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PONTIFICIO ISTITUTO BIBLICO

FACOLTA BIBLICA

Ga 4,1-7 : de δοῦλοῖ à κληρονόμοι

Comment les métaphores de la culture juive hellénistique de

Paul aident à comprendre l’histoire du salut ?

Essai

Studente: HARTMANN Charles-Edouard (matr. N. 8882)

Professore: GRANADOS ROJAS Juan Manuel

Roma 2023
Introduction

En Ga 4,7, Paul utilise un matériel métaphorique qui semble appartenir au monde gréco-

romain, mais qu'il applique à la notion d'héritage abrahamique, qui est hautement biblique.

Notre propos est de montrer que Paul met volontairement en relation deux mondes au niveau

littéraire, afin de montrer comment ces deux mondes se fondent dans un même héritage. Nous

présenterons d’abord ce qui est, selon nous, le schéma argumentatif du passage et en décrivant

brièvement son contexte immédiat. Dans un second temps, nous essaierons d'identifier les

pronoms que Paul utilise, en comparant notre texte à d'autres versets de la lettre. Enfin, nous

chercherons à savoir comment Paul applique ces deux métaphores juridiques de la minorité

légale et de l’adoption filiale.

1. Traduction, Délimitation et Structure

1.1. Traduction

Galates 4 (NA28) Traduction


1
Λέγω δέ, 1
4 Telle est donc ma pensée :

ἐφʼ ὅσον χρόνον ὁ κληρονόμος νήπιός ἐστιν, aussi longtemps que l’héritier est un enfant, il ne

οὐδὲν διαφέρει δούλου κύριος πάντων ὤν, diffère en rien d’un esclave, bien qu’il soit maître
2
ἀλλʼ ὑπὸ ἐπιτρόπους ἐστὶν καὶ οἰκονόμους ἄχρι de tout; 2mais il est soumis à des tuteurs et à des

τῆς προθεσμίας τοῦ πατρός. régisseurs jusqu’à la date fixée par son père.
3
οὕτως καὶ ἡμεῖς, 3
Et nous, de même,

ὅτε ἦμεν νήπιοι, ὑπὸ τὰ στοιχεῖα τοῦ quand nous étions des enfants soumis aux

κόσμου ἤμεθα δεδουλωμένοι· éléments du monde, nous étions asservis.


4
ὅτε δὲ ἦλθεν τὸ πλήρωμα τοῦ χρόνου, 4
Mais, quand est venu la plénitude du temps,

ἐξαπέστειλεν ὁ θεὸς τὸν υἱὸν αὐτοῦ, γενόμενον ἐκ Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous

γυναικός, γενόμενον ὑπὸ νόμον, à la loi,

1
5
ἵνα τοὺς ὑπὸ νόμον ἐξαγοράσῃ, 5
pour affranchir ceux qui sont sous la loi,

ἵνα τὴν υἱοθεσίαν ἀπολάβωμεν. pour que nous recevions l’adoption filiale.
6
Ὅτι δέ ἐστε υἱοί, 6
Fils, vous l’êtes bien :

ἐξαπέστειλεν ὁ θεὸς τὸ πνεῦμα τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ εἰς Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils,

τὰς καρδίας ἡμῶν κρᾶζον· αββα ὁ πατήρ. qui crie : Abba – Père!
7
ὥστε οὐκέτι εἶ δοῦλος ἀλλʼ υἱός· 7
Tu n’es donc plus esclave, mais fils ;

εἰ δὲ υἱός, καὶ κληρονόμος διὰ θεοῦ. et, comme fils, tu es aussi héritier de par Dieu.

1.2. Délimitation du passage

Paul indique, par le syntagme « λέγω δέ », qu’il commence l’illustration de ce qu’il vient

d’expliquer. En effet, comme nous le verrons, 4,1-7 reprend, en la précisant, l’explication de 3,23-29.

La clôture est moins évidente, puisqu’il n’y pas de marqueur logique indiquant une

transition vers une autre partie. D’ailleurs, l’évocation de l’époque où les Galates servaient des

idoles, et la mention des « éléments » (στοιχεῖα vv. 3.9) pourraient faire penser que Paul continue

sa métaphore sotériologique. En réalité, au v. 9 Paul quitte l’exposé théologique et passe sur le ton

du reproche (πῶς ἐπιστρέφετε πάλιν…) qu’il continue jusqu’au v. 11. Le v. 8 se rattache clairement

au v. 9 en raison de la construction logico-temporelle1 : ἀλλὰ τότε μὲν... (v. 8) νῦν δέ… (v. 9).

Séparer les vv. 8-9 romprait la syntaxe de manière incorrecte. Au point de vue rhétorique, les vv.

8-9 font plutôt charnière, en reprenant le thème de l’opposition avant/après, présente en 3,23-4,7.

La question rhétorique introduite par πῶς, elle, ouvre une section exhortative qui se finit en 4,20.

Il y aurait cependant des arguments pour faire arrêter notre passage en 4,11, puisque de

nombreux éléments de 4,8-11 sont en lien avec 4,1-7, mais il est normal que la conclusion d’une

partie et l’introduction de la suivante se répondent.

1
Cette construction, unique dans la Bible, est connue du grec classique pour exprimer un contraste entre une
époque révolue et l’époque actuelle. cf. DEMOSTHENE, Perì syntáxeōs, 31. τότε μὲν ὁ δῆμος δεσπότης ἦν …, νῦν δὲ
τοὐναντίον κύριοι μὲν τῶν ἀγαθῶν οὗτοι : « autrefois le peuple était maître,… à présent, les grâces sont dans les mains
des gouvernants. » ou bien XENOPHON, Cyropédie VIII, 8,15. Τότε μὲν γὰρ ἔτι τῇ ἐκ Περσῶν παιδείᾳ καὶ ἐγκρατείᾳ
ἐχρῶντο, … νῦν δὲ τὴν μὲν ἐκ Περσῶν καρτερίαν περιορῶσιν ἀποσβεννυμένην « Autrefois ils se ressentaient de
l’éducation et de la tempérance des Perses… mais aujourd’hui, ils laissent s’éteindre en eux les mâles vertus des Perses. »

2
En même temps que se dessinent les contours de notre passage, apparaissent déjà les

contours de sa fonction littéraire : il conclut une section démonstrative et introduit une section

exhortative. Ceci devient plus évident si l’on étudie son contexte à plus large échelle.

1.3. Contexte du passage

Notre passage se situe au cœur de la lettre, au sein d’une argumentation qui va de 3,1 à

5,1, avant de commencer une partie plus parénétique. Nous reprenons à notre compte une

proposition de structure parallèle de cette macro-unité par J. L. Martyn2 :

A : 3,1-5 : Reproches et réflexion sur l’identité des Galates.

B : 3,6–4,7 : Démonstration par l’Ecriture et les traditions baptismales.

A’ : 4,8-20 : Reproches et réflexion sur l’identité des Galates.

B’ : 4,21–5,1 : Démonstration par l’Ecriture.

Il convient de constater que le passage de 4,1-7 intervient à la fin d’une chaîne

argumentative et à la transition avec un nouvel argument. Cette position « clef » nous renseigne

déjà sur ce que sera la fonction du passage : conclure un raisonnement et en annoncer un autre.

En effet, même si l’on ne retient pas la proposition de Martyn, il est indéniable que

l’argumentation de 3,1–5,1, se découpe en deux parties. En premier (3,1–4,7), Paul se propose

de montrer que la justification vient de la foi et non de la Loi. Ainsi, ceux qui croient au Christ

sont fils d’Abraham et héritiers selon la promesse. En second (4,8–5,1), Paul montre qu’après

être devenu fils de la promesse, donc libres, se soumettre à la Loi revient à redevenir esclaves.

Autrement dit, d’abord, Paul traite de l’histoire du salut jusqu’à la venue du Christ dans

les croyants, ensuite, il traite du problème d’avoir recours à la Loi après que le Christ est venu.

1.4. Ligne argumentative de 3,1–4,7 :

Suivons le fil du raisonnement de Paul afin de comprendre le sens et la fonction de 4,1-7 :

J. L. MARTYN, Galatians. A New Translation with Introduction and Commentary (AYB 33A; New Haven –
2
4
London 2010) 296.

3
En 3,1-5, Paul part d’un argument d’expérience : les Galates ont reçu l’Esprit-Saint.

En 3,6-14, Paul entend le démontrer par l’exégèse de l’Ecriture.

En 3,15–4,7 : Paul opère un raisonnement logique « κατὰ ἄνθρωπον » en plusieurs étapes :

- 3,15-18 : image du testament (διαθήκη) : les promesses (αἱ ἐπαγγελίαι) ont été faite à la

descendance (au singulier) (σπέρμα) qui est le Christ.

- 3,19-22 : la Loi venue à cause des transgressions jusqu’à la venue de la Descendance

(ἄχρις οὗ ἔλθῃ τὸ σπέρμα) pour que la promesse soit donnée par la foi en/de Jésus-Christ.

- 3,23-25 : application à ceux qui étaient « sous la Loi » (ὑπὸ νόμον), qui agissait comme

un « παιδαγωγὸς » en vue de la manifestation de la foi (εἰς τὴν μέλλουσαν πίστιν) et en vue du

Christ afin que « nous » soyons justifiés par la foi (ἵνα ἐκ πίστεως δικαιωθῶμεν).

- 3,26-28 : unité dans le Christ par le baptême : tous sont fils de Dieu par la foi dans le Christ

(Πάντες γὰρ υἱοὶ θεοῦ ἐστε διὰ τῆς πίστεως ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ)

En 3,29 : conclusion : si (les Galates) sont aux Christ, alors ils sont la descendance (σπέρμα)

d’Abraham et donc héritiers selon la promesse (κατʼ ἐπαγγελίαν κληρονόμοι).

1.5. Structure du passage 4,1-7

Notre passage, introduit par « Λέγω δέ » se veut une explication de tout ce développement.

Les vv. 1-2 et le v. 3, articulés entre eux par la locution « οὕτως καὶ » sont mis en parallèle.

Les v. 1a (ἐφʼ ὅσον χρόνον…) et v. 3b (ὅτε…) introduisent une proposition circonstancielle de

temps. Le mot-clef νήπιος apparaît dans les deux. Le v. 3c, même s’il n’a pas la même construction

(οὐδέν… ἀλλά...) que les vv. 1b-2 reprend en chiasme les éléments lexicaux principaux de ces

versets (δοῦλος (v. 1b) - δουλόω (v. 3c) et ὑπό (vv. 2a et 3c).

A partir du v. 3 la structure est en « tiroir » : au premier niveau, le v. 3b en parallèle avec

les vv. 4-6 (circonstancielle de temps avec ὅτε), au deuxième, les vv. 4-5 en parallèle avec le v. 6

(structure ὅτε / ὅτι δέ + ἐξαπέστειλεν), au troisième, le chiasme des vv. 4c.d et des vv. 5a.b. Ceci

met donc en parallèle des parties d’inégales longueurs avec une emphase sur le chiasme central :

4
I. Temps avant la venue du Fils : v. 3b (ὅτε…)

II. Plénitude des temps : vv. 4-6

1) v. 4a : ὅτε δέ : plénitude des temps - v. 4b : ἐξαπέστειλεν : envoi du Fils

Evènement : A : v. 4c γενόμενον ἐκ γυναικός B : v. 4d γενόμενον ὑπὸ νόμον,

Conséquences : B : v. 5a ἵνα τοὺς ὑπὸ νόμον ἐξαγοράσῃ A : v. 5b ἵνα τὴν υἱοθεσίαν ἀπολάβωμεν

2) v. 6a : Ὅτι δέ : application aux Galates – v. 6b : ἐξαπέστειλεν : envoi de l’Esprit

La locution ὅτι δέ (v. 6b), même si elle n’a pas la même signification3 que ὅτε δέ (v. 4a)

établit un parallélisme, d’autant qu’elle introduit la même phrase « ἐξαπέστειλεν ὁ θεὸς ».

Un parallèle est établi entre : la plénitude des temps v. 4a, et le fait d’être fils pour les

Galates v. 6a, l’envoi du Fils v. 4b et l’envoi de l’Esprit v. 6b, les effets de l’envoi du Fils : la

libération et l’adoption filiale et l’effet de l’envoi de l’Esprit : le cri de l’Esprit : « Abba, Père ! »

Le v. 7, introduit par ὥστε, agit comme conclusion. Il reprend en inclusion les termes

δοῦλος et κληρονόμος du v. 1. Il présente une gradatio : δοῦλος – υἱός – κληρονόμος, qui

résume le développement de 4,1-7 et reformule la conclusion précédente en 3,29.

Il y a, de plus, une correspondance, certes imparfaite, entre la structure chiasmique des

vv. 1b-3 (A : οὐδὲν διαφέρει δούλου – B : ὑπὸ ἐπιτρόπους… καὶ οἰκονόμους – B : ὑπὸ τὰ

στοιχεῖα τοῦ κόσμου – A : ἤμεθα δεδουλωμένοι) et le chiasme des vv. 4-5 (A : ἐκ γυναικός – B :

ὑπὸ νόμον – B : ὑπὸ νόμον – A : υἱοθεσία). L’une exprime le temps avant la venue du Fils,

marqué par l’esclavage et l’autre le temps de sa venue, marqué par la libération et l’adoption.

Nous suggérons donc la structure suivante :

3
La locution ὅτι δέ au v. 6 est soit causale, soit explicative, soit déclarative. Si elle est causale, elle reprend le
résultat de 3,26 (Πάντες γὰρ υἱοὶ θεοῦ ἐστε) et fait de l’envoi de l’Esprit, la conséquence de la filiation. Cela implique, sans
cohérence, que le verbe à l’aoriste ἐξαπέστειλεν soit la conséquence du verbe au présent ἐστε. Si elle est explicative, il est
difficile de savoir de quoi, puisque la proposition introduite par ὅτι ne dépend d’aucune proposition principale. Cependant,
les rares autres occurrences dans le NT présentent une situation similaire (Jn 15,19 ; Ac 13,34). En Ga 3,11, ὅτι δέ ne dépend
pas d’un verbe mais d’un adjectif : δῆλον, qui sous-entend ἔστιν (« il est évident que »). Nous prenons donc le parti pour
un sens déclaratif (« Or, vous êtes des fils ») et de voir la suite (ἐξαπέστειλεν ὁ θεὸς…) comme la preuve de cette déclaration.

5
A. Temps d’avant la venue du Christ : 4,1-3  [3,23-24 : métaphore du παιδαγωγός]

vv. 1-2 : métaphore de la minorité légale

v. 3 : application de la métaphore à « ἡμεῖς » (οὕτως καὶ ἡμεῖς)

B. Accomplissement des temps : 4,4-6  [3,25-26 : libérés du παιδαγωγός et fils]

vv. 4-5 : envoi du Fils (v. 4) et conséquences : rachat et adoption (v. 5)

v. 6 : confirmation du fait d’être fils par l’envoi de l’Esprit Saint

Conclusion : plus esclave mais fils donc héritier : 4,7  [3,29 : descendance d’Abraham / héritiers]

Cela est confirmé par la reprise des éléments principaux du passage précédent de 3,23-29 :

séparation de l’histoire entre « avant » et « après » la venue du Christ, l’image de la soumission à

un personnage juridique, la Loi, la filiation, l’héritage, l’esclavage… Le plan suivi est le même.

Ainsi, notre passage, introduit par « Λέγω δέ » se veut une explication du précédent4.

Des différences notables apparaissent néanmoins. Même si l’on reste dans la métaphore de

la minorité légale, il n’est plus question de παιδαγωγός mais de ἐπίτροποι et de οἰκονόμοι. Au v. 3,

l’application de la métaphore met en parallèle ces rôles juridiques avec les στοιχεῖα τοῦ κόσμου

(« éléments du monde »). Paul désigne-t-il la même situation que ceux qui sont « sous la Loi » (ὑπὸ

νόμον) (vv. 4-5) ? C’est le cas si le pronom ἡμεῖς employé ici désigne ce groupe de personnes.

Au v. 5, Paul associe comme conséquences de la venue du Fils, le rachat de ceux qui sont

sous la Loi et la réception de l’adoption par « ἡμεῖς ». Quel est ce « nous » mentionné ici ? Est-ce

le même qu’au v. 3 ? et que dire de ce même « nous » au v. 6 séparé du v. 5 par un « vous » ? En

3,23-29, ce même changement de personnes se fait de manière plus cohérente (du moins en

apparence), séparant en deux parties l’exposé entre le v. 25 et le v. 26. Cette cohérence manque ici.

Il convient donc d’essayer de comprendre l’emploi des pronoms dans ce passage (partie 2) afin de

mieux comprendre à qui s’applique les métaphores de la minorité légale et de l’adoption (partie 3).

4
Comme le souligne judicieusement G. FEE, Galatians. A Pentecostal Commentary (Pentecostal Commentary
Series; Blandford Forum 2007) 136 : 3,23-29 compare la Loi à un παιδαγωγός et affirme : « vous êtes fils », tandis que
4,1-7 explique ce que cela veut dire et comment cela se produit.

6
2. Qui sont ἡμεῖς et les sujets des verbes à la première personne

L’emploi de la deuxième personne du pluriel ne fait pas trop de difficultés — on suppose

que ce sont les Galates à qui Paul s’adresse — mais l’emploi de la première est ici plus

problématique. Paul parle-t-il de ses « frères de race » (cf. Rm 9,3) et lui-même ? fait-il la distinction

judéo-chrétiens / autres juifs ? parle-t-il seulement de lui et des chrétiens issus de la gentilité ? ou

bien inclut-il tous ces protagonistes ? ou bien même toute l’humanité ? Il convient de parcourir

l’usage du « nous » dans l’épître, avant d’analyser son emploi dans les métaphores de 4,1-7.

2.1. L’usage du « nous » dans l’épître aux Galates

Cette étude n’entend pas résoudre totalement l’énigme que pose l’usage du « nous » par

Paul dans l’épître aux Galates. Il n’est pas toujours possible de trancher. Nous nous proposons

ici de mettre en évidence une évolution dans le contenu du « nous » au cours de la lettre.

Nous devons également garder à l’esprit, que Paul est assez libre dans son usage des

catégories opposées : Juifs de naissance / pécheurs de païens ; œuvres / foi ; sous la Loi / non-

soumis à la Loi, etc. Sans parler de la série d’antithèse qu’il développe dans son « allégorie »

en Ga 4. Il est loin d’être évident que chacun des extrêmes recouvre les mêmes catégories.

Le tableau suivant regroupe les différents antécédents possibles du « nous » :

Paul et ses collaborateurs Paul et les Paul + les Tous les chrétiens Tous les chrétiens à
ou bien « nous » chrétiens de la juifs / judéo- Juifs ou Gentils l’exception de ceux
épistolaire gentilité chrétiens ayant recours à la
Loi
5
Ga 1,8 ; 2,5.9-10 Ga 2,4 Ga 2,15-18 Ga 1,3-5 ; 4,26 Ga 4,28.31 ; 5,5 ;
6,9-10 ; 6,14.18 5,25-26

5
Ga 1,8 : ἡμεῖς ἢ ἄγγελος / εὐηγγελισάμεθα ὑμῖν; 2,5 : εἴξαμεν; 2,9-10 : ἵνα ἡμεῖς εἰς τὰ ἔθνη. Au vu de la
narration du début de la lettre, l’attribution du « nous » à Paul et ses collaborateurs fait peu débat.
Ga 2,4 : ἐλευθερίαν ἡμῶν ἣν ἔχομεν ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ, ἵνα ἡμᾶς. Juste avant Ga 2,4, Paul parle de Tite et de
lui-même, mais il est probable qu’il élargisse à ce moment-là le « nous » à ceux qui sont la cible des « faux-frères » : les
chrétiens de la gentilité, même si en Ga 4,5 il revient à parler de ses collaborateurs et de lui.
Ga 2,15-18 : Ἡμεῖς φύσει Ἰουδαῖοι. C’est le seul vraiment univoque. Puisqu’il s’agit ici d’un débat interne au
christianisme, Paul n’entend pas faire de distinctions entre les Juifs qui suivent le Christ et ceux qui ne le suivent pas,
mais au sein du christianisme entre ceux qui sont issus du judaïsme et ceux qui sont issus de la gentilité.
Ga 1,3-5 : πατρὸς ἡμῶν / ὑπὲρ τῶν ἁμαρτιῶν ἡμῶν / ἐξέληται ἡμᾶς / πατρὸς ἡμῶν ; 6,14.18 se situent dans
des formules introductives et conclusives standards. Comme le souligne R. B. HAYS, « Apocalyptic Poiesis in Galatians.

7
2.2. Cas discutables : Ga 2,16-17 ; 3,13-14 ; 3,23-25 ; 4,3.6 ; 5,16

2.2.1. Ga 2,16-17 : καὶ ἡμεῖς εἰς Χριστὸν Ἰησοῦν ἐπιστεύσαμεν, ἵνα δικαιωθῶμεν

Ce passage vient après Ga 2,15 où le « nous » désigne sans ambiguïté les Juifs ou plus

exactement les judéo-chrétiens. Cependant, ce « nous » intervient également après l’affirmation

générale et universelle du v. 16a (οὐ δικαιοῦται ἄνθρωπος ἐξ ἔργων νόμου) et par ailleurs les

Galates aussi ont cru en Jésus-Christ. L’on pourrait donc penser qu’il s’agit ici d’un « nous »

général englobant également les Galates. Cependant, tout le reste du paragraphe traite de

l’exemple de Paul, qui est mort à la Loi pour vivre à Dieu. Il est donc préférable de voir ici

l’exemple des Juifs qui, ayant cru en Jésus, sont justifiés en raison de cette foi.

2.2.2. Ga 3,23-25 : ὑπὸ νόμον ἐφρουρούμεθα / ὁ νόμος παιδαγωγὸς ἡμῶν γέγονεν /

οὐκέτι ὑπὸ παιδαγωγόν ἐσμεν

Ce passage est d’importance pour notre étude, puisque, comme nous l’avons vu, il est

en parallèle avec les versets qui nous intéressent. Il l’est d’autant plus que le « nous » est corrélé

avec la catégorie des « sous la Loi » (ὑπὸ νόμον) que nous retrouvons en 4,4-5.

Paternity, Passion, and Participation », Galatians and Christian Theology (ed. M. W. ELLIOTT et al.) (Grand Rapids, MI
2014) 200-219 : les introductions de Paul, même si elles répondent aux exigences du genre épistolaire, ne sont jamais
inconsistantes : elles contiennent souvent la tonalité théologique de toute la lettre, qui est ici apocalyptique. Ainsi, même
si Paul reprend des formules traditionnelles, l’on ne peut nier que, derrière le « nous » qu’il utilise ici, se cache le « nous »
de l’Eglise dans sa dimension présente comme future, historique comme eschatologique. Il y a peu de raisons de penser
que Paul restreigne déjà, à ce point du discours, l’extension universelle de ce « nous ».
Ga 4,26 : μήτηρ [παντῶν] ἡμῶν, certains manuscrits ajoutent l’adjectif παντῶν5 ce qui insiste encore plus sur
la dimension universelle de la Jérusalem « d’en haut ». Quoiqu’il en soit, il est improbable que Paul exclue de cette
maternité les judéo-chrétiens, puisqu’il s’inclut lui-même, et il est encore plus improbable qu’il exclue les chrétiens issus
du paganisme, au vu de la conclusion de sa démonstration. Il est cependant notable qu’en 4,28, certains manuscrits ont
Ἡμεῖς à la place de Ὑμεῖς et ἐσμεν à la place de ἐστε, quant au fait d’être enfants d’Isaac.
Ga 6,9-10 : μὴ ἐγκακῶμεν, καιρῷ γὰρ ἰδίῳ θερίσομεν / ἔχομεν, ἐργαζώμεθα τὸ ἀγαθὸν : Paul est entré dans
une partie parénétique sans lien direct avec le débat initial.
Ga 4,28 : Ὑμεῖς [Ἡμεῖς] δέ, ἀδελφοί, κατὰ Ἰσαὰκ ἐπαγγελίας τέκνα ἐστέ [ἐσμεν] / 4,31: οὐκ ἐσμὲν παιδίσκης
τέκνα. D’après 3,28, la différence Juifs / païens est abolie après le baptême et c’est par la foi qu’on hérite des promesses.
Ceux qui sont inclus dans ce « nous » sont donc tous les chrétiens qui veulent recevoir leur justification de la foi.
Ga 5,5 : ἡμεῖς γὰρ πνεύματι ἐκ πίστεως ἐλπίδα δικαιοσύνης ἀπεκδεχόμεθα : Au vu du verset précédent, il est
évident qu’il s’agit des chrétiens qui ne cherchent pas leur justification dans la Loi mais de la foi.
Ga 5,25-26 : Εἰ ζῶμεν πνεύματι, πνεύματι καὶ στοιχῶμεν. μὴ γινώμεθα κενόδοξοι. Puisque nous avons ici une
séquence conditionnelle réelle, il est raisonnable de penser que l’exhortation qui suit la protase s’adresse à ceux qui
vivent effectivement de l’Esprit Saint. Le « nous » renvoie donc à la même catégorie qu’en Ga 5,5.
6
Ga 5,1 : Τῇ ἐλευθερίᾳ ἡμᾶς Χριστὸς ἠλευθέρωσεν, le cas dépend en grande partie de l’interprétation que l’on
aura donné aux « nous » de 4,1-7.

8
Nous prenons en considération l’hypothèse de L. Gaston7, pour qui il s’agit des seuls

Galates auxquels Paul s’associe. La proposition est intéressante, à plusieurs points de vue :

- elle expliquerait l’usage du terme στοιχεῖα (« éléments ») en Ga 4,3 associé avec

le « nous », sachant qu’en 4,9 Paul reproche aux Galates de vouloir retourner à des στοιχεῖα

pauvres et faibles. Il est, en effet, difficile, comme nous le verrons, d’attribuer ce terme à la Loi.

- cette proposition résoudrait aussi les problèmes de cohérence de 3,13-14 et de

4,1-7 où les frontières du « nous » sont floues. En 3,13-14, les Gentils seraient donc libérés en

avec les Juifs de la « malédiction » de la Loi, ce qui leur rend la « bénédiction d’Abraham »

accessible et permet que le « nous » (comprenant Juifs et païens) reçoive la promesse par

l’Esprit. Dans le reste du chapitre 3, le παιδαγωγὸς s’appliquerait donc également aux Gentils,

qui en seraient délivrés avec les Juifs (v. 25). Ainsi, le passage au « vous » au v. 26, pour

indiquer aux Galates qu’ils sont fils, serait plus logiquement relié au v. 25, comme le semble

indiquer la particule γάρ. En 4,1-7, le passage du « nous » au « vous » serait également clarifié.

Le syntagme ὑπὸ νόμον dans la Bible, n’apparait que chez Saint Paul8. Gaston, comme

Hays9 et Martyn10 soutiennent que cette catégorie inclut toute l’humanité. Gaston11, en raison de

la littérature juive des premiers siècles, Hays et Martyn, à cause de la théologie de Paul, où la Loi

serait une réalité cosmique coupant le monde en deux : les fidèles à la Loi et les sans-Loi.

Cependant, l’hypothèse que Paul aurait partagé la vision de l’universalisme de la

soumission à la Loi n’est pas prouvée et il n’y en a pas de mention explicite dans ses lettres.

Certains passages semblent même s’y opposer (cf. 1 Co 9,20). Certains éléments de Ga

indiquent plutôt que, pour Paul, la catégorie « ὑπὸ νόμον » ne comprend pas les Gentils :

7
L. GASTON, « Israel’s Enemies in Pauline theology », NTS 28/3 (1982) 400-423.
8
Rm 6,14.15 ; 1 Co 9,20 ; Ga 3,23 ; 4,4.5.21 ; 5,18.
9
R. B. HAYS, The faith of Jesus Christ. An Investigation of the Narrative Substructure of Galatians 3:1-4:11
(Chico, CA 1983) 117.
10
MARTYN, Galatians, 336.
11
Il s’appuie sur des Midrashim et certains textes intertestamentaires (par ex : IV Esdras) qui présentaient
la Loi comme pesant sur toutes les nations, même si, parmi elles, seul Israël ait réalisé une alliance.

9
- En 4,21, Paul parle des Galates comme « désireux d’être sous la Loi » (οἱ ὑπὸ

νόμον θέλοντες εἶναι), c’est donc qu’ils ne l’étaient pas avant.

- En 3,23, le « nous » correspond à la catégorie « ὑπὸ νόμον », alors que les

vv. 24-25, qui en découlent logiquement (par ὥστε), associent le « nous » à la catégorie « ὑπὸ

παιδαγωγόν ». L’image de la Loi comme παιδαγωγός s’applique difficilement aux nations

païennes, qui justement ne marchaient pas selon la Loi.

Ensuite, même si la solution de Gaston rend le passage du « nous » au « vous » moins

problématique au niveau de ce qui est attribué à aux personnes (la filiation, la libération, les

promesses, la justification…) il pose toujours un problème au niveau logique. Pourquoi Paul ne

garde-t-il pas la même personne, si en bien des endroits ils sont équivalents ? On ne peut pas

supposer a priori que Paul est inconsistant sur l’usage des pronoms, il semble plutôt que le jeu

d’antithèses et de parallèles entre le « nous » et le « vous » fasse partie de sa rhétorique, comme

nous allons le voir en analysant le cas suivant.

2.2.3. Ga 3,13-14 : Χριστὸς ἡμᾶς ἐξηγόρασεν ἐκ τῆς κατάρας τοῦ νόμου γενόμενος

ὑπὲρ ἡμῶν κατάρα

Ces versets sont d’autant plus intéressants qu’ils présentent un parallèle indéniable avec

les vv. 4-5 de notre passage, même si les éléments n’ont pas tout à fait le même ordre, ni la

même fonction logique, comme nous le pouvons voir dans le tableau suivant :
4
ἐξαπέστειλεν ὁ θεὸς τὸν υἱὸν αὐτοῦ,
γενόμενον ἐκ γυναικός, 13b
γενόμενος ὑπὲρ ἡμῶν κατάρα
γενόμενον ὑπὸ νόμον, 13a
Χριστὸς ἡμᾶς ἐξηγόρασεν ἐκ τῆς κατάρας
5 ἵνα τοὺς ὑπὸ νόμον ἐξαγοράσῃ, τοῦ νόμου
ἵνα τὴν υἱοθεσίαν ἀπολάβωμεν. 14
ἵνα εἰς τὰ ἔθνη ἡ εὐλογία τοῦ Ἀβραὰμ γένηται
ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ,
ἵνα τὴν ἐπαγγελίαν τοῦ πνεύματος λάβωμεν
διὰ τῆς πίστεως.

10
J.-N. Aletti12 utilise ce parallèle pour appuyer l’opinion selon laquelle le « nous » de

3,13 désigne seulement les Juifs, dont Paul fait partie. Il nous semble presque plus pertinent de

l’utiliser en sens inverse. En 3,13, le « nous » désigne ceux qui sont sous « la malédiction de la

Loi » (cf. 3,10.13) ce qui est plus précis que d’être simplement « sous la Loi. » Comme le

souligne Aletti, seuls ceux qui sont liés aux œuvres de la Loi encourent le risque de la

malédiction de Dt 27,26 et Paul lui-même en 5,3 les identifie avec ceux qui se font circoncire.

Martyn13, quant à lui, ne partage pas cette opinion, pour trois raisons :

- l’expression ὑπὲρ ἡμῶν (3,13b) a toujours chez Paul la dimension universelle de la

rédemption apportée par la mort du Christ.

- la Loi ayant une dimension cosmique : sa malédiction s’étend à toute l’humanité.

- 3,10-14 est un passage où Paul entend effacer la distinction entre Juifs et païens.

Le premier point est juste, mais dans les autres épîtres où paraît cette expression, il n’y

a pas l’ambiguïté que nous avons ici. Quant au deuxième point, nous avons déjà discuté la

question de la dimension cosmique de la Loi (v. 2.2.2.). Ga 3,10 est clair sur le fait que la

malédiction concerne la catégorie des « ἐξ ἔργων νόμου », qui n’est qu’une partie de

l’humanité. Troisièmement, Martyn fait conclure trop vite Paul, qui a justement besoin de cette

démonstration pour conclure que le « nous » des Juifs rejoint le « nous » des Gentils.

Nous préférons voir avec Aletti que c’est justement la libération des Juifs par le Christ

de la malédiction de la Loi (3,13) qui permet à la bénédiction d’Abraham d’arriver sur les

nations (3,14) et que tous, Juifs et Gentils, puissent recevoir la promesse de l’Esprit-Saint14.

Ainsi, quand Paul déclare en 4,5 : ἵνα τοὺς ὑπὸ νόμον ἐξαγοράσῃ, il suppose 3,13 :

Χριστὸς ἡμᾶς ἐξηγόρασεν ἐκ τῆς κατάρας τοῦ νόμου, où le « nous » désigne clairement les Juifs.

12
J.-N. ALETTI, New Approaches for Interpreting the Letters of Saint Paul. Collected Essays Rhetoric,
Soteriology, Christology, and Ecclesiology (ed. P. M. MEYER) (SubBi 43; Roma 2012) 256.
13
MARTYN, Galatians, 335.
14
Cf. ALETTI, New Approaches, 256 : “Because the Law has at last appeared as incapable of justifying, the
Nations no longer need to believe that it was by becoming its subjects — in other words, by becoming Jews — that one
could receive the justification and the blessings promised to the Patriarch — the substantive υἱοθεσία in Gal 4,5 being
the equivalent of εὐλογία τοῦ Ἀβραάμ in Gal 3,14.”

11
2.3. L’usage du « nous » dans Ga 4,3-6

Nous en venons donc aux pronoms de notre passage. Il apparaît en trois endroits : Ga 4,3

pour l’application de la métaphore de la minorité légale, au v. 5 pour la réception de l’adoption

filiale et au v. 6 pour la venue de l’Esprit-Saint dans les cœurs.

2.3.1. Ga 4,3 : οὕτως καὶ ἡμεῖς, ὅτε ἦμεν νήπιοι, ὑπὸ τὰ στοιχεῖα τοῦ κόσμου ἤμεθα

δεδουλωμένοι

Au v. 3, au vu du parallèle avec Ga 3,23-29 (cf. 2.2.2.), il conviendrait de conclure que

l’image des ἐπίτροποι et οἰκονόμοι au v. 2 soit le prolongement de celle du « pédagogue15 » et

qu’elle soit au v. 3 appliquée aux Juifs, avec lesquels Paul s’inclut dans un même « nous ».

Cependant, étant donnée l’affirmation de l’asservissement aux στοιχεῖα τοῦ κόσμου, l’on

serait tenté d’assimiler ici le « nous » à Paul et aux païens : il serait choquant ou au moins

incompréhensible de comparer la Loi aux éléments du cosmos. En 4,8, d’ailleurs, Paul utilise ce terme

en visant les pratiques païennes. Tout dépend du sens que l’on retient pour le mot-clef στοιχεῖα16.

Pour Martyn17 la reprise du terme en Ga 4,8 pour signifier le « retour » des païens à

l’esclavage des éléments, montre que Paul considère la Loi comme un de ces éléments asservissants

du cosmos – notamment au travers de l’observance scrupuleuse du calendrier liturgique (Ga 4,10).

Même s’il diverge de Betz sur l’interprétation à donner à ces éléments, ils se rejoignent pour dire

que le « nous » désigne la condition du chrétien, Juifs comme Gentils, avant la venue du Christ18.

15
Voir à ce sujet M. RASTOIN, Tarse et Jérusalem. La double culture de l’Apôtre Paul en Galates 3,6-4,7
(AnBib 152; Roma 2003) 234.
16
Sur ce terme, il n’y a pas de consensus. Le BDAG retient quatre possibilités : 1. les quatre éléments
constitutifs de l’univers selon la physique de l’époque, 2. les composants des constellations célestes, 3. les principes
premiers d’une science, 4. les pouvoirs transcendants qui gouvernent le monde. Ce n’est pas le lieu de cette étude de
trancher sur le sens exact de l’expression. La troisième s’exclut de fait à cause du génitif τοῦ κόσμου. Selon Philon, par
exemple, les quatre éléments étaient vénérés comme divinités. Cf. PHILON, Vita Cont. 3. Le même phénomène se vérifie
pour les éléments célestes. Quant aux trois autres, il n’est pas exclu que Paul les confonde sans grande précision ici.
17
MARTYN, Galatians, 393-406.
18
Selon Betz, les éléments asservissants seraient les puissances angéliques de la cosmologie gréco-romaine et
juive de l’époque. Les idolâtres de païens et les juifs observants seraient mis dans la même catégorie, puisque selon Paul,
la Loi aurait été transmise par des anges. (cf. H. D. BETZ, Galatians. A Commentary on Paul’s Letter to the Churches in
Galatia (Hermeneia; Philadelphia, PA 1979) 168-169; 204-205.) Selon Martyn, la Loi entre dans le système d’antithèses
constitutives du cosmos pour Paul, comme la distinction Juif/Gentils, esclave/libre, homme/femme. En ce sens, la Loi
serait un des éléments sous lesquels toute l’humanité était asservie avant le Christ. (cf. MARTYN, Galatians, 405.)

12
Que les préceptes de la Loi puissent être comparés par Paul aux éléments cosmiques, le

parallèle entre Ga 2,19 (ἐγὼ γὰρ διὰ νόμου νόμῳ ἀπέθανον, ἵνα θεῷ ζήσω. Χριστῷ συνεσταύρωμαι)

et Ga 6,14 (Ἐμοὶ δὲ μὴ γένοιτο καυχᾶσθαι εἰ μὴ ἐν τῷ σταυρῷ τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ,

διʼ οὗ ἐμοὶ κόσμος ἐσταύρωται κἀγὼ κόσμῳ) le montre assez bien. Cette conclusion va dans le sens

de N. Martin19. En raison du contexte de la lettre, il propose d’y voir sous la plume de Paul, les

« composants fondamentaux de la vie pré-chrétienne », qu’ils soient juifs, en 4,3 ou bien païens, en

4,820. Même si l’on ne tranche pas entre les propositions de Martyn, Betz ou Martin, il apparaît que

le terme στοιχεῖα τοῦ κόσμου est utilisé par Paul pour les Juifs comme pour les païens. Ceci

n’implique pas que le « nous » en 4,3 soit nécessairement universel. Au contraire, cela sert d’autant

mieux la rhétorique de Paul de ne l’appliquer ici qu’aux Juifs, comme le suggère le parallèle avec

3,23-29, et seulement en 4,8 aux païens.

Ainsi, en 3,23-29 Paul montre que Juifs et païens ne font plus qu’un en Christ par le

baptême. En 4,1-7, il montre que leur situation avant la venue du Christ n’était pas si différente, car

l’enfant « ne diffère pas de l’esclave. » Juifs comme païens étaient asservis « aux éléments du

monde ». Ceux-ci prenaient la forme des observances de la Loi pour les Juifs et de l’idolâtrie pour

les païens. D’où l’exhortation de Paul aux païens de ne pas « retourner sous le joug de l’esclavage ».

2.3.2. Ga 4,5-6 : ἵνα τὴν υἱοθεσίαν ἀπολάβωμεν / εἰς τὰς καρδίας ἡμῶν21 κρᾶζον

Le statut de ces derniers pronoms est différent. De fait, entre les vv. 3 et 5-6 le raisonnement

a progressé. A partir du v. 3, la structure en « tiroir » (cf. 1.5.) met en valeur le chiasme central :

Evènement : A : v. 4c γενόμενον ἐκ γυναικός B : v. 4d γενόμενον ὑπὸ νόμον,

Conséquences : B : v. 5a ἵνα τοὺς ὑπὸ νόμον ἐξαγοράσῃ A : v. 5b ἵνα τὴν υἱοθεσίαν ἀπολάβωμεν

19
N. MARTIN, « Returning to the stoicheia tou kosmou: Enslavement to the Physical Elements in Galatians 4.3
and 9? », JSNT 40/4 (2018) 434-452. Elargissant une étude statistique de J. Blinzer, Martin soutient qu’il est plus juste
de considérer que le terme στοιχεῖον ne signifie pas systématiquement les éléments physiques constitutifs du monde,
mais de façon plus générale « les composants basiques » d’une chose, quelle qu’elle soit. Son sens exact doit donc être
déterminé en fonction du contexte. Cf. Ibidem, 444.
20
MARTIN, « Stoicheia tou kosmou », 449.
21
Certains manuscrits (D2 K L Ψ 33. 81. 365. 630. 1505. 2464 𝔪 vgcl sy bopt21) proposent de lire ὑμῶν. Ceci
est probablement une harmonisation. Le verset ayant commencé au « vous », l’on s’attendrait à ce qu’il continue ainsi.

13
Ce chiasme montre bien le double échange opéré entre le Christ et les hommes, comme

nous l’avions vu pour le chiasme de 3,13-14. Puisque le fait d’être « sous la Loi » ne concerne que

les Juifs, ils sont seuls concernés ici par le rachat du Christ qui naît « sous la Loi ». En revanche, le

fait d’être né d’une femme concerne tous les humains. C’est donc que l’adoption les concerne tous.

Ainsi, le v. 6a (Ὅτι δέ ἐστε υἱοί) confirme aux Galates leur inclusion dans le « nous » qui a reçu de

l’adoption, car, comme démontré en 3,26, eux aussi sont fils. Le pronom ἡμῶν du v. 6b comprend

donc sans distinction les chrétiens, d’origine juive comme païenne. Il est aussi possible qu’ici Paul

utilise une formule liturgique antique (avec un « nous » générique) mais cela reste à prouver.

2.4. Conclusion

Ainsi le « nous » du v. 3, auquel est appliqué la métaphore de la minorité, désigne les

« ὑπὸ νόμον » du v. 4, c’est-à-dire les Juifs. Tandis que le sujet de ἀπολάβωμεν au v. 5 désigne

les chrétiens de toutes origines, en qui l’Esprit crie en deux langues au v. 6 : « αββα ὁ πατήρ ».

3. Les métaphores de la minorité et de l’adoption en lien avec l’héritage.

Une fois l’antécédent des pronoms « nous » identifiés, l’on comprend mieux l’usage des

métaphores qu’utilise Paul dans notre passage. Il reste donc à éclaircir comment Paul applique

ces métaphores aux différents protagonistes de sa lettre.

3.1. L’héritage et l’esclavage : points de jonction des deux métaphores

Comme noté en introduction, la notion d’héritier introduit et conclut notre péricope. Les

mots κληρονόμος et δοῦλος forment d’ailleurs une sorte de chiasme si l’on compare le v. 1 et le v.

7, si bien que l’on comprend qu’il y a un passage de la notion d’esclavage à celle d’héritage. Ce

sont bien ces deux notions elles-mêmes métaphoriques qui relient nos deux métaphores principales.

3.1.1. κληρονόμος

Le κληρονόμος, en effet, désigne l’héritier naturel ou légalement désigné.

14
La question est de savoir si la métaphore tire son fond du droit grec ou romain ou bien de la

tradition biblique. Dans la loi romaine, la liberté testamentaire était totale, alors que dans les droits

égyptien, grec, hellénistique et judaïque, les héritiers étaient eo ipso les enfants naturels, à moins

que le propriétaire de l’héritage n’en décide autrement. Si l'héritier désigné n'était pas un enfant

naturel, l'acte de υἱοθεσία (adoptio) établissait la personne comme κληρονόμος (heres)22. L'héritage

pouvait s'entendre des biens matériels comme des biens moraux23.

On ne retrouve le terme que 8 fois chez Paul, dont une seule occurrence hors Rm et Ga

(Tt 3,7). En Rm 4,13.14 comme en Ga 3,29, l’héritage est lié à la promesse abrahamique. Même si

le terme « héritier » est rare dans la Septante, on y retrouve sa racine 586 fois, principalement sous

la forme du verbe κληρονομέω ou des substantifs κληρονομία et κλῆρος. C’est donc un terme clef

de la théologie du peuple dans la Torah : l’héritage consiste principalement en la terre, garantie par

des promesses24. Le terme de κληρονόμος s’applique donc aisément au peuple élu que toute la

Torah proclame héritier, mais mal aux Galates, qui, en droit judaïque, ne peuvent ni hériter, ni être

rattachés à l’héritage25. Pour hériter il faut donc qu’ils soient fils. Le passage précédent l’affirme,

notre passage le confirme à travers des métaphores légales. Ainsi, le seul terme κληρονόμος

implique une double référence, à la fois à l’héritage abrahamique et au droit gréco-romain.

3.1.2. δοῦλος

Le mot δοῦλος est un leitmotiv de la lettre aux Galates. Pourtant, sur les 12 occurrences de

la racine, 6 se trouvent entre 3,28 et 4,9 et 3 dans notre passage.

22
Cf. W. FOERSTER, « κληρονόμος », TDNT, 769.
23
Cf. PLUTARQUE, Vita Ciceronis, 41.3.
24
La racine revient beaucoup en Gn 15,3.4.7.8 lors de la promesse faite à Abraham, renouvelée en Gn 22,17,
et a pour objet la Terre Promise. (voir aussi Gn 28,4 et Ex 6,8). Ex 23,30 ; Lv 20,24 ; Nb 14,24.31 et abondamment en
Nb 26–36, le terme est lié au partage de la terre, selon la promesse faite au peuple. La condition est cependant
l’observance de la Loi (cf. Lv 20,24). Le Dt est le livre où le verbe κληρονομέω revient le plus. Il s’agit principalement
de la Terre comme l’héritage du peuple (à l’exception des lévites dont le Seigneur est la part d’héritage cf. Dt 18,2) et la
condition pour en hériter et la conserver est aussi l’observance des commandements (cf. Dt 4,1.26 ; 5,33 ; 6,18 ; 8,1 ;
11,8 ; 16,20 ; 30,18) Cependant, Dt 9,4-6 invite à reconnaitre que ce n’est pas en fonction de la justice du peuple que la
terre est donnée en héritage. La Loi elle-même est présentée comme un héritage (cf. Dt 33,4).
25
Contrairement au monde gréco-romain les successions non-naturelles ne s’y règlent pas par l’adoption mais
par rachat par le plus proche parent (ἀγχιστεύω) selon la loi du lévirat (cf. Lv 25,25 ; Nb 5,8 ; 36,8 ; Rt 3,13 ; 4,4-6).

15
Cela veut dire qu’avant notre passage, Paul n’a pas utilisé la métaphore de l’asservissement

si ce n’est pour se présenter lui-même comme esclave du Christ en 1,10 ou pour parler de

l’entreprise des « faux-frères » en 2,10. Dans tout Ga 3, Paul a préféré parler de soumission (ὑπό)

ou de captivité (συγκλείω, φρουρέω). Ici, il franchit un pas de plus en comparant l’état du Juif sous

la Loi à un esclavage. Ceci ne peut pas ne pas faire écho à l’esclavage en Egypte, comme le

soulignent ceux qui contestent l’interprétation traditionnelle de ces métaphores comme tirées du

droit gréco-romain. A ce titre, James Scott met en avant plusieurs points qui rappellent l’Exode

dans notre passage26. Malheureusement, il force trop le trait en excluant l’interprétation juridique

de la métaphore27, en raison de la force des allusions à l’Exode. Je souscris à la critique qu’en fait

Goodrich28. Selon lui, les arguments de Scott pour identifier les ἐπίτροποι et οἰκονόμοι aux contre-

maîtres égyptiens sont trop faibles pour que ces allusions soient le sens premier voulu par Paul29.

La métaphore à retenir est donc bien celle de la minorité légale, même si, Goodrich s’appuie sur un

unique parallèle pour le prouver30. Selon moi, l’usage métaphorique de la minorité n’empêche Paul

de faire allusion en passant à l’Exode, principalement à cause de la notion d’esclavage en Egypte

qui est paradigmatique31. Nous aurions donc ici, l’anti-type de la libération des hébreux en Egypte.

26
Cf. J. M. SCOTT, Adoption as Sons of God. An Exegetical Investigation into the Background of Yiothesia in
the Pauline Corpus (1992) 129-150. Le νήπιος, happax de la LXX en Os 11,1, fait référence au temps en Egypte (Ibidem,
129-130). Les ἐπίτροποι et οἰκονόμοι feraient penser aux contre-maîtres égyptiens (Ibidem, 135-139). La προθεσμία
serait les 400 ans en Egypte fixés par Dieu en Gn 15,13 (Ibidem, 140-143). L’υἱοθεσία évoquerait l’adoption par Dieu
du peuple après l’Exode, (cf. Os 11,1) et les attributs d’Israël listés par Paul en Rm 9,4 (Ibidem, 148-149).
27
Il affirme par exemple que, contrairement à ἀφῆλιξ, νήπιος n’est pas le terme technique pour un mineur. (cf.
SCOTT, Adoption as Sons, 129.) Or, Paul n’écrit pas ici un traité juridique, et n’est donc pas tenu à une rigueur
terminologique tant que l’on comprend qu’il s’agit du cadre légal de la minorité. De plus, certains papyri juridiques de
cette époque contiennent le terme νήπιος. cf. R. POPA, « Inheriting God: Paul’s Language of Guardianship and Adoption
in Light of the Documentary Papyri (Gal 4,1-7) », Biblica 104/2 (2023) 274-293.
28
J. K. GOODRICH, « As Long as the Heir is a Child: The Rhetoric of Inheritance in Galatians 4:1-2 and P.Ryl.
2.153 », NT 55/1 (2013) 61-76.
29
GOODRICH, « Rhetoric of Inheritance », 64-67.
30
C’est le P.Ryl. 2.153, testament de l’Egypte romaine (II ap. J.-C.) avec de grandes similarités textuelles avec
Ga 4,1-2. Popa, qui va dans ce sens, enrichit le corpus des preuves (cf. POPA, « Inheriting God », 277-284).
31
Cf. Gn 15,13-14 ; Ex 14,5.12 : même verbe δουλόω que Ga 4,5.8 pour servir en Egypte ; Ex 1,14 ; 6,5 : le
même verbe καταδουλόω utilisé en Ga 2,4 ; cf. Ex 6,6 ; 13,3.14 ; 20,2 ; Lv 26,45 ; Dt 5,6 ; 6,12 ; 7,8 ; 8,14 ; 13,5.10 ;
Esd 19,17 ; Mi 6,4 ; Jr 41,13 : la servitude δουλ(ε)ία, comme en Ga 4,24 ; 5,1 ; et enfin, mais plus rare : Lv 26,13 ; 1 S
2,27 (LXX) ; Jdt 5,11 le terme de δοῦλος. Les occurrences de la racine pour désigner l’asservissement à d’autres peuples
se trouvent aussi en Jg, 1-2 R ou 1-2 Ch, mais sont anecdotiques. En Esd 9,9 ; 19,36, Est 7,4 ; Jdt 7,27 ; 8,22.23 : il est
question de l’esclavage sous l’ère perse, mais il est mis en parallèle avec celui de l’Egypte (Esd 19,35 ; Jdt 5,11) En Is
14,3 ; Jr 5,19 ; 15,14 ; Ba 1,12 ; Lm 1,3 il est question de l’esclavage lors de l’exil à Babylone, mais ce n’est pas pour
revenir sur un évènement passé connu de tous mais pour le prédire.

16
Pourtant, ce n’est qu’en Ga que se trouve l’asservissement à la Loi et à ses promoteurs32.

Quand Paul utilise le terme de manière métaphorique, c’est pour parler de l’asservissement soit au

péché, ἁμαρτία33, soit à Dieu34, avec une nécessaire libération pour passer de l’un à l’autre.

Est-ce à ce rachat que Paul fait référence par l’usage du verbe ἐξαγοράζω en 4,5 comme en

3,13 ? ou bien s’agit-il d’une référence à la libération du peuple en Egypte ? La question est dure à

trancher. Il n’y a pas d’autres emplois bibliques de ce verbe35, qui n’est pas choisi par la LXX pour

traduire le verbe ‫ גאל‬en hébreu36. Dans la littérature grecque, il désigne le rachat d’un bien

appartenant à un autre particulier et notamment d’esclaves37. C’est donc plus probablement au

rachat de l’esclave pour l’affranchir auquel le verbe ἐξαγοράζω fait référence38, sans pour autant

exclure un arrière-fond exodique. L’on retrouve d’ailleurs le verbe simple ἀγοράζω39 (acheter) en

1 Co 6,20 et 7,23, où il est question de l’affranchissement opéré par le Seigneur40.

Or, c’est l’objet de la démonstration de Paul : il y a pour les Juifs et pour les païens un

changement de domination. Pour les Juifs il s’agit de la domination de la Loi (ὑπὸ νόμον),

comparée à un pédagogue (3,24-25) ou aux tuteurs et curateurs de l’enfant (4,2), et assimilée aux

éléments du monde. Pour les païens il s’agit des dieux qui n’en sont pas, ces « éléments pauvres et

faibles » (4,8-9). Les deux étaient cependant enfermés par l’Ecriture sous la commune captivité du

péché (3,22). Le prix du rachat, c’est le Christ lui-même (2,22 et 3,13), qui « s’est livré pour nos

péchés afin de nous arracher à ce présent monde de mal. » (1,4)

32
Ga 2,4 ; 4,24 ; 5,1. En mettant de côté les cas litigieux de Ga 4,1-7 et de 1 Co 7,23 ; 2 Co 11,20.
33
Ou de l’impureté ἀκαθαρσία ou de la corruption φθορά ou des idoles ou de toutes sortes de passions : Rm
6,6; 6,16-22; 7,25; 8,21; 16,18 ; Ga 4,8 ; 1 Th 1,9.
34
Ou au Christ, à l’évangile, au Seigneur, à sa loi ou justice : Rm 1,1; 6,18; 7,25; 12,11; 14,18; 16,18; 1 Co
7,22 ; Ga 1,10 ; Ep 6,6.7 ; Ph 1,1; 2,22 ; Col 1,7 ; 3,24 ; 4,7.12 ; 1 Th 1,9 et aux croyants : 1 Co 9,19; 2 Co 4,5 ; Ga 5,13.
35
Si ce n’est à la voix moyenne, avec le sens de « gagner du temps. »
36
Traduit plutôt par ῥύομαι (12 fois) (Gn 48,16 ; Ex 6,6 ; Is 44,6 ; 63,16… ) ou par λυτρόω (45 fois) (Ex 15,13 ;
Lv 25,25.30.33.48.49 ; Is 35,9; 41,14; 43,1; Jr 50,34 ; Os 13,14 ; Ps 69,19 ; 72,14 ; 103,4 ; 119,154 ; Pr 23,11 ; La 3,58)
ou encore ἀγχιστεύω dans le sens très précis d’être celui qui a le droit de rachat (27 fois) (Lv 25,25.26 ; Dt 19,6 ; Rt
2,20) et plus rarement ἐξαιρέω (2 fois) (Is 60,16 ; Jr 31,11) ou ἐκλύω (Job 19,25).
37
DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique, XXXVI, 1. , avec parfois un délai de paiement (προθεσμία).
38
Voir aussi B. KAHL, Galatians Re-Imagined. Reading With the Eyes of the Vanquished (Paul in Critical
Contexts; Minneapolis, MN 2010) 169-204. Elle y voit une référence à l'assujettissement de la Galatie à l’empire.
39
« τιμῆς ἠγοράσθητε » : « vous avez été achetés à prix d’argent. »
40
« L’esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur. De même, celui qui a été appelé
étant libre est un esclave du Christ. Quelqu’un a payé le prix de votre rachat : ne devenez pas esclaves des hommes. »

17
3.2. Minorité : lien avec le droit grec et le droit romain

Comme nous l’avons donc montré la métaphore de la minorité légale s’applique ici aux

Juifs, bien qu’elle soit tirée principalement du droit gréco-romain41. De plus, comme le montre

assez bien J. S. Callaway42, l’image de l’héritier soumis à l’autorité d’esclaves jusqu’au moment

fixé par son père, faisait partie des lieux communs de la littérature grecque. Il y avait pourtant des

délais légaux pour la puberté et la majorité, mais comme le souligne Martyn43, Paul choisit de ne

pas conclure sa métaphore par l’arrivée à l’âge de la maturité mais par un délai fixé souverainement

par le père : la προθεσμία (4,2), qui correspond à la plénitude des temps (v. 4).

Prolongeant celle du pédagogue de 3,23-25, la métaphore s’applique parfaitement au peuple

élu44 : il était déjà « κύριος πάντων », puisqu’issu de la race d’Abraham héritière des promesses,

mais il ne pouvait entrer en possession de ces promesses avant la προθεσμία du père, qui le libère

des gardiens. Cette même métaphore est appliquée ensuite aux Galates en 4,8. Après avoir montré

en 3,26-28, que l’état des Juifs et des païens ne différait pas dans la foi au Christ, Paul montre ici

que l’état initial des uns comme des autres ne différait pas non plus.

3.3. Adoption : juste pour les païens ?

La métaphore de l’adoption est bien moins développée que celle de la minorité. Elle n’est

même pas développée du tout, et suppose que le lecteur fasse de lui-même le lien entre cette notion

juridique et le rachat apporté par le Christ. Quasi-absente du droit judaïque, il est difficile de savoir

si Paul fait ici référence au droit romain ou grec.45.

41
On retrouve les ἐπίτροποι et οἰκονόμοι notamment dans les PLATON, Lois XI, 922a-924a. L’ἐπίτροπος
pourrait correspondre au tutor romain, qui assurait la tutelle de l’enfant jusqu’à sa puberté, et pouvait être appointé par
voie testamentaire. L’οἰκονόμος pourrait correspondre au curator romain, qui assurait la gestion des biens du pubère
jusqu’à sa majorité. (cf. GAIUS, Institutes, 1,143-145.198-200.) La différence d’avec les grecs est que les tuteurs et
curateurs étaient des hommes libres et pas plusieurs pour le même enfant (cf. RASTOIN, Tarse et Jérusalem, 238.)
42
J. S. CALLAWAY, « Paul’s Letter to the Galatians and Plato’s Lysis », JBL 67 (1948) 353-355.
43
MARTYN, Galatians, 389.
44
Rastoin montre comment elle pouvait aussi faire écho à une manière, dans la culture juive hellénistique, de
considérer le rôle de Moïse (cf. PHILON, De Vita Mosis, 1.113.5.) cf. RASTOIN, Tarse et Jérusalem, 240-241.
45
Dans le droit grec, en effet, le citoyen ne pouvait adopter s’il avait des héritiers vivants (Cf. DEMOSTHENE,
Orationes, XLI–XLIX, 46.14.) alors que c’était monnaie courante dans le droit romain. Le droit romain avait deux
catégories d'adoption : l'adrogatio et l'adoptio. La première pour adopter un fils qui était déjà émancipé, l’autre pour

18
La métaphore de l’adoption, se comprend bien pour les païens : puisque que les Galates

appartiennent au Christ, qui est la Descendance d’Abraham, ils sont de la descendance d’Abraham,

et donc héritiers selon la promesse (cf. 3,29). Elle est plus étrange cependant pour les Juifs puisqu’ils

étaient déjà considérés comme fils. (cf. Ex 4,22 ; Dt 8,5 ; Os 11,1 et Rm 9) Certains textes

intertestamentaires présentent également Abraham comme le premier adopté46. De plus, la

métaphore de la minorité appliquée aux Juifs semble être en contradiction avec celle de l’adoption.

Il serait possible de l’expliquer par un glissement qu’opère Paul entre les deux métaphores.

Il passerait de la métaphore de la minorité à celle de l’émancipation et de là à l’adoption. La

cérémonie d’émancipation comme celle d’adoption prenait la forme d’une triple vente fictive47. Le

procédé de mancipatio était le même que pour le rachat d’esclave48. C’est donc probablement en

cela que le verbe ἐξαγοράζω peut également convenir aux Juifs.

Mais cela n’explique pas le glissement lui-même. C’est ici que je rejoins Scott, qui

rapproche notre passage des prophètes et de la tradition interprétative de 2 S 7,1449. Les textes

prophétiques parlent en effet d’un lien de filiation encore à établir50 dans des temps messianiques.

Or, c’est justement l’avis de Paul en 3,16, quand il parle d’une promesse faite à la

descendance d’Abraham, au singulier et non au pluriel. Certes, le peuple Juif, par descendance

naturelle, était déjà détenteur des promesses faites à Abraham, mais avant le temps fixé par le père,

adopter un fils qui était sous la potestas d'un autre paterfamilias. Cf. E. M. HEIM, Adoption in Galatians and Romans.
Contemporary Metaphor Theories and the Pauline huiothesia Metaphors (BibInt 153; Leiden - Boston 2017) 141.
46
A propos de Gn 18,17 : PHILON, De Sobrietate, 56 : « Celui qui a l’héritage (ὁ δὲ ἐχων τὸν κλῆρον τοῦτον)
est passé au-delà des frontières de l’humaine félicité. Lui seul est bien-né, puisqu’il a été comme ayant Dieu pour père
(θεὸν ἐπιγεγραμμένος πατέρα) et qu’il est devenu pour lui fils unique adopté (γεγονὼς εἰσποίετος αὐτῷ μόνος υἰός). »
47
En raison de la loi dite des « XII tables » : « Si pater ter filium venum duit a patre fliius liber esto. » cf. GAIUS,
Institutes, 1,132. Pour l’adoption, l’enfant mâle était ainsi retiré puis rendu deux fois à l’autorité parentale, puis retiré
une troisième fois, sans être rendu au père. C’est alors l’adoptant qui le réclamait. cf. Ibidem, 134. « Et in filio quidem,
si in adoptionem datur, tres mancipationes et duae intercedentes manumissiones proinde fiunt. »
48
GAIUS, Institutes, 1,117. « Omnes igitur liberorum personae, […], quae in potestate parentis sunt, mancipari
ab hoc eodem modo possunt, quo etiam servi mancipari possunt. »
49
SCOTT, Adoption as Sons, 174-185.
50
Cf. Os 1,10 ou Jr 3,19 ou 31,9, par exemple, ou l’interprétation par la tradition juive intertestamentaire qui
reprend de manière collective ce qui était dit au singulier pour David en 2 S 7,14 ; 2 Ch 17,13 ; 22,10, comme appliqué
au Messie (4QFlor 7,14) ou à Israël (Jub 1,24) ou aux deux (T. Jud. 24,3). Intéressante est la synthèse que fait Jubilés,
1,24-25 : « Et je serai pour eux un père et ils seront pour moi des fils et ils seront tous appelés fils du Dieu vivant »
retrouvée en partie en 2 Co 6,18 : « Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur
tout-puissant. » Voir à ce propos SCOTT, Adoption as Sons, 107-109 ou bien : RASTOIN, Tarse et Jérusalem, 250-251.

19
c’est-à-dire la plénitude des temps messianiques, il ne pouvait jouir de l’héritage, car la plénitude

de la filiation se reçoit, pour les Juifs comme pour les païens, dans le Fils par excellence. Leur

filiation naturelle, en quelque sorte ne trouve sa maturité que dans leur filiation adoptive en Christ.

Ceci rejoint la prévalence de l’adoption sur la filiation naturelle dans le droit grec comme romain51.

Cependant, même si elle est de moindre importance, la filiation naturelle ne perd pas toutes

ses prérogatives. Certains textes montrent que l’on pouvait hériter également de son père naturel52

même si, à l’époque de Paul, dans le droit romain, l’adopté perdait théoriquement ses droits de

succession naturelle53. Voilà qui confirme ce que proclame Paul en Ga 6,15 : « Car, ce qui importe,

ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais la nouvelle création. » D’une certaine manière,

la première filiation des Juifs, selon la chair, est comme accomplie dans la seconde, selon l’Esprit

qui crie dans les cœurs (en hébreu et en grec) : αββα ὁ πατήρ.

Conclusion

Au vu des parallèles de notre passage avec Ga 3,13-14 et 23-29, il est apparu que la métaphore

de la minorité légale s’appliquait aux Juifs, dont la libération de la tutelle (et de la malédiction) de la

Loi était la condition sine qua non de l’accession des païens aux promesses faites à Abraham, c’est-

à-dire la réception de l’Esprit-Saint (3,14). Notre passage de 4,1-7 arrive donc comme le sommet

d’une longue démonstration qui permet à Paul de montrer comment Juifs comme païens passent d’un

état d’esclavage à la réception de l’héritage dans une commune adoption. Elle s’opère par l’échange

réalisé par le Fils, qui nait sous la Loi, pour racheter ceux qui était sous la Loi (les Juifs), et qui prend

une maternité humaine pour nous (Juifs comme païens) donner l’adoption divine. En juif hellénisé et

citoyen romain, Paul puise ici, pour l’exprimer, dans les outils du droit gréco-romain ainsi que dans

la tradition juive d’interprétation de la Torah.

51
En effet, comme le note HEIM, Adoption in Gal & Rom, 120 : des études sur les inscriptions funéraires ont
mis en évidence cette prévalence. Le père adoptif était indiqué en premier et c’est le père naturel qui était distingué par
la locution « φύσει δὲ » que l’on retrouve justement en Ga 2,15 (Ἡμεῖς φύσει Ἰουδαῖοι).
52
DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique, XXXI, 27. Cite l’exemple de Publius Scipion fils naturel
d’Aemilius (κατὰ φύσιν υἱός) et adopté par Scipion (fils de l’Africain) (δοθεὶς δὲ εἰς υἱοθεσίαν) qui hérite de son père
naturel en même temps que le fils adoptif de ce dernier, Fabius, à qui il cède sa part (τὴ ἰδία μερὶς τῆς κληρονομίας).
53
GAIUS, Institutes, 3,19.29.31.

20
Bibliographie

ALETTI, J.-N., New Approaches for Interpreting the Letters of Saint Paul. Collected Essays

Rhetoric, Soteriology, Christology, and Ecclesiology (ed. P. M. MEYER) (SubBi 43; Roma

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––––, The faith of Jesus Christ. An Investigation of the Narrative Substructure of Galatians 3:1-

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HEIM, E. M., Adoption in Galatians and Romans. Contemporary Metaphor Theories and the

Pauline huiothesia Metaphors (BibInt 153; Leiden - Boston 2017).

21
KAHL, B., Galatians Re-Imagined. Reading With the Eyes of the Vanquished (Paul in Critical

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RASTOIN, M., Tarse et Jérusalem. La double culture de l’Apôtre Paul en Galates 3,6-4,7 (AnBib

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SCOTT, J. M., Adoption as Sons of God. An Exegetical Investigation into the Background of

Yiothesia in the Pauline Corpus (1992).

XENOPHON, Cyropédie VIII.

Jubilés.

22
Sommaire

Introduction .................................................................................................................... 1

1. Traduction, Délimitation et Structure................................................................... 1

1.1. Traduction ......................................................................................................... 1

1.2. Délimitation du passage.................................................................................... 2

1.3. Contexte du passage ......................................................................................... 3

1.4. Ligne argumentative de 3,1–4,7 : ....................................................................... 3

1.5. Structure du passage 4,1-7 ................................................................................. 4

2. Qui sont ἡμεῖς et les sujets des verbes à la première personne ............................ 7

2.1. L’usage du « nous » dans l’épître aux Galates ................................................. 7

2.2. Cas discutables : Ga 2,16-17 ; 3,13-14 ; 3,23-25 ; 4,3.6 ; 5,1 ............................. 8

2.3. L’usage du « nous » dans Ga 4,3-6 ................................................................ 12

2.4. Conclusion ...................................................................................................... 14

3. Les métaphores de la minorité et de l’adoption en lien avec l’héritage........................ 14

3.1. L’héritage et l’esclavage : points de jonction des deux métaphores ................... 14

3.2. Minorité : lien avec le droit grec et le droit romain ........................................... 18

3.3. Adoption : juste pour les païens ? ..................................................................... 18

Conclusion..................................................................................................................... 20

Bibliographie ................................................................................................................ 21

Sommaire...................................................................................................................... 23

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