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CHAPITRE I : LES EXPERTS JUDICIAIRES

Les experts judiciaires sont régis par la loi n°93-61 du 23 juin 1993, relative aux
experts judiciaires. Cette loi est venue créer un régime administratif d’inscription sur
une liste des experts judiciaires (Section 1) et préciser leurs obligations et
responsabilité (Section 2).

Section 1 : L’inscription sur la liste d’experts judiciaires

L’article 4 de la loi du 23 juin 1993 définit les conditions devant être remplies chez
l’expert pour son inscription sur la liste (§1). L’établissement de la liste des experts
judiciaires n’a pas pour effet d’organiser ces derniers en une profession ou un ordre
professionnel. L’inscription est décidée par le ministre de la justice sur proposition
d’une commission régionale (§2). La liste est révisée chaque année (§3).

§ 1 Les conditions d’inscription

Nul n’est inscrit sur la liste des experts judiciaires s’il ne remplit les conditions
suivantes1 :

1) être de nationalité tunisienne ;


2) jouir de ses droits civils et politiques et n’avoir été déclaré en état de faillite ni
condamnée par une décision définitive pour crime ou délit intentionnel ou par
une décision disciplinaire pour atteinte à l’honneur ;
3) être titulaire d’un diplôme scientifique ou technique dans la spécialité requise.
Celui qui ne remplit pas cette condition peut être exceptionnellement inscrit
s’il prouve sa compétence en matière d’expertise dans la spécialité requise et
s’il est avéré un manque des experts diplômés dans la spécialité concernée.
4) Avoir exercé une profession ou une activité dans la spécialité objet de
l’inscription demandée pendant une période de cinq années au minimum pour
le titulaire du diplôme scientifique et de dix années pour les autres ;
5) N’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire pour
accomplir les missions d’expertise judiciaire. Ainsi les experts judiciaires ne
sont pas des auxiliaires de justice car ils n’exercent pas l’expertise à titre de
profession habituelle ;
6) Etre résident sur le territoire de la République tunisienne. (le texte n’exige pas
une résidence dans le ressort de la cour d’appel du lieu de son exercice);
7) Etre âgé de 60 ans au plus à la date de dépôt de la demande d’inscription sur la
liste ;
8) Etre apte physiquement et mentalement à accomplir toute mission à lui
confiée.

Avant d’être chargé de mission d’expertise, l’expert doit prêter serment devant la
Cour d’appel du lieu de son exercice « je jure par Dieu Tout Puissant, d’assister la
justice en donnant mon avis en toute probité, fidélité et honneur et de garder secret les
secrets de ma mission ».

1 Cass. 1re civ., 24 juin 1997 JCP G 1997 p. 1832. Le décret du 18 mars 1986, visant dans son intitulé le décret du 31 décembre 1974, édicte que les experts
spécialisés en matière de sécurité sociale doivent être inscrits, sous une rubrique spéciale, sur les listes des experts judiciaires dressées en application de
l'article 1er du décret du 31 décembre 1974. Cette disposition implique nécessairement que les candidats à cette inscription remplissent les conditions générales
d'inscription prévues par les articles 2 à 5 de ce décret et notamment la condition d'âge.

1
Les experts judiciaires inscrits ne sont pas soumis à une période probatoire.

§2 La procédure d’inscription

La liste des experts judiciaires est fixée toutes les trois années, selon chaque spécialité
par arrêté du ministre de la justice. La liste est révisée chaque année.

Le ministre de la justice fixe la liste des experts après avis d’une commission
régionale au niveau de chaque cour d’appel.

La composition et les modalités de fonctionnement de la commission régionale sont


fixées par arrêté du ministre de la justice en date du 11 août 1993.

La commission est composée :


- du premier président de la cour d’appel, président ;
- des présidents des tribunaux de première instance du ressort de la cour
d’appel.
- du représentant de la profession pour la spécialité requise objet de
l’inscription.

La commission se réunit au mois de mars de chaque année et toutes les fois que son
président le juge nécessaire.

L’arrêté du 11 août 1993 ne prévoit pas selon quelle modalité (quorum et majorité) la
commission fonctionne.

Les demandes d’inscription et les documents justifiant les conditions d’inscription


sont déposés à la commission avant le mois de janvier de chaque année.

Le candidat non inscrit sur la liste peut renouveler sa demande2.

§ 3 La révision de la liste des experts judiciaires

La liste des experts judiciaires est révisée annuellement pour vérifier si chaque expert
continue à remplir les conditions légales d’inscription. Les experts ne sont cependant
pas tenus de renouveler leur demande.

L’expert judiciaire peut demander la décharge provisoire ou définitive.

La décharge provisoire pour des raisons de santé, d’ordre familial ou autre ne peut
excéder une période d’une année. La reprise de l’activité doit être signalée au ministre
de la justice dans un délai de trois mois à compter de l’expiration de la période de
cessation. A défaut de cet avis, l’expert est présumé être déchargé définitivement.

Section 2 : Les obligations et responsabilités de l’expert judiciaire

2 Cass. 1re civ., 21 nov. 2000 JCP G 2001 p. 1101. Il résulte de l'article 16, alinéa 2, du décret du 31 décembre 1974 que la non-réinscription d'un expert sur la
liste des experts judiciaires de la cour d'appel ne peut être décidée qu'après que l'intéressé ait été invité à fournir ses éventuelles observations au magistrat
rapporteur ; il n'est établi par aucune constatation du procès-verbal de l'assemblée générale de la cour d'appel que l'expert, qui n'avait été invité à s'expliquer
que sur un grief qui n'a pas été retenu par l'assemblée générale de la cour d'appel, ait été appelé à fournir ses observations au magistrat rapporteur, avant la
décision de non-réinscription sur la liste, sur le grief qui a été retenu contre lui ; dès lors, la décision doit être annulée

2
§ 1 : Les obligations

Les principales obligations de l’expert judiciaire sont les suivantes :


- Le respect du secret professionnel
- L’accomplissement personnel de la mission
- L’accomplissement consciencieux, objectif et impartial de la mission
- Le respect des délais impartis
- Le respect du principe du contradictoire
- La garde des documents remis à l’occasion de sa mission

§ 2 : Les responsabilités

Certes, au-delà de certaines sanctions d'ordre procédural qui atteignent son travail,
comme la nullité ou l'inopposabilité du rapport d'expertise, l'expert judiciaire peut
encourir des sanctions personnelles ne concernant que lui : ce sont les responsabilités
de l’expert. On distingue trois types de responsabilité : civile (A), pénale (B) et
disciplinaire (C).

A- La responsabilité civile

L’article 13 de la loi du 23 juin 1993, relative aux experts judiciaires dispose que « si
l’expert commet à l’occasion de l’accomplissement de sa mission une faute causant
un préjudice à l’une des parties, il en répondra conformément aux règles de droit
commun »

Cet article se prononce sur la nature juridique de la responsabilité civile de l’expert


(1) et sur les conditions de sa mise en œuvre (2).

1) La nature juridique de la responsabilité de l’expert

Le statut de l'expert judiciaire reste hybride, ambigu, et cette ambiguïté est loin d'être
sans incidence sur le régime de sa responsabilité. Les raisons de cette ambiguïté et
incertitude sont les suivantes :

D'abord, parce que l'expertise judiciaire n'est pas une profession. Les experts
judiciaires ne sont pas regroupés dans un ordre mais seulement inscrits sur des listes
attestant de leur compétence.

Ensuite, parce que si les experts sont missionnés par un juge et non par les parties et
s'ils agissent pour le compte de la juridiction qui les a désignés, ils sont pourtant
rémunérés par les parties, le paiement des frais et honoraires n’est pas mis à la charge
de l'Etat lequel n’a pas l'obligation d'apporter sa garantie au paiement des honoraires
de l'expert, contredisant ainsi l'idée de participation de l'expert au service public de la
justice.
Ensuite encore, les experts judiciaires ne sont pas non plus des auxiliaires de justice,
car ils n'exercent pas l'expertise judiciaire à titre de profession habituelle.

Enfin, on le verra, ils n'ont pas le monopole de l'expertise en justice.

3
La soumission de la responsabilité de l’expert au droit commun ne résout pas
entièrement le problème. Deux difficultés peuvent s’agiter :

1.1) Responsabilité de nature délictuelle (ou quasi-délictuelle)

D’une part, il faut déterminer si cette responsabilité est de nature délictuelle (ou quasi-
délictuelle) ou une responsabilité contractuelle.

La Cour de cassation française a, depuis 1914, date où la solution a été posée par la
Chambre des requêtes affirme que « les experts judiciaires sont soumis aux
dispositions du droit commun », c'est-à-dire que « les experts judiciaires ne peuvent
être responsables que délictuellement ou quasi-délictuellement sur le fondement des
articles 1382 et 1383 du Code civil. (l’équivalent en droit tunisien des articles 82 et 83
du COC). Cette solution est constante et est régulièrement réaffirmée3.

Le fondement délictuel ou quasi délictuel retenu par les juridictions judiciaires


démontre, si besoin en était, que l'expert judiciaire n'est pas en relation contractuelle
avec les parties qui, pourtant, le rémunèrent. Jamais il n'a été envisagé en effet que
l'expert judiciaire puisse engager, à l'égard des parties, une responsabilité
contractuelle, contrairement à l'expert non judiciaire, choisi par les parties en dehors
de toute intervention du juge4.

1.2) La responsabilité de l’expert commis par le juge administratif

L'expert intervient devant les juridictions civiles et pénales mais aussi devant les
juridictions administratives. Or pour le juge administratif, la question du régime de
responsabilité applicable aux experts en tant que victime est résolu dans un sens qui
marque la spécificité de leur intervention ; la qualité de collaborateur occasionnel du
service public leur a été reconnue expressément. Le Conseil d'Etat français en tire la
conséquence que la garantie de l'Etat en cas de non-paiement des honoraires par les
parties leur était due. L'expert judiciaire ne peut pas être considéré comme un agent
public car il n'est pas titularisé dans la fonction publique et il ne passe pas réellement
un contrat avec l'Etat, celui-ci ne le rémunérant pas par ailleurs. Pourtant, il n'est pas
non plus un tiers par rapport aux services publics de la justice ; il est en outre bien
davantage lié au juge qui le nomme, définit sa mission, le sanctionne éventuellement
et fixe sa rémunération qu'aux parties. Il intervient pour éclairer le juge et en lui
apportant ainsi sa collaboration, collabore évidemment au service public de la justice ;
il le fait de façon occasionnelle puisque l'expertise judiciaire n'est pas une profession,
de sorte que l'expert n'est pas non plus un auxiliaire de justice.

3 La question s'est aussi posée en jurisprudence de savoir si l'article 1384, alinéa 1er (qui prévoit la responsabilité du gardien de la chose qui a causé un
dommage) pourrait être utilisé pour fonder la responsabilité de l'expert. En l'espèce, le texte était inapplicable parce que le dommage n'avait pas été causé par
une chose placée sous la garde de l'expert mais à la chose placée sous sa garde (vêtement détérioré dont l'expert avait pour mission de déterminer la conformité
à ce qui avait été commandé) ; la Cour de Paris, saisie de la question, n'a pas exclu cependant par principe ce fondement. On reste de toute façon avec l'article
1384, alinéa 1 sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile, les deux fondements, 1382 et 1384, alinéa 1 pouvant être cumulativement invoqués
devant le juge civil.
4 Si cette qualité de collaborateur du service public était reconnue à l'expert judiciaire par les juridictions civiles, cela ne signifierait pas, en effet, que l'action
en responsabilité échapperait à leur compétence. Le litige, né de la faute de l'expert, serait en effet relatif au fonctionnement du service public de la justice
judiciaire. Dès lors, en vertu du principe de séparation des fonctions juridictionnelles, cela transférerait le pouvoir de décision au juge judiciaire. Il reste que la
responsabilité de l'expert devrait être appréciée en vertu du droit public, conformément aux principes posés par l'arrêt Blanco.

4
En tant que collaborateur occasionnel, l'expert judiciaire serait alors soumis à un
régime de responsabilité emprunté à celui de l'agent public, soit une responsabilité
administrative. La conséquence immédiate d'une responsabilité de cette nature est que
la responsabilité de l'Etat pourrait toujours être recherchée et substituée à celle de
l'expert, sauf dans l'hypothèse où ce dernier aurait commis une faute personnelle
(c'est-à-dire une faute manifestant la volonté de nuire ou une faute d'une gravité
exceptionnelle), détachable de la mission de service public et dépourvue de lien avec
celui-ci. Dans le cas où la faute même personnelle ne serait pas sans lien avec le
service public, la victime pourrait rechercher à son choix la responsabilité de l'Etat ou
celle de l'expert et l'Etat, condamné, pourrait se retourner contre l'expert. Dans le cas
de faute simple, seule la responsabilité de l'Etat pourrait être engagée5.

Cette analyse n’est pas retenue par le Cour de cassation française. Ainsi, elle a admis
dans un arrêt récent que l'action en responsabilité contre l'expert judiciaire, qui avait
été commis par la juridiction administrative, devait se tenir devant la juridiction
judiciaire puisque les éventuelles fautes commises par lui engageaient sa propre
responsabilité et non celle de l'État6.

2) La mise en jeu de la responsabilité de l’expert judiciaire

Trois conditions sont cumulativement exigées pour que la responsabilité soit engagée
sur le fondement de l'article 13 de la loi du 23 juin 1993 : une faute, un préjudice et un
lien de causalité entre la faute et le préjudice.

La reconnaissance d'une faute ne semble pas constituer a priori un obstacle


insurmontable à la mise en jeu de la responsabilité de l'expert, en raison de la
définition extensive de la faute civile et de la pluralité de fautes susceptibles dès lors
d'être commises par un expert. Pourtant retenir une faute ne va pas sans difficultés.
L'établissement du lien de causalité entre une faute éventuelle et le préjudice invoqué
soulève encore davantage de problèmes

2.1) La multiplicité des fautes concevables

Potentiellement, il est possible de concevoir de nombreuses fautes imputables à un


expert judiciaire. Nul n'est infaillible, pas même le juge, puisque les parties ont droit
au double degré de juridiction. Or, sur le fondement de l'article 83 COC, toute faute,
même légère, engage la responsabilité dès lors qu'elle est en relation de causalité avec
le préjudice. Toute négligence, toute imprudence, peut ainsi être source de
responsabilité. Parallèlement, l'expert assume nombre d'obligations prévues par le
Code de procédure civile et commerciale et tout manquement à ces obligations, qu'il

5 En principe, c’est à l'ordre judiciaire de connaître des actions tendant à rechercher la responsabilité personnelle d'un collaborateur, occasionnel ou non, du
service public. Cependant dans l'hypothèse particulière de l'expert, la compétence administrative paraît s'imposer en dépit de la qualité de personne privée
débiteur de l'indemnisation, car l'expert participe au service public de la justice administrative en vertu d'une décision du juge qui lui confie sa mission et fixe
un délai pour l'effectuer. Il exerce cette mission sous le contrôle du juge qui l'a commis, et celui-ci peut en modifier les termes en décidant d'une extension, en
lui permettant de s'adjoindre des sapiteurs ou en prolongeant le délai de remise du rapport. Juger de la responsabilité personnelle de l'expert qui n'a pas remis
son rapport dans le délai ou qui n'accomplit pas sa mission, conduit à apprécier directement ou indirectement la manière dont la juridiction administrative en a
déterminé les termes et conditions d'accomplissement. De même l'expert mis en cause pourrait opposer aux demandes indemnitaires des parties le fait de
certaines d'entre elles qui aurait provoqué son retard ou créé des difficultés pour remplir sa mission. Le comportement des parties devrait alors être apprécié au
regard des règles qui régissent le déroulement de la procédure au cours de laquelle intervient l'expertise (V. contra, D. Garreau, L'expert judiciaire et le service
public de la justice : D. 1988, chron. p. 97).
6 Cass. 1re civ., 19 mars 2002 JCP G 2002 p. 1760.

5
soit volontaire ou involontaire est susceptible d'engager sa responsabilité. Certaines
fautes sont d'ailleurs parfois constituées et relevées par la juridiction saisie de l'action,
mais rarement cependant.

Quelques exemples de fautes que l'expert peut commettre dans l'exercice de sa


mission peuvent être citées :

- accepter une mission dépassant sa compétence : le fait de figurer sur une liste
officielle d'expert n'entraîne pas en effet l'obligation pour l'expert d'accepter
n'importe quelle mission ; il lui est tout à fait possible de décliner la mission ;
- omettre d'avoir sollicité l'adjonction d'un spécialiste pour les questions
dépassant sa compétence ; ainsi l'expert comptable doit éventuellement se
faire assister d'un expert graphologue, le médecin recueillir parfois l'avis d'un
spécialiste ;
- négliger d'utiliser les moyens d'investigation qui auraient conduit à la
découverte de la vérité. Ainsi par exemple pour l'expert artistique. Ce dernier
peut engager sa responsabilité sur une fausse affirmation d'authenticité. La
Cour de cassation française dans une décision récente a précisé, à propos d'un
expert judiciaire, que « l'expert qui affirme l'authenticité d'une oeuvre d'art
engage sa responsabilité sur cette affirmation sans réserve ».
- ne se livrer qu'à un examen superficiel des documents à lui soumis, faute
retenue effectivement à l'encontre d'un expert en écritures.

L'expert pourrait aussi se montrer non objectif ou non impartial, ne pas effectuer des
constatations matérielles suffisantes, ou faire des affirmations mensongères, ce qui
constituerait autant de fautes engageant sa responsabilité.

Il pourrait aussi ne pas respecter les délais : la faute la plus caractérisée et celle d’une
situation de carence totale, et pas d'un simple retard7.
L'expert pourrait aussi ne pas respecter le principe du contradictoire et commettre une
faute de ce fait.

On signalera enfin deux décisions françaises récentes qui retiennent la responsabilité


de l'expert : la première pour une faute de négligence consistant à avoir sous-estimé
les désordres dans une maison d'habitation et préconisé des remèdes insuffisants ; la
seconde parce que l'expert, chargé d'évaluer la valeur d'une propriété, a négligé de se
procurer un certificat d'urbanisme fixant les conditions de constructibilité du terrain.

Compte tenu de la diversité des missions de l'expert et des domaines de compétence


dans lesquelles elles s'exercent, la gamme des fautes de négligence ou d'imprudence
est à l'évidence vaste. Mais en même temps, et même si la jurisprudence n'exige
formellement qu'une faute d'imprudence, il apparaît qu'elle ne retient jamais à son
encontre que des fautes vraiment caractérisées sinon grossières.

7 TA Caen, 14 avr. 1994 JCP G……… note de Jean-Jacques THOUROUDE, L'expert peut-il faire les frais de l'expertise ? L'attitude de l'expert n'ayant pas
rendu son rapport, dans le délai fixé, à la commune qui l'avait sollicité à plusieurs reprises, ni motivé ses observations devant le tribunal, constitue un
manquement grave à ses obligations. Dès lors, en application de l'article R. 161 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le
tribunal a pu décharger l'expert de sa mission et le condamner, après une juste appréciation des frais frustratoires exposés par la commune, à indemniser cette
dernière.

6
C'est que l'expert judiciaire, pour accomplir sa mission en toute indépendance, ne doit
pas être perpétuellement inquiété par une éventuelle responsabilité et par la crainte de
commettre une faute. En outre, l'expert est libre dans le choix de ses méthodes
d'investigation ; cette liberté et cette indépendance justifient que l'on ne retienne pas à
son encontre toute imprudence ou négligence.

A supposer qu'une faute soit retenue à l'encontre de l'expert, encore faut-il que le lien
de causalité avec le préjudice soit établi pour que la responsabilité de l'expert soit
engagée. C'est le second écueil.

2.2) Les obstacles liés à la preuve du lien de causalité avec le préjudice

Le préjudice peut être différent selon que l'erreur ou la faute de l'expert a été
découverte avant ou après le jugement.

S'il a été découvert avant, bien souvent c'est la nullité du rapport de l'expert qui sera
demandée et non une action en responsabilité qui sera engagée. On peut voir là aussi,
peut-être, l'une des raisons de la pauvreté du contentieux de la responsabilité ; les
parties se satisfont de ces sanctions atteignant le rapport et ne recherchent donc pas la
responsabilité personnelle de l'expert.

Après le jugement cependant, et s'il y a eu condamnation, la situation est différente et


le préjudice subi peut être plus important. Le problème toutefois est que ce préjudice
est la plupart du temps directement imputable à la décision rendue par le juge, même
si elle a été prise sur la base du rapport de l'expert.
Et c'est bien en effet dans la preuve du lien de causalité que réside la difficulté
spécifique qui conduit le plus souvent au rejet de l'action en responsabilité engagée
contre l'expert.

Elle tient à l'intervention du juge, car ce dernier n'est pas lié par l'avis de l'expert et
l'expertise n'est qu'un élément d'information offert au juge. Dès lors, l'intervention du
magistrat va « couvrir » en quelque sorte l'erreur ou la faute de l'expert. Et,
finalement, se plaindre de l'expert judiciaire, c'est aussi un peu, indirectement,
remettre en cause la décision du juge.

Comme le relève D. Garreau , « le juge n'étant pas lié par l'expertise, les fautes
d'analyse ou d'appréciation de l'expert ne peuvent être causes de dommages que dans
la mesure où elles sont reconduites par le juge ». Sauf s'il est seulement reproché à
l'expert d'avoir par sa carence retardé la solution du litige, ou s'il a violé le principe du
contradictoire, car dans ce cas, la recherche du lien de causalité n'amène pas à porter
une appréciation sur le travail du juge.

Certaines décisions sont allées jusqu'à considérer que le diagnostic posé par un expert
médical ne pouvait engager sa responsabilité, dès lors que « même s'il est erroné, il
n'est pas sûr que le rapport ait à lui seul provoqué le dommage, l'expert ne donnant
qu'un avis ». Plus près de nous, la Cour de cassation, dans une décision du 18 février
1997, approuve d'avoir écarté la responsabilité de l'expert judiciaire ayant fixé le
montant de l'indemnité d'éviction en fonction de la seule valeur du fonds de
commerce, sans tenir compte du droit au bail, « dès lors que la cause directe du
dommage invoqué se trouvait dans l'appréciation et la décision de la Cour d'appel ».

7
Ainsi, le lien qui existe entre l'intervention de l'expert judiciaire et le service public de
la justice apparaît par l'intermédiaire de cette appréciation du lien de causalité :
l'intervention de l'expert judiciaire s'insère dans un processus judiciaire qui aboutit
finalement à une décision de justice. Si l'on met en cause la responsabilité de l'expert,
il faudrait alors aussi mettre en cause celle du juge...

Le Tribunal de grande instance de Paris, dans une décision du 26 avril 1978 , a


cependant soutenu que l'expert est responsable de la décision du juge s'il a commis
une erreur qui a nécessairement déterminé cette décision, notamment du fait de
données purement techniques imposées au juge et échappant à son contrôle.

Mais alors, pourquoi ne pas imaginer que le juge lui-même, dont la décision a été
infirmée ou cassée, exerce contre l'expert une action en responsabilité parce qu'il lui a
fait rendre une mauvaise décision ?

B- La Responsabilité pénale

On peut imaginer en effet qu'un expert judiciaire engage une responsabilité pénale à
l'occasion de l'exercice de sa mission parce qu'il commettrait une indélicatesse ou une
malhonnête pénalement répréhensible. Le Code pénal permet de réprimer l’expert qui
viole le secret professionnel (1). La loi du 26 juin 1993 a comblé les lacunes du code
pénal dans la définition de la qualité de l’expert comme agent public (2).

1) La violation du secret professionnel

Parmi les infractions qu'un expert de par sa mission pourrait être plus facilement
appelé à commettre, certaines soulèvent certaines difficultés de qualification. Ainsi
par exemple de la violation du secret professionnel que l'expert est fréquemment
appelé à connaître, mais qui doit céder devant le juge, voire parfois devant des tiers
qui collaborent avec lui, ce qui nécessite des aménagements. L’article 254 du code
pénal punit d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 500 francs, les
médecins, …et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, de
secrets qu’on leur confie, qui hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se
porter dénonciateur auront révélé ces secret ». L’expert judiciaire est de ceux qui en
raison de leur profession détenteur de secret ; il est donc visé par l’article 254 du code
pénal d’autant plus que l’article 8 de la loi du 23 juin 1993 oblige l’expert judiciaire à
garder les secrets dont il a pris connaissance en vertu de sa mission.

2) La corruption

L’article 11 al. 1er précise que l’expert judiciaire est assimilé lors de l’exercice de sa
mission au fonctionnaire conformément aux dispositions de l’article 82 du code pénal,
et lui sont applicables les articles 83 à 94 dudit code.

3) Le faux

En cas de faux dont l'expert se rendrait éventuellement coupable : s'agit-il d'un faux
en écriture privée, ou publique, ce qui suppose alors que l'écrit constitué par le rapport
de l'expert est un acte public. C’est dans ce sens que se prononce l’alinéa 2 de l’article

8
11 de la loi du 26 juin 1993 « si l’expert commet sciemment un faux, il sera puni
conformément aux dispositions de l’article 172 du code pénal ».

Mais la loi du 26 juin 1993 garde le silence à propos de l'expert « menteur ». En cas
de mensonge à l'audience, pourrait-il être sanctionné sur le fondement du faux
témoignage, alors qu'il n'est pas témoin ?8 En l'absence de texte lui étendant la
sanction, la sanction du faux témoignage en cas de dénaturation des paroles qu'il
traduit, il est permis de se poser la question.

C- La responsabilité disciplinaire

L’article 18 de la loi du 23 juin 1993 prévoit que tout manquement de l’expert


judiciaire aux devoirs et à l’honneur de la profession l’expose à des sanctions
disciplinaires.

Les sanctions disciplinaires sont exposées indépendamment des autres sanctions


pénales et civiles voire même disciplinaires prononcées par des organismes
professionnels.

La loi de 1993 distingue les sanctions disciplinaires selon leur degré de gravité.

1) Les sanctions de premier degré

Ainsi, il y a les sanctions de premier degré comportant l’avertissement et le blâme.


Ces sanctions sont prononcées par le premier président de la cour d’appel au vu d’un
rapport du président du tribunal de première instance du lieu d’exercice de l’expert
judiciaire en question ou sur plainte d’une personne ayant intérêt. Avant de prononcer
la sanction, l’expert judiciaire mis en cause est invité de présenter ses observations
écrites dans un délai d’une semaine.

2) Les sanctions de deuxième degré

Les sanctions de deuxième degré sont plus graves. Elles comportent la suspension
d’accomplir des missions d’expertise pour une période maximale de trois ans et la
radiation définitive de la liste. Ces sanctions sont prononcées par le ministre de la
justice après avis du conseil de discipline.

La loi de 1993 détermine la composition et le mode de fonctionnement du conseil de


discipline.

Le conseil de discipline est institué au niveau de chaque cour d’appel, il est composé :

- Du premier président de la Cour d’appel, président


- D’un conseiller à la cour d’appel désigné par le premier président, membre
rapporteur
- Du président du tribunal de première instance dans le ressort duquel est
désigné l’expert judiciaire déféré.
8 L’article 241 du code pénal punit de la peine prévue pour l’infraction poursuivie, celui qui, dans une affaire pénale, altère sciemment la vérité, soit contre
l’accusé, soit en sa faveur, sans toutefois que cette peine excède celle de vingt d’emprisonnement. En matière civile, l’article 243 du code pénal punit de
l’emprisonnement pendant cinq ans et d’une amende de 1000 francs celui qui s’est volontairement rendu coupable de faux témoignage ou de faux serment.

9
- Deux représentants des experts en fonction dans le ressort de la cour d’appel
compétente, désignés par le ministre de la justice pour une période d’une
année renouvelable.

L’expert exerce ses droits de défense : il est convoqué par le président du conseil de
discipline par lettre recommandée avec accusé de réception quinze jour avant la date
de l’audience. Il a le droit d’obtenir communication de son dossier et de présenter
toutes conclusions écrites trois jours avant la réunion du conseil de discipline.
L’expert peut se présenter lui-même ou se faire assister par l’entremise d’un avocat ou
d’un expert délégué ou de toute autre personne de son choix. L’avis du conseil de
discipline doit être motivé.

Les sanctions de second degré doivent être réservées aux fautes de graves. Sont
considérées comme telles, le non-respect des obligations suivantes :

- le refus de mission sans motifs légitimes


- le refus de se présenter devant le tribunal
- l’octroi de délégation à un tiers l’accomplissement de la mission9
- le dépassement des délais pour la présentation du rapport d’expertise
- la non-restitution des documents à lui remis après exécution de la mission.

La liste n’est pas limitative. Ainsi la jurisprudence française a vu dans la violation du


principe du contradictoire10 ou l’indélicatesse11 une violation d’une règle
professionnelle. De même un fait pénalement répréhensible peut justifier une sanction
disciplinaire12, tel est le cas du détournement d’une une somme d'argent qui
caractérise un manquement à la probité13.

La loi ne prévoit pas un mécanisme spécifique de recours contre les sanctions


disciplinaires. On appliquera le régime de droit commun. Les sanctions de second
degré sont déférées devant le juge administratif14. Ce dernier peut apprécier si la
sanction prononcée est proportionnelle à la faute commise15. Il reste de savoir si le

9 Cass. 1re civ., 10 avr. 1996 JCP G 1996 p. 1330. Il y a lieu de prononcer la sanction disciplinaire de la radiation à l'égard d'un expert ayant gravement
manqué à ses obligations ; inscrit sur la liste nationale des experts sous la spécialité 960 "Toxicologie-Pharmacologie", il a confié à un laboratoire des
opérations qui ne constituaient pas de simples opérations matérielles, mais des analyses d'une haute technicité effectuées hors son contrôle et sa maîtrise ;
l'interprétation des résultats de ces opérations était effectuée par le laboratoire lui-même, auquel cet expert subdéléguait sa propre mission, son rôle se limitant
à recopier le rapport du laboratoire alors qu'il attestait avoir accompli personnellement sa mission. En agissant ainsi, l'expert, qui ne peut se prévaloir de sa
bonne foi, a gravement manqué à ses obligations, cette pratique étant contraire au caractère personnel de l'expertise.
10 Cass. 1re civ., 1er juin 1999 JCP G 1999 p. 2396. Un médecin expert qui ne fait participer, après la phase de l’examen clinique, que le seul médecin qui
avait été désigné par l'une des parties, la sanction de la radiation de la liste nationale des experts, qui n'a lieu d'être prononcée qu'en considération d'une telle
faute et dont les effets sont limités dans le temps, puisque l'expert radié peut solliciter son inscription sur une liste quelconque dans un délai de trois ans, n'est
pas disproportionnée à la gravité de la faute
11 CA Bourges, 1re ch., 5 oct. 1994 JCP G 1995 / n° 20 / IV/ 1219 Constituent, conformément à l'article 25 du décret du 31 décembre 1974, un manquement
grave à la déontologie des experts et notamment à l'obligation générale de dignité et de délicatesse de la part d'un expert judiciaire et justifient de ce fait sa
radiation, les propos suivants : "Je ne manquerai certainement pas de relever appel de la taxation dérisoire que vous me proposez (...) car je la considère (...)
comme insultante, démagogique, partisane et hors du temps. Vos conceptions sont trop égocentriques ; vous voulez tout à la fois la toute puissance d'antan, la
reconnaissance, l'amour et la servilité béate de vos auxiliaires. C'est trop...".
12 Cass. 1re civ., 12 mars 2002 JCP G.
13 CA Pau, 1re ch., 24 mai 1995 JCP G 1995 p. 2360 L'utilisation du titre d'expert honoraire à des fins privées pour faire pression sur un officier d'état civil
constitue une faute professionnelle grave justifiant le retrait du titre d'expert honoraire.
14 Dans la mesure où elles sont prononcées par le ministre de la justice.
15 Cass. 1re civ., 1er juin 1999 JCP G 1999 p. 2396 précité note 5.

10
juge administratif se reconnaît compétent pour des recours contre des sanctions de
premier degré16.

16 Dans la mesure où elles sont prononcées par le juge judiciaire.

11
CHAPITRE II : L’EXPERTISE JUDICIAIRE DE DROIT COMMUN17

On traitera successivement la décision de commettre un expert judiciaire (Section 1),


le déroulement de l’expertise (Section 2) et le rapport d’expertise (Section 3).

Section 1 : Décision de commission de l’expert

L’article 101 CPCC prévoit que s’il est nécessaire de procéder à une expertise, le juge
y recourera. Cet article ne dit pas dans quel cas l’expertise est nécessaire, mais il est
unanimement établi qu’elle est une mesure destinée à éclairer le juge sur une question
de fait, purement technique qui requiert des investigations complexes18. Le recours à
l’expertise est facultatif et relève du pouvoir d’appréciation souverain du juge.

§ 1 La compétence et le pouvoir d’appréciation du juge

1) La compétence
a) La compétence du juge de fond

N’importe quelle juridiction peut commettre un expert, qu’il s’agisse du tribunal de


première instance, la cour d’appel ou les tribunaux d’exception19 pendant un procès
en cours ou par le président du tribunal statuant en référé ou sur requête avant tout
procès au fond.

1) La compétence du juge des référés

a) La compétence d’attribution

L’expertise judiciaire ordonnée par le juge des requêtes ou le juge des référés est une
mesure d’instruction demandée par une partie en vue de préparer une action future. La
compétence du juge des référés pour l’ordonner mérite d’être précisée2021. Il est en

17 Bibl. : Denys DUPREY et Robert GANDUR, L'expert et l'avocat dans l'expertise judiciaire en matière civile. Guide des bons usages. Éd. LITEC ; Bernard
QUIGNARD, avec la collaboration de Denis HORAIST., Expertises insolites ; Batut, Les mesures d'instruction "in futurum", Rapport de la Cour de cassation,
1999 : Doc. fr. 2000, p. 99 ; Cadiet, Brèves observations sur l'expertise préventive en droit des sociétés, Mélanges Jeantin, Dalloz, 1998, p. 151 ; Droit
judiciaire privé, Litec, 2000, n° 1196, p. 514 ; Chabot, Remarque sur la finalité probatoire de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile : D. 2000,
chron. p. 256 ; Hory, Mesures d'instruction in futurum et arbitrage : Rev. arb. 1996, p. 191 ; Jeantin, Les mesures d'instruction in futurum : D. 1980, chron. p.
205 ; Jeuland, L'expertise commerciale : D. 2000, chron. p. 209 ; Théry, Les finalités du droit de la preuve en droit privé : Droits 1996, p. 24 ; Vincent et
Guinchard, Procédure civile, Dalloz, 1999, n° 1048, p. 754)
18 Art. 88 CPCC.
19 Les juridictions administratives peuvent commettre un expert. Un seul article (l’art. 44 nouveau) de la loi n°72-40 du 1er juin 1972, relative au tribunal
administratif, prévoit la possibilité de recourir à l’expertise comme une mesure d’instruction. Il sera fait application des règles de droit commun prévues par le
code de procédure civile et commerciale.
20 Cass. 2e civ., 7 janv. 1999 JCP G 1999 p. 1295 La cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 145 du Nouveau Code de procédure
civile, en décidant sans ajouter au texte une condition qu'il ne contenait pas, que la mesure demandée excédait les prévisions de cet article. La mesure
d'instruction demandée s'analysait en une mesure générale d'investigation portant sur l'ensemble de l'activité d'une société et tendant à apprécier cette activité et
à la comparer avec celle de sociétés ayant le même objet. Cette expertise était sollicitée par des commissaires-priseurs dans le cadre d'un éventuel litige
concernant les tarifs de location des salles de ventes aux enchères.
21 Cass. 1re civ., 19 mars 2002 JCP G 2002 p. 1760. 1° S'agissant de la désignation d'un expert demandée aux fins de mettre en jeu la responsabilité
professionnelle d'un expert judiciaire précédemment commis, le juge des référés ayant, en l'espèce, épuisé sa saisine en prescrivant, avant tout procès et en
vertu de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile les mesures destinées à établir la preuve des faits dont pouvait dépendre la solution du litige, le
pourvoi est recevable.

12
effet enseigné que le juge des référés est compétent pour prononcer toute mesure
urgente sans préjudicier au fond. La même limite à la compétence du juge des référés
s’applique lorsqu’il ordonne une mesure d’instruction par un expert. Il a été ainsi jugé
qu’une mesure d'expertise demandée au président du tribunal administratif statuant en
référé qui avait pour objet d'apprécier le bien-fondé du refus d'agrément opposé au
requérant par l'Institut national des appellations d'origine ne pouvait que préjudicier
au principal22.

Un conflit de compétence peut survenir entre le juge judiciaire des référés et le juge
administratif des référés. Le juge judiciaire des référés peut ordonner une mesure
d'instruction avant tout procès dès lors que le fond du litige est de nature à relever, ne
serait-ce qu'en partie, de la compétence des juridictions de l'ordre auquel il appartient.
Il en est ainsi même si une procédure a été entamée devant le juge administratif
lorsque la mesure concernée tend à permettre au demandeur en référé d'intenter une
procédure de nature judiciaire. La demande faite par le contribuable concernait des
pièces déposées au greffe d'une juridiction de l'ordre judiciaire et à leur comparaison
par un huissier de justice dans le cadre de la procédure de visite et saisie prévue par
l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, cette vérification étant de nature à
fonder éventuellement une action devant une juridiction civile ou pénale. De ce fait, le
juge des référés était compétent pour ordonner la mesure sollicitée23.

La saisine du juge des référés doit être faite avant la saisine du juge de fond. Mais
l'existence d'autres instances au fond engagées contre la défenderesse, auxquelles le
demandeur n'était pas partie, ne fait pas obstacle à l'organisation d'une mesure
d'expertise par le juge des référés24. Le juge des référés est incompétent pour ordonner
une contre-expertise à la suite d’une première ordonnée ad futurum. Une nouvelle
demande est possible devant le juge du fond.

En ordonnant par un précédent arrêt la mesure d'expertise sollicitée, la cour avait


épuisé les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article 145 du Nouveau Code de
procédure civile ; toute demande de nouvelle mesure d'instruction motivée par
l'insuffisance des diligences du technicien commis ne pouvait relever que de
l'appréciation du juge du fond. Mais s’il ressort des productions qu'avant la mesure
d'expertise ordonnée en référé, le président du tribunal avait, sur requête, autorisé un
constat. Il s'ensuit que le moyen, en tant qu'il expose que la saisine de la juridiction
des référés avait été épuisée, et qu'un nouvel expert avait été commis, est inopérant.
En donnant mission au technicien de donner un avis sur le préjudice qui avait pu être
subi, la cour d'appel n'a pas excédé les pouvoirs25.

b) La compétence territoriale

Une clause attributive de compétence territoriale est inopposable à la partie qui saisit
le juge des référés. Normalement, le juge territorialement compétent pour statuer sur
une demande d'instruction est le président de la juridiction appelée à connaître d'un

22 CE, 2e et 6e sous-sect., 10 mai 1995 JCP G 1995 p. 1703.


23 Cass. com., C. sans renvoi, 12 mars 1996 JCP G 1996 p. 1049.
24 Cass. 2e civ., 8 juin 2000 JCP G 2000 p. 2316 ; Cass. 2e civ., 17 juin 1998 JCP G 1998 p. 2772. La demande introduite devant le tribunal de commerce ne
pouvait, s'agissant d'une procédure de référé, faire obstacle à l'application de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, par le juge d'un autre tribunal.
25 Cass. 2e civ., 24 juin 1998 JCP G 1998 p. 2869.

13
litige éventuel sur le fond, mais il n'est pas interdit au demandeur de saisir en référé le
président de la juridiction du lieu où doit être exécutée la mesure demandée26.

c) L’intérêt

L’expertise doit être ordonnée dès lors que le demandeur justifie d’un intérêt
légitime27. Mais le juge n’est tenu de caractériser le motif légitime au regard du ou des
différents fondements juridiques de l'action que la partie demanderesse se propose
d'engager28.

La mesure ordonnée doit être une mesure d'instruction légalement admissible. Mais le
principe de la séparation des pouvoirs, la règle de l'autorité du pénal sur le civil, le
droit au respect de la vie privée ne peuvent s'opposer à ce que le juge des référés
ordonne une mesure d'instruction in futurum. Le secret des affaires n’est pas en soi un
obstacle à l’ordonnance d’une telle mesure29. Le secret médical peut en revanche

26 Cass. 2e civ., 17 juin 1998 JCP G 1998 p. 2772.


27 Cass. 3e civ., 18 déc. 2002 JCP N 2003 p. 1439. Le bailleur de locaux à usage commercial, après avoir notifié au preneur son refus de renouveler le bail, lui
a ultérieurement offert le paiement d'une indemnité d'éviction. Il ne peut être fait grief à l'arrêt attaqué, statuant en référé, d'ordonner une expertise sur le
montant des indemnités d'éviction et d'occupation. En effet, ayant exactement retenu qu'aucun texte relatif au bail commercial ne s'opposait à l'exercice par le
juge des référés des pouvoirs que lui confère l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile et constaté que les pourparlers engagés entre les parties
n'avaient pas abouti et qu'aucun juge du fond n'était saisi de demandes concernant l'indemnité d'éviction offerte par le bailleur et l'indemnité d'occupation due
par le locataire qui se maintenait dans les lieux, la cour d'appel en a souverainement déduit que le bailleur disposait d'un motif légitime, au sens du texte
précité, pour solliciter une expertise aux fins d'évaluation de ces indemnités. Cass. com., 26 avr. 2000 JCP G 2000 p. 1973. Les pouvoirs du juge des référés,
lorsque, comme en l'espèce, il statue en application de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, ne sont pas subordonnés aux conditions prévues par
l'article 808 du même code.
Pour accueillir la demande d'expertise formée par le créancier d'une société en redressement judiciaire qui se plaignait d'opérations suspectes réalisées par le
débiteur postérieurement à la date de cessation des paiements fixée par le tribunal, l'arrêt retient qu'en sa qualité de créancier il peut avoir intérêt à demander au
mandataire judiciaire d'exercer les actions spécifiques de la loi du 25 janvier 1985. En statuant ainsi, alors que, en sa qualité de créancier de l'entreprise
débitrice, non habilité à exercer les actions spécifiques des articles 107 et 108 de la loi du 25 janvier 1985, le demandeur ne justifiait pas d'un motif légitime
pour demander l'institution d'une mesure d'instruction destinée à établir l'irrégularité alléguée d'actes préjudiciables aux créanciers et la connaissance de son
état de cessation des paiements par ses cocontractants, la cour d'appel a violé l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile.
28 Cass. 2e civ., 8 juin 2000 JCP G 2000 p. 2316.
29 Cass. 2e civ., 7 janv. 1999 JCP G 1999 p. 1294. Le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article
145 du Nouveau Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la
protection des droits de la partie qui les a sollicitées. La cour d'appel a usé de son pouvoir souverain d'apprécier l'existence d'un motif légitime, pour ordonner
une expertise avant tout procès. En effet, après avoir relevé qu'une société vendait des automobiles en les qualifiant "d'occasions neuves", à un prix moindre
que celui pratiqué par le concessionnaire de la marque, la cour d'appel a estimé que le demandeur justifiait d'un intérêt légitime à vérifier que les véhicules en
question avaient bien fait l'objet d'une première mise en circulation réelle ;
add. Cass. com., R., 14 nov. 1995 JCP G 1996 p. 15. Dès lors qu'elle avait retenu, d'un côté, que rien ne laissant prévoir dans les informations financières
optimistes publiées avec l'aval des commissaires aux comptes la chute importante et brutale du cours des actions d'une société, ses actionnaires avaient un
motif légitime de faire vérifier les conditions dans lesquelles ceux-ci avaient exercé leurs fonctions au sein de cette société et éventuellement engagé leur
responsabilité sur le fondement de l'article 234 de la loi du 24 juillet 1966 et, d'un autre côté, que l'expertise ordonnée, dont la mission était parfaitement
définie, tendait bien à établir, avant tout procès, la preuve des faits nécessaires à la solution d'un tel litige, la cour d'appel a décidé à bon droit que les
commissaires aux comptes ne pouvant invoquer le secret professionnel auquel ils sont tenus dans l'intérêt de la société bénéficiaire pour faire obstacle à toute
action en responsabilité dirigée contre eux, la mesure d'instruction, qui leur enjoint de produire les documents permettant de rechercher s'ils avaient assuré
leurs fonctions au sein de la société avec la diligence et la prudence requises, était légalement admissible ;
add. Cass. 3e civ., 24 févr. 1999 JCP G 1999 p. 1701. Ayant relevé qu'aucun état des lieux n'avait été établi lors de l'entrée dans les lieux des preneurs, et que
l'expert devait tenter de déterminer les modifications intervenues depuis leur entrée en jouissance, la cour d'appel, qui a constaté le conflit opposant les parties,
a souverainement retenu que la mesure d'instruction sollicitée permettant de conserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ultérieur
était légitime ;
add. Refus d'une expertise in futurum susceptible de porter atteinte à la confidentialité d'informations, alors qu'aucune faute n'était susceptible d'être établie ou
n'avait été établie note sous CA Limoges, ch. civ., 2e sect., 28 mars 2001, JCP G 2001 p. 10614. La mesure d'instruction sollicitée par la société d'intérim
intimée en vertu de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile tend à faire établir l'identité et le nombre de travailleurs intérimaires précédemment mis
à la disposition de la société appelante par l'intimée qui ont cessé de s'inscrire auprès de cette dernière et sont désormais mis à la disposition de la société
appelante par des entreprises d'intérim concurrentes, le chiffre d'affaires que représente ce transfert pour les entreprises concurrentes et le préjudice qui en
résulte pour la société intimée. L'expertise sollicitée ne tend nullement à établir l'existence de fautes qui fonderaient une action en responsabilité, ce qui ne

14
poser problème30. Si les dispositions relatives au secret professionnel font obstacle à
ce que l'identité d'un malade soit divulguée sans son consentement, toute partie qui se
prétend victime d'un dommage doit pouvoir faire effectivement valoir ses droits en
justice. Il appartient alors au juge, lorsqu'une expertise impliquant l'accès à des
informations couvertes par le secret médical est nécessaire à la manifestation de la
vérité, de prescrire des mesures efficaces pour éviter la divulgation de l'identité des
malades ou consultants31.

2) Le pouvoir d’appréciation du juge

Quelle que soit la juridiction saisie, le juge dispose d’une entière liberté pour décider
du choix non seulement quant à la mesure elle-même32 mais aussi quant au technicien.

pourra se faire qu'ultérieurement lors d'une instance au fond, mais seulement à faire évaluer le préjudice qui en résulterait à supposer ces fautes établies et il ne
peut y être fait droit dès lors qu'elle implique la divulgation d'informations confidentielles concernant des tiers avant que tout agissement de nature à engager la
responsabilité soit établi
30 CA Rennes, 7e ch., 15 mars 2000 JCP G 2001 p. 2656. Un médecin traitant doit être condamné à remettre à un expert judiciaire le dossier médical d'un
patient décédé dès lors que l'expertise tend à établir son état de santé au moment d'une donation sans que ce médecin puisse opposer le secret médical. Le
médecin est dépositaire d'informations à caractère secret dont la révélation lui est interdite sauf dans les cas où la loi l'impose ou l'autorise ; ces informations
appartiennent au malade lui-même ou à ses ayants droit. Le secret médical n'est donc pas un dogme absolu dans la mesure où, édicté dans l'intérêt du patient, il
ne peut lui être opposé ainsi qu'à ses ayants droit quand la détermination de leurs droits dépend des renseignements recherchés ; en l'espèce, la mesure
d'expertise visant à établir l'état de santé du donataire ne va pas à l'encontre de la protection de ses intérêts ; l'expert judiciaire est, par ailleurs, mandaté par la
justice et non par une partie ou par un tiers : le secret médical doit donc en l'espèce céder devant l'expertise.
La chambre criminelle a jugé par un arrêt du 17 juin 1980 (Bull. crim., n° 193 ; avec une intéressante note du bâtonnier Flëcheux au JCP 1982, éd. G, II,
19721), que si un contrôleur de la direction générale de la concurrence ne pouvait exiger d'un médecin, directeur de laboratoire d'analyse, la communication de
registres mentionnant l'identité des malades, il en serait autrement si des mesures efficaces avaient été prises pour permettre, dans le respect du secret
professionnel, le prélèvement des seules indications intéressant le contrôle économique, à l'exclusion de toute précision concernant l'identité des malades ou
consultants…
Le juge administratif de son côté n'autorise par les professionnels de la santé à se soustraire aux obligations comptables et fiscales en invoquant le secret
couvrant l'identité de leurs patients. Ils doivent faire figurer les indications comptables imposées sur leurs livres ou registres, sauf à occulter les identités des
malades en raison du secret médical.
Par un arrêt du 8 décembre 1987, la première chambre a confirmé que le juge pouvait donner à l'expert le droit de se faire communiquer un dossier médical,
mais que les parties ne pouvaient y accéder, leur seul droit étant de désigner un médecin, qui au cours des opérations d'expertise, pourrait prendre connaissance
des documents médicaux.
31 Cass. 1re civ., 18 mars 1997 JCP G 1997 p. 22829 .
32 Art. 12, 86 et 114 CPCC. Cass. 3e civ., 22 janv. 1997 JCP N 1997, p. 770. Ayant constaté que les bailleurs invoquaient une modification des facteurs locaux
de commercialité dans le quartier, sans apporter aucune justification à l'appui de leur demande, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'ordonner une expertise, a
exactement retenu que le montant du loyer révisé devait être fixé selon les indices du coût de la construction de l'Institut national de la statistique et des études
économiques (INSEE) ; ; Cass. 3e civ., 28 mai 1997 JCP N 1997 p. 1354 Ayant relevé que le preneur se prévalait de la faute du bailleur pour lui dénier le droit
d'invoquer la résiliation de plein droit du bail en conservant ainsi le droit à une indemnité d'éviction, en application de l'article 9-2° du décret du 30 septembre
1953 et que la ruine de l'immeuble, se traduisant par une menace d'effondrement du premier étage, n'était pas contestée par le locataire, la cour d'appel qui a
retenu que le bail était résolu de plein droit, a souverainement apprécié l'opportunité d'ordonner une mesure d'instruction pour rechercher les causes de la ruine
du bâtiment.
Cass. 1re civ., 18 juin 1996 JCP N 1996 p. 1728 L'associé d'une SCP de notaires qui exerce la faculté de retrait ouverte par l'article 18 de la loi du 29 novembre
1966 a droit à la valeur de ses parts et peut prétendre à l'ensemble des droits patrimoniaux détenus au jour du retrait et incluant sa quote-part de la valeur du
droit de présentation de clientèle. Après avoir relevé justement que l'article 31, alinéa 2, du décret du 2 octobre 1967, qui ne contient aucune disposition
particulière au paiement des parts sociales du notaire en cas de retrait au sens strict, mais assimile seulement cette hypothèse au retrait avec cession de parts
quant au moment où s'achève l'exercice professionnel de l'officier ministériel, la cour d'appel a relevé justement que ce texte n'affectait en rien le
remboursement des parts sociales du notaire, tout en préservant jusque-là la rémunération de son capital, de sorte que le retrayant était en droit de réclamer
paiement de ses parts. Il résulte des articles 1843-4 du Code civil, 101 et 102 du décret du 2 octobre 1967, qu'à défaut d'accord des parties, le prix de cession
des parts sociales est fixé par un expert désigné d'un commun accord ou, à défaut, par le président du tribunal de grande instance.
Viole ces textes, l'arrêt qui, pour condamner une SCP de notaires à verser à l'associé retrayant telle somme représentant la valeur de ses parts, estime qu'une
expertise est inutile, dans la mesure où, à la même période, la même somme a été proposée à un autre associé détenteur d'un nombre identique de parts ;
add. Cass. 1re civ., R., 29 nov. 1994 JCP N 1995 p. 836 Il ne saurait être reproché à une cour d'appel d'avoir rejeté la demande de rectification d'état civil dès
lors que l'intéressé, qui invoquait la rectification portée sur les registres de l'état civil algérien, ne produisait ni la décision ayant ordonné cette mesure, ni les
éléments de preuve au vu desquels elle avait été prise, et que la cour d'appel a souverainement estimé que les documents soumis à son examen étaient
dépourvus de toute valeur probante, notamment parce qu'ils ne donnaient aucune indication utile sur l'état civil des parents de l'intéressé. En estimant, dans

15
Il arrive cependant que le juge estime que l’expertise est de droit dans certaines
matières, telles que la filiation33, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y
procéder34. Le tribunal peut revenir sur sa décision de commettre un expert si des
raisons objectives le justifient35 et après motivation36. L’expertise ne peut être
ordonnée pour suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve37.

§ 2 Mission de l’expert

L’expert doit se limiter à donner un avis technique. Il ne doit jamais porter


d’appréciation d’ordre juridique que ce soit pour appliquer une règle de droit ou une
convention et par voie de conséquence le juge ne peut lui déléguer ses pouvoirs38.
Le juge peut ainsi, prescrire que certains travaux doivent être exécutés, et ordonner
qu’ils soient accomplis sous la surveillance de l’expert, mais il ne peut retenir la
responsabilité affectant un immeuble, et commettre un expert pour définir les travaux
de remise en état, les évaluer et les faire exécuter par une entreprise de son choix. De
même le juge ne peut demander à l’expert de dire si une demande d’honoraires est
fondée eu égard aux conventions intervenues entre deux parties et aux textes
applicables.

Cette limite à la mission de l’expert n’est pas toujours comprise par les tribunaux et
par les experts. Mais la sanction n’est pas la même. Ainsi, parfois les tribunaux
chargent l’expert de vérifier si le locataire a fait dans les lieux loués des modification
interdites par la convention ou des améliorations autorisées39. Dans un tel cas la
décision du juge fixant la mission de l’expert est nulle. En revanche, aucune
disposition ne sanctionne, par la nullité, l'inobservation des obligations imposées au
technicien commis. Le tribunal tiendra pour surabondantes et dissociables des autres
éléments du rapport les appréciations juridiques de l'expert40.

L’expert ne peut dépasser son mandat ni recevoir des témoignages de la part des
tiers41.

l'exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation de l'opportunité d'une mesure d'instruction, que l'expertise sollicitée ne permettrait pas d'obtenir des
renseignements pertinents sur l'âge réel de l'intéressé, les juges du second degré ne se sont pas déterminés par des motifs dubitatifs.
33 Selon l’article 62 du code de droits et procédures fiscaux, « dans les litiges relatifs aux droits d’enregistrement ou de l’impôt sur le revenu au titre de la
plus-value immobilière, le tribunal ordonne d’office une expertise pour évaluer la valeur vénale des immeubles, des droits immobiliers et de fonds de
commerce cédés ».
34 Cass. 1re civ., 28 mars 2000 JCP N….. ; Cass. 1re civ., R., 7 juin 1995 JCP N 1995 p. 1701. Le défendeur à l'action en recherche de paternité naturelle
ayant sollicité de la cour d'appel, après qu'un examen comparé des sangs ait conclu à une probabilité de paternité de 1 pour 25.000, une nouvelle expertise
selon la technique de l'empreinte génétique, la cour d'appel a usé de son pouvoir souverain d'appréciation en refusant d'ordonner cette nouvelle expertise qui ne
présentait qu'une chance négligeable d'aboutir à un résultat différent, l'examen comparé des sangs présentant le caractère d'une méthode médicale certaine.
35 Cass. Civ. 3945 du 22 déc. 2000, Bull., I, p. 21.
36 Cass. Civ. 3741 du 5 mars 1984 Bull 1984, I, p. 90.
37 Cass. 1re civ., R., 10 mai 1995 JCP N 1995 p. 1516. La cour d'appel a souverainement relevé qu'aux termes de leur contrat de mariage les époux étaient
réputés avoir fourni au jour le jour leur part contributive. Elle en a justement déduit que n'étant assujettis à aucun compte entre eux, l'épouse n'était pas tenue de
justifier de l'utilisation des sommes reçues de son mari pendant le mariage et qu'il incombait à celui-ci de prouver que les opérations effectuées sur le
patrimoine de son épouse avaient effectivement été réalisées avec des fonds qu'il lui avait remis pendant le mariage, allégation au soutien de laquelle il
n'apporte aucun document. La cour d'appel a donc fait une exacte application de l'article 146 du Nouveau Code de procédure civile aux termes duquel une
expertise ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.
38 Cass. Civ. 4608 du 17 oct. 2000, Bull., 2000, I, p. 36; Cass. 2e civ., 17 juin 1998 JCP G 1998 p. 2772. ..b) En confiant au technicien la mission de
rechercher, sans que l'exécution de cette mission perturbe l'audit prévu par le protocole, les conditions du montage juridique et financier d'une opération de
rachat de société, les juges n'ont pas demandé à l'expert de trancher une question de droit.
39 Cass. Civ. 1563 du 4 oct. 2000, Bull., 2000, I, p. 41.
40 Cass. 1re civ., 7 juill. 1998 JCP G 1998 p. 3026.
41 Cass. Civ. 12762 du 12 déc. 1985 Bull 1985 II, p. 92.

16
§ 3 Contenu

Normalement, par souci d’économie un seul expert est nommé42, sauf si le juge
estime nécessaire de désigner plusieurs.

Si l’Etat ou une collectivité publique est partie au procès, l’expertise ne peut se faire
que par trois experts, à moins que les parties ne consentent qu’il y soit procédé par un
seul43. La règle n’est pas d’ordre public et sa violation ne peut être soulevée pour la
première fois devant la cour de cassation44. Des textes spéciaux peuvent déroger à la
règle de la multiplicité des experts pour l’Etat. Ainsi l’article 18 de la loi du 11 août
1976, relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique prévoit que le juge de
référé désigne un expert unique pour déterminer le montant de l’indemnité provisoire
d’expropriation. Le juge des référés ne peut déroger à cette règle et désigner plusieurs
experts à la fois que si deux conditions sont vérifiées : d’une part, les experts doivent
être de spécialité différente et d’autre part, l’immeuble exproprié doit comporter des
installations commerciales ou industrielles45.

Par ailleurs, selon la cour de cassation, les entreprises publiques sont soumises à la
solution de droit commun du moment qu’elles sont régies par des règles de droit
privé46.

Il arrive cependant qu’une affaire nécessite la commission de plusieurs experts


spécialisés dans des domaines différents. Dans ce cas, le juge comme s’il ordonne
autant d’expertises qu’il nomme d’experts.

L’expert est choisi librement par le juge à défaut d’accord entre les parties. Certes, il
existe une liste officielle d’experts judiciaires47 mais elle n’a qu’une valeur indicative.
Le juge peut choisir un expert en dehors de la liste48 et sa liberté n’a de limite que le
respect de l’exigence d’une spécialisation chez l’expert49.

La décision désignant le ou les experts doit indiquer :

- La mission avec toute précision et exactitude ainsi que les diverses opérations
à accomplir 50;
- Le montant de la provision à avancer sur les frais de l’expertise et la
désignation de la partie qui en est tenue.
- Le délai imparti pour le dépôt du rapport d’expertise51.
- En pratique, la décision commettant l’expert expose les circonstances qui
rendent nécessaire l’expertise.

42 Art. 101 CPCC.


43 Aart. 102 CPCC
44 Cass. Civ., 17707, 15 nov. 1989, Bull., 1989, p. 408.
45 Cass. Civ., 70614, 8 juin 1999, Bull., I, p. 53.
46 Cass. Civ., 42199, 22 oct. 1996, Bull., 1996, p. 38.
47 Voir supra chapitre I.
48 Cass. Civ., 5827, 25 nov. 1982, Bull., 1982, IV, p. 65.
49 Cass. Civ., 33874, 9 nov. 1994, Bull., 1994, p. 34.
50 Il appartient au juge, lorsqu'une expertise impliquant l'accès à des informations couvertes par le secret médical est nécessaire à la manifestation de la vérité,
de prescrire des mesures efficaces pour éviter la divulgation de l'identité des malades ou consultants.
51 Art. 103 CPCC.

17
§ 4 Saisine de l’expert

Dès la désignation, le greffier informe l’expert en lui remettant copie de la décision le


désignant52. L’expert peut, dans les 5 jours qui suivent la réception de la mission qui
lui a été confiée, demander à être déchargé. Dans ce cas, le président du tribunal ou
son délégué pourvoit à son remplacement53. Il ne peut demander sa décharge que pour
un motif légitime54.

L’expert peut prendre connaissance des pièces de la procédure mais il ne peut se faire
les remettre qu’avec l’autorisation du juge55.

§ 5 Paiement de l’avance

La décision ordonnant l’expertise indique le montant de la provision à avancer à


l’expert sur les frais de l’expertise et la partie qui en est tenue. C’est normalement la
partie à qui incombe la charge de la preuve, ce sera généralement le demandeur mais
le juge peut désigner comme débiteur de l’avance le défendeur à la demande
d’expertise qui a acculé la victime à former une demande en justice pour faire valoir
ces droits. Il est normalement interdit à l’expert de réclamer aux parties ou seulement
à l’une d’entre elles une quelconque autre somme.

Le juge fixe librement le montant de l’avance. Normalement, il doit se rapprocher de


la rémunération définitive prévisible pour permettre aux parties de se faire une idée
précise du coût et que l’expert ait une garantie d’être payé une fois l’expertise
achevée. Mais en pratique, les juges fixent une somme modique, ce qui n’est pas sans
entraîner l’agacement des experts.

L’ordonnance de nomination fixe le délai de paiement de la provision56. Rien


n’empêche son fractionnement si son montant est élevé. Le juge peut proroger le délai
de paiement.

A défaut de versement de la partie désignée ou pour toute autre partie de la provision


dans le délai imparti, l’expert n’est pas tenu d’accomplir sa mission57.

Le défaut de paiement de l’avance, entraîne la caducité de la décision commettant


l’expert. Il peut être dérogé à cette sanction en cas de motif légitime.

§ 6 Voie de recours

Ni les décisions ordonnant l’expertise, ni celles relatives au montant de la provision


ne sont susceptibles d’appel indépendamment du jugement de fond.

L’ordonnance de référé qui ordonne une expertise sur le fondement des articles 201
du code de procédure civile et commerciale peut faire l’objet d’un appel58. En

52 Art. 105 CPCC.


53 Art. 106 CPCC.
54 Art. 109 CPCC.
55 Art. 105 CPCC.
56 Art. 104 CPCC.
57 Art. 104 CPCC.

18
revanche, une ordonnance sur requête peut faire l’objet d’un recours en rétractation
devant le juge qui l’a ordonnée ; l’appel interjeté directement sera déclaré
irrecevable59.

Si après l’exercice d’un recours, le jugement est annulé, la nullité s’étendra au rapport
d’expertise qui en est l’exécution60.

§ 7 Récusation

L’expert désigné peut être récusé. Les motifs de récusation sont les mêmes que ceux
de reproche de témoins prévus à l’article 96 CPCC :

- Pour des raisons d’inimité manifeste. Il a été jugé dans un procès entre un
syndicat de copropriétaires et un vendeur d’immeuble en état futur
d’achèvement, constitue l’inimité notoire, les relations familiales existant entre
l’expert désigné et l’un des copropriétaire ;
- S’il a un intérêt personnel à expertiser61 ;
- S’il a reçu des cadeaux, en cours d’instance, de la partie qui a sollicité
l’expertise ;
- S’il est, au moment de l’expertise, créancier ou débiteur de l’une des parties.
- S’il est mandataire ou tuteur de la partie qui demande l’expertise ;
- Pour des raison de parenté, en ligne directe ascendante ou descendante à
l’infini et en ligne collatérale, jusqu’au 6ème degré ;
- S’il est condamné pour infraction portant atteinte à l’honneur.

58 Cass. 1re civ., 6 déc. 1994 JCP N 1995, p. 977 : Il résulte de l'article 1843-4 du Code civil, auquel se réfère l'article 28 du décret du 2 octobre 1967 modifié,
qu'en cas de contestation des droits sociaux, le président du tribunal de grande instance désigne un expert par une ordonnance rendue en la forme des référés «
sans recours possible », cette expression s'appliquant au pourvoi en cassation. Est donc irrecevable le pourvoi formé par un notaire à la suite de son retrait forcé
d'une société civile professionnelle, motivé par une condamnation disciplinaire, l'absence éventuelle de caractère définitif de cette décision n'induisant pas un
excès de pourvoi susceptible de donner ouverture à cassation contre l'ordonnance nommant un expert aux fins d'évaluer les parts sociales
59 Cass. Civ. 34341, 7 fév. 1995, Bull. 1995, p. 45 ; Cass. Civ. 14944, 3 août 1986, Bull. 1986, p. 59.
60 Cass. 3e civ., 31 oct. 2001 JCP G 2001 p. 2981 Aux termes de l'article 625 du Nouveau Code de procédure civile, sur les points qu'elle atteint, la cassation
replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé. Elle entraîne sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de
conséquence de toute décision, qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. Ainsi, la
cassation en toutes ses dispositions d'un arrêt entraîne de plein droit la nullité de l'expertise qui en est l'exécution.
61 Cass. 1re civ., 6 juill. 2000 JCP E 2001 p. 797 in chronique de GARAUD Éric, Droit des affaires et droits de l'homme. La saisie-contrefaçon est une mesure
accessoire au procès à venir. D'où la nécessité de la soumettre aux principes d'indépendance, d'impartialité et d'égalité des armes qui caractérisent le procès
équitable selon l'article 6, § 1 de la CEDH. Le titulaire d'une marque, le breveté, ou à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit a-t-il le droit de faire exécuter, en vertu
d'une ordonnance du président du tribunal de grande instance, une saisie-contrefaçon par tout huissier assisté d'un expert de sa convenance ? Insensible aux
objections tirées du droit européen, la Cour d'appel de Paris, à propos d'une saisie de logiciel, avait appliqué à la lettre l'article L. 132-4 du Code de la propriété
intellectuelle et toléré que le requérant se mandate lui-même comme expert chargé d'accompagner l'huissier instrumentaire (CA Paris, 23 sept. 1997 : D.
affaires 1997, p. 1261). La décision est censurée par un arrêt du 6 juillet 2000 émanant de la première Chambre civile de la Cour de cassation (JCP E 2001, n°
1, p. 33, note H. C). Visant l'article 6, § 1 de la CEDH, la Haute juridiction affirme que la personne désignée pour faire office d'expert doit être indépendante
des parties, faute de quoi la saisie est nulle. Cela signifie t-il que la volonté du saisissant ne peut plus intervenir dans la désignation de l'expert, qui serait alors
présumé oeuvrer sous la dépendance d'une partie ? L'arrêt ne postule pas une solution aussi extrême. Le respect du droit au procès équitable interdit
simplement au saisissant de choisir de manière discrétionnaire qui il veut. Le demandeur, afin de ne pas être suspecté de connivence avec l'intervenant, en sera
réduit à opter pour un technicien qui n'ait pas de liens particuliers avec lui, mais aussi qui jouisse d'un statut propre à le prémunir contre les influences
extérieures. En pratique, il faudra donc s'en remettre à un expert véritable, autrement dit un homme de l'art assermenté, admis à porter le titre qui correspond à
ses fonctions. Reste l'hypothèse exceptionnelle d'une contrefaçon alléguée dans un domaine technologique si pointu que seul un oiseau rare, qui se trouve être
un salarié ou un conseil du poursuivant, peut assister utilement l'huissier qui opère la saisie. Dans une affaire concernant un négociant en vins condamné pour
frelatage à la suite d'une expertise réalisée par un agent de l'institut agricole qui avait provoqué le déclenchement de l'action publique, la Cour européenne des
droits de l'homme a admis que la difficulté de trouver un spécialiste d'un niveau adapté à la complexité des faits du litige pouvait justifier une atténuation de
l'exigence d'impartialité de l'expert (CEDH, 28 août 1991, Brandstetter c/ Autriche : Série A, n° 211). Le manque d'auxiliaires compétents est donc la seule
limite à la prohibition de tout lien de subordination entre une partie et l'expert mais il n'est pas sûr que la jurisprudence française l'accepte car "il faut voir là un
nouveau signe inquiétant de la démission du droit au profit de la science" (J.-P. Marguénaud, Le droit à une expertise équitable : D. 2000, chron. p. 111).

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La récusation doit avoir lieu dans un délai ne dépassant pas 5 jours dont le point de
départ est la date où la partie en a eu connaissance de la nomination62.

Il est statué sur la récusation de l’expert comme en matière de reproche à témoin. A


cet effet, l’article 98 CPCC distingue selon que le motif de reproche est contesté ou
non.

Si le motif de reproche est contesté, l’expertise se déroulera quand même à charge


pour la partie qui invoque le reproche à en rapporter la preuve dans le délai imparti
par le juge rapporteur ; celui-ci laisse au tribunal le soin d’apprécier le motif de
reproché au moment de statuer sur le fond.

S’il s’agit d’un reproche de droit non contesté, l’expert sera relevé.

La récusation de l’expert est inopérante si le motif de récusation est le fait de la partie


qui l’invoque, et ce postérieurement à sa nomination. Toutefois la récusation est
admise si les motifs se sont produits à l’expiration du délai du 5 jours et sont étrangers
à la partie qui les invoque ou si cette partie démontre qu’elle n’en a eu connaissance
qui après l’expiration de ce délai63.

Il ne faut pas confondre la récusation de l’expert et la contestation relative à sa


qualification professionnelle, celle-ci pouvant être élevée à tout moment64.

§ 8 Remplacement

En cas où l’expert ne remplit pas sa mission dans le délai imparti, comme en cas où la
récusation est admise, il est remplacé65. Même si le CPCC garde silence sur ce point,
il n’est pas exclu que les parties demandent le remplacement de l’expert66.

Le remplacement n'a pas une finalité disciplinaire et à l'évidence il ne saurait


constituer une réparation des préjudices causés par la carence de l'expert. Le
remplacement a pour but d'assurer la bonne fin de la procédure dont le juge a été saisi.
En bref, la défaillance ou la négligence de l'expert ne doit pas bloquer le jugement
d'une affaire ou l'exécution d'une décision de référé, et le juge doit pouvoir remédier
au dysfonctionnement du service public résultant du fait de son collaborateur.

Le remplacement n’est possible qu’en ce cas où l’expert ne remplit pas sa mission


dans le délai. Ouvrir la possibilité aux parties de solliciter pour tout motif le
remplacement, et au juge de le prononcer risquerait de porter atteinte à l'impartialité
de l'expert.

62 Art. 108 CPCC.


63 Art. 109 CPCC
64 Cass. Civ. 65929 du 24 juin 1999, Bull., 1999, I, p. 24. En pratique, les parties se font accompagner non seulement par leur avocat mais encore par un
technicien de même spécialité que l’expert lui-même.
65 TA Caen, 14 avr. 1994 JCP G……… note de Jean-Jacques THOUROUDE, L'expert peut-il faire les
frais de l'expertise ?
66 La jurisprudence, consacrant l'autonomie de la mesure de remplacement, a toujours reconnu la faculté pour le juge d'y procéder alors même que la
condamnation de l'expert n'était ni prononcée, ni même semble-t-il demandée.

20
L’expert remplacé doit restituer les frais frustratoires sur simple ordonnance du
président du tribunal exécutoire par provision. L’ordonnance est susceptible
d’opposition comme en matière d’apposition à taxation des frais et honoraires67.

Section II : Déroulement de l’expertise

L’expertise doit se dérouler en respect des droits de la défense (§1). Elle est assurée
personnellement par l’expert commis (§2). Les parties sont tenues à un devoir de
collaboration (§3) et l’expert est tenu de se limiter à la mission (§4) et aux délais
impartis pour sa réalisation (§ 5).

§ 1 Respect du contradictoire

L’expert convoque les parties par lettre recommandée avec accusé de réception. La
cour de cassation française apprécie d’une manière stricte, le respect du principe du
contradictoire, elle exige la convocation des avocats des parties68. Les parties peuvent
présenter des déclarations dûment signées par elles69. Elles doivent être convoquées,
sous peine de nullité à toutes les réunions et pas seulement à la première. Mais leur
absence n’est pas de nature à faire obstacle à la poursuite des travaux d’expertise si
elles sont régulièrement convoquées70. Mais Une procédure judiciaire irrégulière lors
de son déclenchement peut être régularisée si l’adversaire se présente aux travaux
d’expertise71

La pertinence de l’avis exprimé par l’expert dépend de la participation des parties aux
opérations d’expertise. Les parties doivent avoir accès à tous les documents ayant
servi à l’élaboration du rapport d’expertise et ce avant le dépôt du rapport72.

67 Voir infra
68 Cass. 2e civ., 18 juin 1997 JCP G 1997 p. 1739 A violé l'article 16 du Nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui a fondé sa décision
uniquement sur une expertise à laquelle une des parties n'avait été ni appelée ni représentée, et alors que celle-ci avait expressément soutenu que l'expertise lui
était inopposable.
Cass. 2e civ., 24 nov. 1999 JCP G 2000 p. 1044. Après avoir constaté que l'avocat d'une des parties n'avait pas été avisé des opérations d'expertise et n'avait pas
été destinataire du rapport de l'expert, l'arrêt retient que ce dernier n'a pas respecté le principe de la contradiction et en privant la partie de l'assistance de son
conseil pendant les opérations en cause, a porté une grave atteinte aux droits de la défense. Par ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'avait pas
de ce fait à constater l'existence d'un grief, a légalement justifié sa décision d'annuler le rapport d'expertise.
69 Art 110 CPCC.
Cass. 1re civ., C., 15 nov. 1994 JCP N 1995 p. 836. Dès lors que dans ces écritures, la mère avait souligné que l'expert avait reconnu qu'il n'avait pas
personnellement assisté à la prise de sang pratiquée sur le père prétendu alors qu'il était présent lors du prélèvement effectué sur elle, une cour d'appel a
méconnu les exigences de l'article 455 du Nouveau Code de procédure civile en ne répondant pas à ces conclusions, par lesquelles la mère contestait la loyauté
et le caractère contradictoire des opérations d'expertise et évoquait la possibilité d'une substitution de personnes
70 Cass. 3e civ., R., 5 oct. 1994 JCP N 1995, « Justifient légalement leur décision adoptant les conclusions d'un rapport d'expertise et disant que le bornage des
propriétés des parties sera effectué sur les bases de ce document, les juges du fond qui constatent que, bien que convoqué à plusieurs reprises par lettres
recommandées avec demandes d'avis de réception, l'un des plaideurs s'est dispensé de se présenter à toutes les réunions en vue d'établir les limites des terres en
cause, tout en présentant ses observations à l'encontre du projet de rapport, et que, lors d'une première réunion, il a défendu à l'expert de pénétrer sur sa
propriété et s'est retiré ».
Cass. 3e civ., 10 janv. 2001 JCP G 2001 p. 1382. 1° Ayant constaté qu'il résultait du rapport de l'expert que les architectes qui avaient choisi de ne pas
participer aux opérations d'expertise, avaient été destinataires de l'ensemble des comptes-rendus et notes aux parties adressées par l'expert avant de leur laisser
un délai pour formuler des dires antérieurement au dépôt de son rapport, la cour d'appel, qui a retenu, sans violer le principe de la contradiction ni les règles
relatives à la preuve que les architectes avaient eu toute faculté de faire valoir leurs droits devant l'expert, a légalement justifié sa décision en rejetant leur
demande d'inopposabilité du rapport d'expertise judiciaire.
71 Cass. Civ. 45201 du 15 nov. 1995 Bull. 1995, p. 120.
72 Cass. 1re civ., 7 mars 2000 JCP G 2000 p. 1720 1° Pour rejeter l'exception de nullité de l'expertise fondée sur son caractère non contradictoire, l'arrêt retient
que les parties étaient présentes lors des prélèvements et que les résultats figuraient dans le rapport de l'expert. En statuant ainsi, alors que les parties n'avaient
pas eu connaissance de l'avis du laboratoire d'analyses avant le dépôt du rapport, la cour d'appel a violé l'article 16 du Nouveau Code de procédure civile.

21
Normalement par analogie avec la procédure suivie devant tribunal les pièces
produites par l’une des parties doivent être portées à la connaissance de l’autre partie.

L’expert ne peut se contenter de recueillir des renseignements émanant d’une seule


partie. Il doit mentionner dans son avis la suite qu’il a donnée aux déclarations des
parties.

Pour donner un fondement à cette solution il faut se rappeler que l’expertise se trouve
prise entre deux logiques : en effet, si le rapport d’expert n’est pas une décision, alors
le contradictoire n’a pas de raison de s’appliquer dans la procédure propre à
l’expertise. Et symétriquement, si l’on veut justifier la présence d’un débat
contradictoire, alors il faudrait reconnaître la puissance normative de l’expert. Deux
raisons conduisent à la justification du principe de contradictoire : le respect des droits
de la défense : se défendre après l’expertise, c’est souvent se défendre trop tard. En
effet, se défendre contre l’avis autorisé est singulièrement plus ardu que de fournir des
arguments aptes à convaincre l’expert avant qu’il n’arrête une opinion si influente.

La présence des parties n’est pas nécessaire lorsque l’expert procède à des simples
constatations matérielles ou à des investigations purement scientifiques73. L’expert
commis pour reconsidérer ses calculs en fonction des principes posés par le jugement
n’est pas tenu de convoquer les parties s’il ne fait que compléter son rapport initial
des éléments d’information recueillis lors de la première expertise.

Dans une action en responsabilité civile, l’assureur intervenu en cours du procès et


après présentation du rapport d’expertise ne peut demander une nouvelle expertise
sous prétexte qu’il n’a pas été présent lors de la première74.

La partie non convoquée doit soulever la nullité devant le juge de fond75. Elle ne peut
contester la validité de l’expertise pour la première fois devant la cour de cassation76.

§ 2 Exécution personnelle de la mission

L’expert doit accomplir la mission qui lui est confiée personnellement il ne peut en
donner délégation à un tiers, même s’il est expert77. Il peut arriver que certaines

73 Cass. Civ. 25370 du 26 juillet 1992 Bull. 1992, p. 16. ; Cass. com., 26 nov. 1996 JCP N 1997, p. 539. Si l'expertise de gestion doit avoir un caractère
contradictoire, l'expert désigné en application de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 peut procéder seul à certaines constatations dans la comptabilité et les
documents remis en consultation par la société, sans qu'au cours de l'expertise ceux-ci soient communiqués aux demandeurs, dès lors que le rapport qu'il est
chargé de présenter est destiné à fournir tous les éléments utiles à l'information sur la ou les opérations de gestion en cause.
Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués par le pourvoi limitant le droit de communication à la consultation sur place des documents, l'arrêt qui a
refusé aux minoritaires la délivrance en copie des pièces litigieuses ne se trouve justifié
74 Cass. Civ. 62538 du 14 janvier 1988, Bull., 1998, I, p. 16.
75 Cass. 1re civ., R., 3 mai 1995 JCP N 1995 p. 1513. Les rapports de l'expert désigné par l'assureur dommages-ouvrage, ne sont pas opposables à
l'entrepreneur et à l'architecte, ainsi qu'à leurs assureurs, dès lors que l'expert ne les a pas consultés pour avis avant de déposer ses rapports. Il importe peu que
l'entrepreneur et l'architecte aient été invités à assister aux opérations d'expertise qui se sont déroulées en leur absence, ou que leurs assureurs aient reçu
communication du rapport préliminaire ou du rapport d'expertise ;
Cass. 1re civ., 13 févr. 1996 JCP N 1996 p. 1151. Dès lors que l'assureur du propriétaire des locaux incendiés savait, en vertu du contrat consenti, qu'il pouvait
agir contre l'assureur du locataire, il lui appartenait d'appeler cette compagnie à l'expertise afin de la lui rendre opposable. S'étant abstenu de cette convocation,
l'assureur ne peut donc se prévaloir, à l'égard de son adversaire, d'une mesure d'instruction non contradictoire. Par ailleurs, l'article L. 122-2, alinéa 2, du Code
des assurances tendant seulement à sauvegarder les droits de l'assuré dans la procédure d'expertise amiable, ce texte n'est pas approprié à la cause.
76 Art. 14 CPCC. Cass. Civ. 9581 du 7 août 2000 Bull., 2000, I, p. 25.
77 Cass. 2e civ., 7 mai 2002 JCP G 2002 p. 2034. L'expert, investi de ses pouvoirs par le juge, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. La
victime d'un accident, invoquant un préjudice corporel en relation avec celui-ci, a assigné, après expertise médicale ordonnée en référé, son assureur en

22
investigations ne relèvent pas de la compétence technique de l’expert commis, (par
exemple recourir à un laboratoire pour certaines analyses), le code de procédure civile
et commercial ne précise pas s’il l’expert peut y recourir sans en référer au juge. La
prudence est recommandée.

§ 3 Le devoir de collaboration des parties

Les parties sont tenues à un devoir de collaboration. Elles doivent remettre à l’expert
les documents qu’il estime nécessaire à l’accomplissement de la mission. Le CPCC ne
précise pas les conditions dans lesquelles l’expert peut vaincre l’inertie des parties à
collaborer. L’expert peut en référer au juge rapporteur lequel en application de
l’article 87 CPCC peut demander aux parties de produire tous autres explications et
documents qui il juge utiles. C’est dans ce sens là que se prononce d’article 102 du
CPP : l’expert commis doit tenir informé le juge d’instruction du déroulement de
l’expertise de sorte qu’il puisse intervenir à tout moment pour ordonner toute mesure
nécessaire.

§ 4 Le respect des limites de la mission

L’expert doit se limiter à la mission qui lui est confiée, il ne peut de son propre chef
étendre sa mission78

L’expert n’a pas pouvoir de concilier les parties. Il se peut que pendant l’expertise les
parties se concilient l’expert constate alors que sa mission est devenue sans objet.

L’expert peut rédiger le procès-verbal de conciliation ou conseiller les parties à se


concilier et même leur soumettre un protocole, dés lors qu’il n’intervient pas
personnellement dans l’acte et que les parties conservent l’initiative de la transaction.
La conciliation peut cependant être un facteur de ralentissement de l’expertise et être
utiliser à des fins dilatoires.

§ 5) Le délai de l’expertise

Le tribunal fixe le délai d’exécution de l’expertise. L’expert peut demander au juge de


proroger le délai d’achèvement des travaux d’expertise.

paiement d'une indemnité. Pour déclarer irrecevable la demande de la victime, présentée pour la première fois en appel, en annulation du rapport de l'expert,
fondée sur le fait que celui-ci n'aurait pas personnellement accompli sa mission, l'arrêt attaqué retient que la victime avait conclu au fond après le dépôt du
rapport. En statuant par ces motifs inopérants, alors que la victime soutenait que les actes effectués en méconnaissance de l'obligation incombant à l'expert
d'accomplir personnellement sa mission ne pouvaient valoir opérations d'expertise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Cass. 2e civ., C., 11 janv. 1995 JCP G 1995 p. 610. Le technicien investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement
sa mission. C'est donc à tort que la cour d'appel a rejeté l'exception de nullité du rapport d'expertise alors que l'expert s'est borné, pour la partie de sa mission
relative à l'origine des désordres, à renvoyer les parties à la lecture du rapport d'un centre de recherches textiles ;
Cass. 3e civ., 8 avr. 1999 JCP 1999 p. 2037. Les parties soutenaient dans leurs conclusions que l'expert s'était adjoint un autre technicien parce qu'il n'était pas
compétent pour remplir sa mission et qu'il ne s'agissait pas d'une simple consultation ponctuelle d'un spécialiste sur une question déterminée, mais d'une "sous-
traitance" de la totalité de l'expertise. La cour d'appel qui a retenu le rapport sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'expert n'avait pas délégué
l'accomplissement de sa mission, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 233 et 278 du Nouveau Code de procédure civile.
78 Cass. Civ. 44431 du 29 avr. 1994 Bull. 1994, p. 48. ; Cass. 1re civ., 19 janv. 1999 JCP G 1999 / n° 10 / IV/ 1456. 1° Le rapport d'expertise n'étant pas un
acte authentique, il ne saurait être fait grief à la cour d'appel d'avoir rejeté l'incident de faux sans que la cause soit communiquée au Ministère public,
conformément aux articles 303 et 425 du Nouveau Code de procédure civile.

23
Pendant le déroulement de l’expertise, le dossier n’est pas retiré du rôle du tribunal.
L’affaire est ajournée d’audience à audience jusqu’a achèvement des travaux
d’expertise.

Section III : Le rapport d’expertise

Le rapport d’expertise est déposé pour taxation avant d’être remis aux parties. Le
rapport doit comporter un avis motivé de l’expert. Cet avis est soumis à la discussion
des parties et à l’appréciation du juge.

§ 1 Dépôt du rapport

L’expert remet son rapport au président du tribunal ou son délégué pour taxe.

Une fois l’ordonnance de taxation est rendue l’expert demande paiement. Il peut
différer le dépôt du rapport d’expertise au greffe tant qu’il n’a pas été intégralement
réglé de ses frais et honoraires dûment taxés79.

Après paiement, l’expert dépose au greffe son rapport et tous documents qu’il a
rédigés ainsi que les pièces qu’il se serait fait remettre. Il en informe dans 24 heures
par lettre recommandée les parties.

§ 2 Contenu du rapport d’expertise

L’expert dresse de ses opérations un rapport écrit détaillé80. La règle implique que
l’expert ne peut se contenter de faire un exposé oral.

Le rapport doit mentionner81 :


- La présence ou l’absence des parties,
- Leurs déclarations dûment signées par elles,
- Le point de vue technique motivé
- Les frais exposés et honoraires.

Le rapport doit être accompagné des pièces que l’expert s’est fait remettre82.

§ 3 Pluralité d’experts

S’il estime nécessaire ainsi que dans le cas où l’Etat ou une collectivité publique est
partie au litige, le juge peut nommer plusieurs experts. Dans ces cas, chacun des
experts doit dresser un rapport comportant son avis, sauf s’ils ont été d’accord pour en
rédiger un seul comportant l’avis motivé de chacun d’eux83.

79 Cass. Civ. 15259 du 28 juin 1988 Bull. 1988 p. 71. Dans cette affaire, la cour d’appel est critiquée pour avoir estimé ne pas pouvoir statuer sur le fondement
du rapport d’expertise déposé du moment que l’expert n’est pas payé. La cour de cassation casse l’arrêt en estimant que le dépôt du rapport d’expertise
présume le paiement.
80 Art. 110 CPCC Cass. Civ. 2774 du 4 sept. 1990 Bull. 1990 p….
81 Art. 110 CPCC
82 Art. 111 CPCC.
83 Art110 CPCC Cass. 758 du 29 juin 2000 Bull. 2000, I, p. 47 ; Cass. Civ. 12703 du 29 janv. 1986 Bull 1986 I, 275.

24
§ 4 Valeur de l’expertise 84

L’article 112 CPCC énonce que l’avis de l’expert ne lie pas le tribunal. Il faut préciser
la signification de cet article. Le tribunal ne peut adopter le rapport d’expertise que
s’il est fondé sur des éléments certains85. L’on estime que le tribunal peut évaluer
l’avis rendu par l’expert, généralement au vu des observations des parties. S’il est
convaincu de leur pertinence, il peut s’écarter de l’avis de l’expert, mais dans ce cas il
doit motiver sa décision86. Le tribunal peut fonder sa décision sur une expertise
ordonnée par un autre tribunal dont l’incompétence fut déclarée ultérieurement87. En
cas de contradiction des expertises le tribunal doit ordonner une autre expertise ou
faire prévaloir l’une d’entre elle en motivant sa décision88. 89Le tribunal peut fonder sa
décision sur l’avis de la majorité des experts90

§ 5 Missions complémentaires

Si le juge n’est pas suffisamment éclairé par le rapport, il peut entendre l’expert en
présence des parties ou les défenseurs de celles-ci. Le juge peut demander à l’expert
de préciser ou expliquer ses conclusions soit par écrit soit à l’audience. Il peut aussi
étendre sa mission ou confier une mission particulière à un autre expert. Aucune
précaution n’est prise pour informer l’expert précédemment commis de cette nouvelle
désignation. Le juge peut ordonner une contre-expertise91.

Section IV : La rémunération de l’expert

§ 1 La taxation de la mission

Le président du tribunal ou son délégué taxe la mission d’expertise92. Souvent le


montant des frais93 et honoraires est supérieur à l’avance reçue. L'expert, même

84 Cass. 1re civ., 6 oct. 1998 JCP G 1998 / n° 47 / IV/ 3270 b) Pour fixer le préjudice matériel et financier des médecins, l'arrêt attaqué, statuant sur renvoi
après cassation, s'est fondé sur l'avis d'experts nommés par l'arrêt cassé ; en statuant ainsi, sans réévaluer ce préjudice à la date de sa décision, ou s'expliquer
sur les motifs justifiant une absence de revalorisation à cette date, la cour d'appel a violé l'article 1149 du Code civil.
85 Cass. Civ. 425 du 17 avril 2000 Bull. 2000, I, p. 30.
86 Cass. Civ. 65667 du 21 juin 1999, Bull. 1999, I, p. 48 ; Cass. 1re civ., C., 14 févr. 1995 JCP N 1995 / n° 38 / p. 1317. La preuve des relations avec la mère
pendant la période légale de conception dans le cadre d'une action à fin de subsides peut être faite par tous moyens et notamment par présomptions au nombre
desquelles figurent les résultats d'un examen comparé des sangs ; les juges peuvent former leur conviction sur un fait unique si celui-ci leur paraît de nature à
établir la preuve nécessaire de telles relations. Viole les articles 342 et 1353, la cour d'appel qui se refuse à admettre que les résultats de l'expertise pratiquée
pouvaient à eux seuls permettre d'établir la preuve de l'existence de relations intimes entre les intéressés pendant les périodes légales de conception.
87 Cass. 42676 du 30 oct. 1996, Bull 1996, p. 35.
88 Cass. Civ. 71672 du 26 janv. 2000, Bull. 2000, I, p. 27.
89 Cass. soc., C., 26 janv. 1995 JCP G 1995 / n° 12 / IV/ 748 Les juges du fond ont à tort, après qu'un premier expert se soit prononcé sur la question litigieuse,
ordonné une nouvelle expertise sur le fondement de l'article L. 141-2 du Code de la sécurité sociale, en raison du caractère succinct de l'avis rendu. En fait, si
les juges du fond estimaient nécessaires des précisions complémentaires sur l'avis de l'expert, il leur appartenait de les demander à ce dernier et non d'ordonner,
en l'absence de demande d'une partie en ce sens, une nouvelle expertise.
90 Cass. Civ. 12353 du 7 oct. 1985 Bull 1985, II, p 126
91 Cass. crim., 2 oct. 2001 JCP G 2001 p. 2990 1° Pour écarter la demande de contre-expertise présentée par la partie civile, la chambre d'accusation, après
avoir exposé que le juge d'instruction délégué, pour procéder au supplément d'information, avait notifié aux parties les conclusions du rapport de l'expert et
qu'il leur avait imparti un délai de quinze jours pour présenter leurs observations, énonce que la partie civile n'a pas exercé les recours utiles dans les temps
impartis. En se prononçant ainsi, alors que les parties sont recevables à demander à la chambre de l'accusation, saisie du règlement de la procédure, un
complément d'expertise ou de contre-expertise, sans que puisse leur être opposée l'expiration du délai prévu par l'article 167, alinéa 3, du Code de procédure
pénale, la chambre de l'accusation a violé l'article 201 du Code de procédure pénale.
92 Cass. 2e civ., 5 avr. 2001 JCP G 2001 p. 2024. Le juge fixe souverainement la rémunération globale de l'expert, sans être lié par les points de contestation
qui lui ont été présentés ni être tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation

25
lorsqu'il est remplacé en cours d'expertise, a droit aux honoraires correspondants au
travail qu'il a accompli (CE, 10 janv. 1923, Chervet : Rec. CE, p. 19, ce qui
normalement exclut la possibilité pour le juge de "tenir compte du trouble apporté au
déroulement de l'instance" dans la liquidation des honoraires, contra D. Chabanol,
préc.)
94

L’ordonnance de taxation des frais de l’expertise et des honoraires de l’expert est


susceptible d’opposition dans un délai de 8 jours à partir de sa signification. Ce délai
est un délai de forclusion. A l’égard e l’expert lui-même le texte ne dit rien. L’on peut
hésiter entre la date de taxation ou la date de connaissance de l’ordonnance par
l’expert.

L’opposition doit à peine d’irrecevabilité être formée par une requête motivée
signifiée par huissier notaire, selon le cas, à l’expert ou à la partie intéressée par
l’expertise et comportant son assignation à comparaître au cabinet du juge qui a rendu
l’ordonnance ans un délai maximal de 8 jours. Le ministère d’avocat n’est pas
nécessaire.

Il est statué sur l’opposition par une ordonnance motivée non susceptible d’appel et ce
dans un délai maximal de 8 jours95. L’opposition ne suspend pas le paiement des frais
et honoraires taxés.

§ 2 Garanties de paiement

1) Le droit de rétention des documents remis pas les parties

Selon l’article 14 de la loi du 23 juin 1993, relative aux experts judiciaires, l’expert
non payé de ses honoraires peut exercer un droit de rétention sur les documents qui
lui sont remis dans le cadre de sa mission, après ordonnance sur requête du
président du tribunal dont il relève96. Le droit de rétention peut s’exercer sur des
documents ayant une valeur intrinsèque, tels les récépissés détachés des warrants
des magasins généraux, les récépissés du connaissement maritime, puisque
représentatifs de la marchandise, ou les titres au porteur. En fait, il est rare où le
droit réel est incorporé dans le document. La plupart des documents, en effet, n'ont
aucune valeur intrinsèque : un contrat, une carte d'abonnement, un registre, des
pièces de procédure, un dossier, les plans d'un architecte, la partition d'un chef
d'orchestre, un bilan comptable..., malgré leur utilité pour le débiteur, ne sont pas
représentatifs d'une valeur marchande.

Le droit de rétention s’exerce après un contrôle effectué par le juge des. Le


caractère d'ordre public du document constitue, parfois, un obstacle à l'exercice de

93 Les frais sont généralement ceux nécessités par l’exécution de la mission et que l’expert n’aurait pas engagé s’il n’avait pas été chargé de la mission (frais
de déplacement, frais de repas ou d’hôtel, des honoraires du sapiteur au cas où l’expert aurait eu besoin d’un technicien adjoint, des frais de photocopie, de
secrétariat de téléphone et de timbre). En revanche, les frais généraux de direction de l’expertise et du cabinet de l’expert sont exclus.
94 Cass. 2e civ., R., 1er févr. 1995 JCP G 1995 / n° 13 / IV/ 798 Après avoir exactement retenu qu'il n'appartient pas au juge saisi d'une demande de fixation
de la rémunération d'un expert de statuer sur la régularité des opérations d'expertise effectuées par cet expert, le premier président, qui constatait que les
opérations avaient été exécutées avant le remplacement de celui-ci a, à bon droit, décidé que cet expert avait droit à une rémunération.
95 Cass. Civ. 15756 du 27 sept. 1988 Bull. 1988, p. 24.
96 Philippe J.-P. DEVESA, la rétention des documents : contribution à la notion générale de rétention, Petites Affiches, 19 juin 1995 n° 73, P. 11.

26
la rétention97. La rétention ne peut pas faire échec à l'exercice de la loi pénale, les
pouvoirs que le juge d'instruction tient du Code de procédure pénale ne pouvant en
principe souffrir aucune restriction. En particulier, la rétention des livres et
documents comptables, reconnue dans un intérêt privé et strictement personnel ne
peut pas être opposée à la juridiction d'instruction. Il est finalement permis de
s'interroger sur le bien-fondé de rétentions pratiquées par des personnes privées et
portant sur des documents strictement liés à la personne. Bien qu'il n'y ait pas, à
notre connaissance, de jurisprudence à ce sujet l'interdisant, l'ordre public politique
pourrait faire obstacle à la rétention d'une carte d'identité ou d'un passeport.
Similairement, les droits de la personnalité pourraient éventuellement empêcher la
rétention d'un document médical (radiographies...) ou de photographies afin de
respecter la vie privée de l'individu. Le contrôle du juge peut être utile à empêcher
un abus de droit ou l’atteinte à des droits des tiers98.

Ce droit de rétention peut être qualifié de sûreté réelle lorsque la rétention porte sur
une chose, il ne se justifie pas lorsque l'objet de la rétention est un document sans
valeur intrinsèque. En effet, si une chose peut être affectée au paiement préférentiel
d'une créance, un document risque de ne pas remplir ce rôle. La qualification de
sûreté réelle pourrait alors être retenue lorsque le document est représentatif d'une
valeur marchande ; elle ne pourrait plus l'être dans l'hypothèse inverse.

2) La non remise du rapport en cas de non paiement

L’expert remet son rapport au président du tribunal ou son délégué pour taxe. Une
fois l’ordonnance de taxation est rendue l’expert demande paiement. Il peut différer le
dépôt du rapport d’expertise au greffe tant qu’il n’a pas été intégralement réglé de ses
frais et honoraires dûment taxés99.

97 A comparer avec le droit de rétention des avocats.


98 Ainsi, un expert-comptable retenant les livres et pièces comptables de son client abuse de sa faculté de retenir lorsque, informé par ce dernier d'un contrôle
fiscal par l'administration, il ne se met pas en rapport avec cette dernière pour défendre les chiffres déclarés. Pour ne pas l'avoir fait, l'expert a été déclaré «
responsable vis-à-vis de son ancien client de la taxation d'office et des pénalités de retard que celui-ci a dû supporter en l'absence de livres comptables
demeurés en la possession du comptable agréé ». Le différend fut porté devant la Cour d'appel de Caen qui, par arrêt en date du 10 avril 1967, a aussi considéré
que l'expert avait abusé de sa faculté de rétention. Dans la même affaire, selon la Cour de cassation, en revanche, la Cour d'appel de Caen a violé le principe de
la rétention en admettant une «demande de réparation du préjudice résultant de redressements et pénalités imposés à un garagiste par l'administration fiscale du
fait de l'abstention de son comptable, rétenteur de... documents... en garantie des honoraires... dus » et en relevant « que le comptable a abusé de son droit de
rétention au motif qu'il aurait dû communiquer à l'administration les documents qu'il retenait ». Le professeur N. Catala-Franjou approuve la décision rendue et
en déduit « qu'à l'intérieur des limites traditionnellement fixées au droit de rétention, celui-ci ne peut faire l'objet d'un usage abusif ». Or, non seulement la
jurisprudence relative à l'abus de confiance a évolué, mais déjà l'établissement des droits des tiers limitait l'exercice de la rétention. C'est ainsi, par exemple,
qu'il a été jugé qu'un architecte, créancier d'honoraires contestés par son client, n'est pas en droit de refuser de remettre les pièces entre les mains d'un expert
chargé de fixer ces derniers. Pour des raisons identiques, la rétention légitime d'un architecte sur les dossiers préparés par ses soins « ne saurait dégénérer en
abus et aboutir à priver les sinistrés des documents indispensables pour saisir dans le délai légal, sous peine de déchéance, la commission cantonale
d'évaluation des dommages de guerre ». Finalement, il convient d'observer que la décision rapportée du 17 juin 1969 a été suivie par une tendance
jurisprudentielle semblant admettre l'éventualité d'un abus en cas de disproportion très nette de valeur entre le bien retenu et la créance du rétenteur.

99 Cass. Civ. 15259 du 28 juin 1988 Bull. 1988 p. 71. Dans cette affaire, la cour d’appel est critiquée pour avoir estimé ne pas pouvoir statuer sur le fondement
du rapport d’expertise déposé du moment que l’expert n’est pas payé. La cour de cassation casse l’arrêt en estimant que le dépôt du rapport d’expertise
présume le paiement.

27
CHAPITRE III : LES EXPERTISES JUDICIAIRES SPECIALES

Nombreux textes spéciaux prévoient une procédure spéciale d’expertise.

Section 1 : L’expertise de gestion

II est très fréquent, dans les petites sociétés ou dans les sociétés familiales, que les
dirigeants sociaux soient des associés ou des actionnaires majoritaires. Dans ce cas, le
mécanisme de la révocation est pratiquement grippé (sauf révocation judiciaire). II est
beaucoup plus rare, dans les grandes sociétés, qui font appel public à l'épargne, que la
direction détienne la majorité du capital : celui-ci est largement dispersé dans le
public. Mais, cet anonymat du capital aboutit, en fait, à peu près au même résultat que
sa concentration. En effet, les actionnaires ne viennent pas aux assemblées et donnent
des pouvoirs en blanc à leurs dirigeants. Dans l'un et l'autre cas, quoique pour des
raisons différentes, on risque d'aboutir à l'inamovibilité des dirigeants.

Aussi, la pratique et la législation s'efforcent elles depuis quelques décennies de


fournir des armes de substitution aux actionnaires minoritaires agissant à titre
individuel ou en groupe.

Ainsi, notamment, s'ils possèdent 10% du capital, ils peuvent, les SARL
exclusivement (les SUARL ?), demander la désignation d'un expert (appelé expert de
minorité ou expert de gestion) chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs
opérations de gestion (art. 139 code des sociétés commerciales ; le même droit n’est
pas reconnu au ministère public). II appartient alors au juge d'apprécier le sérieux des
motifs invoqués et la mission, nécessairement ponctuelle (une ou plusieurs opérations
de gestion), qu'il convient d'attribuer à l'expert. Celui-ci présente un rapport qui fait
l'objet d'une certaine diffusion et les différents intéressés en tirent les conséquences
qu'ils estiment appropriées (révocation des dirigeants, action en responsabilité, etc.).

La limitation de l’expertise aux seules sociétés à responsabilité limitée ne se justifie


pas pleinement dans la mesure où le légilsateur a prévu pour les minoritaires dans une
société anonyme la possibilité d’agir soit en nullité des délibérations des assemblées
générales empruntes d’un abus de droit de vote soit en responsabilité contre les
dirigeants sociaux. Par ailleurs faut-il rappeler que les mêmes infractions peuvent être
commises par les dirigeants des deux sociétés.

L’article 139 du code des sociétés commerciales dispose qu’ « un ou plusieurs


associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent, soit
individuellement, soit conjointement, demander au juge des référés la désignation
d’un expert ou d’un collège d’experts qui aura pour mission de présenter un rapport
sur une ou plusieurs opérations de gestion. Le rapport d’expertise sera communiqué
au demandeur, au gérant, et le cas échéant au commissaire aux comptes. Il sera
annexé au rapport du commissiaire aux comptes et communiqué aux associés avant
l’assemblée générale ordinaire et ce dans les conditions prévues à l’article 130 » du
code des sociétés commerciales.

Jadis, les tribunaux reconnaissaient à cette possibilité un double caractère


exceptionnel et subsidiaire. "C'est seulement s'ils (les minoritaires) n'avaient obtenu
de réponse à des questions précises ou s'ils n'avaient obtenu que des réponses

28
insuffisantes qu'ils seraient fondés à demander la désignation d'un expert"100. A priori,
une telle position semble empreinte de sagesse, sinon de logique, bien que l'on hésite
à prononcer ce mot en droit des sociétés. Pourquoi en effet demander à un juge une
information qui est déjà à la disposition des associés ?

Les textes ne posent que deux conditions : le ou les demandeurs doivent représenter
au moins le dixième du capital social et l'objet de leur demande est nécessairement
une opération de gestion. La loi n'a jamais relégué l'action au rang d'une mesure
subsidiaire et exceptionnelle. De plus, s'il est normal dans une démocratie de jouer la
carte du dialogue avant celle de la confrontation, et de commencer par questionner
amiablement les dirigeants, encore faut-il déterminer le moment où les obstacles sur
le chemin de l'information deviennent suffisamment intolérables pour justifier une
action en justice. Autrement dit, le caractère subsidiaire supposerait d'énoncer les
diligences exigées des minoritaires avant d'obtenir la désignation d'un expert, ce qui
n'est guère aisé101. Ainsi, y a-t-il lieu de requérir d'eux une présence effective dans les
assemblées générales et une participation active à leur préparation par le biais de
questions écrites et à leur déroulement ? Dans l'affirmative, le débat rebondirait, car
l'exercice par l'associé de ses droits politiques est-il une prérogative ou un devoir pour
lui ?

§ 1 Le régime procédural de l’expertise de gestion

1) La qualité pour agir

Cette qualité doit s’apprécier tant au niveau de l’auteur de la demande qu’au niveau
du défendeur.

1.1. La qualité du demandeur

L’article 139 ouvre l’expertise de gestion à un ou plusieurs associés représentant au


moins le dixième du capital social qui agiront, soit individuellement, soit
conjointement.

a) La question s’est posée de savoir ce qu’il convient de faire si le demandeur a perdu


la qualité d’associé après la désignation de l’expert.

Sur ce question, la jurisprudence française a évolué.


Dans un premier temps, la cour d’appel de Paris102, a décidé que l'actionnaire
minoritaire ayant perdu la qualité d'associé en cédant ses actions après la désignation
de l'expert, le magistrat était fondé à rapporter son ordonnance. la Cour de Paris
développait une motivation dont il faut bien reconnaître qu'elle n'est pas dénuée de
pertinence : « Considérant qu'il n'est pas contesté que la Société Hôtel Caumartin a
cessé d'être actionnaire de la Société Hôtel de France et de Choiseul le 14 décembre
1976. - Considérant qu'à partir de cette date elle n'avait plus qualité pour soutenir
l'action prévue à l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966, qui a le caractère d'une

100
CA Douai, 10 juill. 1970 : D. 1971, p. 179 ; Rev. sociétés 1970, p. 662, note J. H. - Adde CA Paris,
7 janv. 1976 : RTD com. 1976, p. 573, note R. Houin.
101
V. Y. Guyon, Les nouveaux aspects de l'expertise de gestion : JCP E 1985, I, 14593
102
CA Paris, 14e ch., 5 janv. 1978 : Rev. soc. 1978, p. 742, note M. Guilberteau.

29
action sociale ainsi qu'il ressort des dispositions du dernier alinéa de ce texte, et
suppose donc la qualité d'actionnaire chez ceux qui l'intentent ou entendent la
poursuivre".

Un revirement de jurisprudence a lieu par la suite dans les circonstances suivantes103:


lors de l'assignation en référé en vue de la désignation d'un expert, le demandeur
détenait 13 % du capital ; par suite d'une augmentation de capital la participation a été
réduite à 3,71 %, puis en raison d'une vente forcée d'actions le demandeur s'est trouvé
détenir une seule action. La Cour de Versailles rejette l'exception d'irrecevabilité
fondée sur l'absence de détention du minimum requis en estimant que s'il est exact
que ce texte réserve l'action à un ou plusieurs actionnaires détenant au moins 10 % du
capital social, il faut et il suffit que cette condition soit remplie au moment de
l'introduction de la demande en justice. Pour justifier la solution, il est fait recours à la
lettre même du texte, à la nature de cette action, qui correspond à l'exercice d'un droit
à la protection et à l'information reconnu au titre et dans le cadre du contrôle de la
gestion sociale et dépassant l'intérêt particulier de celui qui agit et les aléas de la
répartition du capital social, postérieurs à l'assignation, dont, au demeurant, on peut
craindre qu'ils puissent être inspirés par la volonté des actionnaires majoritaires de
faire échec à la demande, sont sans incidence sur la recevabilité et la validité de
l'instance régulièrement introduite, non plus que sur l'exécution de la mesure
d'expertise ordonnée. En Tunisie, la transposition de ces justifications est incertaine.
En effet, le caratère d’intérêt général de ce droit est difficile à ademttre car l’action
n’est pas ouverte au Ministère public.

Ensuite, il est déconcertant de voir une mesure d'instruction, destinée à informer, au


premier chef, le demandeur, dont la légitimité de l'intérêt se mesure à l'importance de
sa participation, continuer à prospérer alors que le principal intéressé a tourné les
talons. Il y a un problème sérieux d'équilibre des intérêts en présence lorsque l'on
permet au demandeur, une fois le bâton de dynamite allumé, de céder sa participation
; on ne saurait mieux encourager une guérilla judiciaire que le législateur avait cru
devoir éviter.

Un auteur104 a critiqué le solution de la Cour d’appel de Versailles en estimant que la


demande d'expertise est un succédané d'action sociale, elle doit alors suivre le régime
de l'action sociale, ce qui revient à exiger la pérennité de la qualité d'actionnaire.

b) Un gérant minoritaire ne disposant d’une information suffisante peut


demander l’expertise de gestion. Cette démarche est parfaitement cohérente dans la
mesure où le statut du demandeur ne doit pas faire obstacle à l’exercice des
prérogatives détenues par lui en tant qu’associé, à moins que la première qualité lui
permette d’être suffisamment informé ; auquel cas la demande d’expertise est voué à
l’échec.

c) Situation des demandeurs à l'expertise de gestion dont les actions ont fait
l'objet d'un démembrement de propriété

103
CA Versailles, 12e ch., 11 mars 1999 : JCP E 1999, n° 24, p. 1035
104
Alain VIANDIER, note sous T. com. Paris, réf., 3 décembre 2003, JCP 2003, p.

30
L'expertise de gestion constitue indéniablement un instrument d'information et de
contrôle de la gestion sociale, en permettant aux minoritaires d'obtenir un rapport
sur les opérations de gestion susceptibles de porter atteinte aux intérêts de certains
associés et à ceux de la société. Mais l'efficacité de ce contrôle dépend de l'étendue
des pouvoirs de l'expert, mais également, en amont, et peut-être surtout, de
l'importance du nombre de personnes ayant la qualité pour agir. Or, aujourd'hui,
une telle qualité n'est pas toujours reconnue aux titulaires de parts sociales ayant
fait l'objet d'un usufruit.

On sait que le démembrement du droit de la propriété s'analyse en une fracture de


celle-ci qui s'opère entre les mains d'un nu-propriétaire qui se décharge de l'usus
(l'usage) et du fructus (la jouissance) au profit d'un usufruitier désigné par lui-
même. L'usufruitier dispose alors du droit d'user et de jouir de la chose, tandis que
le nu-propriétaire conserve le droit d'en disposer, d'autoriser notamment
l'inscription d'une hypothèque conventionnelle sur son bien, sous réserve que ce
dernier n'abuse de ses droits sur la chose sans méconnaître les droits de son
usufruitier.

La division des prérogatives du droit entre l'usufruitier et le nu-propriétaire laisse


subsister des incertitudes dans la mesure où le législateur n'a pas adopté une
réponse explicite. Pour pouvoir pallier le silence de la loi dans l'attribution de la
prérogative de demander une expertise de gestion, il importe, au préalable, de
rechercher dans quelle mesure les cotitulaires de droits sociaux démembrés peuvent
se voir reconnaître la qualité d'associé.

Sur ce point, « les textes sont ambigus, la jurisprudence est embryonnaire mais la
doctrine est péremptoire : seul le nu-propriétaire, à l'exclusion de l'usufruitier, a la
qualité d'associé ». En effet, depuis deux décennies, la doctrine est quasi unanime
pour reconnaître la qualité d'associé au nu-propriétaire exclusivement, sous prétexte
qu'il est le seul apporteur : « Faute d'être apporteur, l'usufruitier ne saurait se voir
reconnaître la qualité d'associé ».

Mais cette position doctrinale n'est pas exempte de critiques, et n'a jamais été
entérinée par la jurisprudence, même si l'important arrêt de Gaste de la chambre
commerciale de la Cour de cassation du 4 janvier 1994 a clairement affirmé la
qualité d'associé du nu-propriétaire, sans pour autant, devons-nous le souligner, se
prononcer sur celle de l'usufruitier. En effet, par cet arrêt, la Cour suprême a
censuré la Cour d'appel de Caen qui avait estimé licite une clause statutaire
attribuant au seul usufruitier le droit de participer et de voter à toutes les assemblées
générales. Parce qu'il est associé, le nu-propriétaire « a le droit de participer aux
décisions collectives », et les dérogations statutaires à la répartition du droit de vote
entre le nu-propriétaire et l'usufruitier ne peuvent pas porter atteinte à cette
disposition. En conséquence, la clause instituant la représentation du nu-
propriétaire par l'usufruitier, qui avait seul le droit de participation et de vote, dans
toutes les assemblées, est nulle. Ainsi, on retiendra que si les statuts peuvent
accorder le droit de vote en totalité à l'usufruitier ou au nu-propriétaire, ils ne
peuvent en aucun cas priver le nu-propriétaire du droit de participer aux décisions
collectives, c'est-à-dire d'assister aux assemblées sans voix délibérative.

31
Puisque c'est la qualité d'associé qui procure au nu-propriétaire le droit de participer
aux décisions collectives, certains soutiennent que l'usufruitier en serait privé faute
d'avoir cette qualité. L'argument le plus souvent avancé pour lui dénier cette qualité
tient au fait qu'il n'aurait pas fait d'apport. Ce raisonnement est contestable et des
auteurs ont démontré que dans de nombreuses hypothèses, l'usufruitier était l'auteur
de l'apport initial ayant donné lieu à l'émission des droits par la suite démembrés.
Comment peut-on en réalité refuser notamment la qualité d'associé à un chef
d'entreprise, fondateur de sa société qui, décidant de préparer sa succession, a
recours au démembrement de propriété des valeurs mobilières qu'il détient dans sa
propre structure ? Il est unanimement admis que l'intérêt de l'opération réside dans
la volonté de favoriser ses héritiers, tout en lui laissant la possibilité de continuer à
jouir de ses biens, et a fortiori de continuer à exercer un contrôle sur eux. En effet,
l'objectif de l'opération décrite ci-dessus est double : préserver le train de vie de
l'initiateur du démembrement (qui conserve l'usufruit de son bien) et réduire les
frais de succession. Si l'on reprend le raisonnement suivi par une grande majorité de
la doctrine, il faudrait expliquer à ce chef d'entreprise qu'à l'origine, en apportant
une partie du capital de la société qu'il a créée, il avait la qualité d'associé, mais
qu'il l'a perdue le jour où il a procédé au démembrement de propriété de ses titres. Il
ne serait donc plus associé dans sa propre structure, alors que le législateur continue
à lui reconnaître expressément des prérogatives d'associé. La démonstration est
sûrement excessive, mais il est aisé, en l'espèce, de montrer que cet usufruit
correspond bien à un apport qui justifie les droits de l'usufruitier. Nous ne pouvons
que nous rattacher à l'analyse de l'autre partie de la doctrine, même si elle est
minoritaire, selon laquelle l'usufruitier a la qualité d'associé puisqu'il est apporteur.

Cette prise de position semble d'autant moins critiquable que le droit fiscal tend à
corroborer cette analyse. En effet, pendant longtemps, l'administration fiscale
considérait que seul le nu-propriétaire avait la qualité d'associé105. Cette position
était critiquable, car le nu-propriétaire était imposé en fait sur un revenu qui
appartenait en réalité à l'usufruitier, revenu sur lequel il n'avait aucun droit. Cela
revenait donc à mettre la charge de l'impôt sur une personne qui n'avait pas la
disposition des revenus en cause. Le principe d'imposition exclusive du nu-
propriétaire des parts, posé par la réponse Valleix, vient d'être remis en cause par
l'article 78 de la loi no 98-546 du 2 juillet 1998, modifiant le premier alinéa de
l'article 8 du Code général des impôts. Il est à présent prévu qu'en cas de
démembrement de la propriété de tout ou partie des parts sociales, « l'usufruitier est
soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les
bénéfices que lui confère sa qualité d'usufruitier. Le nu-propriétaire n'est pas
soumis à l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier ».
Par conséquent, en cas de démembrement de propriété de parts sociales de sociétés
soumises au régime fiscal des sociétés de personnes, les revenus ordinaires sont
imposables au nom de l'usufruitier. Il est remarquable que cette loi, sans préciser
qui a la qualité d'associé, contredit le principe exposé ci-dessus posé par la doctrine
administrative.

105
Conformément aux dispositions de l'article 8 du Code général des impôts, la personne physique,
associée unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (E.U.R.L.) est personnellement
soumise à l'impôt sur le revenu sur les bénéfices de cette entreprise. La circonstance que les parts
sociales d'une E.U.R.L. soient grevées d'usufruit ne modifie pas le caractère unipersonnel de cette
entreprise, dès lors que le nu-propriétaire a seul qualité d'associé. C'est donc le nu-propriétaire qui est
redevable de l'impôt sur le revenu à raison des bénéfices de la société dont il est l'associé unique »

32
De façon plus générale, il faut savoir qu'en droit fiscal, une opération somme toute
assez classique consiste à apporter des droits sociaux démembrés à une société et à
reconduire le démembrement sur les titres reçus en apport. Les partisans de la thèse
suivant laquelle seul le nu propriétaire a la qualité d'associé, considèrent que
l'apporteur en usufruit ne peut recevoir que des parts en pleine propriété. Il en est de
même du nu-propriétaire qui ne peut à son tour que recevoir des parts en pleine
propriété. En conséquence, la reconduction du démembrement sur les titres reçus en
apport ne peut résulter que d'un échange de l'usufruit contre de la nue-propriété.
Cette doctrine pose d'importants problèmes fiscaux quant à l'exigibilité des droits
d'enregistrement applicables à l'opération d'échange..

On sait qu'est associé celui qui fait un apport. Selon une majorité de la doctrine,
l'usufruitier n'a pas la qualité d'associé. Comment, dans ces conditions, rémunérer
alors l'apport de son usufruit ? Certains soutiennent qu'il faut le rémunérer par des
titres en pleine propriété, sinon on se retrouverait en face d'un apporteur qui n'a pas
la qualité d'associé et donc cette hypothèse serait contraire au droit des sociétés. Or,
il s'avère que, l'administration fiscale a soutenu le contraire, en affirmant que
l'apporteur en usufruit peut être rémunéré par des titres en usufruit. Implicitement,
l'administration fiscale lui reconnaît donc la qualité d'apporteur. Pour parfaire notre
raisonnement, nous pouvons dire que si l'usufruitier est considéré comme
apporteur, il devrait a fortiori se voir reconnaître la qualité d'associé. Mais là, il faut
bien le reconnaître, l'administration fiscale n'a pas encore osé franchir le pas, en
imposant cette qualification. Nous le regrettons vivement même si, en conclusion, il
apparaît qu'en droit fiscal, l'usufruitier a tous les attributs de l'associé, si ce n'est
plus que le nu-propriétaire, dans la mesure où ce dernier n'est ni imposé au titre de
l'impôt sur le revenu ni au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Affirmer la qualité d'associé de l'usufruitier ne revient pas pour autant à la dénier au


nu-propriétaire. La solution consisterait en effet à admettre une dualité d'associé.
Maurice Cozian suggère qu'il soit plus satisfaisant « de reconnaître que la réserve
d'usufruit entraîne un démembrement des prérogatives de la qualité d'associé,
lesquelles, au lieu d'être concentrées sur une même tête, sont désormais réparties
sur deux personnes, chacune étant considérée comme associée dans la limite des
prérogatives qui lui sont reconnues par la loi ou les statuts ».

S'interroger sur le fait qui du nu-propriétaire ou de l'usufruitier a la qualité


d'associé, pour en déduire qui peut demander une expertise de gestion, n'est en
aucun cas une question purement académique, car non seulement les
démembrements de propriété se multiplient pour diverses raisons, mais également,
la revendication des droits du petit porteur se fait de plus en plus entendre,
l'expertise de gestion étant perçue par l'actionnariat minoritaire comme une
technique de protection de ses intérêts.

d) Situation des demandeurs à l'expertise de gestion appartenant à un groupe


de sociétés

L'exercice du contrôle d'une société par une autre expose les associés minoritaires
de la première à un préjudice, ou tout du moins à un risque. Placée au service d'un
groupe, la société contrôlée peut en effet être spoliée progressivement de ses
bénéfices et de son actif au profit du groupe, ou d'autres membres du groupe. Afin

33
de protéger les minoritaires dans les groupes de sociétés, le législateur est parfois
intervenu : ainsi, en matière d'information, il a fallu attendre une loi du 14
novembre 1994, qui a perfectionné la réglementation en matière de seuils de
déclaration, consacré l'action de concert et exigé une publicité pour les pactes
d'actionnaires. En dehors de toute intervention spécifique, c'est bien évidemment le
régime de droit commun qui trouve à s'appliquer, la jurisprudence consacrant aux
groupes de sociétés les solutions qu'elle a dégagées pour les sociétés prises
individuellement. Il a été ainsi admis qu'une société anonyme, actionnaire
minoritaire d'une autre société, dont le président faisait l'objet de poursuites
pénales, était bien fondée à faire désigner un administrateur provisoire non
seulement dans cette société, mais également dans les autres sociétés du groupe
auquel elle appartenait. En revanche, si l'actionnaire d'un holding n'est pas
actionnaire de la filiale concernée par une opération de gestion litigieuse, il n'a pas
qualité pour obtenir l'expertise de gestion.

L'arrêt compagnie de Navigation mixte c/ Allianz de la Cour de cassation symbolise


la position de la Haute juridiction quant au droit d'un actionnaire minoritaire d'un
holding, d'obtenir une expertise de gestion sur une opération réalisée par une ou
plusieurs filiales de ce holding. En l'espèce, l'une des filiales d'un holding de
compagnies d'assurances avait résilié un contrat de réassurance qu'elle avait conclu
avec une autre société. Prétendant que cette résiliation avait entraîné une perte
importante répercutée dans les comptes consolidés de celle-ci, un actionnaire de la
société mère avait demandé une expertise de gestion portant, notamment, sur des
opérations réalisées par la filiale. La Haute juridiction a estimé que la Cour d'appel
avait légalement justifié sa décision en retenant que cette demande était irrecevable
pour défaut de qualité, dès lors que le demandeur n'était actionnaire d'aucune des
sociétés parties au contrat en cause, et que les répercussions de la résiliation de
cette convention sur les comptes consolidés du holding (...) étaient sans incidence
sur l'étendue du droit de faire contrôler une opération de gestion réservée à
l'actionnaire de la personne morale qui l'a effectuée.

Même si la solution est juridiquement fondée, l'actionnaire de la société mère


n'étant pas actionnaire de la filiale, elle n'en demeure pas moins insatisfaisante, car
elle fait abstraction de la subordination économique de la filiale et de
l'interdépendance des sociétés du groupe. Cette solution est d'autant moins
acceptable que la jurisprudence ne semble pas s'opposer à ce que la mauvaise
gestion des filiales par la société mère ou l'insuffisance de contrôle exercée sur
celles-ci, justifie la désignation d'un « expert » dans la société mère, et dont la
mission s'étendrait aux filiales. Il s'agit, d'une part, de l'expertise préventive et,
d'autre part, de l'administrateur provisoire, que nous étudierons successivement.

S'agissant de l'expertise préventive prévue par l'article 145 du nouveau Code de


procédure civile (ci-après N.C.P.C.), on sait que la Cour de cassation a admis que la
mission d'investigation dudit expert pouvait s'étendre à l'ensemble des sociétés.
L'intérêt d'avoir recours à cette expertise, et non pas à l'expertise de minorité, réside
dans le fait que la mesure d'instruction ainsi prescrite n'est pas « attitrée », c'est-à-
dire une mesure réservée à certaines catégories de demandeurs. Ainsi, tous ceux qui
réclament une mesure d'expertise, alors qu'ils ne sont pas associés des sociétés qui
ont effectué les opérations contestables, peuvent le faire, sur le fondement de
l'article 145 du N.C.P.C., à la condition que la mesure sollicitée soit justifiée par «

34
un motif légitime ». Dans l'arrêt précité Hottinguer, la Cour de cassation a précisé
que « pour retenir l'intérêt personnel des demandeurs qui, caractérisait leur qualité,
et se confondait avec le motif légitime au sens de l'article 145 du N.C.P.C., la Cour
d'appel (..) a souverainement relevé que l'augmentation de capital réservée à un
nouvel associé prenant le contrôle de la « société financière Hottinguer » avait
abouti à réduire de moitié la participation des associés de la branche minoritaire
dans le sous-groupe familial français, tout en renforçant corrélativement la position
de la branche rivale, sans qu'ait été négociée la cession de cette participation et que
si, comme il était prétendu, la valeur des actifs retenue lors de l'augmentation de
capital était inférieure à la valeur réelle, la décision intervenue s'était faite au
détrimet des associés minoritaires ». Pour Paul Le Cannu, « l'indépendance des
personnes morales n'est pas un obstacle pour apprécier l'intérêt des demandeurs (..)
l'expertise de groupe existant déjà ».

L'idée selon laquelle l'expertise de gestion serait une application aux droits des
sociétés du principe des expertises préventives semble aujourd'hui admise, bien que
ces deux textes mettent en oeuvre, sur le plan procédural, des droits de nature
différente : l’expertise de gestion porte en effet sur le droit à l'information des
actionnaires dans la société anonyme, tandis que l'article 145 sur le droit d'obtenir
toute mesure d'instruction légalement admise sur un fait dont peut dépendre la
solution du litige. L'amalgame qui s'est produit entre ces deux mesures tient
certainement au fait que, pour mettre en oeuvre ces droits, des techniques quasi
identiques ont été utilisées. Dans les deux cas, le juge des référés est compétent
pour connaître des demandes. De plus, l'information, d'une part, et l'instruction,
d'autre part, sont réalisées toutes deux dans un rapport de l'expert. La confrontation
des deux mesures montre que de nombreux points communs peuvent les
rapprocher, sauf en ce qui concerne la condition de recevabilité de l'action : la
qualité. Si l'exercice de la demande d'expertise préventive n'est pas réservé, il en va
tout différemment de la demande d'expertise de minorité. Ce qui explique
certainement le succès grandissant de l'expertise de l'article 145.

Force est de constater que la souplesse d'utilisation de l'article 145 du N.C.P.C. est
remarquable, mais il est regrettable de voir que l'article 226 de la loi du 24 juillet
1966, disposition spéciale du droit des sociétés, ne puisse trouver application en
raison de l'exigence de la qualité du demandeur à l'expertise, la Cour de cassation
ayant toujours affirmé que cette action avait un caractère « réservé ».

S'agissant de l'administrateur provisoire, la jurisprudence admet également que sa


mission puisse s'étendre à l'ensemble des sociétés du groupe. Par un arrêt de rejet
du 5 février 1985, la chambre commerciale de la Cour de cassation a admis qu'une
société anonyme actionnaire minoritaire d'une autre société, dont le président faisait
l'objet de poursuites pénales, était recevable et bien fondée à faire désigner un
administrateur provisoire non seulement à cette société, mais également aux autres
sociétés du groupe auquel elle appartenait. C'est ainsi qu'est né « l'administrateur
provisoire du groupe » sous réserve que soit constatée la carence des dirigeants de
droit et l'existence d'un péril des intérêts sociaux. En effet, seul le péril justifie la
nomination d'un administrateur provisoire, qui reste une mesure grave, et l'éviction
conséquente des dirigeants de droit.

35
La désignation d'un administrateur provisoire participe au courant qui a vu la
désignation d'un contrôleur de gestion à la demande d'un ancien actionnaire, la
nomination d'un mandataire à l'information, d'un mandataire chargé de veiller à la
sauvegarde des intérêts de cédants d'actions ou enfin d'un « enquêteur ». Il est vrai
que dans les groupes de sociétés, les décisions essentielles étant prises à un autre
échelon que celui de la filiale, il est important d'aider les associés minoritaires à
obtenir une information plus satisfaisante. Mais il n'en est pas moins vrai que ce
qu'autorise la jurisprudence avec la désignation de tel « enquêteur » dans les
groupes de sociétés, pourrait être tout aussi bien permis avec la désignation d'un
expert de gestion.

La jurisprudence admet déjà que les minoritaires d'un groupe obtiennent la


désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du N.C.P.C. pour les
opérations de gestion de sociétés du groupe où ils ne sont pas associés. La chambre
criminelle de la Cour de cassation a infléchi sa position en estimant recevable la
constitution de partie civile d'un actionnaire de la mère pour un abus de biens
sociaux au détriment d'une filiale. Le sénateur Philippe Marini recommande même
une nouvelle rédaction de l'article 226 et ce au titre d'une amélioration de
l'information et de la protection des associés. Il propose en effet de renforcer le
contrôle exercé par les associés sur certaines opérations de gestion, par la faculté
qui serait offerte aux actionnaires de la société mère détenant au moins 10 % de son
capital, de solliciter une expertise de minorité des filiales (proposition no 84). Cette
dernière proposition conduirait à une modification de l'article 226 de la loi du 24
juillet 1966. En effet, « d'une part, le contexte de l'article 226 montre bien que l'on y
désigne l'actionnaire d'une société déterminée, à l'intérieur de laquelle divers
moyens de contrôle sont mis en place (..). De plus, il existe un lien entre
l'actionnaire et le capital qu'il représente, qui exprime clairement une application au
sein d'une société déterminée dont le demandeur doit être actionnaire ».

Proposer l'extension de l'expertise de minorité au profit des actionnaires de la


société mère apparaît ainsi comme une simple mise au point, et encore incomplète
car imprécise. Comment l'expert pourra-t-il apprécier l'acte de gestion ? Devra-t-il
se situer au regard de l'intérêt du groupe ? de la société victime ? des actionnaires
de la société victime ? Ne faudrait-il pas adopter une solution bilatérale ? Des
minoritaires de filiales n'auraient-ils pas intérêt à demander eux aussi une mesure
d'expertise portant sur des actes de gestion accomplis par la société mère ? Ceci
peut apparaître judicieux car, chacun le sait, les décisions essentielles sont prises à
un autre échelon que celui des filiales. Mais, se poser ces questions revient, en
définitive, à se demander si admettre une telle extension de l'expertise de minorité
ne risque pas de multiplier les contentieux dont les minoritaires seraient avides,
semble-t-il.

1.2. La qualité du défendeur

a) La société
La demande est nécessairement dirigée contre la société elle-même, représentée par
ses dirigeants pris ès-qualité et non personnellement106. Toutefois, il a été a estimé
que le demandeur a la faculté d'attraire en la cause, les administrateurs qui sont à

106
CA Paris, 9 déc. 1994 : Bull. Joly 1995, § 42, p. 161, note P. Le Cannu.

36
l'origine de l'opération litigieuse, et par anologie en cas de pluarité de gérants dans
une société à responsabilité limitée107, ce qui est critiquable et relève sans doute d'une
confusion entre l’expertise de gestion et l’expertise de droit commun.

b) La société filiale108
Ainsi on s'interroge sur le rôle que l'expertise de gestion peut ou doit jouer dans les
groupes de sociétés109. La question est embarrassante. D'un côté, cantonner cette
expertise à une société isolée la priverait de toute utilité lorsque cette société fait
partie d'un groupe. D'un autre côté, l'article 226 ne permet pas à un actionnaire
d'obtenir la désignation d'un expert chargé d'enquêter dans une société dont il ne fait
pas partie110. La solution consisterait sans doute à étendre la mission de l'expert,
désigné dans une société, à l'ensemble des sociétés du groupe, qui devraient être
appelées à l'instance en désignation. Cette extension a été admise en matière
d'administration judiciaire, mesure plus grave que la simple expertise de gestion111.
Mais elle risque de porter atteinte au secret des affaires et ne devrait être admise
qu'avec prudence.

Dès lors que les demandeurs à l'action visant à la nomination d'un expert de gestion
n'établissent pas représenter au moins le dixième du capital social d'aucune des
sociétés en cause, et ne démontrent pas que les opérations qu'ils critiquent - sachant
que celles-ci concernent les filiales d'un même groupe - procèdent d'actes de gestion
de la société holding dont ils sont actionnaires, les filiales intimées sont fondées à
invoquer l'irrecevabilité de la demande faute de qualité à agir des demandeurs, la
notion d'actionnaire du groupe n'étant pas reconnue en la matière.

En effet, les opérations susceptibles de faire l'objet de l'expertise prévue à l'article 226
de la loi du 24 juillet 1966 doivent relever de la gestion de la société dont les
demandeurs sont actionnaires et non de celles des filiales, qui ont leurs propres
organes de gestion. Les répercussions alléguées sur les comptes consolidés de la
société mère sont sans incidence, le droit de faire contrôler une opération de gestion
étant réservé à l'actionnaire de la société qui a effectué cette opération. En l'espèce et
pour l'essentiel, les actionnaires du holding justifiaient leur action par le manque
d'information ayant entouré la constitution de certaines provisions pour risques
affectant les comptes des filiales et les prises de participations importantes réalisées
par ces dernières.

En outre, si aux termes des articles 228 et 229 de la loi précitée, les commissaires aux
comptes peuvent effectuer des investigations auprès de la société contrôlée et auprès
de l'ensemble des sociétés comprises dans la consolidation, l'article 226 ne prévoit pas
l'extension de la mission de l'expert aux autres sociétés du groupe.

107
CA Paris, 8 sept. 1999, Bull. Joly 1999, § 271, p. 1171, note T. Massart.
108
CA Lyon, 3e ch., 31 mars 1995 JCP E ….V. Cass. com., 14 déc. 1993 : JCP 1994, éd. E, II, 567,
note Yves Guyon, ayant déjà décidé que l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ne pouvait être
appliqué à un acte de gestion accompli par une filiale.
109
P. Le Cannu, L'expertise de gestion et les filiales : Bull. Joly 1994, p. 147.
110
Cass. com., 14 déc. 1993 : JCP 1994, éd. E, II, 567, note Y. Guyon ; D. 1993, p. 301, note C.
Gavalda. - CA Lyon, 31 mars 1995 : JCP 1996, éd. E, pan. 337 ; RTD com. 1997, p. 107, note C.
Champaud.
111
Cass. com., 5 févr. 1985 : JCP 1985, éd. G, II, 20492, note A. Viandier

37
Par ailleurs, les prétentions formulées par conclusions additionnelles relatives à des
faits allégués visant le holding, éléments qui ont été invoqués dans une précédente
instance en référé au titre d'une action fondée sur l'article 145 du NCPC, constituent
une demande nouvelle irrecevable et non la révélation d'un fait au sens de l'article 564
du NCPC.

c) La société étrangère
Une expertise de gestion peut-elle être ordonnée à l'encontre d'une société étrangère ?
En l'absence de convention, l'application du code des sociétés commerciales est de la
compétence de la lex societatis, ce qui signifie qu'une société étrangère ne relevant
pas de la législation tunisienne sur les sociétés ne peut pas faire l'objet d'une expertise
devant une juridiction tunisienne112.

2) La compétence juridictionnelle
L’expertise de gestion est ordonnée par le juge des référés du lieu du siège social. La
procédure de nomination de l'expert de gestion obéit au principe du contradictoire
établi par le Code de procédure civile et commerciale.

3) Le déroulement de l’expertise
S'il est fait droit à la demande des associés minoritaires, c'est la décision de justice qui
détermine la mission et les pouvoirs des experts. La loi n'a pas fixé le régime
procédural de l'expertise de gestion.

La phase du dépôt du rapport d’expertise est soumise au principe du contradictoire.


Par application de l’article 139 du code des sociétés commerciales, lorsque l'expert a
terminé les opérations d'expertise, il rédige un rapport qu'il dépose au greffe du
tribunal dans le délai imparti par la décision qui ordonne l'expertise. Il est remis une
copie au demandeur, aux gérants et au commissaire aux comptes en vue de la
prochaine assemblée générale.

En revanche, la question de savoir si les règles du contradictoire applicables à


l'expertise judiciaire civile sont applicables à l'expertise de gestion, lors de son
déroulement, est débattue. Une réponse du garde des sceaux francais s'est prononcée
positivement et a précisé que les opérations doivent se dérouler en présence des
parties ou celles-ci dûment appelées113.

La Cour d'appel d'Orléans a jugé en 1971 que les dispositions du Code de procédure
civile interdisant à l'expert judiciaire de se faire assister de tel expert ou collaborateur
de son choix et lui faisant obligation d'impartir un délai pour l'accomplissement de sa
mission sont applicables à l'expertise de gestion. Mais la doctrine est restée divisée
sur le point de savoir si l'expertise de gestion doit être régie par l'ensemble des règles

112
CA Versailles, 27 févr. 1997 préc. - V. J. Mestre, Chr. Blanchard-Sébastien et D. Vélardocchio, op.
cit., n° 1242.
113
Rép. min. Justice : Rev. sociétés 1971, p. 113

38
applicables à l'expertise judiciaire114. Les conséquences sont importantes puisque le
non-respect du contradictoire dans les opérations d'expertise judiciaire est sanctionné
par la nullité du rapport d'expertise. En 1996, la Cour de cassation s'est prononcée
pour un principe du contradictoire atténué en matière d'expertise de gestion,
l'expertise pouvant être valable même si les parties n'ont pas eu copie des documents
consultés par l'expert. Elle a jugé que "l'expert désigné en application de l'article 226
de la loi du 24 juillet 1966 peut procéder seul à certaines constatations dans la
comptabilité et les documents remis en consultation par la société, sans qu'au cours de
l'expertise ceux-ci soient communiqués aux demandeurs dès lors que le rapport qu'il
est chargé de présenter est destiné à fournir tous les éléments utiles à l'information sur
la ou les opérations de gestion en cause"115. Ainsi, les minoritaires n'ont pas un droit
d'accès à l'ensemble des documents qui peuvent être soumis à l'expert.
Certains auteurs116 ont expliqué cette atténuation du principe du contradictoire par le
fait que la mission de l'expert de gestion est "conçue de telle façon qu'elle permette
d'assurer un équilibre entre des impératifs contradictoires, le droit à l'information des
demandeurs et la protection du secret des affaires de l'entreprise, et qu'elle prenne en
compte la situation de conflit latent entre les associés minoritaires ou le comité
d'entreprise et les dirigeants sociaux... Cette conception de la fonction de l'expert de
gestion implique que les demandeurs à l'expertise n'aient pas un droit direct sur tous
les éléments concernant la gestion sociale qui lui sont remis".
La jurisprudence a donc la tâche difficile de permettre la réalisation de ce subtil
dosage entre les intérêts réciproques des parties et l'application du principe du
contradictoire.

§ 2 Les conditions de fond

1. Les conditions préalables

, critère général et explicite de l'expertise de gestion


La présomption d'atteinte à l'intérêt social s'avère nécessaire pour justifier la demande
d'expertise117 (1.1), mais ni la preuve de l'atteinte à l'intérêt social (1.2) ni encore
l’épuisement des autres moyens d’information ne sont inexigées (1.3).

114
CA Orléans, 22 nov. 1971 : Bull. Joly 1972, p. 288 ; JCP G 1972, II, 17154, note Guyon ; Rev.
sociétés 1973, p. 130, note Hémard.
115
Cass. com., 26 nov. 1996 : Bull. Joly 1997, § 43, p. 130, note Scholer ; Rev. sociétés 1997, p. 97,
note Le Cannu ; JCP E 1997, I, 639, obs. Viandier et Caussain ; RJDA 1997, n° 368.
116
N. Dedessus Le Moustier, Expertise de gestion et principe du contradictoire : Rev. sociétés 1998, p.
45.
117
Cass. com., 10 février 1998. JCP E 1998, p. Deen GIBIRILA : N'a pas donné de base légale à son
arrêt au regard de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966, la cour d'appel qui, pour refuser d'ordonner
l'expertise de gestion, demandée par les actionnaires minoritaires, a retenu qu'en réalité ceux-ci
poursuivaient plus leur intérêt personnel visant à se désengager de la société, que l'intérêt social, une
telle mesure paraissant, par ailleurs, inopportune compte tenu de la crise grave sévissant dans le secteur
de l'immobilier, la société de promotion ayant besoin de la confiance des interlocuteurs et investisseurs,
ces motifs étant impropres à établir que l'acte de gestion concerné - à savoir les conditions d'achat d'un
immeuble par son actionnaire majoritaire - n'était pas susceptible de porter atteinte à l'intérêt social et,
ainsi, justifier la demande d'expertise.. L'opération de gestion en cause est l'achat par la société Promo
Réal d'un immeuble à son actionnaire majoritaire et administrateur, la société Réal Investissement. Les
sociétés SAE et Bourdais actionnaires minoritaires et également administrateurs de la société Promo
Réal qui contestaient le bien-fondé de l'acte sociétaire, avaient demandé en justice la désignation d'un
expert de gestion afin d'obtenir des informations sur les conditions d'acquisition du bien immobilier.
Saisie du litige, la Cour de Paris avait écarté leur demande, prétextant qu'ils poursuivaient davantage

39
1.1. La nécessité d'une présomption d'atteinte à l'intérêt social118
La Cour de cassation française pose explicitement le risque d'atteinte à l'intérêt social
comme condition de mise en oeuvre de l'expertise de gestion. Toutefois, auparavant, à
défaut d'être jurisprudentiellement formelle, cette notion n'apparaissait qu'en toile de
fond d'une demande d'expertise. Les tribunaux décidaient simplement qu'une telle
demande devait revêtir un caractère sérieux119. Une évolution extensive du domaine
de l'expertise fondée sur la prise en considération de l'intérêt social qui s'est affirmée
ces dernières années120. Cette nouvelle orientation n'a pas pour autant restreint la
possibilité d'agir en demande d'expertise, compte tenu de la convergence souvent
observée entre l'intérêt des actionnaires demandeurs et celui de la société.
Si elle ne constitue pas un ultime remède et n'implique pas que le demandeur ait
épuisé les autres moyens d'information légaux et statutaires121, l'expertise de gestion
incarne une mesure judiciaire grave en ce qu'elle réduit le crédit de la société par la
suspicion qu'elle crée sur la validité d'une opération sociale122. Il s'avère donc
nécessaire que les juges apprécient l'opportunité de la prononcer et ne l'ordonnent
qu'en présence de présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations
de gestion déterminées123. Aussi, la tendance actuelle de la jurisprudence est d'écarter

leur intérêt personnel que l'intérêt social et que l'opportunité d'une pareille mesure d'expertise
apparaissait d'autant moins démontrée que le secteur de l'immobilier connaissait une grave crise et
qu'une société de promotion immobilière avait besoin de la confiance des tiers.
118
CA Lyon, 3e ch., 29 sept. 1995 JCP E Jean-Jacques CAUSSAIN, Alain VIANDIER, Jean-Jacques
CAUSSAIN et Alain VIANDIER. Il y a lieu de confirmer la nomination d'un expert qui avait été
désigné en référé [sur le fondement de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966] aux fins d'apprécier les
relations ou conventions ayant existé entre deux sociétés et les administrateurs de l'une d'elles.
Toutefois, il n'y a pas lieu à expertise dans les hypothèses suivantes : pour des conventions
réglementées dont fait état le rapport du commissaire aux comptes ; pour le montant du chiffre
d'affaires dont l'exactitude a été certifiée par le commissaire aux comptes et pour lequel le demandeur
n'apporte pas de présomption suffisamment forte pour faire douter de la régularité des comptes ; pour le
montant des frais inscrits au compte "charges externes" qui a été certifié et sur lequel le PDG a répondu
suite à une demande de renseignements d'un actionnaire ; enfin pour les salaires versés dans le cadre
d'un cumul de mandat social et de contrat de travail, la déclaration annuelle de données sociales faisant
état du salaire de l'administrateur visé et le demandeur ne justifiant d'aucune présomption suffisante
d'irrégularité pour le montant du salaire. En revanche, l'expertise doit être ordonnée sur la nature et la
légitimité des comptes courants, dès lors que la certification du commissaire aux comptes porte sur la
somme de 222.500 F alors que le PV prévoyait une libération du capital à hauteur de 375.000 F par
incorporation des comptes courants.
119
Cass. com., 15 juill. 1987 : Bull. civ. IV, n° 193 ; Bull. Joly 1987, p. 703, note P. Le Cannu ; RTD
com. 1988, p. 75, obs. Y. Reinhard ; - 22 mars 1988 : Bull. civ. IV, n° 124 ; Rev. sociétés 1988, p. 227
; Petites affiches 23 mai 1988, p. 4, note P. Moretti.
120
V. en ce sens Cass. com., 18 oct. 1994 : Bull. civ. IV, n° 306 ; RJDA 2/1995, n° 168, qui énonce
l'idée de "méconnaissance de l'intérêt social".
121
CA Versailles, 20 avr. 1995 : RJDA 8-9/1995, n° 993 ; Bull. Joly, 1995, p. 850, note P. Le Cannu. -
Cass. com., 21 oct 1997 : Bull. civ. IV, n° 282 ; JCP E 1998, n° 1-2, p. 37, note Y. Guyon ; BRDA
1997, n° 22, p. 5 ; RJDA 1/1998, n° 64 ; Rev. sociétés 1998, p. 82, note P. Didier ; RTD com. 1998, p.
171, obs. B. Petit et Y. Reinhard ; Bull. Joly 1998, p. 30, note P. Le Cannu. N'entrent pas cependant
dans le champ d'application de l'article 226 les contestations visant de prétendues irrégularités
comptables pour lesquelles des explications peuvent être demandées aux dirigeants sociaux ou aux
commissaires aux comptes par les voies de droit habituelles (Cass. com., 16 juill. 1991, 3 arrêts :
BRDA 1991, n° 18, p. 13 ; RJDA 10/1991, n° 815)
122
CA Paris, 12 janv. 1977 : JCP G 1978, II, 18823, note Y. Chartier.
123
Cass. com., 22 mars 1988, préc. note (3) ; - 8 janv. 1991 : Bull. Joly 1991, p. 285 ; RJDA 4/1991, n°
308

40
toute demande qui se contente d'invoquer l'intérêt social en termes de portée générale
et imprécise124.
La Cour de cassation ne paraît pas cependant abandonner complètement au pouvoir
souverain des juges du fond l'appréciation du caractère suspect ou non des opérations
visées125. Elle leur refuse de se substituer aux experts de gestion qu'ils ont mission de
désigner et auxquels il revient de se prononcer sur la validité des opérations de gestion
qui constituent l'objet même de l'expertise126. N'a-t-elle d'ailleurs pas déjà affirmé que
les juridictions du fond violaient l'article 226 "en se faisant ainsi juge des opérations
de gestion suspectées et de l'évolution financière de la société, alors qu'était demandée
la désignation d'un expert"127. Les juges n'ont pas pour fonction de contrôler les
opérations de gestion. Ils doivent seulement apprécier la légitimité de la demande
d'expertise, et non point celle de l'opération elle-même. A cet effet, il leur suffit de
constater la possible contrariété de l'intérêt social par l'opération incriminée pour
ordonner l'expertise ; ce qui suppose à la fois que l'opération est suspecte et la
demande sérieuse.
Assurément, une irrégularité juridique, comptable ou économique affectant la vie
sociétaire nuit à l'intérêt social. De l'irrégularité touchant un des éléments
fondamentaux du pacte sociétaire, notamment les apports, la participation aux
bénéfices et aux pertes, la volonté de collaborer ou l'entreprise commune, en matière
d'expertise de gestion, on peut rapprocher la rupture d'égalité entre les associés,
caractéristique de l'abus de majorité ou de minorité où le juge prend également en
compte l'intérêt social.

1.2. L'inexigibilité de la preuve de l'atteinte à l'intérêt social


La recevabilité de la demande d'expertise de gestion tient-elle pour autant à la preuve
de l'atteinte portée à l'intérêt social ?
La réponse à cette question est bien évidemment négative. Le caractère exceptionnel
de la mesure d'expertise justifie le rejet de la demande, dès l'instant où l'intéressé
dispose d'informations satisfaisantes128. Il exige des juges du fond d'apprécier le
caractère sérieux de la demande et de rechercher les présomptions d'irrégularité
affectant une ou plusieurs opérations de gestion. Le bien-fondé de la demande de
nomination d'un expert n'est pas subordonné à la preuve que les organes ont méconnu
l'intérêt social et détourné leurs pouvoirs, car la mesure d'information et de contrôle
tend précisément à l'établissement de cette preuve.
La solution est tout à fait logique car si les actionnaires minoritaires détenaient la
preuve de la non-conformité de l'acte à l'intérêt social, ils seraient suffisamment
informés et chercheraient à sanctionner la gestion129. Rapporter une telle preuve

124
CA Paris, 16 févr. 1982 : Rev. sociétés 1982, p. 848, note J. Guyénot.
125
Cass. com., 6 juill. 1982 : Bull. Joly 1982, p. 785 ; Rev. sociétés 1983, p. 356, note P. Le Cannu.
126
Cass. com., 15 juill. 1987, préc
127
Cass. com., 7 déc. 1983 : Bull. Joly 1984, p. 304 ; Rev. sociétés 1985, p. 427, M. d'Hérail de Brisis.
128
CA Paris, 5 juill. 1989 : JCP E 1989, I, 18870 ; - 3 mai 1996 : JCP E 1996, I, 589, § 2, obs. A.
Viandier et J.-J. Caussain ; Bull. Joly 1996, p. 805, note P. Le Cannu, rejet de la demande dans la
mesure où elle tend à établir des faits connus ou à interpréter abusivement ceux-ci au stade de ladite
mesure, pour faire d'elle une véritable enquête
129
P. Le Cannu, Eléments de réflexion sur la nature de l'expertise judiciaire de gestion : Bull. Joly
1988, p. 553. - V. pour le rejet de la demande de désignation d'un expert faite par deux administrateurs
qui se trouvaient en possession d'éléments de preuve leur permettant de contester l'opération de

41
reviendrait à anticiper sur les résultats de l'expertise de gestion et par suite, à priver
celle-ci de toute portée. Il convient seulement de démontrer le caractère suspect de
l'opération visée et plus précisément le sérieux de la suspicion, l'expert ayant pour rôle
d'examiner le fondement de cette suspicion. Autrement dit, les demandeurs doivent
fournir des présomptions suffisantes susceptibles d'établir l'utilité de l'expertise130. Ce
n'est pas le cas lorsqu'ils ne procurent aucun élément de nature à faire présumer le
caractère soit irrégulier, soit contraire à l'intérêt social des opérations critiquées131.
Si la demande d'expertise de gestion peut constituer le prélude à une action en
annulation d'une délibération ou en responsabilité contre les dirigeants et reste
ouverte, bien que ces actions soient d'ores et déjà prescrites, l'objet de l'article 226
n'est pas de sanctionner les dirigeants, mais de pallier une carence d'information
donnée par ces derniers. Il n'existe donc ni lien, ni incompatibilité entre une pareille
demande et les actions précitées.

1.3. La demande n’est pas subordonnée à l’épuisement, par son auteur, de tous
les moyens d’nformation à sa disposition132
Bien que limitée dans ses effets, puisqu'elle se borne à une mesure d'information,
l'expertise de gestion prévue par l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 a d'abord
donné lieu à une jurisprudence restrictive. Les tribunaux ont sans doute craint que des
minoritaires processifs ne perturbent la vie sociale en sollicitant, à tort et à travers, des
expertises susceptibles de jeter le doute sur la manière dont les majoritaires géraient la
société. Par conséquent, les premières décisions ont le plus souvent rejeté les
demandes pour les motifs les plus divers dont la non-utilisation préalable par le
demandeur de procédés d'information extra-judiciaires133. Un tournant jurisprudentiel
a été pris avec un arrêt de la Chambre commerciale du 15 juillet 1987134. Selon la
Haute juridiction, l'expertise peut être ordonnée à seule fin d'obtenir des
renseignements dont la recherche constitue un intérêt suffisant, sans que la preuve soit
rapportée que les organes sociaux ont méconnu l'intérêt de la société ou commis un
détournement de pouvoirs et sans qu'il y ait lieu de se demander si les demandeurs
avaient ou non ignoré les opérations sur lesquelles ils désiraient être renseignés.
L’arrêt indique que l'article 226 ne subordonne pas la désignation de l'expert à
l'épuisement par le demandeur des autres moyens d'information dont il disposait. La
précision est intéressante car la Cour de cassation n'avait semble-t-il jamais pris parti
aussi nettement sur cette question controversée. D'un côté, on peut estimer que,
puisqu'il existe une hiérarchie dans les procédés d'information, les actionnaires
doivent commencer par utiliser les moyens extrajudiciaires. Mais, à l'inverse, l'article
226 n'est pas un prix de vertu, décerné aux seuls actionnaires diligents qui ont
demandé l'envoi d'une documentation, assisté aux assemblées et posé des questions

location-gérance envisagée par la société à laquelle ils appartenaient, CA Paris, 16 déc. 1991 : Bull.
Joly 1992, p. 294, note P. L. C.
130
CA Paris, 4 mars 1994 : BRDA 1994, n° 8, p. 4. - CA Versailles, 20 avr. 1995, préc. note (5).
131
CA Paris, 9 déc. 1994 : RJDA 6/1995, n° 728 ; Bull. Joly 1995, p. 161, note P. Le Cannu.
132
Cass. com., 21 oct. 1997 JCP E 1998 Yves GUYON.
133
V. par exemple Cass. com., 10 déc. 1973 : JCP 1974, éd. G, II, 17805, note Y. Chartier ; Rev.
sociétés 1974, p. 336, note J.-P. Sortais ; RTD com. 1974, p. 299, note R. Houin ; - 25 mars 1974 : JCP
1974, éd. G, II, 17853, note Y. Chartier ; - 12 janv. 1976 : JCP 1976, éd. G, IV, 80 ; Rev. sociétés
1976, p. 330, note P. Merle.
134
Bull. civ. IV, n° 193 ; Bull. Joly 1987, p. 703, note P. Le Cannu ; RTD com. 1988, p. 75, note Y.
Reinhard.

42
aux dirigeants. En effet, il est souvent évident que les procédés amiables ne
permettront pas d'obtenir une information pertinente..

2. L’objet de l’expertise de gestion : une opération de gestion déterminée


Il est impossible d’obtenir une expertise générale de la société. Le demandeur doit
préciser les actes de gestion suspects. Mais qu’est-ce qu’une opération de gestion
suspecte ? La jurisprudence retient une notion réductrice de l’acte de gestion en
excluant tous les actes ou délibérations décidées par l’assemblée des associés. Ainsi il
n’est a priori pas possible de demander une expertise de gestion sur la décision
d’augmentation du capital social car cette décision est prise par l’assemblée des
associés (même si l’initiative de l’augmentation émane des dirigeants). L'expertise
peut-elle porter sur les rémunérations des personnes les mieux rémunérées au sein de
la société ? La Cour d'appel de Besançon a admis qu'une expertise puisse porter sur la
rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée, ce qui, cette fois-ci, est
contraire aux affirmations classiques de la jurisprudence qui majoritairement - mais
pas unanimement - applique à la lettre le critère organique de l'opération de gestion :
l'expertise ne peut concerner que les actes accomplis par les dirigeants et non pas les
décisions prises en assemblée générale, puisque celle-ci n'est pas un organe de
gestion. En conséquence, les rémunérations décidées par l'assemblée des associés ne
sont pas des actes de gestion, ainsi que l'a redit voici quelque mois la Cour d'appel de
Toulouse à propos de la communication détaillée des dix meilleures rémunérations
dans une société anonyme. Cependant, rien ne fait obstacle à ce qu'un expert soit
désigné pour apprécier les circonstances dans lesquelles un gérant a soumis une
augmentation de sa rémunération à l'assemblée et peut-être commis une faute en
l'imposant par son vote majoritaire. De plus, l'octroi de gratifications entrant dans la
rémunération décidé par le seul gérant, sans que le vote des associés ait été sollicité,
constitue un acte de gestion, comme l'a reconnu la Cour de cassation.

L'expertise peut-elle porter sur les conditions d'approbation des conventions


réglementées soumises à l’approbation de l’assemblée générale ordinaire en vertu de
l’article 115 du code des sociétés commerciales ? En principe, ces conventions
réglementées peuvent donner lieu à une expertise, car il s'agit d'actes ratifiés par
l'assemblée générale qui en apprécie les conséquences, et non de décisions émanant
de la collectivité des associés en vertu d'une compétence exclusive proclamée par la
loi. Toutefois, encore faut-il que l'opération litigieuse soit suffisamment précise, ce
qui n'est pas le cas si la demande porte sur une période de plusieurs années.

La réponse peut-elle être différente lorsqu’il s’agit d’une convention soumise à


l’approbation de l’assemblée en vertu d’une clause des statuts ? Une réponse
favorable à l’expertise est souhaitable. Notamment l'assemblée qui autorise une
convention entre la société et un tiers paraît bien accomplir un acte de gestion.
L'expertise de gestion serait dès lors recevable dans ce cas.

L’expertise peut-elle porter sur une opération de gestion réalisée dans une filiale ?
Il semble en effet curieux que des associés puissent demander une expertise de
gestion sur une opération réalisée non par leur société mais par une autre société dont
leur société détient le contrôle. En un sens inverse on peut se demander si les associés
des sociétés filiales ont le droit de demander une expertise sur les opérations de
gestion accomplies par la société mère. Cette possibilité est particulièrement

43
intéressante dans la mesure où l’article 477 du code des sociétés commerciales permet
au minoritaire d’agir en responsabilité contre les associés majoritaire en cas de prise
d’une décision ayant pour but de favoriser les intérêts des majoriataires au détriment
des minoritaires.

La demande d'expertise de gestion, afin d'examiner le rachat d'une entreprise par ses
salariés, qui avait été jugée recevable135, a plus récemment été déclarée irrecevable136,
parce que l'opération incriminée relève de la compétence d'une assemblée générale et
non pas d'un organe de gestion. Par contre, les juges ont autorisé l'expertise d'apports
partiels d'actif non soumis au régime des scissions137.
De même, on a admis138 que soit confiée à l'expert une mission comptable qui
complète les contrôles relevant de la compétence des commissaires aux comptes,
mais, en revanche, l'expertise ne peut avoir pour objet de déceler des irrégularités
comptables, car il n'y a que les réviseurs qui aient qualité pour ce faire139.

§ 3 La publicité du rapport d’expertise


Le rapport d’expertise sera communiqué au demandeur, au gérant, et le cas échéant au
commissaire aux comptes. Il sera annexé au rapport du commissiaire aux comptes et
communiqué aux associés avant l’assemblée générale ordinaire annuelle.

135
CA Versailles, 19 déc. 1989 : Bull. Joly 1990, p. 182, note P. Le Cannu.
136
Cass. com., 19 nov. 1991 : JCP E 1992, II, 259, note M. Jeantin.
137
Cass. com., 12 janv. 1993 : JCP E 1993, II, 415, note A. Viandier ; JCP G 1993, II, 22029, note Y.
Guyon ; Bull. Joly 1993, p. 343, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés 1993, p. 426, note B. Saintourens
138
CA Orléans, 22 nov. 1971, préc. note (6).
139
Cass. com., 29 nov. 1983 : Rev. sociétés 1984, p. 317, note Y. Chartier. - CA Paris, 7 mars 1990,
préc. note (14). - CA Versailles, 27 févr. 1997, préc. note (20).

44
Section 2 : L’expertise de diagnostic des entreprises en difficultés économiques

Le régime de redressement des entreprises tend à aider les entreprises qui connaissent
des difficultés économiques à poursuivre leur activité, y maintenir les emplois et à
payer leurs dettes (art. 1er de la loi du 17 avril 1995).

Dans une disposition générale de la loi, il est prévu que « des experts spécialisés
procèdent au diagnostic de la situation économique, financière et sociale des
entreprises en difficultés économiques ». Mais la place des expertise de diagnostic,
dans la procédure est différent selon qu’il s’agit d’une procédure de règlement
amiable ou d’une procédure de règlement judiciaire (§1). La loi organise un système
de financement public des expertises de diagnostic. Son intérêt est indéniable car,
généralement les entreprises bénéficiaires connaissent des difficultés économiques qui
les empêchent de recourir aux services de ces experts (§2).

§ 1 L’expertise de diagnostic

Les experts spécialisés en diagnostic de situations des entreprises en difficultés


économiques sont des experts judiciaires et soumis comme tels à la loi relative aux
experts judiciaires.

La loi de 1995 prévoit deux procédures de redressement : la procédure de règlement


amiable et la procédure de règlement judiciaire.

A- L’expertise de diagnostic dans le règlement amiable

La procédure de règlement amiable est réservée aux entreprises qui n’ont pas atteint le
stade de la cessation de paiement (art. 9). Elle est destinée à favoriser les ententes
entre les créanciers et le débiteur. La demande d’ouverture de la procédure de
règlement amiable est déposée à la commission de suivi des entreprises économiques
laquelle établit un diagnostic prélimianire et le transmet au président du tribunal pour
décision (art. 10)

En cas d’admission de la demande, le juge nomme un conciliateur140. Quoique la loi


permette que le juge assume les fonctions de conciliateur, c’est une tierce personne
qui est toujours désignée. Elle a l'avantage sur le juge d'être plus disponible, de
pouvoir consacrer à la conciliation le temps nécessaire, et elle n'a pas l'inconvénient
d'être celui qui tranchera en cas d'échec de la tentative. Le concliateur est librement
choisi par le juge. Il n’existe pas une liste officielle de conciliateurs à l’instar des
administrateurs judiciaires. La Cour de cassation française qualifie ce tiers, lorsqu'il
est investi de sa mission par décision judiciaire, à titre occasionnel, "d'auxiliaire de
justice", au même titre notamment que les avocats, notaires ou huissiers141.

La mission du conciliateur est de favoriser le fonctionnement de l'entreprise et de


rechercher la conclusion d'un accord avec les créanciers. Il propose aux parties une
solution de leur différend, proposition s'inspirant à la fois de l'état du droit et de

140
Plusieurs juridictions de l'ordre judiciaire maintiennent une procédure de tentative de conciliation
préalable facultative ou obligatoire à tout procès : le tribunal de prud’hommes, le tribunal contonnal.
En matière commercial, les chambres commerciales peuvent juger en amiable compositeur.
141
Cass. com., 17 févr. 1998 : Procédures 1998, n° 86.

45
l'équité, en leur demandant d'y adhérer. Cette solution peut être affinée par un débat
contradictoire. La concilation a pour but de tenter de parvenir à un accord entre le
débiteur et ses créanciers142.

La désignation d'un conciliateur ne dessaisit pas le juge qui peut prendre à tout
moment d'autres mesures, notamment la suspension des poursuites individuelles et
d’exécution visant le recouvrement d’une créance antérieure à la date d’ouverture du
règlement amiable (art. 12 nouveau)143. La mission du conciliateur est d'ailleurs
temporaire : trois mois progeables d’un seul mois (art. 10). Le conciliateur doit tenir
le juge informé des difficultés qu'il rencontre dans l'accomplissement de sa mission.

La conciliation ne peut tourner à la mesure d'instruction et la même personne ne peut


être commise en cours d'instance pour effectuer une mesure d'instruction, notamment
une expertise.

Le conciliateur est rémunéré comme le serait un expert. Le mécanisme procédural


suivi est d'ailleurs calqué sur celui de l'expertise. C’est le juge qui fixe le montant de
ses honoraires. La charge de cette rémunération est supporté par le débiteur (art.
11)144.

La conciliation peut aboutir à la conclusion d’un accord entre le débiteur et ses


créanciers (art. 15). Cet accord est soumis au principe de la liberté contractuelle145.
L’accord produit sa force obligatoire dès sa signature sauf si les parties ont prévu une
condition suspensive d’homologation par le juge.

L’accord amiable, établi sous les auspices du conciliateur et signé par les parties, doit
être soumis à l’homologation du juge. Ce dernier ne peut modifier la teneur des
accords intervenus, mais lorsque l’accord ne concerne pas tous les créanciers mais
simplement les 2/3 des dettes, le juge peut donner un coup de pousse en faveur de

142
La différence est mince entre conciliateur et médiateur car le but est le même, on peut dire que le
conciliateur propose la solution alors que le médiateur conduit les parties à trouver elles-mêmes la
solution. Il remplit une fonction de maïeutique.
143
Toutefois, les créanciers postérieurs à la décision de suspension prise par le président du tribunal de
commerce, ne sont ni concernés par celle-ci, ni protégés par un article équivalent à l'article….
144
Cass. 2e civ., 26 mars 1997 JCP G 1997 p. 1090. Si les contestations relatives aux honoraires des
auxiliaires de justice, à titre occasionnel ou non, dont le mode de calcul n'est pas déterminé par une
disposition réglementaire, demeurent soumises aux règles qui leur sont propres, en l'absence de telles
règles, les articles 710 et 712 à 718 du Nouveau Code de procédure civile sont applicables. C'est donc à
tort que le premier président a déclaré irrecevable le recours formé contre une ordonnance taxant les
honoraires d'un mandataire particulier, au motif que seule la voie de l'appel était ouverte.
145
Cass. com., 13 oct. 1998 JCP G 1998 p. 3317: a) La loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et
au règlement amiable des difficultés des entreprises n'impose pas que l'ensemble des dettes du débiteur
fasse l'objet d'un tel règlement, le créancier restant libre de s'engager dans les liens d'un règlement
amiable pour partie seulement de ses créances.
Pour rejeter l'opposition à l'injonction de payer, la cour d'appel a relevé que le propre décompte du
débiteur aboutissait à un total représentant ses dettes incontestées et que l'arrêté officiel de la créance
du demandeur ne reprenait pas, dans la procédure de règlement amiable, la somme dont il était réclamé
paiement.
b) Ne donne pas de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil, l'arrêt qui
condamne le débiteur à payer au créancier des dommages-intérêts pour résistance abusive, aux motifs
qu'il a contraint les services comptables à effectuer un travail considérable de recherche par sa demande
de communication de pièces, ces motifs étant impropres à caractériser l'abus de droit

46
l’entreprise en ordonnant le rééchelonnement des autres dettes quelle que soit leur
nature sur une période ne dépassant pas la durée de l’accord146.
146
Le juge judiciaire peut suspendre l'exigibilité des créances fiscales sur le fondement de la loi du 1er
mars 1984 par Danièle MELEDO-BRIAND
Selon l'article 36 de la loi du 1er mars 1984, quand le débiteur fait l'objet d'une procédure de règlement
amiable et qu'un accord est conclu avec les principaux créanciers, le président du tribunal peut accorder
au débiteur les délais de paiement prévus à l'article 1244-1 du Code civil pour les créances non incluses
dans l'accord, ce texte spécial couvrant toutes ces créances et dérogeant à la loi générale qui exclut
l'octroi de délais de grâce pour certaines créances, notamment fiscales.
L'arrêt énonce, à bon droit, que l'article 36 ne distingue pas entre les différentes natures de créances ;
l'arrêt a, par décision motivée, décidé souverainement d'accorder des délais de paiement pour les dettes
fiscales ; ainsi, abstraction faite du motif erroné mais surabondant selon lequel la règle de l'égalité des
créanciers, principe fondamental des procédures collectives, s'applique à la procédure de règlement
amiable, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
Cass. com., 16 juin 1998 1998 JCP G p. 10218

Note : Dans le cadre d'un règlement amiable, le juge peut imposer des délais de paiement aux services
fiscaux.
Telle est la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans une décision de
rejet du 16 juin 1998 (Note 1).
Se trouve ainsi tranchée une discussion ouverte par la Cour d'appel de Rennes à l'occasion d'un arrêt du
27 mars 1996 qui avait particulièrement retenu l'attention (Note 2). La Cour a en effet, alors, décidé
que dans le cadre d'un règlement amiable, des délais de paiement peuvent être imposés aux créanciers
ayant refusé le plan, et plus précisément aux organismes sociaux et aux services fiscaux. Ce faisant, les
juges portent atteinte aux principes d'exclusivité de compétence à l'égard de l'Administration et du
système juridictionnel dont elle relève (Note 3).
Nous avions eu l'occasion de souligner à l'époque, la confusion de règles de procédure qui avait servi
de terreau à la décision sur le fond (Note 4). Cette question n'a pas été portée devant la Cour suprême.
Seul le conflit dans la hiérarchie des normes a fait l'objet de mémoires déposés par le Trésor public.
Pour rejeter le pourvoi, la Cour suprême met en échec le principe de séparation des fonctions
administratives et judiciaires invoqué par le demandeur (1). Cependant elle ne confirme pas en toutes
ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes puisqu'elle met aussi en échec la tentative des
magistrats bretons d'insérer le règlement amiable dans la mouvance du traitement des entreprises en
difficulté déclarées (2).
1 - Échec au principe de séparation des fonctions administratives et judiciaires
L'article 36 de la loi du 1er mars 1984 permet au président du tribunal de commerce d'accorder des
délais de paiement prévus à l'article 1244-1 du Code civil, pour les créances non incluses dans le
règlement amiable. La cour d'appel ayant fait application de ce texte aux créances fiscales, la Cour
suprême estime que "l'arrêt énonce, à bon droit, que l'article 36 de la loi du 1er mars 1984 ne distingue
pas entre les différentes natures de créances" et que le juge judiciaire est en conséquence compétent
pour accorder ces délais de grâce.
S'en tenant à une interprétation littérale du texte, la Cour suprême n'a pas retenu les arguments du
pourvoi fondés sur la hiérarchie des normes. La ligne de défense présentée par les services fiscaux met
en avant le droit commun de l'article 1244-1 du Code civil auquel renvoie l'article 36 de la loi de 1984,
article 1244-1 non applicable "au droit fiscal qui reste soumis à des principes dérogatoires". Déroulant
son raisonnement, le pourvoi constate que le règlement amiable s'organise dans le cadre du droit
commun des contrats, et qu'en conséquence la hiérarchie des normes reconnue dans ce cadre doit être
respectée.
Les juges de cassation ne reprennent pas ces arguments relatifs à la nature profonde de la procédure de
prévention. Cette recherche sur la nature du règlement amiable n'a en fait aucune incidence pour la
Cour de cassation sur le domaine d'intervention du président du tribunal. En soi cette institution
autorise le juge à imposer des délais, sans exclusive.
On ne peut s'empêcher, devant la force de cette affirmation, de tenter d'en cerner la portée.
Sur le plan théorique d'abord, la seule appartenance des techniques de prévention à un ordre public
économique fonde semble-t-il les nouveaux pouvoirs dévolus au juge de la prévention par la loi du 10
juin 1994 réformant la loi du 1er mars 1984. On parle de "judiciarisation" de la prévention (Note 5), or
elle n'est que la conséquence d'une volonté claire du législateur de donner les moyens de la prévention,
au-delà des règles de droit commun si nécessaire. En réalité les distinctions classiques du "tout
judiciaire" ou du "tout conventionnel" se brouillent (Note 6). Il ne peut plus y avoir de conséquences

47
induites nécessairement de ces qualifications juridiques, comme a tenté de le faire dans notre espèce le
pourvoi.
Sur le plan pratique surtout, la portée de l'arrêt de la Cour suprême est retentissante. Les services
fiscaux mais aussi les organismes d'assurances sociales ne pourront avoir un traitement différencié de
leurs créances du point de vue de l'ordre juridictionnel compétent. Sans doute cette uniformité dans le
traitement est-elle pertinente dans l'optique d'un traitement global d'une situation de redressement de
l'exploitation. Cette situation n'empêchant pas bien sûr le juge de gérer au cas par cas les situations de
chaque créancier puisqu'il décide "souverainement d'accorder des délais de paiement" affirme la Cour
de cassation.
Mais il faudra être attentif aux comportements nouveaux que ne manqueront pas d'avoir les créanciers
concernés. Créanciers, mais aussi partenaires institutionnels de l'entreprise en difficulté, ils sont très
vite informés de la situation réelle de leur débiteur, ils pourront dès lors développer des stratégies de
recouvrement précoces en vue de rester maîtres de la destinée de leurs créances.
Ces stratégies ne devront pas s'orienter vers une assignation en redressement judiciaire destinée à faire
pression sur le débiteur in bonis, mais en retard de règlement. Les juridictions du fond, confirmées par
la Cour de cassation, n'hésitent pas à sanctionner de tels comportements (Note 7).
De nouvelles pratiques vont plutôt naître, d'autant que la situation financière des débiteurs susceptibles
d'un règlement amiable a changé depuis un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour suprême en
date du 28 avril 1998. Quand bien même il convient d'être prudent sur la portée de cette décision (Note
8), la cour n'en retient pas moins la faculté de se fonder sur une définition restrictive de l'état de
cessation des paiements, critère de mise en redressement judiciaire. La cour réduit "le périmètre du
passif exigible au passif exigé" a-t-on observé (Note 9). Le champ d'application des procédures
préventives s'élargit en conséquence à des débiteurs dont la situation financière est largement obérée,
ce qui, il est vrai, était déjà pratique courante.
Face à ces nouvelles jurisprudences il est indéniable que le pouvoir du juge du règlement amiable
s'accroît. Il s'agit en outre d'une reconnaissance de compétence propre à la prévention, et exclusive
d'une intégration à l'environnement plus large du traitement des entreprises en difficulté selon la Cour
de cassation.
2 - Échec de la tentative de globalisation du traitement des entreprises en difficulté ?
Dans son arrêt de 1996, la Cour d'appel de Rennes n'hésite pas à poursuivre son raisonnement sur la
compétence du juge de la prévention en opérant un déplacement du centre de gravité du droit de la
faillite (Note 10). Les juges considèrent que l'élargissement du domaine d'application de l'article 36 de
la loi de 1984 à tous les créanciers, quels qu'ils soient, est une manifestation de "la volonté du
législateur de voir ainsi appliquer la règle de l'égalité des créanciers qui est un principe fondamental du
droit des procédures collectives et donc également du règlement amiable...".
La Cour de cassation ne suit pas les juges du fond sur ce terrain. Tout au contraire, elle qualifie cet
argument de "motif erroné". Mais est-il aussi "erroné" ? Sans doute, et les juges suprêmes n'ont pas
manqué de l'affirmer expressément, le juge de la prévention reste souverain pour décider d'accorder ou
non des délais de paiement. Tous les créanciers ne sont donc pas susceptibles des mêmes mesures. Il ne
faut pas oublier non plus que la caractéristique du règlement amiable est avant tout la négociation avec
les créanciers, qui ne sont pas soumis à un ordre de paiement comme c'est la règle dans le cadre de la
procédure judiciaire. Mais il ne faut pas nier non plus que cette règle d'égalité connaît de multiples
manifestations (Note 11). Or l'élargissement du domaine de l'article 36 de la loi de 1984 au traitement
des créances fiscales, est bien une manière de soumettre à égalité tous les créanciers à la procédure
économique que représente le règlement amiable.
Le rapprochement avec l'arrêt de la Cour suprême du 28 avril 1998 déjà cité permet encore de
s'interroger sur l'émergence malgré tout d'un traitement économique globalisé des entreprises en
difficulté. Si l'on a pu à juste titre affirmer que le droit privé maintient "deux approches très différentes
selon que l'entreprise continue ou non d'honorer ses dettes" (Note 12), on peut aussi légitimement
constater que la définition différenciée de l'état de cessation des paiements admise par la Cour suprême
brouille les pistes convenues du traitement des entreprises. Désormais une entreprise qui ne sera plus in
bonis pourra prétendre au règlement amiable, par la grâce de la négligence de créanciers non prompts à
réclamer leur dû. Dès lors la dichotomie fondée sur un régime de droit commun quand l'entreprise est
in bonis d'une part et sur un régime d'exception avec tutelle judiciaire quand l'entreprise est défaillante
d'autre part, ne tient plus.
L'opportunité économique va servir de guide. L'approche est concevable et même souhaitable, certes !
Mais elle est très exigeante car elle ne doit pas seulement faire prévaloir l'intérêt de l'une - l'entreprise
en difficulté - sans intégrer les intérêts économiques périphériques, dont les créanciers font partie. Une
telle méthodologie globale devra bien malgré tout être repensée.

48
L’homologation n’est donc pas une simple formalité. Le juge utilise son imperium
pour impose des sacrifices aux créanciers.

Le juge peut ne pas disposer d’éléments d’informaions suffisants pour prendre une
décision utile : il a la possibilité de compléter son information sur l’entreprise auprès
de l’administration ou les établissements administratifs et financiers147. Il peut,

Danièle MELEDO-BRIAND,
Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Rennes, Centre de droit des
affaires
----------

147
II. - LE SECRET DES AFFAIRES DANS LA PERSPECTIVE DU REGLEMENT AMIABLE
14. - Ce qui reste du secret des affaires risque d'être levé dans cette procédure, la recherche d'un
règlement amiable, notamment si l'on s'oriente vers une suspension provisoire des poursuites qui
supprimera à l'évidence "tout espoir de confidentialité" 147.
Mais cet abandon raisonné du secret est laissé par l'article 35, alinéa 2, de la loi de 1984, à l'entière
initiative du représentant de l'entreprise qui la "place en quelque sorte sous sauvegarde de justice" 147
et qui saisit à cette fin le président du tribunal de commerce : le président n'a donc aucun pouvoir de
saisine d'office (tant qu'il lui paraît que la cessation des paiements n'est pas acquise car, si cette dernière
hypothèse se réalisait, il lui appartiendrait de provoquer la saisine d'office du tribunal afin d'ouvrir le
redressement judiciaire de l'entreprise 147). Il faut que le débiteur prenne pleinement conscience que
le fait de "lever le voile" sur les secrets de ses affaires ne dépend que de sa propre volonté et que s'il
existe encore des zones d'ombre après sa démarche, celles-ci ne pourront être que résiduelles et de peu
d'importance, et surtout ne devront avoir aucune influence sur l'idée que les tiers et notamment les
fournisseurs auront de la situation et du crédit de l'entreprise lors de l'accord amiable 147.
15. - C'est la requête du débiteur sollicitant l'ouverture d'un règlement amiable qui va donner au
président la faculté de s'informer auprès des établissements bancaires ou financiers, en plus
naturellement des autorités précédemment citées (V. supra n° 12) ; dans la requête, le dirigeant décrit la
situation réelle de son entreprise, ce qui revient à exposer ses besoins de financement ; donc, il doit
réfléchir comme il le ferait devant un jeu d'échecs sur la meilleure stratégie à adopter car sa demande
va largement effacer le secret des affaires qui pouvait encore masquer sa véritable situation bancaire.
A dire vrai, une analyse paradoxale n'est pas forcément déraisonnable : l'article 34, alinéa 2, comme on
l'a laissé entendre (V. supra, n° 8 in fine), n'exclut pas tant le président du tribunal du droit de
s'informer auprès des banques, qu'il écarte le risque de les alerter inconsidérément sur le processus de
détérioration frappant leur client que, peut-être, elles ne soupçonnent pas ; il s'agit, sur un plan pratique,
du maintien ou de la remise en cause des divers concours bancaires consentis à l'entreprise en difficulté
; la "non-disposition" de l'article 34, alinéa 2 (id. est la volonté du législateur de refuser à ce stade de
l'information du président toute consultation des établissements de crédit), paraît être autant une
protection du secret des affaires qu'une interdiction ou plus exactement une protection découlant de
cette interdiction !
Quelle est alors la portée d'une simple information commerciale donnée par une banque en réponse à
une demande de renseignements qui lui est présentée, au regard du secret professionnel qu'elle doit
respecter ? Un auteur a bien su décrire l'étendue exacte de cette obligation au secret 147 pesant sur le
système bancaire : "Les banques détiennent sur le compte de leurs clients des indications nombreuses,
mais si elles peuvent impunément faire état de celles qui sont de nature publique, telles que les données
comptables que l'entreprise doit déposer au greffe du tribunal de commerce, en revanche, elles ne
peuvent communiquer celles qu'elles ne détiennent qu'à raison des relations qu'elles entretiennent avec
les entreprises clientes et qui sont confidentielles, qu'à la condition que les indications dont il sera fait
état soient limitées à la réputation dont jouissent les entreprises sur la place" 147.
C'est pourquoi l'article 35, alinéa 3, de la loi du 1er mars 1984 a conféré au président du tribunal le
droit de s'informer auprès des établissements bancaires ou financiers "nonobstant toute disposition
législative ou réglementaire contraire" sans qu'ils puissent, d'ailleurs, opposer une quelconque
forclusion qui serait acquise au titre d'une tardiveté éventuelle de la demande : le délai d'un mois de
l'article 35-4 du décret de 1985 ne s'appliquera pas à la demande de renseignements adressée aux
établissements bancaires qui relèvent de l'article 35, alinéa 3, de la loi et non pas de l'article 34, seul
visé par l'article 35-4 du décret précité.
16. - Il est difficile de cerner exactement l'influence du secret des affaires à ce stade de la préparation

49
également, charger un expert en diagnostic de s’enquérir sur la véritable situation de
l’entreprise. Cette décision intervient généralement au même moment que la
désignation du conciliateur. La loi ne prévoit aucun mécanisme de dialogue ou de
communication entre le conciliateur et l’expert en diagnostic.

B- L’expertise de diagnostic dans la procédure de règlement judiciaire

Le règlement judiciaire est une procédure ouverte aux entreprises ayant cessé leurs
paiements (art. 18), c’est-à-dire les entreprises qui ne peuvent pas faire face à leur
passif exigible au moyen de leur actif disponible (art. ..)148. La procédure de
règlement judiciaire est entamée par l’ouverture d’une période d’observation dans
laquelle les créanciers sont astreints à la suspension de leur droit de poursuite
individuelle et d’exécution. La prériode d’observation est destinée à permettre
l’élaboration d’un plan de redressement.

Un administrateur judiciaire chargé de l’élaboration du plan de redressement dans un


délai de 3 mois renouvelables pour la même durée par décision du président du
tribunal. Il peut, le cas échéant, désigner, également, un ou plusieurs experts en

du règlement amiable car demeure entière la question de savoir, devant le silence de la loi du 1er mars
1984, si le représentant de l'entreprise est tenu d'informer et de consulter le comité d'entreprise ou, à
défaut, les délégués du personnel. Une partie de la doctrine est favorable à l'idée de cette consultation
au motif que l'article L. 432-I du Code du travail décide que le comité d'entreprise est obligatoirement
informé et consulté sur les questions intéressant la "marche générale de l'entreprise", avançant de
surcroît que le défaut de consultation pourrait être sanctionné par le délit d'entrave 147 .
Incontestablement, le fait de mettre au courant de cette procédure avant même qu'elle ne soit engagée,
les institutions représentatives du personnel comme la prise en considération de leur avis, aideront à
empêcher la propagation de fausses rumeurs au sein de l'entreprise, mais on peut aussi estimer que le
dirigeant risque de subir des pressions dans sa démarche personnelle qui doit rester libre de toute
influence, une démarche qui est réellement personnelle puisque lui seul a le pouvoir de saisir le
président du tribunal de commerce 147 .
Une zone d'ombre demeure et, dans ces conditions, peut-être convient-il d'adopter le point de vue de
M. le Professeur Chaput qui observe que la question de la consultation obligatoire du comité
d'entreprise n'est pas légalement tranchée 147 , d'autant que l'alinéa 3 de l'article 33 du projet de loi
n° 1398 devenu la loi du 1er mars 1984, qui prévoyait l'information du comité d'entreprise de la saisine
du président du tribunal, a été supprimé 147 .
17. - Enfin, le président peut charger un expert de son choix d'établir un rapport sur la situation
économique, sociale et financière de l'entreprise, s'il s'estime insuffisamment informé 147 . Il
semble que cette phase d'expertise doive précéder la désignation du conciliateur, le texte nouveau
mettant fin à certaines hésitations doctrinales antérieures 147 . Et le secret des affaires, même à ce
stade de la procédure, n'a pas été écarté par le législateur puisque le rapport d'expertise ne pourra être
communiqué qu'à l'autorité judiciaire et qu'au débiteur 147 .
18. - Le secret des affaires n'est pas l' "omerta", la loi du silence. C'est la nécessaire discrétion qui doit
protéger la conception, la préparation et la conduite des affaires contre les dérives d'une concurrence
qui, on peut le regretter, n'est pas toujours saine : l'espionnage industriel existe aussi. La solution passe,
certes non par la médiatisation des difficultés, mais plus simplement par une information donnant une
image 147 à la fois exacte et rassurante de la vie de l'entreprise, ce qui ne peut, en définitive, que
lui profiter car "la confiance repose sur la transparence" 147 .

148
Elle est également ouverte en cas de rejet de la demande de règlement amiable faute d’accord entre
le débiteur et ses créanciers (art. 17).

50
diagnostic pour s’enquérir sur la véritable situation de l’entreprise en vue d’aider
l’administrateur judiciaire dans l’élaboration du plan de redressement

Nature juridique du règlement amiable par Georges


FERREIRA, Alexis TRICLIN

Nature juridique du règlement amiable


Georges FERREIRA
Docteur en droit, Université de Versailles-Saint-Quentin
Alexis TRICLIN
Maître de Conférences à l'Université de Versailles

L'article 38 du décret du 1er mars 1985, qui ne déroge nullement aux


règles de droit commun de validité des conventions, ne prévoit pas la
nécessité d'un écrit - encore moins d'un écrit unique - qui serait destiné à
rendre effectif l'accord ; au contraire, la signature d'un écrit a, aux
termes mêmes du décret, pour seule fin de "constater" l'existence d'un
tel accord..
Procédures collectives. Règlement amiable. D. 1er mars 1985, art. 38.
Accord entre débiteur et créanciers. Ecrit. Condition de validité de
l'accord (non). Mise en oeuvre. Modalités. CA Versailles, 12e ch. 2e sect.,
9 octobre 1997 ; Sté Immopar c/ Caisse Régionale de Crédit Agricole
Mutuel Val de France.

LA COUR,
Attendu que les dispositions de la loi du 10 juin 1994 qui a notamment modifié la
loi du 1er mars 1984 ne sont, selon l'article 99 du premier de ces textes,
applicables qu'aux procédures ouvertes à compter de la date de son entrée en
vigueur ; qu'à défaut de décret ayant fixé celle-ci à une date antérieure, la loi du
10 juin 1994 est entrée en vigueur le 1er octobre 1994 ; que le décret du 21
octobre 1994 modifiant le décret d'application du 1er mars 1985, publié le 22
octobre 1994, est entré en vigueur immédiatement ;
Attendu qu'IMMOPAR a été admise au bénéfice de la procédure de règlement
amiable le 1er octobre 1993, par l'ordonnance du président du tribunal de
commerce désignant le conciliateur au vu de la demande de règlement amiable et
des propositions de redressement proposées ; que la procédure de règlement
amiable ayant été ouverte avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994,
c'est à tort que le premier juge n'a pas fait application de la loi du 1er mars 1984
en sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 1994 ;
Attendu que selon l'article 38 du décret du 1er mars 1985, en sa rédaction
applicable à l'espèce, "l'accord entre le débiteur et les créanciers est constaté
dans un écrit signé par les parties et le conciliateur" ; que ce même texte prévoit
que "ce document est déposé au greffe et communiqué au procureur de la
République" ;
Attendu que, contrairement aux affirmations de la CRCAM Val-de-France, ce
texte, qui ne déroge nullement aux règles de droit commun de validité des
conventions, ne prévoit pas la nécessité d'un écrit - encore moins d'un écrit
unique - qui serait destiné à rendre effectif l'accord ; qu'au contraire, la signature
d'un écrit a, aux termes mêmes du décret, pour seule fin de "constater"
l'existence d'un tel accord ;
Attendu que l'accord conclu entre la CRCAM Val-de-France et IMMOPAR prévoit
que "la Caisse Régionale de Crédit Agricole accepte, dans le cadre du règlement
amiable proposé par le conciliateur, de participer en tant que de besoin au

51
règlement partiel des créances superprivilégiées et chirographaires non
bancaires" et que "cette participation sera calculée à due concurrence de la quote
part des encours de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Loir-et-
Cher" (aujourd'hui Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Val-de-France)
"s'élevant au 1er octobre 1993 à la somme de cinquante deux millions de francs
par rapport à l'encours global du groupe IMMOPAR à la même date, soit une
somme forfaitairement fixée à deux millions de francs" ;
Attendu que l'accord prévoit encore que "cette participation sera versée à la
constatation de la bonne fin de la conciliation" ; que "cet engagement de
participation au passif non bancaire... deviendrait caduque (sic) en cas de dépôt
de bilan du groupe IMMOPAR et, en tout état de cause, à la date du 30 juin 1995
si le plan de redressement amiable n'(était) pas signé à cette date par l'ensemble
de la communauté bancaire concernée et dans les conditions décrites au début de
la conciliation" ;
Attendu que ces stipulations sont claires et précises et ne nécessitent pas
d'interprétation ;
Attendu que le groupe IMMOPAR n'a pas déposé son bilan ;
Attendu que le plan de redressement amiable a été signé par l'ensemble de la
communauté bancaire avant le 30 juin 1995 comme cela résulte du certificat du
conciliateur en date du 2 mai 1995 ; qu'il en résulte que la conciliation a été
menée à bonne fin dans le délai requis, la signature des accords par les banques
impliquant nécessairement que chacune de celles-ci a "la ferme intention
d'acquitter ce qu'elle doit dans les proportions indiquées dans son protocole
particulier" ;
Attendu que les conditions décrites en début de l'acte de conciliation font
seulement référence à la conduite de la conciliation par le conciliateur désigné ;
qu'il n'est avancé aucun élément de preuve qui permettrait d'interpréter ce
membre de phrase comme signifiant que le conciliateur aurait indiqué que les
différents accords avec les banques respecteraient un "principe d'équité
mathématique" ;
Attendu dans ces conditions qu'aucune contestation sérieuse n'existant sur les
conditions de mise en oeuvre de l'accord régulièrement signé entre la CRCAM Val-
de-France et IMMOPAR, il y a lieu de faire droit à la demande de celle-ci et lui
accorder une provision de 2 000 000 F ;
Attendu que l'équité conduit à condamnation de la CRCAM à payer à IMMOPAR la
somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de
procédure civile ;
Par ces motifs - Statuant publiquement et contradictoirement, - infirme
l'ordonnance déférée et statuant à nouveau, - condamne la Caisse régionale de
crédit agricole mutuel Val-de-France "CRCAM" à payer à la société IMMOPAR SA
une somme provisionnelle de 2 000 000 F et la somme de 10 000 F sur le
fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, la - condamne
aux dépens, - admet la SCP Lissarrague-Dupuis & associés au bénéfice de l'article
699 du Nouveau Code de procédure civile.
M. Assié, prés. ; Me Chatelain, Me Doyen, av., Me Robert, avoué.

Note :
Nature juridique du règlement amiable.
Le règlement amiable constitue l'une de ces techniques juridiques dont le degré
d'utilisation est difficile à cerner. Dès lors, les rares décisions rendues à son égard
s'avèrent toujours intéressantes 149. Imaginé par le législateur au milieu des
années 80, lors de la profonde réforme du droit des faillites, comme l'un des deux

149On remarque à cet égard que la Cour de cassation a rarement eu à connaître de pourvois relatifs à la
nature ou à la validité du règlement amiable. C'est pourquoi la doctrine a attaché une importance
particulière aux rares décisions des cours d'appel qui ont eu à connaître de ce type de litige.

52
piliers du droit des procédures collectives rénové, le règlement amiable a vécu
jusqu'en 1994 une vie relativement discrète. Injustement accablé de certains
travers, le règlement amiable a été réfondu dans son objet comme dans sa
finalité. Il est vrai que la loi du 1er mars 1984, réformée par la loi du 10 juin
1994, n'est guère prolixe. Les quelques articles de la loi s'avèrent a priori
laconiques, voir lacunaires 150. Le décret du 1er mars 1985, réformé par le
décret du 21 octobre 1994, n'apporte par ailleurs guère d'éclaircissements.
C'est pourquoi un arrêt récent de la Cour d'appel de Versailles mérite une
attention particulière. En effet, la décision rendue par les magistrats versaillais le
9 octobre 1997 151 contribue à préciser la nature juridique du règlement
amiable.
En l'espèce, les faits étaient relativement simples. Une société ayant pour activité
la promotion immobilière fut admise au bénéfice d'un règlement amiable sous
l'empire de la loi de 1984. Elle obtint par accord bilatéral de la part d'un
établissement bancaire, d'une part, un abandon de créances et, d'autre part, une
participation au règlement des créances non bancaires à hauteur de 2 millions de
F. Les engagements souscrits par les parties étaient précis et contraignants.
L'accord fut tout d'abord conclu sous la condition résolutoire "d'un dépôt de bilan"
et sous la condition suspensive de la participation de tous les créanciers bancaires
à un "plan de redressement amiable". Les parties avaient par ailleurs subordonné
la validité de l'accord à l'adoption du plan avant un terme précis. Les difficultés
découlant de l'exécution de l'accord amenèrent les parties à saisir dans un
premier temps le Tribunal de commerce de Paris pour désigner un mandataire ad
hoc.
La Cour d'appel de Versailles a été amenée à se prononcer sur l'appel formé
contre une décision rendue en référé par le Tribunal de commerce de Chartres le
30 octobre 1995. Dans son ordonnance, le président, tout en constatant la
caducité du protocole signé par la banque, déboutait le bénéficiaire du règlement
amiable de sa demande d'exécution de l'accord au motif que la loi du 1er mars
1984 imposait la rédaction d'un écrit unique et global. En outre, la banque, après
avoir obtenu communication des différents accords convenus avec les autres
établissements bancaires, exigeait l'assurance de leurs exécutions pour satisfaire
à ses propres obligations.
Quoique rendu sous l'empire des dispositions antérieures à la loi du 10 juin 1994,
l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles n'en présente pas moins un intérêt certain
pour l'émergence d'un régime jurisprudentiel du règlement amiable. Les rares
décisions jusqu'à présent rendues, et en particulier un arrêt remarqué de la Cour
d'appel de Rennes 152, avaient pu laisser penser que le règlement amiable était
sur le point de subir une transformation notable dans sa fonction, voire dans son
objet. Les juges rennais n'avaient pas craint, en effet, de soumettre le Trésor
public aux délais de l'article 1244-1 du Code civil sur le double fondement de
l'ordre public économique et du principe d'égalité des créanciers. A la lecture de
cet arrêt, la frontière déjà poreuse entre procédure collective et règlement
amiable sembla alors presque complètement s'effacer à telle enseigne qu'il n'était
plus inconcevable d'analyser le règlement comme une procédure judiciaire
allégée.
L'arrêt du 9 octobre 1997 éclaire la nature juridique contractuelle d'une technique
qui s'offre aux parties pour surmonter les difficultés d'une entreprise. En ce sens,

150La loi du 1er mars 1984, réformée par la loi du 10 juin 1994, consacre au règlement amiable les
articles 35 à 38 ; le décret du 1er mars 1985, réformé par le décret du 21 octobre 1994, ne traite du
règlement qu'aux articles 36 à 39-2.
151V. également D. aff. 1997, p. 1393.
152CA Rennes, 2e ch., 27 mars 1990 : JCP G 1996, II, 22 731, note Meleado-Briand ; Rev. proc. coll.
1996, p. 313, obs. B. Soinne.

53
les dispositions issues de la loi nouvelle, si elles renforcent a priori
indéniablement les pouvoirs du juge, s'inscrivent également dans une tendance
plus générale au renforcement de la prééminence de l'institution judiciaire au
service du contrat.
La décision rapportée contribue opportunément à rappeler la nature contractuelle
du règlement (1) qui demeure un rapport d'obligation d'origine contractuelle dans
la formation duquel la liberté contractuelle 153 occupe une place déterminante.
Par ailleurs, la présente décision contribue à rappeler la portée contractuelle du
règlement au regard des pouvoirs du juge. Le règlement amiable relève bien du
droit commun des contrats (2).

1 - De la nature contractuelle du règlement


amiable
La décision de la cour d'appel rappelle en premier lieu la nature contractuelle du
règlement tant il est vrai que le droit des procédures collectives a toujours
entretenu avec le droit des obligations des rapports délicats 154. La question
était patente sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 avec la technique du
concordat 155, mais semblait avoir perdu de son actualité avec la profonde
réforme du droit des procédures collectives du milieu des années 80. La
prééminence du juge semblait même avoir rejeté les techniques de règlement
amiable hors du champ du droit, comme en témoignaient les dispositions de la loi
du 1er mars 1984. Parce qu'elle réconcilie le juge et le contrat, la loi du 10 juin
1994 révèle une problématique ancienne. Mais il ne s'agit cependant plus
seulement de s'attacher à déterminer sa nature contractuelle mais bien d'en
préciser la portée exacte. Aussi, la décision des juges versaillais invite-t-elle,
d'une part, à analyser la structure de l'accord (A) et, d'autre part, à évaluer
l'intérêt de l'homologation de l'acte par le juge (B).

A - La structure de l'accord
En affirmant dans son attendu que l'article 38 du décret du 1er mars 1985 156,
alors applicable aux faits de l'espèce, ne prévoit pas la nécessité d'un écrit -
encore moins d'un écrit unique - qui serait destiné à rendre effectif l'accord et
qu'au contraire, la signature d'un écrit a, aux termes mêmes du décret, pour
seule fin de constater l'existence d'un accord, la Cour de Versailles en vient
incidemment à poser la question de la nature de sa structure.
La loi du 1er mars 1984 n'apportait aucune précision quant à la nature que devait
revêtir l'accord. Le nouvel article 38 du décret prévoit désormais que l'accord doit
être simplement signé par les parties. Pour la doctrine, cet accord ne semble
désormais requis qu'ad probationem 157, même si l'ancienne rédaction de
l'article 38 prévoyait que "ce document (l'écrit) est déposé au greffe", ce qui
revenait à exiger que tous les consentements soient constatés dans un seul et

153V. Ch. Gavalda, Le règlement amiable : RJC 1986, p. 87, spéc. p. 91, n° 11, pour qui "la liberté
contractuelle joue à plein" en permettant d'insérer diverses clauses conditionnelles dans "le pacte".
154Faut-il rappeler que le droit commun des contrats est rudement malmené par les procédures
collectives ? Il s'agit notamment de la paralysie des prérogatives contraignantes tirées de la force
obligatoire du contrat. V. M. H.-Monsérié, Les contrats dans le redressement et la liquidation
judiciaires des entreprises, Litec, 1994.
155V. en particulier A. Martin-Serf, Réflexion sur la nature contractuelle du concordat : RJC 1980, p.
293.
156Art. 38 : "L'accord entre le débiteur et les créanciers est constaté dans un écrit signé par les parties
et le conciliateur ; (...) ce document est déposé au greffe et communiqué au procureur de la
République."
157B. Soinne, Traité des procédures collectives, Litec, 2e éd., n° 103, p. 89.

54
même acte 158. En l'espèce, le créancier, c'est-à-dire la banque, avait d'ailleurs
fondé son raisonnement sur cette interprétation des textes. Il est vrai qu'en son
temps, il a été soutenu qu'un seul "document permet à tous les créanciers
signataires de connaître le traitement réservé à chacun d'eux" 159.
La Cour d'appel de Versailles ne pouvait, en refusant de subordonner la validité
d'un règlement amiable à l'existence d'un document unique, écarter la délicate
question de la structure de l'accord. De fait, admettre un tel raisonnement aurait
conduit les magistrats a analyser le règlement amiable à la lumière d'un accord
multilatéral. A cet égard, l'analyse de l'article 38 précité du décret ne laissait
aucun doute. Cependant, la cour, quand bien même elle n'était pas invitée à se
prononcer sur sa dimension multilatérale, n'écarte pas cette possibilité. La cour a
expressément admis la possibilité d'accords bilatéraux sans rejeter la possibilité
d'accords multilatéraux. Rien ne semble justifier qu'il soit imposé la rédaction
d'un document unique et global synthétisant l'ensemble des mesures.
On peut dès lors s'interroger sur la nature exacte du règlement amiable. Celui-ci
ne constitue vraisemblablement pas un acte conjonctif 160 car pour la cour, le
règlement amiable reposait, en l'espèce, sur des actes bilatéraux. En effet, l'acte
conjonctif suppose la réunion de plusieurs personnes "au sein d'une même
partie". Or, dans une telle hypothèse, les créanciers conservent leur individualité
en contractant avec le débiteur. Ils n'intègrent pas une seule et même partie.
Pour autant, le règlement amiable ne relève probablement pas de la catégorie des
contrats collectifs, définie comme un contrat passé entre une personne et un
groupe de personnes ou entre deux groupes de personnes

161 car "le groupe qui contracte


exprime, sur un objet déterminé, un faisceau de manifestations-volontés" 162.
On sait en effet que les créanciers divergent dans leurs attitudes à l'égard du
débiteur.

158J.-F. Martin, Le règlement amiable, réflexions d'un praticien : RJC 1986, numéro spécial, p. 96 et s.
159J.-F. Martin, art. préc., p. 96 et s., spéc. p. 104, n° 17.
160Simler, Terré et Lequette, Précis Dalloz, Droit civil, Obligations, 5e éd., 1993, p. 46, n° 53, note n°
4, définissent l'acte conjonctif comme "l'acte dans lequel plusieurs personnes sont rassemblées, lors de
sa formation ou postérieurement, au sein d'une même partie, c'est-à-dire par un même intérêt, défini par
rapport à l'objet de l'acte".
161Simler, Terré et Lequette, préc., p. 47, n° 54.
162Préc., p. 47, n° 54 ; V. également G. Roujou de Boubée, Essai sur l'acte juridique collectif, LGDJ,
1961, p. 19 et s., qui, s'appuyant sur les travaux de Rouast, exclut de la catégorie des contrats collectifs
les manifestations de volontés individuelles qui s'expriment derrière un acte en apparence unitaire.

55
Aussi, cette décision invite à envisager le règlement comme un cadre économique
global ne s'opposant pas à l'intégration des accords bilatéraux dans un tout
économique et juridique. La juxtaposition d'accords, loin d'être incompatible,
s'avère finalement parfaitement conciliable avec leur interdépendance. Celle-ci
aurait pour fonction de sceller plusieurs rapports d'obligations au sein d'une
pluralité de contrats devenus indivisibles entre eux. Par ailleurs, l'absence
d'identité entre les parties signataires des différentes conventions ne s'avère pas
contradictoire avec un lien d'indivisibilité 163, ce qui conduit nécessairement à
préciser la portée exacte de l'intervention du juge dans l'acte d'homologation.

B - La fonction de l'homologation
La nature de l'homologation a suscité certaines interrogations lors de la
promulgation de la loi de 1994. Lorsqu'elle s'avère facultative, elle ne saurait
avoir pour effet d'étendre, à ceux qui n'ont pas contracté, les conséquences du
"pacte". Celui-ci est dénué d'effet "erga omnes", son contenu et son champ
d'application ne s'en trouve pas affectés 164. Si l'on considère que l'accord tire
sa force obligatoire de l'article 1134 du Code civil, quelle serait alors l'utilité de
l'homologation ? On a pu estimer que celle-ci avait pour objet de conférer à
l'accord l'autorité de la chose jugée et d'offrir, au surplus, un titre exécutoire aux
parties souhaitant une exécution forcée 165. La doctrine s'est même interrogée
sur l'intérêt éventuel de la purge de certains vices du contrat homologué 166.
Quand bien même les faits de l'espèce étaient antérieure à la loi de 1994, le
président du Tribunal de commerce de Chartres a en effet rendu une ordonnance
dans laquelle transparaît l'influence de la loi du 10 juin 1994. Le magistrat
consulaire, alors même qu'il n'était pas tenu de statuer sur ce point, se montra
sensible à l'influence de l'homologation sur la structure du règlement amiable. Le
débiteur lui reprochait d'avoir déduit des dispositions de l'article 38 du décret,
que celui-ci imposait la rédaction d'un document unique et global et de l'article 36
de la loi de 1984 (modifiée par la loi de 1994), que "la conclusion d'accords
séparés aurait rendu nécessaire l'homologation du plan", c'est-à-dire en réalité du
règlement amiable.
Le raisonnement était certes erroné sur le fond. Cependant, en tentant de
justifier sa décision par référence à des dispositions inapplicables au litige, le
Président du Tribunal de commerce de Chartres voulait peut-être implicitement
amener la Cour d'appel de Versailles à évoquer la fonction de l'homologation. En
omettant de se prononcer sur cet argument, la cour n'a pas souhaité faire oeuvre
de création prétorienne. Cependant, elle aurait pu estimer que la conclusion
d'accords séparés aurait rendu nécessaire l'homologation du plan, et accréditer

163Sur cette notion, V. J. Moury, De l'indivisibilité entre les obligations et entre les contrats : RTD civ.
1994, p. 255. Le Doyen Savatier avait par ailleurs déjà perçu dans le contrat une fonction organiciste,
consistant dans la "coordination d'un grand nombre de contrats en vue d'un même but économique, un
tout articulé (...) qui met en jeu un grand nombre de contractants, soudés pour ainsi dire les uns aux
autres" (Métamorphoses I, Dalloz, 3e éd., 1964, n° 49, p. 56). La dimension globale du règlement
amiable apparaît, a contrario, à la lecture de l'article 39-2 du décret, lequel prévoit une résolution pour
inexécution d'un seul des accords, ce qui démontre bien le caractère indivisible des différentes
obligations de l'ensemble de l'accord ; V. également F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en
difficultés, instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 3e éd., 1997, p. 58 et 59, n° 73, qui analysent le
règlement comme un accord collectif fondé sur un contenu global indivisible.
164A. Triclin, La réforme du règlement amiable : Rev. jur. d'Ile-de-France, juill. 1995, n° 37, p. 33. -
V. également TC Nanterre, 8 sept. 1995 : Banque et droit, mars-avr. 1996, p. 37.
165Y. Chaput, Les pouvoirs décisionnels du juge du règlement amiable : Petites affiches 14 sept. 1994,
p. 35.
166Y. Chaput, L'office du juge dans le traitement précoce des difficultés, in, Le nouveau droit des
défaillances d'entreprise, Dalloz, 1994, p. 93 et s., spéc. 99 ; I. Balensi, L'homologation judiciaire des
actes juridiques : RTD civ. 1978, p. 42 et s. spéc. p. 66, n° 41 et s.

56
ainsi l'idée selon laquelle l'homologation aurait une fonction de consolidation d'un
règlement fondé sur des accords bilatéraux. Certes, l'homologation s'impose au
juge dans le cas bien improbable où tous les créanciers ont participé au
règlement. Mais, même dans cette hypothèse, le législateur impose finalement
peut-être au juge de reconnaître l'existence du contrat de règlement amiable
167. A contrario, lorsque seuls les principaux créanciers participent au règlement,
l'homologation devient facultative. Le juge recouvrerait alors ses pouvoirs pour
déceler un contrat en marge des parties et pour l'imposer à celles-ci sous la
forme du règlement amiable. Cette fonction éventuelle de l'homologation s'avère
au demeurant compatible avec la finalité réaffirmée du règlement amiable, même
analysée comme un traitement amiable des difficultés des entreprises 168.
Cette dimension contractuelle du règlement apparaît également au regard de
l'application du droit commun des contrats.

2 - Le règlement amiable à l'épreuve du droit


commun des contrats
L'apport de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles mérite également d'être
apprécié à la lumière du droit commun des contrats. En effet, en l'espèce, la
société bénéficiaire du règlement amiable estimait que compte tenu de la nature
contractuelle de ce pacte, l'accord ne pouvait être remis en cause que pour vices
du consentement, tout en soutenant donc que le créancier ne pouvait "se
prévaloir d'une absence de signature d'un accord global unique pour se soustraire
à son engagement". De fait, l'accord qui découle de la négociation s'avère
constituer un véritable contrat. L'intérêt de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles
est donc de souligner qu'il reste soumis au droit commun des contrats aussi bien
lors de la négociation de l'accord (A) que lors de son inexécution (B).

A - Le juge et la formation du règlement


La négociation de l'accord relève en l'espèce du principe de la liberté contractuelle
et, aussi bien la loi du 1er mars 1984 que la loi du 10 juin 1994 ne déterminent
d'aucune manière les obligations qui doivent être mises à la charge des parties.
En l'absence d'un contenu légalement imposé, la volonté des cocontractants
s'avère déterminante. Les seules références à un contenu minimal peuvent être
implicitement découvertes dans les renvois aux délais et remises éventuellement
consentis par les créanciers. On observera cependant que ces techniques de
redressement du débiteur ne présentent aucune originalité au regard des
spécificités du droit du règlement amiable mais relèvent davantage du droit
commun des obligations.
Aussi bien, l'intérêt du présent arrêt est-il de souligner qu'implicitement le pacte
de redressement se doit d'être analysé à la lumière du droit commun des
obligations. En l'espèce, le contenu qui n'a pas été remis en cause par la cour
était particulièrement riche car l'accord était affecté de différentes conditions. Le
contenu d'un règlement amiable peut donc être aménagé par des conditions
suspensives ou résolutoires, et l'exécution ou l'existence même de l'accord peut
même devenir dépendant de la conclusion ou de l'exécution d'autres accords.
Pour autant, l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles n'apporte aucune précision
sur le rôle du juge dans pareilles circonstances. Mais, en lui demandant de
constater une rencontre de volonté, les parties lui ont vraisemblablement

167V. sur ce point A. Laude, La reconnaissance par le juge de l'existence d'un contrat, thèse PUAM,
1992.
168V. Y. Chaput, art. préc.

57
demandé d'en constater l'existence sous la forme d'un contrat judiciaire 169. Il
est possible de retenir cette analyse, car en définitive le rôle du juge n'était pas
en l'espèce déterminant et s'était inscrit en marge de l'action des parties. On sait
par ailleurs que, pour être valable, un contrat judiciaire suppose un contrat déjà
formé, ce qui était le cas en l'espèce. Aussi lorsqu'il n'est pas homologué, l'accord
amiable a vocation à devenir un contrat judiciaire dès lors que les parties
saisissent le juge. Mais, dans tous les cas, la nature contractuelle de l'accord est
préservée car si le juge n'est pas un simple témoin, son intervention transforme
un contrat ordinaire en contrat judiciaire qui n'est pas un contrat passé devant le
juge, mais constaté par lui 170.

B - La résolution judiciaire de l'accord


La nature contractuelle du règlement amiable se manifeste également lors des
difficultés qui peuvent surgir de son application. La résolution n'est pas requise de
plein droit et ne relève pas de la compétence exceptionnelle du Président du
tribunal. Conformément à l'article 1184 du Code civil, l'article 36 de la loi de 1984
permet au tribunal de prononcer la résolution de l'accord. Pour autant, le tribunal
ne devient pas un organe de la procédure. Ainsi dispose-t-il seulement d'un
pouvoir d'appréciation du caractère de l'inexécution et de l'évaluation de la
situation. La prise en compte de l'importance de l'inexécution et de la volonté des
parties lui permettra de sauver le lien contractuel. Il s'agit en définitive d'éviter la
transformation du pacte de redressement amiable en une procédure de
redressement, naguère automatique et indépendante de la constatation d'un état
de cessation des paiements.
L'arrêt de la Cour de Versailles rappelle que cette application du droit commun
souffre d'une exception qui éclaire la dimension globale du règlement inscrite
dans l'article 36 de la loi. L'accord peut être anéanti en son entier quelle que soit
la nature de l'engagement, objet de l'inexécution. L'article 39-2 issu du décret du
21 octobre 1994 permet d'ailleurs au tribunal de prononcer la résolution du
règlement à la requête d'un ou plusieurs des créanciers parties à l'accord. Bien
plus, les créanciers qui n'ont pas été parties à l'accord et auxquels ont été
imposés des délais, en application des dispositions de l'article 36, sont même
autorisés à demander également la résolution de l'accord. Ces dispositions
relatives à la résolution judiciaire de l'accord confèrent indéniablement au
règlement amiable la nature d'un ensemble contractuel des plus atypiques qui
repose néanmoins sur un socle solide, celui d'un rapport d'origine contractuel.
En définitive, cet arrêt du 9 octobre 1997 de la Cour d'appel de Versailles
contribue à l'édification du régime jurisprudentiel du règlement, tout en
confortant indéniablement sa nature contractuelle.

169V. sur ce point A. Laude, préc., spéc. p. 144 et s. "Les parties demandent au juge de constater la
rencontre des volontés".
170V. thèse préc. n° 227, p. 149.

58
L'état de cessation des paiements est-il caractérisé par
l'impossibilité de faire face au passif exigible et/ou exigé ?
par Guy Auguste LIKILLIMBA

COMMENTAIRES

Jurisprudence

 Procédures collectives

L'état de cessation des paiements est-il caractérisé


par l'impossibilité de faire face au passif exigible
et/ou exigé ?
Guy Auguste LIKILLIMBA
Docteur en droit, DESS Monnaie-Banque-Finance

Le passif à prendre en considération pour caractériser l'état de cessation


des paiements est le passif exigible et exigé, dès lors que le créancier est
libre de faire crédit au débiteur..
Procédures collectives. Cessation des paiements. L. 25 janv. 1985, art. 3.
Notion. Passif exigible et exigé (oui). Cass. com., 28 avril 1998 ; Laroppe
c/ Mme Morel [arrêt n° 974 D].

LA COUR - (...) Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Caen, 7 sept. 1995), que les
associés de la société à responsabilité limitée Normandie express cuisines (société
Normandie) ayant décidé sa dissolution anticipée, Mme Morel, gérant, a été
désignée en qualité de liquidateur amiable ; que celle-ci a informé la société civile
immobilière REG (le bailleur), propriétaire des locaux loués à la société
Normandie, de son intention de résilier le bail ; que, par lettre du 8 novembre
1990, le bailleur lui a répondu que la résiliation ne pouvait intervenir qu'au terme
de la période triennale en cours, soit le 25 juin 1991, et que "sans que cela
constitue de notre part une renonciation à nos droits", il mettait "les locaux en
relocation pour le 1er janvier 1991" ; qu'aucun loyer n'ayant été réglé après cette
date, le bailleur, par acte du 19 mars 1991, a assigné la société Normandie en
paiement de l'arriéré ; qu'après condamnation de la société au paiement d'une
certaine somme à ce titre, le bailleur l'a assigné en redressement judiciaire ; que
le tribunal a ouvert la procédure simplifiée de redressement judiciaire de la
société Normandie, par jugement du 10 juin 1992, puis l'a mise en liquidation
judiciaire ; que M. Laroppe, désigné en qualité de représentant des créanciers
puis de liquidateur de la procédure collective, a demandé que la date de cessation
des paiements soit reportée au 1er janvier 1991 et que Mme Morel soit
condamnée, sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, à
supporter les dettes sociales, lui reprochant d'avoir, en omettant de déclarer la
cessation des paiements de la société Normandie, contribué à l'insuffisance d'actif
(...) ;
Mais attendu que le passif à prendre en considération pour caractériser l'état de
cessation des paiements est le passif exigible et exigé, dès lors que le créancier

59
est libre de faire crédit au débiteur ; qu'ayant retenu qu'il ne résultait pas de la
lettre du 8 novembre 1990 que la dette échue au titre des loyers et charges
postérieurs au 1er janvier 1991 était "réellement exigible" à cette date, la cour
d'appel a fait apparaître que cette dette n'avait pas été exigée avant le 19 mars
1991 et a ainsi légalement justifié sa décision de reporter la date de cessation des
paiements à ce moment ; que le moyen n'est pas fondé (...) ;
Mais attendu que le moyen se borne à prétendre que la déclaration de la
cessation des paiements de la société Normandie faite dans le délai légal par
Mme Morel aurait, par suite la possibilité de renoncer à la poursuite du contrat de
bail en cours qu'offrait l'ouverture de la procédure collective, évité l'accumulation
d'une dette de loyer postérieurement à cette renonciation ; que, dès lors que les
dettes nées après le jugement d'ouverture et, par conséquent, celles postérieures
à la renonciation, n'entrent pas dans le passif pris pour la détermination de
l'insuffisance d'actif pouvant être mise à la charge des dirigeants, ce moyen est
inopérant ;
Par ces motifs : - Rejette le pourvoi ;
Vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de Mme
Morel.
MM. Bézard, prés., Rémery, cons. réf. rapp., Lafortune, av. gén. ; SCP Guiguet,
Bachellier et Potier de la Varde, Me Foussard, av.

Note :
1 - Il ressort de l'article 3 de la loi du 25 janvier 1985 que la procédure de
redressement judiciaire peut être ouverte à l'encontre de toute entreprise
(énumérée à l'article 2 de la loi) "qui est dans l'impossibilité de faire face au
passif exigible avec son actif disponible". Le critère de passif exigible semble donc
être suffisant mais, la Cour de cassation applique ce critère avec une approche
tantôt restrictive tantôt extensive.
Dans un arrêt du 17 juin 1997 171, par exemple, la Chambre commerciale de la
Cour de cassation a décidé "qu'ayant relevé qu'un débiteur ne disposait d'aucun
actif disponible, que son passif exigible s'élevait à une certaine somme, que son
compte en banque était débiteur et que des engagements de caution qu'il avait
contractés étaient devenus exigibles, une cour d'appel, en l'état de ces
constatations et dès lors qu'il n'est pas allégué que le débiteur disposait d'une
réserve de crédit lui permettant de faire face au passif exigible, a caractérisé
l'état de cessation des paiements". Cependant, dans cet arrêt du 28 avril 1998

171Cass. com., 17 juin 1997 : Bull. civ. IV, n° 193 ; JCP E 1998, n° 1/2, p. 28, obs. Ph. Pétel ; D.
affaires 1997, p. 903 ; Rev. proc. coll. 1998-1, p. 38, obs. M. Calendini ; Rapp. Cour de cassation pour
1997, p. 225.

60
172 , la Haute juridiction a estimé que
pour caractériser un état de cessation des paiements, le passif exigible ne suffit
pas, encore faut-il que les créanciers réclament ce qui leur est dû. Il en résulte
donc une double condition dont l'application semble être cumulative et non pas
alternative.
2 - En l'espèce, une société a été mise en redressement puis en liquidation
judiciaire à la demande de son bailleur pour n'avoir pas payé le montant du loyer
échu. Le liquidateur a demandé que la date de cessation des paiements de la
société défaillante soit reportée au 1er janvier 1991, date à laquelle les locaux
ont été mis en relocation. Il a aussi demandé que le gérant de cette société
puisse être condamné au comblement de l'insuffisance d'actif causée, selon lui,
par la tardiveté de la déclaration de l'état de cessation des paiements. Après
avoir eu gain de cause devant le tribunal d'instance, le liquidateur a été débouté
au second degré sur l'appel interjeté par le gérant. Non satisfait par l'arrêt
infirmatif rendu par la Cour d'appel de Caen, le liquidateur s'est pourvu en
cassation, mais les juges du droit ont rejeté le pourvoi. Dans le principal motif de
l'arrêt, la Haute juridiction a retenu la double condition de passif exigible et exigé
(1), dont il faudra essayer de comprendre le sens, avant de rechercher les
fondements juridiques de la décision commentée (2).

1 - Le passif exigible doit être exigé


3 - Pour rejeter l'un des moyens invoqués par le pourvoi, qui reprochait à l'arrêt
de la cour d'appel d'avoir fixé la date de cessation des paiements au 19 mars
1991 et non pas au 1er janvier 1991, la Cour de cassation a décidé que "le passif
à prendre en considération pour caractériser l'état de cessation des paiements est
le passif exigible et exigé, dès lors que le créancier est libre de faire crédit au
débiteur". Il ressort de cet attendu qu'il existe une nette distinction entre la
notion de passif exigible (A) et celle de passif exigé (B).

A - La notion de passif exigible et l'incidence des moratoires


sur cette notion
4 - La notion de passif exigible est expressément prévue par l'article 3 de la loi du
25 janvier 1985 et maintenue par la réforme du 10 juin 1994. En l'absence de
définition légale, l'analyse de la jurisprudence et des débats parlementaires sur la
loi de 1985 permet de mieux cerner la notion de passif exigible. Il ressort d'un

172D. affaires 1998, n° 131, p. 1487.

61
jugement du Tribunal de commerce de Lille que le passif exigible est celui qui est

exigible à vue, échu et exigé 173 , ce


qui signifie donc que le passif ne peut comprendre ce qui est dû à terme

174 . C'est aussi la position des juges


de la Cour d'appel de Bordeaux pour qui : "les mots ont un sens, exigible signifie
qui peut être exigé (...) et l'état de cessation des paiements est donc caractérisé
par l'impossibilité de faire face au passif qui peut être exigé avec l'actif dont on
dispose immédiatement et librement"

173T. com. Lille, 4 mars 1985 : RJ com. 1985, p. 191, note E. du Pontavice.
174Le Garde des Sceaux, M. Badinter : JOAN, 15 oct. 1984, p. 4690.

62
175 . Cette définition rejoint d'ailleurs
celle donnée, en son temps, par M. le sénateur Thyraud : "le passif exigible est
celui qui résulte d'une dette venue à échéance. C'est à partir de l'échéance que le
paiement peut être réclamé à tout moment et le débiteur doit se mettre en état

d'y faire face" 176 . Mais


l'interprétation exégétique de la définition de M. Thyraud peut conduire à
"légitimer" la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté. En
effet, le terme de l'échéance accordée à un débiteur n'emporte pas
automatiquement réclamation du paiement de la dette. C'est précisément la
solution retenue par la Cour de cassation en l'espèce. L'échéance n'est qu'un délai
commercial à partir duquel le créancier peut exiger le paiement de sa créance.
5 - Quelle que soit la définition que l'on puisse adopter, la notion de passif
exigible constitue l'une des conditions posées par l'article 3 pour caractériser
l'état de cessation des paiements et, par voie de conséquence, pour déclencher
l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, voire - eu égard à
l'ampleur de ce passif exigible et à l'insuffisance de l'actif disponible - d'une
procédure de liquidation judiciaire. Mais, pour faire jouer la notion d'état de

175CA Bordeaux, 6 avr. 1993 : Juris-Data n° 042459.


176AN, séance préc.

63
cessation des paiements, en se fondant sur celle de passif exigible, il convient de

trier les postes des dettes 177 .


6 - Quant à l'incidence des moratoires sur le passif exigible, il appartient aux
juges du fond d'apprécier au cas par cas si une entreprise défaillante peut
utilement se prévaloir d'un report d'échéance obtenu postérieurement à la date
probable de cessation des paiements pour empêcher ou demander le report de
l'ouverture d'une procédure collective

178 .
De manière générale, certains juges du fond, qui s'en tiennent à une
interprétation stricte de l'article 3 de la loi de 1985, sont assez méfiants à l'égard
du principe même de l'octroi, par certains créanciers, des moratoires à une
entreprise défaillante dans le seul but d' "anéantir les effets d'un état de
cessation des paiements déjà constitué"

177R. Badinter, ibid.


178Etant précisé que cette date peut être souverainement fixée par le tribunal saisi.

64
179 . Les plus visés sont les moratoires
accordés par des créanciers antérieurs et qui "n'apportent qu'un concours à court
terme, qui ne peut englober l'intégralité du passif"

180 exigible. Mais, cette interprétation


est loin de faire l'unanimité au sein de la jurisprudence, car d'autres juges du
fond, au demeurant approuvés par la Cour de cassation, en l'espèce, ont une
autre lecture de l'article précité. En réalité, il semble que ces juges s'en tiennent
moins au texte qu'à l'esprit de la loi, c'est-à-dire au sauvetage tous azimuts ou à
la tentative de sauvetage de l'entreprise défaillante ! Aussi considèrent-ils que le
passif exigible ne suffit pas à caractériser l'état de cessation des paiements,

179cf. CA Besançon, 31 janv. 1996 : Rev. pr. coll. 1997, p. 174, obs. J.-M. Calendini. - CA Paris, 3e
ch. B, 22 mars 1996, aff. Brouard ès qual. c/ Amange et a., inédit, cité par J.-M. Calendini, obs. préc. -
cf. également G. Téboul, A propos de la cessation des paiements : RJ com. mai 1998, p. 169 et s.
180CA Angers, 1er oct. 1996, aff. Transports Frigorifiques Fertois c/ Martin ès qual., inédit, cité par
M. Calendini, obs. préc.

65
encore faut-il que ce passif soit exigé par les créanciers

181 .

B - La notion de passif exigé


7 - Cette notion signifie, au regard de la jurisprudence qui y est favorable, que
même si une créance est à terme, conformément aux stipulations contractuelles
initiales, un créancier doit en principe en exiger le paiement à l'échéance
convenue. Il en résulte que l'absence de réclamation d'une créance échue peut
vouloir signifier que le créancier a implicitement accordé un report d'échéance à
son débiteur.
Sans vouloir pour autant justifier cette solution, l'on peut être tenté de
l'expliquer. L'octroi d'un moratoire à une entreprise défaillante peut participer de
la volonté du créancier de protéger sa propre créance en accordant un temps de
répit à celle-ci, en espérant qu'elle pourra se renflouer à brève échéance et
pourra ainsi le rembourser intégralement. Plutôt que de lui faire un affront public
en déclarant l'état de cessation des paiements du débiteur, risquant ainsi de
compromettre les chances de recouvrement de sa créance, un créancier peut
tacitement et utilement renoncer à exiger une créance échue et exigible. Cette
créance perd par là même son caractère exigible.
8 - La ligne de démarcation entre les notions de passif exigible et de passif exigé
semble être la suivante : si la première notion paraît plus juridique ou en tout cas
moins comptable, parce qu'elle fait penser au respect des échéances et des
engagements pris, conformément aux principes qui gouvernent le droit des
obligations, la seconde notion est, quant à elle, beaucoup plus comptable et
stratégique, parce qu'elle traduit la volonté du créancier de ménager ses intérêts.
C'est d'ailleurs ce qui apparaît de manière sous-jacente dans la décision
commentée, notamment dans la réponse de la société civile immobilière REG à la
lettre du débiteur, en date du 8 novembre 1990 : "sans que cela constitue de
notre part une renonciation à nos droits" et que "la résiliation ne pouvait
intervenir qu'au terme de la période triennale en cours" ; alors que la société
bailleresse aurait pu être interpelée ou alertée par la liquidation amiable de la
société locataire pour exiger le paiement de la créance du fait de la déchéance du
terme.

181CA Paris, 3e ch. A, 17 sept. 1996, aff. Sté Cap Plus c/ Carasset Marllier ès qual., inédit, cité par M.
Calendini, obs. préc. Il avait été décidé dans cette affaire que l'état de cessation des paiements de
l'entreprise débitrice n'était pas constitué, eu égard au caractère litigieux de certaines dettes et de
l'absence de réclamation des autres dettes.

66
La Chambre commerciale de la Cour de cassation prend d'ailleurs acte de cette
pratique de la vie des affaires, en temps de récession, lorsqu'elle affirme, ainsi
qu'il a été rappelé ci-dessus, que "le créancier est libre de faire crédit au
débiteur" en n'exigeant pas le paiement d'une créance même échue.

2 - Les fondements juridiques de l'arrêt


9 - Les applications jurisprudentielles (A) et les réflexions doctrinales (B)
permettent de conclure à une certaine évolution - si ce n'est une évolution
certaine - d'approche dont la solution retenue par la décision commentée semble
être l'aboutissement.

A - Les précédents jurisprudentiels


10 - Avant d'examiner tous les arrêts favorables à la solution adoptée ici, il n'est
pas superflu de noter que l'analyse des arrêts rendus en la matière laisse
apparaître un critère relativement simple : si l'état de cessation des paiements
signifie l'impossibilité pour un débiteur de faire face à son passif exigible avec son
actif disponible, tellement celui-ci est insuffisant, alors il ne peut y avoir d'état de
cessation des paiements si une partie du passif exigible n'est pas exigé. Cette
partie du passif non exigé diminue d'autant le montant du passif et de manière
quasi-corrélative augmente l'actif disponible ou le crédit du débiteur, puisque les
fonds prévus pour payer les dettes échues mais non exigées - si tant est que ces
fonds soient réellement disponibles - peuvent consolider les disponibilités
financières de l'entreprise débitrice aussi longtemps que le paiement de ces
dettes ne sera pas demandé.
Il apparaît d'ailleurs des arrêts recensés que les argumentations des débiteurs
sont à cet égard très édifiantes, voire audacieuses. Ces derniers soutiennent de
façon presque systématique que l'état de cessation des paiements est caractérisé
par l'impossibilité pour l'entreprise débitrice de faire face à son passif exigible et

exigé 182 . Ces arrêts de la Cour de


cassation peuvent être répartis en deux séries. Certains, tout en acceptant le
principe de la double condition, de passif exigible et exigé, ont rejeté les pourvois

182V. par exemple le moyen de cassation invoqué par M. Lachavanne dans un arrêt rendu par la
Chambre commerciale en date du 7 juillet 1992 (arrêt n° 1266, pourvoi n° 90-994, aff. M. David
Guillerm et Mlle Guillerm ; - V. aussi 1er oct. 1997, arrêt n° 1892, pourvoi n° 95-12.904 ; - 17 juin
1997, arrêt n° 1563, pourvoi n° 95-13.056, préc. : JCP E 1997, pan. 908 ; D. affaires 1997, p. 903, préc.
; - rappr. 3 févr. 1998, arrêt n° 334, pourvoi n° 95-17.348.

67
qui s'en sont prévalus, aux motifs que les créanciers auraient effectivement et
vainement réclamé le paiement à l'échéance

183 . D'autres arrêts ont, en revanche,


accepté et appliqué le principe, et, l'arrêt commenté s'inscrit dans ce courant
jurisprudentiel.
Dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 novembre 1997, le Trésor
public avait procédé, conformément à l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985, à
une déclaration, à titre provisionnel, d'une créance et de pénalités fiscales pour
l'année 1986. Cette déclaration portait la mention suivante : "notification de
redressement en cours - titre non encore établi". La créance sous condition ne
pouvait donc pas normalement être comptabilisée comme faisant partie du passif
exigible. Mais, la cour d'appel en a décidé autrement et a estimé que le défaut de
paiement d'une créance fiscale - même sous condition - suffisait à établir
l'impossibilité pour l'entreprise assujettie à faire face au passif exigible avec son
actif disponible. Sur le pourvoi de l'entreprise défaillante, la Cour de cassation a
censuré la décision de la cour d'appel aux motifs que l'Administration n'avait
exigé ses créances échues qu'à partir du mois de novembre 1988

184 .

183Ibid.
184Cass. com., 12 nov. 1997 : Bull. civ. IV, n° 290 ; D. affaires 1997, p. 1468.

68
Dans un autre arrêt rendu le même jour par la même formation de la Cour de

cassation 185 , un débiteur, la société


Art Studio, avait bénéficié des moratoires de la part des banques et du soutien de
la société mère, Galerie Templon. Victime de la crise du marché de l'art, la
société Art Studio a été mise en liquidation judiciaire. Le tribunal de commerce
puis la Cour d'appel de Paris ont fixé la date de cessation des paiements de cette
société à 14 mois de l'ouverture de la procédure collective et condamné son
gérant à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement
ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne
morale à l'exception de la société Daniel Templon SA. Le gérant s'étant pourvu en
cassation, les juges du droit ont cassé la décision des juges du fond en estimant
que même si le passif exigible était supérieur à l'actif disponible, la société n'était
pas en état de cessation des paiements en 1991 puisque son passif "exigé" à
cette époque était inférieur à son actif disponible et à ses possibilités d'avances.
11 - La double leçon à tirer de ces décisions est que, d'une part, la Haute
juridiction a appliqué la théorie du passif exigible et exigé, d'autre part, elle
semble accréditer l'idée selon laquelle les moratoires consentis à une entreprise
en difficulté peuvent modifier substantiellement la structure financière du passif
de celle-ci et transformer corrélativement en non exigible une partie du passif
exigible, évitant ou retardant ainsi l'état de cessation des paiements de
l'entreprise bénéficiaire. Quid du sort judiciaire, au regard des articles 182-4

185Cass. com., 12 nov. 1997, arrêt n° 2193, pourvoi n° 95-16.000, aff. D. Templon c/ Scp Brouard-
Daude. - CA Nancy, 29 juin 1988. Cet arrêt semble se référer à la notion de passif exigé en relevant,
pour contester l'état de cessation des paiements, que la société assignée n'avait fait l'objet d'aucune
assignation, injonction de payer, protêt... V. Dictionnaire permanent des difficultés des entreprises,
feuillet 54, n° 17, p. 270.

69
186 et 197-1° de la loi de 1985 et

1382 du Code civil 187 , qui pourrait


être réservé aussi bien aux créanciers trop généreux qu'aux dirigeants de
l'entreprise bénéficiaire si celle-ci était, malgré tout, soumise à une procédure
collective... Surtout si ces moratoires ont été accordés non pas dans le cadre de
la procédure du règlement amiable sous l'égide d'un mandataire judiciaire qu'est
le conciliateur, ce qui pourrait supposer que l'entreprise n'est pas en état de
cessation des paiements, mais dans un cadre purement contractuel et "informel",

186Etant précisé qu'en l'espèce, la condamnation de Mme Morel sur le fondement de l'article 180 de la
loi de 1985 n'a pas été retenue aux motifs que les dettes postérieures à la renonciation, c'est-à-dire à
l'absence de réclamation de la créance échue, n'entrent pas dans le passif exigible pouvant incomber au
gérant.
187Rappr. Cass. crim., 26 sept. 1996 : L'état de cessation des paiements d'une entreprise suffit-il à
caractériser le délit de banqueroute ? : Petites affiches 22 sept. 1997, note G.-A. Likillimba.

70
moins enclin à observer pareille condition

188 !

B - La doctrine et la double condition du passif exigible et


exigé
12 - L'arrêt commenté est corroboré par une partie de la doctrine. En réalité, la
doctrine est unanime, à quelques nuances près, sur la double condition requise
par la Cour de cassation et, réaffirmée dans la décision commentée pour
caractériser l'état de cessation des paiements d'une entreprise.
Le Pr Pétel, par exemple, affirme que "le passif exigible, au sens de l'article 3 de
la loi du 25 janvier 1985, ne correspond pas, comme en comptabilité, aux dettes
à terme, fût-ce à court terme. Il s'agit en fait du passif échu. Ce sont les dettes
que le débiteur est tenu de payer au jour où sa situation est examinée, parce
qu'elles sont, au sens juridique des termes, certaines, liquides et exigibles.
Encore faut-il, en outre, que le créancier en demande effectivement le paiement,
car tout report d'échéance consenti par un créancier diminue d'autant le passif
exigible. Ces dettes figurent au bilan, mais il convient de les sélectionner parmi
l'ensemble des écritures qui retracent le passif à court terme et à vue"

188Sur l'ensemble de ces conséquences, cf. G. Téboul, art. préc., p. 177 et s.

71
189 . Pour le Pr Soinne, en revanche,
"le passif considéré (pour caractériser l'état de cessation des paiements) est celui
qui est "exigible" et non pas seulement celui qui est "exigé" ; il s'agit du passif à
court terme qui exclut les dettes à long et à moyen terme"

190 .
Plus généralement, la doctrine se fait l'écho de certains propos tenus lors des
débats parlementaires sur la loi de 1985 et qui avaient relevé une certaine
contradiction ou une relative incertitude suscitée par la jurisprudence de la Cour
de cassation en la matière. Ainsi, par exemple, M. Serge Charles a déclaré que la
Chambre commerciale a fait de la notion de passif exigible, condition de l'état de

189Ph. Pétel, Travaux dirigés de droit des entreprises en difficulté, Litec, éd. 1990, p. 52 ; Y. Guyon,
Mieux vaudrait parler de passif exigé que de passif seulement exigible, Droit des affaires, t. 2,
Entreprises en difficultés, Economica, 5e éd., n° 1118, p. 143 ; Y. Chaput, Droit des entreprises en
difficulté et faillite personnelle, PUF, 2eéd., 1996, n° 257 ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises
en difficulté, Montchrestien, 2e éd., n° 346 ; F. Pérochon, Entreprises en difficulté, Instruments de
crédit et paiement, 2e éd., n° 114 ; C. Regnaut-Moutier, Cessation des paiements, J.-Cl. Com., Fasc.
2155, nos 6 et s ; G.-A. Likillimba, Le soutien abusif d'une entreprise en difficulté, Recherche d'une
approche globale, Litec, 1998, p. 7, n° 3.
190B. Soinne, Traité théorique et pratique des procédures collectives, Litec, éd. 1995, n° 408 ; M. Le
Cannu, obs. sous Cass. com., 17 juin 1997, préc. : Defrénois 1998, p. 948. Cet auteur affirme que par
cette décision, la Haute juridiction a consacré par la théorie de la "réserve de crédit" ; A. Lienhard, obs.
préc.

72
cessation des paiements, "des applications différentes suivant les cas. Pour ce qui
est du passif exigible, elle a parfois invoqué l'exigible exigé, revenant ainsi à la
notion ancienne sans pour autant la rétablir"

191 . Ce qui signifie précisément que


l'arrêt commenté, à l'instar de ceux qui ont été rendus dans le même sens depuis
l'entrée en vigueur de la loi de 1985, rétablit en fait une solution ancienne. Si tel
est le cas, outre les difficultés, dont certaines ont été indiquées précédemment,
l'objectif de la loi du 25 janvier 1985 pourrait être compromis et dévoyé.
13 - A propos, justement, des difficultés que la solution retenue dans l'arrêt
rapporté pourrait engendrer, elles sont de plusieurs ordres. Il en est ainsi et
surtout du problème, au demeurant déjà très délicat, de la détermination de la
date de cessation des paiements d'une entreprise en difficulté. De cette difficulté,
découlent plusieurs autres, notamment la détermination de faute de gestion et de
ses sanctions, du délit de banqueroute et de sa complicité, de la période suspecte
et de son incidence sur l'application des articles 107 et 108 de la loi de 1985, de
la recherche de responsabilités des partenaires d'une entreprise défaillante, etc.

192 .
Ce courant jurisprudentiel pourrait également compromettre, ainsi qu'il vient
d'être indiqué, les objectifs de la loi de 1985. Ainsi que l'a déclaré le sénateur

191cf. les débats parlementaires précités.


192cf. supra n° 11.

73
rapporteur de la commission des lois : "l'expérience prouve, en effet, que plus le
dépôt de bilan a été tardif (...) , plus les conséquences (sont) désastreuses à la
fois pour les créanciers et pour l'emploi". "La commission des lois souhaite une
ouverture aussi précoce que possible de la procédure"

193 . Or, précisément, si l'état de


cessation des paiements doit être subordonné, ainsi que l'a décidé la Haute
juridiction, à la double condition de passif exigible et exigé, il est à craindre que
l'ouverture de procédure collective à l'encontre de nombre d'entreprises ne se
fasse pas avant que la situation financière de celles-ci ne devienne
irrémédiablement compromise. Comme l'ont si justement affirmé les juges de la
Cour d'appel de Bordeaux, "si l'on devait attendre que le passif soit exigé, on se
(dirigerait) inexorablement vers une liquidation judiciaire"

194 à tous les coups, et, les objectifs


fixés par l'article 1 de la loi du 25 janvier 1985 et réitérés par celle du 10 juin
1994 risqueraient d'être dévoyés.
14 - Certes, le bon sens suggère de saluer le pragmatisme de la jurisprudence
actuelle en la matière, car l'application comptable du critère retenu par le
législateur (art. 3, préc.) pour définir la notion d'état de cessation des paiements
risquerait, surtout en temps de récession, de conduire à l'ouverture d'une
procédure collective à l'encontre d'une multitude d'entreprises, tant la structure

193M. Thyraud, préc.


194CA Bordeaux, 6 avr. 1993, préc.

74
financière de celles-ci se fragilise de plus en plus. Cependant, dans une économie
de marché, la disparition d'une entreprise est un phénomène naturel résultant
des mécanismes profonds des tissus industriels et de la nécessité d'éliminer une
société exsangue encore survivante dans une économie d'endettement qui
s'essouffle considérablement 195 .

Avant-projet de loi sur la sauvegarde des


entreprises - "du redressement amiable prolongé
au redressement judiciaire anticipé"
Sylvie GIULJ
Avocat à la Cour, Docteur en droit

Le gouvernement a mis en chantier une importante réforme d'ensemble des


procédures collectives avec pour objectif primordial d'amener plus tôt les
dirigeants, confrontés à des difficultés susceptibles de mettre en péril leur
entreprise, devant les autorités judiciaires, en vue de permettre à ceux-ci tout à
la fois de rompre leur isolement, de bénéficier en temps voulu du concours des
professionnels avertis, et de concourir eux-mêmes, dans un environnement
juridique sécurisé, au sauvetage de leur entreprise, pour en accroître les chances
de succès. Les partenaires de l'entreprise seraient de leur côté incités, dans un
environnement plus propice, à contribuer pour leur part à ce sauvetage.
Le texte de l'avant-projet comporte en effet diverses avancées significatives, et
c'est son grand mérite :
En premier lieu, si la Chancellerie ne modifie pas la notion de cessation des
paiements (qui demeure résulter d'une insuffisance de l'actif disponible au regard
du passif exigible) et ne retient pas l'idée quelquefois émise, notamment depuis
l'arrêt de 1998 de la Cour de cassation ayant mentionné la notion de "passif
exigible et exigé" (Cass. com., 28 avr. 1998 : JCP E 1998, p. 1926, note
Likillimba) (jurisprudence qui demeurerait en ce cas, en toute vraisemblance, un
cas d'espèce), elle entend offrir au dirigeant plus de souplesse dans le choix, et la
date de recours aux différentes procédures selon l'appréciation faite par celui-ci
de la situation de la société.
La première avancée notable consiste en effet à permettre au chef d'entreprise de
recourir plus tôt, et selon une séquence progressive si nécessaire - en fonction de
l'évolution de la situation de l'entreprise et/ou du déroulement des négociations -,
à la "panoplie" de procédures mises à sa disposition par la loi.
Certes, l'avant-projet ne comporte pas de prescriptions tendant à l'établissement,
par toute entreprise, et notamment les PME ou TPE, d'un tableau de bord
prévisionnel qui permettrait à tout entrepreneur d'avoir une bonne visibilité, et
d'anticiper à coup sur les difficultés prévisibles (les documents comptables
demeurent à vocation principalement rétrospective) - ce que l'on peut regretter,
mais il est difficile d'imposer aux entreprises, notamment aux plus petites
entreprises, toujours plus de contraintes sans en supprimer -, mais il envisage
d'organiser comme suit le déclenchement du recours aux procédures de
redressement :
Le dirigeant disposerait dorénavant des instruments suivants : à sa seule
initiative, il pourrait toujours demander au Président du tribunal la nomination

195cf. G.-A. Likillimba, op. cit., p. 9, n° 7.

75
d'un "mandataire ad hoc", pour autant toutefois que la cessation de paiement ne
soit pas avérée. Il est à noter que la faculté de détection des difficultés des
entreprises propre au Président du tribunal, habilité en ce cas à convoquer tout
dirigeant à venir lui rendre visite, se trouverait accrue par la possibilité,
désormais, d'adresser une injonction de dépôt des comptes, suivie au bout d'un
mois de la possibilité de convoquer le dirigeant, puis, si le dirigeant ne se rend
pas à cette invitation, d'obtenir communication par les commissaires aux
comptes, le personnel, les administrations fiscales ou sociales, ou les services de
la Banque de France, des renseignements de nature à lui "donner une exacte
information sur la situation économique ou financière" de l'entreprise, faculté qui
ne lui était précédemment offerte que si le dirigeant s'était rendu à l'entretien.
Cette disposition vise utilement à provoquer un entretien - confidentiel - le plus
tôt possible.
Enfin, point clef de la réforme, la procédure de redressement amiable serait
ouverte à "toute entreprise commerciale, ou artisanale [les entreprise agricoles
resteraient concernées par renvoi de la loi relative à l'agriculture] qui éprouve
une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, de nature
à compromettre la continuation de son exploitation, ou des besoins ne pouvant
pas être couverts par un financement adapté à ses possibilités, ou qui se trouve,
depuis moins d'un mois, en état de cessation de paiements". La nouveauté est
que la procédure de redressement, mieux définie, pourrait être ouverte
également en situation avérée de cessation des paiements, ce qui n'est pas le cas
de la procédure actuelle de "règlement amiable". Cette nouveauté semble
judicieuse du point de vue de l'entreprise, car, dans la pratique, l'accord de
règlement amiable est signé entre les principaux créanciers, et le délai de 4 à 5
mois ainsi donné (1 mois à compter de la cessation des paiements, et trois mois
voire quatre mois en cas de prorogation de la mission du conciliateur) est un délai
raisonnable qui peut permettre à un entrepreneur, en accord avec ses quelques
grands créanciers, et dans la confidentialité de la procédure, de redresser
l'entreprise en faisant l'économie du traumatisme de la cessation des paiements.
Certes, la question de la responsabilité du dirigeant, dont la société serait en
cessation des paiements avérée, demeurerait ouverte et soumise, a priori, à
l'appréciation du tribunal. A ce propos, il faut regretter que la possibilité, pour le
conciliateur, de demander au Président du tribunal une suspension provisoire des
poursuites, ait disparu du texte : une telle mesure, qui comporte certes une
mesure de publicité impérative (sous la forme d'une mention sur l'extrait K bis de
la société, du fait de son effet à l'égard des tiers) devrait demeurer une faculté
pour le conciliateur. Indépendamment de l'inconvénient résultant de la perte
inévitable de confidentialité (mais la confidentialité peut ne plus être d'actualité
sur certains dossiers), le recours à la "spp" pourrait continuer de contribuer de
permettre, de façon sécurisée pour le dirigeant, la recherche d'une solution de
sauvetage par les actionnaires, voire avec un petit nombre de créanciers, en
prévenant la survenance de la cessation avérée des paiements, toujours
traumatisante pour la société.
L'un des points les plus délicats de l'avant-projet, certes dans une préoccupation
tout à fait légitime, mais qui ne permettrait pas de maintenir, du moins in fine la
confidentialité du recours à la procédure de redressement amiable, résulte de
l'homologation prévue du plan de redressement amiable négocié entre les parties,
non plus par une simple ordonnance du Président du tribunal, mais par un
jugement du tribunal, en bonne et due forme après, de surcroît, consultation des
salariés. Cette disposition vise, intention louable, à donner au plan une force
exécutoire que ne lui confère pas la simple homologation par une ordonnance du
Président. Ce point mériterait d'être attentivement réexaminé, car l'enjeu est
d'importance, et toute l'efficacité de la nouvelle architecture du redressement
amiable est en jeu.

76
Mais ce faisant, la disposition nouvelle, outre qu'elle compromet la confidentialité
in fine du recours à la procédure, du seul fait du caractère public des jugements
(ce qui en soi est un premier inconvénient) implique, d'une part, nécessairement,
la consultation préalable du comité d'entreprise dès l'ouverture de la procédure
(faute de quoi, selon nous, les dirigeants s'exposeraient à coup sur - à défaut de
dispense légale explicite - au risque de délit d'entrave) ; d'autre part, qui dit
jugement dit ouverture des délais d'appel et de tierce opposition, étant précisé
que ceux-ci seraient largement ouverts, dès lors que l'homologation de l'accord
serait désormais subordonné à trois conditions strictes, mais tout à la fois
susceptibles d'interprétation : fin de la cessation des paiements ; assurance de la
pérennité de l'entreprise, et, surtout, sauvegarde des intérêts des créanciers non
parties à l'accord : comment en ce cas imaginer que le droit de contester
l'homologation ne serait pas ouvert aux tiers ? Quel serait le sort de l'accord,
certes synallagmatique, mais qui comportera, nécessairement des clauses de
subordination à l'homologation - définitive - de l'accord ; bien entendu, pendant
ce temps, l'entreprise aura eu le temps de disparaître !
Enfin, en cas d'échec du plan de redressement amiable, intervenant après son
homologation, le projet maintient le prononcé de la "résolution" du plan : le
terme de "résiliation" serait plus approprié, car il est dans la pratique impossible
de "remettre les choses en l'état", ab initio, comme si le plan n'avait pas existé ;
il serait donc plus judicieux de parler de "résiliation", aux effets valant pour le
futur, et sans remise en cause des actes passés régulièrement pendant la période
d'application du plan : comment, au demeurant, pourrait-il en être autrement
notamment lorsque le plan a été adopté en dehors d'une cessation des paiements
avérée ? Le prononcé de la résiliation éviterait de "reconstituer"
rétrospectivement la cessation des paiements : il sécuriserait, dès la recherche
d'un plan de sauvetage, la situation tant du chef d'entreprise, mais aussi, point
important, des banquiers prêteurs, qui se trouveraient dans ce contexte protégé,
rétrospectivement, du reproche de soutien abusif, et sécuriserait donc la
recherche d'une solution avec le concours des banquiers. Par ailleurs, il
conviendrait de préciser encore plus clairement que ne le fait l'avant projet le
rang des créances nées dans le cadre de ce plan, au regard des créances dites,
encore, de l'article 40, et des créances privilégiées, ou assorties de sûretés, nées
au cours de la période antérieure.
La seconde avancée significative de l'avant projet de loi, qu'il faut également
soutenir, consisterait à permettre au dirigeant de procéder à la déclaration,
anticipée cette fois ci, de la cessation des paiements : en effet, la procédure
resterait ouverte à tout débiteur "dans l'impossibilité de faire face à son passif
exigible avec son actif disponible" (avec un délai porté judicieusement de quinze
jours à un mois), mais également "qui justifie de difficultés, avérées ou
prévisibles, susceptibles d'entraîner à bref délai, la cessation des paiements".
Cette disposition permettrait donc au dirigeant de se placer, lui et son entreprise,
en quelque sorte "sous la sauvegarde judiciaire", pour oeuvrer, le plus tôt
possible et sous un régime très protecteur - donc avec les meilleures chances de
succès -, avec le concours des juges et des auxiliaires de justice, à la recherche
d'une solution viable de redressement.
Encore conviendrait-il que les dispositions proposées soient éclaircies sur certains
points : il semble que la période maximale d'observation serait limitée à un an,
au lieu de 18 mois actuellement : la période de 18 mois devrait impérativement
être conservée tant elle s'avère nécessaire dans certains cas ; par ailleurs, il
semble que la Chancellerie ne conçoit la période de redressement judiciaire que
comme devant aboutir à l'élaboration d'un plan de continuation : certes, il
convient de favoriser toute disposition contribuant à faire du plan de continuation
l'objectif primordial, pour ne pas dire "l'ardente obligation" de la période de
redressement judiciaire. Mais il ne faudrait pas exclure que le redressement, en

77
cas d'échec de l'élaboration d'un tel plan, aboutisse automatiquement à
l'ouverture de la liquidation judiciaire de l'entreprise pour l'organisation de sa
cession.

Il conviendrait de maintenir à tout prix une possibilité de


"sortie" du redressement judiciaire par la voie de la cession,
totale voire partielle de l'entreprise, avec le concours du
dirigeant, car une telle "cession" (que l'on pourrait utilement
distinguer de la "liquidation") a d'indéniables avantages, de
différents points de vue : d'abord, elle est évidemment moins
traumatisante pour l'entreprise, qui subsiste, certes entre les
mains d'autres investisseurs, mais indépendamment de cela,
du point de vue du dirigeant, une telle cession, outre qu'elle
est mise en place avec son concours, donc dans de meilleurs
conditions, lui permet de "sortir la tête haute", en
conservant toute sa dignité de chef d'entreprise et d'homme
- et cet aspect est primordial - les professionnels savent à
quel point cet élément humain doit être pris en
considération, notamment dans les PME (le chef
d'entreprise, s'il perd son patrimoine et ses revenus, entend
conserver, à ses propres yeux comme à ceux de sa famille,
interlocuteurs, et autres, toute sa dignité) ; il est par ailleurs
à craindre que, le mieux étant l'ennemi du bien, à vouloir
trop assurer l'adoption d'un plan de continuation en excluant
la cession judiciaire comme issue du processus de
redressement, on n'incite au final le dirigeant d'entreprise,
faute de cette perspective de sortie, à retarder en pratique la
demande d'ouverture du redressement judiciaire. Ce point
devrait être impérativement réexaminé par les rédacteurs de
l'avant-projet, si l'on veut éviter que la réforme prenne le
risque de manquer, sur ce point, son principal objectif.Avant-
projet de loi sur la sauvegarde des entreprises - "du
redressement amiable prolongé au redressement judiciaire
anticipé" par Sylvie GIULJ

§ 3 Financement des expertises de diagnostic

Le fonds de développement de la compétitivité industrielle participe au financement à


hauteur de 70% du coût des expertises et études une foix fixées, avec l’adoption des
mêmes plafonds prévus du coût des études admis au programme de mise à niveau. Un
décret définira la modalité de prise en charge du financement de l’étude par le fonds.
Le tribunal fixera les honoraires de l’expert après avis de la comission de suivi des
entreprises sur l’expertise.
Le ministre chargé de l’industrie ordonne le paiement des honoraires de l’expert par le
fonds de développement de la compétitivité industrielle après réception de la
justification du paiement de la première tranche du coût de l’étude et après avis de la
commission de suivi des entreprises économiques.

78
Il transmet une copie de l’étude diagnostic à la commission de suivi des entreprises
économiques pour requérir obligatoirement son avis.

L’article 22 . Le président du tribunal, saisi d’une demande de règlement judiciaire,


désigne dans un délai ne dépassant pas les quinze jours à partir de la date de réception
de l’avis de la commission des entreprises économiques ou à l’expiration du délai de
20 jours qui lui est imparti pour donner son avis et au cas où il s’avère que la demande
est fondée, un juge commissaire auquel il confie le dossier et un administrateur
judiciaire chargé de l’élaboration du plan de redressement dans un délai de 3 mois
renouvelables pour la même durée par décision du président du tribunal. Il peut, le cas
échéant, désigner, également, un ou plusieurs experts en diagnostic pour s’enquérir
sur la véritable situation de l’entreprise en vue d’aider l’administrateur judiciaire dans
l’élaboration du plan de redressement.
La décision de désignation de l’expert en diagnostic doit indiquer le montant de la
provision qui doit lui être avancée et la partie qui en est tenue. Le président du
tribunal fixe le montant de la rémunération de l’expert à la fin de sa mission.

Cass. com., 23 juin 1998 [R.] ; Forand c/ Euchin, ès qual. [Juris-Data n°


002903]. (pourvoi n° T 96-12.222 c/ CA Lyon, 2 juin 1995).

Procédure. Mesure d'instruction. Juge-commissaire. Désignation d'un


expert en diagnostic d'entreprises. Nullité des opérations (non). Mesure
d'expertise (non).
Ayant énoncé exactement que la mission confiée par le juge-commissaire à
l'expert en diagnostic d'entreprise ne constituait pas une mesure d'expertise au
sens des articles 263 et suivants du Nouveau Code de procédure civile, mais une
mission d'investigation dans le cadre d'une procédure collective, c'est à bon droit,
dès lors qu'il n'était pas contesté que le rapport avait été soumis à la libre
discussion des parties, que la cour d'appel a relevé que ce technicien avait
organisé une réunion contradictoire et qu'il s'était adjoint un expert-comptable de
son choix avec l'autorisation du juge, a écarté tout motif tiré de la nullité des
opérations et confirmé les deux jugements qui, se fondant sur ce rapport, ont
prononcé une sanction à l'encontre du dirigeant de la société et sa liquidation
judiciaire.

Lorsqu'une demande de sanction patrimoniale est


formée à l'encontre de plusieurs dirigeants d'une
société défaillante, le tribunal peut les entendre
séparément
Pierre CAGNOLI
Maître de conférences, Membre du CRDP

Après avoir relevé que chacun des dirigeants poursuivis par le


liquidateur, en vertu des articles 180 à 182 de la loi du 25 janvier 1985, a
été entendu en présence de son conseil, par le tribunal en chambre du

79
conseil, conformément aux dispositions de l'article 164 du décret du 27
décembre 1985, l'arrêt retient que les intéressés, qui ne sont pas
recevables à élever une prétention contre un co-dirigeant, peuvent
librement discuter les procès-verbaux d'audition lors des débats ; par ce
seul motif, dont il résulte que le principe de la contradiction a été
observé, la cour d'appel a légalement justifié sa décision en rejetant
l'appel-nullité formé contre le jugement ayant refusé d'admettre les
autres dirigeants à l'audition de chacun d'entre eux, en dépit de la
demande des intéressés..
Procédures collectives. Sanctions et déchéances. Procédure. D. 27 déc.
1985, art. 164. Audition séparée des dirigeants en présence de leurs
conseils. Refus d'admettre la présence des autres dirigeants aux
auditions individuelles. Manquement au principe de la contradiction
(non). Irrecevabilité des dirigeants à agir contre un co-dirigeant.
Soumission à la libre discussion des parties des procès-verbaux
d'audition. Cass. com., 14 mars 2000 ; Frackowiak c/ Soinne, ès qual. et
a. (arrêt n° 689 P) [Juris-Data n° 000985].

LA COUR - (...) Sur le moyen unique :


Attendu que M. Frackowiak reproche à l'arrêt attaqué (CA Douai, 9 janv. 1997,
RG : 94/03936), statuant sur appel du jugement du Tribunal de grande instance
de Lille du 16 mars 1994, d'avoir dit son appel-nullité mal fondé, alors, selon le
pourvoi, que l'article 164 du décret du 27 décembre 1985 n'impose aucunement
une audition séparée des dirigeants de la personne morale ; que, lorsque les
intéressés demandent qu'il soit procédé à l'audition de chacun en présence des
autres, le respect des droits de la défense impose qu'il soit fait droit à leur
demande ; qu'il s'ensuit que le jugement ayant refusé d'admettre les intéressés,
dont M. Frackowiak, à l'audition de chacun d'eux, est affecté d'un vice substantiel
entraînant sa nullité ; qu'en décidant autrement, l'arrêt a violé l'article 16 du
Nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que chacun des dirigeants poursuivis par le
liquidateur a été entendu en présence de son conseil, par le tribunal en chambre
du conseil, conformément aux dispositions de l'article 164 du décret du 27
décembre 1985, l'arrêt retient que les intéressés, qui ne sont pas recevables à
élever une prétention contre un co-dirigeant, peuvent librement discuter les
procès-verbaux d'audition lors des débats ; que par ce seul motif, dont il résulte
que le principe de la contradiction a été observé, la cour d'appel a légalement
justifié sa décision que le moyen ne peut être accueilli ;
Par ces motifs : - Rejette le pourvoi (...).
M. Dumas, prés., Mme Lardennois, rapp., M. Feuillard, av. gén. ; Me Choucroy,
SCP Defrenois et Levis, av.

Note :
Lorsque, à l'occasion d'une procédure collective ouverte à l'encontre d'une
personne morale, une demande de sanction patrimoniale est formée contre
plusieurs dirigeants, le tribunal peut-il les entendre séparément ou doit-il les
convoquer à la même audience ? C'est la première solution que consacre un arrêt
rendu le 14 mars 2000 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. En
l'espèce, les co-dirigeants avaient demandé à être entendus chacun en présence
des autres. Le tribunal choisit au contraire de les entendre un par un, en
présence de leur conseil. L'un des dirigeants s'estima alors victime d'une violation
du principe de la contradiction. Il forma un appel-nullité, que rejeta la Cour
d'appel de Douai, puis un pourvoi en cassation, fondé sur la violation par les
magistrats du second degré de l'article 16 du Nouveau Code de procédure civile.

80
La Cour de cassation a rejeté ce dernier recours. Elle a jugé régulière l'audition
séparée de chaque dirigeant, retenant qu'aucun d'eux n'avait de prétention à
émettre contre les autres, et que tous pouvaient, lors des débats, discuter les
procès-verbaux d'audition de leurs homologues.
Cette décision de la Cour de cassation est un nouvel exemple de l'articulation
délicate des règles classiques du droit judiciaire privé et des règles procédurales
spéciales du droit des faillites. L'enseignement immédiat de l'arrêt concerne le
respect du principe du contradictoire (1). Une seconde lecture de la décision
permet aussi de réfléchir aux rapports entre l'audition des dirigeants et les
mesures d'instruction prévues par le Nouveau Code de procédure civile (2).

1 - L'audition des dirigeants et le principe du


contradictoire
L'arrêt du 14 mars 2000 illustre le cheminement procédural suivi lors d'une action
en comblement de passif, ou d'une procédure de redressement ou de liquidation
judiciaire sanctionnant l'un des comportements visés aux articles 181 et 182 de la
loi du 25 janvier 1985 196. L'article 164, alinéa 2, du décret du 27 décembre
1985 prévoit notamment une audition obligatoire du (ou des) dirigeant(s) mis en
cause, en chambre du conseil. Comme l'indique la Cour de cassation, cette
audition précède les débats, auxquels ne fait pas allusion ce même texte. Ces
débats comprennent l'exposé du rapport du juge désigné par le tribunal, les
plaidoiries en demande et en défense, ainsi que les observations du Ministère
public, quand ce dernier est partie jointe. Le décret précise encore que le
jugement est rendu en audience publique.
Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle que les dirigeants ne peuvent formuler
de prétention les uns contre les autres. Elle avait déjà retenu cette solution
s'agissant de l'action en comblement de passif, comme conséquence du caractère

attitré de ladite action 197 . Bien que


parties à l'instance, les co-dirigeants sont, en quelque sorte, traités comme des
tiers les uns par rapport aux autres. Reste alors à se demander pourquoi, dans
ces conditions, le principe du contradictoire doit être respecté ? La raison est

196Sur ce cheminement procédural, V. B. Soinne, Traité des procédures collectives, Litec, 2e éd..,
1995, n° 2569 ; J. Vallansan, Redressement et liquidation judiciaires, Litec, 2e éd., 2000, p. 281.
197Affirmant l'irrecevabilité de la demande de comblement de passif formulée par un dirigeant contre
un autre, même à titre de garantie, V. Cass. com., 6 juin 1995 : Bull. Joly 1995, p. 986, note P. Le
Cannu ; JCP E 1995, I, 513, § 20, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll. 1996, p. 399, obs. A. Martin Serf.

81
simple : le juge est susceptible de puiser dans l'ensemble des procès verbaux
tout un ensemble d'éléments de fait, allégués par les dirigeants pour se disculper
au détriment des autres. Ces faits, qui sont dans le débat, pourront nourrir la
thèse du demandeur - liquidateur, administrateur, commissaire à l'exécution du
plan, Ministère public ou tribunal sur saisine d'office -, et fonder la décision à
intervenir. C'est pourquoi ils doivent pouvoir être contestés à l'occasion des
débats, ce dont s'est assurée la Cour de cassation dans l'espèce commentée.
Par ailleurs, si la Cour de cassation affirme clairement que les co-dirigeants n'ont
pas de droit à être entendus chacun en présence des autres, elle n'interdit
nullement au tribunal de les convoquer tous à la même audience. Le juge est
donc seul maître de ce choix.
La motivation de l'arrêt permet encore de réfléchir à des questions procédurales
que la Cour de cassation n'a pas tranchées jusqu'à présent.

2 - L'audition des dirigeants et les mesures


d'instruction du Nouveau Code de procédure
civile
On l'a vu, la Haute juridiction adopte une conception étroite des débats,
n'incluant pas l'audition en chambre du conseil des dirigeants, seule prévue par le
décret de 1985. Cette séparation nette opérée entre les deux phases
procédurales pourrait d'abord permettre de répondre à la question de savoir si les
débats doivent être ou non tenus publiquement. Sur ce point, la jurisprudence
des juges du fond est peu fournie 198 et la doctrine divisée 199 . Dans
l'espèce commentée, la Cour de cassation ne fait pas sienne l'opinion d'un auteur
200 , qui considère l'audition des dirigeants comme le premier acte des débats,
lato sensu, devant se dérouler dans leur ensemble en chambre du conseil.
Considérant l'audition des dirigeants comme un préalable aux débats, elle invite
les juges du fond à tenir ces derniers publiquement, en l'absence de disposition
contraire 201 .
Quant à l'audition du dirigeant, il reste à en déterminer la nature, afin d'en
connaître le régime. Il est tentant d'y voir une forme de comparution personnelle,
puisqu'elle conduit le juge à entendre le défendeur en personne. Pourtant, cette
analyse, qui imposerait l'application des articles 184 à 198 du Nouveau Code de
procédure civile, doit sans doute être écartée. En effet, l'audition du dirigeant est
obligatoire, à la différence de la comparution personnelle des parties, qui n'est
ordonnée que si le juge l'estime nécessaire. Ce caractère imposé de l'audition du
dirigeant fait d'elle un élément des droits de la défense, bien plus qu'une mesure
d'instruction 202 .
Par ailleurs, à l'occasion d'une instance en ouverture de redressement judiciaire
d'un dirigeant, la Cour de cassation a récemment affirmé l'autonomie de la
mission de l'expert en diagnostic d'entreprise. Elle a ainsi indiqué que cette

198Indiquant que seule l'audition des dirigeants doit être tenue en chambre du conseil, les débats
devant être publics, V. CA Montpellier, ord. Réf. Prem. prés., 10 août 1996 : BICC 1997, n° 91.
199Attribuant aux débats un caractère public, V. C. Saint Alary-Houin, Droit des entreprises en
difficulté, Montchrestien, 3e éd., 1999, n° 1096 ; Y. Guyon, Droit des affaires, t. 2, 7e éd., 1999,
Economica, n° 1380. - En sens inverse, prônant la tenue des débats en chambre du conseil, V. A.
Bernard, note ss CA Paris, 26 janv. 1996 : D. 1997, p. 52.
200A. Bernard, note préc. note (4).
201NCPC, art. 433.
202En ce sens, V. A. Martin-Serf, J.-Cl. Commercial, Fasc. 2203, n° 84.

82
dernière ne constituait pas une mesure d'expertise au sens des articles 263 et
suivants du Nouveau Code de procédure civile, mais une mesure d'investigation
dans le cadre d'une procédure collective 203 . Cette solution lui a permis
d'écarter le formalisme propre à l'expertise classique, après s'être assuré du
respect du principe du contradictoire. Il est très probable que la Cour de
cassation, par analogie, retiendra la même solution s'agissant de l'audition des
dirigeants en chambre du conseil. Cette mesure serait alors régie par les
dispositions légales qui la prévoient et par les principes directeurs du procès,
éventuellement adaptés 204 . Au premier rang de ces principes figure le
principe du contradictoire, tel qu'il est appliqué par la Cour de cassation.

La chose avait déjà été jugée pour l'enquête sociale (V. L. Cadiet, op. cit., nos 385-
386 et, par ex., Cass. 2e civ., 28 mai 1984 : Bull. civ. II, p. 69 ; JCP G 1984, IV, p.
252) ; elle l'est aujourd'hui à propos de l'expertise en diagnostic d'entreprise (Cass.
com., 23 juin 1998 : JCP G 1998, IV, 2883 ; Juris-Data n° 002903) : la mission
confiée par le juge-commissaire à l'expert en diagnostic d'entreprise ne constitue pas
une mesure d'expertise au sens des articles 263 et suivants du NCPC, mais une
mission d'investigation dans le cadre d'une procédure collective, et sa réglementation
résulte donc des seules dispositions légales qui en prévoient la possibilité (V. L. n°
85-99, 25 janv. 1985, art. 30-31 et D. n° 85-1389, 27 déc. 1985, art. 83-90). C'est à
bon droit, dès lors qu'il n'est pas contesté que le rapport avait été soumis à la libre
discussion des parties, que les juges du fond ont ainsi écarté tout motif de nullité des
opérations d'expertise après avoir relevé que l'expert avait organisé une réunion
contradictoire et qu'il s'était adjoint un expert-comptable de son choix avec
l'autorisation du juge.
La solution concrète relativise l'affirmation du principe de différence. Si l'expertise en
diagnostic d'entreprise ne relève pas, formellement, du droit commun des mesures
d'instruction exécutées par un technicien, elle n'en demeure pas moins soumise,
comme celles-ci, aux principes directeurs du procès et, singulièrement, au respect du
contradictoire (rappr. Cass. 1re civ., 6 févr. 1996 : D. 1996, p. 621, note J. Massip, à
propos de l'enquête sociale). Au demeurant, son autonomie de principe n'exclut
nullement les ressemblances de régime, si ce n'est, carrément, sa soumission
ponctuelle à certaines dispositions du régime de l'expertise judiciaire (V. par ex. Rép.
min. n° 4218 : JO Sénat Q, 26 févr. 1987 ; JCP E 1987, II, 14914, selon laquelle la
rémunération des experts en diagnostic d'entreprise obéit aux dispositions du droit
commun de l'expertise judiciaire).

rien n'empêche les juges d'ordonner une enquête sociale aux fins de déterminer la
cause du conflit s'ils pressentent qu'elle peut présenter des risques pour l'enfant

203Cass. com., 23 juin 1998 : Bull. civ. IV, n° 206 ; JCP G 1998, I, 173, § 13, obs. L. Cadiet ; D. 1999,
somm. p. 71, obs. A. Honorat ; - dans le même sens, à propos d'un rapport d'expertise établi par un
expert-comptable à la demande du juge-commissaire, V. 16 févr. 1999 : RTD com. 1999, p. 512, obs.
J.-L. Vallens.
204Sur l'adaptation des principes directeurs du procès en droit des procédures collectives, V. notre
thèse, Essai d'analyse processuelle du droit des entreprises en difficulté, thèse dact. Caen, 1999, nos
211 et s.

83
Pouvoirs du juge judiciaire lors d'une procédure relative à une insuffisance de prix ou
d'évaluation JCP N 2000 / n° 29 / p. 1193

Analyse de l'arrêt (texte reproduit en Annexe) :


Lorsque le redevable conteste la valeur vénale d'un bien retenue par l'administration
pour asseoir une taxation, le tribunal peut reprendre totalement le travail d'évaluation,
au lieu de se borner à l'examen de chaque détail spécialement contesté du calcul de la
valeur sur lequel l'administration se fonde.
À partir des éléments fournis par le service pour rejeter le prix énoncé à l'acte, il peut
ainsi examiner, à défaut d'accord entre les parties sur la valeur d'un élément
particulier, la valeur de chaque élément devant concourir à la fixation d'un prix et
déterminer la valeur vénale de l'ensemble immobilier en prenant en considération tout
fait invoqué de nature à influer, en plus ou en moins, sur le résultat brut des
comparaisons.
Observations :
Par cet arrêt, la Cour de cassation précise l'étendue de l'intervention du juge judiciaire
de l'impôt, lorsque le redevable conteste la valeur vénale retenue par l'administration
dans le cadre d'un redressement pour insuffisance de prix ou d'évaluation. Les
principes qui en résultent s'appliquent notamment au jugement qui statue sur les
résultats de l'expertise prévue par l'article R* 202-3 du Livre des procédures fiscales.
En l'espèce, le litige avait trait à l'évaluation d'un ensemble immobilier composé d'une
maison de maître, d'une maison d'amis, d'une maison de gardien et de 83 647 m2 de
terrain attenant.
Alors que l'administration avait évalué séparément les différents bâtiments et le
terrain, les experts ont procédé à l'analyse critique de chacun des termes de
comparaison cités dans la notification de redressements, pour aboutir à la
détermination d'un prix au m2 incorporant la valeur du bâti et du non-bâti et ayant
vocation à s'appliquer à la surface pondérée de l'ensemble de la propriété, sans en
distinguer les éléments.
À noter que la société redevable contestait devant le tribunal la valeur retenue pour
l'ensemble, mais ne soulevait aucun moyen concernant l'estimation du terrain.
La méthode et les conclusions du rapport d'expertise ayant été adoptées par les juges,
la société prétendait à tort, devant la Cour de cassation, que les experts avaient
dépassé les limites de leur mission, et le tribunal, celles du litige, en proposant et en
retenant une évaluation du terrain non bâti, par application d'un prix au m2 pondéré,
supérieure à celle arrêtée par l'administration dans son évaluation de l'ensemble de la
propriété litigieuse.
La Cour a rejeté le moyen de la société en relevant que le juge pouvait, sans
méconnaître l'objet du litige, reprendre totalement le travail d'évaluation, au lieu de se
borner à l'examen de chaque détail spécialement contesté du calcul de cette valeur sur
lequel l'administration se fonde, dès lors que la valeur vénale de la propriété était
contestée dans sa totalité.
En effet, en procédant de cette manière, le tribunal a respecté l'objet du litige tel qu'il
résultait des prétentions respectives des parties (cf. NCPC, art. 4), peu importe que les
moyens soulevés lors des débats n'aient eu trait qu'à l'évaluation de certains éléments
particuliers de l'ensemble immobilier.
Annexe
Cass. com., 5 oct. 1999 : Bull. civ. IV, n° 159
LA COUR -

84
Attendu, selon le jugement attaqué (TGI Draguignan, 26 mars 1997), que la société en
nom collectif Pierre Homsy et compagnie (la SNC) a acheté un ensemble immobilier
sis sur les communes de Saint-Tropez et Ramatuelle par acte du 28 décembre 1984, le
prix d'acquisition mentionné à l'acte étant de 6 320 000 francs ; que l'administration
fiscale estimant ce prix inférieur à la valeur vénale effective du bien a, au terme d'une
procédure de redressement contradictoire, mis en recouvrement un complément de
droits calculés sur une valeur vénale de 12 000 000 francs ; que, sa réclamation ayant
été rejetée, la SNC a assigné le directeur des services fiscaux du Var pour obtenir qu'il
soit jugé que la valeur vénale du bien était de 6 320 000 francs à la date du 28
décembre 1984 et que soient annulés les deux avis de mise en recouvrement émis
contre elle ; qu'après expertise, le jugement a fixé la valeur du bien à 8 623 000 francs
;
................................
Sur le troisième moyen :
Attendu que la SNC reproche au jugement d'avoir retenu une valeur vénale de
l'ensemble de la propriété litigieuse fondée sur une valeur du m2 pondéré moyen fixée
à 8 865 francs, y compris pour le terrain non bâti, alors, selon le pourvoi, que le litige
ne portait pas sur la valeur du terrain non bâti estimé par l'administration à 2 741 292
francs ; qu'il n'appartenait ni aux experts, qui ont dépassé les limites de leur mission,
ni au Tribunal, qui a dépassé les limites du litige, de proposer et retenir une évaluation
du terrain non bâti, par application d'un prix du m2 pondéré, supérieure à celle arrêtée
par l'administration dans son évaluation de l'ensemble de la propriété litigieuse ; que
le jugement a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la SNC contestant la valeur vénale retenue par l'administration pour
asseoir la taxation, le tribunal pouvait, au lieu de se borner à l'examen de chaque
détail spécialement contesté du calcul de la valeur sur lequel l'administration se
fondait, reprendre totalement le travail d'évaluation, à partir des éléments fournis par
l'administration pour rejeter le prix énoncé à l'acte, en examinant, à défaut d'accord
entre les parties sur la valeur d'un élément particulier, la valeur de chaque élément
devant concourir à la fixation d'un prix et en déterminant la valeur vénale de
l'ensemble immobilier, après prise en considération de tout fait invoqué de nature à
influer, en plus ou en moins, le résultat brut des comparaisons : qu'aucun accord
n'étant intervenu entre la SNC et l'administration sur la valeur du terrain non bâti, le
tribunal a pu, dans le cadre de sa saisine, statuer comme il a fait ; que le moyen n'est
pas fondé ;
Par ces motifs ; Rejette...

85
Comment évaluer les parts de l'associé qui se retire d'une SCP ? par PILLEBOUT
Jean-François JCP N 1997 / n° 10 / p. 392.

Cass. 1re civ., 18 juin 1996 ; SCP X. c/ L. (Juris-Data n° 002553).

L'associé qui exerce la faculté de retrait ouverte par l'article 18 de la loi n° 66-879 du
29 novembre 1966 a droit à la valeur de ses parts et peut prétendre à l'ensemble des
droits patrimoniaux qu'il détient dans la société au jour de son retrait, ce qui inclut sa
quote-part de la valeur du droit de présentation de clientèle.
Pour évaluer les droits de l'associé qui se retire, il est nécessaire de procéder à une
expertise conformément aux dispositions de l'article 1843-4 du Code civil, même si à
la même époque les parts sociales d'un autre associé titulaire du même nombre de
parts ont été cédées à un prix offert au retrayant.
Notarial Formulaire, V° Notariat, Fasc. 210, par J.-F. Pillebout. Sociétés Traité, Fasc.

Note : L'associé qui se retire de la société civile professionnelle sans céder ses parts a
droit au remboursement de la valeur réelle desdites parts et non pas seulement de leur
valeur nominale.
L'estimation doit être faite par expert conformément aux dispositions de l'article 1843-
4 du Code civil.
L'application des textes particuliers qui régissent les sociétés civiles professionnelles
notariales donne lieu à bien des incertitudes qui tiennent essentiellement à certaines
lacunes et quelques télescopages entre des dispositions plus ou moins contradictoires.
Pour répondre aux problèmes concrets, il convient de faire appel aux principes
généraux, de ne pas oublier le bon sens et d'éviter toute confusion entre notions
proches mais néanmoins distinctes.
C'est justement à une confusion entre le droit de présentation au sens particulier de la
réglementation relative aux offices publics et ministériels (présentation du successeur
au garde des sceaux, L. 28 avr. 1816, art. 91) et l'obligation de présenter son
successeur à la clientèle qui, ajoutée à un engagement de non-concurrence, justifie
une convention à titre onéreux entre personnes exerçant une profession libérale.
Rappelons qu'une cession de parts de sociétés civiles professionnelles titulaires d'un
office ne s'accompagne d'aucun exercice du droit de présentation de l'article 91 de la
loi de 1816. La société reste en effet titulaire de l'office. Seules l'identité des associés
et la répartition du capital se trouvent modifiées. Mais la valeur des parts dépend de la
valeur des éléments d'actif de la société parmi lesquels se trouve la valeur
"potentielle" du droit de présentation.
Après avoir vainement cherché un accord avec l'associé ayant exercé son retrait sur la
base d'une cession du même nombre de parts consentie à la même époque par un autre
associé et alors que le conflit s'éternisait, les membres de la société ont imaginé de
réduire au nominal l'estimation des parts du retrayant. Avec une naïveté apparente, ils
invoquaient l'article 31 du décret du 2 octobre 1967 disposant que l'associé ayant
exercé son retrait perd à compter de la publication de l'arrêté constatant ledit retrait
"les droits attachés à sa qualité d'associé, à l'exception toutefois des rémunérations
afférents à ses apports en capital ", ils prétendaient que leur ancien associé n'avait plus
droit qu'à ce capital nominal. Cette interprétation de l'article 31 du décret, littérale au
point d'être absurde, ne pouvait abuser le juge. C'est naturellement la valeur réelle
déterminée au jour du remboursement des parts qui fixe le montant de ce qui est dû au
retrayant.

86
Pour faire vite dans une affaire qui n'avait que trop traîné, la cour d'appel avait
considéré que la valeur des parties pouvait être fixée sur la base du prix de cession du
même nombre des parts consentie par un autre associé à la même époque (D. 1967,
art. 28, al. 4 renvoyant à C. civ., art. 1843-4). C'était une solution raisonnable mais à
défaut d'accord entre les parties, les textes imposent évidemment l'expertise, c'est-à-
dire encore des mois d'attente et des frais supplémentaires. Un minimum de
compréhension entre les protagonistes en aurait permis l'économie.
Jean-François PILLEBOUT

87
L'expertise pénale et la Convention européenne des droits de l'homme par Jean-
François RENUCCI

L'expertise est une mesure qui s'impose très souvent dans les différentes procédures,
en particulier au pénal. Toutefois, des difficultés peuvent surgir quant à sa
compatibilité avec la Convention européenne des droits de l'homme, qu'il s'agisse de
la procédure d'expertise dans son ensemble ou de la notion même d'expertise :
certaines exigences du procès équitable semblent faire défaut, en particulier le
principe de l'égalité des armes ou encore celui du contradictoire. Cette double
contrariété pose enfin la question de sa sanction.

1 - En matière pénale comme en procédure civile ou administrative, le recours par le


juge aux hommes de l'art est une nécessité afin d'obtenir un avis qualifié sur des
éléments de fait du procès (Note 1). Cette pratique s'impose d'autant plus que
l'évolution des sciences et des techniques est particulièrement importante : le juge se
voit ainsi dans l'obligation de recourir à un expert afin de l'éclairer sur une question
qui dépasse ses compétences.
Dans le domaine pénal, l'expertise revêt une importance particulière, le juge devant
être éclairé sur des points techniques lors de la recherche des preuves de l'infraction
(Note 2). C'est le moyen de découvrir et d'utiliser certains indices ou certaines preuves
à l'aide de connaissances techniques particulières (Note 3).
2 - Le développement spectaculaire de l'expertise était sans doute inévitable mais non
sans risques. Sans aller jusqu'aux excès des positivistes dont l'engouement était tel
qu'ils entendaient substituer les experts aux magistrats afin que la justice ainsi rendue
par des techniciens devienne pleinement scientifique (Note 4), des dangers subsistent
néanmoins. C'est dire qu'en l'état actuel du droit positif, l'expertise peut donner lieu à
de légitimes inquiétudes, d'autant plus que la phase expertale est au moins devenue
"comme un petit procès décisif au coeur du grand" (Note 5). Son importance est en
effet considérable (Note 6).
D'ailleurs, concernant l'expertise, différents systèmes d'organisation sont concevables
(Note 7) et les hésitations qui apparaissent à cet égard sont significatives d'un certain
malaise. Ces systèmes, qui de plus peuvent être combinés au moins partiellement,
traduisent des difficultés qu'il est difficile de surmonter, notamment sur le plan du
respect des droits fondamentaux. On peut tout d'abord imaginer une expertise non
contradictoire où le juge est le seul maître à bord, tant pour la décision finale que pour
le choix et la mission de l'expert. L'expertise peut aussi être contradictoire et dans ce
cas le juge et le prévenu choisissent chacun un expert. On peut également opter pour
une expertise contrôlée : le juge désigne seul l'expert mais la personne en cause peut
choisir un conseiller technique qui assiste aux opérations d'expertise tout en
demandant éventuellement à l'expert officiel de procéder à certaines démarches.
Enfin, le système de la pluralité des experts se caractérise par le fait que le juge
intervient seul mais il doit nommer plusieurs experts qui procèdent tous à l'expertise.
Le législateur français a lui aussi beaucoup hésité et cette hésitation montre à quel
point les difficultés sont grandes pour imaginer un système de nature à satisfaire le
plus grand nombre (Note 8). Le système de l'expertise contradictoire a été retenu dans
la version originaire du Code de procédure pénale mais il n'entra jamais en
papplication grâce (ou à cause) de l'Ordonnance de 1958 qui a promulgué la suite du
Code. Mais cette version dite définitive a fait l'objet de nombreuses modifications,
plus ou moins importantes (Note 9). En définitive, après des hésitations, le droit
positif français est finalement revenu au système en vigueur avant 1959 à l'époque du

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Code d'instruction criminelle (Note 10), sans doute en raison des difficultés
d'interprétation de la notion de "fond de l'affaire" qui, il est vrai, était particulièrement
délicate (Note 11).
3 - Désormais en droit français l'expertise pénale est donc non contradictoire (Note
12) : l'interprétation des indices est faite par le juge lui-même et lui seul peut recourir
aux services d'un expert dès lors que se pose une question d'ordre technique (Note 13)
: les parties ne peuvent donc jamais choisir l'expert. Ce système qui est loin de faire
l'unanimité donne lieu à des interrogations. Certes, des précautions ont été prises.
C'est ainsi que l'expert ne peut pas se substituer au juge et ce dernier ne peut se
décharger sur lui en lui laissant le soin de juger : il s'agit là d'un principe fondamental
du droit processuel, le magistrat ne pouvant déléguer ses fonctions (Note 14). Le
principe est en effet que l'expert ne donne qu'un simple avis qui ne lie pas le juge, ce
dernier restant libre de sa décision. Mais, malgré ces précautions, des abus peuvent
apparaître, le juge pouvant notamment avoir la tentation de s'en remettre à l'avis du
spécialiste (Note 15) et le déroulement de l'expertise pouvant donner lieu à des
atteintes aux droits fondamentaux.
Dès lors, la question qui se pose est celle de la compatibilité de la réglementation
française de l'expertise avec les dispositions de la Convention EDH, plus
particulièrement l'article 6 de cette Convention qui consacre le droit à un procès
équitable et qui a - rappelons-le - une force supra-législative (Note 16). Or, il est
désormais acquis, notamment depuis l'arrêt Montovanelli (Note 17), que la
Convention s'applique à l'expertise : celle-ci, parce qu'elle est menée sous l'autorité et
pour l'information du juge, fait partie intégrante de la procédure lato sensu (Note 18) ;
les exigences du procès équitable s'appliquent bien en matière de rapports relatifs à
des questions techniques. L'applicabilité de l'article 6 de la Convention européenne à
l'expertise est logique, ne serait-ce qu'en raison des conséquences d'une telle mesure,
non seulement quant à l'issue de la procédure mais aussi par rapport au respect des
droits fondamentaux qui peuvent être directement menacés. Précisément, du point de
vue de la Convention européenne, le système français suscite quelques inquiétudes en
raison d'une double contrariété qui peut être observée. La première, d'ordre général,
concerne la procédure d'expertise dans son ensemble car celle-ci semble se
caractériser par un défaut d'équité peu compatible avec les exigences européennes (1).
La seconde contrariété, plus particulière, tient à la notion même d'expertise qui fait
l'objet d'une approche très restrictive en droit interne, ce qui n'est guère conforme à la
jurisprudence européenne qui semble privilégier une interprétation plutôt extensive
(2).
1 - Une contrariété générale : le défaut d'équité de la procédure d'expertise
4 - Cette contrariété d'ordre général par rapport à la Convention EDH tient donc à la
procédure d'expertise elle-même dans sa globalité. Elle apparaît non seulement parce
qu'il y a ainsi une rupture de l'égalité des armes (A), mais aussi et surtout en raison de
l'atteinte plus générale ainsi portée au principe essentiel de la contradiction (B).
A - L'atteinte au principe d'égalité des armes
5 - Le principe de l'égalité des armes, contenu dans l'exigence d'équité qui doit
caractériser toute procédure, signifie que chacune des parties puisse soutenir sa cause
dans des conditions qui ne la désavantagent pas substantiellement par rapport à la
partie adverse (Note 19). Les juges européens font preuve d'une grande fermeté à cet
égard : ils affirment avec force qu'un procès ne peut être équitable s'il se déroule dans
des conditions de nature à placer injustement une partie dans une situation
désavantageuse (Note 20) : cette jurisprudence, ancienne et constante, est justifiée par
le seul mot d'équité. La formule est particulièrement importante puisque, comme cela

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a été fort justement observé, elle fait saillir le lien entre le besoin de justice
("injustement") et la répulsion corrélative devant l'iniquité, la balance inégale ("placé
dans une situation désavantageuse"), la déloyauté du combat judiciaire (la version
anglaise utilise le mot plus évocateur de fair hearing) (Note 21).
Il est vrai que le principe d'égalité des armes n'est pas expressément visé par l'article 6
de la Convention EDH, mais il s'impose d'évidence. Il s'agit là d'une garantie implicite
qui se justifie pleinement dans le cadre du système européen de protection des droits
fondamentaux. D'une part, les juges européens consacrent avec force le principe des
garanties implicites en partant du fait que l'interprétation de l'article 6 doit être fondée
sur l'objet et le but de la Convention européenne, ce qui est une parfaite illustration du
caractère constructif de l'interprétation de la Convention (Note 22). D'autre part, cette
orientation est conforme à l'idée évolutive de la Convention qui est un "instrument
vivant" (Note 23) et qui doit assurer une protection effective et concrète des droits de
l'homme et pas seulement une protection théorique et illusoire.
6 - Lorsque les prévenus ne sont pas en mesure de faire entendre valablement leur
point de vue, il en découle un déséquilibre particulièrement critiquable sur le plan des
droits fondamentaux et de l'idée même de la justice. Le fait de ne pas pouvoir faire
valoir véritablement ses arguments pour assurer convenablement sa défense lors du
déroulement de la procédure d'expertise peut fausser l'analyse de la situation : or
chacun sait, surtout dans le domaine pénal, que le fait de partir sur des données
fausses, erronées ou partielles peut hypothéquer la suite des événements en entraînant
une situation qui se trouve ainsi irrémédiablement compromise. Dès lors, toute
discussion ultérieure sur les conclusions expertales devient souvent inutile ou de toute
façon insuffisante (Note 24).
Cela nous amène à formuler une critique plus large tenant au fait que la procédure
d'expertise ne respecte pas totalement le principe du contradictoire qui est pourtant
une exigence capitale du procès équitable. En effet, il apparaît indubitablement que le
principe d'égalité des armes sous-tend le respect des droits de la défense et surtout la
nécessité d'un débat contradictoire (Note 25), lequel fait ici cruellement défaut.
B - L'atteinte au principe du contradictoire
7 - Le principe du contradictoire est le "schème fondateur" de l'État de droit et des
régimes démocratiques (Note 26). C'est la raison pour laquelle le principe du
contradictoire tend à s'appliquer à toutes les procédures (Note 27). D'ailleurs, il s'est
imposé en tant que principe général pour la Convention EDH dans son article 6.
L'égalité des armes implique en effet la contradiction, ce qui impose un équilibre
entre l'expert et la défense (Note 28). Concernant l'expertise, des incertitudes
apparaissent : la Cour reconnaît aux juges du fond un pouvoir discrétionnaire
d'audition des experts (Note 29) mais cette solution suscite de légitimes inquiétudes
dans la mesure où elle peut justifier des atteintes aux garanties du procès équitable. Il
est certain que les exigences du contradictoire doivent être respectées lors de la phase
de l'expertise technique, dès lors que son influence sur la décision du juge est
prépondérante. La Cour européenne est d'ailleurs allée dans ce sens (Note 30). Sans
doute peut-il y avoir quelques difficultés liées au fait qu'il ne doit pas y avoir de
confusion entre la question de l'appréciation de la preuve qui appartient au juge
national (Note 31) et les règles de la contradiction, mais le respect de ces dernières est
capital. Comme cela a pu être remarqué, il s'agit fondamentalement de garantir
l'égalité des parties devant le juge et de protéger l'effectivité du débat contradictoire
en toute hypothèse (Note 32).
Le respect du contradictoire est une garantie essentielle et son non-respect dans le
cadre d'une expertise est particulièrement critiquable. À cet égard, nous ne pouvons

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qu'opposer la faiblesse des arguments tirés de l'état du droit français à la pertinence de
ceux qui sont tirés de l'état actuel du droit européen des droits de l'homme.
8 - La faiblesse des arguments tirés de l'état du droit positif est particulièrement
évidente et conduit à nuancer la solution retenue en France. Il est admis en effet que
l'expertise n'est pas contradictoire (Note 33), la solution se justifiant par le fait que
chaque expert risque d'épouser trop fidèlement la cause de la partie qui l'a choisi, que
le propre de l'expert est de n'être pas partie et qu'il répugne à la contradiction ou
encore que la défense a intérêt à pouvoir discuter librement le rapport d'expertise
(Note 34). On peut ici rétorquer que, d'une part cette approche de la situation de
l'expert et du défenseur est largement théorique, et d'autre part la confrontation d'avis
divergents ne peut qu'éclairer complètement le juge qui pourra ainsi choisir en pleine
connaissance de cause. De plus, les inconvénients du système actuel ont été mis en
évidence : cela tient surtout à ce qu'il est laissé à la libre disposition du juge de sorte
qu'il peut faire peser un certain soupçon sur l'expert qui dépend du magistrat et qui
peut apparaître dans une certaine mesure comme partial, surtout si la personne
poursuivie ne dispose pas d'un véritable moyen de contrôle (Note 35). Or l'impartialité
est une exigence fondamentale de toute procédure équitable et l'on sait à quel point les
juges européens prennent à cet égard en compte les apparences car il convient
d'exclure tout doute légitime (Note 36). Les apparences sont fort importantes car
comme le rappellent très souvent les juges européens justice must not only be done, it
must also be seen to be done : cela est d'ailleurs essentiel car il y va de la confiance
que les tribunaux d'une société démocratique doivent inspirer aux justiciables (Note
37).
En outre, d'autres arguments peuvent être avancés pour montrer la fragilité objective
de la solution française en matière d'expertise. D'abord, tout cela a toujours donné lieu
à des hésitations et ce n'est pas un hasard si le législateur de 1957 (Note 38) s'est
prononcé en faveur de l'expertise contradictoire facultative, admise exclusivement à la
demande de l'inculpé (Note 39). Ensuite, le principe du caractère non contradictoire
de l'expertise a toujours connu des exceptions, ce qui est significatif de certains doutes
au regard de la protection des libertés fondamentales : c'est le cas en matière de
spéculation illicite (Note 40) ou encore pour les fraudes et falsifications (Note 41).
Enfin, l'article 165 du Code de procédure pénale prévoit bien qu'au cours de
l'expertise, les parties peuvent demander à la juridiction qui l'a ordonnée qu'il soit
prescrit aux experts de faire des recherches particulières ou d'entendre certaines
personnes afin de recueillir des renseignements d'ordre technique : cela montre
l'importance du contradictoire et sa nécessité même si les solutions retenues sont
insuffisantes. D'ailleurs, selon la chambre criminelle, si le prévenu n'a été "inculpé"
(mis en examen) qu'après le dépôt du rapport d'expertise et n'a pu bénéficier des droits
reconnus par l'article 165, il n'en résulte aucune violation des droits de la défense dès
lors qu'il a eu connaissance des conclusions expertales conformément à l'article 167
(Note 42) : on estime alors que le prévenu a eu toute latitude pour demander à la
juridiction qu'il soit demandé aux experts de procéder à de nouvelles recherches (Note
43). L'argumentation n'est cependant pas totalement convaincante car quid si les
autorités judiciaires restent sourdes à une telle demande ? Dans ce cas de figure, par
un raisonnement a contrario, on est en droit de penser que les droits fondamentaux ne
sont pas suffisamment sauvegardés. Par ailleurs, le rejet, par le juge d'instruction, des
observations des parties dans le cadre de l'article 167, donne certes lieu à une
ordonnance motivée susceptible d'appel : mais l'exercice de cette voie de recours peut
sembler inutile dès lors que la contestation porte sur le caractère non contradictoire de
la procédure découlant, non pas du déroulement concret de l'instruction, mais de

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l'organisation de la procédure d'expertise telle qu'elle est prévue par la loi. Il y a
d'ailleurs très peu de chances que dans cette hypothèse les juges internes admettent
une violation des droits de la défense alors que c'est uniquement si une telle violation
est constatée que la méconnaissance de l'article 167 peut entraîner une nullité (Note
44).
Quoi qu'il en soit, le fait d'avoir opté pour une expertise "non contradictoire" ne
signifie pas pour autant qu'il puisse y avoir absence totale de contradiction. En réalité,
la terminologie utilisée est trompeuse car si l'on parle d'expertise non contradictoire
au pénal, c'est tout simplement parce que l'expert est nommé par le juge,
contrairement à l'expertise dite contradictoire dans laquelle deux experts sont
nommés, l'un par le juge et l'autre par la personne en cause. Mais cela ne veut pas dire
absence de débat : le droit de débattre doit subsister dans l'expertise dite non
contradictoire. D'ailleurs, une circulaire ministérielle a indiqué que l'expertise est
contradictoire (Note 45), la contradiction étant alors envisagée comme la possibilité
de débattre sans remettre en cause l'intervention d'un seul expert nommé par le juge.
Mais encore faut-il que cette contradiction intervienne en temps utile pour ne pas être
qu'une simple apparence destinée à donner bonne conscience au regard des droits
fondamentaux : le principe du contradictoire ne peut être seulement affirmé sur le
plan théorique car il doit être effectif. Or en l'état actuel du droit positif, les parties ne
peuvent contester une expertise qu'au moment de la notification du rapport final et,
comme cela a été remarqué avec pertinence, il est alors évidemment trop tard (Note
46). Les juges européens semblent d'ailleurs partager ce point de vue.
9 - D'une manière plus générale, la pertinence des arguments tirés de l'état actuel du
droit européen des droits de l'homme apparaît à un double point de vue. En premier
lieu, le principe du contradictoire est affirmé avec force par l'article 6 de la
Convention EDH tel qu'il est actuellement interprété (Note 47). En second lieu, pour
la Cour européenne, le fait de respecter scrupuleusement la législation nationale ne
peut jamais être considéré comme une sorte de fait justificatif au regard des exigences
conventionnelles : dans ce cas, il peut aussi y avoir violation de la Convention et de
nombreux arrêts de la Cour européenne consacrent cette solution (Note 48), tout
comme certaines juridictions internes (Note 49). C'est dire qu'une pratique consacrée
par le droit positif et légalisée peut être contraire à la Convention EDH et justifier
éventuellement une condamnation de ce point de vue. Tel pourrait être le cas aussi
pour l'expertise non contradictoire.
Les juges européens n'ont pas eu souvent l'occasion de se prononcer sur la conformité
des règles relatives aux expertises avec la Convention EDH, surtout dans le domaine
pénal. Mais des décisions rendues dans des domaines voisins sont tout à fait
transposables et significatives de l'orientation européenne. C'est ainsi que dans l'arrêt
Feldbrugge, la Cour EDH a estimé que la procédure n'a manifestement pas revêtu un
caractère contradictoire car, notamment, la personne en cause n'a pas eu l'occasion de
critiquer les rapports d'expertise : dans cette affaire, le requérant avait demandé, mais
en vain comme cela est fréquent, une contre expertise (Note 50). En définitive, il
apparaît que ce qui est essentiel pour les juges européens, c'est que les prévenus
puissent se défendre efficacement et donc avoir l'occasion de critiquer utilement
l'expertise, sans quoi les exigences du procès équitable sont bafouées. Mais encore
faut-il que ces critiques soient vraiment utiles, et on peut en douter dès lors que la
contradiction ne peut intervenir qu'après coup : c'est pendant le déroulement de
l'expertise que la contradiction doit pouvoir être apportée car si l'équilibre est rompu à
ce moment-là, il est très difficile de le rétablir par la suite (Note 51).

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L'apport de la jurisprudence européenne dans l'arrêt Montovanelli (Note 52) est
particulièrement important car, outre le fait que les juges européens se sont prononcés
nettement pour l'applicabilité de l'article 6 en matière d'expertise (Note 53), ils ont
apporté d'intéressantes précisions. Dans cette affaire, les requérants estimaient avoir
été privés de la possibilité d'interroger les personnes entendues par l'expert, de
soumettre à ce dernier des observations sur des pièces examinées et les témoignages
recueillis, de lui demander de se livrer à des investigations supplémentaires. Certes, le
rapport d'expertise leur a ensuite été communiqué et ils auraient pu ainsi le contester,
mais ils ont néanmoins été empêchés de participer à armes égales à l'élaboration dudit
rapport. Dans ces conditions, la Cour européenne a conclu à la violation de l'article 6
de la Convention. Pour les organes de Strasbourg, le respect du caractère
contradictoire d'une procédure implique, quand le tribunal ordonne une expertise, la
possibilité pour les parties de contester devant l'expert les éléments pris en compte par
celui-ci pour l'accomplissement de sa mission. Cela s'explique notamment par le fait
que l'investigation menée par l'expert tend à remplacer l'enquête judiciaire car le juge
n'est pas en mesure d'apprécier directement toutes les questions techniques examinées.
De plus, il apparaît d'évidence que la seule possibilité de contester le rapport
d'expertise devant le tribunal ne permet pas une mise en oeuvre efficace du
contradictoire étant donné que le rapport en cause est définitif à ce stade ; or, il n'est
pas du tout certain que le fait de pouvoir donner son sentiment à ce moment là soit
pour le prévenu une possibilité véritable de commenter efficacement ledit rapport
(Note 54). Il est en effet essentiel que les parties puissent avoir la possibilité, non
seulement de faire connaître les éléments indispensables au succès de leurs
prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toutes pièces ou
documents présentés au juge en vue d'influencer sa décision (Note 55).
10 - Il existe donc bien une contrariété entre la procédure d'expertise et la Convention
EDH, le déroulement de cette procédure ne respectant pas suffisamment les exigences
du procès équitable, en particulier le principe d'égalité des armes et celui du
contradictoire. Cette contrariété a déjà été remarquée par la doctrine qui a souhaité
que "le vent européen qui souffle depuis Strasbourg nous aide à chasser de notre
procédure pénale les remugles de l'inquisition" (Note 56).
La mise en conformité du droit interne au droit européen passe peut être par la
consécration d'une expertise véritablement contradictoire, tout en allant jusqu'au bout
de cette logique : le recours à deux experts semble dès lors s'imposer, le premier étant
choisi par la personne en cause et le second par l'accusation. Il vaudrait mieux en effet
que l'expert choisi par l'autorité judiciaire le soit par le Ministère public et non pas par
le juge, ce dernier devant être uniquement appelé à choisir entre deux thèses et en
pleine connaissance de cause pour trancher au mieux le litige. Il est vrai que ce
système n'est pas non plus à l'abri de la critique. D'une part, on peut objecter que
l'expertise tend à rechercher la vérité scientifique et que celle-ci est ou n'est pas, la
contestation n'étant alors pas de mise (Note 57) : l'observation est pertinente mais
néanmoins critiquable car dans la pratique on s'aperçoit que (trop) souvent cette vérité
est bien relative et qu'il vaut donc mieux ne pas trop idéaliser l'expertise ; de plus,
cette approche pourrait se révéler dangereuse car, partant du fait que la vérité de
l'expert est incontestable, celle-ci doit donc s'imposer à tous, y compris au juge...
D'autre part, il est vrai que l'expertise contradictoire peut donner lieu à des risques de
partialité, de "batailles d'experts" et de confusions pouvant se traduire par des erreurs
judiciaires, et même d'inégalités compte tenu des moyens dont disposent les uns et les
autres : c'est pourquoi des controverses surgissent dans les pays qui ont opté pour
cette pratique, notamment les pays de Common law (Note 58). Il reste que de deux

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maux il faut choisir le moindre et les inconvénients de l'expertise contradictoire nous
paraissent moins importants que ceux de l'expertise non contradictoire. Il est vrai que
des solutions transactionnelles pourraient être imaginées avec le système de
l'expertise contrôlée : ainsi, les parties pourraient désigner des "consultants
techniques" chargés d'intervenir auprès de "l'expert officiel" désigné par l'autorité
judiciaire, ce qui permet de sauvegarder les droits fondamentaux de la personne en
cause (Note 59). Il faudrait en tout cas imaginer un système où le principe du
contradictoire soit réellement respecté. Mais pour l'instant tel n'est pas vraiment le cas
et cela est d'autant plus préoccupant que cette contrariété d'ordre général se double
d'une contrariété particulière concernant la notion même d'expertise.
2 - Une contrariété particulière : l'approche restrictive de la notion d'expertise
11 - La notion d'expertise fait l'objet d'une interprétation particulièrement restrictive
en droit interne qui peut poser problème vis-à-vis des exigences du procès équitable
telles qu'elles sont précisées par le droit européen des droits de l'homme. En effet le
droit positif français distingue l'expert et le témoin (A), alors que sur le plan du droit
européen une assimilation de ces deux notions semble devoir s'imposer (B), ce qui
donne lieu à une nouvelle contrariété qui pour être particulière n'en est pas moins
importante compte tenu de ses éventuelles conséquences sur la protection des droits
fondamentaux.
A - La distinction française de l'expert et du témoin
12 - En droit interne, la situation de l'expert est originale : il n'est évidemment pas un
juge et c'est pourquoi il n'a pas à trancher les différentes questions qui sont posées
dans le procès ; son rôle se limite à donner un avis technique sur une ou plusieurs
questions précises qui lui sont posées. Mais surtout il n'est pas considéré comme un
témoin, et cela peut susciter certaines difficultés par rapport au respect de la
Convention EDH.
Sans doute certaines conséquences de cette distinction entre l'expert et le témoin ne
sont-elles pas très importantes au regard des droits fondamentaux : il en va ainsi du
fait que, contrairement aux témoins, les experts sont interchangeables dans la mesure
où un expert peut achever le travail commencé par l'un de ses confrères ; la même
réflexion peut être faite relativement à l'attitude de l'expert à l'audience qui diffère de
celle du témoin (Note 60). En revanche, d'autres conséquences sont plus lourdes, en
particulier en ce qui concerne l'audition de l'expert.
13 - Le fait que l'expert ne soit pas assimilé à un témoin peut être particulièrement
gênant au regard de la protection des droits de l'homme. Cela peut donner lieu à une
violation de la Convention EDH, spécialement les droits de la défense, puisque
l'audition de l'expert peut ne pas être considérée comme opportune même si la défense
en fait la demande pressante. Cela signifie que le prévenu ne peut pas imposer
l'audition contradictoire de l'expert alors qu'il dispose de ce pouvoir concernant les
témoins par application de l'article 6, § 3, d) de la Convention EDH qui précise que
tout accusé a droit notamment à interroger ou faire interroger les témoins à charge et
obtenir la convocation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les
témoins à charge ; il dispose également de ce pouvoir en droit interne, la règle étant
que la juridiction qui en est légalement requise doit ordonner la comparution des
témoins à charge qui n'ont pas été confrontés avec la personne en cause, sauf
impossibilité (Note 61). C'est dire qu'en raison de la distinction opérée par le droit
français, le prévenu ne peut pas organiser convenablement sa défense car les principes
d'égalité des armes et du contradictoire ne sont pas suffisamment respectés, quelles
que soient les précautions prises ultérieurement.

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Outre sa contrariété avec les exigences du procès équitable, la distinction faite par le
droit interne tient à des raisons historiques qui ne sont plus vraiment d'actualité. Jadis,
la déposition de l'expert à l'audience a pu susciter des difficultés : les experts étaient
considérés comme des témoins et par conséquent le régime applicable aux
témoignages s'appliquait, de sorte qu'ils ne pouvaient pas s'aider de documents (Note
62) ; un déséquilibre important apparaissait car les avocats de la défense faisaient citer
comme témoins d'autres hommes de l'art venant contredire les premiers, ce qui
entraînait un enlisement des débats. Il fallait certainement mettre un terme à de tels
errements, mais il fallait aussi veiller à ce que le remède ne tue pas le malade. Or c'est
manifestement ce qui s'est passé car si les solutions du Code d'instruction criminelle
étaient inacceptables, celles du Code de procédure pénale le sont tout autant.
Non seulement ces règles sont peu conformes aux exigences européennes, mais plus
précisément au regard des droits de la défense cette comparution de l'expert - et donc
cette assimilation de l'expert à un témoin - s'impose d'autant plus que l'expertise au
pénal n'est pas contradictoire (Note 63). Dès lors il est essentiel que le prévenu ou
l'accusé ait la possibilité d'interroger ou de faire interroger l'expert, comme tout
témoin, afin que soient sauvegardés les droits fondamentaux comme les droits de la
défense et le caractère équitable de la procédure. L'expertise revêt une importance
capitale et c'est pourquoi les parties doivent être en mesure d'apporter véritablement la
contradiction : cela n'est pas possible si elles ne peuvent s'adresser à l'expert pendant
l'audience, surtout si comme cela est trop souvent le cas, elles n'ont pas eu la
possibilité de le faire auparavant.
14 - La distinction actuelle qui est faite dans la législation française entre l'expert et le
témoin est donc critiquable compte tenu de ses éventuelles conséquences sur la
protection des droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention EDH.
De plus, cette distinction n'est guère en harmonie avec l'interprétation consacrée par
les juges européens puisque celle-ci tend à assimiler les notions d'expert et de témoin,
au moins pendant l'audience, ce qui est d'ailleurs en conformité avec le principe du
contradictoire.
B - L'assimilation européenne de l'expert et du témoin
15 - L'approche française de la notion d'expert est particulièrement restrictive et ne
coïncide pas avec l'orientation européenne. Pour les juges européens, la notion de
témoin est un "concept autonome", doté par conséquent d'un sens européen qui prime
par rapport au sens interne qui est généralement plus restrictif.
Le recours aux concepts autonomes est une technique utilisée par les juges européens
qui est destinée à éviter que les États, par le jeu de définitions trop restrictives des
notions, ne tentent ainsi de limiter la portée de leurs engagements internationaux. Cela
permet ainsi d'assurer une égalité de traitement, quelle que soit la nationalité des
requérants ou de l'État en cause (Note 64).
16 - Concernant l'interprétation de la notion de témoin, la question s'est posée
récemment pour certains "témoins spéciaux", à savoir les policiers infiltrés dans les
réseaux de délinquants, en particulier les trafiquants de drogue : à cette occasion, la
notion de témoin a été largement entendue puisque ces agents infiltrés ont été
englobés dans la notion de témoin (Note 65). Il en va d'ailleurs de même pour la partie
civile, et pour les mêmes raisons d'efficacité du système européen de protection des
droits fondamentaux (Note 66).
Compte tenu de cette approche extensive consacrée par les juges européens, les
experts ne pouvaient pas ne pas être considérés eux aussi comme des témoins au sens
de l'article 6 de la Convention EDH : d'ailleurs, la Cour européenne s'est prononcée en
ce sens dans une affaire récente, les juges estimant que le principe d'égalité des armes

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exige un équilibre entre l'audition de l'expert et celles pouvant, à un titre quelconque,
être effectuées par la défense (Note 67). Certes, les juges européens ont aussi précisé
que les tribunaux disposent d'un pouvoir discrétionnaire d'audition des experts et la
Cour refuse de contrôler ce pouvoir (Note 68) : mais il n'en reste pas moins vrai,
comme l'ont remarqué certains juges européens dans leur opinion dissidente, que cette
reconnaissance d'un pouvoir discrétionnaire risque, dans certaines circonstances, de
porter atteinte au droit à un procès équitable (Note 69).
Comme cela a pu être observé de façon pertinente, la Cour ayant donné à la notion de
témoin un sens autonome, ces principes valent aussi pour les experts (Note 70). Par
conséquent, tout comme les témoins, les experts doivent être entendus dès lors que les
personnes en cause le demandent : une réponse négative de la part du juge serait
contraire à l'article 6 de la Convention européenne ; sans doute les juges pourront-ils
invoquer à l'appui d'un éventuel refus l'impossibilité de procéder à une telle audition,
mais encore faut-il que cette impossibilité soit vraiment caractérisée (Note 71).
17 - Conclusion : La sanction des contrariétés. Il apparaît donc que les règles
françaises relatives à l'expertise, qu'il s'agisse de la notion elle-même ou de la
procédure, ne sont pas parfaitement conformes à la Convention EDH et plus
particulièrement aux exigences du procès équitable. Dès lors, au-delà d'une éventuelle
modification législative à moyen (ou long) terme (Note 72), la question qui se pose
est celle de leur sanction immédiate et concrète. La réponse est double selon que l'on
envisage une procédure devant les instances européennes ou devant les juridictions
internes. D'une part, si l'affaire est portée devant la Cour EDH, celle-ci peut constater
la violation et condamner la France tout en l'obligeant à verser une somme d'argent au
requérant au titre de la satisfaction équitable (Note 73) : cela ne pose pas
d'importantes difficultés, sauf à convaincre le juge européen de la réalité de la
violation de l'article 6 ; toutefois, une telle action n'est possible qu'après avoir épuisé
les recours internes, tant il est vrai que le juge naturel de la Convention européenne
n'est autre que le juge interne, le système européen de protection étant subsidiaire
(Note 74). D'autre part, concernant précisément le juge interne, on peut se demander
si la violation des exigences du procès équitable en matière d'expertise peut entraîner
la nullité de la procédure : la question est beaucoup plus délicate.
Il est vrai que d'une manière plus générale, les juridictions internes n'ont pas hésité à
recourir à cette sanction en cas de violation de l'article 6 (Note 75). Mais s'agissant
plus spécialement de l'expertise diligentée par le juge d'instruction, une difficulté
apparaît dans la mesure où les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel
purgent les éventuels vices de la procédure d'instruction (Note 76). Pour autant, cette
argumentation ne nous semble pas devoir être retenue, la procédure pouvant en toute
hypothèse être annulée pour une double raison. En premier lieu, il ne s'agit pas stricto
sensu d'un vice de la procédure d'instruction qui effectivement est purgé, mais d'un
vice de la procédure d'expertise elle-même, telle que la loi l'a organisée. Dès lors, la
deuxième raison, liée à la première, est que dans ce cas de figure le texte français est
en opposition directe avec le texte européen et ce dernier doit l'emporter puisque,
conformément à l'article 55 de la Constitution, les dispositions de la Convention EDH
ont une force supra-législative.
L'application même des règles de droit interne peut aussi justifier la nullité de la
procédure (Note 77) sans avoir à se référer à la force de la Convention EDH. Il est
vrai que depuis les réformes de 1993, il est précisé que les ordonnances de renvoi du
juge d'instruction couvrent, s'il en existe, les vices de procédure. Toutefois, on
observera que si cette règle se comprend parfaitement pour les nullités d'intérêt privé,
elle est incompatible avec l'idée de nullité d'ordre public "puisque le propre d'une

96
règle d'ordre public est de pouvoir être invoquée par toute personne, en tout état de
cause y compris pour la première fois devant la Cour de cassation, et de devoir être
relevée d'office par toute juridiction" (Note 78). Sans doute le législateur de 1993 a-t-
il voulu porter un coup fatal à la notion de nullité d'ordre public, mais cette volonté ne
semble pas devoir être suivie d'effet : d'une part, la circulaire d'application de la loi du
24 août 1993 dit très exactement le contraire en précisant que les dispositions
nouvelles ne remettent pas en cause la jurisprudence de la Cour de cassation relative
aux nullités d'ordre public ; d'autre part, cette "résistance" s'impose dans la mesure ou
le but premier de la procédure pénale est d'assurer, par elle-même, la qualité de la
justice pénale et non pas de garantir les intérêts de tel ou tel (Note 79). C'est
l'importance même de la question, s'agissant de la violation d'un principe aussi
fondamental que la contradiction, consacré par le droit interne mais aussi par une
disposition européenne revêtue d'une force supra-législative, qui justifie la sanction de
la nullité : l'enjeu est beaucoup trop important et d'intérêt public pour qu'il puisse en
être autrement ; dès lors, l'ordonnance de renvoi ne peut couvrir une telle irrégularité
et la juridiction de jugement doit pouvoir la sanctionner par la nullité, tant il est vrai
que dans une société démocratique, la justice se doit de présenter des caractères
intangibles.

97
Cass. com., 8 juin 1999 JCP G 1999 / n° 35 / IV/ 2453
a) Après avoir relevé que le cabinet d'expertise comptable avait été chargé par le
tribunal d'analyser les causes des difficultés des sociétés d'un groupe, et relevé, dans
l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation de la mission confiée à ce
consultant, qu'il n'avait pas outrepassé son mandat en procédant à la constatation des
faits permettant au juge de déterminer un état de cessation des paiements antérieur à
celui initialement fixé, la cour d'appel en a exactement déduit que, ne s'agissant pas
d'une mesure d'expertise au sens de l'article 265 du Nouveau Code de procédure
civile, il n'y avait pas lieu d'écarter des débats ce rapport établi à titre de simple
renseignement dès lors qu'il avait été régulièrement communiqué et discuté par les
parties.

98
Évaluation d'un patrimoine immobilier : rapport de la COB par DESTAME Claude
ExpertiseCommission des opérations de bourse (COB) Évaluation d'un patrimoine
immobilier : rapport de la COB DESTAME Claude 2000

La Commission des Opérations de Bourse (COB) a rendu public, le 3 février dernier,


le rapport du groupe de travail sur l'expertise immobilière du patrimoine des sociétés
faisant appel publiquement à l'épargne (Note 1). Au-delà des buts spécifiques
poursuivis par ce rapport, l'important travail accompli peut être mis à profit par tous
ceux qui doivent conseiller les propriétaires d'immeubles pour la détermination de la
valeur de leur patrimoine immobilier, qu'il s'agisse de sa gestion ou de sa
transmission. Ils y trouveront une méthode rigoureuse et sûre et peut-être même un
encouragement à mettre plus souvent au service de leurs clients une compétence
parfois "en sommeil".

L'évaluation immobilière figurera certainement parmi les très nombreuses questions


abordées lors du prochain Congrès des notaires qui se tiendra à Lille (28-31 mai 2000)
sur le thème : Le patrimoine au XXIe siècle. Défis et horizons nouveaux.

Introduction - Les évolutions contrastées du marché immobilier au cours des dernières


années ainsi que d'autres facteurs avaient rendu nécessaire, pour la COB, une
définition précise et homogène des méthodes d'évaluation immobilière. Le groupe de
travail s'est attaché à préciser la nature des principales interventions effectuées par les
experts, ainsi que les définitions des valeurs à retenir pour les évaluations
d'immeubles. Il a également analysé les différentes méthodes pratiquées par
l'ensemble de la profession pour ne retenir que les plus pertinentes.
Afin de garantir la bonne exécution des missions confiées aux experts, il précise les
diligences minimales qu'ils devraient accomplir et la manière dont leur rapport devrait
être présenté.
La Commission des Opérations de Bourse, en vue de la bonne information des
actionnaires et des porteurs de parts recommande à l'ensemble des sociétés faisant
publiquement appel à l'épargne ainsi qu'aux experts immobiliers intervenant auprès de
ces sociétés, de se référer à ce rapport.
Dans l'optique d'une utilisation dépassant très largement le cadre de l'évaluation du
patrimoine des sociétés faisant appel publiquement à l'épargne, nous avons
sélectionné pour vous de larges extraits du rapport (ainsi que la Charte de l'expertise
en évaluation immobilière) pouvant être utiles dans d'autres circonstances allant de la
simple évaluation (bilan patrimonial, impôt sur la fortune, déclaration de succession,
donation, etc.) à l'expertise proprement dite (vente, apport, échange, etc.). Dans tous
les cas la méthode proposée sera un gage de fiabilité, et aussi de meilleure
valorisation de la prestation fournie.

Rapport du groupe de travail sur l'expertise immobilière du patrimoine des sociétés


faisant publiquement appel à l'épargne - Extrait
L'investissement immobilier a longtemps offert des perspectives favorables aux
investisseurs. Ce secteur a en effet bénéficié pendant près de quarante ans, dans un
contexte de croissance économique soutenue, d'une demande forte provenant à la fois
des ménages et des entreprises. Dans ces conditions, et dans un climat d'inflation
généralisé, les biens immobiliers ont vu leur valeur s'apprécier de manière continue
jusqu'au milieu des années 1980. Mais l'envolée des prix observée de 1986 à 1990, et

99
le retournement de cycle ultérieur de 1990 à la fin de la décennie, ont fait apparaître
une volatilité du prix des actifs jusqu'alors inconnue des marchés immobiliers.
Cette nouvelle caractéristique des marchés immobiliers a mis en lumière la nécessité
d'une estimation précise de la valeur des biens immobiliers détenus par les sociétés
faisant publiquement appel à l'épargne.
Ce besoin s'est traduit par l'émission de recommandations, par la Commission des
opérations de bourse (COB), le Conseil National de la Comptabilité (CNC), la
Commission bancaire et la Commission de Contrôle des Assurances.
Ainsi, en octobre 1995, la COB et le CNC ont publié une recommandation commune
sur les méthodes d'expertise du patrimoine des sociétés civiles de placement
immobilier. Cette recommandation s'inscrivait dans un nouveau contexte législatif et
réglementaire obligeant ces sociétés à faire expertiser leurs immeubles à la valeur
vénale par un expert indépendant, dans le respect des méthodes appropriées.
S'agissant des sociétés soumises à la réglementation bancaire, la Commission bancaire
a officialisé, en particulier dans son bulletin semestriel d'avril 1998, sa position
concernant l'évaluation des immeubles détenus par les établissements de crédit. Elle a
invité ces derniers à prendre en compte la valeur vénale des immeubles, et à procéder
à l'inscription de provisions concernant les moins-values sur les immeubles autres que
ceux d'exploitation, sans compensation avec les plus-values latentes.
Les sociétés du secteur des assurances ont été soumises, dès 1990, à l'obligation de
faire expertiser leur patrimoine immobilier tous les cinq ans et de constater, au bilan,
les moins-values globales sur les placements non obligataires.
Parallèlement, plusieurs organisations professionnelles d'experts se sont regroupées
pour mener une réflexion en vue de l'élaboration de règles communes relatives aux
méthodes d'évaluation et aux diligences que doivent accomplir les experts dans le
cadre de leur mission. Leurs travaux ont donné naissance à la Charte de l'expertise en
évaluation immobilière qui a été adoptée en janvier 1998.
Par ailleurs, la loi relative à l'épargne et à la sécurité financière, adoptée récemment,
et portant notamment sur la réforme des sociétés de crédit foncier, vient renforcer la
nécessité d'introduire une plus grande normalisation et une meilleure lisibilité dans
l'évaluation des actifs immobiliers. En effet, compte tenu de la nature des garanties
attachées aux prêts octroyés ou acquis par les sociétés de crédit foncier (hypothèque
de premier rang ou sûreté immobilière), des dispositions de ce texte confient au
Comité de la réglementation bancaire et financière le soin de déterminer les modalités
d'évaluation des actifs sur lesquels reposent les garanties, ainsi que les valeurs qu'il
convient de retenir.
L'association TEGOVA (The European Group of Valuers' Associations) (Note 2), qui
regroupe les principales organisations d'experts en évaluation immobilière au niveau
européen, a publié, en 1997, des normes européennes d'évaluation immobilière. Ces
normes devraient être mises à jour et complétées dans le courant de l'année 2000.
Enfin, des réflexions sont menées au plan international sur les normes comptables à
mettre en place concernant la présentation au bilan des investissements en biens
immobiliers et sur la nature des informations à présenter concernant ce type d'actifs.
Elles ont abouti au récent exposé sondage E 64 de l'IASC sur l'"investment property",
et pourraient conduire à demander aux entreprises d'enregistrer les actifs immobiliers
autres que ceux d'exploitation à leur valeur de marché.
Ces dernières évolutions renforcent le besoin d'une définition précise et homogène des
méthodes acceptables d'évaluation des immeubles, notamment pour l'ensemble des
sociétés faisant appel public à l'épargne.

100
Pour contribuer à améliorer la qualité de l'information diffusée par les sociétés faisant
appel public à l'épargne relative aux immeubles qu'elles détiennent, la Commission a
souhaité engager, avec différents acteurs qualifiés, une réflexion sur les définitions
des valeurs à retenir et sur les normes professionnelles communes applicables en
matière d'évaluation, quelle que soit l'identité du propriétaire.
Actuellement, il existe plusieurs concepts de valeur : celui de valeur vénale dont
découlent notamment la valeur de vente forcée et la valeur hypothécaire (évoquées
dans le Règlement du CRBF 99-10 et la Directive européenne du 22 juin 1998), ainsi
que des concepts tels que la valeur de reconstruction, la valeur d'assurance ou la
valeur d'utilité, mais qui n'entrent pas dans le champ des recommandations du présent
groupe de travail.
................................
1 - Terminologie et méthodologie
A - Définition des missions
1) Mission d'expertise immobilière
L'expertise immobilière consiste à déterminer la valeur d'un bien ou d'un droit
immobilier, en tenant compte de facteurs juridiques, techniques et économiques. Elle
se distingue d'un simple avis de valeur.
L'expertise immobilière suppose une visite complète des locaux ou de l'immeuble
concerné ainsi que de ses équipements. Néanmoins, pour des immeubles constitués
d'un grand nombre de lots ou d'unités, la visite peut être limitée au choix d'un
échantillon représentatif de chacune des catégories de locaux. Lorsque certaines
parties sont inaccessibles, l'expert doit en faire mention dans son rapport et en tenir
compte dans son opinion.
Elle implique, en outre, qu'un certain nombre d'informations et de pièces, relatives au
droit immobilier expertisé, soient examinées par l'expert sans que celui-ci n'ait à
procéder à un audit complet des informations et des documents fournis par des
personnes engageant valablement leur responsabilité.
Enfin, elle doit contenir une explication des méthodes de calcul et des critères de
choix conduisant aux valeurs retenues.
2) Mission d'actualisation
La mission d'actualisation est prévue par le Code des assurances (R. 332-20-1 du
Code des assurances) qui précise que "entre deux expertises, la valeur fait l'objet d'une
estimation annuelle, certifiée par un expert accepté par la Commission de contrôle des
assurances" ainsi que par le décret de 1971 relatif aux sociétés civiles de placement
immobilier qui énonce que "les immeubles sont expertisés tous les cinq ans et, dans
l'intervalle, l'expertise est actualisée par l'expert chaque année".
L'actualisation consiste à mettre à jour une expertise antérieurement réalisée, en
tenant compte, le cas échéant, de l'évolution des facteurs essentiels depuis la
précédente intervention de l'expert. Ces facteurs peuvent relever tant du marché sur
lequel le bien s'inscrit que de la nature du bien lui-même.
Il est recommandé d'effectuer une nouvelle visite de l'immeuble, au moins partielle ou
extérieure, celle-ci pouvant s'avérer nécessaire s'il apparaît que l'état général de
l'immeuble ou son environnement immédiat a été affecté.
Les pièces et informations examinées par l'expert, telles que les plans, le cadastre, les
titres de propriété ainsi que le montant des assurances d'immeuble pourront ne pas
faire l'objet d'une nouvelle communication si aucun événement significatif n'est
intervenu depuis la date de la dernière expertise ou de la dernière actualisation.
3) Autres missions

101
Il existe des interventions voisines de la mission d'expertise, comme la revue sur
dossier ou le contrôle de cohérence et de méthodes, mais qui ne font pas partie de la
mission d'expertise et ne sont donc pas visées par le présent rapport.
La revue sur dossier consiste à délivrer un avis sur la valeur d'un bien ou d'un droit
immobilier, qui ne fait pas l'objet d'une expertise, et pour lequel il n'y a généralement
ni visite, ni examen de l'ensemble des pièces ou éléments d'informations nécessaires
pour celle-ci. Dans ce cas, l'expert en évaluation immobilière doit s'attacher à analyser
les critères les plus importants constitutifs de la valeur (loyers, taux de rendement,
prix au mètre carré, charges locatives, charges réglées par le propriétaire) ainsi que les
conditions économiques sur le marché immobilier concerné.
Quant au contrôle de cohérence et de méthodes, il a pour but de fournir, à partir d'une
évaluation interne ou externe, ou d'une expertise antérieure, soit une opinion sur le
choix, la régularité, la cohérence et la pertinence des méthodes d'évaluation utilisées,
soit un avis sur la cohérence ou la validité des conclusions données dans les
évaluations antérieures, sans pour autant définir de façon stricte une valeur.
Ces deux types de prestations peuvent être alternatives ou cumulatives.
B - Terminologie
1) Valeur vénale
La valeur vénale correspond au prix auquel un bien ou un droit immobilier pourrait
être cédé au moment de l'expertise par un vendeur désireux de vendre, dans les
conditions normales du jeu de l'offre et de la demande. Cela suppose l'autonomie de
décisions des parties, la réalisation de la transaction dans un délai raisonnable, et la
mise en oeuvre de diligences adaptées pour la présentation du bien sur le marché.
Cette définition exclut les opérations conclues à des conditions particulières pour des
raisons de convenance, comme les opérations dans lesquelles une contrepartie a un
lien direct ou indirect avec le vendeur ou l'acheteur (cession bail, concessions...).

La valeur vénale sera déterminée en fonction de l'affectation juridique et de l'usage du


bien au moment de l'évaluation, tout en prenant en considération l'état réel d'entretien
de l'immeuble et l'estimation des dépenses de gros entretien ou grosses réparations à
engager à court ou moyen terme.
Cette valeur doit être exprimée à la fois acte en mains (droits de mutation et frais
d'acquisition inclus) et en valeur nette vendeur (commissions, droits et frais éventuels
déduits), cette dernière correspondant généralement au prix qui figure dans l'acte de
vente.
À la demande du mandant, la valeur vénale d'un bien peut mentionner séparément la
valeur respective du terrain et des constructions.
Dans l'hypothèse où la valeur vénale déterminée sur la base de ces principes
différerait sensiblement de la valeur vénale du même bien dans une utilisation
alternative (cas d'un immeuble susceptible de faire l'objet d'une opération de
promotion, d'un nouveau développement ou d'une modification de son usage), l'expert
devra fournir une indication sur la valeur qui pourrait découler de cette perspective, en
précisant les motifs ayant conduit à utiliser cette seconde approche.
2) Valeur locative de marché
La valeur locative de marché correspond à la contrepartie financière (annuelle ou
mensuelle) des biens expertisés :
- dans des conditions de marché du jour de l'expertise, pour usage du bien dans le
cadre d'un nouveau bail ;
- dans des conditions d'exploitation normale et correspondant à l'affectation actuelle
du bien.

102
C - Méthodes d'évaluation de la valeur vénale
Il est recommandé à l'expert d'utiliser au moins deux méthodes d'estimation dont l'une
sera choisie parmi les méthodes "par comparaison", et l'autre parmi les méthodes "par
le revenu". S'il ne pouvait être retenu qu'une seule méthode, l'expert immobilier se
devrait de le justifier.
Comme il est de règle dans les évaluations, les méthodes retenues pour un immeuble
seront appliquées de matière permanente, y compris en cas de changement d'expert,
sauf dans des cas exceptionnels qui devront être précisément expliqués dans le rapport
d'expertise.
1) Les méthodes par comparaison
Ces méthodes consistent à prendre pour référence des transactions constatées sur le
marché immobilier pour des biens présentant une localisation, une destination et des
caractéristiques comparables à celles du bien expertisé. Elles opèrent par comparaison
directe ou par utilisation des ratios d'exploitation.
a) Méthode par comparaison directe
Ce procédé consiste à retenir les dernières transactions effectuées sur des biens
similaires ou approchant. L'expert doit faire figurer dans son rapport des indications
précises et individualisées sur le marché concerné.
Les principaux critères utilisés pour la définition de la surface sont :
- pour les immeubles d'habitation, la superficie habitable telle qu'elle est définie à
l'article R. 111-2 du Code de la construction et de l'habitation, complétée le cas
échéant par des éléments que l'expert justifiera ;
- pour les immeubles industriels et commerciaux, la surface utile brute ; l'expert
pourra tenir compte néanmoins de la surface utile nette pas poste de travail ;
- pour les locaux à usage de commerce, la surface utile pondérée, en fonction de
l'utilité de chacune des parties du local ; toutefois la pondération pourra ne pas
s'appliquer pour les commerces de grandes superficie ;
- pour les annexes et immeubles spécifiques, des méthodes fondées sur un nombre
d'unité (nombre de places de parking, nombre de lits, nombre de chambres, etc.).
b) Méthode fondée sur des ratios d'exploitation
Cette méthode est utilisée pour des biens spécifiques (hôtels, garages, cliniques, salles
de spectacles, etc.). Elle fait référence à des ratios d'exploitation individualisés,
connus des spécialistes, et fait simultanément appel à des comparaisons avec des
transactions proches.
2) Les méthodes par le revenu
a) Méthode par capitalisation du revenu net
À partir du revenu net, le taux de capitalisation détermine la valeur nette vendeur et le
taux de rendement détermine la valeur acte en mains.
· Définition du revenu net - Le groupe de travail le définit comme le loyer hors TVA,
hors droit de bail (ou hors taxes analogues pour les immeubles soumis à une fiscalité
étrangère), hors taxe additionnelle et hors charges locatives refacturées, augmenté du
loyer de marché des locaux vacants (sous réserve des corrections précisées ci-après
liées à la vacance).
Ce total est ensuite diminué, dans la mesure où elles restent à la charge du
propriétaire, des charges locatives, des taxes foncières et toutes autres taxes inhérentes
à l'immeuble ainsi que des assurances d'immeuble.
Quant aux frais de gestion, l'expert devra également appliquer au revenu net un
ajustement correspondant aux charges de gestion locative directement rattachables à
l'immeuble, à l'exclusion de toute charge liée à des caractéristiques propres au
propriétaire.

103
· Traitement de la vacance de locaux - Les conséquences sur les revenus et sur les
charges d'une vacance temporaire sont évaluées et déduites dès lors qu'elles
apparaissent comme significatives (vacance portant par exemple sur un immeuble à
locataire unique ou sur des surfaces importantes).
La vacance structurelle conduit à définir un taux de vacance structurelle qui réduit
l'assiette du revenu à capitaliser.
Si l'un des paramètres énumérés ci-dessus ne peut être directement pris en
considération dans l'analyse des revenus, l'expert modifie le taux de rendement ou de
capitalisation déterminé selon les critères définis ci-après. Il doit alors exposer dans
son rapport la situation qui l'a amené à cette modification.
· Détermination du taux de capitalisation ou du taux de rendement - Le taux de
capitalisation ou le taux de rendement sur le revenu net utilisés par l'expert ressortent
de l'analyse des transactions sur le marché des biens immobiliers d'investissement
ainsi que du niveau de l'offre et de la demande au moment de l'évaluation.
Le taux choisi constitue l'élément déterminant de l'évaluation. C'est pourquoi l'expert
devra expliquer les raisons et les références qui l'ont conduit à retenir ce taux.
· Correctifs à la valeur obtenue - La valeur obtenue, qu'elle soit la valeur nette vendeur
ou la valeur acte en mains, fait l'objet des correctifs suivants :
- les conséquences d'un écart entre les loyers contractuels en cours et la valeur
locative prévisible à partir de la date probable de retour aux conditions normales du
marché, notamment à la première date à laquelle une révision du bail est possible ;
- le coût prévisible des grosses réparations à entreprendre à court ou moyen terme ;
- les frais de remise en état nécessaires pour pouvoir remettre en location au terme du
bail, les locaux vacants ou des locaux occupés si le bail stipule qu'ils sont à la charge
du propriétaire ;
- les frais de commercialisation des locaux éventuellement vacants.
L'expert devra fournir la valeur nette vendeur et la valeur acte en mains.
b) Méthode par actualisation des flux futurs (communément appelée méthode des
cash-flows)
L'évolution des pratiques conduit, dès lors que les éléments disponibles sont
suffisamment fiables et détaillés et qu'une analyse prospective peut être faite sur
l'immeuble, à utiliser de plus en plus cette approche comme méthode d'évaluations
immobilières.
Seuls les éléments propres au détenteur de l'immeuble (coût de financement,
remboursement d'emprunt, imposition sur les bénéfices ou sur le revenu, etc.) sont
exclus des flux futurs.
La période de projection habituelle est de six à dix ans, le bien étant considéré comme
revendu à la fin de la période pour une valeur que l'expert justifiera en se référant
notamment à la capitalisation du revenu net récurrent de la dernière année.
L'ensemble des revenus à considérer seront notamment les suivants :
- les loyers contractuels, puis la valeur locative de marché à partir de la date prévisible
de retour aux conditions de marché ;
- les produits des dépôts de garantie ou des soldes de trésorerie positive ;
- les recettes annexes telles que les revenus d'emplacements publicitaires.
L'ensemble des décaissements seront notamment les suivants :
- les frais de remise en état et de commercialisation ;
- les charges non récupérées, ou résultant de la vacance, et plus généralement toute
dépense non remboursée par les locataires ;
- les impôts et taxes attachés à l'immeuble ;
- les assurances d'immeuble ;

104
- les grosses réparations ;
- les frais de gestion directs attachés à l'immeuble.
Le taux d'actualisation utilisé dans cette méthode est déterminé de manière différente
du taux de capitalisation. Il intègre un élément financier correspondant à la
rémunération de l'argent à faible risque, corrigée de primes au titre des risques
généraux liés à l'immobilier et des risques spécifiques attachés à l'immeuble
(notamment pour illiquidité...).
En d'autres termes, le taux d'actualisation est un taux "calculé" plus que constaté. Il
traduit à la fois la situation des taux sur le marché de l'investissement en général et le
degré de risque attaché à l'immeuble qui fait l'objet de l'évaluation.
Les hypothèses sous-jacentes à la détermination de la structure du taux seront
explicitées par l'expert.
2 - Diligences
Les experts sont tenus d'accomplir un certain nombre de diligences dès la décision
d'acceptation de la mission d'expertise et au cours des différentes étapes qui la
composent. La mission d'expertise débute par une lettre de proposition et se termine
par la rédaction du rapport d'expertise.
A - Cadre d'exercice de la mission
Le champ de la mission et les hypothèses de travail de l'expertise doivent être définis,
entre le mandant et l'expert, de manière fondée et précise conformément, le cas
échéant, à la réglementation applicable.
1) Lettre de proposition
L'expert doit fournir à son mandant une lettre de proposition mentionnant :
- l'identification des biens expertisés ;
- la ou les valeurs à définir ainsi que les hypothèses de travail sur les différents
immeubles ;
- le montant des honoraires ou leur modalité de calcul ;
- les documents et informations à fournir pour l'expertise ;
- le délai de rendu des conclusions.
2) Formalisation de la mission
La mission doit impérativement être confirmée par le client. Cette confirmation peut
être effectuée soit par le retour de la lettre de proposition avec la mention expresse de
l'accord du mandant, soit par une lettre de mission, soit par un bon de commande, soit
par un contrat.
Le choix entre l'une ou l'autre forme d'accord sur la mission dépend principalement de
l'étendue et de la complexité de celle-ci.
Si des modifications interviennent au cours de la mission, il convient de prévoir un
avenant aux conditions fixées pour la mission initiale.
3) Hypothèses de travail
Les facteurs à prendre en compte sont les suivants :
- les immeubles ou les locaux sont-ils considérés comme vacants et libres
d'occupation, loués aux conditions du marché, ou occupés dans des conditions
précisées par un état locatif remis à l'expert ?
- quelle est l'affectation dans laquelle l'immeuble est évalué (usage actuel, usage futur
ou usage alternatif) ?
- quel est l'état d'entretien de l'immeuble ? Des travaux importants sont-ils prévus ou
non ? Lorsque des travaux importants sont prévus à court terme, ou déjà engagés à la
date de l'évaluation, l'expert évaluera l'immeuble "à finition", c'est-à-dire après
travaux. Il indiquera, en outre, le montant des travaux restant à payer.

105
B - Éléments et informations dont doit disposer l'expert immobilier pour effectuer sa
mission
La réalisation d'une expertise nécessite la production des documents et éléments
d'information suivants :
- plans ;
- état des surfaces ;
- cadastre ;
- titres de propriété ;
- règlement de copropriété, le cas échéant ;
- justification juridique de l'affectation des locaux ;
- documents d'urbanisme ;
- état locatif avec indication de la vacance ;
- baux ;
- résiliations de baux et dénonciations reçues ou prévues ;
- plan d'entretien ou programme des grosses réparations envisagés ;
- tout document technique ou concernant l'environnement susceptible d'avoir une
incidence sur la valeur de l'immeuble ;
- état des contentieux ou litiges en cours ;
- montant des charges locatives, ventilé par grands postes ;
- avis des taxes foncières, sur les bureaux et autres ;
- montant des assurances d'immeuble ;
- frais d'entretien courant.
Pour la mission d'actualisation, les plans, l'état du cadastre, le titre de propriété, le
montant des assurances d'immeuble et les frais d'entretien courant pourront ne pas être
demandés si aucun événement significatif n'est intervenu depuis la dernière
intervention de l'expert.
C - Diligences dans le cours de l'expertise immobilière
Elles consistent en l'exploitation des documents que l'expert aura recueillis, une visite
de l'immeuble et une analyse du marché.
1) Exploitation des documents recueillis par l'expert
L'expert immobilier doit procéder à une revue des documents qu'il a recueillis afin de
relever les éventuels manques ou incohérences. En cas de doute sur la qualité ou sur la
cohérence générale des informations et documents, l'expert devra se retourner vers
son client de façon à préciser ou compléter son niveau d'information.
S'agissant des éléments d'information fournis par les tiers, en particulier des
documents à caractère technique concernant l'environnement, l'expert pourra
s'adresser à leurs auteurs afin d'obtenir des compléments d'information.
Enfin, pour les documents ou informations que l'expert aura lui-même collectés
(renseignements concernant l'urbanisme notamment), les sources et le contexte dans
lequel ces informations ont été recueillies devront être précisés dans le rapport.
2) Visite de l'immeuble
La visite des biens doit en principe porter sur tous les locaux normalement
accessibles. Elle comporte l'examen des équipements nécessaires au fonctionnement
des immeubles. Toutefois, pour des immeubles constitués d'un grand nombre de lots
ou d'unités, la visite peut être limitée au choix d'un échantillon représentatif de
chacune des catégories de locaux. Le choix de l'échantillon doit être fait en accord
avec le client et clairement détaillé par l'expert dans son rapport.
3) Analyse du marché

106
L'analyse du marché immobilier sur lequel se situe le bien faisant l'objet de
l'évaluation constitue une partie indispensable du rapport. Celle-ci sera, suivant le
type de rapport convenu, très détaillée ou plus synthétique.
Le rapport détaillé doit comprendre des références de transactions sur le marché de la
location et de la vente, assorties d'un commentaire sur la relation entre les transactions
citées et le bien évalué.
Plus généralement, est souhaitable toute information concernant l'offre ou la demande
et leur évolution sur le marché concerné.
4) Lettre d'affirmation
Le groupe de travail recommande que, préalablement à la rédaction du rapport,
l'expert obtienne de son mandant une "lettre d'affirmation", indiquant que l'ensemble
des informations ou documents susceptibles d'avoir une incidence sur la valeur de
l'immeuble a bien été communiqué à l'expert, et précisant à la demande de ce dernier
certains points particuliers.
D - Rédaction des rapports d'expertise et des rapports d'actualisation
1) Contenu
Le rapport d'expertise doit notamment comprendre les mentions figurant dans le
chapitre 3 de la Charte de l'expertise en évaluation immobilière (voir annexe 1). Il doit
en particulier préciser l'objet, le cadre de travail de l'évaluation ainsi que les méthodes
utilisées, et comporter une référence aux informations, sources et documents
exploités, avec des réserves en cas d'incertitude ou de lacune.
Au-delà des conclusions proprement dites, il est souhaitable que l'expert immobilier
éclaire son mandant sur la portée des informations et des conclusions qu'il délivre.
Les données concernant l'évolution économique générale, l'état physique de
l'immeuble et les questions d'environnement et d'urbanisme, devront être mises en
évidence avant que soient précisées les tendances résultant de ces différents facteurs.
L'expert doit prendre en compte les risques dus aux évolutions de la demande des
utilisateurs et les expliciter dans son rapport.
2) Conclusions
Celles-ci devront être exprimées de façon claire et non équivoque, et préciser la nature
du régime fiscal en cas de cession.
3) Réserves éventuelles
En cas d'incertitude ou de lacune de nature économique, juridique ou technique, le
rapport devra expressément contenir des réserves expliquant les risques qui en
découlent.
3 - Déontologie et contrôle
A - Règles déontologiques
1) Confidentialité
L'expert immobilier est tenu par une obligation générale de confidentialité touchant
l'ensemble des informations dont il dispose dans l'exercice de sa mission. Cette
confidentialité peut être renforcée à la demande expresse de son mandant, ou par des
textes réglementaires ou législatifs. Le non-respect de cette confidentialité engage la
responsabilité de l'expert. Les règles de confidentialité demeurent, même lorsqu'une
mission n'est pas menée jusqu'à son terme.
2) Indépendance
L'indépendance de l'expert s'apprécie à la fois sous l'angle de son intégrité
personnelle, de son objectivité dans le traitement des missions et de l'organisation
juridique au sein de laquelle il exerce son activité.
Cette indépendance implique :

107
- l'absence de tout lien de subordination financière avec le client ou le donneur
d'ordres ;
- l'absence d'intérêt économique dans les affaires pour lesquelles l'expert est mandaté ;
- l'absence de liens familiaux ou personnels susceptibles de mettre en cause
l'impartialité de l'expert.
L'expert doit donc refuser une mission s'il considère qu'il existe un risque de suspicion
de partialité.
3) Conflits d'intérêts
En règle générale, l'expert appréhendant un risque de conflit d'intérêts doit en
informer son mandant préalablement à l'acceptation de la mission.
Les conflits d'intérêts peuvent relever, d'une part, des règles déontologiques
communes à l'ensemble des experts quel que soit leur cadre d'exercice et, d'autre part,
de règles propres à la nature de l'entité au sein de laquelle ils exercent.
Si un immeuble à évaluer est détenu, directement ou indirectement, à plus de 5 % par
une société du groupe auquel appartient l'expert, celui-ci ne peut intervenir qu'en
qualité d'évaluateur interne, et doit faire figurer cette qualité dans l'exposé et dans la
conclusion de la mission. Pour être utilisé à l'extérieur du groupe, son expertise doit
être certifiée par un autre expert.
L'expert immobilier (ou le groupe auquel il appartient) ne peut entreprendre sans
autorisation une nouvelle évaluation sur un bien qu'il a déjà évalué depuis moins d'un
an pour une autre partie ; en cas de nouvelle demande, il doit soit la décliner, soit
informer le client initial et le nouveau demandeur et obtenir l'accord des deux parties.
Les experts membres, directement ou indirectement, d'un groupe ayant des activités
de financement et d'investissement ne doivent pas dépendre hiérarchiquement des
autorités dispensant les crédits ou réalisant les investissements. Les experts ne doivent
pas participer avec voix délibérative aux structures chargées de l'engagement des prêts
immobiliers.
Les experts immobiliers membres, directement ou indirectement, de groupes ayant
des activités de promotion ou de commercialisation immobilière, ne pourront
expertiser avant deux ans les immeubles pour lesquels leur groupe est intervenu dans
la procédure d'achat ou de promotion.
Les sociétés d'expertises ou les experts appartenant directement ou indirectement à un
réseau de cabinets d'audit ne peuvent évaluer les immeubles détenus par une entité
auprès de laquelle le membre du réseau intervient en tant que commissaire aux
comptes.
4) Recours à des experts et des collaborateurs internes et externes
L'expert ou la société d'expertise est responsable de l'ensemble des collaborateurs qui
concourent aux opérations d'évaluation, quels que soient leur niveau hiérarchique et
leur spécialisation.
Les collaborateurs doivent bénéficier d'un niveau de formation initiale suffisant et
d'une formation permanente. L'expert doit veiller à ce que les intervenants sur les
dossiers aient le niveau de qualification et d'expérience nécessaire pour traiter ceux-ci.
L'expert qui a recours au service d'un confrère doit prendre les mêmes assurances vis-
à-vis de lui qu'à l'égard d'un collaborateur interne ; il doit notamment vérifier qu'il
respecte les dispositions de la Charte de l'expertise en évaluation immobilière et de
tout autre texte définissant les conditions de l'intervention.
L'expert immobilier ou la société d'expertise devra, le cas échéant, informer son client
du recours à un confrère, en tant que sous-traitant. L'expert qui souhaite faire appel à
un confrère comme cotraitant (cosignant le rapport et en assumant la responsabilité de
façon solidaire) doit obtenir l'autorisation de son client.

108
Le recours à des collaborateurs extérieurs dont la tâche n'est pas de réaliser tout ou
partie de l'évaluation immobilière elle-même, mais de fournir des prestations
connexes ou complémentaires, doit être mentionné dans le rapport. La prestation de
ces collaborateurs fait alors l'objet d'un document séparé pouvant être annexé au
rapport d'expertise.

Charte de l'expertise en évaluation immobilière - Extrait


................................
B - Le contenu des rapports
Sauf exception justifiée due à un manque d'informations non imputable à l'expert ou à
des instructions spécifiques du client clairement exposées, un rapport d'expertise doit
comporter, en principe, les éléments ci-après.
1) Mission
- identité du client ou du mandant, son lien avec l'immeuble à expertiser,
- l'objet de la mission doit être défini de façon précise : il doit indiquer si l'immeuble
est à évaluer dans son état actuel, ou dans un état futur, dans l'hypothèse de la
prolongation de son usage actuel, ou de l'utilisation pour un autre usage...
- identification des biens ou droits à évaluer qui doivent être identifiés, si possible par
la désignation cadastrale, l'adresse exacte et l'usage à la date de visite,
- date de valeur de l'expertise,
- date de rédaction (si celle-ci notamment est différente de la date de valeur),
- date de visite,
- mention de la visite en précisant le cas échéant s'il n'a pas été possible d'accéder à la
totalité des lieux, si les occupants ont été prévenus ou non ; pour des patrimoines très
importants composés d'ensembles assez homogènes pour lesquels une visite
exhaustive et complète n'est pas possible dans des délais normaux, l'expert devra bien
identifier la nature de l'échantillonnage visité, en accord avec son client,
- hypothèses de travail retenues et valeurs définies (valeur "libre" ou "occupé", avec
un état locatif donné, valeurs vénales ou de remplacement, valeurs locatives...),
- réserves éventuelles en cas d'impossibilité de vérifier telles ou telles données
pouvant avoir une incidence sur la valeur,
- liste des documents et informations mis à la disposition par le client et utilisés par
l'expert : titre de propriété, copie de désignation d'immeuble ou de droits de propriété
figurant dans un titre, état locatif détaillé ou résumé, baux originaux ou copies avec
avenants, quittances de loyer, plans originaux ou copies, permis de construire ou de
démolir, etc.
2) Clauses de non-publication et d'utilisation du rapport dans son intégralité
Les recommandations de TEGOVA (Note 3) et les pratiques professionnelles
conduisent généralement les experts à insérer dans leur rapport une ou deux clauses
du type de celles ci-après :
- "Le mandant ne peut utiliser le rapport d'expertise de façon partielle en isolant telle
ou telle partie de son contenu" ;
- "Le présent rapport d'expertise en tout ou partie ne pourra être cité ni même
mentionné dans aucun document, aucune circulaire et aucune déclaration destinés à
être publiés et ne pourra pas être publié d'une quelconque manière sans l'accord écrit
de l'expert quant à la forme et aux circonstances dans lesquelles il pourra paraître".
3) Situation géographique
Celle-ci peut être détaillée en situation générale, localisation particulière,
emplacement, environnement et voisinage, desserte routière et transports urbains.
4) Situation juridique du bien

109
Désignation du régime de propriété ou de la nature juridique du bien ou du droit,
notamment : propriété pleine et entière, locaux dépendant d'une copropriété
horizontale ou verticale, indivision, immeuble détenu par le biais de titres d'une
société civile ou commerciale, concession, construction sur terrain d'autrui, location,
contrat de crédit-bail, division en volume...
5) Situation urbanistique et administrative
Classement ou zoning, servitudes publiques, projets susceptibles d'affecter le bien,
constructibilité. Ces renseignements sont publics et délivrés par les Services
administratifs par voie orale ou par consultation de documents.
Il convient de rappeler que seuls sont opposables aux tiers certains documents fournis
par l'Administration (certificat d'urbanisme, Permis de construire). La production de
ces pièces demande un délai qui est souvent incompatible avec celui fixé par la
mission d'expertise.
6) Description du bien
- Nature et consistance des biens.
- Affectation (usage physique, affectation juridique ou urbanistique).
- Surface du terrain et des bâtiments.
Ces surfaces sont généralement fournies par le client (plan, état des surfaces). Seules
les surfaces mesurées par un professionnel compétent ou spécialiste disposant d'une
assurance de responsabilité civile professionnelle (tels que géomètre-expert,
architecte) présentent une garantie.
- État d'entretien général des biens : gros oeuvre, second oeuvre, finition. Il n'est pas
de la compétence de l'expert de fournir des diagnostics techniques détaillés, ni dans sa
mission d'établir des devis de travaux. Il doit en revanche éclairer son mandant sur la
qualité de l'entretien avec ses conséquences sur la valeur des biens et fournir
éventuellement un ordre de grandeur du montant des travaux nécessaires.
- Équipement : éléments de confort ou services généraux pouvant être considérés
comme immeubles par destination.
- Annexes aux locaux ou à l'immeuble : parkings, archives, caves, locaux sociaux,
détaillés séparément le cas échéant.
7) Réserves concernant l'environnement et la contamination
Il ne rentre pas dans les compétences normales de l'expert en évaluation immobilière
d'apprécier ni de chiffrer l'incidence des risques liés à la contamination des sols, des
bâtiments, la pollution des terrains et plus généralement les questions concernant
l'environnement. Il peut toutefois prévenir son mandant des risques s'il en apparaît à
partir des informations générales sur le secteur.
En outre, les problèmes soulevés par la présence d'amiante, de termites et par
certaines nuisances acoustiques ou phoniques ne peuvent être évalués avec précision
que par des spécialistes habilités et assurés à cet effet.
L'expert en évaluation immobilière devra donc rappeler dans son rapport les limites
de sa mission, tout en se réservant la possibilité d'informer son mandant en cas de
risques évidents ou patents, et en lui suggérant de requérir les services d'un ou de
plusieurs spécialistes concernés.
8) Situation locative
Un immeuble peut être vacant, occupé par son propriétaire, par un tiers à titre gratuit,
avec ou sans titre, occupé à titre onéreux avec des baux de conditions diverses. Selon
les cas, le rapport d'expertise détaillera la situation locative des biens, à la date de
l'expertise.
9) Appréciation qualitative

110
Celle-ci consiste à donner une appréciation courte ou détaillée des biens au regard de
leur utilisation et des conditions du marché dans lequel ils se situent.
10) Étude du marché
L'expert effectue une étude de marché des biens comparables qu'il peut résumer sans
la détailler. Les rapports d'expertise ne comportent pas systématiquement d'éléments
de référence ; certains peuvent toutefois être exposés verbalement après le dépôt du
rapport, au mandant qui en fait la demande et qui s'engage à respecter le principe de
confidentialité.
11) Évaluation
Celle-ci doit comporter le choix des méthodes d'évaluation retenues avec
éventuellement la justification de celles-ci.
Sont ensuite exposés de manière plus ou moins détaillée les calculs, découlant des
méthodes employées, ainsi que les chiffres retenus dont la synthèse sera reprise en
conclusion.
Dans les rapports d'expertise résumés ou de forme standard, les avis ou révisions sur
dossier, ou les rapports portant sur des groupes d'immeubles très nombreux, les
calculs détaillés n'apparaissent pas.
12) Conclusions
Les conclusions peuvent être assorties de réserves concernant le bien, son utilisation
actuelle ou future et le marché dans lequel il se situe.
Il est indiqué dans les conclusions si les chiffres sont donnés hors droits de mutation
et frais d'acquisition et hors TVA ou non.
Le régime fiscal du mode de cession retenu doit, toujours être explicitement
mentionné (opération d'apport, cessions de droits, de parts ou d'actions, vente directe,
etc.).
Dans certains cas, l'expert pourra faire apparaître plusieurs chiffres dans ses
conclusions et en particulier dans les cas suivants :
- lorsque plusieurs hypothèses d'utilisation ou d'occupation ont été étudiées,
- quand le régime fiscal de la mutation est incertain ou peut être variable,
- si des inconnues pèsent sur l'utilisation ou l'affectation du bien.
13) Annexes
Il est recommandé, pour ne pas alourdir le corps du rapport d'expertise, de reporter en
annexe les différents documents qui peuvent être joints à l'expertise, en appui de
celle-ci.
On notera en particulier et de façon non exhaustive :
- les plans (plan de situation, plan masse...),
- les photographies des immeubles,
- les états locatifs ou les baux,
- les documents d'urbanisme éventuellement disponibles (certificat d'urbanisme,
permis de construire),
- les états de charges locatives et plus généralement tous autres documents ne
nécessitant pas d'être retranscrits intégralement dans le corps du rapport d'expertise
proprement dit.
C - Cas particulier des immeubles situés à l'étranger
Lorsque l'expertise porte sur un immeuble situé à l'étranger, le rapport, quand il est
réalisé par un confrère étranger, est en général écrit dans une langue étrangère. Le
confrère français peut traduire ce rapport en langue française en précisant la langue du
rapport original et en l'annexant à sa traduction. Sauf à le faire traduire par un
traducteur assermenté, il y aura lieu de préciser que la traduction est approximative, le
rapport original étant le seul opposable.

111
Il y aura lieu de donner la devise dans laquelle la valeur de l'immeuble est estimée et
s'il y a conversion en une autre monnaie, il faudra préciser le cours de change et sa
date.
Dans certains pays, les critères utilisés pour l'évaluation (surfaces, taux de rendement,
de capitalisation ou d'actualisation) diffèrent sensiblement de ceux couramment
employés en France. Une note d'explication de l'expert sera alors souhaitable, soit
dans le corps du rapport d'expertise, soit dans tout autre document accompagnant
celui-ci.

112
Note : 1 - L'arrêt ci-dessus rapporté (Note 1) statue sur une question difficile :
comment le juge saisi d'une demande d'adoption de l'enfant du conjoint, qui suspecte
l'existence d'une convention illicite de mère porteuse, peut-il déjouer la fraude ?
En l'espèce, M. V. B. reconnaît, dans l'acte de naissance, l'enfant Maud, née sous X le
1er avril 1993. Dix-huit mois plus tard, Mme V. B., épouse de l'auteur de la
reconnaissance, demande à adopter l'enfant naturelle de son mari.
Le TGI de Paris (Note 2) rejette la demande en adoption déposée par l'épouse, suivant
en cela les conclusions du Ministère public, qui suspecte une convention illicite et
doute de la sincérité de la reconnaissance paternelle. Mme V. B. interjette appel du
jugement et sollicite, à titre subsidiaire, le prononcé d'une adoption simple. Le
Ministère public conclut, quant à lui, au rejet de la requête, estimant qu'il y a ici
fraude à la loi.
Le 19 septembre 1996, la Cour d'appel de Paris (Note 3), statuant avant dire droit,
ordonne une expertise comparative des sangs afin de dire si M. V. B. peut être le père
de l'enfant née sous X.
Un pourvoi en cassation est formé par les deux époux contre cet arrêt avant dire droit.
Les demandeurs formulent divers griefs tous constitutifs, selon eux, d'excès de
pouvoir en violation de plusieurs dispositions. Le Ministère public conclut, quant à
lui, en sa qualité de défendeur, à l'irrecevabilité du pourvoi, analyse que fera sienne la
Cour de cassation aux termes d'un arrêt qui doit être apprécié à la fois en légalité (1)
et en opportunité (2).
1 - Sur la légalité de l'expertise sanguine en matière d'adoption d'enfant du conjoint
2 - À première vue, la formulation des moyens des demandeurs au pourvoi surprend,
puisque tous les points de l'argumentation concluent à l'excès de pouvoir du juge en
violation de différents textes (Note 4). C'est en essayant de comprendre quel fut
l'intérêt d'une telle argumentation pour les parties que l'on parvient à mesurer - et à
critiquer - la stratégie adoptée.
L'article 150 du NCPC pose en principe que les décisions relatives à une mesure
d'instruction sont insusceptibles de recours indépendamment du jugement sur le fond
(Note 5). La règle de droit est ici très claire et repose sur l'idée que le litige doit avoir
été tranché au fond, au moins en partie, pour que l'appel soit possible (Note 6). De
plus la jurisprudence est sur ce point constante (Note 7). Néanmoins, une limite à
l'irrecevabilité du pourvoi a été créée par la jurisprudence sur le fondement de l'article
608 du NCPC : il s'agit de l'excès de pouvoir du juge (Note 8). Ainsi, en cas d'excès
de pouvoir du juge, le pourvoi est immédiatement recevable (Note 9). Dès lors, on
comprend mieux pourquoi les différents éléments avancés par les demandeurs au
pourvoi concluent tous à l'excès de pouvoir du juge : il s'agissait pour eux de
bénéficier de la voie du pourvoi en cassation. Mais pouvait-on relever un excès de
pouvoir en l'espèce ?
3 - En procédure civile, l'excès de pouvoir n'est pas entendu dans le sens strict utilisé
couramment, qui fait référence à la violation de la séparation des pouvoirs. Il se
définit comme "l'empiétement par une autorité judiciaire sur les attributions du
pouvoir législatif ou exécutif" (Note 10). Mais on admet que la notion doit être prise
dans son sens large. Elle vise alors la juridiction qui "s'arroge des droits qu'elle n'a
pas, émet des appréciations outrageantes pour telle ou telle personne, sans utilité pour
le litige à trancher" (Note 11). Lorsqu'il est démontré, l'excès de pouvoir est
sanctionné par la nullité de la décision rendue. Il fait même partie des cas de nullité
dégagés par la jurisprudence (Note 12). Il a ainsi été jugé que constitue un excès de
pouvoir le fait pour le juge d'ordonner une enquête sociale sur la famille naturelle de

113
l'enfant dont l'adoption plénière est demandée, dès lors que le consentement à
l'adoption a été régulièrement donné et n'a pas fait l'objet de rétractation (Note 13).
4 - En l'espèce, la question qui se posait était celle de savoir si les juges saisis d'une
demande en adoption de l'enfant du conjoint n'avaient pas excédé leurs pouvoirs en
voulant vérifier auparavant si l'enfant était effectivement issu du conjoint. En effet, la
seule condition imposée par le texte est l'établissement du lien de filiation à l'égard du
conjoint et non l'exactitude de ce lien (Note 14).
Cependant, la Cour de cassation ne relève aucun excès de pouvoir au regard des
dispositions invoquées par les demandeurs au pourvoi. Il est vrai que leur
argumentation était très foisonnante puisqu'ils invoquaient pêle-mêle des textes
relatifs au pouvoir du juge d'ordonner une mesure d'instruction, au respect de la
présomption d'innocence, aux empreintes génétiques (Note 15), à la contestation de
reconnaissance, à l'adoption simple et plénière ou encore au principe général de bonne
foi.
Néanmoins, on peut se demander si le raisonnement retenu par la Cour d'appel de
Nîmes dans la décision précitée (Note 16) ne pouvait pas être transposé ici. Selon la
Cour d'appel de Nîmes, il y a excès de pouvoir à ordonner une enquête sur la famille
par le sang de l'enfant dont l'adoption est demandée, alors que la régularité du
consentement à l'adoption n'était pas contestée, et qu'aucune rétractation de ce
consentement n'était intervenue. Si l'on comprend bien les juges du fond dans cette
affaire, l'article 1171 du NCPC permet au juge d'ordonner une enquête, mais
uniquement pour vérifier que les conditions de l'adoption sont remplies. Ainsi, le
consentement à l'adoption - seule condition intéressant la famille par le sang - étant
parfaitement régulier, aucune enquête n'était plus nécessaire. La décision qui
l'ordonnait était alors entachée d'excès de pouvoir.
5 - Ce raisonnement pouvait-il être transposé à la présente affaire ? En effet, s'agissant
de l'adoption de l'enfant du conjoint, il semble que les conditions légales relatives à ce
conjoint, ne concernent que le consentement donné par lui (Note 17) ? Dès lors, le
juge ne peut ordonner une mesure d'enquête que pour vérifier la réalité et la sincérité
de ce consentement. Et toute autre mesure d'enquête portant sur d'autres éléments
apparaîtrait alors entachée d'un excès de pouvoir. Ainsi, en l'espèce, on pouvait peut-
être admettre que la décision ordonnant un examen comparé des sangs était empreinte
d'un excès de pouvoir, et que le pourvoi en cassation était recevable (Note 18). On
peut donc s'interroger sur la légalité de la décision commentée. En outre, divers
arguments d'opportunité peuvent être avancés.
2 - Sur l'opportunité de l'expertise sanguine en matière d'adoption d'enfant du conjoint
6 - En opportunité, on pouvait fortement suspecter l'existence d'une convention illicite
(Note 19) de mère porteuse. C'est d'ailleurs la raison qui avait conduit le Procureur de
la République du TGI de Paris à relever de nombreux indices d'une telle convention :
"naissance de l'enfant dix mois après le mariage, accouchement sous X de la mère de
l'enfant, reconnaissance par M. V. B. dans l'acte de naissance, recueil quasi immédiat
de l'enfant à son foyer, dépôt très rapide par son épouse d'une requête à fin d'adoption
plénière". Les faits de l'espèce sont suffisamment atypiques pour qu'ils conduisent les
magistrats à s'interroger sur la sincérité de la requête déposée. Il est, par exemple, très
difficile pour le père d'un enfant né sous X non seulement de réussir à reprendre, dans
le délai légal de deux mois, l'enfant alors recueilli par l'ASE mais surtout de
reconnaître cet enfant dans l'acte de naissance (Note 20). Des affaires anciennes,
comme l'affaire Novack (Note 21) ou plus récentes comme celle jugée par la Cour
d'appel de Riom (Note 22) sont là pour nous rappeler les difficultés que le père
rencontre ne serait-ce que pour obtenir la date et le lieu de naissance exacts de

114
l'enfant. Dès lors, on comprend bien que le tribunal comme la cour d'appel aient
suspecté une fraude à la loi et un détournement de l'institution de l'adoption. Mais on
peut s'interroger sur la manière dont il convient de sanctionner la fraude ainsi
suspectée. Il ne fait pas de doute que le Ministère public tire de l'article 423 du
Nouveau Code de procédure civile et de l'article 339, alinéa 2, du Code civil la
possibilité de contester la reconnaissance frauduleuse. Mais on peut émettre des
réserves sur les conséquences d'une telle action.
7 - En effet, la volonté de sanctionner une opération frauduleuse ne doit pas pour
autant faire oublier que l'intérêt de l'enfant doit être préservé. C'est ici que réside toute
la difficulté de la décision à prendre (Note 23). Car, comme de nombreux auteurs l'ont
déjà écrit auparavant, il s'agit de savoir si, pour sanctionner une convention illicite
(Note 24), il faut priver un enfant de la famille au sein de laquelle il vit depuis
toujours ? Nous n'en sommes pas persuadés. Mais en l'état, deux hypothèses sont à
envisager.
Si l'examen des sangs démontre que l'époux n'est pas le père biologique de l'enfant, la
Cour sera vraisemblablement dans l'obligation de rejeter la requête puisque, comme le
rappelle Mme le Professeur Dekeuwer-Défossez : "l'indivisibilité entre la convention
de mère porteuse et l'adoption est, de prime abord, évidente : ultime phase d'un
processus illicite, l'adoption ne doit pas être complaisamment prononcée par des juges
volontairement aveugles" (Note 25). Mais alors on se trouvera presque forcé
d'admettre que l'adoption de l'enfant du conjoint implique que le parent à l'égard
duquel la filiation est établie est le parent biologique de l'enfant (Note 26).
Si, à l'inverse, l'expertise sanguine sollicitée par la Cour détermine avec certitude que
l'époux est bien le père de l'enfant, les conditions de l'adoption de l'enfant du conjoint
seront effectivement réunies. Dès lors, il deviendra difficile à la Cour de rejeter la
requête en adoption, alors que dans des affaires similaires, les juridictions se sont
montrées clémentes à l'égard du conjoint bafoué qui a pardonné (Note 27). En outre,
la réalité du lien biologique de filiation paternelle ne fera pas disparaître l'existence
d'une convention de mère porteuse... preuve que l'examen comparé des sangs n'est pas
la méthode adéquate pour découvrir la fraude. À vrai dire, seule la connaissance des
mobiles qui ont conduit la mère à accoucher sous X et le père à reconnaître pourraient
constituer la preuve d'une éventuelle maternité de substitution. Mais ces mobiles
seront, le plus souvent, inconnus. Aussi, comme le soulignait M. le Professeur Hauser
: "Peut-être est-il bon de temps en temps que le droit se voile la face ?" (Note 28).
Isabelle ARDEEFF,
Docteur en droit, Université Toulouse 1

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