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La préaspiration en nordique occidental (présentation orale)

La préaspiration est un phénomène actif en islandais et en féroïen standard, ainsi que dans certains
dialectes du suédois et du norvégien (Helgason 2002). Acoustiquement, on parle de préaspira-
tion lorsque le bruit de friction glottale qui survient après la phase de relâchement d’une occlusive
(post)aspirée intervient avant la mise en place des articulateurs et le silence, caractéristique des
occlusives. Dans les langues nordiques occidentales (islandais et féroïen), sur lesquelles nous nous
concentrons ici, la préaspiration touche les fortis exclusivement. Celles-ci sont normalement po-
staspirées à l’initiale ((1a), (2a)) et désaspirées en finale ((1b), (2b)) et à l’interne de mot ((1c),
(2c)).

(1) Les fortis féroïennes (2) Les fortis islandaises

(a) / # _ {C, V} (a) / # _ {C, V}


plaga [ˈpʰle̞ːa] ‘avoir l’habitude de.inf’ prúður [pʰruːðʏr] ‘bien élevé, poli.nom.m.sg’
træ [tʰrɛaː] ‘arbre.nom.sg’ tala [ˈtʰaːla] ‘parler.inf’
kona [ˈkʰoːna] ‘femme.nom.sg’ kné [kʰnjeɛː] ‘genou.nom.sg’
(b) / {C, V} _ # (b) / {C, V} _ #
skip [ʃiːp] ‘navire.nom.sg’ skip [scɪːp] ‘bateau.nom.sg’
trúbót [ˈtʰrʉuːˌbœuːt] ‘Réforme.nom’ fet [fɛːt] ‘pas.nom.sg’
fólk [fœl̥k] ‘gens.nom’ björk [bjœr̥k] ‘bouleau.nom.sg’
(c) {C, V} _ {C, V} (c) {C, V} _ {C, V}
hjálpa [jɔl̥lpa] ‘aider.inf’ tapa [tʰaːpa] ‘perdre.inf’
brýtur [ˈbrʊiːtʊɹ] ‘briser, rompre.ind.prs.3.sg’vanta [van̥ ta] ‘avoir besoin de.inf’
saksur [ˈsaksʊɹ] ‘ciseaux.nom.sg’ kráka [kʰrauːka] ‘corbeau.nom.sg’
Dans la littérature (Adams et Petersen 2014 ; Þráinsson et al. 2012 ; Árnason 2011), trois
contextes sont donnés pour l’apparition de la préaspiration. Les deux premiers sont communs à l’is-
landais et au féroïen : (i) lorsque les fortis sont phonologiquement longues ((3a), (4a)) et (ii) lorsque
les fortis précèdent une sonante ((3b), (4b)). Le troisième contexte concerne le féroïen uniquement
(3c) : (iii) lorsqu’une fortis singleton se trouve à l’intervocalique devant une voyelle non haute.
Si, en revanche, la fortis singleton intervocalique se trouve devant une voyelle haute, alors la pré-
aspiration ne se déclenche pas et c’est la variante désaspirée de la fortis qui surface (comme en (1c)).

(3) Les fortis préaspirées en féroïen (4) Les fortis préaspirées en islandais

(a) / V _i Ci (a) / V _i Ci
dóttir [ˈd̥ œʰtːɪɹ] ‘fille.nom.sg’ hneppa [n̥ ɛhpa] ‘boutonner.inf’
koppur [ˈkɔʰpːʊɹ] ‘tasse.nom.sg’ ætti [aihtɪ] ‘devoir.sbjv.pst.1.sg
gakk [ɡaʰkː] ‘aller.imp.sg’ dekk [dɛhk] ‘pneu.nom.sg’
(b) V _ {l, n, m, r} (b) V _ {l, n, m}
daprir [ˈdɛaːʰprɪɹ] ‘triste.nom.m.pl’ skupla [skʏhpla] ‘écharpe.nom.sg’
Keypmannahavn [ˈt͡ʃ ʰɛʰpmanːaˌhaun] ‘Copenhague.nom’ vatn [vahtn̥ ] ‘eau.nom.sg’
gjøtla [ˈd͡ʒœʰtla] ‘supposer.inf’ kaupmaður [kʰœihpmaðʏr] ‘marchand.nom.sg’
vákn [vɔʰkn] ‘lance à baleine.nom.sg’ miklir [mɪhklɪr̥] ‘géant.nom.m.pl’
(c) V[-haut] _ V
drepa [dreːʰpa] ‘tuer.inf’
bátur [ˈbɔɑːʰtʊɹ] ‘bateau.nom.sg’
vøkur [ˈvøːʰkʊɹ] ‘beau.nom.f.sg’
Le cas de la préaspiration des singletons en féroïen indique l’importance de l’identité de la voyelle
de gauche dans le déclenchement du phénomène. Nous proposons une analyse de la préaspiration
basée sur l’interaction entre le contenu de la consonne et la structure vocalique précédente : en
d’autres termes, la préaspiration consiste en un allongement de la consonne vers sa gauche, si et
seulement si la structure interne de la voyelle le permet.
Afin de représenter le contenu interne des segments vocaliques et consonantiques, nous nous
appuyons sur la Phonologie du Gouvernement 2.0 (GP 2.0) (Pöchtrager 2006) dont l’apport
principal est l’organisation structurée du contenu segmental (exprimé en termes d’éléments). Ainsi,
les segments correspondent à des structures arborescentes (inspirées de la théorie X-barre) conte-

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nant une tête et une ou plusieurs projection(s). Les propriétés laryngales sont directement encodées
dans la structure : alors que les occlusives projettent deux fois (5a, b), les fricatives ne projettent
qu’une fois et sont, par conséquent, structurellement moins complexe (5c). Dans ce cadre, l’aspi-
ration est comparable à de la longueur phonologique : les fortis occupent plus de positions que
les lénis. La position supplémentaire occupée par les fortis (x2 ) est lexicalement présente dans la
structure même de l’occlusive. Les lénis, qui contiennent aussi lexicalement cette position x2 , ne
l’exploitent pas. L’exploitation du complément supplémentaire passe par de la ‘melodic-command’ :
la tête, xO, porteuse de la mélodie (ici |U|), peut déclencher une relation intrasegmentale en di-
rection d’un complément (x1 , x2 ) et lui imposer l’interprétation de son contenu. Par conséquent,
en (5a), la mélodie |I| est interprétée au niveau de la tête et de x2 . En (5), seule la position tête
interprète la mélodie.
(5) Représentation des obstruantes dans GP 2.0
a. [pʰ] b. [p]/[b] c. [f]

O” O” O’ m-commande

x2 O’ m-commande x2 O’ x1 xO|U|
x1 xO|U| x1 x|U|

De la même manière, dans le cadre des voyelles, la mélodie est associée à la position tête, xN. La
longueur vocalique consiste en de la m-command, c’est-à-dire que la mélodie associée à la tête, par
le biais d’une relation intrasegmentale, occupe également la position de complément x1 , comme en
(6a). A l’inverse, dans les voyelles brèves, la tête ne m-commande pas, laissant le nœud complément
lexicalement vide. En (6c, d), nous illustrons le cas des voyelles moyennes, c’est-à-dire contenant
|A|. Suivant GP 2.0, l’aperture consiste, non plus en une primitive, mais en de l’espace disponible
dans la structure vocalique : plus une voyelle est ouverte, plus elle contient de projection vide.
Dans le cas de voyelles moyennes, la longueur n’a pas d’incidence sur l’espace disponible dans la
structure vocalique : x2 est toujours disponible, malgré la présence de la m-commande, dirigée ici
vers le complément le plus bas, x1 .
(6) Représentation des voyelles dans GP 2.0
a. /i/ long b. /i/ bref c. /e/ long d. /e/ bref
N’1 N’1 N” N”
xN|I|1 x1 xN|I|1 x1 N’ x2 N’ x2
xN|I| x1 xN|I| x1

En suivant les propositions de GP 2.0, nous considérons que les fortis préaspirées ont des
structures à deux projections et dont la tête m-commande un nœud terminal supplémentaire.
Cependant, à la différence des postaspirées qui trouvent ce nœud supplémentaire à l’intérieur de
leur propre structure (x2 en (5a)), les préaspirées m-commandent en dehors de leur structure,
notamment dans la structure de la voyelle précédente. Par conséquent, le bruit d’aspiration est
linéarisé avant la réalisation de l’occlusive. On peut ainsi expliquer pourquoi les voyelles hautes
bloquent la préaspiration des singletons en féroïen, lorsqu’elles sont longues : elles n’offrent pas
de position lexicalement vide pouvant accueillir l’allongement de l’attaque qui suit. Seules les
voyelles moyennes contiennent l’espace disponible à l’allongement de la fortis, c’est-à-dire un nœud
lexicalement non annoté et libre de toute relation avec sa tête (x2 en (6c, d)).
L’identité de la voyelle de gauche est également pertinente pour le déclenchement de la préas-
piration dans le cas des fortis géminées ou incluses dans un cluster avec une sonante. La longueur
vocalique est positionnelle en islandais et en féroïen, c’est-à-dire que seules les voyelles accentuées
et suivies d’une seule consonne surfacent longues. Ainsi les voyelles précédant des géminées ou
des clusters /occ. + son./ surfaceront toujours brèves. En l’absence de longueur, et donc de m-
command au sein de la structure vocalique, toutes les voyelles, même hautes, contiennent un nœud
complément lexicalement libre (comme illustré en (6b)). Nous unifions ainsi tous les contextes de
préaspiration observés en islandais et en féroïen. La présence de géminées ou de clusters /occ. +
son./ ne sont pas les arguments principaux du déclenchement de la préaspiration. En revanche c’est

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le comportement déclenché par ces groupes de consonnes sur la voyelle de gauche qui est pertinent,
à savoir le blocage de la longueur.
Adams, J. et Petersen, H. P. Faroese : a language course for beginners. Tórshavn : Stiðin, 2014. Árnason,
K. The phonology of Icelandic and Faroese. Oxford ; New York : Oxford University Press, 2011. Helgason,
P. “Preaspiration in the Nordic languages : synchronic and diachronic aspects”. Thèse de doct. Université
de Stockholm, 2002. Pöchtrager, M. A. “The structure of length”. Thèse de doct. Université de Vienne,
2006. Þráinsson, H. et al. Faroese : an overview and reference grammar. Tórshavn : Føroya Fróðskaparfelag,
2012.

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