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Les derniers jours de la Société des Nations, par Adolfo Costa du Rels (... https://www.monde-diplomatique.

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Les derniers jours de la


Société des Nations
Le récit, d’un grand intérêt historique, qu’on lira ci-dessous est tiré d’une communication faite le
11 mai à l’Académie diplomatique internationale par le dernier président du conseil de la S.D.N.
L’auteur rappelle tout d’abord comment la première organisation politique mondiale des États,
privée dès le début du concours des États-Unis, puis désertée par l’Allemagne et l’Italie, décida,
à la suite de l’attaque soviétique contre la Finlande, d’exclure l’U.R.S.S. ; il en vient ensuite à
décrire la fin de la S.D.N. au milieu d’une Europe en feu.

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M
�� fonctions m’obligèrent, dans la mesure du possible, pendant les premiers mois de
l’année 1940, à demeurer au siège de la Société, en contact permanent avec le
secrétaire général et les divers services. Au Palais des Nations affluaient tous les
matins des informations et des rapports alarmants. Au fur et à mesure que la bonne
saison s’annonçait, le monde prenait une mauvaise figure. L’Allemagne massait des
troupes à la frontière suisse. Bâle était sous les canons de Hitler. Le gouvernement helvétique, qui
avait pris des mesures de précaution, se montrait fort craintif quant à l’avenir prochain. Et il était
visible que la présence de la Société des Nations sur son territoire était, pour Berne, un sujet de graves
préoccupations.

Mise en veilleuse
Dans le courant de mars, et sur mon initiative, je fus convoqué au département fédéral par un des plus
hauts fonctionnaires de cette section administrative qui est, comme vous le savez, le ministère des
affaires étrangères de la Suisse.

Avec des circonlocutions un peu embarrassées, baignant toutes dans la plus exquise des amabilités, il
me fit part des soucis de son gouvernement et me demanda de surseoir à la réunion de tout comité,
entre autres du comité de contrôle, organisme apolitique chargé de l’administration intérieure. « Les
activités de la Société, me dit-il, sont jugées par l’Allemagne et l’Italie comme pouvant constituer une
menace contre leurs intérêts. » Je fis remarquer à mon interlocuteur que les activités de la commission
de contrôle ne pouvaient sérieusement porter atteinte, en quoi que ce fût, à la traditionnelle neutralité
suisse. Il me fut répondu que la présence redoutable d’une force allemande à la frontière nord du pays
obligeait les autorités helvétiques à ne pas fournir au gouvernement national-socialiste le moindre
prétexte de nature à aggraver une situation déjà par elle-même très délicate. Je crus comprendre que
le gouvernement helvétique était informé que les armées allemandes envisageaient, en cas d’échec au

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nord, de tourner le dispositif défensif de la France par la trouée de Belfort, et, au besoin, d’envahir le
territoire de la Confédération.

Expulsé de France
De retour à Genève nous prîmes avec le secrétaire général la décision de surseoir à la convocation de
la commission de contrôle, tout en prenant des mesures conservatoires destinées à préserver en cas
d’invasion l’actif financier de la Société, dont je dois dire que M. Joseph Avenol — aidé par un comité
d’experts de premier ordre — avait été l’administrateur prévoyant et zélé. Issu de l’administration des
finances française, M. Avenol apporta à cette tâche une compétence éclairée à laquelle je tiens ici à
rendre hommage.

La Wehrmacht aux Pyrénées


Le danger allemand ayant été détourné vers la Hollande, la Belgique et le nord de la France, je quittai
la Suisse pour l’Espagne, où m’appelaient des devoirs urgents. L’avance allemande me trouva sur le
chemin du retour, vers la mi-juin 1940, entre Bordeaux et Biarritz, où j’assistai avec la tristesse qu’on
imagine au passage de la Wermacht vers les Pyrénées, muraille symbolique qu’elle ne devait jamais
franchir. Sur ces entrefaites je lus dans une feuille locale la nouvelle de presse suivante : « M. Avenol,
secrétaire général de la S. D. N., a déclaré hier que le président de l’Assemblée, M. Hambro, étant
immobilisé en Norvège occupée et que le président du conseil, M. Costa du Rels, demeurant introuvable,
il assumait, dans les actuelles circonstances, la totalité des pouvoirs. »

Le 30 juin au soir, dans des circonstances que je raconterai un jour, je fus invité par un officier
allemand parlant parfaitement l’espagnol à quitter le lendemain le territoire français. Je lui répondis
en français et puis en anglais langues officielles de la S.D.N., pour lui demander la cause de cette
expulsion. Il me répondit, toujours en espagnol : « Orden superior. » Bien des mois plus tard j’appris,
par hasard, que la cause véritable de cette décision était l’interview accordée par moi à M. d’Alderete,
représentant de l’agence Havas à Biarritz, texte téléphoné de cette ville à Bordeaux, afin d’être câblé
au-delà des mers. Les services allemands le captèrent, et il paraît qu’il ne fut pas de leur goût.

Par des moyens de fortune je pus passer en zone libre avec mes collègues l’ambassadeur Carcano,
d’Argentine, et le ministre Sotomayor, de l’Équateur. Après divers incidents et un séjour forcé de
quatre semaines à La Bourboule, je pus me rendre à Vichy, où le gouvernement du maréchal Pétain
venait de s’installer. Convoqué au ministère des affaires étrangères, je fus officiellement informé que
les événements mettaient la France dans la dure obligation d’avoir à quitter la S.D.N., et qu’ordre avait
été donné à M. Avenol, ressortissant français, de se démettre de ses fonctions de secrétaire général.
On me pria de me rendre à Genève afin de présider à la passation des pouvoirs au secrétaire général
adjoint.

Un revenant
Le 2 août 1940 je me présentai au Palais des nations, où je dus faire figure de revenant.

Il m’est un peu pénible d’évoquer cette période dont, pour la première fois aujourd’hui, je parle en

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public. Je trouvai le personnel du secrétariat corrodé par des intrigues internes et finalement divisé
entre les deux tendances politiques qui allaient si profondément se partager l’Europe. M. Avenol
m’informa qu’il avait présenté directement aux États membres sa démission conditionnelle et qu’il
entendait demeurer à Genève, en gardant son titre et ses prérogatives, tout en écrivant l’histoire de la
Société des Nations. Je ne crus pas pouvoir partager ce point de vue, d’autant plus que cette demi-
démission aggravait en les arrondissant les crevasses administratives et pouvait au contraire favoriser
des intrigues politiques. C’est ce qui arriva effectivement. Le jour même je reçus à mon hôtel la visite
d’un personnage fort connu, ressortissant d’un pays neutre, qui venait me suggérer d’étudier la
possibilité de faire un geste favorable à l’Axe, geste anodin et presque symbolique, selon mon
interlocuteur, en mettant à la disposition de leurs consulats respectifs à Genève les archives de la
coopération intellectuelle, pour « une étude comparée ». Je savourai avec une certaine ironie cette
nécessité si inattendue d’une étude comparée, et mon interlocuteur comprit, car il était intelligent,
qu’il venait de donner un coup d’épée dans l’eau. Mais je sus par la suite que je n’avais pas été le seul à
être touché par lui, dans le but inavoué d’utiliser les archives déjà mentionnées, pour diriger la
propagande de l’Axe vers l’Amérique latine, la Gestapo ayant déjà mis la main sur une partie des
archives restées à Paris, au siège de la Coopération intellectuelle, au Palais-Royal.

M. Avenol fut mandé à Vichy, et entre temps j’acceptai sa démission sans condition et installai dans
ses nouvelles fonctions le secrétaire général adjoint, M. Sean Lester. Ainsi prit fin cette crise interne
de la S.D.N. qui aurait pu se prolonger, mettant en danger et la discipline et le moral d’un personnel
international appelé pour ainsi dire à affronter quatre années de réclusion en territoire helvétique. Si
je rapporte ici tous ces faits, c’est afin de mettre au point certaines contre-vérités qui ont été
répandues par la suite.

Des mesures d’urgence, nécessitées par le développement des opérations militaires, furent prises afin
de conserver aux activités techniques une existence provisoire. Grâce à l’obligeance du gouvernement
canadien, le B.I.T. fut transféré à Montréal, tandis que l’Université de Princeton, Institut for
Advanced Study et la Rockefeller Institut for Medical Research offraient une hospitalité dont on ne
fera jamais assez l’éloge aux autres services financier et hygiénique de la S.D.N.

L’agonie
Au mois de septembre 1940 nous nous vîmes devant l’obligation inéluctable d’avoir à réunir la
commission de contrôle, nerf moteur de la vie administrative de la société. Le gouvernement
helvétique ne sembla pas plus qu’au mois de mars enclin à voir fonctionner, ne fût-ce qu’au ralenti, ce
rouage de l’organisme, pour les mêmes raisons déjà invoquées, d’autant plus que le vainqueur
provisoire de la guerre était aux portes de Genève. Il alla même plus loin : il cessa de reconnaître les
immunités des délégués permanents auprès de la S.D.N.

Nous décidâmes donc, en complet accord avec M. Hambro, président de ladite commission, réfugié à
Londres, de demander l’hospitalité du Portugal. Celle-ci nous fut accordée sur-le-champ. Le
gouvernement du Dr Salazar, avec une compréhension qui l’honore, nous offrit l’hospitalité d’Estoril
pour nos délibérations. Mais celles-ci faillirent être retardées par le refus du gouvernement espagnol
de laisser passer le car de la S.D.N. à travers son territoire, et le secrétaire général, le président de la
Cour de justice et le reste du personnel durent rebrousser chemin de la frontière française. Sir Cecil
Kich, délégué britannique, dont l’avion, pris en chasse par les stukas allemands au large de Bordeaux,
faillit être abattu, nous rejoignit et nous pûmes, au milieu d’inconvénients de toutes sortes, voter les
budgets de 1941 à 1946, ce qui permit à la Société de vivre pendant tout le cours de la guerre.

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À la fin des hostilités on se demanda si la S.D.N. reprendrait ses activités. Mais les vainqueurs en
décidèrent autrement. Les préliminaires de Dumbarton Oaks préludèrent à l’établissement d’une
nouvelle Charte des Nations unies, qui trouva à San-Francisco sa forme définitive.

Au mois d’octobre 1945, étant en Argentine, je fus mandé à Londres pour profiter de la première
assemblée des Nations unies afin d’étudier les modalités de liquidation de l’organisme dont nous
avions la charge. Après une lente élaboration, le remplacement de la S.D.N. par l’O.N.U. fut décidé et
une dernière assemblée convoquée à Genève, du 8 au 18 avril 1946. Le climat en fut assez sombre et
mélancolique. Les délégués ne manquèrent pas de saluer avec des mots d’espoir la naissance de la
nouvelle organisation dont le siège, de par la volonté prédominante de certains grands États, entre
autres l’U.R.S.S. et la Chine nationaliste, et à cause de certaines autres considérations d’ordre
politique, fut retiré de Genève, pour être fixé à New-York.

Il ne m’appartient pas de dire ici lequel, du Pacte de Genève ou de la Charte de San-Francisco, est le
meilleur. Mon expérience de vingt et une années de vie internationale me permet de dire, pour
terminer, que les organismes de coopération internationale et de paix sont des créations humaines
auxquelles il ne faut donner qu’une valeur relative, car elles sont soumises aux changements, souvent
ironiques, de la vie.

A����� C���� �� R���


Ambassadeur de Bolivie près l’UNESCO

Mot clés: Société des Nations (SDN) Histoire Personnalités Organisation internationale
Seconde guerre mondiale 1939-1945 URSS Europe de l’Ouest

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