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Amor Belhedi
Université de Tunis
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All content following this page was uploaded by Amor Belhedi on 22 May 2017.
Amor Belhedi
Faculté des sciences Humaines & Sociales
Université de Tunis
Cette immigration contribue, par contre, à développer l'économie d'accueil par le profit, le
travail et la fiscalité des migrants qui y contribuent plus qu'ils n'en retirent en services publics. Ils
n'enlèvent pas systématiquement d'emplois aux autochtones bien qu'ils contribuent à aggraver la
pression sur le marché de l'emploi. Au contraire, certains travaux deviennent l'apanage des migrants
permettant ainsi la transition professionnelle des locaux et le fonctionnement de l'économie des
zones d'accueil; les exemples des migrants à Tunis, Sousse et Monastir, Sfax, Nabeul-Hammamet
ou Msaken sont significatifs (Lamine R, Boubakri H, 1992, Ghali N 2001).
L'immigration apporte des hommes déjà formés, plein d'ambition sans contrepartie qu'ils
soient des manoeuvres ou des scientifiques, la région d'accueil n’a pas participé à leur formation.
Elle en profite sans frais et les migrants professionnels représentent une aubaine pour les régions
d'accueil qui en profitent pour créer de véritables externalités.
Les soutiens de ménage résidant hors du ménage ont une dépense de 678 D/an (INS, 1990)
ce qui les place largement au dessus des ouvriers et des exploitants et encourage ainsi la migration
qui semble avoir des effets positifs sur ce plan du moins.
Cette immigration a contribué d'autre part à créer des quartiers d'habitat spontané à la
périphérie de ces centres touristiques, c'est le cas de la cité Nabka à Hammamet, la cité Sidi Amor à
Nabeul ou de Afret à Dar Chaabane. Ce problème risque d'empirer lorsqu'il s'agit de créer d'un
ensemble touristique de près de 10 000 lits sans infrastructure d'accueil locale comme c'est le cas
actuellement du Projet Hammmamet-Sud (Ghali N, 2001).
Les régions d'origine perdent l'investissement susceptible d'être effectué par les migrants
notamment les plus formés et qui partent souvent au début de leur vie active faisant ainsi profiter
les régions d'accueil.
La fuite de cerveaux est réelle au niveau de ces régions de départ, elle profite aux grands
centres urbains et à la Capitale suite à l'attraction du cadre de vie dans ces régions et la répartition
spatiale du système de formation. L'émigration apporte toutefois à la région d'origine des envois
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financiers. Le transfert d'argent conditionne parfois la fixation de la famille du migrant restée sur
place. L'émigration du chef de ménage ou de l'un de ses membres devient ainsi une condition même
de la non-migration du reste du ménage et de sa fixation sur les lieux. C'est le cas par exemple de
l'émigration temporaire ou saisonnière, l'exemple de la migration saisonnière de la main d'oeuvre
agricole du Centre-Ouest vers Sfax ou le Sahel (cueillette des olives), du Nord-Ouest vers le Nord-
Est et surtout le Cap Bon (cultures irriguées) est très indicatif (MDE-INS, 1996).
Le migrant qui retourne ramène l'épargne, une productivité et un savoir-faire plus élevés et
dont l’importance et les effets ne peuvent être évalués avec précision qu'à travers une enquête
spécifique et appropriée. L'émigration contribue à soulager partiellement, temporairement ou d'une
manière définitive la pression locale sur le marché du travail et sur les ressources (terre, eau...) et à
donner à la société un répit pour s'adapter aux changements socio-spatiaux.
Dans les Pays en Voie de Développement (PVD), le schéma d'évolution est différent
compte tenu du rythme élevé du croît naturel, des changements ultra-rapides et violents parfois
donnant lieu à d'importants transferts, l'urbanisation et la concentration sans lien avec le
développement de l'industrie qui n'absorbe que 10 % du surplus rural. Le surplus de travail transite
ainsi entre deux secteurs peu productifs : l'agriculture et le tertiaire informel avec un sous-emploi
très important, d'où le transfert de misère d'un milieu à un autre ce qui exprime plutôt une stratégie
de survie (A Simmons, 1984).
Ces flux migratoires conduisent à trois situations qui peuvent paraître contradictoires :
- Une situation de boucle positive où le flux migratoire contribue à créer des économies
d'accueil qui génèrent, à leur tour, un nouvel appel par le processus de synergie. Le processus peut
être entretenu et on peut trouver une relation positive entre le solde migratoire et les divers
paramètres socio-économiques comme l'investissement, l'emploi ou la DPA... C'est le cas, souvent,
des grands centres ou des régions urbaines à économie différenciée qui arrivent à internaliser
l'économie migratoire. On trouve dans ce cas la Capitale en dépit du taux de chômage qui la
caractérise.
- Une situation de boucle négative où le flux migratoire appelé arrive à combler les besoins
de l'espace attractif et les dépasser même selon la règle de l'inertie, si bien qu'après un certain
temps, il n'y a plus de relation directe entre le solde migratoire et le niveau de développement.
L'espace attractif en début de période, subit négativement en seconde phase la pression migratoire
passivement sous l'effet de la force de l'inertie du mouvement qui s'est déclenché et qui ne s'arrête
que très lentement, longtemps après le facteur qui l'a généré. On trouve dans cette situation les
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pôles ou les centres touristiques et industriels du littoral comme Gabes, Nabeul ou Sousse et les
chefs-lieux de gouvernorat dont le solde s'est stabilisé ou est devenu négatif même après une
période où il était positif.
- Enfin, le flux peut être généré par les facteurs de répulsion des espaces de départ beaucoup
plus que par l'appel d'espaces attractifs. Dans ce cas, il n'y a pas de relation même décalée dans le
temps, entre le solde migratoire et les données régionales. Au contraire, on assiste même à une
détérioration de la situation dans les zones d'accueil sous l'effet de la pression des espaces
environnants et probablement une amélioration de la situation dans les zones de départ suite à la
baisse des tensions et de la demande d’emploi. On trouve dans cette situation le cas de nombreuses
villes qui sont l'objet de fortes pressions. Le processus migratoire peut ainsi inhiber l'action de
développement régional dans le sens où l'intervention opérée, au début, pour satisfaire la demande
locale induit un appel de migrants si important, du fait de l'importance des besoins tout autour ou
du fait de la force d'inertie, qu'il arrive à bloquer la situation et l'action peut perdre de son efficacité.
La moindre action se trouve sapée par le pression des espaces environnants et contribue combien
même, à générer de nouveaux flux.
1 - L'analyse de corrélations
L’analyse de corrélation entre les divers paramètres du côté de la migration comme du côté
du développement régional, comme est le cas par exemple du taux de sortie, d'entrée ou du solde
migratoire d’un côté, du taux de chômage, de la DPA, de l'investissement régional ou du niveau de
développement de l’autre nous permet de tirer un certain nombre de conclusions :
- Le taux de sortie est corrélé au taux de chômage (0,561) et la DPA (0,457) ce qui montre
que plus le chômage est élevé plus la population a tendance à sortir probablement à la recherche de
l'emploi ce qui exprime ici la dimension mobilité mais plus le revenu dans une zone est élevé plus
les gens deviennent mobiles et ont tendance à bouger.
- Le taux d'entrée est relié au niveau de dépense (0,413), la population au dessous du seuil
de pauvreté (-0,366), les logements rudimentaires (-0,418), l'électrification (0,351) et l'adduction
d'eau (0,52) mais varie en fonction inverse avec le taux de chômage (-0,447). Le migrant se trouve
attiré par le niveau de vie et d'équipement de l'espace d'accueil, il cherche les espaces peu affectés
par le chômage et la pauvreté.
- Le taux d'entrée est fortement relié au taux de sortie (0,913), ce qui signifie que les sorties
d'une région ont tendance à être relativement compensées par les nouvelles entrées, ce processus
de remplacement contribue à faire stabiliser la carte de distribution des populations régionales
d'une période à l'autre si on excepte deux grandes régions : la Capitale et le NO qui sont à l'antipode
l'une de l'autre.
- La persistance spatiale est claire dans la mesure où on relève une étroite corrélation entre
les taux de chômage, le solde migratoire et la DPA d'une période à l'autre et le long de périodes
inter-censitaires successives 1956-66, 1966-75, 1975-84 et 1984-94 (0,933). Cette persistance
spatiale exprime l'absence de rupture dans les processus socio-économiques et les mécanismes
spatiaux qui font que le clivage entre les espaces défavorisés et les zones nanties est resté
relativement inchangé et les changements ont porté sur des modifications de détail ou éphémères.
On constate une certaine corrélation entre le niveau de chômage observé (INS 1984, 1989,
1994) et le solde migratoire relatif durant la période antérieure, entre 1979-84 ou 1989-941. La
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Le solde est mesuré en nombre de personnes en plus ou en moins pour 100 habitants résidents.
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corrélation atteint une valeur élevée et significative lorsqu'on élimine les quatre gouvernorats de
Tunis (Tunis, Ariana, Manouba et Ben Arous) qui font figure de cas particuliers dans la mesure où
ils relèvent dune même agglomération, objet d’un important processus de redistribution interne. En
effet, Tunis, continue à attirer un fort contingent malgré le taux relativement élevé du chômage,
cette attraction touche en particulier les gouvernorats-banlieues (Ariana, Manouba et Ben Arous)
alors que celui de Tunis connaît un processus de vidange au profit des trois premiers. La relation est
de la forme: Sm = -0,26.Chom + 2,7 avec une corrélation de - 0,627 et une variance expliquée de
39,3% (S: solde migratoire relatif pour 100 habitants en 1984, Chom : taux de chômage en 1984).
On se trouve parfois dans une situation paradoxale où les zones les plus réputées attractives
et les plus favorisées se caractérisent par un taux de chômage élevé. Cette situation s'explique en
fait par les mécanismes cumulatifs de l'attraction qui font que l'attraction migratoire se prolonge
bien au delà du phénomène qui les a engendré ou déclenché créant ainsi un décalage.
Ce sont ainsi les régions à solde migratoire positif qui enregistrent les taux de chômage les
plus élevés. Cette situation explique la faiblesse des coefficients de corrélation entre le solde, la
sortie ou l'entrée et le niveau du chômage régional. Le niveau élevé du chômage dans les
principales zones attractives exprime en réalité que ces espaces sont devenus moins attractifs
qu'auparavant tandis que les espaces de départ sont devenus moins répulsifs du fait de
l'amélioration des conditions de vie dans ces régions en particulier dans les campagnes dans la
mesure où le taux de chômage est désormais plus élevé en ville et l'Est est plus urbanisé que
l'Ouest. L'analyse de l'évolution du taux de chômage entre 1966-94 montre qu'il y a une nette
amélioration à l'intérieur touchant à chaque période des gouvernorats différents.
- L'espace migratoire tunisien se trouve aussi très marqué par la Capitale Tunis et presque
toutes les régions ont un solde négatif ou faiblement positif avec la Capitale. De l'autre côté, on a le
Nord-Ouest qui se caractérise par des soldes négatifs élevés, les autres zones se situent entre ces
deux espaces antinomiques.
- Certains espaces ont des soldes négatifs du fait de la présence d'importants clivages
spatiaux internes qui fait que les sorties dépassent les entrées alors qu'on a affaire à deux sous-
espaces différents: l'un est attractif tandis que le second est répulsif. C'est le cas de nombreux
gouvernorats très différenciés comme celui de Bizerte, les gouvernorats du Sahel et du littoral en
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Ce niveau de corrélation est significatif et exprime bien la présence d'une relation statistique mais elle
reste faible puisque la variance expliquée ne dépasse pas 20%
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général qui offrent une façade littorale souvent plus développée et attractive que leur arrière-pays
(Gouvernorats de Sfax, Mahdia, Gabes,…). La présence de ces sous-espaces développés contribue
à gonfler le niveau d'équipement de l'ensemble alors qu'une bonne partie de la zone souffre d'une
grande déficience donnant lieu à une situation paradoxale où des espaces assez développés peuvent
être caractérisés par des soldes largement négatifs. Ce sont donc des zones où les espaces nantis
n'arrivent pas à éponger l'excédent des espaces défavorisés. Il faudrait mener ici des analyses plus
fines au niveau des délégations pour pouvoir nuancer les résultats obtenus au niveau des
gouvernorats.
L'analyse des résidus nous permet de distinguer deux grands ensembles en fonction de la
nature des résidus observés :
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Urbanisation, chômage, électrification, eau potable, DPA, population pauvre, logements rudimentaires,
analphabétisme, nombre d'habitants/médecin, taux de croissance, raccordement au réseau d'égouts,
téléphone
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L'analyse des soldes migratoires depuis le début des années 1970 permet de voir une nette
stabilité de la carte avec des tendances à la consolidation ou à l'atténuation. Les deux zones de
Tunis et du Nord-Ouest enregistrent une consolidation de l'attraction et de la répulsion, le Centre-
Ouest enregistre une détérioration et un solde largement négatif contrairement au Centre-Est qui
améliore sa situation. Ces quatre régions constituent les principales zones de migration et se
trouvent à l'origine (NO et CO) ou à l'aboutissement (Tunis, CE) de l'essentiel des flux migratoires.
Le Nord-Est atténue son solde négatif et devient légèrement positif grâce surtout au Cap Bon. Le
Sud-Ouest dessine un retournement de situation après avoir eu des soldes positifs suite à la crise du
bassin de Gafsa tandis que le Sud-Est a vu son solde doubler.
L’analyse depuis 1989 montre la présence de tendances assez caractérisées des différentes
régions qui se consolident d'une période à une autre.
Conclusion
La dynamique migratoire est ce déplacement généré par l'inégale répartition des ressources,
des potentialités ou des opportunités. Elle est plus sensible à la notion d'écart et de gradient qu'à
celle de niveau atteint ce qui fait que l'accusation des écarts entre régions, milieux ou secteurs est
forcément génératrice de transferts migratoires même si le niveau général des régions défavorisées
ou des campagnes s'est beaucoup amélioré depuis.
Exception faite de quelques actions limitées qui ont pu, pour un certain moment, engendrer
des flux migratoires notables comme a été le cas de Gabès, Sousse-Monastir ou Sidi Bouzid, les
principaux pôles d'attraction qui marquent l'espace tunisien sont la Capitale et secondairement le
littoral tandis que les espaces répulsifs concernent surtout le Nord-Ouest. Les autres espaces se
caractérisent par des soldes légèrement positifs, voire négatifs même, après de courtes périodes
d'attraction.
L'analyse des profils d’évolution des régions selon les soldes migratoires permet de relever
l'émergence de la Capitale comme le seul espace dont le solde a été toujours positif et important à
la fois, les autres espaces ont été souvent caractérisés par une courte période attractive à solde
positif précédée, suivie ou encadrée, selon les cas, par des soldes négatifs: les cas de Gabès,
Monastir, Sousse, Sidi Bouzid ou Nabeul, Tataouine ou Kébili sont très significatifs à ce titre.
Bibliographie