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97-121
Kadouamai Souleymanou
Maitre de Conférences
Membre du LAREGO
Lubica Hikkerova
Professeur
Introduction
des obligations légales de la place de cotation. Si dans les grands pays anglo-saxons,
comme les USA, les dirigeants vont au-delà des exigences légales, la protection et
l’information des actionnaires minoritaires n’est pas assurée dans tous les pays
développés. En effet, le refus du législateur d’instaurer des actions en justice
collectives et une jurisprudence parfois sévère limitent les possibilités de recours de
ces actionnaires, même si dans le même temps l’instauration des normes IFRS a
accru l’homogénéité et la transparence des états financiers des sociétés cotées en
Europe (Boulerne et al, 2011 ; Mazars, 2014).
Les dirigeants des entreprises non cotées perçoivent trois freins à l’introduction en 3
faible dans la plupart des pays (par exemple, en France, la loi n’impose qu’un
rendez-vous par an, lors de l’assemblée générale d’approbation des comptes avec le
rapport de gestion), deux éléments contribuent à son développement. D’une part,
l’actionnariat et en particulier les fonds d’investissement peuvent imposer des
règles de communication financière (reporting détaillé semestriel ou trimestriel par
exemple) au-delà des exigences réglementaires via les statuts ou un pacte
extrastatutaire. Pour un même pays d’investissement, cette demande est plus forte
lorsqu’ils sont habitués à recevoir de nombreuses informations des sociétés cotées
(Léger, 2008). D’autre part, l’impact marketing de la communication financière :
« Ainsi, une PME qui prépare, à plusieurs années d’échéance, son introduction en
Bourse, a tout intérêt à faire parler d’elle et de ses résultats dans la presse
financière. Cela permet de se faire remarquer par les investisseurs » (Léger, 2008).
L’importance de la place financière d’un pays et sa capacité à financer les
entreprises est donc un déterminant de la communication financière des firmes non
cotées.
Cet article est structuré comme suit : La première section présente les déterminants 6
base de toute production d’un système d’information dont disposent les agents
économiques (Capron, 2006). Pour Haas (2010), « la comptabilité est le cœur du
réseau qui unit la fiscalité, le droit et la gestion des entreprises sous la
responsabilité des comptables professionnels ». D’autres auteurs (Flower et
Lefebvre, 1997 ; Nobes et Parker, 1995) affirment que les liens entre la comptabilité,
la fiscalité et le cadre juridique constituent les facteurs qui expliquent les
différences entre les rôles joués par la profession comptable, le poids de l’État dans
la vie économique, le contexte économique et la place des marchés financiers. Dans
ce sens, les contraintes juridiques imposées aux entreprises dépendent de leur taille
et de leur recours ou non à l’épargne publique. Selon plusieurs études empiriques
menées, le manque d’intérêt des entreprises pour la communication financière
s’explique par l’attitude des dirigeants à ne produire des données comptables que
pour rendre compte aux administrations fiscales (Holmes et Nicholls, 1988 ;
Lavigne, 1996 ; Lemaire, 2010). À cet effet, l’hypothèse H1 est formulée : les
faiblesses du cadre juridique contribuent aux défaillances en matière
de communication financière des entreprises.
Selon Hatch (1999), toute organisation est formée en partie, par des processus 10
culturels construits par une variété d’acteurs, dont la source la plus immédiate
d’influence externe est la culture organisationnelle. Schein (1985) définit la culture
organisationnelle comme l’ensemble des postulats, découverts ou développés par
un groupe en vue de résoudre les problèmes d’adaptation externe et d’intégration
interne. C’est un modèle de croyances et d’attentes partagées par les membres de
l’organisation (Schwartz et David, 1981), une structure latente de signification qui,
au cours du temps, contraint la perception, l’intégration et le comportement des
individus (Jelinek et al., 1983). Si toute organisation a des valeurs centrales
partagées par ses acteurs (Van Maanen, Barlev, 1984), la culture comptable
organisationnelle peut être conceptualisée et quantifiée comme un ensemble de
valeurs liées à la considération de la comptabilité par les membres d’une entreprise.
La relation entre la culture et le système comptable a en particulier été analysée à
partir du modèle de Hofstede (1980) et de Gray (1988). Deux familles de culture
comptable opposée pour les principaux pays industrialisés en ressortent :
les pays dont la culture comptable est orientée par la pratique : c’est l’approche
anglo-saxonne qui repose sur l’utilisation de « principes comptables
généralement acceptés » (GAAP, Generally Accepted Accouting Principles) ;
les pays dont la culture comptable est plutôt basée sur la réglementation ou la
loi : c’est l’approche de l’Europe continentale du japon et de l’Afrique.
communication financière
les opportunités ou les contraintes qui s’offrent aux entreprises, leur permettant de
concevoir un système d’information rigoureux ou apparent pour diffuser ou non de
l’information financière aux investisseurs. Ainsi, l’environnement juridique, le
degré d’ouverture du capital de la firme et sa culture comptable peuvent conduire à
l’apparition de crise de communication financière de cette firme. Partant du besoin
d’internationalisation des pratiques comptables et des marchés financiers,
l’ouverture du capital, voire l’introduction en bourse présente ou future, est
également un moteur pour améliorer la communication financière de l’entreprise
africain (voir la figure n°1).
L’importance de la place financière d’un pays ainsi que sa capacité à financer les 15
Ces constats peuvent être déclinés de manière plus détaillée par zone géographique. 16
En Afrique australe
En Afrique centrale
En Afrique de l’est
En Afrique du nord
En Afrique de l’ouest
La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est commune à l’ensemble des 21
Malgré les problèmes recensés ci-dessus, on constate globalement que les avis, 24
Puis, nous avons effectué des regroupements d’avis communs qui nous ont permis 25
grandes entreprises camerounaises non cotées. Pour ces grandes firmes, les
obligations de communication financière se résument aux informations diffusées
lors de l’assemblée générale des actionnaires. Il y a donc peu de contrainte de
communication financière pour les firmes non cotées. Cependant, la place
boursière « Douala Stock Exchange » (DSX) exerce une certaine attractivité étant
donné sa capacité à financer les entreprises. Selon M. Mouangué, le directeur
général de la DSX, entre 30 et 40 entreprises au Cameroun remplissent tous les
critères exigés pour lever les fonds et se faire coter sur la DSX [2] . Elle est donc un
catalyseur de la communication financière des firmes non cotées qui pensent
émettre des titres (action ou obligations) sur cette place dans le futur.
explicatives. Toutes les dimensions de nos variables ont été mesurées sur des
échelles à 3 points où l’effet s’avère : "peu important", "important" ou "très
important".
La variable expliquée : la crise de communication d’information comptable et
financière
Au fil du temps, la communication financière des firmes s’est développée et
différenciée selon la cible visée. Bien sûr, en Afrique, les investisseurs ne
s’intéressent pas de la même manière qu’en Europe, à la communication
financière car ils n’ont pas les mêmes attentes, ni moyens de pression (Léger,
2008).
Plusieurs grilles de mesure du niveau de communication financière ont été
utilisées dans les recherches antérieures, y compris la dimension sociale et
environnementale qui figure notamment dans les grilles de Cormier et al. (2005,
2009). Dans le cadre de notre recherche, la communication financière est
appréhendée plus classiquement par cinq dimensions : l’activité de l’entreprise,
les ressources humaines, les investissements, les éléments financiers (compte de
résultat et bilan), et les perspectives futures. En effet, suite aux résultats de
l’étude de Kammoun et Khrifech (2013), nous avons exclus deux dimensions que
l’on retrouve dans les rapports annuels des grandes sociétés dans les pays
développés ; la gouvernance et structure du capital ainsi que la responsabilité
sociale des entreprises, car elles sont moins prégnantes dans le contexte des pays
africains.
Les trois variables explicatives
Pour nos trois variables explicatives ; le cadre juridique et fiscal (ICJF), le niveau
de culture comptable existante (NCCE), les caractéristiques capitalistiques de la
firme (ICEC), nous avons sélectionné plusieurs dimensions conformément à la
littérature. Nous avons alors mesuré la fiabilité des indicateurs de mesure, via
notamment l’Alpha de Cronbach. Après épuration des indicateurs de mesure,
nous avons retenus les dimensions suivantes pour chaque variable explicative :
le cadre juridique et fiscal est appréhendé par la transparence fiscale sur le
rendement d’investissement (ICJF.7), la transparence sur l’imposition des
revenus du capital investi (ICJF.8), l’imposition sur les fonds de la société
(ICJF.10) et de l’actionnaire (ICJF.11). Ces dimensions s’évertuent de répondre
à la question suivante : « Quelle attention accordez-vous à chacun des axiomes
fiscaux suivants dans leur aptitude à influencer la volonté de votre entreprise à
communiquer de l’information comptable et financière ? »,
le niveau de culture comptable existante est mesuré en s’inspirant des travaux
de Hopwood (1974, 1983) par l’environnement économique et social que la
comptabilité façonne, (NCCE.1), la pression que la comptabilité exerce sur le
groupe (NCCE.7), et les attitudes individuelles que la comptabilité influence
(NCCE.10),
les caractéristiques capitalistiques de la firme sont examinées dans cette étude
grâce aux travaux d’Ettredge et al. (2002) par les exigences des investisseurs
(ICEC.2), les conditions d’ouverture du capital de l’entreprise (ICEC.4), et le
degré d’ouverture du capital (ICEC.5). Ces dimensions tâchent de répondre à
la question suivante : « À votre avis, quelles implications les caractéristiques
capitalistiques ont-elles dans l’amélioration des conditions de communication
d’informations comptables et financières de votre entreprise ? ».
Puis, pour tester nos hypothèses, nous avons utilisé la méthode de régression 29
logistique binaire. Ainsi, une variable aléatoire qualitative est décrite par les
probabilités des différents attributs qu’elle peut prendre pour évaluer l’influence
des différents facteurs sur cette variable. Afin d’effectuer une régression logistique,
nos variables ont été réparties en « peu important et important » (codée 0) et en
« très important » (codée 1). La régression logistique a été adoptée pour ajuster une
surface de régression à des données dans la mesure où notre variable dépendante
est dichotomique (Desjardins, 2005). Ce modèle conduit à l’élaboration
d’instruments de prédiction de l’événement. Selon cette méthode, à partir d’un
bassin de variables constitué, une sélection des facteurs les plus pertinents et les
plus discriminants doit être effectuée. Les variables indépendantes issues des
hypothèses sont testées une à une sur la base du test de score. Cette procédure de
sélection des variables conduit au modèle présentant le khi-deux du score le plus
élevé. Nous avons fixé le seuil de 0,05 (risque de 5% d’erreur). Il convient tout de
même de souligner que le signe de la relation entre la variable expliquée
(dépendante) et les variables explicatives (indépendantes) est donné par le
coefficient « B ». Un coefficient « exp. B » de "n" signifie qu’un accroissement d’un
point de la variable indépendante associée multiplierait "n" fois les chances de
succès (qui est ici l’absence de crise de communication financière). Le test de Wald
permet d’affirmer si cette variable influence ou pas significativement l’apparition de
crise de communication financière, car cette valeur doit être inférieure ou égale au
seuil de signification du khi-deux de Wald.
31
33
Notre approche vise à identifier les variables qui prédisent le plus efficacement 34
L’analyse du tableau n°2, et en particulier le recueil des tests sur les coefficients du 35
modèle (étape 1 lorsque toutes les variables sont introduites dans le modèle)
montre un χ2cal = 23,292 avec un seuil de risque de 0,000. Le model est donc
statistiquement très significatif. On conclut que : la culture comptable, le cadre
juridique et réglementaire et de l’ouverture du capital de l’entreprise détermine
l’apparition d’une crise de communication financière.
Tableau 2Variables, tableau de classification, et test du modèle
Tableau de classificationa
Récapitulatif du modèle
Etape -2log-vrais emblance R-deux de Cox & Snell R-deux de Nagelkerke
modèle a une valeur de 0,514 (R² de Nagelkerke). Cette valeur est jugée
satisfaisante. Ainsi, le modèle explique 51,4% de la variance de la variable
dépendante.
Conclusion
3 Botswana Une seule société cotée en Il est généralement perçu que les
bourse. pratiques d’information financière
se sont améliorées au fil des ans en
raison des efforts accrus pour
observer les IFRS.
9 Egypte Par la plupart des rapports, la Toutes les informations sur les
mise en œuvre a été lente, et peu sociétés cotées doivent être fournies
d’entreprises nomment des en fonction des cas disponibles pour
membres du Conseil sont tous les utilisateurs pour répondre
véritablement indépendants en aux besoins des différentes parties
dehors du secteur bancaire. intéressées.
14 Kenya L’autorité des marchés des les préparateurs des états financiers
capitaux (AMC) ne dispose pas (entités corporatives), des
d’un mécanisme efficace pour vérificateurs et des organismes de
surveiller le respect des normes réglementation seront tenus de
de déclaration dans les États jouer des rôles appropriés pour
financiers émis par les sociétés assurer des rapports financiers de
cotées. haute qualité.
bourse.
25 R. D. Congo Il n’existe pas une Bourse des La prédominance des règles fiscales
Valeurs Mobilières en sur les règles comptables est un
République Démocratique du frein majeur au respect à la
Congo. transparence financière.
34 Zimbabwe Les états financiers des sociétés Les intervenants se sont également
cotées montrent un niveau dits préoccupés par le manque
relativement élevé de conformité d’uniformité dans les états
aux normes, mais avec quelques financiers vérifiés, en particulier en
lacunes. ce qui concerne les divulgations.
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[1] En effet, selon Barbu (2005a, p.2), cette préoccupation existait déjà aux Etats-Unis dans les années 1960.
[2] https://www.financialafrik.com/2017/06/21/6-nouvelles-entreprises-vont-se-faire-coter-ala-douala-stock-
exchange-dsx/
Français Cet article examine les déterminants des défaillances ou crises de communication
financière des entreprises africaines, et en particulier camerounaises. Une analyse
des rapports sur le respect des normes et codes de 34 pays africains et une étude
quantitative sur un échantillon de grandes entreprises camerounaises montrent que
les trois variables : la culture comptable, l’ouverture du capital, ainsi que le cadre
juridique et réglementaire constituent les facteurs majeurs qui conduisent à
l’apparition de crises de communication financière.
Mots-clés système d’information comptable communication financière ouverture du capital cadre juridique
entreprise non cotée
legal and regulatory framework constitute the major factors that lead to the
occurrence of financial communication crises.
Keywords accounting information system financial communication opening of capital legal framework
unlisted company
Palabras claves sistema de información contable comunicación financiera apertura del capital marco legal
empresa que no cotiza en bolsa