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau est celle par laquelle le
paysage se présente comme le reflet de l’état d’âme du personnage, c’est-à-dire, une méditation
expressive entre le personnage et ses sentiments. Il y a des descriptions où le paysage est présenté à
plusieurs reprises avec des tonalités différentes. Dans ce cas, il existe des changements variés de la
disposition intérieure du personnage qui donne l’opportunité à l’auteur-narrateur d’introduire des
réflexions « philosophiques » sur les sentiments et sur le temps.
Dans le roman Le lys dans la vallée, le même paysage est présenté en différentes hypostases. Le
premier paysage est un jour de printemps quand l’amour de Félix se manifeste pour la première fois :

Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, LE LYS DE CETTE VALLEE où elle
croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. L’amour infini, sans autre aliment qu’un
objet à peine entrevu dont mon âme était remplie, je le trouvais exprimé par ce long ruban d’eau qui
ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles
ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière
arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant. Si vous voulez
voir la nature belle et vierge comme une fiancée, allez là par un jour de printemps324.

Lorsque l’automne fait son apparition, Félix exprime ses sentiments encore une fois.
322
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, Librairie Larousse, Paris, 1971, p. 58
323
Jacques Moeschler, « Pragmatique de la référence temporelle », in Le Temps des événements. Pragmatiques de la
référence temporelle, Editions, Kimé, Paris, 1998, p. 206
324
Honoré de Balzac, Le lys dans la vallée, Editions Gallimard, Paris, 1972, p. 37-38
61
Quand au sommet du plateau je contemplai la vallée une dernière fois, je fus saisis du contraste qu’elle
m’offrit en la comparant à ce qu’elle était quant j’y vins : ne verdoyait-elle pas, ne flambait-elle pas
alors comme flambaient, comme verdoyaient mes désirs et mes espérances? Initié maintenant aux
sombres et mélancoliques mystères d’une famille, partageant les angoisses d’une Niobé chrétienne,
triste comme elle, l’âme rembrunie, je trouvais en ce moment la vallée au ton de mes idées. En ce
moment les champs étaient dépouillés, les feuilles des peupliers tombaient, et celle qui restaient avaient
la couleur de la rouille ; les pampres étaient brûlés, la cime des bois offrait les teintes graves de cette
couleur tannée que jadis les rois adoptaient pour leur costume et que cachait le pourpre du pouvoir sous
le brun des chagrins. Toujours en harmonie avec mes pensées, la vallée où se mouraient les rayons
jaunes d’un soleil tiède me présentait encore une vivante image de mon âme 325.

L’auteur a mis en évidence l’évolution psychologique du personnage, ses réactions au cours du


changement des saisons (le printemps, l’automne) ; ces descriptions mnémoniques servent
d’opérateur temporel.

I.5. La description représentative

Les romanciers réalistes contestent les idées littéraires qui déterminent les descriptions
expressives (la présence de la subjectivité) et proclament l’idée de l’objectivité pour relever la vérité
des choses.
Pour exprimer cette vérité, Philippe Hamon, dans son œuvre Un discours contraint, souligne
l’idéologie de la représentation, en énumérant des présupposés majeurs :
« 1. le monde est riche, divers, foisonnant, discontinu, etc. ;
2. je peux transmettre une information au sujet de ce monde ;
3. la langue peut copier le réel ;
4. la langue est seconde par rapport au réel (elle l’exprime, elle ne le crée pas, elle lui est
extérieure) ;
5. le support (le message) doit s’effacer au maximum ;
6. le geste producteur du message (style) doit s’effacer au maximum ;
7. mon lecteur doit croire à la vérité de mon information sur le monde, etc. »326.
Ainsi, les théoriciens attribuent trois fonctions majeures de la description représentative :
a. la fonction mathésique (diffusion du savoir) ;
b. la fonction mimésique (construction d’une représentation) ;
c. la fonction sémiosique (régulation du sens)327.

I.5.1. La fonction mathésique

Cette fonction donne la possibilité de ranger à l’intérieur d’un récit les savoirs de l’auteur qui
proviennent de ses enquêtes ou ses lectures. « La dimension informative de la description est ici
privilégiée. Le descripteur réaliste se place dans une position de supériorité par rapport au lecteur
supposé néophyte : il se transforme en ethnographe, en savant, en explorateur »328. De même,
l’auteur prend comme support, pour réaliser une description réaliste, des carnets, des fichiers, etc.

Un de nos romanciers naturalistes veut écrire un roman sur le monde du théâtre. Il part de cette idée
générale, sans avoir encore un fait ou un personnage. Son premier soin sera de rassembler dans des
notes tout ce qu’il peut savoir sur ce monde qu’il veut peindre […]. Il collectionne les mots, les
histoires, les portraits […]. Il ira ensuite aux documents écrits, lisant tout ce qui peut lui être utile.

325
Ibidem, p. 151
326
Apud : Jean-Michel Adam et André Petitjean, op.cit, p. 26 ; Philippe Hamon, « Un discours contraint », dans
Poétique no 16, Seuil, Paris, 1973
327
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op.cit, p. 26
328
Marie-Annick Gervais-Zaninger, La description, Hachette, Paris, 2001, p. 84
62
Enfin, il visitera les lieux, vivra quelques jours dans un théâtre pour en connaître les moindres recoins
[…] s’imprégnera le plus possible de l’air ambiant […]329.

Tout au long du temps, les écrivains réalistes ont ramassé des informations et des connaissances
géographiques, physiques, etc., pour donner une forme plus attrayante à l’univers qu’ils vont créer.
Un tel écrivain fait un grand effort, toute cette activité se passe pendant plusieurs années, il crée un
espace encyclopédique, qui contient plusieurs pages : l’effort de Gustave Flaubert d’écrire « Bouvard
et Pécuchet », un livre qui a plus de 1500 pages. Pour que ces créations ne deviennent pas
épuisantes, l’auteur, par l’intermédiaire des descriptions, a dû « naturaliser » l’insertion de l’autre
discours (le document) dans un texte narratif. Pour justifier les descriptions, il utilise des procédés
différents 330 :
a. la délégation du savoir à un personnage spécialiste ;
b. le recours à un programme narratif du type visite du domaine du propriétaire du « savoir » ;
c. la présence, à l’intérieur du territoire visité, de lieux prétextes introduisant la description ;
d. la métamorphose du paysage décrit en un spectacle digne d’intérêt ;
e. l’effacement de l’acte de transmission du savoir de l’écrivain par la narrativisation de son
appropriation par les personnages sous la forme d’une action particulière : la lecture331.

I.5.2. La fonction mimésique

Cette fonction appelée « mimétique » se trouve dans les descriptions qui dévoilent « le cadre de
l’histoire, l’espace-temps dans lequel les acteurs interagissent »332. Ce type de description encadre
ou alterne avec les séquences narratives :

A la nuit, ils repartirent. La barque suivait le bord des îles. Ils restaient au fond, tous les deux cachés
par l’ombre sans parler. Les avirons carrés sonnaient entre les volets de fer ; et cela marquait dans le
silence comme un battement de métronome, tandis qu’à l’arrière la bauce qui traînait ne discontinuait
pas son petit clapotement doux dans l’eau333.

Nous pouvons remarquer dans ce texte des informations en ce qui concerne le temps et l’espace.
Et cela se réalise à l’aide des déictiques de temps « à la nuit » et d’espace « le bord », « des îles »,
« l’eau ».
Selon les genres narratifs, la description à fonction mimétique occupe une place plus ou moins
importante. Dans les contes, les formules canoniques « il y avait un … », « il était une fois… »
introduisent un type de vraisemblable, c’est pourquoi dans ces récits, les lieux, l’époque et les
acteurs sont peu présentés et la description est en minorité par rapport à la narration et à
l’argumentation.

Il était une fois, dans un pays lointain, un roi et une reine qui n’avaient pas d’enfants et en étaient fort
tristes. Ils avaient tout essayé, mais en vain !334

Ce qui n’empêche pas ces récits d’être chargés de substrats de réalité historique. On peut
remarquer que les personnages sont peu individualisés, soumis à un destin gouverné par le hasard où
l’on trouve des dieux qui évoluent dans des mondes dont l’espace et le temps sont vaguement
déterminés.

329
Emile Zola, « Le Roman expérimental », in Henri Mitterrand (sous la direction), Littérature, Texte et documents,
Nathan, Paris, 1986, p. 463
330
Jean-Michel Adam et André Petitjean , op. cit., p. 27
331
Ibidem, pp. 27-28
332
Ibidem, p. 33
333
Gustave Flaubert, op. cit., p. 305
334
« La belle au bois dormant », in Contes et récits, Editions Christophe Colomb, Bruxelles, 1998, p. 8
63
Tous les jours, le bûcheron s’en allait couper du bois dans la forêt. Il travaillait dur, mais il était pauvre,
si pauvre qu’il n’avait guère les moyens de nourrir sa famille … Et, lorsqu’une grande disette s’abattit
sur le pays, il ne put même plus acheter de quoi manger335.

En ce qui concerne les récits de science-fiction, l’auteur veut « créer des mondes inédits qui, en
rupture avec notre expérience quotidienne, sont organisés sur la base des lois (physiques,
biologiques, anthropologiques, philosophiques, étiques) étrangères à nos connaissances
pragmatiques »336.
La description est fréquemment utilisée dans des textes de science-fiction parce que toute
intrigue nécessite l’aide d’une exposition d’un monde, d’une société, d’un phénomène culturel, d’un
paradoxe philosophique ou cosmique, qui contrefait la vie :

Non loin de Glystra, des bêtes de somme à l’aspect insolite attendaient avec impatience ; elles
balançaient leur long cou, faisaient claquer leurs mâchoires, mâchonnaient et gémissaient. Leur
encolure était étroite et leur échine relevée ; elles avaient six pattes puissantes et une tête mince dont
l’expression ne donnait pas envie de s’y fier – un composé de chameau, de cheval, de chèvre, de chien
et de lézard337.

Mais cette fonction se trouve aussi dans des textes qui présentent la réalité ou la vérité d’un
aspect. Cet effet de réel est obtenu par des descriptions restreintes qui désignent des formes diverses
comme un objet, un geste, un vêtement, etc. 338 :

[…] le nouveau tenait encore sa caquette sur les deux genoux. C’était une de ces coiffures d’ordre
composite, où l’on retrouve les éléments du bonnet à poil du chapska, du chapeau rond, de la casquette
de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des
profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle
commençait par trois boudins circulaires ; puis s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges
de velours et de poil de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone
cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon
trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait339.

I.5.3. La fonction sémiosique


« Bien que la plupart des théories réalistes aient favorisé le piège référentiel en surestimant les
fonctions mathésiques et mimésiques au détriment de la fonction sémiosique, il est des auteurs qui
ont posé le problème autrement »340. Ainsi, Guy de Maupassant soutient l’idée qu’un roman réaliste
ne doit pas être vrai mais il doit nous faire l’impression que les faits, les évènements, les personnages
soient vrais. « […] le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable […]. Faire vrai consiste donc à
donner l’illusion complète du vrai suivant la logique ordinaire des faits et non à les transcrire
servilement dans le pêle-mêle de leur succession. J’en conclus que les Réalistes de talents devraient
s’appeler plutôt des Illusionnistes […]. Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du
monde […]. Et l’écrivain n’a pour d’autre mission que de reproduire fidèlement cette illusion avec
tous les procédés qu’il a appris et dont il peut disposer»341.
Pour illustrer les idées de Maupassant, Jean-Michel Adam et André Petitjean proposent d’analyser :
1. le problème de l’insertion d’une description dans un récit ;
2. la majorité des descriptions sont « sursignifiantes »342.

335
« Hansel et Gretel », in Contes et récits, Editions Christophe Colomb, Bruxelles, 1998, p. 7
336
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 36
337
Jack Vance, La planète géante, Presses Pocket, Paris, 1978, p. 35
338
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 36
339
Gustave Flaubert, op. cit., p. 16
340
Jean-Michel Adam et André Petit Jean, op. cit., p. 37
341
Guy de Maupassant, « Préface à Pierre et Jean », in Henri Mitterrand (sous la direction), Littérature, Texte et
documents, Nathan, Paris, 1986, p. 483
342
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 37
64
I.5.3.1. L’insertion de la description dans le récit

L'intégration de la description dans le récit s'opère donc à travers un ensemble de procédés


destinés à éviter que les passages descriptifs ne soient ressentis comme des moments perturbateurs,
des arrêts du temps de l'action. Mais dans certaines circonstances la description et le récit se trouvent
dans une situation « belligérante »343 ; dans ce cas, le descriptif est formé de micro-propositions : un
adjectif ou d’un relatif s’intercalent entre les actions. « Il en va de même dans les dialogues, quand
les énoncés descriptifs se contentent de mentionner l’aspect non-verbal (gestes, mimiques,
intonations…) de la situation »344 :

- Je suis souffrante, dit-elle enfin, effrayée de la haute portée d’un moment où le langage des yeux
suppléa complètement à l’impuissance du discours.
- Madame, répondit Charles d’une voix affectueuse mais violemment émue, âme et corps, tout se
tient345.

Or, pour éviter la confrontation entre le récit et la description, l’objet référentiel se transforme,
quand il devient objet textuel, en une successivité d’attributs, suspendant le cours des actions.
La narration, s'attachant aux actions et aux événements, fait avancer l'action, elle met en œuvre
l'aspect temporel du récit. La description constitue « une sorte "d’arrêt sur l’image", ce qui implique
une organisation différente de celle du texte narratif »346. Pour planter le décor de l'action ou
présenter les personnages, le récit interrompt donc le cours des événements, qui a des conséquences
sur la vitesse du récit. Si la description se prolonge, elle menace la progression dramatique du
récit347.

Dès qu’il sentit la terre, le cheval d’Emma prit le galop. Rodolphe galopait à côté d’elle. Par moments
ils échangeaient une parole. La figure un peu baissée, la main haute et le bras droit déployé, elle
s’abandonnait à la cadence du mouvement qui la berçait sur elle.
Au bas de la côte, Rodolphe lâcha les rênes, ils partirent ensemble d’un seul bond ; puis, en haut, tout à
coup les chevaux s’arrêtèrent et son grand voile bleu retomba.
On était aux premiers jours d’octobre. Il y avait du brouillard sur la campagne. Des vapeurs
s’allongeaient à l’horizon, contre le contour des collines ; et d’autres, se déchirant, montaient, se
perdaient348.

Pour éviter cette hétérogénéité entre récit et description, les écrivains ont créé certains artifices
d’écriture visant à résoudre le problème auquel se confronte la description, soit glisser dans un plan
de texte (camouflage), soit se justifier.

I.5.3.2. Le camouflage de la description

Dans le cas du camouflage, on parle d’une disposition des éléments de l’objet décrit dans un
plan de texte chronologique ou spatial à l’aide d’organisateurs (d’abord, puis, ensuite, à gauche, en
haut, etc.) Un paysage se voit d'un coup mais se décrit progressivement, d'où un inévitable risque
d'artifice ; ainsi, la description temporalise l'instantanément. Prenons pour exemplifier la fameuse
description du gâteau de mariage d'Emma dans Madame Bovary:

343
Ibidem, p. 38
344
Idem
345
Honoré de Balzac, La femme de trente ans, op. cit., p. 140
346
Alain Boissinot et Marie-Martine Lasserre, op. cit. pp. 34
347
Patrick Charaudeau, op.cit., pp. 658-659
348
Gustave Flaubert, op. cit., pp. 192-193
65
À la base, d'abord c'était un carré de carton bleu figurant un temple avec des portiques, colonnades et
statuettes de stuc tout autour dans des niches constellées d'étoiles en papier doré; puis se tenait au
second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes,
raisins secs, quartiers d'orange; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y
avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en écales de noisettes, on voyait un petit
Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par des
boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet »349.

Le gâteau de mariage est un objet présenté simultanément, même s'il est composé de diverses
parties. Il est donc décrit dans une successivité de parties. La présence des indications temporelles
(d'abord, puis, enfin), ne peut pas renvoyer certainement au temps de l'objet, qui est inanimé. Ces
indications font référence au temps de l'énonciation: nous devons les interpréter comme un
commentaire de l'énonciateur sur l'ordre de son discours (d'abord je vous parle du carré de carton
bleu, puis du donjon et enfin de la plate-forme). Si c'était bien le cas, la description signalerait sa
propre temporalité discursive ; ce serait aussi une façon de donner l'impression qu'on n'a pas
suspendu la temporalité narrative, même si, en réalité, on l'a faite, en glissant du temps de l'action
représentée au temps du discours successif.
Le texte dévoile plusieurs champs lexicaux. Le champ lexical d’un château « un
temple », « portiques », « colonnades et statuettes de stuc », « un donjon », « menues
fortifications », « poteaux », ce gâteau, à forme d’un château, désigne l’idéal du chemin pour les
jeunes mariés. Un autre champ lexical est celui de la nature, « plate-forme supérieure », « une
prairie verte », « des rochers », «des lacs », qui représente le milieu où les jeunes mariés veulent
passer toute leur vie. Mais nous pouvons remarquer aussi le champ lexical des couleurs qui
renvoient aux étapes de la vie de couple. Premièrement, nous voyons la couleur « bleue » qui
signifie la pureté de l’esprit des jeunes, ensuite nous saisissons les couleurs « rose »,
« verte », « orange » qui symbolisent l’épanouissement de la vie de couple, et à la fin, la couleur qui
désigne l’âge mûr « doré ».
D’ailleurs, nous pouvons remarquer aussi l’utilisation des procédés stylistiques : des épithètes
« raisins secs », « une prairie verte », « carton bleu », « papier doré » qui offrent une perspective
plus large sur la qualité des objets désignés ; des métaphores « fortifications en angélique », qui
suggèrent la grandeur et l’importance du gâteau qui contient des choses inimaginables « des lacs de
confitures ». Nous avons aussi la gradation, réalisée par l’utilisation des éléments de la temporalité
(d’abord, puis, enfin), c’est une gradation de bas en haut, une progression régulière. Aussi, peut-on
voir le mouvement d'un regard parcourant l'objet de bas en haut et interpréter cet ordre comme un
reflet de la fabrication réelle du gâteau, de son montage. Ce principe ascensionnel, une fois adopté, la
description parvient à un effet d'achèvement lorsqu'on arrive au sommet.

I.6. La justification de la description

Ce procédé consiste à motiver la description, c'est-à-dire à introduire dans le récit une situation
qui la justifie. Jean-Michel Adam et André Petitjean introduisent trois modes différents : le Voir, le
Dire, l’Agir (Faire)350

I.6.1. La description de type VOIR

Pour représenter ce type de description, il est nécessaire que le narrateur délègue la responsabilité
de la description à un personnage. Il s'agit de faire en sorte que l'action conduise le personnage à
observer un objet, à le décrire pour autrui ou à s'en servir.
Ce procédé est particulièrement fréquent dans la littérature réaliste, notamment chez Zola.
Prenons le début du roman Germinal, où le narrateur raconte l'arrivée d’Etienne à Montsou :

349
Gustave Flaubert, op. cit., p. 45
350
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 41
66
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme
suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à
travers les champs de betteraves. Devant lui, on ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation
de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer,
glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le
pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres351.

La description est présentée par le point de vue subjectif d'un personnage, qui la justifie. Mais ce
type de description offre une perspective plus large de l’orientation, parce qu’aucune description ne
se limite seulement à cette orientation visuelle, nous avons aussi une orientation auditive, tactile,
gustative ou olfactive :

Au Voreux, un lourd silence pesait sur le carreau. C’était l’usine morte, ce vide et cet abandon des
grands chantiers, où dort le travail. Dans le ciel gris de décembre, le long des hautes passerelles, trois
ou quatre berlines oubliées avaient la tristesse muette des choses. En bas, entre les jambes maigres des
tréteaux, le stock de charbon s’épuisait, laissant la terre nue et noire, tandis que la provision des bois
pourrissait sous les averses »352.

I.6.2. La description de type DIRE

Ce procédé de justifier la description est l'introduction de scènes pédagogiques où un personnage


qui s’avère être doté d’un savoir, explique à un autre l'usage d'un objet, d'une machine ou d'une
activité. « Les qualifications caractérisant ce personnage sont tout aussi stéréotypées. Il s’agira d’un
agent initiateur (spécialiste, technicien, autochtone), s’adressant à un néophyte (apprenti,
étranger…) »353. Dans une variante de ce type de motivation, les personnages agissent sur l'objet à
décrire: on les saisit en pleine activité, qu'ils soient cheminots, imprimeurs ou chefs de rayon dans un
grand magasin. « Quant à l’objet à décrire il est, par nécessité structurelle, bien connu du
descripteur mais mal ou pas connu de son auditeur »354.
La motivation est donc un cadre thématique qui a pour fonction d'atténuer le contraste entre
description et narration, en les intégrant l'une dans l'autre. La description devient l'action d'un ou de
plusieurs personnages, insérée dans la temporalité du récit. Cela lui confère une plus grande
efficacité narrative et un effet de naturel. On trouve un tel texte dans le roman de Flaubert Madame
Bovary, sous forme de dialogues directs ou rapportés :

Alors, afin de procéder dans l’ordre, le Suisse les conduisit jusqu’à l’entrée, prés de la place, où, leur
montrant avec sa canne un grand cercle de pavés noirs, sans inscriptions ni ciselures :
- "Voilà, fit-il majestueusement, la circonférence de la belle cloche d’Amboise. Elle pesait quarante
mille livres. Il n’y avait pas sa pareille dans toute l’Europe. L’ouvrier qui l’a fondue en est mort de
joie…
- Partons", dit Léon.
Le bonhomme se remit en marche ; puis, revenu à la chapelle de la Vierge, il étendit les bras dans un
geste synthétique de démonstration, et, plus orgueilleux qu’un propriétaire campagnard vous montrant
ses espaliers :
- "Cette simple dalle recouvre Pierre de Brézé, seigneur de la Varenne et de Brissac, grand maréchal de
Poitou et gouverneur de Normandie, mort à la bataille de Montlhéry, le 16 juillet 1465."
Léon, se mordant les lèvres, trépignait.
- "Et à droite, ce gentilhomme tout bardé de fer, sur un cheval qui se cabre, est son petit-fils Louis de
Brézé, seigneur de Bréval et de Montchauvet, comte de Maulevrier, baron de Mauny, chambellan du
roi, chevalier de l’ordre et pareillement gouverneur de Normandie, mort le 23 juillet 1531, un

351
Emile Zola, Germinal, Librairie Générale Française, Paris, 1973, p. 7
352
Ibidem, p. 215- 216
353
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 43
354
Idem
67
dimanche, comme l’inscription porte ; et au-dessous, cet homme prêt à descendre au tombeau vous
figure exactement le même. Il n’est point possible, n’est-ce pas, de voir une plus parfaite représentation
du néant ?355

I.6.3. La description de type FAIRE

Ce type de description représente « une série d’actions, manifestant, en présence ou en absence


d’un autre personnage, le faire d’un acteur agissant sur l’objet à décrire »356. Le personnage sera un
spécialiste (expert, technicien, ingénieur, ouvrier…) et « la motivation de la description consistera à
"dramatiser" le paradigme de traits inhérents à l’objet sous la forme d’une suite programmée
d’actions »357. Dans le roman d’Emile Zola, La Bête humaine, Jacques, sous l’œil attentif de
Séverine, rend l’image qu’il voit passer sous ses yeux :

La tête à la portière, Séverine regardait. Sur la Lison, Jacques, monté à droite, chaudement vêtu […] ne
quittait plus la voie des yeux, se penchait à toute seconde, en dehors de la vitre de l’abri, pour mieux
voir […] Il avait la main droite sur le volant du changement de marche, comme un pilote sur la roue du
gouvernail ; il le manœuvrait d’un mouvement insensible et continu, modérant, accélérant la vitesse ;
et, de la main gauche, il ne cessait de tirer la tringle du sifflet, car la sortie de Paris est difficile […]358.

I.7. La « sursignifiance » des descriptions dans un récit

« Nombreuses sont les preuves que le fictif plie le réel aux nécessités de son fonctionnement»359.
Etudiant la « sursignifiance » de la description, on doit tenir compte de certaines fonctions qui se
trouvent dans l’économie interne d’un récit réaliste.

I.7.1. La fonction focalisante

Cette fonction représente la perspective narrative, le point de vue de quelqu’un et cela s’opère
entre deux types de perspective
- de type auctoriel (point de vue de l’auteur). L’auteur est dissimulé derrière la tournure
impersonnelle, on :

On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon,
n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le
maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs360.

- de type actoriel (point de vue d’un personnage) :

Pour peu que le voyageur s’arrête quelques instants dans cette grande rue de Verrières, qui va en
montant depuis la rive du Doubs jusque vers le sommet de la colline, il y a cent à parier contre un qu’il
verra paraître un grand homme à l’air affairé et important361.

Gérard Genette distingue trois catégories de récit : « "le récit non-focalisé", dans lequel le
narrateur en dit plus que n’en sait aucun des personnages, […] "focalisation interne", où le
narrateur adopte le point de vue d’un personnage de l’histoire, […]" focalisation externe", où le
narrateur en dit moins que n’en sait aucun des personnages »362.
355
Gustave Flaubert, op. cit., pp. 288-290
356
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 45
357
Ibidem, p. 45
358
Emile Zola, La Bête humaine, Librairie Générale Française, Paris, 1962, p. 117
359
Jean-Michel Adam et A. Petitjean, op. cit., p. 47
360
Gustave Flaubert, op. cit., p. 16
361
Stendhal, Le Rouge et le Noir, Editions Garnier Frères, Paris, 1973, p. 4
362
Gérard Genette, Figures III, Seuil, Paris, 1972, pp. 206-210
68
Jaap Lintvelt trouve trois types de perspectives narratives :
1. type narratifs auctoriel : « perspective narrative d’un ou plusieurs acteurs »363 (le narrateur
omniscient) ;
2. type narratif actoriel : « perception externe limitée : extrospection »364 (le narrateur embrasse la
perspective d’un acteur) et « introspection »365 (le narrateur ignore la vie intérieure des autres
acteurs);
3. type narratif neutre : « perception externe limitée : enregistrement. Impossibilité d’une perception
interne »366.
De la perspective narrative auctorielle, « l’auteur ne délègue pas son regard à un personnage.
Véritable démiurge qui sait tout sur tout, il utilise les descriptions (fonction mathésique) pour
déverser son savoir »367 :

Chaque bête s’agitait dans sa stalle quand on passait près d’elle, en claquant de la langue. Le plancher
de la sellerie luisait à l’œil comme le parquet d’un salon368.

La sélection de la perspective ne se réalise pas toujours dans le roman réaliste, nous pouvons
parler plutôt de focalisation variable qui change de séquence en séquence. La description peut
représenter plutôt le point de vue d’un acteur que d’un auteur.
Pour présenter les marques textuelles de sélection perceptive il y a « les verbes de perception
comme : apercevoir, regarder, etc., les possessifs de la 3e personne (à sa gauche), des déictiques
spatiaux [...] devant lui »369. Mais la perspective est zéro si « les coordonnées spatiales sont
indépendantes de la position du descripteur : localisateurs non déictiques (au sommet, à la base),
informants géographiques (nom de rue, de lieu …) »370.
Quel que soit le type de description analysée, la focalisation peut être évaluée ou modalisée. La
description évaluée, dans l’écriture réaliste, porte essentiellement sur l’objet à décrire ou sur les
personnages. Ce type de description présente un certain intérêt qui est contraire aux modalisations,
où « l’acte de décrire perd son autorité assertive »371 :

Dans une clairière réservée par de beaux arbres dont plusieurs étaient aussi anciens que lui, planté à
l’écart, on le voyait de loin, svelte, immobile, durci, ne laissant agiter par la brise que la retombée plus
légère de son panache pale et frémissant. Le XVIIIe siècle avait épuré l’élégance de ses lignes, mais,
fixant le style du jet, semblait en avoir arrêté la vie ; à cette distance, on avait l’impression de l’art
plutôt que la sensation de l’eau. Le nuage humide lui-même qui s’amoncelait perpétuellement à son
faîte gardait le caractère de l’époque comme ceux qui dans le ciel s’assemblent autour du palais de
Versailles. Mais de près on se rendait compte que tout en respectant, comme les pierres d’un palais
antique, le dessin préalablement tracé, c’était des eaux toujours nouvelles qui, s’élançant et voulant
obéir aux ordres anciens de l’architecte, ne les accomplissaient exactement qu’en paraissant les violer,
leurs mille bonds épars pouvant seuls donner à distance l’impression d’un unique élan372.

I.7.2. La fonction indicielle


Plus généralement, on peut parler d'une fonction indicielle de la description chaque fois qu'elle
est utilisée comme signe d'une autre chose de ce qu'elle décrit.
La métonymie est exemplifiée sous forme de la description de la pension Vauquer, dans le roman
Père Goriot de Balzac, par le transfert de l’espace à ses habitants.

363
Jaap Lintvelt, Essai de typologie narrative, Librairie José Corté, Paris, 1981, p. 68
364
Ibidem, p. 69
365
Ibidem, p. 70
366
Idem
367
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 49
368
Gustave Flaubert, op. cit., p. 75
369
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 51
370
Idem
371
Ibidem, p. 52
372
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, La Pléiade, Tome II, Paris, 1952, p. 656
69
Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il faudrait appeler l’odeur de
pension. […] Cette salle entièrement boisée, fut jadis peinte à une couleur indistincte aujourd’hui, qui
forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres.
Elle est plaquée de buffets gluants sur lesquels sont des carafes échancrées, ternies, des ronds de moire
métallique, des piles d’assiettes en porcelaine épaisse, à bord bleu, fabriqués à Tournai. Dans un angle
est placée une boîte à cases numérotées qui sert à garder les serviettes, ou tachées ou vineuses, de
chaque pensionnaire. Il s’y rencontre de ces meubles indestructibles proscrits partout, mais placés là
comme le sont les débris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromètre à capucin qui
sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l’appétit, toutes encadrées en bois noir verni à
filets dorés ; un cartel en écaille incrustée de cuivre ; un poêle vert, des quinquets d’Argand où la
poussière se combine avec l’huile, une longue table couverte d’une toile cirée assez grasse pour qu’un
facétieux externe y inscrive son nom en se servant de son doigt comme de stylet, des chaises estropiées,
de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des
chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise373.

Dans ce texte, nous pouvons constater qu’il y a une relation entre les personnages et le milieu
où ils vivent. La pension Vauquer représente un emploi métonymique de ses locataires et de sa
propriétaire.
Les métaphores et les comparaisons sont très utiles aux différents niveaux dans la construction
d’une fiction réaliste. A l’aide des indices, elles ont créé un cadre de l’histoire qui est réalisé moins
directement, en suggérant une atmosphère. « Ainsi à l’ouverture d’un récit fantastique, dans lequel
la frontière entre animé et non animé sera mise en cause, il n’est pas gratuit de saturer la
description de détails qui anthropomorphisent la nature et créent un climat d’angoisse »374. Les
éléments, qui donnent un ton plus vif, sont les comparaisons éloquentes et les commentaires :

Ce dimanche-là sifflait le triste vent d’octobre. De rares feuilles jaunies, poussiéreuses et bruissantes,
filaient dans les rafales, heurtant les pierres, rasant l’asphalte, puis, semblances de chauves-souris,
disparaissaient dans l’ombre, éveillant ainsi l’idée de jours banals à jamais vécus. Les théâtres du
boulevard du Crime où, pendant la soirée, s’étaient entrepoignardés à l’envi tous les Médicis, tous les
Salviati et tous les Montefeltre, se dressaient, repaires du Silence, aux portes muettes gardées par leurs
cariatides.375

L’analyse de la fonctionnalité textuelle à différents niveaux marque l’apparition dans les textes
réalistes des anthropomorphismes.
a. Nous pouvons remarquer l’apparition « d’un préconstruit idéologique ou d’une représentation
fantasmatique de l’auteur en focalisation auctorielle ou actorielle »376. Dans les romans de Zola,
nous identifions des métaphores animales pour décrire les mineurs.

Partout, dans la brume du matin, le long des chemins noyés de ténèbres, le troupeau piétinait, des fils
d’hommes trottant le nez dans la terre, ainsi que du bétail mené à l’abattoir377.

b. Les séquences descriptives des lieux ont un « pouvoir anaphorique (redondance) ou cataphorique
(prévisibilité) »378 pour que les lecteurs comprennent mieux le sens du texte. Le roman Germinal
présente de nombreux passages où la fausse Voreux annonce la catastrophe finale :

373
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, Livre de Poche, Paris, 1962, p. 11
374
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 55
375
Villiers de l’Isle-Adam, « Le désir d’être un homme », in (choix par Alain Bosquet), Les 20 meilleures nouvelles
françaises, Editions Seghers, Paris, 1961, p. 312
376
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p.56
377
Emile Zola, 1074, op. cit., p. 492
378
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 56
70
Et le Voreux, au fond de son trou, avec son tassement de bête méchante, s’écrasait davantage, respirait
une haleine plus grosse et plus longue, l’air gêné par sa digestion pénible de chair humaine379.

c. L’état psychique d’un personnage est métaphorisé par l'emploi expressif de la description des
paysages.

La vieille bonne se présenta, leur fit ses salutations, s’excusa de ce que le dîner n’était pas prêt, et
engagea madame, en attendant, à prendre connaissance de sa maison […]. Le jardin, plus long que
large, allait, entre deux murs de bauge couverts d’abricots en espalier, jusqu'à une haie d’épine qui le
séparait de champs […]. Tout au fond, sous les sapinettes, un curé de plâtre lisait son bréviaire380.

Mais cette allusion à la première description du jardin se transforme dans la seconde description
en une représentation métaphorique de la dégradation psychique d’Emma par des allusions
métaphoriques à l’hiver.

L’avenir était un corridor tout noir, et qui avait au fond sa porte bien fermée […]. Comme elle était
triste, le dimanche, quand on sonnait les vêpres ! […] Les jours qu’il faisait beau, elle descendait dans
le jardin. La rosée avait laissé sur les choux des guipures d’argent avec de longs fils clairs qui
s’étendaient de l’un à l’autre. On n’entendait pas d’oiseaux, tout semblait dormir, l’espalier couvert de
paille et la vigne comme un grand serpent malade sous le chaperon du mur, où l’on voyait, en
s’approchant, se traîner des cloportes à pattes nombreuses. Dans les sapinettes, près de la haie, le curé
en tricorne qui lisait son bréviaire avait perdu le pied droit, et même le plâtre, s’écaillant à la gelée,
avait fait des gales blanches sur sa figure381.

I.8. La description productive

« Le Nouveau Roman attribue à la description une fonction productive (ou créatrice), liée au
pouvoir d’auto engendrement de l’écriture. Celle-ci ne renvoie qu’à elle-même, non au monde dont
elle s’émancipe »382.
Alain Robbe-Grillet souligne « la grande place tenue par les descriptions dans ce qu’il est
convenu d’appeler Nouveau Roman 383». Selon lui, les descriptions sont inutiles et confuses :
« inutiles, parce que sans rapport réel avec l’action, confuses parce que ne remplissant pas ce que
devrait être, censément, leur rôle fondamental : faire voir »384.
Pour construire la fiction il est nécessaire de partir de la matérialité des mots. On attribue aux
nouveaux romanciers une nouvelle direction fonctionnelle à la description, c’est-à-dire la fonction
anti-représentative. Les procédés utilisés sont les jeux d’analogie (couleurs, nombres, figures …),
utilisation de résonance phonique, recours à des signes polysémiques.
La description productive a aussi le rôle transitaire, c’est pourquoi « certains signifiants qui les
composent, par un processus d’assimilation étendu, contaminent des segments fictionnels
ordinairement non thématiquement reliés »385.
Finalement le roman se construit à l’aide des histoires qui ne proviennent pas d’une vision du
monde mais « d’un compte tenu des mots dans leur double composante, formelle et signifiante »386.
C’est pourquoi le conflit de la description avec le récit est réduit et la description représente le
support actif dans le fonctionnement du récit.
Contrairement aux textes narratifs, les descriptions ne se déroulent pas dans le temps. « Au
contraire, quand elles sont extraites d’un roman, elles interrompent le cours de la narration. Elles se
379
Ibidem, p.17
380
Gustave Flaubert, op. cit., pp. 48-49
381
Ibidem, p. 85-86
382
Marie Annick et Gervais Zaninger, op. cit., p. 95
383
Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, Minuit, Paris, 1961, p. 124
384
Ibidem, p. 125
385
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 67
386
Ibidem, p. 68
71
présentent comme l’agencement de termes qui se rapportent à des éléments du réel distribués dans
l’espace »387.
Le principe organisateur de la description, c’est l’appartenance à un même champ lexical :

Déchiqueté, rompu, il gisait sur le ventre dans la neige, telle une bête blessée à mort. Le nez de
l’appareil s’était aplati contre un butoir rocheux. L’une des ailes, arrachée, avait dû glisser le long de la
pente. L’autre n’était plus qu’un mignon absurde, dressé, sans force, vers le ciel. La queue s’était
détachée du corps, comme celle d’un poisson pourri. Deux larges trous béants, ouverts dans le fuselage,
livraient à l’air des entrailles de tôles disloquées, de cuirs lacérés et de fers tordus. Une housse de
poudre blanche coiffait les parties supérieures de l’épave. Par contraste, les flancs nus et gris, labourés,
souillés de traînées d’huile, paraissaient encore plus sales. La neige avait bu l’essence des réservoirs
crevés388.

Le développement de la description de l’avion se fait en puisant par métaphore dans un champ


lexical voisin : dans ce texte, la description se développe en identifiant l’avion à « une bête blessée à
mort ».

I.9. Le classement rhétorique de la description

Si nous voulons analyser la récurrence des descriptions, nous devons connaître les modèles
rhétoriques qui mettent l’empreinte sur l’écriture. En ce qui concerne la description productrice
d’éloge, elle s’est imposée au-delà de l’épique, dans les textes romanesques sous forme de
« prosopographies (description d’être animés) et de topographies (description d’inanimés) »389.
Pierre Fontanier situe la description parmi les figures de la pensée par développement. Comme
différentes espèces de description, il énumère : la topographie, la chronographie, la prosopographie,
l’éthopée, le portrait, le parallèle et le tableau.

1. La topographie « est une description qui a pour objet un lieu quelconque, tel un vallon, une
montagne, une plaine, une ville, un village, une maison, un temple, une grotte, un jardin, un verger,
une forêt, etc. »390 :

De hauts murs de brique se dressaient en imposants remparts autour d’une ville ramassée sur elle-même
comme un oiseau frileux : l’antique Sidon, cœur battant de l’ancien monde, endormie maintenant
derrière ses tours farouches, que personnes ne craignait plus391.

2. La chronographie « est une description qui caractérise vivement le temps d’un événement, par le
concours des circonstances qui s’y rattachent »392 :

Nous traversions maintenant le désert de Syrie. Les nuits étaient froides toujours mais dans la journée,
le soleil nous permettait d’écarter nos manteaux et de rabattre les pans de nos kufiyyas »393.

3. La prosopographie « est une description qui a pour objet la figure, le corps, les traits, les qualités
physiques, ou seulement l’extérieur, le maintien, le mouvement d’un être animé, réel ou fictif, c’est-
à-dire, de pure imagination »394 :

387
Alain Boissinot et Marie-Martine Lasserre, op. cit., p. 34
388
Henri Troyat, La neige en deuil, Ernest Flammarion, Paris, 1952, p. 98
389
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 12
390
Pierre Fontanier, Les figures du discours, Flammarion, Paris, 1977, p. 422
391
Catherine Hermary-Vieille, Le grand vizir de la nuit, Gallimard, Paris, 1981, p. 89
392
Pierre Fontanier, op. cit., p. 424
393
Catherine Hermary-Vieille, op. cit., p. 91
394
Pierre Fontanier, op. cit., p. 425
72
Mais, en écrivant, elle percevait un autre homme, un fantôme fait de ses plus ardents souvenirs, de ses
lectures les plus belles, de ses convoitises les plus fortes ; et il devenait à la fin si véritable, et
accessible, qu’elle en palpitait émerveillée, sans pouvoir néanmoins le nettement imaginer, tant il se
perdait, comme un dieu, sous l’abondance de ses attributs395.

4. L’éthopée « est une description qui a pour objet les mœurs, le caractère, les vices, les vertus, les
talents, les défauts, enfin les bonnes ou les mauvaises qualités morales d’un personnage réel ou
fictif »396 :

Et puis, quelque douceur dont brille ton épouse,


Penses-tu, si jamais elle devient jalouse,
Que son âme livrée à ses tristes soupçons,
De la raison encor écoute les leçons ?
Alors, Alcippe, alors, tu verras de ses œuvres.
Résous-toi, pauvre époux, à vivre de couleuvres :
A la voir tous les jours, dans ses fougueux accès,
A ton geste, à ton rire intenter un procès :
Souvent de ta maison gardant les avenues,
Les cheveux hérissés, t’attendre au coin des rues :
Te trouver en des lieux de vingt portes fermés,
Et partout où tu vas, dans ses yeux enflammés
T’offrir non pas d’Isis, la tranquille Euménide,
Mais la vraie Alecto peinte dans l’Enéide,
Un tison à la main chez le roi Latinus,
Soufflant sa rage au sein d’Amate et de Turnus397.

5. Le portrait, « c’est la description tant au moral qu’au physique d’un être animé, réel ou fictif 398».
Le portrait doit réunir la prosopographie et l’éthopée :

Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds, trapu, carré, ayant des mollets de douze pouces de
circonférence, des rotules noueuses et de larges épaules ; son visage était rond, tanné, marqué de petite
vérole, son menton était droit, ses lèvres n’offraient aucune sinuosité, et ses dents étaient blanches ; ses
yeux avaient l’expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic ; son front, plein de
rides transversales, ne manquait pas de protubérances significatives ; ses cheveux jaunâtres et
grisonnants étaient blancs et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravité d’une
plaisanterie faite sur monsieur Grandet. Son nez, gros par le bout, supportait une loupe veinée que le
vulgaire disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une
probité sans chaleur, l’égoïsme d’un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de
l’avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière399.

6. Le parallèle comporte « deux descriptions, ou consécutives, ou mélangées, par lesquelles on


rapproche l’un de l’autre, sous leurs rapports physiques ou moraux, deux objets dont on veut
montrer la ressemblance ou la différence »400.

Quand les manœuvres furent terminées, l’officier d’ordonnance accourut à bride abattue, et s’arrêta
devant l’empereur pour attendre ses ordres. En ce moment, il était à vingt pas de Julie, en face du
groupe impérial, dans une attitude assez semblable à celle que Gérard a donnée au général Rapp dans le
tableau de la Bataille d’Austerlitz401.

395
Gustave Flaubert, op. cit., p. 343
396
Pierre Fontanier, op. cit., p. 427
397
Nicolas Boileau, « Satire X » , in Œuvres, Librairie de Firmin Didot Frères, Paris, 1842, p. 99
398
Pierre Fontanier, op. cit., p. 428
399
Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, Librairie Larousse, Paris, 1970, p. 37
400
Pierre Fontanier, op. cit., p. 429
401
Honoré de Balzac, 1891, op. cit., p. 13
73
7. Le tableau représente « certaines descriptions vives et animées, de passions, d’actions,
d’événements, ou de phénomènes physiques ou moraux »402.

Il épiait les passants, les vitrines banales et rassurantes, avec des stylos disposés en éventail, un chou-
fleur fané, une fausse hure en bois peint et verni entourée de saucissons factices dans leur papier
d’argent ; il voyait les commerçants qui, dans l’aquarium de leurs boutiques, faisaient des gestes de
tous les jours403.

L’attention du lecteur est attirée sur le caractère pictural de la description, avec une
prépondérance nette des notations visuelles.
Pour mieux décrire, pour fournir plus d’informations, les écrivains utilisent beaucoup
d’expansions du nom: adjectifs qualificatifs, groupes nominaux prépositionnels, subordonnées
relatives et aussi adjectifs épithètes détachés. La description remplit plusieurs fonctions : la fonction
informative, la fonction réaliste, la fonction poétique, la fonction symbolique.
La séquence descriptive doit mettre en valeur certains points très importants : il faut bien saisir
les champs lexicaux dominants ; le vocabulaire utilisé doit être précis ; utiliser le champ lexical de
la perception à travers les cinq sens.
C'est grâce à la description que les personnages peuvent réellement faire leur apparition, et agir.
En fait, sans description, le rôle du personnage n'existe plus, alors celui-ci n'a plus de repères. Une
séquence de description d’action DA «est plus difficilement mémorisable qu’une séquence narrative
par le fait qu’on ne peut, à aucun moment de la lecture, tasser l’information donnée, c’est-à-dire
résumer plusieurs noyaux en une macro-proposition descriptive. Dans ce type de séquence, tout est
d’une égale importance, tout est porté au premier plan »404.

402
Pierre Fontanier, op. cit., p. 431
403
Georges Simenon, L’aîné des Ferchaux, Gallimard, Paris, 1945, p.136
404
Jean-Michel Adam et André Petitjean, op. cit., p. 163
74
II. Le mode d’organisation narratif

II.1. La « séquence narrative »

Dans le Dictionnaire Le Petit Robert, la narration est définie de la façon suivante : « exposé écrit
et détaillé d’une suite de faits, dans une forme littéraire »405.
Le discours narratif est l’un des types de discours littéraires qui produit des mondes fictionnels.
Celui-ci se présente comme le résultat d’un acte de discours : l’acte de raconter. « Le discours
narratif apparaît comme une mise en représentation d’une suite d’actes de communications »406.
Nous constatons que le récit n’est pas une activité spécifique seulement de l’écrivain ; dans le
langage courant, nous employons fréquemment la narration, chaque fois que nous sommes mis dans
la situation de relater des événements qui se sont déroulés antérieurement à l’énonciation présente :
par exemple, pour faire savoir à quelqu’un des faits passés qu’il ne connaît pas. Ce que signifie que
le narratif est, en premier lieu, l’un des modes discursifs spécifiques de l’utilisation de la langue dans
la communication.
La description des événements auxquels le récepteur n’est pas ou ne peut pas être présent, prend
la forme du récit. Le reportage est une telle narration où le discours du narrateur se substitue à
l’événement, ce qui fait possible la connaissance de celui-ci par l’auditeur ou le lecteur, en
particulier. L’acte de raconter vise la représentation d’un /des événement(s) d’un acte ou d’une suite
d’actes événementiels, utilisant un langage quelconque.
Pour Gérard Genette, dans l’étude Frontières du récit, le récit est : « tout récit comporte en effet,
quoique intimement mêlées et en proportion très variables, d’une part des représentations d’actions
et d’événements, qui constituent la narration proprement dite, et d’autre part des représentations
d’objets ou de personnages, qui sont le fait de ce que l’on nomme aujourd’hui la description »407.
Dans Figures III, Gérard Genette fait la distinction entre histoire, récit et narration :
1. « récit désigne l’énoncé narratif, le discours oral ou écrit qui assume la relation d’un événement
ou d’une série d’événements »408 ;
2. « récit désigne la succession d’événements, réels ou fictifs, qui font l’objet de ce discours, et leurs
diverses relations d’enchaînement, d’opposition, de répétition, etc. »409.
3. « récit désigne encore un événement : non plus toutefois celui que l’on raconte, mais celui qui
consiste en ce que quelqu’un raconte quelque chose »410.
Gérard Genette particularise trois aspects :
1. une série d’événements (une action, réelle ou imaginaire) : l’histoire ;
2. un discours qui présente une série d’événements : le récit ;
3. l’activité par laquelle on produit ce discours des événements : la narration (l’acte de narrer).
La narratologie a étudié l’action (l’histoire), elle a continué avec le développement d’une
rhétorique du discours narratif (le récit), pour que, de nos jours, l’accent soit mis donc sur le
narrateur dont le rôle en tant que sujet de l’acte de narrer est immense ! (sa position dans la
narration → point de vue, etc.), l’action de la narration sur le récepteur, le processus de réception-
interprétation du récit.
Pour qu’il y ait un récit (discours narratif), il faut accomplir quelques conditions minimales :
1. l’existence d’un discours ou un texte ;
2. le discours doit être produit par la mise en acte d’un code (langage) : dans le cas de la littérature,
le code est la langue naturelle ;
3. la réalisation d’un acte de représentation par le discours ;

405
Dictionnaire Le Petit Robert, Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992, p. 1256
406
Algirdas-Julien Greimas, « Un problème de sémiotique narrative : les objets de valeur », in Langages no 31, Didier-
Larousse, Paris, 1973, p. 25
407
Gérard Genette, « Frontières du récit », in Communications no 8, Seuil, Paris, 1966, p.156
408
Gérard Genette, Figures III, Seuil, Paris, 1972, p. 71
409
Idem
410
Idem
75
4. l’objet de l’acte de représentation doit être une série d’événements réels ou fictifs.
Donc, raconter signifie en même temps :
- faire un discours (non pas nécessairement linguistique) qui suppose un locuteur-narrateur ;
- présenter / représenter une série d’événements (une action).
La représentation à l’aide des signes linguistiques correspond à l’intention primaire de faire le
discours narratif. Elle détermine la structure et la manière de fonctionnement de ce type de discours
dans la communication. Ainsi, il faut tenir compte que la narration est le résultat d’une activité
réalisée par le langage : le récit (comme acte conscient et volontaire d’un locuteur) est un acte
locutoire, de construction de l’énoncé, selon des normes et moyens spécifiques et un acte de
représentation modale, un acte illocutoire.
Nous constatons que la définition du récit, formulée par Gérard Genette, a une sphère
d’applicabilité très large. D’ailleurs, la discipline qui s’est affirmée, dès le début des années ’60 du
XXe siècle, par les études sur la narration (comme acte), se situe à la limite entre la linguistique et la
littérature, d’une part, et la sémiotique générale, comme théorie des systèmes de signes et de
signification, d’autre part.
Pour les linguistes, la narration – l’acte de raconter – est l’une des actualisations des fonctions du
langage, celle de représentation (référentielle, dénotative). Les moyens de réalisation de la narration
sont offerts par le système de la langue : « les textes narratifs sont plus complexes, sémiotiquement
plus riches en problèmes et donc ils sont plus "payants" »411.
Néanmoins, traitant la narration exclusivement comme énoncé linguistique, on ne peut pas
résoudre un problème que les philosophes et les linguistes considèrent comme essentiel : la
différence entre la narration des événements réels et la narration des événements imaginaires, parce
qu’il y a une seule fonction de représentation de la langue à laquelle on recourt pour écrire un conte
fantastique ou pour relater un événement social ou une catastrophe naturelle. Les deux récits (le
conte fantastique et le reportage), bien que réalisés avec les mêmes moyens linguistiques, sont
différents en ce qui concerne la signification et l’effet sur le lecteur. Voilà un paradoxe qui ne peut
pas être ignoré. La solution serait de chercher les particularités du discours fictionnel, identifié
souvent avec la narration littéraire, qui le différencie de la narration factuelle.
Ainsi, de la question De quoi on raconte ? on est passé à la question Comment fait-on le récit ?
(sa composition, son fonctionnement, qui raconte, comment il raconte) pour accéder à la question
Que fait-on avec le récit ? (Quel en est le but ?).
Les premières définitions abordent la narration soit comme histoire (Tzvetan Todorov), soit
comme discours narratif (Gérard Genette), développant, d’une part, une théorie de l’action narrée, et,
d’autre part, une théorie du discours narratif. Les linguistes admettent, presque à l’unanimité, la
distinction fondamentale entre les événements narrés et le discours qui les raconte : fable/sujet – les
formalistes russes ; story/discourse – Chatman ; fabula/discorso – Segre ; histoire/récit – Genette.
Umberto Eco définit la fabula : « c’est le schéma fondamental de la narration, la logique des
actions et la syntaxe des personnages, le cours des événements ordonné temporellement »412.
Umberto Eco, toujours, dans Six promenades dans le bois du roman et d’ailleurs, distingue deux
plans dans l’analyse du discours narratif : le contenu, qui correspond à la fabula et l’expression, qui
correspond au discours413. Mais, dans le plan du contenu, il inclut aussi l’intrigue - l’ordre de la
narration dans le discours, des actions qui forment la fabula, ordre qui peut être différent de leur
développement logique : « dans un texte narratif, l’intrigue peut manquer, mais jamais la fabula et
le discours »414.

411
Umberto Eco, Lector in fabula, Grasset, Paris, 1979, p. 90
412
Ibidem, p. 130
413
Umberto Eco, Six promenades dans le bois du roman et d’ailleurs, Grasset, Paris, 1996, p. 51
414
Ibidem, p. 52
76
EN
(énoncé narratif)

ED EM
(énoncé descriptif) (énoncé modal)

performatif attributif vouloir savoir-faire pouvoir-faire


(de l’ordre du faire) (par ruse) (par force ou magie)

vouloir vouloir vouloir


faire savoir pouvoir

hypotaxique hypotaxique
(de l’ordre l’avoir) (de l’ordre l’être)

savoir pouvoir
(obtenir un savoir) (obtenir un pouvoir)

Les deux grands types d’énoncés narratifs415

Jean-Michel Adam, dans Le texte narratif, considère qu’« un texte narratif ( = Tn) se compose
d’un nombre variable de séquences (= Sn) corrélées, chaque séquence comportant cinq
macropropositions narratives (= Pn) »416. Chaque processus narratif comporte trois moments : l’état
initial, la transformation et l’état final. La progression du texte s’organise en rapport avec le
déroulement des événements dans le temps.

temps 1 processus de temps 2

état initial transformation état final

Le déroulement du texte narratif417

Paul Larivaille a reformulé la séquence élémentaire, proposant un modèle quinaire. On peut


considérer ce schéma comme englobant deux triades.

I II III
AVANT PENDANT APRÈS
État initial Transformation (agie ou subie) État final
Équilibre Processus dynamique Équilibre
2 3 4
Provocation Action Sanction
(détonateur) (conséquence)
(déclencheur)

Le modèle quinaire de la séquence selon Paul Larivaille418

Selon Joseph Courtés, le récit est conçu comme « une transformation située entre deux états
successifs/réversifs et différents »419. La succession entraîne la composante temporelle, très
importante dans le récit.
415
Claude Bremond, Logique du récit, Seuil, Paris, 1973, p. 87
416
Jean-Michel Adam, Le texte narratif, Nathan, Paris, 1994, p. 31
417
Alain Boissinot et Marie-Martine Lasserre, Techniques du français, Bertrand-Lacoste, Paris, 1988, p. 34
418
Paul Larivaille, « L’analyse (morpho)logique du récit », in Poétique, no 19, Seuil, Paris, 1974, p. 387
77
Claude Bremond essaie de distribuer les relations dans une séquence des propositions
narratives : « une relation de motivation peut introduire une relation de désir ; cette relation de
désir, à son tour, peut introduire une relation d’hypothèse (destinée à expliciter les conditions de
réalisation du désir) ; suivrait ensuite le passage à l’acte (sous forme d’un des verbes a, b, c) ;
viendrait enfin une relation de résultat, qui décrirait les conséquences de l’action »420.
Selon Jean-Michel Adam, le schéma de la structure narrative serait le suivant :
[= Pn1] + [= Pn2] + [= Pn3] (verbe a [= action qui a pour but de modifier la situation], b [=
accomplir un méfait, pécher, transgresser une loi], c [= punir] + [= Pn4] + [= Pn5]421.
Dans le volume Le texte. Types et prototypes, Jean-Michel Adam analyse le terme de séquence
narrative. Selon lui, le modèle de la séquence narrative « a pour but d’expliciter cette observation
essentielle en définissant ce qui assure le lien des propositions ainsi que leur empaquetage sous
forme de "macro-
propositions" constitutives d’une séquence elle-même constitutive d’un texte »422. Le linguiste suisse
établit les critères pour une définition du récit :
A. Succession d’événements : « il faut une succession minimale d’événements survenant en un temps
t puis t + n »423 ;
B. Unité thématique (au moins un acteur-sujet S) : « un sujet placé dans un temps t, puis t + n, ce qui
permet de réunir les composantes A et B »424 ;
C. Des prédicats transformés : « le sujet d’état S en l’instant t – début de la séquence – puis en
l’instant t + n – fin de séquence »425 ;
D. Un procès : « pour qu’il y ait récit, il faut une transformation des prédicats (C) au cours d’un
procès »426 ;
E. La causalité narrative d’une mise en intrigue : « le procès transformationnel (qui réussit ou
échoue) comporte trois moments (m) liés aux moments constitutifs de l’aspect. Les deux extrêmes
permettent de redéfinir la composante (A) en l’intégrant dans l’unité actionnelle du procès » m1 =
AVANT LE PROCES (action imminente = t), m5 = APRES LES PROCES (accomplissement récent
= t + n) »427 ;
F. Une évolution finale (explicite ou implicite) : « cette macro-proposition évaluative finale (ou
morale = PnΩ qui donne – de façon explicite ou non et, selon les genres narratifs, plus ou moins
facilement déductible à partir des indices à décrypter par le lecteur – le sens configurationnel de la
séquence »428.

II.2. Le récit : contenu et structure

Le récit est une suite d’actions. La présence d’une histoire est un trait nécessaire et définitoire
pour toute narration. Cette constatation soulève quelques problèmes :
1. les constituants de l’action ;
2. les relations entre les constituants de l’action (la structure de l’action) ;
3. la réalisation d’une unité de l’action ;
4. le statut logique du récit.
Ces problèmes ont été en grande partie résolus dans les décennies 7-8 du siècle passé, dans une
période où la pensée linguistique et littéraire était dominée par le point de vue de la méthode
structuraliste.

419
Joseph Courtés, Analyse sémiotique du discours. De l’énoncé à l’énonciation, Hachette, Paris, 1991, p. 72
420
Claude Bremond, op. cit., pp. 119-120
421
Jean-Michel Adam, 1994, p. 33
422
Jean-Michel Adam, Le texte. Types et prototypes, Nathan, Paris, 2001, p. 45
423
Ibidem, p. 46
424
Ibidem, p. 47
425
Ibidem, p. 48
426
Ibidem, p. 49
427
Ibidem, p. 50
428
Ibidem, p. 57
78
Les premières tentatives de résoudre ces questions datent des années 30, dues aux formalistes
russes, surtout par le travail de Vladimir. I. Propp, La morphologie du conte (1928).
Le programme structuraliste d’analyse de la narration a été formulé par Roland Barthes,
« Introduction à l’analyse structurale des récits» et Tzvetan Todorov, « Les catégories du récit
littéraire», dans la revue Communications no 8. Ils voulaient établir un modèle général de l’action
narrée et la mise en évidence des règles qui la gouvernent et lui assurent la cohésion.
Tzvetan Todorov a séparé les procédés du discours en : temps du récit, aspects du récit et
modes du récit : « "le temps du récit", où s’exprime le rapport entre le temps de l’histoire et celui du
discours ; "les aspects du récit", ou la manière dont l’histoire est perçue par le narrateur, et "les
modes du récit", qui dépendent du type de discours utilisé par le narrateur pour nous faire connaître
l’histoire »429.
Selon Anne Hénault, « énoncés et programmes narratifs sont très aisés à repérer dans un conte
populaire, qui laisse très apparentes les structures narratives et où les phrases de la manifestation
ne surajoutent guère d’informations discursives aux énoncés de l’algorithme narratif »430.
Les modèles d’investigation de la narration sont de type analytique, mais ce que l’on suit, c’est le
dégagement d’un système, une représentation abstraite, logique et cohérente, une sorte de formule ou
schéma du contenu du récit.
Patrick Charaudeau considère que la logique narrative prévoit quatre principes :
1. le principe de cohérence : « la succession des actions n’est pas arbitraire, mais pour pouvoir en
déterminer la cohérence, encore faut-il qu’elle soit délimitée en son début et en sa fin »431;
2. le principe d’intentionalité : « cette succession d’actions avec son ouverture et sa clôture doit
avoir une raison d’être. Elle doit être "motivée" »432 ;

(1) (2) (3)


(+) réussite
Etat initial Etat d’actualisation Etat final

Manque Quête Résultat par


(-) échec
rapport à l’objet
de la Quête
La triade de base de la séquence narrative433

3. le principe d’enchaînement : « la combinaison du principe de cohérence, et du principe


d’intentionalité produit des séquences de dimension variables dont on peut observer les modes
d’enchaînement dans des structures plus complexes »434 ;
4. le principe de repérage : « ce principe a une forte incidence sur la structure formelle, dans la
mesure où il intervient pour fournir des repères à l’organisation de la trame narrative régie par les
autres principes »435.
Jean-Michel Adam fait l’analyse de la première macro-proposition narrative d’un texte oral :

Alors cet événement s’est passé y a quatre ou cinq ans dans une dans un petit village euh du côté de
c’est / qui se trouvait dans la Corrèze / exactement / euh un cheval…436

429
Tzvetan Todorov, « Les catégories du récit littéraire », in Communications no 8, Seuil, Paris, 1966, pp. 138-139
430
Anne Hénault, Narratologie, Sémiotique générale, Presses Universitaires de France, Paris, 1983, p. 93
431
Patrick Charaudeau, Grammaire du sens et de l’expression, Hachette, Paris, 1992, p. 728
432
Idem
433
Ibidem, p. 729
434
Ibidem, p. 731
435
Ibidem, p. 736
436
Jean-Michel Adam, 1994, op. cit., p. 179
79
ORIENTATION
(EXPOSITION)

Circonstances Composantes

Cadre

Quand ? Où ? Qui ? Quoi ?

« s’est passé il y a « dans une, dans un « euh un cheval » « cet événement »


quatre ou cinq ans » petit village... Corrèze »

Le début du récit oral437

II.2.1. La chronologie du récit

Le développement chronologique du récit suppose l’enchaînement de cinq types de séquences


narratives : l’introduction (l’orientation, l’établissement de l’équilibre initial), la complication
(l’apparition de la force perturbatrice), l’action, la résolution et la morale (l’état final d’équilibre).
Les procédés liés à la chronologie portent sur le « principe d’enchaînement » : « soit
l’enchaînement des séquences est présenté de manière discontinue, et dans ce cas, la succession des
séquences peut être interrompue par une description (en attente), ou par le développement d’une
autre série de séquences (en alternance) »438.

CHRONOLOGIE

Continue Discontinue

Progression Inversion Attente Alternance

La chronologie439

a. la chronologie continue en progression

Les séquences narratives se déroulent progressivement, sans être interrompues :

Nous quittâmes côte à côte la réserve et nous avançâmes dans la cour, ni les prisonniers ni les gardes ne
nous voyaient, je m’approchai. Un garde jeta sur moi un regard, vit le bois et détourna les yeux, il
s’écarta même pour me laisser passer. Je fis semblant de trébucher et les fagots s’échappèrent de mes
mains, je criai un juron440.

b. la chronologie continue en inversion

437
Idem
438
Ibidem, p. 746
439
Idem
440
Catherine Hermary-Vieille, Le grand vizir de la nuit, Gallimard, Paris, 1981, p. 240
80
Les actions de l’état final sont présentes au commencement du récit : les romans policiers.

c. chronologie discontinue en attente


Une description interrompt une séquence narrative :

Midi sonnèrent, on entendit les galoches des gamins qui sortaient de l’école. Les pommes de
terre étaient cuites, le café épaissi d’une bonne moitié de chicorée, passait dans le filtre, avec
un bruit chantant de grosses gouttes. Un coin de la table fut débarrassé ; mais la mère seule y
mangea441.

d. la chronologie discontinue en alternance


Une séquence narrative est interrompue par une autre séquence : le conte populaire.

II.2.2. Le rythme du récit

Les procédés liés au rythme portent aussi sur le « principe d’enchaînement » : « le fait que la
succession des séquences et actions qui s’y trouvent incluses se déroule tantôt rapidement, tantôt
lentement, tantôt de façon ramassée, tantôt de façon étirées »442 :

TEMPO

Condensation Expansion

Le rythme443

a. la condensation

Les événements sont racontés de manière ramassée :

La voiture passa ; et, derrière, la Maheude aperçut Maheu qui accompagnait le brancard. Alors, quand
on eut posé ce brancard à sa porte, quand elle vit Jeanlin vivant, avec ses jambes cassées, il y eut en elle
une si brusque réaction qu’elle étouffa de colère444.

Le saut dans le temps peut être marqué par des indices temporels (cinq ans plus tard, quelque temps
après, au bout de quelque temps, etc.) :

Trois semaines se passèrent. On avait pu éviter l’amputation, Jeanlin conserverait ses deux jambes,
mais il resterait boiteux445.

b. l’expansion
Le développement narratif est arrêté, faisant place à une description :

Il arriva dans cette ville immense par l’ancienne entrée, qui était toute barbare, et dont la rusticité
dégoûtante offensait les yeux. Toute cette partie de la ville se ressentait du temps où elle avait été bâtie
[…]. Babouc se mêla dans la foule446.

441
Emile Zola, Germinal, Fasquelle, Paris, 1974, p. 97
442
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 751
443
Idem
444
Emile Zola, op. cit., pp. 187-188
445
Ibidem, p. 188
446
Voltaire, « Le monde comme il va », in Les 20 meilleures nouvelles françaises, Editions Seghers, Paris, 1961, p. 75
81
La sémiotique narrative réduit le temps à une catégorie secondaire, de l’ordre chronologique : « si
l’œuvre narrative est concordance temporelle c’est que, en premier lieu, "l’acte narratif" qui
l’inaugure et la construit est résolution de la problématique temporelle »447.

II.2.3. Le repérage spatio-temporel

a. Les procédés liés au repérage temporel portent sur le « principe de repérage » : « la situation
dans le temps dont l’opposition "actions situées dans le passé/les actions situées dans le présent"
produit des effets de récit »448 : les récits historiques racontés au présent :

Vers 1440, le royaume n’est pas encore en paix. Les tentatives pour attaquer la Normandie anglaise
échouent. Les princes, que la crise frappe de plein fouet, tentent de retrouver le contrôle de la
monarchie449.

SITUATION

Passé Présent

La situation dans le temps450

b. La localisation dans l’espace « dont les oppositions "actions localisées dans un espace clos/
actions localisées dans un espace ouvert", et "actions manifestant un déplacement dans
l’espace/actions manifestant une fixation dans l’espace" produisent des effets de scène, de climat,
d’atmosphère »451.

LOCALISATION

clos / ouvert déplacement / fixité

La situation de la localisation452

- espace ouvert :

Bientôt quatre ou cinq cavaliers apparurent et dévalèrent la pente à fond de train. L’aveugle,
complètement affolé par le bruit, resta au milieu de la route et fut brutalement renversé. Il roula de côté,
puis s’écrasa, face contre terre, et ne bougea plus453.

447
Jacques Bres, La Narrativité, Editions Duculot, Paris, 1994, p. 69
448
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 753
449
Il était une fois la France, Sélection du Reader’s Digest, Paris, 1987, p. 112
450
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 753
451
Idem
452
Ibidem, p. 754
453
Robert-Louis Stevenson, L’île au trésor, Editions LITO, Paris, 1981, p. 19
82
- espace clos :

La barrique était presque vide, il ne restait que deux ou trois pommes. Pour les atteindre je dus sauter
dedans. Je m’assis au fond pour manger et je commençais doucement à m’assoupir, bercé par le roulis
et le bruit de la mer454.

II.3. La perspective de locution

Jacques Moeschler estime que « l’ordre temporel a une caractéristique importante : il signale,
généralement, un discours narratif, un récit »455. Cet ordre est très important dans la fixation des
relations de discours.
La notion de « temps » se définie, en général, par deux termes distincts, l’un de la linguistique et
l’autre du vécu. Ainsi, distingue-t-on en anglais les termes tense et time, en allemand Zeit, en
français temps du latin tempus : « le temps est un constituant nécessaire mais non suffisant pour
définir un texte (ou une séquence) comme un récit »456. Pourtant le temps ne sert pas seulement à
désigner la temporalité, « mais il signifie aussi un rapport particulier entre celui qui parle et ce dont
on parle »457. Ce rapport avec l’instance de l’énonciation est nommé le temps du discours et
s’organise autour du présent en indiquant « le moment où l’on parle ». Les autres temps verbaux se
fondent sur le présent et expriment soit l’évolution chronologique des événements (il parle, il
parlait, il a parlé, il parlera) par référence à la situation d’énonciation et à l’aide des déictiques
temporels (hier, aujourd’hui, demain, etc.), soit la tentative de cacher les conditions d’énonciation,
en décrivant une action isolée du présent par « l’intention codée du locuteur » (il parla, il parlait, il
avait parlé, il parlerait, etc.) : « la complexité du temps narratif tient au fait que plusieurs couches
temporelles se croisent au sein de toute narration »458 ; c’est-à-dire une temporalité externe : la date
de la production, la date de la publication et une temporalité interne : le temps de l’histoire et le
temps lié à la linéarité de l’énoncé459.
Dans son article « Les relations des temps dans le verbe français », Emile Benveniste part de la
redondance du passé simple et du passé composé pour réaliser une analyse des temps verbaux. Selon
lui, ces temps appartiennent à deux systèmes distincts et complémentaires qui correspondent à deux
plans d’énonciation différents: celui de l’histoire (le passé simple) et celui du discours (le passé
composé). Ainsi oppose-t-il temps du discours (présent, futur, passé composé, plus-que-parfait) et
temps de l’histoire (passé simple, imparfait, conditionnel, plus-que-parfait, prospectif)460. Il explique
la redondance particulière du français (écrit vs usage) et met en correspondance le système temporel
et le système personnel, en introduisant l’idée de plans d’énonciation (le discours et l’histoire). Dans
le discours, tous les temps sont permis, sauf le passé simple, et toutes les personnes sont autorisées.
Le discours suppose un locuteur et un auditeur, le premier ayant l’intention d’influencer l’autre.
Dans l’histoire, la première personne est exclue et les temps sont au nombre de trois : passé simple,
imparfait (+conditionnel) et plus-que-parfait.
Toutefois, la redondance n’existe plus dans la mesure où le passé composé appartient au
discours, le passé simple à l’histoire et l’imparfait étant commun aux deux plans d’énonciation,
complétés par les deux systèmes de pronoms personnels : les pronoms personnels ou indicateurs (je
et tu) relèvent seuls du discours, alors que les pronoms de la troisième personne ou substituts
(dénotant une non-personne) sont caractéristiques de l’histoire.

454
Ibidem, p. 40
455
Jacques Moeschler, « Pragmatique de la référence temporelle », in Le temps des événements. Pragmatique de la
référence temporelle, Editions Kimé, Paris, 1998, p. 170
456
Jean-Michel Adam et Françoise Revaz, L’analyse des récits, Seuil, Paris, 1996, p. 43
457
Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, Paris, 1972, p. 398
458
Jean-Michel Adam et Françoise Revaz, op. cit. p. 43
459
Idem
460
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966, pp. 237-250
83
Dans le volume Le Temps, Harald Weinrich estime que « parmi les signaux transmis par les
temps, nous connaissons déjà ceux qui caractérisent l’attitude de locution (=commentaire vs. récit).
Leurs différentes valeurs, placées sur l’axe locuteur-auditeur, viennent régler l’attitude des deux
partenaires par rapport à l’information».461 Les temps verbaux qui signalent des attitudes de
locution, des attitudes tendues (le commentaire – le monde commenté) et détendues (le récit – le
monde raconté) correspondent aux plans de l’énonciation de Benveniste.
La perspective de locution indique la relation entre temps du texte («la linéarité de la chaîne
parlée »462) et le temps de l’action (« le point ou le segment du temps auquel correspondent le
contenu de la communication »463).
Nous avons vu que la théorie de l’énonciation permettait l’emploi du passé composé comme un
passé du « discours ». Ainsi, Weinrich donne-t-il l’exemple de L’Etranger, écrit au passé composé :
« Camus a-t-il choisi le Passé composé comme forme de l’absurde ? »464 :

Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant, Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau
qu’il m’a présenté dans le soleil465.

Jacques Moeschler établit trois perspectives de locution :


1. le temps zéro (temps non-marqué) : le présent (le commentaire), le passé simple et l’imparfait (le
récit) ;
2. la rétrospection (le temps de l’action est « en arrière ») : passé composé (le commentaire), plus-
que-parfait et passé antérieur (le récit) ;
3. la prospection (le temps de l’action est « ce qui va arriver ») : futur (le commentaire) et
conditionnel (le récit)466.
L’opposition entre le passé simple et l’imparfait du point de vue fonctionnel et textuel concerne,
selon Weinrich, la nature de l’information rapportée : « l’imparfait est dans le récit "le temps de
l’arrière plan", le passé simple est le "temps du premier plan" »467. Cela veut dire que les
événements décrits à l’imparfait sont marginaux tandis que si les événements du premier plan sont
au passé simple, c’est parce que « le narrateur se trouve limité par certaines lois fondamentales de
la narrativité. Elles veulent que le premier plan soit habituellement ce pourquoi l’histoire est
racontée »468. Roland Barthes considère que le passé simple « retiré du français parlé, pierre
d’angle du Récit, signale toujours un art ; il fait partie d’un rituel des Belles-Lettres »469.
Selon Jacques Moeschler, ni la perspective de Benveniste, ni celle de Weinrich ne permettent de
décrire correctement les faits ou d’établir la moindre prédication. Il combat la théorie de Benveniste
en s’appuyant, d’une part sur le fait que les cas de récits à la première personne constituent une
contrainte beaucoup trop forte, et d’autre part, la typologie qu’il fonde ne peut correspondre qu’aux
« pôles extrêmes d’un continuum, où le récit autobiographique aurait une position intermédiaire »
470
.
La théorie de Harald Weinrich n’est adéquate ni du point de vue de la description ni du point de
vue de l’explication, « elle est incapable de décrire correctement les phrases au style indirect libre
(c’est le niveau du texte et non pas celui des phrases qui intéresse) et de donner une description
cohérente du conditionnel (il n’est pas un temps verbal exclusif du récit) »471.

461
Harald Weinrich, Le temps, Seuil, Paris, 1973, p. 67
462
Ibidem, p. 67
463
Ibidem, p. 68
464
Ibidem, p. 309
465
Albert Camus, L’Etranger, Gallimard, Paris, 1957, p. 89
466
Anne Reboul et Jacques Moeschler, Pragmatique du discours. De l’interprétation de l’énoncé à l’interprétation du
discours, Armand Colin, Paris, 1998, p. 105
467
Harald Weinrich, op. cit., p. 115
468
Idem
469
Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Seuil, Paris, 1972, p. 27
470
Anne Reboul et Jacques Moeschler, op. cit., p. 106
471
Ibidem, p. 107
84
Anne Reboul et Jacques Moeschler proposent d’analyser les temps verbaux dans la perspective
sémantique parce qu’ils ont une signification et permettent d’accéder à une représentation de
l’événement. Ils continuent leur analyse en affirmant que, pour interpréter un discours ou un récit, on
doit être capable de 472:
- identifier la classe aspectuelle (état, événement) de chaque énoncé;
- déterminer la référence temporelle de chaque état / événement;
- déterminer la relation entre les événements ou états (précédence temporelle, inclusion).
Dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Oswald Ducrot et Tzvetan
Todorov affirment que « la littérature narrative, et même plus généralement tout récit, utilisent de
préférence les temps du second groupe ("de l’histoire", " non-déictique", " narratif", etc.) »473. Ils
font une synthèse de la problématique temporelle du récit474, réalisant une distinction du point de vue
sociologique et historique entre les temps internes et les temps externes :
1. les temps internes (inscrits dans le texte)
- le temps de l’histoire (ou temps de fiction, temps raconté, représenté), « temporalité propre à
l’univers évoqué »475 ;
- le temps de l’écriture (ou de la narration, ou racontant), « temps lié au processus de l’énonciation,
également présent à l’intérieur du texte »476 ;
- le temps de lecture, « représentation du temps nécessaire pour que soit lu le texte »477 ;
2. les temps externes (avec lequel le texte entre en relation) :
- le temps de l’écrivain ;
- le temps du locuteur ;
- le temps historique (« le temps qui fait l’objet de l’histoire, en tant que science »)478.
Parfois, le temps de l’histoire et le temps de l’écriture coïncident, mais le livre ne raconte pas
seulement l’histoire, il surprend ainsi l’histoire du livre même. Ces deux temps (de l’écriture et de
l’histoire) entrent en relation, c’est pourquoi on peut les analyser selon plusieurs perspectives.

1. Du point de vue de la direction, « les événements se suivent dans l’univers évoqué de manière
analogue à la suite des phrases qui, dans le texte, les racontent »479. Etant donné que l’univers
évoqué est organisé sur plusieurs lignes temporelles et que le récit a ses propres exigences,
différentes de celles de l’univers, il se produit une rupture entre les deux temps qui auraient dû être
parallèles, pour créer l’effet de suspens de deux manières :
a. par l’inversion, en présentant au début la conséquence d’une action et ensuite les causes qui l’ont
produite. On présente, par exemple, premièrement, la situation actuelle d’un personnage et plus tard
les événements qui ont contribué à cette évolution ou involution ;
b. par des histoires enchâssées : on interrompt l’histoire pour en commencer une autre ou plusieurs
(Mille et une nuits, Décaméron de Boccace ou The Stories of Canterbury de Geoffrey Chaucer), en
utilisant, soit le passé, soit le futur.

2. Du point de vue de la distance entre les deux temps, il y a deux cas : « celui où aucun rapport ne
peut exister entre les deux temporalités (légendes, mythes, etc.) ; et celui où les deux coïncident
totalement »480, évidemment surtout dans le récit à la première personne.

3. Du point de vue de la quantité proportionnelle de temps de l’histoire dans le temps de l’écriture,


on met en évidence :
472
Ibidem, p. 114
473
Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, op. cit., p. 400
474
Idem
475
Idem
476
Idem
477
Idem
478
Idem
479
Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, op, cit., p. 401
480
Ibidem p. 402
85
a. l’escamotage : « à une unité du temps de l’histoire ne correspond aucune unité du temps de
l’écriture » ;
b. le résumé : « à une unité du temps de l’histoire correspond une unité inférieure du temps de
l’écriture » ;
c. le style indirect : « à une unité du temps de l’histoire correspond une unité identique du temps de
l’écriture » ;
d. l’analyse : « à une unité du temps de l’histoire correspond une unité plus large du temps de
l’écriture » ;
e. la digression : « aucune unité du temps de l’histoire ne correspond à une telle unité de temps de
l’écriture »481.

4. La quantité événementielle contribue à apprécier le rythme et la densité.

5. La projection du temps de l’histoire sur le temps de l’écriture revêt plusieurs formes :


a. la simultanéité qui surprend le dédoublement spatial à l’intérieur du temps de l’histoire ;
b. la vision stéréoscopique – une histoire est narrée plusieurs fois par plusieurs personnages ;
c. la répétition d’une partie du texte.
Nadine Toursel et Jacques Vassevière considèrent que « la temporalité est l’armature même du
roman traditionnel qui prétend reproduire le déroulement "naturel" du temps. Cette temporalité
n’existe plus dans le Nouveau Roman. Le lecteur, contraint de remettre en cause ses habitudes de
lecture, doit participer à la création du récit »482.
Le discours doit être cohérent, motivé, réalisé par enchaînement (succession, parallélisme,
symétrie, etc.) et fournisseur de repères qui concernent la localisation dans l’espace, la situation dans
le temps et la caractérisation des actants. Un autre élément spécifique est la présence du narrateur
(écrivain, témoin, personnage) et du lecteur réel ou fictif.
En ce qui concerne les temps verbaux, le passé simple est le temps du récit :

Il découvrit une petite grotte au milieu de la pente presque verticale d’un des rochers. Il prit sa course,
et bientôt fut établi dans cette retraite. – Ici, dit-il, avec des yeux brillants de joie, les hommes ne
sauraient me faire de mal. – Il eut l’idée de se livrer au plaisir d’écrire ses pensées, partout ailleurs si
dangereux pour lui. Une pierre carrée lui servait de pupitre. Sa plume volait : il ne voyait rien de ce qui
l’entourait. Il remarqua enfin que le soleil se couchait derrière les montagnes éloignées du
Beaujolais483.

Cet exemple prouve que la description et le récit ne sont pas de formes qui apparaissent
distinctement. Ils se mêlent souvent pour donner de l’expressivité au discours.
Dans le discours, entre les catégories du temps et celles de personne, il y a une forte liaison. Le
narrateur ne peut jamais être absent et, parfois, il s’identifie avec le lecteur. L’écrivain transmet des
informations sur son époque culturelle, sur ses systèmes de représentations, mais le lecteur a le rôle
d’interpréter le message en fonction de son système culturel et de son temps historique.

II.4. Les instances du texte littéraire

Le mode d’organisation narratif permet de distribuer la succession des actions et des


événements dans lesquels les personnages sont impliqués.
Maria Carpov, dans le livre Introducere la semiologia literaturii, estime que, pour produire des
récits, « les acteurs accomplissent des tâches, passent par des épreuves, atteignent des buts »484.

481
Ibidem, pp. 402-403
482
Nadine Toursel et Jacques Vassevière, Littérature : textes théoriques et critiques, Armand Colin, Paris, 2001, p. 117
483
Stendhal, Le Rouge et le Noir, Editions Garnier Frères, Paris, 1973, p. 69
484
Maria Carpov, Introducere la semiologia literaturii (Introduction à la sémiologie de la littérature), Editura Univers,
Bucureşti, 1978, p. 222
86
D’une part, le discours descriptif n’obéit à aucun principe de clôture (on ne peut pas le résumer),
ni de logique syntaxique outre que celle qui lui est imposée de l’extérieur, le sujet qui décrit ayant le
rôle d’observateur (les détails), de savant (il identifie, nomme et classe les événements et leurs
propriétés) et de descripteur (il montre et évoque). De l’autre côté, le discours narratif possède une
structure logique sous-jacente à la manifestation (« une épine dorsale narrative ») et une structure
sémantisée qui s’appuie sur la structure logique et la transforme. En plus, le sujet qui narre devient
un témoin qui est pris en charge (même d’une manière fictive) avec le vécu, c’est-à-dire avec ce qui
est de l’ordre de l’expérience dans laquelle on voit comment les êtres se transforment sous l’effet de
leurs actes.

Lecteur
MONDE DU RÉCIT « modèle »
Auteur concret (abstrait)
(« réel »)

Narrateur ...................... Narrataire


[Acteurs]

Lecteur concret
Auteur
abstrait LECTURE (« réel »)

Les décalages des instances selon Jean-Michel Adam485

Le Groupe µ établit quatre opérations de transformation de l’espace dans le discours486 :


1. La suppression de la représentation « où le narrateur fait montre d’objectivité en ne trahissant pas
sa présence »487 : Hemingway (narrateur < personnage) ;
2. L’adjonction de la représentation du narrateur crée la « vision omnisciente » : Balzac (narrateur >
personnage) ;
3. La suppression-adjonction, « qui substitue à la représentation du narrateur la perception
subjective d’un personnage »488 : Camus, L’Etranger (narrateur = personnage) ;
4. La permutation des points de vue des personnages : Lanclos (Les liaisons dangereuses).
Les instances qui fonctionnent dans le récit forment la série suivante489 :
- narrateur → focalisateur → acteur qui ont chacune une activité:
↓ ↓
- narration → focalisation → action dont les objets sont :
↓ ↓
- narré → focalisé → objet de l’action
Dans le cadre du discours narratif, nous identifions quelques éléments spécifiques. Par
conséquent, les actants jouent des rôles narratifs établis soit par le contexte, soit par leur nature :
« les fonctions qui les définissent constituent un jeu d’acceptations et de refus d’obligations entre
parties contractantes et provoquent, à chaque moment, de nouvelles distributions et redistributions
des rôles »490.
Algirdas-Julien Greimas note ainsi les actants du récit491 :

D1 (destinateur) vs D2 (destinataire)
S (sujet-héros) vs O (objet-valeur)
A (adjuvant) vs T (opposant-traître)

485
Jean-Michel Adam, 1994, p. 226
486
Groupe µ, Rhétorique générale, Seuil, Paris, 1982, pp. 187-188
487
Ibidem, p. 188
488
Nadine Toursel et Jacques Vassevière, op. cit., p. 110
489
Maria Gertrudis Bal, Narratologie, Editions Klincksieck, Paris, 1977, p. 32
490
Algirdas-Julien Greimas, « Eléments pour une théorie de l’interprétation du récit mythique », in Communications, no
8, Seuil, Paris, 1966, p. 45
491
Idem
87
Maria Carpov fait une analyse des « principales instances articulatores » de Greimas et
considère que « les programmes narratifs sont des unités narratives qui tiennent de la syntaxe
actantielle qui peut être appliquée à n’importe quel type de discours »492. Pour la sémioticienne
roumaine, « entre les "actants" et les "rôles actantiels" il y a la différence entre "virtualité" et
"actualisation", et dans le cas de l’actualisation des rôles se trouvent des différences déterminées
par les "modalités" »493.
Par la nature des rôles, on identifie des actants qui agissent (agresseur, bienfaiteur, allié,
opposant, rétributeur) d’une manière in/volontaire ou in/directe, et des actants qui subissent (victime,
bénéficiaire).
Patrick Charaudeau494 fait la différence entre les actants de langue et les actants narratifs :
1. Les actants de langue sont observés dans l’analyse d’une phrase : Pierre a offert un bouquet de
fleurs à sa mère : l’agent Pierre, le patient bouquet de fleurs et un destinataire, à sa mère.
2. Les actants narratifs se hiérarchisent :
- du point de vue de leur nature : les actants narratifs de base sont des actants humains, classifiés en
actant qui agit (l’agent), actant qui subit (le patient), à quoi s’ajoutent des circonstants, qui gravitent
autour de ceux-ci.
- du point de vue de leur importance, les actants sont : principaux et secondaires (satellites).
« Dans une conception purement structuraliste, dit Charaudeau, l’actant devrait être considéré
comme une forme vide de contenu qui se définit par sa fonction, et qui pourrait donc être remplie
par n’importe quel contenu sémantique sans que cette fonction s’en trouve modifiée. […] il n’existe
pas d’actant à l’état pur »495.
Il y a ainsi un jeu de correspondances entre l’actant et le personnage :
- 1 actant – n personnages : un actant ayant un certain rôle narratif peut être occupé par différents
types de personnages : le rôle d’agent-agresseur peut être rempli par un dragon, un ogre496 ou une
famille royale497 ;
- 1 personnage – n actants : un même personnage peut jouer plusieurs rôles narratifs et occuper la
place d’actants différents, au cours d’une même histoire : Avenant498 est à la fois agent-bienfaiteur,
agent-agresseur ou patient.
Cette variété du monde des personnages, patients ou agents, donne de la variété et de la beauté au
conte. Les enfants le comprennent tout simplement comme le Bon et le Mauvais, et tout le conte est
une continuelle lutte entre les deux, où, normalement, le Bon est toujours triomphant.
Celui qui raconte n’est pas celui qui écrit. Bien qu’apparemment soit la même personne
(l’autobiographie), « on ne peut confondre l’"individu", être psychologique et social, l’"auteur", être
ayant écrit par exemple un roman, et le "narrateur", "être de papier", qui raconte une histoire »499.
Le lecteur se confronte avec le même problème : « on ne peut confondre tel "individu" avec le
"lecteur réel" qu’il devient à un moment donné et auquel il est demandé un minimum de
"compétence de lecture", ni ce lecteur réel avec le "lecteur", "être de papier", qui se trouve impliqué
dans l’histoire comme destinataire d’une histoire racontée par un narrateur »500.
Le récit enchaîne « une mise en narration » sur deux espaces de signification :
- un espace externe au texte (extratextuel) ;
- un espace interne au texte (intratextuel).
Cette mise en narration comporte quatre sujets : l’auteur, le narrateur, le lecteur réel et le lecteur-
destinataire.

492
Maria Carpov, op. cit., p. 221
493
Ibidem, p. 226
494
Patrick Charaudeau, Grammaire du sens et de l’expression, Hachette, Paris, 1992, pp. 718-723
495
Patrick Charaudeau, op. cit., p.720
496
Mme d’Aulnoy, La Belle aux cheveux d’or, in François, Sylvie, (choisis par) 58 contes et récits pour Véronique,
Librairie Gründ, Paris, 1957, pp. 287-291
497
Comtesse de Ségur, in op. cit., pp. 36-63
498
Mme d’Aulnoy, op. cit., pp. 276-295
499
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 755
500
Idem
88
II.4.1. L’auteur/ le lecteur réel

Patrick Charaudeau fait la distinction entre l’auteur et le lecteur réel. Selon lui, l’auteur peut
avoir deux identités :
- l’identité d’un individu qui vit et agit dans la vie sociale. Il porte un nom propre et a une biographie
personnelle : « auteur-individu » ;
- l’identité d’un individu qui joue un rôle social particulier, celui d’écrivain. Il a un projet d’écriture,
il a un nom propre d’écrivain et a une biographie publique : « auteur-écrivain »501.
Le projet d’écriture est annoncé par l’auteur dans la préface, préambule, avertissement, ou le titre de
l’ouvrage.

Nous avons choisi ici l’approche narratologique (ou interne), qui a deux grandes
caractéristiques502.

La plupart des romanciers, à l’époque où paraissent les Lettres Persanes, se font passer pour
de simples éditeurs : ils avaient entre leurs mains des mémoires secrets, des papiers
intéressants, qu’ils livrent au public pour son instruction.503

(Individu) (Individu)
Témoignage
du Vécu

LECTEUR
AUTEUR
RÉEL
Projet
d’ écriture
(Ecrivain) (Compétence de lecture)

(Historien) (d’histoire)
Histoire racontée
comme réelle

LECTEUR
NARRATEUR
DESTINATAIRE

Histoire racontée
comme fiction
(Conteur) (d’histoire inventée)

Le dispositif narratif dans la conception de Patrick Charaudeau504

501
Ibidem, pp. 757-758
502
Yves Reuter, L’analyse du récit, Avant-Propos, Dunod, Paris, 1997, p. 7
503
Jean Starobinski, « Préface », Montesquieu, Lettres Persanes, Gallimard, Paris, 1973, p. 7
504
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 756
89
II.4.2. Le narrateur / le lecteur-destinataire

Le narrateur existe dans le monde de l’« histoire racontée », il a le rôle de « sujet racontant ».
« Le narrateur – qu’il soit apparent ou non – n’existe que dans et par le texte, au travers de ses
mots »505. Il peut être un historien ou un conteur :
- un historien qui arrange l’ « histoire racontée », d’une manière très objective, conformément à la
réalité ; « narrateur-historien »506. Il entraîne le lecteur à l’examen de la réalité :

Nous connaissons avec une parfaite précision la composition, vingt ans après la conquête, les
différentes classes de la nation, car en l’an 1085, Guillaume le Conquérant « porta sa couronne à
Gloucester et tint un profond discours avec ses hommes sages »507.

- un conteur qui arrange « l’histoire racontée comme appartenant à "un monde inventé", créé par
son ordonnateur, en rapport avec tous les autres mondes inventés ; un monde qui n’accepte d’autres
codes et d’autres lois que ceux et celles de "la fiction" »508 ; « narrateur-conteur ». Il entraîne le
lecteur dans « un monde de fiction » :

Le lendemain, dès cinq heures, avant que Mme de Rênal fût visible, Julien avait obtenu de son mari un
congé de trois jours. Contre son attente, Julien se trouva le désir de la revoir, il songeait à sa main si
jolie.509

Le lecteur est « un être humain qui a existé, existe ou existera, en chair et en os dans notre
univers. Son existence se situe dans le "hors texte" »510. L’écrivain construit « textuellement »
l’image du lecteur, quel que soit le public.
Selon Jaap Lintvelt, le texte narratif littéraire se caractérise par une interaction dynamique entre
les différentes instances qui peuvent être situées sur quatre plans511 :
1. auteur concret – lecteur concret ;
2. auteur abstrait – lecteur abstrait ;
3. narrateur fictif – lecteur fictif ;
4. acteur – acteur.
Pour réaliser une analyse complexe de ces instances, nous proposons le roman L’Etranger
d’Albert Camus.

Huit tours après, le juge d’instruction, au contraire, m’a regardé avec curiosité. […] Puis il a voulu
savoir si j’avais choisi un avocat. J’ai reconnu que non et je l’ai questionné pour savoir s’il était
absolument nécessaire d’en avoir un. « Pourquoi ? » a-t-il dit. J’ai répondu que je trouvais mon affaire
très simple. Il a souri en disant : « C’est un avis. Pourtant, la loi est là. Si vous ne choisissez pas
d’avocat, nous en désignerons un d’office. » J’ai trouvé qu’il était très commode que la justice se
chargeât de ces détails. Je le lui ai dit. Il m’a approuvé et a conclu que la loi était bien faite. 512

Dans l’hypertexte cité, l’auteur concret Albert Camus est né en Algérie, en 1913 et il est mort à
47 ans. En composant son œuvre littéraire, l’auteur concret réalise une projection littéraire de lui-
même, un auteur implicite, ou abstrait. Celui-ci dispose d’une certaine position interprétative ou
idéologique, qui peut être déduite seulement « indirectement, par le choix d’un monde romanesque
spécifique tout comme les positions idéologiques représentées par les instances fictives qui lui

505
Yves Reuter, op. cit., p. 13
506
Ibidem, p. 759
507
André Maurois, Histoire d’Angleterre, Arthème Fayard, Paris, 1937, p. 73
508
Patrick Charaudeau, op. cit., p. 759
509
Stendhal, op. cit., p. 66
510
Yves Reuter, op. cit., p. 13
511
Jaap Lintvelt, Essai de typologie narrative, Librairie José Corti, Paris, 1981, p. 16
512
Albert Camus, L’Etranger, Gallimard, Paris, 1957, pp. 93-94
90
serviront de porte- paroles » 513 .
Pourtant, dans le roman de Camus, on peut constater l’existence d’un décalage entre l’idéologie
de l’auteur implicite et les opinions exprimées par les personnages. L’ironie exprimée dans le texte
ci-dessus n’est pas attribuée à Meursault, ni au juge d’instruction ; elle appartient à l’auteur
implicite.
Dans un autre fragment, l’auteur abstrait se détache, par ironie, des personnages du roman. Il
dénonce, implicitement, un système judiciaire qui condamne à mort un homme parce qu’il a «
enterré une mère avec un cœur de criminel »
Le but de l’auteur abstrait est double : accuser une société arbitraire et défendre Meursault, qui
apparaît comme une victime innocente d’un monde absurde. Le narrateur de L’Etranger n’est pas
Camus, même si ses idées apparaissent au cours du roman ; le narrateur est quelqu’un qui
« connaît » le monde et les hommes au milieu desquels vit Meursault ; Camus ne fait que s’imaginer.
L’auteur implicite ne peut pas intervenir dans son œuvre, comme sujet énonciateur. « Il pourra
seulement se dissimuler derrière le discours idéologique du narrateur fictif, mais dans ce cas-là
c’est le narrateur qui s’énonce et point l’auteur implicite » 514.

Mais mon avocat, à bout de patience, s’est écrié en levant les bras, de sorte que ses manches en
retombant ont découvert les plis d’une chemise amidonnée: « En fin, est-il accusé d’avoir enterré sa
mère ou d’avoir tué un homme ? » Le public a ri. Mais le procureur s’est redressé encore, s’est drapé
dans sa robe et a déclaré qu’il fallait avoir l’ingénuité de l’honorable défenseur pour ne pas sentir qu’il
y avait entre ces deux ordres de faits une relation profonde, pathétique, essentielle. « Oui, s’est-il écrié
avec force, j’accuse cet homme d’avoir enterré une mère avec un cœur de criminel ». Cette déclaration
a paru faire un effet considérable sur le public.515

Dans une narration à la première personne peut apparaître une assimilation fonctionnelle entre le
narrateur et le personnage, le personnage accomplissant tant la fonction de représentation que celle
d’action. Pourtant, considère Lintvelt, la distinction entre le narrateur et l’acteur doit être maintenue,
car « à l’intérieur du personnage il faudra distinguer entre le personnage-narrateur, assumant la
fonction narrative, et le personnage-acteur, remplissant la fonction d’action »516.
Dans le premier fragment cité ci-dessous, le personnage est le narrateur, dans le deuxième, nous
pouvons identifier le personnage-acteur.

Les journalistes tenaient déjà leur stylo en main. Ils avaient tous le même air indifférent et un peu
narquois. Pourtant, l’un d’entre eux, beaucoup plus jeune, habillé en flanelle grise avec une cravate
bleue, avait laissé son stylo devant lui et me regardait517.

Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein
gosier et je l’ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. […] Lui parti, j’ai retrouvé mon calme. J’étais
épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j’ai dormi parce que je me suis réveillé avec les
étoiles sur le visage518.

Nous pouvons nous demander si, dans le cas de L’Etranger, la distinction entre l’auteur abstrait
et l’auteur concret n’est pas fondée, si leur assimilation ne nous tendrait pas un piège de l’analyse
biographique, en négligeant ainsi l’analyse immanente du texte narratif comme structure artistique.
Dans le cas des récits à la troisième personne lorsque le narrateur s’identifie avec son
personnage, cette opposition est neutralisée. Par exemple, Emma Bovary est acteur, elle remplit la
fonction d’action, et en même temps elle assume la fonction de représentation.
Il faut faire la distinction entre l’univers artistique de l’œuvre littéraire et la réalité socio-
513
Jaap Lintvelt, op. cit., p. 17
514
Jaap Lintvelt, op. cit., p. 25
515
Albert Camus, op. cit., pp. 141-142
516
Jaap Lintvelt, op. cit., p. 29
517
Albert Camus, op. cit., p. 126
518
Ibidem, pp. 175-178
91
culturelle, entre les instances littéraires et les instances concrètes, pour examiner ensuite les rapports
dynamiques qui pourront les unir.
Le narrateur « peut accomplir plusieurs fonctions optionnelles »519. Les fonctions du narrateur
sont illustrées par des types de discours auctoriel :
- rapport narrateur/narrataire ;
- rapport narrateur/ récit ;
- rapport narrateur/histoire.520

II.4.3. Le lecteur modèle / le lecteur empirique

Umberto Eco mentionne l’existence d’un Lecteur Modèle, un lecteur qui sait respecter les règles
du jeu : « capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait et
capable aussi d’agir interprétativement comme lui a agi générativement »521. Ce lecteur est
construit par l’auteur qui envisage son œuvre pour un certain type de lecteur. A ce type de lecteur
s’oppose un autre type : celui de Lecteur Empirique, qui est en fait « tout le monde, nous tous, vous
et moi, quand nous lisons un texte »522. Chacun de ces deux termes implique en contrepartie un
autre : Auteur Modèle et Auteur Empirique. Le dernier est la personne, l’homme qui a une vie
connue par l’intermédiaire des biographies. L’auteur qui compte, c’est l’auteur modèle, qui « est une
voix qui nous parle de manière affectueuse (ou impérieuse ou cachée), qui nous veut à ses côtés ;
cette voix se manifeste comme stratégie narrative, comme ensemble d’instructions nous étant
imparties pas à pas, auxquelles on doit obéir lorsque l’on décide de se comporter en lecteur
modèle »523. Eco compare l’auteur modèle à une voix, ce qui implique un « auditeur », et cela nous
fait considérer ce type d’auteur comme étant du même type que le lecteur modèle, c’est-à-dire une
sorte d’invention, ce qui nous mène à la conclusion que l’auteur et le lecteur modèle sont des idéals,
des images, donc tout tient de la perspective dont nous envisageons le texte – ce qui implique cette
relation texte-lecteur. Dans un texte il y a beaucoup de signes ayant la fonction d’induire le sens
propre au lecteur. Eco précisait que le lecteur doit les saisir pour se convertir en « lecteur modèle » :
la voix de l’auteur modèle doit être obéie « lorsqu’on se décide de se comporter en lecteur
modèle »524.

II.4.4. Le lecteur idéal / le lecteur contemporain

Wolfgang Iser considère que les deux principaux types de lecteurs sont : le lecteur idéal et le
lecteur contemporain. Le lecteur idéal est « une construction pure »525, c’est une fiction. Chez le
lecteur contemporain, c’est « plutôt le substrat empirique qui sert à soutenir la validité d’énoncés
sur l’effet littéraire »526. Pour le lecteur contemporain, ce sont les jugements portés sur l’œuvre qui
« reflètent certains points de vue et certaines normes en vigueur parmi le public contemporain, de
sorte que le code culturel dont dépendent ces jugements se réfléchissent dans la littérature »527. En
ce qui concerne le lecteur idéal, celui-ci peut être le critique littéraire ou le philosophe, et il devrait :
- « avoir le même code que l’auteur »528 ;
- « épuiser le potentiel du sens du texte de fiction »529 ;
- « épuiser le potentiel de sens du texte indépendamment de sa propre situation historique »530.

519
Ibidem, p. 61
520
Ibidem, pp. 61-64
521
Umberto Eco, Lector in fabula, Grasset, Paris, 1979, p.68
522
Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Bernard Grasset, Paris, 1996, p.16
523
Ibidem, p. 25
524
Idem
525
Wolfgang Iser, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Pierre Mardaga, Bruxelles, 1985, p. 61
526
Idem
527
Ibidem, pp. 61-62
528
Ibidem, p. 62
529
Ibidem, p. 63
92
II.5. Les Fonctions
II.5.1. A la recherche des unités

Ayant décidé d’analyser le conte comme système, nous devons découper le récit et déterminer les
segments du discours narratif que l’on peut distribuer dans un petit nombre de classes et essayer de
définir, les plus petites unités narratives.
Roland Barthes considère que « l’analyse ne peut se contenter d’une définition purement
distributionnelle des unités : il faut que le sens soit dès l’abord le critère de l’unité: c’est le
caractère fonctionnel de certains segments d’histoire qui en fait des unités : d’où le nom de
"fonctions" que l’on a tout de suite donné à ces premières unités »531.
Selon les Formalistes russes, tout segment de l’histoire qui constitue le terme d’une corrélation
est considéré comme unité. Le premier modèle d’analyse a été proposé par Vladimir Propp, sous le
nom de « morphologie » : « le mot "morphologie" signifie l’étude des formes »532.
Ainsi, pour Propp, « les fonctions représentent les éléments fondamentaux du conte, ceux dont
est formée l’action »533. D’après Barthes, « la fonction est évidemment, du point de vue linguistique,
une unité de contenu : c’est "ce que veut dire" un énoncé qui le constitue en unité fonctionnelle, non
la façon dont cela est dit »534.
Joseph Courtés considère que : « le caractère figuratif des actions s’évanouit quand elles cèdent
la place aux "fonctions" »535.
Dans l’Histoire de la Princesse Rosette, la Comtesse de Ségur nous présente la princesse
Rosette :

« Rosette était la plus jolie, la plus belle, la plus aimable et la plus excellente princesse du
monde entier. Jamais Rosette n’avait désobéi à sa nourrice et à sa marraine »536.

Cette obéissance, même dans ce portrait au superlatif, où toutes ses qualités sont énumérées, sera
très importante pour Rosette, car sa marraine, la fée Puissante, l’aide toujours seulement après avoir
testé justement cette qualité que l’on passe pour insignifiante au début. C’est pourquoi ce trait de la
princesse Rosette constitue une fonction, une unité narrative.
Il en reste une question : Est-ce que, dans un récit, tout est vraiment fonctionnel ? Est-il possible
que tout y signifie ? On admet qu’il y a plusieurs types de corrélations, plusieurs types de fonctions.
Roland Barthes estime que tout signifie a des degrés divers, et ce n’est pas une question d’art,
mais de structure : tout ce qui est noté dans un discours, est, par définition, notable : « tout a un sens
ou rien n’en a. On pourrait dire d’une autre manière que l’art ne connaît pas le bruit (au sens
informationnel du mot) : c’est un système pur, il n’y a pas, il n’y a jamais, d’unité perdue, si long, si
lâche, si tenu que soit le fil qui la relie à l’un des niveaux de l’histoire »537.
Dans un récit, dans un conte tout signifie, même le moindre détail a de l’importance : si l’on dit
qu’il y a une petite Gare de campagne, ces mots mêmes, « petite » et « de campagne » sont
importants pour le cours de l’histoire, car elle sera triste parce qu’une autre Gare, plus grande de la
ville, se moquera d’elle.538 De même, si on raconte que la ruche était accrochée à la branche d’un
arbre très élevé, dans La Lune et ses Enfants539, ce n’est que pour comprendre plus tard, pourquoi les

530
Idem
531
Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications no 8, Seuil, Paris, 1966, p. 6
532
Vladimir Propp, Morphologie du conte, Seuil, Paris, 1970, p. 6
533
Ibidem, p. 86
534
Roland Barthes, op. cit., p. 7
535
Joseph Courtés, Le conte populaire : poétique et mythologie, Presses Universitaires de France, Paris, 1986, p. 15
536
Comtesse de Ségur, Histoire de la Princesse Rosette, in op. cit., p. 37
537
Roland Barthes, op. cit., p. 7
538
Marie Guastalla, Histoire d’une petite Gare, in op. cit., pp. 9-15
539
Anne Chapman, Conte indien du Mexique, in op. cit., pp. 15-19
93
deux fils aînés de la Lune sont morts quand ils sont tombés de cet arbre ; donc c’est la hauteur de cet
arbre qui est très importante.
Ces exemples nous laissent voir que ce qui est signifiant pour une unité, pour une fonction, c’est
ce que l’on comprend quand on entend dire, quand on lit, et non pas la manière dont on dit. La
fonction est, du point de vue linguistique, une unité de contenu : c’est « ce que veut dire », un
énoncé et non la façon dont cela est dit. Puisque « la langue du récit » n’est pas la langue du langage
articulé, dans la détermination des unités, on doit toujours tenir compte qu’elles ne sont pas
identiques aux parties du discours narratif (actions, scènes, paragraphes, dialogues, monologues
intérieurs, etc.), ou aux classes « psychologiques » (sentiments, intentions, conduites, motivations,
rationalisations des personnages), ni aux unités linguistiques. Les fonctions peuvent coïncider, mais
occasionnellement, non systématiquement et sont représentées par des unités supérieures à la
phrase, ou inférieures : soit un groupe de phrases, soit un seul mot, un syntagme.

II.5.2. Les classes d’unités

Ces unités fonctionnelles dont nous avons parlé jusqu’ici, doivent être classifiées, réparties en
quelques classes formelles. Pour déterminer ces classes sans recourir à la substance du contenu, il
faut de nouveau considérer les différents niveaux de sens : certaines unités ont pour corrélats des
unités de même niveau, mais pour saturer les autres, on doit passer à un autre niveau. Il en résulte
deux grandes classes de fonctions : distributionnelles et intégratives.
La classe des unités distributionnelles correspond aux fonctions de Propp540, et aussi à celles de
Bremond541, mais Barthes les considère d’une façon infiniment plus détaillée que ces auteurs, le nom
de « fonctions » leur est réservé, bien que les autres unités soient, elles aussi, fonctionnelles. Le
modèle de cette classe : « l’achat d’un revolver a pour corrélat le moment où l’on s’en servira »542.
Lorsqu’Alice voit le terrier sous la haie où disparaît le lapin, elle va le suivre :

Tout de même, Alice bondit quand elle vit le lapin sortir une montre de son gilet, la regarder et courir
de plus belle, car vraiment elle ne se rappelait pas avoir vu un lapin avec une montre et un gilet.
Dévorée de curiosité, elle courut après lui, à travers champs, et arriva juste à temps pour le voir
disparaître dans un grand terrier sous une haie ; aussitôt Alice le suivit, sans réfléchir une seconde à la
façon dont elle pourrait en sortir.543

La seconde grande classe d’unités, les intégratives, comprend les « indices » : « l’unité renvoie
alors, non à un acte complémentaire et conséquent, mais à un concept plus ou moins diffus,
nécessaire cependant au sens de l’histoire »544. Nous avons par exemple les indices caractériels
concernant les personnages, des informations sur leur identité, etc. La relation entre l’unité et son
corrélat est intégrative, car on doit passer à un niveau supérieur où l’indice peut être dénoué.
Selon les Fonctions et les Indices, Roland Barthes fait un classement des récits: « Ces deux
grandes classes d’unités devraient permettre déjà un certain classement des récits. Certains récits
sont fortement fonctionnels (tels les contes populaires), et à l’opposé certains autres sont fortement
indiciels (tels les romans "psychologiques") ; entre ces deux pôles, toute une série de formes
intermédiaires, tributaires de l’histoire, de la société, du genre »545.
A l’intérieur de chacune de ces deux grandes classes, il est possible de déterminer deux sous-
classes d’unités narratives :
Les fonctions comprennent les fonctions cardinales ou noyaux et les catalyses. Cette distinction
est faite par rapport à leur importance à l’intérieur du récit. Les premières « constituent de véritables

540
Vladimir Propp, op. cit., p. 35
541
Claude Bremond, Logique du récit, Seuil, Paris, 1973, p. 131
542
Roland Barthes, op. cit., p. 8
543
Lewis Carroll, En suivant Lapin Blanc, in op. cit., p.22
544
Roland Barthes, op. cit., p. 8
545
Ibidem, p. 9
94
charnières du récit (ou d’un fragment du récit) »546, elles se réfèrent à une action qui ouvre,
maintient ou ferme une alternative conséquente pour la suite de l’histoire, qui inaugure ou conclue
une incertitude ; les autres « ne font que " remplir" l’espace narratif qui sépare les fonctions
charnières »547. Ces fonctions s’enchaînent les unes après les autres, les noyaux embrassent les
catalyses, comme dans Cendrillon, de Charles Perrault548, où, entre les noyaux : la promesse : « Je
t’y ferai aller » et le départ au bal, il y a les préparations ; entre l’apport de la citrouille et sa
transformation en « un beau carrosse tout doré », il y a les catalyses : « Sa marraine la creusa et
[…] la frappa de sa baguette »549. Ces catalyses constituent en fait toutes les actions qui se passent
entre les deux moments plus importants qui dirigent l’action, les noyaux.
Dans cet exemple, on voit qu’il y a une sorte d’embrassement des catalyses, et on peut penser à
deux types de noyaux : la promesse et le départ sont des fonctions cardinales situées à un autre
niveau dans le cours de l’histoire que les noyaux qui commencent et finissent les transformations à la
fin desquelles Cendrillon pourra aller au bal. En fait, les derniers noyaux s’intègrent dans les
premiers. Il y a toujours la possibilité d’une intégration générale à l’intérieur du conte : « un noyau
peut s’encastrer dans le développement d’un autre, et l’encadrement général (noyau principal par
rapport aux noyaux internes) est toujours possible »550, car deux noyaux peuvent se succéder, et
cette succession est par chaînons, ou par niveaux, d’après la manière dont la fin épuise toutes les
possibilités de l’action, ou provoque simultanément l’ouverture du noyau suivant. « La mort d’un
personnage peut clore, définitivement le conflit auquel il était mêlé – et c’est la boucle – ou, au
contraire, même si elle est le terme d’une action, ouvrir un nouveau conflit entre les héritiers, entre
les successeurs – et c’est un palier »551 .
Bien que ces unités, nommées catalyses, n’aient pas la même importance que les fonctions
cardinales, on n’a pas le droit de les effacer. A l’intérieur du discours, elles ont leur importance, un
rôle qu’on ne peut pas changer, diminuer, ou laisser tout simplement de côté. A cet égard, Roland
Barthes écrivait : « les fonctions cardinales sont les moments de risque du récit ; entre ces points
d’alternative, entre ces « dispatchers », les catalyses disposent des zones de sécurité, des repos, des
luxes ; ces « luxes » ne sont cependant pas inutiles : du point de vue de l’histoire, il faut le répéter,
la catalyse peut avoir une importance faible mais non point nulle […] le noté apparaissant toujours
comme du notable, la catalyse réveille sans cesse la tension sémantique du discours »552. Sa fonction
est phatique, parce qu’elle maintient le contact entre le narrateur et le narrataire.
Les unités qui se trouvent dans la seconde grande classe des unités narratives, les indices, classe
intégrative, ont en commun de ne pouvoir être saturées qu’au niveau des personnages ou de la
narration. Ce qui les caractérise, c’est la relation paramétrique, donc cette relation est caractérisée
par la constance de ses éléments dont le second terme, implicite, est continu, extensif à un épisode, à
un personnage ou à l’œuvre toute entière. A l’intérieur de cette classe on découvre, comme nous
avons déjà mentionné, deux types d’indices : les indices proprement dits et les informations. Les
premières unités, les indices, renvoient à un sentiment, à un caractère, à une philosophie, à une
atmosphère (de suspicion, par exemple). Les autres, les informations, sont en fait des informations
sur le temps et sur l’espace, qui aident le lecteur à situer le discours, les actions, dans le temps et
dans l’espace, à les identifier.
Par exemple, dans Filumena, Félicien Marceau nous fait voir cette femme de ménage par les
yeux de son futur maître et admirateur en même temps :

546
Idem
547
Idem
548
Charles Perrault, Cendrillon, in op. cit., pp. 359-367
549
Ibidem, p. 361
550
Groupe μ (Jacques Dubois, Francis Edeline, Jean-Marie Klinkenberg, Philippe Minguet, François Pire et Hadelin
Trinon), Rhétorique générale, Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 190
551
Idem
552
Roland Barthes, op. cit., p.10
95
Soixante-quinze ans peut-être. Et frêle, petite, un maigre chignon. Divers détails pourtant venaient
corriger cette première impression : le regard qui était droit, assuré ; la robe noire strictement boutonnée
jusqu’au cou553.

Nous avons les deux types d’indices : premièrement, l’information qui nous montre son âge, et
ensuite son aspect : son regard droit, rassuré, sa robe. Ce qui s’observe aisément, c’est qu’il s’agit
d’une différence entre les deux types d’indices du point de vue de l’implication de l’auditeur ou du
lecteur. Avec les informants il nous dit que la femme a soixante-quinze ans. En ce qui concerne les
autres unités, elles forcent le lecteur à penser, l’impliquent dans une activité de déchiffrement : il doit
deviner ce qui se cache derrière les paroles : Cette femme, comment est-elle ? Qu’est-ce qu’elle va
faire ? Comment va-t-elle réagir aux prétentions de ce nouveau maître ? Est-ce qu’elle est soumise,
obéissante ? ou Provient-elle d’une famille noble ? (à cause de sa tenue sobre). Les indices ont donc
toujours des signifiés implicites au niveau de l’histoire. Au contraire, les informants « sont des
données pures, immédiatement signifiantes. […], apportent une connaissance toute faite ; […]
l’informant sert à authentifier la réalité du référent, à enraciner la fiction dans le réel : c’est un
opérateur réaliste »554 ayant, au niveau du discours, une fonctionnalité incontestable. Donc, la
différence repose à l’échelle des niveaux, bien que le fragment dont nous avons parlé paraisse tout
entier une description.
Vu que la manière de penser de chacun peut différencier entre les deux types d’unités de la
même classe, une conclusion s’y impose : une unité peut appartenir à deux classes différentes en
même temps, être mixte ou, à l’intérieur de la même classe, une unité peut appartenir aux deux types
à la fois.
Dans Filumena, on nous raconte que le maître habite un appartement. Ce détail peut être soit un
simple informant, renseignant sur l’espace, soit un indice à l’égard du caractère de ce monsieur. On a
donc le même fait pour des types d’indices différents.
Revêtir sa petite robe charmante, sa préférée, constitue pour Arlette555 soit une simple action de
se préparer, pour avoir une tenue convenable devant M. le Grand Doyen (c’est une simple catalyse),
soit une manière d’être autrement que ses quatre cousines, ou la préoccupation pour son avenir
même (elle ne veut pas être comme ses cousines, car elle retrouve qu’elle « a peur de suivre la même
pente »556) ; voilà autant d’indices.
La classification des unités minimales du niveau fonctionnel du récit semble être cette
distinction en deux classes et quatre sous-classes, comme nous l’avons déjà vu : les Fonctions avec
les noyaux et les catalyses, et les Indices avec les indices et les informants. Mais il y a encore
quelque chose qui les différencie, un autre classement qu’on peut saisir, issu de leurs définitions :
leur importance à l’intérieur du discours, en ce qui concerne leur structure.
Le rôle décisif pour l’histoire appartient aux noyaux, qui forment le squelette du récit, les autres
unités, les catalyses, les indices, et les informants remplissent l’espace libre, constituent le corps, le
monde de l’histoire. Par rapport aux noyaux, qui sont « des ensembles finis de termes peu nombreux,
ils sont régis par une logique, ils sont à la fois nécessaires et suffisants »557, les autres unités ont un
caractère commun : ce sont des expansions. Une fois de plus, le récit se ressemble à la phrase, faite
de propositions simples, puis de plus en plus compliquées : «comme la phrase, le récit est infiniment
catalysable »558.
Les indices « impliquent une activité de déchiffrement et même de reconstruction : il s’agit, pour
le lecteur, d’inférer un caractère ou une atmosphère, à la lumière de "ces indices" »559.

553
Félicien Marceau, Filumena, in op. cit., p.129
554
Roland Barthes, op. cit., p.11
555
Germaine Acremant, Arlette, in op. cit., pp. 221-229
556
Ibidem, p. 222
557
Roland Barthes, op. cit., p. 11
558
Ibidem, p. 11
559
Jean-Michel Adam, Le texte narratif, Nathan, Paris, 1994, p. 73
96
Les indices informants « inscrivent l’intrigue dans un lieu ("où ?") et dans un temps ("quand ?")
et servent à authentifier la réalité du référent et à "enraciner la fiction" dans le réel (âge d’un
personnage, indications de lieu, d’époque, de jour ou d’heure »560.
Il y a donc, à l’intérieur de chaque récit, des unités minimales classifiées selon le schéma :

-noyaux
Fonctions
-catalyses

-indices
Indices expansions
-informants

Il y a des contes bien simples. Elisabeth Goudge, dans Le Retour de Caroline,561 raconte
seulement la rentrée d’une jeune fille à la maison, en fait, son attente dans le compartiment du train,
et sa rencontre avec son père, qui l’aime beaucoup. Comme cadre du conte, on a une jeune fille qui
quitte le collège, qui attend l’arrivée chez soi, et qui est accueillie par son père. Mais il y a bien
d’autres choses qui se glissent dans cette structure pour former le conte : sa joie d’arriver à la maison
deux semaines plus tôt, les causes de cet événement, ses mémoires, ses pensées aux fêtes de Noël, le
bonheur de retrouver sa famille, etc., mais aussi le temps, l’espace, pour situer le conte dans la
réalité. Pour construire ce conte, beaucoup d’expansions ont été attachées à cette première phrase
sèche, sans beauté. Mais ces adjonctions ne pouvaient pas être sans un certain ordre, chacune a sa
place.
C’est pourquoi, les noyaux ont été groupés dans des séquences : « une séquence est une suite
logique de noyaux, unis entre eux par une relation de solidarité »562 . Si un terme n’a pas
d’antécédent solidaire, la séquence s’ouvre, et s’il n’a pas de conséquence, elle se ferme. Claude
Bremond unit ces termes de la séquence aux « trois temps qui marquent le développement d’un
processus : virtualité, passage à l’acte, achèvement. Dans cette triade, le terme postérieur implique
l’antérieur […] Mais jamais l’antécédent n’implique le conséquent »563. Il n’y a pas d’achèvement
sans passage préalable à l’acte, il ne peut y avoir passage à l’acte sans avoir virtualité/éventualité.
Au contraire, l’existence de l’éventualité n’a pas pour conséquence le passage à l’acte, car il y a
toujours une alternative ouverte : la virtualité peut évoluer en passage à l’acte ou rester virtualité, de
même que le passage à l’acte peut atteindre ou manquer son achèvement. Ce jeu d’options est
marqué dans le schéma suivant564 :
achèvement

passage à l’acte
inachèvement
éventualité
non passage à l’acte

Ces séquences simples se combinent en séquences complexes dont les plus caractéristiques sont
nommées par Claude Bremond : « le « bout-à-bout » : deux séquences élémentaires se suivent, la
clôture de la première coïncidant avec l’ouverture de la seconde »565 :

560
Idem
561
Elisabeth Goudge, Le Retour de Caroline, in op. cit., pp. 346-352
562
Roland Barthes, op. cit., p.13
563
Claude Bremond, op. cit., p.131
564
Idem
565
Ibidem, p. 132
97
A1

A2

A3 = B1

B2

B3 = C1

C2

C3
Nous allons trouver ce type de structure dans Drôle de cirque, où le numéro d’Angéla, son saut
périlleux avec l’automobile, et finalement son échec a provoqué un fort choc au pauvre Jésus, un
garçon qui était paralytique et qui, après avoir eu ce choc, a pu marcher. Un schéma serait le
suivant :

Elle s’évanouit et ne se réveilla que dans la roulotte-infirmerie. Un appareil maintenait sa


jambe cassée. Au léger tangage, elle devina que l’on roulait déjà dans la nuit. Debout à ses
côtés, se tenait Zunino, le visage en pleurs. […]
- Angéla, tu fais des miracles …
- Moi ? Tu veux dire que je me casse la figure.
- Non, il y avait un paralytique dans la salle ! Un jeune Espagnol. Tu lui as donné un tel choc
que maintenant il marche !566
L’annonce du numéro d’Angéla

Le départ d’Angéla

Elle « s’arrêta sur la plate-forme et … fonça »

Le choc = La chute, l’échec

La guérison de Jésus
Dans le conte Histoire de la Princesse Rosette567, la famille royale veut de toute façon humilier
Rosette, mais tout ce qu’ils font ne leur réussit pas, la victoire est toujours de la part de Rosette. Au
moment du bal, les sœurs aînées dansent sans grâce, et ensuite forcent Rosette à danser :

Rosette et Charmant commencèrent ; jamais on n’avait vu une danse plus gracieuse, plus vive,
plus légère ; chacun les regardait d’une admiration croissante.568

Une fois de plus, Rosette gagne, l’échec revenant à ses deux sœurs. On peut saisir ici trois
séquences : la danse des deux sœurs, la danse de la princesse Rosette, et les deux sont encadrées
dans le plan de vengeance, d’humiliation.
Cette fois la structure est différente, et s’appelle enclave : « une séquence élémentaire se
développe à l’intérieur d’une autre séquence élémentaire, soit qu’elle médiatise le passage à l’acte
ou l’achèvement de cette séquence, soit au contraire qu’elle lui fasse obstacle »569 .
566
M. Déon, Drôle de cirque, in op. cit., pp. 172-173
567
Comtesse de Ségur, Histoire de la Princesse Rosette, in op. cit., pp. 53
568
Ibidem, p. 53
569
Claude Bremond, op. cit., p. 132
98
On peut imaginer l’enclave structurée comme dans la figure suivante :

A1

B1

B2

B3

A2

C1

C2

C3

A3
le plan de vengeance

les deux sœurs dansent

Rosette forcée à danser

la danse de Rosette

Rosette gagne de l’admiration

la victoire de Rosette

l’échec du plan

Il y a encore un type de séquence complexe saisie par Bremond, ce qu’il a nommé accolement :
« deux séquences élémentaires se développent simultanément, traduisant d’ordinaire une situation
dans laquelle le même processus matériel, envisagé de deux points de vue différents, remplit des
fonctions distinctes »570 .
Dans ce conte, toujours, on saisit un accolement : d’un côté, les parents et les sœurs de Rosette
veulent l’humilier, parce qu’ils la haïssent et, puisqu’ils ne réussissent pas, leur haine augmente
visiblement ; de l’autre côté, Rosette gagne l’amour du prince Charmant et l’admiration de tous les
autres. Plus elle est haïe par sa famille, plus elle est admirée et aimée par les autres. Chaque pas ici
est déterminé par un autre :

570
Claude Bremond, op. cit., p. 132
99
la famille la hait = Rosette gagne l’admiration des autres
↓ ↓
ils veulent l’humilier = les autres l’admirent
↓ ↓
ils veulent se venger = Rosette gagne l’amour du prince Charmant et des autres

Bien sûr que ces structures, modèles donnés pour ces contes, peuvent s’entremêler. On peut
observer que dans le deuxième schéma, les termes de la séquence concernant Rosette sont des termes
parallèles aux autres, dans un accolement. Toutes ces structures dépendent, dirions-nous, du niveau
où l’on se place pour analyser un conte, une séquence faisant partie d’une certaine structure, soit au
même niveau, soit à un autre de l’histoire. Et quand on dit niveau, on se réfère au cadre de l’histoire,
du conte : plus général ou plus particulier.
En associant, et non sans raison, le noyau à ce que Propp appelle fonction des personnages,
nous nous sommes proposé d’aller plus loin dans l’analyse.
Nous avons vu jusqu’ici que chaque conte peut être divisé en plusieurs unités minimales, dont
les plus importantes pour le cours de l’histoire (par cette « importance » qu’on leur accorde, nous ne
voulons pas diminuer ou effacer l’importance des autres unités) sont les fonctions cardinales, les
noyaux, ceux qui forment le squelette du conte. C’est pourquoi, nous considérons justifiable leur
identification avec les fonctions des personnages de Propp, mais aussi parce que tout conte a une
structure semblable à celle des contes de fées, même s’il n’y a pas d’êtres surhumains, magnifiques,
étonnants.
Analysant les contes de fées russes, Vladimir Propp trouve l’existence des quatre règles de ces
fonctions :
1. les fonctions des personnages constituent des éléments fixes, stables du conte. Elles sont les
composants fondamentaux du conte ;
2. le nombre des fonctions des contes de fées est limité ;
3. la succession des fonctions est toujours la même ;
4. tous les contes de fées ont une structure mono-typique.
Propp soutient que la définition des fonctions ne doit pas tenir compte du personnage qui
l’accomplit, la fonction étant assez souvent le nom qui montre, nomme l’action (interdiction,
interrogation, fuite, etc.), point de vue que nous ne partageons pas ; en revanche, nous sommes
d’accord avec lui en ce qui concerne l’importance de l’action. Il faut aussi tenir compte dans le
déroulement de l’action de la signification de la fonction.
Vladimir Propp délimite donc les fonctions, et il arrive au nombre fixe de 31 fonctions571 qui
vont se succéder dans chaque conte dans un ordre fixe.

Dégradation de A Amélioration de A
grâce à un prestateur
méritant C Récompense du
prestateur C

A cause d’un dégradateur Châtiment du


déméritant B dégradateur B

Le schéma d’un conte de fées572

Tout conte commence d’habitude par une situation initiale notée « α ». Après cette situation
initiale, il y a les fonctions :

1. L’absence « β » un des membres de la famille s’éloigne de la maison ;


2. L’interdiction « γ »: le héros se fait signifier une interdiction ;

571
Vladimir Propp, op. cit., pp. 36-85
572
Jean-Michel Adam, 1994, op. cit., p. 26
100
3. La transgression « δ » : l’interdiction est transgressée ;
4. L’interrogation « ε »: l’agresseur essaye d’obtenir des renseignements ;
5. La divulgation « ξ »: l’agresseur reçoit des informations sur sa victime ;
6. La ruse « η »: l’agresseur tente de tromper sa victime pour s’emparer d’elle ou de ses biens ;
7. La complicité « θ »: la victime se laisse tromper et aide son ennemi malgré elle ;
8. Le méfait « A »: le malfaiteur fait du mal à un des membres de la famille ou lui porte préjudice –
le nœud de l’intrigue ;
8. a Le manque : « a » : il manque quelque chose à l’un des membres de la famille ; l’un des
membres de la famille a envie de posséder quelque chose ;
9. La médiation, moment de liaison « B »: la nouvelle du méfait ou du manque est divulguée, on
s’adresse au héros par une demande ou un ordre, on l’envoie ou on le laisse partir ;
10. Le début de l’opposition à l’agresseur « C »: le héros-quêteur accepte ou décide d’agir ;
11. Le départ du héros « ↑ »: le héros quitte sa maison ;
12. La première fonction du donateur « D »: le héros subit une épreuve, un questionnaire, une
attaque, etc., qui le préparent à la réception d’un objet ou d’un auxiliaire magique ;
13. La réaction du héros « E » : le héros réagit aux actions du futur donateur ;
14. La réception de l’objet magique « F » : l’objet magique est mis à la disposition du héros ;
15. Le transfert jusqu’au lieu fixé « G » : le héros est transporté, conduit ou amené près du lieu où se
trouve l’objet de sa quête ;
16. Le combat : « L » : le héros et son agresseur s’affrontent dans un combat ;
17. La marque « I » : Le héros reçoit une marque ;
18. La victoire du héros « V » : l’agresseur est vaincu ;
19. La réparation « R » : le méfait initial est réparé ou le manque comblé ;
20. Le retour « ↓ » : le héros revient ;
21. La poursuite « Pr » : le héros est poursuivi ;
22. Le secours « Rs » : le héros est secouru ;
23. L’arrivée incognito « O » : le héros arrive incognito chez lui ou dans une autre contrée ;
24. Les prétentions mensongères « L » : un faux héros fait valoir des prétentions mensongères ;
25. La tâche difficile « M » : on propose au héros une tâche difficile ;
26. La tâche accomplie « N » : la tâche est accomplie ;
27. La reconnaissance « Q » : le héros est reconnu ;
28. La découverte « Ex » : le faux héros ou l’agresseur, le méchant, est démasqué ;
29. La transfiguration « T » : le héros reçoit une nouvelle apparence ;
30. La punition « U » : le faux héros ou l’agresseur est puni ;
31. Le mariage « W00 » : le héros se marie et monte sur le trône.
Les contes de fées soumis à l’analyse comprennent des objets magiques, des exploits surnaturels.
Nous nous sommes proposé de voir s’il est possible d’appliquer ces fonctions, ces règles à des contes
qui ne sont pas tellement magiques comme le sont les contes russes. Puisque tout conte a été créé
pour les enfants, il y a une morale, une leçon de vie.
Nous allons soumettre à l’analyse le conte Histoire de la Princesse Rosette. Premièrement, il y a
la situation initiale, α : on raconte dès le début que:

Il y avait un roi et une reine qui avaient trois filles ; ils aimaient beaucoup les deux aînées, qui
s’appelaient Orangine et Roussette, et qui étaient jumelles ; elles étaient belles et spirituelles mais pas
bonnes […]. La plus jeune des princesses, qui avait trois ans de moins que ses sœurs, s’appelait
Rosette ; elle était aussi jolie qu’aimable, aussi bonne que belle ; elle avait pour marraine la fée
Puissante, ce qui donnait de la jalousie à Orangine et à Roussette […].573

On apprend ensuite que Rosette a été envoyée chez une bonne fermière et que seulement sa
marraine s’est occupée de son éducation. La fin de cette α et le début de l’action constituent la lettre
que Rosette reçoit de ses parents et qui est une invitation au bal que la naïve jeune fille accepte : B3,

573
Comtesse de Ségur, op. cit., p. 36
101
C. Mais elle n’a pas de vêtements pour une telle occasion et elle est mise à l’épreuve par sa
marraine :

Elle ouvrit le flacon et versa une goutte de liqueur sur sa robe ; immédiatement la robe devint jaune,
chiffonnée, et se changea en grosse toile à torchons. Une autre goutte sur les bas en fit de gros bas de
filoselle bleus. Une troisième goutte sur le bouquet en fit une aile de poule ; les souliers devinrent de
gros chaussons de lisière.574

Quelqu’une d’autre aurait refusé d’aller habillée ainsi, mais Rosette accepte les dons de sa
marraine et part au bal : D1E1. Sans le savoir, elle prend les objets magiques : F1. Arrivée à la cour
(G2), Rosette est de nouveau mise à l’épreuve : elle a été logée par sa mère, dans une chambre de
servante. D’ici commencent les essais des malfaiteurs : le roi, la reine et les deux sœurs tentent
d’humilier Rosette, essais sans accomplissement (η3). Après un accueil froid, ses sœurs et ses parents
obligent Rosette à chanter (M), mais ils sont humiliés, car, par son chant, Rosette gagne l’admiration
de tous (N), et une fois de plus, elle gagne l’admiration du prince Charmant. Observant la rage de
ses sœurs, elle ne veut plus chanter et s’excuse, disant qu’elle est trop fatiguée. C’est alors, que le
prince Charmant comprend la vraie raison et l’admire davantage. Les ennemis de Rosette s’en
rendent compte et leur colère augmente, ils veulent la chasser, après l’avoir dépouillée de ses bijoux,
mais la marraine empêche leur action. La nuit passe et les deux sœurs sont encore plus laides à cause
de leur colère et tout le monde observe leur méchanceté et leur jalousie (Ex), tandis que Rosette, qui
a bien dormi, est encore plus belle.
Le lendemain, tout recommence : pour la chasse, ses parents ont préparé pour Rosette un cheval
« vicieux et méchant »575, mais la fée Puissante lui a ordonné de monter seulement sur le cheval de
Charmant, ensuite elle est obligée de danser (M), une fois de plus humiliant ses sœurs sans le vouloir
(N) - les deux sœurs se sont évanouies (Ex). Le prince Charmant lui demande de l’épouser, ainsi les
deux sœurs perdent toute chance. La jeune princesse fait preuve encore une fois de son obéissance :
elle raconte à Charmant le rôle de la fée Puissante dans sa vie, et lui dit qu’elle devait premièrement
demander sa permission.
La troisième journée commence, les malfaiteurs veulent détruire Rosette dans une course de
chars, pour laquelle ils ont choisi le plus mauvais char et les chevaux les plus rétifs. Elle est sauvée
par la fée qui lui donne un autre char ; les deux sœurs veulent l’attaquer (A13), mais elle s’échappe de
justesse. Une troupe de brigands est envoyée à leurs trousses (Pr6), mais avec les chevaux de la fée
(G2), ils réussissent à s’enfuir et arrivent dans le royaume de Charmant (SV) où ils sont reçus par la
fée qui explique à Charmant tout ce qui s’est passé. Elle lui dit comment les malfaiteurs ont été
punis (U) : les sœurs sont restées avec les cicatrices et elles ont été mariées à de méchants maris qui
ont l’obligation de les battre et de leur faire la vie un enfer, jusqu’à ce qu’elles changent d’attitude,
tandis que leurs parents ont été transformés en animaux, en « bêtes de somme », « donnés à des
maîtres méchants et exigeants »576. C’est ici qu’apparaît l’interdiction (γ1) : Charmant n’a pas le droit
de dire tout cela à Rosette, car elle est si bonne, qu’elle voudrait leur pardonner les erreurs, ce que la
fée Puissante ne veut pas. Les deux se marient (W00) et vivent heureux dans leur Etat.

α : B3CD1E1F1 G2η3 ↑ MNEx M13Pr6G2 ↓ RsVUγ1 W00

574
Ibidem, p. 39
575
Ibidem, p. 50
576
Ibidem, p. 61
102
malheureux heureux

a1 a2

non a1 non a2
rejetés du palais au palais

Le jeu des relations selon le carré sémiotique de Greimas

II.6. Les Actions


II.6.1. Action-Personnage

Dans le Dictionnaire Le Petit Robert, l’action est définie comme « ce que fait quelqu’un et ce par
quoi il réalise une intention ou une impulsion »577. Il y a dans cette définition une liaison directe
entre le nom d’action et celui qui fait l’action, l’être, la personne qui agit, celui qu’on appelle
« personnage ». Celui-ci prend une « consistance psychologique », il devient « un individu,
une "personne", bref un "être" pleinement constitué, alors même qu’il ne ferait rien, et bien
entendu, avant même d’agir ; […] il incarne d’emblée une essence psychologique »578.
L’analyse structurale n’a jamais accepté de traiter le personnage comme essence, il n’y a pas
« un seul récit au monde sans personnages »579 ou sans agents – et ceux-ci ne sont pas de personnes.
L’analyse structurale propose la définition du personnage comme « participant ». Il y a trois
théories en ce qui concerne le personnage et sa définition.
Pour Claude Bremond, le personnage peut être l’agent de séquences d’actions qui lui sont
propres, et si la même séquence implique deux personnages : « la fonction d’une action ne peut être
définie que dans la perspective des intérêts ou des initiatives d’un personnage, qui est le patient ou
l’agent »580.
Tzvetan Todorov lie la notion de personnage aux trois rapports dans lesquels ces personnages
peuvent s’engager – ces rapports, il les appelle prédicats de base, « les nouveaux rapports qui
doivent s’instaurer entre les agents » 581 : le désir, la participation et la communication.
Algirdas-Julien Greimas définit les personnages selon « ce qu’ils font (d’où leur nom
582
d’actants) » et non selon ce qu’ils sont. Le monde infini des personnages est soumis à une
structure paradigmatique (Sujet/Objet, Donateur/Destinataire, Adjuvant/Opposant), projetée le long
du récit.
Beaucoup de points communs lient ces trois conceptions. Le principal est de définir le
personnage par sa participation à une sphère d’actions. Le mot « action » est pris « au sens des
grandes articulations de la praxis (désirer, communiquer, lutter) »583.

577
Dictionnaire Le Petit Robert, op. cit., p. 21
578
Roland Barthes, op. cit., p. 16
579
Ibidem, p. 16
580
Claude Bremond, op. cit., pp. 132-133
581
Tzvetan Todorov, op. cit., pp. 136-137
582
Algirdas-Julien Greimas, Sémantique structurale, Presses Universitaires de France, Paris, 2002, 3 e édition, p 129 sq.
583
Roland Barthes, op. cit., p. 17
103
II.6.2. L’agencement des rôles

Dans son livre Logique du récit, Claude Bremond considère que « la structure du récit repose
non sur une séquence d’actions, mais sur un agencement de rôles »584. Le personnage devient ainsi
un possesseur de rôle dans la structure du récit, et chaque personnage est très important pour le cours
de l’histoire : toute évolution de l’intrigue affecte simultanément, soit le même personnage à divers
points de vue, soit plusieurs personnages diversement concernés. Aucune de ces perspectives n’a le
droit spécial d’être élue au détriment des autres, et donc « la structure du récit doit être représentée
par un faisceau de rôles qui traduisent, chacun dans son registre, le développement d’une situation
d’ensemble sur laquelle ils agissent ou par laquelle ils sont agis »585.
Une première dichotomie oppose deux types de rôles : les patients, qui sont affectés par des
processus modificateurs ou conservateurs, et les agents, ceux qui initient ces processus. « L’examen
des rôles de patient conduit à envisager, dit Bremond, deux types d’actions subies : les influences et
les actions »586. Les influences s’exercent sur la conscience subjective que le patient prend de son
sort, et par elles il est ou non pourvu d'informations, de satisfactions ou d'insatisfactions, d'espoirs
ou de craintes. Les actions s'exercent objectivement sur le sort du patient, soit pour le modifier
(amélioration ou dégradation) soit pour le maintenir dans le même état (protection ou frustration).
Corrélativement à ces rôles de patient influencé, bénéficiaire ou victime, émergent des types d'agent
que nous retrouverons par la suite : l'influenceur, l'améliorateur et le dégradateur, le protecteur et le
frustrateur.
Pour le rôle d’agent, il y a une première distinction, entre l’agent volontaire et l’agent
involontaire. Le premier est l’initiateur du processus conçu par lui pour atteindre un but, et le
deuxième « enclenche, dans le sillage d’une entreprise volontaire, des processus autres que ceux
qu’il destine à la réalisation de sa tâche »587. Tout comme les fonctions, les actions, volontaires ou
involontaires, peuvent être décomposées en trois temps : virtualité, passage à l’acte, résultat. En
conséquence, il y a trois types d’agents volontaires : l’agent volontaire éventuel, l’agent volontaire en
acte, et l’agent volontaire ayant réussi ou ayant échoué.
Cette analyse des rôles généraux de patient et d’agent a fait surgir, en même temps que les divers
types d’actions subies ou agies, une série de types d’agents spécifiques. « Dans le groupe des
influenceurs, apparaissent ainsi l’informateur et le dissimulateur, le séducteur et l’intimidateur,
l’obligateur et l’interdicteur, le conseilleur et le déconseilleur ; dans le groupe des modificateurs,
l’améliorateur et le dégradateur ; dans le groupe des conservateurs : le protecteur et le
frustrateur »588.
La notion de mérite crée un cas particulier des deux rôles de patient qu’elle discrimine : le
bénéficiaire de mérite et la victime de démérite, et des deux rôles d’agents : rétributeur récompensant
et rétributeur punissant589.

584
Claude Bremond, op. cit., p.133
585
Ibidem, p. 133
586
Ibidem, p. 134
587
Ibidem, p. 135
588
Idem
589
Ibidem, p. 135
104
le destinateur le destinataire

l’agent

l’objet de la quête

l’adjuvant l’opposant

Eddy Roulet, Antoine Auchlin, Jacques Moeschler, Christian Rubattel et Marianne Schelling,
dans L’Articulation du discours en français contemporain, établissent les stratégies dans l’analyse
du discours. Il faut retenir que les trois types de stratégie peuvent être observés dans le conte : il y a
des stratégies interactives (« présidant à la formation des interventions, qui sont définies par la
relation d’imposition-satisfaction de contraintes intra-intervention »590), des stratégies
interactionnelles (« présidant à la formation des échanges, caractérisés par la relation d’imposition-
satisfaction de contraintes inter-interventions »591 ), et des stratégies interprétatives (« qui président
à l’interprétation des stratégies conversationnelles »592). Ce dernier type de stratégie est celui qui
nous intéresse davantage, parce qu’il s’agit d’une relation avec le lecteur aussi, étant définie comme
« une relation R entre une source et une cible ; cette dernière, […] ne recevant pas sa valeur d’un
constituant discursif, mais d’une interprétation »593. Cette stratégie tient compte de l’interprétation
du lecteur.

II.7. Le personnage entre agent et patient

En ce qui concerne ces deux rôles, d’agent et de patient, un personnage peut jouer soit seulement
l’un d’eux, soit tous les deux à la fois. Par exemple, soit au début du récit, un personnage caractérisé
par certains attributs tels que le sexe, l’âge, la condition sociale, l’apparence physique, etc. : Rosette
était « aussi jolie qu’aimable, aussi bonne que belle ; elle avait pour marraine la fée Puissante, ce
qui donnait de la jalousie à Orangine et à Roussette »594. Ces attributs ont une certaine influence
dans sa vie, une influence sur le cours de l’histoire : sa bonté et sa beauté la font aimée par tout le
monde et surtout par Charmant, son futur mari, et d’ici son rôle d’agent, car elle agit d’une certaine
manière sur les autres. Mais elle va souffrir à cause de la jalousie de ses sœurs et de ses propres
parents, ce qui la transforme en un patient, parce que sa famille va agir pour la faire souffrir, pour
l’humilier, et même s’ils ne réussissent pas à l’humilier, à atteindre leur but, elle est une victime ou
une possible victime de leur haine, donc un patient.

II.7.1. Le patient

« Nous définissons comme jouant un rôle de patient toute personne que le récit présente comme
affectée, d’une manière ou d’une autre, par le cours des événements racontés »595 .

590
Eddy Roulet, Antoine Auchlin, Jacques Moeschler, Christian Rubattel, Marianne Schelling, L’Articulation du
discours en français contemporain, Editions Peter Lang SA, Berne, 1985, p. 197
591
Idem
592
Idem
593
Ibidem, p. 218
594
Comtesse de Ségur, Histoire de la Princesse Rosette, in op. cit., p. 36
595
Claude Bremond, op. cit., p. 139
105
Dans chaque récit, il y a un processus de transformation du personnage : c’est dans le cours de
l’histoire que nous l’apprenons, mais à un instant t, le personnage est caractérisé par une certaine
série d’attributs ou d’états : le prince pauvre du petit pays n’a pas de femme596, donc il est
caractérisé par le trait [sans femme] ; la famille chinoise597 n’a pas de garçon même s’ils essaient six
fois, donc les parents sont [sans garçon]. Tous sont des Patients affectés d’un état A ([ sans femme ]
et [ sans garçon]): il y a la possibilité d’une modification ou d’une conservation. Ils sont ainsi des
« Patients affectés d’un état A ; éventuels patients d’un état conservé A ou d’un état modifié non
A »598: ayant une femme ou respectivement un ou plusieurs garçons.
Pour la modification de l’état initial, un processus de modification est nécessaire. Mais, comme
nous l’avons déjà vu, chaque processus comprend trois temps : éventualité, passage à l’acte,
achèvement ou inachèvement de ce processus. D’ici, plusieurs étapes et types de patient : le
personnage est : « Patient affecté d’un état A ; éventuel patient d’une éventuelle modification de cet
état »599. Chaque processus demande une « certaine durée pour produire son effet : il se développe
entre deux pôles : un "terminus a quo", qui représente l’état initial du patient, et un "terminus ad
quem", qui représente son état final, le résultat de son évolution »600. Il y a donc encore un pas :
« Patient affecté d’un état A ; éventuel patient d’une modification en cours de son état »601. Le
résultat du processus modificateur peut avoir des conséquences sur le personnage, ou peut être un
échec : le prince du conte La princesse et le Porcher n’arrive pas à se marier avec la femme qu’il
désirait, même s’il essaie, tandis que la famille chinoise a finalement un garçon.
Le maintien du patient dans l’état initial peut être le résultat de l’absence du passage à l’acte du
processus modificateur ou le résultat de son inachèvement, mais aussi le résultat d’une action, d’un
processus de conservation : le patient est exposé ainsi à un processus de modification de son état,
mais finalement il n’est pas affecté par celui-ci, ayant subi « les effets d’un processus antithétique de
conservation de l’état initial »602. La conservation est elle-même un processus qui modifie la
situation, susceptible donc d’être décomposé en trois phases : éventualité, passage à l’acte, fait
accompli, et susceptible de donner lieu aux mêmes bifurcations : éventualité non suivie de passage à
l’acte ou passage à l’acte non suivi de succès.
L’histoire d’un patient est souvent, mais pas toujours, liée à celle d’un ou de plusieurs agents qui
prennent l’initiative de certains changements qui affectent en retour le sort du patient. Agent peut
être le personnage qui joue le rôle de patient, mais aussi d’autres personnages dont les actions ont
une certaine influence sur lui. « La forme particulière qu’un agent donne aux rôles qu’il assume peut
donc servir à caractériser non seulement le rôle de cet agent, mais celui du patient qui subi son
action : tout rôle d’agresseur a pour corollaire un rôle d’agressé, tout rôle de trompeur un rôle de
dupe, etc. »603. Dans les exemples donnés, les deux personnages sont des personnes-agent, car ils
s’affectent eux-mêmes : la famille chinoise604 essaie d’avoir un garçon, et finalement elle en a, alors
que le prince605 renonce à la fille de l’empereur, même s’il a essayé de conquérir son amour, donc
ils sont eux-mêmes, à la fois, agents et patients de leurs actions. Mais la personne-agent peut être
quelqu’un d’autre que le patient : la souffrance de Rosette606 est déterminée par la jalousie de ses
sœurs, par la haine de sa famille ; son sauvetage est dû à sa marraine, au prince Charmant.

596
Hans Christian Andersen, La reine des neiges, La princesse et le porcher,
http://www.chez.com/feeclochette/andersen.htm
597
Pearl Buck, Les petits voisins chinois, in op. cit., pp. 96-115
598
Claude Bremond, op. cit., p. 139
599
Ibidem, p. 140
600
Idem
601
Idem
602
Ibidem, p. 142
603
Ibidem, p. 145
604
P. Buck, Les petits voisins chinois, in op. cit., pp. 96-115
605
Hans Christian Andersen, La princesse et le porcher,
http://www.chez.com/feeclochette/andersen.htm
606
Comtesse de Ségur, in op. cit., pp. 36-63
106
Le patient se rend compte ou pas des états ou des processus susceptibles d’affecter son sort. Par
exemple, Rosette n’est pas consciente de la jalousie de ses sœurs, elle les aime et ne comprend pas
leur comportement tandis que le prince du conte La princesse et le porcher et la famille chinoise sont
bien conscients de leurs états : sans femme et sans garçon. Le Patient affecté d’un état X (A ou non
A) peut être :
- non pourvu d’une information concernant cet état ;
- pourvu d’information(s) concernant cet état :
- se jugeant affecté de l’état A ;
- se jugeant affecté de l’état non A ;
- doutant s’il est affecté de l’état A ou non A.
Les quatre rôles ainsi obtenus sont susceptibles d’évoluer de l’un vers l’autre : « de l’absence de
conscience vers une croyance ou du moins un doute par information reçue ; d’une croyance vers la
croyance inverse (de A vers non A ou de non A vers A) par réfutation ; d’une croyance vers un état
de doute par dubitation ; de la conscience vers l’absence de conscience par distraction, oubli ; du
doute vers la croyance par levée du doute »607.
La gare608 se considère très heureuse dans un état initial, mais, après la discussion avec le train,
elle change d’opinion, elle veut se promener, elle veut voir des choses nouvelles, considérant cet
état comme le bonheur, mais finalement elle comprend qu’elle était heureuse avant son départ et elle
veut retourner chez soi. Il y a ici une double réfutation : initialement une réfutation de l’état A (être
heureuse), ensuite elle change d’opinion, en se croyant dans l’état non A (malheureuse), et enfin, elle
reconsidère son état initial, le considérant comme A- un processus de contre-réfutation (réfutation).
Nous avons vu que Rosette609 n’était pas consciente au début de son état. La lettre qu’elle a
reçue de son père l’induit en erreur, l’accueil de sa famille la rend consciente de son véritable état. Il
y a ici un cas de patient non pourvu d’une information concernant son état, qui est exposé à subir un
processus d’induction en erreur (le tromper de son état) et ensuite un processus de révélation (lui
conférer une conscience vraie de son état) : révélation et induction en erreur peuvent être mises en
échec par un processus contraire : dissimulation (du vrai ou du faux)610.
Le sapin611 subit une transformation continue jusqu’au moment où il comprend, trop tard, son
vrai état initial de bonheur - il est un patient pourvu d’une information fausse concernant son état :
se croyant à tort affecté d’un état initial non A, patient qui subit un processus de réfutation véridique
qui le convertit à l’idée qu’il était affecté de l’état A. Un tel patient pourrait subir un processus de
confirmation trompeuse (de la première information) ou de contre-réfutation trompeuse612 (de la
seconde information).
Il y a encore la possibilité de l’existence d’un patient pourvu d’une information vraie concernant
son état : se sachant affecté d’un état A. Celui-ci peut subir un processus de réfutation trompeuse,
tendant à le convertir à l’idée qu’il est affecté d’un état non A ou un processus de confirmation
véridique de son état, ou une contre-réfutation véridique de la seconde information613.
Le patient doutant s’il est affecté d’un état véritable A ou d’un faux état non A, est exposé à
subir, soit une révélation, par confirmation de l’information vraie ou par réfutation de l’information
fausse, soit une induction en erreur, par confirmation de l’information fausse ou par réfutation de
l’information vraie.614 C’est le cas du prince qui épouse Elise615 et qui arrive à un moment où il ne
sait plus si sa femme est une sorcière ou non, si elle est coupable ou non - il décide de la juger, et la

607
Claude Bremond, op. cit., p. 147
608
M. Guastalla, Histoire d’une petite Gare, in op. cit., pp. 9-19
609
Comtesse de Ségur, in op. cit., pp. 36-63
610
Claude Bremond, op. cit., p. 152
611
Hans Christian Andersen, Le sapin,
http://www.chez.com/feeclochette/andersen.htm
612
Claude Bremond, op. cit., p. 152
613
Idem
614
Idem
615
Hans Christian Andersen, Les cygnes sauvages,
http://www.chez.com/feeclochette/andersen.htm
107
condamne à la mort. Mais il ne réussit pas, car ses frères dévoilent son innocence de leur sœur :
nous avons affaire ici à une révélation.
« Le jugement porté par le patient sur son état présent peut être lié par le récit à l’indications
d’affects : ceux-ci consistant principalement en satisfactions ou insatisfactions éprouvées par le
patient »616. Claude Bremond a codé ces déterminations :
« Patient pourvu d’une opinion sur son état ; jugeant cet état :
- satisfaisant ;
- insatisfaisant ;
- ni satisfaisant ni insatisfaisant (indifférent) ;
- à la fois satisfaisant et insatisfaisant »617.
Ces affects, pour être aisément compris et analysés, peuvent être répartis en trois catégories :
hédonique - quand nous parlons de plaisirs, pragmatique - quand le patient calcule son état et le
perçoit comme un avantage, éthique - quand le patient a la conscience du devoir accompli.618 Il y a
quatre types qui correspondent au jeu de mobiles: l’influence incitatrice (poussant à espérer un
événement), inhibitrice (poussant à craindre un événement), neutralisatrice (tendant à faire
envisager une éventualité avec indifférence), ambivalente (poussant simultanément à espérer et
redouter un événement).619 Claude Bremond a rassemblé les affects dans le tableau suivant620:

Influences
Incitatrices Inhibitrices
Mobiles
hédoniques séduction intimidation
éthiques obligation interdiction
pragmatiques conseil déconseil

« Une influence séductrice tend à communiquer à un patient le désir d’un événement en lui-
même agréable ; une influence intimidatrice, à communiquer à un patient la crainte (ou l'aversion)
d'un événement en lui-même désagréable; une influence obligatrice, à intimer à un patient la
conscience d'une obligation dont l'acquittement lui vaudra de se mettre "en règle" »621.
De la classe générale d’influenceurs font partie : séducteur, intimidateur, obligateur,
interdicteur, conseilleur, déconseilleur.622
La princesse Rosette623 se considère elle-même un patient-bénéficiaire ayant comme marraine la
fée Puissante, bénéficiaire d’un état satisfaisant, mais aussi bénéficiaire de l’intervention d’un
améliorateur ou protecteur (sa marraine fait tout ce qu’elle peut pour la protéger), alors que ses deux
sœurs se considèrent comme des patients-victime, car elles n’ont pas de fée comme marraine ; le
sapin624 se croit un patient-victime à cause de sa petitesse.

II.7.2. L’agent

« La plupart des personnes présentées dans un récit assument alternativement un rôle de patient
et un rôle d’agent : le patient est un agent virtuel dans la mesure où il est soumis à des influences
qui peuvent motiver un passage à l’acte, sous forme de réaction à la situation où il se sent placé ;
l’agent est un patient virtuel dans la mesure où le processus qu’il déclenche aura pour résultat une

616
Claude Bremond, op. cit., p. 153
617
Idem
618
Ibidem, p. 154
619
Ibidem, p. 160
620
Idem
621
Ibidem, p. 161
622
Idem
623
Comtesse de Ségur, Histoire de la Princesse Rosette, in op. cit., pp. 36-63
624
Hans Christian Andersen, Le sapin,
http://www.chez.com/feeclochette/andersen.htm
108
modification de cette situation, donc un état nouveau de sa propre personne »625. Dans La princesse
et le porcher,626 le prince, qui voulait épouser la fille de l’empereur, devient agent conservateur de
son état par sa volonté. Il y a des patients qui ne se transforment pas en agents : sans volonté, sans
espoir, sans chance d’évoluer, de faire quelque chose pour leur bien, mais des agents qui n’arrivent
pas à être des patients parce qu’ils sont trop forts, trop conscients de leur état qui ne peut pas être
changé. D’habitude, l’histoire d’une personne se développe selon le schéma : Patient (=agent virtuel)
→ Agent (= patient virtuel) → Patient (=agent virtuel) → etc.627
Les rôles d’agents sont d’une extension moindre que les rôles de patients : « tout agent est un
ancien et un futur patient, tandis que l’état du patient peut être un début ou une fin absolus. Le rôle
d’agent n’en est pas moins, après celui du patient, le plus général qu’on puisse concevoir. Il
subsume tous les rôles impliquant, soit la poursuite délibérée d’un but, ce que nous nommerons
proprement l’"accomplissement d’une tâche", soit une activité fortuitement orientée vers un résultat
qui n’a pas été choisi comme but de cette activité (une action involontaire) »628. Ces agents sont :
modificateur (améliorateur ou dégradateur) ou conservateur (protecteur ou frustrateur), et sous le
nom d’influenceurs se cachent des rôles d’informateur et de dissimulateur, de révélateur et de
trompeur, etc. Une première distinction est celle entre agent volontaire et agent involontaire.
Claude Bremond considère agent volontaire (accomplisseur de tâche) « toute personne qui,
ayant conçu le projet de modifier l’état de choses existant, passe à l’acte pour réaliser ce
changement »629.
Il y a deux aspects de l’agent en acte : actif, qui se réfère aux actions du héros, à l’application de
son plan, à ses péripéties et passif, qui concerne les résultats partiels que nous trouvons entre le
début et la fin de sa tâche, les étapes de son accomplissement : c’est sous cet aspect qu’on peut le
voir comme patient-bénéficiaire du succès acquis ou comme patient-victime des revers subis. « La
conscience que l’agent prend des résultats déjà obtenus, en particulier, conditionne la poursuite de
l’entreprise : d’une part parce que ces résultats la facilitent ou la mettent en échec, la rapprochent
ou l’éloignent de sa fin, et appellent des mesures qui exploitent l’avantage acquis ou limitent
l’inconvénient subi »630.
A partir de cet aspect passif et des conditions utilisées dans l’analyse des patients (ces deux
analyses sont presque parallèles), les développements possibles de l’agent en acte sont simples : on
doit tenir compte de la conscience qu’il prend de ses actions (bénéficiaire ou victime), de
l’information qu’il a sur ce qu’il doit faire, de l’influence à laquelle il est exposé.
En ce qui concerne l’aspect actif, il ne laisse pas faire trop d’interprétations, ne pouvant suivre
qu’une perspective : ses moyens d’accomplir la tâche. Le rôle d’agent se développe selon les options
suivantes : il entreprend d’exécuter la tâche-moyen conçue pour lui servir de tâche-fin par une
amélioration ou par une protection contre une dégradation de l’accomplissement de la tâche-fin ; ou,
pour exécuter sa tâche, il peut entreprendre de neutraliser un obstacle (inanimé ou animé - autre ou
lui-même), et/ou d’obtenir les services d’un auxiliaire inanimé ou animé - un prestateur (la personne
d’autrui ou sa propre personne).631
Les résultats de l’agent mènent à plusieurs types de rôles d’agent, mais l’analyse sera faite en
tenant compte des catégories de résultats : le succès et l’échec, suivis dans le progrès et
l’achèvement de la tâche-fin ou moyen, mais aussi de la conscience du héros.
C’est dans ce contexte que nous avons essayé d’analyser le drame de Victor Hugo, Hernani. La
pièce est constituée par cinq macro–structures dont la fin est à la foi une finalisation (réussite) et une
non- finalisation (échec).
A+B+C+D+E
625
Claude Bremond, op. cit., p. 174
626
Hans Christian Andersen, La princesse et le porcher,
http://www.chez.com/feeclochette/andersen.htm
627
Claude Bremond, op. cit., p. 174
628
Ibidem, p. 175
629
Ibidem, p. 176
630
Ibidem, p. 206
631
Ibidem, p. 223
109
Représentée graphiquement, la pièce s’encadre dans une structure évolutive et involutive. En ce
sens, nous avons noté sur l’axe horizontale le déroulement de l’action en macro et micro –structures,
et verticalement l’intensité conflictuelle, de la manière suivante :
A= intrigue ; B= intrigue et conflit ; C= conflit ;
D= déroulement de l’action ; E= conflit et dénouement.
1. Le couple Hernani ↔ Doña Sol est dans le groupe des personnages principaux qui essaient
d’arriver à la réussite finale ;
2. Le roi est un rival, un personnage secondaire, un agent de l’échec ;
3. Don Ruy Gomez est aussi un personnage secondaire, un agent influençable (favorable
occasionnellement) et un agent rival;
4. Les personnages épisodiques : Doña Josépha, Don Ricardo, Don Matias, Don Sancho, le Roi de
Bohême, le Duc de Bavière, le Page, le Montagnard, les conspirateurs et les convives, à l’exception
de Doña Josepha, n’affectent pas par leurs actions la finalité de la pièce.
Les rôles narratifs principaux sont attachés aux symboles suivants :
Patient affecté = pa Influenceur involontaire = iv
Agent = a Patient – victime = pv
Agent éventuel = ae Informateur = inf
Influenceur = i Intimidateur = int
Influenceur volontaire = iv Agent volontaire = av
Entremetteur = e Trompeur = t
La première macro –structure, correspondant aux micro –structures du premier acte, peut être
représentée par le schéma :
A = a1 + a2 + a3 + a4
Au début de la pièce, Doña Josépha est la femme de confiance de Doña Sol a le rôle d’un patient.
Aux insistances du roi Don Carlos, elle reçoit une bourse d’argent, donc elle passe d’un état initial à
un état modifié. Dès maintenant, Doña Josépha va devenir l’agent volontaire de Don Carlos,
réussissant dans son entreprise. En cachant le roi dans une armoire, le patient Doña Josépha est
exposé à une modification de son état qui est susceptible d’être décomposée en trois phases :
éventualité, va-t-elle ou non recevoir la bourse ? ou va-t-elle avertir Doña Sol et Hernani ? mais elle
passe à l’acte sous les menaces du roi :

Don Carlos, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse.


Daignez, Madame
Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.632

Elle choisit la bourse et cache le roi dans l’armoire, ainsi le fait est accomplit :

Doña Josepha, examinant l’armoire.


Entrez–ici.633

Le roi Don Carlos joue le rôle d’influenceur, tendant à inspirer des mobiles incitant à
entreprendre la tâche. Il réussit à persuader son partenaire d’agir et il fait donc naître des mobiles
favorables à la tâche. En même temps, le roi a le rôle d’un agent volontaire qui entreprend une tâche
et réussit dans son entreprise.

Don Carlos, de l’intérieur de l’armoire.


Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte.634

a1 = [R i  Jp (R av  J pa  S pa) => Jai + ae  R i (J  S)]

632
Victor Hugo, Théâtre complet, Tome I, Gallimard, Paris, 1963, p. 1158
633
Victor Hugo, op. cit., p. 1158
634
Ibidem, p. 1159
110
La deuxième macro-structure est constituée par la scène II. Doña Sol y joue le rôle d’un patient
exposé à un processus de modification qui demande une certaine durée pour produire son effet. Ce
processus se développe entre deux pôles : un terminus à quo, qui représente l’état initial du patient et
un terminus ad quem, qui représente son état final, le résultat de son évolution. Quoiqu’elle sache
quelle vie elle va mener aux côtés d’Hernani, Doña Sol décide de le suivre dans les montagnes :

Doña Sol
A minuit. Demain. Amenez votre escorte
Sous ma fenêtre. Allez, je serai brave et forte.
Vous frapperez trois coups.635

Le déroulement de l’action est interrompu par l’apparition de Don Carlos qui ouvre la porte de
l’armoire et en sort. Cette foi-ci, le roi devient un agent volontaire qui intervient dans l’intention
d’affecter le patient Doña Sol :

Don Carlos
J’offre donc mon amour à Madame.636

Si jusqu’à présent Hernani peut être considéré comme un patient, l’intervention du roi le
transforme en agent volontaire provoquant le roi au duel. L’arrivée de Don Ruy Gomez ne conduit
pas à la finalisation du combat ; cette fois-ci, le duc devient un agent involontaire.
a2 = [(H p a ↔ S p a )  R i v ] => (H a v ↔ R a v )

Dans la troisième micro–structure le duc demande satisfaction, affecté par la présence des deux
hommes chez sa nièce et future épouse. L’influenceur Don Carlos intervient pour persuader le duc,
qui devient un agent éventuel, que sa présence est due à une action informatrice :

Don Carlos
Duc, ce n’est pas d’abord
De cela qu’il s’agit. Il s’agit de la mort
De Maximilien, empereur d’Allemagne.637

Don Carlos doit convaincre le duc de la réalité et l’information prend valeur d’induction en
erreur de sa présence chez lui, en plus, il présente Hernani comme un homme de sa suite, malgré
qu’il soit son rival. Cette fois, l’influenceur devient trompeur :

Don Carlos
Il part. C’est quelqu’un de ma suite.638

G pa

A 3 [( H a v + S p a +  G a i ] =>  G p a => H ↔
= R ae) R ae R (R i )

635
Ibidem, p. 1166
636
Ibidem, p. 1168
637
Ibidem, p. 1175
638
Ibidem, p. 1183
111
De la même manière, nous avons analysé les autres macro–structures et le résultat est le schéma
suivant :
A = a1 + a2 + a3 + a4
B = b1 + b2 + b3 + b4
C = c1 + c2 + c3 + c4 + c5 + c6 + c7
D = d1 + d2 + d3 + d4 + d5
E = e1 + e2 + e3 + e4 + e5 + e6
Les personnages du drame Hernani évoluent groupés autour des pivots de l’action : Hernani +
Doña Sol et Roi +Gomez.
En étudiant en détail le contenu des micro–structures, nous avons constaté que les deux situations
possibles (de moment et finale) se disposaient logiquement. La comparaison des résultats met en
évidence le dynamisme particulier de l’action par l’alternance de la réussite et de l’échec. En même
temps, l’échec de moment représente dans les micro–structures (11 fois) l’élément qui facilite
l’action. Nous avons observé aussi que le moment-clé était dépassé dans son intensité par le
dénouement et ce n’est pas par hasard si les moments DA (déroulement de l’action) compliquent la
solution du conflit et augmentent la tension dramatique. L’étude des états d’âmes des personnages
met en évidence les disponibilités artistiques de l’auteur.
Nous avons remarqué que le groupe des personnages principaux était dominé par l’état de patient
(13 + 13), ayant la possibilité de changer le déroulement dramatique seulement trois fois et
respectivement une fois. Ces personnages principaux doivent obéir au roi (9 fois influenceur, 5 fois
agent volontaire, 2 fois trompeur et une fois intimidateur).
Nous y notons les deux subterfuges d’influence du cours de l’action (trompeur et intimidateur)
que le roi emploie dans les moments-clés. Gomez, le personnage placé aux extrémités du camp est
17 fois patient, 7 fois influenceur, 2 fois agent, une fois trompeur et finalement victime de son propre
état de confusion.
Les personnages épisodiques concourent inconsciemment ou déterminés au déroulement de
l’action. Ils ont d’abord un rôle d’agents et d’informateurs et ensuite un rôle de patients.
Nous avons saisi aussi l’alternance rapide et surprenante des états affectifs des personnages.
L’observation vaut non seulement pour les personnages principaux, mais aussi pour les personnages
épisodiques.

II.8. Pour une logique du conte

A l’intérieur du récit, il y a une grande fonction d’échange, répartie entre un donateur et un


bénéficiaire, de même, le récit comme objet est « l’enjeu d’une communication : il y a un donateur
de récit, il y a un destinataire du récit. On le sait, dans la communication linguistique, "je" et "tu"
sont absolument présupposés l’un par l’autre ; de la même façon, il ne peut y avoir de récit sans
narrateur et sans auditeur (ou lecteur) »639. Mais celui-ci n’est pas un objet de l’étude d’un troisième
niveau de description, du niveau de la narration, car, considère Barthes, le problème de ce niveau est
de décrire « le code à travers lequel narrateur et lecteur sont signifiés le long du récit lui-même »640.
Nous avons conçu cette partie, non seulement comme un niveau de la narration, donc comme un
problème du narrateur – lecteur à l’intérieur du récit, mais nous avons considéré juste et nécessaire
une étude du sens en entier : à l’intérieur du texte, dans sa structure, et à l’extérieur, y compris cette
relation entre les locuteurs, dans un plan dynamique du texte. Ainsi, nous avons considéré comme
étant très importante la compréhension du conte, sa perception au-delà du texte écrit qu’un lecteur a
sous ses yeux, ce qu’il devient au-delà de ces « pages d’encre noire »641, sa force perlocutoire642 sur
le lecteur ; s’il se transforme dans « des pages bourrées de lignes comprimées entre des marges

639
Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », in Communications, no 8, Seuil, 1966, p.18
640
Ibidem, p. 19
641
Daniel Pennac, Comme un roman, Gallimard, Paris, 1992, p. 22
642
Adriana-Gertruda Romedea, Actele de discurs: o perspectivă semiotică, Editura Ştefan Lupaşcu, Iaşi, 1999, p. 155
112
minuscules » où « même le feu ne peut s’insinuer entre les pages. Manque d’oxygène»643 ou dans
l’histoire captivante qui ne pourrait pas du tout être interrompue pour aller se coucher.
Quant au « contrat d’authenticité », Patrick Charaudeau considère que « la marque linguistique
"je" renvoie – pour une part – à la description d’un héros fictif ; et de fait le lecteur, malgré la
proposition qui lui est faite de confondre ce héros (ILx) avec le narrateur (JEé), avec le sujet
écrivant (JEc), et avec un sujet ayant vécu ces aventures (IL0 qui est un autre JEc), le lecteur donc
ne peut s’empêcher de considérer qu’il consomme une histoire fictive »644. ILx est pour Charaudeau
l’histoire racontée qui met en scène des personnages qui représentent un Tiers sur lequel « on n’a
aucune prise, dont on n’a aucune possibilité de vérifier l’existence et qui se présente comme une
totalité. La fiction commence dès que l’on parle d’un IL »645.
A partir du moment où nous acceptons qu’il y a fiction, alors nous comprenons que la porte
s’ouvre sur l’irrationnel.
JEé représente le sujet énonçant l’histoire racontée, un conteur fictif – «il n’existe lui-même que
comme être de parole. Un énonciateur complice de l’histoire qu’il raconte […] et complice du
lecteur qu’il imagine parce qu’il partagerait avec lui cette idéalité de saisie d’une destinée »646.
TUd est le sujet destinataire imaginé par le JE comme un interlocuteur-consommateur d’une
histoire de fiction, « auquel est prêté un imaginaire adéquat pour qu’il se projette dans cette
histoire. »647
Pour analyser le récit dans sa relation avec le lecteur, comme acte de langage, Charaudeau
estime que : « tout acte de langage résulte d’un jeu entre l’implicite et l’explicite qui naît dans des
circonstances de discours particulières, qui se réalise au point de rencontre des processus de
production et d’interprétation, qui est mis en scène par 2 entités dont chacune est dédoublée en sujet
de parole et sujet agissant (JEc/JEé et TUd/TUi – les 4 protagonistes de l’acte de langage) »648.
Charaudeau représente par le schéma suivant l’interaction des protagonistes de la séquence de
communication :
- le circuit de la parole configurée, où se trouvent le locuteur (JEé), le destinataire (TUd) et le
discours ;
- le circuit externe à la parole configurée, où il y a les êtres qui agissent dans un monde réel.

circuit interne

JEé
TUd
JEc
ILx
TUi/o

circuit externe
IL°

Acte de langage

Les 2 circuits de l’acte de langage649

Un tel schéma permet de décrire le rôle des protagonistes dans des stratégies simples de
discours :

643
Daniel Pennac, op. cit., p. 23
644
Patrick Charaudeau, Langage et discours. Elements de sémiolinguistique, Hachette, Paris, 1983, p. 96
645
Ibidem, p. 96
646
Ibidem, p. 96
647
Idem
648
Ibidem, p. 46
649
Idem
113
« Mensonge » : - JEé dit p (ILx).
- JEc sait (pense) non-p. (IL0).
- JEc fait en sorte que TUi s’identifie à un TUd qui croit que JEc pense p. (c’est le degré de
crédibilité).
« Secret » : - JEé ne dit rien (ILx = ø)
0
- JEc sait p. (IL ) qu’il serait susceptible de transmettre à TUd.
- TUi fait l’hypothèse que JEc sait p. et ne veut pas le transmettre.
Nous allons essayer de décrire d’après ce schéma le jeu énonciatif d’un texte de La petite Lise.
Le narrateur apparaît directement dans le conte par le « je », comme une argumentation de
l’authenticité du conte, mais il s’adresse au lecteur à un moment donné :

Je veux donner ici un conseil aux petits enfants : celui d’exprimer leurs désirs, quand ils sont
priés, avec force et franchise, sans fausse honte ni timidité. […]
Rien n’est plus lourd au cœur qu’un espoir déçu.
Et je connais une dame qui n’a jamais pu oublier une poupée aux longues nattes qu’elle avait
demandée d’une voix trop timide et qu’elle n’a jamais reçue.
C’était la petite Lise, et voici son histoire.
C’était l’époque enfiévrée qui précède la Saint-Nicolas. Les enfants, n’ayant pas encore arrêté
leur choix, vivaient pleins de convoitise et d’hésitation650.

Le conte commence par la première personne du singulier, par un je qui n’est, en réalité, qu’une
marque grammaticale qui nous fait entrevoir les divers statuts énonciatifs du je : le JEé – c’est
l’énonciateur qui raconte l’histoire et donne les éléments qui fixe l’histoire dans le ILx (les enfants
vivaient… ), le JEc – conteur qui s’adresse au lecteur (Je veux donner un conseil aux petits enfants),
et un JEc qui appartient à ILo, la réalité qui est suggérée par cette interpellation du lecteur et par
l’utilisation du présent de l’indicatif qui crée l’illusion qu’à côté de nous il y a la personne qui a
vraiment connu cette jeune fille, nommée Lise, et qui nous parle (impression augmentée par et voici
son histoire). Le personnage je peut être considéré par l’auteur comme un personnage fictif
appartenant à ILx, et/ou comme une personne réelle appartenant à IL0. Ce JE-écrivain connaît le
plaisir de jouer avec les conventions : il y a dans ce texte une sorte de démagogie : JEé dit qu’il veut
conseiller les enfants (TUd) d’exprimer leurs désirs, ce qui semble favorable pour le TUi, d’où
l’identification préconisée par le JEc qui veut faire le TUi avoir confiance en lui, et croire à la
réalité d’un conte.

II.9. Le monde d’au-delà de nous

Le monde de nos jours, notre monde réel, nous est accessible par l’intermédiaire d’une multitude
d’images ou descriptions des états ; dans ce monde, un et un font deux, Platon a été un philosophe
grec, Cendrillon n’a jamais existé.
Umberto Eco, dans Les limites de l’interprétation, souligne que « l’ensemble des images du
monde actuel est son encyclopédie potentielle, maximale et complète »651. Le « monde possible » est
défini par Eco comme « un état de choses exprimé par un ensemble de propositions où, pour chaque
proposition, soit p, soit non-p »652.
Le monde possible est donc le monde du texte, ce monde idéal que le conte nous fait rêver, un
monde où il y a des relations valables strictement à l’intérieur de ce monde créé par l’imagination.
Ces relations sont nommées par Eco « propriétés s-nécessaires » qui « ne peuvent contredire les
propriétés essentielles parce que même les propriétés s-nécessaires sont liées sémantiquement »653.
Janos S. Petöfi şi H. Kayser, dans Les actes de langage et l’interprétation sémantique,

650
V. Millot, La petite Lise, in op. cit., p. 353
651
Umberto Eco, Limitele interpretării, Editura Pontica, Constanţa, 1996, p. 225
652
Umberto Eco, Lector in fabula, Grasset, Paris, 1985, p. 165
653
Ibidem, p. 204
114
prennent en considération la relation temporelle entre le monde constitué maintenant – ici – je et le
monde qui doit être enchâssé de façon immédiate. Ils distinguent cinq « mondes »654 :
a. un monde avec une intensité temporelle entre le temps de la constitution des mondes et le temps
des matières des mondes : Il entend un murmure de mécontentement ;
b. un monde où il faut fixer au moment de la constitution de monde une matière de monde, situé
dans le passé : Je me rappelle les temps de ma jeunesse ;
c. un monde où il faut fixer au moment de la constitution de monde une matière de monde, situé dans
l’avenir : Je prévois une aggravation des événements ;
d. un monde où, au moment de sa constitution, « représente un autre monde qui peut être simultané
ou dans le passé »655 : Je crois que Jean vient aujourd’hui ;
e. un monde où « la relation temporelle entre le moment de la constitution de monde et la matière
de monde ne peut être déterminée, ou elle est sans importance à cause de la validité universelle et la
connaissance commune de la matière de monde »656: C’est une certitude pour moi, comme historien,
que Napoléon est mort à l’île Sainte Hélène. Pour les linguistes cités, la constitution des « mondes »
est possible par des expressions performatives.
Dans Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau présente les événements les plus importants de sa
vie. Le fragment présente la rencontre avec madame de Warens. Le récit a un caractère
autobiographique, à la première personne ; le narrateur est, en même temps, héros et auteur.
Si nous admettons que tout texte littéraire prévoit et anticipe des comportements possibles d’un
lecteur modèle, nous pouvons affirmer que le texte des Confessions ne s’adresse pas à un lecteur
intéressé à une chronique des événements extérieurs à la vie de l’auteur, mais il est réservé, surtout, à un
lecteur préparé à connaître l’histoire de l’âme de Rousseau, avec ses lumières et ses ombres. C’est un
monde construit par un « je » présent, sur l’existence d’un « je » passé, qui a une contribution
fondamentale à la formation de la personnalité de l’auteur.

Je ne trouvai point Mme de Warens; on me dit qu’elle venait de sortir pour aller à l’église. C’était le
jour des Rameaux de l’année 1728. Je cours pour la suivre : je la vois, je l’atteins, je lui parle … Je
dois me souvenir du lieu; je l’ai souvent depuis mouillé de mes larmes et couvert de mes baisers [...].
C’était un passage derrière sa maison, entre un ruisseau à main droite qui la séparait du jardin, et le
mur de la cour à gauche, conduisant par une fausse porte à l’église des Cordeliers. Prête à entrer dans
cette porte, Mme de Warens se retourne à ma voix. Que devins-je à cette vue ! Je m’étais figuré une
vieille dévote bien rechignée : la bonne dame de M. de Pontverre ne pouvait être autre chose à mon
avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le
contour d’une gorge enchanteresse.
Rien n’échappa au rapide coup d’œil du jeune prosélyte, car je devins à l’instant le sien, sûr qu’une
religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener en paradis. Elle prend en
souriant la lettre que je lui présente d’une main tremblante, l’ouvre, jette un coup d’œil sur celle de M.
de Pontverre, revient à la mienne, qu’elle lit tout entière, et qu’elle eût relue encore si son laquais ne
l’eût avertie qu’il était temps d’entrer. «Eh ! mon enfant, me dit-elle d’un ton qui me fit tressaillir,
vous voilà courant le pays bien jeune; c’est dommage en vérité.657

La lecture du fragment nous permet d’observer le changement fréquent des temps verbaux : le
récit commence au passé simple (je ne trouvai) et continue au présent (je cours ; je la vois) ; cette
alternance peut être observée dans chaque paragraphe. Dans la narration au passé simple, s’insère le
présent utilisé par le narrateur, mais aussi un présent qui actualise des évocations intenses.
Nous apprécions que le « monde » décrit par Rousseau est transfiguré par les souvenirs, c’est un
monde « vu » avec les yeux de l’esprit et de l’âme, qui soumet à une instance actuelle des faits,

654
Janos S. Petöfi şi H. Kayser, « Les actes de langage et l’interprétation sémantique », in Linguistique et
sémiologie, no 5, 1978, Presses Universitaires de Lyon, p. 168
655
Ibidem, p. 169
656
Idem
657
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, Nouveaux Classiques Larousse, Paris, 1971, p. 20
115
sentiments et gestes passés qui désirent définir la nature humaine même.
La rencontre avec madame de Warens, vécue lorsque Jean- Jacques Rousseau avait seize ans,
garde l’enthousiasme, mais aussi les « préjugés » spécifiques à cet âge (l’association de la dévotion
avec le laid) ; la beauté de madame de Warens est décrite, telle qu’elle a été perçue par l’adolescent
Rousseau; l’étonnement et le choc affectif sont déterminé pas la différence entre les attentes du jeune
et ce qu’il découvre ; la différence est mise en évidence par des verbes opposés : je m’étais figuré;
je vois. Le premier regard du jeune homme attire une image éblouissante qui ne peut pas être
effacée.
Umberto Eco considère que, dans la théorie de la narrativité, « les mondes possibles sont des
états de choses décrits en termes du même langage dans lequel le texte narratif parle. Ces
descriptions peuvent être traduites en matrices de mondes qui offrent la possibilité de confronter
différents états de choses sous une autre description et de clarifier s’ils peuvent être ou non
réciproquement accessibles et comment ils se différencient » 658.

658
Umberto Eco, 1996, op. cit., p. 224
116
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Adresses électroniques

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