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Les gens ne voient que ce qu’ils sont

Pourquoi ne remarque-t-on pas les extincteurs,

’
prepares alors qu’ils sont rouges et très visibles ?

a’ voir. En 2012, le département psychologie de l’université

de Californie à Los Angeles (UCLA) réalisa des
interviews dans un immeuble de bureaux où se
trouvaient six extincteurs par étage. Les personnes
furent interrogées sur l’extincteur le plus proche de
leur bureau. On leur demanda aussi d’évaluer leur
niveau de certitude dans leur réponse. Seuls 24 %
des interviewés savaient où se situait l’extincteur le
plus proche.
C’est troublant, quand on y pense. Les extincteurs
sont conçus pour être remarqués : ils sont rouges, ne
se fondent pas dans le décor et sont toujours placés
très en évidence.
Cela vous rassurera sans doute de savoir que
l’extincteur le plus proche se situait à moins de huit
mètres de l’interviewé et était très visible. 92 % des
personnes furent d’ailleurs capables de le trouver en
moins de cinq secondes.
Mais pour savoir où sont les extincteurs, il faut
les avoir repérés. Et pour cela, il faut s’y être
intéressé. Or en temps normal, presque personne ne
s’intéresse aux extincteurs, car ils ne servent à rien.
C’est pourquoi la plupart d’entre nous les ignorons,
sauf ceux que la sécurité préoccupe, ou ceux qui se
retrouvent pris dans un incendie.
Ralph Waldo
18 Emerson 19
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L’étude montra aussi qu’il n’y avait aucune
corrélation entre le nombre d’années passées dans
l’immeuble et la capacité à trouver les extincteurs.
Des gens qui, pendant des années, étaient passés des
milliers de fois devant, n’avaient pas plus de chance
de les trouver que les nouveaux arrivants.
L’expérience des extincteurs illustre notre tendance
à filtrer ce que nous percevons. Très vite, et sans que
nous en soyons conscients, notre cerveau sélectionne
dans ce que nous percevons les informations « qui
nous concernent » et nous empêche de voir les
autres. Les scientifiques appellent ce phénomène «
la cécité d’inattention ».
Douglas Adams lui donne un autre nom qui a le
mérite d’être plus parlant : le CLEP. Citons Adams
: « Un CLEP […] est une chose que l’on ne peut pas
voir, ou qu’on ne veut pas voir, ou que notre cerveau
nous empêche de voir, parce qu’on s’imagine que
c’est leur problème et pas le nôtre. C’est exactement
ce que veut dire CLEP : C’est LEur Problème. Et le
cerveau le censure, tout simplement. Comme s’il
créait un angle mort. ».
Adams ajoute qu’un CLEP demande moins
d’énergie qu’une pile de lampe torche, en raison de
la propension naturelle des humains à voir beaucoup
de chosescomme n’étant pas leur problème mais
celui des autres. C’est ainsi que dans son livre La
Vie, l’Univers et le Reste, il fait atterrir un OVNI au
milieu d’un terrain de cricket sous le nez de milliers
de spectateurs sans qu’aucun ne s’en aperçoive. Les
occupants de l’OVNI utilisent cette technologie de
champ d’invisibilité peu gourmande en énergie.
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Mais le CLEP n’est pas juste une idée saugrenue
d’auteur de science-fiction, c’est même un problème
sérieux pour certaines entreprises qui désirent
cesser d’être invisibles et entrer dans notre champ
de considération. Ainsi, le PMU a longtemps pâti
de ce phénomène et les non-turfistes considéraient
le turf comme un monde parallèle dont ils ne
maîtrisaient pas les codes, et que littéralement ils
ne voyaient pas.
Vous êtes passé pendant des années devant le café
le plus proche de chez vous sans faire attention au
fait qu’il s’agissait d’un bar PMU, et lorsque que les
publicités à la radio entonnaient « PMU, PMU »,
votre cerveau se déconnectait automatiquement.
Pouvoir filtrer l’information n’est pas nécessairement
une mauvaise chose. Selon le professeur Joseph
Cardillo, le cerveau absorbe onze millions
d’informations par seconde, mais n’est capable
d’en traiter que quarante. Ce qui explique qu’il
doive choisir, parmi l’ensemble des informations
qu’il reçoit, celles qu’il considèrera comme utiles
et celles qu’il va juger comme étant des « spams ».
S’il ne le faisait pas, nous deviendrions fous,
incapables de traiter l’information qui nous entoure
sans pouvoir déterminer celle qui a de l’importance
de celle qui ne nous apporte rien.
Une fois que nous réalisons que notre cerveau filtre
les perceptions et les informations, nous repérons
plus facilement nos aveuglements. Il a été prouvé
que nous faisons plus attention aux arguments qui
soutiennent notre opinion, et négligeons les autres.
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La conséquence est que chacun de nous n’a qu’une
vision très partielle et partiale de la réalité. C’est
une chose qui mérite d’être gardée à l’esprit lors de
votre prochaine discussion avec des amis sur une
question de politique : attention, vous n’avez pas le
même filtre !
Plus un sujet nous intéresse, et moins notre cerveau
filtre, pour ne pas manquer une opportunité. Ainsi,
quand vous avez choisi le modèle de voiture que
vous souhaitiez acheter, tout à coup, en ville ou sur
l’autoroute, vous avez le sentimentde le voir partout.
De même dans une soirée, vous êtes en train de
parler à un ami quand quelqu’un prononce votre
prénom. Vous l’entendez instantanément, parce
que le cerveau l’isole du brouhaha ambiant. Les
psychologues donnent à ce phénomène le nom
poétique de cocktail party effect.
Il semble que notre cerveau, qui se concentre sur
la conversation et filtre le reste des sons, puisse
sortir du mode veille si notre nom, ou un autre mot
important pour lui, surgit dans la conversation d’à
côté.
Un des risques de la technologie moderne est qu’elle
renforce nos filtres. Si deux personnes différentes
font la même recherche sur Google au même
moment, elles obtiendront des résultats différents,
parce que Google filtre les résultats en fonction de
leur personnalité.
De même, avec les réseaux sociaux, nous nous
entourons de gens qui ont la même vision de la
vie que nous. Et avec les nouveaux services de
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divertissement à la demande, nous pouvons très
facilement ne voir ou n’écouter que des choses qui
confortent nos choix.
Pour ne pas voir toujours les mêmes choses, pensez
de temps en temps à « changer vos filtres ». Essayez
par exemple de passer une minute à chercher la
couleur orange autour de vous.
Vous redécouvrirez votre environnement direct,
même s’il vous est très familier.
De même, si vous notez sur une feuille les raisons
d’être de bonne humeur ou de voir le côté comique
d’une chose qui vous énerve d’habitude, vous verrez
plus facilement le bon côté des choses…
Essayez aussi de lire des articles dont les opinions
est contraire à la votre cela vous forcera à vous
confronter à des idées nouvelles et d’éviter de
radoter les mêmes idées.
L’effet de ces exercices ne se fera pas attendre : sans
doute redécouvrirez-vous ces choses étonnantes
et belles qui vous entourent. Sans parler des
extincteurs…
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