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CHRONIQUE

À VOTRE
SANTÉ !
médecin nutritionniste

Il y a sucre et sucre

N
ous associons le mot sucre à l’énergie et au
plaisir. Non sans raison. Le glucose, le sucre le
plus simple, est le carburant quasi exclusif de
notre cerveau et celui privilégié de la plupart trop élevé, ont moins d’énergie pour tout (se défendre contre les microbes, se
de nos cellules. En consommer donne une réparer…). Ils ont payé un lourd tribut lors de l’épidémie de Covid. Agés, ils
sensation de plaisir. Dès la naissance, un bébé subissent des amputations à cause de gangrènes dues à des blessures à peine
sur les lèvres duquel on dépose une goutte visibles. Ils vivent moins longtemps que les non-diabétiques et développent beau-
sucrée sourit, mais grimacera avec l’amer, coup plus tôt la quasi-totalité des maladies dégénératives liées à l’âge, des patho-
l’acide, le salé. Sans doute un reliquat d’une logies cardiovasculaires à la maladie d’Alzheimer. Ils se réparent mal tout
évolution qui a tenté de nous éviter de man- simplement parce que leurs outils de réparation sont paralysés par du sucre.
ger, en milieu sauvage, des végétaux toxiques.
Chez les adultes, le sucré a des effets psy- Les sucres rapides stimulent puissamment…
chotropes qui rendent dépendants. Comme …la sécrétion d’insuline, l’hormone qui leur permet d’entrer dans les cellules. Ce
l’a montré Serge Ahmed, neurobiologiste et qui entraîne une dépression du glucose circulant dans l’heure qui suit l’ingestion
directeur de recherches au CNRS, les ron- et rallume l’appétence pour des aliments ou boissons sucrés. Ces montagnes russes
geurs préfèrent le sucre à la cocaïne. C’est du taux de sucre dans le sang favorisent donc un excès de consommation et le
l’une des raisons pour lesquelles il est si pré- surpoids. D’autant que le sucre est ensuite transformé en graisse dans le foie (tri-
sent dans les produits agroalimentaires, juste- glycérides) et que l’insuline stimule aussi le stockage de ces graisses dans le tissu
ment conçus pour être addictifs. adipeux. On voit comment les sucres rapides contenus dans les produits indus-
Mais il y a sucre et sucre. Des molécules triels sont un facteur majeur de l’épidémie de surpoids et d’obésité qui frappe l’Eu-
très différentes entrent dans cette catégorie, rope, phénomène que l’on pensait concerner uniquement les Etats-Unis !
dont le nom scientifique est « glucides ». Alors, faut-il diaboliser les glucides comme l’ont fait les docteurs Robert
Certaines, très simples, qui ont le goût le plus Atkins et Loren Cordain (régime « paléolithique ») ou, plus récemment, les pro-
sucré, comme le glucose et le fructose. Par moteurs du régime cétogène (très faible en glucides) ? Non, car supprimer les
exemple, le miel, en général composé à moi- glucides conduit à consommer beaucoup trop de graisses et de protéines avec, à
tié de glucose et de fructose. Nous aimons les la clé, des effets désastreux : foie gras, inflammation, surpoids, accélération du
abeilles. Et le miel, c’est bon, mais mieux vaut vieillissement… Non, car les glucides dits « complexes » ou « lents », composés de
le consommer avec parcimonie car il s’agit chaînes de molécules beaucoup plus longues, prennent plus de temps pour être
d’un sucre plus « rapide » que le sucre blanc digérées et arrivent donc plus lentement dans le sang, ce qui favorise l’apport
constitué, lui, de deux molécules à dissocier. d’une énergie stable et durable sans paralyser nos outils biochimiques. Ils sont
En quoi la « rapidité » d’un sucre pose-t- associés à des fibres indispensables à notre microbiote – alors que les sucres
elle problème ? Cela signifie qu’il est facile- rapides favorisent la prolifération des bactéries pathogènes de notre flore – et à de
ment digéré et donc passe très vite dans le nombreux minéraux protecteurs, comme le magnésium qui catalyse toutes les
sang. Or, dans le miel, il n’y a rien à digérer, les opérations permettant de produire notre énergie, l’ATP, à partir du glucose.
sucres étant déjà totalement dissociés. Dans le Dans la pratique, veiller à la présence de glucides lents à chaque repas : légu-
sucre blanc, seule une petite liaison est à digé- mineuses (lentilles, pois, soja, fèves…) ; céréales (semi-complètes et sans gluten :
rer. Ces glucides entrant en quantité dans le riz, sarrasin, quinoa, chia, petit épeautre…) ; courges, châtaignes et oléagineux
sang se collent aux protéines, qui sont les (noix de cajou, pistaches…). L’association légumineuses-céréales remplace les
outils biochimiques nous permettant de fonc- protéines animales. À noter que les cuissons a minima (pâtes al dente, risotto…)
tionner, et les paralysent. Cela s’appelle la ralentissent les sucres. Le fructose des fruits, lui, est rapide mais il est associé à
« glycation ». C’est ce qui fait que les diabé- beaucoup d’eau et de fibres ; il ne pose problème que s’il est très concentré, par
tiques, dont le taux de glucose dans le sang est exemple dans le miel ou le sirop d’érable. u

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