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Christian GUILLEMET
Mots clés :
Abstract :
How does the prison teacher contribute to the rehabilitation of people who have been in
school for about 20 hours? For this research, I was based on the psychological profiles of
the inmates. The means of action for this social inclusion are the increase of self-esteem,
the strengthening of social competence and social inclusion. I followed an ethnographic
approach whose analysis of the collected data allows to bet that a valorization of the
identity associated to a pedagogy of the particular needs can contribute to a successful
rehabilitation.
Keywords :
« La prison ; c’est l’image d’une société qui se défend contre celui qui n’a pas joué son jeu,
qui n’a pas respecté ses normes. Pour ce, la prison a son arsenal d’exigences, de contraintes,
de forces : privation de liberté, règles, codes, lois, disciplines (…)
L’école, c’est le savoir, le savoir-faire, le savoir-être au service de la personne humaine. Raison
ou raisonnement, expression de soi ; droit à penser, rêver, inventer, créer ; droit au plaisir, à la
réalisation du moi par la poésie, la lecture ; la musique, l’art, les sciences.
Société et personne ; nous sommes au cœur de la contradiction dans laquelle se débat l’école,
à savoir : aider l’être à s’accomplir et le préparer à entrer dans la société ; Homme libre et
Homme d’une société : l’antinomie éclate en prison mieux que partout ailleurs ».
Introduction..................................................................................................................... 1
Quelques semaines plus tard un dialogue avec un élève1 que j’ai retranscrit m’a
brutalement fait prendre conscience que le moment singulier de l’activité Ecole pouvait
prendre une dimension symbolique extraordinaire aux yeux de ces personnes.
Nous étions là exactement dans ce que Charles GARDOU (2016 p. 75) appelle « ce déni
de reconnaissance, cette indifférence et ce mépris qui deviennent alors un véritable
chevalet de torture. »
Comment pouvais-je contribuer à construire une inclusion sociale pour ces hommes mis
à l’écart de la société le temps de leur peine ?
La violence des mots traduisait l’image de lui-même que la prison renvoyait à cet
homme et on peut penser qu’elle ne contribue pas à une estime de soi équilibrée. Ce
ressenti exprimé, me semble être celui de beaucoup de mes élèves. En effet malgré leurs
singularités et leurs parcours spécifiques, ils partagent beaucoup de caractéristiques : ils
1
Elève sera utilisé dans ce mémoire au sens de sujet qui s’engage dans un processus d’apprentissage
selon les normes et les attentes scolaires, acceptant ainsi d’adhérer au mode de fonctionnement d’une
communauté spécifique qui a ses propres règles et symboles (Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, novembre
2014)
1
sont tous privés de liberté pour un temps, ils sont souvent en difficulté en français et en
mathématiques et ont majoritairement un parcours scolaire douloureux et/ou écourté. Le
simple fait de venir à l’école est un acte qui leur est difficile car ils y exposent alors leurs
fragilités et se mettent ainsi en danger.
Mais alors comment rendre les élèves à la fois disponibles et engagés dans les
apprentissages ? Dans quelle mesure l’enseignant peut-il contribuer à l’inclusion sociale
et favoriser la réinsertion des détenus ? Quelles stratégies pédagogiques mettre en place
pour que les apprentissages soient des éléments essentiels permettant la restauration de
l’estime de soi, de la dignité de la personne incarcérée, que ce soit à ses propres yeux qu’à
ceux de la société ?
Comment faire pour que l’école devienne un lieu et un moment qui favorise
l’élévation de l’estime de soi ? Quelles stratégies pédagogiques mettre en place pour que
les apprentissages soient des éléments essentiels à la restauration de l’estime de soi, de la
dignité de la personne incarcérée, autant à ses propres yeux qu’à ceux de la société ? Quel
est l’intérêt pédagogique d’une estime de soi affirmée ? Comment la favoriser ?
L’école peut-elle alors contribuer à la réinsertion de ces personnes et rendre ainsi
possible leur inclusion sociale ?
2
nécessite-t-il de mettre en place des actions spécifiques permettant à chaque détenu de
devenir un élève en une vingtaine d’heures ? Et au-delà, quel est l’intérêt pour le détenu
lui-même à devenir un élève ? Comment, « remettre en route la machine à penser […] »
S. BOIMARE (2016, p XI) dans ce contexte si particulier ?
Dans un premier temps, nous décrirons le contexte et observerons les textes officiels.
Ensuite, nous présenterons une revue de littérature dans laquelle nous interrogerons des
éléments de réponses proposés par des auteurs. Puis, nous donnerons le cadre
méthodologique de la recherche dont sont issues les analyses. Nous présenterons les
résultats que nous discuterons. Enfin, nous chercherons en quoi l’école en prison peut
constituer un facteur contribuant à la réinsertion et à l’inclusion sociale.
Elle doit aussi favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations
et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des
Nations Unies pour le maintien de la paix.
Cependant il n’est pas encore question de l’enseignement en prison. Pour cela il faudra
attendre une dizaine d’années avec les articles relatifs à l’enseignement du Code de
procédure pénale en 1958.
3
1.1.2 Le Code de procédure pénale de 1958
Ce recueil regroupe les lois relatives à la procédure pénale définies par la France en
1958.
L’article D 450 du code de procédure pénale fixe comme objectif à l’école en prison
de contribuer à la réinsertion et précise que les détenus doivent y acquérir ou développer
les connaissances qui leur seront nécessaires après leur libération en vue d’une meilleure
adaptation sociale. Il précise également les conditions de scolarisation et les publics
prioritaires de l’école « Toutes facilités doivent être données aux détenus aptes à profiter
d’un enseignement scolaire et professionnel et en particulier, aux plus jeunes et moins
instruits. » L’article D 452 déclare en outre que l’enseignement primaire est assuré dans
tous les établissements pénitentiaires et que les condamnés qui ne savent pas lire, écrire
ou calculer couramment doivent bénéficier de cet enseignement et que les autres détenus
peuvent être admis sur leur demande. Enfin, des cours spéciaux sont organisés pour les
illettrés ainsi que pour ceux qui ne parlent ni n’écrivent la langue française. L’article D
455 indique que les détenus qui suivent un enseignement sont admis à subir les épreuves
des examens qui le sanctionnent lorsque le service de l’enseignement estime leur
préparation suffisante.
Les règles pénitentiaires européennes ont été adoptées par la France et l’ensemble
des membres du Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006.
La règle 6 des règles pénitentiaires européennes stipule que chaque détention doit
être gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées
de liberté. Elle reconnaît ainsi que les détenus, condamnés ou non, retourneront un jour
vivre dans la société libre et que la vie en prison doit être organisée de façon à tenir
compte de ce fait, qu’ils doivent avoir la possibilité de travailler ou d’étudier.
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Elles imposent à toutes les prisons de s’efforcer de donner accès à tous les détenus
à des programmes d’enseignement qui soient aussi complets que possible et qui répondent
à leurs besoins individuels tout en tenant compte de leurs aspirations. (règle 28.1)
Les règles 28.2 et 28.3 indiquent quant à elles les publics cibles en donnant la
priorité aux détenus qui ne savent pas lire ou compter et à ceux qui n’ont pas d’instruction
élémentaire ou de formation professionnelle et portant une attention particulière à
l’éducation des jeunes détenus et de ceux ayant des besoins particuliers.
5
une obligation d’enseignement est prévue. Il est enfin structuré, pour chaque personne
détenue, par un parcours de formation individualisé ».
Cette convention indique la finalité de l’enseignement en prison ainsi que ses objectifs.
« Sa finalité est de permettre à la personne détenue de se doter des compétences
nécessaires pour se réinsérer dans la vie sociale et professionnelle » et ses objectifs sont
les mêmes qu’en milieu libre et s’appuient sur le socle commun des connaissances et de
compétences afin de valider les acquis.
6
Cette structure, placée sous l’autorité de l’Unité Pédagogique Régionale (UPR) de
Toulouse est définie par la circulaire n° 2011-239 du 8-12-2011 comme suit « Une unité
pédagogique de l'éducation nationale en milieu pénitentiaire est implantée dans chaque
direction interrégionale des services pénitentiaires. Pour son fonctionnement cette unité
est rattachée administrativement à la direction interrégionale des services pénitentiaires.
Elle réunit les différents niveaux d'enseignement et rassemble les diverses ressources de
formation initiale fournies par l'éducation nationale pour l'enseignement aux personnes
détenues… »
L'enseignement est fondé sur les mêmes exigences et les mêmes références qu'en
milieu libre, notamment en référence au socle commun des connaissances et des
compétences (cf. article L. 122-1 et suivants du code de l'éducation). Il se fixe les mêmes
modalités de validation des acquis, en particulier par la préparation et la passation de
diplômes (C.FG., C.A.P., D.N.B. pro, D.A.E.U…)
La loi pénitentiaire instaure une dimension d'obligation pour deux types de publics :
-les mineurs
-les majeurs, l'activité est en priorité destinée à ceux qui ne maîtrisent pas
l’apprentissage de la langue française, pour les non-francophones et l'apprentissage des
savoirs de base (en référence au socle commun) pour ceux qui ne les maîtrisent pas.
7
Les personnes illettrées ou non-francophones sont repérées dès leur incarcération
lorsqu’ils arrivent au quartier arrivant par l’assistant de formation afin de leur proposer
prioritairement et au plus vite la possibilité de suivre un enseignement adapté s’ils le
désirent. En effet l’adhésion de la personne au projet de formation est indispensable.
Par ailleurs, les enseignants doivent porter une attention particulière sur la situation
des jeunes majeurs âgés de 18 à 21 ans pour l’administration pénitentiaire et jusqu’à 25
ans pour l’éducation nationale, afin de les inciter à se former, conformément à l'article D.
521 du code de procédure pénale.
Du point de vue de l’Education nationale, la convention s’appuie sur le code de
l’éducation (CE) en affirmant que l’éducation est la première priorité nationale, en
particulier le droit pour chacun à une éducation permettant de développer sa personnalité,
d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et
professionnelle et d'exercer sa citoyenneté.
Ainsi, les missions de l’école en prison sont les mêmes que celles de l’école ordinaire.
Comment peut-il atteindre cet objectif ? La stricte transmission des savoirs, savoir-faire
et savoir-être est-elle suffisante ou bien y a-t-il d’autres éléments induits par l’école en
prison qui peuvent concourir à la réinsertion ? Si oui, quels sont-ils et comment les
développer ?
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2 Quelques concepts théoriques
Je vais m’intéresser à deux aspects essentiels liés à ma problématique que sont les profils
psychologiques des personnes détenues et les leviers sur lesquels l’enseignant de MA2
peut agir. Pour cela les aspects théoriques et les recherches déjà réalisées dans ces
domaines m’éclaireront.
Une troisième difficulté vécue par les détenus est l'absence de stimulation. Le
temps ne revêt pas la même signification en prison qu'à l’extérieur. Le peu
d'activités disponibles et la routine carcérale semblent avoir des effets sur les
capacités cognitives du détenu qui peut trouver plus ardu de réfléchir et résoudre
9
des problèmes, difficultés aussi liées à l'environnement restrictif et à la perte de
contrôle et de choix.
La prison modifie les liens sociaux et les « réseaux de sociabilité » et, donc,
affaiblit le sentiment d'appartenance à un groupe à partir duquel l'individu peut
situer son identité (par rapport à ce groupe et à la société) et qui peut le valoriser
(Taboada Leonetti, 1994, p 59). Cet affaiblissement des liens sociaux fragilise en
retour le lien qui unit l'individu à la société et qui assure la cohésion sociale.
Suivant cette mise à l'écart, l'incarcération constitue aussi une forme de
désignation qui intervient dans la représentation sociale de l'individu et la façon
dont il négocie son identité sociale (Bellot, 2000).
L’incertitude
Le détenu est soumis à l’incertitude. Elle est particulièrement chez le détenu prévenu, qui
est en attente d’un jugement. Elle concerne la date de sa peine, la condamnation à venir.
Ce niveau d’incertitude est caractéristique des maisons d’arrêt. (FEBRER, 2011)
Selon FEBRER (2011, p. 193-194), il existe cependant une autre forme d’incertitude liée
au milieu carcéral qui affecte le détenu.
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aménagements de peine voire de nouveaux jugements. « L’excitation des détenus à
l’approche des dates où sont habituellement prises de telles décisions manifeste l’ampleur
de cette incertitude. »
Par ailleurs l’incertitude concernant l’après prison impacte également le détenu. « Vais-
je pouvoir me réinsérer ? Vais-je retrouver mon emploi ? Qu’est-ce qui a changé dehors
depuis tout ce temps ? Qui va m’aider ? Où vais-je loger ? » sont quelques-unes des
questions que se pose le détenu.
La stratégie
En s’appuyant sur les travaux de GOFFMAN (1968) sur l’influence du milieu sur la
personne et sur ceux de CLEMMER (1940) sur l’assimilation du détenu par le milieu
carcéral, FEBRER (2011, p. 195-198) avance que « la formulation d’une demande de
participation à une action d’enseignement témoigne d’une certaine adaptation au
système ».
11
-Le Juge d’Application des Peines reconnait cette activité comme pouvant octroyer
une réduction supplémentaire de peines.
Quoiqu’il en soit, même si l’enseignant ne dispose que de peu de moyens de connaître les
réelles motivations du demandeur, sa dextérité va consister à transformer la demande en
« opportunité d’apprentissage ». Le challenge consistera à passer d’une logique de
demande à une logique de besoin que peut masquer la demande. La tâche incombe alors
à l’enseignant de « trouver les moyens de l’expliciter et de la rendre lisible. » (FEBRER,
2011, p.197)
Le détenu arrive en classe avec toutes ces incertitudes. Se pose alors la manière
d’appréhender les apprentissages qui nécessitent de la réflexion, des efforts, de la
concentration et de la mémorisation ?
Il peut être intéressant de connaître les psychopathologies repérées chez les détenus afin
de mieux comprendre certaines réactions d’élèves en classe. Les personnes condamnées
pour des faits de violence sont surreprésentées selon CHÉNÉ (2012, p57-63). En 2012,
40,5 % des condamnés l’étaient pour faits de violences. A cette violence extérieure, la
prison, elle-même, est génératrice de violence de par son architecture, son
fonctionnement, son organisation rapportent CHAUVENET et al et COURTINE et al en
2005 cités par CHÉNÉ (2012, p. 58). Le fait même d’être enfermé sous la contrainte
« constitue en soi une forme de violence pour l’individu qui subit cet enfermement ».
D’autres études montrent que plus du quart des détenus ont été suivis par un juge pour
enfant avant 18 ans.
D’autre part, concernant les troubles psychiatriques, les résultats d’une étude
épidémiologique réalisée entre juillet 2003 et septembre 2004 rapportée par CHÉNÉ
(2012) montre qu’il y a sept fois plus de schizophrènes, cinq fois plus de dépressifs
majeurs en prison que dans la population générale.
Selon FASSIN (2015), être détenu, c’est fondamentalement être confiné dans un
espace et être contraint dans le temps.
-la journée qui est rythmée par la répétition de cycles quasiment identiques (lever,
douche, promenade, repas, promenade, repas). Une personne détenue peut ainsi passer
jusqu’à 22h par jour dans sa cellule si elle ne sort que pour les promenades.
-la durée de la détention qui correspond au temps de la peine qui n’est jamais
précisément connu à l’avance pour le prévenu qui attend son procès comme pour le
condamné qui attend des remises de peines et parfois même d’autres condamnations pour
d’autres affaires.
Ces deux temporalités s’articulent dans une routine où les jours se succèdent et se
ressemblent. Mais FASSIN (2015, pp. 217-222) note qu’au-delà de la perte de liberté ce
sont « la perte de sens, la perte d’autonomie et la perte d’intimité qui conditionnent
l’expérience du confinement. » La perception du temps est focalisée sur la vie carcérale
afin de la rendre un peu moins vide de sens ou au contraire elle se concentre sur le monde
extérieur afin de réduire les effets délétères sur les proches, le travail ou l’insertion.
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Au-delà de ces différences, FASSIN (2015) affirme que le sentiment d’inanité
prévaut chez la personne détenue. Il caractérise là encore deux temporalités :
-le temps perdu par rapport à ses proches qui continuent à vivre loin d’elle et le
temps perdu au regard de ce qu’elle pourrait faire à l’extérieur de la prison. La vie du
détenu est en « pause ».
-le temps perdu au regard de ce qu’il ne fait pas à l’intérieur. Jusqu’à 22 heures à
emplir pour un détenu de maison d’arrêt.
La source de ce vide est selon LUCAS (1995) cité par CHANTRAINE (2011, p. 166) lié
à l’objectif de l’institution qui est la contention des détenus.
La journée carcérale est une journée entre parenthèses : elle n’appartient pas au
temps social, et comme telle elle est abstraite ou fictive, pure vacuité temporelle,
temps contenu que l’on traîne comme un boulet immatériel […] La journée
carcérale scande la vacuité du psychisme réduit à rabâcher sa propre durée ; elle
est le miroir de cette durée. (LUCAS, 1995)
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Jean-Claude BERNHEIM (1982) cité par cité par JOLY(2012, p. 10) parle même de «
pilotage automatique » qu’il oppose à l’éveil. Ce serait donc bien des individus «
endormis » que nous recevrions la plupart du temps en classe.
Les élèves arrivent en classe, que ce soit le matin ou l’après-midi, dans une sorte de
léthargie intellectuelle.
Le détenu qui arrive en classe n’est pas un élève ordinaire. C’est un homme qui a
passé la journée et la nuit précédentes en prison, qui peut arriver d’un parloir famille qui
s’est peut-être avéré être un parloir fantôme, ou bien qui s’est peut-être accroché avec un
autre détenu lors d’une promenade, qui s’inquiète pour un jugement à venir, pour un
aménagement de peine ou encore pour sa date de libération, ou souvent même, pour ses
enfants et sa famille. Il peut aussi s’inquiéter de ne pas avoir reçu sa cantine etc. En entrant
dans la classe il est dans des états d’anxiété et parfois même d’énervement ou de haine,
contre la justice ou les surveillants. Le détenu est entièrement centré sur lui-même, sur
son quotidien, son avenir à court terme. Son égocentrisme est démesuré. Bénédicte
JOLY(2012, p. 10) rapporte que dans son ouvrage, De la prison à la révolte, Serge
LIVROZET (1999), ancien détenu lui-même, explique que les détenus sont tellement
cadrés en détention que « Leurs facultés s’arrêtent là où la vision d’une autre société
commence, car on en a fait des êtres limités à eux –mêmes, préoccupés de leur seule
survie ».
Les motivations qui poussent les détenus à demander à venir à l’école, même si tous
sont volontaires, sont multiples. Tous y viennent pour obtenir des remises de peine
supplémentaires (RPS) et ainsi alléger la durée de leur séjour en prison. Mais certains y
viennent aussi pour sortir de leur cellule et « s’aérer la tête » comme ils disent, et d’autres
enfin ont un réel désir d’apprendre à mieux lire, mieux écrire et mieux compter.
En dépit de ces différences ils ont en commun, en plus d’être privés de leur liberté
de se déplacer, d’avoir un passé souvent difficile avec l’école. Ils ont également une
image d’eux-mêmes très altérée et expriment de manière forte un sentiment d’exclusion
sociale. Comme en témoigne les paroles rapportées en introduction.
La curiosité
Le comportement
Le comportement est perturbé par le relais trop vite passé au corps « J’ai faim.
J’ai froid. J’ai chaud. J’ai soif. Je veux aller aux toilettes. J’ai une crampe. J’ai
2
moment du doute avant que la réponse ne soit trouvée
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mal au dos… »et par des idées d’auto-dévalorisation « Je peux pas. J’y arrive pas.
Je sais pas faire… » et de persécution « Cet exercice ne sert à rien. Ce travail est
bidon. C’est nul… » […]
Le langage
La personne détenue, déstabilisée dans son parcours de vie, met alors en œuvre des
réajustements identitaires qui sont le signe du caractère réversible et non linéaire des
trajectoires. (SALANE, 2012)
L’investissement dans un processus de formation peut être analysé comme une volonté
de maintenir une identité sociale fragilisée en reproduisant des manières de faire à
l’extérieur mais également comme une tentative « d’acquisition » ou de « restauration
identitaire » (Barbier, 1996 cité par SALANE, (2012, pp. 189-208), qui dénote une
volonté de se forger une nouvelle identité (SALANE, 2012)
17
2.2 Place et rôle de l’enseignant dans l’organisation prison
Le premier trait de l’organisation prison correspond alors aux deux missions explicites
de la prison : surveiller et réinsérer.
On peut alors dire que l’enseignant en milieu carcéral prend part à cette organisation en
contribuant à la réinsertion de ses apprenants.
Selon BERNOUX cité par FEBRER (2011, p. 182) chaque membre de l’organisation
connait son propre rôle mais celui-ci n’est jamais rempli de la même manière selon la
personne qui agit. « Tout membre d’une organisation se comporte comme un acteur
capable, et souvent même chargé, d’interpréter à sa manière un rôle identique. »
(FEBRER,2011)
On peut extrapoler cette idée à la manière d’agir d’un surveillant face à un détenu qui doit
se rendre en classe. Selon FEBRER (2011, p. 182), plusieurs cas de figure sont alors
possibles :
-Le surveillant referme la porte en arguant du fait que le détenu était informé
qu’il allait en cours et qu’il aurait dû être prêt. Tant pis pour lui, donc pas de
cours ce matin ;
-Le surveillant reste à la porte et demande au détenu de se préparer
rapidement ;
-Le surveillant indique au détenu qu’il repassera dans quelques minutes et
qu’il faudra qu’il soit prêt.
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Ainsi, le détenu peut réellement ne pas être prêt mais il peut aussi ne pas avoir envie de
venir en classe et en anticipant la réaction du surveillant faire exprès de ne pas être prêt.
Au final, l’information communiquée à l’enseignant par le surveillant sera que le détenu
a refusé de venir à l’école et celle communiquée par le détenu sera que le surveillant a
refusé de l’envoyer en cours.
Le risque selon FEBRER (2011, p. 183) est que l’enseignant oubli pourquoi il est là. Il
dégage plusieurs rôles joués simultanément ou tour à tour par l’enseignant selon les
personnes avec lesquelles il collabore ou intervient :
-par rapport au personnel de l’administration pénitentiaire, l’enseignant est
un vecteur de stabilité en détention, un partenaire, un gêneur, un faire-valoir
d’actions d’insertion, une source de travail supplémentaire, un porteur
d’informations, […], un spécialiste, un conseil ;
-par rapport à la population pénale, l’enseignant est un relais, un distributeur
d’information, un soutien, un ballon d’oxygène, un élément d’une stratégie, un
porteur de sens de la détention, un lien dedans/dehors, un interlocuteur
permanent, un porteur de projet ;
-par rapport aux magistrats, l’enseignant est un partenaire, un spécialiste, un
distributeur d’informations, un "auxiliaire de justice" ;
-par rapport aux "services des prisons" (SPIP, […]) l’enseignant est un
partenaire, un concurrent, un spécialiste.
Les enseignants sont tous les jours en contact avec les surveillants. Cette communication
se fait de manière informelle et sera d’autant plus efficace que la relation entre
l’enseignant et le surveillant sera bonne. C’est en partie à l’enseignant de créer les
conditions propices à un niveau de relation constructif. De la qualité de ces relations
dépendront l’accès à des informations susceptibles d’avoir des conséquences sur le plan
pédagogique. Par exemple être informé du motif d’un refus de venir en cours ou non n’a
pas la même incidence. (FEBRER,2011)
19
Le plus difficile, selon lui, est de mettre en place une coopération efficace entre tous les
niveaux de l’organisation, d’autant plus que les acteurs ne concourent pas aux mêmes
buts, ce qui est le cas dans « l’organisation prison » et dans « l’organisation enseignement
dans la prison ».
Selon BERNOUX (1985) cité par FEBRER (2011, p181-184), quelles que soient les
contraintes, elles ne dispensent pas l’acteur, ici l’enseignant, de faire des choix. C’est en
les faisant, qu’il participe à la politique de l’organisation.
FEBRER (2011, pp. 184-185) nous explique que CROZIER et FRIEDBERG (1977) ont
étudié l’organisation comme « un modèle expérimental des difficultés et des problèmes
de coopération que pose toute action collective ». Chaque acteur de l’organisation a ses
objectifs spécifiques, ses buts propres. Ils peuvent ou non être opposés. FEBRER (2011)
prend l’exemple d’un surveillant qui pourra considérer l’enseignement comme une source
de travail supplémentaire alors que le directeur d’établissement le considèrera en tant que
vecteur de stabilité et pensera que l’enseignant est présent pour cette mission d’insertion.
Il ne juge pas mais constate que c’est un fait quotidien.
Le triangle pédagogique
20
Rôles et fonctions des surveillants de prison ?
Afin de mieux comprendre leurs fonctions nous nous pencherons sur une étude de 1994
menée par BENGUIGUI, CHAUVENET et ORLIC (1994, pp. 275-295), dans laquelle
ils ont analysé l’articulation entre les règles officielles et les règles non-écrites dans le
fonctionnement de la prison. Ils expliquent que les objectifs officiels de la prison définis
par l’administration pénitentiaire indiquent de manière non officielle une hiérarchie des
objectifs. Ainsi « l’exécution des peines et le maintien de la sécurité publique » sont
énoncés avant « la participation à la réinsertion sociale des personnes qui lui sont
confiées ». La mission sécuritaire serait donc selon ces auteurs « d’assurer la garde et
l’entretien des détenus et de veiller à la sécurité des prisons. »
Ils vont même plus loin en montrant qu’une grande majorité de surveillants pensent
« qu’on ne peut pas faire le gendarme et l’éducateur en même temps ; entre la garde et la
réinsertion il y a incompatibilité totale » . Ils ne sont pas opposés au principe de
réinsertion mais ils pensent que c’est une utopie.
Le surveillant d’étage travaille de manière solitaire. Son travail dépend peu des autres
surveillants Il se considère, d’après cette étude, comme étant « le patron de son étage ».
Il est en effet seul dans son aile, à son étage à gérer les flux de détenus. Ce serait une
caractéristique propre à ce poste qui ne serait pas partagée par les autres surveillants dits
en poste fixe (cantine, activités etc.) qui partagent beaucoup plus entre eux ainsi qu’avec
des partenaires divers (socio-éducatifs, enseignants, infirmiers, psychologues, etc.).
Par ailleurs, BENGUIGUI, CHAUVENET et ORLIC (1994, p. 293) relèvent que les
surveillants « ont la sensation, à tort ou à raison, d’être haïs par les détenus, méprisés par
leur administration centrale, écartés par les spécialistes de la relation en prison
(éducateurs, psychologues, psychiatres), mal aimés et peu considérés par l’opinion
publique. »
Ce sentiment de rejet explique ainsi « qu’ils ne sont pas ou peu capables de mettre en
avant le discours qui fonctionne pour d’autres profession, celui du service d’autrui, du
service public, celui de la défense d’une valeur centrale de la société. »
21
Ils concluent en affirmant que c’est dans l’affrontement avec l’autre camp, les détenus,
que les surveillants arrivent à se penser en termes collectifs. Et cela passe par l’usages de
signes d’appartenance et de reconnaissance tels que les poignées de main ou les bises
qu’ils s’échangent régulièrement. Inversement, ils ne le font jamais avec les détenus.
BENGUIGUI, CHAUVENET et ORLIC (1994, p.294) notent que de nombreux
partenaires font le contraire. Ils sont alors perçus par les surveillants comme ayant choisi
l’autre camp.
Les rituels constituent des formes très efficaces de la communication humaine. Ils
« diffèrent des formes purement langagières de communication, car ils constituent des
dispositifs sociaux dans lesquels il y a création d’ordre et de hiérarchie par le biais d’une
action sociale commune qui produit du sens. » (WULF, 2005, )
Ainsi le rituel permet de créer un ordre social du fait de l’action commune et répétitive.
Pour WULF (2005, pp. 9-20) « Les actions rituelles établissent un rapport entre l’histoire,
le présent et l’avenir. Elles rendent possibles à la fois la continuité et le changement, la
structure et le lien social, les expériences du passage et de la transcendance. » Les rituels
sont de ce fait des moyens d’envisager l’avenir différemment et donc ainsi de se projeter.
Les rituels servent également à comprendre le monde et la société. « Ils aident l’homme
à ordonner et à interpréter le monde et sa situation propre, à en faire l’expérience et à la
construire intellectuellement. » (WULF, 2005)
Un lien fort de cohésion sociale se crée à l’occasion des rituels souligne WULF (2005).
« Ils introduisent une solution de continuité entre les situations et les institutions sociales
et traitent les conflits entre les hommes et les situations ».
« 1. Ils créent le social en faisant naître des communautés dont ils sont l’élément
organisateur et dont ils garantissent la cohésion émotionnelle et symbolique.
2. Ils créent de l’ordre en fabriquant des structures sociales qui garantissent la
répartition des tâches et leur planification, tout en préservant des marges
d’adaptation.
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3. Ils créent de l’identification en garantissant aux acteurs sociaux une cohérence
temporelle, garante de continuité mais également ouverte sur le futur.
4. Le rituel comme mémoire et comme projection.
5. Ils permettent de surmonter les crises, en enclenchant des processus de
réparation ou des mécanismes de maîtrise de la crise, à la suite d’expériences
douloureuses ou pour répondre aux questions liées au domaine de la vie et de la
mort.
6. Ils ont une fonction magique transcendantale en garantissant la communication
avec l’« Autre » et avec le sacré.
7. Ils permettent de traiter les conflits en introduisant des césures, des seuils et
des cadres dans le social qu’ils abolissent ensuite le cas échéant.
8. Ils déclenchent et intensifient des processus mimétiques en répétant tout en
modifiant les dispositifs sociaux.
9. Ils sont créateurs d’un savoir pratique dans la mesure où ils contribuent à
l’incarnation de formes d’actions, d’images et de schémas sociaux.
10. Enfin ils développent la subjectivité en donnant à l’individu la possibilité de
faire l’expérience de soi-même et de se développer par l’intermédiaire des
dispositifs sociaux. »
Pour sa part Françoise HATCHUEL (2005) étudie plus spécifiquement les rituels en
milieu scolaire. Elle les définit comme « des organisations temporelles et spatiales
récurrentes permettant à la parole, verbale ou non, de prendre sens » et de « réagir en
fonction de et avec ces expériences antérieures ». (HATCHUEL,2005, p. 94)
« Le plus grand mal qui puisse échoir à l’homme serait qu’il ait mauvaise opinion de lui-
même. » GŒTHE
Avant de s’interroger sur le bénéfice réel à faire en sorte que les élèves possèdent
une haute estime de soi, mettons-nous d’accord sur la définition de l’estime de soi et des
différentes expressions qui y sont souvent associées.
Le dictionnaire Le petit Larousse 2009 définit l’estime comme une appréciation, une
opinion favorable qu’on porte sur quelqu’un ou quelque chose.
23
Ainsi, dans le langage courant, l’expression estime de soi signifie donc « juger de sa
valeur personnelle ». (DUCLOS, 2010, p. 22)
Bien que différentes acceptions soient proposées dans la littérature selon les auteurs, nous
définirons l’estime de soi comme étant l’appréciation, l’opinion favorable qu’un individu
a de lui-même. (FAMOSE, BERTSCH, 2017)
« L’estime de soi est une évaluation positive de soi-même, fondée sur la conscience
de sa propre valeur et de son importance inaliénable en tant qu’être humain. Une
personne qui s’estime se traite avec bienveillance et se sent digne d’être aimée et
d’être heureuse. L’estime de soi est également fondée sur le sentiment de sécurité
que donne la certitude de pouvoir utiliser son libre arbitre, ses capacités et ses
facultés d’apprentissage pour faire face, de façon responsable et efficace, aux
événements et aux défis de la vie. »
On voit bien là, qu’il existe un lien, entre l’estime de soi et les capacités à apprendre
d’une part, et, entre l’estime de soi et la capacité à affronter les différentes situations de
la vie d’autre part.
G. DUCLOS (2010, p.51) dénombre quatre composantes essentielles à cette estime de soi
:
-le sentiment de sécurité et de confiance
-la connaissance de soi
-le sentiment d’appartenance à un groupe
-le sentiment de compétence
24
Le sentiment de sécurité physique et psychologique est ainsi un préalable à l’estime de
soi. Ce besoin de sécurité concerne l’individu à tous les âges de la vie.
« Beaucoup d’adultes sont plus rassurés et détendus en se garantissant une sécurité
extérieure ou exogène par un certain contrôle ou maîtrise de leur environnement : milieu
rassurant, temps et espace stables, prévisibilité de la plupart des événements, etc. »
(DUCLOS, 2010, p. 58)
Ainsi, selon DUCLOS (2010), la personne doit en premier lieu ressentir une sécurité
exogène ou extérieure. Puis celle-ci deviendra progressivement endogène ou intérieure et
se transformera ensuite en attitude de confiance face aux autres et à soi-même.
« C’est à partir de cette attitude de sécurité et de confiance que la personne peut se
permettre d’envisager l’avenir avec espoir, ce qui lui donne le goût de prendre des
initiatives et de relever des défis. » (DUCLOS, 2010, p.78)
La connaissance de soi constitue pour DUCLOS (2010, p.85) « un pilier sur lequel
s’appuie l’estime de soi ». Pour lui, « il faut apprendre à se connaître avant de pouvoir se
reconnaître ». L’individu ne pourra intérioriser le sentiment de sa valeur personnelle que
si elle a acquis une solide connaissance de soi qui se développe « à travers les yeux des
autres ». La connaissance de soi se développe en interagissant avec les autres. Le
sentiment d’identité personnelle se définit alors par les différences de sa personnalité par
rapport aux autres.
De surcroit DUCLOS (2010, p.137) indique que développer l’estime de soi est un moyen
efficace de prévenir des comportements violents en permettant aux individus d’intégrer
des habiletés sociales. « L’école représente une micro-société, un microcosme où l’enfant
doit apprendre à s’ajuster et à se régulariser face aux membres d’un groupe en acquérant
des habiletés ou des compétences sociales […] ».
On voit bien ici la conception selon laquelle l’estime de soi doit être renforcée pour
permettre une vie heureuse et épanouie. Le développement de cette estime devient ainsi
un objectif de l’école afin de permettre à l’individu d’atteindre des objectifs tout au long
de sa vie.
Cependant des chercheurs tels que FAMOSE et BERTSCH (2017) ont questionné cette
question de l’estime de soi en étudiant de très nombreux travaux et apportent un éclairage
un peu différent. Selon ces auteurs, il est reconnu que « les bénéfices psychologiques
d’une basse et d’une haute estime de soi découlent du fait qu’à la fois l’estime de soi et
les bénéfices psychologiques sont associés à l’acceptation sociale perçue. » (FAMOSE,
BERTSCH, 2017, p.180) L’estime de soi deviendrait donc un facteur important du lien
social et interpersonnel de tout individu avec son environnement social.
Cependant ils concluent leur recherche en évoquant des aspects qui vont à l’encontre de
la recherche à tout prix de la promotion de l’estime de soi. (FAMOSE, BERTSCH, 2017,
p.173)
Ainsi FAMOSE et BERTSCH (2017, p. 174) mettent en avant l’existence d’un bon et un
mauvais type de haute estime de soi. Le mauvais type conduirait la personne à être
« vaniteuse, narcissique et défensive » alors que le bon type la conduirait à « s’accepter
elle-même, avec une appréciation précise de ses forces et faiblesses. »
26
En désirant élever l’estime de soi, l’éducateur peut conduire l’individu à la vanité ou au
narcissisme.
« Elever artificiellement l’estime de soi des élèves peut être comparé à déplacer
manuellement la flèche d’une jauge d’essence dans la voiture plutôt que d’ajouter de
l’essence dans le réservoir. » (LEARY, BAUMEISTER, 2000 cité par FAMOSE et
BERTSCH, p. 176)
Il s’appuie pour cela sur les travaux de M. MAUSS (1920), C. LEVI-STRAUSS (1950),
M. SAHLINS (1976), et D. TEMPLE (2000) qui ont étudié la réciprocité comme
régulation des relations entre les hommes. Ainsi la réciprocité peut être positive, on est
alors dans la coopération, ou au contraire négative, on est alors dans l’affrontement.
Selon J.M. DUTRENIT (2005, p. 15), la compétence sociale est « la capacité pour une
personne de vivre des relations de réciprocité majoritairement positive avec ses
partenaires. »
27
Ainsi, pour s’intégrer dans la société, une personne doit être capable de vivre des relations
de réciprocité majoritairement positive (de son propre point de vue) avec les autres.
Ces relations ont lieu dans sept domaines de la vie quotidienne : l’emploi, la formation,
l’hygiène, le budget, les loisirs et la vie familiale et affective
Si a contrario les échanges sont considérés comme déséquilibrés par l’un des
protagonistes le circuit de la réciprocité négative (noté (2)) est emprunté et cela conduit à
un sentiment de vengeance et à un appauvrissement mutuel. Pour sortir de cette boucle
négative et retrouver un circuit de réciprocité positive il faudra alors effectuer une
réparation auprès du partenaire qui se juge lésé dans l’échange.
28
L’intérêt majeur de cette recherche sur la compétence sociale est qu’elle permet d’agir
positivement sur six facteurs de réussite : la motivation, l’anticipation, l’image de soi, le
sens des responsabilités, la maîtrise de l’espace et l’utilisation des acquis.
Préparer et proposer à des détenus-élèves de passer des examens est une des missions
assignées à l’ULE.
Les travaux de recherche montrent que le public scolarisé est en difficulté massive.
(FEBRER, 2016). C’est pourquoi le CFG, premier diplôme de niveau V-bis est le
principal diplôme obtenu en détention. D’autres diplômes tels que le DNB ou le DAEU
ainsi que des diplômes post-baccalauréat peuvent être préparés sous forme de tutorat.
Mais au-delà de valider un diplôme qui pourra être utile pour accéder à une formation à
la sortie ou utile sur le marché de l’emploi, « la validation d’un diplôme comme le CFG
sera peut-être avec le permis de conduire la seule validation et reconnaissance officielle
que certains d’entre eux pourront revendiquer. » (FEBRER, 2016,p.251)
3 Cadre méthodologique
Pour comprendre ce qui se joue en classe au cours de cette vingtaine d’heures j’ai besoin
de m’appuyer sur une méthodologie. Au regard des fortes contraintes inhérentes aux
règles de sécurité imposées en prison qui m’interdisent la possibilité d’effectuer des
enregistrements audios et vidéos et même d’effectuer des entretiens individuels avec des
détenus j’ai choisi d’utiliser une méthodologie issue de la sociologie et de
l’anthropologie : l’observation directe.
C’est pourquoi, j’ai choisi, pour mener cette recherche de me placer, dans la position
de l’ethnographe qui évolue au sein même de la communauté qu’il étudie. Pour cela, je
29
me suis inspiré de la méthodologie de l’observation participante décrite par C. PHILIP et
P. DE BATTISTA (2012, p209).
Ce dispositif, qui a été proposé pour la première fois par l’école de Chicago au début du
XXème siècle, a pour caractéristique de faire fonctionner ensemble deux paramètres
apparemment contradictoires : la distance liée à l’observation et l’immersion inhérente à
la participation.
Pour mener cette observation le chercheur s’intègre dans la situation étudiée pour
observer le déroulement de la vie sociale. Il doit ainsi être en même temps observateur et
acteur de son objet d’étude. Pour mener cette recherche je garde ma fonction d’enseignant
mais je ne révèle pas mon statut d’observateur à mes élèves. Je deviens donc un
observateur incognito.
Selon .GOLD (1958) cité par C. PHILIP et P. DE BATTISTA.(2012, pp. 209-210),
le chercheur peut être présent de quatre façons différentes qui établit ainsi quatre
typologies selon l’engagement du chercheur :
-le participant complet : dans ce rôle, le chercheur qui n’appartient pas au départ à
la communauté qu’il observe s’immerge complétement dans la situation mais il souhaite
garder son rôle d’observateur secret. C’est un observateur clandestin. Il ne modifie pas la
situation par sa présence puisque sa qualité d’observateur est ignorée du groupe.
30
au groupe qu’il observe. Il doit s’efforcer de se rapprocher des personnes qu’il observe
pour les comprendre de l’intérieur. Il est observateur avant d’être participant.
-le simple observateur : dans ce rôle le chercheur ne prend pas part à l’action. Il
reste dans sa position d’observateur. Reconnu comme observateur, il réalise une
intégration en retrait. Cela peut être réalisé lorsque l’observateur filme et analyse les
événements.
Comme évoqué précédemment, compte tenu des difficultés liées aux règles de sécurité
inhérentes au milieu carcéral (quasi impossibilité de mener un entretien individuel,
difficulté d’enregistrer des documents vidéo et audio), j’ai choisi pour mener ma
recherche d’utiliser la méthode de l’observation participante décrite par GOLD en 1958.
Je me place ainsi dans la position de participant complet. En effet je ne fais pas partie de
la communauté des étudiants-détenus mais je garde secret mon rôle d’observateur. Je ne
modifie en rien la situation car ma qualité d’observateur est ignorée du groupe.
Trois objections sont principalement faites à cette méthode par PHILIP (2012, pp. 211-
212) :
-l’observateur est subjectif lorsqu’il observe et analyse la situation. Son regard est
influencé par de nombreux paramètres Mais n’est-ce pas le cas de toute forme
d’observation ?
J’ai pris des notes écrites, transcrites de mémoire, sur un cahier, à chaud, c’est-à-dire au
plus près de l’action afin d’être le plus fidèle possible au déroulé de la situation. J’ai
sélectionné les situations relatives au lien enseignant-enseigné les plus pertinentes à mes
yeux.
Ces notes concernent des échanges formels, effectués en zone de détention, soit dans ma
salle de classe, avec des apprenants ou dans les couloirs et les différentes parties situées
entre l’Unité Locale d’Enseignement (bureaux) et ma salle de classe avec des élèves ou
des surveillants mais aussi dans le bâtiment administratif avec des professionnels tels que
les conseillers pénitentiaires (CPIP) ou la conseillère pôle emploi.
32
Des notes ethnographiques
Cette réflexion de Loïc, jeune homme âgé d’à peine 20 ans, de la communauté des gens
du voyage, qui me propose très sérieusement de mettre à ma disposition une caravane
pour « faire la classe » à ses enfants lorsqu’il sera libéré parce qu’il n’est pas question
pour lui de les scolariser « avec tout ce qui peut arriver ! ».
33
Autre exemple, ce mardi 9 octobre lorsque de vives tensions sont apparues entre Nadir et
Yohann, deux jeunes hommes de 26 et 33 ans. J’ai voulu garder cet événement en
mémoire en le transcrivant le plus vite possible sur mon cahier car j’ai senti que cet
événement avait quelque chose à voir avec l’estime de soi, la compétence sociale et la
reconnaissance sociale.
34
Des photographies
En prison, beaucoup d’échanges se font par écrit. Notamment les échanges avec les
détenus. Ceux qui désirent venir à l’école formulent leur demande par écrit et je les invite
à venir me rencontrer pour une première prise de contact également par écrit. De même
lorsqu’ils souhaitent me dire quelque chose hors de la classe, ils le font par écrit en
utilisant le courrier interne. Le détenu dépose son courrier (sur une simple feuille ou dans
une enveloppe non fermée) dans une boîte aux lettres prévue à cet effet. Un surveillant le
récupère et me le transmet. Inversement, je donne les convocations au surveillant
d’activités qui les transmet aux surveillants d’étages qui les remettent à leur tour aux
détenus concernés.
35
Des courriers d’élèves
Courrier d’élève justifiant de son absence pour cause de rendez-vous avec le CPIP
36
Compte tenu du grand nombre de demandes de scolarisation je suis obligé de mettre en
place une liste d’attente. Afin de privilégier les élèves motivés j’ai mis en place la
contrainte de trois absences non justifiées maximum. Cela permet de ne pas inscrire trop
longtemps des élèves peu motivés qui ne viennent pas suivre les cours. Mais des rendez-
vous importants contraignent souvent les détenus à être absents. Je leur demande alors de
m’écrire pour m’informer sur la raison de leur absence.
37
Courrier d’élève justifiant de son absence pour cause d’extraction au tribunal
38
Des échanges de courriers électroniques
Les échanges de courriels sont peu fréquents au quotidien. En effet, l’essentiel des
échanges auxquels je participe se fait soit à l’écrit sur papier soit à l’oral.
Le centre pénitentiaire de Béziers a été mis en service en 2009. C’est donc une prison
récente qui se situe en périphérie de la ville de Béziers.
40
l’Administration Pénitentiaire qui sont l’âge, les jeunes âgés de moins de 21 ans sont
prioritaires, la date de libération prévisionnelle (souvent modifiée par la suite selon les
remises de peine ou d’éventuels jugements) doit permettre un minimum théorique de 20
heures d’enseignement et enfin la place disponible dans chacun des cours. (Annexe 7)
• des groupes de niveau CAP, appelés CAP (niveaux V et V bis) avec la possibilité,
si cela est possible de préparer la partie théorique de l’examen (compétences du cycle 4
du socle commun de connaissances et culture)
Il est à noter que nous devons prêter une attention particulière aux hommes âgés de 18 à
21 ans (circulaire n° 2011-239 du 8-12-2011)
Les entrées et sorties sont quotidiennes en maison d’arrêt. Cela se traduit à l’école par la
réactualisation permanente des listes de classes. De plus l’incertitude des présences et
absences est également quotidienne. Entre les parloirs, les rendez-vous imposés, les
transferts, les classements au travail ou en formation et les libérations les occasions ne
manquent pas pour un détenu-étudiant de s’absenter.
41
Des objectifs pédagogiques nécessairement à court terme
En maison d’arrêt cohabitent des personnes condamnées à des peines courtes, d’autres à
des peines plus longues et d’autres enfin, en appel ou en attente de jugement pour
"d’autres "affaires". Les séances pédagogiques en sont parfois perturbées.
Cette contrainte du temps contraint est centrale. Beaucoup des préoccupations des élèves-
détenus tournent autour de la double échelle de temporalité proposée par FASSIN (2015),
la journée d’une part et la durée de détention d’autre part. Un état de fait que je dois
prendre en compte est que la séance se trouve dans la temporalité de la journée et la
préoccupation de cet élève se situe dans le temps long, celui de la peine. J’essaie de
concilier ces deux temporalités en ménageant une pause pour que ses pairs puissent lui
répondre.
Par ailleurs l’incertitude à laquelle le détenu est soumis à ce moment-là doit être prise en
compte et la discussion vise à la réduire un petit peu. (FEBRER, 2011)
42
Les détenus de maison d’arrêt sont souvent victimes de la surpopulation carcérale. Ils sont
parfois trois dans une cellule prévue pour deux. L’un d’entre eux a alors son matelas par
terre. De plus les détenus ne choisissent pas leurs co-détenus. Cette promiscuité entraîne
des tensions voire de la violence et de la détresse chez les élèves qui arrivent en classe.
Parfois, cette attitude ne fonctionne pas. La personne ne s’apaise pas, la tension reste trop
forte pour suivre le cours sereinement, je lui propose alors de rencontrer le surveillant
immédiatement. L’élève doit être un minimum disponible pour apprendre.
(FASSIN,2015)
« Moi M’sieur j’vous cache pas que je viens pour les RPS », « J’aimerais surtout faire du
code », «Est-ce qu’on peut passer le CAP ? », « Je veux apprendre à lire. »
Ces quelques phrases entendues sont la preuve que les détenus-élèves n’ont pas tous les
mêmes attentes de l’école. Certains viennent dans l’unique but affiché d’obtenir des
réductions de peine, d’autres pour apprendre ou pour obtenir un diplôme ou une formation
quand d’autres enfin ont pour objectif de sortir de leur cellule et « s’aérer la tête ».
L’adaptation au système carcéral analysée par FEBRER (2011) conduit le détenu à
adopter des stratégies pour faire en sorte que son temps d’incarcération soit réduit au
maximum et que son temps d’incarcération se passe le mieux possible. On ne peut pas lui
reprocher cette stratégie visant à réduire sa peine et le défi pour l’enseignant est d’utiliser
cette demande "intéressée" pour répondre à des besoins pédagogiques et ainsi la
transformer en « opportunité d’apprentissage ».
Le bruit extérieur à la salle de classe est quasi permanent. Le début de matinée est le
moment le plus calme. On entend les appels passés au Motorola (talkie-walkie) par les
43
surveillants, les discussions entre les surveillants du sous-sol. Puis rapidement viennent
s’ajouter les cris de détenus qui s’appellent de cellules en cellules, les musiques trop
fortes, sans compter les yo-yo (cordelette ou ficelle de fortune qui permet aux détenus de
se faire passer des objets par les fenêtres des cellules) qui passent devant les fenêtres et
qui attirent l’attention des élèves.
Les fenêtres de ma classe sont situées à quelques centimètres au-dessus du sol sur lequel
les détenus des étages jettent toutes sortes de déchets (alimentaires, vestimentaires...). Les
abords sont régulièrement nettoyés par les auxis, mais cela n’empêche pas que des
mauvaises odeurs pénètrent dans la classe dès que les fenêtres sont ouvertes.
Par ailleurs, lors du nettoyage des cellules situées au-dessus de la classe, de l’eau de javel
ruisselle sur les vitres.
Ceci fait partie de l’environnement de la prison de son et je n’ai aucun pouvoir de changer
cela. Je dois m’en accommoder.
Dans le but de donner à voir le parcours qui me permet de parvenir à ma salle de classe,
voici la note ethnographique que j’ai réalisée. (Annexes 1 à 3)
Ah zut !! J’ai été retardé sur la route et maintenant, à cause de ce parloir je vais
être en retard. Je mesure ce retard à environ 10 min.
44
Finalement, nous entendons le bruit caractéristique du déverrouillage de la
serrure « clac ». Toutes les portes de la prison sont déverrouillées à distance et se
verrouillent automatiquement.
En poussant fort la très lourde porte nous pouvons entrer. Le sas d’entrée pourtant
relativement grand me paraît soudain trop petit. Il est occupé par une trentaine
de personnes. Il y a là des personnes de tous âges, des jeunes femmes avec des
bébés qui viennent voir leurs maris, des femmes ou des hommes plus âgés qui
viennent voir leurs fils.
Ces parloirs limités à une durée de 45 min constituent un véritable lien entre l’espace de
la prison et le monde extérieur. En voyant toutes ces personnes, je prends pleinement
conscience que la détention n’est pas seulement une peine infligée à une personne qui a
commis un acte délictuel ou criminel mais aussi une peine infligée à sa famille. Des
femmes, des enfants, des parents souffrent d’être ainsi éloignés d’un homme.
Elles portent toutes d’énormes sacs de supermarchés qu’elles posent sur le tapis
roulant du tunnel à rayons X à l’appel de leur nom par le surveillant. Elles passent
ensuite sous le portique en ayant pris soin d’ôter chaussures, ceintures et autres
bijoux susceptibles de faire sonner.
Le parloir est l’occasion pour la famille d’apporter du linge propre au détenu qui lui
donnera son linge sale en échange.
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appartement meublé de 2 ou 3 pièces, séparé de la détention, où la personne détenue peut
recevoir ses proches dans l'intimité pour une durée de 6 à 72 heures.
Au bout d’une dizaine de minutes le sas s’est vidé. Je peux récupérer la clé de
l’ULE auprès du surveillant que je vois à peine derrière sa vitre de sécurité.
Je pose mon sac sur le tapis roulant et m’avance à mon tour sous le portique. Je
récupère mon sac puis badge au tourniquet. J’appuie sur le bouton d’appel de la
lourde porte de sortie du sas. J’entends le bruit métallique du déverrouillage de
la serrure. Je pousse la porte qui se referme automatiquement derrière moi.
J’entends le même bruit qui cette fois indique le verrouillage automatique de la
serrure.
Je parcours une vingtaine de mètres dans un couloir délimité par du grillage. Je
regarde les hauts murs de béton, le fil barbelé, le mirador, les caméras et je me
fais la remarque que je me suis habitué à cet environnement qui il n’y a pas si
longtemps encore m’impressionnait. J’arrive à une grille. Toujours le même
bouton d’appel, les mêmes sons de déverrouillage puis de verrouillage. Je longe
le bâtiment administratif puis arrive devant la porte qui permet d’y accéder.
Encore un bouton d’accès commandé à distance. Je monte au troisième, longe un
long couloir. Les portes des CPIP sont encore fermées. Ils ne sont pas encore
arrivés. Je suis le premier enseignant arrivé dans le bureau de L’ULE. Je tourne
la clé dans la serrure de la seule porte de la prison dont j’ai la clé. J’allume
aussitôt mon ordinateur pour convoquer mes élèves au plus vite. (Annexe 1)
Chaque détenu doit être inscrit et convoqué sur le logiciel interne de gestion des détenus
GENESIS pour être autorisé à venir en classe. Cette tache m’incombe et toute erreur de
ma part peut avoir des conséquences négatives sur l’élève. Ainsi, si j’oublie de convoquer
un élève, le surveillant d’étage ne le laissera pas sortir de sa cellule et lui interdira ainsi
l’accès à la salle de classe ce qui aura pour effet de le contrarier, voire de l’énerver et de
me dire au cours suivant : « Ils m’ont dit que je n’étais pas sur la liste. »
46
de permanence pour dire un bonjour personnalisé. Je n’y parviens pas. Je lance
un « Bonjour ! » à l’aveugle.
Une voix me répond et le grand tiroir métallique encastré dans le mur s’ouvre. Je
récupère mon API (Alarme Portative Individuelle). La lourde porte de sortie du
PCI s’ouvre. Je fais le décompte, il s’agit de la septième porte ou grille empruntée
depuis que je suis entré dans l’établissement. Encore une grille et j’arriverai en
zone de détention. J’arrive alors dans ce que tout le monde nomme le carrefour.
Comme une place, y arrivent de nombreuses rues. Je prends soin de faire le tour
et de saluer tous les surveillants qui s’y trouvent. Aujourd’hui, ils sont trois.
Les relations avec le personnel pénitentiaire sont essentielles. Je ne dois pas oublier que
ce sont les surveillants qui me permettent d’avoir les élèves en classe. Ils leur ouvrent les
portes des cellules leur permettant ainsi de venir en classe. Les surveillants sont des
acteurs de l’organisation prison, au même titre que je le suis. (FEBRER, 2011)
Une surveillante, Marie, m’ouvre la porte de la rue qui conduit aux bâtiments des
deux maisons d’arrêts. Je marche une trentaine de mètres. Je croise des auxis qui
sont des détenus choisis qui apportent une aide aux personnels pénitentiaires en
échange d’un petit salaire. Ils poussent de gros containers Je les salue et serre la
main de Monsieur D. qui vient tous les vendredis à l’école. Je bifurque vers la
droite et j’appuie sur le bouton d’appel de la MA2. La porte se déverrouille. Je
pousse la lourde porte et entre dans le sas du PIC MA 2 (PIC : Poste
d’Information et de Contrôle de la MA2). Je reconnais Antoine derrière la vitre
sécurisée et lui adresse un petit mot amical. La grille se déverrouille, je la pousse.
Ça y est je suis dans mon bâtiment. Je ne suis pas encore arrivé pour autant. Je
suis au rez-de-chaussée. Je fais un petit crochet par le bureau des surveillants.
« Salut tout le monde. » Je serre les mains ou fais la bise et je leur souhaite une
bonne matinée. Un petit mot rapide et je reprends ma route. Une nouvelle grille
puis rapidement la porte qui mène au sous-sol où se trouve ma classe. Un escalier
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étroit puis une nouvelle porte. Elle s’ouvre sur un sas. J’aperçois le surveillant
d’activité. Il est 8h36. Je ne suis pas en avance.
-Salut Arthur
-Salut Christian
-Alors quoi de neuf depuis hier ?
-Oh pas grand-chose ! Tu n’en auras pas beaucoup ce matin.
-Ah bon !!!
-Écoute j’appelle mais selon les étages je peux te dire que t’en auras pas
beaucoup.
Cette remarque d’Arthur nous renvoie au concept d’organisation prison développé par
FEBRER (2011). Selon lui, chaque membre d’une organisation se comporte comme un
acteur qui interprète à sa manière un rôle identique. Selon cette idée, Arthur qui connait
les surveillants affectés à chaque étage anticipe la réaction de chacun d’entre eux
lorsqu’ils devront ouvrir les portes des cellules des détenus-élèves. De l’ouverture
effective ou non de la cellule dépendra le fonctionnement de l’enseignement.
Arthur m’ouvre la grille. Il me tend également les clés des armoires de ma classe
dans lesquelles sont rangé le matériel, et les demandes écrites de scolarisation.
-Tiens ! Tes fans t’ont écrit !
Arthur m’ouvre la grille d’accès à l’aile des activités. Il m’accompagne. Nous
passons devant le salon de coiffure dont la porte est encore vide, et nous arrêtons
avant la bibliothèque. Je suis arrivé. Un dernier tour de clé et je suis enfin dans
ma classe après avoir franchi 16 portes dont je ne maîtrise pas l’ouverture.
Nous voyons là le poids de l’espace contraint de la prison y compris pour ceux qui y
travaillent. (FASSIN, 2015)
48
Ainsi, chaque bâtiment, les deux maisons d’arrêt et les deux centres de détention,
comporte une salle de classe située à l’étage des activités (musculation, coiffeur et
bibliothèque) dédiée aux détenus.
Avant chaque cours, le surveillant d’activités appelle les surveillants d’étages qui
ouvrent les portes de cellules des élèves, tous convoqués par mes soins sur le logiciel
GENESIS qui gère les mouvements des détenus.
Une fois en classe ils ne peuvent plus circuler hors de la salle au risque de se faire
reprendre par le surveillant d’activité. Nous ne pouvons pas par exemple nous rendre à
la bibliothèque située juste à côté de la classe dans le même couloir. De la même manière,
ils ne peuvent pas sortir fumer une cigarette ou se dégourdir les jambes à la pause, lors
d’un cours de 3h. Un détenu ne doit pas circuler au sein de la maison d’arrêt sans
justification et sans contrôle.
Par ailleurs notre emploi du temps doit prendre en compte le rythme de la prison et
ne pas empiéter sur les horaires des repas, des ateliers ou de la promenade.
Il faut noter que l’assiduité à l’école est prise en compte pour les remises de peine
supplémentaires (RPS)
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progressivement d’abord dans une école puis dans une classe mais de descendre au sous-
sol, à l’étage des activités puis enfin d’entrer directement en classe.
→ La salle de classe n’est pas aussi sanctuarisée que je le souhaiterais. Elle se situe
juste avant la bibliothèque et comme je ne peux pas refermer la porte de ma classe, lorsque
des détenus se rendent à la bibliothèque, ils interpellent mes élèves pour leur parler ou
tout simplement dire bonjour ce qui perturbe le cours et déconcentre mes élèves de leur
travail.
Par ailleurs, il est important de savoir qu’en prison, l’activité école se distingue
notamment des activités de travail et de formation professionnelle très demandées par les
personnes détenues car celles-ci sont rémunérées. L’école entre donc en concurrence avec
d’autres activités. Ce qui induit que des personnes inscrites à l’école le sont par dépit et
peuvent ne plus revenir en classe sitôt leur inscription au travail ou en formation activée.
Il existe un très fort turn-over en maison d’arrêt. Cela signifie que les entrées et les
sorties sont incessantes. A cela, plusieurs raisons parmi lesquelles le fait que la durée des
séjours en maison d’arrêt est très variable et peut aller de quelques semaines à deux ans.
Ainsi, chaque semaine, j’accueille une quinzaine de nouveaux élèves et environ autant
arrêtent l’école. Ceux-ci sont libérés, transférés ou bénéficient d’une réduction de peine
ou d’un aménagement de peine ou bien encore intègrent une formation professionnelle
ou sont classés au travail. Ces deux dernières activités étant rémunérées les détenus-
étudiants préfèrent suivre une activité rémunérée plutôt qu’une qui ne l’est pas. Mes
élèves ne savent donc pas à l’avance pour combien de temps ils seront scolarisés. Ils
peuvent aussi ne plus vouloir venir suivre les cours et préférer sortir en promenade.
Concrètement cela a pour incidence qu’à l’instant T, le groupe classe est constitué
d’élèves scolarisés depuis un jour, une semaine, voire plusieurs mois.
Une autre particularité est que des élèves sont régulièrement absents pour cause de parloir
ou de rendez-vous médical. La conséquence de cela est que le groupe classe, d’une séance
à l’autre, n’est jamais exactement constitué des mêmes élèves.
Il n’est pas aisé dans ces conditions de créer une ambiance de classe permettant à
chaque élève qui vient à l’école entre 1h30 à 4h30 par semaine de construire un sentiment
d’appartenance au groupe. Je dois m’efforcer de créer un parcours d’apprentissage
50
personnalisé et adapté à chaque élève et en parallèle proposer des activités qui visent à
favoriser le sentiment d’appartenance au groupe.
S’ajoute à cela le fait que mes élèves arrivent en classe de manière échelonnée sur
une durée d’environ 30 à 45 minutes et que je dois consacrer du temps pour noter les
demandes administratives des élèves comme par exemple des attestations de scolarité ou
des changements de créneaux horaires.
Comme décrit dans la partie 4.1.1, je convoque chaque nouvel élève de deux manières
selon le destinataire :
-pour les surveillants d’étages, je convoque sur le logiciel de gestion des personnes
détenues (GENESIS) les personnes qui ont formulé une demande de scolarisation et qui
sont susceptibles de suivre un enseignement de vingt heures d’enseignement.
Cette convocation est la seule officielle. C’est elle qui théoriquement permet aux
surveillants d’ouvrir après consultation de GENESIS d’ouvrir la porte des cellules aux
détenus inscrits à l’école pour leur permettre de s’y rendre.
-pour le détenu, je l’invite à une première prise de contact sur une fiche papier que
je lui transmets via le surveillant d’activités et les surveillants d’étages. (Annexe 4)
Cette convocation n’est pas obligatoire mais elle me parait indispensable pour
responsabiliser la personne qui pourra anticiper son rendez-vous et s’inscrire ainsi dans
un processus social valorisant.
Cette convocation pourra lui permettre de mettre le drapeau c’est-à-dire glisser un papier
par l’embrasure de la porte pour indiquer aux surveillants qu’elle doit se rendre à un
rendez-vous.
Mais très souvent, des détenus m’écrivent pour me dire qu’ils ont reçu leur convocation
une fois l’heure du rendez-vous passée ou ne viennent tout simplement pas au rendez-
vous. Peut-être ont-ils préféré sortir en promenade ou peut-être n’ont-ils pas eu
l’information tout simplement. Je n’ai aucun moyen de le savoir.
51
Extrait d’un verbatim entre Arthur, surveillant d’activité, et moi-même
Mardi 20 novembre 8h25
J’analyse cette réalité quotidienne contre laquelle je ne peux rien faire à la lumière de ce
qu’écrit FEBRER(2011) à propos de l’organisation prison. Chaque membre rempli son
propre rôle. Le mien est d’enseigner mais celui des surveillants est de surveiller. De
nombreuses tâches leur incombent. Ils doivent ainsi gérer les déplacements promenades,
les rendez-vous imposés (parloir, psychologue etc.). Ils n’ont pas que les élèves-détenus
à gérer. De plus ils doivent souvent faire face à des situations imprévues.
Je regrette que certains élèves déclarent être empêchés de venir en classe mais il est
possible que cela se passe parfois comme l’explique FEBRER (2011). Le détenu peut ne
pas avoir envie de venir en classe et anticiper la réaction du surveillant en faisant exprès
de ne pas être prêt, à l’heure prévue, et ainsi se voir refusé l’accès à l’école. Le surveillant
lui referme la porte en arguant qu’il aurait dû être prêt. Il me communiquera sans doute
que l’élève a refusé de venir en classe. Cela fait partie du cloisonnement de l’organisation
prison. Je n’ai aucun moyen d’intervenir auprès des surveillants d’étages.
52
Cet homme a réussi à me faire parvenir le motif de son absence et j’ai ainsi pu lui redonner
un autre rendez-vous qu’il honorera deux semaines plus tard.
Là encore, cet aspect montre la difficulté de communiquer en prison. Cela s’explique par
les contraintes liées à la sécurité. Il pourrait sembler plus efficace que je puisse remettre
en main propre chaque courrier directement à la personne. Mais ceci est impossible.
53
convocation. (Annexe 7) Ce courrier passe par au moins deux surveillants avant d’arriver
au détenu. Cette transmission augmente les délais et les risques de non distribution. Ceci
explique que certains reçoivent leur convocation après l’heure du rendez-vous. Cela
accroit ainsi la difficulté pour un étudiant d’être scolarisé ainsi que le sentiment qu’on
l’empêche de suivre une activité.
D’autres élèves arrivent en retard ou ne voient pas leur porte de cellule s’ouvrir. Ainsi
Messieurs Olivier, Saïd et Aumont. dont je retranscris ici les paroles.
En remontant les surveillants sont dans le bureau. J’entre pour expliquer mon
point de vue sur l’incident. Je sais que je marche sur des œufs. J’explique le motif
de l’entrée dans la classe de Monsieur Bertrand qui voulait m’informer qu’il avait
55
été « empêché » de venir en et ne voulait surtout pas être supprimé de la liste des
inscrits. Je comprends que toute explication est peine perdue.
L’officier me demande de le supprimer des listes de l’école et Arthur, le surveillant
d’activité me dit : « De toute façon, même s’il est sur la liste il ne franchira pas la
grille ! »
J’apprendrai plus tard que Monsieur Bertrand a été placé au quartier à l’isolement,
suite à cet incident, par mesure disciplinaire parce qu’il a insulté le chef de
détention en remontant vers les étages. L’école est terminée au moins pendant un
temps pour ce détenu.
Je reçois cette demande quotidiennement. Ce court dialogue est très représentatif d’une
fonction singulière de l’école en prison. Celle-ci en effet est un moyen pour la personne
placée sous main de justice de voir sa peine réduite.
56
qu’un commentaire sur l’assiduité et l’investissement. Je la remets ensuite, soit au
Conseiller pénitentiaire (CPIP), soit au détenu lui-même. Le Juge d’Application des
Peines (JAP) utilise ce document pour évaluer, lors d’une Commission d’Aménagement
de Peine (CAP), l’investissement consenti de la personne dans les différentes activités
dont l’école fait partie. Ainsi aller à l’école peut, en théorie, réduire la peine jusqu’à sept
jours par mois d’incarcération.
L’école peut ainsi parfois devenir une machine à réduction de peines.
« Demandez l’école, vous aurez des RPS », « Pourquoi vous voulez arrêter
l’école ? Vous allez perdre des RPS » sont des phrases souvent entendues dans la
bouche de surveillants.
L’école est ici un moyen de pression utilisé par l’administration pénitentiaire pour
engager le détenu dans une activité.
Mais cela pose clairement la mission de l’enseignement en prison qui selon les textes
institutionnels est « de permettre à la personne détenue de se doter des compétences
nécessaires pour se réinsérer dans la vie sociale et professionnelle » (Circulaire
d'orientation Education nationale/Administration pénitentiaire (8/12/2011)).
On peut alors se demander si toutes les personnes qui formulent une demande
d’inscription à l’école le font pour les bonnes raisons, c’est-à-dire celles prescrites par
l’institution ou bien avec l’unique objectif de sortir plus tôt. Combien de demandes
formulées uniquement par stratégie ? Difficile à dire. Mais peu importe, le défi, pour
l’enseignant, comme le rappelle FEBRER (2011), est de saisir cette « opportunité
d’apprentissage » et de « trouver les moyens de l’expliciter et de la rendre lisible. »
Quelles que soient les motivations, toute demande de scolarisation doit être considérée
comme une opportunité de contribuer à la réinsertion en utilisant des situations
pédagogiques, des relations interpersonnelles valorisantes et humaines.
57
Bien sûr je sais que mes élèves, en principe condamnés, ont tous commis un acte
délictueux. Cependant le terme voyou utilisé par ce surveillant me choque. Pour moi ce
sont des élèves, des étudiants, des stagiaires, des apprenants, mais en aucune façon des
voyous. J’ignore les motifs de leur incarcération et je ne tiens pas à les connaître.
Comment peut s’effectuer le pari d’éducabilité si je les "considère" en fonction des actes
qu’ils ont commis ?
Cette autre remarque d’un surveillant lors d’une discussion informelle dans l’ascenseur
du bâtiment administratif est encore plus violente.
Je me penche alors sur les travaux de BENGUIGUI, CHAUVENET et ORLIC (1994) qui
ont travaillé sur les différentes missions des surveillants. Ils nous disent que la mission
essentielle des surveillants est une mission de sécurité « assurer la garde et l’entretien des
détenus et veiller à la sécurité des prisons. » Celle des enseignants en prison est de
contribuer via la formation à la réinsertion des personnes. Nos missions sont
complémentaires, mais d’une certaine manière, contradictoires.
J’émets une autre hypothèse explicative. Les surveillants connaissent les motifs
d’incarcération et les condamnations antérieures des détenus contrairement à moi. En
effet, je n’ai pas accès aux fiches pénales et par choix pédagogique je tiens à en savoir le
moins possible sur leurs affaires de peur de dénaturer le pari d’éducabilité. Celle-ci
« interdit d'obturer définitivement son avenir en le condamnant à n'en faire qu'une
duplication de son passé ; elle laisse ouverte la possibilité d'un changement, d'une réussite,
d'une rédemption, dont nous savons bien, dans le registre de l'humain, qu'ils peuvent
toujours advenir. ». (MEIRIEU)
58
D’une manière caricaturale l’enseignant parie sur le changement de la personne et donc
sur sa réinsertion, le surveillant la garde pour ce qu’elle a fait. Ces deux points de vue
dépendraient ainsi de la mission du professionnel.
1er Extrait d’un verbatim entre M. Bensaïd, élève, et moi-même (Annexe 10 et 11)
Lundi 18 mars 15h
J’accueille des personnes nouvellement inscrites à l’ULE pour une première
prise de contact.
Monsieur Bensaïd entre dans la classe en même temps que cinq autres personnes ;
quatre personnes sont déjà installées autour des tables disposées en grand îlot. Je
salue chacun des nouveaux arrivants et m’adresse à Monsieur Bensaïd en le priant
de bien vouloir m’excuser pour le lundi précédent. En raison d’une mauvaise
manipulation de ma part sur le logiciel de gestion des déplacements de la prison,
GENESIS, il n’a pas pu arriver jusqu’à l’école. Il s’est fait refouler par le
surveillant d’activité qui gère les activités du sous-sol dont l’école fait partie. Il
me répond « C’est pas grave » mais je le sens agacé.
Au bout de 10 minutes, Monsieur Bensaïd se lève et vient me trouver à mon bureau.
Il est agité.
« Voilà ! Là, y faut que je sorte. J’ai besoin de récupérer du tabac
-Vous ne pouvez pas sortir. Le surveillant d’activité ne vous laissera pas remonter.
-S’il vous plaît j’ai vraiment besoin de fumer. J’deviens fou. Et puis vous me devez
bien ça ! Vous vous êtes trompé la semaine dernière.
-Si vous remontez le surveillant me demandera de vous désinscrire.
-Quoi !! me crie-t-il très énervé. Vous me dites que je serai désinscrit alors que la
semaine dernière c’était votre faute ! On veut me rendre fou ici ! On me balade !
Ça fait un an que j’étais à l’école en MA1 et on m’a dit que j’étais sur liste
d’attente en Anglais. Et toujours rien ! »
Je le prie de m’excuser mais je ne pouvais pas savoir qu’il avait été inscrit en MA1
avant d’être transféré en MA2.
Je regarde sa fiche de renseignements et je vois qu’il souhaite suivre les cours
d’anglais.
59
Je l’informe que ce n’est pas moi qui dispense ces cours, ce sont des enseignants
vacataires et je lui indique qu’il y a beaucoup de demandes en Anglais et qu’il
serait sans doute sur liste d’attente.
Monsieur Bensaïd entre alors dans une fureur noire.
« Casse les couilles !! Vous me dîtes que vous allez me mettre sur liste d’attente.
C’est bon là !! Je remonte ! »
Je comprends que quoi que je dise, je ne parviendrai pas à apaiser Monsieur
Bensaïd.
Il tourne les talons et sort de la salle de classe en se dirigeant vers le bureau des
surveillants.
J’entends qu’il discute avec l’officier et le chef de bâtiment qui tentent de le
raisonner.
« Restez !! Si vous remontez vous serez désinscrit de l’école et vous n’aurez pas
vos RPS (Remises de Peine Supplémentaires).
-C’est pas grave ! Ça casse les couilles ! J’m’en fou des RPS ! »
J’entends la porte se déverrouiller puis se verrouiller. Je comprends que Monsieur
Bensaïd est remonté. Parviendra-t-il à récupérer son tabac ?
Dix jours plus tard, Monsieur Bensaïd qui se rend à la bibliothèque s’arrête devant le seuil
de la classe et demande à me parler. Je l’invite à entrer.
60
2ème Extrait d’un verbatim entre M. Bensaïd, élève, et moi-même
Vendredi 29 mars 9h15
-Bonjour Monsieur Guillemet
-Bonjour Monsieur Bensaïd.
-Je viens vous voir parce que je ne me suis pas bien comporté la dernière fois et
je tiens à m’excuser.
-Ecoutez, j’apprécie votre démarche…
-J’étais vraiment pas bien la dernière fois. J’avais les nerfs. J’étais en train de
changer de cellule et j’avais les nerfs. J’avais pas fumé et j’étais à cran.
-Ecoutez ! L’école doit être un lieu de sérénité. Vous devez pouvoir vous y sentir
bien ! Détendu !
-Oui ! Je sais ! C’est moi ! J’ai déconné et s’il vous plaît, excusez-moi encore !
J’aurais pas dû venir dans cet état. Vous savez j’ai vraiment envie de changer. »
Monsieur Bensaïd. le dit très bien, il tente de reprendre le contrôle de lui-même. Il subit
les effets psychologiques de l’incarcération avec notamment une perte de contrôle de son
environnement et du choix de ses actions. (COOKE, BALDWIN, HOWISON, 1990).
De plus, comme 80 % de détenus, Monsieur Bensaïd fume des cigarettes et comme plus
du tiers d’entre eux il déclare être dépendant au cannabis (CHÉNÉ, 1994). Cette situation
de sevrage à des substances addictives comme peuvent l’être le tabac ou le cannabis dans
un environnement fortement anxiogène est un facteur qui accentue une compétence
sociale dégradée. (DUTRENIT,2005).
Lorsqu’il arrive lors de notre premier entretien le 18 mars et que je lui propose de refaire
ce qu’il a fait neuf mois auparavant, c’est-à-dire de reprendre le processus de scolarisation
à zéro il se met en colère. Essayons d’analyser et de discuter cette réaction au regard du
concept de la compétence sociale développé par DUTRENIT (2005).
61
Monsieur Bensaïd. déclare vouloir « changer, arrêter les conneries » pour s’insérer dans
la société. Il investit l’école comme étant un outil de ce changement. Ses attentes vis-à-
vis de moi sont grandes. Or je commence par une erreur de manipulation informatique
qui l’empêche de descendre à l’école et ensuite je lui propose de revenir au début du
processus de scolarisation entamé il y a neuf mois. Sa relation avec l’école, représentée
par l’enseignant est, à juste titre, considérée de son point de vue comme déséquilibrée.
Cet échange emprunte le circuit de réciprocité négative (2) sur le schéma proposé par
DUTRENIT (2005).
L’école ne répond pas à sa demande et lui fait prendre neuf mois de retard. Il ne comprend
pas pourquoi il doit repartir à zéro et reprendre le processus d’inscription au départ. Il
estime que les échanges lui sont défavorables, ce qui est justifié, et cela provoque alors
en lui un sentiment sinon de vengeance, tout au moins de vive colère. Ce sentiment est
accentué par son fort désir de changer de vie.
Le fait de lui présenter mes excuses pour le premier rendez-vous manqué et pour l’erreur
administrative de la seconde convocation, et d’adopter une attitude empathique a
contribué à son retour en classe onze jours plus tard.
62
4.4.4 Une estime de soi à stabiliser
Monsieur Henri est un homme dont l’estime de soi semble très dévaluée. Il pleure souvent
et semble vivre très difficilement la détention. Les autres détenus mais aussi les
surveillants ne supportent plus ses plaintes permanentes. Je sens pourtant chez lui un
grand sentiment d’insécurité psychologique. Il semble par ailleurs être rejeté des autres
détenus et se dévalorise en permanence. Cela fait trois composantes défaillantes sur les
quatre essentielles repérées par DUCLOS (2010).
Un grand nombre de mes élèves, environ 40 % de mes élèves sont incarcérés pour des
délits routiers. La plupart des personnes concernées sont contraintes de repasser leur
permis de conduire. De plus, certaines personnes incarcérées pour un autre délit ne
possèdent pas le permis. Il me semble pertinent de proposer un accès à des leçons et des
exercices du code de la route sur les ordinateurs de la classe aux personnes dont la date
63
de libération prévue est proche et qui n’ont par ailleurs pas de besoins plus urgents. Ceci
d’autant plus que l’école constitue le seul accès possible au sein de la prison à une
préparation au code de la route.
5 Conclusion et perspectives
64
-de développer à tous les niveaux du parcours de formation une approche
différenciée du public, en soutenant ceux qui en ont le plus besoin ;
-de permettre aux personnes d'acquérir, outre les savoirs fondamentaux, les
repères et références indispensables à l'exercice de la responsabilité et de la
citoyenneté ;
-de préparer les diplômes ou, si besoin, de rechercher les moyens de
validation des acquis les plus pertinents pour chaque personne.
Cependant nous avons vu que cet enseignement est dispensé dans le contexte singulier
très contraignant de l’organisation prison très réglée qui influe grandement son
appréhension. Parmi ces contraintes, on peut citer celles qui sont liées à la sécurité des
détenus et des intervenants comme par exemple les déplacements d’élèves très encadrés,
celles liées aux entrées et sorties permanentes, aux absences incontournables (parloirs,
rendez-vous médicaux), à la concurrence avec d’autres activités (travail, sport, formation
professionnelle, culte), à l’incertitude des temps d’enseignement, ou à une procédure de
scolarisation lourde et rigide.
L’enseignant n’ayant aucune prise sur ces impératifs, il n’a pas d’autre choix que de s’y
soumettre et de s’adapter. Il devra par exemple accepter d’avoir un groupe classe incertain
et sans cesse renouvelé mais aussi comme l’indiquent les textes institutionnels
individualiser son enseignement.
65
Ce travail de recherche a également modifié ma posture professionnelle vis-à-vis des
élèves. Tout en restant fidèle aux injonctions institutionnelles je m’autorise à tenir compte
des réalités du terrain. Par exemple lorsque je pense que proposer à un élève de réviser le
code de la route est le plus sûr moyen de lui permettre une réinsertion réussie je lui
propose un enseignement au code même si je ne suis pas moniteur d’auto-école. Je
m’adapte ainsi aux besoins spécifiques de la personne.
Cette recherche m’a également permis de comprendre que des concepts tels que l’estime
de soi, la compétence sociale ou l’acceptation sociale perçue sont déterminants dans
l’efficience des relations interpersonnelles, que ce soit entre l’enseignant et le surveillant
ou l’enseignant et l’élève. Dorénavant, je suis plus exigeant quant à la qualité des liens
que je tisse avec les personnes dans mon cadre professionnel et je prends soin de
construire une identité valorisante de mes élèves mais aussi des professionnels avec
lesquels je travaille.
L’enseignant en milieu carcéral évolue dans un contexte qui n’est pas pensé pour lui et
qui est soumis à de fortes contraintes et de nombreuses incertitudes. Il est contraint de
s’adapter à ces conditions particulières de façon à remplir sa mission. Ce travail de
recherche m’aura permis de réfléchir et d’affirmer mon statut de "spécialiste" en
m’accommodant des particularités liées à ce contexte. Je suis en mesure dorénavant de
faire le pari qu’une valorisation de l’identité associée à une pédagogie des besoins
particuliers peuvent contribuer à une réinsertion réussie.
Je souhaiterais poursuivre ma réflexion avec des élèves condamnés à des peines plus
longues, dans un bâtiment où les mouvements sont plus souples, afin d’observer et
analyser les différences et les invariants qui concernent l’enseignement.
Enfin, j’aimerais interroger les élèves-détenus pour mesurer l’impact de l’école sur leur
détention mais aussi après leur libération.
66
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
AMIGUES, R. et ZERBATO-POUDOU, M-T. (2009). Comment l’enfant devient élève,
Paris : Retz.
BERNOUX, P., (1985), La sociologie des organisations, Paris, Collection Points essais,
Editions du Seuil
FAMOSE, J-P., BERTSCH, J., (2017), L'estime de soi : une controverse éducative, Paris,
P.U.F.
JUNKER, B. H., (1960) Field Work, Chicago, The University of Chicago Press traduit in
Le regard sociologique, pp. 267-279
Articles
BEAUVAIS, D., et RAMBOURG, C. Agiter les cellules grises : les enjeux de l'école en
prison. Présentation du dossier, La nouvelle revue de l'adaptation et de l'adaptation et de
la scolarisation 2012/3 (N° 59), pp. 5-9
Documents en ligne
Mémoire CAPA-SH
JOLY, B., (2012) Comment (re)devenir élève en milieu carcéral ? Académie Nancy –
Metz
REPERTOIRE DES SIGLES
AP : Administration Pénitentiaire
API : Alarme Portative Individuelle
CAP : Commission d’Application de Peine
CD : Centre de Détention
CFG : Certificat de Formation Générale
CP : Centre Pénitentiaire
CPIP : Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation
FLE : Français Langue étrangère
JAP : Juge d’Application des Peines
LPP : Lecture et Population Pénale
MA : Maison d’arrêt
PCI : Poste de Centralisation de l’Information
PIC : Poste d’Information et de Contrôle
QD : Quartier Disciplinaire
QI : Quartier à l’Isolement
RLE : Responsable Local d’Enseignement
RPS : Remise de Peine Supplémentaire
SPIP : Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation
UCSA : Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires
ULE Unité Locale d’Enseignement
UPR : Unité Pédagogique Régionale
ANNEXES
Certaines photographies sont issues d’une plaquette de présentation de la prison éditée à l’initiative de
l’Agence publique pour l’immobilier de la Justice lors de sa construction en 2009.Les autres ont été prises
par moi-même.
1
Annexe n°2
2
Annexe n°3
3
Annexe n°4
4
Annexe n°5
5
Annexe n°6
6
Annexe n°7
7
Annexe n°8
8
Annexe n° 9
9
10
11
12
Annexe n°10
13
Annexe n°11
14
Annexe n°12
15
Annexe n°13
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Annexe n°14
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