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Les Annales de la recherche

urbaine

Intégration en architecture et urbanisme


Michel Woitrin

Citer ce document / Cite this document :

Woitrin Michel. Intégration en architecture et urbanisme. In: Les Annales de la recherche urbaine, N°5, 1979. pp. 14-26;

doi : https://doi.org/10.3406/aru.1979.971

https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1979_num_5_1_971

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Intégration en architecture et urbanisme

Michel Woitrin *

La parole est donnée ici, non pas avoir des spécialistes de l'intégration
à un architecte de profession, mais à ou de la solution plus ou moins adé¬
un universitaire, économiste de forma¬ quate des conflits : cette fonction est
tion que les hasards de l'existence ont essentielle au niveau de l'action si l'on
amené à concevoir les principes et à veut que des projets, malgré les contra¬
lancer la réalisation de la ville nou¬ dictions qu'ils comportent, prennent
forme.
velle de Louvain-la-Neuve, en Bel¬
gique, et le site de Louvain-en-Woluwe. Ainsi, si l'on demande au respon¬
Face aux problèmes posés par sable d'une opération urbaine quel est
M. Boudon, il réagit en généraliste le mot unique qu'il choisit pour décrire
responsable d'une opération urbaine le problème, il fera sans doute choix
et, par là, architecturale : d'où sans du mot « intégration » \ Le mot est
doute une extension du problème de commode, car susceptible d'une grande
l'intégration, par-delà le propos archi¬ plasticité, mais il est cependant signi¬
tectural. fiant surtout si l'on veut bien l'analyser
aux divers niveaux de son contenu.
Je partirai d'une définition de l'inté¬
Comme il y a des spécialistes de gration qui me paraît efficace, même si
l'analyse des conflits dans l'appropria¬ aucun dictionnaire ne la suggère telle
tion de l'espace architectural, il doit y quelle. Dans ce texte, intégration

* Administrateur général de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve.


1. Philippe Boudon, Philippe Deshayes, Claude Nedelec, Intégrations et Architecture.
La ville de Louvain-la-Neuve..., AREA, Paris, 1978, p. 5.
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intégration en architecture et urbanisme

signifie : insertion efficace d'un élément La distinction de ces niveaux s'im¬


dans un ensemble. Et l'on verra que pose, non seulement au niveau de
les moyens d'intégration sont multiples l'analyse intellectuelle, mais au niveau
— jusqu'au paradoxe. du projet de réalisation, d'où le danger
de l'a urbatecture ». (Voir article de
Cette convention avec le lecteur M. Boudon.)
permet d'analyser l'intégration à divers Il doit apparaître ultérieurement que
niveaux qu'il est essentiel de distin¬ ce mot, ainsi compris, ne suggère aucu¬
guer : nement une contrainte qui exclurait
— le niveau « architecture », qui le changement incessant, le dynamisme
permet de traiter de l'intégration archi¬ qui caractérisent tout corps social :
tecturale et morphologique ; insertion efficace ne veut pas dire
« absence de tensions ». Les tensions
— le niveau « urbanisme », qui
qui naissent du problème de l'inté¬
traite de l'intégration urbanistique et
fonctionnelle ; gration à ses divers niveaux sont
sources de mouvement. On peut même
— le niveau « socio-économique », concevoir une non-intégration volonta¬
qui traite de l'intégration sociale au riste, conçue en vue de favoriser le
sens large. mouvement.

L'intégration architecturale

gration architecturale. L'intégration ne


peut signifier la disparition de l'identité
du bâtiment, dans la répétition archi¬
tecturale. On peut concevoir une
intégration morphologique par le res¬
pect des volumes sans le respect des
bâtiment
d'autres
qui
endroit
celle
ment
ne
tion
ronnement
«etce
Le
vases
est
au
bâtiment
des
est
pas
problème
lelieu,
», bâtiments,
formes,
beau,
autres
déterminé,
«mieux
ici
».cette
ou,
»,vu
ne«bâtiments
perçu
architecture
en
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de convient
est
l'état
n'y
tout
avec
l'insertion
sans
par
aun
cas,
isolé,
pas
ses
»,
doute
lepas
«jure
ensemble
àadéqua¬
volumes
public
cemais
l'envi¬
àcelui
bâti¬
avec
d'un
cet
il: styles : c'est déjà une garantie très
importante d'une insertion harmo¬
nieuse.
Le mérite de l'intégration architec¬
turale réussie se situe dans une inser¬
tion subtilement efficace d'une archi¬
tecture différente ou de volumes
Pour trop de personnes, intégration
différents dans un ensemble architec¬
architecturale signifie unicité de l'archi¬
tecture, ce qui serait un appauvrisse¬ tural ; plus loin même, je suggère qu'il
ment. On exige qu'il n'y ait que des peut y avoir intégration dans la
bâtiments modernes auprès de bâti¬ différence, c'est-à-dire une rupture
ments baroques. C'est là une concep¬ volontariste et signifiante.
tion trop facile, sécurisante, de l'inté¬ Il est temps d'illustrer ce propos :

15
intégration globale, intégrations locales

il y a intégration morphologique dans morphologique ; un des exemples les


le cas de ces villages ou petites villes plus mauvais que l'on puisse donner est
françaises, italiennes ou anglaises où évidemment Bruxelles, où toute la ville
aucun volume ne se distingue de est abîmée par des formes inconci¬
manière insupportable dans l'ensemble liables avec l'ensemble urbain. Mais
défini ; il y a intégration morpholo¬ quelle admirable intégration architec¬
gique dans ces quartiers de Paris (ou turale et morphologique est réalisée
de Louvain-la-Neuve) où le tapis par ailleurs, sur la Grand-Place de
urbain s'étend sans rupture grâce au Bruxelles ! Paris a mieux réglé le pro¬
nombre d'étages assez constant, à des blème en n'acceptant que quelques
corniches qui respectent plus ou moins erreurs de ce type (genre tour Mont¬
fidèlement les alignements des niveaux. parnasse), grâce au rejet vers l'ensem¬
Les dégâts que provoque l'émer¬ ble de la Défense des tours, peut-être
gence de tours disparates dans le tissu inévitables, de la grande ville. Paris
urbain illustrent bien l'importance de avait d'ailleurs digéré la tour Eiffel.
ce premier niveau de l'intégration Je voudrais cependant plaider

Louvain-la-Neuve, place de l'Université. Au fond, la rue des Wallons.


intégration en architecture et urbanisme

qu'une bonne intégration architecturale musées dans le désert au lieu de vivre


(c'est-à-dire insertion efficace dans comme le Panthéon dans Rome.
l'ensemble) peut très bien accepter une Il est très important de conserver le
rupture localisée par rapport à l'ensem¬ principe du jaillissement de la cathé¬
ble environnant, lorsqu'elle est justi¬
fiée. drale ou de l'Acropole par-dessus les
toits, afin de conserver toute sa valeur
La bibliothèque de la place des d'expression à la volonté de rupture.
Sciences, à Louvain-la-Neuve, est une
Dans le même esprit de rupture vou¬
rupture du point de vue des volumes
lue, la « Mémé » (Maison médicale)
et des formes architecturales, avec le des étudiants en médecine, à Louvain-
tissu urbain environnant : je crois
en-Woluwe, peut trouver sa justifica¬
cependant qu'il y a « insertion effi¬
tion, quoique fort controversée ; on
cace », car cette rupture se veut signi¬
peut prétendre qu'il était urgent de
fiante. Il s'agissait de marquer la pré¬ rompre, même radicalement, avec
sence universitaire au sein de ce
l'architecture orthogonale des cliniques
quartier, d'assurer un geste architectu¬ universitaires et de l'Ecole de santé
ral. C'est ce que j'appellerais volontiers publique. Cette volonté de rupture
le principe de l'Acropole ou le principe pose un problème très délicat d'inté¬
de la cathédrale, qui consiste à brandir
gration aux étapes ultérieures, et les
un signal architectural, par rupture problèmes ne sont pas simplement
avec un contexte urbain plus humble architecturaux : ils relèvent vite de la
et calme ; le bâtiment veut faire passer psychosociologie, comme le montre la
un message. Après le message religieux contestation estudiantine.
de l'Acropole ou de la cathédrale, il
peut y avoir des messages laïcs ou On pourrait, dans ce cas tout parti¬
universitaires à exprimer. culièrement, parler d'intégration par
impertinence, le mot s'appliquant bien
Je crois que la brutalité de la rup¬
à la psychologie de l'architecte. Mais,
ture contribue à l'efficacité de la signi¬
par sa nature, une intégration par rup¬
fication. C'est pourquoi on peut
ture doit être limitée en quantité, d'où
regretter que les petites maisons qui
se blottissaient contre les bases des l'importance de doser, suivant les prin¬
cipes d'une médecine homéopathique,
cathédrales, au moyen âge, aient géné¬
les quantités d'«architecture de rup¬
ralement disparu (excepté à la cathé¬ ture ».
drale de Tournai, où quelques-unes
ont été reconstituées dans des propor¬ Je prends le risque de classer dans
tions que j'appellerais harmonieuses) ; cette intégration par rupture le cas
il est bon qu'il y ait un quartier popu¬ très discuté du Centre Pompidou : je
laire de Placca à la base de l'Acropole, crois que, sous la réserve de quelques
comme il y a un quartier de Sa Pena à angles de vue discutables et inévitables,
la base de l'a Acropole » d'Ibiza (Delt le geste de la raffinerie technologique
Vila). On peut regretter aussi que les dans le tissu de Paris est un rappel
temples doriques de Sicile, à Segeste brutal du monde technique actuel qui
et Selinonte, apparaissent comme des se révèle efficace, à en juger par l'inté-

17
intégration globale, intégrations locales

rêt de foule suscité par ce monument 2. architectures, d'autant plus qu'un


Pour moi, il peut y avoir intégration supplément de cohérence et d'unicité
architecturale, puisqu'il y aurait ici était déjà assuré par le biais du maté¬
une insertion socialement efficace (je riau de plus en plus dominant, brique
n'ai pas dit harmonieuse ni esthétique) et ardoise. Il y avait donc place pour
dans l'ensemble urbain. des intégrations par rupture, mais
savamment limitées.
Il y a des ruptures architecturales
qui ne méritent pas le nom d'intégra¬
tion : à Louvain-la-Neuve, l'ensemble
de béton préfabriqué des bâtiments de
botanique, zoologie, biologie, agrono¬
mie illustre bien la « non-intégration » Le problème de l'intégration archi¬
architecturale. Il n'était pas nécessaire tecturale se pose pour beaucoup de
que la zoologie exprime plus brutale¬ bâtiments à Harvard (Cambridge,
ment sa présence dans le tissu de la USA) : de nombreux bâtiments,
ville universitaire que la chimie, le beaux ou intéressants (Le Corbusier,
génie civil ou l'électricité ; et surtout, Yamasaki...), ne sont pas intégrables
si l'on souhaite s'exprimer, il faut le dans l'espace disponible. (Voir Bou-
faire à une dose plus limitée pour don.) Ce sont des bâtiments pour les¬
mériter le mot d'insertion efficace. Le
drame est que la vue aérienne de quelssorte
une on aurait
de festival
dû pouvoir
de l'architecture
organiser
Louvain-la-Neuve, très valable à beau¬
en les répartissant sur un vaste campus
coup de points de vue, est ternie de où chacun aurait pu mettre en valeur
manière irrémédiable par ce premier son identité ; on aurait alors réussi un
plan (lorsqu'on a, en avion, la lumière musée vivant de l'architecture contem¬
dans le dos) d'une masse répétitive et poraine, comme on réussit des exposi¬
en rupture avec l'environnement archi¬ tions de sculptures en plein air. On
tectural. Aux environs immédiats, fait parfaitement cohabiter dans un
l'intégration par rupture qu'illustre parc les sculptures de Moore et de
l'implantation du complexe du cyclo¬ Pomodoro, à condition que les dis¬
tron, « hors les murs », me paraît tances suffisantes ou des écrans de
justifiée et réussie. verdure permettent à chacun de
Dans le cas de Louvain-la-Neuve, reprendre son souffle en passant d'un
comme l'intégration urbanistique maître à l'autre. Ce problème de l'inté¬
devait être très exigeante, il était gration adéquate de beaux bâtiments
important d'assurer une sorte de dés¬ se pose dans plusieurs universités
intégration architecturale, c'est-à-dire américaines riches, qui ont pu se per¬
la multiplicité des architectes et des mettre quelques monuments d'architec-

p. 2.337-338
d'intégration
J. Autin,
età ailleurs,
latravers
Francel'histoire
où des
l'onbâtisseurs.
trouve
de l'architecture.
desVingt
jugements
siècles d'architecture,
« sages » sur bien
Perrin,desParis,
problèmes
1978,

18
intégration en architecture et urbanisme

ture, notamment à Princeton, Chicago, la ville qui peut et doit accepter le


etc. défi permanent des nouveaux bâti¬
A côté de l'intégration-rupture, plus ments, sans avoir à se préoccuper ni
ou moins bien réussie, il y a aussi du style ni même des dimensions du
voisin. New York est de toute manière
l'intégration par la discrétion. Cam¬
bridge (Angleterre) comporte de nom¬ une symphonie fantastique (celle du
breuses réussites en la matière : le nouveau monde), parfois grandilo¬
Wolfsson Building de Trinity College, quente comme Dvorak ou Berlioz.
qui cache une architecture résolument Mais il y a des moments où l'on attend
contemporaine derrière quelques mai¬ Berlioz et non pas Bach.
sons de Trinity Street ; le Science Mais ce qui est bon pour New York
Building, qui insère ses structures très serait simplement intolérable ailleurs :
fonctionnelles derrière les apparences pensons un instant au drame que serait
d'une Downing Street inchangée, sont l'insertion d'un Seagram Building à,
de bons exemples. Sachons d'ailleurs passons à l'extrême, Venise.
accepter quelques audaces : la Wren Il y a des villes en ébullition (même
Library a dû poser quelques problèmes si elles ont la fièvre de la maladie) :
d'intégration à Trinity College en son New York, Toronto — et il y a des
temps, et le Fellows' Building, à King's villes qui ont choisi le calme et le soin
College, pourrait encore en poser (mais du passé : Bruges, Venise, Lucca,
n'en pose pas, à mon avis) auprès de Auxerre, Bath, York.
King's Chapel.
De manière générale, Oxford et Il reste un dernier problème d'inté¬
Cambridge de 1979 soulèvent d'excel¬ gration architecturale : c'est celui du
lents problèmes d'intégration architec¬ bâtiment isolé (et non pas de la ville)
turale, posés souvent audacieusement dans le paysage : les petits temples
et souvent réussis. Ils méritent une de l'amour dans un parc à la française,
étude exhaustive.
les réminiscences classiques dans un
Reste le problème de l'intégration parc à l'anglaise. Délicieux jeux de
architecturale de beaux bâtiments l'esprit et de l'œil, vous êtes insérés
comme la Lever House, le Seagram efficacement dans l'ensemble qui assure
Building, le Guggenheim Museum, à le dialogue de l'homme et de la nature.
New York. Ma réaction est que l'âme On a pu dire que « la maison naît du
de New York (à laquelle je suis sen¬ sol ». F. L. Wright : où peut-on mieux
sible) consiste précisément dans cette le vivre qu'en Toscane, où chaque petit
agression renouvelée du neuf au milieu mamelon de paysage sécrète sa fer¬
d'un tissu urbain qui n'exprime guère mette ou sa résidence, accentuation
un passé, mais un mouvement perpé¬ spontanée mais discrète des ondula¬
tuel. New York me paraît typiquement tions harmonieuses du paysage ?

19
intégration globale, intégrations locales

Intégration urbanistique dimension, souvent dépassé actuelle¬


ment, avec ses conséquences : le gigan¬
tisme, la criminalité, la paupérisation.
Une organisation adéquate de l'inté¬
gration urbanistique est donc l'opposé
du gigantisme, mais aussi du suburbain
interminable ou de l'infra-urbain.
C'est la négation du développement
extensif, donc automobile, du type Los
fie Cette
l'intégration,
bâtiment,
de
l'insertion,
logique,
le
dans
bation
vue,
cace
tité problème
laque
de
ilunville.
exigeou
l'élément
apparaît
l'on
mais
terminologie
ensemble
mais
le
ànon
Cela
lade
examine
paysage.
non
fonctionnelle
au
fois
pas
l'insertion
que
urbain.
pose
niveau
plus
plus
seulement
la l'intégration
densité
construite
levaste,
De
leaude
problème
ce
; de
niveau
l'ensemble
c'est
laet
morpho¬
point
lal'iden¬
conur¬
signi¬
aussi
ville
effi¬
du
de Angeles (avant les efforts limités, et
difficiles à ce stade, d'y créer un cœur
de ville). Or, une ville, comme tout
corps humain, a désespérément besoin
d'un cœur, et l'existence d'un cœur
urbain suppose une densité suffisante
qui assure un accès facile et multiple
Tout d'abord, l'insertion fonction¬ au cœur. Un cœur doit être vivifié par
nelle dans l'ensemble que constitue la l'afflux incessant d'un sang chaud. Il
faut identifier le cœur en lui donnant
ville requiert la densité du bâti : le
concept même d'«urbain » et d'«inté¬ même un nom qui illustre sa fonction :
gration » suggère la réunion sur un agora, grand-rue, grand-place... La
espace restreint des divers services que pérennité des fonctions éternelles à
travers les formes de l'architecture se
la vie en société peut assurer. L'his¬
toire même du développement des confirme : la grand-place en hémicycle
villes n'est que l'agglutination, pour près du City Hall de Boston me suggère
diverses raisons (sécurité, efficacité invinciblement l'irremplaçable place
de Sienne.
commerciale), des habitats épars qui
caractérisent les campagnes. Cette exigence de densité, excluant
La ville se justifie par son efficacité la domination de l'automobile, semble
sociale, les économies d'échelle qu'elle particulièrement bien réalisée dans le
permet. En s 'inspirant du vocabulaire cas de Louvain-la-Neuve. Cet essai de
des économistes, on pourrait parler de ville universitaire nouvelle illustre
multiplicateur urbain, urban multiplier, aussi comment on peut tenter d'harmo¬
c'est-à-dire de la multiplication des niser les exigences de la fonctionnalité
avantages que trouvent les hommes universitaire et celle d'une ville pensée
lorsqu'ils s'assemblent : cet effet multi¬ pour l'avenir3 : la superposition du
plicateur bénéfique a cependant ses sociogramme d'une université et du
limites au-delà de l'optimum de plan directeur de la ville universitaire

Magazine,
3. Michel1979,
Woitrin,
1, p. 15-20.
«Formation des hommes et Cadre de vie urbanistique», ES S O

20
Louvain-la-Neuve, rue des Wallons. A droite, les Halles universitaires.
Le concept même d'«urbain » et d'«intégration » suggère la réunion sur un espace
restreint des divers services que la vie en société peut assurer.
intégration globale, intégrations locales

démontre bien comment les deux types ment un viol du milieu naturel : au
d'exigence peuvent être intégrés. contraire, c'est une forme de respect de
la nature. Un mérite de Louvain-la-
L'intégration urbaine implique la Neuve consiste à assumer le cadre
chasse aux banlieues sans fin4 telles
naturel ; celui-ci est un plateau légère¬
que l'on les ressent à Paris, à Londres ment creusé en amphithéâtre sur
et dans tant d'autres grandes villes,
lequel on a « déposé » la ville en assu¬
avec, semble-t-il, une exception pour
rant la vue des quartiers hauts vers
Rome où le phénomène paraît avoir été le centre-ville au bas de l'amphithéâtre
mieux maîtrisé. L'intégration urbanis-
— la scène de l'amphithéâtre étant
tique suppose aussi une articulation réalisée à terme par le centre urbain
bien coordonnée des diverses fonctions
prolongé par le plan d'eau du lac.
urbaines qu'il paraît logique de traiter
sous le nom d'intégration sociale. Cette lisibilité de l'identité est par¬
faitement réalisée dans les villes mili¬
Mais, avant de revenir à ce concept taires (il y aurait un éloge à faire des
élargi, il y a lieu de traiter ici de villes militaires, bien qu'il soit un peu
l'insertion de la ville dans le paysage ; paradoxal que les militaires aient pu
c'est là que se pose le problème de contribuer à la qualité de la vie). Cette
l'identité : il est fondamental que la identification claire apparaît dans les
ville se définisse clairement dans le villes militaires et volontaristes (dues
paysage en marquant une rupture, et à la volonté ou à la puissance d'un
non effilochée, entre la ville et la cam¬ homme). On en trouve de bons
pagne. C'est à nouveau ce qui est exemples à Aigues-Mortes, Villeneuve-
voulu clairement à Louvain-la-Neuve sur-Yonne, Mirepoix, Neuf-Brisach,
et rendu plus solide grâce au système Pontivy, Richelieu, Raarden, etc.
du « ring » automobile qui enserre la
Très heureusement, la simple exis¬
ville (comme en des remparts) et grâce
tence de remparts pour des raisons de
à la proximité physique du bois de
sécurité a pu longtemps assurer cette
Lauzelle, barrière verte qui s'oppose
lisibilité de la ville dans la campagne :
à la prolifération de la ville.
remparts du xiïe ou du xvf à Leuven,
L'intégration de la ville dans le pay¬ remparts de Saint-Paul-de-Yence, de
sage est une exigence à la fois esthé¬ Lucca, etc. Nous devons regretter la
tique et fonctionnelle, mais ici le mot destruction des remparts de nos villes
« intégration », c'est-à-dire insertion au xixc siècle, mais quel courage poli¬
« efficace », signifie à nouveau rupture tique et économique, quel sens pros¬
nette entre la ville et le milieu exté¬ pectif héroïque aurait-on dû exiger de
rieur. Cette rupture ne signifie aucune¬ nos autorités locales pour échapper à

beyond
critiques
Ed.
4. du
Lewis
»,Seuil,
dep.Mumford,
quelques
565.
Paris,Ce 1964,
idées
«the
classique
City
suggérées
784 p.,
in» History,
comporte
bibliographie.)
ici. (Traduction
New
d'admirables
York,
française
1961,
et :de
chap.
la nombreuses
Cité16 à : travers
«Suburbia
illustrations
l'histoire,
and

22
h !<U \ V.î

intégration en architecture et urbanisme

cet engouement général et aux exi¬ environnante ne paraissent pas facili¬


gences de la circulation ! tées par cette architecture sévère.
L'intégration urbanistique, donc des Au contraire, l'Université du Québec
fonctions, pose aussi le problème de va ouvrir, en septembre 1979, à Mont¬
l'insertion de grands ensembles fonc¬ réal, le Village Saint-Denis : c'est un
tionnels dans le tissu urbain. Un beau ensemble de bâtiments (en briques)
cas est posé par l'insertion d'une uni¬ connectés bien sûr au métro, intégrant
versité dans le contexte urbain pré¬ une (relativement) vieille église en
existant. pierre grise, organisant un vaste
espace couvert pour les réunions, et
Deux cas contemporains, en Amé¬ cela à l'emplacement de l'ancien
rique du Nord, illustrent les difficultés Quartier latin de Montréal ; l'univer¬
dé ce problème, que vivent aussi beau¬ sité revient au cœur de la ville où
coup de villes françaises ou anglaises, l'attendaient toujours les cafés de
lorsque l'université n'est pas simple¬ jeunes, plus ou moins délabrés, les
ment rejetée hors les murs.
boutiques des artistes. Et elle revient
Je pense d'abord à l'université éta¬ au cœur de la ville, pour mieux accom¬
blie à Chicago Circle, à Chicago : une plir sa nouvelle fonction de recyclage,
architecture traditionnelle admirable bien conforme aux exigences présentes
(Skidmore Owings et Merrill) ne per¬ de l'Université 5, puisque le maximum
met pas de conclure qu'il y a insertion de présence estudiantine se situe entre
réussie, ni du point de vue architec¬ 17 et 20 heures. Cela me paraît un
tural, ni du point de vue fonctionnel ; bon exemple d'intégration urbanistique
les relations souhaitables entre étu¬ fonctionnelle et même architecturale,
diants et professeurs (relégués dans puisqu'on a évité de faire un gratte-ciel
l'Ivory Tower) et celles entre la de plus à Montréal, ce qui est méri¬
communauté universitaire et la société toire.

Intégration sociale

gences sociales au sens le plus large,


c'est-à-dire sociologiques, psycholo¬
giques, mais aussi politiques, adminis¬
construire,
insertion
celui
élevé
de Mais,
la de
et, en
société
l'adéquation
en
efficace
sematière
tout
—poseetcas,
àlejeun
de
problème
aux
vise
plus
bâtiments
niveau
contraintes
làgénéral
lesd'une
plus
exi¬à: tratives, économiques. Je voudrais
plaider que les architectes, les urba¬
nistes, mais au minimum les respon-

vol.
de 5.gestion
2,
Michel
n° 2,
des
Woitrin,
p.établissements
255-274.
«la Planification
d'enseignement
pour l'université
supérieur, deOCDE,
demain Paris,
», Revueseptembre
internationale
1978,

23
Louvain-la-Neuve. Au premier plan, la place Galilée ; au fond, la place des
Sciences et la Bibliothèque des sciences exactes.
La bibliothèque de la place des Sciences, à Louvain-la-Neuve, est une rupture,
du point
urbain environnant...
de vue des volumes et des formes architecturales, avec le tissu

sables au sommet, sont tenus de ne C'est, je crois, une grave responsa¬


pas ignorer ces dimensions de l'inté¬ bilité pour un homme de l'Occident
gration. Trop de vastes projets sont d'avoir proposé un schéma directeur
entrepris sous des impulsions architec¬ qui ne correspond absolument pas aux
turales, urbanistiques ou politiques, qui possibilités et aux attentes de l'Inde
sont la négation de cette insertion effi¬ actuelle : énorme infrastructure auto¬
cace. Je pense à Chandigarh dans le mobile, ville très extensive, architec¬
Pendjab, où Le Corbusier a eu la ture monumentale et expressive, mais
liberté, qu'il n'avait pas eue ailleurs, hors des moyens d'un pays pauvre. Je
de concevoir du gigantesque à partir garde le souvenir de ces quelques îlots
de zéro. perdus dans le désert urbain où la vie

24
intégration en architecture et urbanisme

cherche à naître en dépit de l'impos¬ truit dans les difficultés financières


sibilité d'assurer la synergie des compo¬ (mais sans doute à un coût social fort
santes. Non loin de là, les complexes élevé).
d'habitations sociales à Jaipur conçues,
Il faut voir grand en connaissant les
me dit-on, par des architectes français
limites du possible : c'est une forme
au XVIIIe siècle, me paraissent de bons
essentielle de l'intégration sociale d'un
exemples d'architecture urbaine inté¬
grée, avec leurs courettes intérieures, projet.
leurs escaliers multiples, leur densité. Nos moyens financiers étant actuel¬
En Occident même, combien de lement limités, il y a sans doute lieu
souffrances certaines sont promises de limiter nos ambitions et d'être fort
pour de longues années dans des villes sélectif dans le choix de nos moyens,
nouvelles, faute d'avoir ressenti qu'on afin de rester efficace malgré tout. Par
ne peut lancer des bâtiments sans avoir exemple, sachons mieux réanimer les
bien mesuré les risques de type poli¬ villes existantes au lieu de lancer des
tique ou financier qui pèsent sur le villes nouvelles dans le désert ou d'éta¬
projet. Aux Etats-Unis, Reston, près blir de très belles universités (comme
de Washington, bien pensé à beaucoup en Angleterre) à distance des villes
de points de vue, ne comportait pas anciennes aussi bien que des villes
encore d'équipement d'enseignement nouvelles 6.
secondaire après dix ans d'existence.
Assurer l'insertion efficace du finan¬ Pourquoi alors, me direz-vous, tenter
cier dans un projet urbanistique ne Louvain-la-Neuve, en 1968 ? Parce que
doit cependant pas entraîner le refus nulle part l'université n'avait été accep¬
tée dans le cœur d'une ville existante ;
de « rêver grand » qui est souvent la
condition de l'efficacité à long terme : parce qu'on a clairement prévenu que
il faut continuer à concevoir avec la création de toute ville nouvelle était
ambition, à un horizon lointain, mais un très grand risque (« on ne connaît
en se tenant prêt à faire face, avec pas de réussites totales ») ; parce qu'on
réalisme et imagination, aux impasses avait la chance de combiner certains
financières qu'implique tout « grand besoins de « ville nouvelle » (l'exode
dessein ». Ne pas « intégrer » le finan¬ depuis Bruxelles vers le Brabant wal¬
cier dans la conception, c'est courir à lon) et le moteur d'une université exis¬
la faillite ; se laisser dominer par le tante et en expansion \ Ajoutons
danger financier, c'est se condamner peut-être qu'il était simplement normal
à la médiocrité. Versailles a été cons¬ qu'une université procure à la commu-

Bass,
6. Idem,
San Francisco,
« University1977,
Towns
t. »,9, International
p. 4102-4112.Encyclopedia of Higher Education, Jossey
7. Idem, « Louvain-la-Neuve et sa rationalité économique, sociale et politique », Revue
de
tembre
la Faculté
1972, p.des4-12.
sciences économiques, sociales et politiques, Louvain-la-Neuve, sep¬

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intégration globale, intégrations locales

nauté le laboratoire d'expérimentation l'intégration : bien sûr, il faut réaliser


urbaine dont nous avons besoin l'intégration architecturale morpholo¬
aujourd'hui 8. gique, comme l'intégration urbanis-
tique, fonctionnelle, mais il faut penser
Les douleurs de l'enfantement des aussi l'intégration sociale, dans la cité,
villes nouvelles sont dues notamment c'est-à-dire le politique, le financier,
au fait que l'on ne s'est pas suffisam¬ l'économique comme le sociologique
ment préoccupé de l'intégration sociale ou le psychologique : par-delà le
de la ville, c'est-à-dire la volonté « microscopique » du bâtiment, il y a
sociale, politique, financière de la le macroscopique de la société. Partout
construire. il y a matière à intégration. Le rêve
En conclusion, lorsqu'on prononce, à poursuivre est que l'intégration soit
en matière de construction, le mot clé efficace à tous ces niveaux.
« intégration », n'oublions jamais les
divers niveaux auxquels il faut penser Michel Woitrin

8. Idem, «Louvain-la-Neuve. Une ville nouvelle pour une société nouvelle», ES S O


Magazine, 1976, 2, p. 8 ; Siegfried Giedion, Espace, Temps, Architecture, Denoël-
Gonthier, Paris, 1978, t. I, p. 19 ; t. Ill, p. 204.

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