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Aventures dans la conscience

Introduction à la Psychologie aspectale

Par Jane Roberts

(Traduit de l’américain)

janeroberts.fr - 15-12-2021
Aventures dans la conscience

Table des matières

Préface...................................................................................................................................................... 1
Première partie – Aventures .................................................................................................................... 5
1 – La classe où s’est allé trop loin. Seth et les états modifiés de conscience ..................................... 5
2 – Un drame réincarnationnel et autres événements non officiels ................................................. 15
3 – Un esprit-guide est un esprit-guide est un… ? ............................................................................. 24
4 – Moi alternatifs et autres sujets .................................................................................................... 31
5 – La réincarnation frappe un peu trop près. Nebene et Shirin ....................................................... 38
6 – Un « autre » univers, une fleur venue de nulle part, et un atelier d’écriture qui débouche sur la
médiumnité ........................................................................................................................................ 48
7 – La naissance du Sumari................................................................................................................. 59
8 – Les Chants des Frères d’Argent .................................................................................................... 67
9 – Surâme Sept et la naissance d’Aspects......................................................................................... 81
Seconde partie – Introduction à la Psychologie aspectale ..................................................................... 92
10 – moi-source, personnalité de concentration (ou particulaire), Aspects et personagrammes .... 92
11 – Aspects-sources fondamentaux ............................................................................................... 102
12 – Inspiration, attention pure et perception préformatée ........................................................... 108
13 – moi-source, personnalité de concentration, probabilités et réincarnation ............................. 114
14 – Les événements et la personnalité de concentration. Présages, ressentis et attention libre. 126
15 – Ordre intérieur des événements et perceptions « officieuses » .............................................. 136
16 – Quand les Aspects parlent ; messages non officiels et apprentis dieux .................................. 145
17 – Des dieux à « Dieu », les Speakers, et Dieu en tant qu’événement ......................................... 153
18 – La sphère d’identité. Les événements en tant que structures invisibles. ................................ 165
19 – L’expérience terrestre en tant que fontaine blanche .............................................................. 174
20 – La personnalité de concentration et les sens ; quelques questions,
et communion avec le moi ............................................................................................................... 183
Appendice 1 ...................................................................................................................................... 193
Appendice 2 ...................................................................................................................................... 198
Appendice 3 ...................................................................................................................................... 200
Appendice 4 ...................................................................................................................................... 203
Appendice 5 ...................................................................................................................................... 206
Note du traducteur
Consciousness : ce terme a été systématiquement traduit par cons-
cience.
Awareness : selon le contexte, ce terme a été traduit par éveil ou ni-
veau d’éveil, présence, attention, ou toute expression faisant référence à la
notion de présence à soi et/ou au vécu.
Probable : tel qu’employé par Jane ce terme est un faux ami. Il a été
traduit plutôt par alternatif, voire parallèle. Alternatif dans ce contexte ne
représente pas une alternative mais un choix entre de multiples possibilités
(Ex. : a probable self = un moi alternatif, un parmi d’autres,).
Probabilities : a été traduit par probabilités, au sens quantique du
terme.
Le moi en tant qu’instance psychique a été écrit en italique pour le dif-
férencier du pronom personnel. C’est un mot invariable.
Préface
Je ne sais pas combien d’heures j’ai passées en divers états de transe au
cours de ces dix dernières années. Au moins deux fois par semaine, j’ai dé-
placé le centre de ma conscience de son orientation habituelle et parlé pour
une personnalité appelée Seth – qui a le don de clairvoyance, écrit des
livres, établit avec les gens des relations d’une grande finesse, et fait
preuve de traits de caractère différents des miens.
En 1972, quelque chose de tout à fait nouveau est apparu dans ma vie.
J’ai découvert de nombreux autres niveaux d’éveil, chacun bien distinct,
avec sa propre nature de perceptions et d’expériences. Certains m’ont aussi
permis de manifester d’excellentes créations. Et pourtant, nulle part dans
les théories passées ou actuelles je n’ai pu trouver une quelconque explica-
tion acceptable de mes expériences. Elles étaient relativement uniques, in-
tenses, et suffisamment extraordinaires pour que je me sente poussée à
trouver mes propres réponses.
Ce livre raconte l’histoire de certains de ces épisodes ; il est aussi une
introduction à ce que j’appelle la Psychologie aspectale. Je l’offre comme
un cadre à l’intérieur duquel des éléments médiumniques vécus auparavant
niés pourraient être envisagés comme des états spécifiques, bénéfiques et
naturels de notre conscience.
Une telle théorie fait cruellement défaut. Je constate d’après ma cor-
respondance que de nombreuses personnes sont dans l’embarras quand il
s’agit d’essayer de comprendre leurs propres expériences psychiques. Ceux
qui sont assez curieux pour accorder à leur conscience une liberté non con-
ventionnelle se font souvent qualifier de « perturbés émotionnels » par les
psychologues, ou se voient traiter de « possédés » sous l’éclairage des
croyances religieuses.
Je travaille depuis plusieurs années avec un groupe de personnes, mes
étudiants, qui vivent avec moi des aventures dans la conscience. Nous nous
accordons la liberté de percevoir la réalité du moment telle qu’elle apparaît
à travers la lentille d’états modifiés, différents, d’éveil. J’ai commencé à
développer ces idées dans Psychologie aspectale justement parce que mes
expériences, et celles de mes étudiants et lecteurs, soulevaient énormé-
ment de questions.
Ce qu’on appelle les événements médiumniques se produisent dans le
cadre de la vie quotidienne. Ils n’en sont pas séparés. Ce n’est que parce
qu’on nous a appris à les isoler de nos préoccupations habituelles qu’ils ont
souvent un aspect non naturel, distinct et étrange. La psychologie aspectale

1
représente une tentative de relier nos capacités psychiques à notre compor-
tement émotionnel dans son ensemble, et particulièrement d’élargir nos
concepts au sujet de la nature de la personnalité.
Toute psychologie digne de ce nom se doit d’être suffisamment vaste
pour contenir toutes nos expériences psychologiquement vitales et valides,
qu’elles correspondent ou non aux idées reçues sur les caractéristiques de la
conscience. La psychologie aspectale accepte donc comme normales l’exis-
tence des rêves prémonitoires, les expériences hors du corps, les intuitions
révélatrices, les altérations de conscience, les expériences paroxystiques, la
transe médiumnique, ainsi que d’autres événements psychologiques et mé-
diumniques pouvant se produire dans la vie humaine.
Je ne crois pas à des esprits bons ou mauvais, à des démons, à la posses-
sion ou au pouvoir du Mal tels qu’ils sont généralement décrits dans la pen-
sée chrétienne, le spiritualisme, le gnosticisme, ou n’importe quel isme. Je
suis également horrifiée de voir certains enquêteurs « psychiques » sans
scrupules parler d’esprits malins investissant le « bienheureux défunt », ac-
tionnant le pointeur du Ouija, tenant le crayon pendant l’écriture automa-
tique, ou attendant simplement l’occasion d’induire en erreur le naïf mortel.
Pour l’instant, la psychologie conventionnelle n’a trouvé aucune explica-
tion acceptable à des personnalités telles que Seth, aux personnalités de
transe en général, à la parole ou l’écriture automatique, ou aux autres ma-
nifestations de ce genre. La psychologie aspectale présente au moins un
cadre à l’intérieur duquel ces phénomènes peuvent être vus comme des ex-
périences psychologiques valables, ni bonnes ni mauvaises en soi, mais re-
présentant les efforts que fournit la personnalité pour venir à bout de ses
deux natures : celle d’esprit et celle de créature.
La psychologie aspectale introduit l’idée que la conscience humaine est
mobile, centrée sur le corps mais non dépendante de lui, sauf pour la vie
tridimensionnelle. Pour moi ce n’est pas une hypothèse mais un fait dont
j’ai l’expérience, et donc une caractéristique humaine. La théorie repose
fermement sur l’importance de notre nature de créature et de notre carac-
tère spirituel. Elle analyse les composants fondamentaux de notre personna-
lité, les considérant comme les aspects d’un moi plus vaste, en grande par-
tie inconnu, qui serait la source de notre être physique. Tout comme pour
Freud le lapsus prouvait l’existence de zones subconscientes de la personna-
lité, pour moi les différents aspects de notre personnalité représentent des
indices de la présence de facultés non encore découvertes ; et nos expé-
riences médiumniques et créatrices, des indices de l’existence d’un moi ca-
ché, multidimensionnel.
Aspects, la seconde partie de ce livre, est une œuvre d’intuition. J’en ai
reçu la plus grande partie en état modifié de conscience. Elle s’est écrite
quasiment toute seule. Elle représente cependant pour moi un véritable tra-
vail scientifique, dans le vrai sens du terme, en ce sens que j’ai utilisé les
meilleurs outils d’investigation pour étudier la conscience – la conscience
per se. Je me sers de différents niveaux d’éveil pour étudier la nature de la
psyché et sa réalité. L’objectif est déterminé délibérément et en pleine

2
conscience, puis, à partir de là, je me programme un voyage vers d’autres
parties de la personnalité, et je regarde la « réalité » à partir de leur point
de vue, et à travers leurs perceptions particulières.
J’ai aussi étudié dans ce but le matériau que j’ai collecté en état de
transe, et depuis ma propre conscience, j’ai analysé la réalité de Seth telle
qu’elle se manifeste dans mon expérience, ainsi que dans son comportement
et dans ses écrits. À ce jour Seth a produit deux livres : Seth parle : l’éter-
nelle validité de l’âme, 1 et La nature de la réalité personnelle, un livre de
Seth. 2 Il vient de commencer son troisième livre : La réalité ‘inconnue’. 3
Ce « Niveau Seth » a débouché sur deux autres niveaux, que j’appelle
Seth 2 et Seth 3, même si je n’ai atteint Seth 3 que deux fois. L’accès au Su-
mari s’est produit en 1972, élargissant ainsi encore plus le spectre des per-
ceptions disponibles. Ceci a impliqué plusieurs modifications distinctes de la
conscience, qui seront décrites dans cet ouvrage. Toutes ces expériences
m’ont poussée à développer une théorie suffisamment vaste pour les conte-
nir, en m’apportant aussi (heureusement !) le matériau pour le faire.
Nos expériences de groupe m’ont aussi apporté des « événements non
officiels » supplémentaires. Des choses se sont produites qui ne pouvaient
pas se produire selon les idées officielles ou conventionnelles sur la réalité.
Ces rencontres de « réincarnation », ces visions d’ « apparitions », entre
autres, m’ont amenée à étudier la nature des perceptions et des faits d’une
façon que je n’aurais pas crue possible quelques années plus tôt.
Un regard intuitif sur l’intérieur de la personnalité peut être beaucoup
moins biaisé et plus proche de la réalité que des théories objectives fondées
sur des études de cas, ou sur l’observation détachée de la condition psycho-
logique d’autrui. Ces théories reposent sur des structures de pensée adap-
tées au monde physique et à l’environnement culturel, et non à la source
première de la psyché qui les sous-tend.
Comment les niveaux internes du moi ressentent-ils leur propre réalité ?
Comment voient-ils notre vie extérieure ? Étant donné que nos expériences
individuelles proviennent de ces aspects intérieurs du moi, il serait pour le
moins indiqué de les écouter. Nos théories à prédominance intellectuelle
mettent l’accent sur les parties de la personnalité qui nous sont le plus fa-
milières, tout en ignorant ces niveaux d’expérience plus profonde qu’elles
sont incapables d’atteindre par leurs propres moyens.
Si vous vous efforcez d’obtenir des données scientifiques objectives,
vous utilisez les zones de la conscience qui analysent les phénomènes exté-
rieurs. Si vous cherchez des réponses sur la nature intérieure de la person-
nalité, alors vous devez utiliser ces zones de la personnalité qui sont les plus
proches de la psyché.
Même si mes propres expériences sont plutôt inhabituelles, elles ne se
distinguent qu’en termes de degré et de qualité. Il arrive à chacun de sentir

1
[Ang. Seth speaks, The Eternal Validity of the Soul. Première traduction en français sous le titre L’enseignement
de Seth.]
2
[Ang. The Nature of Personal Reality, A Seth Book.]
3
[Ang. The ‘Unknown’ Reality.]

3
parfois au fond de soi la présence d’un moi plus grand, d’être frappé par
l’inspiration, ou stupéfait qu’un rêve ou une prémonition « se réalise ».
Beaucoup vivent des expériences médiumniques saisissantes, apparemment
inexplicables. Ces événements restent souvent comme les souvenirs les plus
significatifs et riches d’une vie entière, et demeurent pourtant comme des
épithètes détachées – preuve de mauvais goût, au mieux – des événements
officieux qu’on ne peut ni nier ni expliquer.
Je souhaite que ce livre ne soit pas seulement une introduction à la psy-
chologie aspectale mais qu’il en démontre également le fonctionnement,
car la méthode de sa rédaction a inclus des états modifiés de conscience, et
la théorie m’en est arrivée une nuit dans le proverbial éclair d’inspiration.
Cette théorie est opérationnelle. Elle nous aide à mieux nous com-
prendre, ou fournit au moins un cadre à l’intérieur duquel nous pouvons in-
clure et observer toutes nos expériences, et pas seulement celles que les
Écoles traditionnelles considèrent comme respectables. Je ne présente pas
cet ouvrage comme La Vérité, mais comme une excellente méthode pour
découvrir les vérités qui nous concernent ; comme un diagramme de la psy-
ché, utilisable par tout un chacun ; comme une carte alternative de la réa-
lité, que tout le monde peut suivre. Car nous sommes tous en plein pèleri-
nage. J’espère que ce livre permettra de se faire une idée plus claire des
règles du jeu, et de la nature de la quête.

JANE ROBERTS
Elmira, New-York

4
Première partie – Aventures
1 – La classe où s’est allé trop loin.
Seth et les états modifiés de conscience
L’histoire de Psychologie aspectale a commencé par une série d’événe-
ments que je ne pouvais ni nier ni expliquer d’une façon qui me soit satisfai-
sante. Intuitivement, j’étais intriguée. Intellectuellement, j’étais scandali-
sée. Je l’admets librement car c’est mon questionnement incessant qui m’a
finalement amenée à noter tout ce qui se passait dans mon cours d’expan-
sion de conscience – notes que j’utilise maintenant pour écrire ce livre.
La classe du 21 juin 1971 est restée dans ma mémoire comme le tour-
nant décisif. Il ne s’agissait pas de pratiquer des expériences au sens scienti-
fique du terme, que l’on aurait pu vérifier d’une manière ou d’une autre.
Nous étions plutôt occupés à des événements psychologiques d’une nature
des plus singulières. Des perceptions extraordinaires, des hallucinations en
réponse à des suggestions du groupe – ou d’autres provenant d’un étrange
entre-deux.
Je suis d’une nature plutôt réservée. Pendant la première année de
l’existence du groupe, je ne me suis même pas permis une transe avec Seth.
Aujourd’hui j’apprécie beaucoup ces séances spontanées. À un moment je
suis moi, assise là, et l’instant d’après je sens une ouverture, comme une
porte psychologique, et je la franchis. Et je deviens Seth. C’est un peu
comme une fenêtre de lancement : ma réalité s’aligne avec autre chose, il y
a un échange. Je me retrouve à côté, en position invisible de maintien, et
Seth a pris ma place.
Ce jour-là nous étions en groupe restreint, une quinzaine de personnes.
Seth arriva tôt dans la soirée et dirigea un atelier de modification de cons-
cience. Quand je parle pour lui, ma voix devient souvent très grave et at-
teint parfois un volume sonore considérable, ce qui peut être un vrai choc
pour ceux qui sont habitués à la voix posée des « esprits-guides ».
Dans les ateliers précédents Seth avait attribué des noms arbitraires à
différents niveaux de conscience, juste pour aider à déterminer les états

5
subjectifs atteints. Chacun semble avoir ses propres caractéristiques, avec
les altérations sensorielles correspondantes. Ce soir-là le voyage psycholo-
gique devait aboutir à Alpha 2, le niveau adjacent à celui de la conscience
ordinaire.
Pendant que Seth donnait des instructions simples, les magnétophones
des étudiants ronronnaient et l’on entendait le bruit de la circulation au
carrefour voisin. Le salon était éclairé, mais les participants posèrent verres
de vin et cigarettes, et fermèrent les yeux. Au son de la voix de Seth, ils dé-
tournèrent peu à peu leur attention de la pièce enfumée et de l’environne-
ment extérieur. À la place, ils se tournèrent vers des paysages intérieurs et
suivirent des chemins de conscience qui ne se croisent que dans le monde de
l’esprit.
Seth se manifeste comme une personnalité très énergique ; donc, pen-
dant ces instructions, ses yeux étaient ouverts et sa voix forte et affirmée. Il
demanda d’abord aux étudiants d’imaginer Alpha 2 comme une porte. « Je
veux que vous réalisiez qu’à ce point vos perceptions sont limitées unique-
ment parce que vous avez choisi de les limiter, dit-il. Vous êtes au milieu
d’autres réalités, mais vous avez pris l’habitude de les bloquer. Vous com-
mencez à présent à détendre vos perceptions, à ouvrir des portes qui
étaient fermées. Donc, imaginez Alpha 2 comme le seuil d’une porte adja-
cente à votre conscience normale, et voyez-la ouverte. »
Il ajouta ensuite que chaque participant devait interpréter l’expérience
à sa manière personnelle :
Derrière cette porte sont d’autres réalités et d’autres personnes que vous avez
toujours connues. Ouvrez librement vos yeux intérieurs. Parcourez joyeusement
ces autres réalités, qui existent aussi sûrement que cette pièce.
Ouvrez vos sens intérieurs comme vous suivez ces instructions. Le corps phy-
sique ne sera pas un obstacle ; en fait il va vous assister, car au plus profond de la
chair sont cachés des mécanismes qui aident les sens intérieurs à fonctionner. Réa-
lisez que vous recevez des aperçus d’une réalité qui existe en cet instant même, et
qui fait autant partie de vous que les battements de votre propre cœur. Vous pou-
vez apprendre à gérer cet environnement.
Puis Seth demanda aux étudiants de faire une pause à ce seuil de cons-
cience, et d’imaginer une autre porte, « ou, si vous préférez, un sentier,
une avenue, un paysage, une allée, en tout cas encore une autre réalité qui
s’ouvre à vous juste à côté du niveau sur lequel vous êtes. Depuis ce nou-
veau point d’orientation, vous pouvez sentir d’autres probabilités que vous,
vous-mêmes, avez amenées à l’existence. Sentez leur force, leur vitalité, et
comprenez qu’elles renforcent aussi votre vie. »
Seth continua d’expliquer ce niveau de conscience pendant un certain
temps avant de demander aux étudiants de faire une pause. Puis il dit :
Je demande maintenant à ceux qui le peuvent de continuer, car nous allons dé-
passer ces champs de probabilités où naissent les temps pour arriver à un autre
dans lequel il n’y a pas de fabrication du temps et où aucune heure, aucune année

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n’existe. Ici, selon vos termes, toutes les probabilités ne sont pas encore nées, alors
qu’en termes plus vastes, elles sont déjà accomplies tout en continuant d’advenir
sans cesse à une nouvelle existence. Vous y avez aussi une réalité, et cette dimen-
sion nourrit votre monde en descendant pénétrer votre système. Ces réalités ne sont
encore que celles qui côtoient celle dans laquelle vous existez actuellement. Car au
delà s’en trouvent d’autres, tellement étrangères (pour vous) que je ne pourrais pas
les expliquer. Mais elles sont reliées à votre vie, et s’expriment jusque dans la plus
petite cellule de votre chair.
Je n’ai fait ici que reproduire les points principaux des instructions de
Seth. Il prit un temps assez long pour ramener les participants à leur niveau
de conscience normal, par exemple, et à leur enseigner comment suivre
leurs traces mentales. Mais l’exercice dans son ensemble dura à peine une
demi-heure. Je sortis facilement de la transe – comme toujours – et les étu-
diants me racontèrent ce qui s’était passé. Il est rare que je me souvienne
exactement des paroles de Seth. Alors que je pense être consciente de
chaque mot prononcé par lui, ce mot existe dans un Maintenant chargé
d’une façon particulière, de sorte que quand le moment est parti, sont aussi
partis le mot ainsi que tout sens de continuité.
Tout le monde a témoigné d’une sensation de régénération et de relaxa-
tion au niveau Alpha 2, mais plusieurs personne avaient eu des expériences
très fortes, voire étonnantes. Deux en particulier m’ont impressionnée, et
ont déclenché une avalanche de questions.
Mon amie Sue Watkins a raconté d’une voix hésitante avoir très claire-
ment vu un homme. Elle était apparemment debout à côté de lui au milieu
d’une grande plaine. Elle pouvait voir un lac et quelques bâtiments dans le
lointain, et en écoutant, elle entendit la voix de Seth comme venant de très
loin. L’homme lui dit qu’il s’appelait Jason, et qu’il l’avait connue dans des
vies passées.
Pendant tout ce temps Sue était consciente des instructions que donnait
Seth. Lorsqu’il demanda d’imaginer Alpha 2 comme une porte, Sue vit une
porte qui s’ouvrait, et une pyramide de lumière tridimensionnelle. Sue se
trouvait définitivement dans la scène, elle ne la voyait pas de l’extérieur, et
tout semblait être physique et réel. Soudain la voix de Seth devint très loin-
taine, et elle réalisa qu’il était en train de terminer l’exercice. Qu’arrive-
rait-il, se demanda-t-elle, si elle essayait de ramener Jason avec elle ? Les
deux se dirigèrent vers la porte, mais quand elle passa le seuil, Jason avait
disparu.
À la fin de son récit, Sue ajouta, presque par défi : « Il portait un vête-
ment long, une espèce d’aube », mais nous nous souriions l’une l’autre. Sue
et moi avons une chose en commun : nous nous autorisons une grande li-
berté intuitive, ou médiumnique, et pour finir nous essayons de donner à ce
qui a été vécu un sens acceptable intellectuellement. Là nous étions toutes
les deux intriguées. Un esprit-guide en vêtement long ? C’était un peu trop
convenu, et le nom « Jason » était trop romantique pour être honnête. Mais
c’était l’expérience de Sue. C’était arrivé, que nous soyons d’accord ou pas,

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et à ce niveau de conscience, l’expérience était valable. Il nous restait en-
core à comprendre les conditions de cette validité.
L’autre expérience marquante fut celle d’un jeune homme que j’appel-
lerai Joel. Au niveau Alpha 2 il s’est trouvé dans un groupe de chrétiens tra-
versant l’Europe vers le sud pour rejoindre une croisade. Ils sont tombés sur
une bande itinérante de musulmans, et Joel s’est retrouvé au milieu d’une
bataille féroce. Il était livide en nous racontant les faits. « C’était terrible-
ment clair, trop clair, dit-il. Au début les champs étaient frais et verts, et
après ils étaient complètement retournés et gorgés de sang. J’ai vu des che-
vaux éventrés… » Plutôt secoué, il ajouta que les chrétiens s’étaient battus
comme des sauvages, et qu’à la fin de l’expérience il avait vu un moine ar-
rivé d’un monastère voisin se tenir là, affligé.
Nous savions tous que Joel avait récemment renoncé à ses vœux. Ses
sentiments personnels s’étaient-ils reflétés, dramatisés, sur cet autre niveau
de conscience ? Était-ce un aperçu valable de son passé de réincarnations ?
Ou un simple retour en arrière dans l’histoire, un cliché psychologique de
temps disparus ? Nous avons discuté de ces différentes possibilités, puis
avons fait une demi-heure de pause.
J’avais l’intention de continuer la discussion à la reprise, mais j’ai senti
que Seth souhaitait parler. Cette fois ce fut une de ces étranges transitions
où un autre niveau d’activité est déclenché, et où je parle pour Seth 2.
C’est notre façon de désigner un Seth « futur », ou Seth à un autre stade de
développement. Seth 2 intervient rarement, peut-être quatre ou cinq fois
par an.
Juste avant cette transition, Seth annonça : « Je voudrais brièvement
vous donner l’occasion de ressentir, dans une certaine mesure, les immenses
horizons entre lesquels se déroule votre réalité, et les autres dimensions de
l’existence, auxquelles vous participez également. »
Alors disparurent de mon visage toutes les expressions caractéristiques
de Seth. Ses gestes habituels cessèrent. À ces moments-là s’installe toujours
une espèce de vide dans mon corps. Je me sens le quitter et me diriger rapi-
dement vers une structure en forme de pyramide qui se dresse très loin au-
dessus de moi. C’est « là-bas » que le contact semble s’établir. Alors, après
quelques instants, résonne la voix – une voix légère, très faible, et dépour-
vue de toute émotion. Les étudiants disent qu’elle ressemble à la voix de
formules mathématiques, si celles-ci pouvaient parler.
Alors qu’après Seth la transition est quasiment instantanée, après une
intervention de Seth 2, j’ai toujours besoin de quelques minutes pour reve-
nir. Mais cette fois je suis revenue facilement, comme si j’étais retombée
dans ma conscience. Le groupe était visiblement excité et impressionné,
mais quand les étudiants m’eurent répété les paroles de Seth 2, j’avais des
sentiments mitigés. Voici la partie du message qui me dérangeait :
Certaines traductions sont effectuées pour vous, de façon à ce que ces trans-
missions aient du sens. Notre énergie forme des mondes. Nous vous aidons à main-
tenir vos vies, comme vous aidez à maintenir d’autres existences dont vous n’avez

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pas la connaissance consciente. Nous vous observons comme vous observez les
autres, mais la distance est tellement immense que la communication est difficile.
Nous n’observons pas sous forme humaine. Votre perception de nous est donc
déformée. Pour vous, nous aurions des formes géométriques. Nous ne comprenons
pas la nature de la réalité que vous créez, même si c’est nous qui vous en avons
donné les germes. Nous la respectons, nous la vénérons. Ne vous méprenez pas sur
la faiblesse de cette voix. La force qui est derrière peut former le monde que vous
connaissez, et le maintenir pendant des siècles.
La voix de Seth 2 expliqua ensuite que nous étions observés, mais que
cela ne devait pas nous empêcher « d’observer les observateurs » de toutes
les façons possibles. Nous y étions même invités. Les étudiants m’ont fait
écouter l’enregistrement du message. Comme toujours, j’ai été frappée par
la différence entre Seth 1 et Seth 2. Le son même de ces mots sans aucune
émotion et à peine audibles soulignait la distance qui s’étendait entre moi
et ce que je contactais, quoi que ce fût réellement.
Ce n’était pourtant pas le moment d’une analyse réfléchie, car tout le
monde parlait en même temps. Deux étudiants avaient vu une pyramide au-
dessus de moi, précisant qu’elle n’avait disparu que lorsque j’étais sortie de
transe. Plusieurs personnes ont affirmé que durant tout cet épisode elles
avaient vu des visages flous, tridimensionnels, sous le plafond de la pièce.
D’autres ont dit avoir ressenti les visages, mais sans les voir. En tout cas
tout le monde était d’accord sur une chose et l’affirmait avec force : invi-
sibles ou non, la pièce avait été remplie de consciences autres que les
nôtres.
Une légère agitation régnait dans le groupe. Certains écrivaient leurs im-
pressions « à chaud », d’autres échangeaient avec leurs voisins. J’entendis
quelqu’un dire : « Ça m’est égal, j’ai vu ce que j’ai vu. » Déconcertée, je
me demandais ce qui avait bien pu réellement se passer. Je ramenai l’ordre
rapidement, en disant que nous ferions mieux de nous interroger sur les sug-
gestions qui auraient pu être responsables des visages au plafond et d’autres
phénomènes annexes.
La réponse fut plutôt indignée. D’abord, comme le soulignèrent plusieurs
personnes, toutes les lampes étaient allumées et chacun avait gardé les
yeux ouverts. Personne n’avait parlé pendant le phénomène. Ceux qui
avaient vu les visages ne savaient pas que d’autres les avaient perçus au
même endroit – ou ailleurs. Il est certain que plusieurs étaient en état modi-
fié de conscience, et c’est précisément à ces moments-là que nos percep-
tions peuvent nous fournir des données normalement inaccessibles.
J’étais encore en train d’interroger les étudiants quand quelque chose
d’autre attira mon attention. D’abord faiblement, puis de façon plus forte,
j’ai commencé à sentir la présence à côté de moi d’une personnalité invi-
sible. C’est-à-dire que je ne la voyais pas, mais que je pouvais sentir sa réa-
lité émotionnelle aussi fortement que si la vision avait été physique.
J’avais déjà « rencontré » cette personne, un homme, au cours de plu-
sieurs ateliers précédents, et il m’avait dit mentalement qu’il était une de

9
mes vies antérieures. D’après lui j’étais à l’époque un dirigeant jaloux, qui
exigeait par-dessus tout la loyauté. Mon amie Sue avait été un de mes parti-
sans. Il était venu lui demander des comptes, car il avait l’impression
qu’elle suivait ses propres voies au lieu de marcher sur ses traces, ce que,
d’après lui, elle aurait dû faire.
Comment fallait-il réagir ? Pendant les cours j’essaye d’être spontanée,
du moins dans les limites du raisonnable, alors je dis : « Sue, l’autre-moi est
là ». Je ris – seulement pour moi ce n’était pas mon rire mais le sien, mor-
dant et sardonique, complaisant et amusé à la fois. Je sentais de l’intérieur
une étrange expression faciale, et réalisai que mes traits étaient en train de
s’adapter.
Sue me fixait. « Oui, je sais qu’il est là, et j’aimerais bien qu’il s’en
aille », dit-elle.
Alors cette autre personnalité commença à sortir de ses gonds et je me
mis à me sentir beaucoup plus grande et forte que je ne suis physiquement.
Je fus traversée d’une vraie fureur – qui n’était certainement pas la mienne
– contre Sue. Il voulait passer par moi pour s’en prendre à elle. Je me dis
que c’était injuste. S’il avait un contentieux à régler, il devait s’adresser à
la personne que Sue avait été. Elle et moi, en tant que nous-mêmes,
n’avions rien à voir là-dedans. Je m’efforçai fermement de garder mes dis-
tances, et pour mettre un terme à l’incident je déclarai à la ronde :
« Pause, tout le monde ! »
Mais le succès fut mitigé. Comme les gens se levaient et se dispersaient
dans la pièce, j’entendis ce rire, qui n’était pas le mien, de nouveau assail-
lir Sue. « Je t’ai regardée souvent avec cette expression, dis-je, tu devrais
bien la connaître. »
De façon plutôt incongrue Sue s’écria : « Cette fois j’ai un petit défen-
seur de deux ans » (elle parlait de son fils) et je répondis avec mépris :
« C’est une des remarques les plus stupides que tu pouvais me faire. »
Alors là je décidai que c’était allé trop loin. Je n’approuvais pas la
morgue de cet autre moi, ni la façon vicieuse dont il avait essayé de s’impo-
ser alors que mon attitude envers lui était honnête. Cette fois je fermai tout
hermétiquement – il suffit de dire franchement non de toute sa volonté –
tout en remarquant qu’auparavant je n’étais pas entière dans ma décision
de mettre un terme à la confrontation. Je voulais tenir la personnalité suffi-
samment à distance pour l’empêcher de parler, mais tout en me permettant
de garder un œil sur sa réalité. Là elle disparut totalement.
« Il va falloir qu’on travaille là-dessus », dit Sue.
« Oui, mais pas tout de suite », répondis-je, et nous nous sourîmes mu-
tuellement, contentes toutes les deux d’en avoir fini pour cette fois.
La conversation après la pause n’avait duré que quelques minutes, et
pendant la pause, les étudiants avaient discuté de ce qui venait de se pas-
ser. Quelques-uns finissaient de rédiger leurs notes.
Il commençait à se faire tard. Quand le cours recommença Seth arriva,
apparemment juste pour dire bonsoir, mais il s’autorisa quelque digression :
« Je vous souhaite le bonsoir, dit-il. L’expérience continue, et continuera,

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pendant que vous vaquerez à vos tâches quotidiennes cette semaine. Mais
personne ne vous empêche d’observer les observateurs. En fait vous devriez
constater que c’est tout simplement fascinant. »
D’après les étudiants, Seth était sur le point de clore la séance quand un
participant, que j’appellerai Ron, l’interrompit pour poser une question.
Quelqu’un mima un soupir : Ron était connu pour s’empêtrer dans ses
propres questions. Il se considérait comme un grand intellectuel, se prenait
très au sérieux, et adorait poser à Seth des questions « importantes ». En
fait c’était un très gentil garçon, mais qui avait encore beaucoup à ap-
prendre, et Seth le traitait habituellement avec gentillesse et une certaine
tolérance amusée.
Mais ce soir-là, les participants étaient très curieux d’en savoir plus sur
le message de Seth 2 et sur leurs propres ressentis. Ils étaient particulière-
ment intrigués par les implications de l’ « expérience », et étaient devenus
tout d’un coup très sérieux. Quand Ron posa sa question, Seth « embraya »
avec cette espèce d’humour qui détend immédiatement l’atmosphère. Rien
de tel qu’un bon éclat de rire pour se retrouver fermement ancrés dans le
monde que nous connaissons, bien installés dans la structure solide de nos
émotions.
Ron formula sa question de cette manière : « Voyez-vous, en d’autres
termes, quand Jane parle… pouvez-vous voir la pièce ? Ou est-ce que vous
ne voyez que la pièce ?… » Ron fit une pause, s’humecta les lèvres, et conti-
nua : « Voyez-vous où je veux en venir ? »
Seth dit : « Quand je parle, je me concentre volontairement sur cette
minuscule portion de temps et d’espace qui pour vous est cette pièce. Au-
trement je peux vous regarder, voir par exemple vos vies antérieures, et je
ne suis pas limité à la perception du moi que vous imaginez être.
- Vous pourriez percevoir, disons, la carafe sur la table ? demanda Ron.
- Uniquement si la carafe m’intéresse. »
En tant que Seth, j’affichais un grand sourire.
« Mais quelle apparence aurait-elle pour vous ? insista Ron.
- Celle d’une carafe sur une table, répondit Seth, sarcastique.
- Comme elle apparaîtrait…
- Quand j’utilise les perceptions dans votre réalité, interrompit Seth, je
traduis automatiquement les données internes en termes physiques. Autre-
ment je ne suis pas limité à ce genre de perceptions. » Avec un sourire, en
parlant très lentement pour soigner son effet, il ajouta : « Je n’ai pas besoin
de percevoir cet objet comme une carafe, mais je peux le percevoir comme
une carafe. Vous êtes obligé de le percevoir comme une carafe. Et mainte-
nant je vous dis bonsoir.
- Mais vous n’avez pas répondu à ma question, s’obstina Ron.
- Si je l’ai fait. Vous n’avez pas écouté la réponse. Vous êtes obsédé par
vos questions et vous n’écoutez pas. »
Ron présenta une nouvelle version alambiquée de ce qu’il essayait de
dire. Il était de plus en plus rouge, et de plus en plus déterminé.

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Seth conclut, d’un ton définitif : « La réalité de la carafe sur la table –
telle que vous la connaissez – est une partie de la perception totale que j’en
ai. »
Très sobrement, Ron répondit : « Vous avez répondu à la question. Je
comprends. » « Merci », fit Seth, sur un mode tellement affirmé que tous les
étudiants éclatèrent de rire. Même Ron esquissa un sourire. Il ne se sentait
pas du tout rabaissé, mais plutôt justifié pour avoir à son avis bien maintenu
sa position. Après quelques remarques générales, Seth dit : « Encore une fois
je vous souhaite le bonsoir. Et rappelez-vous que l’expérience continue. »
L’excitation perdurait, mais le dialogue entre Seth et Ron avait replacé
la soirée dans une perspective plus normale. Et pourtant, à la fin de la réu-
nion, je ne savais pas quoi penser. Au moins une partie de moi regrettait
que Seth 2 ait participé au travail. Plus que tout, j’aurais souhaité que per-
sonne n’ait témoigné avoir vu des visages au plafond. Je ne croyais tout sim-
plement pas que des êtres d’une autre réalité espionnaient mon salon. Je
n’avais pas apprécié non plus la confrontation émotionnelle avec Sue, sur-
tout que je ne savais pas si pour moi la réincarnation était un fait ou le sym-
bole d’autre chose.
Et pourtant quelque chose s’était passé. Des gens avaient perçu cer-
taines données. Même en termes d’altération de la perception uniquement,
les événements de la soirée étaient lourds de sens. Mais à cette époque,
ceux-ci étaient pour moi intellectuellement à ce point scandaleux que je
mis de côté les notes prises pendant la soirée tellement j’étais incapable de
gérer leurs implications.
Ce qui me souciait était le manque d’un cadre adapté qui puisse accueil-
lir ce qui était arrivé. Nous étions devant un ensemble d’événements psy-
chologiques et de perceptions que beaucoup auraient accueillis avec mépris.
Et pourtant c’était une expérience humaine. Joel devait se souvenir long-
temps de l’effroyable bataille dans l’herbe de la plaine, bien longtemps
après qu’il aurait oublié les faits concrets de cette journée, comme ce qu’il
avait mangé au petit déjeuner ou le costume qu’il avait porté. Sue se rap-
pellerait Jason et les efforts qu’elle avait faits pour l’amener dans la pièce
où nous étions bien après que d’autres événements « valables » auraient été
oubliés.
Pourquoi devrions-nous avoir peur de notre propre expérience parce
qu’elle est bizarre aux yeux du monde, ou parce que nous craignons qu’elle
puisse l’être ? Pourquoi nous soucier de notre respectabilité intellectuelle
quand elle implique une limitation de nos perceptions, ou qu’elle nous
oblige à réduire notre expérience pour qu’elle corresponde à des concepts
préétablis ? Je pense que beaucoup d’entre nous réagissent de cette façon
parce que nous avons été mis en garde, souvent dès l’enfance, contre notre
imagination ou notre intuition, et qu’on nous a incités à juger constamment
nos perceptions à l’aune du strict monde des faits. Et ce monde des faits
nous a été présenté comme le seul et unique critère de réalité. Un men-
songe est en fin de compte une non-vérité : quelque chose est dit qui ne

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s’est pas produit dans le monde des faits. Et donc, quasiment par implica-
tion, une connotation morale se superpose au fait que nous voyions quelque
chose que les autres ne voient pas : il faut qu’il y ait quelqu’un qui mente.
Si nous pouvons évoquer le rôle d’une suggestion, nous sommes au moins
à moitié sauvé car nous avouons avoir menti, mais pas délibérément : nous
avons pensé voir ce que nous avons vu, mais nous avons été trompé. Évidem-
ment que la suggestion joue un rôle ! Mais personne ne sait exactement ce
qu’est une suggestion. De plus, les perceptions provenant directement d’une
suggestion peuvent être tout aussi valables que les autres. Notre perception
elle-même du monde physique est causée par les suggestions que nous four-
nissent nos sens. Même une modification minime de la conscience nous en-
traîne à percevoir les événements d’une façon différente.
D’un côté je savais tout cela, de l’autre, j’essayais encore de faire en-
trer mes expériences dans un cadre trop petit pour elles. Je repassais dans
mon esprit les événements de la soirée. La décharge émotionnelle de
l’échange entre Sue et « mon » autre personnalité avait définitivement eu
lieu. Sue et moi avions-nous inconsciemment abréagi des sentiments inté-
rieurs de l’une envers l’autre qui avaient besoin d’être libérés ? N’était-ce
que cela – la mise en scène d’une confrontation entre nous deux sans que
nous ayons conscience des mécanismes internes impliqués ? Si oui, cet épi-
sode était certainement créatif et thérapeutique. Pourquoi est-ce insuffi-
sant ? Parce qu’il pointait vers autre chose, évidemment.
Tout ceci était-il vrai ou faux ? Joel a-t-il revécu un pan d’une vie pas-
sée, ou non ? Y a-t-il eu réellement des visages au plafond, ou non ? Les évé-
nements de cette soirée m’ont donc précipitée dans un tourbillon de ques-
tions, dans lequel j’eus parfois l’impression que mon intellect et mes intui-
tions en venaient aux mains. Il a fallu du temps pour qu’ils émergent dans
une synthèse nouvelle, qui allait me mener à Psychologie aspectale, et à
l’élaboration d’une structure à l’intérieur de laquelle de tels événements
pouvaient être étudiés à l’aise ; une structure suffisamment vaste pour con-
tenir la signification de toutes nos expériences.
Dès que mon intellect et mes intuitions travaillèrent ensemble, ils me
conduisirent à la découverte d’un ordre intérieur des événements et m’ou-
vrirent à des réalités alternatives, dont chacune a ses propres lois, ce qui
fait que les faits dans un système peuvent n’avoir aucun sens dans un autre.
Mais à l’époque je ne savais pas tout cela. Je savais seulement que je
m’autoriserais à tout prix une totale liberté psychique et intuitive, tout en
utilisant mon intellect pour analyser les résultats. Car jusque-là je parta-
geais l’opinion générale qui veut que la fonction principale de l’intellect soit
celle de la critique, une critique opérant séparément et indépendamment
des plans intuitifs du moi.
Les livres d’enseignements de Seth, tous dictés en état de transe, au-
raient dû m’ouvrir les yeux, car ils présentent tous une très belle harmonie
entre les niveaux mental et psychique. Mais encore en 1971 j’analysais Seth
selon le point de vue du Vrai et du Faux, et j’étais dans une large mesure

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aveugle à sa plus vaste réalité à force d’essayer de le comprendre dans un
contexte trop étroit.

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2 – Drame réincarnationnel et autres
événements non officiels
L’énergie de cette soirée mémorable sembla s’étendre jusque dans la
vie privée de mes étudiants. La semaine qui suivit, Sue Watkins m’appela
pour me raconter un incident qui, elle en était certaine, était lié aux deux
expériences avec Seth.
« J’étais en train de me préparer à aller me coucher, me dit-elle. Toutes
les lumières étaient allumées. Soudain mes bras et mes jambes m’ont paru
énormes, et terriblement lourds. Je les ai regardés, et je le jure, ils
l’étaient réellement. Au même moment j’ai été traversée par un étonne-
ment bizarre : mais, un corps, c’est fantastique ! Quelle merveilleuse ma-
chine, et j’étais sidérée devant ce fonctionnement du corps. Mais ce n’était
pas moi. C’était une sensation d’étrangeté absolue. C’était… quelqu’un qui
n’avait pas du tout l’habitude de vivre dans un corps. »
Dorothy, une autre étudiante, m’a appelée pour me dire qu’elle avait vu
ce matin-là des triangles tridimensionnels au plafond de sa salle-à-manger,
trois fois de suite. Et comme, si mon intellect exige du grain à moudre, mon
moi intuitif s’arrange pour le lui fournir, la classe suivante me présenta une
fois de plus des exemples parfaits de ces sortes d’expériences qui m’intri-
guent tant, tout en me coinçant dans un dilemme critique.
Cinq étudiants racontèrent avoir participé à des « classes de rêve »,
c’est-à-dire des classes sur un autre niveau de réalité, où Seth était l’ensei-
gnant. De tels rêves, avec de nombreuses variantes, font maintenant partie
intégrante des activités « hors cursus » des étudiants. Je suis convaincue
qu’elles leur servent à développer les thèmes et les expériences abordés
dans le groupe. Seth y est souvent utilisé comme le symbole de la cons-
cience supérieure de l’individu.
La semaine dernière, par exemple, un jeune homme, Larry, raconta un
rêve dans lequel il avait vu le visage de Seth tout proche du sien. Seth avait
une apparence tout à fait physique et réelle, et il ressemblait exactement
au portrait que mon mari, Rob, a fait de lui il y a plusieurs années. Le ta-
bleau se trouve dans le salon où se réunit le groupe ; il a aussi été reproduit
dans Le livre de Seth. Dans leurs rêves, beaucoup d’étudiants voient Seth
sous cette forme.
Quand Larry eut fini de raconter son rêve, Seth est arrivé et nous a of-
fert une de nos meilleures séances à ce jour. Elle a commencé avec la ques-
tion : Qui est Seth ? La première partie s’adressait à Larry, le rêveur. J’en
cite ici quelques extraits, car ils contiennent des informations dont, à

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l’époque où les étudiants ont commencé à parler de leurs classes de rêves,
je n’avais pas connaissance.
Voici ce que Seth a dit à Larry ce soir-là :
Qui est Seth ? C’est moi qui vous pose la question. Et quelle est cette magie
qui est mise en œuvre ici (dans la classe), que vous-même mettez en œuvre et que
nous tous nous mettons en œuvre ensemble ? Laissez-moi vous dire ceci : D’une
part je suis quelqu’un que vous ne connaissez pas, perdu dès avant les annales du
temps tel que vous le comprenez, perdu dans les annales du passé et du futur tels
que vous les comprenez. D’une part, c’est ce que je suis. Et ce n’est pas rien,
comme affirmation.
D’autre part, je suis vous-même... C’est à travers moi que vous voyez et ren-
contrez ce moi que vous êtes ; et je me déploie donc ainsi, selon vos termes, depuis
la puissance, l’ancienneté et la gloire de votre propre être, projeté dans le monde
du temps, depuis un univers dans lequel le temps n’a aucun sens.
En 1971 cependant, j’étais gênée par les implications que je voyais au
fait d’un Seth « esprit-guide » entrant et sortant du rêve des gens – surtout
quand ceux-ci s’en servaient comme preuve de l’existence indépendante de
Seth, d’une façon qui m’inquiétait. Ce fameux soir, donc, j’étais fascinée
par les rêves qui étaient racontés, mais je refusais toute explication banale.
Et pourtant je n’en trouvais aucune autre qui me satisfasse.
Mais les rêves n’étaient que le commencement. Comme j’écoutais les
récits, j’ai soudain senti la pyramide de Seth 2 au-dessus de ma tête, pas
physique, mais quasiment aussi réelle. Je pouvais sentir ma conscience
s’élancer vers le sommet, progressant d’abord lentement, puis de plus en
plus vite. Je commençai à peine à penser, partagée entre l’étonnement et
le doute, « observateurs désincarnés depuis un autre monde ; triangles ve-
nus de nulle part au plafond du salon », et « ça recommence »… que j’étais
déjà partie.
Lors d’une interaction avec Seth 2, après un certain point il y a un vide,
je sens que je dois le traverser, puis arrive le point vivant du contact. Et là
cette voix atonale commence à parler. Comme toujours, les étudiants m’ont
dit après ce qui s’était dit, et la séance a été enregistrée.
La voix commença : « L’expérimentation continue. »
Nous essayons d’appréhender la nature de votre existence présente, et donc
ceux d’entre vous qui sont curieux de la nature de la réalité non-physique peuvent
nous suivre, en se servant de cette voix comme d’une ligne directrice vers une
existence... qui ne connaît ni chair ni sang. Suivez-nous donc, au delà de la con-
naissance de la chair, vers ces royaumes d’où naît la chair. Sentez comme le cœur
de votre conscience s’élève au-dessus de la connaissance des saisons.
Cela peut entraîner pour vous une insupportable solitude, car vous avez l’habi-
tude de vous appuyer sur la chaude victoire de la chair, et il n’y a (ici) aucun être
physique avec lequel vous pourriez interagir. Pourtant, au delà et à l’intérieur de
cet isolement, est un point de lumière, qui est conscience. Il pulse de la puissance

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qui est derrière toutes les émotions qui vous sont connues ; il les nourrit et les pré-
cipite, en cascade étincelante, dans la réalité que vous reconnaissez.
C’est la chaleur qui forme le pouls de l’existence physique, et qui pourtant est
née de la dévotion même de notre isolement ; qui est née de la créativité ; qui est
au delà de la chair et du sang ; qui forme les doigts sans ressentir les doigts ; qui
forme les saisons sans connaître l’été ou l’hiver ; qui crée la réalité que vous con-
naissez, sans la vivre elle-même.
De cette dévotion et de cette créativité provient tout ce que vous connaissez ; et
tout cela nous a aussi été donné à nous. Car l’énergie que nous avons ne nous ap-
partient pas en propre, et nous n’en sommes pas non plus la source. Elle coule à
travers nous comme elle coule à travers vous.
L’expérimentation continue donc, comme elle l’a toujours fait. Mais dans votre
passé vous n’en étiez pas conscients.
La voix se tut. Je commençai ma descente, fus un moment perdue et dé-
sorientée, puis soudain, à travers de nombreux niveaux de conscience, je
plongeai fermement.
Presque chaque étudiant avait vécu un niveau quelconque d’expansion
de conscience pendant l’intervention de Seth 2. Rog, un ingénieur, s’était
senti comme seul dans l’espace, sans aucune possibilité de se « tourner
vers » quoi que ce soit, et accablé de solitude. Plusieurs avaient, à un degré
ou à un autre, ressenti le même genre de flottement et d’isolement. Joel (le
jeune homme qui lors de la classe précédente s’était retrouvé impliqué dans
la bataille des croisés) s’était lui aussi senti perdu dans l’espace. Il avait eu
l’impression de ne pas avoir de corps, et d’être attiré vers une gigantesque
fleur. Comme il s’enfonçait la tête la première au milieu des pétales ou-
verts, l’intérieur de la fleur s’expansait comme s’il n’y avait pas eu de fond.
Il sentait qu’il aurait pu tomber ainsi pour toujours.
Son expérience m’a donné à réfléchir. Au moment où Seth 2 a fait son
apparition, avais-je permuté vers un autre niveau de conscience, et étais-je
en train d’observer la réalité physique depuis ce point de vue ? Les « êtres »
dont parle Seth 2 étaient-ils la mise en scène inconsciente de ce niveau de
conscience ? Ou bien ces êtres existaient-ils d’une autre façon, comme la
fleur de Joel ? Cette fleur représentait-elle aussi la propre interprétation de
Joel d’un autre genre de conscience ?
En d’autres termes, à quel point pouvions-nous prendre littéralement le
message de Seth 2 ? Si Seth 2 était une représentation d’une autre partie de
notre psyché, mise en scène, une autre interprétation du message ne pour-
rait-elle pas prétendre que d’autres parties non physiques de notre moi ac-
tuel observent notre réalité depuis notre propre psyché ? Tout ceci n’était-il
pas un encouragement pour nous à faire l’expérience, au moins en partie,
des vastes régions de notre âme d’où émerge notre réalité physique ?
La différence entre Seth et Seth 2 fut soulignée aussi ce soir-là par le
fait qu’après que les étudiants eurent discuté des événements de la soirée,
Seth arriva. Avec Seth 2, les étudiants avaient dû faire un effort pour perce-
voir cette voix tranquille, sans émotion, presque fade ; mon visage était

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sans expression et mon corps relâché. Mais la voix de Seth explosa ; mon
corps se redressa, prit une posture plus dynamique, et Seth était là, discou-
rant en regardant alentour. Il arrive souvent qu’il regarde une personne en
particulier, il la singularise et ne laisse aucun doute sur le fait que c’est à
elle qu’il s’adresse.
Il s’adressa immédiatement à Joel : Votre fleur était une excellente image ;
selon vos termes à vous elle représente les caractéristiques de l’espace avec lequel
vous entrez en rapport. Plus spécifiquement, elle est votre symbole des trous noirs
des physiciens. Ceux-ci (les trous noirs) sont d’autres dimensions d’actualité dans
lesquelles la réalité que vous connaissez se retrouve automatiquement traduite en
termes différents, et non annihilée.
Puis il dit aux participants qu’ils apprenaient à gérer d’autres niveaux de
conscience. J’étais évidemment au courant, mais je ne m’attendais pas à ce
qui allait suivre. Nous discutions des événements de la soirée et de l’inter-
prétation qu’avait donnée Seth de l’aventure mentale de Joel quand je per-
çus une discussion très animée dans un coin de la pièce. J’entendis le mot
« Indien ». Puis tout le monde se tourna vers Joel et Bette.
Je compris immédiatement à leur comportement qu’ils se trouvaient pris
dans ce que j’appelle un « drame réincarnationnel », c’est-à-dire qu’ils
étaient convaincus de rejouer un épisode d’une vie passée.
Comme je l’ai déjà dit ces reviviscences me fascinent, mais je ne perds
jamais de vue que nous en savons très peu sur la nature de la conscience ou
de la mémoire. Aujourd’hui j’envisage la réincarnation dans un contexte
beaucoup large qu’à l’époque, comme vous le constaterez plus loin dans ce
livre. Il est certain en tout cas que la scène qui va suivre, ainsi que d’autres,
est très fortement liée à l’intense questionnement qui a conduit à la Psycho-
logie aspectale.
Bette portait une de ces jupes longues jusqu’aux chevilles qui étaient en
train de devenir à la mode. Jambes étendues devant elle, mains sur les
hanches, on pouvait facilement imaginer la carabine posée sur ses genoux.
Ses petits yeux lançaient des éclairs de fureur. Elle était l’image parfaite de
la femme de pionnier du XIXe siècle qu’elle se sentait être à ce moment-là.
« Tout ce que tu as fait c’est de tuer toute ma famille, les gosses et tout le
monde ! » siffla-t-elle à Joel, qu’elle ne quittait pas des yeux.
« Tu as tué ton mari », répondit-il. L’apparence indienne normalement
plutôt discrète de son visage était alors fortement accentuée. Sa voix était
tendue, mais la force émotionnelle était moindre que chez Bette. Il ajouta
lentement : « C’est toi qui l’as tué. Pas nous. Pourquoi tu as fait ça ?
- Parce que c’était un lâche. Parce que j’avais une flopée de gamins
pleurnichards à m’occuper et que je n’avais pas besoin d’un mari pleurni-
chard en plus. Oui c’est moi, et si c’était à refaire je le referais. C’est ça
que tu voulais savoir ? » Sa voix était dangereusement calme.
Le groupe était silencieux. Nous étions sur nos gardes, au cas où Joel et
Bette en seraient venus aux mains.

18
Et moi j’avais mes propres soucis. Je voyais mentalement la scène qu’ils
jouaient ; Bette accroupie, presque à quatre pattes, dans la misérable ca-
bane, distribuant des armes aux enfants pendant que les Indiens dévalaient
la colline en direction de la clairière. Pendant un instant, depuis le point de
vue de Bette, j’entendis les hurlements, à glacer le sang – et je sentis sa
rage. Ses cris montèrent dans ma gorge. Je me ressaisis. Il fallait que je
pense au groupe et je voulais cadrer leur expérience, pas tomber dedans.
Mais je remarquai que Joel baissait légèrement le ton. Il dit : « Vous pre-
niez nos terres. Nous ne faisions que les défendre. Ça ne te dérangeait pas
de nous faire ça ?
- Tu parles que non ! lui hurla-t-elle. Pourquoi ça m’aurait dérangée ? Je
m’en fichais complètement des Indiens. Tout ce qui m’intéressait c’était les
miens, mes gosses. Et je les ai protégés, je peux te le dire. Mais je savais
quand vous étiez sur le sentier de la guerre. Ça, je le savais. » Ses yeux
étaient deux pointes de feu. Menaçante, elle se penchait en avant. Son
agressivité remplissait toute la pièce.
Il y eut un moment de silence. Puis nous vîmes comment, lentement, la
tension disparut des larges traits de Joel. Une sorte de douceur se répandit
sur son visage, et il commença à parler pour une personnalité appelée Dave.
J’avais déjà entendu Dave une fois, mais pas le groupe, qui cependant con-
naissait son existence.
Depuis ma place j’observais Bette et Joel, et les réactions des partici-
pants. Toute leur attention était rivée sur le visage de Joel, où ils cher-
chaient les différences entre le Joel-Dave et le Joel qu’ils connaissaient.
J’avais des sentiments mitigés. Je sentais le groupe se tourner vers cette
nouvelle personnalité ; je sentais leur respect, leur espoir que peut-être là
se trouvait la réponse. Peut-être Dave connaissait-il la réponse aux pro-
blèmes de la vie, et peut-être pouvait-il les résoudre d’une façon simple ? Ils
n’auraient pas besoin de chercher leurs propres réponses – quelqu’un
d’autre le ferait pour eux.
Génial, ils en ont appris, des choses… pensais-je, sarcastique. Ils étaient
là, professeurs, commerçants, collégiens, à écouter une autre voix, un autre
« gourou », encore quelqu’un d’autre qui peut-être avait les réponses et
qu’on pourrait amener, à force de cajoleries et de flatteries, à les partager.
Je suis injuste, pensai-je, et d’une certaine manière je l’étais vraiment. Le
phénomène de parler pour une autre personnalité est déjà en soi suffisam-
ment inhabituel et étonnant pour monopoliser l’attention de n’importe qui,
et ramener à l’esprit toutes ces légendes de dieux parlant par des mortels ;
d’esprits regardant à travers des yeux humains ; de dieux, démons et autres
lutins cavalcadant à travers les champs de la psyché des hommes.
La voix de Dave ressemblait beaucoup à celle de Joel. Il parlait avec in-
tensité mais sans passion, tandis que Bette le regardait dans un mélange de
respect et de méfiance. Elle était toujours furieuse – mais contre Joel, pas
contre Dave.
« Tu savais que des Indiens, hommes et femmes, mouraient, dit Dave.
Cela ne te faisait rien ?

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- Tout ce qu’on savait c’était qui était sur le sentier de la guerre et
quand, répondit-elle d’une voix dure.
- Savais-tu quand ta race était sur le sentier de la guerre ? demanda
Dave calmement, comme s’il traduisait, ou parlait à une enfant.
- Non ! cria Bette avec colère. J’étais dans ma propre existence. Je ne
m’occupais que de mes gosses, et vous vous en êtes chargés… » Elle s’inter-
rompit, le regard noir, parce que Joel avait été remplacé par Dave et à par-
tir de ce moment-là, quand elle répondait à Dave, elle l’appelait « Mon-
sieur », sur un ton qui mêlait nettement la déférence et le sarcasme. Après
une discussion assez longue, Bette déclara qu’elle était dans de meilleurs
sentiments vis-à-vis de Joel ; qu’elle réalisait que son peuple avait été sub-
mergé par ses passions et ne faisait qu’essayer de défendre sa terre. En sou-
riant elle dit : « Mais arrête de m’attaquer. Sois juste gentil. »
Son attitude avait si radicalement changé que quelques personnes écla-
tèrent de rire.
« Je suis sérieuse, continua-t-elle. J’ai appris beaucoup dans cette vie-
là, et dans celle-ci, quand on s’en prend aux Indiens, je sors le glaive… J’ai
énormément de compassion pour eux. Quand quelqu’un parle des Noirs
comme d’une minorité opprimée, je lui rappelle les Indiens – j’ai donc dû
leur pardonner ce qu’ils m’ont fait. » Mais après la réponse de Dave, Bette
ne put s’empêcher de rétorquer : « Oh, merci, Monsieur », avec de nouveau
ce regard dur.
L’incident avait pris presque une heure. Une bonne partie du temps Dave
parlait seul, ou répondait aux questions de Bette. Parfois je posais une ques-
tion, mais je faisais attention à rester concentrée sur la pièce réelle, car
chaque fois que je laissais un peu de liberté à ma conscience, je me retrou-
vais dans la cabane avec Bette. J’avais toujours ses cris dans la gorge, mais
j’étais déterminée à ne pas les laisser sortir.
D’abord je ne voulais pas m’immiscer avec mes propres perceptions. Il
s’agissait avant tout de l’expérience de Bette et de Joel, et j’étais curieuse
de voir ce qu’ils allaient en faire. Ensuite, il fallait que je pense au groupe,
et il était hors de question que je libère toutes ces émotions dans la pièce,
d’autant plus que je sentais bien que j’aurais été moi-même précipitée dans
la situation et donc incapable de la gérer correctement.
L’attaque des Indiens n’a pas été datée. Dave a mentionné un nom, Ke-
wate ou Kewata, sans plus de précision. Quand on lui a demandé le nom de
la tribu, il a dit : « C’était une branche d’une nation plus vaste, ou d’une as-
sociation de tribus ; moi personnellement je ne connais pas leur langue mais
c’était quelque chose comme Shu… Shu shon ack. »
Quand tout fut terminé, Bette avoua avoir dès son arrivée dans le groupe
ressenti de l’antipathie envers Joel, mais que maintenant elle en compre-
nait la raison, ainsi que de son habitude de voler passionnément au secours
des Indiens. L’émotion ambiante s’était dissipée. Alors Joel secoua la tête,
toussa, l’air un peu étourdi, et demanda : « Hey, c’était quoi ? »
Oui, c’était quoi ?

20
Une chose était évidente pour moi. Dave était venu à l’aide de Joel pré-
cisément au moment où l’agressivité de Bette était la plus forte. De plus, il
eut l’art de faire baisser le vent dans ses voiles émotionnelles, ce qu’elle
sentit, j’en suis certaine, et à son grand déplaisir. Dave n’était pas Joel –
dans la scène qu’ils jouaient – et son attitude plus « décontractée » trans-
forma l’immédiateté de la rencontre en ce sens que Bette perdit « l’égalité
de son statut ».
Pour ce qui est de Joel, son ancrage psychique avait été remarquable. Il
s’était retrouvé à trois niveaux d’activité : le Joel habituel, le Joel en tant
qu’Indien dans une vie antérieure, et le Joel-David, une personnalité suppo-
sée rassembler le savoir des deux autres.
Mais l’incident m’avait inquiétée. Il y avait dans cette scène quelque
chose de contraint, comme si une partie de la personnalité de Joel n’avait
pas su quoi faire de l’autre. Le spectacle avait été… clivé d’une façon bi-
zarre, comme quand quelqu’un essaye trop fort, mais avec les meilleures in-
tentions du monde. Je sentais comme un contact qui n’avait pas été établi.
Je ne considérais pas Dave comme un « esprit » au sens habituel du
terme, mais Seth non plus, à l’époque. Toute cette histoire me fit bien sûr
réfléchir à la nature de Seth. Seulement d’une façon difficile à expliquer, sa
personnalité est parfaitement circonscrite, et c’est de cette façon qu’il est
arrivé dans mon expérience. Il n’y eut jamais la plus petite trace de con-
trainte. Tout en appréciant les niveaux de conscience utilisés par Joel,
j’étais aussi frappée par une certaine impression de grotesque, comme une
capacité qui aurait insisté pour être employée, tout en se retrouvant blo-
quée par le dilemme d’une fausseté psychologique.
Mais tout ceci n’avait rien à voir avec les questions soulevées par le ma-
tériau réincarnationnel lui-même. Bette et Joel avaient-ils réellement vécu
l’événement qu’ils avaient rappelé de façon si vivante ? Avais-je entendu
mentalement les hurlements d’une femme sur le point de voir ses enfants
massacrés ? Je me suis sentie comme si j’aurais pu me perdre moi-même,
pour un instant du moins, dans cet autre espace et cet autre temps.
Pourtant, je le savais, Bette avait été submergée d’agressivité à ce mo-
ment précis de sa vie. Tout cet épisode n’avait-il été que la création d’une
dramaturgie émotionnelle qui les aurait libérés de cette pression dans un
cadre sécurisé ? La participation de Joel aurait alors tenu à des raisons qui
lui étaient propres. En tout cas le groupe entier semblait soulagé, libéré.
Les deux « acteurs principaux » avaient-ils mis en scène l’agressivité combi-
née et refoulée de tous les participants ?
Mon questionnement était sans fin, apparemment. La plupart des étu-
diants étaient convaincus d’avoir assisté à la reviviscence d’un certain évé-
nement concernant des vies antérieures. J’admettais la validité de l’épisode
dans son ensemble, mais je soupçonnais aussi cette validité-même de dépas-
ser nos concepts. De nouveau je sentais que la réincarnation était beaucoup
plus lourde de sens que ce que nous pensons habituellement, et que le fait
de l’accepter simplement, en soi, pouvait bien nous empêcher de découvrir
sa signification « réelle ».

21
Peu de temps après, comme vous allez le voir, je fus confrontée à un
exemple unique de « personnalité de vie antérieure » au cours d’une ren-
contre surprenante, impliquant Sue et mon mari, Rob – une expérience qui
allait également jeter une certaine lumière sur le rôle de Dave qu’avait tenu
Joel au cours de ce fameux atelier. En attendant, j’en savais assez pour ne
pas interpréter notre expérience de la bonne vieille façon dogmatique (les
dogmes du spiritualisme, ou de la réincarnation, peuvent être aussi limita-
tifs que n’importe quel dogme religieux conventionnel), mais j’étais inca-
pable de proposer un autre cadre. Je continuai donc à me cogner la tête
contre les murs du mental.
Passer de Seth 2 aux cris de guerre des Indiens était plus qu’assez pour
une seule soirée – des observateurs incorporels d’un autre système de réa-
lité à la puissance émotionnelle de l’agressivité de Bette envers un homme
qui d’après elle avait massacré sa famille plus d’un siècle plus tôt – quoi
qu’il en soit, nous devions tous nous lever tôt le lendemain matin. Je signi-
fiai donc la fin de la soirée.
Et pendant qu’un à un les participants quittaient la pièce, je pensais :
c’est tout de même fantastique cette liberté que nous avons tous d’explorer
ensemble la nature de notre conscience. Qui sait ce que nous allons encore
découvrir ? Et je le pense encore aujourd’hui.
Le lendemain, je passai deux heures à consigner mes impressions sur la
classe de la veille et à essayer de mettre au clair mes propres réactions. Je
me contentai de mettre une feuille dans la machine et commençai à taper
ce qui me venait à l’esprit, sans m’interroger. Pour moi c’est une excellente
méthode de déclencher des idées pertinentes. En fait, ce n’est qu’en lisant
ce que j’avais écrit que j’ai réalisé qu’à partir de plusieurs directions qui
s’étaient présentées à moi, j’en avais choisi une seule.
J’ai toujours trouvé très gênante cette expression d’« esprit-guide ». En
même temps, c’est exactement de cette façon que les gens voyaient Seth.
Chaque fois que je protestais, je les embrouillais. D’abord beaucoup de gens
cherchent désespérément à croire à une vie après la mort, et les « esprits-
guides » leur en offrent automatiquement la preuve. Mais de plus, ce cadre
conceptuel vous permet de rencontrer sans intermédiaire un esprit dans le
salon de n’importe quel médium, pour vous consoler, résoudre vos pro-
blèmes, et vous offrir une intimité avec des réalités spirituelles que les
Églises ont depuis longtemps abandonnées.
Même au début de mes expériences, je n’ai jamais pensé que c’était
aussi simple ; et d’ailleurs Seth lui-même ne s’est jamais présenté en ces
termes. Mais jusqu’à cette classe de juin, je ne faisais même pas confiance
à mes doutes. Je pensais que peut-être mon intellect faisait barrage. Que
peut-être Seth était bien un esprit-guide – comme les gens le disaient, exac-
tement dans ce sens-là. Et que peut-être la réincarnation existait comme
tout le monde l’imaginait.
Le lendemain, cependant, après avoir relu mes notes, il me parut clair
que je n’allais pas laisser Seth devenir un cliché, et que je devais laisser

22
mon expérience faire son propre chemin. Le paragraphe suivant de mes
notes exprime très bien ma position envers Seth :
Hier soir, Seth 2 nous a fait vivre des aventures dans la conscience à la fois li-
bératrices, créatives et valables. Je suis sûre qu’elles accroissent la perception indi-
viduelle, et pourraient conduire le groupe à un niveau d’éveil collectif touchant à
l’état de rêve. Mais je refuse qu’on « m’oblige » à visualiser un esprit désincarné
en train de nous observer. Je crois que nous sommes vraiment sur la piste de
quelque chose, mais je ne sais pas encore ce que c’est. Si nous partons du principe
que tout ce que nous ne pouvons pas expliquer provient d’« esprits », nous nous re-
trouvons une fois de plus face à un dogme.
Au sujet du « drame réincarnationnel », j’avais écrit :
Encore une terrible aventure dans la conscience pour ceux qui y ont été impli-
qués, au cours de laquelle ils ont vécu la réalité d’une façon différente et formé de
nouvelles formes de connectivité. Ils ont regardé l’existence à partir d’un point de
vue entièrement différent de leur point de vue habituel, et à un degré ou un autre,
cela a conduit chaque membre du groupe à faire la même chose. En ce sens je
pense que ce fut constructif, dynamique et passionnant. Je ne sais pas si Joel et
Bette ont revécu des événements passés précis, ou si l’idée de réincarnation a
fourni le cadre dans lequel a pu se dérouler l’expérience, les libérant de leurs rôles
de vie habituels.
Et peut-être cela n’a-t-il aucune importance. Mais je crois que la pression est
forte de la part de ceux impliqués dans le domaine médiumnique, amateurs et pro-
fessionnels, de prendre de tels événements au pied de la lettre. À en juger par leurs
lettres et commentaires, je crois que les gens veulent tellement croire à quelque
chose qu’ils se sentent menacés quand je remets en question ma propre expérience ;
ou alors ils exigent de ma part une espèce de Bible d’où toute incertitude aurait
disparu – pour eux. Mais alors je serais enfermée dans un dogme que je devrais ju-
rer de protéger, sans plus jamais avoir le cran d’analyser mes propres idées. Il
m’est tout simplement impossible d’aller chercher de jolis petits symboles bien
consensuels pour y caser mon expérience.
Car en-dessous de tout cela, il y a quelque chose d’inestimable, à quoi nous
tous, collectivement, nous n’avons jamais prêté attention. Et il est bien possible
que je puisse arriver à quelques indices sur ce que c’est...
J’avais écrit ces paragraphes avec véhémence, et certainement un peu
d’exagération, mais au moins depuis longtemps n’avais-je pas eu une idée
aussi claire de ma position personnelle. Étant donné cet état d’esprit, vous
pouvez imaginer ma réaction à ce qui allait arriver avec Martin Crocker, qui
devait participer à la classe suivante. Pour moi, Martin personnifiait toutes
les idées dont je venais de décider que je pouvais me passer.

23
3 – Un esprit-guide est un esprit-guide est un… ?
Martin Crocker était masseur et thérapeute. Sa femme était assise à
côté de lui sur le canapé, immobile, comme essayant d’être invisible. Martin
quant à lui était un monsieur d'une cinquantaine d'années, vif, fringant et
tranché, avec un visage étroit et pâle - un petit coq d'homme, comme cela
s’est révélé, tout à fait capable d’affirmer sa position.
Mais au fur et à mesure qu’il s’exprimait dans le groupe, je devenais de
plus en plus nerveuse, et, pour dire le vrai, furieuse. Encore une fois,
comme il était si sincère, si bon, comme il parlait d’amour et évoquait Dieu
à tout bout de champ, je me sentais un peu les mains liées. Dans sa façon
de penser, l’amour était équilibré par le « œil pour œil dent pour dent »,
par la contrition et le châtiment d’un Dieu juste, qu’aucune personne saine
d’esprit aurait voulu comme père, et encore moins comme ami.
Il nous raconta les tasses qui frôlaient les têtes des participants à des
séances tenues dans de sombres pièces qui sentaient le moisi, « fonçant
dans les airs au point que vous vous ratatiniez sur votre chaise. Mais elles ne
vous touchaient pas, bien sûr, puisqu’elles étaient contrôlées par l’autre
côté. » Contrôlées, d’accord, mais depuis un niveau plus terrestre que cé-
leste, pensais-je. Mais Martin Crocker croyait à ses croyances. Ses croyances
faisaient partie de lui ; elles étaient tissées dans ses chairs et ses idées, de
sorte que d’en retirer une seule aurait fait se détricoter tout l’ensemble. Et
jamais je n’aurais fait ça, même si j’avais pu le faire.
Seulement j’étais incapable rester assise là, silencieuse, apparemment
d’accord, pendant qu’une étudiante que j’aurais crue capable de mieux, Au-
drey, ouvrait de grands yeux crédules et pleins d’espoir – si des tasses
avaient réellement volé quelque part, pilotées par une main invisible, alors
pourquoi pas ici ? Et pendant tout ce temps Martin, bien carré, se montrait
déterminé à défendre ses valeurs – le bon chrétien au milieu d’infidèles ma-
nifestes – de gentils infidèles, sans doute, même si je ne crois pas qu’il en
ait été certain. Mais comme Daniel dans la fosse aux lions, il osait proclamer
sa vérité, qu’importait ce que nous en pensions. Il faut au moins lui recon-
naître cela.
Certes je ne corresponds pas exactement à l’image d’un lion, même si
j’avais par moments de fortes envies de rugir, mais je n’allais pas non plus
laper ces insanités comme un chaton son lait. J’oscillais donc entre diffé-
rentes humeurs. La classe prenait tout cela de façon assez détendue,
jusqu’à ce que Martin affirme ne pas comprendre comment des femmes pou-
vaient être médiums ou guérisseuses. Tout le monde sait que les femmes

24
sont de polarité négative, alors que les hommes sont positifs, qu’elles atti-
rent donc la maladie et les mauvaises influences, quand les hommes sont
plus proches de Dieu, et bons naturellement. Ou mieux, du moins.
À ces paroles la femme de Martin hocha docilement la tête, alors que
tout le monde se mettait à pousser les hauts cris. Ces hurlements de protes-
tation me firent du bien, mais je fus assez bête pour y mettre un terme, car
j’étais préoccupée par Martin ; je freinai le mouvement parce qu’il était si
gentil, même s’il faisait fausse route.
C’était stupide. N’importe qui suivant les lois de l’univers n’avait pas
besoin de mon aide. Et il les suivait pour de bon, d’après lui. S’efforçant de
rester ferme tout en gardant l’esprit ouvert, il expliqua qu’il ne touchait pas
une goutte d’alcool, que les liqueurs de toutes sortes engourdissaient les
sens et ruinaient les vibrations spirituelles. « Il m’est arrivé de temps en
temps dans ma jeunesse de prendre un verre de bière » dit-il avec malice,
et je lui envoyai un sourire quasiment bienveillant – cet honnête homme bu-
vant à la santé du Seigneur.
Je dégustais mon vin en fumant ma cigarette, et l’écoutais parler des
démons de la chair. Ainsi soit-il. Mais tout de même… ce pauvre corps, ce
splendide mécanisme divin, se faire traiter d’impur par ceux qui mettent
tant l’accent sur la bonté de Dieu. Si le corps est à ce point impur, pour
quelle raison leur Dieu nous en a-t-il donné un ? Pourquoi tant de systèmes
de pensée essayent-ils de rendre l’homme honteux de son image ? Je laissai
Martin un moment rayonner de sa glorieuse rectitude en expliquant ses
théories – il devait avoir le même temps de parole que les autres.
Les réactions des étudiants étaient divisées. Sue et moi étions le plus sur
la réserve. Mais l’espoir était bien là, la magie, les questions. Dans son
monde, les tasses tourbillonnaient dans l’obscurité, les saints et les pro-
phètes disparus visitaient gentiment et sans discrimination des foules de fi-
dèles dans les salons obscurs d’innombrables médiums. Est-ce que ça ne se-
rait pas formidable ? Vraiment ?…
« L’intellect n’a rien à craindre de la vérité, dis-je. Si une tasse se met-
tait à traverser la pièce à l’instant, toutes lumières allumées, je serais la
première à l’accepter. Jamais je ne renierais mon expérience. Mais si les lu-
mières étaient éteintes, je serais la première à les allumer. Et si une tasse
traversait véritablement la pièce, lancée par quelqu’un ou quelque chose,
elle continuerait sur sa lancée. Ce n’est pas la lumière qui l’arrêterait. »
Martin ferma à demi les yeux et pinça les lèvres. « Et maintenant écou-
tez ça, dit-il. Une fois, pendant une séance, j’ai entendu une voix qui par-
lait en direct de nulle part. C’était une voix forte et rauque, qui était celle
d’un esprit appelé Charles. Charles annonça qu’il allait passer par le plan-
cher, et que sa voix allait nous le prouver. Et la voix, qui avait commencé au
plafond, a descendu, de plus en plus. Et après elle venait de sous le plan-
cher. Alors, qu’est-ce que vous dites de ça ? » Sa question éclatait d’un
triomphe perfide. Il avait enfin réussi à m’avoir.
« Les lumières étaient-elles allumées ? demandai-je doucement.

25
- Bien sûr que non. Elles auraient détruit les vibrations », répondit-il.
Pour lui j’étais bornée, plus sceptique qu’aucun médium n’avait le droit de
l’être. Pour moi il était, au mieux, crédule.
« Je ne nie pas que de telles choses soient possibles », dis-je.
Je ne le nie effectivement pas. Mais quand elles me sont rapportées par
des gens dont je suspecte déjà fortement le bon sens, je les prends avec des
pincettes.
Mais je ne le dis pas. Je préférai l’interroger sur son activité de théra-
peute.
« Je ne guéris pas, dit-il. Je ne peux pas. Personne ne peut faire quoi
que ce soit par soi-même. C’est le Saint-Esprit qui guérit en passant par
moi. Je ne suis qu’un canal.
- Je pense que ce n’est qu’une question de vocabulaire, fis-je avec
quelque espoir. Mais étant donné que nous avons été créés par Dieu, nous
devons bien être capables de faire quelque chose. Il faut que nous soyons
sacrés, grands, importants, en nous-mêmes.
- Nous le sommes, dit-il. Mais cela ne change rien. Nous ne pouvons rien
faire par nous-mêmes. Seul le Saint-Esprit guérit.
- Et nous sommes une partie du Saint-Esprit », dis-je.
Mais il se contentait de me fixer d’un air buté, certain que j’essayais de
le piéger. Je regardai la pendule : c’était l’heure de la pause. Je l’annonçai,
et Martin vint vers moi.
« J’espère que vous me pardonnerez de partir maintenant, dit-il. Je vois
bien que je bloque le groupe. Je sais ce que c’est que de faire travailler un
groupe quand il y a quelqu’un qui… n’y correspond pas. »
Immédiatement je me fis l’impression d’avoir été froide et peu aimable.
Martin était venu de l’Ohio pour participer à cet atelier. « Bien sûr que vous
ne bloquez pas le groupe, dis-je. Ils vous aiment bien ». Et c’était vrai, en
l’occurrence. Et moi aussi, à un certain niveau. J’essayai de dissimuler mon
impatience et mon irritation. Après tout, pensai-je, je devrais être assez
grande pour essayer de comprendre…
Martin sourit (avec peut-être une certaine complaisance ?) et retourna
s’asseoir. Je regrettai immédiatement de ne pas l’avoir laissé partir. Je
n’avais pas été sincère. Sa sincérité et la mienne auraient pu clarifier l’at-
mosphère, mais j’avais eu trop peur de le vexer. Et au moment où Martin
s’asseyait, Seth arriva. Il s’adressa d’abord à Martin. En tant que Seth, je
m’inclinai avec un large sourire.
« Je ne voudrais pas que notre ami ici présent ait l’impression de ne pas
être dans le ton. » Avec un signe de tête à Martin, il continua : « Il y a dans
votre vie un incident qui concerne les perceptions intérieures. Ce n’était pas
un événement ordinaire, d’après vos critères. Une autre personne était con-
nectée à cette histoire qui savait, par télépathie, ce qui se passait, qui a
contribué à faire arriver les événements et vous en a fait part. »
Puis, au groupe :

26
En fait Martin est une bonne personne, comme Ruburt4 l’a déjà dit, et en fait,
je l’aime bien. Il est possible qu’il n’aime pas les habitudes de Ruburt, mais Ruburt
n’aime pas les siennes non plus. C’est leur affaire. La pensée de Martin est défor-
mée, tout comme la vôtre. Il a une autre façon que vous d’envisager la vitalité,
mais il l’utilise très bien.
Ouvrez les portes de l’énergie. Ne les fermez pas. Toutes les mythologies
s’évanouiront. La mythologie d’une personne est comme ses vêtements. C’est son
affaire personnelle. Sous les vêtements est la personne et sa réalité.
Seth développa brièvement ces idées, puis je sortis de la transe. Les par-
ticipants souriaient. Martin visiblement se sentait justifié.
Super, pensai-je, et je demandai ce que j’avais dit en tant que Seth.
Avant que qui que ce soit ait pu répondre, Martin sourit et prit la parole
dans un étrange mélange de timidité et de suffisance : « Seth m’a dit
quelque chose que personne ici ne savait. Il a mentionné au début un inci-
dent de ma vie impliquant les perceptions intérieures. Je crois que je sais ce
qu’il voulait dire. »
Martin fit une pause, s’humecta les lèvres, et balaya le groupe d’un re-
gard volontairement intense. « Dans un cercle, la semaine dernière, j’ai dit
que j’allais venir ici ce soir et j’ai demandé si Seth ne pourrait pas me dire
quelque chose à l’avance, depuis le monde des esprits. Il a parlé par le mé-
dium, à peu près de la façon dont il vient de le faire. » Nouvelle pause,
cette fois plus respectueuse. « Personne ici ne savait ce que m’a dit Seth. Je
n’en ai même pas parlé à ma femme. Je suis donc satisfait », dit-il, avec de
nouveau ce sourire suffisant, retenant son triomphe.
J’en eu le souffle coupé, et je suppose que mon indignation a frôlé le
comique – mon Seth s’ébattant au milieu d’un de ces groupes de zombies ?
Invraisemblable. Qui plus est je ne crois pas, comme je l’ai déjà dit, que
Seth existe de cette façon. Ce soir-là, Martin représentait tous ces concepts
sur les esprits-guides que je trouve si dérangeants. Je sentais autour de lui
comme un nœud invisible de superstitions religieuses. Je demandai à un
membre du groupe de relire les premières phrases de Seth. Elles étaient plu-
tôt vagues, à mon avis.
Mais pour Martin Crocker, elles représentaient sa preuve pour la soirée,
lui confirmant la nature autonome de Seth… la révélation d’un secret que
personne d’autre ne connaissait. Seth avait parlé par deux médiums sépa-
rés, prouvant manifestement l’objectivité de son existence. Je me dis qu’il
était à peu près inutile d’essayer de démêler l’écheveau des malentendus.
Donc pour le moment je me contentai de dire à Martin que je doutais fort
que Seth ait participé à cette autre réunion. Martin se contenta de sourire
devant cette preuve supplémentaire que la médium elle-même ne compre-
nait rien à cette histoire.
J’avais déjà eu ce genre de mésaventure auparavant, quand des gens
s’accrochent à la « preuve » la plus ténue pour appuyer ceci ou cela, puis

4
Ruburt est le nom que Seth me donne.

27
font joyeusement la tournée des médiums et des esprits, en faisant feu de
tout bois. Je ne joue pas à ce jeu-là. L’existence de Seth est une réalité
psychologique flagrante. Cette réalité devrait nous amener à nous interroger
sur la nature de la conscience humaine telle que nous la connaissons, et à
chercher à en savoir plus sur nos capacités. Penser que la réalité de Seth
puisse être à la merci de ce genre de « preuves » qu’appréciait Martin me
remplissait d’une profonde tristesse. Et pourtant j’avais encore un pied dans
le territoire de Martin, puisque je continuais d’essayer de forcer Seth à en-
trer dans les limites étroites d’un monde de « vrai ou faux ».
Mais à ce moment-là je ne le réalisais pas. J’aurais dû, parce que Seth
est revenu et a fait faire cette fois aux étudiants un exercice consistant à
focaliser sa conscience sur des réalités alternatives.
Seth affirme non seulement qu’il existe des mondes alternatifs, mais
également que sous certaines conditions nous pouvons percevoir nos « moi
alternatifs ». Comme Seth lui-même, ce sont des idées qu’il est difficile de
classer dans une catégorie bien définie. Il est en tout cas certain qu’elles ne
correspondent pas au système de pensée chrétien conventionnel. Quelles
suggestions pourrait faire par exemple un théologien pour sauver une âme
alternative ? Et beaucoup de physiciens quantiques acceptant les probabili-
tés refusent d’emblée l’existence de l’âme, déjà.
Y compris les instructions, l’exercice de Seth a duré vingt minutes. De
nouveau il a demandé aux étudiants d’utiliser l’image d’une pyramide :
Concentrez-vous sur la base de votre crâne. C’est la sensation qui est impor-
tante, car c’est de là que va sortir la forme de la pyramide. Cette pyramide peut être
différente pour chacun, car elle est votre propre chemin personnel vers les réalités
alternatives. Elle peut prendre la forme d’un sentier, ou d’un rayon de lumière, ou
n’importe quelle autre forme, suivez-la en toute liberté et confiance. Servez-vous
de ma voix comme d’une simple ligne directrice, mais concentrez-vous sur vos
ressentis et vos sensations.
Seth continua d’expliquer les différentes manières dont la pyramide pou-
vait s’ouvrir – vers des chemins, des pièces, ou des portes.
Apprenez à utiliser joyeusement la mobilité de votre conscience, poursuivit-il,
et pénétrez encore plus avant dans la pyramide, qui est un canal entre votre monde
et d’autres mondes, qui existent également. Laissez-la devenir ce que vous avez
besoin qu’elle devienne dans ce système particulier de probabilités qui est le vôtre.
Si vous rencontrez des mondes que vous ne comprenez pas, laissez aller votre
étonnement, mais envoyez votre conscience le plus loin possible, vigoureusement,
dans la joie et la liberté…
Je n’ai cité que quelques passages juste pour donner une idée de la fa-
çon dont il a conduit l’exercice. Comme toujours il a consacré un certain
temps à faire revenir les participants à leur point de départ.

28
Quand je sortis de la transe, les étudiants racontèrent leurs expériences.
Cette fois encore plusieurs étaient particulièrement intéressantes. Sue Wat-
kins dit : « J’ai eu l’impression d’être dans un système alternatif, pas
comme le nôtre mais suffisamment pour que je puisse faire des liens. J’ai
rencontré un humanoïde dans une forêt où les arbres étaient bizarrement
rabougris. Il m’a parlé, mais là je ne me souviens plus de ce qu’il m’a dit. »
John, un autre participant, avait vu des êtres miniatures qui symboli-
saient l’énergie. Ils avaient fait une ronde autour de lui. À un moment où
Seth haussait la voix, ils l’ont conduit à une pyramide. Un homme était à
l’intérieur, et John l’a salué comme un ami qu’il n’aurait plus vu depuis
longtemps ; mais au moment où il racontait cette expérience, il avait oublié
qui était cet homme.
Un autre participant raconta : « Ça n’a probablement aucun sens, mais
j’ai vu un homme. Il est entré dans Rien… il a plié un coin de Rien… et il a
vu l’univers physique. »
Quand je demandai à Martin Crocker comment s’était passé l’exercice
pour lui, il a secoué fortement la tête en disant : « Il n’y a rien eu du tout.
Absolument rien. Je n’ai strictement rien vu, rien ressenti. Rien. » Je ris in-
térieurement, car visiblement pour Martin nos idées de moi et de réalités al-
ternatifs étaient aussi improbables que pour nous son monde de bons et de
mauvais esprits, d’un Dieu juste qui jetait les gens en enfer et de tasses qui
volaient dans la nuit.
Mais il y avait une grande différence, et une différence importante, pour
moi, entre les deux approches. Tous mes étudiants acceptent ces exercices
comme étant des aventures dans la conscience. Ils adorent diriger la con-
centration de leur conscience dans différentes directions, et explorer la na-
ture de la réalité à partir de points de vue subjectifs variés. Mais ces événe-
ments dans le mental ne reçoivent aucune étiquette. Nous avons l’impres-
sion de prendre mentalement des clichés d’un paysage intérieur, tout en ré-
alisant que nous ne pouvons probablement pas éviter de le déformer à un
degré ou à un autre par nos propres idées préconçues.
Martin Crocker, et tous les Martin Crocker, partent du principe que le
monde et n’importe quelle espèce d’après-vie existent d’une façon définie
et connue. Ils se programment eux-mêmes pour interpréter leur expérience
selon leurs attentes rigides, en ignorant tout ce qui n’y correspond pas. Les
Martin Crocker sont partout et derrière toutes les entreprises humaines.
Seulement d’ordinaire, ceux qui sont convaincus de posséder la vérité,
« toute la vérité », sont ceux qui la possèdent le moins.
Mais les gens sont ce qu’ils sont, et Martin, ce petit coq unique en son
genre, ne pouvait être rangé dans aucun tiroir, comme nous tous. Il est ar-
rivé au groupe avec sa certitude qu’il existait des « esprits maîtres », et il a
vu sa croyance renforcée. Il est arrivé à interpréter tout ce qui lui arrivait
de façon à le faire entrer dans ses théories préformatées. Peut-être faisons-
nous tous la même chose avec les événements de notre vie ? Martin Crocker
m’est souvent revenu à l’esprit, avec un certain malaise. Il déformait son

29
expérience pour qu’elle corresponde à ses idées ; d’accord. Mais dans quelle
mesure ne faisais-je pas la même chose ?

30
4 – Moi alternatifs, et autres sujets
Tandis que j’en étais encore à essayer de déterminer la position de Seth
dans notre monde, il nous conduisait plus avant dans les dimensions de
notre conscience, tout en élargissant nos concepts sur ce que nous sommes.
Et pourtant les résultats de la classe suivante m’ont encore prise par sur-
prise. C’était celle qui suivait la visite de Martin Crocker. Avant même que
Seth commence à parler, j’ai senti quelque chose d’étrange à la base de
mon crâne, comme si à partir de là une haute pyramide s’étendait vers un
point incommensurablement lointain. (Ce n’était pas au-dessus de ma tête,
comme lors des interventions de Seth 2, mais à côté d’elle.)
En même temps je « savais » que l’autre côté la pyramide s’ouvrait et se
trouvait, d’une façon ou d’une autre, reliée à un moi alternatif. Je sentais
aussi la même extension psychique derrière chaque personne dans la pièce.
Lorsque cela se produit je ne sais jamais ce que je vais dire. Comme tou-
jours, je parlai spontanément en décrivant simplement ce qui se passait.
Puis je suggérai que chaque étudiant essaye de ressentir sa propre structure
pyramidale. Et là Seth se mit à parler, si doucement qu’il n’y eut presque
aucune transition entre mes derniers mots et les siens. Il commença par
donner les instructions, à peu près comme celles qu’il avait données lors de
la classe précédente. Pendant quelques secondes je ressentis un choc : le
portrait que Rob avait fait de Seth était accroché derrière ma chaise, mais
soudain je me sentis à l’intérieur, regardant la pièce par les yeux du por-
trait. Ma poitrine et mes bras étaient plus solides, plus grands et compacts
qu’à la normale.
Comme Seth continuait de parler, la sensation derrière ma tête devenait
plus précise. Il y avait comme un battement et un sentiment d’expansion. À
un certain moment (comme je l’ai appris par la suite) Seth annonça qu’une
autre classe, un groupe alternatif, était aussi en train de travailler, et que
nous allions peut-être pouvoir apercevoir nos moi alternatifs. Quelques mi-
nutes plus tard, il suggéra que chacun ouvre les yeux, regarde la pièce, et
les referme immédiatement.
Je sortis de la transe plus désorientée que d’habitude. De plus les étu-
diants semblaient étrangement différents, comme s’ils ne se ressemblaient
plus. Alors que je regardais autour de moi, en pleine confusion, je fus saluée
par une bonne dizaine de personnes qui essayaient de me parler toutes en
même temps. Une étudiante, Brenda, dit avoir l’impression que ses traits se
modifiaient, juste au moment où je lui trouvais un air franchement étrange.
Elle avait le visage bouffi, presque flou, comme si les muscles n’étaient pas
sûrs de la forme qu’ils devaient prendre. Au même instant Sue, Bette et une

31
jeune collégienne, Anna, pointèrent ensemble du doigt vers elle. Sue
s’écria : « Oh, ce n’est pas Brenda ! » Assise, immobile, Brenda avait du mal
à respirer. Ses yeux étaient humides, et ses traits n’arrêtaient pas de… glis-
ser d’un côté et de l’autre, comme du caoutchouc.
La discussion était générale ; chacun avait quelque chose à dire. Lora,
une jeune femme mariée, dit que Margie, une femme d’un certain âge, était
devenue une Égyptienne ; quand Lora avait regardé la pièce, comme Seth
l’avait suggéré, l’Égyptienne était assise à la place de Margie. Bill, un
homme d’affaires d’une quarantaine d’années, avait l’air perdu. Il s’était
retrouvé en train de marcher le long d’un couloir obscur à l’intérieur d’une
pyramide. Quelqu’un criait : « Ne le laissez pas entrer, il est au courant ! »
et une porte, devant lui, rapetissa soudain et disparut.
Helen, une femme ordinairement très sérieuse, n’arrêtait pas de rire, et
son visage rayonnait de vitalité. « Mince, je n’ai jamais eu autant envie de
danser. J’ai tellement d’énergie que je pourrais danser toute la nuit. » Et je
pensai : « Je jurerais que ce n’est pas Helen. » Avant que j’aie pu dire quoi
que ce soit, une autre jeune femme, d’habitude plutôt silencieuse, se mit
tout d’un coup à déverser un vrai flot de paroles. Elles semblaient sortir
sans effort de sa bouche. « C’est tellement facile de s’exprimer, dit-elle en
souriant, ça fait tellement plaisir, comment ai-je pu penser que c’était diffi-
cile ? »
Comme elle était assise là, on lui aurait sincèrement donné douze ans,
alors qu’elle avait une vingtaine d’années. À ce moment-là, son visage était
aussi lisse que celui d’une enfant.
Pendant ce temps, Helen balançait ses jambes en remuant les pieds, de-
mandant à la ronde qui avait envie de danser.
Roger, un comptable, n’était toujours pas sorti de sa sidération en nous
racontant ce qui lui était arrivé. D’abord il avait vu cinq versions de lui-
même. Puis, dans une pyramide, il se retrouva contemplant un très luxueux
appartement avec une moquette vert foncé, et des tableaux dans des cadres
dorés accrochés au-dessus d’un canapé. C’est à ce moment-là que Seth de-
manda aux étudiants d’ouvrir brièvement les yeux. Et là Robert bondit
presque sur place, car il voyait toujours la même pièce !
Ce ne sont là qu’une partie des expériences qui furent racontées ; les
autres étaient tout aussi étonnantes. Je continuai à interroger les étudiants
un par un sur ce qu’ils avaient vécu, mais j’avais toujours du mal à garder
mon orientation sur ce qui se passait. Chaque fois que j’interrogeais
quelqu’un, ma voix devenait plus faible. Inquiète, je découvris que je ne me
concentrais pas comme j’aurais dû sur ce qu’on me disait. Au lieu de cela,
j’étais centrée sur une étrange sensation dans ma main et mon bras droit.
J’étais assise dans le fauteuil à bascule, mes bras reposant sur les accou-
doirs. Mais je sentais ma main droite très osseuse, les doigts presque comme
des griffes. À mon grand effarement, la sensation s’étendit et gagna tout
mon corps, qui me sembla avoir perdu toute chair. Je savais que si je bais-
sais les yeux je retrouverais mon corps normal dans un chemisier et une jupe,
mais qu’importait. Mentalement, je regardais par les yeux d’un squelette.

32
Un détachement et une calme compréhension firent rapidement dispa-
raître un bref instant de nostalgie : j’avais quitté cette pièce et cette réa-
lité physique depuis longtemps, de même que mes étudiants. J’étais instal-
lée dans un squelette, sur un fauteuil à bascule, parlant à d’autres sque-
lettes assis sur des chaises et des divans, dans une pièce qui elle-même
avait depuis longtemps disparu. De même que, je le savais, la ville et la civi-
lisation où tout ceci avait eu lieu. Tout, le groupe, les étudiants, tout s’était
passé il y avait des millions d’années. Même les apparences de squelettes,
qui à ce moment-là semblaient les seules valables, n’étaient que des mi-
rages. Et pourtant je n’étais pas triste, même pas curieuse. Seul un senti-
ment de vastes distances attira brièvement mon attention. Et avec une
étrange nouvelle… politesse, je continuai à interroger les participants.
Peu à peu, ces impressions commencèrent à disparaître. Et alors Seth
parla :
Examinez vos sensations en ce moment. Si vous avez jamais appris à étudier la
nature de votre conscience, faites-le maintenant avec vos moi alternatifs. Certains
d’entre vous ne sont pas dans la bonne pièce.
Je vous demande de remonter ce canal et de faire le voyage à l’envers. Mainte-
nant les moi que vous avez rencontrés retournent à leur place correcte. Donc ras-
semblez-vous, et revenez à ce temps et à ce lieu.
Je sortis de transe et parcourus la pièce des yeux. Nous étions de nou-
veau nous-mêmes. Nous-mêmes ? Ou étions-nous les moi dont on nous avait
dit qu’ils étaient les nôtres ?
Ce que j’avais vécu avec les squelettes me revint à l’esprit. Que signi-
fient nos expériences ? Comment interpréter les résultats de nos altérations
de conscience ?
Depuis le début j’avais su que le phénomène Seth m’offrait une occasion
unique d’étudier la nature de la conscience. Ces groupes mettaient au grand
jour la problématique entière de la perception. Vrai ou faux, encore une
fois : quelle validité avaient nos expériences, et selon quels critères ? Y
avait-il eu réellement des visages au plafond lors d’une des dernières réu-
nions ? Avions-nous littéralement permuté avec nos moi alternatifs ? Par mo-
ments je me demandais : cela était-il vraiment important ? Ces expériences
enrichissaient nos vies. Suite à des mises en scène de vies antérieures par
exemple, les relations des étudiants avec leurs familles et leurs amis étaient
beaucoup plus souples et bienveillantes. Était-il important que ces vies an-
térieures aient vraiment eu lieu ?
Je sais que beaucoup s’exercent dans des groupes, en contrôlant leur
mental, à faire varier le point focal de leur conscience. Mais peu semblent
poussés par le besoin d’intégrer leurs perceptions modifiées dans leur quoti-
dien, ni ne se posent de questions sur ce que ces modifications impliquent
sur la nature de l’être. Avec la poursuite de nos groupes, je commençais à
me rendre compte que notre monde de faits est extrêmement limité. Il était
indubitable qu’un cadre de « faits » est totalement incapable d’expliquer
nos expériences.

33
Ceci est devenu tout à fait évident à la parution de The Seth Material, 5
en 1970, quand j’ai rendu publique mon expérience personnelle, lui confé-
rant ainsi une réalité dans le monde normal, là où les gens peuvent se de-
mander : « Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est vraiment arrivé ? » Sou-
vent, ceux qui acceptaient Seth et mon expérience le faisaient dans un
cadre de référence qui me faisait littéralement grimper au mur. Seth était
pour eux parfaitement compréhensible à l’intérieur d’une structure telle
que celle de Martin Crocker – incluant les bons et les mauvais esprits, les
dogmes religieux, le châtiment et la possession. Seth y recevait instantané-
ment son statut. J’avais un bon esprit qui me protégeait des mauvais.
Comme certaines de ces personnes m’écrivaient, ou venaient assister au
groupe, je découvris bientôt que mes idées ne correspondaient pas plus à ce
cadre conceptuel qu’aux dogmes de la psychologie ou de la science conven-
tionnelles. Même avec de sérieuses réserves, c’est malgré tout aux physi-
ciens que je fais le plus confiance. Plusieurs d’entre eux ont obtenu de Seth
des données excellentes, qui leur ont permis d’élargir le spectre de leurs in-
vestigations. Mais le temps passant, je réalisai que je n’arriverais jamais à
une quelconque respectabilité à leurs yeux non plus. Ils pouvaient discuter
entre eux au sujet de Seth, et utiliser ses idées, il était clair qu’ils étaient
très loin de citer son nom ou le mien dans un papier scientifique.
Je ne réalisais même pas mon envie d’être « respectable », mais il
m’était malgré tout difficile d’admettre que je ne rentrais dans aucun
champ particulier, parce que je plaçais Seth et mes expériences dans un
contexte où de telles réalités n’avaient jamais été placées – du moins à ma
connaissance.
Depuis que j’avais quitté l’Église catholique, plusieurs années aupara-
vant, j’entretenais une profonde méfiance envers toute religion institution-
nelle, mais du moins l’Église n’avait-elle à s’occuper que d’un dieu et d’un
diable. Après la parution de l’Enseignement de Seth, les gens ont commencé
à m’envoyer de la littérature occulte, ou « gnostique ». À mon effarement
horrifié, j’y trouvai des dogmes encore plus rigides. Il y avait un nombre dé-
fini de niveaux d’existence. Ce nombre variait selon les écoles de pensée,
mais chaque niveau avait son propre maître, ou gardien, pour décourager le
voyageur mental imprudent.
Quelques jours après la visite de Martin, par exemple, je reçus l’appel
de l’organisateur d’un de ces groupes. Il me raconta s’être retrouvé lui-
même, lors d’un voyage astral, dans un de ces royaumes particuliers. Le sei-
gneur de ce niveau lui avait commandé certains rituels incluant agenouille-
ments et prosternations. Autrement il aurait été annihilé. Il s’agenouilla et
se prosterna donc, selon les instructions.
Pour moi il avait fait preuve de bon sens, étant donné ses croyances et
les circonstances. Mais cet homme n’avait jamais remis son expérience en
question. Je savais pertinemment que les sorties hors du corps étaient pos-
sibles, et j’en faisais moi-même souvent. Mais je savais aussi que hors du

5
[En fr. : L’enseignement de Seth.]

34
corps ne veut pas dire hors du mental, et que, dans le corps ou en dehors,
nous rencontrons ce que nous nous attendons à rencontrer.
Mais ce « maître spirituel » m’appelait, moi, une déesse blanche, insis-
tant sur le fait que Seth et moi disions la même chose que lui, simplement
en des termes différents. Il interdirait à ses étudiants de lire mes livres tant
qu’ils n’auraient pas atteint un certain niveau. Comment avais-je pu le
moins du monde me retrouver en connexion avec un tel système de pensée ?
D’autres « maîtres » en parapsychologie étaient d’avis qu’il était dange-
reux de ma part d’induire le public à utiliser le Oui-ja – quand tout bon mé-
dium responsable savait que les mauvais esprits n’attendaient que le mo-
ment de fondre sur ces naïfs bricoleurs. Les morts n’avaient apparemment
pas plus de sens commun que les vivants, mais un sens de l’humour encore
plus consternant.
Mon Dieu !
Pendant que continuaient ces groupes d’été, le courrier commença à ar-
river. Je commençai à avoir des nouvelles de mes lecteurs – de gens, des
gens dans toutes sortes de problèmes, des gens qu’on avait élevés dans la
croyance qu’ils étaient incapables de résoudre leurs problèmes, mais que
n’importe qui d’autre pouvait le faire à leur place. Des gens admirables,
énergiques, qu’on avait coupés de leurs racines par toutes sortes de dogmes
psychologiques et religieux qui disaient tous la même chose : vous ne pouvez
pas vous faire confiance, ni à vos capacités, ni à votre savoir ; des théories
qui ne faisaient que rabaisser l’individu.
Leur réalité devint une partie de la mienne. Par exemple je prépare le
dîner, la table est mise, la viande rissole dans la rôtissoire, et le téléphone
sonne. Tout d’un coup je me retrouve à parler avec un inconnu en panique
qui va se suicider si Seth n’intervient pas immédiatement.
Le genre de choses qui me mettait K.O. pour un round. Où étaient les li-
mites de ma responsabilité ? Il fallait que Seth soit un thérapeute, un con-
seiller conjugal, un mentor, et moi j’étais sa secrétaire – la Jane d’un Tar-
zan métaphysique. Je découvris que de nombreux médiums se spécialisaient
dans ce genre d’activités. Si vous pouvez aider les gens de cette manière,
pourquoi ne pas le faire ? N’est-ce pas de votre responsabilité ?
Mais je découvris aussi que de nombreux sensitifs encouragent les gens à
se servir d’eux comme de béquilles ; que certaines personnes que j’essayais
d’aider ne cessaient de revenir chercher encore plus d’aide – et dans des do-
maines où ils étaient parfaitement capables de s’en sortir tout seuls. Et je
savais que j’avais mieux à offrir que cela. Depuis le début déjà, je sentais
que mon expérience pouvait mener à la découverte d’un concept de l’être
pouvant dégager l’expérience religieuse et psychique de la superstition, et
littéralement libérer notre conscience, à un certain degré du moins, de ses
limitations concrètes actuelles.
Ce concept serait-il juste ou faux ? Si j’arrivais un jour à sortir du cadre,
cette question ne se poserait plus puisque, déjà en 1971, je sentais comme
ce concept encore immature travaillait pour moi et mes étudiants. Nos idées

35
sur la conscience modifiaient vraiment notre expérience personnelle de la
nature de la conscience.
Mais on nous enseigne à ne pas nous faire confiance. Même durant ces
classes de 1971, par exemple, plus j’avais de doutes, plus je me sentais in-
telligente, lucide et équilibrée. Les gens à l’esprit scientifique me félici-
taient de mon objectivité. Ceux qui étaient plus orientés vers la spiritualité
me mettaient en garde contre le fait que mon intellect dominait mes expé-
riences psychiques, voulant en fait dire par là qu’il m’empêchait de voir la
réalité des bons et mauvais esprits, et de tout le fatras que l’on considère
habituellement faire partie de l’expérience psychique.
J’étais donc dans un vrai dilemme. Ce n’était pas la validité du monde
spirituel qui me rendait sceptique, mais l’absurdité superstitieuse avec la-
quelle on interprète cette réalité. Les concepts de Seth et les miens m’ont
fait dépasser de loin ces limitations. Seulement je suis d’une certaine façon
désavantagée, car les théories de Seth et les miennes sont encore ouvertes.
Seth continue à tenir des séances, et ce n’est que récemment qu’il a com-
mencé à transmettre certaines données élargissant considérablement le
spectre de ses idées sur la nature de l’être. Cet ouvrage lui-même ne pourra
présenter qu’une introduction à la théorie des Aspects ; lui aussi en est à un
stade de non achèvement.
Je ne nie pas non plus, et c’est important, la réalité de la vie après la
mort, ni l’existence de personnalités si immenses et si complexes qu’elles
semblent faire de nous des nains. C’est justement parce que je ressens leur
plus vaste réalité que je peux avoir au moins un aperçu de ces capacités hu-
maines étendues qui rendent possibles de telles perceptions. Souvent nous
attribuons aux esprits ces facultés qui nous appartiennent de droit, simple-
ment parce qu’on nous a enseigné que nous-mêmes n’avions aucune impor-
tance.
Un de mes étudiants en particulier me répète que je réfléchis trop : si
j’avais l’esprit assez ouvert, je comprendrais que tous les symboles veulent
dire la même chose. J’ai souvent été tentée de lui donner raison. En fait
j’apprécie la beauté et l’utilité des symboles. Le problème est que généra-
lement les gens oublient ce qu’ils signifient, et même le fait qu’un symbole
est là pour représenter autre chose. La vérité peut user les symboles, tout
comme les personnes usent leurs vêtements.
Mais pourquoi tout simplement ne pas appeler Seth un esprit-guide, et
en rester là ? En d’autres termes, pourquoi ne pas accepter les interpréta-
tions que font les autres de mes expériences, au détriment de mes propres
interprétations ? Parce que c’est le meilleur moyen de perdre sa vision per-
sonnelle. Qui a encore besoin d'un bavardage conventionnel de la part d'es-
prits, vivants ou morts, distribuant tous les mêmes dogmes sous des déguise-
ments différents, minutieusement adaptés pour s'adapter aux circonstances ?
C'est pourtant ce qu’offrent la plupart des communications spirites. Les gens
ont appris à structurer leurs expériences uniques et illuminantes sous la
forme d’idées limitées et préformatées. Ils se font ainsi joliment voler leur
vision personnelle, et le monde s’en retrouve appauvri.

36
Quand je parle de « vision originelle » je fais référence à celle qui est
vécue par quelqu’un selon son propre mode individuel ; elle ne peut appar-
tenir à personne d’autre, car personne d’autre ne peut la vivre de la même
façon. On peut l’enregistrer et la traduire, mais ce n’est qu’en restant fi-
dèles à notre vision personnelle que nous pouvons véritablement apprendre,
sans même parler d’enseigner.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas important de guérir ou d’aider les
autres. Dieu sait que cela ne veut pas dire que je ne ressente pas leurs be-
soins. Mais cela signifie que je sais que les anciens cadres thérapeutiques
sont largement dépassés. Je sais que nous créons notre propre réalité, indi-
viduellement et collectivement, et c’est cette réalité plus vaste qui doit de-
venir mon cadre de référence. Ce n’est qu’en disant aux autres qu’ils cons-
truisent leur propre expérience que je peux les aider d’une façon qui me
soit tout à fait personnelle.
Et pour ce faire, je dois laisser Seth écrire ses livres. Je dois être suffi-
samment sereine et énergique pour suivre ma nature mystique, tout en es-
sayant de montrer aux autres comment reconnaître leurs propres capacités.
Cela signifie que je ne peux pas consacrer trop de temps à répondre au
courrier ou à organiser des séances individuelles. Beaucoup d’autres mé-
diums, ainsi que des médecins, des psychologues, des religieux, aident de
cette façon, et tous à l’intérieur du même cadre de référence.
Je savais que je devais demeurer loin de nombreuses idées et pratiques
reconnues concernant le travail psychique, mais je m’y retrouvais constam-
ment confrontée. Même avec l’aide de Rob, ce fut un chemin solitaire. Com-
bien il aurait été facile, pourtant, de suivre le mouvement ; de prétendre
dire la même chose que les spiritualistes, les gnostiques, ou les religions
orientales. Il y a des points de contact, mais l’importance de mon travail se
trouve précisément dans les différences. Ce sont ces différences qui seront
révélées dans cet ouvrage.
En ce qui concerne la théorie des Aspects, j’en suis encore à tâtonner
dans le noir. Je viens à peine de faire mes premiers pas, mais au moins je
sens que je vais enfin dans la bonne direction, et que j’ai évité de nombreux
pièges qui auraient pu m’immobiliser.
Pour le dire encore une fois, on nous enseigne avant tout à douter de
nous-même, et le doute devient la mesure de notre stabilité. Nous avons ap-
pris à forcer notre expérience et notre vision vitales et individuelles dans de
vieux concepts, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus les reconnaître comme les
nôtres. Trop de gens ont peur de ne pas être en accord avec les idées du
collectif ; ils ont peur que leur vision personnelle les fasse paraître fragiles,
étranges, ou même malhonnêtes aux yeux des autres.
Bien sûr que des milliers de cultes se dressent en face du collectif bien
organisé ; mais là aussi les gens suivent souvent aveuglément des dogmes
qui ne diffèrent des dogmes officiels que par leur côté exotique ou haut en
couleurs. Seth dit simplement : Vous créez votre propre réalité. Il n’incite
pas les gens à le suivre lui, mais à se suivre soi-même. Il souhaite leur insuf-
fler la foi en leur propre existence et signification.

37
5 – La réincarnation frappe un peu trop près.
Nebene et Shirin
L’été de 1971 avançait vite. Les lundis et mercredis soir, après le dîner,
je faisais la vaisselle, sortais pour une courte promenade, puis aux environs
de neuf heures, je faisais une séance avec Seth. Il finissait son premier
livre : Seth parle, l’éternelle validité de l’âme. Il donnait dans les derniers
chapitres certaines données sur les temps bibliques. Aucun de nous deux
n’en savait beaucoup au sujet de la Bible, et Rob a donc passé beaucoup de
temps à étudier des livres de référence, de façon à ce que ses commentaires
de l’ouvrage soient corrects.
Il fut surpris de découvrir que les autorités en la matière étaient d’avis
très différents sur les dates d’événements importants. J’ai quant à moi été
surprise de constater que cette étude le rendait de plus en plus irascible. Au
début je n’y ai pas attaché une grande importance : il voulait tout simple-
ment que ses notes soient exactes. Mais petit à petit, j’ai pris de plus en
plus conscience de cette irritabilité croissante.
Je l’ai surpris plusieurs fois à grommeler furieusement en cherchant une
donnée ou une autre. On l’aurait dit aux prises avec une rage intense, mais
contenue. Il s’est retrouvé un soir, hargneux, debout devant son bureau où
un livre était ouvert. Dans la lumière de la lampe son visage était livide, dé-
formé par la colère.
« Chéri, tu te donnes tellement de peine, lui dis-je. Faut-il vraiment que
tes notes soient à ce point détaillées ? Ils n’ont probablement tout simple-
ment pas les dates pour de nombreux événements.
- Mais pourquoi ne les ont-ils pas ? demanda-t-il. Puis, sur un ton très
sec : Et toi, tu sais quand est né Jean-Baptiste ?
- Comment le saurais-je ? demandai-je en commençant à rire.
- Mais il faut que quelqu’un le sache ! Ces soi-disant experts n’y connais-
sent rien ! » Il retourna brutalement à ses notes, m’ignorant totalement, et
je retournai à mon travail, plutôt étonnée.
Le soir suivant, l’histoire atteignit son point culminant. Sue Watkins vint
nous voir avec des ouvrages de référence : les Rouleaux de la Mer Morte et
César et le Christ de Will Durant. Sue était venue avec un ami, un jeune
homme que nous avions déjà rencontré à différentes reprises. Je savais que
Rob nous entendait depuis son atelier, et je m’attendais donc à le voir venir
nous rejoindre, surtout que Sue était venue spécialement pour lui apporter
les livres.
Mais Rob a travaillé pendant plus d’une heure sur ses notes avant de ve-
nir au salon. Là, au lieu de saluer Sue et son ami Tim, comme à l’ordinaire,

38
il se jeta sur les livres et commença à les feuilleter avec impatience. Après
avoir lu quelques passages, il annonça avec un air prétentieux : « Voilà, ils
ne savent pas. Ces soi-disant experts n’arrêtent pas de se contredire. » Et il
maintint la pression pendant presque une heure, lisant des extraits et les
commentant de cette manière hautaine. Je ne le quittais pas des yeux :
Rob, lui, tétanisant Sue et Tim sur le canapé, les forçant à écouter des pas-
sages entiers de l’histoire religieuse - j’étais sidérée.
Je n’avais jamais vu Rob se conduire de cette façon. Il est normalement
un hôte très attentionné, mais là, chaque fois qu’un de nous essayait de
changer de conversation, il lui lançait un regard glacé puis continuait sa lec-
ture et ses commentaires. J’échangeai un regard avec Sue : elle fit une gri-
mace et haussa les épaules.
« Chéri, pourquoi ne nous parlerais-tu pas des transcriptions, et tu pour-
rais corriger toutes ces mauvaises données ? » demandai-je en riant, pensant
que ma question amusée le ferait revenir.
Mais il se tourna vers moi en me disant d’un ton très sérieux : « Tu ne
comprends pas ? C’est cette stupidité qui m’énerve. Ce n’est tout de même
pas compliqué de prendre des notes ! »
Sue et moi éclatâmes de rire. J’essayai de faire remarquer à Rob à quel
point son attitude était différente de son comportement habituel, mais il ne
comprit pas. Pire, il avait perdu tout sens de l’humour. Deux fois j’essayai
de dire quelque chose, mais il me rabroua si vertement que je restai interlo-
quée, et humiliée.
Seulement je suis très forte pour décrypter les sentiments de Rob, et là,
lui n’était tout simplement pas en colère contre moi. D’où venait cette co-
lère que je sentais ? Était-ce moi qui étais en colère contre Rob et projetais
sur lui cette colère que je me cachais ? Non, j’en étais certaine. Pourtant
Rob était bien en train de manifester une violente réprobation… une répro-
bation qui me donnait envie de le prendre à l’hameçon. Finalement Sue et
moi recommençâmes à demander à Rob des éclaircissements sur les chro-
niques, en feignant le plus grand sérieux.
Et c’est à cet instant que j’ai soudain « vu » mentalement la silhouette
claire et nette d’un homme de grande taille, dans un vêtement long, qui se
tenait derrière la chaise de Rob. Il portait un chapeau en pointe, et son atti-
tude était fortement hostile. C’était une présence très forte. Sue était as-
sise de l’autre côté de la table basse, face à Rob. Dès que j’aperçus la sil-
houette, j’eus le réflexe de la regarder. Sue se recroquevilla littéralement
sur le canapé, le visage écarlate, les yeux écarquillés. Je n’avais pas dit un
seul mot de ce que je voyais.
Malgré moi je m’écriai : « Sue ! » ; je voulais dire : « ça ne va pas ? »
« Mince, tout d’un coup j’ai vraiment… peur de Rob. Intimidée, plutôt. »
Elle ne le quittait pas des yeux, visiblement étonnée par sa propre réaction.
« Ah oui ? » dit Rob, d’un air si innocent que j’aurais pu jurer qu’il
n’avait aucune idée de ce qui se passait. Mais quand j’ajoutai : « Chéri, je
crois que tu en sais beaucoup plus sur ces événements bibliques que tu ne
penses », il répondit : « Oui, tout à fait » de sa voix normale.

39
Je ne savais pas du tout pourquoi j’avais fait cette remarque ; je conti-
nuais à voir l’homme qui se tenait debout derrière Rob. Je ne voulais pas
parler de ma vision, dans l’espoir que quelqu’un d’autre pourrait l’aperce-
voir sans que j’aie donné d’indice. Je savais que cet homme en vêtement
long était d’une façon ou d’une autre lié à Rob et aux transcriptions.
« Dis-moi ce que tu sais, demandai-je à Rob d’une voix aussi neutre que
possible. Ou alors je vais poser des questions, si tu veux, et tu essaieras d’y
répondre spontanément. » Tout en parlant, j’avais le sentiment que la sil-
houette derrière Rob désirait parler, et je me dis que Rob pourrait facile-
ment exprimer les idées de l’autre personnalité. Puis, soudain, je réalisai
que Rob n’avait pas fait autre chose de toute la soirée.
« D’accord », dit Rob. Sue ne l’avait pas quitté des yeux. Son ami, Tim,
était resté silencieux.
« Que sais-tu des chroniques de cette époque ? demandai-je.
- C’est moi qui les tenais. »
Rob parlait tranquillement, d’une voix égale.
« C’est pour cette raison que tu étais aussi en colère ?
- Oui. J’y étais.
- Tu as connu le Christ, ou Paul ?
- Non, mais j’ai entendu parler d’eux… je tenais les archives.
- Comment t’appelais-tu ?
- Naz… Naz… quelque chose. Je n’arrive pas à avoir le reste. » Sue fixait
Rob avec une expression très intense. Alors je demandai à Rob : « As-tu
quelque chose à dire à la jeune fille sur le canapé ? »
Là encore je ne savais pas pourquoi je posais cette question en particu-
lier, à part le fait que Sue s’impliquait si fortement. Rob regarda Sue droit
dans les yeux, puis dit : « Tu étais un sacré problème. » Il parlait calme-
ment, de sa voix naturelle, mais elle avait quelque chose d’étrange. J’eus à
peine le temps de m’y arrêter quand Rob et Sue se mirent à parler en même
temps, si vite que j’avais du mal à les suivre.
Ils décrivaient tous les deux une même scène, une école à Rome, et
étaient tous les deux d’accord sur tout, depuis les bâtiments jusqu’aux
places attribuées aux étudiants. Sue parlait avec beaucoup plus d’émotion
que Rob, et les deux se coupaient sans arrêt la parole. Rob mentionnait un
détail quelconque, et Sue l’interrompait avec impatience : « Oui, oui, évi-
demment, et tu te rappelles… » et comme ça sans arrêt. D’après leur con-
versation, Rob avait été un professeur, appelé Nebene, dans une école te-
nue par les parents de la Sue de l’époque.
Je fus surprise, pour plusieurs raisons. Jusque-là, l’expérience psychique
de Rob s’était concentrée sur sa peinture et sur différentes sortes de repré-
sentations mentales ou physiques qu’il utilisait comme modèles. En dehors
de cela, et à part quelques expériences hors du corps, il me laissait plus ou
moins gérer le domaine des expérimentations psychiques. Je savais aussi
qu’il était parfaitement au courant de mon ambiguïté concernant la mise en
scène d’épisodes de réincarnation dans la classe.

40
Pendant la conversation entre Sue et Rob, je continuais à percevoir
l’homme qui se tenait derrière Rob. Il finit par diriger son attention vers
moi. Il voulait que je fasse l’intermédiaire en tant que médium, et il n’y
avait désormais plus aucun doute sur son identité : c’était Nebene. Rob con-
tinuait l’expérience, mais il était évident pour moi qu’il faisait attention de
bien contrôler certaines émotions violentes, pour protéger Sue. Cette rete-
nue énervait Nebene. J’avais du mal à suivre la conversation exaltée de Sue
et Rob, pendant qu’en même temps Nebene continuait à me parler mentale-
ment, insistant pour que je révèle sa présence.
J’ai donc interrompu la conversation pour décrire la forme de Nebene.
Puis je me levai et allai m’installer derrière la chaise de Rob, pour marquer
à quel endroit elle se tenait.
Je n’avais pas plus tôt pris position que le Nebene « invisible » me hurla
mentalement : « Dis-lui qu’il lui parle de la tablette d’argile ! Il faut qu’elle
sache ce que ça a signifié. Qu’il lui dise ce que ça a signifié pour l’école ! »
Il était de toute évidence furieux, et prêt à parler par mon intermédiaire.
Mais je bloquai et décidai de transmettre le message. L’attitude de
Nebene n’était pas pour me le rendre sympathique. Il me considérait mani-
festement comme superficielle et indigne de sa considération, et ne com-
prenait pas qu’une telle personne puisse être aussi douée psychiquement. Je
perçus immédiatement la forte discipline qui tenait son caractère, mais il
avait laissé ses tendances perfectionnistes dominer totalement sa créativité.
Je ne l’aimais pas et refusai de parler pour lui, même si cela exigeait un
gros effort de ma part. Ma voix était un murmure comparée à l’intensité de
sa voix mentale quand il criait vers moi, mais je dis à Rob : « Parle-lui de la
fois où elle a cassé la tablette d’argile…
- Oh ! s’écria Sue avant que j’aie terminé ma phrase.
- Tu as cassé la tablette en deux, exprès », dit Rob. Toute chaleur avait
disparu de sa voix.
« Et j’ai couru à la maison. Et toi, tu l’as dit à mon père ! » Sue était au
bord des larmes.
Nebene essaya alors une nouvelle fois de parler à travers moi, et je refu-
sai de nouveau. À cet instant, Sue leva les yeux et retint son souffle ; Rob se
tourna brusquement vers moi. « Le visage de Jane se transforme ! » s’écria
Sue. J’avais une étrange sensation ; je me sentais plus grande, tendue,
presque froide. La sensation la plus forte était que mon visage avait vieilli,
le menton devenait proéminent, les lèvres minces et serrées.
« Chérie, ça va ? » demanda Rob. J’acquiesçai, moitié en colère et moi-
tié amusée, car à cause de cette inquiétude de Rob, Nebene avait soudain
compris que Rob et moi étions mariés. Il recula en maugréant. Un moment
Rob me tint la main, et mon visage se détendit. Mentalement, je fis savoir à
Nebene ce que je pensais de lui. J’étais pourtant frappée par la rapidité de
ses réactions, et par le fait qu’il venait seulement de prendre connaissance
de notre situation. Apparemment du moins, car il semblait sincèrement sur-

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pris de découvrir que Rob était marié. En fait, l’inquiétude que Rob ressen-
tait pour moi retira une bonne partie de l’énergie de Nebene, et finalement
je cessai de sentir sa présence.
Rob, Sue et moi étions fatigués. Nous décidâmes d’écrire chacun nos
notes sur ce qui s’était passé, et d’en rester là. Une fois couchés, alors que
Rob glissait dans le sommeil, il se tourna vers moi et murmura : « Mon père
aussi était dans cette classe, je l’ai vu en petite fille. »
Juste après le petit déjeuner, le lendemain, le téléphone sonna. C’était
Sue. Elle était très excitée, mais je finis par comprendre de quoi il s’agis-
sait. Elle commençait à rédiger ses notes sur l’épisode Nebene quand tout à
coup elle était passée à l’écriture automatique, et s’était mise à écrire pour
la petite fille élève de Nebene. Elle s’appelait Shirin. Les feuilles de papier
se remplirent rapidement de sa petite écriture embrouillée.
Quand la rédaction s’arrêta, Sue se mit au ménage. Mais comme elle ba-
layait, elle fut soudain prise d’un profond chagrin. Effrayée elle s’immobi-
lisa, jusqu’à réaliser que c’était Shirin qui pleurait la mort d’un frère, loin
dans le passé. « Tu parles d’une matinée » me dit Sue, en promettant de
nous apporter ses notes le soir même.
C’était un vendredi, et nous attendions aussi la visite de nos amis Peg et
Bill Gallagher. Il se trouva que c’est Sue qui arriva la première. En rougis-
sant elle plaisanta : « Un gâteau pour le professeur », et déballa un gâteau
fait maison et un pack de bières. Un geste pour Nebene, pensai-je ; mais
Rob continuait à peindre dans son atelier. Gênée, Sue me tendit ses notes et
j’en commençai la lecture, pendant que nous attendions Rob et les Gallagher.
Il y avait plusieurs pages. Je vais en citer quelques passages, car l’épi-
sode raconté en dit beaucoup sur la relation entre Nebene et Shirin. Pen-
dant que je lisais, je sentais l’attention soutenue de Sue. Le texte s’adresse
à Nebene :
Tu as dit quelque chose en classe ce jour-là, que tu m’as littéralement
hurlé à la figure. Tu as explosé, en allant et venant autour de moi, parce les
leçons ne m’intéressaient pas, toutes ces règles et ces formules absurdes, et
tu braillais que je n’étais pas meilleure que les prostituées incultes de
Rome, et que de toute façon je finirais comme elles.
Tu as dit ça devant tous les autres gamins, alors j’ai été tellement enra-
gée que j’ai attrapé les tablettes avec tous ces trucs que tu étais allé cher-
cher en Grèce, et je les ai jetées contre le mur aussi fort que j’ai pu, VLAN !
VLAN ! VLAN ! en plein dans le mur, il y avait des éclats partout, et on en-
tendait encore le bruit quand j’étais déjà en train de courir dehors le long
du bâtiment en hurlant.
J’ai couru jusqu’à la maison, droit à mon père. Je pleurais encore de
rage, mais il n’a pas du tout pris ma défense. Il m’a punie parce que je
t’avais fait quelque chose de terrible, alors qu’il te respectait et comprenait
ton travail. Mon père était un homme calme et solide, et vous discutiez
beaucoup tous les deux. Je t’ai haï pendant longtemps après, mon père m’a

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obligée à retourner à l’école mais je ne te regardais jamais et je ne t’écou-
tais pas, quoi que tu dises. Seulement j’avais compris que j’avais détruit
quelque chose qui t’était extrêmement précieux, et j’étais consternée et
pas franchement fière de moi, mais j’étais orgueilleuse, oh mon Dieu, à quel
point, et je n’ai plus jamais pu te parler.
En fait tout ce passage n’était qu’une seule longue phrase, ponctuée ici
et là par des « et ». Les mots VLAN VLAN VLAN étaient en majuscules souli-
gnées. Une émotion vivante jaillissait des mots, et presque du papier lui-
même. J’étais presque gênée de croiser le regard de Sue, mais alors que je
finissais ma lecture, les Gallagher frappèrent à la porte. Un moment plus
tard Rob sortit de son atelier, et je lui tendis les notes.
La pièce devait être passablement chargée car les Gallagher s’arrêtèrent
en plein milieu, avant même de s’asseoir. « Qu’est-ce qui se passe ? » de-
manda Bill.
« Rien », répondit Rob, qui s’assit immédiatement et se plongea dans les
notes. Embarrassée, je tentai de sourire en disant quelque chose comme :
« Rob et Sue sont en pleine histoire de vies antérieures ». Sue haussa les
épaules, et j’entamai avec les Gallagher une conversation sans importance.
Pendant ce temps, Sue, d’un mouvement si souple et fluide que je m’en
aperçus à peine, avait glissé du sofa pour s’asseoir par terre. Elle avait posé
les coudes sur la table basse et ne quittait pas Rob du regard pendant qu’il
était absorbé dans sa lecture. Je compris immédiatement l’importance de
son langage corporel : elle avait pris le même genre de position qu’elle avait
décrit être le sien dans la classe, devant Nebene.
Rob continuait à lire.
« Alors ? dit Sue, légèrement circonspecte.
- Je viens à peine de finir, répondit Rob. La partie dont je me souviens le
mieux, c’est la description de ton père. Je le revois si clairement que je
pourrais faire son portrait. Mais je ne me rappelle pas t’avoir crié dessus,
comme tu le dis dans tes notes. »
Sue était vraiment Sue-Shirin, ou Shirin-Sue. Rob était plus ou moins
resté lui-même, alors que manifestement il parlait à Shirin, en tout cas Sue
était beaucoup plus Shirin que Rob n’était Nebene. « Tu ne te rappelles
pas ? s’écria-t-elle, tu m’as juste traitée de putain devant toute la classe.
Ça m’a marquée pour toute la vie, et tu ne te rappelles pas ?
- Si c’est ce que j’ai dit, alors je suis désolé. Vraiment, dit Rob. Mais ton
père m’est beaucoup plus resté en mémoire – pour autant qu’on puisse par-
ler de ma mémoire – que toi. »
Je crus que Sue allait éclater en sanglots. Rob était en train de bloquer
Nebene – tranquillement, obstinément, mais très efficacement. Rob n’avait
pas plus tôt dit qu’il se souvenait mieux du père de Shirin que d’elle que
Shirin-en-Sue commençait à essayer de faire sortir Nebene. Elle le provo-
quait pour qu’il se montre, alors que Rob, je le savais, était tout aussi dé-
terminé à le garder sous contrôle.

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Sue se risqua, l’air de rien : « Ce serait vraiment génial d’en savoir plus
sur ces vieilles chroniques.
- Je n’ai rien contre », répondit Rob, d’une voix douce et neutre. Sue
fronça les sourcils, et je réalisai qu’à son habitude Shirin-en-Sue voulait atti-
rer l’attention de Nebene, alors que Rob réagissait exactement comme
Nebene en restant sur la défensive, même si c’était pour des raisons com-
plètement différentes.
Je le fis remarquer à Rob. Alors il regarda Sue bien en face, et lui dit :
« Je suis désolé ; tu as beaucoup changé. Mais moi aussi. » Puis, sans transi-
tion, il partit à la cuisine se chercher une autre bière.
Il était à peine sorti que Sue poussa un cri en montrant la porte : « C’est
lui, Nebene, en trois dimensions ! » Bill Gallagher attrapa un crayon et nota
en hâte ce que voyait Sue. Elle nous le décrivait à mi-voix, sans quitter la
porte des yeux.
Nebene était très physique, pas du tout fantomatique ; il devait mesurer
environ 1,80 m. Il portait un vêtement bleu foncé avec des manches longues
assez larges, probablement celui qu’il portait la veille quand je l’avais vu
mentalement. Il était mince, on voyait les tendons de son cou. Il avait un
long nez, et la moitié inférieure de son visage était comme rétractée. Ses
lèvres étroites se crispaient sur un sourire serré. Il devait avoir dans les qua-
rante-cinq ans.
Sue le regarda plusieurs minutes, puis il disparut. Quand Rob revint, tout
était terminé.
Cette fois-là je n’avais rien vu, mais la description de Sue correspondait
à l’image mentale que je me faisais de Nebene. Peg et Bill n’avaient rien vu
non plus. Rob ne paraissait pas étonné du tout. La conversation retomba sur
des sujets bibliques, sur les rouleaux de la Mer Morte, sujets dont je ne sa-
vais pas grand-chose, et qui ce soir-là ne m’intéressaient absolument pas. Je
me contentai donc de rester assise à écouter, en laissant les mots me glisser
par-dessus la tête. Mon regard tomba sur Sue, tranquillement assise par
terre. Elle ne participait pas à la conversation non plus.
Et là, je dus y regarder à deux fois. Cette fille n’était pas Sue. D’une fa-
çon générale l’apparence correspondait, mais c’était tout. À travers les
yeux de Sue, Shirin se manifestait si ouvertement que je retins mon souffle.
Qu’importait de qui il s’agissait ou ce qui se passait, immédiatement je re-
çus l’impression de quelqu’un d’incroyablement vivant, direct, énergique.
Cette personnalité qui se montrait par Sue était aussi réactive et agile qu’un
animal.
Sous mes yeux, Shirin « remplaça » complètement l’apparence de Sue.
La transformation était fascinante. Shirin observa la pièce avec une curio-
sité agressive, puis étudia tour à tour chaque objet posé sur la table. On
sentait un comportement fortement contenu, le plaisir sournois de ne pas se
faire attraper, et la détermination de tirer tous les avantages possibles de
l’occasion. Clic, clic, clic… vous pouviez la voir attraper chaque petit bout
d’information, et l’enregistrer pour s’en servir plus tard.

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Elle était pour moi une sale gosse rapace et égoïste de douze ou treize
ans ; rusée, hautement intelligente, bourrée d’énergie, mais manquant
d’amour et furieuse contre le monde entier. Je n’osais pas attirer l’atten-
tion sur elle, de peur de la voir disparaître. Rob et les Gallagher conti-
nuaient leur discussion interminable. Ils semblaient s’y être perdus.
Je restais assise là à observer, abasourdie. Mais mon cœur s’ouvrit pour
cette gamine, car c’était elle la véritable Shirin, pas cette petite mademoi-
selle que suggéraient certains passages des notes de Sue (que je n’ai pas re-
produits ici), où elle attachait beaucoup d’importance à la fortune et à la
position sociale de ses parents. En fait c’était une petite garce, et suffisam-
ment maline pour le savoir.
Au début, son regard acéré pointa vers un objet après l’autre. Qu’étaient
ces choses ? À quoi servaient-elles ? On sentait le travail dans sa tête. Puis,
devant moi, elle baissa la tête, avança la mâchoire, et d’un rapide mouve-
ment de côté, Shirin fixa effrontément Peg Gallagher. En plein visage. Puis
elle baissa de nouveau la tête. Elle répéta le geste avec Bill, et enfin –
triomphalement – avec Rob.
Je m’en étranglai presque. Cette fille était vivante, dans l’ici et mainte-
nant. Je me souvenais de Joel parlant pour Dave lors de l’atelier. Quel spec-
tacle factice, unidimensionnel, avait livré Joel comparé à l’authenticité si
vivante de Shirin ! Alors que je réfléchissais à tout cela, Shirin tourna de
nouveau son regard vers Rob. Cette fois, sans le vouloir, j’appelai celui-ci en
murmurant son prénom. Rob s’arrêta net au milieu d’une phrase, se tourna
vers moi, et en un éclair, Shirin avait disparu.
J’expliquai ce qui venait de se passer. Les Gallagher n’avaient rien re-
marqué. Ils étaient restés complètement absorbés dans leur conversation.
Mais Rob avait senti la présence de Shirin, et je pense qu’à cause de Sue il
avait exprès évité de contacter la situation. Sue n’avait pas cessé d’être
consciente des sentiments et des réactions de Shirin. « Je pouvais la sentir
épier ce monde étrange pour elle ; observer exactement Nebene, ou celui
qui est Nebene aujourd’hui. » Avec un sourire Sue ajouta : « Elle n’arrivait
pas à avaler que Rob et moi soyons amis, ou que je n’étais plus en position
inférieure. »
Mais j’étais mal à l’aise en regardant Rob, faisant tout d’un coup mes
propres rapprochements. Moi aussi je connaissais Nebene, mais d’une façon
différente. Qu’en était-il de ces moments dans notre vie de couple où Rob
était pris d’une froideur qui ne lui ressemblait pas ? Quand il se retrouvait
possédé par une implacable exigence de perfection ? Ces traits de caractère
émergeaient de temps à autre, apparemment de nulle part, pour ensuite
disparaître. Et alors je réagissais toujours exactement comme j’avais réagi
face à Nebene. Quel rôle celui-ci avait-il joué dans notre couple ?
Je fis part de mes réflexions, en me demandant à haute voix lesquelles
de mes remarques étaient susceptibles de provoquer chez Rob une réaction
« à la Nebene ». Mais avant qu’il ait pu répondre, Sue se mit à parler si vite
que les mots se bousculaient. « Attendez. J’y suis, dit-elle. Chacun de nous

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est en relation avec certains aspects passés de nous-mêmes, et d’autres per-
sonnes. C’est comme résoudre des problèmes tous étalés sur une grande
planche ; un incident dans le présent fait aimant et attire une personnalité,
vivant, disons, trois siècles plus tôt… »
Un instant, ce fut le silence. Nous vacillions au bord de la connaissance.
Lentement, Peg Gallagher dit : « Comme Nebene et Shirin, qui travaillent
sur d’anciens problèmes ce soir, dans notre présent.
- Mais dans le leur aussi ! » J’avais presque crié, car de nouveau j’aper-
cevais Shirin regardant par les yeux de Sue. J’ai rarement vu l’émotion pure
transparaître aussi franchement et clairement sur le visage de quelqu’un,
reflétant de façon aussi raffinée les facettes intérieures de l’être. Shirin ve-
nait-elle de « re-naître » ce soir-là, me demandais-je, amenée à la vie en
réponse à un Nebene personnifiant certaines composantes enfouies de l’être
de Rob ?
Un Nebene avait-il besoin d’une Shirin, et vice versa ? Les deux person-
nalités étaient-elles en train de se mettre à jour, à une vitesse incroyable,
attirant les souvenirs littéralement du vide ? Assistions-nous à la naissance
d’une personnalité, observions-nous en accéléré un processus qui en réalité
se déroule constamment en nous, mais ne se révèle que par les changements
graduels qu’apporte le temps ?
Ou bien voyions-nous deux personnes mortes, d’après nos critères, très
longtemps avant nos naissances respectives ? Si c’était le cas, alors, « Mort,
où est ton aiguillon ? » pensais-je, car je peux garantir que Nebene et Shirin
sont aussi vivants que moi. Je regardai Rob. Il était parfaitement lui-même.
Où donc Nebene était-il parti ?
D’autres moi, scintillant brièvement devant nos regards ?… D’autres
états d’âme (autrefois les nôtres ?) montant les marches des molécules ? De
nouveau je tenais comme les prémices d’une connaissance capable d’illumi-
ner grandement nos concepts actuels, d’apporter une nouvelle lumière sur
nos comportements. Mais il allait falloir encore un an avant que je comprenne
ce qui s’était passé ce soir-là.
Les fortes émotions qui avaient surchargé la pièce avaient disparu, mais
émotionnellement nous étions toujours sur les montagnes russes. Sue inter-
rogea de nouveau Rob sur les chroniques. Il leva les yeux vers elle et répon-
dit, l’air absent : « J’étais plutôt au-dessus du lot. Grâce à mon travail j’en
savais beaucoup sur ce qui se passait. Nous étions à peu près en 30 avant J.-
C. J’ai laissé certaines des chroniques au nord-ouest de Nazareth, un quar-
tier très vivant… Zébédée. » Il fit une pause, cligna des yeux. « Je ne sais
pas pourquoi j’ai dit ça, ni d’où ça vient, mais il existe bien d’autres chro-
niques. Je les ai cachées en dehors de Damas, dans des grottes. Elle, elle le
sait. » Et il désignait Peg Gallagher.
Peg se contentait de ne pas le quitter des yeux.
« Tu le sais », dit-il.
Peg écarquilla les yeux. « Oh, je vois quelque chose ! dit-elle. Un grand
arbre au sommet d’une colline ; non, c’est un plateau. Dans une espèce de
couleur orangée. J’ai presque un nom.

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- Her – rog – bah, fis-je tout d’un coup, en séparant les syllabes.
- C’est ça », répondit Peg.
Et soudain, Sue fut Shirin. Elle se tourna vers Bill Gallagher, les muscles
de sa gorge se contractaient convulsivement. « Tu… Tu… » Folle de rage,
c’est tout ce qu’elle arriva à articuler avant que Sue ne bloque tout et rede-
vienne elle-même.
« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Bill. J’étais là aussi ? Je t’ai violée,
ou quoi ?… » Il plaisantait, mais il était écarlate, et visiblement encore cho-
qué par la violence de Shirin.
Sue piqua un fard. « Tu étais un soldat ; du moins, c’est ce que je re-
çois. Une espèce de vieux cochon. »
Bill ne dit plus un mot de toute la soirée. Peu après il donna le signal du
départ. Habituellement il échange toujours quelques mots avec Sue avant
de prendre congé, mais ce soir-là il passa devant elle comme si elle n’avait
pas existé.
Nous avions mangé le gâteau de Sue. Je lui dis de rester le temps que je
lave le plat. Au lieu de cela, Rob l’emporta à la cuisine, le nettoya et revint
le donner à Sue, d’un geste particulièrement galant. Nebene fait amende
honorable, pensai-je.
La soirée était terminée, mais les implications de ce qui s’était passé ne
me sortaient pas de la tête, et les questions qui avaient été soulevées res-
taient sans réponses. Nous n’en avions pas terminé avec Nebene ou Shirin,
mais je ne serais pas surprise que certains concepts de la Psychologie aspec-
tale soient nés ce soir-là. Si c’est le cas, Nebene et Shirin nous avaient plus
aidés que nous ne le réalisions.

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6 – Un « autre » univers, une fleur venue de
nulle part, et un atelier d’écriture qui débouche
sur la médiumnité
Comme l’été avançait, on aurait dit que le flux et le reflux de la vie quo-
tidienne nous touchait avec une intensité croissante. Le père de Rob était
décédé l’hiver précédent. Sa mère vivait désormais seule dans la maison fa-
miliale, à Sayre, Pennsylvanie, à une trentaine de kilomètres de chez nous.
Elle ne voulait pas quitter sa maison, et en même temps elle avait hâte d’en
être libérée. Sa santé s’affaiblissait, et nous passions tous les dimanches
avec elle. Parfois nous allions aussi la voir en semaine. Elle pouvait passer
plusieurs mois chez un de ses autres fils, où elle disposait d’une chambre à
elle tout en pouvant participer à la vie de la famille.
Nous nous occupions d’elle quand elle était vers chez nous. Elle avait de
nombreuses petites crises. Mais Maman Butts était étonnamment résistante.
Elle développa un ulcère, qui disparut au bout de trois mois. Nous l’accom-
pagnâmes à l’hôpital pour son contrôle. Il nous fallut patienter presque deux
heures dans la salle d’attente, car Maman avait rendez-vous avec un nou-
veau médecin. Quand on appela son nom, Rob alla avec elle dans la pièce de
consultation. Je décidai d’attendre là où j’étais.
Finalement, je finis par m’ennuyer à feuilleter les magazines vieux de
plusieurs mois qui jonchaient la table, et je décidai d’aller à la recherche du
cabinet du médecin. Je suivis un long couloir. Sobre, gris, administratif.
Entendant la voix de ma belle-mère, je me dirigeai vers un des cabinets
de consultation. La porte était ouverte. J’entrai et m’arrêtai au milieu de la
pièce. Rob et sa mère étaient assis sur le côté le long du mur. Le médecin –
un jeune homme brun, mince, avec des lunettes – était assis en face de moi
et de la porte. Derrière lui, un rideau s’agitait dans la brise, et par la fe-
nêtre, je pouvais voir la rue trois étages plus bas.
Je ne sais plus exactement ce qui s’est passé ensuite. Le médecin leva
les yeux et me regarda. Immédiatement il fit un geste très étrange, ouvrant
un bras en arc de cercle comme s’il avait voulu me serrer contre lui.
Je devins une page blanche. Pas une seule seconde je ne le remis, lui,
en question, ni son geste ou ce qu’il signifiait. Comme par réflexe je traver-
sai la pièce et me dirigeai vers lui.
À une certaine distance j’entendis Rob dire : « Mon épouse… », mais
j’étais déjà passée devant lui et la chaise qu’il m’avait réservée. À cet ins-
tant précis, seul le médecin existait pour moi. Les étrangers, c’était Rob et
sa mère. Sans réfléchir à quoi que ce soit, je me réfugiai dans les bras ac-
cueillants du médecin.

48
Puis, tout aussi vite, je revins à moi. Mais qu’étais-je en train de faire ?
Je me trouvais dans une position que je ne pouvais ni rationaliser ni justi-
fier. Au même instant, le médecin cligna des yeux. Il baissa les bras, lente-
ment, maladroitement, comme s’il se demandait comment il avait pu en ar-
river là. Je n’avais plus qu’à amorcer la retraite la plus digne possible. Il n’y
avait rien que je puisse imaginer pour donner le change.
Rob avait levé les yeux dans les dernières secondes. Il me raconta qu’il
avait vu le médecin faire un étrange geste de bienvenue, auquel j’avais ré-
pondu. Sur le moment j’avais simplement accepté ce geste comme naturel.
C’est plus tard que j’ai réalisé qu’il avait quelque chose d’archaïque, qui
n’avait rien de normal pour notre époque ou notre pays. Il semblait per-
mettre le déploiement des plis naturel d’un long vêtement ou d’une manche
très large.
Après cet incident, personne ne manifesta la moindre gêne durant toute
la durée de la consultation. D’un côté c’était comme si rien ne s’était
passé, de l’autre, comme si ce qui était arrivé était à ce point inévitable
qu’il ne valait même pas la peine d’en discuter.
Mon aisance physique et mon acceptation tranquille contrastaient telle-
ment avec mon comportement habituel que j’en étais choquée. Le Dr W. et
moi avons la même silhouette, mince, avec des os fins, et nous sommes tous
les deux bruns et portons des lunettes. Ces ressemblances avaient-elles sim-
plement provoqué une espèce de sympathie et de compréhension sponta-
nées ? J’essayais de me persuader que c’était le cas, mais je savais ce
qu’était l’empathie et jamais je ne m’étais retrouvée dans les bras d’un
autre homme en présence de mon mari et de ma belle-mère.
Heureusement, Maman Butts avait passé tout ce temps à chercher dans
son sac l’ordonnance d’un autre médecin, et elle n’avait rien vu. L’étrange
relation qui s’était installée entre le médecin et moi dura pendant tout l’en-
tretien concernant la santé de Maman Butts. Elle ne contenait aucun aspect
particulièrement sexuel. Plus tard, quand Robert et moi avons discuté de
cet incident, j’ai réalisé que je sentais que le médecin et moi-même étions
des collègues qui nous appréciions beaucoup, à un autre niveau d’expé-
rience – ou dans une autre vie.
Je ne voulais pourtant pas en parler à Seth, et je n’ai pas essayé de dé-
couvrir par moi-même le fin mot de l’histoire. Amusée, je me demandais
vraiment ce que le médecin pensait de tout cela, ou comment lui rationali-
sait son comportement. Quelques mois plus tard, avec la naissance et le dé-
veloppement du Sumari, j’ai compris au moins une des raisons de cette re-
connaissance spontanée. Et aujourd’hui je me demande si cette rencontre
n’aurait pas été un des éléments déclencheurs de certains événements ulté-
rieurs. Maman Butts avait un autre rendez-vous avec le médecin, mais je dé-
cidai de rester à la maison, où j’avais beaucoup à faire.
Depuis des années nous habitions un spacieux appartement de quatre
pièces. Le vaste salon me servait de bureau et nous prenions nos repas à la
grande table en face des baies vitrées. Le mardi soir, cette même pièce se

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changeait en salle d’étude pour les élèves. Et j’avais en plus lancé un petit
groupe d’écriture créative. Nous commencions à manquer de place.
C’est alors que l’appartement de l’autre côté du palier se trouva libre,
et nous avons pu le louer. Cela mit à notre disposition neuf grandes pièces,
et en fermant les portes du palier, tout l’arrière du premier étage était pour
nous. Je pris possession du nouveau salon pour en faire mon bureau. La
pièce sur l’arrière devint notre chambre. Rob disposait désormais, dans
notre ancien appartement, de deux pièces dont il fit son atelier. En plus de
notre commune chambre à coucher, j’avais donc à ma disposition une suite
personnelle de l’autre côté du palier.
Adjacente à mon bureau est une petite cuisine, qui était auparavant une
véranda. Elle n’est quasiment entourée que de fenêtres, ouvrant vers l’ex-
térieur, avec de petits carreaux à l’ancienne. Nous avons emménagé en juil-
let, et ces fenêtres n’étaient qu’à quelques centimètres des premières
feuilles d’un immense chêne. J’avais ma propre cabane dans un arbre ! Je
passais là, assise à déguster mon café en regardant dehors, plus d’heures
que je ne pourrais jamais dire.
Et il commença à se passer quelque chose. J’avais l’impression que les
feuilles et moi changions de place. Je me sentais tranquillement suspendue
à me chauffer au soleil, et depuis le point de vue d’une feuille, je me
voyais, assise à ma table, de l’autre côté de la fenêtre ouverte. À l’intérieur
de la feuille, je savais bien de quoi j’avais l’air, mais la feuille percevait
ma… structure, et l’identifiait en termes de formes et d’ombres. Cela m’ar-
rivait de temps en temps.
Ma perception gagnait une étrange profondeur. Les dimensions de l’ins-
tant présent s’élargissaient ; n’importe quand, l’espace à l’arrière de la
maison, tel qu’il est normalement avec ses arbres, ses jardinets et ses ga-
zons, prenait soudain vie d’une façon spectaculaire ; une vie qui avait tou-
jours été là, mais dont je prenais seulement connaissance. C’était le début
de quelques-unes des heures les plus heureuses de ma vie d’adulte.
Nous avons pris un congé pour pouvoir décorer le nouvel appartement, et
soudain, dans l’élan d’une nouvelle énergie, je me suis mise à démarrer une
autobiographie, un livre racontant nos expériences dans le groupe. Il devait
s’intituler Aventures dans la conscience, et on en retrouve la plus grande
partie dans la première partie de cet ouvrage. En même temps, je ne ces-
sais de tout remettre en question, depuis les épisodes de vies antérieures
jusqu’à la nature de Seth. Seulement le murmure des feuilles enveloppait
tout le côté est de la maison, et même en écrivant, j’avais du mal à ne pas
laisser mon regard reposer constamment sur les immenses branches de
l’arbre.
J’écrivais environ cinq heures par jour ; la classe d’ESP 6 était complète,
et Seth terminait la dictée de Seth parle lors des séances ordinaires. Mais à
l’époque mon projet préféré était le petit groupe d’écriture créative. Seules
deux femmes y participaient. Nous nous réunissions dans le grand salon le

6
[Perceptions extrasensorielles.]

50
mercredi après-midi ; ce n’était pas un jour très pratique, car la classe
d’ESP finissait tard le mardi soir, et le mercredi soir était consacré aux
séances habituelles avec Seth. J’avais l’impression d’être toujours pressée,
et le mercredi, parfois, je n’arrivais même pas à écrire pour moi.
Quoi qu’il en soit, ce cours avait quelque chose de magique. Je l’avais
lancé volontairement comme une sorte de diversion ; il mettait l’accent sur
l’écriture et l’art, avec comme but d’utiliser la souplesse de la conscience
comme méthode de travail. Pourtant, à ma grande surprise, je me suis vue
insister de plus en plus sur l’expérience psychique, et nous nous sommes
lancées dans plusieurs exercices qu’il aurait été difficile de pratiquer dans
un groupe.
La plus jeune des deux femmes, Mattie, commença à produire des textes
excellents. Ils se transformèrent en une nouvelle, Bernard, qui parlait d’un
écrivain dans l’Angleterre du 17e siècle. Mattie avait déjà un peu écrit
quand elle était au collège, dans les années 50. Aujourd’hui ses propres en-
fants allaient à l’école et elle désirait développer ses capacités. On aurait
facilement pu dire que Bernard avait été produit par écriture automatique,
mais nous ne lui avons pas mis cette étiquette à l’époque. Lorsque Mattie en
avait terminé avec ses tâches ménagères, elle s’asseyait à sa machine à
écrire, et Bernard « arrivait » si vite qu’elle pouvait à peine suivre le
rythme. Le résultat était de loin supérieur à ce que produit Mattie au niveau
conscient.
Bernard racontait son histoire à la première personne, et Mattie assistait
aux scènes qu’il décrivait. Louise – l’autre élève – et moi avions toujours
hâte de connaître les exploits de Bernard, mais un jour il se passa quelque
chose qui nous rendit sa présence encore plus forte. Et qui me confronta
une fois de plus à un fait beaucoup trop étrange pour pouvoir être intégré
au cadre habituel des concepts et références.
La scène était plus que banale : deux heures de l’après-midi, nous trois
au soleil devant le café et les petits gâteaux, des feuilles blanches ou
écrites étalées un peu partout, et le vacarme du carrefour qui pénétrait par
les fenêtres ouvertes.
En fait le cours avait commencé sur une note joyeuse, à mes yeux du
moins. Mattie et Louise surgirent ensemble, apparemment ravies et plutôt
excitées. Mattie venait d’entrer dans la trentaine et Louise approchait de la
soixantaine, mais elles étaient devenues de bonnes amies. Je fus assez sur-
prise de les voir nettement mieux habillées que d’habitude. J’appris
qu’elles avaient passé la matinée ensemble au Morning Club de Louise.
Celle-ci avoua n’y aller que rarement, mais ce jour-là la réunion accueillait
un orateur qu’elle désirait entendre.
Une fois sur place, elles avaient eu l’impression d’être légèrement déca-
lées par rapport à une assistance plus conventionnelle. Je crois qu’elles
s’étaient senties un peu comme deux conspiratrices, mais que c’était finale-
ment très amusant car bien sûr elles n’étaient pas totalement « hors
norme ». C’est vrai qu’elles ne portaient ni chapeau ni gants, mais elles

51
étaient en robe d’après-midi avec bas et hauts-talons. Et pas un cheveu ne
dépassait du chignon.
Étant donné le rôle de rebelles qu’elles s’étaient elles-mêmes attribué,
je trouvais tout cela franchement très drôle. Si elles étaient allées à la con-
férence en salopette cela aurait été différent, mais quoi qu’il en soit elles
s’étaient bien amusées ; on aurait dit deux collégiennes en goguette. Elles
gloussaient à l’idée que ces femmes les avaient sûrement prises pour deux
cruches, ce qui leur était parfaitement indifférent.
Puis Mattie nous lut le dernier épisode de Bernard. Il s’agissait d’une
très douloureuse expérience de masturbation, décrite avec une empathie,
une authenticité, et une compréhension des problèmes existentiels qui dé-
passaient de loin tout ce que Mattie avait pu produire jusque-là. Le tout
écrit par une jeune femme pour qui la liberté était de ne pas porter de cha-
peau à la réunion du club du mercredi !
Pour la première fois, je fus frappée par la différence significative entre
la Mattie que nous connaissions et l’auteur de Bernard. Nous avons entamé
une discussion sur le sujet. Mattie avait-elle déjà vécu en tant que Bernard ?
Le texte avait-il été dicté par un Bernard autonome ?
Ou bien le côté créatif de son moi supérieur avait-il simplement fait en
sorte qu’elle puisse utiliser ses capacités d’écriture, en balayant toutes ses
limites culturelles et en levant ses inhibitions ? Jusque-là nous nous étions
contentées de soulever ce genre de questions, mais en cet après-midi,
celles-ci nous assaillirent littéralement.
Quel était le degré de « réalité » de Bernard ? Avions-nous affaire à une
personnalité en transit, une personnalité qui existait en nous à l’état la-
tent ? Comment Bernard pouvait-il s’intégrer dans un cadre global qui aurait
contenu Seth, Nebene, Shirin, et les moi ordinaires que nous connaissions ?
Le cours d’écriture créative commençait à deux heures et se terminait à
quatre heures, car nous avions toutes un dîner à préparer. À trois heures ce
jour-là, Mattie nous avait lu ce qu’elle avait écrit pendant la semaine sur
Bernard, et Louise avait lu des extraits d’un essai autobiographique. Je sug-
gérai alors que nous passions à l’état de conscience « Alpha 2 », pour voir
quel matériau de création nous pourrions y découvrir.
Les instructions étaient simples. Je leur avais simplement dit d’imaginer
Alpha 1 comme étant situé juste un pas plus loin que le niveau de conscience
ordinaire. « Cette fois, dis-je, nous allons faire un pas de plus. Donc, imagi-
nez que vous faites deux pas, disons, sur votre droite, et que vous passez
d’ici à là-bas. Voyez ce qui se passe. Ou alors, sortez en imagination par la
base de votre crâne. Ne perdez pas votre objectif de vue, qui est d’entraî-
ner votre conscience. »
Quand j’eus donné les instructions, je fermai les yeux et les suivis moi-
même. Je pouvais plus me permettre dans ce petit groupe que dans la classe
« psychique » d’ESP, car je n’avais pas de séance à tenir avec Seth, et nous
n’étions que trois. Je me relaxai donc, j’imaginai les deux pas, et me visua-
lisai allant vers le second.

52
Immédiatement, je me retrouvai dehors en face de la grande fenêtre.
Une corde reliait notre maison à celle de notre voisin le Dr Sam. Déguisée en
clown, avec un énorme pantalon, je me balançais sur la corde, haut dans les
airs. Puis je me laissai tomber et atterris en douceur en faisant une roulade.
Voici une expérimentation de conscience, pensai-je ; je peux donc éga-
lement tomber vers le haut. L’instant d’après je m’élevais sans effort,
comme portée par un courant d’air.
La plus grande partie de ma conscience se trouvait dans le clown, mais
une autre partie était aussi dans mon corps physique, contrôlant l’expé-
rience. Cette dernière partie fit la remarque que le clown n’était pas en-
core assez clownesque, et je chargeai donc le trait. En tant que clown
j’avais été emportée très haut ; je redescendis vers le poirier du Dr Sam, en
haut duquel je m’installai. Pendant que le clown prenait une pause confor-
table au sommet de l’arbre, le moi sur la chaise savait parfaitement que celui-
ci avait été abattu l’année précédente. Puis, souriante et revigorée, je fis
simplement disparaître le clown, ramenai toute ma conscience dans mon
corps et ouvris les yeux.
Mattie et Louise étaient toujours assises tranquillement, les yeux fer-
més ; je décidai donc de repartir en Alpha en les attendant. Je regardai le
réveil : il ne s’était en tout écoulé que cinq minutes. Habituellement je con-
sacre dix minutes à ce genre d’exercices, il m’en restait donc cinq. Je fermai
les yeux.
De nouveau je me sentis tirée dehors vers un point juste en face des
baies vitrées. Seulement cette fois, je perdis immédiatement tout contact
avec mon corps. Je planais au-dessus du parking à hauteur du premier
étage, et regardais la maison du Dr Sam.
D’abord tout sembla normal. Je contemplais la courbure habituelle de
l’horizon au delà de la maison, le ciel de l’après-midi derrière des nuages
gris qui cachaient un soleil jaunâtre. Je notai ce détail, car quand la classe
avait commencé il faisait beau. Puis, soudain, le monde tridimensionnel der-
rière la maison du Dr Sam se replia sur lui-même jusqu’à devenir plat, et
tout devint en deux dimensions – comme si la maison avait été peinte sur un
morceau de carton. Au même instant j’en traversai la surface, et émergeai
de l’autre côté.
J’y trouvai, à ma grande sidération, un autre univers – ou du moins ce
qui en avait l’air. Un espace noir comme du velours s’étendait à perte de
vue devant moi, où de minuscules étoiles scintillaient à d’incommensurables
distances. Il était apparemment prévu que j’aille dans une dimension spéci-
fique, et j’y allais à vive allure, sans jamais m’approcher d’une étoile parti-
culière ni changer de direction.
Cela sembla durer très longtemps. Je n’avais pas de corps, j’étais
comme un point de lumière fusant à une allure incroyable. Ce n’était pas
une image mentale ; l’espace autour de moi était d’une profondeur abys-
sale. Tout d’un coup je ralentis, et perdis de l’altitude. Très doucement, je
me sentis descendre. La première image dont je me souvienne sont des rues

53
très ordinaires, vues d’en haut, en automne. Puis, apparemment sans transi-
tion, je me retrouvai assise par terre en face de la maison de mon enfance.
Je fus immédiatement consciente de l’humidité de l’herbe sous moi, et
d’un rapport très étrange avec mon corps. J’étais plus petite que les fou-
gères autour de moi, et j’observais la barrière sous le porche. Choquée, je
réalisai que j’étais une toute petite fille.
Le contact du sol mouillé sur lequel j’étais assise m’était bizarrement
familier. J’en savourais intensément la sensation. Il me fallut un certain
temps pour retrouver mes esprits : il était évident que je regardais le monde
à travers les yeux de cette enfant. Et cette enfant ne pouvait être que moi.
Je me levai, pas très ferme sur mes jambes mais avec une grande joie et la
délicieuse impression d’avoir accompli quelque chose d’important. Je réali-
sai alors que j’étais en train d’apprendre à marcher.
Étonnée, je baissai les yeux vers deux petites jambes potelées, des soc-
quettes blanches et une paire de chaussures d’enfant blanches. Tout ce que
je voyais se trouvait à la hauteur des yeux d’un enfant. Je descendis mala-
droitement du trottoir et traversai la rue déserte. Arrivée de l’autre côté, je
tombai en voulant monter sur le trottoir. Dans une totale évidence, je restai
immobile une minute là où j’étais tombée avant de me relever. J’étais tota-
lement concentrée sur ce que j’étais en train de faire. C’est très difficile à
expliquer, mais je ressentais les réactions et les émotions de l’enfant, pas
les miennes. « Évidence » par exemple n’est qu’une description très loin-
taine de cette espèce de confiance viscérale que je ressentais à chacun de
mes mouvements. Apparemment, tomber était provoqué par le corps lui-
même, alors que se relever venait de « moi », et je m’absorbais complète-
ment à essayer de comprendre le « truc ».
Je me dirigeai ensuite vers un grand lilas, sous lequel je m’affalai une
fois de plus – cette fois avec une intense satisfaction – et je me mis à con-
templer une barrière en grillage. Après une minute, je formai le plan dans
ma tête d’aller vers la maison la plus proche. C’était une intention tout à
fait délibérée, et je pouvais la sentir prendre forme dans mon esprit de la
façon la plus étonnante. Passer de là où « vous » êtes à là où « vous » voulez
être était de la plus extrême importance. Dans son cerveau (le mien), l’en-
fant forma une image mentale d’elle-même en train de marcher, puis de
courir depuis là où elle se trouvait jusqu’à la maison. Elle projeta l’image
dans l’espace, de sorte que je la vis, par les yeux de son esprit, envoyée
jusque dans la cour devant elle. Elle allait la suivre physiquement lorsque,
de nouveau sans transition, je me retrouvai dans mon salon.
(Quelle étrange pensée vient de me venir à l’esprit, au moment où
j’écris cette dernière phrase. Y a-t-il eu un lien entre la projection par l’en-
fant de son image devant elle, et mon retour ? S’est-elle, d’une façon ou
d’une autre, projetée dans l’avenir en se projetant dans l’espace ?)
Il est clair que je suis restée désorientée pendant un moment. La transi-
tion d’un corps d’enfant à un corps d’adulte avait été brutale. J’avais senti
une telle densité, une telle intensité ; là je me retrouvais grande et em-

54
pruntée. Mais je savais une chose : quand nous sommes enfants, nous appre-
nons à nous déplacer de la façon dont je venais de faire l’expérience. Nous
projetons des images mentales, et nous apprenons à les suivre.
À mon retour, Mattie et Louise étaient en train de prendre des notes. Je
commençai à leur raconter ce qui m’était arrivé, mais Mattie avait quelque
chose à dire. Elle me regardait de la façon la plus bizarre, inclinant vers moi
son visage comme s’il se fût agi d’une lanterne ronde et brillamment éclai-
rée. Je pris des notes car elle me dit tout de suite qu’elle considérait son
expérience comme importante.
« Elle était fascinante, c’est le moins qu’on puisse dire, dit-elle. Je suis
sortie par l’arrière de mon crâne, et j’ai vu Bernard. Il était déguisé en
clown, avec un pantalon très large… »
J’eus l’élan de l’interrompre, mais je me retins.
« Eh bien, nous nous sommes pris dans les bras, une grande embrassade –
exubérante, pourrait-on presque dire. J’ai eu l’impression d’entrer en lui,
de passer littéralement à travers lui, alors j’ai eu peur et j’ai reculé. Mais il
était toujours là. Alors j’ai pensé que c’était un bon exercice pour la cons-
cience et que je ferais aussi bien de suivre le mouvement, de ne pas avoir
peur et de voir ce qui allait arriver. Je me suis laissée aller… et je me suis
sentie couler vers le bas jusqu’à ses orteils, où je suis totalement entrée en
lui.
« Ensuite je me suis retrouvée dans un cimetière, avec plein de statues
et de monuments partout. J’étais un peu désorientée, mais il y avait une
porte à proximité, alors j’y suis allée, je l’ai ouverte, et j’ai débouché dans
une rue très animée. À part moi, tout le monde était habillé à l’ancienne.
Je suis restée là une minute, à essayer de décider ce que je devais faire,
quand tout d’un coup je me suis retrouvée ici sur le canapé. »
Les expériences de Louise étaient moins impressionnantes que celles de
Mattie ou les miennes, mais elle était ravie car elle avait reçu des informa-
tions spécifiques dont elle avait besoin pour son autobiographie. Elle avait
reçu en vision intérieure toute une série d’images très riches, qu’elle avait
depuis oubliées consciemment, et qui concernaient toutes son expérience
de vie en tant qu’enfant.
Nous n’avions encore rien écrit, ce qui normalement fait partie de la
classe, et j’ai donc suggéré à Louise et Mattie de repartir au niveau alpha,
mais cette fois d’écrire en même temps. Pendant ce temps, je décidai d’es-
sayer de retrouver cet « autre univers ».
Je fermai les yeux. Immédiatement je sentis quelqu’un se tenir sur ma
droite, mais au niveau subtil. Puis de nouveau je me sentis conduite vers ce
même endroit en face des fenêtres. Tout de suite un trou apparu dans la fa-
çade de la maison en face de moi. Je pouvais voir clairement les bords du
trou se recourber vers l’intérieur, comme après une implosion. Je fus aspi-
rée dans ce trou.
La fois précédente le monde derrière la maison était devenu plat. Là il
resta en trois dimensions, mais le trou était en fait une espèce de tuyau, qui

55
traversait de part en part le monde que nous connaissons – pour arriver de
l’autre côté. Le voyage par ce tube sembla durer assez longtemps. Je ne vis
rien de spécial, alors que je filais si vite qu’il m’était impossible d’estimer
ma vitesse.
Au début une partie de ma conscience était restée avec mon corps, mais
elle s’en trouva retirée, morceau par morceau. En état de présence dédou-
blé je pouvais sentir comme j’étais peu à peu extirpée de mon image, alors
que la partie désincarnée de moi-même, dans le tube, percevait ces parties
séparées qui la suivaient ou la rattrapaient. Il me sembla que ce processus
de séparation durait trop longtemps, tout en ignorant comment je le savais.
Tout d’un coup, le reste de ma conscience encore connectée au corps se
transforma en une série de « balles » qui se précipitèrent dans le trou. Elles
se ruèrent dans le tube, l’une derrière l’autre.
Comme la fois précédente, le conduit s’ouvrait sur un autre univers. Je
ne savais pas si c’était le même ou non. Je me trouvais devant un espace il-
limité, rempli d’étoiles. Les balles d’énergie contenant ma conscience ex-
plosèrent comme des fusées, déployant un gigantesque feu d’artifice de
toutes formes et couleurs.
Je vis devant moi cet univers alors que j’émergeais du tunnel ; les « der-
nières » parties de moi observaient celles qui étaient en tête et explosaient
loin devant. Le contraste était spectaculaire – une partie de moi toujours
dans le conduit obscur, regardant dehors l’éclatement lumineux d’énergies
et de couleurs scintillantes. Aucun sentiment de danger. J’avais l’impression
que ma conscience se séparait, par de soudains à-coups, des balles d’éner-
gie dont j’avais été composée, et je pouvais ainsi contempler celles qui ex-
plosaient devant moi sans avoir le sentiment d’exploser moi-même.
Au moment où le dernier morceau de conscience explosa dans le nouvel
univers, les lumières et les formes commencèrent à se rapprocher et à for-
mer une espèce de fleur de lumières. Sans en être certaine, je pense que
cette fleur devait être gigantesque ; une floraison géante d’énergie. Ma
conscience tout entière y était contenue, et je n’avais plus aucun contact
avec mon corps.
Puis, sans un seul signe avant-coureur ni aucune sensation de déplace-
ment, je fus de retour sur ma chaise – les yeux clos, je suppose – mais de-
puis cet autre univers, la fleur géante continuait d’arriver vers moi à une vi-
tesse incroyable. Je peux affirmer qu’elle s’est tout d’un coup retrouvée de-
vant moi, dans la pièce physique. C’était si réel et surprenant que je poussai
un cri de surprise.
C’est à ce moment-là que j’ai dû ouvrir les yeux. La fleur disparut, et
j’ai eu l’impression qu’elle disparaissait à l’intérieur de moi. J’étais sûre
qu’elle m’avait suivie d’un univers à l’autre, et qu’elle représentait une es-
pèce d’intrusion dans notre espace. Mon cri fit sursauter Mattie et Louise,
qui évidemment n’avaient rien vu.
L’expérience suivante que j’ai vécue en relation avec le trou dans la
maison du Dr Sam eut lieu à la fin de l’automne, et elle est en lien direct
avec le début d’une nouvelle phase de mon développement. Mais même à

56
cette époque, je savais avec certitude qu’il ne s’agissait pas uniquement
d’expériences mentales. J’étais vraiment dans une espèce de tuyau qui con-
duisait d’un système à l’autre, et ma conscience se comportait vraiment
comme des balles d’énergie. En même temps il était évident pour moi que
ce trou n’était pas physique, dans le sens que quelqu’un d’autre aurait pu le
voir. Je ne m’attendais pas, à la fin d’une expérience, à voir un trou dans le
mur, avec un groupe de voisins en contemplation devant.
Et pourtant, je persistais dans ma conviction que… d’une façon ou d’une
autre il y avait bien un trou là, ou qu’il y en avait eu un, et que j’allais le
retrouver.
La fleur avait été dans une telle immédiateté qu’un moment j’ai pensé
que Mattie et Louise l’avaient vue ; mais l’instant d’après je savais qu’elle
existait de la même façon que le trou existait. Il allait s’écouler deux ans
avant que ce concept d’Aspects me donne quelques indices d’un ordre in-
terne des événements à l’intérieur duquel de telles expériences prennent
tout leur sens.
L’été s’enfuit et l’automne arriva sans que je m’en rende compte. Ma
liste de correspondants s’allongeait. Les lettres et les appels téléphoniques
étaient de plus en plus nombreux, et je me faisais surtout du souci pour les
personnes qui me demandaient de l’aide pour des problèmes personnels et
de santé. Un jour, un homme et une femme sonnèrent à la porte sans avoir
prévenu de leur arrivée, en insistant pour me parler. Ils avaient un enfant
handicapé qui était très malade.
Je venais de me laver les cheveux, qui étaient en train de me mouiller le
dos. C’était le jour du cours d’écriture créative, et j’étais pressée. Pour-
tant, sans savoir pourquoi, je n’ai pas pu les renvoyer. Mais je leur déclarai
que je n’étais pas thérapeute, et leur conseillai d’écrire au Dr Harry Ed-
wards, le guérisseur spirituel britannique. 7
« Je ne sais pas exactement pourquoi nous sommes venus, insista
l’homme, mais je suis certain que vous pouvez nous aider. Je n’aime pas
trop les guérisseurs de toute façon. Je ne veux pas approcher de quoi que ce
soit qui concerne le diable.
- Qu’est-ce que le diable a à faire là-dedans ? » demandai-je sèchement.
Nous avons commencé à discuter, et l’homme se lança dans un récit pré-
cipité : « J’ai pensé que j’étais peut-être maudit. Quand Dottie était en-
ceinte, j’ai eu une vision du bébé. Il n’était pas bien et il voulait mourir. Je
lui ai dit qu’il fallait qu’il vive. Alors j’ai pensé que peut-être Dieu me pu-
nissait… »
Non seulement le pauvre homme était en pleine détresse à cause de la
maladie de son enfant, mais pire, il était obsédé par cette impression que
dieu le punissait de ses péchés par l’intermédiaire de l’enfant. J’étais hors
de moi. Une fois de plus je me demandai – et cette fois, à haute voix – de
quelle sorte de dieu il pouvait bien s’agir ? J’ai pu donner quelques indica-
tions concernant le bébé ; au moins je l’ai vu vivant et à peu près normal,

7
Dr Edwards (1893-1976) Burrows Lea, Shere, Guildford, Surrey GU5 9QG, Angleterre.

57
âgé d’environ douze ans, mais dans la cour d’une espèce d’école spéciali-
sée.
Mais surtout, j’ai été capable de libérer le père de son sentiment de cul-
pabilité. S’il était arrivé en se sentant maudit, au moins il est reparti dans
la gratitude de faire partie de l’univers. Mais j’étais toujours furieuse à la
pensée de tous ces gens dont les croyances religieuses ne faisaient qu’ajou-
ter à leurs problèmes.
Plus tard j’y pensais toujours au moment où commençait la classe d’écri-
ture, et j’en parlai à Mattie et Louise. Quelques minutes après, j’ai senti
quelque chose comme une forme au-dessus de la table basse. Puis je l’ai
vue clairement, même si je pouvais aussi voir au travers, ce qui signifie que
ce n’était pas entièrement physique.
La forme était celle d’une personne, mais je savais qu’il s’agissait en
fait d’une masse d’énergie. Celle-ci était reliée à l’aide que j’apportais aux
autres ; comme si, sans le savoir, j’avais construit cette forme dans une
autre dimension, pouvant désormais m’en servir consciemment pour aider
les autres ainsi que moi-même.
Je ne l’envisageais pas vraiment comme une personnalité, mais plus
comme une force. Le mot Helper 8 m’est venu à l’esprit. Je découvris par la
suite que je pouvais envoyer Helper vers des personnes en difficultés. Il est
possible aussi que l’apparition de Helper ait représenté un autre indice ; il
était clair que tous ces événements arrivaient à un rythme qui accélérait
peu à peu. Je commençais à sentir des changements de direction.
D’un côté j’en étais heureuse, bien sûr. De l’autre, je continuais à faire
travailler mon mental autant que je le pouvais. Je ne cessais d’essayer de
faire entrer ces expériences dans une structure quelconque, sans jamais y
parvenir. Je ne pouvais tout simplement pas les ranger à l’intérieur du
groupe des concepts spiritualistes habituels – incluant des démons et des su-
perstitions qu’il m’était impossible d’accepter. Quant aux structures scienti-
fiques, elles étaient, je le sentais, stériles.
Je poursuivais donc mes essais. L’apparition du Sumari, en novembre
1971, m’amena à accentuer mes efforts.

8
[Aide, aidant, assistant.]

58
7 – La naissance du Sumari
C’est la vie colorée et complexe de la psyché qui fournit les compo-
santes créatives à partir desquelles nous formons notre vie quotidienne.
Juste sous la surface se cachent toujours de nouvelles possibilités d’action
et d’accomplissement, prêtes à émerger en réponse aux événements de la
journée. Ces surgissements d’énergie et de créativité se produisent toujours
quand nous en avons besoin ; nous devons simplement être assez souples
pour les reconnaître et les accepter.
A posteriori, il me semble évident que durant tout cet été-là, jusqu’en
automne, de tels tourbillons n’avaient pas cessé de s’agiter juste en-dessous
de mon niveau de conscience habituel. Mon expérience de cet autre univers
eut lieu le 4 novembre. Le 15, Rob envoyait le manuscrit final de Seth parle
à l’éditeur, marquant ainsi l’aboutissement d’une action créative ; et le 16
fut le jour du décès de mon père. Le Sumari apparut le 23 novembre – appa-
remment venant de nulle part, à l’époque.
Je ne connaissais pas très bien mon père. Il est décédé subitement à
l’âge de soixante-sept ans. Nous ne nous étions plus rencontrés depuis des
années ; il semblait donc pour moi toujours aussi vivant, ou mort, que d’ha-
bitude, sauf que ses lettres occasionnelles cessèrent. Mais je pense que sa
mort a un lien avec ce qui s’est produit la semaine suivante. En fait, tous les
événements de nos vies étaient probablement liés : la mort du père de Rob,
la situation de sa mère, et le simple fait de continuer à vivre quand la mort,
après le départ des parents, devient plus présente.
Ce que je commence à comprendre, c’est que la vérité de la psyché se
rapporte à un ordre d’événements différent, mais connecté aux épisodes or-
dinaires de nos vies. Ces réalités sont si richement intriquées qu’elles se ma-
nifestent souvent avec emphase, revêtues de symboles, transformées en art.
Nos croyances culturelles, hélas, rendent suspecte à nos yeux la profonde
connaissance de la psyché, et nous essayons souvent de réprimer ses mani-
festations face à nos concepts limités.
S’il est une raison pour laquelle le développement du Sumari est impor-
tant, c’est bien qu’il démontre clairement l’émergence d’une énergie po-
tentielle à l’intérieur d’une forme organisée, une forme qui ensuite enrichit
la vie quotidienne. Je suis convaincue que c’est un processus qui apparaît
pour chacun de nous à différentes époques de notre vie, même si le produit
final peut prendre des formes tout à fait différentes.
Je ne me rappelle plus dans quel état d’esprit j’étais ce soir du 23 no-
vembre. J’étais triste de la mort de mon père, mais ce n’était pas un deuil

59
non plus. Le cours d’ESP venait de commencer. Les gens riaient, bavar-
daient, quand je sentis mon attention attirée une fois de plus à l’extérieur
des baies vitrées, vers l’endroit où s’était ouvert le trou dans la maison du
Dr Sam.
J’eus soudain l’impression qu’un groupe de personnes entraient dans la
pièce en provenance de cet « autre univers », et que leur professeur était
là, juste en face de moi. Apparemment nous communiquions par télépathie,
même si consciemment je n’arrivais pas à capter ce qui se disait. Le groupe
se répartit autour de la pièce et resta là, à observer en silence.
J’étais tout à fait consciente que physiquement il n’y avait personne,
mais je reconnaissais la validité de mon expérience : il était vrai que je sen-
tais leur présence et que je les « voyais » avec une vision d’une autre nature.
Puis « j’entendis » un brouhaha de voix parlant dans des langues
étranges. Elles semblaient provenir de loin au-dessus de ma tête. Ce n’était
pas une audition dans le physique. J’avais plutôt l’impression de sons multi-
dimensionnels, organisés en couches. En d’autres termes, je voyais les sons
comme des formes : certains étaient des triangles, d’autres des rectangles
allongés. Je les ressentais comme des formes et des sons. Tous m’étaient
étrangers. J’ignorais ce que j’étais supposée faire, mais je savais qu’on at-
tendait quelque chose de moi.
Il aurait été impossible à quiconque, pensais-je, de prêter sa voix à tout
cela. Je ne croyais pas ma langue capable de produire de tels sons. En fait,
pour ce qui est de ma langue, elle me faisait une impression très étrange.
Le muscle tressautait. Il paraissait gauche, maladroit. Les sons formaient
des mots, et tous les autres « langages » reculaient, de sorte qu’un seul se
mit à prendre de l’importance et du volume sonore. Mais les mots arrivaient
si vite qu’il était difficile de déterminer où ils commençaient, ou de les dis-
tinguer les uns des autres. Et pourtant, j’avais bien l’impression que je devais
les formuler moi-même à voix haute ; juste m’ouvrir et les laisser passer.
C’est hors de question, pensai-je. L’expérience était totalement nou-
velle pour moi, et pourtant j’essayais déjà de la faire entrer dans un con-
texte quelconque. Malheureusement, la première chose qui me vint à l’es-
prit fut le « parler en langues » de certaines religions fondamentalistes.
J’admets que ces pratiques puissent faciliter certains événements psy-
chiques valables, seulement ces pratiques ne sont pas les miennes ; et s’il
fallait passer par des hurlements, des contorsions, des tremblements – sa-
crés ou pas – c’était pour moi la ligne rouge, que je ne franchirais pas.
Pendant que tout cela me traversait l’esprit, les sons passaient lente-
ment à l’arrière-plan, jusqu’à devenir un faible bruit de fond, pendant
qu’un mot particulier, Sumari, devenait de plus en plus fort. Il était chanté
plutôt que parlé. Je réalisai que j’étais supposée le prononcer. J’étais intri-
guée ; j’hésitais ; puis je décidai de l’écrire plutôt que de le prononcer ou
de le chanter. J’attrapai mon crayon et une feuille de papier et j’écrivis ce
que je recevais, aussi vite qu’il m’était possible.
D’autres mots suivirent ; eux aussi semblaient s’avancer vers le premier
plan, ou sortir des autres sons, qui diminuaient en conséquence.

60
Puis je ramenai ma conscience vers la pièce, et racontai à mes étudiants
ce qui venait de se passer. Je commençai à lire à haute voix ce que j’avais
écrit. En réalité, d’après les élèves, je chantais les mots d’une voix forte et
sonore, tandis que je lançais les feuilles de papier par terre.
Sumari
Ispania
Wena nefarie
Dena dena nefarie
Lona
Lona
Lona
Sumari
Puis, dans un murmure, « quelqu’un d’autre » dit par ma voix : « Je suis
Sumari. Tu es Sumari. C’est le nom de ta famille. À travers les âges tu es Su-
mari. Je te présente ton héritage. »
À ce moment mon corps fut envahi d’une délicieuse chaleur. Elle venait
de l’intérieur, comme une incandescence qui irradiait vers l’extérieur. Je
ressentais ce que je ne peux décrire que comme une bienveillance éton-
nante, une joie délicieusement ancienne-mais-nouvelle, qui s’adressait à
chacun dans la pièce. D’après mes étudiants, elle se reflétait dans toute
mon attitude, alors que, assise vers l’avant de ma chaise, je m’inclinais vers
eux pour leur parler avec une douce intensité.
Puis le style du message changea. Ce fut d’une autre voix que je conti-
nuai : « Je suis Sumari. Vous êtes Sumari. Nous sommes Sumari. Je suis tou-
jours la même Sumari, sous différents aspects. »
La première personnalité avait semblé plus féminine. Quand la seconde
prit la parole, je ressentis comme de grandes rides horizontales en travers
de mon front. Cette personnalité me faisait penser en même temps à un
vieil homme et à un petit garçon – un vieux petit garçon.
Pendant que « je » parlais, Sue Watkins eut une vision. Elle vit une sil-
houette tridimensionnelle derrière moi. Elle était vêtue de jaune d’or, et
grande presque à toucher le plafond. Elle ne voyait que les contours de la
silhouette, aucun trait du visage ou autres détails.
J’ai souvent dit à mes étudiants de passer en Alpha 1 ou 2 chaque fois
qu’il arrivait quelque chose d’inhabituel pendant le cours, toujours selon
cette idée qu’un événement existe à différents niveaux de réalité. Et que
donc pour vraiment le comprendre, il faut théoriquement faire varier la di-
rection de sa concentration, tout comme, physiquement, vous pouvez tour-
ner autour d’un objet pour l’observer sous tous les angles.
C’est pourquoi quand j’ai commencé à chanter, plusieurs étudiants pas-
sèrent en alpha. Une femme vécut une excellente sortie hors du corps, de
laquelle elle revint facilement. Un autre étudiant vit un groupe de sil-
houettes, et alors qu’il se faisait la réflexion que des distorsions étaient pro-
bablement à l’œuvre, il eut l’impression de voir des yeux divisés en trois
parties. C’était si précis qu’il fit un dessin de sa vision. En le voyant, une
jeune fille s’écria qu’elle avait vu la même chose.

61
Nous étions tous pleins d’une joie exubérante. Et de questions !... Ce
soir-là le Sumari est venue à plusieurs reprises. Chaque fois, une espèce de
douce chaleur s’emparait de mon corps. Mes bras étaient si légers qu’ils au-
raient pu flotter. C’est surtout de cette étrange et délicieuse bonté dont
j’avais conscience. En restant dans cet état, j’observais la pièce.
À un moment, « je » regardais un jeune homme, Phil, et je vis s’aligner
derrière lui les images de ses moi antérieurs. Le plus proche était une jolie
danseuse, une jeune fille à la peau noire dans un costume oriental, ou in-
dien. Sumari reconnut Phil et l’aima en tant que lui-même ainsi qu’en tant
que toutes ses personnalités antérieures. Elle les voyait en lui, et lui en
elles.
C’était la même chose pour chaque personne dans la pièce. Quand je re-
gardais Bette, je voyais la femme du pionnier juste derrière elle. Les émo-
tions de Sumari étaient tellement riches et multidimensionnelles qu’en com-
paraison les miennes semblaient étriquées. L’émotion en stéréo ! Mais ces
ressentis étaient aussi solides, riches, assurés, et magnifiquement coordon-
nés. C’était l’expérience d’un magnifique équilibre intellectuel et émotion-
nel. J’avais l’impression de prendre conscience d’une nouvelle nature glo-
bale de la personnalité, qui était mon héritage légitime autant que celui de
chacun.
Une fois le cours terminé, je revins à réfléchir sur cette question de la
« langue ». Un de mes étudiants évoqua l’ancien sumérien, dont l’existence
est bien documentée. Mais j’étais certaine de n’avoir pas parlé dans la
langue d’une ancienne civilisation, au sens habituel du terme. Et que voulait
dire cette phrase : « Nous te présentons ton héritage » ? ou « Tu es Sumari » ?
J’allai rejoindre Rob afin de discuter de tout cela avec lui, pour décou-
vrir qu’il avait eu sa propre expérience. Il était en train de taper la dernière
séance avec Seth dans la petite cuisine à côté de mon bureau. Tout à coup,
sa vision sembla s’affaiblir. Il avait du mal à voir le papier, ou sa main. Puis
il aperçut la forme d’une tête, aux contours soulignés d’une belle lumière
irrégulière pleine de couleurs. Cela brillait un peu comme un feu lançant
des éclairs. En même temps, Rob sentait que c’était en lien avec mon père.
Il a fait ensuite un schéma de sa vision, reproduit ci-dessous :

Vision de R. Butts du 23.11.1971, 22 h., séance 598.

62
Cela était-il réellement en lien avec le Sumari ? Je voulais comprendre,
alors le soir suivant nous avons tenu une longue séance avec Seth. Notre
amie Sue Watkins est même venue pour s’occuper de l’enregistrement, de
façon à ce que Rob soit libéré de son habituel pensum de prendre des notes
et puisse plus facilement poser des questions.
La séance a duré deux heures. Sue, qui ensuite retranscrivit l’enregistre-
ment, a rempli 13 pages en double espace.
D’abord, Seth a commenté la vision de Robert. Il dit que Rob, à sa ma-
nière à lui, avait capté l’énergie liée au développement du Sumari.
Tu percevais un noyau d’énergie rayonnant vers l’extérieur et empiétant sur
cette réalité, d’où l’apparence fragmentée et l’effet déchiqueté (de la vision)...
Tu concentrais tes capacités perceptives et ton énergie à peu près de la même
façon ... comme un laser, par exemple, concentre l’énergie. C’est pour cette raison
que ta vision, tout en étant microscopique, brillait et irradiait une forte énergie.
Seulement une telle vision n’est pas seulement quelque chose que tu vois et qui pé-
nètre dans cette réalité, c’est aussi quelque chose qui affecte ta réalité. Tu perçois
l’apparence de la vision, mais ses autres effets t’échappent. La concentration de
l’énergie est d’une extrême importance, vois-tu, et modifie jusqu’au comportement
des atomes et des molécules en périphérie de son apparition.
Rappelle-toi ce que je t’ai dit au sujet des trous noirs et de la concentration de
l’énergie. De tels phénomènes vous permettent des échanges extraordinaires
d’énergie d’un système vers un autre. Ce sont donc des fontaines d’une énergie
nouvelle ; et leur intrusion dans votre monde active cette réalité d’une façon diffé-
rente – habituellement dans le sens d’une accélération, d’un brassage, d’une trans-
formation ; c’est donc bien une activation, plus qu’un ralentissement.
À certains niveaux, d’ailleurs, un mouvement peut être tellement rapide qu’il
en arrive à paraître totalement au repos et à ne plus être perçu en tant que mouve-
ment. Au delà de ces niveaux le mouvement est de nouveau perçu, et l’épisode de
repos semble cesser. Maintenant, concernant ton expérience d’hier soir, l’image en
soi a activé l’air dans l’atmosphère. Mais durant cette activation, celui-ci a fini par
atteindre un niveau de paix apparente ou tu n’as plus perçu l’activation, qui conti-
nuait pourtant d’exister...
Puis, Seth expliqua qu’on pouvait comparer le Sumari à une famille psy-
chique, ou à une guilde de consciences travaillant ensemble par-delà les
siècles. Il fit une référence amusée à mon « rejet de toute fraternité, morte
ou vive », tout en ajoutant qu’on pouvait appeler le Sumari une fraternité à
laquelle nous étions dorénavant prêts à adhérer en conscience. Seth quant à
lui était en grande forme, discutant sur un ton jovial avec Rob, qui, pour
une fois, avait le temps de poser toutes les questions qu’il voulait.
Seth insista bien sur le fait que le Sumari n’était qu’un groupe, ou une
guilde de consciences. Après nous avoir exposé plutôt sérieusement ses buts
et ses caractéristiques, en insistant sur ses côtés d’initiative et de créati-
vité, il ajouta, avec un large sourire, que « ils ne sont pas là non plus pour
tondre le gazon ». Le plus important, apparemment, est que les Sumari sont

63
principalement des créateurs, des non-conformistes sachant superbement
manier l’énergie pour « initier des systèmes de réalité », mais qu’ils n’ont
peut-être pas vocation à mener à terme de longs projets. Ils laissent plutôt
cela à d’autres groupes, aux tendances et aux capacités différentes.
Dans un élan d’intuition conjugale, Rob demanda tout à coup à Seth ce
qu’il en était de mon étrange expérience à l’hôpital avec le Dr W. (En fait,
Rob voulait savoir pourquoi je n’avais pas posé la question moi-même !) Seth
répondit qu’à son avis je pouvais répondre à la question, mais il confirma les
soupçons qui se cachaient derrière la demande de Rob. Le Dr W. était un Su-
mari. Nous avions été en relation dans des vies antérieures, lorsque nous
étions liés de façon intime. Nous avions été des « collègues amoureux ». En
réponse à d’autres questions, Seth indiqua que l’apparition du Sumari était
en attente depuis le début de nos séances, et que ma capacité de traduire
certains anciens manuscrits de « Speakers » dépendait de mon acceptation
de ce nouvel aspect.
Il est fait mention des Speakers dans Seth parle, où ils sont décrits comme
des enseignants, physiques et non physiques, qui aident notre race à travers
les siècles. À la question de Rob si tous les Speakers étaient des Sumari,
Seth répondit que chaque guilde a ses propres Speakers.
Cette séance m’intriguait, mais ses implications m’incitaient à y réflé-
chir à deux fois : avais-je envie d’aller explorer ce nouveau développement,
ou pas ? Seth avait mentionné le fait que l’expérience du Sumari prendrait
des dimensions insoupçonnées – à mon avantage. Mais c’était autre chose
que de parler pour Seth, une partie intégrée de mon travail et de ma vie.
Comme d’habitude, je décidai d’y aller – tout en m’autorisant le droit ab-
solu de commenter ce qui pourrait se produire et d’arrêter là où bon me
semblerait.
En ce qui concernait le Dr W., je sentais que notre rencontre avait d’une
façon ou d’une autre participé à l’émergence du Sumari, et il m’était diffi-
cilement possible de nier ce que j’avais vécu. Mais j’en restai là. Je n’eus
pas envie d’en savoir plus sur lui. En fait je savais que notre relation passée,
quelle qu’elle ait été, était d’une intimité qui méritait d’être protégée. Elle
n’appartenait pas à nos vies actuelles.
Effectivement, le Sumari se développa, à peu près de la même façon que
les premières séances avec Seth s’étaient développées, de sorte qu’au bout
d’un mois, toute une série de phénomènes variés apparut, tous à peu près
aboutis. Lors du cours suivant par exemple, je me mis à parler et à chanter
en Sumari. Nous avons institué ce que nous avons appelé le Cercle Sumari :
un étudiant se levait spontanément et venait tourner autour de moi en
chantant avec moi en Sumari. Ceci était supposé représenter d’anciennes
cérémonies d’initiation.
En état de Sumari, je faisais des dessins que j’expliquais soigneusement –
en Sumari. À ce moment-là les étudiants hochaient la tête. Oui, ils compre-
naient, c’était tout à fait clair. Seulement une fois que j’étais sortie de
transe, plus personne ne se souvenait de ce qu’il ou elle avait compris, ou
de la signification du dessin.

64
L’élévation du niveau énergétique du groupe était évidente. Les étu-
diants faisaient état de nombreuses sorties hors du corps et de cours aux-
quels ils assistaient en rêve. Mais à ce moment-là Rob n’avait toujours rien
entendu du Sumari. Je décidai de ne pas aller plus loin tant qu’il n’aurait
pas eu une occasion d’observer le Sumari, et de me donner son avis.
Donc, un soir, nous avons mis en route le magnétophone. Je suis deve-
nue Sumari quasiment tout de suite. Elle commencé par désigner des objets
dans la pièce en donnant à Rob leur nom en Sumari. Il devait les répéter. Il
n’a pas fallu longtemps pour que Rob se mette lui aussi à parler spontané-
ment Sumari. Puis, hésitant, il commença à chanter, pendant que « je » le
corrigeais. À la fin de la séance, nous étions aussi surpris l’un que l’autre.
Le lendemain j’ai écouté la bande, en écrivant les paroles du chant pho-
nétiquement. Ce fut très long. Mais au fur et à mesure que j’avançais, je
commençais à recevoir la traduction en anglais. Le placement des vers ou
des phrases semblait se faire naturellement ; parfois je recevais la traduc-
tion d’une phrase entière, ou seulement d’un mot.
Le chant s’appelait Chanson pour les débutants, et comme vous le ver-
rez plus tard, il apparaît, dans un contexte différent, dans mon roman
L’Éducation de Surâme Sept.
En ce qui me concerne personnellement en tout cas, un des éléments les
plus surprenants est l’aspect vocal du Sumari. À part avoir chanté un certain
temps dans un chœur d’église en tant qu’enfant, je n’ai aucune éducation
musicale. Ce chœur n’offrait aucune formation non plus ; nous nous conten-
tions de brailler les paroles le plus fort possible, et c’était tout.
Mais en tant que Sumari, je développai rapidement une jolie voix, juste
et d’une portée considérable. Ces chants, ces partitions, sont d’une sophis-
tication musicale dépassant largement la mienne. Deux de mes étudiants,
qui sont musiciens, ont orchestré certains de ces chants. Je sais à peine lire
les notes, et donc je suis incapable de déchiffrer une portée, mais pour ceux
qui le peuvent, un exemple est reproduit au chapitre 15.
Pendant le cours, ces chants ne sont pas simplement chantés. Mon corps
tout entier sert de moyen d’expression, ce qui implique souvent la panto-
mime. Pratiquement depuis le début, par exemple, sont arrivés de véri-
tables représentations en Sumari, au cours desquelles le chant et les mouve-
ments servent à exprimer des épisodes de vies antérieures. Les personnages
et leurs émotions sont d’une absolue clarté, alors qu’aucun mot anglais
n’est prononcé. Dans ces mises en scène les chants expriment des réalités
émotionnelles qui touchent souvent les étudiants au plus profond d’eux-
mêmes. Elles sont aussi structurées ; c’est-à-dire que, bien que la représen-
tation soit totalement spontanée, le résultat est organisé, équilibré, en ac-
cord avec les exigences d’une communication ou d’un discours faisant sens.
J’avais donc « un langage de transe ». Était-ce celui de l’inconscient ?
Étais-je impliqué dans un processus comparable à celui de l’émergence
d’une langue dans une culture quelconque ? Mon expérience, bien que per-
sonnelle, était-elle la copie de ce qui se passe quand une espèce commence
à s’exprimer oralement ? À quoi pouvait servir ce « langage » en réalité ? Si

65
j’allais être capable de le traduire, à quoi allait-il me servir, en premier
lieu ?
Je posais les questions, c’était déjà ça, et avec l’arrivée de l’hiver, une
par une, les réponses ont commencé à apparaître.

66
8 – Les Chants des Frères d’Argent
Le succès d’une vie peut résulter d’une série de naissances psycholo-
giques au cours desquelles la psyché infuse dans la personnalité de nouvelles
énergies, compréhensions et directions en réponse à la situation physique et
aux besoins de cette personnalité. Dans la vie quotidienne, ceci peut avoir
pour conséquence un soudain retour à la santé, le développement de facul-
tés cachées, ou la résolution de problèmes qui semblaient auparavant inso-
lubles.
Les rêves, les inspirations et les visions, quels qu’ils soient, constituent à
mon avis une partie importante de ce processus. C’est à travers eux que
l’inconscient fait parvenir ses données au conscient. Malheureusement ces
expériences ont été si formatées par nos institutions que l’élan qu’en reçoit
l’individu et le sens qu’il leur donne se retrouvent souvent perdus. On nous
apprend à interpréter les révélations, les rêves et les intuitions selon des
dogmes prescrits par la religion, la science ou la psychologie. Et personne ne
nous encourage à nous confronter directement à un tel matériau.
Il devrait être pour le moins possible que la schizophrénie apparaisse
quand un individu se retrouve en plein processus d’une telle naissance psy-
chologique, sans pouvoir interpréter cette expérience à l’intérieur des
cadres admis. Ce dont nous pourrions bien avoir besoin, c’est d’une sage-
femme psychologique ; quelqu’un qui nous aide à décoder les visions ou les
révélations, puis à les appliquer dans notre vie quotidienne.
C’est ma propre expérience qui m’a conduite à ces considérations, car il
ne fait aucun doute que ma vie s’est développée à travers une série de révé-
lations, dont chacune, telle une nouvelle naissance, émergeait à partir d’un
ordre intérieur d’événements pour aller enrichir et renouveler ma vie exté-
rieure. L’expérience de « l’autre univers » que j’ai relatée plus haut s’est
ouvertement manifestée comme un langage symbolique. Même cette longue
chute par laquelle je suis passée peut être interprétée comme la traversée
du canal de la naissance ; même si je n’ai pas fait ce lien à l’époque, et
même si je ne crois pas que cette expérience n’ait été que symbolique.
Dans cet « autre univers », je me suis retrouvée, toute petite, en train
d’apprendre à marcher ; et quelques semaines plus tard, j’apprenais à par-
ler une nouvelle « langue ». Cette langue venait de l’intérieur, et non du
monde extérieur. En fait, j’ai dû apprendre à la traduire. Ce que j’ai vécu,
c’est que ce langage de transe, ou de l’inconscient, a produit une nouvelle
éclosion d’activité créative.

67
Tout ceci impliquait des modes de communication et d’objectivation
très sophistiqués. Mon inconscient pouvait s’exprimer ouvertement. Un nou-
veau matériau a pu voir le jour relativement sans difficulté, et mon ego en
fut enrichi. Le langage Sumari représente également un moyen d’exprimer
les émotions. Libéré des stéréotypes verbaux, il touche souvent en plein
cœur en raison de sa puissance émotionnelle qui, comme pour la musique,
réside dans ses sonorités et ses rythmes.
C’est un peu comme si j’étais née dans une autre civilisation de moi-
même ; comme si je m’étais retrouvée dans un autre de mes pays. Mais
combien sont torturés plutôt que ravis par ce genre d’expériences, inca-
pables d’apprécier leur signification ou leur créativité à cause des implica-
tions religieuses ou psychologiques qui leur sont attribuées ? Un homme croit
par exemple que le Christ parle à travers lui, ou il reçoit en écriture auto-
matique des messages d’une entité d’une autre planète – dans le monde of-
ficiel du vrai-ou-faux, de telles expériences n’ont simplement pas leur
place. Personne n’aide ces personnes à travailler avec les productions de
leur inconscient. Que signifie le Christ pour cet homme, et quel est son mes-
sage ? L’écriture automatique peut-elle fournir des données valables prove-
nant d’une autre planète de la psyché ? Quelles sont ces transformations
créatives et hautement individuelles qui essayent de naître, et qu’il suffirait
d’interpréter ?
Ce qu’il y a, c’est que ces expériences sont réelles, mais que, comme
j’essaierai de le démontrer plus loin, leur réalité existe à l’intérieur d’un
ordre différent d’événements qu’il s’agit de corréler à la vie normale si l’on
veut pouvoir utiliser leur créativité véritable. Je ne dis pas non plus que ces
événements ne sont que imaginaires ; je suggère que leur réalité représente
la source authentique du monde expérientiel reconnu.
Quelle est la métaphysique de l’inconscient ? Pour aller plus loin, qu’est-
ce que l’inconscient ? Car je n’accepte certes pas les définitions ou les in-
terprétations des psychologues ou des religieux. En tout cas pour mes ré-
ponses, je ne m’appuie que sur mes propres expériences. Même si mon sym-
bolisme peut être différent de celui d’autres personnes, je suis convaincue
que le voyage vers la psyché, la nouvelle naissance au cœur de celle-ci et
l’émergence au monde suivent généralement le même processus. Et ce fai-
sant participent à l’expansion de la conscience habituelle.
En quelques semaines par exemple, le Sumari m’a conduite vers un style
de poésie totalement différent. Depuis environ trois ans je travaillais à des
ouvrages de non-fiction, et ma poésie en souffrait. Il me semblait avoir at-
teint un plateau. Assise à contempler le chêne, je pouvais sentir ma cons-
cience s’étendre vers des niveaux toujours plus larges et profonds. Un jour,
dans cet état de conscience, des mots de Sumari sont soudain apparus dans
mon esprit d’une façon différente. Je « savais » qu’il s’agissait de vers
d’une ancienne poésie, portant des connaissances depuis longtemps oubliées
par notre race. Deux niveaux de conscience étaient impliqués : l’un où je
recevais le Sumari, et l’autre où arrivait la traduction. Je ne pouvais généra-
lement pas obtenir l’anglais sans le Sumari, même en essayant.

68
Écrits ou chantés, les poèmes sumari tracent les contours de la métaphy-
sique du moi intérieur. Et pour moi cette métaphysique est plus proche de
la réalité que les dogmes et les sciences extérieurs que nous acceptons
comme étant la « réalité ».
Certains de ces chants ont été publiés dans mon roman Surâme Sept. Je
vais en reproduire ici d’autres restés inédits, avec le Sumari d’origine. Les
mots sumari sont quant à eux des traductions d’idéogrammes sumari, mais
je m’intéresse peu à ceux-ci. Les mots écrits ressemblent fortement à une
combinaison de français et de latin – des langues romanes, bien sûr ; mais
comme véhicules d’une connaissance inconsciente et expressions créatives,
ils ne pourraient guère être mieux adaptés. J’en dirai un peu plus ultérieu-
rement au sujet de cette langue, je dois d’abord l’étudier plus en profon-
deur. La voici maintenant sous forme de poésie :
Le chant de la pensée-oiseau 9
Enaji o J tumba Les oiseaux devant ma fenêtre
Reset-il a baragey Sont tes pensées vers moi.
So tem responde Elles arrivent sur leurs ailes toutes neuves.
Sol tu detum Je leur donne des miettes de pain
Som ambto site Pour qu’elles n’aient pas faim.
Curiabus ta Puis elles se posent sur la branche
Nimbo Et de leurs petits becs ouverts elles chantent :
Fra maronde taba Nous arrivons du nid
Usa filnoberi D’hier et de demain.
Java sumbarabi Dieu bénisse notre voyage.
Lito tu sumba. Nous volons de l’intérieur
Gravi tumari Vers le monde extérieur
Silvo un domartum De ta connaissance.
Ilna sevento marro La cage est grande ouverte.
Il no barijeti. Tu a Nous nous élançons, et nos chants
Me atum. Emplissent les sommets des arbres.
Sal Fra tambo Étincelantes et merveilleuses
Til sa framago Comme de minuscules clochettes sylvestres
Ta to tum. Nous dansons sur les branches
Ilna illita. Reumbra Sans trêve le jour et la nuit.
Framago. Tiombreago Écoute-nous. Nourris-nous.
Te mon de. Nous sommes tes pensées s’envolant
Allita. À tire d’ailes du nid de la cage de la naissance
Tomage. Vers l’été et vers l’hiver.
Ilno tomage. Nous sommes perchées sur les branches
Des minutes et des secondes.
Ra bing tomage zee. Notre chant est celui de ton cœur.
Lin deova Ton pouls est notre envol.
9
[Angl. Thought-Bird Song.]

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Lin framadeo Tu nous envoies, brillantes petites perfections,
Te olage. Framage Chacune vivante et différente,
Tu amba. Peupler ton royaume.
Nous chantons devant ta fenêtre
Et bordons les arêtes des toits.
Jo solaris nefti Chacune pour soi et en connaissance
Enaande Nous observons à travers les branches
E O responde heri. Surveillant le pays
Fromage. Tu um tomorro Intérieur de l’enchantement,
De a linagu frimba Le monde sans ciel et sans temps
Tal toss severage ne De notre naissance.
Ne ray o marro
Ti a bra.
So jari ne remarro Nous allons et venons entre nos perchoirs
Severandi newmarro Et notre premier nid,
Fra to tiara. Umbarge Disparaissant dans
Desta. Nea desta. La cage de ta tête,
Nea tumbo. Puis nous en ressortons
Tel to neambo Et chantons à ta fenêtre
Desta mora. Alors que tu nous offres des miettes de ta main.

Vous aurez sans doute remarqué que la troisième strophe est beaucoup
plus longue que le Sumari original. Je n’ai aucune idée de comment une
telle longueur peut venir de quelque chose d’aussi court, mais ce que je
sais, c’est que le sens « supplémentaire » était contenu dans le Sumari.
Chaque strophe est en fait comme une pierre de Rosette, car chacune con-
tient différents niveaux de signification. Plusieurs niveaux sont imbriqués les
uns dans les autres, de sorte qu’il faudrait traduire chaque mot deux ou
trois fois pour obtenir le chant ou le poème « au complet ». Je crois qu’à
l’intérieur du Chant de la pensée-oiseau, et de beaucoup d’autres, se ca-
chent d’autres anciens chants qui n’attendent que d’être traduits.
En tout cas, je dois être dans un état de conscience tout à fait particu-
lier pour recevoir ces vers : il faut une concentration aigüe, avec une partie
de moi totalement passive et réceptive, pendant qu’une autre est dans une
écoute intense de messages semblant provenir de sous le son – du rythme et
de structures sonores inaudibles. Comme je l’ai déjà dit, parfois tout ceci
arrive trop vite, ou trop lentement, pour que je puisse suivre, mais habituel-
lement le vers se forme de façon relativement équilibrée. J’ai souvent la ra-
dio en fond sonore, du rock réglé au volume le plus bas. Je crois qu’incons-
ciemment je me sers de cette musique comme d’un marqueur de mon état
de conscience habituel pour commencer à « descendre » tous ces niveaux.
J’espère un jour écrire un livre entier de poésie sumari, avec des infor-
mations et études autour de mots et de structures que je maîtrise déjà. Cer-
taines données sont déjà claires. Les mots ou les noms changent selon leurs
relations. Par exemple, le mot poirier n’est pas le même selon les différents

70
aspects de l’arbre considérés, les relations du mot dans la phrase et de l’ob-
jet dans l’espace. En Sumari, les mots – les noms – disparaissent souvent
dans les verbes. Regardez :
Chant du poirier 10
Tul a frumage Le poirier pousse
Splendor a traum Depuis les douces profondeurs
Deliniage betum. De tes sentiments,
Ignor te a deus Enfoui au fond secret
Grim a frundi De ton être.
Glow in a tua Il pousse dans le silence
Sev er indo. De l’atome et du soir.
Tel r Il pousse dans la connaissance
Tel e o De ton ignorance
E nater um. Et ses bourgeons éclosent
Dans l’air pur du matin de la terre.
Le lo terume Le poirier se tient droit
La lay terum a Éblouissant et éclatant,
Silva en a durum Le fruit de ton amour
Mag dur in e a Arrivé à la vie,
Long de j de Don aux saisons
Marro. Du verger du ressenti,
Gr pa dejo nor. L’amour de l’atome
La ne sev silnor Multiplié.
De naje or day ney.
Deja a bonde Chaque feuille chante tes louanges.
Sevra nev andu L’air est ton souffle
Ignor ra france Qui fait danser chaque feuille.
Le a ray vetum. Comme ton amour grimpe
Taj ja na more Le long de ton épine dorsale
Splen de a moribus Et s’épanouit en syllabes
Grundi. Mespania Et en images,
O ne a fra bundi Ainsi ton amour s’écoule, invisible,
Meo. Par la fenêtre,
Le long des chemins creux
De l’air.
Say ja dor remi Ton amour envoûte les arbres
Vem erage soldi nesta Et les fait grandir
Gromage teri tom to a Et il sculpte les plantes vivantes
Is panita tor teritum Sans que tu le saches.
Sta veri ende Le poirier et tous les arbres
O nana par ser en dra Poussent
Ilna tor resteri Entransés par ton amour.
10
[Angl. Song of the Pear Tree.]

71
Teratum is ner o onta.
Le Chant du Poirier dit à sa façon la même chose sur la nature de la réa-
lité que l’enseignement de Seth, mais il le dit depuis une perspective com-
plètement différente, et il décrit notre environnement selon l’approche
d’un niveau de conscience différent.
Alors que je suis en train de taper ces lignes, je découvre certaines signi-
fications plus profondes du poème. « Tul a frumage » se traduit par exemple
par « Le poirier pousse ». Ici, « tul » signifie spécifiquement le poirier, mais
également un membre de son espèce, et se réfère également à d’autres
arbres fruitiers. Il faut considérer le mot dans sa connexion à « frumage »,
qui signifie littéralement « récoltant le soi de la terre 11 ».
Au premier vers de la deuxième strophe, « Le lo terume » est traduit par
« Le poirier se tient droit ». Ici, le sens littéral est : « la terre pousse sous
forme d’arbre et devient terre-debout-à-visages-de-poires », le mot poire
venant du ter de terume.
Il se passe la même chose derrière chaque mot de la traduction. Le
« Ignor te a deus » de la première strophe est traduit par « Enfoui au fond
secret de ton être », mais ce sens provient d’une traduction plus profonde
de la phrase. Littéralement, elle signifie « Dieux fermant les yeux », avec
l’implication que lorsque nous, en tant que dieux, fermons les yeux pour
nous reposer, nous rêvons « nos » vies, qui se vivent en oubliant la divinité
de nos moi. Notre être devient ainsi un secret pour nous-mêmes.
Avec le chant suivant, le Chant des Frères d’Argent, j’ai approché au
plus près, je crois, d’un des anciens chants, même si j’avais commencé à
l’écrire en état normal de conscience. J’étais partie pour écrire un poème à
Rob, mais à la fin de la première strophe, je suis passée au Sumari. À partir
de là j’ai reçu une strophe en Sumari, puis la traduction, puis une autre
strophe en Sumari, et ainsi de suite. Mais au milieu du poème, deux strophes
sont arrivées traduites sans le Sumari. C’est la seule fois jusqu’à présent que
cela s’est produit.
En lisant le poème aujourd’hui, je reconnais en lui une riche source de
significations intérieures. Chaque mot offre plusieurs ouvertures. Ce serait
trop long de révéler les « messages » cachés du chant, mais voici en tout cas
sa première traduction. Je transmets le poème exactement tel que je l’ai
reçu. Vous pouvez lire le Sumari et la traduction, ou uniquement l’anglais.
Mais les deux ensemble forment aussi un poème en soi.
Shrum Avaganda Vandita
(Au premier niveau, concernant Rob et moi, cela signifie Notre histoire
ensemble. Au niveau suivant, cela signifie le Chant des Frères d’Argent.)
Tu m’as prise pour le lit et le fourneau
Et tu as attrapé
Plus que convenu,

11
[Angl. harvesting earth-self.]

72
En tout cas comme nous le comprenions alors.
La magie a grandi autour de nos années
Telle une barrière d’argent,
À fermer ou à ouvrir.
Mais il y avait là, à sentir,
Un brillant cercle de silence
Qui bientôt allait parler
D’étranges langages.
Shu umba da lor
La umbi namuta
Maja ra mar
Del turanda. Wanda.
Surgissant autour de nous,
Des langues parlent comme des fleurs.
Le clair de lune frappe la terre nocturne
Comme un diapason. Écoute :
Avar unde
Norj alota nosbi
Grec torunda
Vre badeda
Lor de a nesta.
Jamais perdue, j’ai calmé
Mon effervescence,
Me suis cachée en des lieux argentés et agités,
À écouter ; imperturbable et pourtant
Intense dans mes silences.
Ster a lalita
Linga nor lorunda
Far inga tol laleta
Framunge telito.
Tu m’as amenée ici,
Sachant et ignorant,
Des enfants dans les sortilèges de nous-mêmes
Arpentant de secrètes forêts.
Stella unda
Muta ar araba
Aje manage marbimba
El varroom daje
Dans la connaissance des mots sacrés
Du temps où les bêtes
Les fleurs, les oiseaux et les rochers
Prononçaient chacun

73
Un alphabet
Rebarka munde
Del ar stel norba
Sha lor.
Et discutaient avec la terre
Qui répondait
En donnant naissance.
Cher amour,
Nous avons laissé
De vivants gribouillis dans les roches,
Des petits bouts de minuscules tissus,
Se faufilant dans des fentes inondées de soleil,
Pour finalement devenir
Des symboles fossilisés ; des alphabets
Qui moururent
Pour que puissent vivre les langues.
Toute cette histoire avant que
Nos crânes citadins
S’enrichissent
Du minerai de la mémoire ;
Des siècles superposés
De naissances et de morts ;
Existences miniatures.
Dépourvus de nom, nos tissus
Apparaissaient, disparaissaient.
Sha ma a leta
Lor manda torinda
Tel ja runde
Res nes patita
Tol inda.
Le soleil
Nous anime aujourd’hui comme alors.
Progressant le long de falaises ensoleillées
D’ossements, nous nous sommes éveillés,
Étonnés
De la lumière qui désormais
Divise nos entrailles.
For darambi
Tol arado fromabe
Marjor astare
Fromage
O borare

74
Gravunde.
Je parle
Et les syllabes réarrangent
Mes mondes ;
De petits fossiles
Se dressent et se tortillent telles des graines
Qui grandiraient en mots.
Gor shunda
Balika
Granunde
Gortalveri.
Les créatures invisibles
Que nous étions –
Les frères d’argent –
Parlent.
From a j stilla
Tor ande
T ej ande
De a no lel arg
Griming delmateo.
Sha veri
Silva tel a matita
Tur la vi de.
Escaladant les falaises
Entre les fleurs claires
Du crâne
Je devine un moi
Dans lequel, moi aussi, je me meus
Et suis incorporée,
Progressant le long d’une histoire
Pas encore racontée,
Pourtant toujours avec toi à mes côtés,
Et nous sommes des frères d’argent.
Je crois que les chants sumari racontent la naissance de la psyché telle
qu’elle est vue ou vécue à différents niveaux de conscience ; certains cellu-
laires, en tout cas chacun plus éloigné du niveau normal de conscience. Je
suis de plus en plus convaincue que l’âme, ou la psyché, quand elle rentre
en elle-même, trouve sa source, découvre ses significations et les traduits
en formes d’art, en structures religieuses et scientifiques, d’où le moi tire
sa propre vie – ou, dans des cas exceptionnels, d’où émergent des civilisa-
tions entières.

75
Je suis d’avis qu’à partir de mes expériences personnelles, ou de n’im-
porte quelles autres expériences comparables, nous pouvons retracer le che-
minement du moi depuis son apparition dans l’inconscient jusqu’à son ex-
pression consciente pour former ses relations, civilisations, religions, arts et
sciences. Je crois que ceci peut s’appliquer au développement de chaque in-
dividu, ainsi que refléter l’expérience de l’espèce dans son ensemble. En
termes historiques, nous choisissons à quel genre de métaphysique nous dé-
cidons d’adhérer, et nous aurions définitivement pu prendre d’autres che-
mins aussi valables que notre actuel christianisme occidental, voire peut-
être même supérieurs.
Mais quel que soit le regard qu’une culture porte sur la réalité, celui-ci
provient originellement d’une naissance psychique, et il agit sur le monde,
ou reste latent, en fonction de son élan originel, de sa puissance et de sa
force de conviction. Je pense qu’au moment où la structure conceptuelle
extérieure ne reflète plus les réalisations et les compréhensions psychiques
internes, cette structure sera rejetée. L’humain revient à ses visions et ré-
vélations, sachant instinctivement que seule la riche créativité de la psyché
peut apporter ces nouvelles intuitions qui, le moment venu, se rassemble-
ront en une organisation plus porteuse de sens.
La psyché est vivante. Il lui faut se débarrasser de ses vêtements usés
pour s’en fabriquer de nouveaux. Les anciens dieux ne meurent pas. Ils se
contentent de s’effacer et d’autres les remplacent. Mais les dieux sont aussi
les miroirs de la psyché. Mais qu’est-ce que la psyché, et jusqu’où s’éten-
dent son expérience individuelle et collective, son savoir, sa compréhension ?
Les réponses se trouvent dans la psyché elle-même, et dans les expé-
riences que nous en faisons. Les systèmes de croyance sont des reflets de la
connaissance de la psyché, traduits en organisations culturelles. Et n’im-
porte lequel de ces systèmes est une évidence pour la civilisation qui le
sous-tend.
Pour le dire brièvement, il me semble que je me suis détournée des sys-
tèmes de savoir généralement acceptés au moment où ils se sont révélés in-
capables d’expliquer mon expérience personnelle. En d’autres termes, les
sociétés font la même chose. Je crois que l’enseignement de Seth et le Su-
mari par exemple ont valeur de rectification dans ce sens qu’ils tentent de
modifier les tendances considérées actuellement comme croyances domi-
nantes.
Les deux, en stéréo, représentent des éléments de ma psyché où ils ont
leurs racines – Seth, l’enseignant à la forte présence, intellectuellement
plus libre que je ne le suis, exposant brillamment des théories dont j’avais
besoin en tant qu’individu, et dont a également besoin la société dont je
fais partie – et le Sumari, avec les qualités féminines telles que nous nous
les représentons, ramenant à l’avant-scène les allégories des anciennes prê-
tresses. Seth est du côté pratique. Il applique constamment les données
qu’il apporte à la vie quotidienne, et les utilise pour illuminer et réorganiser
les schémas du comportement normal.

76
Comme vous le verrez un peu plus tard, je crois que tout ceci implique
beaucoup plus de choses, mais pour l’instant je ne parle que de l’incons-
cient et de ses pouvoirs de transformation et de créativité.
La métaphysique sumari se révèle donc sous forme de poèmes et de
chants, déguisée en la traduction d’anciens manuscrits en langage moderne.
Derrière s’élabore un système de mathématiques de haut niveau – ou disons
plutôt que je suis en train de le recevoir. Ces informations sont d’ailleurs
déjà parvenues à Rob en Sumari, mais il n’a pas pu les traduire.
D’autres éléments sont encore en développement. Comme je l’ai déjà
mentionné, je reçois parfois des sons trop vite ou trop lentement pour pou-
voir les traduire. Mon système nerveux doit apparemment procéder à cer-
tains ajustements, ce sont des expériences à la fois amusantes et frus-
trantes. Ou bien j’ai l’impression d’essayer d’attraper un dialogue parlé à
une vitesse incroyable, ou alors si lentement qu’une phrase met un siècle à
se terminer. Mes essais de traduction de ce genre de matériau, parfois lors
de séances avec Seth, se sont soldés par des résultats mitigés.
Tous ces développements sont apparus, quasiment à leur pleine matu-
rité, en l’espace d’un mois. J’ai commencé à parler sumari en dormant,
ainsi que plusieurs de mes étudiants. Il m’est arrivé de sentir le niveau de
conscience du Sumari tôt le matin, alors je m’y raccordais, et je recevais et
traduisais trois ou quatre chants. Il y eut de nombreuses représentations en
sumari en classe, avec deux voix dominantes : une voix féminine et légère
et une voix masculine beaucoup plus grave.
Je raconte ces débuts du Sumari avec la distance apaisante de la rétros-
pective. À l’époque je me demandais quel pouvait être le but de cette
langue, et les implications du phénomène lui-même. Nous avons fait plu-
sieurs séances avec Seth à ce sujet (nous demandions à un niveau de cons-
cience ce qui se passait sur un autre). Au niveau conscient j’étais ravie de
cet afflux de créativité, et comme toujours, je prenais cet enrichissement
de la vie habituelle comme un signe de l’action bénéfique des événements
intérieurs.
Puis Seth a commencé à détailler et à expliquer le Sumari. Comme je lui
faisais confiance, je faisais aussi confiance à ses interprétations. Dans la
séance n° 599 du 8 décembre 1971, il compara le Sumari à un pont :
Pour ton travail avec moi, nous allons utiliser différentes méthodes d’enseigne-
ment. Il y aura des marches et des ponts.
Demander si un pont est vrai ou pas n’a aucun sens. Il existe. Il te conduit
quelque part. Un pont est une réalité valable, quels que soit son architecture, les
symboles qui y sont gravés, sa couleur ou le matériau dont il est constitué. Le Su-
mari est un pont, et en tant que tel il est valable. Il te conduira à l’utilisation des
sens internes, loin des limites des phrases toutes faites et du langage familier, déjà
chargé de ses propres connotations.
En ce sens, le Sumari est donc un pont ; une méthode de communication. Il est
le début d’un véhicule remanié de façon logique qui te mènera, espérons-le,
jusqu’au cœur même de la perception. J’espère qu’il te permettra en fin de compte

77
de vivre plus pleinement la connaissance intérieure qui se cache sous la perception
physique et sa traduction physique.
Un pont sert à aller et venir, il peut être utilisé dans les deux directions. C’est
de cette façon que le Sumari peut être utilisé comme une méthode pour t’emmener
plus loin dans la nature de la connaissance intérieure, puis te permettre de revenir
avec la traduction de ce que tu as appris ; une traduction cependant qui ne soit pas
automatique, en structures verbales stéréotypées. Cette langue bloquera de façon
très efficace toute traduction automatique de l’expérience intérieure en clichés.
Seth transmit ensuite un matériau très inspirant sur la nature des alpha-
bets en général et sur la naissance des langues. Je m’y pencherai sérieuse-
ment quand je commencerai à déchiffrer tout le Sumari qui s’accumule, sur
bandes et par écrit. D’une façon qui lui ressemble bien, Seth ajouta : « Le
Sumari sera utilisé comme un moyen d’élargir tes concepts, pas pour t’ap-
prendre à traduire l’expérience en une autre forme stéréotypée différem-
ment, qui serait juste un peu plus personnelle. »
Lors de la séance suivante, la 600e, il évoqua les sons du Sumari et leur
importance, différente de celle du sens donné aux différents mots.
Les tons et les sons utilisés dans cette langue ont leur propre signification, et à
leur manière ils représentent, ou pointent vers, des ressentis qui étaient largement
inconscients. Seulement c’est par les ressentis qu’on arrive à la connaissance inté-
rieure, et nous allons utiliser les sons pour nous mener vers des paysages intérieurs
où les objets et leurs représentations finiront par nous quitter. En d’autres termes,
nous utiliserons le langage pour finalement cesser de nous en servir. Ce sera les dé-
buts de méthodes légèrement plus profondes de travailler avec les sens intérieurs.
Dans cette séance Seth a également parlé des alphabets, et il a donné
les équivalents de quelques mots sumari : « shambaline évoque les diffé-
rents visages qu’adopte le moi intérieur au cours de ses différentes expé-
riences. C’est un mot qui fait référence à des relations d’une nature pour
laquelle il n’existe aucun terme dans votre langue ; shambalina garapharti
devient donc ‘les visages changeants de l’âme s’envoient des rires et des
sourires’ – tout cela dans une seule expression. »
Revenant aux valeurs phonétiques, Seth répéta que le Sumari avait une
structure, mais pas celle à laquelle nous étions habitués. « Une partie de
son efficacité repose sur la synchronisation de ses rythmes avec les rythmes
du corps. Les sons eux-mêmes activent des parties du cerveau que l’on
n’utilise ordinairement pas de façon consciente. C’est un langage discipliné,
en ce sens qu’il y a dans la spontanéité un ordre beaucoup plus marquant
que n’importe quel ordre que vous connaissez. »
Seth avait souvent utilisé le mot cordella, pour signifier une espèce d’al-
phabet-maître. Voici les précisions qu’il a apportées à ce sujet :
Les cordellas sont des symboles invisibles qui font surface. Ce faisant, par la
nature même de leurs relations, ils montrent l’univers sous une nouvelle lumière.
D’une façon très limitée les alphabets font la même chose, car une fois que vous

78
avez accepté certains symboles verbaux de base, ceux-ci imposent leur loi même à
vos pensées ... et projettent leur lumière spécifique sur la réalité que vous percevez.
Quoi qu’il en soit, les alphabets sont des outils qui donnent forme et direction à
la perception. Ce sont des groupes de relations que vous transposez sur la « réalité ».
Dans cette mesure ils façonnent vos conceptions du monde que vous connaissez.
Leur aspect discipliné et rigide est très lourd. Une fois que vous pensez à un
« arbre » en tant qu’arbre, il vous faut déployer des efforts considérables pour arri-
ver à le percevoir d’une façon nouvelle, en tant qu’entité vivante individuelle.
Les cordellas n’ont pas cette rigidité. Les rapports internes invisibles sont
libres d’apparaître, et la réalité se retrouve alors vue et reconnue par le prisme de
ces relations émergentes.
Seth creusa encore plus le sujet en affirmant qu’il existait des cordellas
du sens : « C’est comme si vous aviez des alphabets correspondant aux sens,
au toucher, à l’odorat. Les significations sont libres d’apparaître et de dis-
paraître alors que, selon vos idées installées sur le langage, les significations
sont attachées à l’expérience de façon rigide, de sorte que la perception est
contrainte de s’en tenir à des limites bien définies. »
À l’époque nous ne comprenions pas bien ce lien que faisait Seth entre
les cordellas et les sens (même si, plus tard, comme vous le verrez, nous
avons pu faire d’importantes corrélations). Mais le Sumari était-il vraiment
un langage, et si oui, selon quelle acception ? « Selon vos termes, dit Seth,
le Sumari n’est pas un langage, car au cours de votre histoire aucun groupe
humain ne l’a jamais parlé. Selon des termes différents, c’est un langage à
la base de tous les langages, et duquel ils prennent tous naissance. »
Selon vos termes, les alphabets ne changent pas, autrement vous n’en verriez
pas l’utilité. Les cordellas changent. Les alphabets sont l’aspect physique des cor-
dellas. C’est comme si un petit aspect d’une cordella était sélectionné et gelé, de
sorte que son mouvement habituel et le rythme de ses modifications ne seraient
plus reconnaissables.
La vie et la vitalité des cordellas naît du besoin qu’a l’univers de s’exprimer et
de se comprendre, de former des structures éternellement changeantes et de se sur-
prendre lui-même. Un langage structuré ne permet pas de telles surprises. On uti-
lise le Sumari en état de rêve. Le langage lui-même cherche ses significations. Il se
cache à l’intérieur de tous les langages, qu’ils lui ressemblent ou non...
Le Sumari se construit à partir de ressentis auxquels, en raison de leur nature,
les systèmes alphabétiques, spécifiques mais limitants, n’autorisent aucune expres-
sion claire. Il permet à la personne percevant d’avoir un accès plus proche à l’ex-
périence, ce qui, étant fait, dans une certaine mesure, lui permet de rester libre dans
les autres domaines.
Le dernier paragraphe de cette séance fut une illumination pour moi ; il
me permit de comprendre ce que voulait dire Seth par cordella, ainsi que
leur application dans le Sumari.

79
Si tu étais un artiste accompli dans plusieurs disciplines, tu pourrais traduire un
sentiment donné en un tableau, un poème, un morceau de musique, une sculpture,
un roman, un opéra, un grand monument d’architecture. Tu pourrais percevoir et
ressentir l’expérience à une plus large échelle, car ton expression ne serait pas limi-
tée par sa traduction automatique, sans possibilité de choix, dans un domaine parti-
culier. Et donc une cordella, contrairement à un alphabet, ouvre la voie à une plus
grande variété d’expériences et d’expressions.
Les cordellas représentent des relations jamais accomplies, en évolution cons-
tante, ne pouvant jamais trouver leur expression complète, et la cherchant constam-
ment.
Il est clair que cette expression multi-niveaux se retrouve aujourd’hui
souvent dans nos groupes, et je pense que cela a commencé environ au mo-
ment où Seth a donné cette séance. Il affirme quelque chose. Puis « j’entre
en Sumari », et un chant sumari exprime la même affirmation d’une ma-
nière différente. Souvent Seth fait des commentaires, et chaque expression
apporte différents aspects de la même chose.
Ces développements autour du Sumari et ce genre de séances se sont
poursuivis tout l’hiver de 1971 jusqu’au début de 1972. Je travaillais à ce
moment-là à mon autobiographie et à un livre au sujet de nos expériences
de groupe, et nous passions tous les dimanches avec la mère de Rob. Vers
fin janvier nous avons décidé que nous avions besoin de vacances, et en fé-
vrier nous sommes partis pour la Floride.
J’étais d’avis que j’avais vécu suffisamment de nouveautés pour remplir
une vie entière. Mais à notre retour, j’ai ressenti cette étrange agitation in-
térieure, cette série interne d’événements, déconnectée du quotidien mais
très claire, que j’avais appris à reconnaître. Il y avait encore plus. Mais plus
de quoi ?

80
9 – Surâme Sept et la naissance d’Aspects.
Il faisait anormalement froid en Floride cet hiver-là. Nous occupions un
petit bungalow au milieu d’une vingtaine d’autres, qui se partageaient le
terrain avec des caravanes ; un endroit pas vraiment de la dernière élé-
gance, mais pratique, qui accueillait des pêcheurs locaux et une équipe
d’ouvriers travaillant non loin sur le chantier d’un pont. J’avais emporté
mes manuscrits. Nous étions aux Florida Keys mais nous avions besoin d’un
chauffage d’appoint, et il faisait trop froid pour aller se baigner.
À notre retour à la maison, nous avons trouvé les restes d’une chute de
45 cm de neige. Deux de mes étudiants s’étaient installés chez nous pour
s’occuper des chats et des plantes pendant notre absence. La première chose
fut donc pour moi de tout reprendre en main pour que nous puissions de nou-
veau nous sentir chez nous. Quelques jours plus tard arrivèrent les premières
épreuves de Seth parle, et Rob et moi nous attelâmes aux corrections.
Dans la soirée du 13 mars, il faisait froid et le vent soufflait. Nous étions
en pleines corrections. Je levai les yeux vers Rob, frappée par le côté intime
de la scène : nous deux au travail, les chats endormis sur le tapis bleu, les
premières ombres du crépuscule. J’allai vers Rob et l’embrassai sur le front.
Ce faisant, je fus prise de la plus bizarre des sensations. Quelque chose
d’étrange se passait dans ma conscience, mais quoi ? Je fus tentée de ne pas
y prêter attention – nous avions beaucoup de travail – mais je me suis entraî-
née moi-même à être attentive à mes états subjectifs. Après quelques mi-
nutes, je fis part à Rob de mon ressenti.
Entre temps les chats s’étaient réveillés. Ils vinrent vers nous, avec l’en-
vie que l’on s’occupe d’eux. Rob suggéra qu’on les enferme dans la pièce
voisine pour que je ne sois pas distraite ; nous sommes donc allés vers le
grand salon, suivis par les chats. J’avais l’intention de les piéger, de les atti-
rer dans la pièce puis de fermer rapidement la porte derrière eux. Au lieu
de cela, je me dirigeai vers la fenêtre et jetai un regard distrait aux alen-
tours. Je me figeai sur place. Je voyais le carrefour, plus bas, dans une
clarté littéralement éblouissante ; comme si je ne l’avais jamais vu, ou
comme si je n’avais encore jamais vu aucun carrefour de ma vie. Toute la
scène pulsait d’une vitalité impossible à décrire.
Je ne pouvais pas détourner les yeux, et j’arrivais à peine à parler. Rob
comprit qu’il se passait quelque chose. Il alla chercher le magnétophone et
l’installa à côté de moi. J’y fis à peine attention. Quatre heures durant je
restai perdue, en extase, devant le spectacle : les quelques centimètres de
neige, les phares des voitures filant dans l’obscurité, les adorables petites
ombres, chacune gorgée d’une vie défiant toute description.

81
Mon estomac faisait un bond à chaque voiture qui franchissait la minus-
cule élévation juste sous les feux ; je n’avais encore jamais réalisé qu’il y en
avait une. Plusieurs fois je poussai un cri de surprise à la découverte d’une
nouvelle ombre, ou devant le mouvement inattendu d’un fil téléphonique.
Jamais je n’avais vu d’aussi brillantes couleurs, sauf deux fois lors de sorties
hors du corps. On aurait dit qu’auparavant le monde avait toujours été plat.
Là, les couleurs avaient des collines et des vallées, des profondeurs, des dis-
tances à l’intérieur d’elles-mêmes. De l’autre côté de la rue le terrain scin-
tillait ; la neige, comme une éponge vivante, absorbait tout. Quand des
phares balayaient cette neige vivante, je pouvais à peine le supporter.
Je ressentais comme une espèce de relation positive entre chaque voi-
ture qui passait – élastique, je pense ; je sentais les changements dans l’air
entre les voitures ; les modifications brusques, mais parfaites, quand une
voiture changeait de direction ; et l’unité de ce mouvement avec tous les
autres mouvements qui se passaient simultanément.
Mais le point culminant de l’expérience était concentré sur un morceau
de journal chiffonné poussé de-ci de-là par le vent. Je faisais cinétiquement
partie de ses envolées ; il m’était impossible sur le moment de décrire mes
impressions, mais cette sensation fit plus tard l’objet d’un poème. En obser-
vant le bout de papier, je ne pouvais que dire : « Oh… incroyable. » Mais un
jour, un an plus tard, alors que j’étais en train d’écrire, toute la scène me
revint ; et là j’avais suffisamment de distance pour pouvoir la décrire. Ces
trois strophes de Dialogues de l’âme et du moi mortel dans le temps 12 expli-
quent ce que je veux dire.
Le papier
Attends…
Je vois un morceau de papier
Dehors devant la fenêtre
Dans la rue.
Oh, regarde-le bouger,
Comme il chevauche les vagues du vent,
Dans l’attente d’un encore meilleur élan
Plongeant dans ou
Escaladant les collines scintillantes de l’espace
Et dévalant
Les pentes de la vallée.
Il atterrit près d’une ombre bleu sombre
Qui n’est pas plate du tout,
C’est en fait une créature douce et fraîche
Éveillée à la vie
Par le vent et la lumière de l’instant.
Oh ombre, brillante
Et sombre à la fois,

12
[Dialogues of the Soul and Mortal Self in Time.]

82
Combien précieuse tu es
Dans ce lumineux instant
De l’univers.
Et là, oh le papier bouge,
Je le jure, de son propre chef.
Il veut
Sentir la brise s’élever sous lui,
Avide de sa propre réponse.
Oh, regarde-le
Voltiger comme un papillon maladroit,
Battant des ailes,
Effleurant, mais pas tout à fait,
Le trottoir,
Et repartant,
En vertige, en délire,
Au milieu des crissements
De son ventre,
Des frottements muets
De l’air
Sur ses arêtes.
Si ce papier recommence,
Je pense que je vais mourir.
Je jure que je ne peux
Le supporter une seconde de plus
Ou alors je vais m’évanouir
À l’ensemble de mes sens.
J’ai écrit ce poème en état modifié de conscience, mais au moins les
mots correspondaient à l’inspiration. Dans l’expérience originale, les mots
étaient tellement inadaptés que toute tentative d’écriture m’aurait terri-
blement frustrée. Je me trouvais plutôt dans un monde où les mots
n’avaient aucune place.
Rob par exemple essayait d’obtenir quelque chose de sensé à enregis-
trer, et me posait régulièrement des questions. Ses questions n’avaient au-
cun sens pour moi ; c’est-à-dire que dans mon état de conscience elles ne
signifiaient rien. Je les comprenais, je comprenais les mots et leur sens,
mais cela ne s’appliquait pas là où j’étais. Tout ce que Rob a récolté, ce
sont quatre heures de « oh », « ah », « ouh » sur fond de respiration exaltée.
Pendant encore environ une semaine il m’arriva de me retrouver soudain
dans ce monde hyper réel, et de me sentir en faire partie. Je me sentais ré-
générée, et me demandais si cette expérience allait d’une quelconque façon
rejaillir sur d’autres aspects de ma vie. Quelques nuits plus tard, le 19 mars,
je me suis réveillée avec l’impression de sortir d’un rêve très fort, rempli
d’une nouvelle forme de créativité, mais je n’en ramenai aucun souvenir.
Après deux nuits la même chose se reproduisit. J’ai noté les deux incidents
dans mon carnet de rêves, puis je les ai oubliés.

83
D’abord mon éditeur, Tam Mossman, devait venir discuter la publication
du livre sur nos expériences de groupe. J’étais concentrée sur ce manuscrit,
qui n’était pas tout à fait terminé. J’essayais de lui donner forme, et il était
en tas sur mon bureau. En même temps je préparais un dîner pour lui et
quelques amis, et mettais un peu d’ordre dans l’appartement. Le 23 mars,
le jour où Tam devait arriver, je m’arrêtai un instant de tourbillonner dans
tous les sens pour épousseter mon bureau, quand quelques lignes émergè-
rent dans mon esprit. Je sursautai et j’écrivis :
Surâme Sept fit une grimace à Chypre et commença l’examen. « Voyons,
dit-il, en termes terrestres, pour faire une analogie, je suis un homme le
mercredi et le vendredi, une femme le dimanche et le jeudi, et j’ai le reste
du temps pour mes études indépendantes. »
Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? me demandai-je. Je mis le
papier de côté et poursuivis mes rangements. Environ une heure plus tard,
j’eus l’impulsion d’aller à mon bureau. Un peu perdue, j’y restai, debout,
un bon moment. Que voulais-je faire ? Mon manuscrit était rangé et prêt ;
Tam n’allait pas tarder ; il était temps de s’occuper du dîner. Et pourtant je
restais là, de plus en plus perplexe. Puis quelques phrases me vinrent à l’es-
prit, qui étaient visiblement la suite de ce que je venais d’écrire. Je les no-
tai en vitesse, avec deux pages supplémentaires.
Les lignes « arrivaient » apparemment de nulle part. Je me dis que cela
ressemblait au début d’un roman, ce qui était étrange : à ce moment-là rien
ne m’était plus étranger que l’écriture d’un roman ; toute mon attention
était fixée sur l’ouvrage concernant le groupe. C’était pour en discuter que
Tam venait. Mais ces fragments étaient intrigants, d’une certaine façon ; je
les ai donc montrés à Rob, puis je les ai sortis de mon esprit.
Tam arriva. Alors que nous commencions à parler du livre, il annonça
qu’à son avis, ce n’était pas le moment de publier quelque chose sur notre
travail de groupe. Seth parle n’avait pas encore paru, et nous devions nous
concentrer sur les ventes du Livre de Seth. De plus, tout en parlant, je me
rendais compte que je n’étais pas du tout satisfaite du manuscrit. Je n’arri-
vais toujours pas à expliquer de façon satisfaisante pour moi certains épi-
sodes vécus dans le groupe. (Le fait est que ce n’est qu’en commençant à
écrire Aspects et ce présent livre que j’ai été capable de traiter ce maté-
riau.) L’autobiographie que j’avais commencée n’était même pas encore
montrable. Apparemment, j’étais dans une impasse.
Quelques mots de Tam me rappelèrent les deux pages que j’avais gri-
bouillées un peu plus tôt. Ce fut Rob qui suggéra de les lui montrer ; en
riant je lui racontai donc ce qui m’était arrivé, et au lieu d’un joli tapuscrit
bien propre, je lui tendis deux pages imprésentables, intitulées L’éducation
de Surâme Sept.
Tam était intrigué. Tout en parlant, je réalisai avec excitation que
j’avais envie de revenir à la fiction, pour changer. Je ne voulais pas écrire
l’ouvrage au sujet du groupe – pas à ce moment-là, du moins. Pourtant, je

84
voulais à tout prix un contrat. Ces pages griffonnées étaient la solution à un
dilemme que j’avais consciemment essayé d’ignorer.
Quatre jours plus tard, j’avais écrit les trois premiers chapitres. Je
n’avais qu’à m’asseoir et les mots m’arrivaient aussi vite que je pouvais
écrire. Il était clair que le livre provenait d’un niveau de conscience diffé-
rent, même si je l’écrivais dans mon état normal. Toute tentative d’interve-
nir à partir d’un autre niveau gâchait tout. Par exemple quand j’essayais
d’améliorer un passage en le réécrivant, pour ajouter de la « profondeur »,
je perdais la force originale. Ou parfois je pensais qu’un chapitre devait se
terminer d’une certaine façon, et il se terminait autrement. J’appris à faire
confiance, à écrire ce que je recevais en laissant les choses se faire.
Le vocabulaire était très simple, mais précis. Au début je m’inquiétais
de l’aspect puéril de certaines scènes, mais au fur et à mesure que l’ou-
vrage avançait, je me rendais compte de leur qualité intrinsèque de bril-
lance et de cohérence.
Le livre débordait dans mes rêves. Je recevais des chapitres entiers en
rêve. Le matin je n’avais plus qu’à les écrire. Surâme Sept, le personnage
principal, finit par avoir pour moi sa réalité propre. Quand je m’installais
pour écrire, je lui demandais mentalement le prochain chapitre – et déjà il
était là ; aussi luisants et polis que des cailloux de rivière, les mots ruisse-
laient dans mon esprit. Je n’ai jamais « vu » Sept, et pourtant il était mer-
veilleusement présent et accessible. J’ai fini par lui demander son avis sur
plusieurs sujets personnels, et ses réponses arrivaient comme le livre, par
écrit. Je me sentais bien avec lui, et pendant un certain temps, en tout cas,
je ne me suis pas posé de questions sur la nature de sa réalité.
Sept était libre ! Personne n’allait lui écrire comme on écrivait à Seth,
en lui demandant de l’aide pour des problèmes personnels. Parce que… eh
bien, parce que Sept n’était qu’un personnage de fiction. N’est-ce pas ?
C’était plus que certain, et j’allais faire en sorte qu’il le reste. Mais pour
Chypre, le professeur de Sept dans le livre, c’était différent.
Je l’ai reconnue dès sa première apparition : c’était la personnalité que
je me sentais être quand je chantais en Sumari. En fait le livre, continuant à
s’écrire tout seul, décrivait une ancienne civilisation qui utilisait un système
mathématique que je connaissais déjà – c’était le même que celui que je re-
cevais en Sumari et que j’essayais de traduire. À certains endroits devaient
s’insérer des poèmes sumari. D’autres m’arrivaient au moment de les écrire.
Il était aussi question dans L’éducation de Surâme Sept des Speakers de Seth.
Pendant ce temps, je bénéficiais de la plus totale liberté créative et
psychique. Seth avait déjà commencé à écrire son propre livre, La nature de
la réalité personnelle, pendant nos séances habituelles. Mais chaque jour,
j’étais impatiente de retrouver Sept. Il était clair que l’histoire parlait du
temps simultané, et de la plus amusante des façons. Un jour je pouvais re-
cevoir le chapitre 10, et le lendemain le chapitre 5. Je ne savais jamais ce
qui allait arriver aux personnages. Si je savais où ils en étaient au chapitre,
disons, 19, je ne savais pas comment ils en étaient arrivés là parce qu’il me
manquait les chapitres 17 ou 18.

85
Mais dans notre temps, d’autres événements se faisaient leur place. Ma
mère était très malade. Elle vivait dans un autre quartier de la ville, et je
ne l’avais pas vue depuis des années. Ma tante m’informa de son état envi-
ron deux jours avant une conférence que je devais donner à un collège des
environs. C’était le premier engagement public que j’avais accepté depuis
très longtemps. J’en avais aussi accepté un second, programmé une semaine
après le premier. Les deux étaient organisés depuis des mois.
La première conférence m’a mise face au public le plus nombreux que
j’avais encore rencontré. J’avais été invitée par le doyen de la faculté de
philosophie. Cinq cents étudiants se pressaient sous la lumière crue de l’am-
phithéâtre. Comme toujours j’avais bien spécifié que je ferais une confé-
rence et répondrais aux questions, mais qu’il n’y aurait aucune séance avec
Seth. Cela me permettait de rester libre. Si Seth désirait « intervenir » et si
cela paraissait approprié, il pouvait y avoir un extra. En fait cela n’était ar-
rivé que deux fois, et chaque fois (c’était à la télévision) Seth s’était mon-
tré particulièrement pertinent. Seulement je suis écrivain, je n’appartiens
pas au monde du spectacle, et j’avais été très claire à ce sujet.
Comme je devais le découvrir, cependant, ce sympathique universitaire
à l’esprit si ouvert m’avait tendu un piège.
Apparemment tout accommodement et compréhension, ce professeur
avait truffé la salle d’étudiants munis de questions préparées, qui devaient
être présentées dans un ordre convenu. Chacune plus précise et critique que
la précédente. Comme il l’avait expliqué à ses étudiants lors d’une réunion
préparatoire, il fallait m’acculer au fond d’une telle impasse que je doive
avoir besoin de Seth – qu’importe qui ou ce qu’il était – pour m’en sortir.
Il était clair pour le professeur que ces questions pointues ne me laisse-
raient pas d’autre choix. Il avait encore pas mal à apprendre. De surcroit, il
avait trouvé amusant de demander à la moitié des étudiants de se concen-
trer le plus fort possible sur l’affirmation « Seth n’existe pas », pendant que
l’autre moitié m’enverrait des messages subliminaux m’enjoignant de laisser
parler Seth, prouvant ainsi au premier groupe qu’il avait tort.
Pendant le dîner avec ce courageux roi de l’intrigue, dîner auquel était
aussi présent un autre professeur, j’ai commencé à me sentir mal à l’aise.
Rob également. Nos hôtes bavardaient, en agréable collégialité, et il était
difficile de se concentrer sur la surface bien huilée des choses en ressentant
la fausseté de ce qu’il y avait en-dessous. Mais dès que je commençai à par-
ler devant les étudiants, et confrontée aux messages télépathiques contra-
dictoires, je devins furieuse. Le plus idiot des médiums aurait tout de suite
compris ce qui se passait.
Je n’étais pas consciente du contenu spécifique des messages, mais de la
charge émotionnelle et de la répartition générale du public. Je sentais aussi
que Seth n’était pas loin, et qu’il serait d’accord avec n’importe laquelle de
mes décisions. Je décidai de refuser. À la place, je plongeai dans un autre
niveau de conscience. Une espèce de douceur sumarienne m’envahit. Ma pa-
role n’avait jamais été aussi aimable. Je répondais aux questions avec une
aisance imperturbable. Bien sûr il y avait aussi dans la salle des personnes

86
qui ne faisaient pas partie de la mise en scène du professeur, et c’est sur-
tout à elles que je m’adressais. Plus tard, lors d’une réception, certains des
étudiants, penauds, m’avouèrent le tour qui m’avait été joué.
Une telle attitude n’est certainement pas représentative du corps ensei-
gnant dans son ensemble ; et de loin. Elle pointe pourtant vers ce que l’on
considère généralement comme étant la pensée intellectuelle critique – sous
son pire côté. Le véritable intellectuel, ou scientifique, a l’esprit ouvert. Et
j’étais particulièrement furieuse car je m’étais attendue, de la part d’un
professeur de philosophie, à une certaine curiosité envers les idées et les
philosophies, à un minimum de pointure intellectuelle et créative.
Lorsque j’étais moi-même étudiante et que je commençais à écrire, on
respectait au moins mes bonnes dispositions. « Tu as fait du chemin, ma
puce, pensai-je. Regarde ce qu’on pense de toi maintenant. » Et une fois
sortie de ma colère, je réalisai pour la première fois à quel point l’éduca-
tion officielle peut être limitante ; pas nécessairement ; et pas toujours non
plus.
Le second engagement était la semaine suivante. Ma mère était décédée
la veille, de façon assez inattendue. Nous venions de commencer le cours
d’écriture créative quand le téléphone a sonné.
Je ne pouvais rien faire, et j’ai donc tout de même fait le cours. Cette
conférence aussi était organisée depuis des mois, et j’aurais détesté déce-
voir toutes ces personnes qui s’étaient engagées. C’était à plusieurs heures
de route, et Rob et moi sommes donc partis de bonne heure le lendemain
matin.
Au niveau conscient, je n’avais pas prévu la mort de ma mère. Mais deux
nuits plus tôt j’avais fait un rêve, plutôt effrayant, où je me sentais tomber
en appelant à l’aide ; à mon réveil, je savais que ce rêve était le reflet de
l’expérience de quelqu’un d’autre. Ce matin-là, le récit entier du rêve ap-
parut dans le manuscrit de Surâme Sept, au chapitre racontant la mort de
Lydia, un des personnages principaux. Dans l’histoire, le rêve est celui de
Sept. Tout ce chapitre au sujet de la mort de ce personnage fut écrit la
veille de la mort de ma mère.
Nous étions début mai, et je pris un grand plaisir à cette sortie dans la
campagne. Tout était plein de lumière et de vie, depuis notre point de vue
de créatures, et je me demandais ce que pouvait bien être l’expérience de
ma mère de cet autre côté si étanche à notre vision.
Puis vint la conférence. Elle avait été organisée par une association
d’orientation religieuse. Je fus accueillie par des gens réellement désireux
de m’entendre. Leur désir de s’aider les uns les autres m’impressionna.
C’était des personnes sérieuses et de bonne volonté. Elles croyaient à la sur-
vie de la personnalité après la mort, et je leur en livrais la preuve la plus ré-
cente. Seth était un guide spirituel dans le sens le plus conventionnel du
terme ; un « bon » esprit qui me protégeait aussi des « mauvais » ; un être
spirituellement évolué, mais capable aussi de résoudre les problèmes per-
sonnels ; une combinaison d’ange gardien, de figure paternelle et d’un che-
valier éthérique dans son armure spirituelle.

87
Pour ma part, mes expériences avec le Sumari, ainsi que Surâme Sept,
avaient intensifié mon propre questionnement. Mais beaucoup de ces per-
sonnes ne voulaient pas que je pose de questions ; cela les mettait mal à
l’aise. Sainte, ou mystificatrice ? Tout en étant consciente d’exagérer un
peu, j’avais l’impression que mes expériences me mettaient d’office dans
une de ces deux catégories, selon les croyances de mes vis-à-vis. Pour moi,
ces deux interventions publiques représentaient les deux systèmes de
croyances opposés par lesquels sont généralement considérés les manifesta-
tions médiumniques. Sans savoir ce que j’allais faire concrètement, je savais
que je refuserais de travailler dans l’une ou l’autre de ces structures mentales.
Je pouvais dire aussi souvent que je voulais : « Écoutez, nous n’en sa-
vons pas assez sur la nature de la conscience ou de la réalité pour com-
prendre notre propre personnalité, alors ne parlons même pas de celle d’un
Seth », certaines personnes le considéraient comme quasiment tout-puissant.
Cette réaction me préoccupait beaucoup. D’autres parlaient de supercherie
inconsciente. Mon Dieu, pensais-je, certains perdent toute notion de bon
sens dès qu’ils ne comprennent pas quelque chose. Mais – j’étais moi-même
prisonnière de ces schémas, autrement ces confrontations ne m’auraient pas
atteinte à ce point.
Entretemps, j’arrivais au bout de Surâme Sept. Désormais ce n’était plus
seulement la nature de la réalité de Seth et de Seth Deux qui me préoccu-
pait, mais : à quel point peuvent être réels – selon nos propres termes – le
Sumari, Chypre et Sept ? Comment toutes ces expériences trouvent-elles
leur place dans un concept quelconque de la personnalité humaine ? Elles ne
le faisaient tout simplement pas ; en tout cas, pas pour moi. Non seulement
je parlais pour Seth et j’écrivais ses livres en état de transe, mais je parlais
et chantais en Sumari, j’écrivais et traduisais des poèmes en Sumari, et
j’écrivais Surâme Sept. J’utilisais et jonglais aisément avec au moins sept
niveaux de conscience différents. Il était certain que mon champ d’action
prenait de l’ampleur. Mais il fallait que mon monde conceptuel suive.
Combien d’heures j’ai passées à essayer de trouver des réponses que je
puisse accepter, je n’en sais rien. Mais fin juin j’avais terminé Sept, et
j’étais prête à taper la version définitive. Il ne m’avait fallu que trois mois
pour écrire le livre. Mon esprit y était concentré, et sur aucune autre ques-
tion, quand, un soir, je reçus exactement ce dont j’avais besoin – un nouveau
cadre, ou en tout cas ses prémices.
Je contemplais le manuscrit de Sept. J’avais eu un tel plaisir à l’écrire
que j’étais presque triste qu’il soit terminé. La minute d’après je repérai
une certaine accélération de conscience que je connais bien, et j’ai su qu’il
y aurait six autres Surâme Sept si j’étais d’accord. Le panorama général de
la série m’apparut. En un éclair je vis chacun des livres, de quoi il parlait,
et comment il s’insérait dans l’ensemble.
Surprise par ce nouveau matériau créatif, je prenais des notes aussi vite
que je pouvais quand je sentis ma conscience accélérer encore plus.
Quelques instants plus tard, Aspects était « né ».

88
En quelques clics, chaque donnée prit sa place. Je voyais Seth, Seth 2, le
Sumari, Chypre et Sept – et moi – comme des Aspects d’une entité, ou cons-
cience, unique mais multidimensionnelle. Trois heures durant, alors que
s’enchaînaient les compréhensions, j’écrivis ce que je recevais d’une grande
écriture embrouillée, où j’abrégeais les mots partout où je pouvais. Ce que
j’apprenais est en train d’émerger dans notre temps, puisque cette expé-
rience initiale contenait les germes de ce présent ouvrage.
Voici quelques extraits de ces notes originales, non éditées :
« Toutes ces personnalités doivent être considérées comme des Aspects
de l’entité, ce qui comprend ma personnalité, celle actuelle physique … à
partir de laquelle je regarde ces autres Aspects de moi-même, par une es-
pèce de fenêtre psychologique. »
« Je voyage par ma psyché, je l’utilise comme une fenêtre, ce qui sup-
pose, évidemment, le je supplémentaire qui se déconnecte du je habituel
pour effectuer le voyage. »
« Voyager ainsi par la psyché implique automatiquement voyager dans le
temps, qui est un autre genre de ‘structure’. »
« Seth, Seth 2, Chypre et Sept, tous sont donc des Aspects d’une seule
entité multidimensionnelle. Grâce à mes facultés je suis capable de me
brancher sur ces Aspects mieux que ne le feraient la plupart des gens, mais
ils représentent les ‘composants’ de la personnalité et les parties de notre
être qui existent hors de notre cadre tridimensionnel. »
« Des signes de ces Aspects apparaissent parfois dans le comportement
‘normal’ sous la forme d’émotions inhabituelles ou étranges, des produc-
tions créatives, des rêveries diurnes, etc. (On peut quelquefois les recevoir
par le Oui-ja, et ils sont alors souvent interprétés comme des guides, etc.) »
« Ces Aspects, quand je les ramène par ma fenêtre psychologique, sont-ils
automatiquement personnifiés par le riche terreau de la psyché ? Quelle rela-
tion une telle personnification peut-être entretenir avec l’Aspect original ? »
« Nos concepts habituels limitent tellement la compréhension que nous
avons de nous-mêmes qu’inversement nous limitons notre propre expérience
pour nous y adapter. Toute communication, tout signe provenant des As-
pects semble alors non naturel, surnaturel, ou des indications de maladie
mentale. »
« Un Seth faisant l’expérience d’une Jane penserait-il qu’elle est une
personnalité moins développée ? Peut-être. Mais il est possible aussi qu’il la
considère comme une personnalité au grand potentiel, devant être encoura-
gée de sorte que lui puisse, finalement, émerger dans le monde du temps. Il
serait moi dans mon actualité, et développerait des capacités lui permet-
tant plus tard de devenir lui. Il communiquerait avec moi dans mon présent
à partir de mon futur – son présent. »
« Notre plus grande conscience, notre ‘moi-source’, se plonge dans le
temps et en ressort, elle a d’autres existences dans d’autres dimensions, et
disperse des Aspects d’elle-même dans toutes les directions. Ces Aspects
sont vivants, actifs, mais latents en chacun d’entre nous, où leurs capacités

89
contribuent à former la matière de nos personnalités. Ici dans notre réalité
ce ne sont pas eux qui dominent, ils sont dans leur propre réalité, même si
c’est d’une manière que nous avons du mal à comprendre. »
J’ai fini ce soir-là par écrire plus de vingt pages de notes, dont je ne
viens de citer que les idées directrices. Certaines implications dont j’avais
l’intuition me donnaient le tournis, et en moi se pressait une foule de ques-
tions. Pourtant, en fin de soirée, j’avais un sentiment de triomphe. Enfin
j’avais trouvé mon chemin vers une théorie qui donnerait un sens à mon ex-
périence.
Si j’étais submergée par un immense flot de créativité, Rob et moi al-
lions bientôt être confrontés à une inondation d’un tout autre genre. Le soir
suivant, nous avons été frappés par l’ouragan Agnès de 1972. Je terminai de
taper Seth en plein chaos. Du premier étage Rob et moi contemplions le rez-
de-chaussée baignant dans plus de 30 cm d’eau. Il fallait faire bouillir l’eau
pour pouvoir la boire, nous n’avions plus de chauffage, ne pouvions plus
nous laver, et tout était couvert de boue. Enfouie sous la boue, notre voi-
ture semblait un monstre préhistorique.
Nous avons prêté une partie de notre appartement à un couple qui avait
été chassé du sien par l’inondation. Même Seth, qui venait de commencer
son deuxième livre, La nature de la réalité personnelle : un livre de Seth, a
dû attendre que nous puissions de nouveau retrouver notre intimité. Après
le retour à la normale nous avons repris les séances avec Seth, et régulière-
ment je sentais s’ouvrir mon canal vers Aspects ; je devais alors prendre
toute une série de notes arrivées de nulle part.
Entretemps, je me mis à avoir plusieurs expériences « psychiques » à la
suite les unes des autres. Certaines se produisirent alors que je suivais les
instructions données par Seth dans la Réalité personnelle. Tout a commencé
un soir quand je débutai une suite de poèmes intitulée Dialogues de l’âme
et du moi mortel dans le temps. Puis les poèmes se sont développés jusqu’à
remplir un livre entier ; souvent les questions que posait le moi mortel (qui
étaient mes propres questions, évidemment) trouvaient leur réponse par
une expérience « psychédélique », à laquelle l’âme apportait une explication.
Le livre ne fut pas plus tôt terminé que mon canal vers Aspects s’ouvrit à
nouveau, et en été 1973 je reçus le cœur de la théorie en différents états
modifiés de conscience. L’autre partie de ce livre va donc servir d’introduc-
tion à la Psychologie aspectale. Je la présente comme un cadre conceptuel à
l’intérieur duquel il est possible d’observer et d’analyser nos expériences,
intuitions, capacités psychiques, ainsi que nos plus fortes poussées créatives.
Pour moi, la Psychologie aspectale constitue une certaine vision de la
vie, et de la personnalité sous ses aspects physiques et non physiques. Il
s’agit bien sûr de ma propre version de la réalité, telle que je la vis à tra-
vers plusieurs couches de la psyché. Je ne la propose pas comme étant La
Vérité, mais comme un moyen de découvrir nos vérités.
Je ne présente pas Aspects comme un dogme, mais comme une possibi-
lité de couper court aux dogmes. En même temps, je vais le plus possible

90
éviter d’utiliser des expressions telles que « il me semble », ou « il en est
peut-être ainsi », ou d’autres du même genre. Il est évident qu’Aspect est la
façon dont je perçois la réalité.
Je vais introduire des termes nouveaux, peu nombreux, qui feront l’ob-
jet d’un glossaire en fin d’ouvrage pour plus de clarté. 13

13
[Voir l’édition anglaise.]

91
Seconde partie – Introduction à
la Psychologie aspectale
10 – Moi-source, personnalité de concentration
(ou particulaire), Aspects et personagrammes
Depuis l’au-delà des frontières du moi connu, les intuitions, la créati-
vité, les informations prémonitoires, les connaissances révélées, émergent
dans notre expérience. La nuit, nos rêves sont aussi des spectacles multidi-
mensionnels, où les moi connu et inconnu se rencontrent.
Le moi connu perçoit sa réalité de créature. Il concentre son attention
sur le monde physique, le reflet tridimensionnel de son type particulier de
conscience ; une conscience infléchie et filtrée par une lentille moléculaire.
Ce moi conscient n’est cependant qu’un aspect de notre réalité plus
vaste ; la partie qui plonge dans la connaissance terrestre. On peut l’appeler
la « personnalité de concentration 14 », car c’est par elle que nous percevons
notre vie tridimensionnelle. Mais elle contient aussi des traces du « moi-
source » inconnu, d’où elle ne cesse d’émerger.
Le moi-source est l’origine même de notre être physique actuel, tout en
existant en dehors de ce cadre de référence. Nous sommes la version ter-
restre de nous-même, magnifiquement ajustée à l’expérience du corps. La
conscience que nous connaissons est filtrée par des mécanismes de percep-
tions qui font partie intégrante de ce que nous percevons. Nous sommes les
instruments par l’intermédiaire desquels nous apprenons à connaître la
terre.
En d’autres termes, nous sommes des particules d’énergie s’écoulant de-
puis le moi-source dans la matérialisation physique. Chaque moi-source
forme un grand nombre de ces particules, ou « moi aspectaux », qui, en ve-
nant frapper la réalité tridimensionnelle, façonnent notre continuum espace-
temps. D’autres n’ont rien de physique, et existent dans des systèmes de ré-
alité totalement différents. Mais par l’expérience commune du moi-source
chaque moi aspectal est relié aux autres, et peut, jusqu’à un certain point,
tirer profit des connaissances, capacités et perceptions des autres Aspects.

14
[Angl. focus personality.]

92
Psychologiquement parlant, ces autres Aspects se manifestent dans le
moi connu en tant que traits de personnalité, caractéristiques et talents qui
nous sont propres. L’individu constitue la personnalité particulaire, ou de
concentration, formée à l’intersection du moi inconnu avec le temps et l’es-
pace. Nous pouvons suivre n’importe quel trait de notre personnalité, ou nos
émotions, jusqu’à ce moi-source, ou du moins jusqu’à la constatation de son
existence. Je crois que nous pouvons aussi utiliser les Aspects de ce moi-
source en nous pour élargir nos connaissances et expériences conscientes.
La personnalité humaine n’est pas fermée en impasse, elle n’est pas sta-
tique. En réalité, en tant qu’énergie individualisée et connotée psychique-
ment, personnifiée en créature, elle change constamment. Elle possède la
perception inhérente du moi-source, ce qui signifie qu’elle est dans une cer-
taine mesure libre du temps et de l’espace.
On peut se représenter le moi-source, ou moi inconnu, comme une en-
tité, une forme d’énergie personnifiée – une énergie qui se connaît elle-
même – qui se crée puis se perçoit par l’expérience, au fur et à mesure
qu’elle envoie constamment des « vagues 15 » d’elle-même dans l’activité di-
mensionnelle. En rencontrant notre système, ces vagues d’énergie forment
la « particule » individuelle, avec sa personnalité de concentration (ou par-
ticulaire). Les vagues énergétiques vont et viennent, à partir de et vers le
moi-source, dans une interaction constante.
Les personnalités de concentration individuelles – vous et moi – à leur
tour rechargent par leurs expériences l’énergie-source. Nos activités génè-
rent de nouvelles vagues d’énergie qui maintiennent entre elle et nous le
chemin ouvert ; des échanges bien installés, peut-être même mathémati-
quement calculables, actifs tout au long de notre vie ; latents mais pré-
sents, avant et après.
Ces courants et influences sont constants, mais nous pouvons consciem-
ment les accélérer, les diriger, actualiser délibérément une plus grande par-
tie du moi inconnu et de ses Aspects ; ce faisant nous ne faisons pas qu’ou-
vrir notre conscience personnelle, nous élargissons aussi les possibilités de la
conscience de créature généralement parlant.
Ce n’est qu’en reconnaissant notre origine multidimensionnelle que nous
pouvons commencer à comprendre notre vie dans le temps et l’espace. Uni-
quement de cette façon pouvons-nous commencer à comprendre nos expé-
riences psychiques, celles pour lesquelles ni la religion ni la science n’ont
encore trouvé de réponses adéquates.
Ces événements d’une qualité inconnue sont précisément ceux qui nous
apportent les plus grandes révélations sur l’existence du moi-source, mais
ce sont eux aussi qui illuminent notre état de créature, lui conférant le sens
d’une brillante concentration de conscience impactant et animant des
champs entiers d’énergie. Ces champs d’énergie restent latents, inutiles,
inexplorés et en friche jusqu’à ce qu’ils se retrouvent fertilisés par notre
conscience particulière, qui les transforme en réalité perçue.

15
[Angl. « waves », pouvant aussi se traduire par « ondes ».]

93
À un certain niveau maximum de concentration, l’énergie-source frappe
le champ tridimensionnel, s’élargit en un champ de maintenant, consti-
tuant, en termes terrestres, notre « zone de vie 16 ». (Fig. 1)

Fig. 1
Le point d’intersection entre le moi aspectal et la zone de vie forme la personnalité
de concentration, l’aspect terrestre du moi-source dans notre temps.

Ce « maintenant » se passe à un certain « point » à partir duquel notre


expérience se répand dans toutes les directions. En tant que créatures ce-
pendant, nous ne prenons conscience que de l’extension horizontale « de-
puis ici jusqu’à là-bas » telle qu’elle apparaît dans le temps.
Mais à chacune des extrémités, naissance ou mort, la concentration se
trouve un peu brouillée en raison de l’angle d’intersection ; et étrangement,
je crois que notre présent génère notre futur ainsi que notre passé ; que
notre expérience s’étend constamment à partir du point « maintenant » de
l’intersection pour former notre perception du passé et du futur (dans les
deux directions depuis le point d’intersection). En raison de notre réalité
corporelle, nous expérimentons d’abord la naissance puis ensuite la mort,
mais il se peut que cela ne concerne que de loin le phénomène en soi.
Lorsque nous avons bien compris tout cela et que nous nous plaçons en
imagination à ce point d’intersection, nous pouvons sentir notre énergie im-
médiate, nous redresser et percevoir notre pure réalité vivante telle qu’elle
émerge en nous, maintenant. Au lieu de cela, nous pensons généralement
qu’il nous a été donné à la naissance une certaine quantité d’énergie, qui se
trouve totalement utilisée au moment de la mort sans avoir été renouvelée
entre les deux.

16
[Ang. living area.]

94
D’une certaine façon, il se peut que les Aspects demeurent en orbite au-
tour du moi-source tout en en faisant encore partie. Imaginez une Grande
Roue multidimensionnelle dont chaque section représente un moi aspectal.
Comme notre « nacelle » approche du sol, nous devenons cet Aspect qui
entre en contact avec le continuum espace-temps, et la vie démarre. Mais
cette Grande Roue bouge dans toutes les directions, et ses rayons sont des
vagues d’énergie en mouvement constant, reliant les Aspects à la source
centrale. Chaque position est une intersection avec une réalité différente
dans laquelle, à son tour, elle s’immerge. À leur extrémité les rayons bour-
geonnent en moi aspectaux, par l’intermédiaire desquels l’entité perçoit
différentes sortes d’existences (qu’elle crée aux intersections). Chaque moi
aspectal est relié à sa source et à tous les autres moi aspectaux.
L’expérience de ces vies séparées enrichit et modifie le moi-source, qui,
à son tour, génère de l’énergie nouvelle. Chaque moi aspectal est une entité
en miniature (ou un moi-source en miniature), qui émet ses propres rayons –
des Aspects de lui-même – vers des dimensions « inférieures ».
Mais à l’intérieur des dimensions de leur existence, les Aspects jouissent
d’une liberté complète. Leur expérience n’est ni prédestinée ni prédétermi-
née. Leur nature particulaire définit à la fois leur liberté et leurs limita-
tions, car c’est la concentration de l’énergie-source en particules (forcé-
ment limitées) qui forme l’identité individuelle, l’empêchant ainsi, dans une
certaine mesure, d’utiliser le plein potentiel de l’entité, qui ne peut s’ac-
tualiser entièrement dans aucun système.
De notre point de vue, la particule est le corps physique, avec sa person-
nalité de concentration immergée dans la vie tridimensionnelle. Mais la par-
ticule est formée de vagues, puisqu’elle a été formée à l’intersection de
vagues énergétiques avec ce champ. À la mort, la particule se désagrège,
car elle n’est plus illuminée, ou animée, par les structures ondulatoires qui
contiennent nos mémoires et le potentiel pour l’expérience terrestre.
Pour le redire : chaque moi aspectal contient des traces de tous les
autres, qui font partie du même moi-source. Psychiquement nos personnali-
tés sont composées de traces du moi-source, qui nous apparaissent comme
nos caractéristiques propres. Nous pouvons nous concentrer sur seulement
quelques-unes d’entre elles, qui deviennent alors nos intérêts et capacités
officiels. Mais d’autres, inconnus, méconnus par nous, sont appuyés par les
moi aspectaux, chez qui nos intérêts principaux ne sont que latents, ou de-
meurent à l’état de potentialités.
Cependant comme les autres Aspects vivent dans une réalité différente,
nous « matérialisons » ces traces de capacités ou de traits de personnalité,
qui apparaissent alors en nous comme des versions terrestres de tendances
qui peuvent avoir, dans leur état originel, une tout autre apparence.
Tous ces Aspects, ou traces du moi inconnu, se comportent comme les
composants de base de la personnalité entière. Dans la plupart des cas et
des circonstances, ils se fondent si harmonieusement dans la formation de la
personnalité qu’ils demeurent invisibles et non perçus. Dans notre société

95
en tout cas, ce n’est que devant l’éruption d’une activité psychique inhabi-
tuelle que nous commençons à entrevoir ces parties fondamentales du moi
que nous connaissons.
Une partie du moi inconnu, et même si ce n’est qu’une trace, se dresse
devant nous pour nous affronter. Dans de nombreuses expériences psy-
chiques, la personnalité peut aussi montrer la manifestation d’un moi aspec-
tal, et pas seulement des traces – et même une forme isolée, comme dans le
cas de Seth – en tout cas en pleine lumière et avec des contours bien défi-
nis. Souvent ces Aspects provoquent des expansions de conscience, de sorte
que des capacités psychiques ou artistiques peuvent être réactivées.
Je pense que ces moi aspectaux sont dans une certaine mesure en lien
avec les archétypes jungiens, de même qu’avec les concepts grecs de muses
et de démons. À eux tous, ils contribuent à former la personnalité telle que
nous la comprenons. Encore une fois, ces composants de base représentent
d’autres moi aspectaux, fonctionnant dans d’autres réalités que la nôtre, et
dont chacun peut être isolé ; nous pouvons ainsi nous y raccorder, mettre
l’accent sur lui, utiliser ses capacités particulières pour enrichir notre per-
sonnalité en mettant en lumière la source de son être.
Notre interprétation de l’ego et de l’intellect a servi à limiter la fonction
claire de l’intellect et à freiner l’ego, dont je pense qu’il est par nature
beaucoup plus souple que nous l’imaginons, dans son rôle de chef d’orchestre
de ces Aspects dans leurs interactions à l’intérieur de la personnalité.
Au lieu de cela, nous n’avons attribué à l’ego qu’une seule et unique
fonction, celle de diriger la concentration physique. Nous croyons devoir
nous en débarrasser pour explorer des états modifiés de conscience, au lieu
de le considérer comme un tremplin pour ce genre d’activités. Que les exer-
cices de conscience soient faits avec ou sans drogue, nous nous figurons sou-
vent que nous devons mourir à nous-même pour pouvoir nous trouver.
En fait, l’ego a deux fonctions. Indépendamment du fait de diriger la
concentration physique, il reçoit aussi d’autres perceptions – quand on le lui
permet ; quand nos religions et nos craintes culturelles ne nous en empê-
chent pas. Quand l’ego remplit cette fonction, nous considérons habituelle-
ment qu’il n’est pas dans son état normal. Il est donc rare qu’on lui per-
mette d’assimiler, ou d’organiser, les données internes, ou de les relier à
l’expérience ordinaire. Nous ne lui laissons aucune chance de le faire.
En d’autres termes, l’ego peut aussi se servir de ses propres capacités
pour regarder vers l’intérieur, relier les expériences psychiques et l’activité
psychédélique qui resteraient autrement intraduisibles. Seulement plutôt
que d’encourager de telles tendances, nous jugeons l’ego comme étant ri-
gide et inflexible. L’enseignement de Seth insiste sur cette souplesse, en
particulier dans La nature de la réalité personnelle, et ma propre expé-
rience la confirme. L’ego, en tant que le « Je » inconnu, peut entrer en con-
tact avec d’autres Aspects du moi-source.
Reconnaissons-le, cette rencontre est opaque. Mais des passages entiers
de la Psychologie aspectale ont été écrits en états modifiés de conscience,
au cours desquels je n’ai absolument pas vécu mon ego comme quelque

96
chose d’inférieur. Il fonctionnait simplement autrement. En fait, c’est
presque toute la seconde partie de ce livre qui a été écrite dans cet état.
J’écrivais sans avoir la moindre idée du mot qui allait suivre celui que je ve-
nais d’écrire. Je ne réfléchissais pas, je ne pensais même pas, au sens ordi-
naire de ces termes. Je me contentais de noter ce qui arrivait depuis
d’autres niveaux de conscience. Je m’asseyais, j’allais chercher en moi ce
que j’appelle mon « canal Aspects » et j’écrivais les mots qui apparaissaient
au niveau de mon état de veille habituel. Je buvais du café, je fumais, et
souvent, j’écoutais du rock à la radio. Du point de vue de l’ego j’étais tota-
lement présente, mais une partie de mon champ de conscience était bran-
ché sur une station particulière, et dans une certaine mesure, se fondait en
elle. C’est comme être installé au seuil de soi-même.
Les chapitres 1 à 8 en revanche ont été écrits de façon plus normale, car
je racontais des événements qui s’étaient déjà produits. La majorité des
données concernant les Aspects eux-mêmes venait d’autres plans. Mais pen-
dant qu’elles m’arrivaient, mon intellect travaillait magnifiquement, auto-
matiquement, en harmonie avec les intuitions plutôt que les freinant. Par
moments mon corps était complètement détendu, mon mental passif, mais
centré. Il m’arrivait de partir dans des rêveries, alors je réajustais ma con-
centration, pour conserver ce délicat équilibre. Mais l’ego n’était pas laissé
de côté. Bien au contraire il participait activement, même s’il était en « po-
sition de veille ».
Dans une certaine mesure l’ego peut changer de place, volontairement ;
c’est ainsi qu’il procède pour augmenter ses connaissances.
Mais l’ego n’est pas un bien que nous devrions protéger à tout prix. Il re-
présente simplement une certaine concentration de la conscience, la plus
familière, celle que nous acceptons le plus facilement. Voyons ce qui lui ar-
rive lorsqu’il entre dans le champ d’un moi aspectal. Cette description n’est
qu’une représentation de ce qui pourrait éventuellement se passer au cours
d’une transe médiumnique d’un type ou d’un autre, et ne doit absolument
pas être généralisée. Nous reviendrons ultérieurement sur le sujet pour
l’aborder depuis une perspective différente.
Redisons-le, la personnalité de concentration représente l’Aspect de
l’entité dans notre temps, le morceau d’elle perçu dans nos dimensions, son
côté tridimensionnel. Il serait impossible à un objet multidimensionnel d’ap-
paraître pleinement dans notre monde. Certaines parties en resteraient invi-
sibles pour nous. C’est la même chose pour l’entité, ou moi-source.
Au cours de… appelons cela une transe de Seth, ma personnalité de con-
centration perd volontairement sa focale, passe par une espèce d’accéléra-
tion qui la rend floue et, à des degrés divers, revêt les caractéristiques d’un
autre Aspect de l’entité, et les met à portée de se manifester par l’intermé-
diaire du médium physique. Elles apparaissent sur la personnalité désali-
gnée, transposées sur son riche substrat psychologique plutôt que sur un
écran.
L’Aspect manifesté est lui aussi plus ou moins flou. Il lui a fallu se déco-
der lui-même et émerger de son champ d’origine « à l’autre bout de la

97
ligne ». On pourrait l’appeler l’Aspect « donnant », et le champ désaligné de
la personnalité habituelle serait alors appelé l’Aspect « recevant ». Il existe
ici pour le moins une corrélation avec ces « pièges » dont parlent les physi-
ciens, dans lesquels on extrait les propriétés des électrons, ou on les met
dans un état instable.
Une situation similaire, un piège, ou un nid psychologique, est mise en
place par la personnalité désalignée qui attire ainsi d’autres propriétés élec-
tromagnétiques que les siennes propres. En se désalignant, la personnalité
trouble son champ d’activité et le place juste assez en déséquilibre pour
peut-être avoir besoin momentanément d’autres propriétés – en se privant
volontairement de certaines, elle doit aller en chercher d’autres.
Seulement, tout comme pour le piège à électrons, le champ de la per-
sonnalité n’accepte que certaines valeurs. Les physiciens essayent d’ « ali-
menter » ces pièges avec différentes sortes de propriétés, sans savoir pour-
quoi certaines sont acceptées et d’autres non.
J’ai dit que la personnalité, après s’être désalignée, ou avoir perdu sa
concentration, attire d’autres Aspects de son entité (l’entité, ou moi-
source, et ses Aspects appartiennent tous au même champ multidimension-
nel), mais cela ne veut pas dire que seuls les Aspects « les plus proches »
soient capturés. Il se peut que des variables cachées, électromagnétiques
tout autant que psychologiques, soient déterminantes dans le choix des As-
pects qui pourront prendre place dans le champ désaccordé.
L’Aspect venant de l’autre dimension doit se retrouver superposé à la
personnalité qui le reçoit, qui elle-même doit être suffisamment décentrée
ou désalignée pour que la juxtaposition puisse se faire.
Étant donné que tout ce qui dépasse la réalité tridimensionnelle est plus
grand que la vie telle que nous la vivons, n’importe quel aperçu que nous
puissions en recevoir, quelle que soit sa force, ne peut être qu’une trace ou
un symbole de sa plus vaste existence.
Lorsque de telles traces, surimposées au champ désaligné de la person-
nalité de concentration, sont perçues sous forme de caractéristiques de la
personnalité, on peut dire qu’elles forment des « empreintes d’Aspect » ;
des messages écrits dans la psyché, comme par exemple ces messages écrits
par le vent dans le sable.
Les gribouillages sur le sable ont du sens, même s’ils peuvent sembler
n’en avoir aucun. Quelqu’un sachant les déchiffrer peut en apprendre la di-
rection du vent, son origine et sa vitesse. Si le vent dépose des particules de
sable ne provenant pas du sol originel, l’analyse de celles-ci peut aussi nous
renseigner sur la nature du sol sur lequel le vent a soufflé.
En ce qui concerne la psyché, on peut comparer les traits de personna-
lité étrangers qui se manifestent lors de certaines transes à des grains de
sable transportés d’un endroit à un autre, ou à des apports psychologiques
multidimensionnels, dessinant des traces étranges sur la personnalité de
base. Ces empreintes aspectales, dans leur ensemble, constituent la person-
nalité de transe à laquelle, dans ce contexte, on peut donner le nom de
« personagramme ».

98
De la même manière qu’un télégramme est composé de symboles qu’on
appelle des mots, le personagramme est composé d’empreintes aspectales
qui, ensemble, se combinent pour former le message. Seulement ce message
est écrit « sur » une structure psychologique par des symboles psychologi-
quement animés. En soi un télégramme est inerte ; il est le support de l’in-
formation, mais il ne peut ni envoyer un message ni interpréter celui qu’il
porte. Un personagramme le peut.
Précisons un peu plus : l’apparence du personagramme (ou de la person-
nalité de transe) est le message, et les caractéristiques de personnalité ma-
nifestées sont les empreintes aspectales (comparables aux mots du télé-
gramme ou aux traces sur le sable). Mais ces empreintes-là sont chargées
par la psyché et se constituent en une personnalité vivante (et non, par
exemple, en dessin d’un visage sur le sable), disposant de notre mode d’ex-
pression, ou de ce qui s’en rapproche le plus. Le personagramme représente
certains Aspects de l’entité « trop grands » pour entrer dans notre structure
habituelle – et transposés sur, ou dans, le champ désaligné de la personna-
lité réceptrice.
Ces empreintes aspectales psychiquement chargées forment la personna-
lité de transe. Mieux la personnalité de concentration arrivera à flouter les
contours de son champ, plus claire sera la perception du personagramme.
Le personagramme est donc une structure électromagnétique et psycho-
logique, existant potentiellement sous certaines conditions. C’est une per-
sonnalité-pont, un être psychologique unique équipé de façon à pouvoir opé-
rer entre différents systèmes de réalité, mais dont la source peut parfaite-
ment se trouver totalement en dehors du système tridimensionnel. Il consti-
tue effectivement une matérialisation psychologique, mais qui dépend pour
sa manifestation physique de la personnalité réceptrice, avec laquelle il se
fond plus ou moins.
Lorsque la personnalité habituelle perd sa concentration et trouble son
aura, lorsqu’elle réduit ou affaiblit ses propriétés électromagnétiques, elle
retire de ce fait sa propre charge, sa « marque », de cette partie de son
champ identitaire. Cette partie peut ensuite être chargée des données qui
ne lui appartiennent pas, les empreintes aspectales.
Le personagramme « prend vie », comme nous disons – ou pénètre notre
genre de vie – lorsqu’il se mélange avec le type de notre structure de vie et
se retrouve imprimé dans notre champ psychologique. Sinon il reste latent.
Sous les auspices de la personnalité réceptrice, le personagramme doit être
« interprété » ou vécu comme un message hautement individualisé et com-
plexe.
Seth serait par exemple un Seth modelé par l’intermédiaire de Jane ;
pas forcément la version de Jane de Seth, mais la version Jane de Seth. Un
tel personagramme aurait une plus grande connaissance que la nôtre, ou au
moins une connaissance d’autres genres de réalité que celui qui nous est fa-
milier, mais il lui faudrait passer par la structure du receveur.
Le personagramme est donc une personnification multidimensionnelle
d’un autre Aspect de l’entité ou moi-source, exprimée par l’intermédiaire

99
du médium. (Je ne parle pas ici de l’habituelle communication entre les vi-
vants et les morts, mais de personnalités de transe comme Seth.) Je ne veux
pas dire par là que la personnalité de base ne fasse que réagir à des infor-
mations reçues psychiquement, qu’elle les mette en scène, comme un ac-
teur. Il s’agit bien plus du fait que par son décentrage, la personnalité ré-
ceptrice permet à ces autres forces d’agir sur sa psyché et de former leurs
empreintes aspectales, ou structures de personnalité, formant le persona-
gramme, les transposant ensuite sur son propre champ psychologique où elle
peut les percevoir et les vivre.
Ces forces, ou « particules » chargées, une fois atteint le champ du rece-
veur, se rassemblent. Je ne crois pas que ces empreintes aspectales puissent
se manifester hors de leurs systèmes si elles ne sont pas attirées par des
croyances ou des intentions de la part du receveur. L’intention, psycholo-
gique et émotionnelle, entre en contact avec des conduits électromagné-
tiques préexistants, que nous les utilisions ou non.
Fondamentalement ces systèmes sont ouverts et reliés, tous les Aspects
d’une entité ou moi-source partageant un champ identitaire global. La per-
sonnalité actuelle ne prend d’autres réalités que les données sur lesquelles
elle désire travailler, car il lui faut d’abord être concentrée sur son système
à elle. Celui-ci concerne prioritairement la transformation de l’énergie en
forme physique, selon les intentions mises en place par les idées et les
croyances.
Étant donné que l’entité, ou moi-source, a de nombreux Aspects, on
peut considérer le personagramme comme n’étant finalement lui-même
qu’une grande empreinte aspectale d’un personagramme encore plus grand.
(Puisque les empreintes aspectales représentent les traces d’autres Aspects
de l’entité.) Un personagramme tel que Seth ne représenterait qu’une fa-
cette de l’entité ; un seul Aspect multidimensionnel parmi de nombreux
autres ; une caractéristique de la nature d’un genre d’entité que nous
sommes à peine capables de comprendre.
Il faudrait donc de nombreux personnagrammse pour déployer toutes les
facettes de l’entité, ou tracer un schéma de ses caractéristiques ou de ses
intentions. En théorie, un tel schéma fournirait comme une carte multidi-
mensionnelle psychologique et psychique de cette autre sorte de réalité
dans laquelle l’entité, ou moi-source, a son existence.
Dans mon cas personnel, Seth, Seth 2, Surâme Sept, le Sumari et Helper
pourraient représenter les premières étapes de la formation de cette sorte
de schéma ou de représentation graphique et vivante. Même alors, il fau-
drait envisager certaines limitations car ce personagramme devrait passer
par le filtre de ma psyché – qui évidemment serait un autre Aspect de la
même entité, vivant dans notre monde.
Même si je dis que ma personnalité se « désaligne », elle n’est pas mise
de côté durant une transe avec Seth ; elle adopte volontairement une autre
position – je me mets volontairement dans une autre position psychologique

100
car je veux apprendre. « Ma » concentration habituelle de conscience se re-
trouve en périphérie pendant qu’ont lieu certains ajustements psycholo-
giques et psychiques.
Je crois que ce sont les plus intimes des dynamiques de l’être qui sont ici
en jeu. Je parlerai plus tard de l’indépendance, de l’origine et de la nature
de ces Aspects – indépendamment de la perception que nous avons d’eux.
Pour l’instant, contentons-nous de dire que pour moi ils sont mobiles, en
changement permanent, et qu’ils contribuent à notre identité et à notre
unicité par la banque vivante de données dont nous tirons nos caractéris-
tiques et nos capacités.
Dans mon cas personnel, j’apprends à isoler ces Aspects à un certain de-
gré, mais je crois aussi qu’ils sont fermement enracinés dans l’intégrité du
corps, et qu’ils s’expriment constamment de façon tout à fait naturelle dans
le monde de la perception. Au moins une partie de cet ouvrage concernera
l’interaction normale de ces Aspects avec nos vies, et apportera quelques
méthodes d’utilisation dans le but d’élargir notre champ d’expérience et
notre conscience.
Car notre présente personnalité représente certains Aspects d’une cons-
cience bien plus vaste, dont notre conscience individuelle n’est qu’une par-
tie, même si elle reste pure en elle-même. Notre personnalité se compose
d’autres Aspects, chacun dominant dans d’autres réalités. Je crois que ces
Aspects relient les parties physiques et non physiques de notre être ; l’âme
et le corps ; les éléments connus et inconnus de notre expérience.

101
11 – Aspects-sources fondamentaux
Les Aspects-sources fondamentaux sont de puissants centres de force,
les principaux noyaux de la personnalité ; ils contiennent la plus grande par-
tie de l’énergie-source sous une forme facilement accessible. Ils sont géné-
ralement psychologiquement invisibles, mais représentent une des plus
grandes forces de la personnalité de concentration, car ils ont de puissantes
capacités organisatrices et fonctionnent comme facteur d’équilibre. De tels
Aspects-sources fondamentaux représentent la plus grande concentration de
l’énergie-source ; ils fonctionnent comme centres de la personnalité de con-
centration en utilisant des capacités multidimensionnelles, puisqu’ils n’ont
pas besoin de se concentrer sur la vie corporelle. Ils peuvent aussi accélérer
le flux de l’énergie.
Mais en tant qu’Aspects-sources fondamentaux, ils représentent aussi
dans la psyché des moi aspectaux vitaux, fonctionnant dans d’autres sys-
tèmes de réalité tout en se maintenant ici sous forme de solution, ou en
suspension. Ils sont dans leurs propres systèmes des personnalités de con-
centration dominantes, là où nos propriétés ne sont que « latentes ».
Je pense que le moi-source crée une foule de champs d’actualité, ou
systèmes, existant simultanément, éclaboussant ou se répandant dans
toutes les directions possibles, de sorte que les Aspects-sources fondamen-
taux dans la psyché ne sont que les reflets de moi-aspectaux existant dans
des dimensions supérieures à la nôtre.
Une fois activés – comme Seth – il leur faut, pour communiquer, passer
par le matériau psychique de la personnalité de concentration. Pour se ma-
nifester, ils doivent correspondre aux idées que nous nous faisons de ce
qu’est une personne, alors que les conditions de leur réalité peuvent être
radicalement différentes des nôtres.
Je crois que c’est ce que j’ai toujours senti à propos de Seth. Pas que je
n’aie pas eu confiance dans sa personnalité, mais je sentais qu’il était la
personnification de quelque chose d’autre – et que ce « quelque chose
d’autre » n’était pas une personne dans le sens que nous donnons à ce
terme. C’était, pour moi, une conscience différente de la mienne, mais ap-
peler Seth un esprit guide, une personne non physique selon l’expression
consacrée, ne me convenait pas.
Mais, étrangement, je sentais qu’il était, ou représentait, encore plus
que cela ; que sa réalité psychologique dépassait les mondes d’une manière
que je n’arrivais pas à comprendre. Je percevais une dimension multidimen-
sionnelle de la personnalité que je ne pouvais pas définir.

102
Seth en tant qu’Aspect-source fondamental 17
En tant qu’Aspect-source fondamental Seth représente une conscience
multidimensionnelle reflétée par mon expérience ; une partie profonde de
la structure de ma psyché, mais aussi la personnification délimitée d’une
conscience transcendant les mondes et les réalités, dépassant probablement
nos concepts actuels de ce que peut être une personne.
Ces Aspects-sources fondamentaux perçoivent la réalité physique par les
expériences de la personnalité de concentration. Seth, par exemple, est ca-
pable d’en faire des commentaires depuis son point de vue relativement plus
libre, et peut se servir de sa plus grande connaissance pour nous l’expliquer.
L’Aspect-source fondamental ne peut pas s’actualiser dans ce système
en raison de sa réalité plus vaste. C’est à un autre niveau qu’il domine. Mais
il vit, il est structuré, selon les idées que nous nous faisons de la sagesse,
d’une existence plus vaste, etc., et il se rapproche de la terre dans une per-
sonnification à laquelle nous pouvons donner sens. Derrière, ou dans, cette
personnification est l’être ou la conscience ainsi représenté. D’un côté il est
indépendant dans son propre système, de l’autre il est un Aspect-source
fondamental dans la psyché actuelle, en suspension dans la personnalité de
concentration, et une personnification de sa plus vaste réalité.
La personnalité de concentration est comme un cadre vivant pour la psy-
ché, d’où elle émerge. D’un point de vue énergétique, les « coins » les plus
éloignés du cadre définissent les limites de la particule, et forment la pers-
pective à travers laquelle nous faisons l’expérience de la réalité tridimen-
sionnelle.
La personnalité de concentration n’est pas statique, mais elle modifie
constamment les relations entre ses parties, différents Aspects s’unifiant ou
faisant surface pour affronter les circonstances physiques. Les nombreux
composants psychologiques et psychiques assurent une imprévisibilité fonda-
mentale, à l’opposé de la prédestination, que celle-ci vienne de l’hérédité
ou de l’environnement.
Les Aspects-sources fondamentaux peuvent agir en tant qu’enseignants,
personnifiés ou non, apparaissant dans la psyché comme la voix du moi inté-
rieur, et donnant à la personnalité de concentration force et vitalité en pé-
riodes de stress.
Mais qu’arrive-t-il quand un de ces Aspects-sources fondamentaux sort
de l’invisibilité psychologique et s’adresse au moi habituel ? La réponse dé-
pend des croyances de la personnalité de concentration. Parfois il n’en res-
sort qu’une caricature, comme je l’expliquerai plus loin.
Laissé libre, dans ces circonstances, l’Aspect-source fondamental
change-t-il ses caractéristiques ? Chaque cas pourrait être différent, mais si
la personnification était suffisamment complète et vivante, elle se montre-
rait plus souple, mobile et réceptive que rigide. Mais il est plus que probable
que, comme dans le cas de Seth, les caractéristiques stable qui servent de
base à la personnification ne changeraient pas.
17
[Angl. Basic source Aspect, mais aussi Prime Aspect.]

103
Un tel Aspect pourrait, cependant, pointer vers la réalité d’autres As-
pects « plus élevés » incapables d’entrer dans le cadre fourni par les idéali-
sations de la personnalité de concentration. En fait, le premier Aspect de
base pourrait servir de pont vers un autre Aspect « plus éloigné », qui pren-
drait le rôle d’un récepteur. Dans ce cas, il s’agirait d’une base psychique
ou psychologique, simplement placée plus loin du foyer tridimensionnel de
la personnalité de concentration.
On pourrait considérer Seth 2 de cette manière. Vous pourriez dire que
la personnalité de concentration active ses propres composants, sent la pré-
sence des Aspects dans sa psyché et les anime par le biais de la personnifi-
cation. Ceci fournit une base de compréhension et d’information que la per-
sonnalité de concentration utilise ensuite pour arriver à voir au delà de son
environnement – le cadre spatio-temporel de sa vie biologique.

Les aspects fondamentaux en tant que récepteurs


Une fois une telle « base » installée, avec toutes les caractéristiques de
la vie, comme avec Seth, d’autres bases peuvent se construire à partir
d’elle. Dans chaque cas, la personnalité de concentration émane des cadres
psychiques, chacun dépassant ses propres limitations, chacun fonctionnant
en tant que récepteur, attirant toujours plus d’informations sur d’autres di-
mensions de l’existence et – ce à quoi on ne pense généralement pas – four-
nissant aussi d’inestimables renseignements sur la structure et le champ
d’action de la psyché humaine elle-même.
Chacun de ces Aspects de base serait personnifié selon les idées de la
personnalité de concentration, en accord avec le niveau dimensionnel con-
tacté. Le genre de personnification pourrait nous renseigner sur ce niveau
particulier de la psyché, ainsi que sur le champ d’activité spécifique où l’As-
pect fonctionne dans sa dimension propre.
Étant donné que pour l’instant je crois que ces Aspects de base ont leur
propre réalité en dehors de nous, tout en agissant dans notre dimension en
tant que composants de la psyché, j’espère pour le moins que leurs person-
nifications puissent manifester quelques similarités avec leur existence sé-
parée. Il est cependant possible que plusieurs personnifications soient né-
cessaires pour contenir toutes les caractéristiques de ce genre d’êtres mul-
tiples. Il est tout à fait possible, par exemple, que Seth et Seth 2 fassent
partie d’un seul et même Aspect de base, que nous ne pouvons soupçonner
ici que par des manifestations séparées.
Dans d’autres cas il se peut que seules émergent des caricatures, quand
la personnalité de concentration prend trop de place, assumant le rôle prin-
cipal au lieu de laisser ses capacités créatives naturelles suivre la guidance
intérieure. Vous auriez ici un effet bidimensionnel plutôt que multidimen-
sionnel ; quelque chose de grotesque, comme une marionnette s’essayant à
être humaine ; une personnalité moindre plutôt qu’expansée.
Dans un tel cas, l’Aspect de base ne jouit que de peu de liberté ; on s’en
affuble comme d’un masque, sans lui laisser la souplesse nécessaire pour dé-
velopper ses propres caractéristiques. C’est à mon avis ce qui se passe pour

104
ces nombreuses dramatisations de « personnalités de transe ». Les éléments
psychiques fondamentaux sont revêtus d’oripeaux qui ne sont que trop fami-
liers – le guide indien, le moine, la vieille âme – bloquant tout à fait effica-
cement de plus vastes développements.
Lorsque ceci se produit, l’Aspect de base peut retourner à l’invisibilité
psychologique, pour y agir, comme auparavant, comme partie de la psyché
en dilution ou suspension, guidant indirectement plutôt que directement.
Ou bien il peut être maintenu sous la forme d’une personnification imma-
ture, un mécanisme assez pratique, qui pourra émettre les concepts « supé-
rieurs » de la personnalité de concentration – ses meilleurs, peut-être – mais
sans émerger en véritable sagesse ou connaissance psychique.

Interaction des Aspects dans la psyché


Quelles que soient les circonstances, les Aspects interagissent. Ils occu-
pent le même espace psychique (la psyché), en points toujours changeants
de concentration des facultés – autant d’attributs du moi-source. Ces Aspects,
ou « visages », du moi multidimensionnel, sont en révolution autour de lui,
symboliquement parlant, émergeant par moments juste en-dessous du ni-
veau d’éveil conscient.
Habituellement les Aspects glissent en transparence à travers la person-
nalité de concentration, donnant simplement à ses expériences une couleur,
une teinte, provenant de leur vision particulière. Souvent la personnalité de
concentration regarde à travers un de ces Aspects sans s’en rendre compte,
remarquant simplement que ses jours ont l’air différent, comme subtile-
ment modifiés. À ces moments-là, nous avons l’impression de regarder notre
expérience par les yeux de quelqu’un d’autre, quelqu’un qui nous ressemble,
mais, presque nostalgiquement, pas tout à fait.
Par moments nous prenons soudain conscience de cette étrangeté dans
notre perception du monde ; ou, à d’autres moments, nous réalisons peu à
peu que le monde a changé depuis un certain temps, qu’il est devenu autre,
jusqu’à ce que la « nouvelle » vision nous devienne si familière qu’il nous
devient difficile de nous rappeler l’ancienne.
Mais les Aspects interagissent sans cesse, et les expériences de la per-
sonnalité de concentration, par association et attraction, ne cessent d’appe-
ler différents Aspects pour répondre aux modifications de l’environnement.
Sur d’autres niveaux de réalité, l’Aspect physique est activé de la même
manière.
Les Aspects orbitent autour de l’entité, ou moi-source, qui est énergie
pure, constamment renouvelée, infiniment créative, offrant toujours de
nouvelles dimensions à l’expérience et à l’accomplissement de soi. Chaque
« visage » regarde sa propre dimension, mais ils se succèdent, de sorte que
le moi se modifie constamment en lui-même.
Chaque personnalité de concentration contient ainsi des traces de ses
Aspects, et peut, dans une certaine mesure, profiter d’aperçus de sa réalité
multidimensionnelle. Tout individu peut donc remonter la piste de ses ca-

105
ractéristiques et de ses capacités jusqu’à leur source ; en tout cas théori-
quement. Le moi multidimensionnel est littéralement illimité ; il contient
de nombreux talents aspectaux qu’il peut utiliser à son avantage. Certains
sont si légers dans l’expérience pratique qu’ils en sont presque inexistants,
mais même eux peuvent être reconnus et cultivés à un certain degré. Cer-
tains sont plus susceptibles que d’autres d’être traduits dans la dimension
physique. Ces Aspects ne peuvent être perçus qu’à travers la structure de la
psyché individuelle, qui ne peut pas ne pas les fausser, les déformer, et les
refléter selon sa propre nature.
Le reflet d’un arbre dans une rivière, par exemple, obéit à la nature du
support – la rivière – et non à la sienne ; de la même manière, les Aspects
suivent les contours de la psyché individuelle plutôt que les leurs. L’arbre ne
pousse pas vers le bas, alors que nous percevons son reflet comme allant
dans cette direction. Il peut être utile d’étudier les reflets eux-mêmes.
Nous comprenons alors les règles sur lesquelles s’aligne le reflet de l’arbre
dans l’eau. Mais quand un Aspect se reflète sur le riche support de la psyché
humaine, nous sommes vite tentés de prendre le reflet pour la réalité.
Les Aspects forment des personnifications bienveillantes, dont nous
n’avons la plupart du temps aucune conscience. Ils fournissent aussi le ma-
tériau d’où naît notre personnalité, l’esprit devenant ainsi, littéralement,
chair. Je crois que ce sont ces personnifications internes qui ont donné nais-
sance à nos concepts de Dieu, dieux, déesses, et peut-être de diables et de
démons ; il est possible qu’au cours de l’histoire elles aient été plus visibles
psychologiquement qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Les personnifications intérieures sont nous, et en même temps, ne le
sont pas. Nous n’arrivons pas à sortir de ce piège de l’idée de la personna-
lité unique. Dans mon cas par exemple, pour le répéter, Seth, Seth 2, Sept,
Chypre et Helper peuvent représenter des personnifications de différents
Aspects de mon moi-source ; chaque Aspect est indépendant à son propre
niveau de réalité, tout en travaillant ici d’une façon différente. Ce n’est
qu’en les considérant tous ensemble que nous pouvons nous faire une idée
de la personnalité multidimensionnelle (qui serait une propriété du moi-
source) ; et en observant leurs relations entre eux et celles avec le moi ha-
bituel, révéler certaines composantes de la personnalité.
De notre point de vue, les Aspects de base forment généralement des
personnifications psychologiquement invisibles d’eux-mêmes, qui se retrou-
vent filtrées par nos concepts sur la personnalité. Dans leur réalité propre ils
sont eux-mêmes, doués d’une activité et d’une connaissance d’une dimen-
sion supérieure, indépendants, et pourtant unis d’une façon qui dépasse
notre compréhension.
De notre point de vue également, leurs propriétés se reflètent en des
impulsions fondamentales fortes, ou en certains indices de talents. Que de
tels Aspects soient ou non activés, ou isolés, comme dans mon cas, ils agis-
sent toujours, au niveau inconscient ou en rêve, comme des guides ou des

106
enseignants. Toujours en transparence, ils traversent la personnalité de con-
centration en lui apportant leurs services, lui offrant la riche source de leurs
capacités et de leurs informations.

107
12 – Inspiration, attention pure et perception
préformatée
Les dimensions s’interpénètrent et se chevauchent, mais chacune pos-
sède sa propre nature inviolée, colorant toute action qui la touche. Les in-
trusions en provenance de territoires « étrangers » prennent automatique-
ment les caractéristiques de la dimension avec laquelle elles entrent en con-
tact. Au cas où de telles intrusions, revêtues du « costume local », sont per-
çues, ce n’est que de façon très sommaire.
Les événements d’autres dimensions se glissent également en transpa-
rence à travers tous les systèmes de réalité, poussant leurs petites vagues
juste sous la surface. La focalisation et la différenciation claire résultent de
la concentration formée aux intersections de champs énergétiques, et par
les relations électromagnétiques ainsi établies. Ces zones deviennent la réa-
lité de l’activité vécue et perçue, et définissent les possibilités et les limites
de ces champs de vie.
L’inspiration est une arrivée soudaine en trois dimensions d’informations
multidimensionnelles, qui se retrouvent modelées selon un schéma cons-
cient. Le ressenti surpris d’un afflux d’énergie est lié à la puissance de
l’émergence qui, par une espèce de propulsion mentale, pousse littérale-
ment les données dans la forme tridimensionnelle de la concentration. Nous
essayons ensuite de capturer le matériau révélé avec les « mains » de notre
mental habituel, et de le traduire en le faisant interagir avec nos idées pour
constituer de nouvelles structures. Si nous n’avons à notre disposition
qu’une quantité relativement limitée d’images et de symboles, l’inspiration
finira par geler au milieu d’eux.
Il arrive souvent qu’une révélation tout à fait valable dégénère en textes
de pacotille, en descriptions insensées, à cause de la rigidité des mains
mentales de la personne qui l’a reçue. Alors que tout le monde peut être
inspiré à un moment ou à un autre, les artistes, dans n’importe quel domaine,
disposent de moyens définis pour structurer en forme un matériau révélé.
Les niveaux les plus élevés d’inspiration incluent la créativité transdi-
mensionnelle, ainsi que la communication entre la personnalité de concen-
tration et le moi-source inconnu. Même si elles se présentent sous des
formes variées, deux étapes sont indispensables : le contact initial avec l’in-
formation venue d’autres dimensions, et, dans notre dimension, le choix
draconien, parmi toutes les images et structures de pensée de la personne
réceptrice, de ce qui sera utilisé pour faire passer en trois dimensions la
scène ou le concept.

108
La plus grande partie de ce processus de tri se passe au niveau incons-
cient. La personnalité créative, quant à elle, travaille constamment avec
des données conscientes et inconscientes, les mélange, les assortit, et les
réassemble sous des formes nouvelles. Faute de quoi ces schémas visuels et
conceptuels se retrouvent limités et servent plus de camisole de force à la
révélation ou à l’inspiration qu’à la mise à disposition d’une forme adaptée.

Comparaison avec la feuille de papier blanc


Tracez un carré sur une feuille de papier blanc. La surface à l’intérieur
du carré est toujours blanche, mais elle semble nettement différente du
reste de la page à cause de la forme tracée. Une fois cette forme terminée,
la signification apparaît et devient un point de concentration pour la cons-
cience, l’incitant à traduire cette portion de la page comme étant un carré.
Le reste de la page devient l’arrière-plan, perçu uniquement en fonction du
carré, et ayant perdu quasiment toute signification.
La blancheur est évidemment une propriété de la surface dans son entier,
et celle à l’intérieur du carré n’est en rien différente de celle à l’extérieur.
La main qui a tracé le carré venait de l’extérieur de cette surface, et ne
connaissait pas consciemment les mécanismes par lesquels elle a pu tracer
cette forme. Le mental conscient, qui a dirigé le tracé, n’a également au-
cune connaissance des mécanismes internes impliqués. La main et les yeux,
concentrés physiquement, constatent le résultat, mais pas le travail invi-
sible derrière le dessin.
De la même façon que la main est venue de l’extérieur des dimensions
de la feuille de papier pour dessiner le carré, le moi qui possède la main est
entré dans la vie tridimensionnelle en provenance d’un autre niveau, et est
devenu une « particule », ou une personnalité de concentration apparue
dans le champ tridimensionnel comme le carré sur la feuille de papier.
Le carré ne peut pas se détacher du papier, et ne connaît pas sa propre
existence selon nos propres termes. Les atomes et les molécules qui compo-
sent le papier se connaissent, mais ne connaissent pas le carré. Il est pos-
sible qu’ils « sentent » les modifications apportées par l’encre ou le crayon,
mais sans en percevoir la signification.
Mais le caractère du papier a été marqué, il est maintenant différent de
celui d’une feuille où rien n’a été inscrit. Le papier lui-même à ses capaci-
tés et ses limites. Il n’y a que certaines façons d’écrire sur lui. Il existe aussi
dans un contexte plus large que lui-même. Il peut être brûlé, mais il ne peut
pas décider de se brûler lui-même. On peut écrire sur lui, mais il ne peut
pas écrire sur lui-même. Ni refuser qu’on le fasse. Il ne peut comprendre
nos mots, alors qu’on peut écrire sur lui de grands textes destinés à être lus
par d’autres personnes, et certainement pas par lui.
De la même façon, la signification des lettres tracées sur le papier peut
modifier notre expérience tridimensionnelle, et même aider notre cons-
cience à s’élever au-dessus de ce niveau. Le papier, en revanche, ne vit pas
l’impression comme une intrusion en provenance d’une autre dimension,
mais comme un événement naturel, faisant partie de sa réalité propre. Et

109
pourtant, ces événements « naturels » sont bien des intrusions depuis le
champ d’activité du rédacteur sur celui du papier.
La même chose se passe constamment dans notre dimension, quand les
événements s’écrivent sur le parchemin vivant de l’espace. Ici, les « car-
rés », les schémas et les griffonnages – les particules – prennent vie, dotés
d’une conscience réflexive qui s’interroge sur son origine, et médite sur la
réalité de la dimension supérieure d’où elle provient.
À un autre niveau, un exemple très simple nous est donné par cette
comparaison du papier blanc. Quand j’ai commencé à écrire ce passage, j’y
suis allée « à l’aveugle ». C’est-à-dire qu’au niveau de ma conscience nor-
male j’ignorais d’où provenaient les mots, ni ce qu’était supposée signifier
cette analogie. Ce n’est qu’au moment où le texte lui-même révéla sa signi-
fication que moi je fus capable de formuler l’inférence ! Cela avait été pour
moi une évidence que ce que j’écrivais avait un sens, et qu’avec l’écriture,
je finirais par voir l’enchaînement des idées et tout le développement. C’est
un peu la même chose quand nous parlons sans vraiment savoir comment
nous allons formuler ce que nous voulons dire, sans même savoir quels mots
nous allons utiliser, mais en pleine confiance du fait que notre discours a un
sens. Mais dans le cas du passage en question, il était clair depuis « mon »
point de vue que la première ligne (qui arrivait depuis l’extérieur de ma
conscience normale) allait révéler clairement son message. Je suis là en
train de commenter une comparaison qui m’a été transmise à un autre ni-
veau de conscience. Pour employer un langage banal, était-elle une « intru-
sion » ? Une « intrusion naturelle » ?
Je pense en fait que nous sommes équipés d’une « perception préforma-
tée », et que toute donnée échappant à un degré quelconque à ce préfor-
18

matage ressemble à une intrusion. Alors que j’écrivais la comparaison du pa-


pier, qui était un commentaire sur la structuration de la perception, ma
conscience s’est légèrement libérée du préformatage. J’ai pu m’identifier à
un moi au delà de celui avec lequel nous avons normalement affaire, et dé-
passer ce dernier d’aussi loin que, disons, ma main dépassait le papier sur
lequel j’écrivais.
J’aime bien ce terme de « attention libre 19 » pour exprimer cette sorte
de perception dont nous disposons en potentiel, indépendamment de
l’orientation tridimensionnelle de notre perception sensorielle habituelle.

Attention libre ou préperception


L’attention libre ou, depuis notre point de vue, la « préperception », re-
présente la base de travail de nos sens orientés physiquement. La préper-
ception est indifférenciée ; elle est la capacité, ou le potentiel, d’organiser
l’attention selon certaines lignes spécifiques. Notre perception normale
nous rend la terre vivante en structurant notre attention fondamentale, en

18
[Angl. prejudiced perception.]
19
[Angl. free awareness.]

110
la faisant passer par la différenciation de nos sens tout en bloquant d’autres
données qui, autrement, deviendraient tout aussi « vivantes » pour nous.
Ce que nous considérons comme la perception repose sur une non-per-
ception hautement organisée, résultant dans le fait que des données signifi-
catives sont mises en lumière, nettement délimitées, et placées au centre
de la concentration. Pour atteindre cette clarté, nous éliminons tout le
reste, autrement disponible, du champ de perception possible.
Sans cette perception préformatée, la vie tridimensionnelle telle que
nous la connaissons serait impossible. Les sens dirigent et concentrent alors
notre attention libre en bloquant autant d’informations qu’ils en laissent en-
trer. L’attention libre est un champ potentiel en suspens, d’où proviennent
toutes les impressions sensorielles ; la matière première. L’expérience sen-
sorielle est la forme revêtue par l’attention libre dans la vie physique. Mais
je crois que nos mécanismes biologiques eux-mêmes sont bien moins forma-
tés dans leur utilisation de l’attention libre, en tant que tremplin d’où par-
tent les grandes tendances d’organisation des atomes et molécules qui com-
posent nos cellules.
Fondamentalement n’importe quel atome ou molécule peut amorcer la
formation de cellules dans n’importe quelle partie du corps. Les tissus de
mon coude auraient tout aussi bien pu se retrouver dans l’oreille et dévelop-
per cet organe sensoriel. D’une certaine façon, le corps est un être vivant
sensible composé sur le plan physique des mêmes matériaux que les phéno-
mènes qu’il perçoit. Sur ce plan il constitue définitivement une partie du
monde qu’il habite.
Cet être-dans-le-monde doué de sensibilité dépend d’une concentration
sensorielle continue et extrêmement raffinée, elle-même reposant biologi-
quement fermement sur l’attention libre non formatée, de laquelle émer-
gent les perceptions spécifiques. Notre perception habituelle est donc un
« jeu » préstructuré et organisé de perceptions, constitué à partir d’une pa-
noplie beaucoup plus vaste de perceptions possibles.
Dans le cas de la comparaison avec le papier donnée plus haut, le carré
représente la vie physique. Nous ignorons tout ce qu’il y a autour.
À mon avis nos mécanismes biologiques disposent de potentiels intégrés
que nous n’avons pas encore reconnus, et il est possible d’activer l’attention
libre, au moins consciemment. Une telle activation déclencherait alors des
mécanismes internes nous permettant de sélectionner consciemment des in-
formations de zones indifférenciées (que nous sommes normalement forma-
tés à ne pas percevoir) pour les traduire ensuite en concepts utilisables.

Perception et événements
Zones de vie individuelle et raciale, ou « maintenants »
Les événements semblent purs en eux-mêmes, définis et donnés une fois
pour toutes. En fait, ils ne sont évidemment que notre interprétation préfor-
matée de l’action, de même que le résultat d’une perception très spéciali-
sée de la réalité. En filtrant les données, nos sens éliminent certaines di-
mensions dans lesquelles existent aussi des événements reconnaissables. Si

111
le temps n’est pas de nature consécutive, alors les événements ne le sont
pas non plus. Notre attention libre devrait être capable de percevoir les
événements avant et après leur émergence dans le physique. Elle fonction-
nerait de même au niveau cellulaire, permettant au corps de se préparer « à
l’avance » pour maintenir son équilibre en face des innombrables circons-
tances du temps. L’attention libre pourrait ainsi nous aider à rester en vie.
De la même façon que les individus semblent se développer dans le
temps, passant de la source multidimensionnelle à la vie physique, la race
peut aussi posséder une « zone de vie raciale », ou plusieurs, lorsque l’éner-
gie-source d’un moi collectif entre en contact avec notre système et s’étale
dans le temps, formant un contexte historique. La zone de vie de la race se-
rait plus vaste que celle de l’individu, et s’étendrait plus loin à ses deux ex-
trémités. Comme la personne, la race semblerait d’abord naître, ou être
créée, puis disparaître ou mourir.
Tout comme avec l’individu, le point d’intersection avec la vie tridimen-
sionnelle serait toujours le présent, et les ondulations vers les deux direc-
tions seraient vécues en tant que temps et expérience. Les ondulations par-
tiraient dans toutes les directions, mais la « particule », ou la personnalité
de concentration, l’individu ou la race, n’en ferait l’expérience que dans la
zone de vie, au point d’intersection à partir duquel elles divergent. La per-
ception physique a lieu uniquement dans la zone de vie. (Fig. 2.)

Fig. 2
L’intersection du moi-source avec le champ tridimensionnel forme la personnalité particu-
laire de concentration au niveau individuel, ou la personnalité raciale de concentration au
niveau collectif, ainsi que la zone de vie du temps vécu. Cette zone est entourée par un
champ énergétique d’événements non perçus. PC = personnalité de concentration.

112
À côté de la conscience de concentration, d’autres niveaux peuvent en-
registrer, vivre et réagir à d’autres événements que ceux perçus dans la
zone de vie. De notre point de vue, un événement peut prendre, disons, dix
minutes sur la zone de vie, par exemple, alors que d’autres parties de notre
conscience peuvent y réagir à l’avance, ou rétroactivement, pendant que
l’expérience « progresse » le long de la zone de vie. À la surface de celle-ci
peut n’apparaître qu’une minuscule portion d’un événement, alors que l’ex-
périence au niveau des molécules du corps peut être intemporelle, pendant
que d’autres niveaux « supérieurs » de conscience peuvent vivre continuel-
lement des événements en dehors de notre contexte temporel.

113
13 – Moi-source, personnalité de concentration,
probabilités et réincarnation
Le moi-source est une racine de conscience éternellement éveillée,
émettant des moi individuels, ou personnalités de concentration, dans tous
les systèmes de réalité. Chaque personnalité de concentration est unique,
autonome, « née » à son propre domaine dimensionnel et devenant de plus
en plus elle-même à l’intérieur de cette structure, où elle participe à la
création constante et au maintien du système dans lequel elle a son exis-
tence. Il ne s’agit pas de la descente d’une âme, mais d’une conscience par-
ticipant à la création de réalités expérientielles, auxquelles elle participe.
Nous sommes comme des graines éveillées de conscience, semées par
notre moi-source ; nous ne tombons pas dans des jardins mais dans diffé-
rentes dimensions ; nous portons en nous toutes les capacités de notre ori-
gine, et nous sommes libres en vertu de notre nature consistant à program-
mer notre propre voyage, à choisir notre territoire dimensionnel – le temps
et l’espace de notre évolution.
Mais nous-mêmes semons d’autres graines, dont nous ne sommes habi-
tuellement pas conscients : les rêves, les pensées, qui tombent de nous
aussi légèrement que les feuilles tombent des arbres en automne. Ils vivent
dans des dimensions qui ne sont pas la nôtre, et sont pourtant des Aspects
de nous, portant en eux nos potentiels. Peut-être sont-ils nos futurs fan-
tômes ; des structures mentales qui un jour se revêtiront d’une forme pour
parcourir la terre, celle-ci ou une autre, dans un espace et un temps qui se-
ront les leurs, pas les nôtres.
Mais le moi que nous connaissons actuellement, notre personnalité de
concentration, existe dans un corps qui ne profite de la vie que la durée
d’un temps personnel, au moins selon notre expérience. Et pendant cette
saison, nous vivons sur une terre qui est nôtre, séparés de tous les êtres qui
sont venus avant nous ou qui viendront après. Un moment, le monde nous
appartient. L’élégante concentration de nos sens nous offre cette intimité,
et protège l’espace personnel que nous avons construit à l’intérieur d’un
monde fait d’instants.
Peut-être ne sont-ce que nos sens qui nous maintiennent séparés
d’autres espaces-temps, bien à l’aise dans notre petit nid confortable. Au-
trement, avec l’attention libre, nous pourrions voir les dimensions se fondre
les unes dans les autres, et perdre notre unique ligne temporelle ; aperce-
voir nos autres Aspects à tous les stades de leur devenir et du nôtre.

114
Les siècles de la terre pourraient être pour nous comme une tapisserie
cosmique vivante, dans laquelle chaque année que nous connaissons ne se-
rait que notre représentation officielle de mille autres versions du même
temps de janvier à décembre. Que s’est-il passé quand ? Pour qui ? Com-
ment pourrions-nous le dire ? Nous ne pourrions pas en garder le souvenir,
ni, en face d’un champ de présence d’une telle étendue, reconnaître la sin-
gularité de notre expérience, avant que notre conscience n’ait rejoint sa na-
ture multidimensionnelle.
Ces mêmes sens physiques qui nous obligent à vivre tous les événements
à l’intérieur du temps leur confèrent également une espèce de caractère de
une-fois-pour-toutes qui met en lumière leur signification. Toute notre repré-
sentation de la mémoire est basée sur cela : un événement passé, et rappelé.
Combien savourons-nous nos souvenirs, surtout ceux que nous ne parta-
geons avec personne ; quand nous nous rappelons, par exemple, ces innom-
brables lundis et mardis définitivement perdus où nous mettions nos enfants
(aujourd’hui adultes) au lit, ou nos conversations avec eux ces milliers de
fois où nous les avons fait dîner. Ces événements prennent leur sens par la
façon dont nous les vivons. Et avec tous nos grands discours sur notre vo-
lonté d’expansion de conscience, peut-être avons-nous simplement peur de
perdre cette toute petite, mais si brillante concentration qui nous les rend
si chers, eux et leurs souvenirs.
Combien désirons-nous pourtant cette intense qualité de présence ca-
pable de percevoir clairement les innombrables événements de notre quoti-
dien au cours des années, avec une acuité qui nous ferait voir aussi ce que
nous ne pouvons voir – les schémas de notre vie, la « forme » de notre être
intérieur sur terre. Nous y arrivons, bien sûr, ne serait-ce qu’en imagination.
La mère peut imaginer l’homme ou la femme futurs dans l’enfant assis dans
sa chaise haute ; la femme âgée peut voir dans le visage de son fils ou de sa
fille adulte l’enfant qu’il ou elle a été. D’un point de vue plus étendu ils
existent tous simultanément, jeunes, vieux, nouveau-nés, mourants – dans
un « en même temps », un spacieux présent, qui se trouve être suffisam-
ment vaste pour contenir notre vie.
Comme le temps ne consiste pas vraiment en une série de moments,
nous ne sommes pas fondamentalement le résultat de ce que nous avons
été ; pas plus que celui de ce que nous serons. Le présent, le passé et l’ave-
nir existent dans un maintenant que nos sens nous obligent à appréhender
de façon segmentée. D’une certaine façon, nous nous percevons hors con-
texte, ne percevant à chaque instant que des parties de nous ; nous lisons
nos vies page après page dans le temps, alors qu’à un autre niveau nous
écrivons le livre entier tout à la fois, révisant constamment les pages
« déjà » vécues.
Sans le savoir, nous sommes en ce moment autant sous l’influence de
toutes nos morts que sous celle de toutes nos naissances.
Le fait de la mort jette indubitablement sa lumière sur tous les événe-
ments de notre vie. Nous avons la conscience de ce fait-dans-le-futur, mais
pas des détails. Nous ne pouvons traiter au niveau conscient qu’un nombre

115
limité d’événements. À d’autres événements, nous réagissons au niveau in-
conscient.
Ici encore les mots peuvent induire en erreur, car je crois que l’ « in-
conscient » est conscient. Il représente la partie de nous d’où émerge la
personnalité de concentration, avec son « ego ». L’ego est le point de con-
frontation psychologique direct sortant de la personnalité de concentration
pour affronter la vie physique. Comme celle-ci ne peut traiter qu’un nombre
limité de données dans son système temporel, elle choisit dans le champ de
l’inconscient uniquement les perceptions qu’elle décide d’accepter, en ac-
cord avec ses croyances sur la nature de sa réalité. (Fig. 3.)

Fig. 3
Champ personnel inconscient de perception
Dans le champ non physique entourant la personnalité de concentration (PC), la percep-
tion est libre, liée ni par le temps ni par l’espace. Il s’agit d’un champ d’événements pos-
sibles. À partir de ceux-ci la personnalité de concentration, au fur et à mesure qu’elle
avance le long de la zone de vie, matérialise les événements physiques.

À ce niveau, la perception n’est pas liée au temps. Les événements et


les événements possibles sont « connus » à un même stade, que nous pour-
rions appeler préperception, car les données n’y sont pas actualisées physi-
quement. De tous ces événements possibles que connaît notre inconscient,
nous ne matérialiserions dans notre zone de vie, en les percevant, qu’une
certaine quantité.
Mais regardons de plus près ces événements possibles.

Statut des événements possibles


J’allais commencer par une plaisanterie en disant que le statut des évé-
nements possibles ne peut être qu’un statut possible – sinon quoi ? – mais
d’une certaine façon, tous les événements sont possibles. Nous ne faisons
qu’en matérialiser quelques-uns, que nous appelons physiques. Je crois
qu’en tant que créatures nous disposons d’une liberté incroyable, avec d’im-
menses ressources desquelles nous formons notre expérience. Nous choisis-
sons donc les événements physiques à partir de toutes les préperceptions

116
dont l’inconscient a conscience. Et c’est un choix continuel. Nous ne
sommes pas enfermés dans une série de circonstances. À n’importe quel mo-
ment nous avons la possibilité de choisir une autre ligne de développement à
partir de toutes les probabilités à notre disposition. Le reconnaître délivre-
rait bon nombre de gens de leur sentiment d’impuissance, et leur permet-
trait de changer leur vie de façon concrète.
Je crois que nous procédons souvent à ce genre de modifications, même
si nous ne sommes pas conscients de leurs motivations ni des mécanismes
qu’elles impliquent. Dans ces cas-là, les actions alternatives choisies se dé-
roulent sur la zone de vie et les événements qui se seraient passés – les an-
ciens – sont désactivés, mais ils continuent d’arriver derrière la zone de vie.
À mon avis c’est généralement ce qui se passe quand nous changeons de
direction en cours de route, quand nous modifions soudain les circonstances
de notre vie, ou quand nous changeons tellement par rapport à notre per-
sonnalité habituelle que les autres le remarquent. D’abord ceci peut nous
étonner, voire nous troubler. Il est possible que nous ne comprenions pas ce
que nous avons fait, ni même comment nous l’avons fait. Mais un examen
plus approfondi des faits nous fera voir que notre « nouvelle » direction a
toujours fait partie des possibles dans notre expérience, même si nous ne
l’avons pas considérée comme telle.
Les carrefours de notre vie pourraient impliquer des intersections tout à
fait réelles, quoiqu’invisibles, où des probabilités se rencontreraient à des
points définis de notre espace-temps. Celles-ci pourraient fonctionner
comme échappatoires à des conditions que nous avions choisies mais que
nous n’acceptons plus, ou que nous découvrons comme étant défectueuses.
Ces rencontres de possibles seraient des concentrations d’énergie que nous
aurions formées inconsciemment parallèlement à notre zone de vie. Elles se-
raient créées par des désirs et des croyances intenses que nous aurions main-
tenus dans le temps sans jamais les choisir en tant qu’événements physiques.
D’un autre côté, certains de ces possibles auraient pu être choisis (si ce
n’est littéralement actualisés) à un certain moment sur la zone de vie, pour
être ensuite mis de côté, comme des wagons sur une voie de garage. Les dé-
sirs et les idées sont des actions. Celles-ci se poursuivent donc parallèle-
ment à notre vie, mais sous la forme de schémas alternatifs tout autour de
nous. Dans l’inconscient, elles restent latentes ou inactives au niveau de la
zone de vie.
Pour moi, il est impossible d’expliquer la richesse de notre expérience
sans accepter que c’est l’existence d’actions et d’événements alternatifs
qui constitue la source de l’expérience physique. La même chose s’applique
à l’expérience de l’espèce dans son ensemble, et aux événements histo-
riques des siècles tels que nous les connaissons.
Les points de probabilité pourraient représenter des échanges entre des
actions possibles et celles de la zone de vie. J’ai fait deux dessins simples
pour montrer ce qui pourrait se passer quand nous modifions notre « ligne
de probabilités » (Fig. 4 et 5.)

117
Fig. 4
La personnalité de concentration au moment de la décision.
Alors que l’expérience du passé suggère son propre futur alternatif, la personnalité de
concentration (PC) est à tout moment libre de choisir parmi tous les futurs alternatifs.

Le schéma 5 montre la personnalité de concentration au milieu de sa


zone de vie. Derrière elle se trouve un passé d’événements déjà actualisés à
partir d’événements possibles, portant lui-même son propre futur possible
en accord avec les choix faits par la personnalité de concentration jusque-
là, selon nos propres termes. En continuant sur le même chemin, la person-
nalité de concentration maintiendrait la ligne principale de développement
de la zone de vie.

Fig. 5
La personnalité de concentration après une décision.
L’ « ancien » futur possible (2) s’insère par une fissure temporelle dans la zone de vie.

En revanche, dans le schéma 5, la personnalité de concentration choisit


une possibilité alternative, et l’ « apporte » dans la zone de vie, modifiant
ainsi celle-ci à ce point précis. La possibilité alternative (2) rejoint la zone

118
de vie au point de jonction temporelle et devient « le futur », à la place de
celui qui avait été choisi dans l’exemple précédent.
La partie de la personnalité de concentration qui avait choisi la probabi-
lité telle qu’elle existait avant la décision suit celle-ci – mais pas sur la zone
de vie. Il se crée une nouvelle personnalité de concentration, « alterna-
tive », projetée dans une nouvelle réalité avec les mêmes capacités et la
même expérience que celles d’avant la décision. En d’autres termes, la per-
sonnalité de concentration alternative (ou le moi alternatif) part avec un
certain héritage. Elle aussi commence à choisir parmi différentes probabili-
tés. La personnalité de concentration primaire (ou le moi ajusté sur le phy-
sique) garde son identité, mais ayant décidé de modifier les probabilités,
elle devient différente de ce qu’elle aurait été si elle n’avait pas fait ce
choix.
Nous parlons des gènes et du miracle de créatures uniques, jamais dupli-
quées à l’intérieur du cadre de l’intrication biologique. Les probabilités pré-
sentent l’hypothèse d’une contrepartie psychique et psychologique, mais
beaucoup plus souple et offrant à la conscience une bien plus grande possi-
bilité de choix, avec une qualité d’unicité donnant en même temps à l’indi-
vidualité son indestructible concentration. Car jamais deux individus n’au-
ront à choisir entre le même ensemble de probabilités, ni ne feront de choix
à partir du même point.
C’est ainsi que très probablement la réincarnation implique des exis-
tences possibles dans des zones de vies alternatives. Notre vie telle que
nous la connaissons n’est sûrement qu’une concentration de temps dans
l’espace parmi d’autres. Pour entrer dans le temps nous devons peut-être
quitter l’espace, et revenir à un autre point d’intersection. La naissance et
la mort pourraient être des portes vers une activité tridimensionnelle ; et la
mort la porte de sortie de ce qui serait autrement un dilemme dimensionnel
nous empêchant tout développement ultérieur. Nous serions alors enfermés
dans le piège d’un seul temps et d’un seul espace. Notre durée de vie pré-
sente pourrait être une des dimensions de notre être, comme par exemple
le poids et la taille de notre corps, mais qui ne pourrait pas se montrer tota-
lement à l’intérieur de l’espace.
Les événements auraient donc eux aussi d’autres dimensions que celles
que nous percevons habituellement. Ce que nous nous représentons comme
un événement ne serait qu’un Aspect d’un acte multidimensionnel. Quand
nous vivons un événement, il nous semble aussi solide et défini qu’un objet.
Les atomes et les molécules d’un objet sont invisibles. Je crois que les évé-
nements ont leur propre équivalent des atomes et des molécules – des mil-
lions d’actions possibles, hors desquelles ils font surface sous la forme
d’actes physiques définis. Les événements sont comme des objets psycholo-
giques installés dans les chambres du mental. Ils sont toujours là, dispo-
nibles, en particulier les souvenirs d’événements qui se sont déjà passés et
qui donc apparemment ne peuvent plus être modifiés.
Nous pouvons déplacer les meubles, nous pouvons aussi les vendre et
prendre un nouveau départ. Mais ne sommes-nous pas relativement à la

119
merci des événements passés ? Je ne crois pas. En fait, je pense que nous
changeons le passé, et de la seule manière qui ait concrètement un sens.
Plus : je pense que nous le faisons tellement facilement et efficacement que
souvent la modification est évidente pour les autres, mais que nous ne la re-
marquons pas.
Les livres de Seth insistent sur cette liberté par rapport aux événements
du passé ; Seth réaffirme constamment la domination du présent de l’indi-
vidu sur son passé. Cette idée m’a toujours fascinée, mais c’est une expé-
rience personnelle qui m’a montré à quel point le passé peut être intelli-
gemment et totalement modifié quand on décide de bloquer certains as-
pects de l’expérience du passé pour leur substituer des événements alterna-
tifs ; ce qui implique un « nouveau souvenir » d’événements alors possibles,
qui semblent désormais s’être réellement produits.
Mon beau-père est décédé en 1971. Quand il est tombé malade, ses fa-
cultés cognitives se sont rapidement détériorées et nous avons dû le placer
dans une résidence pour personnes âgées. Lui et Maman Butts avaient vécu,
au cours des années, une foule de désaccords, mais peu de temps après
qu’elle se soit retrouvée seule, elle en perdit totalement la mémoire. Pour
elle, tous ces événements qui, aux yeux de la famille entière, prouvaient
ces désaccords, avaient complètement disparu.
Seulement ils n’avaient laissé aucun manque, aucune lacune. Ils avaient
été remplacés par un nouveau groupe de souvenirs qui faisaient parfaite-
ment sens pour Maman Butts, et se confirmaient les uns les autres. L’ennui,
c’est que ce nouveau passé alternatif n’était celui que d’un seul membre de
la famille. Les autres restaient attachés aux anciens événements du passé.
J’ai parfaitement conscience que c’est quelque chose qui arrive fré-
quemment aux personnes très âgées, que nous attribuons généralement à
une défaillance de la mémoire. Nous disons que certains événements sont
arrivés dans le passé, ce qui clôt la question. Une personne peut les oublier
ou affirmer qu’ils ne se sont pas produits, cela ne change rien aux « faits ».
Je pense au contraire que les événements ne peuvent pas exister indépen-
damment de la personne qui les a vécus – les personnes font partie des évé-
nements – et qu’ils se modifient au fur et à mesure que la personne change.
L’événement soi-disant concret perd en intensité si on lui retire de
l’énergie. Si nous sommes supposés réagir dans le présent en fonction d’évé-
nements passés, alors Maman Butts réagissait à un nouveau passé. C’est psy-
chologiquement d’une importance cruciale. Elle n’était plus la femme qui
avait passé des années à se disputer avec son mari. Elle était une femme
dont le mari bien-aimé vivait sa dernière maladie, un mari qui jamais ne
l’avait mise en colère ni ne lui avait causé aucune peine. Elle ne faisait pas
semblant, elle n’était pas hypocrite.
En d’autres termes, il arrive souvent que le nouveau passé prenne si élé-
gamment la relève que l’ancien devient irréel, oublié, qu’il n’ait plus au-
cune réalité au niveau psychologique – car nous n’y réagissons plus du tout.
Au lieu de cela, toutes nos actions et attitudes présentes se fondent sur une
hypothèse totalement différente, aussi valable pour nous que l’ancienne.

120
Parfois ce nouveau passé est si radicalement différent de l’ancien que la dif-
férence choque parents et amis.
Chaque action dans le présent change pourtant bien le passé, car ces
événements passés ne sont que les sommets, ou les émergences tridimen-
sionnelles, d’événements bien plus vastes. Chacun repousse un tout petit
peu la surface de l’espace-temps. Les événements possibles sont les pré-ac-
tions psychologiques à partir desquelles émergent les événements phy-
siques ; la matière première créative d’où les actions prennent leur forme
terrestre.
Ce n’est que lorsque notre attention interfère directement avec le
champ tridimensionnel que les événements prennent dans celui-ci la même
nette réalité que les objets (qui sont, évidemment, des événements d’une
autre nature). Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils deviennent psychologique-
ment solides. Mais une fois que temporellement parlant nous les avons dé-
passés, leur réelle fluidité, leur plasticité, revient. Jamais nous ne les re-
trouvons dans le temps identiques à eux-mêmes.
En raison de cette nature extrêmement plastique, il nous faut sans arrêt
affronter un passé possible. Les événements dont nous nous souvenons sont
bien plus importants que ceux qui se sont « réellement » produits. Nos atti-
tudes changeantes font partie intégrante de chaque événement que nous
nous rappelons. Ceux-ci projettent littéralement des extensions d’eux-mêmes
à partir de chaque « point maintenant » vers le passé et vers l’avenir.
Je crois qu’à la naissance, les Aspects apportent un copieux réservoir de
caractéristiques et de capacités qui peuvent être activées selon les besoins,
en fonction des conditions environnementales spécifiques ; ce sont ces As-
pects cachés qui permettent cette résilience qui nous permet de faire face à
de si nombreuses situations collectives et personnelles. Notre constitution
psychique et psychologique est au moins aussi complexe que la composition
de notre organisme.
Seth parle d’enzymes et de gènes mentaux. Il se réfère très certaine-
ment ici aux contreparties psychiques et psychologiques des gènes et des
chromosomes, à l’organisation interne d’où émerge notre vie personnelle, et
sous les auspices desquelles se forme sans arrêt notre expérience.

Temps, réincarnation et probabilités


Une fois encore, réfléchissez à l’incroyable pureté, à l’unicité immacu-
lée de l’existence, où l’expérience naît à sa propre signification à partir de
probabilités indifférenciées – d’autant plus chères que chaque événement
est hautement personnel, tellement nôtre que pas même un dieu ne pour-
rait le vivre de la même façon, ou le ressentir depuis notre propre et intime
perspective.
Interprètes et percipients privilégiés ! Notre perception physique est
préformatée, limitée – oui, mais simplement de la même manière qu’une lu-
mière concentrée dans une direction et pas une autre. Ceci ne diminue en
rien la qualité de la lumière de l’attention, qui, à d’autres niveaux, s’étend

121
réellement dans des directions qui à ce moment sont pour nous dans
l’ombre.
Mais sortis de cet arrière-plan cosmique indifférencié, de cette vaste
zone de « pré-être », émergent ces moments particuliers d’une fascinante
signification – nos expériences individuelles. Les matins, les soirées, les dî-
ners du mardi soir, tout ceci brillamment concentré, personnel, séparé du
reste des événements humains et cosmiques. Non pas bien rangé au cœur
des siècles, ni en pagaille et indifférenciés dans un immense sur-être, mais
rigoureusement individualisés, même si ce n’est que pour un moment. Mais
ce moment est un triomphe de conscience et de créativité, avec une accélé-
ration émotionnelle que l’on peut dire éternelle.
Pourtant cette intimité naît d’une coopération également surprenante,
en reflet des dimensions intérieures de l’activité. Car quels sont ces mondes
qui se fondent en nous en tourbillons avant que nous puissions percevoir le
moindre événement ? Regardons-nous : de vivants événements psycholo-
giques se percevant eux-mêmes ; et c’est depuis le cœur de ces événements
que nous traversons nos propres dimensions, que nous organisons nos expé-
riences en séquences, isolant de l’immensité de notre être tous ces épisodes
séparés qui composent nos vies. Car nos vies ne sont que les événements
physiques de nous-mêmes : pendant que nous vivons nous poursuivons notre
être non-physique, sur lequel vogue notre vie biologique.
C’est ainsi que nous avons peut-être de nombreuses autres vies sur cette
planète, d’autres « événements de vie », chacun nettement séparé, faisant
partie pourtant de la vaste réalité multidimensionnelle du moi-source. Wil-
liam Blake, le poète et mystique du dix-huitième siècle, parle d’une des-
cente dans les générations. Rob et moi n’avons pas d’enfants « cette fois-
ci ». Pour nous c’est notre dernière incarnation. Comme toutes les vies se
passent en même temps, c’est notre façon de dire que c’est notre point de
départ. Car les siècles ne sont pas plus réels que les instants. Beaucoup,
comme Blake, parlent de descente dans cette vie, simplement car il est très
difficile de concevoir que l’on puisse émerger vers la vie tridimensionnelle à
partir d’un intérieur non perceptible physiquement. Nous venons de dedans,
pas d’en-haut. Nous ensemençons aussi d’autres terres de nos moi alterna-
tifs ; ceux-ci ne touchent jamais notre point d’intersection, même s’ils peu-
vent en provenir.
Le diagramme suivant (fig. 6), très simple, représente des vies de réin-
carnation en utilisant une zone de vie de réincarnation au lieu d’une zone
de vie personnelle. Chaque moi de réincarnation aurait donc sa propre per-
sonnalité de concentration dans ses propres temps et espace.
Les personnalités de concentration sont limitées à leur propre zone de
vie par leurs expériences limitées par leur perception du temps, et elles
n’ont à ce niveau pas conscience de leurs liens avec d’autres « moi de réin-
carnation ». Mais d’autres expériences signifiantes se poursuivent, parallèle-
ment à la zone de vie, et c’est ici que l’attention libre pourrait ouvrir les
liens, à des niveaux inconscients, entre toutes les personnalités de concen-

122
tration. Comme toutes les vies se déroulent en même temps, « rebondis-
sant » ou s’étalant à partir du point d’intersection du moi-source avec notre
champ de réalité, une réincarnation finale signifierait simplement la déci-
sion de l’individu de couper le circuit. Vous pouvez le faire « à n’importe
quel moment », à n’importe quel point d’intersection. Dans la manière clas-
sique de parler du temps, ceci ne voudrait pas dire qu’aucune vie future ne
nous attend.

Fig. 6
Zone de vie de réincarnations.
Le moi-source se « répartit » en plusieurs personnalités de concentration, incarnées simul-
tanément dans le temps sur la zone de vie.

Je crois donc que nous disposons de la faculté innée de gérer plus d’un
seul jeu de souvenirs à la fois, au moins sous la forme d’éclairs intuitifs pé-
nétrant notre conscience comme le font nos souvenirs habituels. Ces mé-
moires sont juste suffisamment en arrière-plan, juste assez désalignées du
point de concentration, pour ne pas interférer avec notre domaine privé ici
et maintenant.
C’est cette signification additionnelle, cette intersection spécifique
d’événements intérieurs avec la zone de vie dans l’espace-temps qui crée
notre maintenant. Les mémoires planent autour de ce point particulier, ja-
mais mises en lumière mais psychologiquement visibles, éclairant notre quo-
tidien, lui apportant richesse et profondeur. Nos souvenirs offrent au mo-
ment présent les dimensions supplémentaires d’événements qui ne sont pas
présents au sens direct du terme. Et je pense que les futurs souvenirs agis-
sent de la même manière.
Mais les vies futures ou passées, théoriquement encore une fois, émet-
traient des souvenirs semblant ne pas nous appartenir, ne concernant pas la
zone de vie que nous acceptons comme telle et dépassant les limites de ce
que nous pensons être nous-mêmes. Mais ne seraient-ils que des souvenirs ?
Étant donné que toutes les vies se déroulent en simultané, pourquoi un moi
« antérieur » ne jetterait-il pas un œil par notre intermédiaire sur notre
vingtième siècle ? Et puisque tous les Aspects interagissent, ne pourrait-on

123
imaginer un soudain afflux de conscience dans le champ de notre attention
libre, là où la personnalité de concentration rencontre sa contrepartie d’une
autre dimension ? Et pour aller plus loin, et s’il y avait communication ?
Eh bien je pense que c’est ce qui s’est passé dans notre salon lors de la
« rencontre » entre Nebene et Shirin (ch. 5). Shirin était indubitablement en
vie, et rétrospectivement, il était facile de voir que Rob et Sue avaient sou-
vent, dans différentes circonstances, réagi à ces deux Aspects d’eux-mêmes.
Si Shirin regardait vers l’avenir, Sue vers le passé, chacune a cependant pu
reconnaître que le concept de temps n’avait aucune valeur.
Depuis Rob a parfois eu conscience de Nebene, et Sue a pu ressentir
Shirin. Et… les quatre ont changé. Nebene, par Rob, a pris conscience de la
nature libre de la créativité ; Rob a compris les tendances au sur-contrôle
qu’il avait « empruntées » à Nebene, pour ses propres raisons, et il s’en est
dans une large mesure libéré. L’attitude de Shirin envers Nebene s’est beau-
coup améliorée depuis que par l’intermédiaire de Sue elle est entrée en
contact avec Rob. Et Sue a compris les raisons de son attitude provocatrice,
qui la surprenait souvent elle-même.
Des Aspects d’une personnalité multiple ? La personnalité humaine rece-
vant un aperçu de la totalité de sa nature ? La perception libérée de la sé-
quence linéaire, avant-après, du temps ? Car il est certain que durant l’en-
fance et la vieillesse il se produit comme des « fuites », quand nous voyons
presque qui nous « étions » dans une vie passée, et qui nous « allons être »
dans une vie future.
Si nous utilisons nos expériences habituelles dans notre zone de vie en
tant que points d’équilibrage, en réalisant que nous considérons certains
événements comme réels et en ignorons d’autres, je pense que nous pou-
vons arriver à prendre conscience de notre réalité plus vaste. Si vous croyez
que les événements sont fermés, sans aucune ouverture ni avant ni après (et
nulle part ailleurs) il ne vous viendra jamais à l’idée de les utiliser comme
tremplins pour accéder à d’autres événements n’ayant pas la même concen-
tration dans la matière.
Il semble évident que certaines corrélations existent entre des expé-
riences de vies passées et notre vie actuelle, pas seulement en termes de
caractéristiques et de tendances, mais peut-être aussi dans le type ou la na-
ture des événements choisis. N’importe quel événement de cette vie peut
devenir transparent si nous comprenons ceci : nous avons la possibilité de le
traverser psychologiquement pour accéder à l’expérience d’une autre vie.
Et c’est peut-être ce qui se passe lors de certaines des mises en scènes
d’événements de vies passées que nous pratiquons lors de mes ateliers. Mais
ces souvenirs, ou événements, sont souvent cachés derrière des symboles,
des images ou des représentations qui ont du sens pour la personnalité de
concentration.
Seulement je pense que dans les expériences spontanées du quotidien,
nous recevons souvent de tels souvenirs, que nous bloquons en raison de nos
croyances. Ils sont aussi redirigés en tant qu’œuvres d’art – un écrivain va

124
dramatiser une vie passée dans son roman historique, par exemple, sans ja-
mais en avoir conscience.
Dans tous les cas, il est impossible de traduire ces souvenirs mot à mot
dans notre expérience immédiate ; nous ne pouvons pas faire l’impasse sur
notre temps, notre moment ; ils doivent être interprétés par le biais de
notre expérience. De la même façon ils peuvent être aussi vivants que nos
souvenirs normaux, jusqu’à parfois atteindre une qualité de présence telle
que celle démontrée par Shirin et Nebene alors qu’ils étaient nichés dans un
moment de notre temps – où deux maintenants s’étaient apparemment unis.

125
14 – Les événements et la personnalité de con-
centration. Présages, ressentis et attention libre.
Mais observons cette vie, et la façon dont nous pouvons réagir aux évé-
nements à partir du champ de l’attention libre – et sans en avoir conscience.
De telles perceptions n’ont de sens, et ne sont possibles, que si nous consi-
dérons les événements comme des transformations de la psyché projetées
vers l’extérieur, perçues et vécues dans le cadre d’une mise en valeur – iso-
lées de tous les autres événements de la psyché – alors qu’en réalité elles
n’en sont aucunement séparées. Le monde perçu n’est que l’aspect extério-
risé de notre vie intérieure, individuellement et collectivement.
Regardons les choses de cette façon : les événements sont du mouve-
ment psychologique, aussi vivants dans leur propre sphère que le sont les
animaux. Nous réagissons à eux comme ils réagissent à nous. Ils bougent
sans avoir de forme observable. Ils ont un élan, qui est le nôtre. Mais comme
nous oublions tout cela, souvent nous réagissons à eux à l’aveugle, emportés
malgré nous par des orages émotionnels qui semblent se déclencher à l’inté-
rieur de nous. En fait, les événements sont nos projections, ils sont person-
nalisés et dirigés vers l’extérieur par nos croyances et nos désirs ; la téléki-
nésie en acte. Ce sont des états mentaux objectivés, interagissant constam-
ment entre eux, formés automatiquement par le recoupement de l’énergie
consciente avec le champ tridimensionnel.
Tant que nous n’avons pas compris cela, et appris à tracer la frontière
entre l’expérience subjective et objective, nous nous sentons à la merci
d’événements qui sembleront toujours s’imposer à nous ; et nous ne com-
prendrons jamais le pouvoir de notre conscience ou de notre créativité.
Mais notre expérience personnelle d’un événement n’en représente ja-
mais qu’un seul Aspect : l’événement dans son entier doit inclure la partici-
pation de toutes les personnes impliquées, et même ses « effets » sur tous
ceux dont il touche les vies, même s’ils n’ont aucune connexion active avec
lui. Même l’incident le plus spontané est une partie d’autres incidents qui,
comme nous disons, le précèdent ou le suivent. Il n’est donc pas simple de
décider où commence et où finit un événement particulier.
Seulement nous structurons nos vies selon ce que nous considérons
comme des événements spécifiques, gardant sur eux notre attention et en
ignorant d’autres. C’est ainsi que nous décidons, à partir de tous les événe-
ments connus, lesquels nous voulons rendre personnels. En d’autres termes,
à partir de notre réservoir d’intérêts, de capacités et de possibilités, nous

126
prenons un nombre infini de décisions – certaines importantes, d’autres mi-
nuscules – mais toutes déterminant le degré de notre concentration et la na-
ture des événements que nous allons percevoir.
Nous allons concrètement bloquer certaines expériences possibles, et en
choisir d’autres. Quelqu’un de sportif va s’intéresser à la rubrique des sports
du journal et aller la lire en premier. Une autre personne pourra ne même
pas savoir que cette rubrique existe. Ceci est valable pour tous les domaines
de la vie. Une discrimination continuelle amène certains choix qui construi-
sent notre réalité personnelle, avec les expériences qu’elle va apporter.
Pour le redire, la perception préformatée construit notre réalité autant
par les événements qu’elle exclut que par ceux qu’elle accepte. Et ce qui
fait que je suis moi, et vous, vous, à ce niveau d’actualité, est la différence
entre notre expérience subjective ; l’immense champ d’interaction entre les
événements possibles acceptés, et ceux rejetés. Là se situe notre vie quoti-
dienne.
Il existe pourtant aussi une expérience partagée qui ne sacrifie pas l’as-
pect personnel des événements, mais qui l’enrichit : c’est quand nous vivons
quelque chose à plusieurs. Seulement au delà de ce partage physique, il en
existe un autre, intérieur, bien plus vaste, dans lequel pourtant l’aspect
personnel est conservé, ainsi que la possibilité de faire des choix. Nous
avons affaire ici à un ordre interne d’événements, et à cette communication
riche de sens qui se déroule constamment sous les mots ou les perceptions
sensorielles acceptées.
Ici les événements sont ouverts ; ils ne sont pas enfermés physiquement
dans l’espace ou le temps, ni limités à l’expérience de notre zone de vie.
Les événements intérieurs sont comme les racines des événements phy-
siques. C’est à partir d’elles qu’ils émergent dans la zone de vie. Sous ce ni-
veau d’expérience, ou au-dessus de lui, notre perception n’est pas liée à la
logique du quand-s’est-passé-quoi.
L’attention libre nous apporte sans arrêt des informations en provenance
de ce champ de la préperception. L’ennui, c’est que nous avons été entraî-
nés à les ignorer – alors qu’une partie peut être importante et nécessiter des
actions de notre part. Ces informations, indépendantes de la structure spatio-
temporelle, peuvent être troublantes ou perturbantes quand nous essayons
d’y réagir depuis l’intérieur du temps. Malgré tout nous avons souvent envie
d’agir en fonction d’une situation que nous devinons, alors qu’aucune don-
née sensorielle ne nous la confirme.
Depuis le moment de ma propre initiation médiumnique, j’ai tout fait
pour tenter de rester objective, jusqu’à être obligée d’admettre que la véri-
table objectivité implique aussi de reconnaître la valeur des ressentis subjec-
tifs, qu’ils reçoivent ou non une confirmation physique. Vous pouvez choisir
d’agir en réponse à ces ressentis, ou de ne pas le faire, mais essayer de leur
dénier toute existence n’est certainement pas une preuve d’objectivité.
À mon avis nous avons souvent conscience d’événements qui ne se pas-
sent pas à notre niveau de vie ; c’est-à-dire que nous ne rencontrons pas

127
dans notre espace-temps. Et pourtant, bizarrement, nous les sentons se dé-
rouler, et même, nous y réagissons – de façon appropriée. Un jour, par
exemple, alors que ma belle-mère était déjà malade, je commençai une
nouvelle au sujet d’une femme dans sa situation. Le personnage de cette
nouvelle, une femme âgée, s’enfuyait du domicile de son fils pour aller vers
son ancienne maison, dans une autre ville, où elle découvrait que sa maison
de famille avait été vendue. C’est elle-même qui l’avait vendue, mais elle
l’avait oublié.
À cette époque, Maman Butts vivait chez un des frères de Rob. J’étais
persuadée que mon imagination se servait de cette situation dans un but de
création. J’ai écrit la nouvelle dans une grande bouffée d’énergie, douze
pages d’un coup, presque sans faire de pauses. Tout en écrivant je devenais
de plus en plus triste, jusqu’à finir quasiment au bord des larmes. Ce qui
était tout à fait naturel vu les circonstances, pensais-je. Je n’arrivais pour-
tant pas à me libérer de cet état d’esprit. Je contemplais mes pages d’écri-
ture : déjà, il était vraiment étrange que j’aie pris le temps d’interrompre
mon livre pour écrire une nouvelle ! Je n’en avais écrit aucune depuis envi-
ron trois ans. Un moment je me suis demandé si je n’avais pas « capté
quelque chose » sans le savoir concernant Maman Butts. Je décidai que ce
n’était pas le cas. J’étais pourtant de plus en plus triste, une tristesse qui
dura toute la journée.
En début de soirée nous avons reçu un appel du frère de Rob, nous disant
qu’il allait falloir placer leur mère dans une résidence pour personnes
âgées : elle était devenue ingérable. Il mentionna spécifiquement son désir,
et même sa détermination, de retourner dans son ancienne maison, qu’elle
avait totalement oublié avoir vendue. Là aussi une situation naturelle vu les
circonstances. Seulement dès que nous avons reçu cet appel, mon humeur
s’améliora. Je ressentis même une sorte de soulagement : j’avais quelque
chose de tangible à quoi relier mon état d’esprit ; je ne réagissais pas… à
rien. On nous a appris que nous ne pouvions pas réagir à quelque chose qui
n’est pas encore arrivé ; je suis pourtant persuadée que j’ai réagi à l’avance
ou bien à la situation de ma belle-mère, ou bien à l’appel téléphonique.
Plus tard dans la journée, j’ai oublié l’incident. Entre temps Maman
Butts avait été placée dans une maison de retraite non loin du domicile de
l’autre frère de Rob.
Environ trois semaines plus tard, Rob et moi revenions un soir, d’excel-
lente humeur, d’avoir été danser, et sommes allés nous coucher. Soudain,
nous avons été réveillés par un bruit totalement indescriptible. Rob alluma.
Nous étions en plein été, et derrière les volets les fenêtres étaient grandes
ouvertes. Je poussai un hurlement. Un oiseau volait furieusement à travers
la pièce. Il faisait de grands « huit » dans tous les sens, rasant la tête de Rob
en lui ébouriffant les cheveux, le forçant chaque fois à se baisser pour l’es-
quiver. La question de savoir comment l’oiseau était entré ne se posait
même pas : il était passé par la fenêtre de la cuisine, celle devant le chêne,
dont les volets étaient ouverts.

128
Dans le milieu traditionnaliste irlandais où j’ai grandi, un oiseau dans la
maison signifie la mort. Que c’est bête, pensai-je. Ce n’était qu’un incident
banal, sans rien d’étrange. Pourtant, je me souvins que plusieurs années au-
paravant, un oiseau avait traversé la maison au moment de la mort de ma
grand-mère. Seulement au cours des dernières années mes deux parents
étaient décédés – sans oiseau. Alors pourquoi sentais-je que cet oiseau an-
nonçait la mort prochaine de Maman Butts ?
Au milieu de toutes ces réflexions, je restai au lit. L’oiseau continuait
ses allées et venues ; Rob ouvrit les volets, dans l’espoir qu’il trouverait le
chemin de sortie. Nous avons bien attendu cinq minutes. Puis l’oiseau a dis-
paru par la fenêtre.
Malgré moi je pensai : M’man ne va pas mourir tout de suite, puisque
l’oiseau s’est échappé. Mais c’était le début de la fin. Épuisés, Rob et moi
nous endormîmes, trop fatigués pour discuter. Ce n’est que le lendemain
que nous avons réalisé que nous étions incapables d’identifier l’oiseau, alors
que la lumière était allumée. D’abord il volait trop vite ! Nous étions d’ac-
cord qu’il était plus grand qu’un moineau et plus petit qu’un merle, et qu’il
était gris. Mais nous n’en avions jamais vu un semblable, alors qu’il y a des
mangeoires tout autour de la maison, et que nous observons souvent les oi-
seaux.
Toute la journée je fus mal à l’aise, mais je me répétais que connaissant
la situation de Maman Butts, j’avais fait le lien avec la superstition au sujet
des oiseaux annonçant un décès ; j’en restai là. Me sentant toujours aussi
bête, je fermai tous les volets, comme si j’avais pu empêcher la mort de
Maman Butts en empêchant les oiseaux d’entrer. Je courais d’une fenêtre à
l’autre, vérifiant la fermeture des volets, essayant de faire fuir la mort.
Sans arrêt je me répétais que même si M’man avait perdu la tête, physique-
ment elle allait encore très bien. Mais les mots sonnaient faux.
Deux jours plus tard, nous avons reçu un autre appel téléphonique au su-
jet de M’man, le premier depuis que j’avais terminé ma nouvelle. Ma belle-
sœur nous annonçait que M’man était dans un état critique, et qu’ils
s’étaient attendus à une fin rapide. Elle avait en très peu de temps con-
tracté une mauvaise infection. Elle avait été emmenée à l’hôpital – deux
jours plus tôt – mais elle s’en était étonnamment sortie, et ils espéraient
qu’elle allait pouvoir récupérer.
Le lendemain, nous étions très occupés. Nous attendions de la visite.
J’avais fait un chaudron de sauce à spaghetti, que j’avais mise à mijoter
pendant que j’écrivais. Tout à coup j’entendis un oiseau, ou ce que j’ai
pensé être un oiseau. Je m'immobilisai, les doigts posés sur le clavier de la
machine à écrire, et me mis à l’écoute. On aurait dit un oiseau pris au
piège, battant des ailes ; j’allai voir partout, et ne trouvai rien. Je décidai
donc que mon imagination faisait des heures supplémentaires, que le bruit
venait de la sauce mijotant sur le gaz, ou de la pression de la vapeur sous le
couvercle. Je notai l’heure et ce que je ressentais, puis oubliai le tout.

129
Deux jours plus tard, autre appel ! C’était cette fois mon beau-frère, qui
nous annonçait que le lundi après-midi, à environ trois heures, l’état de Ma-
man Butts s’était terriblement aggravé. C’est à trois heures et demie que
j’avais pensé entendre un oiseau, et que j’avais fait le lien avec Maman
Butts. L’autre frère de Rob avait été supposé nous appeler lundi après-midi,
mais pour plusieurs raisons il n’avait pas pu le faire. Ce n’était pas la peine,
pensai-je : à ma façon, j’avais reçu le message. En même temps je me disais :
je ne peux rien prouver. On dirait simplement un ensemble de coïncidences.
Deux semaines passèrent. M’man se sentit mieux et retourna à la maison
de retraite. Nous étions soulagés de voir le danger s’éloigner. Puis, un jeudi
matin, je me réveillai dans une terrible dépression, un abattement qui dura
toute la journée.
Cette fois je suivis mon ressentis, je notai mon état et précisai : « Com-
ment va Maman Butts ? Est-ce que je suis en train de recevoir comment elle
se sent ? Va-t-elle plus mal ? » Je me dis que s’il s’était passé quelque
chose, on nous aurait prévenus. Là encore, je fus incapable de me libérer de
ce découragement presque écrasant.
Le vendredi, aucune nouvelle. Je me sentais mieux, plus détendue. Le
samedi de nouveau je me sentais mal, et finis par appeler ma belle-sœur.
Elle me répondit : « M’man a bien supporté l’opération.
- L’opération ? Quelle opération ? » demandai-je, choquée. J’appris que
le jour où je m’étais sentie si mal, Maman Butts avait fait une crise. Le
jeudi elle était tombée et s’était cassé le col du fémur ; elle avait été opé-
rée le jour-même. Encore une fois un membre de la famille devait nous pré-
venir, et ne l’avait pas fait ; pourtant le message nous était bien parvenu,
du moins en partie.
Je raconte toutes ces expériences justement parce qu’elles sont ba-
nales, d’une certaine façon ; il n’y a aucune vision, aucune voix venue d’ail-
leurs, et pourtant elles représentent bien ce qui arrive souvent au sein de
familles confrontées à la maladie grave. Vous ne pouvez pas prouver que
vous saviez ce qui se passait autre part sans aucun moyen physique de le sa-
voir. Vous n’avez que vos ressentis sur lesquels vous appuyer, et l’on vous
apprend à ne pas leur faire confiance si vous ne pouvez pas les relier immé-
diatement à des faits physiques.
Seulement mes ressentis avaient du sens et se révélèrent tout à fait ap-
propriés une fois mis en relations avec leur contrepartie physique ; ils ne se
retrouvèrent en place que lorsque j’eus accepté que j’avais connu les évé-
nements à l’avance. Ma connaissance inconscience était certainement vague
et sans aucun détail. Mais j’avais reçu suffisamment d’informations pour que
mon humeur s’en ressente fortement.
L’épisode de l’oiseau est un peu différent. Il est clair que pour moi l’oi-
seau était un présage de mort. S’il n’était pas entré dans la maison, j’aurais
peut-être utilisé un autre être vivant comme symbole pour amener de l’in-
formation inconsciente à la surface de mon esprit. Une fois le symbolisme
établi, un oiseau réel n’était peut-être même pas nécessaire, puisque lors

130
de l’incident suivant j’ai confondu le bruit du couvercle frappant la casse-
role de sauce avec celui d’un oiseau battant des ailes. Selon le standard of-
ficiel une perception mal interprétée, certainement ; mais la perception
symbolique parfaite d’un événement existant dans un autre ordre d’activité.
Répétons-le : où commencent ou finissent les événements ? Pour le dire
de façon très concrète, le fait complètement banal du couvercle de la cas-
serole de sauce fut connecté à l’état critique de ma belle-mère d’une façon
qui était subjectivement valable.
Quelques jours après le dernier de ces incidents, nous allâmes visiter Ma-
man Butts. À ce moment-là je commençais à discerner une structure entre
mes humeurs et son état de santé – une structure assez dérangeante. J’ac-
ceptais l’existence de la télépathie, sans nécessairement l’associer au fait
de « lire dans le mental », et je reconnaissais vaguement l’existence de la
transmission psychique des sentiments. Mais là je commençais à me deman-
der quelle pouvait être la fréquence de ce genre de chose. Je savais que
mon désir de connaître l’état de santé de Maman Butts jouait un rôle dans
toute cette histoire, et probablement un rôle-clé.
Ce qui me conduisit à d’autres questionnements. À quel degré les événe-
ments étaient-ils personnels ? À quel point dépendaient-ils de l’espace et du
temps ? Qu’en était-il de la mort, par exemple ? J’y réfléchissais quand nous
étions à l’hôpital, et dès que nous fûmes rentrés à la maison, j’écrivis les
réflexions suivantes :
Nous sommes allés voir Maman Butts. Depuis la semaine dernière elle
souffre d’un œdème au poumon. Ils lui donnent de l’oxygène. Nous nous te-
nions à son chevet, comme des gens confrontés à l’inévitable. M’man ne
pouvait évidemment pas parler. Elle était intubée, et gardait la bouche ou-
verte. On aurait dit un trou béant vers les ténèbres ou l’éternité. Par con-
traste, le bruit de sa respiration difficile me rappelait à quel point notre
respiration peut être souple et belle. Avec quelle magnifique et divine légè-
reté nous nous maintenons en vie ; et à quel point nous sommes inconscients
de ces mécanismes délicats.
Maman Butts est toujours là, mais cela fait au moins deux ans que Rob et
moi, ainsi que ses frères et belles-sœurs, réagissons à cette mort, ainsi que
Maman Butts elle-même. La mort physique ne représente qu’une partie de
cet événement, la portion qui peut être définie dans l’espace et le temps.
D’abord, un aspect relationnel vital de Maman Butts est mort. Pour elle,
les relations du monde physique sont périphériques, et l’événement réel de
sa mort se déroule depuis un certain temps. J’ai eu conscience de la crise
traversée par M’man par des biais apparus de façon énigmatique dans ma
zone de vie. Quelque chose se passe qui ne se montre pas. Nous émergeons
toujours à la vie à partir d’un ordre intérieur des choses, mais en particulier
en ce qui concerne la mort, nous essayons de faire semblant qu’elle n’existe
pas. En tout cas nous nous méfions d’elle, car, évidemment, et d’après
nous, elle nous « enlève » les vivants.

131
Cependant, au moment de la mort, notre expérience tout entière se dé-
place vers cet ordre interne des événements, et à l’approche de la mort
cette expérience rejoint cette intériorité ; nous nous concentrons avec et
dans notre corps, et les événements que nous percevons se situent en de-
hors de la zone de vie plutôt que sur elle. Des épisodes du passé peuvent se
placer en surimpression sur notre ici et maintenant ordinaire, par exemple.
Pour le redire : il se passe des choses qui ne se montrent pas. Qui peut en
parler ? Car celui qui meurt, et ceux qui l’aiment, ne peuvent plus parler.
Je crois surtout que la conscience se détourne de plus en plus du niveau
de la zone de vie. Ses limites temporelles ne fonctionnent plus. De notre
côté, nous disons que le mourant délire, qu’il a des hallucinations, s’il n’ar-
rive pas à rester en phase avec son temps ou à conserver l’ordre des événe-
ments. Il nous vient rarement à l’esprit que sa vision de la réalité peut être
plus vraie, fondamentalement, que la nôtre.
J’essaye de plus en plus de rechercher l’envers des événements, de re-
tourner « ce qui s’est passé » pour voir ce qui peut-être se cachait dessous.
La zone de vie n’est vraiment que la représentation d’une expérience dans
l’espace et le temps ; une vie d’événements perçus sur le plan physique.
Mais de nombreuses expériences normales ne s’y manifestent pas claire-
ment. C’est-à-dire que les autres ne les voient pas, alors qu’elles sont tout à
fait réelles pour nous. En fait, sans elles, les événements n’auraient aucun
sens.
Je parle des pensées et des émotions. On les vit de façon très directe.
Nous essayons d’en faire part, et nos corps les reflètent par les gestes et les
mouvements, mais elles ne sont pas objectivées de la même façon que, par
exemple, l’action de lancer un ballon. Elles gravitent autour de nos expé-
riences extérieures. De la même façon une autre activité subjective peut
demeurer juste à côté de la zone de vie, tenue à l’écart par notre cons-
cience habituelle tout en lui apportant le support d’un cadre de référence.
Nous savons qu’il peut se passer d’innombrables événements internes
avant que nous en vivions un d’objectif (les « atomes et molécules » psycho-
logiques à l’intérieur du processus « solide ») C’est là, sous l’objectivité,
que se produisent les événements multidimensionnels, à un niveau invisible
mais éternellement mouvant, avant de faire irruption dans ce que nous per-
cevons comme un événement physique. Les événements ordinaires bénéfi-
cient d’une concentration intense uniquement parce que nous ne vivons
qu’une petite partie de leur réalité – celle qui fait surface.
Seule une conscience multidimensionnelle serait capable de vivre tous
les aspects d’un événement, en percevant toutes ses variations possibles,
chacune aussi réelle que toutes les autres. Une telle conscience devrait lit-
téralement construire des ponts entre des réalités inconnues de nous pour
découvrir ce qui arrive à quel qui dans quel quand.
Dans quel quand ?
À quel vous ?

132
Comme il serait facile de nous perdre dans toutes les dimensions d’un
événement, de perdre notre fil personnel, et peut-être de ne plus jamais
pouvoir revenir à l’ordre établi des choses de notre zone de vie, avec sa ras-
surante illusion de continuité.
Peut-on relier à tout cela certaines formes de folie ? Certaines cons-
ciences s’éloignent-elles simplement trop loin du point précis nécessaire à la
claire concentration sur le ici ? Dans un tel cas, tout doit leur apparaître suf-
fisamment déformé pour que le monde ait perdu cette chère stabilité, ou ce
semblant de stabilité, sur lequel nous réglons tous notre consensus.
Car bien sûr nous ne sommes pas qu’ici. Comme des abeilles autour des
fleurs, nous voletons et voltigeons autour du point de concentration de
notre réalité, pour alternativement nous y plonger et en émerger. Dans les
rêves, les rêveries et les états modifiés de conscience, nous nous désali-
gnons d’ici, dans une certaine mesure, et nous nous alignons sur un ailleurs.
Mais où que nous dirigions notre attention, il y a toujours quelque chose à
percevoir, car la lumière de la conscience métamorphose constamment des
zones indifférenciées de réalité pour leur donner du sens, et la vie.
Car d’une certaine manière, notre conscience est de l’énergie interagis-
sant avec d’autres champs d’énergie. Et pendant que nous sommes nous, in-
dividus relativement autonomes, il est évident que notre conscience indivi-
duelle construit également des champs d’énergie de masse ; certains entou-
rant notre zone de vie, et d’autres existant à côté d’elle, où toutes les cons-
ciences terrestres de notre espèce, et d’autres, existent indépendamment
de leur époque.
J’ai ressenti cela lors de différents états de transe, et Seth insiste sur le
fait que tout ceci nous est théoriquement accessible par la fenêtre de notre
moment présent ; le point où se situe notre être dans l’espace et le temps.
Nous n’avons qu’à ouvrir le canal. Peut-être Seth ne représente-t-il qu’une
de ces consciences multidimensionnelles, et le Sumari, dans son ensemble,
et d’un côté, toutes ces unités de conscience projetées par notre moi-
source (le fantôme de nous-même sur des dimensions supérieures) et que
nous percevons, et de l’autre, la conscience unie et entière telle qu’elle est
contenue par tous les êtres de la terre.
C’est ainsi que la terre n’aurait pas de fin, pas plus qu’un commence-
ment. Le seul et unique commencement est ce maintenant d’où l’expé-
rience se répand dans toutes les directions, pour installer un soi-disant passé
derrière nous et un avenir devant nous ; lançant des vagues sous formes
d’années à partir de notre maintenant. Mais il y aurait aussi d’autres terres,
qui seraient nos terres possibles, avec différentes intersections d’espace et
de temps ; d’autres zones de vie et d’autres époques historiques que les
nôtres.
Mais tous, nous conservons nos mémoires aussi pures que possible, et
nous ne sommes pas perdus, mais libres d’explorer nos propres réalités à
partir de ce nid particulier dans cette dimension du temps et de l’espace
que nous appelons la terre. Et pourtant, je suis convaincue que dans un
autre monde possible, aux apparences de terre, je ne suis pas en train

133
d’écrire ce livre. Peut-être ne suis-je pas un écrivain, ou alors je vis dans
une civilisation où la lecture n’existe pas. Mon potentiel d’écriture y reste-
rait alors latent.
Et tout aussi probablement, dans un autre monde possible, vous ne lisez
pas ce livre. Avant que vous ne vous en soyez saisi, dans notre réalité, le
fait que vous le lisiez ou ne le lisiez pas étaient des probabilités. Votre lec-
ture actualise une de ces probabilités, mais à un autre niveau d’activité, la
non-lecture est l’affaire d’un moi alternatif qui a pris une autre décision, ou
alors qui s’est mis dans une situation de ne jamais tomber sur ce livre.
En commençant le premier jet de ce chapitre, je savais que ce livre
était quelque part déjà terminé. Je n’en avais pas commencé la première
partie, alors, ni la dernière. Mais je savais que toutes les parties étaient
d’une certaine façon « écrites » simultanément, même si au niveau de la
zone de vie, je devais l’écrire chaque jour. Au niveau du quotidien je ne sa-
vais pas où ce livre allait m’emmener, mais (comme avec le carré) j’avan-
çais en confiance, dans la foi, à un autre niveau, en mes capacités.
Pourtant je n’aurais pas voulu supprimer les jours qui me séparaient de
la fin de l’écriture : je savais que tous avaient leur secret et leur significa-
tion propre, et qu’ils étaient vitaux au delà de toute description ; qu’ils
étaient précieux précisément en raison des perceptions sensorielles qui me
montraient des aubes et des crépuscules bien rangés, même si cette réalité
séquentielle me cachait par moments des parties entières de mon livre.
Mais ce « par moments », je le savais, n’était que relatif. Car si nous
sommes conscients de notre côté multidimensionnel, celui-ci fait contre-
poids. Nos rêves prennent vie. Nous nous retrouvons parfois complètement
réveillés en plein milieu du sommeil, et découvrons les brillantes preuves de
notre autre savoir. Et tout ceci est comme une riche sous-couche posée sous
notre expérience créative quotidienne, qui lui ajoute une autre perspective
plus étrange, plus vaste, et définitivement unique.
Mais malgré tout cela, comme nous pouvons être obtus ! S’il y a
quelqu’un qui connaît bien l’inspiration, c’est certainement moi ; et pour-
tant je me retrouve parfois à me faire du souci pour mon plan d’écriture, à
me battre pour être sûre d’avoir bien mes cinq heures à ma disposition, et à
maudire toute distraction. Et puis je me rends compte que souvent j’ai fait
mon meilleur travail en « heures supplémentaires », alors que je ne faisais
plus que jouer avec des idées.
Alors qu’écrire des livres requiert une certaine somme de travail et oc-
cupe pas mal de temps, l’inspiration, elle, se glisse entre des « temps ». Elle
ouvre le temps. Deux heures d’un travail inspiré valent dix heures d’une
écriture forcée où l’on tire à la ligne. Mais c’est un savoir subjectif qui est
en jeu, un moment privilégié où l’inspiration est disponible, et où les réali-
tés invisibles coïncident avec la réalité habituelle. Ce savoir pénètre notre
temps, mais son temps et le nôtre doivent être alignés, bien sûr.
Je crois que ces étranges et opaques rencontres se produisent chaque
fois que nous recevons des informations provenant de l’ordre intérieur des
choses, que ce soit par inspiration, prescience, intuition, par exemple.

134
D’après Seth, reconnaître cette plus vaste réalité active ce qu’il appelle le
spacieux mental, et ajoute une autre dimension plus inclusive à nos percep-
tions. En d’autres termes, le spacieux mental augmente la puissance des
perceptions normales, et nous permet de devenir de plus en plus conscient
d’événements qui ne se produisent pas directement dans notre zone de vie.
À des degrés différents, la personnalité de concentration s’habitue à des
données auxquelles ses croyances lui interdisaient auparavant l’accès. L’in-
formation doit ensuite être assimilée comme n’importe quelle donnée sen-
sorielle.
Pour le dire simplement, la personne a plus à gérer qu’avant. Vivant
dans son monde habituel, elle devient consciente d’événements qui se pro-
duisent en dehors de sa zone de vie, ou à d’autres endroits de celle-ci que
celui où elle se trouve. Sa vision s’élargit. Le spacieux mental fait office
d’une plateforme située juste au-dessus de la zone de vie, d’où la personne
perçoit un plus grand champ d’activité, exactement de la même façon que
depuis un avion on aperçoit un plus grand paysage que lorsqu’on se déplace
sur le sol.
Il faut ensuite que l’information soit positionnée dans le contexte habi-
tuel pour pouvoir être utile. Tout ceci implique une espèce d’entraînement
continu, la personnalité de concentration apprenant à réagir non seulement
aux perceptions de son ici et maintenant, mais aussi à celles d’événements
situés en dehors de cette structure.
Mais à cause de nos habitudes de socialisation, nous avons beaucoup de
mal à ressentir des événements que nous ne pouvons lier immédiatement à
des preuves physiques. Ce qui fait que nombre d’entre nous rejettent cette
information et résistent même à un usage spontané de ces capacités. J’au-
rais certainement pu avoir des informations plus précises sur l’état de santé
de ma belle-mère lors de tous les incidents que j’ai mentionnés plus haut, si
je n’avais pas résisté dans une certaine mesure, par peur d’exagérer mon
humeur ou de laisser mon imagination dériver. Prendre l’oiseau comme un
présage m’a donné un appui physique, a relié l’information intérieure avec
la réalité extérieure du moment, la rendant ainsi d’une certaine façon plus
respectable.
La respectabilité est importante pour la personnalité de concentration :
dans un sens elle doit se frayer son chemin à travers la zone de vie, faire
coïncider sa grande énergie avec une structure préfabriquée. Nos idées sur
la réalité sont les siennes. Nos croyances lui apporteront plus de liberté et
de marge de manœuvre, ou la restreindront au contraire. La personnalité de
concentration est cette partie de la psyché avec laquelle nous nous identi-
fions habituellement. Mais comme les événements, la psyché a un Aspect in-
visible, d’où émerge la personnalité de concentration. Pour en avoir un
aperçu, nous devons nous analyser nous-mêmes, ainsi que les événements
que nous vivons – dans le temps et hors de lui.

135
15 – Ordre interne des événements et
perceptions « officieuses »
J’ai eu un soir la surprise d’entendre une version pour violoncelle de
mon chant sumari : « Chant de la Création ». Wade, un de mes élèves, est
un musicien ; il a transcrit le chant à partir de l’enregistrement. C’était une
jolie musique. « Une composition musicale, pensai-je. D’où vient-elle ? »
J’ai fait profession d’écrire et il m’arrive de peindre, mais je n’ai aucune
connaissance de tout ce qui concerne le solfège ou la composition, pas plus
que je n’ai jamais travaillé ma voix, ni encore moins pris des cours de
chants. Et nous avions là un très beau morceau de musique, du moins pour
mon oreille de néophyte. Et pour Wade – et sa femme, qui est également
musicienne.
Aurais-je pu devenir musicienne si j’avais étudié ? Je me demandai :
combien de compositions musicales sont-elles perdues parce que les indivi-
dus qui pourraient les produire ne sont pas conscients de leurs capacités ?
Les chansons sont-elles là, disponibles, pour qu’on n’ait qu’à les prendre,
comme les livres ? Comme tout ? En écoutant le violoncelle, je me disais :
« Et voilà, je me manifeste tout aussi facilement à travers moi-même que ce
chant l’a fait ; et mes élèves se manifestent à travers eux-mêmes de la
même façon ; et c’est le cas pour tout le monde. Notre individualité passe
sans arrêt à travers nous, sans effort ; nos plus beaux moments, nos plus
grands talents, notre force physique – tout cela sort de nous de façon com-
plètement naturelle. Tout ce que nous avons à faire, c’est d’accompagner
les moi que nous sentons en nous. »

136
Mon chant original et la version de Wade étaient des événements exté-
rieurs, mais la composition musicale que j’ai chantée aussi facilement pro-
venait de l’événement intérieur à l’origine de mon chant. En écoutant jouer
Wade, de nouveau j’ai vu que tous les événements extérieurs proviennent
d’événements intérieurs, d’un ordre interne qui fait sens dans son propre
contexte et à son propre niveau ; et que nous traduisons constamment les
événements d’un ordre dans l’autre, souvent sans même le savoir. Le
« Chant de la Création » me l’a montré de façon très claire justement parce
que j’avais terriblement conscience de ma totale ignorance à mon niveau
ordinaire de conscience.
Mais à quel point les événements internes du mental sont-ils réels, et à
quel ordre de réalité appartiennent-ils ? Comme nous dirigeons d’ordinaire
notre attention vers l’extérieur, nous regardons le monde à travers le con-
tenu de notre mental. Et ce contenu se confond si harmonieusement avec
les événements extérieurs que la plupart du temps nous ne l’apercevons
pas. Pire, le mental se perd dans son propre contenu, que nous n’analysons
jamais.
Si, au contraire, nous l’analysons, nous pouvons suivre à la trace cer-
taines données intérieures sur leur chemin vers l’extérieur, jusqu’à ces évé-
nements extérieurs qui semblent nous arriver. Mais d’autres contenus inté-
rieurs demeurent dans un ordre différent d’existence. Nous devinons leur
réalité. Ils peuvent même s’emparer d’une bonne partie de notre « espace
de pensée », mais nous ne pouvons pas les suivre vers l’extérieur de la
même façon. On dirait qu’ils existent dans leur propre royaume intérieur, où
il faut les accepter ou les nier dans leur propre contexte. Généralement ils
ne s’extériorisent pas.
Apparemment ce monde des activités, symboles et expériences inté-
rieurs est aussi vaste et varié que le monde extérieur, en dépit de sa nature
éminemment personnelle. Les corrélations ordinaires que nous connaissons
tous y sont absentes, ou plutôt, elles sont difficiles à trouver. Le monde in-
térieur est peuplé de symboles, d’idées et de personnalités. Mais vus depuis
notre concentration physique, ils ont tous quelque chose d’évanescent, et
on ne peut pas les fixer facilement. Tout cela semble se dérouler juste sous
la surface de notre attention, et quand nous prenons soudain conscience
qu’il se passe quelque chose, tout disparaît.
Le rêve est un bon exemple de cet ordre intérieur des choses. Nous
sommes définitivement conscients, mais vivons une expérience différente, à
laquelle les règles habituelles ne s’appliquent pas. On perçoit parfois une
structure psychologique totalement autre, dans laquelle nos pensées et ac-
tions semblent ne suivre aucun schéma. Pourtant, si nous commençons à
étudier nos rêves, nous découvrons vite que toute cette activité onirique est
loin d’être aussi chaotique qu’elle le paraît.
D’abord, dans les rêves, le temps est hors contexte, ce qui pour nous est
troublant quand nous examinons nos rêves à partir de l’état de veille. Mais
nous découvrons aussi un autre type d’organisation, qui n’est pas celle sur

137
laquelle nous nous concentrons quand nous sommes éveillés ; et qui ne cor-
respond certainement pas à la manière dont nous ordonnons les événements
du quotidien.
Nous passons une grande partie de notre temps à dormir et à rêver, il
faut donc que ces événements sujets de la concentration intérieure soient
importants ; et je pense qu’ils possèdent comme une espèce de continuité
au cours des années. C’est-à-dire que de la même manière que nous avons
une histoire à l’état de veille, nous avons certainement aussi une histoire à
l’état de rêve – mais une histoire dans laquelle les événements passés et fu-
turs sont mélangés ; où des morceaux d’événements possibles sont essayés,
choisis ou rejetés, jusqu’à ce que finalement un modèle pour l’émergence
d’événements physiques se constitue.
Dans les rêves, notre réalité mentale n’est pas limitée à la perception
correspondant à notre zone de vie. Les événements sont vécus comme phy-
siques, mais ils ne se déroulent pas à l’intérieur de l’attention habituelle de
la personnalité de concentration. Le processus du rêve prend du temps, mais
dans ce cadre le mental fait ses expériences en dehors de la confrontation
habituelle avec l’espace et le temps. La rencontre de la personnalité de
concentration avec la réalité tridimensionnelle est opaque dans le rêve, et
elle y jouit relativement d’une plus grande liberté.
Mais il est possible aussi de vivre ces expériences d’un autre ordre en
étant éveillé, surtout si l’on s’y efforce consciemment. Dans ce cas, et selon
les circonstances, nous apprenons à passer d’une réalité à l’autre – à perce-
voir l’ordre intérieur de la réalité, tout en laissant l’ordre extérieur reculer
provisoirement à l’arrière-plan, à la périphérie de notre conscience.
Quand je le fais, je prends souvent délibérément comme points de réfé-
rence le temps et les événements du quotidien ; je reste à leur proximité,
tout en me concentrant fortement sur cet ordre différent d’existence, et sur
les événements caractéristiques qui s’y déroulent.
Pour le redire, la réalité elle-même a ses Aspects, et pour moi notre réa-
lité n’est qu’un de ces Aspects. Chacun est une version particulière d’une
réalité créative fondamentale et indifférenciée – un champ éternellement
présent d’activité latente – qui réagit, ou émerge à l’être, quand la cons-
cience, ou l’énergie « devenue conscience » le touche, et lui donne forme
en fonction de sa propre concentration perceptuelle. Chaque Aspect de la
réalité est aussi légitime que les autres. Je crois qu’on peut en apercevoir
certains en modifiant la focale de notre concentration habituelle ; et que
d’autres ne sont pas perceptibles. Nous pouvons cependant expanser la na-
ture de notre conscience en lui permettant de percevoir autant d’Aspects
différents que possible, en gardant son centrage tout en percevant simulta-
nément plusieurs ordres d’événements et en interagissant avec eux.
Un exemple de ce que je veux dire a été brièvement mentionné par Rob
dans ses notes pour La nature de la réalité personnelle – un livre de Seth,
mais j’aimerais y revenir ici plus en détails. À l’époque où Seth écrivait ce
livre, je travaillais à mon propre recueil de poésie, Dialogues de l’âme et du
moi mortel dans le temps. Un jour où j’étais particulièrement inspirée, j’ai

138
écrit une strophe où l’âme parle au moi mortel d’une « double lumière qui
relie nos deux mondes. »
Ce soir-là Rob et moi attendions de la visite. Après le dîner il est sorti
acheter du vin et des biscuits salés, pendant que je rangeais la cuisine. Il
avait plu toute la journée, et pendant que je finissais la vaisselle, j’ouvris la
fenêtre pour vérifier s’il ne pleuvait pas trop fort pour que j’aille faire un
tour.
Soudain, je m’immobilisai. La nuit était douce et veloutée, mais resplen-
dissait de la lumière des lampadaires sur le trottoir mouillé. Juste sous la fe-
nêtre, une mare attirait mon attention. Je la fixai. On aurait dit que les
gouttes de pluie sortaient d’elle autant qu’elles y tombaient. C’était une
créature vivante, lançant des gouttes d’eau comme un porc-épic ses pi-
quants. Sa peau douce et argentée attirait irrésistiblement les lumières de
la rue. On aurait dit un buisson aux feuilles de pluie et aux fleurs de lu-
mière, et pendant que je l’observais, il se leva et s’en alla – une des choses
les plus étonnantes que j’aie jamais vues.
Je savais que dans le monde normal il n’y avait qu’une flaque sur le sol
du parking. Je savais aussi que par mes sens physiques, je voyais d’une cer-
taine façon cet autre Aspect de la réalité dans lequel la mare était une
créature de pluie, vivante, agile, remplie d’énergie. Je la voyais marcher,
prendre forme à partir de la mare, s’épaissir. Il aurait été ridicule de de-
mander laquelle de la mare ou de la créature était réelle. Les deux
l’étaient. Mais la créature était bien plus intéressante.
Tout en observant la créature de pluie, cependant, je savais que n’im-
porte qui installé dans l’état de conscience habituel ne verrait qu’une
flaque d’eau ; et je savais aussi que dans le monde normal, les flaques d’eau
ne se lèvent pas pour aller se promener. (Dans ce cadre de référence, si
j’affirmais une telle chose, je serais considérée comme folle.) Mais en re-
gardant cette fantastique et étincelante créature, je savais aussi que la
mare était la représentation plate, incolore et banale de quelque chose
d’autre qui était tout aussi valide qu’elle. J’avais aussi conscience du fait
que si je sortais, la créature de pluie n’allait pas me courir après le long de
la rue parce que les deux réalités, tout en étant reliées, fonctionnaient sé-
parément.
Alors que j’étais là, perplexe, il se passa encore autre chose. Soudain,
près du réfrigérateur, à hauteur de ma hanche, apparut une tache ronde et
immobile de lumière jaune. Elle ne venait d’aucun endroit que j’aurais pu
localiser. Il n’y avait pas eu d’éclair dehors, par exemple. Mais cette tache
n’avait pas de contrepartie, comme la flaque d’eau était la contrepartie de
la créature de pluie. La lumière était physique, mais dans notre système de
référence, elle n’avait aucune raison d’être là. C’était un cercle parfait,
plat, de lumière ; un grand cercle, plus large que le réfrigérateur. Les bords
étaient nets, le cercle n’éclairait pas la pièce. De la lumière – dans un autre
ordre d’existence. Je fus tellement stupéfaite que je fis un bond en arrière,
et la lumière disparut immédiatement.

139
Pour être honnête je n’ai aucune idée d’où pouvait venir cette lumière.
Je sais avec certitude que ce n’était pas un reflet, ou une hallucination. Je
pense que d’une certaine étrange façon, c’était un événement en prove-
nance de cet autre ordre de réalité ; que symboliquement il représentait
« la lumière qui unit nos mondes ». Les deux événements, la créature de
pluie et la lumière, ont trouvé leur place dans les Dialogues. Ils y ont été
utilisés comme un matériau de création, ce qui est une excellente façon de
relier des perceptions transcendant un ordre quelconque d’événements. À
mon avis l’art est un excellent moyen de relier divers Aspects de la réalité
pour les présenter à notre monde.
Pendant l’écriture des Dialogues, je passais sans arrêt d’un ordre d’évé-
nements à l’autre, en utilisant comme lien mon état habituel d’inspiration.
J’ai remarqué par exemple qu’il m’était difficile de communiquer quand
j’étais immergée dans cette autre réalité, et l’inspiration créatrice me sert
de pont entre les deux mondes en permettant la traduction artistique.
Un jour par exemple, alors que j’écrivais de la poésie, j’ai senti d’im-
menses créatures debout à la frontière du monde ; leur taille était à la hau-
teur du sommet des arbres, leurs épaules haut dans le ciel. Je ne me suis
pas précipitée dans la rue en hurlant : « Hé, regardez les géants ! » En
même temps je savais qu’il s’agissait de consciences inoffensives, gigan-
tesques par rapport à la nôtre. En vivant cette expérience j’ai dû cesser
d’écrire mon poème, car l’événement dépassait même cet état de cons-
cience. Je reviendrai plus bas sur cet épisode.
En fait, il est extrêmement important de reconnaître que dans ce genre
de cas, deux ordres d’événements sont réellement impliqués. Il est à peu
près certain que les visages que mes élèves ont vus un soir sous le plafond
du salon (voir au chapitre I) relevaient de cet ordre intérieur des choses. Ils
étaient valables, mais en référence à… autre chose, à une autre réalité que
nous traduisons en données sensorielles ou pseudo-sensorielles pour être ca-
pables de les percevoir.
Si j’avais par exemple insisté sur le fait que ma créature de pluie avait
une existence physique, et si j’avais essayé de plaquer cette réalité sur
celle de la flaque d’eau de notre monde, j’aurais eu un problème. Si je
m’étais précipitée dehors pour entrer en contact direct avec elle en tant
qu’entité de notre monde factuel, il aurait fallu que je la force à entrer
dans un monde où elle n’avait pas sa place. Si j’avais eu des tendances pa-
ranoïaques, j’aurais projeté sur elle tout le mépris que j’aurais senti dirigé
contre moi ; j’aurais eu peur qu’elle m’attaque. Ou voyant un voisin, j’au-
rais essayé de le convaincre de la réalité de la créature de pluie, en insis-
tant sur le fait qu’elle était RÉELLE. Évidemment qu’elle était réelle, mais
pas dans l’ordre des choses que nous acceptons.
Certaines personnes trouvent relativement facile de modifier la focale
de leur conscience pour percevoir ces « autres » événements. Mais rares
sont celles qui sont capables de les relier à la vie normale. Je viens moi-
même seulement de commencer cette recherche, et pour le moment, la
seule chose dont je sois sûre c’est que ces événements sont perceptibles

140
pour l’unique raison qu’ils ne s’insèrent pas dans la séquence communément
acceptée de la réalité officielle.
Je sais avec certitude que lorsque nous mélangeons ces deux sortes
d’événements, nous nous attirons des problèmes. Nous devenons confus
dans notre monde, notre comportement devient inadapté. Ce sera peut-être
plus clair si j’apporte deux exemples de ce genre de comportement. Les
deux concernent des personnes qui avaient fait de courts séjours en hôpital
psychiatrique ; les deux avaient lu les livres de Seth, ainsi qu’à peu près
tous les livres de ce genre sur le marché.
Le premier épisode concerne un jeune homme que j’appellerai Ed, origi-
naire de la côte ouest. Il m’appela un jour pour me dire qu’il était le Christ,
et que dans quelques jours ce serait la fin du monde. Il venait de sortir de
l’hôpital psychiatrique, où ses parents l’avaient envoyé après qu’il ait eu
des visions et entendu des voix lui disant qu’il était le Christ.
Il n’était resté que peu de temps à l’hôpital. Ed était suffisamment fi-
naud pour comprendre qu’il y avait été conduit parce qu’il affirmait être le
Christ, et il cessa donc d’en parler. Il accepta au contraire la thèse de ses
parents, selon laquelle il avait été exténué par ses études.
Il fut donc libéré, toujours convaincu qu’il était la réincarnation du
Christ. Il disait que le monde allait se terminer le 2 février, mais il m’en de-
mandait la confirmation. Seth en avait-il parlé ? Et comme il était sûr d’être
le Christ, il partait du principe que Rob et moi allions tout laisser tomber et
sauter dans un avion pour aller le retrouver. Il me fit même comprendre que
j’avais de la chance de pouvoir profiter de cette occasion.
J’essayai de lui expliquer les deux ordres, intérieur et extérieur, des
événements, et qu’il avait peut-être reçu une information personnelle vitale
en provenance de l’ordre intérieur ; information qu’il avait symbolisée, pour
ensuite essayer de rendre le symbole réel. Selon les concepts chrétiens,
chaque personne participe de la nature du Christ. Je lui suggérai qu’il avait
déjà vécu des expériences mystiques dans lesquelles il avait senti cette
union, et lui proposai d’en rester là ; de reconnaître sa propre part chris-
tique comme subjectivement valable – de la voir comme une réalité dans un
ordre d’événements qu’on ne pouvait communiquer que symboliquement à
notre monde. Je lui proposai ensuite de vivre le Christ en lui en étant bon
envers lui-même et ses semblables, mais sans essayer d’imposer de force
cette réalité sur le monde physique. « Ces deux ordres d’événements doi-
vent être traités différemment », lui dis-je.
« Mais les deux ne font qu’un ! Il n’existe que l’unité ! » s’exclama-t-il
avec impatience. Perspicace, et très vrai. Mais il essayait de superposer
deux natures différentes de réalité, et d’interpréter certaines informations
de l’ordre intérieur dans les termes de l’ordre extérieur. Il raccrocha, tou-
jours convaincu qu’il était le Christ. Peut-être juste un petit moins sûr qu’au
départ. Mais apparemment le monde ne s’est pas écroulé à la date prévue,
alors peut-être a-t-il réfléchi depuis.
Normalement la personnalité de concentration ne reçoit qu’un seul pro-
gramme radio, mais en faisant dévier ses capacités réceptives juste un tout

141
petit peu à côté de son niveau d’existence (son programme privé 20) elle
peut recevoir d’autres réalités. Le niveau d’existence, qui représente l’in-
tersection directe de la personnalité de concentration avec l’espace-temps,
est la station qui émet le plus fort. Il faut que les autres signaux s’interca-
lent dans notre canal privé, ou apparaissent comme un « bruit de fond »
sans signification, pour que ces autres perceptions donnent à notre expé-
rience habituelle une couleur particulière. C’est la différence entre les évé-
nements normaux et les autres qui attire notre attention. Les perceptions
non-officielles nous disent qu’il est en train de se passer quelque chose de
différent, mais les données continuent de nous arriver par notre canal privé,
surimposées d’une certaine façon. À ce moment, leur traduction nous offre
des événements déformés, comme des objets qui perdent leur forme pour
essayer d’entrer dans un espace trop petit ou déjà encombré.
Il en résulte une sorte de dilemme dimensionnel. Les nouvelles données
déforment légèrement les événements que nous connaissons, même s’ils
doivent absolument s’imprimer sur l’expérience telle que nous la compre-
nons. Étant donné que la personnalité de concentration est occupée à écou-
ter le programme radio habituel de son niveau d’existence, l’information ar-
rive par le biais de ce programme local, en le modifiant quelque peu. Mais
le matériau créatif modifié est le contenu psychique – les croyances, sym-
boles, idées et intentions du mental conscient qui interprète les données.
Le second épisode en fournit un exemple. Ce jeune homme, que j’appel-
lerai Arnold, m’a appelée pour me dire qu’il avait « des expériences comme
les miennes ». Puis il m’a raconté une histoire fascinante. En l’espace de
deux jours et deux nuits, il avait eu vision sur vision d’ « esprits », qui lui
parlaient mentalement et commencèrent à lui donner une série d’exercices
destinés à développer ses capacités médiumniques.
Un visage se matérialisa au plafond, se présentant télépathiquement
comme étant Platon ; et à partir de là, Platon devint le « professeur » de ce
jeune homme. Celui-ci reçut cependant l’instruction de suivre soigneuse-
ment les instructions et d’obéir sans poser de questions. À plusieurs occa-
sions il se retrouva à flotter en dehors de son corps. La seconde nuit – il
était dans son corps – on lui commanda de sortir et de marcher pour prendre
de l’exercice ; et comme il commençait à marcher, ses pas le « transportè-
rent » de sorte qu’il ne pouvait plus s’arrêter. Il fut suivi par des chiens qui
jappaient en le fixant avec des « yeux fous », jusqu’à ce qu’au bout de cinq
heures, il finisse par frapper à une porte en demandant de l’aide. On appela
la police, et Arnold fut conduit à l’hôpital psychiatrique.
Ce jeune homme aussi était assez sensé pour comprendre les règles. Il
cessa de parler avec Platon quand quelqu’un était là. Il cessa de parler d’ex-
périences hors du corps (qui à moi me paraissaient tout à fait valables). On
lui permit de rentrer chez lui. Platon, me dit-il, lui avait donné des informa-
tions assez inquiétantes concernant des membres de sa famille, qui ne

20
[Angl. home station.]

142
s’étaient pas réalisées. Arnold continuait de discuter avec Platon, mais il
était plus prudent, et ne suivait plus aveuglément ses conseils.
Platon avait toujours été le héros du jeune homme, et il était donc de-
venu son professeur – ce qui est correct, dans l’ordre intérieur des événe-
ments. Mais pour qu’un tel événement psychique puisse être littéralement
externalisé, il faut qu’il suive les règles de l’ordre extérieur, auquel il n’ap-
partient pas. Il devient alors un support de projections. Il est certain que la
vision qu’Arnold avait de la réalité s’est trouvée élargie, mais personne ne
lui avait montré comment interpréter les données qu’il recevait.
Je ne sais pas combien de Saint Paul nous écrivent, chacun avec ses
propres accréditations psychiques, reçues par écriture automatique, rêves,
Oui-ja, ou en transe. Je connais personnellement deux groupes dans des ré-
gions différentes du pays où tous les Disciples se retrouvent sous forme in-
carnée. Malheureusement, le Christ avec lequel j’ai parlé ne les connaissait
pas. J’aurais peut-être dû les mettre en contact.
Bien sûr qu’il est facile de se moquer : jusqu’où peut aller la crédulité
des gens ? Habituellement les communications automatiques ne font preuve
en soi d’aucune qualité philosophique ou littéraire particulière ; il ne s’agit
que de ternes rabâchages de dogmes sur les dieux et les démons, avec des
encouragements à l’humain fatigué de faire preuve de bonne volonté.
Seulement intuitivement et psychiquement, beaucoup de ces personnes
sont sur la piste de quelque chose. Leurs liens sont moins serrés que ceux
des autres. Leur imagination créatrice leur offre des vies plus riches, et
elles reçoivent véritablement des informations provenant du champ de l’at-
tention libre. L’ennui, c’est qu’elles affublent des expériences valables des
défroques d’idées terriblement limitées.
Par exemple, ces personnes ont souvent des expériences hors du corps,
et elles connaissent la foisonnante activité de la psyché. Mais elles passent
généralement pour stupides, dupes, voire naïves sans espoir, parce qu’elles
ne savent pas comment interpréter l’information qu’elles reçoivent, ou
adapter l’ordre interne des événements à l’ordre externe. Et elles croient
que cela doit être fait. En réalité elles prennent les situations trop à la
lettre en essayant de transférer leurs visions sans les modifier en des termes
concrets. Le résultat est que cela est le moyen le plus simple de standardi-
ser leurs visions, de les congeler en niant leur créativité et leur mobilité.
Je suis certaine que les artistes ou les artisans connaissent mieux les
moyens de traduire le matériau psychique ; de le faire naître à notre monde
dans une espèce de transcendance respectueuse de ce matériau – ils sont en
fait plus honnêtes envers ces visions car ils n’essayent pas de les faire entrer
dans nos définitions de ce qu’est un fait. Ils savent que le plus important est
la vision, que les faits peuvent en découler, mais que la vision elle-même
est essentiellement au delà de ce genre de classification.
Ce qui nous fascine dans l’art est cet étrange mélange de vie et de non-
vie. Physiquement, l’art ne vit pas. La fleur la plus minuscule va grandir,
mais le plus immense poème n’aura jamais un mot de plus ou de moins qu’à
son origine. Les lettres sur cette page ne germeront pas. Elles sont mortes.

143
Mais en elles, ou entre elles, il y a quelque chose qui vit non seulement
d’une vie différente, mais presque d’une super-vie. Appelons-la une trans-
vie : une vie d’une qualité qui joue sur les dimensions sans jamais atterrir,
qui ne descend jamais, comme nous, dans l’espace et le temps, mais qui les
affecte ; une qualité qui produit des graines qui, pour ne pas être physiques,
n’en sont pas moins réelles.
On nous enseigne à vérifier chaque perception dans le monde physique
parce que nous croyons qu’aucune perception ne peut venir d’ailleurs. Lors-
que nous sommes confrontés à une expérience totalement inclassable par
cette méthode, nous entrons dans une grande inquiétude. Une fois de plus
nous nous demandons : est-ce vrai, ou non ? Mais personnellement je crois
que la partie vitale de notre être se trouve dans un royaume d’événements
tout aussi inclassable dans la réalité tridimensionnelle, car il est trop grand
pour s’insérer dans ce cadre de référence. Je le répète : c’est cette partie
de notre être que j’appelle le moi-source, la personnalité de concentration
étant cette section qui s’occupe de l’ordre extérieur des événements.
Lorsque d’une façon ou d’une autre nous entrons en contact avec la psy-
ché, avec le moi-source, nous aimons bien le personnifier sous la forme d’un
grand enseignant, philosophe, artiste ou maître religieux « défunt », juste-
ment parce que nous ressentons instinctivement sa nature multidimension-
nelle. Symboliquement, la représentation est sans doute exacte. Selon la
Psychologie aspectale, cette portion que nous percevons du moi-source
pourrait très bien être cet Aspect fondamental dont nous avons déjà parlé,
ainsi qu’un de nos moi idéalisés. La personnification se développerait, ce-
pendant, en réponse à cette partie multidimensionnelle de nous qui ne peut
apparaître physiquement dans cette réalité, mais de laquelle naît notre être
présent.
De telles personnifications peuvent prendre toutes les apparences, de-
puis le « guide » standard, incapable de dire autre chose que de pieuses ba-
nalités, jusqu’à des personagrammes – des personnalités comme Seth, qui
s’étendent depuis la psyché personnelle jusqu’à des dimensions qui nous
sont inconnues, et où leur réalité, même là, est considérable. Elles peuvent
apparaître dans des visions, des rêves, ou d'autres états de consciences simi-
laires. Mais leur réalité fondamentale se situe dans un autre ordre d’événe-
ments, lié au nôtre mais indépendant de lui, et pourrait bien fonctionner
comme la source du monde que nous connaissons.
Lorsque nous interprétons ces personnifications littéralement, comme
provenant de défunts, de grands personnages de l’histoire, de dieux ou de
Dieu, nous sommes obligés de les traiter selon les règles du monde normal
des gens et des choses. Elles peuvent être de bons ou de mauvais esprits ;
elles se retrouvent chargées de tout notre bagage conceptuel et de toutes nos
croyances du moment, et la vision initiale se transforme simplement en une
charge supplémentaire. Les données valables, peut-être vitales, ont disparu.

144
16 – Quand les Aspects parlent ; messages non
officiels et apprentis-dieux
Lorsque des Aspects de la psyché parlent, c’est souvent dans un langage
poétique, emphatique, et surprenant pour le bon sens ordinaire. Je reçois
des appels téléphoniques et des lettres de gens dans tout le pays qui enten-
dent les voix de dieux ou d’intelligences hors du monde, des communica-
tions d’êtres de l’espace, qui voient des OVNIS dans n’importe quel jeu de
lumière. 21 Ils sont convaincus que leurs révélations vont changer le monde
pour le mieux, et contribuer à élever spirituellement la race humaine.
Les exagérations sont alors tellement flagrantes, évidentes, que je n’ar-
rive pas à comprendre comment ces personnes ne s’en rendent pas compte.
Ce genre d'expériences arrive à toutes sortes d’individus, vivant toutes
sortes de vies, dont des adultes ayant des positions en vue dans des do-
maines scientifiques par exemple.
Rien qu’aujourd’hui par exemple, j’ai reçu une de ces lettres, cette fois
d’un homme convaincu d’avoir vu un OVNI. Immédiatement après il a reçu
des messages télépathiques d’un « collègue » de Seth. Ce matériau était de
la plus extrême importance et allait sauver l’humanité de la destruction.
Cet homme avait aussi lu mes livres, ainsi que d’autres ouvrages « psy-
chiques ». Il occupait une haute position à responsabilités importantes.
Tout ce que cet homme avait vu, c’était une lumière brillante au loin.
Pourquoi ne pouvait-il pas comprendre qu’une lumière sans aucune autre
donnée ne signifiait pas obligatoirement un OVNI ? Mais alors que je réflé-
chissais à tout ceci, et à la nature des Aspects tels qu’ils apparaissent dans
la psyché, certaines choses ont commencé à faire sens.
Dans ce genre de cas les exagérations constituent probablement un des
éléments les plus importants ; elles sortent la personnalité de concentration
de son orientation habituelle en lui présentant un événement symbolique
dramatique et excitant. La plupart de ces personnes sont d’une nature for-
tement créative et exploratrice, même si elles ne le savent pas. Elles sont
depuis des années déçues par les croyances officielles, recherchent quelque
chose qui puisse donner un nouveau sens à leur vie, et s’efforcent de libérer
et d’exprimer leur créativité enfouie. Elles ressentent un fort besoin de dé-
gager la puissance énergie psychique bloquée.
Ce n’est pas un petit événement innocent qui peut y arriver. Il faut un
vrai tremblement de terre ; quelque chose qui mette le monde à l’envers en

21
Je ne parle pas d’observations indubitablement objectives.

145
manifestant une autorité certaine. Comme la plupart des gens ne compren-
nent pas leur réalité intérieure et ont été entraînés à se méfier du moi, le
matériau révélé doit faire irruption comme s’il provenant d’une source exté-
rieure.
Ceci conduit souvent à un vrai dilemme, car ces personnes doivent prou-
ver que cette source extérieure existe réellement – Dieu, esprit ou extrater-
restre – sous peine de perdre toute confiance en leur source, en affrontant
le fait que leurs informations ne sont pas infaillibles. Et généralement, tout
tourne autour de l’infaillibilité. Il faut que l’information soit totalement
vraie, autrement elle est totalement fausse et leur expérience est un leurre.
Donc, d’un côté la pression est énorme pour faire accepter par les autres
la validité de la source extérieure, et de l’autre, il existe le doute écrasant
que cette source n’existe pas. Je comprends tout à fait ce genre de réac-
tions par ma propre expérience. Mais je me suis arrangée pour les contour-
ner, en les regardant d’un air « intéressé mais pas fasciné », en me disant :
« Voyons voyons, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? hmmm… » Et je
gardais une distance respectueuse jusqu’à ce que j’arrive à me faire une
meilleure idée de ce qui était en train de se passer.
Quand Seth a annoncé pour la première fois que cet enseignement allait
être publié, j’ai pensé : « Génial, tout ce dont le monde a besoin c’est
d’une allumée de plus pour le sauver de lui-même ; une visionnaire de plus
aveuglée par ses visions, acharnée à les imposer à tout un chacun. » J’ad-
mets que j’aurais facilement pu disjoncter dans ces circonstances. Mais j’ai
pu poursuivre librement ma vie de médium parce que j’arrivais à regarder
cette partie de mon expérience avec autant de discernement que je regar-
dais les autres parties.
Au lieu de « disjoncter », Rob et moi avons donc démarré cette longue
série de tests exposés dans Le livre de Seth pour essayer de découvrir les
mécanismes de la perception, ainsi que le degré de crédibilité des données
fournies par Seth dans les domaines qui pouvaient être vérifiés. Mais je n’ai
jamais considéré Seth comme un sur-être au sens littéral du terme. J’ai étu-
dié à fond la question, sans jamais accepter aucune réponse a priori.
Pour la plupart des personnes qui entretiennent les croyances habi-
tuelles, cependant, il faut que de telles personnalités de transe soient des
dieux, ou des presque-dieux, ou rien d’autre que la création d’un « incons-
cient trompeur ». Comme je viens de le dire, ceci entraîne une grande pres-
sion car une telle personne essaye de prouver la validité de sa source. Mais
ces messages s’expriment sous forme de symboles. Le langage intérieur
n’est pas littéral, alors que nous prenons souvent les affirmations symbo-
liques pour des vérités littérales, dans le cadre très limité du vrai-ou-faux.
Dans ce genre de communications, les exagérations sont probablement
en relation directe avec la détresse éprouvée par la personne, et représen-
tent le besoin torturant de libérer les énergies internes. Celles-ci revêtent
alors la forme de n’importe quelle idée ou personne en qui le percipient a
confiance, permettant ainsi l’adhésion à et l’acceptation de concepts que
celui-ci aurait autrement peur d’entretenir de sa propre autorité. Après

146
avoir ressenti toute l’inanité de la vie, une telle personne non seulement est
assez importante pour attirer l’attention de dieux ou de sur-êtres, mais en
plus ceux-ci ont besoin de son aide pour sauver le monde.
Mais que de possibilités de guérison ne s’offrent-elles pas ici ! Souvent
ces personnes ressentent un nouvel élan, une plus grande ambition, et jouis-
sent d’une meilleure santé. Elles gagnent une meilleure estime d’elles-
mêmes, un sens renouvelé de leur propre valeur. Il arrive souvent qu’elles
résolvent des problèmes qui les préoccupaient depuis des années.
Mais souvent aussi, tout ceci ne dure pas car la surcompensation est ac-
ceptée littéralement. Par exemple, tout d’un coup la personne se vit
comme étant extrêmement importante. Alors qu’auparavant elle ne savait
pas quoi faire de sa vie, la voilà qui va devoir sauver l’humanité du désastre
à elle toute seule. Une tâche surhumaine qui entraînerait n’importe qui à se
sentir inférieur et pas à la hauteur. De plus, l’entourage peut ne pas croire
ou ne pas accepter le sur-être ou l’esprit auquel l’individu a désormais
transféré le sens de sa propre valeur. Si la source extérieure n’est pas ac-
ceptée, l’individu va se sentir incompris et croire que le monde est contre
lui. Ce qui peut conduire à d’autres revendications exagérées de la part du
sur-être, à des propositions de preuves encore plus éclatantes, souvent sui-
vies d’excuses quand celles-ci ne se manifestent pas selon nos attentes.
Cependant toute cette architecture – les visions, les communications
mentales, les esprits… - est hautement créatrice, au sens le plus profond du
terme. Cette puissance émotionnelle représente l’élan originel de la psyché
et forme le cadre destiné à accueillir les événements intérieurs. Les exagé-
rations ne sont pas des mensonges si on les comprend, dans leur contexte,
comme des déguisements bigarrés destinés à troubler, à déconcerter, la na-
ture limitée de notre esprit axé sur le quotidien ; à nous obliger à nous po-
ser des questions, à nous étonner, et à lever les yeux vers les confins de
notre ciel intérieur.
Le mental prosaïque exige pour ses vérités de jolies petites boîtes bien
étiquetées, et bien rangées pour être plus maniables. Il croit dans le bien ou
le mal, le vrai ou le faux, le noir ou le blanc, et il est un maniaque de
l’autorité. De nombreux lecteurs de Seth, par exemple, n’ont pas lu mon ro-
man L’Éducation de Surâme Sept parce que c’est de la fiction, et donc ce
n’est « pas vrai ». C’est exactement le genre de personnes qui vont se mé-
fier de toute révélation qu’elles pourraient recevoir, et insister pour la
structurer selon les formes conventionnellement acceptées. Et pourtant,
malgré elles, ce sont des personnes créatives.
Elles vont probablement analyser très durement tout matériau qu’elles
pourront recevoir en écriture automatique, par le Oui-ja ou par n’importe
quel autre moyen de ce genre, car il faudra que les exagérations soient re-
connues comme vraies et factuelles, sous peine d’être qualifiées de men-
songes. Ici encore, nos concepts religieux et notre approche rationnelle du
vrai-ou-faux peuvent aggraver les choses d’une autre façon car ces personnes
estiment que s’il y a des bons esprits, il y en a forcément aussi des mauvais.

147
Beaucoup de peurs refoulées peuvent ainsi faire surface, déguisées en dé-
mons, en diables, en visions terrifiantes, lançant des ordres destructeurs.
Dans de tels cas, il est impossible à la personnalité de concentration de
voir directement ses propres contenus psychiques. À la place, le message
originel de la psyché se présente selon la mise en scène d’une pièce déjà
écrite. La personnalité de concentration ne regarde jamais au delà des per-
sonnalisations d’une pièce morale intérieure vers les plus vastes significa-
tions cachées derrière.
Celles-ci sont pourtant de la plus haute importance, car elles déclen-
chent une excitation intérieure, une quête de vérité, même si elle est mala-
droite, une exigence renouvelée de sens. C’est ainsi que ce genre d’événe-
ments sont souvent accompagnés de leurs propres « signes du ciel ». La lu-
mière vue par l’observateur de l’OVNI, par exemple, jouait le rôle d’un pan-
neau lumineux indiquant : Important ! Faites attention ! La lumière faisait
fonction de présage, d’une haute importance psychologique et symbolique.
Linden – appelons-le ainsi – était certain d’avoir vu un OVNI et rien n’aurait
pu ébranler cette conviction, alors qu’il n’avait rien vu de tel. Mais la cons-
tatation interne était exacte : intérieurement il avait effectivement vu
quelque chose de différent, d’une grande importance pour lui. Un « objet »
inconnu avait parcouru son ciel mental, le monde intérieur de sa psyché lui
faisait signe.
Dans de telles circonstances souvent (ce fut le cas aussi pour Linden)
d’étranges choses commencent à se produire. Des connaissances valables et
jusqu’alors cachées émergent soudain, accompagnées fréquemment de faits
de télépathie ou de clairvoyance. Parfois arrivent les sorties hors du corps –
riche évocation d’un monde au delà du nôtre. Pour peut-être la première
fois, la personnalité de concentration constate que pendant qu’elle fonc-
tionne dans l’espace et le temps, la psyché dont elle provient est libre de
toute limitation. Dans une certaine mesure, les données de l’attention libre
deviennent psychologiquement visibles.
Veuillez relire plus haut ce qui concerne les personagrammes. Compre-
nez que pour moi, ces révélations ont une très grande valeur ; les données
les plus importantes proviennent, pour dire le moins, de portions transdi-
mensionnelles de la psyché. Nous qui nous concentrons sur la zone de vie,
nous considérons souvent les informations qui y sont contenues comme para-
normales.
Pour moi l’enseignement de Seth présente les descriptions les plus pro-
fondes de la nature de la réalité, et Seth lui-même est ce que j’appellerais
une entité transmonde, à cheval entre les événements internes et externes.
Mais je n’amènerais pas ici notre définition habituelle d’esprit ou d’entité.
J’ai déjà passé un temps et une énergie considérables à essayer de recon-
naître les différents niveaux de la réalité. Et j’espère bien en apprendre
plus.
Seulement le courrier et les appels téléphoniques m’inquiètent, car je
vois tellement de personnes bien intentionnées faire d’énormes efforts sans
parvenir à faire la différence entre la validité de leur propre vision et son

148
apparence symbolique. Ces messages par Oui-ja, ou écriture automatique,
ou transe, peuvent être extrêmement importants. Ils sont le point de ren-
contre, mis en scène, entre la personnalité de concentration et l’immense
puissance de sa psyché, et avec la source de son être.
Chaque individu est réellement responsable du monde, et les actes de
chaque personne sont étroitement liés à la survie de la race. C’est une
chose pour la personnalité de concentration de le reconnaître intellectuelle-
ment, et une autre d’y être confrontée de façon quasiment aveuglante
quand elle prend la mesure de son importance dans l’univers. Et ce n’est
pas parce que la forme en est théâtrale que la prise de conscience est moins
importante.
D’une certaine façon, chacun est au centre de l’univers et au centre de
la psyché. Je ne dis pas du tout qu’il n’y a pas de sur-êtres. Je dis que la
psyché est un sur-être, existant hors du contexte du temps et de l’espace,
détenteur d’une connaissance dont nous avons, dans la zone de vie de l’ex-
périence humaine, désespérément besoin.
Je demande simplement que nous cessions d’enfouir sous de vieux vête-
ments la connaissance révélée. En réalité ces expériences ne nous offrent
rien de moins que l’occasion d’une confrontation directe avec la psyché, ou
le moi-source, mais la plupart des gens reculent immédiatement devant la
crudité de la vision originelle. Au contraire, ils affublent la psyché du dégui-
sement du maître-esprit, du guide hindou, par exemple ; et ils nient l’origi-
nalité de sa voix et de sa nature. Le personagramme devient un pantin.
C’est certainement un moyen pratique de manier un tel matériau, mais
à la longue, c’est extrêmement limitant. Au contraire, c’est un voyage à
l’intérieur de la psyché qui nous est demandé. Va-t-il nous conduire vers une
expansion du moi ? Vers un genre de conscience qui met au défi nos idées
actuelles sur la personnalité ? J’en ai bien l’impression. Il n’y a que l’enga-
gement personnel dans l’étude de sa propre conscience qui peut aider à
trouver des réponses. Débarrassée du symbolisme infantile dont nous la re-
vêtons généralement, la psyché, ou le moi-source, peut nous surprendre par
la puissance et la créativité originelles tapies derrière les images, les sym-
boles, les récits et les dogmes.
D’une certaine façon, ces personnalités-guides font fonction de jeunes
dieux personnels, reflétant sous une forme très atténuée l’ « histoire » col-
lective des dieux tels qu’ils se manifestent depuis toujours par des visions et
des révélations. Si on les prend tout simplement pour ce qu’ils sont, sans
rien leur ajouter, ils peuvent devenir des guides vers une dimension plus
vaste de notre propre réalité. Il est dommage que nous nous autorisions à
jeter un voile sur cette vision.
Car d’où viennent nos dieux personnels, et que représentent-ils ? Qu’y a-
t-il derrière eux ? Dans le poème qui va suivre, je crois que j’ai ressenti une
partie de leur réalité tels qu’ils se reflètent dans la psyché, nous servant de
guides, d’enseignants et de représentations, quand ils ne sont que l’ombre
de ce qu’eux et nous sommes vraiment.

149
Apprentis-dieux

En avril les dieux se lèvent


Comme l’enseignent toutes les religions
Dans leurs contes pour enfants.
En hiver les dieux s’endorment ;
Ils ferment les millions de feuilles
Par lesquelles ils espionnent,
Les petits yeux verts
Par lesquels ils regardent
Notre monde.
En hiver les dieux baissent la voix,
Mais tu peux entendre leur doux murmure
De très loin, avant qu’ils ne parlent,
Par les langues vertes des brins d’herbe
Par lesquels les dieux en secret
Envoient leurs messages.
En avril les dieux reviennent,
Ils ramènent les festivals,
Les magiciens de village qui enchantent les foules
De leurs tours d’apprentis-dieux ;
Troupe de sorciers divins,
Accordés à la terre, liés à la terre,
Apollons et Athénas en tournée,
Adultes depuis la naissance du monde,
Éblouissants jongleurs,
Qui transforment les hivers en étés,
Meurent et reviennent,
En criant : « Je suis ici !... Non, ici !
Regarde, je suis mort et pourtant je vis
Et toi aussi tu peux faire pareil. »
Ils jouent à cache-cache avec nous
À travers les siècles,
Font disparaître les choses, portent des masques
Étonnants de complexité.
« Regarde, je suis ici » et un dieu tout habillé de blanc
Apparaît au sommet d’une montagne.
« Voici mes commandements »,
Matérialise des tablettes d’argile
Qu’il jette aux pieds de Moïse.
« Non, je suis ici, barbu,
Brandissant mon épée triomphante. »
« Non, je suis ici, ivre de joie,
Je joue de la flûte dans les collines enchantées,
Captivant les raisins par mon envoûtement. »

150
« Ici, je meurs sur la croix,
Chers enfants, pleurez,
Mais, ah ah, je ressuscite sous vos yeux,
Aucune ficelle, regardez, et je flotte vers les cieux,
Comme se réjouit et danse le printemps
Dans ses millions de résurrections. »
Quelles histoires ne racontent-elles pas,
Quelles scènes ne se jouent-elles pas
Dans le théâtre de notre esprit,
Quand les dieux, à leur retour,
Vident les coulisses des siècles ;
Démons, soldats, rois et reines,
Églises, prêtres et alchimistes,
Riches et pauvres, assassins, voleurs,
Et civilisations qui semblent
Mourir et renaître.
Tout ceci pour nous ? Jouons-nous des rôles
Que les dieux de la terre mettent en scène
Et que les autres regardent ?
Qu’ils applaudissent,
Et le tonnerre roule dans les cieux ;
Qu’ils s’écrient : « Lumière ! »
Et le rideau se lève,
Les reptiles fouettent l’air de leur queue,
Et les poissons sortent en souriant de la mer ?
L’homme et la femme singes attendent-ils, accroupis,
Dans l’obscurité de leur caverne,
En coulisse mais prêts à se montrer
Dès qu’un accessoiriste annoncera :
« Les hommes ! »
Je ne pense pas, pourtant.
Car bien qu’ils nous ressemblent beaucoup,
Ces dieux de la terre sont pour nous des super-héros,
Des reflets plus grands que nature,
Nous imitant outre mesure,
Ils jouent les vedettes
Pendant que nous les observons
Prendre notre place.
Comme ils sont adorables et comme nous les aimons,
Nos enfants géants,
Projetés dans un univers
De puissances qui sont les nôtres, et pourtant pas tout à fait.
Comme nous scrutons leurs actions,
Acclamons nos favoris

151
Faisant la course à travers les âges,
Cavalcadant parmi les étoiles,
Bénissant nos amis pour nous,
Jetant nos ennemis dans la confusion,
Livrant nos batailles,
Célébrant cardinaux, gourous et saints.
Comme nous aimons raconter leurs histoires,
Proclamer leurs livres sacrés –
Indiens, hindous, chrétiens, juifs,
Chacun psalmodiant avec l’accent de la vérité.
Mais comment sont-ils nés ?
De quelle matrice, de quel ventre ?
Quel immense utérus s’est-il ouvert
Entre les univers,
Éjectant notre monde,
Et vous, et moi, et les dieux et tout le reste ?
Quel colis divin,
Boîte de Pandore
Ou étonnante matérialisation,
A bien pu tomber d’autres mondes dans le nôtre ?
Quels grands magiciens
Ont enseigné leurs tours à nos dieux ?
Si vous regardez derrière le tour de passe-passe,
Sans vouloir vous laisser distraire
Par leurs contes de fées,
Alors d’autres images se montreront
Sous le costume tape-à-l’œil de nos dieux.

152
17 – Des dieux à « Dieu », les Speakers, et Dieu
en tant qu’événement
Je crois donc que ces dieux sont la représentation de quelque chose
d’autre sortant d’un ordre interne d’événements. Je pense aussi que d’une
façon ou d’une autre nous sommes en contact avec cet ordre interne et que
nous en provenons, et que même si nous déformons souvent les « voix inté-
rieures », celles-ci ont malgré tout du sens. Mais qui sommes-nous, et quelle
est cette relation que nous avons avec les dieux, les « démons », les muses,
dont les messages relient les réalités physique et non physique ?
Chacun de nous est plus ou moins conscient de cette réalité intérieure.
Chacun est frappé, à un moment ou à un autre, par un moment hors du
temps, où nous « savons que nous savons », d’une façon qui n’a rien à voir
avec les mots, où la personnalité de concentration se retrouve presque au
sommet d’elle-même et contemple le ciel intérieur de son âme.
Les gens qui m’écrivent mentionnent souvent vouloir « posséder » la
connaissance. De la façon dont je vois les choses, c’est la meilleure façon
de la perdre. Ou alors ils veulent apprendre les secrets les plus immenses de
l’univers : pas des petites banalités, mais d’énormes vérités spirituelles. Et
je pense que cette attitude peut nous fermer à l’humble, mais divine, voix
de la nature, qui sans cesse nous parle.
Et qu’en est-il de nos idées sur Dieu ? Où trouvent-elles leur place dans
tout cela ?
Nos idées sur la personnalité et l’individualité nous rendent difficile la
découverte d’un Dieu multidimensionnel. Il n’y a pas jusqu’à notre orienta-
tion et notre loyauté envers notre espèce qui nous barrent le chemin. Nous
sommes persuadés que l’homme est plus spirituel qu’un chat ou un insecte ;
et nous insistons généralement sur le fait que seul l’homme a une âme. Dieu
devient Superman – même pas Superwoman, tellement nos concepts reli-
gieux se plient à nos a priori sociaux, culturels et biologiques.
On part généralement du principe que Dieu habite en dehors de la na-
ture, et pas en elle ; qu’il existe séparément de sa création. Nos religions
ont toujours tenté d’expliquer les opposés dans l’expérience humaine. Elles
sont rarement allées chercher, sous ces apparents contraires, la source de
toutes les apparences.
Mais c’est depuis l’ordre interne des événements que tout fait physique
arrive à la conscience. Là est la source ce l’être, que nous avons tant de mal
à concevoir. Car il est certain que Dieu n’est pas une personne d’après notre
conception de ce mot. S’il fallait expliquer « Son » existence de notre point
de vue, alors c’est l’idée de multi-personnalité qui s’approcherait le plus de

153
cette réalité. Mais même là nous sommes limités par nos concepts sur la na-
ture de la conscience.
Dieu serait une superconscience, mais si celle-ci n’était pas pourvue
d’amour, de sagesse, de compréhension ou de n’importe quel équivalent,
cette représentation ne ferait aucun sens pour nous. Je suis persuadée que
la raison de notre être est notre être. Ce qui n’a aucun sens si cet être est
précédé et suivi d’une annihilation ou d’un anéantissement nirvanesque ac-
compagné de la perte de la personnalité, même dans la joie. Il m’est diffi-
cile de croire que l’individualité n’existe que pour être détruite, et j’insiste
sur le fait qu’il est bien possible que notre croyance en l’identité person-
nelle nous rapproche de Dieu beaucoup plus que nous n’imaginons.
Dieu ne peut pas ne pas révérer l’individualité, puisque même dans
notre réalité, tout, même chaque flocon de neige, est unique. Et si un Dieu
a créé l’univers, il faut bien qu’une partie du créateur soit dans ses créa-
tions ; en vous, en moi, dans les étoiles, les animaux, les insectes et les
pierres. En tant qu’événement, Dieu est forcément toujours en action ; en
ce moment perceptible ou non perceptible tel qu’il l’est depuis des âges,
car d’une certaine façon ce monde est une matérialisation de sa créativité,
créativité qui se développe constamment. Nous existons dans le Nouveau et
le Présent de Dieu, quelques définitions que nous puissions en donner.
Et quelle que soit la nature de Dieu, il n’est ni statique ni immuable. Au
contraire, un tel concept de Dieu lui refuse même la croissance naturelle li-
mitée dont jouissent ses créatures. Quelle petite dimension ratatinée ce se-
rait – la perfection au delà de tout changement ou accomplissement,
presque comme un dieu sénile qui ne pourrait plus faire autre chose que
descendre parmi ses enfants et leurs réalisations.
Parfois notre détermination de savoir est tellement sérieuse, féroce,
qu’elle nous coupe de notre propre connaissance intérieure. Nous attendons
toujours de l’expérience mystique qu’elle soit solennelle, bouleversante,
impressionnante – et surtout qu’elle corresponde à nos idées personnelles
sur dieu, le mal et la morale. Beaucoup d’entre nous imaginent aussi que
connaître Dieu c’est se perdre soi-même, tomber bon gré mal gré dans une
gigantesque dissolution d’amour cosmique où tout individualité est dissoute.
À tous ceux qui ont tellement envie de perdre leur individualité, je dis :
« Bonne chance ! » Si Dieu nous a offert un moi individuel, il doit être plutôt
étonné d’en voir autant lui renvoyer son cadeau à la figure. Et sans même
un merci. Juste : « Reprends-moi Seigneur, j’en ai assez d’être moi. »
Je n’ai pour ma part jamais fait cette expérience mystique, si vantée
par tant de monde, dans laquelle une Jane se serait dissoute en Dieu. Mais
je crois fermement que Dieu « se dissout » dans chaque être, et que nous
émergeons à la conscience et à la poésie par le fait que notre individualité
en soi fait partie de la Divinité, quelle qu’elle soit. Rejeter l’individualité,
c’est jeter le bébé avec l’eau du bain.
Mais non – la diversité et la nouveauté de nos expériences désigne une
source d’énergie en perpétuel changement et en continuelle expression.

154
J’aimerais parler d’une expérience que j’ai faite il y a deux ans. Rob la
mentionne brièvement dans ses notes à La nature de la réalité personnelle,
que Seth était en train de dicter à ce moment-là. Un jour que j’étais inspi-
rée, j’ai écrit un poème intitulé Les Speakers.
Pendant que j’écrivais, l’inspiration a pris une nouvelle dimension. Je
pourrais dire que les symboles intérieurs se sont extériorisés. J’avais l’impres-
sion de sentir par la fenêtre les silhouettes d’êtres gigantesques ; ils s’ali-
gnaient le long de mon horizon, paraissant si grands qu’on ne pouvait « voir »
que le haut de leur corps. Leurs épaules disparaissaient dans l’espace.
Ces images n’étaient pas tridimensionnelles. Je savais que c’était sûre-
ment moi qui les projetais ; elles s’intégraient aux maisons, aux arbres, à
tout l’environnement. Je les voyais pendant que j’écrivais quelque chose au
sujet d’une « famille géante ». Je dus cesser d’écrire. La vision s’était
échappée du poème. Elle était devenue réelle.
Nous attendions une visite importante. J’appelai Rob, je lui racontai ce
qui s’était passé et décidai de faire une courte sieste. Dès que je fus cou-
chée se déclencha toute une série d’événements surprenants. Rob était
parti chercher nos invités à l’aéroport, et j’étais donc seule.
Je vais reprendre mes notes originales, écrites tout de suite après :
J’ai essayé de faire une petite sieste … Tout d’un coup une idée m’est venue à
l’esprit, littéralement choquante. Nous sommes EN Dieu. Nous n’avons JAMAIS
été extériorisés. Une réalisation qui ne tient pas dans ces mots ; ils expriment si peu
ce que je ressentais. Soudain j’ai senti être-en-Dieu comme être dans une maison.
Tout ce que nous imaginons être à l’extérieur, dans le monde tridimensionnel, y
compris nous, est à l’intérieur. Il n’y a pas d’extérieur. J’ai eu un accès de claustro-
phobie. Mes yeux étaient ouverts. Je voyais la chambre avec la salle de bain, mais
ma vision s’était étrangement modifiée : pendant que je voyais tout comme nor-
mal, en même temps je voyais tout à l’intérieur d’un intérieur qui était lui-même à
l’intérieur, ad infinitum. Un instant je me suis sentie minuscule...
Mais presque immédiatement je fus submergée par la plus étrange sensation
d’une fantastique sécurité, en réalisant qu’être à l’intérieur de Dieu signifie que
tout ce que nous voyons EST Dieu, indépendamment de la forme, que nous
sommes littéralement faits de Dieu et que donc nous sommes éternels. Puis est ar-
rivé le sentiment, lui aussi difficile à décrire, que cet intérieur est tellement vaste,
au delà de toute imagination, qu’il contenait tout l’espace en constante expansion,
et que seul un intérieur peut avoir cette caractéristique d’accroissement perpétuel.
Ensuite j’ai réalisé que ces pensées de « Dieu » prenaient vie, revêtues des diffé-
rentes sortes de dimensions, qui à leur tour en produisaient d’autres de leur sorte...
L’expérience suivante s’est produite presque immédiatement après,
mais Rob ne l’a pas reprise dans ses notes à la Réalité personnelle car elle
ne correspondait pas au sujet. Mais elle correspond à notre sujet. Pendant
que j’étais toujours allongée, concentrée sur ces visions d’intériorité, mes
yeux ont dû se fermer. Tout d’un coup, j’ai eu l’impression que mon corps
était devenu extrêmement massif. Je sursautai, mais me dis qu’il n’y avait

155
rien à craindre. Puis je me sentis devenir de plus en plus grande, de plus en
plus légère, et j’ai commencé à m’élever.
Je cite mes notes :
À un certain moment la masse s’est stabilisée. J’étais toujours allongée, mais
plus sur le lit. Un homme est sorti de mon crâne, qui est immédiatement devenu un
géant. Il se mit à marcher sur des montagnes qui venaient d’apparaître – probable-
ment aussi de mon crâne. Ma conscience est entrée dans l’homme, mais je n’étais
pas sa conscience ; il avait la sienne propre. Mais depuis l’intérieur de cette
énorme forme je sentais ses jambes massives marcher sur les montagnes (c’était
très drôle pour moi, mais tout à fait normal pour lui !). J’avais une conscience très
nette du mouvement de ses jambes, de ses cuisses puissantes, de la résistance de la
terre sous nos pieds. À notre échelle il faisait des pas gigantesques.
À un moment, toujours depuis son intérieur à lui, je « nous » ai sentis nous
baisser. Pour moi, encore une fois, « nous » étions si incroyablement grands que le
simple fait de se baisser était un peu inquiétant, pour dire le moins. En bas, dans un
petit creux, il y avait un feu, tout petit pour l’homme, dans lequel des gens en mi-
niature brûlaient en se tordant de douleur. (Pour moi, ces gens avaient une taille
normale.) Tout en se penchant, vaguement étonné, il avança la main et sortit les
gens des flammes, puis les jeta en l’air. Il les avait donc libérés, et je savais que
tout cela était le symbole religieux de l’enfer, et qu’il y avait probablement
d’autres feux où d’autres gens brûlaient tout aussi stupidement. Les feux étaient
simplement là, sans aucune connotation morale. Lui avait simplement été un peu
étonné, se demandant comment ces êtres avaient pu être aussi bêtes, à peu près ce
que je ressens quand je vois une fourmi se promener dans l’évier au moment précis
où j’ai l’intention d’ouvrir le robinet. (Parfois je l’enlève, ou je la force à partir, ou
autre solution de ce genre.)
J’ignorais ce qui était arrivé à ces gens, mais je savais qu’ils étaient libres, et
qu’ils avaient pris une autre forme. Je les voyais par ses yeux à lui ; après leur libé-
ration ils devinrent comme un groupe de lucioles, étincelant un instant dans l’obs-
curité, puis il les oublia complètement.
Puis le géant monta quelques pas, ce qui nous amena à quitter la terre pour une
étoile, ou une autre planète. Nous marchions à sa surface. Soudain nous fûmes en-
tourés d’autres êtres comme lui. L’un d’eux venait juste de mourir. Les autres l’al-
longèrent par terre sur le dos. Il était vraiment immense, ainsi étendu. Vu par les
yeux du géant tout était de taille normale, évidemment, mais quand moi je regar-
dais séparément à travers ses yeux, tout était gigantesque. Au cours d’une cérémo-
nie dont je me souviens à peine, les participants entourèrent le défunt, tournèrent
plusieurs fois son corps vers différentes directions, jusqu’à ce que finalement il
commence à s’élever, toujours étendu. Puis il se mit à tourner très lentement. Le
mouvement s’accéléra, en même temps que son corps s’élevait plus rapidement,
jusqu’à ce que finalement, sous mes yeux, il disparaisse loin dans l’espace.
D’une façon que j’ai oubliée, sa forme de géant s’était progressivement trans-
formée, et il finit par s’immobiliser sous la forme d’une planète. J’étais toujours
sur la surface de la même étoile et je ne pouvais plus voir – alors que je regardais –

156
à quel endroit il s’était arrêté en tant que planète. Mais je vis tout cela très claire-
ment à travers les images mentales du géant. La conscience du géant décédé
s’éveilla de nouveau, et ainsi commença pour la planète le processus que nous ap-
pelons l’évolution. C’est-à-dire que ses pensées se transformèrent en de nouvelles
formes de vie émergeant à l’existence.
Je pense que dans cette expérience mon moi-source s’est personnifié
sous la forme du géant, et que j’ai essayé de voir notre existence tridimen-
sionnelle et son univers à partir de ce cadre de référence. Le ressenti précé-
dent d’être à l’intérieur de Dieu sans jamais avoir été extériorisée a été en-
suite mis en scène par ma conscience qui, restant elle-même, fut vécue
comme étant celle du géant. C’était comme si une cellule de mon corps
était tout d’un coup devenue consciente de sa position, avait regardé ma ré-
alité par ses propres yeux, puis par les miens, comprenant ainsi par inter-
mittence mes intentions comme étant séparées des siennes.
L’information révélée fut vécue d’une façon que je pouvais com-
prendre ; elle était symboliquement et psychologiquement véridique, et
portait une grosse charge émotionnelle. L’expérience dans son ensemble fut
une communication entre les mondes ; un message du moi-source à la per-
sonnalité de concentration, par l’intermédiaire de données sensorielles
court-circuitant les coordonnées spatio-temporelles de notre monde. Mais
ma conscience n’était pas amoindrie ; au contraire, elle était claire et lumi-
neuse, percevant son unicité séparée et en même temps reliée à une organi-
sation plus grande.
Cet épisode fut accompagné d’une émotion intense. Mais je n’ai jamais
supposé que j’avais été littéralement transportée sur une autre planète
physique, et il était clair pour moi que dans cet ordre d’événements aucun
géant n’était jamais sorti de ma tête. Je n’ai pas dit à mes étudiants : « Oui
les géants existent, parce que j’en ai vu un. Il m’a emmenée en voyage sur
une autre planète. »
Je crois que tout cet épisode d’une grande richesse dramatique fut l’in-
terprétation de quelque chose d’autre, mis en scène pour que je puisse
comprendre – un peu, du moins – certains concepts au delà des mots et des
images auxquels nous sommes habitués.
Comme je me levais pour m’habiller, les oiseaux chantaient, et je savais
que c’étaient les dieux qui chantaient. Ce n’était pas une intuition symbo-
lique ou artistique, mais une soudaine évidence. J’écoutais chanter les
dieux, et l’incroyable douceur de leur chant me faisait rire. En même temps
je commençai à me faire les ongles, qui en avaient bien besoin. Et mes mou-
vements étaient aussi naturels et bénis que le chant des oiseaux ; et mon
rire était aussi celui des dieux.
Mais dans cet ordre des événements, comment dites-vous : « Écoutez,
les oiseaux sont des dieux. Il y a cinquante millions de dieux là dehors, les
gens. Écoutez-les ! » Parce que dans notre monde, on veut des Super-Dieux
qui donnent des ordres et hurlent des menaces d’enfer en nous poussant à la
guerre contre nos ennemis.

157
Alors même que j’accueillais nos hôtes, je baignais encore dans cette ré-
vélation : nous n’avons jamais été extériorisés. Les mots tournaient dans ma
tête. Mais le ressenti a rapidement perdu de son immédiateté, et bientôt il
ne me resta plus que le souvenir. Plus tard j’ai pensé : Cela veut-il dire que
nous ne sommes pas vraiment des créatures objectives dans le temps et
l’espace ? Parfois, même aujourd’hui, en me rappelant cette expérience, je
me sens bizarrement claustrophobe, comme s’il existait quelque chose dont
il faudrait sortir, ou comme si nous étions encore, sans le savoir, dans
quelque utérus cosmique, ne faisant même pas mine de naître. Et je me
dis : Qui veut être un rêve dans l’esprit d’un dieu ?
Et c’est là, en même temps, que je ressentis la plus grande des libertés :
l’espace lui-même est né de l’intérieur, un intérieur littéralement infini et
capable de toutes les expansions. Il n’y a pas de dehors ! Alors j’ai pensé :
Bien sûr. C’était lumineux. Toute cette histoire de dedans-dehors, subjectif-
objectif, n’a aucun sens.
Plus tard j’ai pensé : Pas d’extérieur ? Et mon mental a commencé à de-
venir flou sur ses bords.
En même temps il était impossible de demander où Dieu n’était pas, car
ce qu’il était, était tout et partout. Quand les oiseaux chantaient et que je
savais que c’étaient les dieux qui chantaient, je savais aussi que les dieux
sont ce que Dieu est. Il n’y avait aucune contradiction. Plus tard, toutes
sortes de questions idiotes me sont venues à l’esprit. Majuscule à « Dieu » et
minuscule pour les « dieux » ? Et il y a sûrement une différence entre un…
dieu et un oiseau. Que c’est bête. C’est quoi déjà que je pensais savoir ?
Pourtant, têtue, j’insistais sur le fait que je savais, et que cette connais-
sance était toujours là, indépendamment des apparentes contradictions de
la zone de vie de l’expérience. L’ennui c’est que pour nous Dieu n’a aucun
sens tant que nous ne le personnalisons pas d’une façon ou d’une autre, par
« lui », « elle », « cela » ; nous imaginons donc ce que Dieu pourrait être –
selon nos propres termes.
Tout en écrivant, je me rappelle ma créature de pluie. Dans ce présent
ordre des événements c’était une flaque d’eau. La créature de pluie était-
elle l’esprit de la flaque d’eau ? La lumière que j’ai vue dans la cuisine
n’était-elle pas mon esprit dans l’ordre interne des événements ? Étais-je la
contrepartie physique de ce que je cherchais, sans le trouver ? Combien ce
monde intérieur est différent de celui-ci, et qui pourrait deviner que chacun
est une partie de l’autre ?
Un dieu pourrait donc apparaître ici sous un déguisement tout à fait ba-
nal. Il pourrait être dans n’importe quoi dont nous faisons l’expérience,
vous, moi, et donner à la réalité ses apparences fantastiques et son unicité.
Mais en nous, dans l’ordre interne des choses, dans nos intérieurs cachés,
nous aurions conscience de cette plus vaste réalité où nous avons nos ra-
cines. Et depuis là nous enverrions des messages à nos moi familiers.
Et c’est à partir de cette perception intérieure, comme nous essayerions
de traduire les événements intérieurs dans le monde tridimensionnel, que

158
naîtraient toutes les personnifications de Dieu, tous les drames et les livres
saints.
Peut-être notre désir de connaître Dieu nous met-il dans la position de
l’enfant à naître qui se demande où est sa mère, et désire voir son visage : il
faut déjà que nous naissions. Peut-être sommes-nous à l’intérieur de ce que
Dieu est. En naissant l’enfant se retrouve objectivement en face de sa
mère, en se séparant d’elle pour pouvoir grandir en tant que lui-même.
Peut-être notre apparente extériorisation est-elle semblable.
Donc si nous sommes à l’intérieur de Dieu, il est possible que Dieu soit à
l’intérieur de ce que nous sommes, même si nous ne le voyons jamais face à
face, selon nos concepts. Pour moi toutes les visions « mystiques », les révé-
lations, voix intérieures, écritures automatiques, sont nos interprétations de
grandes vérités sur nous-mêmes, de messages provenant d’Aspects multidi-
mensionnels de notre être vers notre moi de l’espace et du temps.
Que veulent dire ces messages que nous entendons, ou ressentons ? Le
poème qui va suivre, Les Speakers, est celui que j’ai écrit le jour où j’ai es-
sayé d’analyser mon expérience et de lui trouver au moins un semblant de
réponse. Qui sont les Seth, les Muses, les voix ? Pendant que j’écrivais, le
poème a pris sa liberté ; les réponses sont venues sous forme de symboles et
les symboles sont devenus réels, jusqu’à finir par émerger sous la forme des
expériences que j’ai décrites dans ce chapitre. Le poème raconte des choses
que l’on ne peut pas dire en prose, et il représente l’affirmation la plus
claire que j’aie jamais pu faire concernant l’ « information révélée » et sa
source.
Les Speakers
Laissez-moi parler comme un speaker
avec ces voix qui sortent de moi
de moi, mais pas du moi que je connais
qui se bat au marché pour avoir du pain
ou s’attriste quand le temps est maussade.
plutôt des voix, des démons, qui, de leur antique
et toujours nouvelle puissance, laissent sur moi leur marque
aussi sûrement que l’encre sur les pages d’un livre.
Je suis sacrée, mais pas plus que les feuilles,
et tout aussi miraculeuse que le vent
qui s’engouffre par la fenêtre ouverte de mon esprit,
le remplit d’époques et de lieux qui prennent vie,
déployant la géographie de mon cerveau,
ajoutant des continents, des rivières, de douces vallées
qui avant n’existaient pas,
ajoutant à mes ciels intérieurs
de nouvelles étoiles et planètes
qui étonnent les bergers de mes pensées,
acclamant sans fin les naissances nouvelles,

159
fixant le firmament, les mains enfouies dans la douceur laineuse de la terre,
dans les yeux le reflet de l’univers éternellement changeant.
Dans mon esprit entrent des voix qui parlent
avec l’éloquence des anciens chênes délivrant leurs messages ;
et leur douce sagesse et leurs questions s’élèvent
éveillant un écho sauvage mais apaisant
qui sidère mes oreilles habituées au quotidien.
Et d’autres prononcent des chants plus courts mais plus profonds,
chantés depuis bien avant le premier mot,
comme si les atomes et les molécules aspiraient chacun à la parole
et exprimaient par moi la profonde
aspiration qui les précipite dans la forme et les métamorphose
avec une telle rapide tendresse qu’ils glissent d’une image à l’autre, toutes aimées,
et ne restent dans chacune que juste assez longtemps
pour lui donner son mouvement magique
par des chants biologiques dont chaque note amène la chose à l’être,
chacune selon sa nature.
Et je laisse parler ces voix
en écoutant ce qu’elles disent
à travers les structures tourbillonnantes
de mon vertigineux état de créature.

« Muses ? Dieux de la terre ? Esprits ? »


Comme un voyageur seul dans la nuit
le mental fatigué tremble
et s’écrie : « Qui est là ? »
inspectant autour de lui, craignant le pire
de cette inhabituelle compagnie.
« De quelle école reconnue venez-vous ?
Pourquoi me tarabustez-vous avec vos histoires idiotes
quand il faut que je continue à m’occuper
des arides détails de ma vie ? »
Et l’intellect s’inquiète, fronce les sourcils, s’immobilise sans le vouloir
à ce seuil de lui-même par lequel,
même s’il l’a oublié,
sont entrées les muses.
Désormais elles l’inquiètent, comme des étrangers
ajoutant leurs murmures au constant bavardage qu’il porte dans sa tête
comme un cabas où s’entrechoquent les courses.
Une voix dit : « Les fruits de tes pensées pourrissent.
Ils sont trop vieux, leur jus gluant
n’est plus bon que pour les mouches.
Le pain de tes efforts est détrempé,
il pèse lourd dans le panier de ton esprit. »
Une autre voix dit :

160
« Pourquoi es-tu si hésitante, si seule,
pourquoi as-tu si peur pour ta dignité
que tu refuses notre compagnie ?
Tu te souviens sûrement de nous, les voix
autour de ton berceau qui prononçaient
dans la lumière, dans les ombres, dans les meubles ;
les noms que tu connaissais avant d’entendre les mots
ont programmé ton écoute
et tu es devenue très pointilleuse
sur ce que tu t’es autorisée à entendre. »
Je suis un vortex
je tourbillonne dans la toile magique de mon être,
je tisse les saisons, fil après fil,
nuit après jour.
Les semaines scintillent
par les nids luminescents des intersections des mois
le long desquelles j’avance
et grandis.
Ma vocation m’a prise brusquement
quand mon âge adulte a rencontré l’antique enfant
et en un instant mon heure a parlé son propre alphabet
formant un mot magique
qui résonnait
par les champs jaunes des marguerites de la connaissance de mes cellules,
rappelant toutes les parties perdues
de moi-même éparpillées en pièces de puzzle,
ou émiettées comme les bords
de riches continents s’éparpillant
en petites îles déchiquetées de pensées abandonnées.
Le mot rassembla l’Est et l’Ouest
et le Nord et le Sud,
et comme un aimant
fit chanter d’une seule voix les confins lointains,
et rangea en symétrie les blessures discordantes.
Mon souffle est une rivière
qui m’emporte dedans et dehors
vers des mondes si riches que je m’étonne
des petits remous par lesquels j’allais.
La rivière – le rythme de mon état de créature,
là où je sens être ma place et où ma voix résonne clair,
uni pourtant avec tout ce qui est.
Invisibles et hors d’atteinte
je sens des réalignements s’effectuer en triomphe,
des célébrations pour le retour de prodiges oubliés.
Mes yeux chantent un chant nouveau,

161
mes mains se joignent, comme des étoiles en une nouvelle galaxie,
pour une alliance où leur sagesse
raconte joyeusement leurs deux fois cinq mondes.
L’ombre de mes doigts
tombe sur des paysages intérieurs,
conjure la magie des forêts,
trace des sentiers par-delà les siècles,
sur lesquels marchent mes frères.
Mon corps connaît la masse de sa chair sacrée,
ici et en ce temps,
et sent son propre chant
pénétrer la substance de cette forme.
Et d’autres Speakers, en silence,
parlent par le bout de mes doigts,
rêvent dans les cavernes secrètes de mon sang,
sommeillent en moi, créature ;
ils ont autrefois arpenté la terre, comme nous aujourd’hui,
et ils ont parlé, et reparleront.
Comme aujourd’hui je leur prête ma parole,
demain à leur tour ils parleront pour moi.
Un petit village, jadis en Espagne,
a fait son nid pour un moment dans ma main,
sous la forme d’une minuscule cellule
de mignons atomes et molécules
au lieu des maisons, des granges et des champs,
entourée des montagnes des os satinés
sous la lumière lunaire du cerveau,
et chaque petite structure conserve, intact,
le souvenir du roi, du chevalier, de l’épouse au foyer, du voleur ou du fou,
chacun vivant et à sa place,
au seuil de son âme,
si cher...
et silencieux pour un temps.
Chaque forme que connaît mon corps
dans cette chair magique, ou en dehors d’elle,
porte le souvenir d’un foyer, de champs et de bois,
et une fois encore, sous des formes différentes,
parlera pour moi qui lui prête ma voix.
Je suis engloutie
mais nais de nouveau d’une autre matrice,
reconstituée
d’un moi antérieur qui en ce moment même
disparaît de la mémoire et devient
un atome dans la main de quelqu’un,
une feuille qui tombe sur le sol retourné,

162
pour renaître encore à soi-même,
ou un grain de poussière qui me caresse la joue,
que je ne reconnais pas
et qui s’en va.
Qui parle ?
Mais en parlant pour ceux qui n’ont pas de voix
je trouve la mienne
et ne bégaye plus,
de silence en silence,
car ces voix
qui ne sont pas la mienne
volent de mes ailes et moi des leurs,
jusqu’à ce que ne reste plus que
le vol.
Les Speakers vivent-ils ?
Leurs immenses vies dépassent les nôtres,
et par les pupilles de leurs yeux
nous contemplons un univers.
Tout ce que nous connaissons ou voyons
n’est qu’un détail d’un plan si gigantesque
qu’en écrivant la faiblesse me prend,
et je pleure en voyant ce que je sens
passer par mes mots incapables
de contenir une telle évidence intérieure ;
tout ce qui me reste sont des béances si grandes
que tout n’est que non-dit –
et là – ce que je ne peux contenir –
est ce que je suis, et ce que tu es.
Pas plus que mes mains en coupe
mes pensées ne sont capables d’accueillir ces significations,
et nos vies
sont comme les ombres du bout de mes doigts.
Ainsi sommes-nous
envoyés par d’autres,
des parents géants, dans une famille si vaste,
où pourtant chacun
se sent si bien.
Je dis des mots
qui ne sont ni les miens ni les vôtres
mais les leurs,
et je donne à la nature la parole,
au mieux de mes petits moyens
Vrai ou faux ?
Ces voix habitent des royaumes
où le vrai et le faux ne veulent rien dire ;

163
elles s’élèvent dans un feu
qui jamais n’achève aucune forme
mais elles parlent pour l’esprit
dans une flamme
qui forme tous les mondes,
et qui est derrière
les vérités que nous savons.
Et c’est ainsi que je montre
des vérités au delà de la vie et de la mort,
où il n’y a plus
ni berceau ni tombeau,
au sein d’un calcul magique
où chacun a sa place.

164
18 – La sphère d’identité. Les événements en
tant que structures invisibles.
Dans le poème des Speakers j’ai parlé de « parents géants ». Il est quasi-
ment impossible, à l’aide de concepts ordinaires, d’expliquer à quoi je fais
allusion ; il ne s’agit évidemment pas de géants physiques. Des « consciences
géantes » serait peut-être plus proche de cette réalité. Sommes-nous donc
des consciences embryonnaires, des nourrissons, nourris à la cuiller une réa-
lité après l’autre ? Sommes-nous enchaînés à l’expérience physique de notre
zone de vie, ayant uniquement les rêves ou les visions pour nous donner
quelques aperçus de ce qu’il y a au delà ?
Je crois que la réalité est plus vaste. Pour moi, il existe une « sphère
d’identité » que nous avons à peine commencé d’explorer. Mais d’abord,
examinons le schéma n° 7. Il montre la personnalité de concentration telle
que je l’ai décrite jusqu’ici.
Le cercle représente la personnalité de concentration, à un moment
quelconque de notre temps, comme elle avance le long de sa zone de vie.
Celle-ci représente le niveau de notre expérience physique, car ce n’est que
là que les événements rencontrent le temps et l’espace. Le niveau interne
d’expérience se compose d’événements possibles, ou banque d’actions, de-
puis le champ de l’attention libre. C’est à partir de là que nous faisons nos
choix en fonction de nos désirs et de nos intentions. Les événements pos-
sibles que nous choisissons s’actualisent en tant qu’expériences physiques
sur la zone de vie. En fait toutes les expériences se déroulent simultané-
ment, mais ce sont les propriétés de la zone de vie qui construisent d’appa-
rents passé et futur.
La figure n° 7 représente le moi-source et la personnalité de concentra-
tion vus comme si le moi-source était placé au-dessus du champ tridimen-
sionnel. En réalité il est dedans, dans l’ordre interne des événements. La fi-
gure n° 8 est une tentative de représenter le point de vue du moi-source
quand il « regarde » notre réalité.
Ici le cercle extérieur représente une sphère d’identité, se formant à
partir du moi-source. Cette sphère d’identité est en mouvement et en trans-
formation constants. Le petit cercle sur la zone de vie représente la person-
nalité de concentration dans sa vie physique.
La représentation que donne ce schéma de la zone de vie est en fait plus
exacte, car il la montre comme une courbe plutôt que comme une droite,
même si notre perception physique nous la fait voir comme telle, allant tout
droit de la naissance à la mort. (De la même façon que nos sens nous disent
que la terre est plate, puisque nous ne tombons pas.) Mais cette courbe de

165
l’existence physique a aussi ses hauts et ses bas, et des profondeurs que
nous n’explorons généralement pas. Théoriquement, on pourrait vivre
« éternellement » à l’intérieur d’une seule existence, en allant explorer,
bien ancré dans la courbe, ces « moments-points » - ces sommets et ces val-
lées qui s’ouvrent à chaque instant.

Fig. 7
La personnalité de concentration telle qu’elle a été décrite jusqu’ici, entourée de son
champ intérieur d’expérience. Les « x » représentent les événements possibles, servant de
banque d’actions à partir de laquelle nous choisissons notre expérience physique.

Fig. 8
La sphère d’identité avec son ordre interne d’événements.

166
Vue intérieure de la personnalité de concentration et de sa zone de vie, depuis le moi-
source. Le cercle extérieur représente l’identité du moi-source depuis l’intérieur de
l’ordre événementiel interne, d’où émergent toutes les possibilités.

Comme indiqué dans la figure 8, la personnalité de concentration est


cette partie de la sphère d’identité du moi-source qui entre en contact avec
la réalité tridimensionnelle. Les expériences faites par la personnalité de
concentration résultent de cette « friction », de la même façon que cette
intersection fait jaillir à l’existence physique les événements intérieurs.
La personnalité de concentration attire les événements intérieurs qui se
précipitent vers leur actualisation. En fait je vois la personnalité de concen-
tration comme l’opposé psychique d’un trou noir, car alors que ses événe-
ments intérieurs se précipitent vers l’actualisation, la masse et le poids ap-
paraissent, le temps se déroule de façon centrifuge vers la réalité expérien-
tielle, et un univers de phénomènes objectifs advient à l’existence.
Nous traversons cette « fontaine blanche psychique » en vivant comment
le courant du temps et la succession des événements deviennent unidirec-
tionnels. Il serait possible d’envisager que d’autres consciences tombent
« dans l’autre sens » depuis une source de l’autre côté ; peut-être, malgré
tout ce que nous croyons savoir, d’autres gens plongent-ils à reculons dans
le temps aussi vite que nous croyons en dévaler le cours.
Même physiquement nous sommes des événements dans cet univers, for-
més de la même substance que lui. Peut-être sommes-nous des fontaines
blanches dans un certain sens, mais si c’était le cas, nous n’en serions pas
conscients. Comme le temps disparaît et la matière se désintègre dans un
trou noir, de la même façon, par des fontaines blanches psychiques, le
temps pourrait être construit et la matière formée à une vitesse qui, de l’in-
térieur, serait tout à fait normale et logique.
Les fontaines blanches psychiques seraient finies. À la mort, le processus
s’inverserait. Nous deviendrions des trous noirs psychiques, avec désintégra-
tion du temps et dissolution de la matière ; alors le poids et la masse dispa-
raissent, et la lumière n’est plus émise. Elle peut être présente, mais vu de
l’extérieur le trou noir serait invisible. Nous reviendrons ultérieurement un
peu plus profondément sur cette comparaison, en examinerons ce qui pour-
rait alors arriver à la nature de la conscience.
Pour le moment, intéressons-nous de plus près à la nature des événe-
ments tels que nous les rencontrons. Généralement, les expériences de la
personnalité de concentration impliquent des événements du temps et de
l’espace, mais comme nous le montre la précognition, on perçoit aussi cer-
tains événements hors de l’espace-temps. Ceux-ci n’existent pas pour le
percipient de la même façon que les événements normaux. Un développe-
ment futur « vu » maintenant se passera dans le futur, et pas au moment de
la perception. Par exemple, si A voit B mourir à une certaine date dans
l’avenir, et si cet événement possible se produit effectivement, il se pro-
duira à la date prédite, et pas au moment de la perception. Le percipient
pourra avoir l’impression que le décès est arrivé deux fois, mais quand il se
produira réellement, il sera situé à sa propre intersection spatio-temporelle.

167
Un tel événement peut se produire dans le champ de l’attention libre,
dans l’ordre interne des événements, où il est à l’état de possibilité (de
notre point de vue). Comme je l’ai déjà indiqué, je crois que les cellules
sont « précognitives ». (Seth a toujours insisté sur le fait que la précognition
était une des caractéristiques des cellules.) Certaines corrélations peuvent
se faire de façon automatique à un niveau physique profond ; par exemple il
est possible que nos cellules sachent quand nos parents vont mourir, et
cette donnée peut parfois accéder à la conscience. Je ne crois à aucune es-
pèce de prédestination, et pour moi à tous les niveaux les événements sont
plastiques. Il est possible que de tels « signaux de mort » s’activent et
s’éteignent régulièrement, selon les circonstances, le fait de vaincre une
maladie par exemple. Mais à certains niveaux, il est tout à fait possible que
nos cellules reflètent la santé ou la maladie de nos enfants, de nos parents,
d’une façon qui aurait quelque chose à voir avec l’hérédité telle qu’on la
comprend.
Idée étrange : serait-il possible que la guérison d’un membre d’une fa-
mille en aide un autre à guérir d’une maladie tout à fait différente ? Les
symptômes d’une maladie ne sont que la surface de l’événement total de la
maladie ; les racines peuvent être reliées d’une façon totalement différente
de ce que nous imaginons.
Regardons comment se composent les événements. Comme je l’ai déjà
dit, comme les objets ils sont faits d’énergie, mais jusqu’à présent nous
n’avons pas encore appris à isoler leurs composants. Il faut, apparemment,
que nous vivions personnellement les événements pour qu’ils aient un sens
pour nous. Mais un arbre qui tombe au milieu d’une forêt est bien un événe-
ment à l’échelle du monde, qu’il soit vu ou entendu ou non par quelqu’un.
Entendre ou voir l’arbre tomber sont pour nous des moyens potentiels de sa-
voir qu’il se passe quelque chose. L’arbre tombe, que nous le sachions ou
non. Le sol réagit aux ondes sonores à sa façon, sans avoir besoin d’oreilles
pour l’entendre. La réaction du sol fait partie de l’événement, comme notre
réaction fait partie de n’importe quel événement.
Tant que nous nous représentons les événements comme étant définis et
concrets, séparés du percipient, quasiment comme des objets psycholo-
giques, calés dans l’espace et le temps, leur vraie nature et leurs relations
nous échappent. Nous ne pouvons pas voir les atomes et les molécules qui
forment une table, mais nous savons qu’ils existent, à l’intérieur de ce qui
semble solide. Mais nous pouvons vraiment apprendre à sentir les « atomes »
d’un événement en observant à travers son déroulement apparent tous les
minuscules événements qui se déroulent dans ou sous la surface. L’événe-
ment physique n’est que du mouvement immobilisé semblant figé dans le
temps, même si ce n’est que pour un moment. Le libre arbitre est possible,
à mon avis, en raison de la nature plastique des événements, et de l’exis-
tence des probabilités qui s’assemblent toujours à proximité de n’importe
quelle action de l’espace-temps.
Notre intégrité corporelle se maintient en sécurité à l’intérieur de ce mi-
lieu plastique d’événements, et à certains niveaux, les cellules se livrent à

168
d’immenses calculs juste pour maintenir cette stabilité. Dans ce contexte,
éliminer certaines probabilités est tout aussi important que d’en choisir des
« correctes » ; à tout moment notre condition physique repose sur un équili-
brage constant de probabilités. Seth en parle dans La nature de la réalité
personnelle.
Comme je l’ai déjà mentionné, dans les rêves aussi les événements mon-
trent leurs autres aspects ; à ce moment-là nous avons généralement affaire
à leurs versions possibles plus vastes, nous mélangeons et comparons diffé-
rentes combinaisons et séquences, et nous choisissons notre jour physique
suivant dans un état de conscience qui s’accorde intimement avec la compo-
sition interne des événements. En fait, il est possible que certains rêves
soient des traductions d’autres expériences que nous ne comprenons pas,
car se déroulant au-dessous ou en-dessous de notre niveau de langage ou de
visualisation.
Les images sont fondamentales à la perception physique. Elles sont aussi
nécessairement des moyens stéréotypés de vivre la « réalité ». Nos sens
nous présentent le monde comme un joli produit fini. Nous ne réalisons que
rarement qu’il s’agit en fait d’une boîte à outils pour bricoleur ; qu’à
d’autres niveaux nous assemblons les pièces, les ingrédients, puis que nous
présentons le résultat à notre moi conscient, en faisant semblant que ce soit
une surprise totalement indépendante de notre créativité. La façon dont
nous vivons les événements est donc créée par nos sens. Nous sommes pro-
grammés pour percevoir le monde d’une certaine façon, mais il n’existe au-
cune raison valable qui nous empêcherait de le percevoir autrement.
Si nous détournons notre attention de notre zone de vie, même très lé-
gèrement, le monde change. On le sent différent. On réalise que la réalité
peut être comme on la connaît – et autrement aussi. Il s’ensuit que nous
pourrions utiliser les images selon d’autres combinaisons que celles dont
nous avons l’habitude ; et que le résultat serait différent pour ceux qui
obéissent à une autre programmation.
Certains types de conscience peuvent percevoir un objet comme un tout
alors qu’il se modifie en traversant le temps ; voir la vieille chaise et la
neuve simultanément, par exemple ; ou une ville sous la forme d’un objet
composé de plusieurs parties interchangeables. D’autres peuvent voir des
images formées par des sons, mais ne pas voir les objets tels que nous les
voyons. Pour eux une note de musique serait une image, mais une table se-
rait relativement invisible, sauf pour sa valeur sonore que nous, nous ne per-
cevrions pas.
Dans un tel contexte, qu’en serait-il des événements ? Dans une autre
sorte de réalité, le fait de penser à l’oncle Ellis nous ferait voir immédiate-
ment tout ce qui concerne sa vie. Ce qui pourrait se transformer soudain
pour devenir l’ensemble de tout ce qui concerne la vie de tante Ellie.
Une brusque modification de la concentration pourrait amener quelqu’un
à vivre le jour précédent comme le présent de quelqu’un d’autre. Nous pou-
vons dire d’une personne qu’elle vit dans le passé, alors qu’elle participe à
notre présent en partageant notre ici et maintenant. Mais il est certain que

169
ce genre de déplacements se produit parfois quand des événements du
passé recouvrent littéralement les événements du présent. (À différentes
occasions par exemple, j’ai observé comment Maman Butts, déjà âgée, réa-
gissait à un événement du « passé » dans notre présent). Dans ces cas-là, je
suis certaine de l’influence de puissantes forces de motivation de la person-
nalité juste à côté de la zone de vie.
Tout ceci pointe vers le fait que notre expérience de la réalité et des
événements provient d’une délicate synchronisation de notre conscience sur
un « programme terrestre » particulier. Tout écart de cette « station de
base » donnerait une vision totalement différente de la réalité.
Mais habituellement, la plupart d’entre nous vivent les événements à
partir de la structure sensorielle normale de la zone de vie où s’enracine so-
lidement l’intégrité corporelle. Parfois, la maladie ou certaines drogues
fracturent notre concentration habituelle et nous donnent un aperçu
d’autres réalités alternatives, d’autres façons de percevoir et d’organiser
les données. Nous voyons les événements déformés, étirés ou raccourcis,
compressés, magnifiés ou rétrécis. À moins d’être conscient de ce qui se
passe, nous pouvons perdre l’ajustement de notre concentration.
Mais ces perceptions limites nous permettent de remettre en question la
nature des événements en général. Nous partons généralement du principe
que les actions doivent se produire simultanément dans l’espace et le
temps, par exemple. Nous avons du mal à imaginer que quelque chose
puisse se passer dans l’espace mais pas dans le temps ; ou l’inverse. Mais
tous les événements, j’en suis certaine, ne se produisent ni dans l’un ni dans
l’autre, mais dans cet ordre intérieur à partir duquel le temps et l’espace
eux-mêmes émergent. Ce que nous percevons comme un événement n’est
que la face visible d’événements aux racines invisibles, interconnectés à
travers l’univers.
Il y a trois semaines, Rob a fait un court rêve dans lequel un homme et
une femme, qu’il ne connaissait pas, étaient venus réclamer notre loyer.
Rob cherchait d’anciennes quittances dans nos dossiers. Le matin il me ra-
conta ce rêve, que nous avons ensuite oublié. Deux jours plus tard, nous
avons reçu une lettre nous informant que la gestion de la maison où nous
avons notre appartement avait été transmise à un nouveau cabinet immobi-
lier, qui se chargerait désormais de percevoir notre loyer. Il fallait envoyer
le loyer à une nouvelle adresse. Il était aussi indiqué dans la lettre que des
employés de cette agence immobilière passeraient pour visiter l’apparte-
ment et discuter des nouvelles conditions.
Depuis les douze ans que nous habitions dans cette maison elle n’avait
changé qu’une seule fois de propriétaire, et depuis lors elle avait toujours
été gérée par la même agence. À la réception de la lettre, nous avons réa-
lisé qu’au moins une partie des éléments du rêve étaient vrais : Rob avait
reçu des informations précises, qui se confirmaient dans la vie physique :
des étrangers viendraient nous demander notre loyer. Nous nous sommes dit
que c’était la fin de l’histoire.

170
Mais il y a une semaine, l’agence nous a appelés : ils n’avaient pas reçu
notre loyer, alors que Rob leur avait envoyé le chèque. Rob a commencé à
rechercher le talon du chèque qui nous servait de preuve. Ce faisant, il s’est
de nouveau souvenu de son rêve. Et ce n’était toujours pas terminé. Hier,
deux personnes que nous ne connaissions pas, un homme et une femme, en-
voyés par l’agence immobilière, sont venus visiter l’appartement.
Le rêve de Rob était prémonitoire, mais qu’est-ce que cela signifie ? Un
événement vu à l’avance se passe-t-il dans le temps mais pas dans l’espace ?
Si un événement physique n’est qu’une version d’un événement plus vaste,
une action vue à l’avance est-elle un événement aperçu hors contexte, flou,
hors focale, avant d’être clairement différenciée à l’intersection de l’espace-
temps ?
Dans le rêve de Rob, un homme et une femme qui nous étaient étrangers
nous demandaient notre loyer, et Rob vérifiait son dossier pour trouver les
anciennes quittances. Ces événements se produisaient en même temps dans
le rêve, mais ils ont en fait été répartis sur une période de trois semaines.
La première partie du rêve, qui reliait les inconnus et le loyer, semble faire
référence au changement de procédure initié par le propriétaire, qui s’était
certainement produit avant le rêve. Nous en avons été prévenus concrète-
ment par la lettre. Les autres événements dépendaient apparemment de
cette première partie du rêve.
Le rêve rassemblait trois événements et mélangeait le passé et l’avenir.
Dans le physique, le rêve s’est joué dans le temps, de façon séquentielle. Je
suis certaine que dans ces cas-là, nous nous connectons en rêve au champ
de l’attention libre et nous percevons les événements depuis une perspec-
tive différente.
Les événements sont entourés de champs énergétiques, mais ce n’est
que lorsque ceux-ci coïncident avec la réalité tridimensionnelle que nous les
reconnaissons comme des événements physiques. Mais même alors, il existe
de grandes différences dans la perception du temps. Nous en savons très peu
sur le sentiment du temps chez les animaux, et encore moins sur celui des
insectes, des arbres ou des plantes. Nous savons qu’il doit être différent du
nôtre, mais il est malgré tout toujours dans notre contexte dimensionnel.
C’est comme si nous étions tous connectés à une gigantesque console.
Les lumières s’allument et s’éteignent selon les contacts « on » et « off » du
réseau interne d’événements avec le réseau spatio-temporel. C’est le réseau
interne qui transforme automatiquement l’action intérieure en événements
extérieurs, ce qui allume les lumières. Pendant notre vie nous sommes tous
connectés à cette console ; en fait nos cellules et nos nerfs en constituent
une partie, qui est constamment en mode réception et transmission.
Chacun de nous est un événement terrestre, que le réseau transforme en
actualité physique. Nous sommes branchés, nous émettons. Le corps est
l’émetteur de base, et c’est par lui que toutes les actions physiques se dé-
roulent. Nous nous allumons et éteignons sans arrêt, seulement notre cons-
cience réglée sur la terre ne réagit qu’à certaines séries de fréquences, et
nous ne percevons pas les phases « off ». Pour le répéter, il est possible que

171
nous disposions aussi d’autres émetteurs, que d’autres Aspects de notre
identité soient branchés sur d’autres réalités comme nous le sommes sur
celle-ci. Certaines pourraient se trouver suffisamment proches de notre
spectre pour que nous puissions les percevoir d’ici ; elles pourraient alors
transparaître et colorer ce que nous vivons juste assez pour attirer notre at-
tention.

Fig. 9
Représentation hypothétique d’un événement global.
En avançant le long de la zone de vie, la personnalité de concentration (PC) perçoit une
partie du champ de l’événement à l’intersection spatio-temporelle.

La figure 9 représente l’hypothèse d’un événement global. En fait, je


vois chaque événement comme faisant partie de tous les autres ; cette dési-
gnation est donc arbitraire et n’est là que pour le côté pratique. L’événe-
ment perçu et la personnalité de concentration coïncident, ce qui modifie
chacun ; la personnalité de concentration devient une partie de l’événe-
ment, et vice versa. L’événement est vécu selon les méthodes de perception
disponibles au percipient. Ces méthodes diffèrent, de sorte que même dans
notre dimension il peut exister des sortes de réalités totalement différentes,
construites à partir du même « stock d’événements ».
Les animaux et nous percevrons un même événement de façon entière-
ment différente, par exemple ; et alors que nous partageons certains en-
sembles d’événements, nos modes de perception sont si variés que nous
nous en servons pour organiser des systèmes d’existence n’ayant apparem-
ment rien à voir les uns avec les autres.
Pourtant, chaque événement serait formé par l’intersection énergétique
conscientisée avec l’espace-temps, au « point maintenant », les « vagues »
s’éloignant dans toutes les directions possibles, formant sur la zone de vie
ce qui semble être le passé et l’avenir. Plus l’événement est éloigné de la
zone de vie, moins il nous apparaîtrait réel. Mais l’ensemble de l’événement
existerait dans le champ de l’attention libre de la préperception.

172
Fig. 10
Événement collectif.
La zone en pointillé représente un événement collectif coïncidant avec plusieurs zones de
vie individuelles à un point particulier de l’espace-temps.

La figure 10 représente un événement collectif. Comme je l’ai déjà spé-


cifié, la surface de la zone de vie est plus à rapprocher d’une courbe que
d’une ligne droite. Les événements collectifs se produisent lorsqu’un événe-
ment entre en contact avec la zone de vie d’un groupe de personnalités de
concentration. En termes d’énergie, il existe à ce point d’intersection
quelque chose d’explosif, une modification générale du paysage intérieur
qui pourrait ressembler concrètement à un tremblement de terre, entraî-
nant des réajustements et parfois une réorganisation complète au niveau du
quotidien.
Quand les événements collectifs se heurtent à la réalité tridimension-
nelle, ils pourraient bien entraîner une explosion de charge similaire à celle
qui se produit lors de la collision d’atomes. Nous ne sommes simplement pas
habitués à considérer les événements sous cet angle. Il existe pourtant des
structures invisibles, tout aussi complexes et variées que les objets exté-
rieurs. Elles s’attirent et se repoussent, forment de nouvelles alliances et
combinaisons de la même façon qu’au niveau de la vie cellulaire. Elles se
modifient, comme les éléments, pour former différents agrégats. Elles ont
des composants – comme les noyaux et les électrons en orbite pour les
atomes – et leur réalité est gravée dans notre structure biologique et psy-
chologique. Les événements sont hautement mobiles et peuvent, un peu
comme des animaux psychologiques, se reproduire et mourir dans la réalité
tridimensionnelle, dépasser nos intersections spatio-temporelles, pendant
qu’une partie de leur réalité, comme la nôtre, continue d’exister.

173
19 – L’expérience terrestre en tant que fontaine
blanche
J’ai parlé de la nature des événements car notre psychologie est intime-
ment liée à la façon dont nous vivons la réalité. Non seulement cette vie,
mais n’importe quelle survivance post mortem nous confronte à des événe-
ments en tous genres. Je crois qu’après la mort nous avons surtout affaire à
cet ordre interne des événements dont j’ai déjà parlé dans ce livre.
Quelle structure universelle pourrait expliquer ces deux mondes, inté-
rieur et extérieur ? Si nous considérons notre univers comme une fontaine
blanche – notre univers sensoriel extérieur – nous avons au moins un cadre
conceptuel réconciliant nos activités interne et externe, notre existence
physique et spirituelle ; ainsi que l’apparent dilemme entre un présent si-
multané où tous les événements se déroulent en même temps et notre expé-
rience quotidienne où nous avançons en apparence depuis la naissance
jusqu’à la mort.
Comment le côté personnel de notre expérience peut-il se maintenir
alors qu’à un autre niveau tous les événements, y compris nous-mêmes, sont
liés ? Comment notre individualité peut-elle conserver sa brillante unicité en
face d’un gigantesque et étourdissant panorama de vie où tout est relié ? La
comparaison suivante nous fournit au moins une structure à partir de la-
quelle on peut réfléchir à ces questions, et aboutir, je pense, à quelques im-
portantes intuitions sur la nature de notre réalité physique et non physique.
La figure 11 représente l’expérience terrestre comme une fontaine
blanche. Dans l’ordre intérieur des choses, les événements se précipitent
vers « l’horizon des événements ». Ce n’est que là qu’ils deviennent phy-
siques. Au-dessus et en-dessous est une zone en suspension où les probabili-
tés flottent hors du temps, en coulisse, pouvant être attirées, ou non, vers
l’horizon des événements en fonction de ce qui s’y manifeste. Pour prendre
une comparaison imagée, les événements possibles foncent vers leur actua-
lisation physique comme les spermatozoïdes vers un ovule. Le mouvement et
le courant perpétuels de l’horizon des événements peuvent faire que des
événements s’en trouvent éjectés et que d’autres événements possibles
prennent leur place. (On constate ici une corrélation avec le comportement
des électrons dans le piège.)

174
Fig. 11
Expérience terrestre d’une personnalité de concentration représentée comme fontaine
blanche.
Nos événements spatio-temporels les plus spécifiques se déroulent sur la couche « supé-
rieure » de la fontaine blanche. Notre zone de vie correspond à l’horizon des événements. 22

L’horizon des événements se compose en fait de plusieurs couches en


sandwich ; le degré d’immersion y détermine la nature de la conscience et
l’intensité de ce qu’on appelle la conscience de soi. La qualité particulière
du « je » avec lequel nous nous identifions, la personnalité de concentra-
tion, n’existe que sur une position bien définie de l’horizon des événements.
Plus l’immersion est profonde, moins il y a d’attention consciente (telle
qu’on la définit) et plus l’expérience concentrée du temps consécutif est
faible. En « descendant » encore, les distinctions et les détails s’évanouis-
sent peu à peu, et la correspondance se forme avec les conditions existant
« au-dessus » de l’horizon des événements.
Le corps physique (sur l’horizon) est constitué d’un matériau « émer-
geant » des niveaux inférieurs, et ses composants disposent de facultés d’at-
tention libre particulièrement appropriées au maintien de notre nature spé-
cifique de conscience, elle-même incapable de gérer directement ce genre
de données en conservant sa concentration dans le temps linéaire.
Au-dessus et en-dessous de l’horizon des événements se trouve une
couche atmosphérique intérieure où se condense l’ordre interne des événe-
ments, attirés vers leurs actualisation physique. Ici l’agitation est constante,
comme les événements possibles se télescopent les uns les autres à la façon
des atomes. L’actualisation définitive serait amenée par les pensées et les
croyances conscientes de la personnalité de concentration, qui vivrait alors

22
[Sur le schéma original sont indiqués, aux quatre niveaux inférieurs, « animals, minerals, rock, ground ». La
traduction française correspond plus à la logique de la classification.]

175
les événements comme réels. Les personnalités de concentration assemblent
et condensent les événements, et sont elles-mêmes des événements, organi-
sateurs d’activité et autoconscients.
Je vais supposer ici un « moi-noyau 23 », faisant partie de la sphère
d’identité du moi-source formant la personnalité de concentration. Le moi-
noyau, dans un mouvement centrifuge, forme la personnalité de concentra-
tion par sa continuelle traduction en forme physique sur l’horizon des évé-
nements, construisant ainsi la zone de vie individuelle. Le moi-noyau est
l’énergie constamment émergeante du moi-source entrant en contact avec
les champs tridimensionnels, indépendamment du temps et de l’espace. Il
est l’énergie qui génère notre niveau personnel d’existence, sans s’y limiter.
Le moi-noyau perçoit en même temps l’ensemble des expériences possibles
de la personnalité de concentration, et l’aide à faire ses choix.
Ce moi-noyau forme et maintient le corps, ouvrant les cellules à leur
propre attention consciente ; cela signifie que les cellules peuvent travailler
dans une connaissance « inconsciente » du panorama complet de la struc-
ture vivante, tenant compte des probabilités pour maintenir l’intégrité du
corps. Bien qu’il soit généralement focalisé sur la personnalité de concen-
tration (ou le moi particulaire physique) le moi-noyau travaille relativement
en roue libre. La personnalité de concentration fonctionne presque comme
un piège à électrons, attirant et retenant les énergies du moi-noyau, sa ra-
cine, et attirant également les événements vers leur actualisation.
Lorsqu’au moment de la mort le moi-noyau échappe au système tridi-
mensionnel, la matière qui formait le corps se décompose en ses éléments
les plus simples, tombe « au fond du puits », où elle sert de matière pre-
mière pour la formation d’autres formes physiques.
Tout en étant « piégé » dans la matière, qu’il dote de la conscience de
soi comme il donne le « je » à la personnalité de concentration, le moi-
noyau reste présent aux deux extrémités de l’horizon des événements et
voit toutes les probabilités. Il n’est même pas affecté par le temps, qu’il ne
perçoit qu’à ses propres frontières ; son « bord extérieur » est la personna-
lité de concentration.

Le temps et l’horizon des événements


Le temps se construit à l’horizon des événements, et il est perçu diffé-
remment selon la position ou le niveau de cette perception. Vers le milieu il
est perçu de façon plus spécifique, et moins nette aux deux extrémités, la
naissance et la mort. L’expérience du temps est aussi différente selon que
l’on s’éloigne de l’horizon des événements. Nous n’avons l’habitude d’envi-
sager le temps qu’au moment où on le perçoit à notre niveau d’expérience,
mais le passé, le présent et l’avenir se fondent, à un certain degré, au-des-
sus et en-dessous de l’horizon des événements. Chaque forme de conscience
a ainsi son propre horizon des événements, avec sa zone de vie et son expé-
rience du temps caractéristiques.

23
[Angl. nuclear self.]

176
(Au niveau inconscient nous réagissons constamment à la télépathie, et
aux probabilités « futures » au niveau du moi-noyau, et en modifiant notre
concentration (sur l’horizon) nous pouvons aussi recevoir un aperçu de cet
ordre interne des choses.)
Pour le redire, notre personnalité est le moi que nous connaissons en re-
lation avec les événements extérieurs. Elle est un Aspect du moi-source en-
trant en contact avec la structure tridimensionnelle, alors que le moi-noyau
est l’expression première, vibratoire, de cette intersection du moi-source.
Celle-ci se répand pour former la personnalité de concentration particulaire,
sans y être liée, et elle contient sous forme latente, en suspension, tous les
autres Aspects du moi-source, invisibles psychologiquement, mais formant la
structure dynamique du moi que nous connaissons. On ne peut percevoir ses
actions qu’à travers sa relation avec la personnalité de concentration ; ce
n’est qu’ainsi qu’on peut sentir sa présence.
À la surface de l’horizon des événements, même le temps se comporte
comme une particule, nous donnant l’impression de moments, mais plus
nous descendons le long de la fontaine blanche, plus ses ondes s’amplifient,
de sorte qu’alors que nous partageons ce temps avec les montagnes, les in-
sectes et les arbres, certains d’entre eux vivent des siècles, et d’autres seu-
lement quelques heures. Cela n’a rien à voir avec l’expérience subjective du
temps, mais avec ce toujours indéchiffrable ordre interne des événements.
Tout, sur l’horizon des événements, se matérialise et émerge à partir de
cet ordre interne. Au-dessus et en-dessous de lui, la différenciation dimi-
nue. Toute l’énergie pénétrant dans le système prend les caractéristiques
de celui-ci, ce qui comprend masse, poids, substance et relation à l’espace-
temps. Depuis l’intérieur du système, il est quasiment impossible de se faire
une idée claire de l’ordre interne des événements, à cause de sa constante
traduction en manifestations extérieures. Tout ce que nous pouvons perce-
voir depuis là ce sont certaines règles. Ces lois semblent être les seules à
exister, car ce sont les seules que nous observons. Ceci comprend même nos
suppositions mentales, puisque notre cerveau travaille avec la matière, dont
il est formé.
Seulement nous pouvons véritablement modifier notre concentration,
jusqu’à un certain point, en retirant momentanément notre attention du
consensus expérientiel pour nous concentrer sur ces expériences inclas-
sables qui dérangent le tableau officiel et contredisent ce que nous pensons
savoir. Nous déboucherons, à mon avis, sur deux visions du monde séparées ;
une objective et une subjective, chacune valable et réelle, mais dans deux
ordres différents d’événements.
Les états modifiés de conscience peuvent être ici d’une grande aide, de
même qu’une analyse des rêves, quand on la pratique avec la bonne atti-
tude. Il existe un paysage mental intérieur, traduit par les circonvolutions
complexes du cerveau – c’est là où tout démarre, où la création ne cesse
d’advenir maintenant, où la conscience explose dans l’actualité physique,
autant qu’elle a pu le faire lors d’un hypothétique commencement.

177
L’inspiration, dans n’importe quel domaine, nous permet souvent de je-
ter un coup d’œil à cet ordre interne ; la plupart du temps nous qualifions la
perception d’irrationnelle, car l’image issue de l’inspiration ne correspond
pas à ce qui est officiellement accepté. Il n’est pas étonnant que le génie
soit souvent associé à la folie, car le vrai génie perçoit souvent cet ordre in-
terne. Ces deux sortes de réalité forment notre monde, mais l’une repré-
sente la structure invisible de la réalité physique.
La personnalité de concentration n’est complète qu’à l’intérieur du
spectre intégral de son existence tridimensionnelle, qui inclut la mort.
Toutes ses expériences se déroulent en même temps, même si elle les per-
çoit sur un mode séquentiel – mais les événements sont en perpétuelle
transformation, puisqu’à l’instant de l’impact, l’énergie rebondit dans
toutes les directions possibles. Ce qui conduit à un mouvement constant, à
un flux perpétuel à l’intérieur de la structure de vie. (Voir figure 12.)
Un mouvement arrivé, mettons, à 82 ans, peut « déplacer » un événe-
ment qui « s’est produit » à 20 ans, et les choix que nous faisons à n’importe
quel maintenant déplacent d’autres actions, les éjectant de la ligne d’expé-
rience physique, hors de notre concentration, pour laisser la place à d’autres
événements qui « jusque-là » n’étaient que possibles. (Voir la figure 13.)

Fig. 12
Représentation globale de la vie de la personnalité de concentration.
Il existe une interaction constante entre les événements possibles (les x) et les événe-
ments physiques (les ronds noirs sur la zone de vie.) Plus vous vieillissez, plus vous avez
d’événements « passés » avec lesquels jouer.

Pour nous, ceci est plus facile à remarquer vers la fin de la zone de vie,
quand nous avons plus d’événements passés à notre disposition, et c’est là
précisément que souvent nous commençons à tout mélanger dans notre
passé officiel. Je pense que certaines expériences vécues par ma belle-mère
impliquent ce genre de phénomène, mais des épisodes de ma propre vie
m’ont aussi amenée vers cette conclusion. Encore une fois, étant donné que

178
nous suivons l’ordre reconnu des événements, nous n’avons pas l’habitude
d’aller chercher ceux qui n’en font pas partie ; les découvrir demande du
travail et de l’énergie. Et j’ai la ferme intention de continuer cette étude
spécifique.

Fig. 13
Plan rapproché des interactions constantes entre les événements physiques, les événe-
ments possibles, et le temps.
On voit ici un événement s’étant produit à l’âge de 82 ans en déplacer un autre qui
« s’était produit » à l’âge de 20 ans. Ce dernier devient alors un événement possible.

Je suis par exemple persuadée que les événements « passés » se modi-


fient après leur survenue dans l’espace-temps sur la zone de vie – après
qu’ils se soient produits, en d’autres termes. Je ne crois pas que ce soit seu-
lement notre attitude envers eux qui se transforme. Comme nous nous con-
centrons sur la continuité temporelle, cette altération des événements pas-
sés dans le présent devient littéralement invisible. Ici ce sont aussi les
rêves, présentant d’autres expériences que celles de l’état de veille, qui
nous donnent des clés, car pour moi, nous nous synchronisons dans les rêves
avec certaines probabilités et nous organisons réellement notre quotidien
d’un bout à l’autre de la zone de vie simultanément, en fonction de nos dé-
sirs et croyances conscients.
Encore une fois : chaque vague d’énergie émerge du moi-source pour
former un moi-noyau lequel, à son tour, forme la personnalité particulaire
de concentration. Ces vagues d’énergie frappent constamment le champ tri-
dimensionnel, sont attirées vers l’horizon des événements, et interfèrent
avec la réalité physique (voir fig. 14). Nous sommes donc ainsi en réalité une
« série » de pulsations, des êtres éveillés, conscients, avec une sphère
d’identité bien plus grande que nous ne l’imaginons.
Ces pulsations interfèrent simultanément avec le champ tridimension-
nel, même si la personnalité de concentration vit une séquence de la nais-
sance vers la mort. Le moi-noyau a conscience de l’entièreté de l’événe-
ment simultané que constitue la vie terrestre. Pour lui, des pulsations ulté-
rieures se produisent en même temps que d’autres plus précoces, ce qui fait

179
que jusqu’à un certain point, les événements peuvent être modifiés sur l’en-
semble de la zone de vie (voir figure 15).

Fig. 14
Le moi-source, vu de notre perspective, formant une série de moi-noyaux.
Chaque vague d’énergie en provenance du moi-source forme son propre moi-noyau, qui
est indépendant de l’espace et du temps. Chaque moi-noyau, dans un mouvement centri-
fuge, forme sa personnalité de concentration sur la zone de vie.

Les événements précédant chaque présent sont vécus par la personnalité


de concentration comme des événements fantômes, car l’intersection avec
l’espace-temps n’est pas assez précise pour former une perception dans le
maintenant. Je suis convaincue que dans les rêves nous réagissons aussi à
des événements futurs possibles, alors que même là leur nature d’événe-
ment futur peut ne pas être apparente car ils ne font aucun sens dans le
contexte de l’expérience présente. C’est sûrement pour cette raison que les
futurs souvenirs ne sont pas reconnus, mais il est possible qu’avec un chan-
gement d’attitude, nous puissions gérer la précognition aussi facilement que
nous le faisons avec les souvenirs ordinaires.

Fig. 15

180
Anatomie d’un moi-noyau alors qu’il forme une personnalité de concentration.
Le bord extérieur du moi-noyau est la personnalité de concentration, qui vit l’espace
et le temps.

En dormant, en rêvant, et même si c’est de façon floue, nous regardons


vers l’extérieur, vers le monde physique objectif, depuis l’ordre intérieur
des événements. Les rêves sont véritablement des événements présents, et
nous ne les rencontrons pas sur la zone de vie de la même façon qu’en état
de veille.
Depuis notre perspective, les événements possibles sont un peu comme
des événements de rêve. Notre horizon des événements est le seul que nous
connaissions, là où l’énergie se coagule en matière et événements. N’im-
porte quel événement qui n’est pas dans notre « sandwich » d’espace et de
temps existe malgré tout en tant que probabilité, physiquement et psycho-
logiquement invisible, en dehors de la réalité que nous reconnaissons. Ac-
cepté pourtant par le moi-noyau.
Seulement dans ce même système existe un nombre illimité d’horizons
des événements comme le nôtre, où d’autres événements possibles sont ac-
tualisés et deviennent des expériences. Toujours à l’intérieur de ce même
système existent aussi d’autres histoires alternatives de la terre, en paral-
lèle, et aussi « réelles » que la nôtre. N’importe quelle suite d’années con-
sécutives, disons par exemple de 1900 à 1980, est vécue d’un nombre infini
de façons, non pas qu’elle se répète, mais par le fait qu’elle émerge sans fin
du medium qu’est le système lui-même.
Comme les horizons des événements sont tous différents, les habitants
d’un monde possible n’ont pas conscience de l’existence des autres mondes
possibles. Dans chaque monde possible existent des siècles possibles, et la
conscience « renaît » dans le même système possible jusqu’à ce qu’elle s’en
« échappe ».
Dans un trou noir, un million d’années serait vécu comme un instant.
Dans une fontaine blanche, un instant, ou l’éternel présent, se vit au ralenti
du temps séquentiel. Dans cette hypothétique fontaine blanche, l’identité
se revêt du temps, et la sphère d’identité du moi-source se morcelle en seg-
ments de moi, exactement comme l’éternel maintenant se fragmente sous
l’apparence d’une série de moments.
Mais comme le moi-source se situe au delà du champ tridimensionnel,
l’entièreté de son identité et de sa connaissance se maintient, latente, en
solution dans l’indestructible moi-noyau formant la personnalité particulaire
de concentration. Dans la fontaine blanche naît l’individualisation telle que
nous la connaissons, la spécialisation devient la règle, et les forces éternelles
se désintègrent en lois locales. Mais le moi-source est indépendant du sys-
tème local.
La figure 16 représente les horizons possibles des événements. Quand
l’énergie tombe dans une fontaine blanche, elle devient matière ; mais
c’est l’énergie du moi-noyau qui stimule cette transformation, causée par

181
les aspects dimensionnels de la fontaine blanche. Celle-ci existe aussi en re-
lation avec les champs qui l’entourent. La matière qui s’y construit ne peut
s’échapper de la forme qu’elle y a prise. Mais l’énergie invisible en elle peut
le faire, l’apparence de stabilité matérielle provenant du fait que l’énergie
ne cesse d’y faire retour (par la sphère d’identité, par le moi-noyau vers le
moi-source.)
Il est donc possible qu’à la mort nous devenions un trou noir, où l’espace
et le temps perdent toute signification, et où la matière se désintègre. Le
moi-noyau, qui conserve notre individualité et nos souvenirs, émerge alors –
vers une autre fontaine blanche et un autre système de réalité. Concrète-
ment parlant, les « habitants » de ces systèmes séparés n’auraient aucune
connaissance les uns des autres – sauf dans l’ordre interne des événements.

Fig. 16
Horizons possibles des événements (et zones de vie).
N’importe quelle suite d’années consécutives serait vécue différemment dans d’autres ré-
alités, sur la base d’événements possibles et d’horizons alternatifs d’événements.

182
20 – La personnalité de concentration et les
sens ; quelques questions, et communion avec le
moi
Fontaines blanches ou pas, nous sommes focalisés sur la réalité phy-
sique ; nous manipulons des objets et avons l’impression d’avancer dans le
temps. Nous sommes pris entre la connaissance de la certitude de notre
mort physique, et les révélations intérieures qui nous disent que la mort
n’est rien d’autre qu’un autre état d’être.
Rob et moi étions en train de discuter hier soir ; je regardais son visage à
la lumière de la petite bougie électrique sur la table de nuit. J’avais un peu
l’impression de le voir émerger de l’obscurité dans notre réalité, si expressif
et plein de vie, un magnifique miracle de conscience – un moi se constituant
lui-même depuis l’univers, vivant, admirablement défini – mais voué à dispa-
raître aussi mystérieusement qu’il était venu. Comme nous tous, pensai-je.
Car nous sommes pris entre le triomphe de notre existence et l’angoisse de
notre ignorance de ce qui vient après la mort. Et si, à chaque instant, nous
sommes éternels, pourquoi ne le réalisons-nous pas ?
Mais même à ce moment-là je me rendais bien compte que notre con-
centration physique, si claire et définie, dépend, à un certain degré du
moins, du fait que nous oublions. Comment vivre cette chère intimité de
l’instant en ayant conscience de tous ces autres instants, d’une égale vali-
dité ? Pourrions-nous savourer nos heures de la même façon, ou serions-nous
gorgés, ivres de leur excès ?
Et j’en suis venue à penser : comme nos sens physiques sont précieux !
Ils créent le théâtre de la perception où nous pouvons vivre la réalité. Ils or-
ganisent, catégorisent et définissent de vastes champs de données brutes,
formant ainsi l’image vivante tridimensionnelle dans laquelle nous sommes
si intimement impliqués que nous nous retrouvons dedans, sans même nous y
reconnaître.
Notre être est constamment piloté par les sens : cela au moins est clair.
Ce qui l’est moins, c’est le fait que nous faisons l’expérience de la réalité
physique depuis l’intérieur (dans le corps, lui-même dans l’image), alors que
cette réalité semble se trouver « dehors », de l’autre côté de la peau. Nous
la formons même, tout en la percevant comme quelque chose qui se passe à
l’extérieur.
Avec intelligence et beauté, les sens créent la réalité physique ainsi que
l’expérience la plus signifiante que nous en ayons, mais il nous semble que
cette réalité a toujours été là-bas, extériorisée, indépendante de la percep-
tion que nous en avons. Les sons nous prouvent clairement qu’il y a là-bas

183
des bruits que nous pouvons entendre. Mes yeux m’assurent qu’il y a là-bas
des objets que je peux voir.
Mais notre sentiment d’être-dans-le-monde, et d’y être bien enraciné,
vivant et en sécurité – tout ceci dépend des sens à l’intérieur du corps (lui-
même à l’intérieur de l’image). Nous n’avons pas conscience de cette rela-
tion interne qui fonde l’entièreté de notre relation au monde.
Par exemple, notre vitalité et notre réactivité au monde dépendent des
sensations d’un équilibre intérieur qui nous aligne avec les conditions « ex-
térieures », alors qu’en fait ce sont ces sensations internent qui créent ces
conditions. Nous disons que la journée est chaude ou froide selon la façon dont
notre peau perçoit l’air ambiant. Mais en lui-même, l’air n’est ni chaud ni
froid. Ces sensations ne sont que créées par nos sens de régulation thermique.
De la même façon nous avons l’impression d’être entourés d’objets, car
nos perceptions physiques organisent les données selon certaines structures,
à l’apparente stabilité desquelles nous réagissons. Le corps est un organisme
unifié qui forme la réalité ; qui non seulement projette vers l’extérieur une
image tridimensionnelle, mais qui se trouve aussi lui-même à l’intérieur de
l’image vivante de la réalité qu’il ne cesse de créer. Le retour d’information
est si rapide, si instantané, qu’il nous échappe.
Continuellement le corps se crée lui-même à l’intérieur de ce système
d’interrelations, émettant à partir de lui-même des représentations phy-
siques tridimensionnelles, dont nous faisons ensuite l’expérience – créant
par exemple l’espace dans lequel nous nous déplaçons, le temps dans lequel
il grandit et prend de l’âge, et toutes ces conditions extérieures auxquelles
ensuite il réagit.
Sa vitalité organique provient évidemment de strates situées sous le ni-
veau de conscience habituel. Sur ces strates nous répondons constamment à
des conditions de température, de pression atmosphérique, de rayonnement
cosmique et de marées dont nous n’avons aucune conscience, mais dont
notre réalité dépend.
On voit clairement comment un arbre grandit depuis le sol à travers l’es-
pace : ses branches ou ses racines, même si elles sont en mouvement, sont
relativement stationnaires. Si nous considérons notre corps depuis cette
perspective, alors celui-ci s’étend dans l’espace dans toutes les directions
alors que nous marchons dans la rue, prenons l’avion ou pratiquons la plon-
gée. Le mouvement et la croissance ne sont que différents aspects de la
même chose : nous grandissons dans l’espace et nous y déplaçons comme
nous grandissons et « nous déplaçons » dans le temps. Nous n’avons simple-
ment pas l’habitude d’y penser de cette manière. Ces mouvements, si nous
pouvions les percevoir tous en même temps, et s’ils laissaient des « traces »
dans l’espace, nous permettraient de nous voir agir et réagir – « grandir »
dans toutes les directions en même temps, exploser dans l’espace tel un
étrange animal végétal, qui fleurirait à plusieurs endroits en même temps,
apparaissant ici, puis là. Votre corps semblerait pousser au coin de votre
rue, disparaître là-bas, puis ré-émerger ailleurs, et ainsi de suite. Nous
sommes ancrés dans la terre et avons en elle notre orientation.

184
La joie de la sensation physique, avec son sentiment naturel d’harmonie,
représente un de nos plus grands délices et une des meilleures occasions
d’unification, installant fortement, comme elle le fait, le corps et l’âme
dans la rectitude de leur relation. La joie physique et le mouvement corpo-
rel mettent les choses en ordre, positionnent correctement le moi conscient
(la personnalité de concentration) qui sent alors son âme vivre dans la chair,
ancrée en toute sécurité dans l’appui de sa propre créativité. Dans cette re-
lation, les pensées sont aussi physiques que les cellules du corps ; celles-ci
sont aussi mentales que les pensées ; les deux s’unissent pour former l’ex-
pression corporelle.
Depuis le corps, les sens créent les dimensions de l’espace dans lequel
ce corps s’exprime, se réjouit, explore ; dimensions d’agilité et de mouve-
ment et infinies possibilités d’action, de manipulation et d’accomplisse-
ment ; occasions également infinies et chaque fois uniques d’expériences et
d’expressions tactiles. Au delà, le triomphe naturel de ce corps d’être
pourvu d’un équipement tridimensionnel pour agir dans un système auquel il
est spécifiquement adapté.
En regardant nager des poissons, par exemple, vous pouvez voir à quel
point ils sont merveilleusement équipés pour leur environnement ; parfois
vous pouvez les ressentir différemment, comme faisant partie de l’eau,
l’eau et le poisson coulant respectivement l’un dans l’autre. De la même fa-
çon l’homme se meut naturellement dans l’espace, avec ses membres aussi
bien adaptés que les nageoires du poisson, et l’organisme éprouve une joie
primale à vivre cette interrelation. Si vous voyez les choses de cette façon,
alors vous pouvez aussi considérer l’homme comme faisant partie de l’es-
pace, l’un interpénétrant l’autre.
Ce sentiment de créativité corporelle dans l’organisme renforce la per-
ception de vitalité physique, d’aventures biologiques, d’une connexion ins-
tinctive, que nous perdons dès que nous mettons trop l’accent sur l’aspect
intellectuel des choses. Aujourd’hui en tout cas, la pensée s’appuie sur la
vie physique des cellules. Ce devrait être une évidence. Tant que nous avons
un corps, les pensées sont une expression physique, elles émergent de notre
cerveau comme les fleurs sortent de la terre.
Cela ne veut pas dire qu’il soit impossible de penser en dehors du corps ;
cela signifie que pendant que nous en avons un, la pensée repose ferme-
ment sur la fondation du lien corps-terre. Les pensées sont tenues de suivre
l’expression physique de notre moi dans la chair, car elles interprètent les
données reçues par l’intermédiaire de la chair et créées par les sens. Penser
en dehors du corps, hors du système tridimensionnel, devrait à mon avis
être très différent, car la nécessité d’organiser les perceptions en fonction
du temps et de l’espace ne serait plus nécessairement là.
Nous ne pouvons pas voir à l’intérieur du corps, mais il a un paysage in-
térieur, un paysage de chair, tout aussi vital et vivant que celui que nous
voyons de l’autre côté de la fenêtre, où les fleurs poussent, où les branches
des arbres se balancent dans le vent et où les gens marchent dans la rue.
Bien sûr que les cellules ne sont pas des « gens miniatures », mais elles sont

185
de minuscules consciences, et elles répondent à leur environnement de la
même façon que nous au nôtre. Toute cette activité, c’est nous ; c’est moi ;
c’est vous ; comme nous créons la vie dans laquelle nous avons notre être,
pour ensuite y réagir.
Je crois que le corps est fondamentalement un système autopurifiant et
autorégulant. Comme les cellules forment les organes, les pensées forment
des systèmes de croyances qui sont exactement aussi vivants et vitaux que
les organes. En eux les pensées vont et viennent. Les organes comme les
systèmes de croyances restent à leur place, « maintiennent la position ».
Les systèmes de croyances sont aussi indispensables que les organes phy-
siques, car ils gèrent la santé inconsciente et la vitalité de l’organisme, for-
mant son expérience sur le plan corporel.
Dans son livre La nature de la réalité personnelle, Seth insiste sur l’im-
portance des croyances dans la création personnelle de la réalité quoti-
dienne. Il souligne à quel point il est important de ne pas avoir peur des
pensées ou des sentiments, surtout s’ils sont agressifs. S’ils sont exprimés
naturellement et sans contrainte par des mouvements, des gestes, des acti-
vités, ils constituent une partie nécessaire de la réalité corporelle. Mais s’ils
nous font peur et si nous empêchons leur expression naturelle, ils s’accumu-
lent ou deviennent dangereux.
Grâce aux organes des sens, le corps gagne en conscience réflexive, en
vitalité, il crée sans arrêt puis se perçoit dans sa vie. Plus notre expression
physique est libre et large, plus nous laissons le champ libre à notre vie
mentale et émotionnelle. Plus on utilise et plus on apprécie le corps, plus il
est réactif et se sent intégré dans la vie et le monde ; ce qui augmente les
retours et les stimuli en faveur de l’expression physique et mentale.
Je ne crois pas que nier la chair rende plus spirituel, ou que l’on puisse
étendre sa conscience en n’utilisant pas celle que nous avons, dans l’espoir
qu’en fermant les yeux sur ce monde nous en verrons mieux un autre. Au
lieu de cela, il nous faut apprendre à nous servir de la grande souplesse qui
nous est donnée – une conscience que nous pouvons diriger dans de nom-
breuses directions tout en gardant notre concentration clairement et bril-
lamment ancrée sur la terre. Explorer notre état de créature avec tout ce
qu’il nous offre pourrait nous enseigner quelques vérités fondamentales sur
les côtés véritablement mystiques de la nature, qu’apparemment nous avons
oubliés.
Pour des raisons qui dépassent le cadre de cet ouvrage, nos religions ont
mis l’accent sur la répression, la restriction et la pénitence plutôt que sur la
bénédiction, l’expression et la célébration, ou l’amour. Elles ont générale-
ment échoué à nous faire aimer « Dieu », mais nous ont enseigné à ne pas
nous faire confiance, à nous-mêmes et à notre existence physique. Constam-
ment elles nous ont amenés à mépriser notre état de créatures, et presque
toutes, occidentales comme orientales, ont toujours montré une tendance
suspecte à livrer notre moi conscient – la personnalité de concentration – à
un Ciel insipide ou à la bénédiction imbécile du nirvana.

186
D’après Seth cette tendance est liée avant tout au développement de
notre conscience : nous trouvons parfois la liberté de la décision consciente
et de la contemplation trop lourde, et avons la nostalgie d’un « retour »
vers ce que nous nous imaginons comme une béatitude inconsciente.
Si Dieu s’est individualisé en nous, c’est précisément cette identité di-
vine, ce Dieu-se-connaissant-en-nous, dont nous avons envie de nous débar-
rasser. Nous nous considérons nous-mêmes comme la combinaison d’activi-
tés conscientes et inconscientes. Nos cellules sont-elles bienheureuses ?
Pourquoi semblons-nous penser que la conscience de soi exclut la béatitude,
alors que visiblement elle n’a aucun mal à contenir les pires des horreurs ?
Il n’est pas étonnant que nos pauvres saints aient été si nombreux à de-
venir presque fous, forcés qu’ils étaient par leur système de croyance à in-
terpréter leurs révélations dans un si sombre miroir. Atteindre le divin en
niant ou mutilant le corps, cette manifestation miraculeuse de l’esprit fait
chair dans le monde du temps et des saisons ? Abandon du moi ? Plutôt :
abandon au moi, et au développement joyeux de son potentiel.
Quelle que soit la divinité, c’est un fait que la personnalité de concen-
tration est individualisée dans la vie terrestre. Peut-être trouverons-nous un
jour un dieu que nous n’aurons pas besoin de crucifier, un concept de la
personnalité qui n’aura pas besoin, pour atteindre la perfection, de sa
propre annihilation. Mais rien de tout cela ne peut arriver tant que nous ne
ferons pas confiance à notre nature, tant que notre individualité nous sera
une charge. Quand nous accepterons d’être ce que nous sommes, peut-être
découvrirons-nous que quand nous pensons nous offrir en sacrifice, nous
n’avons en fait rien à donner. Même un dieu hésiterait à accepter un cadeau
aussi désespéré.
Vers quelles grandes actions, vers quel héroïsme de telles idées nous
ont-elles menés ? – À la défense fanatique de concepts du Bien pour lesquels
nous nous sommes joyeusement livrés au massacre ; à des dogmes fondés sur
le principe que nous sommes damnés pour être des créatures, par le simple
fait d’être vivants. Nous commettons beaucoup de nos plus grands crimes
alors que nous sommes certains d’avoir raison, mais nous remettons rare-
ment en question nos idées du juste et du faux.
Quand nous pensons avoir tort, au moins, souvent nous nous arrêtons
pour réfléchir ; nous hésitons, et parfois, nous allons jusqu’à l’humilité. Mais
quand nous nous sentons dans la rectitude et la justice, alors souvent nous
devenons cruels et irréfléchis. Nous avons de toute évidence créé le chaos
sur la planète, sans aucun respect pour elle ni pour les autres formes de vie,
pour avoir cru que Dieu nous en avait donné la jouissance selon notre bon
vouloir.
Pourtant nous faisons souvent plus confiance à la nature qu’à nous-
mêmes. Alors que j’écris ceci par exemple, les ombres s’allongent. Je vois
bien que je n’y suis pour rien. La semaine dernière mon chat, Willy, a reçu
une mauvaise blessure ; elle a guéri facilement, de cette même façon se-
crète que le soir arrive et passe, que la lumière change et que les ombres
s’allongent. J’étais certaine que le chat allait guérir tout seul. Et en général

187
nous faisons confiance aux saisons pour venir et partir en leur temps. Pour-
quoi trouvons-nous si difficile de nous faire confiance ?
Sans cesse je cogite et m’inquiète, j’ai parfois l’impression de ne jamais
m’accorder un instant de repos ; pourtant, je sais que le rythme de ma res-
piration est aussi naturel que celui des marées, qu’à chaque inspiration et
expiration la vie passe à travers moi sans que j’aie à m’en occuper. Je sais
que mon existence est aussi inévitable et juste que celle de mon chat, et
que tous nous sommes portés par ce même grand souffle qui nous est donné
et nous maintient. Je sais que ma vie personnelle repose sur la sécurité de
ce même ordre ; ma vie s’ouvre à un temps et à un lieu particuliers à l’ins-
tar de celle d’une feuille. Bien sûr que les feuilles font confiance aux
arbres, et que Willy se fait confiance ; pas un de ses mouvements qui ne
baigne dans la certitude de la justesse de son être.
Si un chat fait confiance à l’univers, pourquoi n’en ferais-je pas autant ?
Pourquoi n’en feriez-vous pas autant ? Le chat a confiance en sa nature de
chat ; en sa façon de gambader et de chasser les oiseaux, en ses appétits et
en ses désirs. Ces qualités de la nature féline ajoutent à l’univers, et je pa-
rie qu’il les reflète d’un million de façons que nous ne connaissons pas –
comme elles se reflètent dans notre monde, chez la panthère et le chaton,
et chez mon chat à moi.
Alors pourquoi ne faisons-nous pas confiance à notre humanité ? Ou, plus
précisément, pourquoi ne faisons-nous pas confiance à notre qualité spéci-
fique de personne, telle qu’elle se reflète dans notre individualité unique ?
Pourquoi ne pouvons-nous pas considérer que dans le grand ordre de la na-
ture, toutes nos caractéristiques personnelles ont leur place, et que même
la pire est d’une certaine façon rachetée ? Le chat ne fait rien de mal en
tuant les oiseaux, il se vit lui-même, et aide ainsi la nature à se réguler.
Je ne suis certainement pas en train de justifier le meurtre, mais la ma-
jorité d’entre nous pensent qu’à leur état naturel nos sentiments sont plus
ou moins mauvais, et que laissés à nous-mêmes nous détruirions tous, per-
sonnellement et en masse ; que tout dans la nature est juste sauf nous ; que
nous en sommes la plaie, l’erreur qui est encore là.
Seulement une partie de moi insiste sur mon droit à bénéficier de la
même grâce ; de m’endormir et de m’éveiller dans la suprême et innocente
confiance animale. Et d’ailleurs mon chat, Willy, n’a pas besoin de prier
« Notre Père qui êtes aux cieux ». Il n’a pas besoin d’imaginer un dieu-chat,
de lui faire des sacrifices ou de lui rendre hommage.
Je n’essaye même pas d’expliquer nos cruautés, nos atrocités envers
nous-mêmes, mais je ne vois pas pourquoi la nature aurait raison en tout –
montrant partout ordre et rectitude – et se serait trompée en créant notre
espèce. Sommes-nous une expérience ratée ? À détruire, ses pièces récupé-
rées et distribuées, désamorcées, en sécurité, à un millier d’autres espèces ?
Sommes-nous destinés à ne plus jamais apparaître de cette manière ?
Tout en moi se révolte à l’idée d’une telle condamnation.
Alors pourquoi nous condamnons-nous nous-mêmes ? Et comment pou-
vons-nous regarder notre histoire sans nous condamner ? Je ne sais pas. Mais

188
là, assise, savourant la profonde intégrité sensuelle de ce moment particu-
lier, ce dont je suis certaine, c’est qu’une créature capable de telles per-
ceptions n’a rien de condamnable. Je suis à cet instant émerveillée par la
forme de ma main sur le papier blanc, l’ombre de mon stylo et de mon bras
sur la table, les montagnes d’ombre et de lumière qui s’alignent sur les murs
blancs. Et aucune créature capable de cette sorte de joie ne peut être mau-
vaise. Peut-être l’univers avait-il besoin de nous pour s’apprécier lui-même.
Peut-être sommes-nous le miroir de la nature.
Mais… mais alors pourquoi tuons-nous, en sachant que c’est mal, pour
ensuite nous condamner ? Et si nos meurtres sont aussi naturels et justes que
ceux du chat envers les oiseaux, pourquoi cette conscience qui nous dit que
c’est mal ?
Attachons-nous plus de valeur à l’individu que ne le fait la nature ? Cette
création qu’elle a fait de nous surprend-elle la nature, qui ne s’intéresse
qu’aux formes de vie – et pas à une forme particulière ? Sommes-nous un ac-
cident pour une nature dépassée par une création devenue hors contrôle ;
toujours en laisse, mais débordante d’une nouvelle sorte d’individualité ? Et
cette individualité est-elle si unique en soi que nous soyons tous mi fous mi
sains d’esprit, destinés à atteindre véritablement le divin, ou à descendre
plus bas que le pire produit de la nature ?
Sommes-nous la nature en évolution, des créations à mi-chemin ? Notre
condamnation de nous-mêmes est-elle notre salut, qui nous guide ? Et
sommes-nous déjà passés par tout cela ?
Je ne crois pas que nous puissions éviter ce genre de questions, mais
pour moi les réponses en sont à l’intérieur de la psyché, et non dans l’uni-
vers objectif. C’est-à-dire que je vois la psyché – le moi-source – comme une
réalité qui dépasse le monde que nous connaissons. Le moi-source, comme
je l’ai déjà expliqué, a des Aspects qui plongent dans différents champs
d’actualité. La vie terrestre représente seulement un de ses environne-
ments. Certaines parties basiques de nos personnalités de concentration cor-
respondent à ces autres Aspects. Elles se combinent pour former le moi que
nous reconnaissons comme le nôtre. Habituellement elles sont psychologi-
quement invisibles, mais « communiquent » sur le mode de la révélation,
par le biais de rêves, visions, et autres perceptions non officielles.
Le plus souvent les Aspects font fonctions de guides intérieurs sous la
forme de la « petite voix ». Parfois ils s’individualisent, prennent une rela-
tive liberté de mouvement, formant des personagrammes – des structures de
personnalité transcendant les réalités. Ceux-ci se forment à partir des As-
pects basiques d’une personnalité de concentration, mais ils représentent
un autre genre de conscience, ou un autre type d’être, dont l’existence est
fondamentalement basée hors de notre système. Le personagramme qui se
forme ici prend alors les couleurs de nos idées et représentations person-
nelles, et ses communications s’adaptent suffisamment pour faire sens dans
le système tridimensionnel.
Il est bien sûr naturel pour nous d’interpréter une telle information selon
les « faits » tels que nous les connaissons. Et donc, à mon avis, nos idées sur

189
la nature de la conscience elle-même, et de la personnalité en particulier,
sont extrêmement limitées. D’un côté nous essayons à tout prix de protéger
l’ego ou personnalité de concentration. De l’autre, nous pensons devoir sa-
crifier cette personnalité de concentration si nous voulons faire grandir
notre conscience. Les partisans des expériences religieuses et psychédé-
liques prônent souvent cette idée de mourir au moi.
Seulement notre conscience dispose de plusieurs « stations », ou canaux,
dont chacun, je crois, correspond à ces autres Aspects de notre moi-source.
Par sa station de base, la conscience terrestre, la personnalité de concen-
tration reçoit la vie physique. Les autres canaux se mêlent simplement en
arrière-plan, pendant que les perceptions de la personnalité de concentra-
tion restent en avant.
Nous pouvons pourtant tourner notre conscience dans d’autres directions,
et capter ainsi ces autres stations. Ce faisant, nous pouvons voir la réalité
d’un point de vue totalement différent. Nous constatons alors que nos
« journaux télévisés » officiels ne sont que des programmes locaux présen-
tant juste une petite partie de la vérité sur l’existence. Les autres stations
(d’autres états modifiés de conscience) nous mettent en contact avec diffé-
rents Aspects du moi-source ou de la psyché, des Aspect qui nous informent
non seulement sur la partie de la psyché d’où nous provenons, mais aussi sur
le type de réalité où nous avons notre existence. Dans une certaine mesure,
nous pouvons alors voir la réalité physique depuis une autre perspective.
Ce genre d’informations peut accroître automatiquement nos connais-
sances, nous amener à poser d’autres questions plus complexes, approfondir
nos perceptions habituelles et élargir le champ de la personnalité de con-
centration. Mais comme toutes les données arrivent par la « station de
base », elles seront forcément déformées à un degré ou un autre. Regardez
par exemple ce qui arrive quand on essaye de traduire un livre d’une langue
dans une autre.
Révélations, visions, intuitions et toutes ces autres connaissances non of-
ficielles ne sont probablement que des fuites depuis ces autres canaux – fai-
sant office de messages de toutes natures depuis une partie de la psyché
vers une autre. Hélas, il faut apparemment pas mal de doigté pour les ex-
traire du bruit ambiant. De plus, nous allons les revêtir de nos propres
croyances. Nous projetons celles-ci tellement vite sur ces révélations que
c’est à peine si nous avons conscience de ce que nous faisons.
Nous avons l’habitude de composer notre image du monde d’une cer-
taine façon, ce qui fait qu’il faut de la détermination pour aller capter les
autres stations en suspendant les croyances ordinaires, les jugements et les
opinions qui font partie de notre monde. De telles modifications de la cons-
cience exigent des perceptions sans aucun préjugé, donc la capacité de lais-
ser l’ancienne image du monde se dissoudre provisoirement autant qu’il est
possible.
La difficulté réside à mon avis dans le fait que nous nous identifions uni-
quement à une focale limitée de concentration. Il ne nous suffit pourtant
que d’élargir notre vue, et d’apprendre à considérer ces autres facettes de

190
conscience comme autant d’autres stations d’existence, tout aussi dispo-
nibles. Aucun besoin de sacrifier le moi que nous connaissons – en fait nous
n’oserions même pas, occupés que nous sommes à maintenir notre stabilité
psychologique et notre intégrité corporelle.
Je crois que les Aspects représentent les éléments habituellement in-
conscients de la personnalité, les sources profondes de notre survie phy-
sique, la joie de cette confiance-racine qui soutient la personnalité de con-
centration. Pour moi le moi-source, ou la psyché, s’étend littéralement de
l’expérience de la cellule jusqu’à la Divinité – quel que soit le sens que l’on
donne à ce mot.
Sur le plan de la personnalité, quand ces Aspects travaillent en harmonie
à l’intérieur de nous, nous sommes créatifs et en bonne santé. Lorsque nos
croyances nous poussent à mettre l’accent sur certains au détriment
d’autres, la psyché essaye alors d’opérer certains ajustements vers plus
d’équilibre. J’espère en découvrir plus, à l’avenir, sur les interactions nor-
males de ces Aspects dans leur rôle d’équilibrage de la personnalité, comme
ils prêtent à la personnalité de concentration, en guise de « matière pre-
mière », leurs différentes capacités et caractéristiques. J’ai déjà quelques
idées sur leur importance dans le domaine de la santé, et je peux bien
m’imaginer une thérapie aspectale qui aiderait les personnes à organiser et
à harmoniser les différentes parties de leur personnalité vers plus de créati-
vité et d’efficacité. Une telle réflexion dépasse le cadre de cet ouvrage,
destiné uniquement à servir d’introduction aux Aspects en général.
Socrate a dit qu’un homme heureux était en bons termes avec son dai-
mon, je dirais qu’il est en bons termes avec ses Aspects.
Je suis d’accord avec Seth sur le fait que nous créons notre propre réa-
lité, en choisissant à partir d’une source infinie d’actions possibles celles
que nous vivrons sur le plan physique, et j’ai esquissé un modèle théorique
de l’univers expliquant comment les probabilités deviennent des événe-
ments physiques.
Pour moi l’esprit conscient opère ces choix par l’intermédiaire de ses
croyances, même si les mécanismes réels qui manifestent cette réalité de-
meurent inconscients. Au moins dans ce système, la nature des événements
et celle de la psyché qui en fait l’expérience vont main dans la main. On ne
peut considérer l’une sans l’autre.
Les éléments les plus importants de cette théorie me sont venus en état
modifié de conscience, alors que je recevais d’autres stations que la
mienne, et voyais cette réalité depuis d’autres points de vue subjectifs. J’ai
essayé d’être le plus neutre possible en interprétant ces informations. N’ou-
bliez pas que pour moi ces autres états de conscience ne sont que des pas-
sages vers d’autres réalités et formes d’existences tout aussi valables. J’y ai
à peine mis le pied. Dans ce sens, je ne suis encore qu’une touriste en pays
étranger.
J’offre cette théorie des Aspects comme un cadre nous permettant de
considérer différemment notre expérience ; puisse-t-il nous offrir une nou-
velle rencontre, plus créative, avec nous-même, dans cette réalité et dans

191
celles que nous ne faisons que commencer à entrevoir. Notre conscience est
définitivement notre droit de naissance. Je crois que nous avons à peine
commencé à l’utiliser, à diriger sa lumière dans toutes les directions, vers la
psyché elle-même et vers toutes ces dimensions inconnues où se trouve
toute la vastitude de son être.

192
Appendice 1
Dans les premiers chapitres de ce livre, j’ai étudié la nature de la réalité
de Seth depuis mon état ordinaire de conscience. Comme je l’ai expliqué, la
plus grande part de la seconde partie a été écrite en état modifié de cons-
cience ; surtout pour le matériau concernant le personagramme j’ai regardé
la réalité de Seth depuis un autre point de vue, un autre niveau de conscience.
Le poème sur les Speakers, écrit dans un état très élevé d’inspiration,
m’a montré tout le champ de la psyché, depuis la cellule jusqu’à l’existence
« divine », et m’a offert de nouvelles données sur la réalité « des démons,
des muses et des voix ». Même si Seth n’a pas été spécifiquement mentionné,
c’est de mon expérience avec lui qu’est né ce poème, et mes questions intel-
lectuelles sur cette réalité ont reçu des réponses pleines de créativité.
Je souhaiterais inclure ici quelques affirmations de Seth au sujet de son
existence et de ses relations avec notre monde, en citant de larges extraits
de notre séance de groupe du 29 janvier 1974.
J’y ai fait quelques brèves références au chapitre 2, et elle est particu-
lièrement importante pour plusieurs raisons. Seth y parle de son indépen-
dance d’une part, ainsi que de sa représentation en tant que partie de la
psyché d’autre part. Le déroulement de cette séance a aussi renforcé ce
double élément (indépendance dans une sphère et représentation dans une
autre), car d’une façon difficile à décrire, il y a eu des « fuites » de Seth 2
et du Sumari, comme si, parlant pour lui-même, Seth parlait aussi pour eux.
En fait, plus avant dans la séance, il précise qu’il parle pour Seth 2, et
certains mots qu’il utilise appartiennent plus au vocabulaire du Sumari
qu’au sien propre. Sa transmission est aussi sortie de l’ordinaire en ce sens
qu’il semblait avoir encore plus d’énergie à sa disposition qu’à l’ordinaire. À
certains moments sa voix explosait littéralement, comme s’il ne parlait pas
seulement au groupe, mais au monde entier.
Souvenez-vous en lisant ce passage qu’il s’agit d’un monologue spontané
d’un Seth extrêmement actif, observant la pièce, faisant de grands gestes,
et s’adressant parfois à un étudiant ou à un autre en particulier. Comme je
l’ai dit au deuxième chapitre, Seth a commencé à parler quand un des étu-
diants s’est posé la question à haute voix s’il avait vraiment vu Seth en rêve,
ou s’il ne s’agissait que d’une projection. La question a amené une discus-
sion générale sur la nature de la réalité de Seth, discussion que Seth a inter-
rompue, avec un sourire.

193
Séance de groupe, mardi 29 janvier 1974
Qui est Seth ? C’est la question que je te pose à toi. Quelle magie y a-t-il ici
que toi tu mets en œuvre, que nous mettons tous en œuvre ensemble ? Et là laisse-
moi te dire ceci : d’un côté, je suis quelqu’un que tu ne connais pas, disparu dans
les annales du temps, selon la définition que vous en avez. D’un côté c’est ce que
je suis, et c’est une phrase lourde de sen.
D’un autre côté je suis toi... Par moi tu vois et rencontres les moi que tu es, et
c’est ainsi que j’apparais, pour parler comme vous, par le pouvoir, l’immémorialité
et la gloire de ton être, projeté dans le monde du temps depuis un univers où le
temps ne fait aucun sens.
Je suis donc ce que chacun de vous est individuellement, et je suis ce que cha-
cun de vous êtes collectivement. Et je suis ce qu’est le monde, individuellement et
collectivement.
Et donc quand je parle avec ma voix, avec cette voix, je parle avec toutes vos
voix, et avec toutes vos connaissances individuelles, et avec la connaissance col-
lective du monde. Ce que vous savez est donc traduit vers les royaumes du temps
et de l’espace que vous reconnaissez actuellement. Je vous apporte ainsi d’im-
menses charges d’émotions et d’être, surgies depuis la connaissance de votre
propre existence. Je vous permets d’atteindre des parties de votre réalité existant au
delà de l’espace et du temps. Chacun de vous projette donc sur moi ces caractéris-
tiques qui sont les vôtres, en d’autres termes ; je suis par ce fait un être multidi-
mensionnel, tout comme vous êtes des êtres multidimensionnels...
Je suis moi, mais à part cela, je suis aussi ce que vous êtes. Si à cet instant cha-
cun de vous niait ma réalité, je continuerais à être ce que je suis, et vous seriez
moins. Moi aussi je serais moins, mais je serais toujours ce que je suis, et vous se-
riez toujours ce que vous êtes. Et vous pourriez trouver d’autres moyens de contac-
ter qui vous êtes. Vous ne seriez pas perdus. Et moi non plus.
Par moi vous sentez votre réalité au delà de celle que vous connaissez actuelle-
ment. Par vous, je me rappelle ma réalité sous vos conditions, et pourtant je ne
peux jamais compter sur elle – elle n’est ni complète ni terminée, car en même
temps que vous grandissez, je grandis. Seth 2 grandit aussi. Vous grandissez au
delà de moi, au delà même de ma réalité, vers d’autres mondes que vous ne con-
naissez pas actuellement, et je grandis vers d’autres existences où nous ne pouvons
pas nous retrouver. Mais ici, nous sommes ensemble...
Je vous renvoie à vous-même. Mais derrière existe en vérité un cadre nouveau,
selon vos termes, des échelles auxquelles vous pouvez monter et qui ne vous con-
duisent pas de montagne en montagne de dogmes austères et de déni ; pas de Nir-
vana en Nirvana de refus et de non-être ; je vous offre plutôt des échelons de vie et
de lumière, pour vous mener aux plus lointaines extrémités de vous-mêmes. Ils
n’ont pas été créés par un dieu, un diable ou un gourou, ils ont été envoyés, proje-
tés par vous à travers les siècles ; des échelons nés de vos moi vivants, pour vous
conduire à la connaissance de votre être en éternelle croissance.
C’est donc dans la joie que je vous parle, dans la joie de la vie et de la connais-
sance. Je parle avec les voix qui, pour vous, viennent de siècles non encore nés.

194
Mais ce sont les voix que vous, vous-mêmes, murmurez depuis les fossiles de
votre être, quand vous étiez (selon vous, encore une fois) des moi sans pensée, sur
des rochers au soleil, sur des mondes sans savoir. Projetées par votre désir, ces
voix vous parlent maintenant, vous poussant vers votre propre accomplissement...
Vous avez autorisé « quelque chose » à devenir transparent pour que vous
puissiez sortir de vous-mêmes. Utilisez l’énergie de cette voix comme une ligne de
vie, une route, un message, et suivez-la, quel que soit le chemin que vous choisis-
sez, vers votre expérience, vers votre plus vaste réalité.
Je vais vous suggérer quelques images, mais si d’autres vous viennent sponta-
nément à l’esprit, choisissez-les. Imaginez – pour ceux le qui veulent bien – une
pyramide. Voyez-la s’étendre à des distances inimaginables, et réalisez qu’elle est
un canal vers le passé et l’avenir de votre être. Vous trouverez en elle des moi si
« avancés » qu’ils vous semblent étrangers, et d’autres si incroyablement simples
que vous n’arrivez pas à établir de lien avec eux.
Car là (dans les plus lointaines profondeurs de votre être) se trouve une réalité
plus vaste qui connaît votre existence présente, et l’observe avec les plus aimants,
les plus chers, les plus familiers des souvenirs ; une réalité qui (avec vos mots) a
grandi jusqu’à devenir des entités indescriptiblement immenses ; des réalités qui
forment des mondes plus complexes que celui où vous habitez présentement.
Mais vous trouverez aussi, par ce même canal d’être, des cellules fossiles qui
ne sont pas encore des moi, pas encore regroupées en organismes élaborés, et qui
se contentent d’être là, gorgées du désir d’être, du désir de Dieu, du désir d’accom-
plissement, de pensée et de complexité. Elles s’accumulent, inertes, dans l’histo-
rique de votre crâne, encore à naître dans la connaissance de votre être – des moi,
selon vos mots, en attente de réalisation, parcourant les entrailles de mondes incon-
nus – des moi qui deviendront des entités ; fossiles de vous qui contiennent encore,
d’une certaine façon, des mémoires du moi que vous êtes.
De la même façon qu’elles parcourent ce qui est pour vous un monde obscur,
cherchant le soleil de votre cerveau ; qu’elles explorent des rivages inconnus, à la
recherche de votre reconnaissance ; de la même façon voyagez-vous par les
mondes de moi plus grands que vous, à la recherche des rayons d’autres soleils, qui
sont les cerveaux de votre plus grand être. Vous êtes donc tous un, et ma voix parle
depuis votre plus grand être – duquel sans cesse vous naissez et renaissez.
Même dans vos rêves les plus secrets et les plus intimes vous formez de nou-
veaux moi, depuis des désirs latents dans des mondes inconnus qui s’élèvent en tâ-
tonnant vers de nouvelles probabilités. C’est ainsi que vous êtes tendrement blottis
dans l’âme de votre être...
Revenez maintenant au moi que vous connaissez. Ressentez la divine intimité
de ce moi que vous êtes. Il est le carrefour de votre être, où se croisent toutes les
routes, où votre intimité et votre unicité demeurent à jamais. Rendez-vous l’hon-
neur que vous méritez ; ce faisant, vous montrez le chemin à des cellules non en-
core nées, aux fossiles de ces pensées pas encore libérées de votre esprit. Savourez
votre moi et les dieux de votre être, dans lequel vous êtes pour l’éternité nichés en
toute sécurité.

195
Là nous avons fait une pause ; les membres du groupe avaient commencé
à partager leurs expériences avant même que Seth ait fini de parler. Tous
éprouvaient un sentiment de transcendance ; à un degré ou à un autre, cha-
cun sentait le moi personnel comme un noyau, un point choisi de concentra-
tion autour duquel tournaient d’autres réalités dans un ordonnancement
spontané. Rick, un des étudiants, dit que les affirmations de Seth lui rappe-
laient une lecture au sujet de Vishnu, un dieu hindou. Seth l’interrompit :
Vous rêvez de Vishnu, vous rêvez le dieu comme le dieu rêve la création. C’est
ainsi que nous sommes tous un et tous uniques, car la cellule rêve le dieu de la
même façon que le dieu rêve la cellule. Et vous rêvez vos entités comme elles vous
rêvent. La plus petite cellule de votre orteil rêve votre réalité et aide à la créer, tout
comme vous rêvez la réalité de la plus petite cellule et aidez à la créer. De la puis-
sance de votre être jaillissent tous ses développements, et tous les dieux, toutes les
réalités, et le pouvoir du présent.
Rick tourna la tête pour mieux voir Seth, qui s’adressa à lui directement :
Tu bouges ta main et touches ton visage, et quelles réalités fais-tu bouger,
quelles saisons incites-tu à envahir d’autres mondes, et comment – en touchant ton
visage de tes doigts – brasses-tu d’autres bassins de réalité ? Quelles grenouilles
sur les rives de ces bassins que tu as mis en mouvement, quels vents lancés par le
pouvoir de tes pensées ? Comme ta réalité s’étend loin depuis ce moment, pour al-
ler toucher tous les mondes ! Car tu es, et comme tu es, tout est être. Tes lèvres se
courbent et tressaillent, tes muscles caressent ton visage, et ainsi le vent souffle sur
d’autres univers.
Ta réalité est maintenant, et tes pensées sont des traces de pas dans d’autres
mondes. Rien qu’en levant la main ou en disant Bonjour, tu laisses des messages.
Et à leur écoute, d’autres lèvent la tête et disent : « Quel vent étrange. » Tout
comme toi, écoutant ma voix, dis : « Quel vent étrange. D’où soufflent ces
vents ? »
Écoutez-moi maintenant, et ce faisant écoutez-vous. Vous « percez » comme
moi aussi je « perce ». Vous n’êtes pas des non-êtres dans le rêve d’un dieu. Vous
parlez et le dieu écoute. Vous êtes le dieu qui écoute. Par vous ce dieu, ce Tout-ce-
qui-est, découvre ce qui se passe dans votre coin de réalité. Vous envoyez des mes-
sages « rétrogrades » dans la substance du temps et de l’espace, qui est aussi, selon
vos termes à vous, la substance de l’être de ce dieu. Encore une fois, la plus petite
cellule de votre doigt ou de votre orteil vous envoie des messages, et vous, même
inconsciemment, faites des ajustements en retour – et ainsi, pour poursuivre cette
comparaison, vous envoyez des messages à ce dieu sur ce qui se passe dans votre
coin d’univers. Et ce dieu fait les ajustements appropriés.
Dans votre état actuel, vous n’avez pas conscience de l’être intime et vivant
des cellules de votre corps. Mais la divinité dont vous faites partie, elle, a cons-
cience de votre réalité, et elle prend vos messages au sérieux. C’est donc un
échange permanent, où votre être modifie l’expérience de la divinité dont vous
faites partie...

196
En vous est une histoire de tout être ; la naissance de la conscience, selon vos
termes, qui ne cesse de naître. Vous êtes assis devant moi dans une élégance si
tranquille, si nonchalante dans son intégrité physique, mais quels sont ces petits
êtres qui vous soutiennent ? Comment pouvez-vous de façon aussi ignominieuse
ignorer les cellules en vous pour être si minuscules, et leur nier toutes ces caracté-
ristiques de créativité et de développement qui sont les vôtres ? Mais laissez-les
s’éteindre, une à une – que devient-il alors de ce fier astre physique qu’est votre
cerveau ? Leur existence est tout aussi sacrée que la vôtre. Par l’attention de ton re-
gard et la beauté de ta moustache (avec un sourire Seth désigne Jerry, qui porte
une élégante moustache) les dieux se connaissent eux-mêmes, et ils vivent par le
plus petit des cheveux de ta tête.
Et voici que par moi c’est Seth 2 qui prend maintenant la parole, une parole
que vous pouvez comprendre ; et vous saisissez une corde que vous vous êtes lan-
cée à vous-mêmes dans un temps pour vous pas encore né, et que vous avez pourtant
créée... Je suis la voix de votre monde dans son passé et son avenir, tels que vous les
comprenez. Je suis donc votre propre voix dans son passé et dans son avenir.
Les rochers n’ont pas de mots que vous puissiez comprendre, et vous n’écoutez
pas vos cellules quand elles vous parlent ; je parle donc humblement pour eux, et je
vous traduis l’archéologie de votre être. Voici que parlent maintenant les minus-
cules fossiles de votre esprit.
Pendant la séance la voix de Seth tonnait parfois avec fracas, pour rede-
venir ensuite un murmure. Jamais l’énergie n’avais été aussi extraordinaire.
Les étudiants vivaient leur réalité d’une façon indescriptible, et inoubliable.
Si vous considérez Seth comme indépendant dans une réalité et en même
temps comme une représentation dans la psyché, alors cette séance est une
excellente description de la psyché depuis l’intérieur, donnée par un Aspect
fondamental tout aussi bien équipé pour regarder vers l’intérieur, à travers
la psyché, que l’est la personnalité de concentration pour regarder vers
l’extérieur.
Nous pouvons ici jeter un regard vers un monde intérieur de la psyché
tout aussi riche et complexe que le monde extérieur ; un monde, en fait,
d’où émerge le monde des sens.
J’appelle Seth une entité « transmonde », un personagramme, car pour
moi sa réalité est double : son existence séparée dans ses dimensions, et son
existence tel qu’il se reflète dans la psyché. La personnalité de Seth qui
s’exprime à travers moi n’est probablement qu’une partie de sa réalité. Au
delà s’étendrait sa propre nature.
Je le répète, je pense que l’identité plus complète de Seth inclut d’une
façon ou d’une autre le Sumari, Sept, Helper, et qu’ils sont tous d’autres
expressions de sa réalité plus vaste, agissant également comme Aspects.
Seth amène souvent le Sumari par exemple, répondant à une question à sa
façon puis donnant une explication en Sumari.
Jusqu’à présent, je ne reçois le matériau de Seth que par Seth. Mais, en-
core une fois, Seth est un de mes Aspects ; parle-t-il pour moi dans d’autres
mondes ?

197
Appendice 2
J’inclus ici une courte séance de groupe, au cours de laquelle Seth n’a
pas parlé. Les séances données devant le groupe sont enregistrées, puis un
étudiant les tape et fait des copies. Là, en réponse à une remarque d’un
étudiant, j’ai commencé à parler en tant que Chypre – un personnage de
mon roman L’Éducation de Surâme Sept.
Comme je l’ai déjà mentionné, dès l’apparition de Chypre dans le livre,
j’ai su que depuis le début du Sumari c’était pour elle que je parlais et
chantais. Mais ici j’ai commencé à parler en anglais, puis chantai en Sumari,
avant de traduire immédiatement.
J’inclus ce passage car il montre comment des questions posées à un
certain niveau de conscience peuvent recevoir leurs « réponses » à un
autre ; et aussi parce que je me souviens de ma joie à sauter d’un niveau de
conscience à un autre, quand même les questions les plus ressassées sem-
blent nouvelles.
J’ai plus tard modifié légèrement la traduction du chant sumari, et c’est
cette dernière version qui est donnée ici. Souvenez-vous que celui-ci a
d’abord été chanté, puis écrit. Je l’ai ensuite traduit immédiatement pour
le groupe, mais je ne l’ai pas chanté en anglais.

Séance de groupe du mardi 3 juillet 1973


Jane et le groupe discutaient des dimensions d’un événement. Carlos dit
qu’il aimerait bien voyager vers un certain événement, puis spécifia « le
commencement du monde ». Jane dit : « C’est arrivé demain, Carlos. »
Carlos : pardon ?
Jane : c’est arrivé demain.
Carlos : c’est arrivé demain ?
Jane : oui ; la création du monde, elle s’est passée demain.
Jeff (un autre étudiant) : Chypre. (Voulant dire que Jane parlait pour
Chypre.)
Jane : va regarder dans le Times. Toutes les nouvelles y sont. Oui Jeff.
Jeff : Chypre !
Un chant sumari se manifesta, traduit ensuite par Jane :
Des souvenirs de ton être émergent les fleurs d’autres siècles.
Depuis la splendeur innocente de ton présent arrivent tes passés et tes
avenirs.
Ils se déploient comme des fleurs en miroir,

198
Les pétales de ton moi à jamais ouverts.
Tes futurs souvenirs deviennent tes lendemains passés.
Les cellules à l’intérieur des actuels
fossiles de tes corps
chantent dans des temps que tu ne connais pas.
Le miracle de ta chair s’épanouit
là où l’on ne connaît pas la chair.
La surprise de ta compréhension
est la pupille de ton œil.
La pupille de ton œil grandit
au centre de ton être.
Elle voit des réalités cachées
au sens de la vue que tu lui assignes.
L’œil regarde en dedans,
et regardant en dedans, il crée sa vision.
Jane : Oui, Jeff, c’est Chypre qui a transmis cela, qui – ne l’oublie pas –
est un personnage fictif, comme vous tous.

199
Appendice 3
Comparaison des états modifiés de conscience mentionnés dans ce livre.

ÉTAT DE CONSCIENCE
Transe avec Seth
Circonstances, état
Séances organisées, deux fois par semaine. Sinon spontanément, avec
mon accord. Seth « est là », ou je deviens lui.
Description
État accéléré, vigoureux, actif, mais je reste assise ; caractéristiques
personnelles précises, excellentes réponses à l’entourage.
Sensations, « produits »
Ressenti d’une « autre » énergie supplémentaire, merveilleusement con-
centrée sur la séance. Effets : livres, un remarquable personagramme.
Seth 2
Circonstances, état
Sentiment de « sortir », pour établir un contact qui se produit quelque
part entre mon corps et là où se trouve Seth 2. On dirait que je passe par un
canal ou une pyramide. Spontané, avec mon accord.
Description
Corps relâché, passif.
Sensations, « produits »
Ressenti de lointain, de distance ; je suis encore loin de maîtriser. « Pro-
duits » pour le moment : autres modifications de conscience, que je ne suis
pas encore parvenue à traduire.
Sumari, Chypre
Circonstances, état
Spontané, avec mon accord.
Description
État accéléré ; je parle, chante en sumari ; expressions faciales, vo-
cales ; beaucoup de gestes ; excellentes réponses à l’entourage.
Sensations, « produits »
Ressenti d’une « autre » énergie supplémentaire. « Produits » : mises en
scène musicales, dont le sens est transmis par la destruction des structures
langagières habituelles ; utilisation du rythme et des sons.

200
Poésie et « maths » sumari
Circonstances, état
Uniquement quand je suis seule, avec mon accord.
Description
Corps et mental passifs. Le mental attend que des mots arrivent.
Sensations, « produits »
Intense écoute intérieure. « Produits » : poésie, quelques intuitions sur
des principes mathématiques.
Sumari pour traduction en anglais
Circonstances, état
Habituellement quand je suis seule, mais parfois spontanément lors d’un
groupe.
Description
Mental en alerte passive. Impression de descendre sous les sons.
Sensations, « produits »
J’entends le silence intérieur se transformer en son intérieur. Cela peut
être trop rapide ou trop lent, j’ajuste souvent la focale de ma conscience.
Sept
Circonstances, état
Venu d’ « ailleurs », le matériau de Sept m’arrive à mon niveau habituel
de conscience, où il s’installe tranquillement. Ce n’est pas la même inspira-
tion « normale » que celle qui est la mienne quand j’écris des poèmes.
Description
État de conscience normal, très légèrement modifié ; un peu comme
écrire sous la dictée ; un flux calme et régulier.
Sensations, « produits »
Jusqu’à présent, Sept « produit » des fictions d’excellente qualité.
Même si apparemment c’est Chypre qui écrit Surâme Sept, elle le fait en
passant par Sept par mon intermédiaire. Je considère Sept comme mon moi
créatif et joueur – mais il me donne aussi des conseils concernant certains
domaines de création dans ma vie, par écrit, et quand je le lui demande. Je
ne m’interroge pas trop sur la nature de sa réalité.
Helper
Circonstances, état
Il m’arrive parfois de prendre spontanément conscience de la présence
d’Helper. Généralement je l’envoie aider les autres.
Description
À mon avis Helper fonctionne exclusivement au niveau interne des évé-
nements. Pour le rejoindre je passe dans un état légèrement modifié de
conscience. J’en parle comme d’un « lui », mais je le considère plutôt
comme de l’énergie personnifiée.
Sensations, « produits »

201
Il semble avoir aidé plusieurs personnes dans des problèmes de diffé-
rentes natures. J’ai encore beaucoup de travail avant de comprendre com-
ment il fonctionne.
État de conscience particulier
Circonstances, état
J’y accède à partir de n’importe quel état modifié de conscience ; ja-
mais « à froid » depuis mon niveau normal. C’est une version beaucoup plus
puissante que l’état de Sumari.
Description
Je sens une masse énorme de données disponibles, mais dans ce « lan-
gage cosmique » qui doit être traduit par le système nerveux ; je n’arrête
pas de faire des ajustements que je ne comprends pas vraiment.
Sensations, « produits »
Je sens que les données ne sont pas verbales – peut-être électromagné-
tiques. Je peux mettre une minute à capter une syllabe, ou alors le flux est
trop rapide pour mon système nerveux et j’essaye de le ralentir. Là j’ap-
prends encore et j’ai l’intuition d’un développement à venir, de mon fait ou
pas.

202
Appendice 4
Commentaires sur les états modifiés de conscience

Pour moi l’état de conscience créatif, ou d’inspiration élevée, est l’état


normal, et je ne le considère donc pas comme un état modifié de cons-
cience. Il a toujours été à la base de ma poésie, par exemple, et il inclut
probablement une certaine vision du monde. À ces moments-là je suis à
l’accéléré, perdue dans mon idée, quelle qu’elle soit, intellect et intuition
unis, à fond de train. Je ne m’appartiens plus, et rien d’autre ne compte.
Alors mon « je » se réjouit de lui-même. Parfois j’ai l’impression que l’idée
ou le poème me cherche, et je me laisse trouver ; le mental rusé et triom-
phant comme un renard qui attrape sa proie en se faisant tout petit.
D’autres fois je me sens dans une chasse effrénée après une idée, comme un
animal divin galopant loin devant aux confins du mental – et je ne le rat-
trape jamais, mais je jure que j’y arriverai. Ou alors l’étrange créature s’ar-
rête juste assez pour que je puisse l’agripper ; elle m’invite sur son dos si
j’ose, et c’est parti. C’est vraiment pour moi tout à la fois de l’art, du jeu,
du sport, de la religion et une « quête de vérité ».
Mais dans une transe de Seth, c’est tout autre chose. Le « je » si exalté
dans l’état créatif normal fait un pas de côté. J’ouvre la porte et l’étrange
animal divin entre en caracolant pour faire son solo devant le bestiaire de
mon esprit. J’ai envie de dire : « Pardon pour la comparaison, Seth », sauf
que je suis sûre qu’il comprend. Parce que j’ai « attrapé » l’intuition. Elle
est là, en pleine vue. Elle parle. Et que va-t-on en faire ?
Seulement le fait de considérer Seth de cette façon un peu décalée,
comme une espèce exotique, un animal divin, ouvre à des idées qui restent
invisibles quand on le considère comme un esprit. Il est véritablement une
espèce différente, que cette créature soit mentale ou spirituelle. Et, pour
moi tout au moins, il apporte des cadeaux. Car ses livres arrivent, simple-
ment ; ils sont juste là, avec lui. Et ils viennent de ce qu’il est, indépendam-
ment de ce que je suis, ou considère être ; même si je suis nécessaire. Je
suis celle – et la seule – qui puisse « tirer le lait » de ce bizarre animal divin.
C’est ainsi que pour moi le résultat appartient à Seth, pas à moi, même si je
suis l’intermédiaire nécessaire. Voilà pourquoi il a autant besoin de moi que
moi de lui.
Je pense que pendant les séances, Seth et moi devenons un. Seth ne de-
vient pas moi, mais il est probable que je devienne partiellement Seth, de-
venant à un certain degré plus que je ne suis habituellement ; je laisse le
personagramme s’imprimer sur ma psyché, par exemple, mais je n’imprime

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pas mes message sur celle de Seth. Ce serait amusant que le personagramme
soit une sorte d’intermédiaire psychique, liant notre état de créature à une
spiritualité que nous ne comprenons pas encore.
Dans de nombreux rêves je reçois une « empreinte » ; pour le moins je
reçois un enseignement de Seth, souvent nuit après nuit. J’en ai parfaite-
ment conscience. Parfois j’en ai assez et je lui crie : « Ça va Seth, coupe,
maintenant ! » Et il le fait. Les passages du livre, ou quel que soit le mes-
sage, disparaissent quand j’essaye de m’en souvenir. Je sais qu’ils revien-
dront pendant la dictée du livre. Voilà comment je suis programmée.
Dans certaines séances le programme est simplement « rejoué » ; Rob le
prend sous la dictée, et c’est tout. Dans d’autres séances Seth donne un ma-
tériau que je sais être nouveau. J’ai conscience d’être à l’intérieur de ce
qu’il est, d’une certaine façon je me baigne dans son exubérance, dans son
énergie et sa sagesse. Mais d’une façon ou d’une autre, Seth passe par ma
station de radio personnelle. Quelle que soit sa réalité ailleurs, en séance il
est « vivant » et sa présence est immédiate.
Avec Seth 2, c’est encore différent. Quand il arrive, j’ai l’impression de
quitter mon corps, de partir vers une lointaine frontière de la conscience,
dans l’attente de signaux, de messages, que je peux à peine déchiffrer ; un
« lieu » certainement paisible, mais pas un environnement chaleureux, émo-
tionnel, humain ; plutôt une espèce de salle d’attente entre les mondes.
J’ai l’impression de me déplacer vers le haut – mais c’est peut-être une in-
terprétation symbolique, car je serais étonnée que ce genre de direction ait
encore une quelconque signification en ce qui concerne les états de cons-
cience. Je n’en suis pas trop sûre en fait, car plusieurs fois j’ai eu l’impres-
sion de me trouver dans un ascenseur entre différents paliers de réalité. Je
n’avais pas peur, c’était juste inconfortable. De là je ne peux ni faire fonc-
tionner mon corps, ni continuer mon voyage. Donc j’attends. Chaque fois
Seth « est passé » et m’a aidée à revenir. Je ne sais pas trop comment. Je
ne l’ai pas vu, ni quoi que ce soit d’autre. Il a juste fait bouger mon corps et
m’a parlé, ce qui m’a fait revenir.
Dans l’appendice précédent j’ai décrit les états modifiés de conscience
qui me sont naturels – je dis naturels car ils sont spontanés, non induits, et
aucun n’implique une quelconque contrainte. Je crois que chaque personne
a les siens, tous confondus dans son état normal de conscience ; chacun re-
présente un Aspect du moi-source, fonctionnant comme des composants de
la personnalité de concentration, à laquelle ils ajoutent leurs caractéris-
tiques et leurs capacités.
Je ne vois pas l’intérêt pour d’autres de « parler » pour leur Seth person-
nel, ou d’isoler les Aspects de la même façon que je le fais. Je crois en re-
vanche que nos talents et tendances personnels peuvent fournir d’excel-
lentes données sur la nature des Aspects, et que la compréhension de ces
derniers peut nous aider à équilibrer les différentes parties de notre person-
nalité d’une façon plus efficace. Il est certain qu’une fois isolés, les Aspects

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jettent une lumière forte sur la dynamique de la psyché telle qu’elle s’ex-
prime par la personnalité de concentration. Je ne suis qu’au début de l’ex-
ploration de ces pistes.
Je crois aussi que les Aspects sont responsables de la naissance des civili-
sations, leurs connaissances étant transmises à l’esprit conscient par des ré-
vélations de différentes natures. Pour moi les Aspects fonctionnent donc en
tant qu’activateurs internes de comportements civilisationnels, fournissant
un savoir fondamental de nature mathématique, « scientifique » et mystique
qui peut être traduit d’un nombre infini de manières pour former autant de
systèmes culturels. Ceux-ci varient en fonction du système de réalité où se
trouve la personnalité de concentration. De notre point de vue, n’importe
quel système peut être soit plus complexe soit plus simple que le nôtre.
Je ne dis pas qu’un enfant tout seul dans une forêt va développer son
propre système mathématique, mystique ou « scientifique ». Je dis qu’un
groupe d’êtres humains, partant de zéro, pourrait le faire, l’a déjà fait, et
continuera à le faire. Je considère ces Aspects, avec leurs informations ré-
vélées, comme des composants psychiques naturels de la personnalité – tout
aussi valables que les cellules, avec leur élan intrinsèque à la croissance
physique. Les Aspects fournissent la poussée psychique interne, les schémas
de la croissance culturelle, et les moyens de la mettre en œuvre.
C’est ainsi qu’une étude des Aspects pourrait nous en apprendre beau-
coup sur notre passé en tant qu’espèce, tout autant que nous donner des
clés de compréhension sur les développements futurs de notre conscience.
Mais en dépit de leurs applications sur le plan collectif, chaque Aspect est
unique ; ils sont plus que de simples schémas psychiques stéréotypés d’où se
formerait l’individualité.

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Appendice 5
La Divinité est un échange
entre des Inconnus,
où se produisent des miracles
au delà de la portée de quiconque
et qui pourtant se produisent sans cesse –
un secret relationnel
étourdissant.

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