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ATIL*, L’ARBRE-BROSSE À DENTS

DES POPULATIONS DU SAHARA


D. LABIDI - J. GARITACELAYA

Tout touriste averti qui se promène dans les villes du Sahara rencontre des femmes, des hommes,
des filles et des garçons, qui tiennent à la main un bâtonnet de la dimension d’un crayon, avec
lequel ils se curent les dents en marchant. En plein désert l’eau reste rare, le dentifrice et la brosse
à dents demeurent inexistants. C’est pourquoi les populations autochtones ont toujours utilisé un
cure-dents en bois de l’Atil, qui donne une blancheur naturelle aux dents.

CARACTÉRISTIQUES BOTANIQUES

Le Maerua crassifolia est un arbuste sempervirent de 3-4 m de hauteur, atteignant parfois 8-10 m.
Il appartient à la famille des Capparidacées. Le tronc est sinueux avec des branches irrégulières et
tourmentées. Son écorce, lisse sur les jeunes pieds, devient écailleuse sur les plus âgés. Adaptées
au désert, ses feuilles sont courtement pétiolées et coriaces, plus petites que celles des autres
espèces de genre Maerua des milieux plus humides (Maerua angolensis, Maerua siamensis). Dans
les stations plus sèches, les feuilles sont plus étroites et épineuses. De février à mars, il donne une
floraison abondante de petites fleurs parfumées et douces au goût. Ses fruits sont des gousses
brunes qui mûrissent en avril.

AIRE DE RÉPARTITION ET ÉCOLOGIE

On peut le trouver dans tout le Sahara, depuis les environs de Dakhla (sur la côte atlantique) jus-
qu’en Arabie et au Yémen, en traversant le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, le Mali, la Libye, le Niger,
l’Égypte, le Tchad, le Soudan, l’Éthiopie…

Le Maerua crassifolia pousse sur des stations très sèches avec des précipitations très faibles de
100 mm. Dans des conditions de degré hygrométrique élevé, il peut se contenter de 25 mm
(par exemple à Guéltate Zemmour). Il supporte une température moyenne maximale mensuelle de

* L’Atil est le nom vernaculaire donné par les Sahraouis au Maerua crassifolia Forsk.

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Maerua crassifolia 42 °C. Il croît sur différents types de sol (sableux,


argileux…), même sur les sables.

Au Maroc, on le classe dans l’écosystème à


Maerua crassifolia et, de façon générale, il appar-
tient aux communautés d’Acacia, avec l’Acacia
tortilis subsp. raddiana, Capparis decidua,
Ziziphus mauritiana, Panicum turgidum,
Pennisetum ciliare. Le Maerua pousse en peuple-
ments très clairsemés, avec des densités de
l’ordre de 5 à 10 arbres à l’hectare.

C’est dans ce milieu qu’habitent l’outarde


houbara, le faucon crécerelle, la gazelle dama mor
et le lièvre. C’est là aussi que les nomades élèvent
le chameau, la chèvre et le mouton, car ils y trou-
vent d’autres espèces fourragères abondantes.
Extrait de A. AUBRÉVILLE. – Flore forestière soudano-guinéenne. – 1950.

UTILISATIONS

Les rameaux verts sont broutés par les animaux


sauvages et domestiques. Mais ils ne sont pas
mangés par les chevaux et les ânes. Les fleurs
sont recherchées par les chameaux pour leur goût
qui est doux. Les fruits sont aussi comestibles.
Les habitants du Sahara mangent tant les fruits
que les fleurs. Les feuilles sont très riches en
calories et protéines, mais amères : elles doivent
être cuisinées pour en améliorer le goût. Elles
sont consommées avec le couscous, ou entrent
dans la préparation de certaines sauces au Niger.

En plus de l’utilisation des rameaux de l’année


comme brosse à dents, les feuilles sont
employées en médecine populaire contre les
maux de ventre.

Le bois est utilisé pour la fabrication de manches,


sièges, armes, charrues, outils de cuisine… Il est
très apprécié pour sa couleur blanche et sa résis-
tance. Mais les Sahraouis le rejettent comme bois
de feu à cause de sa mauvaise odeur.

LES PROBLÈMES

Le parcours trop intensif pose des problèmes de


régénération et de développement de l’arbre, qui
ne donne pas de produits ligneux de qualité.

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Nature, histoire, loisirs et forêt

Sur les stations les plus défavorables, les jeunes semis sont envahis par les sables mobiles qui les
couvrent et les asphyxient.

Pour ces raisons, les peuplements de Maerua sont en régression constante, avec une diminution des
densités et une réduction de l’aire de répartition.

PROPOSITIONS POUR L’AVENIR

Conscients des difficultés techniques et des coûts élevés des reboisements dans les conditions
désertiques, la protection et le développement des recrûs forestiers dans le cadre d’un aménage-
ment adéquat aux circonstances s’imposent. Étant donné que le Maerua demeure une essence
spontanée, adaptée au milieu et très utile aux populations locales, il mérite une attention particu-
lière.

Le gestionnaire forestier doit s’occuper de l’inventaire des peuplements pour mettre en place une
cartographie actualisée. Il doit établir les conditions pour favoriser la régénération par graines et le
rajeunissement par rejets, surtout avec divers moyens de protection. Dans les cas les plus difficiles,
il faudra faire appel aux techniques de plantations. Pour arriver à des résultats positifs, des tech-
niques appropriées de protection des plants, ramassage de graines, germination, semis, irrigation…
sont nécessaires.

Ces efforts seront sans fruit si on n’envisage pas la sensibilisation et la participation active de la popu-
lation locale. L’amélioration de l’utilisation du parcours et l’augmentation de la production de l’Atil
pourraient augmenter les revenus des usagers et entraîner leur adhésion aux projets sylvopastoraux.

Étant donné l’importance alimentaire et médicale du Maerua pour la population locale, il s’avère
opportun d’entreprendre une recherche des propriétés pharmacologiques et des potentialités nutri-
tives de cet arbuste.

Les pays du Sahara peuvent aussi utiliser le Maerua crassifolia pour favoriser la fixation des sables
mobiles.

Dans le souci de sauvegarde de l’environnement, de lutte contre les dunes mobiles et contre la
sécheresse qui menace constamment les pays sahariens et pour une mise en valeur rationnelle du
Maerua, il faudrait réunir les efforts de différents spécialistes et de nombreux pays. Pour atteindre
les multiples objectifs que nous avons cités, une coopération internationale en matière de recherche
et d’appui financier s’impose.

Dans les villes du Sahara, le petit “crayon” d’atil coûte 1 F environ. Bien sûr, dans le désert, il ne
coûte rien… si on le trouve. Mais que faudrait-il payer pour aller en ville acheter une brosse à dents
et du dentifrice ? Sans doute, l’extension des peuplements d’Atil intéresse-t-elle les Sahraouis. Mais
peut-être est-ce à nous aussi de nous servir de ce curieux cure-dents ?

D. LABIDI J. GARITACELAYA
Ancien Chef du Servive forestier de Dakhla Ingénieur des Forêts
Administration des Eaux et Forêts ASSOCIACIÓN FORESTAL DE NAVARRA
du Royaume du Maroc Avda Zaragoza 21
RABAT (MAROC) E-31004 PAMPLONA (ESPAGNE)

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BIBLIOGRAPHIE

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— 125 p. (Thèse).

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