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Ohadata D-20-32

L’ANALYSE DU FINANCEMENT DES PME PAR LE


CAPITAL-INVESTISSEMENT EN DROIT OHADA : CAS
DU CAMEROUN
Par

Estelle SIYOU LOWE


Docteur en Droit des affaires

Email : siyougenevieve@yahoo.fr

1
Sommaire

Introduction

I-. L’analyse du point de vue de la PME

A- L’analyse de l’accès au financement par le capital-investissement des PME au Cameroun

1- L’appartenance des PME au secteur informel au Cameroun

2- La forme des PME comme déterminant de l’accès à ce financement

B- L’analyse de la sécurité des PME dans le financement par le capital-investissement : la


crainte de perte de pouvoir

1- La manifestation de la crainte de perte de pouvoir au niveau de l’actionnariat

2- La manifestation de la crainte de perte de pouvoir au niveau du contrat

II- L’analyse du point de vue de la société de capital-investissement

A- Le constat d’une sécurité offerte par le droit OHADA à la société de capital-investissement

1- La consécration des pactes d’actionnaires et des sociétés par action simplifiée (SAS)

2 - La reconnaissance des valeurs mobilières

B- Les limites à la sécurité de la société de capital-investissement

1- L’existence de contrats incomplets

2- L’absence de réglementation du capital-investissement et les difficultés de sortie de


la société de capital-investissement au Cameroun

Conclusion

2
Introduction

1. Parce que les petites et moyennes entreprises (ci-après PME) 1 font face à des difficultés
d’accès au financement bancaire au Cameroun, elles doivent avoir recours à des modes
alternatifs de financements2. Au nombre de ceux-ci, on compte le capital-investissement. Le
capital-investissement peut être défini comme un financement consistant au renforcement des
fonds propres pour pallier la sous-capitalisation chronique des entreprises et permettre entre
autres, l’effet de levier indispensable pour la recherche de financement supplémentaire3. En
raison de sa nature protéiforme, le capital investissement devra ici être entendu au sens large,
comme regroupant l’ensemble des opérations de capital investissement, c’est-à-dire les
opérations d’amorçage, de création, de développement et de transmission4 d’une entreprise. Cet
ensemble d’opérations caractérisant le capital-investissement présente une grande originalité.
Cette originalité réside en ce que l’argent investi par les sociétés de capital-investissement est
« accompagné » : celles-ci vont participer activement à l’orientation de l’entreprise, allant
parfois jusqu’à infléchir sa trajectoire initiale, de façon à faire fructifier leur investissement5.

2. Malgré cette originalité, le financement par le capital-investissement ne suscite pas un


grand intérêt auprès des entreprises au Cameroun6. En effet, il demeure une pratique financière
peu développée au Cameroun et d’accès difficile ; seules 3% des entreprises financent leurs
activités par ce canal7. Et pourtant l’existence des sociétés de capital-investissement au
Cameroun date de plusieurs années. En effet, c’est en 1964 que l’État camerounais créa la

1
Dans le cadre de cette étude nous nous intéressons en particulier aux PME exerçant une activité commerciale.
2
Claude Bekolo et Emmanuel Beyina « Le financement par capital risque dans les PME innovantes : le cas
spécifique des PME innovantes camerounaises », (2009) 1 Innovations 171.
3
Voir dans ce sens F. D Poitrinal, Le capital-investissement, guide juridique et fiscal, 2020, Revue Banque Edition,
810 p. ; voir également Dagobert Ngongang et Annette Motsoguem, « Analyse du recours au capital-risque par les
PME Camerounaises », (2017) 8 Journal of Académic Finance 3.
4
Dominique Nouvellet, Antoine Larcena, « « Private equity » et nouveaux risques juridiques », (2006) 3 Revue
d'Économie Financière 2.
5
Voir dans ce sens K. Burskhardt, « Une approche cognitive du rôle des sociétés de capital-investissement dans
la formation d’alliances », Finance Contrôle Stratégie, 2016, p. 7 ; voir aussi, Vololona Rabeharisoa, « Le rôle du
capital-risque dans le développement des petites entreprises innovantes », (1998) Annales des Mines 86.
6
Voir dans ce sens IFC, Evaluation de l’impact des réformes OHADA, Rapport, 2018, p. 11, il fait référence ici
aux difficultés d’accès aux fonds en zone OHADA.
7
Bureau International du Travail, Évaluation de l’environnement des affaires au Cameroun, Rapport, Genève,
Bureau International du Travail, 2013, p. 41, en ligne : [http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_emp/---
emp_ent/---ifp_seed/documents/publication/wcms_230287.pdf](consulté le 27 juin 2018)

3
Société Nationale d’Investissement (SNI)8. En outre, depuis le début des années 2000 on peut
noter un intérêt croissant de l’industrie du capital-investissement au Cameroun. Cet intérêt se
traduit par l’arrivée des acteurs importants du secteur tels que l’américain Emerging Capital
Partners (ECP), le français Investisseurs & Partenaires pour le développement (I&P) et le
nigérian Travant Capital9.

3. Alors, nous sommes curieux de savoir quelle analyse peut-on faire du financement par
le capital-investissement des PME au Cameroun ? Autrement dit, quelles sont les forces et
faiblesses du régime juridique Camerounais à l’épreuve du financement des PME par le capital-
investissement ? Cette analyse est effectuée du point de vue de la PME d’une part (I), et de
celui de la société de capital-investissement d’autre part (II).

I- L’analyse du point de vu de la PME

Cette analyse passe d’abord par celle de l’accès des PME au financement par le capital-
investissement (A) et ensuite par l’analyse de la sécurité des PME au cours de ce financement
(B).

A- L’analyse de l’accès au financement par le capital-investissement des PME au


Cameroun

4. L’accès au financement par le capital-investissement des PME au Cameroun est limité


d’une part, par l’appartenance de nombreuses PME au secteur informel (1) et d’autre part, par
la forme sociale de certaines PME (2).

1- L’appartenance des PME au secteur informel

5. La question de l’appartenance ou pas au secteur informel est une interrogation


déterminante en matière de financement par le capital-investissement. En effet, la réponse à
cette question détermine si ou non une PME peut avoir accès à ce mode de financement. Pour
parvenir à une réponse à cette question, dans le contexte du Cameroun, il est opportun de
s’intéresser au préalable à la notion de secteur informel. Cet intérêt passe par ailleurs par une
définition du secteur informel.

8
Yves Alain Pougoue et Michel Bernasconi, « Capital-investissement et financement des PME au Cameroun :
enjeux et perspectives », (2013) 1 La Revue des Sciences de Gestion 69 – 75.

9
Id.

4
6. « Il existe plusieurs définitions du concept de secteur informel. Deux nous paraissent
pertinentes : primo, le secteur informel est l'ensemble des activités économiques qui se réalisent
en marge de toute législation pénale, sociale et fiscale et qui échappent à la Comptabilité
nationale. Secundo, c'est l'ensemble des activités qui échappent à la politique économique et
sociale, et donc à toute régulation de l'État » 10 . Les critères de définition de ce secteur sont
donc l’absence de statut juridique et le non enregistrement administratif11 des PME.

Malheureusement, « dans la plupart des pays africains, une bonne partie des activités socio-
économiques se déroule dans le secteur informel »12. En effet, en 2016, ce secteur représente
84 % des emplois sur le continent Africain13 et 90.5% des emplois au Cameroun en 201014.

Alors, pour apporter une solution à ce problème, un dispositif législatif pour aider les PME à
sortir du secteur informel a été mis en place au Cameroun d’une part et au sein de l’OHADA
d’autre part.

7. Ainsi, au Cameroun, le législateur a d’abord adopté une première loi vise l’appui à la
création des PME15. Cet appui consiste en, la simplification des procédures ; la mise en place
d’un lieu unique d’accomplissement des formalités administratives de création des PME, la
réduction du délai de création des PME ; la mise à disposition de l’information sur les

10
Jean- claude vérez, « le rôle du secteur informel dans un contexte de régionalisation », (1998) Revue Tiers Monde
3 ; voir aussi Hassan Mahamat-Idriss, Création et développement des entreprises en Afrique : cas du Cameroun
et du Tchad, Thèse, Université de Lyon, 2010, p. 31., en ligne : [ https://www.theses.fr/2010LYO31084 ] (consulté
le 12 juillet 2020)
11
Marie-Thérèse Um-Ngouem, « Les nouveaux défis de la TPE dans les pays du Sud », (2006) 1 Revue
internationale P.M.E. : économie et gestion de la petite et moyenne entreprise 122.
12
Sanov Issoufou, « Le phénomène tontinier au Burkina Faso : étude sur 69 cas », (1992) 3-4 Revue internationale
P.M.E. : économie et gestion de la petite et moyenne entreprise 3.

13
Hervé Schricke (dir.), Le livre blanc du capital-investissement en Afrique, Rapport, Mauguio, Association
Française des Investisseurs pour la Croissance (AFIC), (2016), en ligne :
[https://www.scribd.com/document/217742909/AFIC-Livre-Blanc-Capital-Investissement-2012] p. 28.
14
Institut Nationale de la statistique du Cameroun, Deuxième enquête sur l’emploi et le secteur informel au
Cameroun, Rapport, Yaoundé, Institut Nationale de la statistique du Cameroun, (2011), p. xx en ligne :
[http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_emp/---emp_ent/---
ifp_seed/documents/publication/wcms_230287.pdf] (consulté le 27 juin 2018) ; Selon un auteur, « appartenir au
secteur formel au Cameroun, n’offre pas (au contraire) des avantages comparatifs
plus intéressants que l’économie informelle. », voir, Pascal Briod, Les déficiences du secteur formel camerounais,
Travail de séminaire, 2011, p. 5.
15
Voir l’article 9 de la loi N° 2010/001 du 13 avril 2010 portant promotion des petites et moyennes entreprises
(PME) au Cameroun.

5
opportunités d’investissement ; la diffusion de la culture d’entreprise au sein des PME et
l’assistance multiforme aux promoteurs des PME.

Ensuite il a adopté une deuxième loi16 qui a pour but d’assouplir davantage les formalités de
création des Sociétés à Responsabilité Limité (SARL) et les modalités de recours aux services
de notaire17.

En effet, s’agissant en particulier de la création d’une SARL, désormais, « la loi camerounaise


(art. 2.1) fixe le capital social minimum d’une SARL à 100 000 francs CFA, le montant du
capital social minimum ainsi fixé, par sa modicité, est largement accessible à tous ceux
qui veulent entreprendre »18.

8. Au niveau de l’OHADA, pour aider les entreprises en général et les PME en particulier
à sortir du secteur informel, les règles relatives au droit des sociétés commerciales ont été
modernisées et simplifiées, à la faveur de l’adoption de l’acte uniforme relatif au droit des
Sociétés Commerciales le 31 janvier 2014. Cette modernisation et cette simplification passent
en partie par l’adoption de la société par action simplifiée (SAS) dans l’Acte Uniforme OHADA
relatif au droit des sociétés19.

En conclusion, c’est avec l’application effective de ces nouveaux textes que l’on saura si les
PME sont amenées à sortir du secteur informel au Cameroun. Toutefois en attendant la
manifestation concrète de leur sortie du secteur informel, bon nombre d’entre elles restent
encore dans l’illégalité, s’excluant ainsi de l’accès au financement par le capital-
investissement.

Outre l’appartenance au secteur informel, la forme de certaines PME constitue un frein à l’accès
au financement par le capital-investissement.

2- La forme des PME comme déterminant de l’accès à ce financement

16
Il s’agit de la loi N°2016/014 du 14 décembre 2016 fixant le capital social minimum et les modalités de recours
aux services du notaire dans le cadre de la création d’une société à responsabilité limitée au Cameroun.
17
Le recours au service du notaire est désormais optionnel.
18
André Akam Akam, « Simplification des règles de création des SARL au Cameroun et au Gabon », (2017) 3
L’Essentiel, Droits Africains des Affaires 1.
19
Frank Elvis Ndjolo Vodom, « Réflexions sur la société par actions simplifiée de l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) », (2016) 50 Revue Juridique Thémis de l’Université
de Montréal (RJTUM) 43.

6
9. Parce que le Cameroun appartient à l’espace juridique OHADA, le droit des sociétés
qui y est appliqué est celui prévu par l’Acte Uniforme OHADA relatif aux sociétés
commerciales et au Groupement d’Intérêt Economique (ci-après AUSCGIE). En procédant à
l’analyse du régime juridique applicable aux PME dans l’espace OHADA, nous décelons les
formes sociales qui peuvent avoir recours au financement par le capital-investissement et,
surtout, celles qui excluent celui-ci.

L’Acte Uniforme OHADA précise que sont commerciales à raison de leur forme et quelque
soit leur objet, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à
responsabilité limitée, les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées.
Contrairement aux sociétés commerciales par l’objet qui sont nombreuses, « coexistent, plus
modestement, celles dont la commercialité est commandée par la nature de leur
activités »20. C’est le cas par exemple des sociétés coopératives.

Le régime juridique applicable à chacune de ces différentes formes de sociétés peut soit leur
permettre d’avoir recours au financement par le capital-investissement, soit les exclure de ce
mode de financement.

10. En ce qui concerne d’abord les sociétés pouvant avoir recours au financement par le
capital-investissement au Cameroun, nous notons qu’il s’agit en particulier des sociétés à
responsabilité limitée, des sociétés anonymes et des sociétés par actions simplifiées21.
Toutefois, notre étude étant axée sur les PME, l’examen du régime juridique applicable aux
sociétés anonymes sera exclu ici.

Le financement par le capital- investissement est possible dans la société à responsabilité limité
tout comme dans la société par action simplifiée. En effet, les régimes juridiques applicables à
ces deux sociétés permettent la cession des parts sociales à des tiers à titre onéreux. On s’en
rend bien compte à la lecture des articles 319 de l’AUSCGIE en ce qui concerne la société à
responsabilité limité et l’article 853- 18 en ce qui concerne les sociétés par actions simplifiées.
Toutefois en ce qui concerne les sociétés par actions simplifiées, les statuts de l’entreprise ne
doivent pas en disposer autrement. De plus la liberté dans les règles relatives à la gestion de

20
Francois Duquesne, Droit des sociétés commerciales, Bruxelles, Larcier, 2014.
21
Voir l’article 6 de l’AUSCGIE.

7
celles-ci, permet au capital-investisseur de s’introduire en toute confiance en leur sein. Cette
liberté est par ailleurs plus accrue dans les sociétés par action simplifiée22.

Nous constatons donc que la forme et par ricochet le régime juridique de ces deux types de
sociétés, leur permet de bénéficier du financement par le capital- investissement.

11. Contrairement aux formes sociales précédentes, il existe des formes sociales qui ne
permettent pas, ou alors qui permettent difficilement, de bénéficier du financement par le
capital-investissement. Il s’agit en particulier des sociétés en nom collectif, des sociétés en
commandite simple et des sociétés coopératives.

La société en nom collectif est une société dans laquelle les associés ont tous la qualité de
commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales23. Cette société fait
partie des sociétés à risque illimité24. En effet, pour les associés la responsabilité indéfinie et
solidaire ainsi que la qualité de commerçant sont des inconvénients25. Or, la spécificité du
financement par le capital-investissement consiste à faire du capital-investisseur, un associé de
l’entreprise. Alors, au vu des obligations qui pèsent sur un associé d’une société en nom
collectif, le capital-investisseur ne pas être enclin à apporter des financements aux PME ayant
cette forme sociale. De plus, dans le fonctionnement des sociétés en nom collectif, les décisions
sont prises à l’unanimité. Ce mode de prise des décisions dans ces sociétés peut s’avérer être
un frein à l’entrée de nouveaux investisseurs au sein de la société. Pour ces différentes raisons,
un capital-investisseur ne peut pas investir dans une société en nom collectif. Il en est de même
pour les sociétés en commandite simple.

12. La société en commandite simple est celle dans laquelle coexistent un ou plusieurs
associés indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales dénommés « associés
commandités » avec un ou plusieurs associés responsables des dettes sociales dans la limite de
leurs apports dénommés « associés commanditaires » ou « associés en commandite », et dont
le capital est divisés en parts sociales26. De prime abord, l’on peut voir en la reconnaissance de
l’existence des associés commanditaires un atout pour le capital-investisseur. En effet, en
s’introduisant dans l’entreprise en tant qu’associé commanditaire, celui-ci a l’avantage d’être

22
Adamou Rabani, « La nouvelle société par actions simplifiée de l’OHADA » (2014) 2 B.D.E.40-43.
23
France Guiramand et Alain Héraud, Droit des sociétés, Paris, Dunod, 2005.
24
Id.
25
Id.
26
Voir l’article 293 de l’AUSCGIE.

8
responsable uniquement à la hauteur de ses apports, contrairement à sa situation d’associé au
sein de la société en nom collectif.

Toutefois, cet avantage n’est pas suffisant. En effet, les dispositions relatives aux sociétés en
nom collectif sont applicables aux sociétés en commandite simple, sous réserve des règles
applicables à ce type de société27. De ce fait, la règle de l’unanimité a à nouveau un impact sur
l’entrée du capital-investisseur dans la société en commandite simple, limitant ainsi l’accès au
financement par le capital- investissement. En effet, l’article 296 de l’AUSCGIE précise
que : « les parts sociales ne peuvent être cédées qu’avec le consentement de tous les associés.
Toutefois, les statuts peuvent stipuler : (…) 2) que les parts des associés commanditaires
peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société avec le consentement de tous les associés
commandités et la majorité en nombre et capital des associés commanditaires 3) qu’un associé
commandité peut céder une partie de ses parts à un associé commanditaire ou à un tiers étranger
à la société avec le consentement de tous les associés commandités et de la majorité en nombre
et en capital de tous les associés commanditaires (…) ». L’on constate donc à travers cet article
que, comme dans la société en nom collectif, le capital- investisseur peut faire face à un blocage
lors de sa tentative d’entrée dans la société en commandite simple.
Outre les sociétés en commandite simple, le financement des sociétés coopératives par le
capital- financement pose quelques difficultés.

12. La création des sociétés coopératives en Afrique remonte à la période coloniale28.


Cependant, les sociétés coopératives ne représentent que 0.03% des entreprises au Cameroun
en 201329. Toutefois, malgré leur présence encore timide sur le territoire du Cameroun, elles
ont aussi besoin de financements. Alors s’il souhaite apporter des financements à la société
coopérative, le capital-investisseur peut adhérer à celle-ci30. En effet, l’adhésion est libre ou

27
Voir l’article 293- 1 de l’AUSCGIE.
28
Jules Goudem, « La nullité en droit des sociétés coopératives OHADA au regard du droit canadien des sociétés
coopératives », (2015) 2 Revue générale de droit 1.
29
Institut National de la Statistique du Cameroun, Répertoire et démographie des
entreprises modernes en 2013, Rapport, Yaoundé, Institution Nationale de la statistique, 2016,en
ligne :[http://www.statisticscameroon.org/news.php?id=461](consulté le 12 juillet 2020)
30
Voir l’article 10 de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 relatif au droit des sociétés coopératives.

9
volontaire dans les sociétés coopératives31. Ce qui signifie qu’en principe aucune demande
d’adhésion à une société coopérative ne peut être refusée32.

Par contre, l’achat de parts au sein d’une société coopérative par le capital-investisseur est
conditionné. En effet, ceci est possible uniquement à condition que le capital-investisseur
partage « le lien commun sur la base duquel les coopérateurs se sont réunis »33.

Par ailleurs, en cas de financement d’une société coopérative, les pouvoirs du capital-
investisseur ici seront exactement égaux à ceux des autres associés quel que soit le montant de
son apport à la société. Ceci est dû au respect du principe d’égalité34 « une personne une voix »35
qui existe dans la société coopérative. Or, le capital-investisseur aime généralement se faire
octroyer, en contre- partie de son financement certains privilèges provenant soit, de sa quote-
part plus élevée que celle des autres associés, soit de la rédaction d’un pacte d’actionnaire. Le
respect strict du principe démocratique dans les sociétés coopératives peut donc constituer une
cause de découragement du capital- investisseur.

Outre les difficultés d’accès au financement rencontrées par les PME, celles-ci craignent
également pour leur sécurité dans l’opération de financement par le capital-investissement.
Cette crainte pour leur sécurité consiste concrètement en la crainte de perte de leur pouvoir.

B- L’analyse de la sécurité des PME dans le financement par le capital-


investissement : la crainte de perte de pouvoir

13. Afin de mieux cerner les raisons qui amènent les PME à craindre de perdre le pouvoir
au sein de leur entreprise, il importe de définir au préalable la notion de pouvoir. Le pouvoir du
chef d’entreprise peut être défini comme une prérogative reconnue au chef d’entreprise et
fondée sur la propriété36. Mieux encore, le pouvoir de direction du chef d’entreprise peut être
défini comme une prérogative en vertu de laquelle le chef d’entreprise peut librement choisir

31
Alioune Badara THIAM, « analyse du statut de membre d’une société coopérative et ses implications juridiques
au regard de l’acte uniforme de l’OHADA », (2014) Revue de l’ERSUMA 262.
32
id.
33
Voir article 217 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives.
34
Ce droit d’égalité provient du respect de l’un des sept principes coopératifs universellement reconnu et prévu à
l’article 6 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. Il s’agit du principe du pouvoir
démocratique exercé par les membres ; voir aussi Alioune Badara THIAM, « aspects conceptuels et évaluation de
l’acte uniforme de l’OHADA relatif aux sociétés coopératives », (2011) Revue de l’ERSUMA 94.
35
Alioune Badara THIAM (2014) préc., note 29.
36
Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire Juridique, France, Presses Universitaires de France, 2007 ; voir aussi Sylvie
Ngamaleu Djuiko, « Les prérogatives non pécuniaires de l’associé dans le droit OHADA », (2017)
Bulletin de droit économique 6.

10
ses collaborateurs et prendre toutes les décisions intéressant la marche de l’entreprise37. Au sein
de l’entreprise, l’usage du pouvoir est donc un élément primordial pour les actionnaires.

Parce que les actionnaires des PME craignent de perdre leur pouvoir en entreprise, ils redoutent
le financement par le capital-investissement. En effet, le financement par le capital-
investissement est généralement accordé aux PME à condition que celles-ci acceptent
l’introduction de nouveaux actionnaires, c'est-à-dire qu’elles acceptent d’ouvrir leur capital. Or,
pour les dirigeants de PME l’ouverture du capital est synonyme de perte d’autonomie38. Cette
perte d’autonomie et par ricochet cette perte de pouvoir, est liée d’une part à l’actionnariat des
sociétés financées (1) et d’autre part au contrat de financement par le capital-investissement (2).

1- La manifestation de la crainte de perte de pouvoir au niveau de l’actionnariat

14. La première manifestation de la crainte de perte de pouvoir des PME au Cameroun, est
celle liée à l’actionnariat. Elle consiste en particulier en la crainte d’ouverture de son capital par
la PME. En effet, la plupart des PME Camerounaises, sont des sociétés familiales qui reposent
très souvent sur leur seul promoteur hostile à ouvrir son capital39. De plus, généralement les
principaux responsables de ces entreprises ont des relations de famille ou ethnique avec le
principal actionnaire privé40. De ce fait, ces entreprises ont une gestion fortement concentrée et
sont réfractaires à toute introduction d’un nouvel actionnaire dans leur capital.

Cette réticence à l’ouverture de leur capital par les PME Camerounaises n’est-elle pas dans une
certaine mesure justifiée ?

En effet, le capital-investissement n'a pas que des avantages. Certaines études considèrent
effectivement que le démembrement de la propriété entraine pour principale conséquence le
risque de perte de contrôle de leur entreprise41 par les PME. Le contrôle de l’entreprise ou
encore le pouvoir en entreprise a pour principale source le droit de vote42. Le droit de vote est

37
Id.
38
Christian Lambert Nguena et Roger Tsafack Nanfosso, « Facteurs Micro- économiques du déficit de
Financement des PME au Cameroun », (2014) 2 African Development Review 375.

39
Dagobert Ngongang et Annette Motsoguem préc., note 3 ; voir aussi Yves Alain Pougoue et Michel Bernasconi,
préc., note 7.
40
Christian Lambert Nguena et Roger Tsafack Nanfosso préc., note 36.
41
Dagobert Ngongang et Annette Motsoguem préc., note 3.
42
Frédéric Leplat, Bruno Dondero et Lamia El Badawi, Remise en cause des concepts du droit des sociétés par
les techniques de financement, Rapport, Rouen, Centre Universitaire Rouennais d’Études Juridiques, (2013), en

11
en principe proportionnel à l'apport conformément à la règle « une action / une voix»43.
Cependant, des assouplissements à cette règle existent. Par exemple, certains actionnaires
peuvent se voir reconnaître des droits de vote multiples permettant à leurs propriétaires de peser
davantage dans les décisions collectives44. Ce sont ces dérogations au principe de
proportionnalité suscitent les inquiétudes45 des PME. C’est pour cette raison que les PME
redoutent l’introduction de nouveaux actionnaires dans leur entreprise.

En somme, le démembrement de la propriété passant par l’ouverture du capital de l’entreprise,


peut amener les dirigeants de PME à peu s’intéresser au capital-investissement lorsqu’ils ont
besoin de financement46. Outre cette crainte de l’ouverture de son capital, la PME redoute
également la signature du contrat avec la société de capital-investissement.

2- La manifestation de la crainte de pouvoir au niveau du contrat

15. De l’avis de certains auteurs, « le contrat joue un rôle de garde-fou en matière de


financement par la capital- investissement. Il protège ainsi l’entrepreneur contre toute perte de
pouvoir ou dépossession de son projet. (…) De même, le contrat est un dispositif incitatif
permettant l’alignement des intérêts des investisseurs et des entrepreneurs sur la création de
valeur au sein de l’entreprise » 47.

Cet avis n’est cependant pas partagé par les PME au Cameroun. En effet, en observant le
fonctionnement du financement par le capital- investissement, on se rend compte que la société
de capital-investissement accepte d’investir dans les sociétés seulement si celles-ci consentent
de perdre une partie de leur pourvoir et avantages48. Elles le font à travers la signature d’un

ligne : [http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/view/remise-en-cause-des-concepts-du-droit-des-socits-
par-les-techniques-de-financement-le-cas-de-lempty-voting] (consulté le 27 juin 2018)
43
Voir l’article 54 de l’AUSCGIE: « Sauf clause contraire des statuts ou disposition contraire du présent acte
uniforme, les droits et obligation de chaque associé, visés à l’article 53 ci- dessus, sont proportionnels à ses apports,
qu’ils soient faits lors de la constitution ou de la vie sociale » ; voir aussi l’article 129 du même Acte uniforme ;
voir également Alain Kenmogne Simo, « La désolidarisation entre participation au capital social et source du
pouvoir en droit OHADA », (2017) 1 Bulletin de droit économique 3. ; voir également Boris Martor, Nanette
Pilkinton, David Sellers et Sébastien Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, Paris,
Editions du Juris-Classeur, 2004.
44
Frédéric Leplat, Bruno Dondero, Lamia El Badawi, préc., note 41.
45
Id.
46
Théophile Serge Nomo, « Le suivi des investissements par les sociétés de capital-risque : Proposition d’un cadre
méthodologique », (2011) 3-4 Revue internationale P.M.E. 202.
47
Vololona Rabeharisoa préc., note 5.
48
Mondher Cherif et Stéphane Dubreuille, Création de valeur et capital-investissement, Paris, Pearson Education,
2009.

12
pacte d’actionnaires49. A partir de ce moment, la crainte de la PME Camerounaise réside à la
fois dans le contenu des contrats et dans la forme de ceux-ci.

16. En observant le contenu du contrat présenté par la société de capital-investissement,


on constate que certaines clauses peuvent être appréhendées, par la PME comme étant des
pièges. Il est difficile de dresser une liste exhaustive de celles-ci. Il s’agit par exemple des
clauses d’antidilution, des clauses de ratchet, et des clauses de liquidation préférentielle. Ces
différentes clauses insérées dans le pacte d’actionnaire gagneraient à être négociées par les
parties au contrat de capital-investissement. Mais tel n’est pas toujours le cas.

En effet ces contrats prennent de plus en plus la forme de contrats d’adhésion50. La


justification de cette pratique est, selon ceux qui en font usage, la recherche de l’optimisation
des coûts de négociation51. En effet, ils précisent que « cela permet à la fois une économie des
frais administratifs - il n’est pas nécessaire de réécrire chaque fois ces contrats – et le
développement des échanges et des marchés financiers, les contrats devenant plus cessibles une
fois standardisés »52.

Cette justification n’est cependant pas satisfaisante53. En effet, en raison de ce pouvoir conféré
par le contrat d’adhésion à la société de capital- investissement, les PME Camerounaises ont
des réticences face à ce mode de financement.

En conclusion, un recours quasi systématique à des contrats de gré à gré contribuera donc à
rassurer les PME Camerounaises et à amener celle- ci à avoir recours au financement par le
capital-investissement.

Outre l’analyse du recours au financement par le capital-investissement, des PME au


Cameroun, il est nécessaire de procéder aussi à l’analyse sécurité de la société de capital-
investissement afin de déceler les forces et faiblesses de ce mode de financement.

49
Id.
50
Guillaume Rougier-Brierre, Bruno Dondero, « Les inattendus de la réforme du droit des contrats : les pactes
d’actionnaires, des contrats d’adhésion ? », (2016) 114 Guide CAC 40 du Magasine des Affaires : Changements
et incertitudes p. 22.

51
Id.
52
André Lévy- Lang, L’argent, la finance et le risque, Paris, Editions Odile Jacob, 2006.
53
Guillaume Rougier-Brierre, Bruno Dondero préc., note 48.

13
II- L’analyse du point de vu de la société de capital-investissement

17. « Garantir la sécurité juridique des activités économiques afin de favoriser l’essor de
celles-ci et d’encourager l’investissement »54 est l’un des objectifs du droit OHADA. Cet
objectif est en partie atteint par le droit OHADA en matière de financement par le capital-
investissement (A). Toutefois, cette sécurité offerte par le droit à la société de capital –
investissement à des limites (B).

A- Le constat d’une sécurité offerte par le droit OHADA à la société de capital-


investissement

18. Parce que l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés à procédé, à la
consécration des pactes d’actionnaires et des sociétés par action simplifié d’une part (1) et à la
consécration de nouvelles valeurs mobilières d’autre part (2), la sécurité de la société de capital-
investissement s’est vue renforcée.

1- La consécration des pactes d’actionnaires et des sociétés par action simplifiée


(SAS)

19. En ce qui concerne tout d’abord les pactes d’actionnaires, l’on note que l’un des axes
majeurs de la réforme de l’Acte uniforme révisé est sans doute l’admission expresse de la
validité de ces pactes à son article 2-155. Ceux-ci peuvent être définis comme « l’ensemble
conventions extra-statutaires par lesquelles deux ou plusieurs actionnaires, personne physique
ou morale, organisent entre eux, selon un certain équilibre, les relations individuelles qu’ils
entretiennent au sein de la société, au regard de la gestion du pouvoir et de la détention du
capital »56. Ainsi, la société de capital-investissement a la possibilité, grâce à l’usage du pacte
d’actionnaire, de négocier une part importante de pouvoir et/ou de capital au sein de
l’entreprise. Les pactes d’actionnaires constituent donc pour ces opérations l’encadrement
juridique idéal en ce qu’ils offrent de réelles garanties aux investisseurs57.

54
Sévérine Menétrey, « la place de l’investissement dans l’OHADA », Questions de droit économique : les défis
des Etats africains, Bruxelles, Lacier, 2011.
55
Têko Seyram Amenyinu, « Regards sur l’article 2-1 de l’Acte uniforme révisé relatifau Droit des Sociétés
commerciales et du Groupement d’Intérêt économique », Bulletin de droit économique, 2017, p.1
56
Caroline LEROY, Le pacte d’actionnaires dans l’environnement sociétaire, thèse de doctorat, Paris, Université
Paris-Est, 2010, p. 7.
57
Têko Seyram Amenyinu op. cit. p. 7.

14
En somme, la consécration des pactes d’actionnaires offre donc une garantie de sécurité à la
société de capital-investissement. Il en est de même des sociétés par action simplifiée (SAS).

Cette dernière est une forme hybride de société, qui cumule la puissance financière des sociétés
par actions et la liberté quasiment absolue des conventions58. L’avènement de la SAS constitue
une amélioration significative de l’environnement juridique pour les investisseurs59 en général
et pour la société de capital-investissement en particulier. En effet, elle offre une grande liberté
aux associés dans l'organisation de la gouvernance de la société et leur permet d'adapter les
statuts de la SAS à leurs besoins précis (tels que la structure des organes de gouvernance, les
règles qui leurs sont applicables et les pouvoirs des actionnaires)60. De même, la liberté offerte
à la société de capital-investissement se manifeste aussi par la faculté de fluctuation aisée du
capital offerte par la SAS au capital-investisseur. Cette fluctuation du capital est possible à la
seule condition de la prévoir au préalable dans les statuts de l’entreprise61 et elle n’est pas
assujettie aux formalités de publicité comme dans les autres formes sociales62. Ce qui constitue
un gain de temps supplémentaire pour la société de capital-investissement.

Cette dernière bénéficie également d’une sécurité dans leurs opérations grâce au recours aux
valeurs mobilières.

2- La reconnaissance des valeurs mobilières

20. En ce qui concerne la reconnaissance de valeurs mobilières, le champ de notre étude


étant limité aux PME, il importe de préciser au préalable que seules les sociétés par actions
peuvent émettre des valeurs mobilières donnant accès au capital ou donnant droit à l’attribution
de titres de créance63.

21. Il existe des valeurs mobilières classiques reconnues par le droit OHADA et des
nouvelles valeurs mobilières reconnues par celui-ci. Ces deux types de valeurs mobilières
assurent la sécurité du capital- investisseur dans l’espace OHADA en général et au Cameroun
en particulier. En effet, en s’introduisant dans l’entreprise ayant besoin de financements, les

58
Frank Elvis Ndjolo Vodom préc., note 18.
59
Id.
60
Id.
61
Id.
62
Voir l’article 269-3 de l’AUSCGIE.
63
Voir l’article 822 de L’AUSCGIE.

15
sociétés de capital-investissement peuvent à travers les valeurs mobilières classiques, actions
ou obligations, se faire octroyer certains avantages.

Concrètement, « elles peuvent, tout d’abord, participer à l’achat d’actions existantes ou à la


souscription d’actions nouvelles qui leurs seront attribuées à l’occasion d’une augmentation de
capital qui leur sera réservée et pour laquelle il aura été préalablement demandé aux actionnaires
déjà présents dans la société, réunis en assemblée générale extraordinaire de renoncer à leurs
droits préférentiels de souscription ».64 Ceci, dans l’intérêt de la société de capital-
investissement.

22. En plus des valeurs mobilières classiques, le droit OHADA relatif aux sociétés
commerciales reconnaît désormais de nouvelles valeurs mobilières. Ces dernières contribuent
elles aussi à assurer la sécurité de la société de capital-investissement. Il s’agit en particulier
des valeurs mobilières composées. Elles sont prévues à l’article 822 de l’AUSCGIE.

Cette consécration de ces nouvelles techniques de financement par le droit OHADA est
avantageuse à plusieurs égards pour la société de capital-investissement. En effet,
« L’obligation convertible en actions constitue une formule qui permet à un obligataire de
devenir actionnaire de la société » 65. L’obligataire dont il est question ici est notamment la
société de capital-investissement. Outre cet avantage, cette possibilité de conversion de
l’obligation en action donne le temps à la société de capital-investissement « de se faire une
opinion sur l’image de la société »66.

En somme, l’on note qu’en ayant recours aux valeurs mobilières ordinaires ou composées, la
société de capital-investissement bénéficie d’une grande liberté dans la gestion de ses
différentes transactions financières avec les PME.

En dépit de la protection accordée par les innovations de l’AUSCGIE à la société de capital-


investissement au Cameroun, celle-ci fait encore face à certaines contraintes pouvant constituer
des freins à son octroi de financements aux PME au Cameroun.

B- Les limites à la sécurité de la société de capital-investissement

64
Jean Marc Moulin, Droit de l’ingénierie juridico – financière, Paris, Gualino éditeur, 2003.
65
Patrice S.A. Badji, « L’évolution des règles du droit des sociétés à la faveur de la révision de l’Acte uniforme
sur les sociétés commerciales », (2017) 1 Bulletin de droit économique 5.
66
Id.

16
23. Les raisons pouvant amener une société de capital-investissement à ne pas accorder de
financements à une PME tiennent d’abord à l’existence de contrats incomplets dans l’opération
de capital-investissement (1). Ces raisons tiennent ensuite à l’inexistence d’une loi relative au
capital-investissement et aux difficultés de sortie de l’entreprise connues par la société de
capital-investissement (2).

1- L’existence de contrats incomplets

24. En matière de financement par le capital-investissement, la société de capital-


investissement cours le risque à tout moment de signer des contrats incomplets. Un contrat
incomplet est défini comme un contrat ne mentionnant pas certaines contingences susceptibles
de se produire durant une transaction67. Allant encore plus loin que cette définition,
selon la théorie des coûts de transaction68 l’incomplétude du contrat implique une double
contrainte : d’une part, par l’incomplétude des accords conclus entre les parties, et, d’autre part,
par des défaillances institutionnelles69.

En ce qui concerne premièrement l’incomplétude des accords conclus entre les parties, il se
pose ici le problème de l’asymétrie d’information entre les parties.

Ce problème de l’asymétrie d’informations se pose soit en termes de sélection adverse, soit en


termes de risque moral70.

25. Il y a sélection adverse lorsque, « lors de la négociation d’une opération de financement,


certaines des parties peuvent être mieux informées que d’autres. Par exemple, les dirigeants
d’une entreprise innovante à la recherche de capitaux extérieurs sont mieux informés des
caractéristiques du projet à financer que les investisseurs potentiels71. Le problème de sélection
adverse se pose avant l’octroi de financement par la société de capital-investissement. En effet,
avant l’octroi de financements, les PME ont généralement recours à « ce que les anglo-saxons

67
Camille Chaserant, « Les fondements incomplets de l’incomplétude une revue critique de la théorie des
Contrats incomplets », (2007) 2 L’actualité économique 227.
68
La théorie des coûts de transaction est une théorie relative aux « coûts provoqués par toutes les procédures ou
opérations qui rendent possibles des échanges mutuellement avantageux ». Voir Bernard Guerrien, Dictionnaire
d’analyse économique, Paris, La Découverte, 2002.
69
Thierry Kirat, « L’allocation des risques dans les contrats : de l’économie des contrats « incomplets » à la
pratique des contrats administratifs », (2003) 3 Revue Internationale de Droit Économique 14.
70
James A. Ligon, Paul D. Thistle « Information Asymmetries and Informational Incentives in Monopolistic
Insurance Markets », (1996) 3The Journal of Risk and Insurance 434.
71
Mondher Cherif et Stéphane Dubreuille préc., note 46, voir aussi Henri Fouda et Michel Poitevin « Contrats
financiers avec asymétrie de l’information dans un cadre dynamique », (1993) 1 L'Actualité économique 97.

17
appellent le window dressing72, ce que nous pouvons traduire par l’embellissement ou
l’affichage de façade. En effet les entrepreneurs ont tendance à embellir l’analyse de la situation
de l’entreprise et à privilégier les bonnes nouvelles »73. C’est le cas par exemple des PME
Camerounaises qui ne produisent pas des états financiers fiables. En effet, une enquête effectuée
dans les villes de Yaoundé et Douala fait état de ce que les banquiers, les établissements de
micro-finance, le fisc et même le groupement inter patronal du Cameroun, considèrent que les
informations produites par les PME sur leur états financiers ne doivent pas être considérées
comme fiables74. Outre la sélection adverse, le problème d’asymétrie d’information se pose en
termes de risque moral.

26. Il y a risque moral lorsque, après la signature d’un contrat, l’une des deux parties est en
mesure de léser l’autre en raison de l’asymétrie d’information qui existe entre elles75. Autrement
dit, une des parties n’a pas forcément intérêt à respecter les termes de l’accord une fois le contrat
signé76. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains auteurs ont qualifié la relation entre le
professionnel de la société de capital-investissement et l’entrepreneur à l’étape post-
investissement de « boîte noire »77. Ainsi, par exemple, les dirigeants peuvent engager des
dépenses inutiles au développement de l’entreprise, et diminuer de la sorte les montants
disponibles pour rémunérer les investisseurs externes78.

27. Certes l’on peut arguer que la solution au problème de l’asymétrie d’information
consiste en la signature du pacte d’actionnaire. Malheureusement, en dépit des différentes
clauses pouvant être insérées dans le pacte d’actionnaires, l’efficacité de celui-ci est relative.
En effet, la sanction de l’inexécution d’une clause du pacte d’actionnaire est faite par le recours
aux dommages et intérêts conformément à l’article 1142 du Code Civil. Ce qui a été qualifié de

72
Sur le Window dressing, voir aussi Ivan Tchotourian, « Du « window dressing » en matière de bonus ?
Analyse de l’attitude des régulateurs face aux rémunérations des professionnels de la finance », (2010) 3 R.R.J.
73
Bernard Paulré, Le capital-risque aux Etats-Unis : Structure et évolution du système, archives-ouvertes, 2003
en ligne : [https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00135483] (consulté le 12 juillet 2020); voir aussi Marie-
Anne Frison Roche, « la problématique de la sincérité de l’information financière », (2012) Du chiffre à la lettre
: l'expert-comptable de justice et la sincérité de l'information financière, Compagnie Nationale des Experts-
Comptables de justice 27-30.
74
Laurent Ndjanyou, « Portée du système comptable OHADA sur la production et la diffusion de l’information
financière des entreprises de petite dimension », (2008) 2 Revue africaine de l’Intégration 20- 22.
75
Alain Betone, Antoine Carzorla, Christine Dollo et Anne-Marie Drai, Dictionnaire des sciences économiques,
Paris, Armand Colin, (2007).
76
Eric Brousseau, l’Economie des contrats, Technologie de l’information et coordination interentreprises, Paris,
Presses Universitaires de France, 1993.
77
Théophile Serge Nomo préc., note 44.
78
Id.

18
faiblesse congénitale des pactes d’actionnaires79. A titre exceptionnel ce n’est qu’en cas de
fraude lors d’une cession d’action que l’inexécution du pacte d’actionnaire peut donner lieu à
une nullité de l’acte conformément à l’article 771-3 alinéas 280 de l’AUSCGIE81. Ainsi, cette
efficacité relative du pacte d’actionnaire, ne garantit pas complètement la société de capital-
investissement contre le problème d’asymétrie d’information.

28. Outre ce problème de l’asymétrie d’information, le caractère incomplet du contrat de


capital-investissement implique pour la société de capital-investissement de faire face en
second, au problème de défaillances institutionnelles.

29. Selon un auteur, le contexte juridique, dans lequel évoluent les sociétés de capital-
investissement, conditionne largement les capacités d’intervention de celles-ci au soutien des
PME82. Le capital-investissement ne peut ainsi apparaître que dans un environnement juridique
et économique bien précis, environnement qui lui permet à la fois de garantir un niveau suffisant
de rémunération, et de limiter les risques83.

Cependant, tel n’est pas toujours le cas. En effet, l’on note de multiples défaillances de
l’environnement institutionnel et en particulier de celui judiciaire au Cameroun. En effet il
existe un véritable « caractère pathogène du monde du droit et des tribunaux en matière de vie
des contrats » 84. De même, un auteur précise que le système judiciaire constitue l’un des
éléments les plus défavorables à l’investissement et à l’environnement des affaires au
Cameroun85. Ceci est dû, selon l’auteur, à l’insuffisance du nombre de magistrats (à peine 1
158 pour tout le pays) doublée d’un manque de spécialisation et l’absence d’une documentation
adéquate86. Il ajoute encore que « l’absence de transparence dans les jugements et leur non-
conformité avec les textes, ajoutées aux lenteurs dans l’enregistrement des affaires et

79
Voir Michel Jeantin, note sous Com. 7 mars 1989, cité par Têko Seyram Amenyinu préc., note 53.
80
L’article 771-3 (2) dispose que « dans le cas où une clause de préemption est stipulée dans les conventions de
l’article 2-1, toute cession d’actions réalisées en violation du droit de préemption est nulle dès lors
qu’il est démontré que l’un des bénéficiaires en avait connaissance ou ne pouvait en ignorer l’existence ».
81
Voir Têko Seyram Amenyinu préc., note 53.
82
Christian Poncet, Le développement des opérateurs en capital-risque : le poids du contexte institutionnel,
Rapport, Montpellier, Ressources et Territoires dans le Développement (2013), en ligne : [http://art-
dev.cnrs.fr/IMG/pdf/wpARTDev_2013_06.pdf] (consulté le 27 juin 2017)
83
Id.
84
Thierry Kirat préc., note 67.
85
Marlène Kanga (dir.), Environnement de l’Investissement Privé au Cameroun, Rapport, Département Régional
de l’Afrique Centrale, Banque Africaine de Développement, (2012), en ligne :
[https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Project-and-Operations/Cameroun%20-
%20Environnement%20de%20l%E2%80%99investissement%20priv%C3%A9.pdf] (consulté le 27 juin 2018)
86
Id.

19
l’exécution des décisions, font de la justice l’un des facteurs les plus contraignants pour
l’opérateur économique »87.

30. Afin de promouvoir le développement du capital-investissement au Cameroun, il est


donc nécessaire de limiter ces défaillances du système judicaire.

Outre les difficultés liées aux contrats incomplets précédemment évoqués, la société de capital-
investissement peut être amenée à refuser des financements aux PME en raison de l’absence de
réglementation de cette activité et des difficultés de sortie de la société de capital-
investissement.

2- L’absence de réglementation du capital-investissement et les difficultés de sortie de la


société de capital-investissement au Cameroun

31. Reconnaissant son rôle d’acteur du développement, certains Etats ont choisi de
promouvoir le capital-investissement en lui donnant une reconnaissance juridique88.
Malheureusement le Cameroun n’a pas encore suivi leur exemple.

32. En raison de l’inexistence d’une loi applicable en particulier aux opérations de capital-
investissement, le législateur du Cameroun assimile les sociétés de capital-investissement à des
établissements de crédit89.

Pourtant, il existe une différence entre les établissements de crédit et les sociétés de capital-
investissement. Les établissements de crédit ont pour principale activité l’intermédiation
financière. Or, « les sociétés du capital-investissement font de l’intermédiation financière, mais
la manière diffère : le banquier reste un créancier de l’entreprise. Il est un partenaire externe
qui ne court pas le risque industriel avec l’entrepreneur – tandis que le professionnel du capital-
investissement est un actionnaire qui court le risque industriel avec l’entrepreneur –, ce qui lui
donne le statut de créancier résiduel »90.

87
Id.
88
Jean-Michel Severino, Investir dans les Petites et Moyennes Entreprise en Afrique : Une Introduction au capital-
investissement en Afrique, Rapport, Investisseurs et Partenaires, en
ligne : [http://financerlespmeenafrique.com/wp-content/uploads/2015/05/Guide-Investir-dans-les-PME-en-
Afrique.pdf] (consulté le 27 juin 2018)
89
Voir l’article 2 du décret n° 90/1469, portant définition des établissements de crédit au Cameroun.
90
Yves Alain Pougoue et Michel Bernasconi préc., note7.

20
En somme afin de mieux garantir la sécurité des sociétés de capital-investissement, le
législateur devrait adopter une encadrant cette activité et celle-ci doit prendre en considération
le statut de la société de capital-investissement.

Outre cette absence d’encadrement légal, la société de capital-investissement fait face au


Cameroun à des difficultés de sortie, après le financement de la PME.

33. La sortie d’une société de capital-investissement peut être définie comme étant le
moment où celle-ci décide de céder ses participations suite à la réalisation du projet91. Cette
sortie doit être effectuée au moment opportun.

Toutefois, la sortie en bourse peut difficilement être mise en œuvre dans le contexte du
Cameroun au moins pour deux raisons.

34. Premièrement, en dépit de sa fusion avec la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique
Centrale (BVMAC)92. De ce fait, il existe au sein de celle-ci « une faible variété de produits,
une liquidité insuffisante et un risque de volatilité »93. Alors, dans ce contexte, on imagine très
mal les acteurs de l’industrie de capital-investissement y effectuer des sorties94.

35. Parallèlement, les conditions financières à remplir par une société désireuse de faire une
sortie sur le marché financier, à travers un appel public à l’épargne sont suffisamment lourdes.
L’Acte Uniforme OHADA relatif aux Sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt
économique précise effectivement que, le capital minimal d’une entreprise faisant appel public
à l’épargne est de cent millions de francs CFA (100.000.000 FCFA)95. De surcroit, les seuls
types de sociétés pouvant faire appel public à l’épargne sont les sociétés anonymes96. De ce
fait, parce que ne pouvant acquérir cette forme juridique97, les PME sont exclues du marché
financier au Cameroun. Ainsi, les sociétés de capital-investissement ayant financé des PME se
retrouvent dans l’impossibilité d’effectuer des sorties sur le marché financier. Il est donc
opportun pour le législateur OHADA de faciliter les conditions d’accès au marché financier

91
Mohamed Ali Chatti, « analyse comparative entre la finance islamique et le capital risque », (2010) 1 Etudes en
économie islamique 84.
92
Yves Alain Pougoue, Michel Bernasconi préc., note 7.
93
Mariel Gansou, « l’Afrique Sub-saharienne : nouvel eldorado pour les services financiers ? », (2013) Banque et
Stratégie 2.
94
Yves Alain Pougoue, Michel Bernasconi préc., note 7.
95
Voir l’article 824 de l’AUSCGIE.
96
Voir l’article 823 de l’AUSCGIE.
97
Elles sont effectivement pour la plupart de très petite taille.

21
pour toutes les entreprises ou alors, il est opportun pour lui de créer, à l’image d’autres
législateurs, un marché financier spécialement pour les PME.

Conclusion

Au total, certes des réformes ont été entamées par le législateur tant au niveau du Cameroun,
avec les lois relatives à la promotion des PME et celles incitant à la sortie du secteur informel.
De même, au niveau de l’OHADA la consécration des pactes d’actionnaires et des SAS
contribue à promouvoir le financement par le capital-investissement. Toutefois, ces réformes
nécessitent d’être approfondies afin de garantir la sécurité des sociétés de capital-investissement
mais aussi celle des PME.

22

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