Nous venons de le dire : l'illusion intellectuelle imposée à nos
contemporains, l'occultation de la réalité et le renversement métho dique de l'ordre normal des choses présupposent un plan, et donc une organisation capable de le mettre en œuvre. 11 s'agit moins pour celle-ci - quelles que soient ses prétentions à cet égard - de faire triompher sa volonté de puissance, que de répondre à une sorte de nécessité cosmologique, de faire droit à la revendication de possibi lités d'existence qui sont en fait les plus inférieures de toutes, et dont la manifestation revêt inévitablement un masque grotesque. Déjà discernable derrière les aberrations matérialiste et néo-spiri tualiste, et présente d'une façon générale à toutes les étapes du pro cessus subversif visant à instaurer un « ordre » nouveau qui sera en réalité le comble du désordre, cette organisation détient avec les soucoupes volantes et les extra-terrestres (ou les entités « angé liques » ou « transdimensionnelles ») son arme suprême. Là encore, pourtant, nous sommes sans illusion sur la portée de notre démons tration : un lecteur pressé et soucieux de préserver son confort intel lectuel rangera sans attendre la contre-initiation - puisque c'est d'el le qu'il s'agit - dans la vaste rubrique de la « causalité diabolique », modèle de ces thématiques simplificatrices assimilées parfois à de véritables pathologies mentales. Certaines interprétations quasi paranoïaques érigeant le Complot (des Juifs, des Francs-Maçons, des Jésuites, etc.) en véritable moteur de l'Histoire, leur créent il est vrai quelques excuses. Mais justement, il s'agit de brouiller les pistes et de décourager les chercheurs les moins obtus de poursuivre des investigations jugées importunes en bas-lieu. 234 Veilleur, où en est la nuit ?
Un des exemples les mieux attestés, de ces contre-feux, nous est
fourni par l'antimaçonnisme, désignant à la vindicte du public tradi tionaliste « la Secte » par excellence (puisque sans épithète), dont la ténébreuse alliance avec le Judaïsme donna naissance à une hydre bicéphale, la « Judéo-Maçonnerie ». Et l'entêtement desdits traditio nalistes à dénoncer, aujourd'hui encore, le « F. : René Guénon » ou le « 33e Guénon » (référence au plus haut grade maçonnique) prouve que le piège n'a pas mal fonctionné ! À tous ces pauvres gens, Guénon offre pourtant une dernière chance de ne pas devenir les misérables dupes, les lamentables instruments de cet Adversaire qui a beau jeu de se faire chercher où il n'est pas. Même si la Franc- Maçonnerie spéculative, devenue in globo une « société de pensée », un groupe de pression « politico-humanitaire », n'est évidemment plus une organisation recommandable aux aspirants à l'initiation ! Mais être victime de la Subversion (et l'Église romaine ne l'est-elle pas tout autant ?) n'est pas la même chose qu'en être l'instigateur ou le complice. Dans le même ordre d'idée, faut-il ignorer saint Jean et les pro phètes qui, dans toutes les traditions, ont évoqué la fin d'un cycle d'humanité, sous prétexte que des cohortes de déséquilibrés se livrent aux actes les plus déraisonnables ou même les plus criminels dans l'attente de « leur » fin du monde ?... De même que les néo-spi- ritualistes discréditent en les défigurant les quelques notions tradi tionnelles qu'ils se sont appropriées, une des fonctions incons cientes de ces « millénaristes » est de ridiculiser toute préoccupation eschatologique. Cela dit, passons aux choses sérieuses. La contre-initiation, écrit Guénon1, « ne peut pas être assimilée à une invention purement humaine [...]; à la vérité, elle est bien plus que cela, et pour l'être effectivement, il faut nécessairement que, d'une certaine façon, et quant à son origine même, elle procède de la source unique à laquelle se rattache toute initiation, et aussi plus généralement, tout ce qui manifeste dans notre monde un élément “non humain”, mais elle en procède par une dégénérescence allant jusqu'à son degré le plus extrême, c'est-à-dire jusqu'à ce “renverse ment” qui constitue le “satanisme” proprement dit [...]. »
Précisons, toujours grâce à Guénon2, la nature de cette contre-ini
tiation : « Il apparaît donc qu'il s'agit là, en fait, d'une initiation déviée et dénaturée, et qui, par là même, n'a plus droit à être qualifiée véri La chute des anges et le continent englouti 235
tablement d'initiation, puisqu'elle ne conduit plus au but essentiel de
celle-ci, et que même elle en éloigne l’être au lieu de l'en rapprocher. Ce n'est donc pas assez de parler ici d'une initiation tronquée et rédui te à sa partie inférieure, comme il peut arriver aussi dans certains cas ; l'altération est beaucoup plus profonde ; mais il y a là, d'ailleurs, comme deux stades différents dans un même processus de dégéné rescence. Le point de départ est toujours une révolte contre l'autori té légitime, et la prétention à une indépendance qui ne saurait exister [...] ; de là résulte immédiatement la perte de tout contact effectif avec un centre spirituel véritable, donc l'impossibilité d'atteindre aux états supra-humains ; et, dans ce qui subsiste encore, la déviation ne peut ensuite qu'aller en s'aggravant, passant par des degrés divers pour en arriver dans les cas extrêmes, jusqu'à ce “renversement” dont nous venons de parler. »
Certes, si la rupture du lien avec le centre entraîne la perte de l'in
fluence spirituelle, dont la transmission « illuminatrice » définit pré cisément l'initiation, « il y a pourtant encore quelque chose qui se transmet, sans quoi on se trouverait ramené au cas de la “pseudo-ini tiation”, dépourvue de toute efficacité ; mais ce n'est plus qu'une influence d’ordre inférieur, “psychique” et non plus “spirituelle”, et qui, abandonnée ainsi à elle-même, sans contrôle d'un élément trans cendant, prend en quelque sorte inévitablement un caractère “dia bolique” [...]. »
Cette influence psychique est d'autant plus dangereuse quelle
peut imiter extérieurement l'influence spirituelle (« Satan est le singe de Dieu »...) ; « mais elle l'imite, pourrait-on dire, comme les éléments du même ordre évoqués par les nécromanciens imitent l'être conscient auquel ils ont appartenu ». Enfin, les contre-initiés qui ont l'illusion de s'opposer à l'autorité spirituelle suprême en sont en réa lité les instruments, à leur insu. « Ils sont donc utilisés, quoique contre leur gré, à la réalisation du plan divin dans le monde humain », puisque les désordres partiels doivent nécessairement concourir à l'ordre total.
Guénon, dans une de ces nombreuses notes3 qui jalonnent son
œuvre comme autant de repères aussi discrets qu'essentiels, discer nait dans le chapitre VI de la Genèse (si cher aux soucoupistes dévots des « Anciens Astronautes ») quelques indications relatives aux origines lointaines de la contre-initiation. Ainsi prévenus, nous 236 Veilleur, où en est la nuit ?
verrons dans les « fils de Dieu » déchus métamorphosés en extra-ter
restres civilisateurs par les doctrinaires de l'ufologie, de hauts initiés appartenant à la caste sacerdotale, dont l'union toute symbolique avec les « filles des hommes » traduit la déviation - manifestée entre autres selon le Livre d'Hénoch, par la divulgation illégitime de cer tains secrets touchant le monde intermédiaire. Filles et femmes sym bolisent en effet communément dans le langage biblique (et jusque chez Dante) des traditions ou des organisations initiatiques que cette « féminité » même, et donc cette « passivité », cette « réceptivi té » relatives associent à la caste chevaleresque, normalement subordonnée à l'autorité spirituelle « masculine ». Ananda K. Coomaraswamy a définitivement prouvé en effet que la fonction royale - distincte du sacerdoce - est essentiellement féminine4. En Inde, dans YAnguttara Nikâya (III, 363), où sont énumérées les pas sions dominant les êtres humains, et les fonctions qui leur sont asso ciées, « la Seigneurie (issariya) est assignée aux Kshatriyas et aux femmes. Dans le gouvernement comme dans le mariage, le pouvoir revient à la femme, et l'autorité à l’homme. Le tyran ou la virago abu sent du “pouvoir” féminin ; avec un roi légitime ou une femme véri table, il est exercé en accord avec la justice5. » Cela dit, les fruits de l’union morganatique des fils de Dieu et des filles des hommes ne sont autres que les « géants » bibliques et mythologiques, en qui l'on peut reconnaître le type du pouvoir tem porel révolté contre l'autorité spirituelle. Cette dernière était en somme victime de la justice immanente qui lui faisait expier son « péché originel », ou tout au moins celui de ses représentants éga rés. Et ainsi que l'exprime le glissement irréversible du luciférianis- me au satanisme, cette double prévarication du spirituel puis du temporel, qui avait tout d'abord revêtu un aspect « prométhéen », donna finalement naissance à la contre-initiation, qui ne fait qu'in carner la force cosmique déifuge - l'aspect maléfique du « côté gauche » de l'Arbre de la Science - creusant un maëlstrom dans tous les états d'existence qu'elle traverse, tel un entonnoir abyssal où viennent s'engloutir leurs possibilités négatives. Elle « éloigne » toutes choses de la Synthèse originelle, jusqu'à cette « atomisation » ultime prophétisée par la liturgie catholique avec la majesté terrible du Dies Irae : « Solvet saeclum in favilla. » Par là même, redisons-le après Guénon, cette force satanique accomplit involontairement le Plan divin, auquel rien ne saurait se La chute des anges et le continent englouti 237
soustraire, puisqu'elle accompagne en quelque sorte l'Expir cosmique
jusqu'à la dissolution finale, concomitante de la transmutation des possibilités positives, et de l'annihilation des possibilités négatives. Car « celui qui a, on lui donnera, et celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé ». (Saint Marc, IV, 25.) L'individualisation, la « personnification » maléfique de cette force cosmique, qui permet justement de lui attribuer ces visées conscientes que l’on refuserait par exemple à l'attraction universelle, résulte, à un certain stade de sa descente, de la rencontre d'un plan de réfraction psychique - cette « ambiance cosmique », ce monde intermédiaire, ou subtil, souvent évoqués dans les pages qui précè dent - qui l'amène à s'objectiver et à s’« incarner » dans une organi sation humaine dont l'aveuglement ontologique limitera l'horizon à ce bas-monde, devenu à la fois son royaume et sa prison. Et l'abou tissement ultime de cette perversion sera le règne antéchristique, ce Sanctum Regnum à rebours déjà jugé par la parole évangélique sous le double rapport de la nécessité providentielle - les désordres par tiels concourant à l'Ordre universel - et d'une non moins providen tielle condamnation : « Il faut qu'il y ait du scandale, mais malheur à celui par qui le scandale arrive. » (Saint Matthieu, XVIII, 7.) C'est aussi pourquoi l'Antéchrist, qui unifiera sous son règne éphémère toutes les forces de la contre-initiation, sera le plus illusionné de tous les êtres - c'est la « sottise du diable » - en même temps que le trompeur « par excellence », le dajjâl, comme disent les musulmans. Tout « retour de l'Esprit » doit donc être passé au crible de la Tradition, et l'Évangile ne nous met pas pour rien en garde contre les faux christs qui surgiront à la fin des temps, et feront de grands pro diges, jusqu'à séduire les élus eux-mêmes, s'il se pouvait. Après avoir identifié l'origine ontologique de la contre-initiation, nous serait-il possible de déterminer son point de départ « géogra- phico-historique » ? La cause première du renversement dont elle naquit, doit être recherchée, nous dit Guénon, dans la perversion de « quelqu'une des anciennes civilisations ayant appartenu à l'un ou l'autre des continents disparus dans les cataclysmes qui se sont produits au cours du présent Manvantara [ou cycle d'humanité]6 ». Ce continent n'est autre que l'Atlantide.
Nous puiserons les principaux éléments de notre démonstration
dans la revue La Gnose - dirigée par Guénon (sous le pseudonyme de