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ÉRIC-JEAN GARCIA
EXPÉRIENCE DE L’EXERCICE DU POUVOIR ET FACE AUX ENJEUX
DU MONDE MODERNE.
LEADERSHIP
Avec l’essor de l’économie de marché, l’entreprise est devenue l’institution
ÉRIC-JEAN GARCIA
PRÉFACE D’ERHARD FRIEDBERG
centrale des sociétés modernes. Les conséquences des choix et décisions
de ceux qui la dirigent ne sont pas simplement d’ordre économique, elles
LEADERSHIP
sont aussi d’ordres social, environnemental et politique.
LEADERSHIP
Cet ouvrage explore ce changement grâce à un travail de réflexion mené avec
19 personnalités, dont la plupart assument les plus hautes fonctions à la
tête de grandes entreprises. Chacune d’elles a pris le temps de s’exprimer
sur sa conception du leadership et sur les compétences exigées pour
assumer efficacement son rôle de leader.
Voici quelques-unes des questions abordées au cours de ces entretiens :
Est-on prédestiné à devenir leader ? Quels sont les meilleurs leviers de
mobilisation et de motivation des équipes ? Comment faire face à la complexité
du monde actuel ? Quelles réponses l’entreprise doit-elle apporter à la question
de la diversité ? Dans quelle mesure faut-il moraliser le capitalisme ? PERSPECTIVES SUR
Ce livre propose donc un modèle original de réflexion et d’action L’EXERCICE DU POUVOIR
du leadership destiné à tous ceux qui s’intéressent à l’évolution des
comportements managériaux dans les entreprises. DANS LES ENTREPRISES
Éric-Jean Garcia
Titulaire d’un Doctorat (PhD) de la University of London sur la formation au Leadership dans les
MBA britanniques et français, Éric-Jean Garcia a produit plusieurs articles à partir de ses travaux
de recherche, dont les plus récents sont : « Raising leadership criticality in MBAs » dans le Higher
Education Journal et « MBA lecturers’ curriculum interests in leadership » dans la revue Management
Learning. Il est également titulaire d’un MBA de la University of Dallas et a commencé sa carrière au
sein du groupe Bidermann où il assura notamment la fonction de Directeur export. Il sera ensuite
nommé Directeur de l’INSEEC Paris et Directeur académique de la European Business School.
Aujourd’hui, Éric-Jean Garcia est Conseil en Leadership et Maître de Conférence à Sciences Po
Paris où il enseigne son thème de prédilection dans les Masters professionnels et au MPA (Master
of Public Affairs).
Témoignages exclusifs de :
Vincent Bolloré, Xavier Fontanet, Dominique Hériard Dubreuil, Frédéric Oudéa, Georges Pauget,
Guillaume Poitrinal, Patrick Ricard, Pierre Vareille, Chris Viehbacher, Sabine Dandiguian,
Françoise Gri, Geoffroy Roux de Bézieux, Alain Ducasse, Alain Némarq, Jean-François Rial,
Nicolas de Tavernost, Yannick d’Escatha, Général Denis Favier et Pierre Hurstel.
LEADER
ISBN 978-2-8041-6293-1 www.deboeck.com
LEADERSHIP
Perspectives sur
l’exercice du pouvoir
dans les entreprises
Imprimé en Belgique
Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : avril 2011
Bibliothèque royale de Belgique : 2011/0074/014 ISBN 978-2-8041-6293-1
Préface
La première interprétation y voit plutôt l’expression et la manifestation d’une trans-
formation des organisations, laquelle correspond en fait à une restructuration fonda-
mentale, mais silencieuse, des rapports de dépendance entre salariés et management.
Comme le montre l’auteur du livre dans son chapitre introductif, les organisations en
général et les entreprises en particulier sont confrontées à une complexification consi-
dérable de leurs missions, de leurs activités et de leurs fonctionnements. S’y ajoute
l’incorporation de plus en plus massive, dans la production des biens et services, d’in-
novations concernant à la fois les produits, mais aussi les processus de production.
C’est ce que Peter Drucker a appelé la révolution du « knowledge work », qui favorisera
l’émergence progressive du « knowledge worker »1. Il en résulte une transformation
fondamentale du rapport de négociation entre les salariés et les organisations. Ces
dernières ont besoin, beaucoup plus qu’auparavant, de salariés « engagés » et actifs
dans l’accomplissement de leurs tâches : des salariés qui comprennent ce qu’ils font,
tout en étant capables de prendre des initiatives pour sortir des routines et des pres-
criptions habituelles.
La performance des organisations dépend donc de plus en plus de ce quelque chose
qui ne peut être exigé, à savoir la « bonne volonté » des salariés. Cela implique que
ces derniers acceptent de mettre « du leur » dans le travail. Cela nécessite aussi des
structures de travail plus collaboratives, dont la caractéristique est d’impliquer davan-
tage le salarié. Mais, dans le même temps, les techniques traditionnelles d’intégration
et d’identification idéologiques ne fonctionnent pas aussi bien que prévu. Cela tient
notamment au fait que ces techniques reposent énormément sur l’adhésion passive
des individus aux missions de l’organisation. Ainsi, au moment où les organisations
ont davantage besoin de l’engagement actif des salariés, leurs modes de fonctionne-
ment supposent et produisent des formes de passivité chez les salariés.
Cette dépendance de l’organisation par rapport à la « bonne volonté » de leurs sala-
riés n’est pas nouvelle, comme l’ont si bien montré en leur temps les analyses de la
bureaucratie. Celles-ci ont en effet mis en évidence la double face des règles utilisées
par le management et les salariés. Alors que le management utilise ces règles pour
mettre en ordre et discipliner, les salariés s’en servent à la fois comme une protection
1
Ce terme a été proposé par Peter Drucker pour désigner les salariés qui travaillent pour l’essentiel
avec de l’information ou qui utilisent et/ou développent de la connaissance dans leur travail. De ce fait,
il s’agit de salariés qui disposent d’une plus grande autonomie dans la mesure où le travail sur et avec la
connaissance est plus difficile à rationaliser et/ou à prescrire.
contre l’arbitraire du chef et comme un moyen de négociation de leur « bonne volonté »
et de leur engagement, au-delà même des prescriptions édictées par ces règles. Mais
les contraintes de l’économie de l’innovation et de la nouvelle donne de la « lean orga-
nization » donnent une nouvelle actualité et acuité à cette figure de base du fonction-
nement organisationnel. Il faut dire que la « lean organization », c’est-à-dire une orga-
nisation « amaigrie », est, de fait, plus fragile et plus vulnérable, parce qu’elle dispose
Préface
exécute. » Cela conduit à une vision très centralisée des organisations, tout entières
structurées autour de leurs leaders allant, de facto, à l’encontre d’un des rares résul-
tats fermement établis des sciences sociales en matière d’organisation, à savoir que
décision et exécution, vision et mise en œuvre ne peuvent durablement réussir qu’en
interaction.
Dans une telle conception, le leadership est réduit à une affaire d’individus, alors que
son résultat est essentiellement collectif. La théorie, ou plutôt la croyance au « grand
homme » dans les entreprises, comme dans l’histoire, mérite d’être sérieusement rela-
tivisée et reformulée. Et cela, pour au moins deux raisons. Premièrement parce que
les récits héroïques des histoires à succès surestiment systématiquement la force et
l’impact des intentions individuelles et sous-estiment corrélativement les éléments de
conjoncture et de chance. Deuxièmement, parce que dans une organisation qui fonc-
tionne à peu près correctement, il est toujours beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît
d’individualiser les responsabilités. Le fonctionnement d’une équipe de dirigeants, la
capacité de ceux-ci à développer une vision, un projet et une politique sont les résul-
tats distribués d’actions et d’initiatives d’un collectif, plus ou moins large, d’acteurs
et de leurs effets de composition. Ce constat vaut aussi, et combien plus, pour une
organisation dans son ensemble. Elle ne s’aligne pas sur la volonté et les intentions
d’un leader, fût-il génial. La performance organisationnelle ne peut être que le produit
composé de l’ensemble des actions de leurs membres et de leurs effets d’interaction.
Il est vrai que tout le monde ne fait pas tout dans une organisation. L’ampleur des
responsabilités managériales n’est bien sûr pas la même aux différents niveaux d’une
structure. De même, il faut bien qu’il y ait une division du travail au sein d’une équipe
de dirigeants. Il n’empêche qu’un leader entouré de robots d’exécution perdrait très
vite toute efficacité. Il ne pourrait déléguer et se retrouverait bien vite prisonnier d’une
« technostructure », certes disciplinée, mais routinière et sans beaucoup d’imagina-
tion. Comme l’a déjà démontré Henry Mintzberg, vouloir séparer le leadership du
management, ce serait un peu comme vouloir jouer du violon sans violon1.
Tout miser sur la personnalité et les capacités visionnaires de quelques individus,
dont le « leadership » serait artificiellement séparé de la réalité quotidienne du mana-
gement revient à méconnaître la dimension collective de la conduite des organisa-
tions. Le rôle qu’assume le leadership dans cette conduite est naturellement essen-
1
Mintzberg, H. (2004). Managers not MBAs. San Francisco, CA : Berrett-Koehler Publishers.
tiel, mais il sera d’autant plus important et surtout bénéfique que ce dernier s’avérera
modeste, conscient des limites de ses capacités de contrôle, alerté sur sa dépendance
du collectif qu’il anime et qu’il puisera son action non pas dans des idées et des prin-
cipes abstraits, mais dans une connaissance profonde de ce collectif. Dans cette pers-
pective, le leader se définit comme un instrument pour le développement des capa-
cités collectives du système d’acteurs dont il a la responsabilité. L’enseignement du
4
leadership devra donc cultiver l’esprit de service plutôt qu’exalter la mégalomanie
individuelle, le pragmatisme plutôt que la métaphysique du projet, la recherche lucide
et persévérante du possible plutôt que le saut volontaire dans l’inconnu. Cet ensei-
gnement ne pourra être prescriptif, mais devra favoriser et développer la réflexivité. En
outre, il ne pourra être séparé d’une réflexion éthique sur les finalités de l’action et les
Leadership
1
Stolzing renvoie à « stolz » qui signifie « fier » en allemand.
et dépourvu du moindre respect pour les institutions et les traditions établies, arrive
dans le Nuremberg du début de la Renaissance pour participer à une compétition de
chant organisée par les corporations de la ville. La récompense de cette compétition se
prénomme Eva, une jeune demoiselle qui est la fille du patron de la guilde des orfèvres
que Walther aime éperdument. Le chevalier pense que, pour chanter il suffit d’avoir
une voix magnifique et d’être capable de composer de belles mélodies sur des textes
inspirés. Mais, pour les corporations enracinées dans le Moyen âge et ses traditions,
chanter ne se limite pas à une question de voix et d’inspiration. Il faut d’abord et avant
tout d’être capable de suivre toute une série de règles très précises sur le placement
5
des accents, sur l’association des mots dans la composition des phrases, sur la versi-
fication, sur le rythme et sur beaucoup d’autres choses. Pour le gardien pointilleux et
Préface
borné du Livre des règles1 le chant de notre chevalier n’est rien d’autre que du bruit,
un bruit inaudible et intolérable. Mais, heureusement, intervient alors le personnage
du cordonnier Hans Sachs, membre très respecté des corporations, et qui joue un rôle
central dans l’œuvre. Il fait comprendre à notre chevalier qu’il ne faut pas mépriser les
compétences et les règles établies (Verachtet mir die Meister nicht…) et lui apprend
à chanter librement tout en respectant les règles. Il permet ainsi à notre chevalier de
gagner la compétition, d’épouser sa bien-aimée Eva et d’être admis dans le monde des
corporations.
Même si Wagner se reconnaît dans ce rôle, le vrai héros de cet opéra n’est pas Walther
von Stolzing, le porteur du renouveau. Le vrai héros est Hans Sachs, celui qui connaît
le monde des corporations et comprend que ce monde a besoin de sang nouveau,
de nouvelles impulsions, d’innovation et de plus de diversité. Mais il sait aussi qu’on
ne vit pas sans règles, ce qu’il parviendra à faire admettre au représentant du renou-
veau. Hans Sachs nous fait comprendre que le renouveau doit se frayer son propre
chemin à travers l’existant, l’affronter et l’amener à se renouveler. Pour cela, la simple
beauté d’un chant ne suffit pas. En connaisseur de ce monde de l’intérieur, il est resté
ouvert et peut ainsi combiner l’existant et l’innovation, ce qui permet le changement
de l’identité de l’un et de l’autre. Hans Sachs représente en quelque sorte cette dimen-
sion essentielle d’un leader institutionnel qui fait de lui un passeur entre l’ancien et
le nouveau, un médiateur capable de susciter, voire de créer les arrangements et les
compromis nécessaires pour réaliser la rencontre du monde tel qu’il est avec le monde
tel qu’on voudrait qu’il soit.
Erhard Friedberg
1
Le gardien des règles est un greffier municipal joué par la figure de Sixtus Beckmesser, lequel incarne
pour Wagner son critique le plus féroce à Vienne, à savoir, Hanslick.
Il n’y a que Dieu qui puisse sans danger être tout puissant.
Alexis de Tocqueville
partie 1
1
9
Préface
première partie
Introduction
La nature complexe du leadership
Défis et enjeux du leadership
Conclusion
1. Introduction
partie 1
Contexte
Le pouvoir à la tête des entreprises n’a jamais suscité autant d’intérêt, de passion,
11
mais aussi d’inquiétude et de défiance. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Tout
d’abord, il y a la compétence du dirigeant, l’importance de son rôle et de ses décisions.
Qu’il soit ou non l’actionnaire principal de l’entreprise qu’il dirige, n’est-ce pas de sa
responsabilité d’arrêter les axes stratégiques de développement et de définir la répar-
tition des ressources disponibles ainsi que les niveaux de performances à atteindre ?
N’attend-on pas de lui qu’il s’implique dans la mobilisation des équipes et la commu-
Contexte
nication avec l’ensemble des parties prenantes1 ? N’incarne-t-il pas les valeurs et la
réputation de l’entreprise ?
Cet intérêt est d’autant plus vif si l’on considère que l’avenir des entreprises, même
celui des plus grandes d’entre elles, n’est jamais assuré. À l’évidence, ni la taille ni la
réputation de celles-ci ne sont des protections totalement efficaces contre le déclin, le
rachat ou la faillite2. Cette vulnérabilité est mise en lumière par le magazine Fortune et
son classement annuel des entreprises américaines les plus performantes3. En compa-
rant les classements sur différentes périodes, il apparaît que sur les 100 plus grandes
entreprises du début du siècle dernier, seulement 16 sont toujours présentes au début
du XXIe siècle. Et dans la liste des 500 plus grandes entreprises américaines, un tiers
des entreprises répertoriées en 1970 n’apparaissent plus en 1980, et 46 % d’entre elles
ont disparu entre 1980 et 1990.
1
Parties prenantes (stakeholders, en anglais) : expression désignant toutes les entités et tous les groupes
de personnes ayant un intérêt direct avec les activités de l’entreprise (ex : actionnaires, salariés, clients et
fournisseurs).
2
Cf. Collins, J. (2009). How The Mighty Fall : And Why Some Companies Never Give In. New York, NY :
HarperCollins. Traduction française : Collins, J. (2009). Ces géants qui s’effondrent. Paris : Pearson, Village
Mondial.
3
Fortune est le plus ancien magazine économique américain, connu pour son classement annuel des
500 entreprises à travers le monde à partir de leur chiffre d’affaires, mais aussi de leurs bénéfices et du
nombre de leurs employés (http://money.cnn.com/magazines/fortune/fortune500).
faut pas plus pour que la presse spécialisée américaine1 envisage la disparition de
GM comme une hypothèse plus que probable. Pendant ce temps, le challenger d’hier,
partie 1
12
deux fait fortune dans le textile et comptaient parmi les dirigeants les plus riches de
France. Compte tenu des empires industriels qu’ils avaient respectivement créés, on
disait d’eux qu’ils ne seraient jamais dépossédés. Pourtant, tout le monde assista,
impuissant, au démantèlement de leurs groupes quelques années plus tard. Dans la
même filière, d’autres ensembles industriels moins prestigieux subiront le même sort.
Ce sera notamment le cas des groupes Indreco, Devanlay et Bidermann.
Introduction
Les raisons profondes de ces échecs sont bien évidemment multiples, mais, en dernier
ressort, il est toujours difficile d’accepter la « fatalité » des choses. Alors, puisqu’il faut
un responsable, c’est en toute logique que l’on se tourne vers le dirigeant. La nature
des reproches adressés à ce dernier varie en fonction des situations. On pourra notam-
ment lui reprocher de ne pas avoir été un « visionnaire » s’il n’a pas su anticiper une
crise, une évolution technologique, un changement de comportement du consomma-
teur ou l’opportunité de développer un nouveau segment de marché. On pourra égale-
ment lui reprocher de ne pas avoir été un vrai « leader » dans la mesure où il n’a pas
su convaincre ses parties prenantes et mobiliser les forces vives de son organisation.
Certains dirigeants sont même remerciés de façon préventive, avant que l’avenir ou la
réputation de l’entreprise ne soit en situation de réel danger. En France, ce fut notam-
ment le cas de Daniel Bouton (Société Générale), José Luis Duran (Carrefour), Jean-
Bernard Lafonta (Wendel), Charles Milhaud (Caisse nationale des caisses d’épargne),
Jean-Marie Messier (Vivendi), Thierry Morin (Valeo) et Christian Streiff (Peugeot). Tous
quittèrent leurs fonctions pour au moins un des motifs suivants : divergences de vues
stratégiques, pertes financières démesurées, prises illégales ou excessives d’intérêts.
La seconde raison justifiant l’intérêt grandissant pour les dirigeants d’entreprises est
l’importance sociétale grandissante de ces dernières. En quelques décennies, l’en-
treprise a émergé comme une institution majeure et comme la principale source de
transformation des sociétés développées. À l’échelle mondiale, la libéralisation des
échanges économiques, combinée avec la mobilité des capitaux et des moyens de
production, a doté l’entreprise d’un pouvoir de négociation accru notamment avec les
autorités gouvernementales des pays où elles sont implantées. À l’échelle nationale,
la performance collective des entreprises détermine largement le niveau de richesse
d’un pays, et par là, les revenus disponibles pour les politiques sociales, environne-
mentales et diplomatiques décidées et mises en œuvre par le gouvernement. Sur un
1
Cf : Bloomberg Businessweek, March 25, 2009 : Should GM split itself in two ? Fortune, October 12,
2009 : GM : do or die ? The Wall Street Journal, September 26, 2010 : Be a patriot, buy GM.
plan organisationnel, c’est désormais auprès d’elles que les conditions et les moda-
lités de travail sont définies et étalonnées1.
partie 1
À l’échelle individuelle, l’entreprise influence nos vies, nos comportements et notre
perception du monde. Tout d’abord, en créant et diffusant de nouveaux produits et
services technologiques accessibles au plus grand nombre, celle-ci a contribué à fabri-
13
quer une société d’hyperconsommation, laquelle transforme notre réalité quotidienne,
notamment en ce qui concerne notre rapport au temps2, au savoir3 et au risque4. Ensuite,
en procurant du travail aux salariés, l’entreprise permet à ces derniers de se construire
une identité sociale, ce qui influencera en retour leur intégration et la perception de
leur rôle dans la société5. Ce phénomène social est d’autant plus important que l’entre-
prise est généralement le principal employeur dans les sociétés développées, dont
Contexte
beaucoup subissent un chômage élevé et endémique. Enfin, l’hégémonie du modèle
commercial propre aux économies de marché contribue à créer un nouvel ordre moral
dans lequel les identités, les valeurs et les pratiques se définissent à l’aune des choix
opérés par le consommateur. Dans cette société d’hyperconsommation, plus que nos
idées et nos croyances, ce sont peut-être nos achats qui définissent de plus en plus ce
que nous sommes6.
1
Deetz, S. A. (1992). “ Disciplinary Power in the Modern Corporation ”. In M. Alvesson & H. Willmott
(eds.), Critical Management Studies. London : Sage Publications.
2
Hassan, R. (2003). The Chronoscopic Society : Globalization, Time and Knowledge in the Network
Economy. Oxford : Peter Lang.
3
Goodwin, N. R., Ackerman, F. & Kiron, D. (eds.). (1997). The Consumer Society. Washington DC : Island
Press.
4
Beck, U. (1992). Risk Society : Towards a New Modernity. London : Sage.
5
Sainsaulieu, R. (1985). L’identité au travail. Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences poli-
tiques.
6
Baudrillard, J. (1970). La société de consommation, Paris : Folio.
7
Bill Gates : homme d’affaires et philanthrope américain, né en 1955, fondateur avec Paul Allen de la société
Microsoft, dont il quittera la présidence en 2000 pour se consacrer à sa fondation Bill & Melinda Gates.
8
Steve Job : né en 1955, il fonde la société américaine Apple en 1976 avec Steve Wozniak. Apple se
révélera une société pionnière de la micro-informatique personnelle avec notamment l’élaboration de
l’ordinateur Macintosh. Poussé à démissionner en 1985, il va notamment créer les studios d’animation
Pixar avant de revenir aux commandes d’Apple en 1997 pour ouvrir une nouvelle ère de succès avec les
lancements de l’Ipod, de l’Iphone et de l’Ipad.
et Jack Welch1 sont régulièrement cités pour leurs talents d’entrepreneur et de vision-
naire. Pour d’autres, les dirigeants d’entreprises sont les principaux responsables de
partie 1
14
Au-delà de ces positions extrêmes, force est de reconnaître que les décisions des diri-
geants d’entreprises ont non seulement un impact économique et social sur les parties
prenantes de leur organisation, mais également un impact sociétal, c’est-à-dire une
influence manifeste sur la société, son fonctionnement, ses valeurs et l’épanouisse-
ment de ses citoyens. Il n’est donc pas étonnant que le rôle du dirigeant d’entreprise
dans la société moderne soit également un sujet de controverse. D’ailleurs, médiati-
Introduction
Ainsi, compte tenu de l’importance des défis et des enjeux du monde moderne, le
pouvoir exercé au sein des entreprises suscite de l’intérêt bien au-delà des champs
professionnels du conseil et de la formation. Il est devenu l’objet de beaucoup d’atten-
tion de la part des économistes, des sociologues, des psychologues, des anthropolo-
gues, des philosophes et des politologues. Un mouvement de la pensée critique mana-
gériale a même vu le jour en Angleterre3. Corollaire de cette tendance, les programmes
des Business Schools ont été fortement encouragés à promouvoir la recherche et
l’enseignement de pratiques du leadership d’entreprises sociétalement responsable4.
1
Jack Welch : homme d’affaires américain qui présida pendant trente années consécutives le groupe
General Electric (GE). Sous son leadership, la valeur boursière de GE passera de 14 à 500 milliards de
dollars, ce qui fera de lui un des patrons les plus admirés des milieux d’affaires américains. Surnommé
« Neutron Jack » en référence à l’énergie et l’audace de ces décisions, il sera consacré « manager du siècle »
par le magazine Fortune en 1999.
2
Schumpeter, J. A. (1942). Capitalism, Socialism and Democracy (2008 ed.). New York, NY : Harper Perre-
nial Modern Thoughts.
3
Le mouvement de la pensée critique managériale dénommé « Critical Management Studies » ou
(CMS) a été initié par Mats Alvesson et Hugh Willmott en 1992 dans un premier ouvrage intitulé Critical
Management Studies (London : Sage Publications), puis dans un deuxième publié en 1996 et réédité en
2001 : Making Sense of Management : A Critical Introduction (London : Sage Publications), et enfin dans un
troisième en 2002 : Studying Management Critically (London : Sage Publications).
4
Cf. AACSB. (2002). Management Education at Risk. St-Louis, MI : The Association to Advance Collegiate
Schools of Business International et The Global Compact & Efmd. (2005). Global Responsible Leadership :
A Call for Engagement. Brussels : European Foundation for Management and Development.
Certains dirigeants militent eux-mêmes en faveur d’une entreprise plus engagée dans
la vie de la société. C’est notamment le cas de Frank Riboud, le PDG de Danone, qui
partie 1
s’associe à Muhammad Yunus, dirigeant fondateur de la Grameen Bank et Prix Nobel
de la paix en 2006, pour faciliter l’accès au microcrédit et à la nourriture de qualité
dans les pays pauvres. C’est également le cas de Claude Bébéar1 qui, à travers l’Ins-
15
titut Montaigne2, encourage les dirigeants à contribuer activement au progrès social
de leurs concitoyens. Selon lui : « Si le monde économique participe au développement
d’une société, le dynamisme des entreprises est conditionné par un fonctionnement
efficient de la société. Une entreprise peut sans aucun doute mieux se développer
dans une société qui se porte bien, avec des personnes formées, dotées de compé-
tences adaptées et bénéficiant de bonnes conditions pour vivre et travailler. »3
Objet du livre
Dans ce contexte, il n’est pas non plus étonnant de constater l’intérêt grandissant
du grand public pour l’actualité des entreprises. Combien d’articles et de blogs sont
consacrés aux dirigeants de grandes entreprises ou à la saga de tel produit, marque
ou enseigne ? Même les médias grand public comme France-Télévision, M6 et Arte
n’hésitent plus à diffuser des reportages sur la vie managériale des entreprises. Alors
que certains de ces reportages mettent en valeur l’audace et l’ingéniosité de certains
leaders, d’autres, au contraire, sont de véritables témoignages à charge contre les
multinationales et leurs dirigeants4. À l’arrivée, et pour des raisons diverses, un nombre
croissant d’observateurs, avisés ou non, s’intéressent à l’exercice du pouvoir dans les
entreprises. Ce qui relevait autrefois du domaine privé, de la société anonyme, devient
public, médiatisé et personnalisé. La question qui se pose alors est celle de la parole
du dirigeant : doit-il ou non prendre part aux grands sujets qui animent la société du
XXIe siècle ?
Objet du livre
Ce livre a pour ambition d’apporter différents éclairages sur la pratique du leadership
dans les entreprises. La mise en œuvre de cette ambition est guidée par le postulat
suivant : le leadership est un terme complexe faisant généralement référence à l’uti-
lisation par un « leader » de certaines formes de pouvoir légitimant son action sur un
groupe de personnes. En théorie, comme le propose Max Weber, cette légitimité peut
1
Claude Bébéar : entrepreneur français né en 1935, diplômé de l’École polytechnique qui a créé en 1985
la société AXA, devenue sous son leadership un des premiers groupes d’assurance dans le monde. Il est
aujourd’hui président de IMS-Entreprendre pour la cité et du Conseil de surveillance d’AXA.
2
L’Institut Montaigne est un ThinkTank « indépendant » fondé et présidé par Claude Bébéar. Son objet
principal est la production d’idées originales et pragmatiques de nature à influencer la définition des poli-
tiques publiques dans le but d’améliorer l’environnement économique et social français.
3
Bébéar, C. (2006). « Préface ». Dans IMS-Entreprendre pour la cité (éd.), La Société : une affaire d’entre-
prise. Paris : Eyrolles, éditions d’Organisation, pp. 15-16.
4
Cf. Caillat, G. (2007). Dominium Mundi. ARTE France ; et Viallet, J.-R. (2009). La Destruction, La Mise à
Mort du Travail. France 3.
avoir une origine légale, traditionnelle ou charismatique1. En pratique, celle-ci n’est
jamais définitivement acquise, car la reconnaissance du leadership d’un dirigeant par
partie 1
les parties prenantes de son entreprise est nécessairement influencée par une grande
variété de facteurs. Parmi ceux-ci, il y a bien évidemment les performances techniques
et les résultats financiers obtenus. Mais il y a également la façon dont ces perfor-
mances et ces résultats ont été obtenus, tout comme la qualité du climat social et
16
les preuves de l’engagement sociétal de l’entreprise. Voilà pourquoi le leadership est
considéré ici comme un champ d’études extrêmement ouvert, associé à de nombreuses
pratiques, exposé à de nombreuses interprétations et, par conséquent, n’obéissant à
aucune loi ou principe universel.
Fort de ce postulat, ce livre propose au lecteur d’explorer une fraction significative
Introduction
1
Pour Weber, la légitimité de l’autorité peut avoir trois sources distinctes : la légitimité légale-ration-
nelle conférée par la Constitution d’un pays et, par extension, par les statuts de l’entreprise ; la légitimité
traditionnelle ou historique comme le fait d’être un membre de la famille royale dans une monarchie
et, par extension, de la famille fondatrice d’une entreprise ; et enfin la légitimité charismatique résultant
du caractère exceptionnel de la personnalité du leader, comme sa force de persuasion, son courage, ses
valeurs et son comportement exemplaire. (économie et Société (1922), édition 2003 chez Pocket, Paris).
Méthodologie
partie 1
Les éléments originaux contenus dans cet ouvrage ont été obtenus grâce à des entre-
tiens préparés et menés par l’auteur. La durée de chacun de ces entretiens a varié entre
deux et quatre heures. La méthode retenue a été celle de l’entretien semi-directif1,
17
c’est-à-dire privilégiant des échanges verbaux menés à partir d’un guide d’entretien
constitué de différents « thèmes-questions » élaborés en fonction des sujets à aborder.
Cette méthode est justifiée par le double objectif de l’ouvrage.
Le premier objectif est d’apporter un éclairage expérientiel sur la nature même de
l’exercice du pouvoir dans les entreprises. En préambule, chaque dirigeant qui parti-
cipe à cet ouvrage a été invité à offrir sa propre définition du leadership. Il lui a été
Méthodologie
ensuite demandé de présenter et de justifier ses convictions personnelles sur ce qu’il
considère comme les principales qualités, compétences et conditions nécessaires
pour réussir en tant que leader. Afin de l’encourager à traiter cette question sous diffé-
rentes perspectives, plusieurs sujets lui ont été proposés, parmi lesquels le charisme,
l’intelligence émotionnelle, les courtisans du pouvoir, la solitude du chef et la chance.
Le deuxième objectif est d’apporter un éclairage réflexif sur les principaux défis et sur
les enjeux de l’exercice du pouvoir dans les entreprises. En ce qui concerne les défis
du leadership, voici les principales questions qui ont été posées à ces dirigeants : est-il
possible de construire une vision claire et pertinente dans un monde devenu aussi
complexe et incertain ? peut-on communiquer de façon cohérente et persuasive dans
une société devenue hypermédiatisée ? existe-t-il un moyen efficace pour mobiliser
les équipes sur des objectifs ambitieux dans un environnement mondialisé et hyper-
concurrentiel ? Et voici les principaux thèmes évoqués en relation avec les enjeux du
leadership : la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, les femmes
dans l’entreprise, l’éthique, les valeurs du pouvoir et, enfin, la moralisation du capi-
talisme.
Tous les entretiens ont été enregistrés et ont fait l’objet de transcriptions à partir
desquelles un premier travail d’analyse a été mené pour identifier et catégoriser les
arguments distinctifs avancés par chacun des participants à l’ouvrage. À partir de cette
analyse, un premier texte a été rédigé dans le but de proposer une formulation des
principales idées et réflexions avancées. Chaque texte a été ensuite soumis à la saga-
cité de l’intéressé afin de recueillir ses remarques et ses suggestions. Cette avant
dernière étape avait pour objectif principal de donner à chaque dirigeant la possibilité
de préciser sa pensée par rapport à la formulation de ses arguments. Une fois ces
remarques et ces suggestions collectées, il a été procédé à la rédaction du texte final.
1
Albarello, L. (2003). Apprendre à chercher : l’acteur social et la recherche scientifique. Bruxelles : De
Boeck, (2e éd.).
2. La nature complexe du leadership
partie 1
18
il conviendra de justifier comment un sujet aussi complexe a malgré tout réussi à s’im-
poser dans le langage organisationnel.
Leadership is like beauty : it’s hard to define, but you know it when you see it1.
Warren Bennis
Les linguistes le savent bien, le sens, la valeur et le pouvoir d’un mot sont toujours
des hypothèses dans la mesure où le contexte de leur utilisation est susceptible d’en
modifier la perception. Mais le leadership n’est pas seulement un terme au caractère
fluctuant, il est également perméable aux idées, aux cultures et aux progrès du savoir.
En fonction des périodes et des lieux, le sens donné au leadership mettra l’accent sur
la personnalité du leader, sur le contexte organisationnel, sur les relations de pouvoir
ou sur la dimension morale de l’action du dirigeant. Cela en fait un terme polysémique,
c’est-à-dire un terme dont le sens peut varier de façon importante en fonction de l’en-
vironnement politique, économique et culturel dans lequel il est utilisé.
Tout d’abord, le mot « leadership » fait partie du vocabulaire français2. Son origine
anglo-saxonne, créée à partir du verbe « lead », vient de l’anglais ancien, dont le sens
est associé à l’action de voyager et dont la traduction française est : « Conduire, mener,
être à la tête de »3 . Mais le sens usuel donné au terme « leadership » a varié dans
le temps, notamment en fonction du contexte dans lequel il a été utilisé. Un travail
de recherche étymologique sur dix siècles d’utilisation de ce terme dans la langue
anglaise4 révèle que sa signification a toujours reflété l’impression dominante que
le peuple anglais avait de ses leaders. Cette étude confirme la nature perméable du
leadership au contexte sociopolitique de son utilisation.
Le sens usuel du terme « leadership » varie également en fonction du contexte culturel
dans lequel il est utilisé. De nombreuses études ont mis en évidence cette dimen-
sion culturellement construite. Une des plus significatives dans ce domaine est celle
conduite dans plus de 70 pays auprès de plusieurs milliers de managers de toute natio-
1
Le leadership est comme la beauté : il est difficile à définir, mais vous savez lorsque vous le rencontrez.
2
Le terme « leadership » est présent dans les dictionnaires de la langue française depuis le milieu du
XX siècle. Sa définition distingue la position dominante d’un produit, d’une technologie ou d’une organi-
e
sation dans un secteur déterminé, d’une part, et la fonction ainsi que le rôle du leader d’une organisation
ou d’une entreprise, d’autre part.
3
Le Robert & Collins -Dictionnaire Français-Anglais, Anglais-Français (2006) Glasgow & Paris.
4
Grace, M. (2003). Origins of Leadership : The Etymology of Leadership. Paper presented at the 2003
Annual Conference of International Leadership Association, Guadalajara, Jalisco, Mexico.
nalité travaillant pour la société IBM1. Il a notamment été demandé à ces managers
de répondre à la question suivante : « Quelles sont les qualités essentielles du leader
partie 1
pour vous ? » L’analyse des réponses met en évidence la prédominance de la culture
du pays. Par exemple, les Français ont une préférence pour les dirigeants persuasifs et
paternalistes. Les Allemands sont attirés par les dirigeants participatifs, assumant les
décisions de la majorité. Quant aux Britanniques, ils ont une attirance singulière pour
19
les dirigeants persuasifs, mais consultatifs.
D’autres raisons peuvent être avancées pour justifier la nature complexe du leadership.
Par exemple, le fait qu’il est impossible d’observer le leadership en tant que tel. Dès
lors, son existence ne peut être que le résultat d’une perception2, c’est-à-dire d’une
représentation consciente d’un phénomène ressenti. Cette caractéristique fait dire à
1
Hofstede, G. (2001). Culture’s Consequences : Comparing Values, Behaviors, Institutions, and Organiza-
tions Across Nations. London : Sage Publications, (2nd ed.).
2
Calder, B. J. (1977). An Attribution Theory of Leadership. Chicago, IL : St Clair Press ; Mitchell, T.R. (1979).
“ Organizational Behaviour ”. Annual Review of Psychology, 30, 243-281.
3
Bennis, W. G. & Nanus, B. (1985). Leaders : Strategies for Taking Charge. New York : Harper and Row.
4
Cf. Pfeffer, J. (1977). “ The Ambiguity of Leadership ”. Academy of Management Review, 2, 104-112.
5
Grint, K. (2005). Leadership : Limits and Possibilities. Basingstoke : Palgrave, Macmillan.
leadership est reconnu par son entourage. Mais en l’absence d’indication concernant
le leadership d’une personne à la tête d’une entreprise, il sera préférable de le dési-
partie 1
gner par des termes plus « neutres », comme ceux de PDG, chef d’entreprise, patron,
dirigeant ou responsable.
Malgré eux, les chercheurs et les divers spécialistes qui ont travaillé sur la théorisation
20
et la conceptualisation de la notion de leadership ont finalement contribué à rendre
la nature du leadership encore plus complexe qu’elle ne l’est. Il faut dire que, en un
peu plus d’un siècle, les travaux d’études et de recherche sur les comportements et
les caractéristiques propres à l’exercice du pouvoir dans les entreprises ont généré un
vaste champ hétérogène et florissant de connaissances. La thématique du leadership
recèle aujourd’hui une variété impressionnante de théories, de modèles et de concepts
La nature complexe du leadership
1
Deffayet, S., Livian, Y. F. & Petit, V. (2007). « L’art de commander. Permanence et modes dans les styles
de leadership ». In ESSEC-IMD (éd.), 18e Congrès AGRH – Outils, Modes et Modèles. Fribourg, Suisse.
2
Van Seters, D. A. & Field, R. H. G. (1990). “ The Evolution of Leadership Theory ”. Journal of Educational
Change, 3 (3), 29-45 ; Leithwood, K. & Duke, D. L. (1998). “ Mapping the Conceptual Terrain of Leadership ”.
Peabody Journal of Education, 73(2), 31-50 ; et Middlehurst, R. (1993). Leading Academics. Buckingham :
Open University Press.
3
Fleishman, E. A. & Harris, E. F. (1962). “ Patterns of Leadership Behavious Related to Employee Grie-
vance and Turnover ”. Personnel Psychology, 15, 43-56 ; McGregor, D. (1966). Leadership and Motivation.
Cambridge, MA : MIT Press. ; et Blake, R. & McCanse, A. A. (1991). Leadership Dilemmas : Grid Solutions.
Houston, TX : Gulf Publishing Company.
4
Fiedler, F. E. (1967). A Theory of Leadership Effectiveness. New York : McGraw Hill ; Hersey, P. & Blan-
chard, K. H. (1969). Life Cycle Theory of Leadership. Training Development Journal, 23, 26-34 ; et Vroom,
V. H. & Yetton, P. W. (1973). Leadership and Decision Making. Pittsbirgh : University of Pittsburgh Press.
5
House, R. J. (1977). “ A 1976 Charismatic Theory of Leadership ”. In J. G. Hunt & L. L. Larson (eds.),
Leadership : The Cutting Edge. Carbondale, IL : Southern Illinois University Press ; Conger, J. A. & Kanungo,
R. N. (1987). “ Toward a Behavioural Theroy of Charismatic Leadership in Organizational Settings ”.
Academy of Management Review, 12, 637-347 ; et Bass, B. M. (1992). “ Assessing the Charismatic Leader ”. In
M. Syrett & C. Hogg (eds.), Frontiers of Leadership. Oxford : Blackwell, pp. 414-418.
6
Rost, J. C. (1993). Leadership for the Twenty-First Century. New York, NY : Praeger Publishers ; et Gini, A.
(2004). “ Moral Leadership and Business Ethics ”. In J.B. Ciulla (ed.), Ethics, The Heart of Leadership. West-
port, CT : Quorum Books, (2nd ed.), pp. 25-42.
7
Burns, J. M. (1978). Leadership. New York : Harper & Row ; Bass, B. M. (1998). Transformational
Leadership : Industrial, Military, and Educational Impact. Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum Associates ; et
Metcalfe, B.-A. & Metcalfe, J.-A. (2001). “ The Development of a New Transformational Leadership Ques-
tionnaire ”. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 74, 1-27.
bref aperçu met en lumière l’hétérogénéité des phénomènes qui peuvent être étudiés
au nom du leadership.
partie 1
Il n’est donc pas surprenant de constater une absence totale de consensus autour
de la définition même du terme « leadership ». Dans les faits, les auteurs d’ouvrages
consacrés au leadership ont tendance, soit à offrir leur propre définition du leadership,
21
soit à éviter soigneusement de le définir1. Cette situation conforte la validité de la
remarque faite en 1974 par Ralph Stogdill2 : « Il existe à peu près autant de définitions
du leadership qu’il y a d’auteurs qui ont essayé de définir ce concept. »
Mais la complexité du leadership tient aussi à la variété des éléments en présence
dans un contexte organisationnel donné. À l’évidence, cela fragilise toute tentative
1
Yukl, G. A. (2002). Leadership in Organizations (5th ed.). Upper Saddle River, NJ : Prentice Hall.
2
Ralph Stogdill, professeur spécialisé en leadership et auteur du célèbre Handbook of Leadership. New
York : Free Press (1974).
3
David-Blais, M. & Hall, J. (2005). Le leadership au secours du gestionnaire traditionnel : étude critique
sur le succès d’une théorie. Études de communication, 28, 45-58.
4
Friedberg, E. (1997). Le Pouvoir et la Règle : dynamique de l’action organisée. Paris : Seuil ; Crozier, M. &
Friedberg, E. (1977). L’Acteur et le système. Paris : Seuil.
fiscales sont autant de paramètres déterminants pour leurs affaires, mais échappant
à leur contrôle.
partie 1
Pourtant si les dirigeants ont peu d’influence sur leur environnement macroécono-
mique, la réciproque n’est pas nécessairement vraie. Un environnement favorable,
c’est-à-dire propice aux opportunités d’affaires et facilitant l’obtention de bons résul-
22
tats, aura toujours tendance à bénéficier à l’image du dirigeant. Autrement dit, le
leadership d’un dirigeant est moins sujet à la remise en cause lorsque les conditions
du marché sont favorables.
Ces réflexions mettent en lumière les limites du pouvoir d’un dirigeant et, par là,
soutiennent l’idée selon laquelle le leadership ne serait qu’un mythe, c’est-à-dire une
La nature complexe du leadership
construction imaginaire1. Dans son livre, La Guerre et la Paix, Léon Tolstoï traite de
cet aspect du pouvoir en suggérant que les leaders héroïques de l’histoire n’ont fina-
lement été que les esclaves des circonstances. Dans cette perspective, le leadership
pourrait répondre à un double désir inconscient propre à la nature humaine2 : celui de
rationaliser l’exercice du pouvoir et celui de romancer la relation existant entre ceux
qui suivent et ceux qui dirigent.
En résumé, plusieurs arguments ont été avancés pour justifier de la nature intrinsèque-
ment complexe du leadership : son étymologie, sa construction socioculturelle, son
caractère insaisissable, la variété des phénomènes étudiés en son nom, l’hétérogé-
néité du champ d’études et de recherche qui s’est constitué autour de lui, ainsi que les
limites du pouvoir du leader et le mythe qui en découle. La variété de ces arguments
et le nombre infini de combinaisons qui peuvent être établies entre eux procurent une
ultime raison pour justifier de la nature complexe du leadership : il est tout simple-
ment impossible de maîtriser l’ensemble des facteurs susceptibles d’être associées à
la pratique du leadership.
Un terme incontournable
We have a need for competent managers and a longing for great leaders3.
Abraham Zaleznik
1
Cf. Gemmill, G. & Oakley, J. (1992). “ Leadership : an alienating social myth ? ” Human Relations, 45 (2),
113-129 ; Pfeffer, J. & Sutton, R. L. (2006). Hard Facts, Dangerous Half-Truths And Total Nonsense : Profiting
From Evidence-Based Management. Boston, CN : Harvard Business School Press ; March, J. G. (Writer)
(2008). “ Heroes and History : Lessons for Leadership from Tolstoy’s War and Peace ”. In S. Films (Producer).
USA ; March, J. G. (1998). Les Mythes du Management. Papier présenté au Séminaire GRESUP, Paris.
2
Jung, C. G. (1968). Man and His Symbols New York, NY : Dell.
3
Nous avons besoin de managers compétents et une envie irrésistible de grands leaders.
celle-ci commence aux États-Unis avec la sortie, dès le début des années 1980, de
plusieurs best-sellers1 qui ont pour point commun de populariser l’idée selon laquelle
partie 1
le leadership devient une condition indispensable à la réussite des entreprises.
Dans un langage accessible et convaincant, le leadership est présenté comme une
forme moderne de l’exercice du pouvoir, nettement supérieure à celle du manage-
23
ment, plus en phase avec les besoins de l’entreprise confrontée à une intensification
de la concurrence due au développement du commerce international. En simplifiant,
le management est décrit comme une forme autoritaire de l’exercice du pouvoir, alors
que le leadership est présenté comme une force visionnaire et mobilisatrice. Le « diri-
geant-manager » est donc celui qui centralise le pouvoir et contraint ses subordonnés
à exécuter ses décisions et à mettre en œuvre son projet d’organisation. À l’opposé,
Un terme incontournable
le « dirigeant-leader » est celui qui imagine l’avenir, inspire son entourage, délègue
autant que possible ses pouvoirs et convainc ses subordonnés d’agir dans l’intérêt
général.
La plupart de ces ouvrages sont le résultat d’études empiriques réalisées au sein de
sociétés de conseils. C’est notamment le cas de celle menée par Tom Peters et Robert
Waterman2, tous les deux consultants chez McKinsey & Company. En interrogeant
des centaines de praticiens du management, ils ont cherché à identifier les éléments
distinctifs d’une entreprise performante. C’est ainsi qu’ils ont développé le modèle
des 7s3. Schématiquement, ce modèle distingue deux catégories de facteurs décisifs
en matière de performance d’entreprise : d’un côté, les facteurs hards, appelés aussi
« facteurs objectifs » parce qu’ils peuvent être relativement facilement contrôlés (la
stratégie, la structure et les systèmes) ; de l’autre, les facteurs softs, appelés aussi
« facteurs subjectifs », car ils sont beaucoup moins facilement identifiables et contrô-
lables (les valeurs partagées, le style managérial dominant, les compétences dispo-
nibles et le profil des employés).
Le principal argument développé à partir de ce modèle est que les entreprises ont une
tendance naturelle à surévaluer les facteurs objectifs et à sous-évaluer les facteurs
subjectifs. Pourtant, les facteurs subjectifs sont jugés beaucoup plus porteurs d’un
1
Cf. Bass, B. M. (1981). Stogdill’s handbook of leadership. New York, NY : The Free Press ; Peters, T. J. &
Waterman, R. (1982). In Search For Excellence : Lessons from America’s Best-Run Companies. New York,
NY : Harper and Row ; Bennis, W. G. & Nanus, B. (1985). Leaders : Strategies for Taking Charge. New York :
Harper and Row ; Kouzes, J. M. & Posner, B. Z. (1987). The Leadership Challenge : How to Keep Getting
Extraordinary Things Done in Organizations. New York : Jossey-Bass (1st ed.) ; Peters, T. J. (1988). Thriving
on Chaos : A Handbook For A Management Revolution. London : MacMillan ; Kotter, J. P. (1990). A Force
for Change : How Leadership Differs from Management. New York, NY : Free Press ; Schein, E. H. (1992).
Organizational Culture and Leadership. San Francisco CA : Jossey-Bass (2nd ed.).
2
Peters, T. J. & Waterman, R. (1982). In Search For Excellence : Lessons from America’s Best-Run Compa-
nies. New York, NY : Harper and Row.
3
Les termes utilisés en anglais commencent tous par la lettre « S » : Strategy, Structure, System, Shared
values, Skills, Style, et Staff.
avantage concurrentiel1. Une des raisons à cela est la convergence naturelle des
facteurs objectifs et son corollaire, la standardisation des modèles organisationnels
partie 1
24
facteurs objectifs, la différence doit se faire sur les facteurs subjectifs, d’où le regain
d’intérêt pour la thématique du leadership.
Cela dit, la plupart des études empiriques ou documentaires menées par des cher-
cheurs universitaires, soucieux d’aider les entreprises dans leur quête de perfor-
mance, ne contredisent pas vraiment ces conclusions. Tout au plus, elles les nuancent,
La nature complexe du leadership
à l’instar de l’étude conduite par Marvin Lieberman sur les performances de six fabri-
cants américains et japonais de voitures3. Les données recueillies sur une période de
plus de trente années font état, pour cinq d’entre elles, d’une corrélation forte entre
les changements de dirigeants à la tête de l’entreprise et leurs niveaux de perfor-
mance globale. Pour la sixième entreprise, c’est-à-dire Toyota, cette corrélation est
beaucoup moins probante. L’explication avancée pour Toyota tient notamment à la
solidité de son modèle organisationnel, lequel rend les performances de l’entreprise
moins sensibles à l’exercice du pouvoir de ses dirigeants. Ainsi, même nuancés, les
résultats de cette étude ne discréditent pas l’idée selon laquelle le leadership à la tête
d’une grande entreprise est de nature décisive par rapport à la performance globale
de celle-ci.
Une autre raison expliquant la montée en puissance de la thématique du leadership
dans le langage organisationnel est le rôle prépondérant joué par l’économie améri-
caine dans le monde depuis plus d’un demi-siècle. Les États-Unis sont à la fois
la première puissance économique mondiale et le pays qui a popularisé l’idée du
leadership comme facteur de compétitivité. C’est donc assez naturellement que beau-
coup d’observateurs et de praticiens désireux de connaître les raisons du succès des
entreprises américaines se sont retrouvés confrontés à la thématique du leadership.
L’intérêt des entreprises pour les « best practices »4 a donc favorisé le « mimétisme
institutionnel », c’est-à-dire la standardisation des modes de gestion et de manage-
ment des entreprises à travers le monde. C’est d’ailleurs pour satisfaire cet intérêt
pour les best practices que les maisons d’édition spécialisées n’hésitent pas à traduire
les best-sellers américains sur le management et le leadership, afin de satisfaire
1
Cf. Heifetz, R. (1994). Leadership Without Easy Answers. Cambridge, MA : Belknap Press of Harvard
University Press ; Goleman, D. (1998). “ Leadership That Gets Results ”. In Boston, MA : Harvard Business
Review Press ; Collins, J. C. & Porras, J. I. (2000). Built to Last (3rd ed.). London : Random House Business
Books ; Bennis, W. (2002). On Becoming A Leader. New York, NY : Perseus Publishing.
2
Powell, W. W. & DiMaggio, P. J. (eds.). (1991). The New Institutionalism in Organizational Analysis.
Chicago : University of Chicago Press.
3
Lieberman, M. B., Lau, L. J. & Williams, M. D. (1990). “ Firm-level productivity and management influence :
A comparison of U.S. and Japanese automobile producers ”. Management Science, 36(10), 1193-1215. Les
fabricants faisant l’objet de cette étude sont : General Motors, Ford, Chrysler, Toyota, Nissan et Mazda.
4
Best practices : expression anglaise signifiant « les meilleures pratiques ».
également un public non anglophone. La France n’échappe pas à ce phénomène, et
certains ouvrages à succès sont même réédités1.
partie 1
À cela, il faut ajouter deux autres phénomènes conjoncturels qui ont contribué à
donner beaucoup de visibilité au leadership : la mondialisation des économies et
la prédominance de l’anglais dans le monde des affaires, mais aussi dans celui de
25
l’enseignement, de la formation et de la recherche. À l’évidence, les derniers déve-
loppements en matière de technologie de l’information et de la communication ont
encouragé l’intensité de ces deux phénomènes. En France, par exemple, on assiste
à une augmentation significative des cours enseignés en anglais dans les Grandes
Écoles d’ingénieurs et de commerce. De même, pour un nombre croissant d’ensei-
gnants-chercheurs, la maîtrise de l’anglais académique est devenue indispensable à
Un terme incontournable
l’évolution de leur carrière. Ainsi, la mondialisation des économies et la prédominance
linguistique de l’anglais sont deux phénomènes qui ont favorisé l’élargissement de
l’audience du leadership par-delà les frontières des pays anglo-saxons.
Enfin, la production et la diffusion, à l’échelle mondiale, de savoirs liés au leadership
ont également été favorisées par l’interaction dynamique de trois acteurs majeurs :
les Business Schools, les sociétés de conseil et les médias2. Schématiquement, les
facultés des Business Schools produisent et enseignent à des populations multicul-
turelles des savoirs dans les disciplines du management et du comportement dans
les organisations. Les sociétés de conseil transforment certains de ces savoirs en best
practices afin de répondre aux besoins de leurs clients nationaux et internationaux3.
Enfin, les médias adaptent et reformulent certaines de ces connaissances, ce qui en
accélère la circulation à travers le monde en les rendant accessibles auprès de tous les
publics concernés : chercheurs, enseignants, étudiants et praticiens du management.
Le dynamisme de ces interactions a permis aux activités de recherche, d’enseigne-
ment, de formation professionnelle et de conseils de faire du leadership un sujet
presque incontournable de la vie des entreprises. D’ailleurs, certaines grandes univer-
1
Cf. Peters, T. J. & Waterman, R. (1985). Le Prix de l’excellence : les secrets des meilleures entreprises (trad.
par M. Garene & C. Pommier). Paris : InterÉditions et réédité par Dunod en 1999 et en 2004 ; Bennis, W.
G. & Nanus, B. (1985). Diriger : les secrets des meilleurs leaders (trad. par C. Durieux). Paris : InterÉditions,
réédité en 1999 ; Peters, T. J. (1988). Le Chaos Management (trad. par I. Rosselini & A. Toro). Paris : InterÉ-
ditions, et réédité par Dunod en 1998 ; Kouzes, J. M. & Posner, B. Z. (1990). Le Défi du leadership (trad. par
M. Sperry). Paris : Association française de normalisation ; Deering, A., Dilts, R. & Russel, J. (2009). Alpha
Leadership (trad. par N. Catona). Bruxelles : De Boeck ; Kotter, J. P. (1999). Qu’est-ce que le leadership ? Paris :
éditions d’Organisation, pp. 55-84.
2
Cf. Sahlin-Andersson, K. & Engwall, L. (2002). “ Carriers, Flows, and Sources of Management Know-
ledge ” et “ The Dynamics of Management Knowledge Expansion ”. In K. Sahlin-Andersson & L. Engwall
(eds.), The Expansion of Management Knowledge. Stanford, CA : Stanford University Press ; Faust, M.
(1999). The Increasing Contribution of Management Consultancies to Management Knowledge : The Rele-
vance of Arenas for the Communicative Validation of Knowledge. Papier présenté au15e EGOS Colloquium,
Warwick/UK
3
Cf. Ruef, M. (2002). “ At the Interstices of Organizations : The Expansion of the Management Consul-
ting Profession, 1933 – 1997 ”. In K. Sahlin-Andersson & L. Engwall (eds.), The Expansion of Management
Knowledge. Stanford, CA : Stanford University Press.
sités et écoles, aux États-Unis1, en Grande-Bretagne2 et en France3 ont créé des centres
de recherche intégralement voué à l’étude et à la formation au « leadership ». Il n’est
partie 1
26
La thématique du leadership est donc présente dans la plupart des programmes d’études
managériales, sur les agendas de nombreux centres de recherche et, bien sûr, au menu
de beaucoup de formations et actions de conseil dans les entreprises, et plus spécifique-
ment dans les grandes multinationales. Cette situation fait dire à Warren Bennis7 que la
production et la diffusion de savoirs liés à la pratique du leadership n’est plus un phéno-
mène typiquement américain. Ces activités constituent désormais une véritable industrie
La nature complexe du leadership
1
Cf. Wharton Leadership Center (University of Pennsylvania), Center for leadership development and
research (Stanford University), The leadership center (Ohio State University).
2
Cf. The Oxford centre for leadership (Oxford University), The Lancaster Leadership Centre (Lancaster
University), Centre for leadership studies (University of Exeter).
3
Cf. Visions of leadership centre (HEC), Global leadership centre (INSEAD), Leadership & corporate
governance research centre (Edhec).
4
Cf. la semaine annuelle « Visions of leadership » d’HEC. En 2005, les journées portes ouvertes sur la
recherche à l’EM Lyon étaient consacrées au thème « Nouvelles frontières du leadership, nouvelles de la
recherche en management ».
5
Cf. Radon, B. (2007). Guide du leadership : progresser vers la fonction de dirigeant. Paris : Dunod ;
Deffayet, S., Livian, Y. F. & Petit, V. (2007). « L’Art de commander. Permanence et modes dans les styles de
leadership ». In ESSEC-IMD (Ed.), 18e Congrès AGRH – Outils, Modes et Modèles. Fribourg, Suisse ; Aubert,
N. (2002). « Pratiquer l’art du leadership ». In N. Aubert (éd.), Diriger et motiver : art et pratique du
management. Paris : Les éditions d’Organisation (2e éd.), pp. 71-86 ; Roussillon, S. (2002). “ Identifying and
developing future leaders in France ”. In D. C. Brooklyn, S. Roussillion & F. Bournois (eds.), Cross Cultural
Approaches to Leadership Development. Wesport, CN : Quorum Books, pp. 51-61.
6
Par exemple, dès 1994, Roland Reitter, professeur de Leadership à HEC écrit : “ Peut-on enseigner le
leadership ? ”. In Y. Simon (éd.), L’École des managers de demain. Paris : Economica, pp. 393-399. L’auteur
de ce livre enseigne deux cours dans les Masters de Sciences Po, à Paris, dont les intitulés sont Dilemmas
of Leadership et, avec Erhard Friedberg, Organizational leadership and Ethics. Philippe Gabilliet d’ESCP
Europe est spécialisé dans les enseignements et des formations sur le leadership ; Kets de Vries est profes-
seur de leadership à l’INSEAD où il dirige le Global Leadership Centre ; Sylvie Deffayet et Liz Borredon
animent la Chaire Leadership et compétences managériales de l’EDHEC ; Xavier Martin anime le module
de formation professionnel Management et leadership opérationnel de l’ESSEC.
7
Warren Bennis cité dans Crainer, S. (2000). The Management Century : Critical Review of 20th Century
Thought & Practice. New York, NY : Jossey-Bass ; Eliasson, G. (1997). International management education
and leadership competence : a European perspective. Vocational Training – European Journal, 10, 26-34.
8
Cf. Mintzberg, H. (1973). The Nature of Managerial Work. New York, NY : Harper and Row ; Mintzberg,
H. (1975). “ The Manager’s Job : Folklore and Facts ”. Harvard Business Review, 53, 49-61 ; Mintzberg, H.
(1984). Le Manager au quotidien : les dix rôles du cadre. Paris : Les Éditions d’Organisation.
les éléments présentés dans cette partie vont soutenir l’hypothèse selon laquelle les
courants de pensée théoriques en matière de leadership organisationnel ne reflètent
partie 1
pas nécessairement la pratique1.
Dans les paragraphes qui suivent, de nombreux extraits provenant des entretiens
réalisés pour cet ouvrage sont mis en évidence. Ces extraits ont ceci d’intéressant
27
qu’ils proviennent d’un panel de dirigeants composé de patrons de multinationales et
d’entreprises leaders sur leur marché, ainsi que des regards croisés de trois personna-
lités aux responsabilités et aux parcours très différents. Afin de les distinguer de leurs
homologues, les dirigeants qui ont accepté de participer à cet ouvrage seront souvent
désignés par l’expression « les participants à cet ouvrage ».
Afin de mieux cerner la question du leadership, la plupart des participants ont été
invités à s’exprimer sur la différence qu’ils font entre « leadership » et « management ».
Cette question est un sujet de préoccupation pour bon nombre des auteurs qui ont
traité la question du leadership organisationnel sous différentes perspectives. Une
des plus connues d’entre elles est celle qu’a développée John Kotter3 à partir de l’idée
que les fonctions de « leadership » et de « management » font référence à des réalités
pratiques différentes. La fonction « management » fait référence à la responsabilité
d’allouer, d’organiser et de contrôler l’utilisation des ressources en fonction d’une
1
Deffayet, S., Livian, Y. F. & Petit, V. (2007). « L’art de commander. Permanence et modes dans les styles
de leadership ». In ESSEC-IMD (éd.), 18e Congrès AGRH – Outils, Modes et Modèles. Fribourg, Suisse.
2
Le management est l’efficacité nécessaire pour gravir l’échelle du succès. Le leadership détermine si
l’échelle est posée sur le bon mur.
3
Kotter, J. P. (1990). A Force for Change : How Leadership Differs from Management. New York, NY : Free
Press.
stratégie définie. Le management se caractérise alors par l’ordre et la prévisibilité qu’il
engendre. Par contraste, la fonction « leadership » fait référence à l’élaboration et à
partie 1
28
prolongée en distinguant deux agendas professionnels radicalement différents. Dans
un cas, l’agenda du leadership peut être « transactionnel ». Son but est alors d’obtenir
l’adhésion et l’engagement des effectifs de l’entreprise sur des périodes relativement
courtes en échange d’un salaire et de certains avantages. Dans l’autre, l’agenda est
« transformationnel » et le but du leadership est de transcender les affaires courantes
pour se concentrer sur la réalisation d’un projet collectif à long terme dont la moralité
La nature complexe du leadership
1
Burns, J. M. (1978). Leadership. New York : Harper & Row et Burns, J. M. (2003). Transforming Leadership :
A New Pursuit of Happiness. New York : Grove/Atlantic, Inc.
2
Cf. Covey, S. R. (1992). Principle-Centered Leadership. New York, NY : Summit books ; Bass, B. M. (1997).
“ Does the Transactional-Transformational Paradigm Transcend Organizational and National Bounda-
ries ? ” American Psychologist, 22 (2), 130-142.
3
Bennis, W. (2002). On Becoming A Leader. New York, NY : Perseus Publishing
4
Cf. Gini, A. (1998). “ Moral Leadership and Business Ethics ”. In J. B. Ciulla (ed.), Ethics, The Heart of
Leadership (éd. 2004), pp. 25-42. Westport, CT : Quorum Books ; Maccoby, M. (2005). “ Creating Moral
Organizations ”. Research Technology Management, 48 (1), 59-60 ; Fassin, Y. (2007). Business Ethics, Stake-
holder Management and related fields in Entrepreneurship : an analysis of concerns, perceptions and incon-
sistencies. Gent, Rijksuniversiteit.
La distinction entre « leadership » et « management » peut également se faire en
fonction de la façon d’être au travail. Dans ce cas, la distinction s’établira à partir
partie 1
du style et du caractère de celui, ou de celle, qui assume des responsabilités collec-
tives1. C’est ainsi que l’intégrité, le courage, l’humilité et l’énergie sont régulièrement
reconnus comme des qualités emblématiques du leadership. De même, le leadership
29
est parfois associé à une forme d’exercice du pouvoir caractérisée par une assurance
contagieuse, un optimisme à toute épreuve et un incurable idéalisme de celui, ou de
celle, qui l’incarne. Dans un registre similaire, le charisme est aussi une disposition
personnelle fréquemment associée au « leadership »2. Tous ces éléments de style et
de caractère sont manifestement très personnels, difficiles à mesurer et à enseigner.
Ainsi, la distinction entre « leadership » et « management » soulève la question d’une
1
Cf. Dulewicz, V. & Higgs, M. J. (2004). “ Design of a New Instrument to Assess Leadership Dimensions
& Styles ”. Selection & Development Review, 20 (2), 7-12 ; Kippenberger, T. (2002). Leadership Styles. Bloo-
mington, MN : Capstone ; Kets de Vries, M. (1991). Profession leader, une psychologie du pouvoir. Paris :
McGraw-Hill ; Blake, R. & McCanse, A. A. (1991). Leadership Dilemmas : Grid Solutions. Houston, TX : Gulf
Publishing Company ; Zaleznik, A. (1989). The Managerial Mystique : Restoring Leadership In Business. New
York, NY : Harper & Row Publishers.
2
Cf. House, R. J. (1977). A 1976 Charismatic Theory of Leadership. In J. G. Hunt & L. L. Larson (Eds.),
Leadership : The Cutting Edge. Carbondale, IL : Southern Illinois University Press ; Bass, B. M. (1992). Asses-
sing the Charismatic Leader. In M. Syrett & C. Hogg (Eds.), Frontiers of Leadership. Oxford : Blackwell ;
Conger, J. A. & Kanungo, R. N. (2000), pp. 414-418. Charismatic leadership and follower effects. Journal of
Organizational Behavior, 21, 747-767.
une aptitude à se faire respecter et à prendre ses responsabilités en toute circons-
tance. En revanche, le leadership se caractérise par la vision et les valeurs défendues
partie 1
par la personne qui l’incarne. C’est la nature de cette vision et de ces valeurs qui produit
l’intensité du leadership. En clair, le leadership sera d’autant plus fort que la vision et les
valeurs défendues transcenderont le périmètre d’activité de l’entreprise pour promou-
voir une conception progressiste du monde et des rapports de force dans la société.
partie 1
important que le management. D’après lui, cette perception est erronée, d’autant que
l’un ne va pas sans l’autre. Selon ses propres termes, « le management sans leadership
est stérile et le leadership sans management est déconnecté de la réalité et favorise
31
l’orgueil démesuré »2.
L’inné et l’acquis
There may be born leaders, but there surely are too few to depend on them.
Leadership must be learned and can be learned.3
Parmi les autres sujets abordés avec les participants à cet ouvrage, il y a la question
de l’inné et de l’acquis en matière de leadership. Les réponses font également appa-
raître des nuances notables entre ces deux hypothèses. Dans un premier temps, voici
quelques-unes des idées avancées par ceux qui ont voulu insister sur l’importance
des dispositions personnelles du dirigeant en matière de leadership. C’est le cas de
Patrick Ricard pour qui les diplômes, la capacité d’analyse et l’envie d’avoir du pouvoir
n’ont jamais donné du leadership à quelqu’un. En revanche, indépendamment de leurs
études, certaines personnes ont cette capacité naturelle à prendre des risques, à créer
une relation de confiance, à entraîner les autres et à leur donner envie de donner le
meilleur d’eux-mêmes.
Ce point de vue est corroboré par Jean-François Rial lorsqu’il dit : « On l’a dans le
sang ou on ne l’a pas. » Selon lui, l’inné joue nécessairement un rôle prépondérant en
matière de leadership, sinon comment expliquer la variété des profils sociaux et intel-
lectuels chez les personnes ayant cette qualité ? D’ailleurs, poursuit le patron de Voya-
geurs du Monde, bien plus que l’intelligence, c’est souvent la personnalité du leader
qui est à l’origine des dysfonctionnements du leadership. Cette observation va dans le
sens de la thèse développée par Kets de Vries4 selon laquelle de nombreux dirigeants
sont « naturellement » dysfonctionnels. Selon lui, si certains « dysfonctionnements »
sont de nature à renforcer le leadership du dirigeant, d’autres sont de nature à l’affai-
blir. Parmi ces derniers on trouve l’évitement systématique du conflit en essayant de
satisfaire tout le monde, le management tyrannique traduisant un certain mépris de la
nature humaine, le micromanagement, symbole d’un manque de confiance envers ses
collaborateurs et l’inaccessibilité du leader.
D’autres prédispositions personnelles au leadership ont été avancées au fil des entre-
tiens. Par exemple, Jean-François Rial souligne l’importance de l’énergie du leader,
1
Mintzberg, H. (2004). Managers not MBAs. San Francisco, CA : Berrett-Koehler Publishers.
2
Phrase originale : « Management without leadership is sterile ; leadership without management is
disconnected and encourages hubris. »
3
Il existe peut-être des leader nés, mais ils sont certainement trop peu nombreux pour que l’on puisse
se reposer sur eux. Le leadership doit être appris et peut être appris.
4
Kets de Vries, M. (2001). The Leadership Mystique : A User’s Manual for the Human Enterprise. New
York : Financial Time, Prentice Hall.
c’est-à-dire sa vitalité et sa forme physique qui lui permettent d’être en pleine posses-
sion de ses moyens pendant une durée nettement supérieure à la moyenne. Selon lui,
partie 1
32 Pour le général Favier, la présence du leader et son envie de prendre en charge des
responsabilités collectives sont des caractéristiques indissociables du leadership.
Mais il faut bien admettre que tout le monde ne souhaite pas devenir un leader. Tout le
monde n’a pas nécessairement envie de gérer la pression liée à l’exercice du pouvoir,
surtout lorsque les choses ne vont pas aussi bien que prévu. À tort ou à raison, certains
La nature complexe du leadership
ne s’en sentent d’ailleurs pas capables. Il y aurait donc pour le leadership, ce que
Dominique Hériard Dubreuil appelle « une prédisposition innée à prendre en charge
les autres ».
En même temps, d’autres dirigeants préfèrent souligner le rôle prépondérant de l’ac-
quis en matière de leadership, c’est-à-dire, les compétences apprises tout au long
de sa vie, et notamment pendant ses études et ses expériences professionnelles.
Certaines questions incitent à penser que l’acquis en matière de leadership est bien
prépondérant par rapport à l’inné : une personne ayant fait très peu d’études, mais
ayant une forte prédisposition au leadership peut-elle réussir à convaincre des interlo-
cuteurs intellectuellement brillants ? Ou encore : comment une réelle prédisposition au
leadership pourrait-elle s’affranchir des connaissances accumulées avec l’expérience ?
On est donc tenté de penser que, dans un monde où le dirigeant est constamment
confronté à des situations et à des problèmes complexes, la seule prédisposition au
leadership est très insuffisante pour faire de lui un véritable leader.
Pour les partisans de la prépondérance de l’acquis, le travail, les capacités intellec-
tuelles et les expériences professionnelles sont indispensables au leadership durable.
C’est notamment le cas de Pierre Vareille pour qui « l’éducation l’emporte toujours sur
les aspects génétiques ». Un sentiment partagé par Guillaume Poitrinal qui insiste sur
l’importance relative des prédispositions personnelles, car elles sont toujours insuffi-
santes pour produire un véritable leader.
Mais avons-nous tous les mêmes prédispositions aux études et au travail ? Dans l’infir-
mative et dans la mesure où les capacités intellectuelles et le travail sont prépondérants
en matière de leadership, que devient l’argument de l’acquis ? En tout état de cause, ce
qui semble définitivement acquis est le rôle déterminant du travail et de l’expérience
en matière de leadership. Sans cela, la crédibilité du dirigeant risque d’être, tôt ou tard,
remise en cause. De toute façon, comme le suggère Xavier Fontanet, penser que le
leadership serait exclusivement inné est une idée pour le moins radicale et certainement
pernicieuse, car cela voudrait dire que le leadership est déjà présent à la naissance.
La difficulté de différencier l’inné de l’acquis est apparue de nombreuses fois au cours
des entretiens menés dans le cadre de cet ouvrage. Par exemple, Alain Ducasse consi-
dère qu’un leader doit être curieux et persévérant au travail, « à la limite de l’obsti-
nation ». Mais la persévérance s’apprend-elle et sommes-nous tous capables d’être
durablement obstinés professionnellement ? Autre exemple, celui de Vincent Bolloré
pour qui les termes d’héritage, de hasard et d’éducation résument bien sa réussite
professionnelle. Comment, à partir de ces critères, différencier les parts d’inné et d’ac-
quis dans l’exercice du pouvoir de ce dirigeant ?
partie 1
Par ailleurs, lorsque Frédéric Oudéa évoque la sérénité que les expériences profes-
sionnelles et personnelles de la vie du dirigeant peuvent lui apporter, on imagine assez
facilement que le leadership intègre bien plus que des éléments appris. Par exemple,
33
comment distinguer l’inné de l’acquis lorsque le PDG de la Société Générale compare
le leadership à « un art faisant appel aux sensibilités et aux convictions de celui qui
l’incarne » ? Les sensibilités du leader font référence à la capacité de ce dernier à toucher
les âmes et les cœurs de ses équipes. Quant à ses convictions, elles indiquent que ce
dernier doit également être capable de toucher leurs esprits et leur conscience profes-
sionnelle. Dans le contexte d’une entreprise, il est donc difficile d’imaginer un leadership
La chance
I am a great believer in luck, and I find the harder I work, the more I have of it1.
Thomas Jefferson
1
Je crois beaucoup à la chance et je trouve que plus je travaille, plus j’en ai.
2
Philippe Gabilliet est professeur de leadership à l’ESCP Europe.
3
Vidéo disponible : http://www.escpeurope.eu/fr
4
Cf. Roane, S. (1993). The Secrets of Savvy Networking : How to Make the Best Connections for Business
and Personal Success. New York, NY : Grand Central Publishing ; Misner, I., Alexander, D. & Hilliard, B.
(2010). Networking Like a Pro : Turning Contacts into Connections. Irvine, CA : Entrepreneur Press.
car il est simplement impossible de tout maîtriser. Par exemple, Françoise Gri estime
que sa chance a été d’avoir un parrain formidable dès son arrivée chez IBM en 1981.
partie 1
34
personnes, le projet aurait pu être un échec. Avec du recul, Frédéric Oudéa estime que
la chance ne peut jamais être totalement écartée dès lors que l’on réussit sans avoir
fait preuve d’une ambition démesurée.
En matière de chance, Nicolas de Tavernost rappelle que celle-ci n’est jamais égale-
ment répartie entre tous les individus d’une société donnée. Par exemple, à l’intérieur
La nature complexe du leadership
d’une même catégorie sociale, certains réussissent mieux que d’autres. La chance
pourrait donc jouer un rôle important à tous les niveaux de la société. Mais Nicolas
de Tavernost préfère penser que la chance sourit plus fréquemment aux optimistes
qu’aux autres. Voilà pourquoi, entre deux candidats pour un poste, il préférera toujours
embaucher la personne la plus optimiste.
Cela dit, Georges Pauget souligne que la chance et la malchance font partie intégrante
du leadership. À l’évidence, il arrive parfois que les choses partent en vrille sans que
l’on sache vraiment pourquoi. C’est probablement aussi dans ces moments-là que le
leadership d’un dirigeant peut se révéler ou se confirmer. Alain Ducasse se souvient
de son accident d’avion qui a bien failli, sans jeu de mots, le rayer de la carte. Pour-
tant, ce grand chef continue d’avoir un certain rejet pour le mot « chance », car dési-
gner la chance comme un ingrédient de la réussite laisse penser que le succès est
venu tout seul. Mais pour lui, la chance est constituée, certes, d’un peu de hasard,
mais pas uniquement. Elle est également constituée d’un peu de talent et surtout de
beaucoup de travail. D’ailleurs, Patrick Ricard rappelle qu’il ne suffit pas d’avoir des
circonstances favorables pour réussir. Les opportunités doivent encore être saisies et
transformées en succès. Pour cela, il est indispensable d’avoir du talent, de l’envie et
de la détermination.
Le charisme
Charisma is a sparkle in people that money can’t buy.
It’s an invisible energy with visible effects.1
Marianne Williamson
Parmi les sujets souvent abordés par les participants à cet ouvrage, il y a celui très
controversé du charisme. Ce sujet soulève instantanément des questions du type :
« Qu’est-ce que le charisme ? » ; « Faut-il du charisme pour avoir du leadership ? » et
« Peut-on être un leader sans charisme ? ». Le charisme est défini dans le dictionnaire
comme l’« influence sur les foules d’une personnalité dotée d’un prestige et d’un
pouvoir de séduction exceptionnel »2. Dans le langage courant, le charisme est souvent
1
Le charisme provoque une étincelle chez les gens que l’argent ne peut pas acheter. C’est une énergie
invisible aux effets bien visibles.
2
Définition Larousse 2010 – www.larousse.fr/dictionnaires/français
représenté comme une vertu enviable et désirable, notamment parce qu’il susciterait
naturellement l’enthousiasme. On lui prête également « un double pouvoir d’attraction
partie 1
et d’entraînement »1.
En matière de leadership, le charisme a souvent été considéré comme une relation
émotionnelle forte entre un leader et ses collaborateurs. À l’origine de cette relation,
35
il y a toujours l’attitude, la personnalité et la façon de travailler du leader. En général,
le leader charismatique a un irrésistible besoin de dominer et d’influencer les autres.
Il manifeste de très fortes convictions personnelles et fait preuve d’une très grande
assurance dans ses jugements2. Il se distingue par un comportement inhabituel, une
capacité à faire don de soi et l’utilisation de stratégies et de tactiques non convention-
nelles3. Enfin, l’ascendant « naturel » du leader charismatique sur ses collaborateurs
1
Lhôte, B. (2000). Les charmes du charisme. Paris : La Méridienne, Desclée de Brouwer.
2
House, R. J. (1977). “ A Charismatic Theory of Leadership ”. In J. G. Hunt & L. L. Larson (eds.), Leadership :
The Cutting Edge. Carbondale, IL : Southern Illinois University Press.
3
Conger, J. A. & Kanungo, R. N. (1988). “ Charismatic leadership : The elusive factor in organizational
effectiveness ”. In Theoretical Fondations of Charismatic Leadership. San Francisco : Jossey-Bass, pp. 12-39.
4
Bass, B. M. & Avolio, B. J. (1994). Improving Organizational Effectiveness Through Transformational
Leadership. Thousand Oaks CA : Sage.
5
Bryman, A. (1992). Charisma and Leadership in Organizations. Newbury Park, CA : Sage ; Weber, M.
(1947). The Theory of Social and Economic Organization. New York, NY : Free Press.
6
Roger Caillois (1913-1978) : écrivain et sociologue français, membre de l’Académie française. Il a écrit
de nombreux ouvrage dont : Les Jeux et les Hommes, L’Homme et le Sacré et L’Écriture des pierres.
foule ou d’un peuple pose le problème de l’éthique du charisme1 et de la véritable
personnalité du leader2.
partie 1
Dans l’histoire récente des entreprises, Enron représente le cas d’une des plus spec-
taculaires faillites du capitalisme américain. Elle illustre l’usage excessif du charisme
par le chef d’une équipe dirigeante. L’étude de la façon dont le pouvoir était exercé à la
36
tête de cette entreprise a révélé la présence d’un véritable culte du leadership, dont les
effets étaient notamment une identification exagérée des salariés à l’entreprise, une
confiance aveugle envers les dirigeants et une tolérance inattendue envers l’éthique
de certaines décisions et pratiques3. Certaines critiques à propos du charisme s’éver-
tuent même à démontrer que si celui-ci peut être mis au service de causes louables,
il n’est pas nécessairement un facteur déterminant de succès dans les organisations4.
La nature complexe du leadership
1
Solomon, R. C. (2004). “ Ethical leadership, emotions, and trust : Beyond ‘charisma’ ”. In J. B. Ciulla (ed.),
Ethics : the heart of leadership (2nd ed.). Wesport, CT : Praeger, pp. 83-102.
2
Sankar, Y. (2003). Character Not Charisma is the Critical Measure of Leadership Excellence. Journal of
Leadership and Organizational Studies, 9(45), 45-55.
3
Tourish, D. & Vatcha, N. (2005). “ Charismatic Leadership and Corporate Cultism at Enron : The Elimi-
nation of Dissent, the Promotion of Conformity and Organizational Collapse ”. Leadership, 1 (4), 455-480.
4
Collins, J. C. & Porras, J. I. (2000). Built to Last (3rd ed.). London : Random House Business Books ; Agle,
B. R., Nagarajan, N. J., Sonnenfeld, J. A. & Srinivasan, D. (2006). “ Does CEO charisma matter ? An empi-
rical analysis of the relationships among organizational performance, environmental uncertainty, and top
management team perceptions of CEO charisma ”. Academy of Management Journal, 49 (1), 161-174.
Pour quelques dirigeants, la contrepartie d’un leadership charismatique est sa dange-
rosité manipulatoire. C’est ce que souligne Jean-François Rial, en rappelant qu’une
partie 1
force d’entraînement ne préjuge jamais de la moralité des intentions de celui, ou celle,
qui l’incarne. Bien évidemment, la majorité des gens ont envie de travailler pour un
dirigeant digne d’admiration. Mais plus ce dirigeant possède de charisme et plus
37
celui-ci doit être conscient de ses responsabilités envers les personnes qu’il influence.
Parmi les contre-propositions à ce phénomène d’hyper-influence du leadership
charismatique, on notera les deux opinions suivantes. Tout d’abord, celle de Frédéric
Oudéa pour qui, l’équilibre entre travail personnel et jeu collectif, entre discrétion et
communication, entre audace et prudence sont des alternatives efficaces au charisme.
Ensuite, celle de Vincent Bolloré qui se méfie des personnes trop intelligentes, trop
L’intelligence émotionnelle
People are persuaded by reason, but moved by emotion ; [the leader] must
both persuade them and move them.1
Richard M. Nixon
Depuis quelques années, on observe un intérêt grandissant pour des formes d’intel-
ligence non conventionnelles, comme l’intelligence culturelle2, l’intelligence sociale3
et l’intelligence émotionnelle4. Cette dernière est sans doute celle qui obtient la plus
grande audience parmi ceux qui s’intéressent aux comportements des individus dans
les organisations. Le psychologue américain Daniel Goleman à largement contribué à
cet engouement. En 1995, il publie un livre dont le titre est sans équivoque : Emotional
Intelligence : Why it matters more than IQ5. Pour son auteur, l’intelligence émotion-
nelle (EQ) est source de succès et de bonheur dans tous les compartiments de la
vie d’une personne : en famille, au travail et avec ses amis. Elle se décompose en 18
compétences clés regroupées en quatre catégories : la connaissance de soi, la maîtrise
de soi, la conscience des autres et la gestion relationnelle6.
1
Les gens sont convaincus par la raison, mais agissent par émotions ; [le leader] doit donc à la fois
convaincre et entraîner.
2
Early, C. P. & Ang, S. (2003). Cultural Intelligence : Individual interactions across cultures. Palo Alto, CA :
Stanford University Press.
3
Cantor, N. & Kihlstrom, J. (1987). Personality and Social Intelligence. Englewood Cliffs, NJ : Prentice Hall.
4
Cf. Kotsou, I. (2008). Intelligence émotionnelle et management : comprendre et utiliser la force des
émotions. Bruxelles : De Boeck ; Goleman, D. (2003). L’Intelligence émotionnelle (trad. par T. Piélat). Paris :
J’ai Lu ; Haag, C. & Séguéla, J. (2009). Génération Q.E. Paris : Pearson Éducation France.
5
Intelligence émotionnelle : pourquoi compte-t-elle plus que le QI ?
6
Les termes originaux sont respectivement : self-awareness, self-management, social awareness et social
skills.
Quelques années plus tard, Daniel Goleman s’efforcera de démontrer le rôle décisif de
l’intelligence émotionnelle en matière de leadership1. Pour lui, la capacité à connaître
partie 1
38
académique.
Cela dit, l’intérêt pour la connaissance et la maîtrise des émotions n’est pas totale-
ment nouveau. Aristote s’intéressait déjà à la dimension émotive et spontanée de la
nature humaine2. En fait, il a souvent été observé et démontré que les émotions avaient
le pouvoir d’influencer notre perception des choses, nos jugements et notre compor-
La nature complexe du leadership
tement. Mais le problème avec les émotions est que celles-ci ne sont pas toujours
rationnelles et contrôlables. D’une certaine façon, elles révèlent la part de subjectivité
et d’irrationalité qu’il y a en chacun de nous.
En matière de leadership, l’intelligence émotionnelle offre néanmoins de nouvelles
perspectives d’études, notamment en ce qui concerne les leviers d’influence du leader
à travers une perspective ethnologique. Par exemple, en observant les sociétés indi-
gènes de la forêt Amazonienne, Waud Kracke a mis en évidence la nature éminemment
relationnelle et émotionnelle des rapports humains entre un leader et les membres de
son groupe3.
Parmi ceux qui s’intéressent à la dimension émotionnelle du leadership, certains y
voient peut-être une tentative de développer une vision plus humaine, moins ration-
nelle des relations de pouvoir dans l’entreprise. L’intelligence émotionnelle offrirait
alors une sorte de contrepoids à l’univers aseptisé et rationalisé de l’organisation
« scientifique » du travail. D’autres y voient peut-être une réponse au dilemme du
pouvoir soulevé par Machiavel4 : « Faut-il que le chef soit craint ou aimé de ses subor-
donnés ? » L’intelligence émotionnelle apporte une troisième possibilité de réponse : le
chef doit être apprécié pour sa capacité à répondre aux attentes de son groupe. Pour
cela, il doit écarter les hypothèses de la crainte et de l’amour comme leviers d’adhésion
au pouvoir pour se rechercher des voies plus sereines, équilibrées et harmonieuses,
c’est-à-dire adaptées au contexte social et psychologique des situations rencontrées.
Pour Alain Némarq, l’intérêt grandissant pour l’intelligence émotionnelle dans les
organisations est révélateur de l’évolution de la perception de la légitimité du pouvoir
dans notre société. Autrefois, cette légitimité était essentiellement une question de
force individuelle et de puissance militaire. Avec l’avènement du capitalisme, c’est l’ar-
gent qui est devenu le critère prépondérant de légitimité du pouvoir. Mais aujourd’hui,
il semble que ce pouvoir par l’argent soit allé trop loin. Alors, pour pallier cet excès, on
ressent un désir collectif de rééquilibrage par l’émotionnel. Chacun peut alors se dire
1
Goleman, D. (1998). Leadership That Gets Results. In. Boston, MA : Harvard Business Review Press.
2
Aristote. (1990). Éthique à Nicomaque (trad. par J. Tricot). Paris : Librairie Philosophique J. Vrin.
3
Kracke, W. H. (1978). Force and Persuasion : Leadership in an Amazonian Society. Chicago, IL : University
of Chicago Press.
4
Machiavel, N. (1983). Le Prince (1532). Paris : Librairie générale française.
que ce ne sont pas nécessairement les plus puissants et les plus riches qui doivent
exercer le pouvoir. Les leaders émotionnellement intelligents peuvent aussi exercer
partie 1
légitimement d’importantes responsabilités.
Pour Xavier Fontanet, l’intérêt pour l’intelligence émotionnelle est justifié par le fait
avéré suivant : plus on progresse dans la hiérarchie d’une organisation et plus on prend
39
conscience que c’est l’émotion qui dirige le monde. Selon lui, les éléments rationnels
dans une entreprise, comme les équations, les ratios et les statistiques, sont toujours
traités à peu près de la même façon. En revanche, l’émotionnel est toujours spécifique.
D’ailleurs, l’expérience montre que l’émotionnel est souvent à l’origine de comporte-
ments capables de faire capoter un projet qui avait toutes les chances de réussir.
Vincent Bolloré préfère insister sur l’importance de l’écoute. Selon lui, il s’agit là d’une
qualité a priori banale, mais devenue presque antinomique avec le rôle de leader.
Dans un monde où tout s’accélère, le leader n’a jamais été aussi pressé d’être à la fois
40
réactif aux événements présents et proactif en agissant aujourd’hui pour anticiper les
menaces et les opportunités de demain. Alors, le risque est grand d’éviter de prendre
le temps d’écouter attentivement les arguments avancés par ses collaborateurs. Pour-
tant, l’efficacité même du leader dépend aussi de sa capacité à intégrer la variété des
avis et des opinions de ceux qui l’entourent.
La nature complexe du leadership
Pour Alain Némarq, c’est bien la capacité de préemption des émotions environnantes
qui est l’élément prédominant en matière d’intelligence émotionnelle. Pour le leader,
il s’agit d’une aptitude à sentir plus rapidement que les autres, et avec une acuité
supérieure à la moyenne, le climat, l’ambiance et les impressions des protagonistes
d’une situation. Cela confère toujours un avantage certain au détenteur de cette forme
émotionnelle d’intelligence, d’autant que cette sensibilité permet de lire une situation
au-delà des mots. Elle permet donc d’agir à partir d’une plus grande palette d’informa-
tion allant de l’explicite à l’implicite.
À l’arrivée, les dirigeants qui ont participé à cet ouvrage ne considèrent pas l’intelli-
gence émotionnelle comme un substitut au QI1 ou à ce que certains appellent « une
belle mécanique intellectuelle ». À l’instar de Françoise Gri, la plupart d’entre eux
considèrent le QI comme une condition nécessaire, mais insuffisante pour avoir du
leadership. Pour Yannick d’Escatha, il n’est d’ailleurs pas nécessaire de chercher à
hiérarchiser le QI par rapport au QE puisque ces deux formes d’intelligence sont avant
tout complémentaires.
Le pouvoir
Tout pouvoir sans contrôle rend fou.
Alain (émile-Auguste Chartier)
1
QI (quotient intellectuel) : index d’intelligence proposé pour la première fois par William Stern (1871-
1938), dont le but est de déterminer les capacités intellectuelles d’un individu en fonction de son âge
mental. Les tests de QI sont destinés à déterminer le niveau d’intelligence de chaque personne et de
comparer le résultat par rapport à l’index de référence (Source : Oxford Dictionary of Psychology. [2003]
New York, NY : Oxford University Press.)
2
Institut Tavistock (http://www.tavinstitute.org) : située à Londres, cette association à but non lucratif
a été créée en 1947 dans le but d’étudier les comportements humains au sein des groupes et des orga-
nisations. Les travaux de cet Institut ont été influencés par de nombreux psychologues spécialistes de
psychologie sociale et comportementale, dont le plus célèbre est sans doute Kurt Lewin.
le leadership et démoralise ses récipiendaires, alors que le titulaire d’un pouvoir sans
autorité risque fort de bâtir un régime autoritariste1.
partie 1
Le thème du pouvoir s’associe d’autant plus volontiers à la notion de leadership que
celui-ci est omniprésent dans toute organisation. Il n’est donc pas l’apanage exclusif
des dirigeants. Cette caractéristique du pouvoir est notamment mise en évidence par
41
Michel Foucault lorsqu’il démontre que tout pouvoir engendre nécessairement de la
résistance, c’est-à-dire une forme plus ou moins bien organisée de contre-pouvoir. Ce
phénomène prend toute son ampleur dès lors que l’entreprise est regardée comme
un système social et politique dans lequel la variété des intérêts en présence encou-
rage ses acteurs a adopter des comportements stratégiques2. L’entreprise apparaît
alors comme le théâtre de luttes incessantes entre pouvoir et contre-pouvoir, entre
1
Obholzer, A. (1994). “ Authority, power and leadership : contributions from group relation training ”. In
A. Obholzer & V. Z. Roberts (eds.), The Unconscious at Work : Individual and Organizational Stress in the
Human Services. London : Routledge, pp. 39-47.
2
March, J. G. (1962). The business firm as a political coalition. Journal of Politics, 24, 662-678 ; Friedberg,
E. (1997). Le Pouvoir et la Règle : dynamique de l’action organisée. Paris : Seuil.
3
Philippe Seguin (1943-2010) : licencié es lettres, diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) d’Aix-en-
Provence et de l’École nationale d’administration (ENA), Philippe Seguin est un homme politique français
souvent qualifié de « gaulliste social ». Il a été député des Vosges (1978-2002), maire d’Épinal (1983-1997)
et a notamment assuré les postes de ministre des Affaires sociales et de l’Emploi (1986-1988) et premier
président de la Cour des comptes (2004-2010).
donc une corrélation entre la taille de l’entreprise et l’intensité de l’activité des contre-
pouvoirs, sans que cela sclérose nécessairement l’action du dirigeant.
partie 1
Mais, pour Vincent Bolloré, le véritable problème du pouvoir au niveau des dirigeants
d’entreprises se situe dans le dosage. Car, dès qu’il y a « pouvoir », il y a toujours un
risque d’abus de pouvoir et donc, de dérive. L’excès de leadership est l’une de ces
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dérives. C’est le cas du dirigeant mégalomane, dont l’exercice du pouvoir s’apparente
à une locomotive surpuissante. Lancée à toute allure, celle-ci ne sent plus les wagons
et bientôt ne sentira plus les rails. Voilà comment l’orgueil du leader et son corollaire,
la distance avec la réalité, constituent des risques qui guettent toujours le dirigeant.
Les courtisans
La nature complexe du leadership
1
La première méthode pour estimer l’intelligence d’un leader est de regarder les personnes qui l’en-
tourent.
augmente sérieusement dans les entreprises qui ont constitué un important siège
social, dont la fonction première est de centraliser un maximum de décisions.
partie 1
Selon Frédéric Oudéa, ce sont les postures et les attitudes du dirigeant qui sont
susceptibles d’encourager la flatterie et d’attirer les courtisans. La parade efficace à
cela consiste à agir à l’opposé d’un Florentin, en ne pratiquant ni l’art de l’esquive, ni
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l’art du complot. Quant à Françoise Gri, elle insiste sur l’importance d’avoir une équipe
dirigeante motivée par la transformation de l’entreprise et le développement des
personnes qui y travaillent, plutôt que par l’importance de leur rôle et des symboles
de leur pouvoir. Lorsque les dirigeants sont totalement voués à la cause de leur entre-
prise et de leur staff, ils ont naturellement beaucoup moins de chance d’attirer les
courtisans.
La distance
Le sujet de la distance liée au pouvoir a également été souvent abordé avec les partici-
pants à cet ouvrage. Il leur a notamment été demandé de réagir à la phrase du général
de Gaulle citée ci-dessus. Là encore, les réactions à cette question laissent entrevoir
des conceptions différentes de la pratique du leadership. Pour Jean-François Rial, la
distance entre un dirigeant et ses collaborateurs n’est rien d’autre que du protocole.
Elle est inutile dans un contexte d’entreprise, car elle laisse penser que le dirigeant
est un personnage à part. Pour Frédéric Oudéa, un dirigeant distant sera nécessaire-
ment perçu comme éloigné des réalités et courra le risque de passer pour suffisant et
péremptoire.
Cela dit, certains dirigeants insistent sur l’avantage de maintenir une certaine distance
afin de préserver un minimum d’objectivité. Pour ceux-là, cette distance est indispen-
sable pour perpétuer la légitimité du leadership. C’est le cas de Georges Pauget pour
qui la diplomatie et la distance entre un dirigeant et ses collaborateurs permettent à
celui qui est aux commandes de se séparer de l’un d’eux à n’importe quel moment si
cela est nécessaire. Pour Vincent Bolloré, trop de proximité risque d’engendrer des
relations de copinage et un phénomène de bande à la tête de l’entreprise. Même si une
telle proximité a pu fonctionner dans certaines entreprises, généralement de petites
1
De Gaulle, C. (1944). Le fil de l’épée. Paris : Éditions Berger-Levrault.
tailles, elle est fortement déconseillée dans les grandes entreprises soucieuses de
pérenniser leur activité.
partie 1
44
Il doit également être capable de faire une séparation claire entre sa vie privée et sa
vie professionnelle. Cette conception du leadership est partagée par Patrick Ricard,
qui considère que la familiarité entre un dirigeant et ses équipes ne produit jamais
un cocktail gagnant. En pratique, l’excès de proximité traduit un relâchement ou un
certain laisser-faire de la part du dirigeant. Voilà pourquoi un peu de distance favorise
toujours le respect, la confiance et la bienséance.
La nature complexe du leadership
D’autres encore insistent sur l’importance de trouver le bon équilibre entre distance et
proximité. C’est le cas du général Favier lorsqu’il dit : « Le leadership, c’est un peu de
distance et beaucoup de proximité. » Selon lui, un chef doit savoir garder ses distances
avec ses hommes. Parfois même, il doit savoir s’isoler. Mais en même temps, il doit
veiller à être toujours accessible. Un point de vue partagé par Yannick d’Escatha, pour
qui la bonne distance du leadership consiste à être proche sans être intime. Au fond,
la règle est assez simple : le dirigeant ne doit jamais se retrouver dans une situation
où il serait tenté de trancher contre l’intérêt général sous prétexte qu’il est ami avec
Untel ou Unetelle.
Chris Viehbacher recherche également un équilibre entre distance et proximité. Pour
lui, un leader ne peut empêcher une certaine complicité émotionnelle avec ses colla-
borateurs, d’autant que la chaleur des relations humaines a plutôt tendance à servir la
performance, car elle entretient un climat de travail propice à l’épanouissement indivi-
duel. Néanmoins, il est indispensable de préserver en toute circonstance l’objectivité
de ses jugements et de ses décisions. Par exemple, la promotion ou simplement le
maintien d’une personne dans ses fonctions doivent dépendre essentiellement de ses
compétences et de ses aspirations et non d’une relation privilégiée avec son supérieur
hiérarchique.
La solitude du chef
La question de la distance liée au pouvoir a souvent permis d’aborder une autre ques-
tion assez peu étudiée en matière de leadership, à savoir la solitude. Peut-on parler
d’une solitude du chef aujourd’hui à la tête des entreprises ? Pour certains participants
à cet ouvrage, la solitude de l’exercice du pouvoir est une réalité incontournable. C’est
de cas de Yannick d’Escatha pour qui assumer le poids des responsabilités envers
une équipe engendre nécessairement une certaine solitude. Pour Guillaume Poitrinal,
cette solitude existe essentiellement pour les questions difficiles. C’est le cas lorsque
le dirigeant doit prendre une décision qui engage sérieusement l’avenir de l’entre-
prise et qu’il doit choisir entre plusieurs options tout aussi crédibles les unes que les
autres. De même, Vincent Bolloré souligne l’importance pour un dirigeant d’accepter
cette solitude, car, sans elle, il est difficile de maintenir une distance suffisante avec
partie 1
ses collaborateurs, ce qui est absolument nécessaire pour agir avec suffisamment de
recul et d’objectivité.
Pour Chris Viehbacher, la solitude du leader existe pour au moins deux raisons. La
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première est que son nom est irrémédiablement associé, pour le meilleur et pour le
pire, au destin de l’entreprise qu’il dirige. La seconde est que c’est à lui seul que
revient la responsabilité de prendre les décisions les plus risquées. D’ailleurs si
Frédéric Oudéa rappelle que diriger une entreprise est tout sauf un exercice solitaire,
il reconnait néanmoins que dans le processus de décision, il y a aussi des moments où
1
Significant other : expression anglo-saxonne désignant « l’autre signifiant ». Cette expression est
utilisée en psychologie et également en sociologie pour désigner la personne qui a le plus d’influence
dans la vie d’un individu à une période donnée. Elle est utilisée dans le langage courant aux États-Unis,
car elle a l’avantage d’être suffisamment vague pour ne pas être connoté sexuellement tout en ne faisant
référence à aucun statut social ou ethnique particulier.
Table des matières
Préface1
Première partie9
1. Introduction 11
381
2. La nature complexe du leadership 18
Deuxième partie79
Dirigeants d’entreprises multinationales81
Vincent Bolloré 82
Xavier Fontanet 97
Dominique Hériard Dubreuil 111
Frédéric Oudéa 123
Georges Pauget 141
Guillaume Poitrinal 157
Patrick Ricard 179
Pierre Vareille 196
Chris Viehbacher 210
Regards croisés339
Yannick d’Escatha 340
Général Denis Favier 356
Pierre Hurstel 364
DES DIRIGEANTS ET P.D.G. DE MULTINATIONALES LIVRENT SANS
RETENUE LEUR CONCEPTION DU LEADERSHIP, À TRAVERS LEUR
ÉRIC-JEAN GARCIA
EXPÉRIENCE DE L’EXERCICE DU POUVOIR ET FACE AUX ENJEUX
DU MONDE MODERNE.
LEADERSHIP
Avec l’essor de l’économie de marché, l’entreprise est devenue l’institution
ÉRIC-JEAN GARCIA
PRÉFACE D’ERHARD FRIEDBERG
centrale des sociétés modernes. Les conséquences des choix et décisions
de ceux qui la dirigent ne sont pas simplement d’ordre économique, elles
LEADERSHIP
sont aussi d’ordres social, environnemental et politique.
LEADERSHIP
Cet ouvrage explore ce changement grâce à un travail de réflexion mené avec
19 personnalités, dont la plupart assument les plus hautes fonctions à la
tête de grandes entreprises. Chacune d’elles a pris le temps de s’exprimer
sur sa conception du leadership et sur les compétences exigées pour
assumer efficacement son rôle de leader.
Voici quelques-unes des questions abordées au cours de ces entretiens :
Est-on prédestiné à devenir leader ? Quels sont les meilleurs leviers de
mobilisation et de motivation des équipes ? Comment faire face à la complexité
du monde actuel ? Quelles réponses l’entreprise doit-elle apporter à la question
de la diversité ? Dans quelle mesure faut-il moraliser le capitalisme ? PERSPECTIVES SUR
Ce livre propose donc un modèle original de réflexion et d’action L’EXERCICE DU POUVOIR
du leadership destiné à tous ceux qui s’intéressent à l’évolution des
comportements managériaux dans les entreprises. DANS LES ENTREPRISES
Éric-Jean Garcia
Titulaire d’un Doctorat (PhD) de la University of London sur la formation au Leadership dans les
MBA britanniques et français, Éric-Jean Garcia a produit plusieurs articles à partir de ses travaux
de recherche, dont les plus récents sont : « Raising leadership criticality in MBAs » dans le Higher
Education Journal et « MBA lecturers’ curriculum interests in leadership » dans la revue Management
Learning. Il est également titulaire d’un MBA de la University of Dallas et a commencé sa carrière au
sein du groupe Bidermann où il assura notamment la fonction de Directeur export. Il sera ensuite
nommé Directeur de l’INSEEC Paris et Directeur académique de la European Business School.
Aujourd’hui, Éric-Jean Garcia est Conseil en Leadership et Maître de Conférence à Sciences Po
Paris où il enseigne son thème de prédilection dans les Masters professionnels et au MPA (Master
of Public Affairs).
Témoignages exclusifs de :
Vincent Bolloré, Xavier Fontanet, Dominique Hériard Dubreuil, Frédéric Oudéa, Georges Pauget,
Guillaume Poitrinal, Patrick Ricard, Pierre Vareille, Chris Viehbacher, Sabine Dandiguian,
Françoise Gri, Geoffroy Roux de Bézieux, Alain Ducasse, Alain Némarq, Jean-François Rial,
Nicolas de Tavernost, Yannick d’Escatha, Général Denis Favier et Pierre Hurstel.
LEADER
ISBN 978-2-8041-6293-1 www.deboeck.com