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BOUSCULÉES PAR LA CRISE SAN

Karine MOULOUD
ÉVALUATION N°1
BOUSCULÉES PAR LA CRISE SANITAIRE, VERS QUEL MODÈLE LES FASHION WEEKS DOIVENT-ELLES S’ORIENTER ?

LA FASHION WEEK DE 1858 À AUJOURD’HUI

Les premières présentations datent de 1858, avant cela les couturiers créaient directement les
commandes des clients. Charles Frederick Worth est donc le pionnier des défilés de mode et le
premier à acquérir une renommée internationale. Il fut le premier à créer ses collections à l’avance en
présentant des modèles dans des salons luxueux que les clients pouvaient personnaliser selon leurs
envies (choix des couleurs et du type de tissus). Ses collections changeaient énormément. Ce fut le
début du cycle de la mode.

Photo 1 : dans l’officiel n° 16(1922) le rédacteur en chef Dominique Gaffory s’insurge contre « les forbans organisés que sont les copieurs »

Ce n’est qu’en 1868 que fut créée la Chambre syndicale de la Couture, des Confectionneurs et des
Tailleurs pour dames, qui deviendra par la suite La Chambre Syndicale de la Couture Parisienne (le
14 décembre 1910) puis La Chambre Syndicale de la Haute Couture à la suite de la décision du
23 janvier 1945 relative à la création de l’appellation juridiquement contrôlée « Haute Couture ». Cette
association professionnelle permet de développer l’industrie de la mode en France.

Seules les maisons bénéficiant de cette dénomination peuvent y siéger. Ces entreprises sont agréées
annuellement par un comité spécial sous les auspices du ministère de l'Industrie. Ce n’est qu’au cours
des années 1960 qu’émerge le mouvement des créateurs de mode qui s’unirent aux grands couturiers

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afin de créer, le 8 octobre 1973, la Chambre Syndicale du Prêt-à-Porter des couturiers et des Créateurs
de Mode ainsi que la Chambre Syndicale de la Mode Masculine.
La dynamique apportée par ces trois Chambres Syndicales permet la création de la Fédération
Française de la Couture, du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode. Elle deviendra, en
2017, la Fédération de la Haute-Couture et de la Mode.

Avant la guerre, Paris est le centre névralgique de la mode. La seconde guerre mondiale change la
donne et paralyse l’Europe laissant une occasion à l’Amérique de se faire une place dans l’industrie de
la mode. Les américains s’inspirent des initiatives françaises et s’imposent progressivement dans le
monde de la mode. Dans cet essor, une personnalité se démarque. Celle d’Eleanor Lambert, qui crée
en 1939 le « New York Dress Institute », première organisation à promouvoir la mode aux États-Unis.
La deuxième étape clé a lieu en 1941 lorsqu’elle créée les « American Fashion Critics Awards » qui
récompensent les créateurs américains. La troisième étape se situe en 1943, quand Eleanor Lambert
met en place la première « Press week », c’est à dire une semaine durant laquelle les stylistes
américains sont mis à l’honneur. Cette fashion week sera la première d’une longue lignée.

En 1951, Giovan Battista Giorgini organise, dans la Villa Torrigiani, le premier défilé regroupant
plusieurs maisons de mode italiennes. Ce genre de défilé deviendra un évènement semi-annuel.
Quelques années plus tard, il se tiendra à Milan (1957), à Londres (1961) puis enfin à Paris en 1973.

Même si Paris fut la dernière ville à créer sa Fashion Week, elle est de loin et ce, jusqu’à ce jour, la
capitale de la mode et fait désormais parti du « Big Four 1».
PARIS, CAPITALE DE LA MODE
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Big Four : capitale principale de la mode : New-York, Londres, Milan et Paris

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Paris est le berceau mondial de la mode. C’est dans cette capitale qu’elle est née et ce, dès le règne de
Louis XIV qui invitait les plus grands tailleurs au monde à Versailles.

La première Fashion Week parisienne date de 1973. Elle réunissait à la fois la Haute Couture (la
première maison de Haute Couture fut créée par Rose Bertin), le prêt-à-porter et la mode masculine.
Cette semaine de la mode fut au départ mise en place pour récolter des fonds afin de restaurer le palais
de Versailles. A la suite de cet évènement, cette Fashion Week fut renommée « La bataille de
Versailles 2»

Après la création de la Chambre syndicale de la Haute


Couture, l’association a aussi mis en place un
calendrier calendrier de présentation privée. Ces
représentations avant-gardistes ont permis
l’introduction de musique et de décors dans le milieu
de la mode.

Il aura fallu attendre l’année 1994 pour que la Fashion


Week parisienne prenne ses quartiers au Carrousel du
Louvre, lieu facilitant l’organisation des défilés. Elle a
été inaugurée par Karl Lagerfeld avec sa première
collection Haute Couture pour la maison Chanel. Le
Carrousel du Louvre passera la main pour les défilés
en 2010 pour qu’au fil des saisons, de nouveaux lieux
Photo 2 : Photo 2 : Chanel, Spring-Summer 1994, Couture
émergent et accueillent les défilés.

La plupart des grands couturiers du 20e siècle sont d'origine française comme par exemple
Gabrielle Chanel (dite « Coco Chanel ») et Christian Dior. Cependant à partir des années 1990 des
créateurs venant d'autres horizons dont Issey Miyake et Azzedine Alaïa furent invités dans la capitale
pour présenter leur collection. La concentration de créateurs réputés et talentueux à la tête de maisons
de couture parisiennes a fait de Paris la capitale incontestée de la mode.

LONDRES

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« Bataille de Versailles » référence à la tension entre les créateurs américains et parisiens.

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Londres ne devint une destination pour la mode féminine que dans les années 1960. L’esprit théâtral et
excentrique est une caractéristique fondamentale de la mode londonienne.

Beaucoup de personnes revendiquent la création de la Fashion Week de Londres. Parmi eux, le


directeur des relations publiques Percy Savage qui a contribué à relancer la carrière de Lanvin et Yves
Saint Laurent à Paris avant d’arriver à Londres en 1974. Le journaliste australien a mis en scène son
premier défilé londonien intitulé « The New Wave » au Ritz avant de poursuivre avec ses « London
Collections » mettant en avant des designers tels que Zandra Rhodes ou encore Bruce Oldfield
accueillant au premier rang la princesse Margaret.

Mary Quant est l’une des figures emblématiques de la mode jeune londonienne, elle a notamment
popularisé la mini-jupe et les coupes androgynes en promouvant des vêtements confortables qui
« libèrent physiquement des femmes qui travaillent de plus en plus ».

Cependant la London Fashion Week telle que nous la connaissons aujourd’hui est née avec la création
du British Council en 1983. La première semaine de la mode londonienne a eu lieu en 1984. Elle s’est
déroulée dans le parking de la Commonwealth Institute situé le quartier de Kensington. Ce lieu à
accueilli de nombreux designers dans les années 1990 comme John Galliano qui fit défiler pour la
première fois Kate Moss alors âgée seulement de quinze ans.

L'inspiration de la mode londonienne provient notamment des contre-cultures, des clubs et des designs
avant-gardistes. La Fashion Week londonienne a notamment connu
de nombreuses difficultés dans les années 1990 à cause du déclin
économique du pays. C’est pour cette raison qu’en 1992, peu de
designers ont présenté leur collection. C'est pourtant à cette époque
qu’Alexander McQueen et Stella McCartney sont apparus. Plusieurs
évènements ont marqué les années 90 à Londres notamment le défilé
de Philip Treacy où Naomi Campbell a défilé, la même année à Paris
elle trébucha du haut des vertigineuses plateforme bleues signées
Vivienne Westwood.

Vivienne Westwood, l’une des premières créatrices britanniques à


avoir une influence mondiale, contribua au prestige de Londres en tant que capitale de la mode et fut
l’avant-garde du mouvement punk dans les années 1970.
MILAN

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C’est en 1958 que la Camera Nazionale Della Moda, institution composée de bénévoles, proposa la
deuxième Fashion Week de l’histoire.

Milan devint l’une des destinations prisées de la Fashion Week dès les années 1970 avec la création et
la production d’articles de mode dans le monde. Cette renommée s’est bâtie grâce à la proximité avec
les fabricants textiles et la richesse de l’histoire de la ville. Le succès de la mode italienne est
également dû au développement du Prêt-à-porter qui a démocratisé ce nouveau marché plus abordable.
Les créateurs italiens font partie des créateurs les plus emblématiques de l’histoire de la mode,
notamment grâce aux clans Versace, Armani ou encore Prada. La Fashion Week italienne est plus
ancienne de que celle de Paris. Peu après l’ouverture de la Fashion Week italienne, la maison Prada a
changé de visage avec l’arrivée de Luisa Prada à la tête de l’entreprise familiale et c’est en 1977 que
Miuccia apporta une toute nouvelle direction à la maison de couture.

Photo 3 : Toni Nicolini, un des premiers défilés de mode à Milan, 1969.

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NEW-YORK

Comme nous l’avons vu en introduction, Eleanor Lambert est la créatrice de la Fashion Week new-
yorkaise. C’est en inventant en 1943, la semaine de la presse, qu’elle a permis aux États-Unis de
prendre une place importante dans la mode, alors qu’outre-Atlantique, les français faisaient face à
l’occupation allemande.

Eleanor Lambert réussit à réunir dans un même lieu, l’hôtel Plaza, les journalistes de New-York ainsi
que des journalistes étrangers, tous payés, pour assister à cet évènement. Elle permit ainsi à de
nombreux créateurs de se faire connaitre auprès de Vogue et de Harper’s Bazaar.

Photo 4 : Ruth Finley à son bureau en pleine création du "calendrier de la mode".

Face au succès de la Press Week, Ruth Finley prit l’initiative de planifier la semaine de la presse afin
que les défilés ne se chevauchent pas. Elle accomplit cette tache pendant près de 70 ans.

La mode new-yorkaise repose davantage sur le prêt-à-porter que sur la haute couture. La septième
avenue se démarque des autres rues à partir du XXe siècle en proposant des vêtements fabriqués en
série et à tous les prix. Le style new-yorkais se caractérise par son dynamise et son élégance. Cette
capitale de la mode a connu un nouveau souffle dans les années 2000 avec des jeunes créateurs
comme Alexander Wang.

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MAIS CONCRETEMENT LA FASHION WEEK C’EST QUOI ?

La Fashion Week ou semaine de la mode, est une semaine dédiée à la mode où les stylistes et les
maisons de couture présentent leurs nouvelles collections à travers des défilés. Autrement dit, c’est le
« rendez-vous mode » de l’année.

Le calendrier est divisé en saisons ce qui permet d’élaborer des stratégies marketing et de distribution
efficace gravitant autour des acheteurs et des magazines de mode. Traditionnellement, il existe deux
saisons : la saison « printemps-été » et la saison « automne-hiver ». Les défilés se déroulent dans les
quatre villes principales accueillant la Fashion Week, que l’on appelle le « Big Four ».

En plus de ces rendez-vous annuels, des défilés « croisière » s’invitent entre les semaines de la mode.
Souvent au mois de mai, ces défilés offrent aux créateurs une certaine liberté de création qui les amène
souvent à délocaliser leurs défilés aux quatre coins du monde.

Il existe deux types de défilés : le Prêt-à-Porter et la Haute Couture.

La Haute Couture est présentée exclusivement à Paris. Les principales distinctions entre ces deux
types de défilés sont le savoir-faire et le délai de commercialisation. Le Prêt-à-Porter est quasiment
commercialisé après le défilé, souvent six mois plus tard. Cependant, certaines marques, comme
Tommy Hilfiger, commercialisent les pièces du défilé directement après l’évènement (ce que l’on
appelle le « see now, buy now ») afin de séduire sa clientèle.
À contrario, la Haute Couture n’est pas forcément commercialisée. Elle est destinée à une clientèle
bien plus exclusive. Le terme Haute Couture symbolise le savoir-faire.
Plusieurs critères sont à respecter pour accéder à l’appellation « Haute Couture » :
 Toutes les pièces doivent être réalisée à la main ;
 Les ateliers doivent être composés au minimum de vingt personnes ;
 Les maisons ayant ce titre doivent défiler au moins deux fois par an avec un minimum de
vingt-cinq modèles à chaque passage ;
 Chaque maison doit posséder un atelier « tailleur3 » et un atelier « flou4 » ;
 Les maisons doivent être inscrites minimum quatre ans à l’avance sur les calendriers officiels.
Le titre n’est néanmoins valable qu’un an, certaines maisons sont tout de même permanentes
(Chanel, Dior, Alexandre Vauthier, Giambattista Valli...)

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« Tailleur » : ligne et structure (ex : pantalons, vestes, manteaux…)
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« Flou » : courbe légère et fluide (ex : robe)

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Certaines maisons, quant à elles, défilent sans posséder cette appellation, elles sont qualifiées de
« membres invités ».

Les personnes conviées sont scrupuleusement choisies et sont personnellement invitées. À priori cet
évènement est réservé aux professionnels comme les rédacteurs en chef de magazines, les journalistes,
les acheteurs. Les maisons prennent le soin de convier leur PDG ainsi que les actionnaires du groupe,
les meilleures clientes mais aussi des célébrités.

L’évènement, quant à lui, dure environ vingt minutes.

Autrefois, l’accès aux défilés était réservé à un groupe de personnes ciblé et influent appartenant au
monde de la mode. En 2009, Alexander McQueen, souhaitant élargir le public de ses défilés, fut le
premier designer à retransmettre en direct son défilé Printemps-Été 2010 sur internet.

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2020, L’APPARITION DU CORONAVIRUS

L’apparition du coronavirus et la crise sanitaire qui s’en est suivie à la fin de l’année 2019, a
bouleversé le monde et la Fashion Week a dû s’adapter.

Pendant la Fashion Week parisienne, seulement 19 maisons sur 84 ont pu présenter leur collection
cette année. La physionomie des défilés a changé avec un public restreint et des mesures de
distanciation sociale à respecter. La maison Dior qui avait pour habitude d'inviter en moyenne 1500
personnes n'a pu en inviter que 300 cette année. L’accès aux défilés était soumis à des règles sanitaires
strictes : la distanciation sociale, le port du masque et un test PCR négatif pour les invités
internationaux.

La fédération de la haute couture s’est chargée d’envoyer aux maisons le protocole sanitaire à
respecter.

Beaucoup de maisons ont opté pour des solutions numériques. On a pu notamment suivre des défilés
sur les réseaux sociaux. Certaines maisons ont remplacé les sièges des invités par des écrans. Sur
chaque écran figurait l’image d’un invité qui suivait le défilé de chez lui. Cela a permis aux rédacteurs
en chef du monde entier d’assister aux défilés sans pour autant être présents. Malgré les nombreux
défis rencontrés par l’apparition du coronavirus, des créateurs ont su se faire connaitre durant cette
période difficile. Ainsi, dix nouveaux créateurs ont fait leur entrée dans le calendrier officiel.

Les défilés « homme » et « haute couture » ont entièrement été présentés de façon virtuelle pour la
première fois de l'histoire. Concernant le prêt-à-porter féminin, il était mi-physique mi-digital.

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De célèbres maisons ont profité de la pandémie pour remettre en question et repenser leur processus de
création. Ainsi, à Paris, Saint-Laurent a pris une décision marquante en renonçant aux Fashion Week.
La marque a annoncé qu’elle créerait désormais selon son propre rythme. De la même manière, Raf
Simons, pour sa première collection en tant que codirecteur de Prada a préféré retransmettre le show
en streaming sur le site de la marque pour que la presse et les influenceuses étrangères n’aient pas à se
déplacer.

À New York la semaine de la mode n’a duré que cinq jours au lieu de sept. Les shows, plus petits,
étaient diffusés exclusivement en ligne. Le gouverneur Cuomo a imposé que les shows en plein air
soient limités à cinquante personnes et que des contrôles de température soient pratiqués. De
nombreux créateurs ont préféré passer leur tour.

À Londres, le combat fut le même. Le British Fashion of Council a décidé de ne présenter les
collections de créateurs qu’à une poignée d’invités. Burberry, par exemple, a fait le choix d’un défilé
en plein air retransmis en direct mais sans public. La marque anglaise a notamment choisi de diffuser
son défilé sur Twitch, une plateforme de jeux vidéo.

À Milan, Giorgio Armani a décidé de diffuser son show pour la première fois à la télévision. Le défilé
a été filmé à huis clos et diffusé sur la chaîne nationale Italia 7. Tout comme Saint Laurent, Gucci a
annoncé sur Instagram avoir décidé de mettre fin au « rituel démodé des saisonnalités » afin de
proposer « des chapitres d'une nouvelle histoire » qui mélangerait « les règles et les genres » sur de
nouvelles plateformes de communication (propos rapportés par Alessandro Michele). La plupart des
marques ont choisi de présenter leur collection en ligne. Le digital a permis à Fendi, par exemple, de
présenter sa collection aux professionnels du secteur via un lien internet. Ces derniers pouvant
regarder le défilé en ayant la possibilité de zoomer sur des pièces attirant leur attention (visionnage à
360°).

Toutes ces décisions, aussi diverses soient-elles, ont un impact sur le secteur du luxe qui, en temps
normal, mise beaucoup sur les Fashion Week qui ont un fort impact médiatique et commercial.

La crise sanitaire a énormément bouleversé l’économie du luxe. L'Asie est un continent stratégique, La
Chine est, par exemple, un pays clé pour les groupes de luxe. L’Asie (hors Japon) constitue 30% des
ventes totales de LVMH. Le continent asiatique représente également 38 % des ventes pour
Richmond, 32% pour Kering et 36 % pour Hermès selon les données de l’AFP. Face au ralentissement
de la consommation, les entreprises françaises du luxe ont vu leur valeur boursière diminuer. La Covid
a eu un impact non seulement sur les ventes réalisées en Chine mais aussi sur les ventes faites aux

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ressortissants chinois à l’étranger, le flux touristique provenant de Chine ayant diminué. En 2018,
selon l’OMT, les chinois ont dépensé plus de 277 milliards de dollars lors de leur séjour à l'étranger.
Le luxe arrive en tête de leurs achats détaxés lorsqu'ils viennent en Europe selon la société spécialisée
dans la détaxe « Planet ». Malgré ce constat, il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif de
l'impact du coronavirus sur l'industrie du luxe.

La dernière Fashion Week numérique n'a pas séduit les critiques, nostalgiques de l'effervescence des
défilés de mode. Ainsi, Imran Amed, fondateur et rédacteur en chef de The Business Of Fashion a
déclaré « J'ai vu physiquement des défilés, puis je les ai vus sur écran, l'expérience n'est pas la même
évidemment. Le fait de pouvoir voir les vêtements de près, parfois entendre les tissus ou les
accessoires comme lors d'un défilé de Paco Rabanne, avec le son de cette cotte de mailles pendant le
défilé. Il y a des éléments du spectacle physique que la technologie n'a pas encore trouvé le moyen de
vraiment reproduire. »

Il est évident que la pandémie oblige à repenser radicalement le fonctionnement de l'industrie de la


mode, le calendrier et la fréquence des rendez-vous. La technologie permettant aujourd'hui de
présenter autrement les collections.

Selon l'étude menée par Launchmetrics, il est possible de faire de belles performances. Pascal Morand,
Président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode, explique que les maisons doivent
posséder des capacités d'adaptation et de réactivité et qu’elles doivent également savoir tirer parti du
contexte sanitaire afin de multiplier l'impact médiatique des défilés et démocratiser le milieu de la
mode.
La pandémie du coronavirus a permis de faire accélérer les choses quant au développement du
numérique dans les Fashion Week. L'implantation du numérique dans les Fashion Week permet une
plus grande liberté créative pour les maisons de mode et de couture. Malgré cela, le numérique ne peut
se substituer totalement à l’expérience vécue lors d’un défilé. La mode doit être appréhendée par
d’autres sens que la vue. Elle est faite pour être touchée et sentie et il est encore difficile de mélanger
physique et numérique.

La Fashion Week permet de dynamiser le secteur de la mode et l'économie des villes qui les
accueillent mais elles offrent aussi un point de rencontre pour les professionnels.

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Il est donc important de se demander au vu de la situation sanitaire vers quel


modèle les Fashion Week doivent elle s'orienter ?

Tout d'abord nous pouvons constater que cette pandémie a chamboulé toute l'industrie de la mode.

La mode est un secteur qui suscite émerveillement mais aussi de nombreux questionnements qu'ils
soient d’ordre économique, environnementaux ou encore psychologiques. Au vu du contexte sanitaire
mais aussi des problématiques environnementales et éthiques posées ces dernières années, la
pertinence des Fashion est remise en cause. C’est donc l'occasion de revoir la mécanique du calendrier
de la semaine de la mode incitant à une mode trop rapide (« fast fashion ») et jugée peu éthique.

S’agissant de la question environnementale, la Fashion Week réunit des personnes du monde entier
qui parcourent des milliers de kilomètres plusieurs fois par an pour assister à des défilés. Ces
personnes se déplacent grâce à des moyens de transport polluants (notamment l’avion). L’impact
environnemental qu’engendrent ces évènements est loin d’être négligeable et ne peut être ignoré.

La maison Saint-Laurent n'est pas la seule à avoir annoncer son retrait du calendrier officiel. Le
fondateur de la marque à A.P.C, Jean Touitou a confié au Business of Fashion ne plus vouloir
« appartenir au cirque ». Il explique notamment que le rythme effréné imposé par le calendrier ne lui
correspond pas.

Londres, quant à elle, a d'ores et déjà pris l'initiative d'instaurer une plateforme numérique où les
marques pourront présenter leurs créations via le support de leur choix afin de promouvoir leur
collection via les réseaux sociaux qui jouent désormais un rôle important dans l'industrie de la mode
surtout pendant la Fashion Week. Par ailleurs, Londres entend faire évoluer les meurs en modifiant la
structure actuelle de la Fashion Week : elle tend à proposer des défilés mixtes et sans étiquette de
genre.

En juillet 2019, le conseil suédois de la mode a annulé la Fashion Week de Stockholm pour des
raisons environnementales afin de marquer les esprits pour pouvoir instaurer un dialogue sur la
manière de changer l'industrie pour qu'elle soit plus éco-responsable et éthique.

La Fashion Week restant un lieu d'échange pour les professionnels de la mode, il ne semblerait pas
judicieux d’y mettre fin. Peut-être pourrait-on instaurer une Fashion Week exclusivement nationale
auxquels seuls les professionnels et les personnalités résidant sur le territoire pourraient assister. Cela

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limiterait les déplacements et réduirait l’empreinte écologique. Les professionnels étrangers, quant à
eux, assisteraient en direct à cette Fashion Week, via les réseaux sociaux.

À la suite de chaque défilé, les marques pourraient faire parvenir leurs créations à chaque capitale de
la mode afin de pouvoir montrer et faire toucher les modèles et les matériaux.

L'idée de la maison Dior de faire défiler des marionnettes portant des répliques miniatures des
vêtement a été reprise par Moschino lors de la dernière Fashion Week. Elle a permis une nouvelle fois
de faire face à une crise et de contourner les obstacles posés par celle-ci.
Ce défilé miniature présenté comme un spectacle de marionnettes est une solution efficace. Il pourrait
être couplé à une solution numérique : la diffusion en ligne en direct du défilé qui permettrait
d’atteindre des professionnels du monde entier
sans qu’ils n’aient à se déplacer.

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Les maisons pourraient également, si elles veulent limiter leurs coûts, proposer d'envoyer un book de
tissu pour que les professionnels puissent toucher et visualiser les matériaux utilisés tout en regardant
le défilé en direct.

Les maisons devraient aussi penser à relocaliser leurs industrie et entrepôts qui se trouve à l'étranger
afin de limiter encore une fois l'empreinte carbone liée notamment aux livraisons de marchandises. De
plus, cela pourrait contribuer à la création de nouveaux emplois sur les territoires en question.

D’un point de vue économique et moral, le modèle actuel des défilés peut être remis en question : les
défilés n’excèdent généralement pas plus de vingt minutes, coûtent généralement au minimum
100 000 euros et dépassent parfois les cinq millions d’euros pour les plus grandes maisons. Chaque
année, les maisons redoublent d'efforts pour proposer un décor encore plus spectaculaire. Ces décors

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ont un coût énorme. Ces décors ne sont pas les seules dépenses des marques. Les mannequins sont
également un poste de dépense considérable sachant qu’ils sont en moyenne une trentaine par défilé et
qu’ils voyagent à travers le monde pour défiler. Les défilés sont devenus l'outil principal de
communication des marques et les maisons de mode ne lésinent pas sur leurs dépenses car ce sont des
retombées inestimables pour elles. Par exemple, la collection haute couture automne/hiver 2012/2013
de Dior était présentée dans un décor fleuri époustouflant et pour l'occasion Dior avait fait venir plus
d'un million de fleurs. Chanel, dans un autre registre, avait fait venir de Suède un iceberg de plus de
265 tonnes. Ces décors sont gaspillés car ils ne sont jamais réutilisés et leur importation pollue la
planète.

Il s’agirait aussi pour les industries de limiter le gaspillage : certaines marques pourraient instaurer un
système de soldes ou de déstockage au lieu de détruire leurs produits invendus. Elles pourraient
également réévaluer leurs productions afin de ne pas surproduire ou décider de réutiliser les matériaux
des produits invendus afin de créer des articles inédits qui pourraient faire l'objet de ventes aux
enchères. Les gains issus de ces ventes pourraient être reversés à des associations, permettant à la fois
de venir en aide à des personnes défavorisées mais également de renvoyer une image positive de la
marque. Il est important de rappeler que le secteur de la mode est le deuxième secteur le plus polluant
après l'industrie du pétrole. La solution serait déjà de produire local.

Hormis les aspects sanitaires et économiques, le coronavirus a changé notre rapport à la mode. Cette
crise sanitaire a permis de réévaluer nos relations aux vêtements, car même si ce secteur provoque
l’émerveillement, la conjoncture actuelle a fait perdre à la mode une part de son attrait. Les
incertitudes provoquées par le confinement remettent en cause les frénésies d'achat sur lesquelles une
partie du modèle économique de l'industrie textile repose. Le culte de la mode est de courte durée et
nécessite un renouvellement permanent. Elle crée rapidement. Déchets de créativité et de matériaux.
Ses produits suivent des tendances cycliques, et lorsqu'ils ne suivent plus les goûts actuels, ils perdent
tout intérêt. En quinze ans, attisée par une flambée de collections, la durée de vie des vêtements a été
divisée par deux et la production textile a doublé. Il est donc important pour les maisons de mode de se
réinventer afin de reconquérir le public notamment grâce à une mode plus éco-responsable.

La Fashion Week de Copenhague espère faire en sorte que les marques participantes répondent aux
exigences écologiques, notamment l'utilisation d'au moins 50% de produits certifiés biologiques, le
recyclage ou la réutilisation de textiles, l'utilisation d'emballages « verts » et des scénarios zéro déchet.

La ville de Paris espère également devenir la vitrine d'une mode plus éco-responsable d'ici 2024, c'est
ce qu’envisagent l'association Paris Good Fashion ainsi que la mairie de Paris et de nombreux acteurs
de la mode.

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Il faut donc trouver une solution qui permettrait de limiter l'empreinte carbone mais aussi de permettre
aux professionnels de la mode de trouver satisfaction. Il est vrai que pour les grandes capitales qui
organisent la Fashion Week un tel changement de calendrier aurait de lourdes conséquences en termes
économiques. Comme l'a souligné le Président de la couture les chiffres record des boutiques se font
pendant ces semaines de défilés. Ces visiteurs représentent 80% du chiffre d'affaires.

Peut-être serait-il préférable de garder une seule capitale de la mode ce qui limiterait les
déplacements de tous les acteurs de la mode. Ce serait le seul événement de l'année où toutes les
marques défileraient. Privilégier une mode plus éco-responsable en relocalisant les entreprises
dans leurs pays, en réutilisant les invendus. Telles sont les options envisageables pour l’avenir
des Fashion Week.

Le coronavirus a eu de nombreuses conséquences économiques mais aussi psychologiques.


L'industrie de la mode doit donc repenser son modèle en prenant en compte les problématiques
actuelles.

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