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Quel scénario choisir ?

Approche
macroéconomique
des stress-tests

Quand les banques utilisent les tests de résistance pour leur


gestion interne, elles ont le choix des scénarios et des modèles.
Revue des méthodes préconisées par Moody’s Analytics.

Andrea

D
Appeddu ans le contexte actuel, le tre » n’est quant à elle pas adaptée aux d’une triangulation entre trois types
Économiste senior stress-test est devenu pour la analyses prévisionnelles hors échan- de modèles :
plupart des professionnels tillon et, le plus souvent, ses paramè- −− de gros modèles structurels macro-
de la finance un exercice incontour- tres de modélisation n’offrent pas économiques ;
nable. Parfois très sophistiqué, mais une grille de lecture suffisamment −− des modèles d’équilibre général sto-
pouvant être amené à revêtir une claire de la situation économique. chastiques et dynamiques (EGSD) ;
dimension essentiellement quantita- Qui plus est, les modèles de valori- −− des modèles vectoriels autorégres-
tive, il fait intervenir non seulement sation des options sont fondés sur sifs (VAR).
des mesures du risque de marché, des modules d’équilibre partiel qui Lawrence Klein (Nobel d’économie
mais également des risques de crédit ne peuvent intégrer des corrélations en 1980) a mené des travaux intéres-
et de liquidité. Nous nous proposons croisées entre actifs de manière suf- sants sur les modèles macroécono-
José de revenir sur les fondements essen- fisamment rigoureuse et en offrant miques structurels. Ceux-ci sont de
Suarez-Lledo
tiels qui doivent servir de base à l’éla- la transparence nécessaire (effets de grands systèmes d’équations qui for-
Directeur analyse boration d’un dispositif de stress-test à rétroaction ou de feedback). Enfin, ces malisent la demande et l’offre globale
économique
la fois rigoureux et cohérent. modèles reposent sur l’hypothèse des avec une modélisation explicite par
marchés complets. industries et macrosecteurs. Ils ne
Méthodologie proposée L’approche macrofinancière de sont toutefois pas corrélés à la théo-
Alors que la technique d’évaluation Moody’s Analytics présente l’inté- rie économique du choix du consom-
« risque neutre » est utilisée dans les rêt de clarifier le rôle du cycle d’acti- mateur et de la production.
milieux universitaires et en finance vité réel dans la détermination du prix Les modèles EGSD ont quant à eux
appliquée pour modéliser et simu- des actifs et d’ancrer les anticipations été élaborés par Tom Sargent (Nobel
ler la variation des cours des titres, à différentes sources d’information. 2011), Edward Prescott (Nobel 2004) et
une approche macrofinancière nous Mais surtout, elle permet d’inclure les Robert Lucas (Nobel 1995). Il s’agit de
paraît cependant plus adaptée à des effets de feedback du fait des modèles modèles macroéconomiques modernes
Juan Licari exercices prévisionnels et de stress- d’équilibre général qu’elle intègre ; comportant des fondements microé-
Directeur test. Si les modèles macrofinanciers elle est mieux adaptée à l’exercice à conomiques reposant sur l’optimisa-
senior analyse sont parfois sources d’erreurs de grande échelle qu’est le stress-test et tion intertemporelle du comportement
économique
et modèles valorisation plus importantes que les à l’homogénéité des critères sur les- des agents économiques (consomma-
quantitatifs modèles reposant sur des formules quels il repose. teurs, entreprises, États) à anticipations
basées sur la théorie des options, la Nos prévisions macroéconomi- rationnelles. Ces modèles intègrent
Moody’s Analytics technique d’évaluation « risque neu- ques sont généralement le résultat d’autres composantes essentielles

Banque Stratégie n° 300 février 2012 23


Dossier stress-tests

1. Croissance du PIB français (%)


Le scénario de double creux ou rechute
6
conjoncturelle repose sur le postulat que
4 l’économie sombre à nouveau dans une
récession de courte durée ; plus grave, le
2 scénario suivant table sur une crise de la
dette au sein de la zone euro consécutive
0
au défaut d’un État ; et le scénario le
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010

2014
2011

2013

2015
-2 plus extrême suppose une récession qui
s’étendrait à tous les pays. La chute du
-4 PIB est moins brusque dans le scénario de
récession à « double dip », et le scénario
-6
d’une crise de la zone euro table sur une
Global recession Euro zone crisis reprise plus rapide et plus franche que le
-8
Baseline Double dip scénario de récession mondiale.
Source : Moody's Analytics

telles que la cohérence intertempo- Scénarios prévisionnels Nous sommes particulièrement


relle et les conditions d’équilibre du et simulations attentifs à la cohérence des scénarios
marché, tant pour la complétude que Dans le cadre des exercices de stress- entre eux. Ainsi, lorsque la croissance
pour l’incomplétude des marchés. test, Moody’s Analytics propose un cer- du PIB est en hausse, on observe un
L’usage des modèles EGSD est très tain nombre de scénarios alternatifs. raffermissement de la croissance de
répandu dans les banques centra- Plus de 70 économistes dans le monde l’emploi et un recul du taux de chô-
les et centres de recherche, bien que recueillent en continu des données et mage, une accentuation des pres-
ces modèles soient dans certains cas informations sur de nombreux pays, sions inflationnistes, suivie d’un
limités aux principales statistiques afin d’élaborer des scénarios écono- relèvement des taux d’intérêt, d’une
macroéconomiques. miques qui sont de deux types : les hausse accélérée du prix des actifs et
Enfin, Chris Sims (Nobel 2011) a été scénarios basés sur des événements d’un accroissement de la production
le premier à s’intéresser aux modèles et ceux basés sur des données. industrielle. Les prévisions et scéna-
de type VAR (modèles vectoriels auto- Parmi les scénarios basés sur des rios peuvent être abordés comme une
régressifs) et VAR structurels. Les sys- événements, les plus prisés sont les distribution des performances écono-
tèmes d’équations sont des modèles scénarios standard. Ils intègrent un miques compatibles avec un exposé
basés sur des données, relativement large éventail d’hypothèses économi- donné des risques pour l’économie.
faciles à mettre en œuvre et à gérer. ques plausibles (rechute conjonctu- Notre prévision de base est le scéna-
Ces modèles mettent en correspon- relle, crise de la zone euro, récession rio que nous estimons « le plus pro-
dance les variables économiques mondiale, choc pétrolier ou ralentis- bable » au regard du contexte actuel.
pertinentes à leur propre historique sement durable de la croissance…). Les scénarios alternatifs correspon-
et éventuellement à d’autres varia- Celles-ci sont générées à partir des dent à des situations où les risques
bles exogènes. Pas nécessairement caractéristiques structurelles et macro- de hausse ou de baisse sont visibles
liés à la théorie économique, ils sont économiques permettant aux variables dans l’économie. Ces scénarios sont
extrêmement performants pour des d’évoluer de manière interdépendante cycliques, au sens où leur occurrence
prévisions à court terme et particu- dans un modèle multivarié à correction se limite au cadre du cycle économi-
lièrement bien adaptés aux modèles d’erreur, dans lequel les divergences à que actuel, sans aucune variation du
satellites qui intègrent des variables court terme par rapport à l’équilibre taux de croissance à long terme de
financières ou d’autres variables ayant dynamique du système sont modéli- l’économie. Le graphique 1 reflète
indirectement un impact macroéco- sées conjointement aux facteurs de l’évolution de la croissance du PIB
nomique. croissance à long terme. Le dispositif français en fonction du scénario de
Parmi les autres résultats « pos- de modélisation a été spécifiquement base et de trois autres scénarios.
testimation » pertinents, ces diffé- conçu pour être représentatif de l’in- Nos clients souhaitent bien sou-
rents modèles permettent d’établir teraction entre la demande et l’offre vent tester la résistance de leurs por-
des prévisions de base, simulations globale. À court terme, les fluctuations tefeuilles par rapport à l’occurrence
(de réactions) face à des chocs liés à économiques sont avant tout condition- d’un ou de plusieurs événements
une variable, etc. Tous participent au nées par l’évolution de la demande glo- précis qui sont plus ou moins plau-
maintien d’une cohérence interne, bale. À plus long terme, les variations sibles. Moody’s Analytics travaille en
dans la mesure où ils respectent conti- observées au niveau de la demande concertation avec eux pour définir les
nuellement les conditions d’équilibre globale déterminent le potentiel de hypothèses (chocs) à intégrer dans
du système. croissance de l’économie. le système permettant la construc-

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tion de scénarios qui vont dans le
sens voulu – scénarios sur mesure 2. Taux swap 2 ans (euros)
ou « custom built ». Historique et prévisions
Enfin, les scénarios axés sur des don-
nées sont également très demandés. 6
Ils sont obtenus à partir de simula-
tions basées sur des estimations de 5
modèles DGSE ou de modèles SVAR.
En général, nous ne forçons pas les 4
simulations à suivre une distribu-
tion particulière : les simulations de 3
Monte Carlo utilisent des distribu-

Source : Moody's Analytics


tions normales, celles-ci suivant la 2
distribution des erreurs d’estimation
de l’échantillon historique (méthode 1
de bootstrapping non paramétrique). 2000 m1 2005 m1 2010 m1 2015 m1
Il est intéressant de voir que dans un
Scénario de base Scénario stressé de la Fed
grand nombre de pays, les variables
Scénario de récession modérée en double creux (double dip)
macroéconomiques ont tendance à
suivre des distributions relativement
proches de la normale. Ceci étant,
cette différence est généralement telle
que le fait de ne pas forcer les simu- Sinon, les simulations peuvent être de crédit. L’approche méthodologi-
lations à suivre une distribution nor- obtenues en fixant ponctuellement que qui nous permet d’effectuer un
male nous permet d’intégrer toute la le résultat d’une variable donnée (par stress-test dans le cadre d’un équili-
richesse contenue dans les données exemple : hausse du taux de chômage bre général consiste à concevoir des
pour obtenir des scénarios plus inté- à x % dans la zone euro). modèles « satellites » explicitement
ressants et plus précis. associés aux variables macroécono-
La distribution des résultats pour Le stress-test des principaux miques, pour lesquels nous avons
chacune des variables générées à tout paramètres du risque projeté divers scénarios.
moment permet d’examiner chaque Nous présentons dans cette partie
scénario parmi les milliers de tra- notre méthodologie pour modéliser et Structure par échéance
jectoires simulées de manière inter- « stresser » certains paramètres clés : des taux d’intérêt
dépendante pour chaque variable. paramètres de marché et du risque Notre méthodologie de modéli-
sation s’inspire de l’ensemble des
études macrofinancières dont fait
état Rudebusch (2010) dans ses tra-
vaux. Les taux d’intérêt pour diffé-
3. Indice ITraxx de CDS rentes échéances sont modélisés
en fonction de deux composan-
Catégorie investissement (IG) tes latentes extraites au moyen de
méthodes d’analyse factorielle : le
niveau et la pente de la courbe. Ces
250 deux composantes sont elles-mêmes
modélisées comme des processus
200 autorégressifs liés à la macroécono-
mie par différents facteurs :
150
−− les facteurs qui prennent en
100 compte les anticipations relatives
à l’objectif d’inflation à moyen
50 terme (facteur « niveau ») ;
−− ceux qui intègrent la réaction de
0 la politique monétaire à des fluc-
tuations à court terme du PIB et de
1999M5
2000M4
2001M3
2002M2
2003M1
2003M12
2004M11
2005M10
2006M9
2007M8
2008M7
2009M6
2010M5
2011M4
2012M3
2013M2
2014M1
2014M12

l’inflation (facteur « pente »).

Spreads de CDS dans


Crise de la zone euro Scénario de base le domaine corporate
Le comportement empirique des
Source : Moody's Analytics, Bloomberg indices de CDS dans le secteur cor-
porate n’a que peu été abordé dans

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Dossier stress-tests

la littérature économique. L’accès systémique pour les spreads de cré- Pour être plus précis, nous tenons
limité aux données historiques et une dit dans le secteur corporate. compte de cette double possibilité
couverture régionale restreinte en en ayant recours à un modèle en
sont la principale explication. Nous Migrations des notations deux parties : la première est conçue
utilisons une méthode multivariée, Nous analysons l’évolution des pour prévoir l’occurrence de zéros,
paramétrique et semi-structurelle, probabilités de migration des nota- la seconde est conditionnée par les
tout en documentant largement le tions à partir de séries temporelles. observations positives. Le modèle
choix des variables explicatives sur Parmi toutes les révisions de nota- final pour ces migrations est la pro-
la théorie moderne du portefeuille. tion, nous avons recensé trois grou- babilité jointe des deux parties.
Nous avons notamment recours à la pes distincts : Cet exposé met avant tout en évi-
technique dite de l’analyse en com- −− les notations inchangées (éléments dence la nécessité de prendre comme
posantes principales pour extrapoler sur la diagonale d’une matrice de point de départ des modèles macro-
à partir de l’évolution des spreads de transition de notation) ; économiques homogènes et suffi-
crédit les informations pertinentes. −− les notations abaissées ou rehaus- samment exhaustifs, puis d’associer
Nous appelons CCF (facteur de cré- sées d’un seul cran ; leurs résultats au niveau de la queue
dit corporate) la composante princi- −− les notations abaissées ou relevées de distribution à des paramètres
pale associée à la valeur propre la d’au moins deux crans. pertinents du risque. Il est possi-
plus élevée calculée à partir de la Les notations situées sur la diago- ble, selon la catégorie d’actifs ana-
matrice de covariance des différents nale sont relativement stables et par lysée, d’élargir la liste des modèles
indices de CDS, puis nous modéli- conséquent modélisées comme com- satellites au-delà de ceux que nous
sons les différents indices de CDS posantes résiduelles des révisions avons mentionnés. On peut ainsi
comme des processus autorégres- d’un ou plusieurs crans. Les mouve- citer les indices boursiers, taux de
sifs déterminés de façon exogène ments d’un cran sont hautement liés changes ainsi que les volatilités
par le CCF. et modélisés par un processus VAR des actifs. Néanmoins, le fond du
Nous partons également du prin- contraint. Nous intégrons également message reste dans tous les cas le
cipe que les informations relatives à une série de variables exogènes pour même : garantir la cohérence des
la qualité de crédit des entreprises tenir compte du cycle économique et scénarios et intégrer la corrélation
systémiques sont mieux reflétées être ainsi capables d’appliquer au sys- croisée entre les actifs. Sans un
par l’évolution des indices bour- tème des scénarios alternatifs. modèle d’équilibre général précis,
siers et que les opérateurs sur CDS La principale caractéristique des cette finalité ne saurait être atteinte.
utilisent ces indications pour s’as- évolutions d’au moins deux crans Si le modèle de départ n’est pas un
surer contre des événements de cré- est que : modèle d’équilibre, les exercices de
dit. Nous pouvons ainsi exprimer −− soit leurs observations sont nul- stress-test seront soumis à des biais
le CCF comme étant fonction d’un les ; de corrélation. D’où l’importance
facteur de tolérance au risque (une −− soit elles correspondent à des d’aborder, comme nous le propo-
mesure du rendement attendu sur valeurs positives faibles, ce qui sup- sons, le stress-test sous l’angle macro-
les investissements en action) et pose le recours à des modèles de économique. n
intégrer dès lors la source du risque choix discrets.

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