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Revue d'Archéométrie

Recherche d'indices sur les techniques de fabrication de zelliges du


XIVe siècle (Chellah, Maroc).
Ayed Ben Amara, Max Schvoerer, Mustapha Haddad, Aomar Akerraz

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Ben Amara Ayed, Schvoerer Max, Haddad Mustapha, Akerraz Aomar. Recherche d'indices sur les techniques de fabrication
de zelliges du XIVe siècle (Chellah, Maroc).. In: Revue d'Archéométrie, n°27, 2003. pp. 103-113;

doi : https://doi.org/10.3406/arsci.2003.1046

https://www.persee.fr/doc/arsci_0399-1237_2003_num_27_1_1046

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Résumé
L'art des zelliges et les bâtiments qu'ils décorent font partie intégrante de la vie et du patrimoine
culturel du Maroc. Les architectes confrontés aux problèmes de restauration de ces édifices et de leurs
décors de zelliges sont souvent contraints d'envisager la re-création d'éléments disparus mais les
techniques de fabrication ainsi que la texture et la composition des matériaux ne sont pas ou mal
connues. Nous étudions ici les caractéristiques physiques de zelliges provenant du site de Chellah, à
Rabat, datant du XIV6 siècle, afin de rechercher des indices sur les techniques de L'analyse a porté
sur les couleurs, par spectrophotométrie d'absorption optique et chromamétrie, sur la texture par
imagerie en cathodoluminescence et microscopie électronique à balayage et sur la composition
élémentaire des phases constitutives, par fluorescence. Les éléments chromogènes, utilisés pour
colorer les glaçures, ont été identifiés. Il s'agit classiquement d'ions de métaux de transition (fer, cuivre
et manganèse). La détermination des coordonnées de la couleur des glaçures et leur représentation
dans les espaces conventionnels Yxy et L*a*b* fournissent un référentiel norme, susceptible d'être
utilisé pour orienter et contrôler les essais de re-création à des fins de restauration. On remarque la
présence, en section, d'une prolifération de cristaux de dévitrification à l'interface glaçure/terre cuite
vraisemblablement l'application des mélanges glaçurants sur une terre calcique crue. Toutes les
glaçures examinées sont plombifères, transparentes ou opacifiées à l'étain. Cet ensemble de données
sera utilisable pour des expériences de re-création en collaboration avec l'artisanat local. Il constitue
un premier système référentiel utilisable pour des avec d'autres échantillons de différentes périodes, et
d'autres édifices marocains.

Abstract
The art of zellige and the buildings they decorate are an integral part of life and cultural heritage in
Morocco. The architects confronted with the problems of restoration of these buildings and the zellige
decorations are often forced to envisage the replication of disappeared elements. But the techniques,
the texture and the composition of the material are not or badly known. Here we are interested in
searching the physical characteristics of zelliges coming from the site of Chellah, in Rabat, and dating
from the XIVth century. We look for some indications on one or several techniques of their
manufacture. The analyse concerned the colours, by optical absorption spectrometry and
chromametry, the texture, by cathodoluminescence and scanning electron microscopy, and the
elementary composition of the different phases, by energy-dispersive X-ray spectrometry. Colouring
agents, used to colour the glazes, were identified (iron, copper and manganese). The determination of
the chromatic coordinates of the colours of the glazes and their representation in the conventional
spaces Yxy and L*a*b * supplies a norm repository. That can be used to direct and control the attempts
of replication in purpose of restoration. We notice the presence an abundance of devitrification crystals
in the glaze/body interface, probably meaning the application of the glaze suspension on an unfired
calcareous body. For all the examined samples, transparent lead and tin-opacified lead glazes have
been used. These data will be useful for some replication experiments in association with the local
craft. It establishes a first repository system useful to compare with other from various periods, and
from other Moroccan buildings.
Revue d'Archéométrie, 27, 2003

RECHERCHE D'INDICES SUR LES TECHNIQUES


DE FABRICATIONDE ZELLIGES DU XIVe SIÈCLE

(CHELLAH, MAROC)

AyedBENAMARA*. Max SCHVOERER*, Mustapha HADDAD** et Aomar AKERRAZ***

Résumé : L'art des zelliges et les bâtiments qu'ils décorent font partie intégrante de la vie et du patrimoine culturel
du Maroc. Les architectes confrontés aux problèmes de restauration de ces édifices et de leurs décors de zelliges sont
souvent contraints d'envisager la re-création d'éléments disparus mais les techniques de fabrication ainsi que la texture
et la composition des matériaux ne sont pas ou mal connues. Nous étudions ici les caractéristiques physiques de zelliges
provenant du site de Chellah, à Rabat, datant du XIV6 siècle, afin de rechercher des indices sur les techniques de
L'analyse a porté sur les couleurs, par spectrophotométrie d'absorption optique et chromamétrie, sur la texture par
imagerie en cathodoluminescence et microscopie électronique à balayage et sur la composition élémentaire des
phases constitutives, par fluorescence. Les éléments chromogènes, utilisés pour colorer les glaçures, ont été identifiés.
Il s'agit classiquement d'ions de métaux de transition (fer, cuivre et manganèse). La détermination des coordonnées
de la couleur des glaçures et leur représentation dans les espaces conventionnels Yxy et L*a*b* fournissent un
référentiel norme, susceptible d'être utilisé pour orienter et contrôler les essais de re-création à des fins de restauration. On
remarque la présence, en section, d'une prolifération de cristaux de dévitrification à l'interface glaçure/terre cuite
vraisemblablement l'application des mélanges glaçurants sur une terre calcique crue. Toutes les glaçures examinées
sont plombifères, transparentes ou opacifiées à l'étain. Cet ensemble de données sera utilisable pour des expériences de
re-création en collaboration avec l'artisanat local. Il constitue un premier système référentiel utilisable pour des
avec d'autres échantillons de différentes périodes, et d'autres édifices marocains.

Abstract : The art of zellige and the buildings they decorate are an integral part of life and cultural heritage in Morocco.
The architects confronted with the problems of restoration of these buildings and the zellige decorations are often forced
to envisage the replication of disappeared elements. But the techniques, the texture and the composition of the material
are not or badly known. Here we are interested in searching the physical characteristics of zelliges coming from the site
of Chellah, in Rabat, and dating from the XIVth century. We look for some indications on one or several techniques of
their manufacture. The analyse concerned the colours, by optical absorption spectrometry and chromametry, the texture,
by cathodoluminescence and scanning electron microscopy, and the elementary composition of the different phases, by
energy-dispersive X-ray spectrometry. Colouring agents, used to colour the glazes, were identified (iron, copper and
manganese). The determination of the chromatic coordinates of the colours of the glazes and their representation in the
conventional spaces Yxy and L*a*b * supplies a norm repository. That can be used to direct and control the attempts of
replication in purpose of restoration. We notice the presence an abundance of devitrification crystals in the glaze/body
interface, probably meaning the application of the glaze suspension on an unfired calcareous body. For all the examined
samples, transparent lead and tin-opacified lead glazes have been used. These data will be useful for some replication
experiments in association with the local craft. It establishes a first repository system useful to compare with other
from various periods, and from other Moroccan buildings.
Mots-clés : Zellige, céramique glaçurée, site de Chellah, technique de fabrication.
Key-words : Zellige, glazed ceramic, site of Chellah, techniques of manufacture.

PROBLÉMATIQUE - OBJECTIF fabrication des zelliges sont utiles aux architectes


qui souhaitent restaurer des monuments et leurs
Le Maroc a développé un art tout à fait particulier : décors de zelliges, pour recréer les éléments manquants
celui des zelliges. Il s'agit d'un revêtement de mosaïque ou mettre en œuvre une politique de conservation
de céramique glaçurée. Malheureusement, des panneaux Les artisans actuels ont tendance à utiliser de
entiers de zelliges se détachent, des glaçures sont altérées plus en plus de matériaux de substitution. C'est
et on note souvent des efflorescences salines entre les sur l'aspect terminal, la couleur notamment, que
Les informations sur les techniques anciennes de l'on juge de la qualité du travail réalisé, ce qui s'avère

* Centre de Recherche en Physique Appliquée à l'Archéologie, Université de Bordeaux 3/CNRS (IRAMAT, UMR5060), Maison de l'Archéologie, 33607
PESSAC
** Laboratoire
Cedex,deFrance,
Spectronomie
ayedl@caramail.com,
Physique, Faculté
schvoerer@u-bordeaux3.fr
des Sciences de Meknès, BP 4010 Béni M'hamed, 50000 MEKNÈS, Maroc.
*** Direction du Patrimoine Culturel, 17, rue Michlifen Agdal, 40000 RABAT, Maroc.
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bien souvent insuffisant. Ainsi, dans le cadre de cette lées «squelette», où alternent deux pièces essentielles, le
étude, nous allons rechercher à partir des hâtim et le saft (hexagone) (fig. 2). Le nom des motifs
physico-chimiques d'une série de zelliges et leur description dépendent, dans la plupart des cas,
du site de Chellah (Rabat, XIVe siècle) (fig. 1) des du nom même des pièces de zelliges (Cristchlow et
données permettant d'accéder à des informations 1993 ; Damluji, 1993a ; Castéra, 1996).
technologique.
LE ZELLIGE : DÉFINITION, HISTORIQUE
ET FABRICATION
DÉFINITION ET FORMES

Le terme «zellige» désigne un élément de céramique


glaçurée. On désigne aussi du nom «d'art du zellige», ce
qui est en fait une technique décorative basée sur
d'éléments en céramique glaçurée,
découpés, puis assemblés de façon à former des
motifs géométriques traditionnels (Bel, 1918). Les
décorent aussi bien les murs que les sols ou les
des édifices religieux, militaires et funéraires, et des
demeures privées (Cambazard-Amahan, 1993).
Les zelliges sont taillés selon diverses formes (fig. 2)
dont l'élément de base est une étoile à huit branches, le
hâtim encore appelé sceau de Salomon. Toutes les autres
formes en sont dérivées (fig. 2). Le hâtim, point de
départ pour la réalisation d'un motif, constitue «le centre
de gravité» d'une composition. La plupart des motifs Fig. 2 : Noms de quelques formes de zelliges ; le hâtim constitue
sont construits à partir de structures polygonales, de base de la composition d'un motif (Castéra, 1 996).

Capitole t
N
Quartier artisanal
Temples Mauritaniens

Arc de triomphe Forum

Hôtellerie Basilique

Hammam

Madrasa Zaouya

Mosquée
Mausolée D'Abou al Hassan

Bassin aux anguilles

Fig. 1 : Localisation géographique de la ville de Rabat (Maroc) et de deux grands centres de production de zelliges pendant la période pré-coloniale :
Fès et Tétouan ainsi que le Plan du site archéologique du Chellah. Les échantillons ont été prélevés sur un mur intérieur de la madrasa Zaouya (XIVs
siècle) (plan extrait d'un poster présenté sur le site).
PC Io5
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HISTORIQUE siècles. On peut en voir des exemples datant de la fin du
XIIe siècle, de couleurs blanche ou bleu turquoise, sur les
La plus ancienne utilisation de zelliges sous forme de minarets de la mosquée de la Kutubiyya et de la mosquée
grands carreaux monochromes formant une composition de la Qasba à Marrakech (Cambazard-Amahan, 1993 ;
géométrique complexe est celle des minarets almohades Erzini, 1993a). Il est intéressant de noter que la
et des tours du Maghreb et d'Andalousie des XIIe et XIIIe de carreaux de céramique glaçurée découpés (bien
que dans un style floral très différent) apparaît à la même
époque en Iran au XIIe siècle et en Turquie Seljukide au
XIIIe siècle (Erzini, 1993a).
Les zelliges tels qu'ils sont définis aujourd'hui ne
un réel essor qu'à la fin du XIIIe et au début du
XIVe siècle. Cette technique est apparue simultanément
dans des régions qui se trouvaient sous le contrôle des
Almohades (1130 - 1269), des Mérinides (1244 - 1465)
à Fès (Maroc), des Zayanides (1236 - 1554) à Tlemcen
(Algérie), des Nasrides (1232/1238 - 1492) à Grenade
(Espagne) et des Hafsides (1229/1236 - 1574) à Tunis
(Tunisie) (Erzini, 1993a ; Hattstein et Delius, 2000). Il
paraît erroné d'affirmer qu'il s'agit d'une importation
andalouse au Maroc (Soustiel, 1985), étant donné qu'elle
est présente sous sa forme la plus ancienne dans toutes
les régions de l'empire almohade, et qu'elle apparaît sous
sa forme la plus commune à Fès et à Grenade à la même
époque (Erzini, 1993a).

Fig. 4 : Observation en cathodoluminescence de l'ensemble glaçure (en


l)/terre cuite (en 3), pour le zellige vert (BDX 6436). On remarque un
liseré bleu à l'interface (2). La glaçure luminesce très faiblement en
bleu.

Fig. 3 L'ensemble prélevé de la madrasa (a) qui date du XIV siècle Fig. 5 Sur une section perpendiculaire à la surface du zellige miel
ainsi que les différents zelliges sélectionnés pour cette étude (BDX (BDX 6435), l'observation en cathodoluminescence, montre une
:

6434 à BDX 6437). Le motif géométrique de base est une étoile à huit différente de la précédente jaune intense à l'interface (2) de la
branches (b). glaçure (1) et de la terre cuite (3) et ponctuellement dans la glaçure.
P\J iOo
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TECHNIQUES DE FABRICATION avant cuisson, à cause de leurs dimensions. En revanche,
les motifs complexes réalisés au Maroc sous les Méri-
Le centre principal de production de zelliges au Maroc nides (1244 - 1465), ainsi qu'en Andalousie (époque
pré-colonial est Fès (fig. 1). Les zelliges présents ailleurs nasride : 1232/1238 - 1492) et en Algérie (époque zaya-
au Maroc, à Meknès, Rabat, Marrakech, Salé, sont, soit nide : 1236 - 1554) ont requis l'utilisation de la technique
importés de Fès, soit produits localement selon les mêmes de découpe de carreaux glaçures (Erzini, 1993b).
normes qu'à Fès (Golvin, 1985 ; Erzini, 1993b). Il existe On note l'absence de données physiques sur les
cependant un deuxième centre de production Récemment encore, on considérait que les
caractérisé par une technique de fabrication de base, telles que les techniques de fabrication,
de celle de Fès, du moins aux XIXe et XXe siècles : la nature des glaçures et les origines géographiques des
Tétouan (fig. 1) (Erzini, 1993b). La différence entre les colorants, restaient à établir (Erzini, 1993a).
deux techniques est bien documentée à partir de la fin
du XIXe siècle. À Fès, le mélange glaçurant est appliqué PRÉSENTATION DU SITE
sur des grands carreaux d'argile préalablement cuits, puis ET DU MATÉRIEL ÉTUDIÉ
soumis à une seconde cuisson et ensuite découpés. La
technique de Tétouan requiert également deux cuissons : Le site de Chellah (fig. 1) se situe à proximité de la
les «zelliges» sont découpés dans de grands carreaux ville de Rabat. Chellah fut un centre de commerce
d'argile avant une première cuisson, puis trempés un par puis romain (Cambazard-Amahan, 1993). Le site a
un dans le mélange glaçurant avant de subir une seconde été choisi pour servir de nécropole royale aux membres
cuisson. La technique de Fès permet un meilleur de la dynastie mérinide (1244-1465). Le prince Abou
des pièces entre elles. En effet, les pièces découpées Yoûsof fût le premier à s'y faire enterrer en 1286 après
avant la cuisson subissent pendant celle-ci un retrait. La y avoir inhumé l'une de ses épouses. En 1339, le sultan
technique de Tétouan est plus facile à mettre en œuvre Abou al Hassan entoura la nécropole d'une enceinte
et les glaçures sont plus épaisses et ont la réputation de pourvue de tours. La même année furent construits une
durer plus longtemps (Erzini, 1993b). Généralement, on petite madrasa (école coranique) avec une cour, des
ne peut pas distinguer entre ces deux techniques lorsque chambres pour étudiants et un minaret décoré de
les zelliges sont en place sous forme de pavement ou de Le sultan restaura également l'oratoire et le tombeau
parement. Cependant la différence est apparente pour les d' Abou Yoûsof et y ajouta sa propre mosquée funéraire
pièces de zelliges individuelles : sur les pièces et son propre tombeau. Abou al Hassan y fut enterré en
après la cuisson, la glaçure présente des cassures 1348. Il est le dernier des sultans inhumés à Chellah
sur les bords du zellige, alors que pour les zelliges (Marçais, 1927 ; Cambazard-Amahan, 1993).
avant l'application du mélange glaçurant, la glaçure Nous avons obtenu l'autorisation d'effectuer un unique
a tendance à couler sur les bords du zellige (Erzini, prélèvement sur une partie représentative du panneau
1993b). mosaïque. Le fragment (fig. 3a) a été prélevé sur le site
Les origines et le développement historique de ces de Chellah dans une zone très dégradée au bas de l'un
deux techniques sont mal connus. Les premiers des murs d'une alvéole de la madrasa (qui date de
de zelliges sont des carreaux monochromes des mérinide, XIVe siècle). La nature de nos analyses
minarets et des tours almohades. Ils furent découpés qui nécessitent de très légers prélèvements au laboratoire

♦ BDX 6434, zellige brun


OBDX 5435, zellige miel
a BDX 6436, zellige vert
o BOX 6437, zellige blanc
X llurrinant standard D65

0.6 0.8

Fig. 6 Représentation dans l'espace Yxy (CIE 1 931) des points représentatifs des colorations des glaçures des différents zelliges (a) et longueur d'onde
dominante X correspondante (b).
:
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autoriserait la remise en place, si elle était envisagée des présentés correspondent à la moyenne d'une série de trois
échantillons examinés. Le thème de base du décor est une mesures.
composition dite «étoile à huit branches» (fig. 3b), dont On utilisera la chromamétrie afin de substituer des
l'ordre de symétrie est égal à huit. mesures physiques au vocabulaire habituellement utilisé
Nous avons sélectionné quatre zelliges (fig. 3 a) de pour désigner les couleurs des glaçures. Les coordonnées
différentes : chromatiques des zones étudiées et les longueurs d'onde
- un zellige noir (BDX 6434) de forme pentagonale dominantes associées ont été déterminées à partir des
irrégulière (muhammas), d'absorption optique. L'espace Yxy de représentation
- un zellige miel (BDX 6435) qui correspond à la des couleurs, pour un angle solide de vision de 2° (espace
moitié d'une étoile à huit branches (hâtim), CIE 1931) et pour l'illuminant standard D65, a été choisi
- un zellige vert (BDX 6436) dont la forme à l'origine en raison de la généralité de son emploi. Une autre
serait hexagonale (kwayrà), correspondant à l'espace chromatique L*a*b* a
- et un zellige blanc (BDX 6437) de forme également été utilisée car elle permet de mieux
les écarts entre les couleurs (Kowaliski, 1990).
La description préliminaire de la texture et l'examen
MÉTHODOLOGIE ET CARACTÉRISTIQUES de l'état de surface ont été effectués au moyen d'une
PHYSIQUES RECHERCHÉES loupe binoculaire. Des observations plus approfondies de
la texture ont été réalisées, successivement, en cathodolu-
Afin d'identifier les agents chromogènes responsables minescence (chambre Nuclide) et en microscopie
de la coloration des glaçures, la spectrométrie d'absorption à balayage (JEOL JSM 820) sur une lame épaisse
optique UV- Visible fut utilisée en mode réflexion diffuse prélevée par sciage, perpendiculairement à la surface de
directement sur les zelliges à l'aide d'un spectrophoto- l'échantillon. En cathodoluminescence, l'échantillon placé
mètre UV- Visible (Caryl - Varian). La gamme spectrale dans une chambre de type Nuclide, sous un vide primaire
considérée est comprise entre 350 et 900 nm. La fenêtre (0,05 mbar), est bombardé par un faisceau d'électrons
d'analyse est de 1 cm2. Les spectres d'absorption optique par une différence de potentiel électrique de 10 kV.

Zellige étudié Xd(nm) Pe(%) Y X y L* a* b* Couleur correspondante


BDX 6434, "Noir"
594,1 3,98 7,537 0,324 0,332 32,999 1,9 1,38
glaçure brune (D65: 0,313; 0,329)
BDX 6435, 582,22 37,51 27,257 0,393 0,383 59,212 8,516 24,206 Jaune-orange foncé
glaçure miel (jaune-orange ; 580 - 585 nm)
BDX 6436, 568,28 19,85 21,052 0,336 0,376 53,006 -5,99 13,247 Vert-jaune foncé
glaçur e verte (vert-jaune : 560 - 570 nm)
BDX 6437, 577,87 28,98 34,952 0,367 0,379 65,711 2,078 20,906 Jaune clair
glaçure "blanche" (jaune : 575 - 580 nm)
Tab. 1 : Coordonnées chromatiques des glaçures des différents zelliges dans les systèmes et (L*a*b*) et longueur d'onde dominante associée Xd
(Pe : pureté d'excitation).
BDX 6434 BDX 6435 BDX 6436 BDX 6437
(cristaux (cristaux (cristaux (cristaux
Oxydes de luminescence de luminescence de luminescence de luminescence
jaune) jaune) bleue) jaune)
SiO, 44.70 ± 2,56 53.69 ± 1.74 56.37 ± 2 39 51.83 ± 0.71
A1,O, 3.24 ± 0,42 nd 9.64 ± 0.79 nd
CaO 8.71 ± 0,88 33.80 ± 2.83 0.87 ± 0.20 41.05 ± 1.18
MeO 1.27 ± 0,43 4.78 ± 1.28 nd 0.81 ±0.04
Na,O 0,88 ± 0,47 nd nd 0.26 ± 0.07
K,O 2,92 ± 0,56 nd 7.06 ± 0.79 0,29 ± 0.09
PbO 32.73 ± 3,18 5.57 ± 0.80 16.52 ± 2.87 3.44 ± 0.62
SaO, nd nd nd 1.94 ± 0.97
Fe,O, 1.25 ± 0.14 1.38 ±0.22 4.23 ± 0.31 0.20 ± 0.07
CttO nd nd 1.61 ± 0.23 nd
MnO 3.06 ± 0.30 nd nd nd
CoO nd nd nd nd
Cr,O, nd nd nd nd
Sb,O, nd nd nd nd
As,O, nd nd nd nd
ZnO nd nd nd nd
TiO, 0.33 ± 0,05 0.16 ±0.04 0.28 ± 0.07 nd
P*O« nd nd nd nd
Cl 0,68 ± 0,36 0.21 ± 0.09 0.39 ± 0.07 0.15 ±0.04
S nd 0.15 ±0.06 nd nd
Total 99,78 99,70 100,00 100,00
Tab. 2 : Composition élémentaire, avec écart-type, des cristaux de dévitrification détectés à l'interface glaçure/terre cuite, exprimée en pourcentages
pondéraux d'oxydes (nd non détecté). Dans le cas des échantillons BDX 6435 (zellige miel) et BDX 6437 (zellige blanc), les cristaux de dévitrification
présentent une forte teneur en silicium et en calcium et correspondraient à des cristaux de wollastonite (CaSiO ).
:
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L'imagerie est réalisée par l'intermédiaire d'un glaçures (tab. 1) donne une description objective de leur
optique (Wild, M54) couplé à une caméra (Sony, couleur indépendamment de l'observateur. Ces données
3CCD). seront d'une aide précieuse pour étudier une éventuelle
Les compositions élémentaires de la glaçure et de la évolution chromatique dans le temps ou dans l'espace et
terre cuite ont été déterminées par fluorescence de rayons également pour contrôler les re-créations des zelliges.
X en dispersion d'énergie sur un système LinkAN 10000, Les coordonnées chromatiques x = 0,324 et y = 0,332
couplé au microscope électronique à balayage (JEOL, de la glaçure brune (BDX 6434) se rapprochent des
JSM 820). L'analyse porte sur cinq zones distinctes de l'illuminant D65 (x = 0,313 et y = 0,329)
2,16 mm x 1,75 mm pour la terre cuite et 108 um (fig. 6) ; la réflectance est faible (Y = 7,54). Ainsi, la
x 88 |uim pour les glaçures. L'analyse quantitative a été correspondant à cette glaçure est le «noir» nuancé
réalisée à partir des standards de la société Oxford d'orange en raison de la valeur de la longueur d'onde
(Fremont, USA) constitués de métaux, de dominante Xd = 594, 10 nm (orange : 585 - 600 nm) (Kelly
de synthèse et de minéraux naturels. Conformément à et Judd, 1976). La pureté d'excitation est faible (Pe =
l'usage, les teneurs sont exprimées en pourcentages 3,98 %). Rappelons que la pureté d'excitation est définie
d'oxydes. Elles représentent la moyenne de cinq par le rapport des distances du point blanc de référence à
mesures. Nous précisons de la sorte la dispersion des la couleur donnée et à la couleur de sa longueur d'onde
mesures correspondant à un écart-type (lo). dominante (Kowaliski, 1990). Pour la glaçure miel (BDX
Les phases cristallines éventuellement présentes dans 6435), les coordonnées chromatiques sont x = 0,393 et
la terre cuite ont été identifiées par diffraction de rayons y= 0,383. Cette teinte se situe dans la région jaune-
X ; ceci donnera une indication approximative de la orange (580 - 585 nm) ; la longueur d'onde dominante
maximale atteinte lors de la cuisson. Nous avons associée est égale à 582,22 nm. Cette couleur est non
utilisé un diffractomètre de poudre (Siemens, Krystallo- saturée (Pe = 37,5 1 %). La couleur correspondant à la
flex D500 à anticathode de cuivre) ; le domaine angulaire glaçure verte (BDX 6436) est le vert-jaune foncé (Xd =
exploré est compris entre 5° et 60° (pour 20) et les raies 568,28 nm et Y = 21,052). Enfin, la glaçure «blanche»
des diffractogrammes obtenus sont attribuées par (x = 0,367 et y = 0,379) est légèrement jaune (575 -
avec les fiches de référence A.S.T.M. (American 580 nm). Ce jaunissement peut être lié à la présence de
Society for Testing and Materials). fer Fe3+.
La représentation des couleurs des glaçures dans
RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX ET DISCUSSION chromatique L*a*b* (fig. 7) permet de visualiser les
écarts entre les couleurs.
MESURE PHYSIQUE DE LA COULEUR
ÉTUDE DE LA TEXTURE DES ZELLIGES
Les mesures chromatiques n'ont pas pu être réalisées
in situ. Nous avons sélectionné visuellement un zellige L'examen visuel des zelliges ne montre pas de coulée
représentatif pour chaque couleur et déterminé ces de glaçure sur les bords ce qui confirme l'hypothèse d'un
chromatiques au laboratoire. Des mesures in découpage après cuisson de la glaçure (Erzini, 1993b).
situ avec un équipement approprié permettraient de Les glaçures ne présentent pas de tressaillures
la dispersion de chacune de ces couleurs. La observables. En ce qui concerne l'adhérence de la
des coordonnées chromatiques des différentes glaçure au substrat céramique, les échantillons étudiés ne
BDX 6434 BDX 6435 BDX 6436 BDX 6437
Oxydes Glaçure brune Glaçure miel Glaçure verte Glaçure blanche
transparente transparente opaque opaque
SiO, 34.39 ± 1,25 40.26 ± 0.50 37.68 ± 0.41 42.17 ± 1.98
ÀfeO, 0,99 ± 0,06 0.71 ± 0.09 1.28 ± 0.12 1.01 ± 0.12
CaO 2,61 ± 0,10 2,29 ± 0.14 3.22 ± 0.13 2.62 ± 0.13
MeO 0,39 ± 0,05 0,30 ± 0.04 0.71 ± 0.04 0.54 ± 0.07
Na,O 0,81 ± 0,10 1.32 ± 0.03 2.71 ± 0.14 3.43 ± 0.11
K,O 2,27 ± 0,02 4.55 ± 0.05 1.62 ± 0.07 2.41 ± 0.06
PbO 53.93 ± 1,45 46,53 ± 0.38 38.31 ± 0.82 38.74 ± 2.10
SnOi 0.69 ± 0.12 nd 9.67 ± 1.33 6.91 ± 0.54
Fe,O, 0.72 ± 0.09 3.23 ± 0.22 1.10 ± 0.06 0.70 ± 0.07
CuO nd nd 2.68 ± 0.21 nd
MnO 2.68 ± 0.23 nd nd nd
CoO nd nd nd nd
Cr,O, nd nd nd nd
Sb,O, nd nd nd nd
As,O, nd nd nd nd
ZnO nd nd nd nd
TiO* 0,25 ± 0,07 0.26 ± 0.03 0,30 ± 0.02 0.19 ± 0.05
P,O« nd nd nd nd
Cl 0,27 ±0,10 0.55 ± 0.01 0,51 ± 0.05 1.28 ± 0.06
S nd nd 0.21 ± 0.09 nd
Total 100,00 100,00 100,00 100,00
Tab. 3 Composition élémentaire, avec écart-type, des glaçures, exprimée en pourcentages pondéraux d'oxydes (nd : non détecté). Toutes les glaçures
sont plombifêres. Seules les glaçures verte et blanche sont opacifiées à l'étain.
:
Revue d'Archéométrie, 27, 2003 109
montrent pas de défauts particuliers. En revanche, comme
le montre la figure 3b, certains zelliges du panneau Jaune
sont dans un état de dégradation très avancé.
L'observation à la loupe binoculaire, sur des sections
perpendiculaires à la surface des échantillons, montre que
les glaçures ont été appliquées directement sans engobe
ou couche intermédiaire sur le support céramique de
ocre-rose. Ce dernier est poreux et parsemé
rouge, blanche et noire. La limite entre la glaçure et
la terre cuite est mal définie.
L'observation de ces sections en cathodoluminescence
montre d'une part que seules les glaçures verte (BDX
6436) et blanche (BDX 6437) luminescent légèrement en
bleu (fig. 4) ce qui peut être révélateur de la présence
de l'étain sous forme de cassitérite (SnO2) (El Marraki,
1998). D'autre part, les terres cuites émettent une 40 60
mauve (liée à la présence de quartz) avec des
ponctuations bleues et rouges.
À l'interface glaçure/terre cuite, la Fig. 7 : Zellige miel (BDX 6435). Localisation des points
révèle un liseré de couleur bleue (BDX 6436) des colorations des glaçures des différents zelliges dans l'espace
ou jaune (BDX 6434, BDX 6435 et BDX 6437) (fig. L*a*b* (CIE 1976). Les écarts chromatiques sont mieux mis en
4 et 5). L'épaisseur de ces liserés est variable selon les que dans l'espace Yxy (fig. 6).
échantillons et sur la longueur de l'interface. L'examen (Schvoerer et al., 1994 ; El Marraki, 1998). La
en microscopie électronique à balayage de l'interface des cristaux de dévitrification du zellige brun est
montre que ces liserés correspondent à des cristaux de plus complexe. Il s'agit en fait de cristaux qui
dévitrification (Raffaillac-Desfosse, 1994 ; Schvoerer et au «feldspath de plomb» avec un pôle aluminium
al., 1994) de forme aciculaire (fig. 8, 9 et 10). L'analyse
élémentaire ponctuelle de ces cristaux de dévitrification
(tab. 2) montre qu'il s'agit de cristaux de wollastonite
(CaSiO3) dans le cas des zelliges miel et blanc et de
«feldspaths de plomb» (aluminosilicates de plomb) riches
en potassium (7,06 % en KjO) dans le cas du zellige vert.
La présence de potassium dans le cas des feldspaths de
plomb serait le résultat de la substitution du plomb Pb2+
par du potassium K+ ; le rayon ionique de chacun de ces
deux cations étant proches : 1,33 Â pour K+et 1,20 Â
pour Pb2+ (Scheel, 1971). La nature de ces cristaux est
en accord avec la couleur des luminescences observées

Fig. 8 L'observation en microscopie électronique à balayage en mode


électrons rétrodiffusés de la zone encadrée dans la figure 5 montre
:

que la luminescence jaune correspond à des cristaux de dévitrification


(a, b) de forme aciculaire (c). Ce résultat confirme l'intérêt du
observation cathodoluminescence / microscopie électronique à
balayage pour l'étude de la texture des céramiques glaçurées.
110 Revue d'Archéométrie, 27, 2003

BDX 6434 BDX 6435 BDX 6436 BDX 6437


Oxydes Glaçure brune Glaçure miel Glaçure verte Glaçure blanche
SiO, 38.78 ± 1.23 38.53 ± 2.58 46.97 ± 1.48 41.92 ± 1.77
Al,Ot 8.53 ± 1,05 8.93 ± 0.47 13,49 ± 0,58 9.96 ± 0.99
CaO 42.37 ± 2.92 41.15 ± 3.80 25.88 ± 1.93 36.95 ± 1.98
MeO 3.24 ±0.15 3.54 ± 0.43 3.37 ± 0.22 3.39 ± 0.14
Na,O 0.80 ±0.13 0.66 ± 0.09 1.29 ± 0.17 1.13 ± 0.32
K,O 1,03 ± 0,10 1.18 ± 0.17 1,74 ± 0,20 0.77 ± 0.09
PbO nd nd nd nd
SnO, nd nd nd nd
Fe,O, 3.76 ± 0.41 4.63 ± 0.59 5.64 ± 0.53 4.46 ± 0.16
CuO nd nd nd nd
MaO nd nd nd nd
CoO nd nd nd nd
CrTO, nd nd nd nd
Sb,O, nd nd nd nd
As?O, nd nd nd nd
ZnO nd nd nd nd
TiO, 0.54 ±0.13 0.58 ± 0.05 0.80 ± 0.06 0.52 ± 0.04
P,O< 0.27 ± 0.05 0.30 ± 0.02 0.29 ± 0.02 0.21 ± 0.06
Cl 0.22 ± 0.03 0.14 ± 0.02 0.21 ± 0.03 0.07 ± 0.02
S 0.47 ± 0.05 0.35 ± 0.03 0.32 ± 0,05 0.62 ±0.13
Total 100,00 100,00 100,00 100,00
Tab. 4 : Composition élémentaire, avec écart-type, de la terre cuite des différents zelliges, exprimée en pourcentages pondéraux d'oxydes (nd
détecté). Tous les supports sont calciques et colorés par le fer.
faible mais en revanche fort en calcium et un peu moins 6434) présente des figures d'altération en feuillets à
en manganèse (tab. 2). et à la surface de la glaçure.
Nos travaux récents (Ben Amara, 2002) et ceux d'autres
auteurs (Molera, 1996 ; Molera et al., 1997 ; Tite et al, ÉTUDE DES GLAÇURES
1998) nous amènent à envisager que l'abondance des
cristaux de dévitrification et l'importance de l'épaisseur En accord avec les résultats de la spectrométrie
de la zone d'interface, qui est supérieure à 50 um et optique (fig. 11), l'analyse élémentaire des
atteignant 700 um (fig. 5), peut traduire l'application (tab. 3) montre que les colorants utilisés sont
du mélange glaçurant sur un support cru. Ce résultat ne classiques. Il s'agit du manganèse (Mn3+) pour la glaçure
correspondant pas à ce qui est souvent rapporté dans la brune (2,68 % en MnO), du cuivre (Cu2+) pour la glaçure
littérature d'après les données du XIXe siècle, qui verte (2,68 % en CuO) et enfin du fer (Fe3+) pour la
un protocole à deux cuissons (Erzini, 1993b). Nous miel (3,23 % en Fe2O3). La présence du fer en faible
estimons que la présence de ces cristaux, résultant d'un teneur (0,70 % en Fe2O3) dans la glaçure dite «blanche»
refroidissement lent, assure une bonne adhérence de la jaunit légèrement celle-ci. Elle est sans doute liée à des
glaçure, indispensable lors du découpage mécanique des impuretés ou à un effet du substrat. Elle correspond au
zelliges. déplacement des coordonnées chromatiques de la
Les glaçures, dont l'épaisseur varie entre 200 et 300 um de cette glaçure vers le domaine des jaunes (fig. 6).
en moyenne, sont homogènes. On y observe quelques Toutes les glaçures sont plombifères (tab. 3) ; les
bulles et des cristaux de dévitrification qui ont migré teneurs en plomb exprimées en PbO varient entre 38,3 1 %
depuis l'interface. Seul le zellige brun (BDX pour le zellige vert et 53,93 % pour le zellige brun. La

I i r

Iv0jm^^3

Fig. 9 : Image en contraste de densité électronique de l'interface Fig. 10 Image en contraste de densité électronique de l'interface
glaçure/terre cuite (zellige vert, BDX6436). On distingue des cristaux glaçure/terre cuite (zellige blanc, BDX6437). Des cristaux de
:

de dévitrification qui sont associés à la luminescence bleue observée en aciculaires (en gris) et des ponctuations blanches relatives à des
cathodoluminescence. Les ponctuations blanches dans la glaçure cristaux de cassitérite (SnO2) se distribuent dans l'épaisseur de la
à des cristaux de cassitérite.
Revue d'Archéométrie, 27, 2003 111

BDX 6434, glaçnœ bwiE


BDX 6435, gUçuifi itiel
BDX 6436, glaçuie rerte
BDX 6437, glaçuK blande

530 650 750 850


Longueur d'onde(nm)

Fig. 1 1 Spectres d'absorption optique de la glaçure des quatre zelliges étudiés. Ils sont mal résolus. Le phénomène est habituel. Cependant les verres -
références que nous avons fabriqués au laboratoire nous permettent de proposer que les ions chromogènes à l'origine des colorations sont respectivement
:

-et classiquement- les ions Mn3+ (brun), Fe3+ (miel) et Cu2+ (vert) (Stroud, 1971 ; Lajarte, 1979). Quant à la glaçure «blanche», elle contient un peu de
fer (Fe3+) qui a tendance à la «jaunir».

BDX 6434, zellige brun


BDX 6435, zellige miel
HBDX 6436, zellige vert
6437, zellige blanc

Na2O MgO AI2O3 SiO2 K2O CaO MnO Fe2O3 CuO SnO2 PbO

Fig. 12 : Histogramme des compositions élémentaires des glaçures. Les quatre glaçures sont plombifères. Deux sont opacifiées à l'étain (BDX 6436 et
BDX 6437). Globalement, le même mélange glaçurant a été utilisé pour la fabrication de ces glaçures.
teneur en alcalins ne dépasse pas 5,9 % (en % massique ÉTUDE DES SUPPORTS CÉRAMIQUES
de Na2O et KjO) ; ils pourraient avoir été ajoutés
pour favoriser l'attaque du substrat et la L'analyse élémentaire montre que la terre cuite est cal-
des cristaux (Ben Amara, 2002). Globalement, à cique (tab. 4). Le support du zellige vert (BDX 6436) se
partir de la figure 12, on peut considérer que le mélange distingue relativement des autres surtout par une teneur
glaçurant de base, constitué de silice et d'un minerai de plus faible en calcium (25,88 % par rapport à 40 % en
plomb, probablement la galène (PbS), est le même pour moyenne pour les autres en CaO). On peut s'interroger sur
tous les échantillons ; la variation entre les teneurs est le caractère fortuit ou délibéré de cette différence que l'on
due essentiellement à l'ajout d'opacifiant ou de colorants. pourra rechercher à l'avenir sur des séries numériquement
Le zellige brun (BDX 6434) contient légèrement plus de plus nombreuses. Le fer présent à une teneur moyenne
fondants que les autres zelliges (tab. 3). de 4,62 ± 0,67 % en Fe2O3 est responsable de la
Seuls deux zelliges sont opacifiés à l'étain : la glaçure ocre-rose du support céramique, attestant d'une
verte (9,67 % en SnO2) et la glaçure blanche (6,91 % cuisson en atmosphère oxydante, malgré le caractère cal-
en SnO2). La présence de l'étain à une teneur de 0,69 % cique du support ; le fer n'a pas été totalement piégé
dans la glaçure brune ne permet pas l'opacification de la pendant la cuisson par les phases dites de «haute
glaçure même partiellement (il en faut entre 2 et 3 %) (Maniatis et al., 1983). En effet, aucune phase
(Rhodes, 1999). On pense que son ajout n'a pas été dite de haute température n'a été mise en évidence par
volontaire et qu'il s'agirait d'une présence fortuite peut- diffraction de rayons X dans le cas du zellige brun
être liée au minerai du manganèse utilisé pour la (BDX 6434). Seuls le quartz (SiO2) et l'albite calcique
de cette glaçure. [(Na,Ca)Al(Si,Al)3Og] ont été détectés ce qui suppose
une température de cuisson maximale de 850°C pour
112 Revue d 'Archéométrie, 27, 2003
ce zellige (BDX 6434) (Peters & Iberg, 1978). Pour les CONTEXTE DES RECHERCHES
autres zelliges, en plus du quartz et de la calcite, la seule
phase dite de «haute température» détectée est la gehlé- Cette opération de recherche s'inscrit dans un programme de
coopération bilatéral, au titre de l'accord franco-marocain CNRS/
nite ce qui suggère une température de cuisson inférieure CNRST (projet 1 1564 de la Direction des Relations Internationales
à 900°C (Peters & Iberg, 1978). La température de du CNRS) et d'un programme plus large de la Commission
du zellige brun (BDX 6434), inférieure aux autres, (convention ICA-3-CT-1 999-00002 de la DG Recherche -
INCO - MED), coordonné par le réseau européen PACT (Sciences
est probablement liée à sa teneur élevée en fondant. La et Patrimoine Culturel) et qui implique des équipes de quatre pays
différence de température n'est pas très importante et de l'espace méditerranéen. La Direction du Patrimoine Marocain a
peut-être obtenue lors d'une même cuisson selon apporté un précieux concours à cette opération de recherche.
des échantillons dans le four.
Les ponctuations rouges et bleues observées en catho-
doluminescence dans la terre cuite correspondraient RÉFÉRENCES
à des cristaux de calcite et de gehlénite ou
d'albite calcique (Bechtel et Schvoerer, 1984 ; Bechtel BEN AMARA, (IXe -XVIIe
A., 2002
siècles
- Céramiques
ap. J.-C.) :glaçurées
Matériaux,detechniques
l'espace et
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la glaçure, des compositions élémentaire et cristallogra- CAMBAZARD-AMAHAN, C, 1993 - Zillig : origines et schémas de
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glaçures des différents zelliges permet une description PACT 10 - Datation-caractérisation des céramiques anciennes,
objective de leur couleur indépendamment de Cours intensif européen, éd. Conseil de l'Europe - CNRS, 247-260.
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blanche et verte. DAMLUJI, S.S., 1993a - Zillig : un glossaire, Zillig : l'art de la
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céramique marocaine, Hedgecoe J. et Damluji S.S. éds., éd. Garnet,
Ces derniers améliorent certainement l'adhérence de la 156-170.
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Les observations et les données physiques obtenues céramique marocaine, Hedgecoe J. et Damluji S.S. éds., éd. Garnet,
:

permettent de penser que la technique de fabrication des 172-177.


zelliges étudiés fut la suivante : un mélange glaçurant à GOLVIN, L., 1985 - Les techniques traditionnelles de construction à
Fès, Histoire des techniques et sources documentaires : Méthodes
base de silice et d'un minerai de plomb avait été appliqué d 'approche et expérimentation en région méditerranéenne, Aix-en-
directement sur des carreaux de terre calcique crue Provence, 101-114.
séchée) avant une unique cuisson en HATTSTEIN, M. et DELIUS, P., 2000 - Arts et civilisations de
oxydante à une température maximale de 900°C. éd. Kônemann, 612-619.
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décoratifs. KOWALISKI, P., 1990 - Vision et mesure de la couleur, Collection
Cet ensemble de résultats permet de fournir une Physique Fondamentale et Appliquée, 2ème édition, éd. Masson,
série de données quantitatives à un potier qui 137-139 et 159-161.
«au jugé» et qui réclame ce type d'informations. LAJARTE, S., 1979 - Les verres colorés, L'actualité chimique, 30-36.
Elle constitue un point de départ à d'autres études sur MARÇAIS, G., 1 927 - Manuel d 'art musulman - L 'architecture.
ce type de matériel, pour lequel, il n'existait pas, à notre Algérie, Maroc, Espagne, Sicile (du XIIIeme au XIX*"* siècle),
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