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… /… La libre circulation des personnes et des États dans la CEMAC ? ii) quels en sont les fac-
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biens, actée depuis 1972 par l’UDEAC, et reprise teurs déterminants ? iii) quel sera, toutes choses
dans la convention de l’Union Economique de égales par ailleurs, le niveau d’engagement de
l’Afrique centrale de 2009, n’a été effective qu’en ces États dans la CEEAC ou la ZLECAF demain ?
2017. En 2021, la taxe communautaire d’intégra- Pour répondre à la problématique ainsi
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tion (TCI) n’a été recouvrée qu’à hauteur de 17%. posée, des études récentes (BAD-UNECA, 2016 ;
Son taux de réalisation n’est que de 33,32% au- 2019 ; Cariolle et al. (2017a, 2018), proposent une
jourd’hui1. La plupart des pays accumulent depuis approche déductive en construisant des indica-
des années des arriérés de cotisation. Ces faits teurs pour mesurer et suivre le niveau d’engage-
stylisés montrent l’intérêt d’étudier les causes de ment des pays. La pertinence de ces indicateurs,
la faible effectivité des engagements. L’inexis- et les hypothèses qui les sous-tendent restent
tence de clauses contraignantes (engagement toutefois controversées2. De plus ces études
lâche) et des contraintes externes et internes n’abordent pas, ou le font indirectement, le pro-
peuvent expliquer la faiblesse des gains attendus blème des contraintes à l’engagement des pays.
de l’intégration régionale, en Afrique centrale, La méthode abductive utilisée dans cette
notamment dans le domaine commercial. note consiste, à inférer les contraintes et les
Or, la stratégie de mise en œuvre du projet causes de l’ineffectivité relative des engage-
africain d’intégration économique définie par le ments pris à travers le niveau d’intégration ac-
Traité d’Abuja, et réaffirmé par l’Acte Constitutif tuel dans la CEMAC, et le degré de respect des
de l’Union africaine préconise une dynamique de principes universels de fonctionnement d’une
2 convergence, d’harmonisation et d’unification CER par ses États. À partir des hypothèses sur ces
progressive des schémas régionaux d’intégra- contraintes, une matrice SWOT en est déduite.
tion. Les Communautés Économiques Régionales Elle permet d’envisager le comportement des
(CER) peuvent en effet jouer un rôle fondamental États de la CEMAC en cas d’élargissement à la
dans la croissance, l’émergence et le développe- CEEAC tout en participant à la ZLECAF.
ment durable. La première section présente brièvement la
Dans cette perspective, les autorités de situation du commerce intra CEMAC pour révéler
l’Afrique centrale ambitionnent d’élargir l’inté- le faible engagement des États. La deuxième sec-
gration régionale en fusionnant la CEMAC et la tion établit les causes de ce faible engagement
CEEAC, tout en participant à la ZLECAF. Une telle à travers le degré de respect des principes de
ambition suppose un niveau d’engagement plus fonctionnement d’un CER constaté. La troisième
accru de la part des États, ne fusse que pour la section discute du niveau futur d’engagement
crédibilité des actions à mener. Elle implique sur- des États.
tout de connaitre les contraintes structurelles,
institutionnelles, et politiques influençant ou sus-
ceptibles d’influencer le niveau d’engagement
La situation du commerce
pour en améliorer l’effectivité et l’efficacité.
intra CEMAC
C’est précisément l’objet de la présente note,
qui tente de répondre à la question préjudicielle Quel que soit l’indicateur utilisé et la période
suivante : Le niveau d’engagement des États au considérée, la CEMAC reste l’une des CER les
processus d’intégration actuel, rend–il crédible et moins intégrée de l’Afrique aujourd’hui, comme
faisable une telle ambition ? En d’autres termes,
i) quel est le niveau d’engagement actuel des 2. La plupart des indicateurs associe des indicateurs de conformité
avec des indicateurs de résultats des politiques d’intégration,
1. Annonce faite par le Président de la Commission à la 37ème ses- des indicateurs de politiques nationales avec des indicateurs de
sion du conseil des ministres de l’union économique d’Afrique politiques communautaires ou, encore, des indicateurs objectifs
centrale, le 8 décembre 2021. avec des indicateurs subjectifs établis à partir d’enquêtes.
le révèlent les graphiques ci-après relatifs à la les décisions prises en matière de tarif extérieur
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part du commerce intrarégional et au taux d’ou- commun (TEC) de libre circulation des biens et
verture au commerce intrarégional. Le volume des hommes, d’harmonisation de la politique fis-
du commerce intrarégional n’a jamais dépassé calo-douanière ; il révèle en termes de résultats,
5% du commerce total de la CEMAC, et ce, malgré le faible engagement des États.
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Source : Les données utilisées proviennent des bases de données de la CNUCED. Le commerce est considéré comme étant la
somme des exportations et des importations. Nous considérons les moyennes sur la période 2010-2017.
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respect volontaire de ce principe est le premier Ce principe qui complète la supranationalité,
signal de l’engagement effectif d’un Etat dans un évite les conflits de compétence entre le niveau
CER. En revanche, le refus implicite ou les délais régional et le niveau national. La règle générale
d’exécution trop longs des décisions prises par est qu’une décision doit être prise par l’instance
4. Zomo Yebe G. (2017) À qui profitera l’intégration de la CEMAC 5. Commission de surveillance du marché financier de l'Afrique
en cas de libre circulation des biens et des hommes ?, CAMES, centrale (COSUMAF) (2009) Comment développer le marché
vol. 1(2). financier en Afrique centrale ?, Rapport, septembre.
Graphique 3. Ouverture au commerce et similitude des exportations
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Figure 1 : Cameroun Figure 2 : Congo
droit douanier communautaire constitué par Ce principe assure la compatibilité entre les
une série de directives et actes adoptés par le politiques et les plans de développement mis
Conseil des ministres. Cette législation douanière en œuvre par les différents États membres
commune repose sur un tarif préférentiel généra- d’une CER. La CEMAC a eu par le passé à élabo-
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lisé, (TPG) un tarif extérieur commun (TEC) et une rer un programme économique régional avec
taxe communautaire d’intégration (TCI) chargée pour objectif l’émergence de la sous-région.
d’alimenter le budget de la Commission. Bien que comportant de nombreuses lacunes,
La fiscalité indirecte a été également harmo- ce programme, ainsi que sa relecture10 n’ont
nisée afin d’éviter des détournements de trafic jamais représenté une base pour la définition
entre les États membres après la suppression des des programmes nationaux. En conséquence,
contrôles aux frontières. Deux mécanismes d’im- on retrouve les mêmes industries (raffinerie,
position sont concernés, les taxes sur le chiffre cimenterie, brasserie) dans la plupart des pays,
d’affaires et les droits d’enregistrement7. comme en témoigne la similitude des produits
Dans la pratique, le respect de cet arsenal des États de la CEMAC. Aucune ne bénéficie des
juridique reste toutefois partiel, car fonction de économies d’échelle.
l’environnement économique international et de Quant aux critères de convergence établis
la capacité de résilience aux chocs exogènes. Se- par la BEAC, dans le cadre de la surveillance
lon Guillaumont, Geourjon et Guérineau, (2012), multilatérale, les pays éprouvent du mal à les
malgré la mise en place d’un cadre législatif har- respecter. Dans le rapport intérimaire de surveil-
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monisé dans la zone CEMAC, l’harmonisation de lance multilatérale 2017 et perspectives 2018, de
la fiscalité directe ne concerne pas les exonéra- la CEMAC, seuls trois pays sur six ont respecté
tions et les régimes d’incitation. La portée de le critère sur le solde budgétaire11 ; Aucun Etat
l’harmonisation régionale de la fiscalité directe8 n’a respecté le critère portant sur l’apurement
est aussi réduite par la qualité inégale selon les du stock des arriérés. En 2020, les États ont dû
pays de l’administration et du contrôle. En effet, même demander la suspension des critères de
pour attirer les IDE, chaque pays maintient son convergences avec la crise de la Covid-19.
régime fiscal dérogatoire national, ce qui limite Au total, cette analyse a permis de mettre en
l’harmonisation des politiques fiscales des pays évidence, les contraintes et facteurs déterminant
membres. le degré de respect des principes de fonctionne-
De plus, la fiscalité étant la principale source ment de la CEMAC, à savoir : les égoïsmes natio-
des recettes budgétaires, les États ont tendance à naux, l’environnement international, les inerties
violer les dispositions de l’article 57 de la conven- structurelles, la capacité de résilience aux chocs,
tion de l’Union économique de l’Afrique centrale le conflit de leadership, les faiblesses institution-
qui interdit tout déficit public excessif9, et ce, nelles, et l’inexistence d’un programme écono-
d’autant plus facilement qu’ils ont la souverai- mique régional.
neté budgétaire. Conformément à l’approche utilisée, ces
facteurs par hypothèse expliquent le faible en-
gagement des États et la faiblesse des gains de
7. L’enregistrement consiste dans « la production textuelle en
analyse d’un acte sur un registre public par un officier public l’intégration régionale dans la zone CEMAC. Ce
moyennant perception d’un droit. sont ces hypothèses qui permettent d’envisager
8. Les principaux mécanismes d’imposition indirecte ayant fait
l’objet d’un rapprochement sont les taxes sur le chiffre d’affaires le niveau d’engagement futur dans la CEEAC et
et les droits d’enregistrement. la ZLECAF.
9. Un déficit budgétaire est excessif selon l’article 57 de la conven-
tion, s’il n’est pas compatible avec les objectifs de la politique
monétaire, en particulier en ce qui concerne son financement 10. La relecture du PER a été confiée à la FERDAC en 2018.
et le taux de couverture de l’émission monétaire. 11. Centrafrique, Guinée équatoriale, Tchad.
Quel sera le niveau de coordination et de subsidiarité seront diffici-
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d’engagement des États dans lement respectés. La multiplicité des monnaies
rendra difficile l’harmonisation et la coordina-
la CEEAC et la ZLECAF ?
tion des politiques monétaires. Les conflits de
À partir des hypothèses ci-dessus, et en tenant compétence et de leadership, seront plus graves.
FORCES FAIBLESSES
- Pouvoir de négociation politique accru - Coûts de transaction et de transition élevés
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- Économies d'échelle - Réticences des autorités sous-régionales et
- Effets de débordement importants nationales
- Croissance économique plus soutenue - Amplification des chocs asymétriques
- Élargissement du marché potentiel - Difficile harmonisation des systèmes de
- Espace diversifiée et plus résilient paiement et de change
- Sources de financement internes plus importantes - Appartenance à plusieurs CER
- Conditionnalités préalables pour la - Problèmes sécuritaires
ZLECAF (accepter de supprimer les
droits de douane de 90% des
marchandises)
OPPORTUNITÉS MENACES
- Arrimage aux objectifs de la communauté - Risque de passer à un espace plus hétérogène
économique africaine (UA) - Difficulté d'adoption d'une monnaie commune
- Rationalisation des CER - Poids des accords coloniaux
- Plus d'investissement et de commerce - Faible compétitivité face aux CER plus organisées
intra-zone - Persistance des problèmes de leadership entre les
- Transformations structurelles États dans la CEEAC
- Possibilité d’une stratégie commune face - Influence des stratégies géopolitiques des
aux autres continents grandes nations
- Exploitation des richesses du sous-sol par
les africains eux-mêmes ou négociation
plus efficace de partenariat gagnant-gagnant
dépendra en grande partie d’une volonté poli- L’élargissement de la CEMAC à la CEEAC, toute
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tique commune et de la capacité à résorber les choses égales par ailleurs, ne va vraisemblable-
inerties structurelles. Sans quoi, le commerce ment pas améliorer ce niveau d’engagement.
africain restera largement orienté vers l’exté- Les problèmes rencontrés dans la CEMAC seront
rieur. C’est ce que confirment les prévisions de plus exacerbés dans une CER plus vaste comme
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la CEPII de mars 2022. Malgré des opportunités la CEEAC, réduisant les gains potentiels atten-
évidentes, l’engagement des pays de la CEMAC dus. L’amélioration de l’effectivité de l’engage-
restera lâche dans la ZLECAF surtout avec les ment des États dans la CEMAC rendra crédible
conditionnalités exigées. l’engagement dans la CEEAC. Des défis sont
donc à relever notamment la mise en œuvre des
réformes institutionnelles et structurelles néces-
saires, l’adoption d’un programme économique
Conclusion
commun, le dépassement des égoïsmes natio-
Cette note explique l’engagement faible des naux pour une CEMAC des peuples.
États de la CEMAC à partir de la situation du La participation à la ZLECAF semble plus à
commerce intra-CEMAC et du degré de respect même de pousser les États à améliorer leur enga-
des principes de fonctionnement d’une CER. Il gement compte tenu des clauses à respecter et
en ressort que des contraintes structurelles, les de la force que constitue ce grand ensemble dans
égoïsmes nationaux, la vulnérabilité des pays, un environnement mondialisé. Cette participa-
les problèmes de leadership etc, sont autant tion dépendra toutefois, des réformes évoquées
10
de facteurs plausibles qui expliquent le niveau plus haut et des nouveaux enjeux géopolitiques
relativement faible de l’engagement des États. des grandes nations.
Références
G. Zomo Yebe
• BAD-UA-UNECA (2019) Indice de l’intégration • FERDAC (2021) Relecture du PER CEMAC.
régionale en Afrique, Rapport, 52 p. • Geourjon A-M. Guillaumont P., Guérineau
• BAD-UA-UNECA (2016) Indice de l’intégration S. et al. (2012) Évaluation des gains attendus de
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