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LA CERAMIQUE DE REVETEMENT DANS LES ARCHIVES DES CHANTIERS DES


PALAIS BEYLICAUX AU XIX E S IECLE Relecture et confrontation des sources
Beya ABIDI-Université de la Manouba

Article · February 2023

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Beya Abidi
FLAH- Université de la Manouba- Tunisie
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LA CERAMIQUE DE REVETEMENT DANS LES ARCHIVES DES
CHANTIERS DES PALAIS BEYLICAUX AU XIX E S IECLE
Relecture et confrontation des sources

Beya ABIDI- Université de la Manouba

Divers matériaux de décor rentrent dans l’ornementation des constructions au XIX e siècle.
Les carreaux de faïence figurent parmi les éléments les plus marqués 1. En effet, cet élément
de décor a revêtu une importance considérable, en particulier, dans les palais beylicaux et les
demeures princières. Les carreaux de faïence ont été, toujours, employés comme matériau
principal de décoration. Leur choix et leur provenance formaient un choix minutieux
ressortant, le plus souvent, directement du bey. Ces résidences conservent des remarquables
ensembles décoratifs témoignant de l’histoire de la céramique locale et importée et de son
usage dans le décor entre le XVIIIe et le XIXe siècle. De ce fait, ces monuments fournissent
un point de référence très important pour l'étude des carreaux de revêtement et de pavage.
Toutefois, ces carreaux de faïence architecturale sont l’un des matériaux de la construction
qui soulèvent le plus des différentes questions liées à la fabrication, à la provenance, à la
datation, aux échanges commerciaux et aux mutations culturelles.
A cet égard, la confrontation des données historiques avec les données archéologiques
constitue le propos de cet article. Elle permet de mieux rendre compte de la spécificité de cet
élément en architecture palatine. Ainsi, les chantiers beylicaux du XIX e siècle offrent un cadre
d’étude intéressant. La documentation à disposition, notamment les livres de comptes de
fermiers et les registres des intendants des chantiers, fournit des informations intéressantes sur
les carreaux de faïence utilisés. Les documents les plus explicites sont tardifs, milieu XIXe,
mais l’état des lieux qu’ils permettent de restituer paraît être, sensiblement, admissible aux
périodes antérieures. Ces archives recelaient encore de nombreuses indications inexploitées
touchant plusieurs aspects fondamentaux de mise en œuvre de cet élément de décor. Ils
révèlent une mutation importante au cours du XIX e siècle, confirmée, également, par la
documentation historique et le travail du terrain. Il convient, cependant, de mesurer les limites
de cette documentation nécessitant d’être, au préalable, rassemblée avant d’être utilisée. La
fragmentation des informations et la discontinuité des registres pour un même édifice rend
impossible tout décompte de ce genre de situation, d’où un regroupement des chantiers d’un
ensemble de palais a été nécessaire. Une fois reconstituée, cette documentation permet-elle
d’estimer l’intérêt des palais beylicaux en tant qu’un site référentiel de datation ?
A ce titre, la discussion est inévitable en présence d’une collection in situ très variée et
d’origine indiscernable. Pour y répliquer, nous revenons, aussi, sur d’autres documents
d’archives relatifs à cet élément de décor et sur la question de sa datation. Nous distinguons,
à cet égard, les rapports de la Direction des Travaux Publics et ceux du Service des Antiquités
et des Arts. Cette documentation, fournissant d’utiles compléments d’information, nous
permet de repérer les différents réemplois de ce matériau aux XIX e-XXe siècles. Également,
elle nous aide à restituer une réalité dont certaines sources écrites et iconographiques, très
lacunaires avaient transmis une image proportionnelle voire équivoque et de revoir certaines

1
Jacques Chemla, Monique Goffard et Lucette Valensi, 2015, p. 6.

193
datations problématiques avancées par des études antérieures 2. Ce travail se réfère, également,
aux travaux les plus récents foulant ce thème.

Les carreaux de Faïence au XIXe siècle, une tradition décorative à l’épreuve des
mutations culturelles et des tendances esthétiques
Les sources écrites et les différentes archives attestent l’importance que revêtent les carreaux
de faïence dans l’architecture palatine au XIXe siècle. Ces documents donnent, variablement,
des éclaircissements divers sur le coût et la mise en œuvre. Mais, la question principale qui se
pose à ce propos est celle de leur origine. D’où proviennent les carreaux de faïence utilisés
dans la décoration des palais beylicaux au XIXe siècle ?
Nous disposons, sur ce point, de nombreuses indications, quoique lacunaires et fragmentées
et parfois imprécises. L’origine des matériaux est parfois indiquée, mais elle doit, le plus
souvent, être déduite, avec prudence, du lieu d’achat. D’où, nous ne discernons pas tous les
détails nécessaires pour dresser un bilan exhaustif à cet égard. Toutefois, la diversité d’origine
des carreaux de céramique utilisés dans les principaux palais est attestée à plusieurs reprises.
Cette diversité s’inscrit au rythme de l’évolution des échanges commerciaux et culturels, des
styles et du goût sans exclure la dimension financière.
Il est évident qu’une bonne partie des carreaux de faïence mise en œuvre dans la construction
des palais soit d’origine locale. Elle provient des ateliers du Qallaline et de ceux de Nabeul.
Cette importance de la céramique de revêtement locale est due au rayonnement qu’elle connaît
depuis l’arrivée des andalous3. Nos sources archivistiques rendent bien compte de la
prépondérance de cette tradition décorative. Les registres indiquent l’usage d’une quantité
importante de carreaux de Qallaline destinée aux chantiers des palais beylicaux. A ce propos,
Sadok ben Mohamed avance, dans sa thèse, un chiffre de 2.653.190 carreaux moyennant un
coût total estimé à 525.106.7 piastres et 934.375 carreaux locaux de Qallaline et Nabeul qui
ont été utilisés uniquement sur les chantiers de constructions et de réparation du palais de
Bardo au milieu du XIXe siècle4.
Cependant, la livraison de ce matériau est très variable. Elle atteint plusieurs milliers pour
certains chantiers, alors que pour d’autres, elle ne dépasse pas quelques centaines. Cela varie
selon l’importance des travaux exécutés. En 1853, 87000 carreaux ǧlīz de Nabeul ont été
destinés au chantier du Bardo ainsi qu’à celui d’el-Abdaliya5.En 1859, nous enregistrons
l’utilisation de 35000 carreaux ǧlīz kbīr de Qallaline dont le prix varie entre 0.15 et 0.18
piastre sur le même chantier6. Entre 1855-1859, nous notons l’utilisation de 6145 carreaux de
faïence de Qallaline sur le chantier d’el-Abdaliya, 400 sur le chantier du Bardo et 500 sur le
chantier du palais de la Goulette7.En 1860, les registres désignent l’achat des 17000 carreaux
noirs de Qallaline8 et 624.000 carreaux de Nabeul destinés aux chantiers du Bardo et d’el-
Abdaliya9.
Les carreaux in situ, également, confirment l’utilisation abondante de carreaux de faïence
locale. D’ailleurs, le vestibule ainsi que le patio du palais de Hussein Bey au Bardo sont
2
Jacques Revault, 1974 ; Clara-Ilhem Alvarez Dopico, 2010 ; Sadok Ben Mohamed, 2011.
3
Henri Saladin, Tunis et Kairouan, p. 4 ; Général Broussaud, 1930 ; Abdelaziz Daoulatli, 1979 ; Ahmed
Saadaoui, 1999 ; Clara-Ilhem Alvarez Dopico, 2010.
4
Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 521.
5
ANT. Registres: 1905, 285; Beya Abidi, 2005, p. 132; Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 203.
6
ANT. Registre 2228, Sadok ben Mohamed, 2011, p. 268.
7
ANT, S.H., Cart. 21, dos. 272. Registre 1913
8
ANT, registre 2242 et 1905.
9
ANT, registre 1905, Sadok ben Mohamed, 2011, p. 268.

194
revêtus jusqu’au plafond de carreaux de faïence de Qallaline. Ces carreaux présentent
plusieurs catégories et ils sont agencés selon des formes distinctes : des panneaux, des
carreaux d’encadrement, des carreaux de bordure et des carreaux de jeu de fond. Le vestibule
d’entrée de al-brǧ al-kbīre est entièrement revêtue des carreaux de Qallaline jusqu’à 92 cm
de hauteur. Les carreaux sont à dominante verte, bleue et brun violacé sur un fond blanc
laiteux. Le patio ainsi que les alcôves de la salle de justice al-mḥkmẗ sont, également, ornées
de carreaux de Qallaline présentant des éléments foliacés dans un réseau de carrés disposés
sur pointe.

Fig. 1. Le patio du petit palais au Bardo.

Fig. 2. Le patio d’al-brǧ al-kbīr à la Manouba.

Cette céramique fut, progressivement, délaissée au profit de celle provenant de l’Europe, en


particulier celle de Naples 10. La cour beylicale constitue l'essentiel de la clientèle. Les beys
husseinites ainsi que leur entourage avaient un goût particulier pour ce genre d’aménagement
et pour leur décoration. Au début, il y avait une activité corsaire11 et puis, à partir du premier
tiers du XIXe siècle, un commerce méditerranéen très actif favorisait la circulation de cette
marchandise12. Constamment, les commandes se multiplient et s’imposent sur le marché de la
Régence, ce dont témoignent aussi bien les registres de compte des chantiers que les
collections in situ ou conservées dans les musées. Ces importations croissantes reflétaient,
également, un changement des traditions décoratives. Toutefois, il est toujours difficile de

10
Clara-Ilhem Alvarez Dopico, 2010 ; Jacques Chemla, Monique Goffard et Lucette Valensi, 2015, p. 8.
11
Henri Saladin, 1905, p. 42; Broussaud, 1930, p. 8-9.
12
Sadok Boubaker, 1987.

195
bien cerner à quel moment cette tradition a changé et quels sont les éléments déterminants de
cette mutation des goûts. A présent, nous ne pouvons en esquisser que les grandes lignes, en
croisant les sources disponibles servant à brosser un cadre général et à établir un état de la
question qui permet de mieux comprendre l’impact de cette forme d’acculturation.
L’introduction des nouvelles tendances architecturales et décoratives a été progressive et
caractérisée par une forte teinte européenne accompagnée d’une présence des formes
traditionnelles et des techniques ancestrales. La céramique architecturale fut assurément l’un
des domaines où se fit très tôt sentir cette influence. L’apparition de la céramique
architecturale importée comme nouveau marqueur culturel et esthétique constitue en effet un
élément déterminant de la modulation prise par la faïence à cette époque. Elle n’a pas non plus
résisté aux changements et à l’influence européenne. Elle a subi des modifications
significatives conformément aux vœux des commanditaires, eux-mêmes avides de
nouveautés. Dans un premier temps, les carreaux d’importation ont remplacé ceux de
Qallaline en tant que céramique préférée de la cour, et se sont affirmés comme une des
marques de luxe et de raffinement. De cet abandon et de cette adoption quasi simultanée, la
faïence a largement profité, bénéficiant d’une impulsion considérable, tant sur des plans
qualitatifs que quantitatifs. Désormais, l'emploi des carreaux de faïence européenne, en
particulier napolitaine, s’affirme davantage. Les productions les plus prestigieuses adoptèrent
de nouveaux types de formes et de décors plus ajustés au goût de la nouvelle clientèle, et l’ont
mis au point d’autre part, des produits de qualité courante, destinés à la consommation d’une
clientèle beaucoup plus importante, progressivement étendue à toutes les classes de la société.
Les registres de comptabilité à disposition indiquent, parfois, des quantités détaillées de
carreaux importés en précisant leur coût, leur destination et parfois même leur usage. A titre
d’exemple, le registre 2085 définit des importations de carreaux napolitains dits aʿml br al-
nṣāra ou ǧlīz sūrī qui ont été destinés aux différents chantiers des palais beylicaux 13.Certaines
études attestent même le déplacement des céramistes européens. Henri Saladin, confirme ce
fait et attribue certains procédés de fabrication et de décoration des carreaux de faïence aux
Italiens venus dans la Régence. Il attribue, également à Hamouda Pacha Bey l’implantation
des artisans Siciliens, Espagnols et Sardes, probablement parmi les captifs, dans des ateliers
à Gammarth14. Il semble que ces ateliers aient été spécialement fondés pour produire des
carreaux de faïence à l’italienne. Le général Broussaud reprend également l’idée 15. Abdelaziz
Daoulatli dans son ouvrage Poteries et céramiques tunisiennes 16, confirme à son tour ce
témoignage qui a été repris par la suite par d’autres Chercheurs 17.
Certes, les apports de la main-d'œuvre européenne, composée par les captifs chrétiens dont
les corsaires amenaient chaque année un nombre considérable ; parmi eux les ouvriers du
bâtiment, les artisans de tout ordre que les Beys, ainsi que les dignitaires de la cour,
employaient pour leurs travaux, sont multiples et diversifiés. Cette main d’œuvre introduisait,
de nouveaux matériaux de construction et de décor dans l'architecture palatine de l'époque 18.
Vraisemblablement, qu’elle glissait, aussi, des formes européennes dans l'art de céramique
architecturale. Toutefois, Aucune source ne nous permet, actuellement, de confirmer

13
ANT. Registre 2085.
14
Henri Saladin, 1908, p. 4.
15
Broussaud, 1930, p. 3 : « Des potiers italiens s'établirent aussi à Tunis y transportant les procédés et les modèles
de la Péninsule, qu'ils panachèrent de dessins arabes plus ou moins modifiés au gré de leur palette moins
indigène ».
16
Abdelaziz Daoulatli, 1979, p. 12.
17
Jacques Revault, 1968, p. 99. Ahmed Saadaoui, 2014, p. 227-241. Clara-Ilhem Alvarez Dopico, 2010, p. 74.
Jacques Chemla, Monique Goffard et Lucette Valensi, 2015, p. 8.
18
Beya Abidi, 2017, p. 153-172.

196
l’existence de ces ateliers évoqués par Henri Saladin. Nous n’avons pas de document
d’archives relatif à ces ateliers, attestant une production quelconque. De ce fait, l’insuffisance
des sources nous empêche, sans doute, d’attribuer la création de ces ateliers à Hamouda
Pacha, ce qui semble pourtant plausible. Néanmoins, des indications complémentaires
peuvent nous permettre de restituer certains détails et d’avancer quelques éléments de réponse.
Des ordonnances de paiement tḏkrẗ, datant de 1849 et 1851, attestent le payement des
quantités de céramique provenant des ateliers de Mahmoud Ben Ayed à Gammarth19. Il y a
donc lieu de penser que ce même emplacement était aussi celui des ateliers rappelés plus haut
qui ont été renouvelé par Mahmoud ben Ayed en sa qualité de fermier de matériaux de
construction20.
Quoiqu’il en soit, Au XIXe siècle, les quantités de carreaux de faïence provenant d’Europe
deviennent considérables. La part de carreaux d’Italie est importante voire dominante. Cette
importance est certifiée par de nombreuses mentions dans les registres ǧlīzbr al-nṣāra. Une
autre part des carreaux de faïence utilisés pour le pavage des sols fršẗ ou l’ornement des murs
ksūẗ, provient, aussi, d’Espagne. En 1851, 55000 ǧlīz isbānīā ont été achetés pour le chantier
du Bardo dont 25000 ont été réservés au revêtement des murs de palais Mustapha khaznadar
au Bardo21. Nous enregistrons, également, l’utilisation des carreaux de faïence de France 22.
Par ailleurs, Clara-Ilhem Alvarez Dopico, atteste dans sa thèse l’installation courte d’un
céramiste français à Tunis 23. Nous entrevoyons qu’une partie de carreaux de faïence d’origine
française utilisée dans certains palais provient de son atelier. Les carreaux de faïence utilisés
sur les chantiers beylicaux proviennent aussi, quoique de petites quantités et d’une façon
irrégulière, de Malte24. Mahmoud Ben Ayed en sa qualité de fermier, fournissait aux chantiers
des palais une quantité importante de ǧlīz mālṭī25.
C’est alors par centaines de milliers de pièces qu’arrivent les carreaux de revêtement, ainsi
qu’en nombre plus réduit, les carreaux de pavement, comme le montrent des exemples
enregistrés sur différents chantiers. En 1851/ ḏū al-qʿdẗ 1268, 1100 ǧlīz et 500 carreaux noirs
ont été acquis pour le chantier du Bardo. Le 3 rǧab 1269/ Avril-Mai 1853, 75000 carreaux ont
été destinés au chantier d’el- Mohamadiya26. D’autres quantités ont été achetées pour les
besoins du chantier al-Abdaliya comprenant 2000 carreaux de pavement ǧlīzbr al-nṣāra et
150 ǧlīz akhal27. Par ailleurs, 300 ǧlīzbr al-nṣāra ont été envoyés sur le chantier de Dar el-
Bey de ḥmām al-ʾanfau cours de la même année28. En 1853, les carreaux utilisés sur le chantier
du palais du Bardo étaient tous importés. La quantité totale est de l’ordre de 9200 de petites
dimensions ǧlīzsghir moyennant 0.25 piastre la pièce29. Sur une période de 35 mois, mai 1857-
fevrier 1860, 390475 carreaux de faïence importés, 125200 carreaux de grande dimension
ainsi que 265275 carreaux de petites dimensions, ont été utilisés sur le chantier du Bardo
contre 87000 ǧlīzde Nabeul30. De même, 4050 carreaux importés ont été destinés au

19
ANT. Registre 486.
20
ANT. ABA. Dossiers : 2-2/1, 4-4/12. ACFT. Dossier 830.
21
ANT, registres 1892, 1905. Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 523.
22
Jacques Revault, 1978, p. 66.
23
Clara-Ilhem Alvarez Dopico, 2010, p. 74.
24
ANT. ABA. Dos. 4-6/2 et 14.
25
ANT. ABA. Dos. 4-6/2 et 14.
26
ANT. Registre 1892.
27
ANT. Registre 1892.
28
ANT. Registre 1892
29
Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 203.
30
ANT. Registre 1905; Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 203.

197
revêtement du bassin du jardin d’al-ṣālḥīẗ moyennent 81 piastres et 25700 pour revêtir les
murs d’al-mḥkmẗ du dit palais moyennant 514 piastres31.
En 1855, M’hamed bey faisait venir, de plus des quantités considérables de carreaux de
Qallaline déjà mentionnées, des blocs de carreaux de faïence importés pour son nouveau
palais. Il investissait dans un matériau plus onéreux et plus beau que celui de Qallaline,
pourtant abondant. En 1857, une quantité équivalente à 31875 carreaux figure le registre de
l’intendant des chantiers du palais de la Marsa Mohamed Barrouta incluant des achats
mensuels répartis comme suit :
14000 13000
12000
10000 8725
8000 6650
6000
3500
4000
2000
0
rǧab šʿbān šwwāl ḏū al-qʿdẗ

Fig. 3. Quantités de ǧlīz br al-nṣāri utilisées sur le chantier de palais de M'hamed Bey au Bardo.
Source : ANT. Registre 1905.

Durant cette année, 27000 pièces de ǧlīz br al-nṣāra, probablement d’origine italienne, a été
utilisée à Dar el-Bey de Ḥmām al-ʾanf. Les prix de cette commande varient ainsi : 2000 ǧlīz
br al-nṣāra coûtaient 360 piastres, 10.000 carreaux moyennant 1800 piastres et 15000 pour
6700 piastres32. Sur un autre registre, nous enregistrons 75000 carreaux qui ont été achetés
pour le chantier de Dar el-Bey à Ḥmām al-ʾanf durant la même période33. Une autre quantité
de 3000 blāṭ moyennant 3000 piastres, figurant sur un autre registre, sans aucune précision
concernant la provenance ni les prix, a été destinée au même chantier 34. Au cours de cette
année, le chantier du Bardo recevait des quantités intéressantes de carreaux de faïence
destinées au pavement des sols, des escaliers ainsi qu’au revêtement des murs et à
l’encadrement des portes et des fenêtres 35. Nous notons aussi, l’acquisition de 400 carreaux
de faïence noir ǧlīz akḥl36.
Nos sources mentionnent des achats considérables de ce matériau divulguant un
accroissement intéressant des quantités de carreaux de faïence importées opposant une
réduction remarquable des quantités de carreaux d’origine locale. En 1858, Mohamed
Barrouta, l’intendant du bey, a acheté pour les chantiers des palais de la Marsa 84300 carreaux
de faïence importés ainsi que 21000 carreaux de Nabeul. Cette quantité était répartir sur
plusieurs mois :

31
ANT. Registre 2225.
32
ANT. Registre 1905.
33
ANT. Registre 1892.
34
ANT. Registre 1906.
35
Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 137.
36
ANT. Registre 2587.

198
60000
50000
40000
30000
20000
10000
0
mḥrwm rǧb šʿbān rmḍān šwwāl ḏū al-qʿdẗ

ǧlīz br al-nṣāra ǧlīz Nabeul

Fig. 4. Quantités de ǧlīz br al-nṣāri et de ǧlīz Nabeul utilisées sur le chantier des palais de la Marsa en 1858.
Source : ANT. Registres :1892 et 1905.

En 1858, 200 carreaux de ǧlīz sūrī coûtant400 piastres ont été destinés aux chantiers des palais
de la Marsa37. Autant, Mohamed Barrouta, a payé durant le mois de ṣfr les quantités suivantes
des carreaux de revêtement et de pavement du même palais : 20.000 ǧlīz br al-nṣāra
moyennant 3600 piastres, 4200 ǧlīzbr al-nṣāra sans préciser le prix, 24500 ǧlīz, sans aucune
précision concernant l’origine ni l’usage, moyennant 810 piastres 38.
En 1859, un lot de 75000 carreaux en provenance de l’Europe ainsi que 35000 carreaux ǧlīz
kbīr noir et bleu de Qallaline, dont le prix varie entre 0.15-0.18 piastres, ont été destinés aux
différents chantiers beylicaux 39. Pendant la même année les registres indiquent l’emploi de
1.513.000 carreaux dont 589.300 de br n’sara répartis ainsi 393.000 carreaux ǧlīz kbīr et
550.000 carreaux ǧlīzṣġīr contre 624.000 carreaux de Nabeul sur le chantier du Bardo 40. En
1860, 306900 carreaux de faïence importés ont été utilisés pour le pavement des sols fršẗ et le
revêtement des murs ksūẗ du palais du Bardo. Cette quantité contenait 166900 ǧlīz kbīr et
140000 ǧlīz ṣġīr41. Le même document indique l’achat d’un complément de 17000 carreaux
noirs de Qallaline et de 57275 carreaux importés sans préciser la destination ni l’usage 42.
Ainsi, nous assistons non seulement à la transformation des formes et des quantités,
mais également à celle des coûts. Les prix se définissaient, essentiellement, par le jeu de la
négociation et de fermage. Ils sont, probablement, estimés aussi en fonction de la qualité des
matériaux. Au XVIIIe siècle, ces carreaux coûtaient 10 piastres la centaine. Une autre gamme,
probablement d’une qualité moindre, coûtait 7 piastres la centaine 43. Au XIXe siècle, les prix
augmentent davantage, vraisemblablement, au rythme des commandes. D’après un accord de
prix qwwām, conclu par Ahmed Pacha Bey avec le fermier Nessim Chamama en 1845, les
prix de ces carreaux ont été fixés ainsi : 100 piastres la centaine de carreaux dits ǧlīz mālṭī
kbīr ẖšīnet 75 piastres la centaine de ǧlīz mālṭī ṣġīr ẖšīn. Par contre la centaine des carreaux

37
ANT. Série H, cart.100, dos. 208.
38
ANT. Registre 1905.
39
ANT. Registre 1905, 2228; Sadok ben Mohamed, 2011, p. 268.
40
ANT. Registre 1905; Sadok ben Mohamed, 2011, p. 268.
41
ANT. Registre 2242.
42
ANT. Registre 1913.
43
ANT. Registre 1776.

199
fins de même origine ǧlīz māṭī kbīr ǧīwd coûtait seulement 50 piastres la centaine de carreaux
de grand format et 40 piastres la centaine des carreaux de petit format ǧlīz māṭī ṣġīr ǧīwd44.
Le coût de ce produit a longtemps réservé son emploi à des commanditaires aisés, si bien que
ces décors étaient l’apanage des palais beylicaux et de leurs fondations d’une manière
générale. Ce matériau coûteux répond, constamment, à une double finalité : pratique et
esthétique. Les statistiques montrent d’importantes évolutions sur les chantiers d’une année
à l’autre dont les quantités des carreaux de faïences utilisés varient de façon singulière.
Toutefois l’utilisation des carreaux de faïence de Qallaline a continué.

Réemploi des carreaux de faïence fin XIX e- début XXe siècle, difficultés persistantes
d’attribution et de datation
Il faut préciser que dans les palais et les grandes demeures de Tunis, le décor pariétal était très
distingué45. Ainsi, l’étude de ces édifices revêt un intérêt pour la détermination des courants
artistiques dans lesquels s’insère ce décor. Il peut être, aussi, considéré comme
particulièrement représentatif pour l’étude de ce phénomène culturel, qui reflète les
transformations socio-économiques du pays à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
Toutefois, ce revêtement soulève quelques difficultés concernant essentiellement la datation
et l’attribution des carreaux in situ.
Ces difficultés proviennent, aussi, étant donné que la pose des revêtements et des pavements
fait partie des opérations de finition dans la construction d’un édifice et non du gros œuvre.
Nous pouvons supposer que cette pose intervient, parfois, de façon plus tardive, dans l’attente
des matériaux ou financements nécessaires. Par ailleurs, ces revêtements étaient
continuellement enrichis. Les carreaux, actuellement en place, témoignent de réfections ou de
remaniements comme de nouvelles poses. Il est, ainsi, difficile de déterminer si la présence
de carreaux de différentes origines, dans les palais actuels, s’explique par des réemplois
tardifs, par un approvisionnement diversifié ou encore par un stockage des matériaux pendant
une longue période.
En s’attachant aux palais qui sont datés de XIXe siècle, la question qui se pose est la suivante :
les palais beylicaux existants, notamment ceux du Bardo, sont-ils des sites exemplaires de
datation pour l’ensemble des carreaux actuellement en place ? Représentent-ils un repère
solide et susceptible de dater d’autres édifices ?
La tendance est fréquente d’accorder la prééminence aux datations céramiques par rapport
aux datations dites stylistiques du décor architectural. La démarche est fondée sur des
comparaisons typologiques et des mises en série en vue de l’établissement d’une typo-
chronologie. Or, l’architecture palatine du XIXe siècle est fortement caractérisé par la
réutilisation des matériaux de construction et de décoration. Le recours au réemploi était une
pratique assez fréquente depuis l’époque hafside. Ce phénomène a été constaté, aussi, tout au
long de la période ottomane 46. Ensuite, cet usage s’intensifie au milieu du XIX e siècle.
Plusieurs palais existants en offrent un exemple significatif. À ce titre nous citons l’exemple
de qṣr al-tāǧà la Marsa. Pour en finir avec dans des brefs délais et atteindre l’extension

44
ANT. Registre 1879 ; Beya Abidi, 2005, p. 140.
45
Jacques Revault, 1974, p. 51.
46
Broussaud, 1930, p. 13 : Un autre stock important fut commandé en Tunisie et comme cela ne suffisait pas, le
bey s’appropria sans scrupules les beaux carreaux qu’il avait remarqués dans les maisons de ses riches
administrés. Jacques Revault, 1978, p. 45-77.

200
monumentale répondant à sa caprice, M’hamed Bey (1855-1859) a dépouillé entièrement les
palais d’el- Mohamadiya ainsi que ceux de Gammarth47.

Fig. 5 et 6. Palais Salah Chiboub à Ghar el Melh. Traces d’enlèvement des carreaux de faïence attestant une
plausible finalité de réemploi. Photos de l’auteur.

Fig. 7 et 8. Palais M’Rabet d’el- Mohamadiya. Traces d’enlèvement des carreaux de faïence attestant une
plausible finalité de réemploi. Photos de l’auteur.

Notre questionnement se complexifie avec la prise en compte de remaniements successifs


qu’ont connus les palais beylicaux à partir de 1881. Depuis, les palais beylicaux ont été l’objet
de sérieuses reconstitutions 48. Les aménageurs avaient recours au réemploi des carreaux de
faïence ainsi que divers matériaux de construction. Ce réemploi était extrêmement intense, au
point que les palais encore debout ne nous renseignent pas entièrement sur leur aspect
d’origine, car si parfois leurs revêtement et panneaux décoratifs sont encore en place, tout un
pan du décor architectural d’origine est bien souvent perdu. À cela s’ajoute le recul qu’il
convient de garder face aux collections in situ et tout ce qu’elles impliquent de variation
d’échelle, de doute et de place laissée à l’erreur, ce qui nous empêche d’avancer des critères
de datation et d’attribution incontestables.

47
Jacques Revault, 1974, p. 74-75.
48
Jacques Revault, 1974, p. 328. Beya Abidi, 2013.

201
Ainsi, l’absence totale d’une source directe indiquant la provenance de tous les carreaux
réemployés nous parait être une épreuve essentielle pour remettre en cause les datations
avancées fondées uniquement sur une typologie des motifs stylistiques ou des techniques de
fabrication. Aussi, n'est-il pas surprenant que la plupart des palais existants soient postérieurs
de date au revêtement in situ. Ceci ne remet nullement en question les datations stylistiques
déjà avancées par certains chercheurs, mais impose de multiplier les études à grande échelle
et de redoubler de prudence.
C’est au regard de quelques rapports du Service des Antiquités et des Arts que nous devons
quelques descriptions que nous renvoient au décor d’origine de certaines parties de quelques
palais beylicaux. D’après ces documents, l’ensemble du revêtement en place a été posé dans
une fourchette chronologique entre la fin XIXe et le début XXe siècle. Seuls quelques carreaux
datent la construction du bâtiment. De nombreux panneaux et carreaux enlevés à leur contexte
d’origine revêtent actuellement certains palais à l’instar du Bardo, de qṣr al-ūrdẗ, al-qṣr al-
sʿīdet brṭāl ḥīdr. Ces revêtements tardifs ont été réalisés dans des circonstances
indiscernables. D’où, les datations avancées, dans chacun de ces cas, reposent sur des
interprétations erronées ou hasardeuses et restent simplement de l’ordre du possible. Nous
ignorons d’où viennent toutes ces pièces et quelles étaient les circonstances de leur
récupération. Mais au vu des données fournies par les archives, une bonne partie appartient
aux grandes demeures de la médina dont le revêtement peut parfois remonter au XVIII e
siècle49. Pourtant, ceci ne conduit pas nécessairement à des datations assurées, du moment
qu’une simple reprise des travaux sur des palais, aujourd’hui très restaurés, peut encore
apporter des informations.
Parmi les témoins se trouve le palais du Bardo. Ce palais, d’une organisation architecturale
hétérogène, n’a pas été entièrement bâti d’un seul jet. De surcroit, ce complexe résidentiel a
connu, pendant l’époque coloniale, des modifications radicales qui ont défiguré totalement sa
disposition et son décor50. Le site comprend, donc, une séquence constructive s’étendant du
XVIIIe au XXe siècle et témoigne des réemplois successifs de structures maçonnées sans
aucun élément chronologique disponible.
Pour une illustration concrète de cette difficulté nous retenons ici le cas du palais d’Hussein
Bey, dit également le petit palais, qui a été l’objet d’une réfection entière. A cet égard, nous
disposons d’une description tout à fait intéressante du contexte de son réaménagement. Ce
palais a été épargné à la démolition grâce à l’intervention du Service des Antiquités et des
Arts. Au moment de son affectation au musée, ce palais était dans un état déplorable 51. Mais
ce bâtiment n’a fait l’objet d’aucun entretien jusqu’à 1894. Ce qui a aggravé davantage ses
altérations structurelles. D’où une reconstruction complète a été envisagée. Depuis, le palais
a subi diverses vicissitudes. Des différentes restaurations et aménagements ont été effectués
par tranches au fur et à mesure des disponibilités budgétaires sans un plan d’ensemble arrêté
entre 1894 et 1914.

49
Jacques Revault, 1974 ; Clara-Ilhem Alvarez Dopico, 2010.
50
A.N.T. Série E, carton 585, dossier 4, sous dossier 1 : « Le palais du Bardo a été, depuis l’année 1884, l’objet
de travaux d’entretien et de grosses réparations dont le montant s’élevait à la fin de 1893 à un total d’environ
450.000f, encore ce chiffre ne comprend-il pas le petit entretien (balayage, eaux, salubrité…), qui représente une
dépense de près de 10.000f en 10 ans ».
51
Gaston Vullier, 1896, p. 94 : « nous débouchions dans un patio entouré d’une colonnade en marbre d’une belle
ordonnance quel est donc ce palais abandonné ? Mon guide (Sadoux, alors conservateur du musée Alaoui)
souriait toujours : « nous avons découvert cette merveille fortuitement, dit-il, on allait le démolir et transporter
ses débris sur les quais de Tunis, comme le reste, mais le service des antiquités s’y est opposé. Il a obtenu gain
de cause malgré de sérieuses résistances, le palais sera donc conservé et deviendra une dépendance du musée ».

202
Fig. 9. Reconstruction d’une partie du palais de Bardo. Fonds Poinssot.

Les faïences employées dans ce palais sont très variées et régulièrement réparties. La présence
des pièces repérées, ne semblent pas se produire avant le XVIIIe siècle s’explique par la mise
au goût du jour des demeures longtemps après leur construction, pratique courante à l’époque
coloniale, ou encore par le remplacement des pièces à une date plus récente. Il semble que les
revêtements avaient été remplacés par des carreaux récupérés dans les demeures de la médina
ou des parties démolies ou encore commandés aux derniers ateliers de Qallaline dont nos
archives confirment leur fonctionnement jusqu’au 190852. Les archives de l’administration
coloniale sont relativement précises sur cette question. Un certain nombre de demandes
formulées par les conservateurs du Service des Antiquités et des Arts, ont été retrouvées.
D’autres sont adressées au Directeur de la direction des travaux publics. Ces documents
relatent la volonté de transférer des carreaux ainsi que des panneaux récupérés dans la médina
de Tunis, au Bardo ainsi qu’au qṣr al-sʿīd et à al-brǧ al-kbīr. Cette réutilisation des carreaux
du XVIIIe siècle dans des recoins construits au XIXe n'est pas facile à expliquer ; peut-être des
contraintes financières sont-elles pesées. De toute façon, cette combinaison de carreaux du
XVIIIe et du XIXe siècle et de carreaux neufs du XXe siècle n’est guère inattendu.

52
A.N.T. Série E, carton 295, dossier 1, sous dossier 2 ; Série E, carton 585, dossier 4, sous dossier 5.

203
Fig. 10. Récupération de carreaux de faïence dans le palais de Khaznadar au Bardo. Fonds Poinssot.

Ce remploi de matériaux est, à cette époque, une autre réponse aux difficultés financières. En
1886, Poinssot, alors chargé de récupérer des matériaux de la maison des esclaves
chrétiens située dans la médina pour les chantiers de restauration en cours, insistait sur le coût
raisonnable de ces matériaux : la valeur d’achat de ladite porte et des colonnes du patio avec
les morceaux de revêtement ne parait pas devoir être supérieure à une dizaine de mille francs.
Ce chiffre est bien inférieur au prix actuel des matériaux de cette nature 53. Mais quand il
s’agit de carreaux de faïence de très haute qualité, le remploi a des fonctions autres
qu’économiques. L’usage de matériaux était surtout destiné à reproduire une esthétique
authentique et à affirmer une filiation avec les origines locales. Dans cet ordre d’idées, le
personnel du Service des Antiquités chargé d'aménager ce palais et d'y faire les réparations
nécessaires a opté pour le remplacement à certains endroits des faïences « en mauvais goût »
par d’autres de plus grande beauté : D'autres plus modestes ne possèdent que des parties
décorées plus ou moins considérables, mais souvent aussi, des décorations du plus mauvais
goût exécutées pendant la seconde moitié du XIXe siècle par des barbouilleurs italiens de
dernier ordre, ont remplacé à certains endroits des parties ruinées, et c'est là qu'on reconnaît
la malheureuse indifférence de ces musulmans tunisiens pour leur art national 54. De ce fait,
plusieurs panneaux et lots de carreaux de faïence ont été récupérés pour la rénovation du petit
palais ainsi que de celui de M’hamed Bey.
Nous apercevons, également, d’après une lettre datée du 5 juin 1891 écrite par l’inspecteur en
chef du Service des Antiquités que depuis le 20 janvier 1890 : le directeur général des travaux
publics a mis à la disposition de notre Service 8 caisses contenant des panneaux en faïence,
alors déposées dans les magasins du Bardo et gracieusement autorisé en ce qui le concernait
à ce que l’on prête dans les matériaux de démolitions du palais les panneaux supplémentaires
qui nous seraient utiles.

53
Fonds Poinssot, 106- 90-01.
54
Henri Saladin, 1908, p. 42, 91.

204
Il ressort de cette note qu’en l’absence de contexte archéologique bien daté, un grand nombre
d’affirmation sont à reprendre car reposant sur des fondements trop imprécis, la datation de
plusieurs spécimens reste incertaine. Ceci pour plusieurs raisons : il est difficile de reconnaître
dans un revêtement ou pavement les reprises ou les réfections ou pire encore les éléments en
réemploi provenant des édifices réaménagés ou des édifices antérieurs détruits. De ce fait,
certains lots de carreaux de revêtement ou de pavement ont pu être attribués dans leur
intégralité à une période donnée alors qu’il aurait fallu y voir plusieurs étapes de pose. Certains
carreaux sont trop facilement attribués à une phase de construction d’une partie du palais dont
la date est attestée par les textes. Citons à titre d’exemple le panneau signé al-kẖmīrī et datant
de 1805-1806 situé à l’entrée du petit palais. Alors d’où provient ce panneau ? La datation
avancée est-elle assurée par une trace archéologique ? Peut-on envisager l’hypothèse de
l’antériorité du vestibule et de l’ensemble de l’habitation ? Les revêtements, globalement
homogènes, permettent-ils d’induire la contemporanéité
d’une mise en place du revêtement nettement postérieure à la
construction ?
Il semble presque certain qu’une partie des carreaux de petit
palais puisse être datée du XVIIIe siècle. Mais il est difficile
de faire correspondre cette date avec la chronologie
généralement admise concernant notamment cette partie du
palais. Par prudence, considérons simplement que la
réalisation de cette nouvelle décoration est contemporaine
d’une réfection totale du revêtement, qui ne coïncide pas
forcément au revêtement initial. Certes, il aurait été possible
d'enlever les carreaux et de les reposer à la fin des travaux,
mais la réalisation d'un revêtement neuf, en se basant sur les
quantités récupérées ou commandées, paraît plus probable.
Ce panneau n’est pas une épreuve de l’ancienneté de la
construction de ce vestibule comme il a été supposé par Sadok
Ben Mohamed55 et Jacques Revault56 qui ont attribué la
construction de cette partie à Hamouda Pacha. Nous ne
partageons pas cette hypothèse. La présence du panneau d’al-
Khmiri, autant que plusieurs autres panneaux, est plutôt due
aux travaux de réaménagement accomplis entre 1896-1904. Il
est incontestable que ce panneau provienne d’une ancienne Fig. 11. Panneau d’al-kẖmīrī.
décoration.
En effet, le Service des Antiquités était autorisé de récupérer les matériaux nécessaires à la
restauration de ce palais sur le chantier de démolition du Bardo ainsi que dans d’autres ruines
de la médina de Tunis 57. Nous disposons d’une description assez détaillée de cet endroit bien
avant le commencement des travaux : l’entrée est encore couverte, comme par le passé, des
affreux carreaux italiens ou maltais qui font un contraste disgracieux avec les autres, il serait
très facile et peu couteux de donner à cette salle, déjà si remarquable par ses plafonds de
plâtres découpés, le caractère définitif qu’elle mérite, nous avons de quoi orner les deux murs,
le travail demanderait un mois avec 2 maçons et les manœuvriers nécessaires, la dépense

55
Sadok Ben Mohamed, 2011, p. 147.
56
Jacques Revault, 1974, p. 329.
57
Henri Saladin, 1908, p. 91 : « le reste fut détruit, après que la direction des antiquités et des arts en eût fait
enlever les faïences et les sculptures sur plâtre les plus remarquables ».

205
pourrait monter à 7 ou 8 cents francs58. D’où il n'est guère possible qu'un panneau du XVIIIe
siècle ait alors pu demeurer en place à cet endroit auparavant.
D'autre part, comment expliquer qu'en 1859-1862, des livraisons très importantes de carreaux
napolitains destinés au palais de M’hamed Bey ont été enregistrées, alors que nous trouvons,
actuellement, des carreaux de Qallaline aux dits lieux. Un autre document d’archives vient
nous fournir un élément de réponse. Le 13 aout 1891, Georges Doublet, alors inspecteur en
chef du Service des Antiquités, a proposé au Résident général, par une correspondance
officielle, de remplacer le revêtement mural de la salle des sultanes jugé sans goût par un
revêtement en faïence locale : les vulgaires carreaux bleus, sans valeurs artistiques ni effet
décoratif par les beaux ensembles de faïences d’art tunisiennes datées du XVIII e siècles, que
nos agents ont combinés et remontés à l’aide de débris recueillis dans les parties en ruine du
Bardo59. Le Résident Général ainsi que le directeur général des travaux publics ont donné leur
approbation aux travaux proposés. D'autre part, les revêtements des autres recoins datent
certainement du XIXe siècle. Il est par conséquent possible que, certains revêtements aient été
laissés en place60.
Si l'on se réfère donc à l'histoire architecturale de ce complexe palatial 61, les carreaux
pourraient être datés du XVIIIe siècle aussi bien que du XIXe ou même être plus tardif.
Malheureusement, ce revêtement ne peut pas vraiment être daté avec précision puisqu'il a
d'abord été déplacé à cette époque. Son organisation a fait l'objet d'un relevé, au milieu du
XIXe siècle, avant d'être modifié au début du XXe siècle, actuellement introuvable, ce qui
nous aurait permis peut-être d’apporter des éclaircissements sur ce passage. Nous laissons la
question ouverte pour le moment.

Fig. 12. La salle des Sultanes.

58
A.N.T. Série E, carton 295, dossier 1, sous dossier 2.
59
A.N.T. Série E, carton 585, dossier 4, sous dossier 5.
60
Henri Saladin, 1908, p. 87 : « il y a encore une partie des panneaux décoratifs en faïence qui les tapissaient
autrefois en entier ».
61
Jacques Revault, 1974, p. 303-336.

206
En 1908, une réfection de certaines parties s’est de nouveau imposée. Les documents ne
mentionnent pas des travaux relatifs au revêtement en carreaux de faïence 62. Pourtant, des
photographies de fin XIXe prises par Poinssot, photographe à l’Inventaire général attaché au
Service des Antiquités et des Arts, à l’occasion de la démolition du palais de Bardo montrent
un somptueux revêtement dans des pièces de la résidence sans qu’il soit possible de préciser
lesquelles. De cette difficulté de localiser et dater le matériel découle autant des complications
de datation des diverses campagnes de travaux qui se succédaient que des problèmes
d’attribution. Il est ardu de dater à un siècle près des œuvres dont le remploi ne facilite guère
le travail. Dans certains cas, mais c’est exceptionnel, on possède des pièces d’archives. Dans
d’autres cas, une date est donnée ou alors on se base sur la ressemblance avec des carreaux
dont la date est connue. On peut également trouver une source de précision chronologique
dans des détails datés autrement comme ceux de noms des artisans. Cependant cette technique
de datation doit rester prudente.
En outre, ces indices, qui restent toujours à interpréter, ont chacun leur limite et apportent des
fourchettes de datation plus ou moins sûres. L’étude des carreaux de faïence permet, au mieux,
d’estimer la date de la fabrication, mais ne date pas tout un palais ni la réfection de ses
maçonneries. En dépit de nombreuses tentatives, aucune datation précise ne peut être établie
dans le cas du revêtement du palais de Bardo, ni celui d’al-qṣr al-sʿīd et d’al-brǧ al-kbīr. En
l’absence de sources écrites sur la pose de ces revêtements, on en est souvent réduit à des
hypothèses. A présent, si plusieurs hypothèses ont été évoquées, aucune ne prévaut sur une
autre.
Il ressort de toutes ces constatations qu'en l'absence de contextes archéologiques bien datés,
un grand nombre d'affirmations sont à reprendre vu qu’ils se reposent sur des fondements trop
imprécis. La datation des carreaux de pavement reste une notion encore floue, ceci pour
plusieurs raisons. Très souvent les carreaux sont rangés hors contexte. En second lieu, Il n’est
pas aisé, enfin, de connaître la durée d’un chantier, qui peut s’étaler sur nombreuses années.
De plus, un grand nombre de carreaux en place ont été mis au jour dans le courant du XIX e
siècle ou au début du XXe siècle. Le plus simple était alors d'attribuer les carreaux aux phases
initiales de construction ou aux grandes phases de remaniement des bâtiments, données
parfois connues par les textes.
En effet, pour toutes ces raisons, il est extrêmement difficile de dater des carreaux de
revêtements, encore à l'heure actuelle. En ce qui concerne celui du Bardo, la question reste
malgré tout en suspens. Un travail de contextualisation des carreaux et des panneaux est
nécessaire. Ce qui correspond à la fourchette chronologique appliquée de manière générale,
faute de mieux dans l’immédiat, aux revêtements du même types découverts à Tunis et étudiés
par Clara Ilham Álvarez Dopico 63 et Wided Melliti64. Quoi qu’il en soit de l’imprécision des
62
A.N.T. Série E, carton 295, dossier 1, sous dossier 2 : « comme suite à mes communications du 6 juin 1907 et
18 mars 1908 et à la demande verbale que vous m’avez bien voulu m’adresser j’ai l’honneur de vous faire
parvenir ci-après l’indication des réparations les plus urgentes à exécuter au musée Alaoui : en premier lieu, il y
a bien de s’occuper de la partie de bâtiments ou se trouvent la cuisine et les officiers du petit palais qui renferme
les collections arabes. Ces pièces n’ont pas encore été aménagées en salles d’exposition. Elles sont restées en
ruines, comme elles l’étaient au moment où elles ont été affectées au musée et elles sont de plus en plus délabrées.
En 1908, dans l’angle sud-est des officiers une partie de la terrasse s’est effondré sur 7 à 8 mètres carrés. On n’a
pu le refaire que sommairement et d’une manière insuffisante, car il est indispensable de reprendre en totalité les
170 mètres carrés de terrasse qui recouvrent cette portion l’édifice et qui sont endommagés, de plus, pour
entreprendre cette opération d’une façon satisfaisante, il faut au préalable, remettre en état les fondation et les
soubassements des murs qui sont lézardé et mal construits et ne seraient pas susceptible dans les circonstances
actuelles de supporter la surcharge provenant de la construction des terrasses avec matériaux neufs ».
63
Clara Ilham Álvarez Dopico, 2012.
64
Wided Melliti, 2008.

207
dates, force est de constater qu’en l’état actuel des connaissances, chaque observation d’un
revêtement quelconque ou de carreaux isolés verse une pièce supplémentaire au dossier.

Les carreaux de faïence, qui constituent les précieux éléments de décors ayant orné les
demeures beylicales, ces témoins d’apparence délicate et parfois altérée, évoquent des
moments clés dans la longue évolution des arts décoratifs de l’architecture domestique au
XIXe siècle et relatent une histoire des goûts et des modes largement ouverts à des courants
artistiques européens. Mais, la considération de ces revêtements céramiques dans leur cadre
architectural n’est pas toujours démonstrative compte tenu des aménagements et des
restaurations successives.
L’exploitation de ces différentes données fournies par les documents d’archives a permis
d’appréhender l’importance quantitative de ce matériau sur les chantiers beylicaux et de
confirmer l’hétérogénéité de carreaux de faïence utilisée soit pour le revêtement soit pour le
pavement. Or, nous avons beaucoup de difficulté à la corréler aux réalités archéologiques qui
revêtent parfois l'apparence d'une plus grande simplicité ou d'une évidence. La confrontation
des sources nous a beaucoup renseignés sur ce côté, tant les livres de comptes des fermiers,
les registres des intendants du chantier et les rapports de l’administration coloniale, ont pu
mettre en évidence l’importance quantitative de ce matériau sur les chantiers beylicaux ainsi
que quelques phases de mise en œuvre de quelques revêtements. Il nous a été possible de juger
de l’ampleur des interventions tardives sur les revêtements muraux des palais du XIX e et XXe
siècle. Toutefois, ces registres sont épars, lacunaires et manquent d’inventaires. Ils n’avancent
rien à propos de l’évolution du procédé décoratif. Par conséquent, notre étude Totalement
dépendante des documents d’archives qui subsistent, est toujours susceptible d'être actualisée
par de nouvelles données.

Bibliographie
Documents d’archives
Registres : 2242, 1905, 1892, 285,2228, 2085,486, 1906, 2225, 2587, 1913,1776, 1879.
Série.H., cart. 21, dos. 272 ; cart.100, dos.208.
Série E, carton 295, dossier 1, sous dossier 2 ; carton 585, dossier 4, sous dossier 5 ; carton
585, dossier 4, sous dossier 1.
ABA. Dossiers : 2-2/1, 4-4/12, 4-6/2 et 14.
Fonds Poinssot, 106- 90-01.
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