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Le petit poème

Un poème

Il faut caresser le petit poème


D'une main légère et qui pèse à peine,
Bien placés bien choisis
Toujours dans le sens des plumes des ailes,
Quelques mots font une poésie
Pour l'apprivoiser, lui dire qu'on l'aime
Les mots il suffit qu’on les aime
Que le ciel immense est son vrai domaine,
Qu'il est tendre et beau, que la vie l'appelle... Pour écrire un poème
On ne sait pas toujours ce qu’on dit
Il hésite un peu, l'attente est si belle,
Il frémit encor, le désir l'entraîne Lorsque naît la poésie
Et s'envole alors le petit poème.
Faut ensuite rechercher le thème
Pour intituler le poème
Mais d’autres fois on pleure on rit
En écrivant la poésie
Jacques Charpentreau
Ça a toujours kékchose d’extrême
Un poème

Raymond Queneau

NIVEAU 1 NIVEAU 1
A l’écoute

Ce que veulent dire les mots


On ne le sait pas quand ils viennent ;
Il faut qu’ils se parlent, se trouvent,
Qu’ils se découvrent, qu’ils apprennent.
Ce que veulent dire les mots,
Ils ne le savent pas eux-mêmes,
Mais les voilà qui se regroupent,
Qui s’interpellent, se répondent,
Et si l’on sait tendre l’oreille,
On entend parler le poème.

Jacques Charpentreau

NIVEAU 1 NIVEAU 1
Comme il est bon d’aimer

Air vif

J'ai regardé devant moi II suffit d'un mot


Dans la foule je t'ai vue pour prendre le monde
Parmi les blés je t'ai vue au piège de nos rêves
Sous un arbre je t'ai vue
II suffit d'un geste
Au bout de tous mes voyages pour relever la branche
Au fond de tous mes tourments pour apaiser le vent
Au tournant de tous les rires
Sortant de l'eau et du feu II suffit d'un sourire
pour endormir la nuit
L'été l'hiver je t'ai vue délivrer nos visages
Dans ma maison je t'ai vue de leur masque d'ombre
Entre mes bras je t'ai vue
Dans mes rêves je t'ai vue Mais cent milliards de poèmes
ne suffiraient pas
Je ne te quitterai plus. pour dire
comme il est bon d'aimer

Paul Eluard
Jean-Pierre Siméon

NIVEAU 2 NIVEAU 2
Le ciel de mon cœur Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est gris lorsque tu grondes : Le ciel est par-dessus le toit,


Tombe la pluie, souffle le vent, Si bleu, si calme !
Et, dans un tourbillon, le monde Un arbre par-dessus le toit berce sa palme.
Se courbe et fuit en m’emportant La cloche dans le ciel qu’on voit, doucement tinte.
Au fond d’une forêt profonde
Où mon cœur souffre en attendant Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Que s’apaise cet ouragan. Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, simple et tranquille.
Le ciel est bleu quand ton sourire Cette paisible rumeur-là
Brille comme un jour de printemps. Vient dans la ville.
Pas un nuage ne soupire,
L’aubépine a mis drapeau blanc. - Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Les oiseaux chantent pour te dire Pleurant sans cesse
Qu’aujourd’hui mon cœur est content : Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
Tu fais la pluie et le beau temps. De ta jeunesse ?

Jacques Charpentreau Paul Verlaine

NIVEAU 2 NIVEAU 2
L'avion Poème à mon frère blanc

Cher frère blanc,


Un avion a atterri
Quand je suis né, j’étais noir,
cet après-midi
Quand j’ai grandi, j’étais noir,
sur une page blanche
Quand je suis au soleil, je suis noir,
de mon livre ouvert.
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.
Il a dessiné de ses huit roues Tandis que toi, homme blanc,
comme une mèche de cheveux Quand tu es né, tu étais rose,
au beau milieu de la feuille ; Quand tu as grandi, tu étais blanc,
puis lentement s'est rangé, Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
en bas, Quand tu as froid, tu es bleu,
à gauche, Quand tu as peur, tu es vert,
près du numéro 36. Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.
36 passagers sont descendus.
Ils m'ont parlé en 36 langues, Alors, de nous deux,
de 36 millions d'enfants Qui est l’homme de couleur ?
que je ne connaissais pas.

Et mon livre traduisait, Léopold Sédar Senghor


et mon livre jubilait.

Alain Serres

NIVEAU 3 NIVEAU 3
L'école

Dans notre ville, il y a


Des tours, des maisons par milliers,
Du béton, des blocs, des quartiers,
Et puis mon cœur, mon cœur qui bat
Tout bas.

Dans mon quartier, il y a


Des boulevards, des avenues,
Des places, des ronds-points, des rues
Et puis mon cœur, mon cœur qui bat
Tout bas.

Dans notre rue, il y a


Des autos, des gens qui s'affolent,
Un grand magasin, une école,
Et puis mon cœur, mon cœur qui bat
Tout bas.

Dans cette école, il y a


Des oiseaux chantant tout le jour
Dans les marronniers de la cour.
Mon cœur, mon cœur, mon cœur qui bat
Est là.

Jacques Charpentreau

NIVEAU 3 NIVEAU 3
La fourmi et la cigale L’oiseau du Colorado

Une fourmi fait l'ascension


d'une herbe flexible L’oiseau du Colorado
elle ne se rend pas compte Mange du miel et des gâteaux
de la difficulté de son entreprise Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
elle s'obstine la pauvrette De la glace et du caramel mou.
dans son dessein délirant
pour elle c'est un Everest L’oiseau du Colorado
pour elle c'est un Mont Blanc Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d’autruche
Jus d’ananas glacé en cruche
ce qui devait arriver arrive Sang de pêche et navet
elle choit patatratement Whisky menthe et café.
une cigale la reçoit
dans ses bras bien gentiment L’oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait un petit dodo
Puis il s’envole dans les nuages
eh dit-elle point n'est la saison Pour regarder les images
des sports alpinistes Et jouer un bon moment
(Vous ne vous êtes pas fait mal j'espère ?) Avec la pluie et le beau temps.
et maintenant dansons dansons
une bourrée ou la matchiche.

Robert Desnos

Raymond Queneau

NIVEAU 4
L’homme qui te ressemble
Je ne suis pas un noir,
J’ai frappé à ta porte, je ne suis pas un rouge,
j’ai frappé à ton cœur je ne suis pas un jaune,
pour avoir bon lit, je ne suis pas un blanc.
pour avoir bon feu. mais je suis un homme
pourquoi me repousser ? Ouvre-moi mon frère … !
Ouvre-moi mon frère … !
Ouvre-moi ta porte
Pourquoi me demander ouvre-moi ton cœur
si je suis d’Afrique, car je suis un homme
si je suis d’Amérique l’homme de tous les temps
si je suis d’Asie. L’homme de tous les cieux
si je suis d’Europe ? l’homme qui te ressemble … !
Ouvre-moi mon frère … !

Pourquoi me demander
la longueur de mon nez, René Philombé
l’épaisseur de ma bouche
la couleur de ma peau
et le nom de mes Dieux ?
Ouvre-moi mon frère … !

NIVEAU 4
Il était une feuille Le Corbeau et le Renard

Il était une feuille avec ses lignes Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Ligne de vie
Tenait en son bec un fromage.
Ligne de chance
Ligne de coeur. Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
Signe de chance
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Signe de coeur.
Sans mentir, si votre ramage
Il était un arbre au bout de la branche
Se rapporte à votre plumage,
Un arbre digne de vie
Digne de chance Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
Digne de coeur
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
Coeur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit. Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
Il était des racines au bout de l’arbre
Racines vignes de vie Apprenez que tout flatteur
Vignes de chance
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Vignes de cœur.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Au bout des racines il était la terre
Le Corbeau honteux et confus
La terre tout court
La terre toute ronde Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
La terre toute seule au travers du ciel
La terre.
Jean de La Fontaine

Jacques Prévert

NIVEAU 5 NIVEAU 5
Lieder du vent à décorner les bœufs L’orage

Le vent court à brise abattue


Chaque arbre est immobile, attentif à tout bruit,
Il court il court à perdre haleine Même le peuplier tremblant retient son souffle;
Pauvre vent perdu et jamais au but L’air pèse sur le dos des collines, il luit
Où cours-tu si vite à travers la plaine Comme un métal incandescent et l’heure essouffle.

Où je cours si vite où je cours si vite Les moineaux buissonniers se sont tous dispersés
Le vent en bégaye d'émotion et d'indignation Avec le vol aigu et les cris d’hirondelles,
Se donner tant de mal et de gymnastique Et des mouettes vont, traînant leurs larges ailes,
Et qu'on vous pose après de pareilles questions Dans l’air lourd à gravir et lourd à traverser.

A quoi bon souffler si fort et si bête L’éclair qui brille au loin semble une brusque entaille
Et puis s'en aller sans rien emporter Et, tandis que hennit un cheval de labour,
Les nuages vaillants qui vont à la bataille
Quelle vie de chien qui toujours halète
Escaladent l’azur âpre comme une tour...
Qui tire sa langue de chien fatigué

Mais, soudain, l’arc-en-ciel luit comme une victoire !


Jusqu'au bout du monde, il faut que tu ailles
Chaque arbre est un archer qui lance des oiseaux,
Poussant ton charroi de vent qui rabâche Et les nuages noirs qu’un soleil jeune moire,
Vente vent têtu de sac et de paille Enivrés, sont partis pour des combats nouveaux.

Claude ROY Jules Supervielle

NIVEAU 5 NIVEAU 5
ZOO Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine


A la tombée de la nuit
Et nos amours
Quand se sont refermées les grilles Faut-il qu'il m'en souvienne
L'éléphant rêve à son grand troupeau La joie venait toujours après la peine

Le rhinocéros à des troncs d'arbres Vienne la nuit sonne l'heure


L'hippopotame à des lacs clairs Les jours s'en vont je demeure
La girafe à des frondaisons de fougères
Les mains dans les mains restons face à face
Le dromadaire à des oasis tintant Tandis que sous
Le bison à un océan d'herbes Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Le lion à des craquements dans les feuilles
Le tigre de Sibérie à des traces sur la neige Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'ours polaire à des cascades poissonneuses
La panthère à des pelages passant dans les rayons de lune L'amour s'en va comme cette eau courante
Le gorille à des bananiers croulant de leurs fleurs- L'amour s'en va
Comme la vie est lente
violettes Et comme l'Espérance est violente
L'aigle à des coups de vent dans des canyons de nuages
Vienne la nuit sonne l'heure
Le phoque aux archipels mouvants de la banquise Les jours s'en vont je demeure
disloquée
Passent les jours et passent les semaines
Les enfants des gardiens à la plage.
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Michel Butor Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure


Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire

NIVEAU 6 NIVEAU 6
Une baleine à bicyclette J'aime beaucoup ta sonnette,
elle a un son net et intact.
Une baleine à bicyclette
rencontre un yak dans un kayak Bien trop poli pour être honnête,
dit la baleine au yak sans tact.
Elle fait sonner sa sonnette.
C'est pour que le yak la remarque. Le yak en kayak s'en va sur le lac
et la baleine à bicyclette
Elle sonne faux, ta sonnette,
dit le yak à l'accent canaque. s'en va pédalant vers Cognac
en faisant sonner sa sonnette.
La baleine, la pauvre bête,
reçoit ces mots comme une claque. Comme je n'ai plus de rimes en ac
je reste en carafe dans le lac
Une baleine à bicyclette
qu'un yak accuse de faire des couacs ! Comme une baleine un peu braque
qui n'a plus de tour dans son sac.
Elle sonne juste, ma sonnette,
dit la baleine du tac au tac. Claude ROY

Car ma sonnette a le son net


d'une jolie cloche de Pâques.

Ne te fâche pas, baleinette


répond le yak qui a le trac.

(Une baleine à bicyclette


peut couler un yak en kayak).

NIVEAU 6 NIVEAU 6
Le Lion et le Rat

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :


On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

Jean de La Fontaine

NIVEAU 6 NIVEAU 6
Chanson de la seine

La Seine a de la chance Mais la Seine s'en balance


Elle n'a pas de souci Elle n'a pas de souci
Elle se la coule douce Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit Le jour comme la nuit
Et elle sort de sa source Et s'en va vers le Havre
Tout doucement, sans bruit... Et s'en va vers la mer
Sans sortir de son lit En passant comme un rêve
Et sans se faire de mousse, Au milieu des mystères
Elle s'en va vers la mer Des misères de Paris
En passant par Paris.
Jacques Prévert

La Seine a de la chance
Elle n'a pas de souci
Et quand elle se promène
Tout au long de ses quais
Avec sa belle robe verte
Et ses lumières dorées
Notre-Dame jalouse,
Immobile et sévère
Du haut de toutes ses pierres
La regarde de travers

NIVEAU 7 NIVEAU 7
Page d’écriture (Jacques Prévert) Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
Deux et deux quatre De toute façon
Quatre et quatre huit Et ils s’en vont.
Huit et huit font seize…
Et l’enfant a caché l’oiseau
Répétez! dit le maître Dans son pupitre
Et tous les enfants
Deux et deux quatre Entendent sa chanson
Quatre et quatre huit Et tous les enfants
Huit et huit font seize… Entendent la musique

Mais voilà l’oiseau-lyre Et huit et huit à leur tour s’en vont


Qui passe dans le ciel Et quatre et quatre et deux et deux
L’enfant le voit A leur tour fichent le camp
L’enfant l’entend Et un et un ne font ni une ni deux
L’enfant l’appelle : Un à un s’en vont également.

Sauve-moi Et l’oiseau-lyre joue


Joue avec moi Et l’enfant chante
Oiseau! Et le professeur crie :

Alors l’oiseau descend Quand vous aurez fini de faire le pitre !


Et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre… Mais tous les autres enfants
Écoutent la musique
Répétez! dit le maître Et les murs de la classe
S’écroulent tranquillement.
Et l’enfant joue
L’oiseau joue avec lui… Et les vitres redeviennent sable
L’encre redevient eau
Quatre et quatre huit Les pupitres redeviennent arbres
Huit et huit font seize La craie redevient falaise
Et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ? Le porte-plume redevient oiseau.

NIVEAU 7 NIVEAU 7
Le renard et la cigogne

On servit, pour l'embarrasser,


Compère le Renard se mit un jour en frais,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts :
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Le galant pour toute besogne,
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
Jean de La Fontaine
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. »
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.

NIVEAU 7 NIVEAU 7
Le poète Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre

Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,


Le poète s'en va dans les champs ; il admire, Contemplent de son front la sereine lueur,
Il adore, il écoute en lui-même une lyre ; Et murmurent tout bas : c'est lui ! c'est le rêveur !
Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs, Victor Hugo
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,

Celles qui des paons même éclipseraient les queues,

Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,


Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,

De petits airs penchés ou de grands airs coquets,

Et, familièrement, car cela sied aux belles :

- Tiens ! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles.

Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix,

Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,

Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,

Les saules tout ridés, les chênes vénérables,

L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,

Comme les ulémas quand paraît le muphti,

NIVEAU 8 NIVEAU 8
La chanson des escargots qui vont à l’enterrement Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
A l'enterrement d'une feuille morte Reprenez-vous couleurs
Deux escargots s'en vont Les couleurs de la vie
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir Alors toutes les bêtes
Un très beau soir d'automne Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
Hélas quand ils arrivent La vraie chanson vivante
C'est déjà le printemps La chanson de l'été
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots Et tout le monde de boire
Sont très désappointés Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine Et les deux escargots
La peine de vous asseoir S'en retournent chez eux
Prenez un verre de bière Ils s'en vont très émus
Si le cœur vous en dit Ils s'en vont très heureux
Prenez si ça vous plaît Comme ils ont beaucoup bu
L'autocar pour Paris Ils titubent un petit peu
Il partira ce soir Mais là-haut dans le ciel
Vous verrez du pays La lune veille sur eux.

Mais ne prenez pas le deuil


C'est moi qui vous le dis Jacques Prévert
Ça noircit le blanc de l'œil
Et puis ça enlaidit

NIVEAU 8 NIVEAU 8
Pour faire le portrait d’un oiseau Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
Peindre d'abord une cage attendre que l'oiseau entre dans la cage
avec une porte ouverte
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
Peindre ensuite puis
quelque chose de joli effacer un à un tous les barreaux
quelque chose de simple en ayant soin de ne toucher à aucune des plumes de l'oiseau.
quelque chose de beau
quelque chose d'utile pour l'oiseau.
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
Placer ensuite la toile contre un arbre pour l'oiseau
dans un jardin peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
dans un bois la poussière du soleil
ou dans une forêt et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
se cacher derrière l'arbre et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter.
sans rien dire sans bouger...

Si l'oiseau ne chante pas


Parfois l'oiseau arrive vite. c'est mauvais signe
mais il peut aussi bien mettre de longues années avant de se signe que le tableau est mauvais
décider. mais s'il chante
c'est bon signe
signe que vous pouvez signer.
Ne pas se décourager Alors vous arrachez tout doucement
attendre une des plumes de l'oiseau
attendre s'il faut pendant des années et vous signez votre nom dans un coin du tableau.
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau n'ayant aucun
rapport
avec la réussite du tableau.
Jacques Prévert

NIVEAU 8 NIVEAU 8
Le Loup et le Chien Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Un Loup n'avait que les os et la peau, Portants bâtons, et mendiants ;
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire ;
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Moyennant quoi votre salaire
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde. Sera force reliefs de toutes les façons :
L'attaquer, le mettre en quartiers, Os de poulets, os de pigeons,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Sans parler de mainte caresse. "
Mais il fallait livrer bataille,
Le Loup déjà se forge une félicité
Et le Mâtin était de taille
Qui le fait pleurer de tendresse.
A se défendre hardiment. Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé :
Le Loup donc l'aborde humblement, " Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
Entre en propos, et lui fait compliment - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
Sur son embonpoint, qu'il admire.
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
" Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. Où vous voulez ? - Pas toujours, mais qu'importe ?
Quittez les bois, vous ferez bien : - Il importe si bien, que de tous vos repas
Vos pareils y sont misérables, Je ne veux en aucune sorte,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Dont la condition est de mourir de faim.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Car quoi ? rien d'assuré, point de franche lippée.
Tout à la pointe de l'épée. Jean de La Fontaine
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. "

NIVEAU 9 NIVEAU 9
La Neige Elle danse la neige dans la nuit de Noël,
Autour d'un tank brûlé qu'elle a pris pour chapelle,
Oh ! la neige ! La neige...
Regarde la neige qui tombe...
Tout de suite moisson, tout de suite hécatombe,
Cimetière enchanté fait de légères tombes, Oh la neige ! Regarde la neige qui tombe...
Elle tombe la neige, silencieusement
De toute sa blancheur d'un noir éblouissant Claude Nougaro
La neige...

Les yeux les mieux ouverts sont encor des paupières,


Et Dieu, pour le prouver, fait pleuvoir sa lumière,
Sa lumière glacée, ardente cependant,
Cœur de braise tendu dans une main d'argent
La neige...

Elle vient de si haut, la chaste damoiselle,


Que sa forme voilée d'étoiles se constelle,
Elle vient de si haut, cette sœur des sapins,
Cette bombe lactée que lancent les gamins,
Elle vient de si haut, la liquide étincelle,
Qu'au sommet de la terre elle brille éternelle,
Brandissant son flambeau sur le pic et le roc
Comme la liberté dans le port de New York
La neige...

Meneuse de revue aux Folies-Stalingrad,


Descendant l'escalier des degrés centigrades,
Empanachée de plumes, négresse en négatif,
Elle dansait un ballet angélique, explosif,
Pour le soldat givré, agrippé à son arme,
Œuf de sang congelé dans un cristal de larmes,

NIVEAU 9 NIVEAU 9
Le Petit Chat

C'est un petit chat noir effronté comme un page, Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates ;
Je le laisse jouer sur ma table souvent. Il les ferme à demi, parfois, en reniflant,
Quelquefois il s'assied sans faire de tapage, Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes,
On dirait un joli presse-papier vivant. Avec des airs de tigre étendu sur le flanc.

Rien en lui, pas un poil de son velours ne bouge ;


Longtemps, il reste là, noir sur un feuillet blanc, Edmond Rostand
A ces minets tirant leur langue de drap rouge,
Qu'on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.

Quand il s'amuse, il est extrêmement comique,


Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet.
Souvent je m'accroupis pour suivre sa mimique
Quand on met devant lui la soucoupe de lait.

Tout d'abord de son nez délicat il le flaire,


La frôle, puis, à coups de langue très petits,
Il le happe ; et dès lors il est à son affaire
Et l’on entend, pendant qu'il boit, un clapotis.

Il boit, bougeant la queue et sans faire une pause,


Et ne relève enfin son joli museau plat
Que lorsqu'il a passé sa langue rêche et rose
Partout, bien proprement débarbouillé le plat.

Alors il se pourlèche un moment les moustaches,


Avec l'air étonné d'avoir déjà fini.
Et comme il s'aperçoit qu'il s'est fait quelques taches,
Il se lisse à nouveau, lustre son poil terni.

NIVEAU 9 NIVEAU 9
NIVEAU 9 NIVEAU 9
Liberté Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur mes cahiers d'écolier Sur la montagne démente
Sur mon pupitre et les arbres J'écris ton nom
Sur le sable de neige
J'écris ton nom Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur les pages lues Sur la pluie épaisse et fade
Sur toutes les pages blanches J'écris ton nom
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur les images dorées Sur la vérité physique
Sur les armes des guerriers J'écris ton nom
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur la jungle et le désert Sur les places qui débordent
Sur les nids sur les genêts J'écris ton nom
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur tous mes chiffons d'azur Sur mes raisons réunies
Sur l'étang soleil moisi J'écris ton nom
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur les champs sur l'horizon Sur mon lit coquille vide
Sur les ailes des oiseaux J'écris ton nom
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom

NIVEAU 10 NIVEAU 10
Sur mon chien gourmand et tendre Sur la santé revenue
Sur ses oreilles dressées Sur le risque disparu
Sur sa patte maladroite Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot


Sur le tremplin de ma porte Je recommence ma vie
Sur les objets familiers Je suis né pour te connaître
Sur le flot du feu béni Pour te nommer
J'écris ton nom
Liberté
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend Paul Eluard
J'écris ton nom

Sur la vitre des surprises


Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom

Sur mes refuges détruits


Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom

Sur l'absence sans désir


Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom

NIVEAU 10 NIVEAU 10
L’Invitation au Voyage Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Mon enfant, ma sœur, Dont l’humeur est vagabonde ;
Songe à la douceur C’est pour assouvir
D’aller là-bas vivre ensemble ! Ton moindre désir
Aimer à loisir, Qu’ils viennent du bout du monde.
Aimer et mourir – Les soleils couchants
Au pays qui te ressemble ! Revêtent les champs,
Les soleils mouillés Les canaux, la ville entière,
De ces ciels brouillés D’hyacinthe et d’or ;
Pour mon esprit ont les charmes Le monde s’endort
Si mystérieux Dans une chaude lumière.
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. Charles Baudelaire

Des meubles luisants,


Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

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Les Djinns La rumeur approche.
L’écho la redit.
Murs, villes, C’est comme la cloche
Et port, D’un couvent maudit ;
Asile Comme un bruit de foule
De mort, Qui tonne et qui roule,
Mer grise Et tantôt s’écroule,
Où brise Et tantôt grandit.
La brise,
Tout dort. Dieu ! La voix sépulcrale
Des Djinns !...Quel bruit ils font !
Dans la plaine Fuyons sous la spirale
Naît un bruit. De l’escalier profond.
C’est l’haleine Déjà s’éteint ma lampe,
De la nuit. Et l’ombre de ma rampe,
Elle brame Qui le long du mur rampe,
Comme une âme Monte jusqu’au plafond.
Qu’une flamme
Toujours suit ! C’est l’essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
La voix plus haute Les ifs, que leur vol fracasse,
Semble un grelot. Craquent comme un pin brûlant.
D’un nain qui saute Leur troupeau lourd et rapide,
C’est le galop. Volant dans l’espace vide,
Il fuit, s’élance. Semble un nuage livide
Puis en cadence Qui porte un éclair au flanc.
Sur un pied danse
Au bout d’un flot. Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée

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De vampires et de dragons ! Frissonnent tous les grands chênes,
La poutre du toit descellée Sous leur vol de feu pliés !
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée De leurs ailes lointaines
Tremble, à déraciner ses gonds ! Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Cris de l’enfer ! Voix qui hurle et qui pleure ! Si faible, que l’on croit
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon, Ouïr la sauterelle
Sans doute, ô ciel ! S’abat sur ma demeure. Crier d’une voix grêle,
Le mur fléchit sous le noir bataillon. Ou pétiller la grêle
La maison crie et chancelle penchée, Sur le plomb d’un vieux toit.
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée, D’étranges syllabes
Le vent la roule avec leur tourbillon ! Nous viennent encor ;
Ainsi, des Arabes
Prophète ! Si ta main me sauve Quand sonne le cor,
De ces impurs démons des soirs, Un chant sur la grève
J’irai prosterner mon front chauve Par instant s’élève,
Devant tes sacrés encensoirs ! Et l’enfant qui rêve
Fais que sur ces portes fidèles Fait des rêves d’or.
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes Les Djinns funèbres,
Grince et crie à ses vitraux noirs ! Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Ils sont passés ! - leur cohorte Pressent leur pas ;
S’envole et fuit, et leurs pieds Leur essaim gronde :
Cessent de battre ma porte Ainsi, profonde,
De leurs coups multipliés. Murmure une onde
L’air est plein d’un bruit de chaînes, Qu’on ne voit pas.
et dans les forêts prochaines

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Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte
Presque éteinte
D’une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J’écoute :
Tout fuit,
Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit.

Victor Hugo

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Venise Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Dans Venise la rouge, Et les blancs escaliers
Pas un bateau qui bouge, Des chevaliers,
Pas un pêcheur dans l’eau,
Pas un falot. Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Seul, assis à la grève, Et le golfe mouvant
Le grand lion soulève, Qui tremble au vent,
Sur l’horizon serein,
Son pied d’airain. Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Autour de lui, par groupes, Qui veillent aux créneaux
Navires et chaloupes, Des arsenaux.
Pareils à des hérons
Couchés en ronds, Ah ! maintenant plus d’une
Attend, au clair de lune,
Dorment sur l’eau qui fume, Quelque jeune muguet,
Et croisent dans la brume, L’oreille au guet.
En légers tourbillons,
Leurs pavillons. Pour le bal qu’on prépare,
Plus d’une qui se pare,
La lune qui s’efface Met devant son miroir
Couvre son front qui passe Le masque noir.
D’un nuage étoilé
Demi-voilé. Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Ainsi, la dame abbesse Presse encor son amant,
De Sainte-Croix rabaisse En s’endormant ;
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.

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Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S’oublie en un festin
Jusqu’au matin.

Et qui, dans l’Italie,


N’a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?

Laissons la vieille horloge,


Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.

Comptons plutôt, ma belle,


Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés…
Ou pardonnés.

Comptons plutôt tes charmes,


Comptons les douces larmes,
Qu’à nos yeux a coûté
La volupté !

Alfred de Musset

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