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Référence de cet article : GOLÉ Koffi Antoine(2011).

L’internationalisation de la guerre du
Biafra (1967-1970) : essai d’analyse des enjeux politiques et idéologiques. Rev. iv.hist., N° 19,
2011.

L’INTERNATIONALISATION DE LA GUERRE DU BIAFRA (1967-


1970) : ESSAI D’ANALYSE DES ENJEUX POLITIQUES ET
IDEOLOGIQUES

Dr. GOLÉ Koffi Antoine,


Assistant d’Histoire,
Université de Bouaké-Côte d’Ivoire

RÉSUMÉ
La guerre de sécession du Biafra (1967-1970) est l’un des conflits africains qui ont enre-
gistré de nombreuses interventions extérieures. Menée dans un contexte de décolonisation
du continent et de Guerre froide, cette guerre porte des stigmates de cet environnement
politique et idéologique. Politiquement, elle oppose les partisans et les adversaires de l’unité
politique du Nigeria. Idéologiquement, sans être un conflit de la Guerre froide, elle en porte
quelques indices : les positions des Etats-Unis d’Amérique et de l’URSS (Union des Républi-
ques Socialistes Soviétiques) dans le camp de la Fédération, et celles de la France puis de
la Chine dans le camp des sécessionnistes. Des faits qui rappellent la volonté des Etats-Unis
d’Amérique et de l’URSS de s’entendre malgré leurs divergences idéologiques, puis les crises
de leadership à l’intérieur de chaque bloc idéologique. Tandis qu’en Afrique des influences
extérieures fragilisent les solidarités politiques et idéologiques incarnées par les organisations
régionales et continentales.

Mots clés : Nigeria – Biafra – Guerre – Internationalisation – Enjeux politiques – Enjeux


idéologiques.

ABSTRACT
The War of secession of Biafra (1967-1970) is one of African conflicts that have experienced
many external interventions. Conducted in a context of decolonization of the continent and the
Cold War, this war is the stigma of this political and ideological environment. Politically, it is
between supporters and opponents of the political unity of Nigeria. Without being an ideologi-
cal conflict of the Cold War, it bears some hints: the positions of the United States of America
and the USSR (Union of Soviet Socialist Republics) on the side of the federation and that of
France and then China in that of the secessionists. These facts recall the willing of the United
States of America and the USSR to agree despite of their ideological differences and crises
of leadership within each ideological bloc. While in Africa external influences undermine the
political and ideological solidarity embodied by regional or continental organization.
Key words: Nigeria-Biafra-War-Internationalization-Political - Stakes- Ideological
Stakes.
INTRODUCTION
La guerre du Biafra est le conflit qu’a connu le Nigeria de 1967 à 1970 lorsque
la province orientale du pays, le Biafra, a décidé de faire sécession en annonçant
officiellement la création de la République du Biafra.
L’une des particularités de ce conflit, c’est son ‘‘internationalisation’’1.En effet, pour
un conflit interne à un pays africain dont l’accession à l’indépendance date seulement
de sept ans, la guerre du Biafra a pourtant mobilisé de nombreux acteurs extérieurs
africains et non africains.
En scrutant minutieusement le contexte de ce conflit, l’on est marqué par deux faits
d’importance historique : d’abord il intervient en période de Guerre froide. En outre,
la décennie 1960 est celle de la décolonisation d’un nombre important de territoires
africains. Ces pays indépendants, longtemps étouffés par le système colonial, ont
l’occasion dans cette guerre de s’affirmer politiquement et idéologiquement.
Ces faits nous semblent suffisants pour porter notre réflexion sur les enjeux po-
litiques et idéologiques de ces interventions extérieures parallèlement aux enjeux
économiques très souvent évoqués. Comment comprendre que dans le monde
occidental la France, les Etats-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne par exemple
n’aient pas adopté une position commune dans ce conflit ? Comment comprendre en
outre que la Chine et l’URSS (Union des Républiques Socialistes soviétiques) dans le
monde communiste soient dans des camps opposés ? Enfin, pourquoi en Afrique les
acteurs ont-ils adopté dans ce conflit des positions ramant parfois à contre courant
des tendances politiques et idéologiques qui les ont jusque-là caractérisés ?
Sur l’ensemble de ces préoccupations notamment sur la dimension politique et
idéologique de l’attitude de ces acteurs extérieurs, nous pensons qu’une réflexion est
toujours souhaitable. Car elle contribuerait à cerner encore davantage les contours
de ce conflit.
L’objectif de cette étude est donc de tenter d’élargir l’horizon sur la question avec
le concours de nouvelles sources.
Notre démarche pour y parvenir a consisté essentiellement à confronter les infor-
mations recueillies à partir de la documentation sur cette guerre et à en tirer celles
qui nous ont paru nécessaires par rapport à nos préoccupations. Ces informations
ont été enrichies par de nouvelles sources dont certaines sont constituées par des
personnes ressources ou des acteurs de cette guerre. C’est le cas du témoignage
de Bob Denard2 dans Corsaire de la République. Les versions des Présidents
Houphouët-Boigny dans Félix Houphouët-Boigny. La fin et la suite3 et Omar Bongo

1 BOUTET (R.). L’effroyable guerre du Biafra, Paris, Editions Chaka ,1992, pp.101-130.
2 DENARD (B.), Corsaire de la République, Paris, Robert Laffont, 1998,435p.
3 GRAH MEL (F.), Félix Houphouët-Boigny. La fin et la suite, Abidjan, Les Editions du CERAP/Paris, Karthala,
2010, 614p.
GOLÉ Koffi Antoine(2011). L’internationalisation de la guerre du Biafra (1967-1970) : essai d’analyse
des enjeux politiques et idéologiques.

dans Médiations Africaines. Omar Bongo et les défis diplomatiques d’un continent4
figurent parmi ces nouvelles sources.
Quels sont alors ces enjeux politiques et idéologiques ? En d’autres termes, com-
ment la Guerre froide et la décolonisation de l’Afrique ont-elles été traduites en actes
politiques et idéologiques par des acteurs extérieurs dans la crise biafraise ?
Le rappel du contexte politique et idéologique international, de même que l’ana-
lyse des enjeux politiques puis idéologiques de l’internationalisation de cette guerre
constituent successivement les axes majeurs de notre étude.

I- RAPPEL DU CONTEXTE POLITIQUE ET IDEOLOGIQUE


INTERNATIONAL
Au niveau international, la guerre du Biafra intervient dans un contexte politique
et idéologique qui ne manque pas d’intérêt.

I.1- Le contexte politique


La décolonisation de l’Afrique et les prises de position du Nigeria sur la scène
internationale constituent les principaux faits de ce contexte politique international.

I.1.1- La décolonisation de l’Afrique


L’Afrique compte désormais plus de pays indépendants que de pays encore
dépendants. En Afrique francophone, seuls les Comores et Djibouti attendent leurs
indépendances. Celles-ci interviennent respectivement en 1974 et 1977. Dans les
territoires anglophones, il reste véritablement la Rhodésie du Sud. Le pays accède
à l’indépendance en 1980 sous le nom de Zimbabwe. Le Sud-ouest africain (la Na-
mibie), dont la gestion est confiée par l’Organisation des Nations Unies (O.N.U) à
la République sud-africaine, ainsi que les territoires dépendants du Portugal et de
l’Espagne constituent les derniers bastions du colonialisme.
De nombreux pays africains ont donc vécu la guerre du Biafra en tant qu’Etats
indépendants. Certes pour de nombreux dirigeants de ces Etats l’expérience poli-
tique commence avec la lutte anticolonialiste. Mais l’indépendance semble donner
une impulsion supplémentaire à leur engagement politique. Leurs actions s’exercent
parallèlement à celles de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.) créée le 25 mai
1963 à Addis-Abeba (Ethiopie). Et comme l’écrit Jean Wolf, « la guerre civile du Nigéria
représentait une de ces occasions magnifiques, où tous les facteurs d’intervention
étaient réunis et que personne n’entendait laisser passer.»5

4 M’BOKOLO (E.), Médiations Africaines. Omar Bongo et les défis diplomatiques d’un continent, Paris, L’Archipel,
2009,411p.
5 WOLF (J.) et BROVELLI (C.).- La guerre des rapaces. La vérité sur la guerre du Biafra, Paris, Albin Michel,
1969. p.92

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S’ajoutent également à cela les prises de position du Nigéria sur la scène politique
internationale.

I.1.2- Le Nigéria sur la scène politique internationale


Le Nigéria indépendant ne se met pas en marge de la politique internationale.
La France fait partie de ses premiers adversaires. Evoquant ces faits Daniel Bach
écrit : « La capacité de cet Etat à interférer dans les rapports entre la France et ses
anciennes colonies apparaît de fait bien réelle lorsque, au début du mois de janvier
1961, à la suite de la troisième explosion nucléaire dans le Sahara, le Nigéria désor-
mais indépendant ordonne la fermeture de l’ambassade de France dans un délai de
quarante huit heures et interdit aux navires et avions français l’accès de ses ports et
de ses aéroports »6. Cette mesure aurait créé des dommages importants à des pays
frontaliers comme le Niger et le Dahomey : 90 000 tonnes d’arachides en provenance
du Niger auraient été bloquées dans le port de Lagos. Tandis que les importations
dahoméennes d’équipements lourds destinés à la construction du port en eau pro-
fonde de Cotonou auraient connu un gel de la part des autorités nigérianes. Notons
qu’à la suite de cette explosion atomique de Regane le 26 décembre 1960 et de la
vive réaction de protestation du Gouvernement nigérian, une rupture des relations
diplomatiques est intervenue entre les deux pays. La reprise de ces relations est
intervenue en 1966.
Ces relations tumultueuses refont surface à l’occasion des négociations en vue de
l’association du Nigéria au Marché commun de la Communauté économique euro-
péenne (C.E.E.) créée en 1957. Sur ce fait, Daniel Bach écrit : « Face à la volonté
du Gouvernement nigérian d’établir des rapports commerciaux avec la CEE sur une
base contractuelle, la tactique du Général de Gaulle a d’abord consisté à ignorer la
candidature nigériane, puis à faire systématiquement obstruction à la progression
des négociations par le biais d’objections portant tantôt sur la forme, tantôt sur le
fond. »7.En fait le Nigeria reproche à la France sa politique néocolonialiste en Afrique,
notamment en Afrique de l’Ouest, qui se traduit surtout par une forte emprise sur
les pays francophones. Pour sa part, la France voit en la Fédération du Nigeria un
danger ou une menace régionale. Car son importance démographique (le pays le
plus peuplé d’Afrique) et ses potentialités économiques constituent un atout majeur
pour en faire un pôle économique et d’influence politique dans la région. Rappelons
par exemple que la région sécessionniste possède les trois quarts des gisements
de pétrole du Nigeria convoité par la France à travers la société Elf. Elle produit la
totalité du charbon de la Fédération et fournit 90% de l’huile de palme dont le Nigeria
est le premier exportateur mondial. A cela s’ajoutent le cacao, les arachides, l’étain
et la colombite qui contribuent au dynamisme des ports de Calabar, de Bonny et de
Port Harcourt. Dans ces conditions le Nigeria apparaît comme un concurrent potentiel
de la France qui souhaite que le pôle économique dans la région soit plutôt un pays
francophone.
6 BACH (D.).- « Dynamique et contradictions dans la politique africaine de la France. Les rapports avec le Nigéria
(1960-1981) », in Politique Africaine, no5, Paris, février 1982, pp.50.
7 Ibidem (Ibid.), p. 52

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des enjeux politiques et idéologiques.

Par ailleurs, à l’instar de nombreux autres pays africains, le Nigéria n’approuve


pas le système de ségrégation raciale ou le système d’apartheid pratiqué par la mi-
norité blanche au pouvoir en Afrique du Sud. De leur côté, les autorités sud-africaines
estiment que les mouvements anti-apartheid bénéficient du soutien de la Fédération
du Nigéria.
Avec le Portugal et l’Espagne, le conflit porte principalement sur la colonisation.
Le Nigéria dénonce ce système dans les territoires africains colonisés par ces deux
pays.
Le Nigeria dérange. Son activisme n’est pas toujours bien apprécié par certains de
ses interlocuteurs. Le conflit biafrais apparait alors comme une occasion d’affirmation
politique pour de nombreux dirigeants. L’environnement idéologique n’est pas non
plus en marge du conflit.

I.2 Un environnement idéologique dominé par la Guerre froide


et la lutte de positionnement des tendances à l’O.U.A.
La lutte de positionnement des tendances modérées et progressistes de l’O.U.A.
ainsi que la Guerre froide constituent idéologiquement les faits essentiels.

I.2.1- La Guerre froide


La crise de Cuba (1962) est considérée comme le point culminant des diverses
crises survenues durant la Guerre froide déclenchée depuis 1947. A la suite de cel-
le-ci et dans un souci de préserver la paix dans un monde de plus en plus militarisé,
des initiatives sont conjointement prises. La période de détente qui en découle se
caractérise par une compréhension mutuelle entre les leaders des deux blocs EST
et OUEST ainsi constitués. Un des aspects pratiques de cette détente est le dialogue
entre les deux « Supers Grands ». Ce dialogue se traduit par l’installation du « télé-
phone rouge » ou une communication directe entre Moscou (U.R.S.S.) et Washington
(E.U.) le 20 juin 1963. Une autre retombée positive de cette ère de détente est la
signature à Moscou du traité interdisant les essais nucléaires dans les océans et
dans l’espace en août 1963 : le Traité de Moscou. Cette période se caractérise aussi
par des brouilles à l’intérieur de chaque bloc du fait surtout de la volonté affichée par
certains pays de s’affranchir de la tutelle de leur leader en contestant l’hégémonie
de celui-ci. La France dans le bloc Ouest, et la République populaire de Chine dans
le bloc Est conduisent cette contestation.
La guerre de sécession du Biafra est influencée par cette période de la Guerre
froide qui est aussi celle des tendances modérées et progressistes d’une O.U.A.
naissante.

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I.2.2- L’ère des tendances modérées et progressistes


d’une O.U.A. naissante
En janvier 1961, des pays africains se réunissent à Casablanca au Maroc en
prélude à la création de l’O.U.A. Ces pays défendent l’idée d’une Afrique confédérale
ou les « Etats-Unis d’Afrique ». Cette Afrique devrait avoir, selon eux, un gouverne-
ment unifié et une armée unique. Ils ne cachent pas par ailleurs leur hostilité aux
anciennes puissances coloniales et sont anti-impérialistes. Les pays qui épousent
ces thèses sont appelés les pays «progressistes». Le Ghana, ‘’l’Algérie’’8, la Mali, le
‘’Maroc’’9, la Guinée, l’Egypte et la Tanzanie font partie des principaux partisans de
ce courant idéologique.
A l’opposé des pays «progressistes», on a les pays «modérés» ou encore le
«Groupe de Monrovia». En décembre 1960, douze (12) pays francophones se réu-
nissent à Brazzaville au Congo. De cette rencontre naît le groupe de Brazzaville. Les
membres de ce groupe optent pour une attitude modérée à l’égard des anciennes
puissances coloniales. Ils estiment que les liens hérités de la colonisation sont un
acquis qui mérite d’être préservé dans le cadre d’une coopération postcoloniale. En
mai 1961, avec l’adhésion de nouveaux membres ce groupe s’est réuni à Monrovia
au Liberia pour créer le «Groupe de Monrovia». Il plaide pour une Afrique des Etats
ou des patries. La Côte d’Ivoire en est un membre influent. Parmi les autres membres
figurent le Cameroun, le Congo (Brazzaville), le Dahomey(le Bénin actuel), le Gabon,
la Haute-Volta(le Burkina Faso actuel), le Niger, la Centrafrique, le Sénégal, le Tchad,
le Togo, l’Ethiopie, le Liberia, la Sierra-Léone, la Somalie, le Kenya, et le Nigeria.
Ce contexte idéologique et l’évolution des relations politiques entre les Etats au
cours de la décennie 1960 déterminent largement les enjeux idéologiques et politiques
de l’internationalisation de cette crise biafraise.

II- LES ENJEUX POLITIQUES


La guerre du Biafra a servi de cadre à un combat politique international entre les
partisans de la Fédération et les pro-biafrais.

II.1- Les pro-biafrais


Les pro-biafrais sont les partisans de la sécession du Biafra. Il s’agit notamment
de pays et personnalités africains ou non africains. En Afrique, la Tanzanie, le Ga-
bon, la Zambie, l’Afrique du Sud, et la Côte d’Ivoire sont les partisans avérés. Hors
d’Afrique, Haïti, le Portugal, l’Espagne, la France, et la République populaire de Chine
sont les pays les plus cités. A tous ces pays, il convient d’associer les personnalités
politiques qui les incarnent.

8 Il s’agit du Gouvernement Provisoire Révolutionnaire d’Algérie (GPRA) car le pays n’était pas encore indépen-
dant.
9 La position du Maroc s’explique en parti par le fait que ce pays qui convoite la Mauritanie n’est pas soutenu par
les pays du Groupe de Monrovia

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des enjeux politiques et idéologiques.

La Tanzanie est le premier pays à reconnaître officiellement le Biafra. En application


d’une déclaration faite à cet effet le 13 avril 1968 par son Président Julius Nyerere,
celui-ci propose « d’ouvrir des relations diplomatiques »10 avec le nouvel Etat. Le Ga-
bon suit la Tanzanie dès le 8 mai de la même année. Dans une conférence de presse
qu’il prononce à Paris le 9 mai 1968 dans l’enceinte de l’Ambassade de Côte d’Ivoire
en France, Houphouët-Boigny laisse «entrevoir une prochaine reconnaissance du
Biafra»11. Celle-ci est intervenue le 15 du même mois. Sur cette reconnaissance du
Biafra, le Président Houphouët-Boigny s’explique : « Si Nyerere et moi, qui avons des
options politiques et économiques différentes, sommes d’accord pour reconnaître la
nécessité de retirer ce conflit du cadre juridique dans lequel on veut nous enfermer,
c’est parce que nous nourrissons à l’égard du peuple martyr du Biafra les mêmes
sentiments de compassion, parce que nous considérons le problème le concernant
comme un problème essentiellement humain »12. Des motivations humanitaires jus-
tifient donc selon le Président Houphouët-Boigny la position de la Côte d’Ivoire. Mais
l’on ne doit surtout pas occulter les motivations politiques. Car le Nigeria et la Côte
d’Ivoire sont deux pays ouest- africains qui se disputent le leadership régional. C’est
le 20 mai 1968 que la Zambie affiche sa position en faveur du Biafra. La Zambie et le
Gabon évoquent des raisons humanitaires et juridiques (droit des peuples à disposer
d’eux- mêmes pour justifier leurs positions respectives.
Concernant la France, le Président du Gabon Omar Bongo dit : « Lorsque nous
avons vu le Général de Gaulle, celui-ci nous a dit : « Si plusieurs pays africains re-
connaissent le Biafra, la France songera à faire de même. » Nous étions six ou sept
pays qui avons reconnu le Biafra, mais la France, finalement, n’a pas sauté le pas.
Elle a fait brusquement marche arrière. Nous avons été envoyés au feu, en éclaireurs,
à découvert »13. Dans cette guerre les déclarations et actes officiels de la France ne
sont pas toujours conformes à la réalité des faits.. Des assurances sont données au
Gouvernement fédéral du Nigeria par les autorités françaises de ne pas reconnaître
la sécession du Biafra. Un embargo est en outre décrété par celles-ci sur les armes.
«Les rebelles bénéficient toutefois d’une aide discrète en matériel et en hommes
(notamment des mercenaires) de la part du Général de Gaulle»14. La Croix Rouge
française, une organisation humanitaire, s’est pourtant érigée en une organisation
de fourniture d’armes et de munitions aux sécessionnistes : son président est un
militaire. Il s’agit du médecin-général Raymond Debenedetti. Le Colonel Merle, qui
est le délégué de cette organisation dans la capitale gabonaise d’où part le convoi
pour Biafra, est l’attaché militaire de la France au Gabon. En réalité la position de la
France dans ce conflit obéit à des motivations politiques évoquées plus haut.

10 BOUTET (R.).- Op. cit, p.106.


11 Ibid.
12 GRAH MEL (F.), Félix Houphouët- Boigny. La fin et la suite, Abidjan, les Editions du CERAP/Paris, Karthala,
2010,p. 78
13 M’BOKOLO (E.).- Médiations africaines, Omar Bongo et les défis diplomatiques d’un continent, Paris, l’Archipel,
2009, p.93.
14 MICHELETTI (P.).- Derrière les évidences humanitaires. Sur fond f(indignation et de pétrole, tout a commencé
au Biafra, in Le Monde diplomatique (Archives), Paris, n°654, septembre 2008, p.25.

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Pour sa part, la Chine justifie sa position « au nom du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes »15, ce principe énoncé dans la charte de l’O.N.U constitue le fondement
officiel du soutien au Biafra de la plupart des pays partisans de la province séces-
sionniste. Ceux-ci évoquent également le génocide dont ils estiment être victimes
les populations de ladite province. En témoignent les sentiments de Julius Nyerere
contenus dans sa déclaration suivante : « Quand la Fédération du Nigeria est deve-
nue indépendante en 1960, la même politique a été adoptée par les peuples qui la
constituaient. Ils ont accepté la structure fédérale instaurée sous le système colonial
et déclaré leur intention de collaborer (…). Mais la constitution de la Fédération du
Nigeria fut violée en janvier 1966 par le premier coup d’Etat militaire. Le second coup
d’Etat écarta tout espoir de remettre les choses en ordre et bien plus encore les po-
groms de septembre et octobre 1966. Ces événements ont bouleversé de fond en
comble les bases de la société. Désormais, il devient impossible de rétablir les relations
politiques et économiques entre les différentes parties de l’ancienne Fédération »16
Les motivations du Président Tanzanien sont donc d’ordre humanitaire. Il y a certes
un dysfonctionnement de cette Fédération qui est dénoncé. Mais le gigantisme du
pays semble aussi perturber la sérénité des partisans du Biafra. Le Président Omar
Bongo qui l’évoque dit : « Le Nigeria ? C’est trop vaste. Ce qui serait viable, c’est trois
ou quatre Etats confédérés »17.
Jacques Foccart ne semble pas dire le contraire lorsqu’il affirme : « Pour la France,
le Nigeria était un pays démesuré par rapport à ceux que nous connaissions bien…
La guerre a duré deux ans et demi. Les positions ont évolué. Du début jusqu’à la fin
du conflit, Houphouët-Boigny a tenu le parti du Biafra, ne s’en est pas caché, et a fait
pression constamment sur la France. La position initiale du Général (de Gaulle), je
peux vous dire exactement comment il l’a définie, trois semaines après l’ouverture
du conflit ; nous ne devons ni intervenir, ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais
tout compte fait, le morcellement du Nigeria est souhaitable, si le Biafra réussit, ce
ne serait pas une mauvaise chose. Notez bien le «morcellement du Nigeria» : c’est
la raison essentielle, car c’est stratégique. Quoiqu’on pense de la balkanisation de
l’Afrique francophone, elle existe. Au cœur de cet exemple, le Nigeria est un géant
redoutable »18. Des moyens sont mis en œuvre pour l’aboutissement du projet. Selon
Jacques Foccart, « des milliers de tonnes d’armements sont acheminées ; les armes,
les munitions, les avions affrétés, les pilotes et les mercenaires ont été financés
pompeusement malgré l’austérité budgétaire française après 1968 »19. Ce soutien
français a la particularité d’être discret. Il semble que cette stratégie évite de choquer
la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale du Nigeria.
Les pays de transit connus pour le transport de cette logistique de guerre sont le
Gabon, la Côte d’Ivoire, et Sao Tomé. Concernant l’itinéraire de Sao Tomé, Rémy
Boutet écrit : « Les armes partent dans le Nord du Transvaal, passent par le Botswana,

15 BOUTET (R.).- Op. cit., pp.118-119.


16 Ibid. p.107.
17 M’BOKOLO (E.).- Op.cit., p.100.
18 AGBOHOU (N.).- Le Franc et l’Euro contre l’Afrique, Paris, Solidarité Mondiale AS, 1999, p.244.
19 Ibid. , p.245.

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l’Angola (car liée aux Portugais) et Sao Tomé avant d’arriver au Biafra »20. Cette voie
serait utilisée pour le transport dans armes légères. Par ailleurs, Elikia M’Bokolo qui
rapporte le témoigne des Gabonais, écrit : « Tout passait par l’aéroport de Libreville
qui ressemble à une ruche. Les avions arrivaient d’Europe le soir, d’autres partaient
la nuit, revenaient au petit matin… Des armes, des munitions, des vivres, du matériel,
des soldats passaient par ici pour aller au Biafra […]. Nous, on voyait tout ce tohu-
bohu sans bien comprendre ce qui nous arrivait »21. L’on estime à cent quatre-vingt-
neuf le nombre de vols d’avions à l’aéroport de Libreville entre 1968 et 1969.Sur le
rôle joué par la Côte d’Ivoire, le mercenaire français Bob Denard fait le témoignage
suivant : « J’ai traité un contrat de livraison d’armes avec la firme tchèque Omnipol.
Afin de régler le coût de ces opérations de grande envergure, la cellule élyséenne
de Jacques Foccart a fait transiter des fonds par la Côte d’Ivoire, dont le Président,
Houphouët-Boigny, est coutumier de ce genre de manipulation. Deux milliards de
francs en liquide, bien serrés dans des malles gardées par des hommes sûrs, ont donc
transité par l’habituelle filière d’une société française, sous la houlette de son direc-
teur »22. En Afrique, le Président Houphouët –Boigny a été un des acteurs importants
de cette crise biafraise. Les autorités sud-africaines ont également fourni des armes
au général Ojukwu, autorité politique et militaire représentant les sécessionnistes sur
les conseils de la France.
Cet appui militaire est complété par des actions diplomatiques. C’est notamment
le cas de la tentative d’inscription du conflit à l’Assemblée générale de l’O.N.U. Mais
cette initiative échoue : «Depuis le 18 juillet 1968, Monsieur U. Thant, Secrétaire Gé-
néral de l’O.N.U. déclare sa confiance à l’O.U.A. pour résoudre la guerre du Biafra. Il
estime en outre que l’O.N.U. ne peut intervenir dans le conflit, si la demande n’émane
pas du Gouvernement fédéral»23.
La Fédération du Nigeria gêne par son importance démographique, ses nom-
breuses potentialités économiques et ses ambitions politiques internationales. La
sécession biafraise apparaît donc comme un moyen de l’affaiblir. Mais elle n’est pas
seule. Elle a également des partisans.

II.2- Les partisans de la Fédération


Des personnalités politiques, organisations et pays se sont également engagés aux
côtés de la Fédération en vue de maintenir sa configuration d’avant la guerre civile.
Parmi ces partisans affichés ou discrets, figurent, hors d’Afrique, la Grande-Bretagne,
les Etats-Unis d’Amérique, et la Belgique dans le monde occidental. L’U.R.S.S. et
à un degré moindre la Pologne sont des soutiens de la Fédération dans le monde
communiste. Sans jouer un rôle particulièrement actif, l’O.N.U. peut dans une certaine
mesure être associée à ces partisans de la Fédération. Sur le continent africain, outre
20 BOUET (R.).- Op. cit. , p.125.
21 M’BOKOLO (E.).- Op.cit., pp.100-101.
22 DENARD (B.), Op.cit. ,p.253
23 BOUTET (R.).- Op. cit., p.119.
Le Birman Sithu U. Thant succède au Suédois Dag Hammarskjöld en novembre 1961. Son mandat prend fin en
décembre 1971.

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l’O.U.A., la Fédération bénéficie du soutien formel de la majorité des Etats. L’Algérie,


l’Egypte, le Niger, la Mali, le Dahomey, le Cameroun, la Guinée de Sékou Touré et
Madagascar figurent parmi ces soutiens. La charte de l’OUA constitue leur boussole
notamment son principe relatif au « respect de la souveraineté et de l’intégrité terri-
toriale des Etats membres »24 et surtout la déclaration du Caire de 1964.
Le 13 février 1968 à la Chambre des Lords, le ministre britannique Lord Shepherd
déclare : « En tant que fondateurs du Nigeria moderne, nous sommes opposés à
sa fragmentation. »25. Il semble qu’au-delà du cas nigérian, les Britanniques sont
farouchement opposés à la balkanisation de l’Afrique.
La guerre du Biafra est par ailleurs perçue comme un cadre de résurgence d’un
«vieil antagonisme opposant les Britanniques, du côté de la Fédération, et les Fran-
çais, du côté du Biafra»26. En 1963 et 1967, la France s’est opposée à l’entrée du
Royaume-Uni dans la C.E.E. On comprend encore davantage l’enjeu politique de
cette guerre du Biafra pour la Grande Bretagne lorsque le 19 mai 1967, le journal
britannique Le Times écrit : « Le Gouvernement est préoccupé par certains indices
selon lesquels les autorités françaises cherchent à exploiter le conflit nigérian »27.
Si l’on ajoute à ces faits les vieilles querelles coloniales, on peut comprendre que la
Grande Bretagne accepte difficilement la réalisation du projet biafrais qui serait une
victoire pour la France.
«Les Etats-Unis d’Amérique soutiennent également le Nigeria. Mais ils s’opposent
à toute vente d’armes aux deux parties»28. Engagés massivement dans la seconde
guerre du Vietnam et à un degré moindre dans la guerre de sécession katangaise
au Congo-belge (actuelle République démocratique du Congo), ils s’abstiennent de
s’engager dans le conflit biafrais. Mais leur prise de position en faveur de la Fédération
est politiquement fondamentale.
C’est en 1961 qu’un accord est intervenu entre la Fédération du Nigeria et l’U.R.S.S.
Cet accord prévoit l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. La
même année, l’Ambassade soviétique est ouverte en novembre à Lagos (Nigeria). Le
Nigeria en fera autant en 1964 en ouvrant la sienne à Moscou. Le soutien de l’U.R.S.S.
à un gouvernement considéré conservateur et pro-occidental n’est certainement pas
fortuit. Dans une Afrique quasiment sous l’influence de l’Europe occidentale, l’U.R.S.S.
et le communisme ont été pendant longtemps vilipendés auprès des populations. Des
expériences de coopération politique sont tentées avec certains pays notamment le
Ghana, la Guinée, et l’Egypte. Mais elles n’ont pas toujours permis d’effacer l’image
négative collée à ce pays et au communisme. La guerre du Biafra constitue donc
l’occasion pour l’U.R.S.S. de se faire connaître politiquement en Afrique en se ran-
geant derrière un gouvernement qui a le soutien de l’OUA. Pour Jean Wolf et Claude
Brovelli, « l’Union soviétique avait pu s’apercevoir aussi que la majorité des pays

24 BOUTET (R) , Op. cit. , p.101.


25 WOLF (J.) et BROVELLI (C.).- Op.cit., p.97.
26 M’BOKOLO (E.).- Op.cit., p.96.
27 Cf. WOLF (J.) et BROVELLI (C.).- Op.cit., p.98.
28 MICHELETTI (P.). , Loc. cit., p.25.

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GOLÉ Koffi Antoine(2011). L’internationalisation de la guerre du Biafra (1967-1970) : essai d’analyse
des enjeux politiques et idéologiques.

africains s’était prononcée en faveur d’un Nigeria unitaire et qu’elle recueillerait donc
de solides sympathies en prenant fait et cause pour Lagos »29. Notons que l’Egypte,
un des pays alliés de l’U.R.S.S., fait partie des partisans affichés de la Fédération.
En tout été de cause, la crise biafraise apparaît comme une occasion pour
l’U.R.S.S. de se réhabiliter politiquement en Afrique de l’Ouest après les expériences
presqu’infructueuses avec le Ghana de Kwame N’Krumah et la Guinée ‘’sékoutou-
rienne’’.
De nombreux Chefs d’Etats africains se sont montrés particulièrement actifs dans
leur soutien à la Fédération. C’est le cas d’Hamani Diori du Niger qui affirme le 17
avril 1968 : « Il n’est pas question pour le Niger de reconnaître le Biafra »30. Le Pré-
sident Modibo Kéita de la République du Mali s’est montré hostile à cette sécession
biafraise. Car il estime que « son succès constituerait un précédent très grave pour
l’unité politique de chaque pays. »31. A l’instar de leurs adversaires pro-biafrais, les
partisans de la Fédération vont eux aussi mener des actions diplomatiques et militaires
en vue de faire aboutir leur idéal politique.
Au niveau diplomatique, les premières initiatives sont prises par l’O.U.A. Elle a
réuni un Sommet en septembre 1967 à Kinshasa au Congo-belge. A cette rencontre,
outre la volonté exprimée des Chefs d’Etat qui «adoptent à la majorité absolue une
résolution témoignant de leur soutien total au Gouvernement militaire fédéral»32,
une délégation est constituée. Placée sous l’autorité de l’Empereur Hailé Sélassié
d’Ethiopie, elle a pour mission principale d’œuvrer à un retour de la paix au Nigeria.
D’autres rencontres sont initiées comme celles d’Addis-Abeba d’août-septembre
1968, puis de septembre 1969.
Moins active que l’O.U.A., l’O.N.U. estime que la guerre du Biafra est une crise
interne au Nigeria. Ainsi, confie-t-elle sa gestion à l’O.U.A. après s’être alignée sur la
position de cette dernière. Cette position est le respect du principe de la non ingérence
dans les affaires intérieures d’un pays.
La confiance qu’elle a placée en l’Organisation panafricaine dans le règlement de
la crise et la non inscription de celle-ci dans les débats de son Assemblée générale
apparaissent comme un désaveu à l’endroit des partisans du Biafra.
Concernant la Grande-Bretagne, on peut retenir deux faits majeurs. Le premier
est relatif à l’organisation d’une rencontre entre les fédéraux et les sécessionnistes
à Londres (Grande Bretagne) les 6 et 7 mai 1968. L’objet de cette rencontre est de
négocier la paix entre les belligérants. Le second est la tiédeur avec laquelle les
autorités britanniques accueillent les démarches ivoiriennes visant à soutenir les
sécessionnistes à l’occasion de la visite du ministre ivoirien des Affaires Etrangères
à Londres du 8 au 16 novembre 1968. Une visite qui vise à persuader ces autorités
sur la nécessité de soutenir le Biafra.

29 WOLF (J.) et BROVELLI (C.).- Op.cit., p.93.


30 BOUTET (R.).- Op. cit., p.114.
31 Ibid.
32 Ibid., p.101.

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© EDUCI 2011. Rev. iv. hist., ISSN 1718-5627, N° 19, 2011.

Les Etats africains ne sont pas restés passifs sur cette scène diplomatique inter-
nationale. Le Niger par exemple «a apporté à la cause fédérale un soutien constant
durant les deux années et demie de la guerre civile»33. En début d’année 1969,
Hamani Diori s’est rendu à Paris pour convaincre le Général de Gaulle de modérer
son soutien au Biafra.
Des initiatives militaires complètent ces actions diplomatiques. La Grande Bretagne
et l’U.R.S.S. y jouent un rôle déterminant. Selon Pierre Micheletti, « le Royaume-
Uni et l’U.R.S.S. appuient le Gouvernement fédéral et lui fournissent des armes »34.
Les statistiques montrent qu’en 1967, la Grande Bretagne pourvoit la Fédération en
armes pour 47,84%. Ce pourcentage est passé à 79,19% en 1968, puis 97,36% en
1969. Les Britanniques n’excluent pas d’engager des mercenaires pour compenser la
faiblesse de l’armée fédérale et défendre leurs importants intérêts économiques. La
Grande Bretagne contrôle une grande partie du pétrole nigérian à travers ses sociétés
pétrolières dont BP (British Petroleum). Concernant l’U.R.S.S., elle aurait fourni au
Gouvernement fédéral pour la seule année 1967, 10 Mig-17, 6 Mig-UTI, 3 bateaux
Torpédo, des bombes, munitions et petites armes. Il semble que ce sont les avions
offerts par l’U.R.S.S. aux fédéraux qui leur «donnent le contrôle tactique des airs et
leur permettent aussi d’entreprendre de nombreuses missions de bombardement du
territoire biafrais»35. Les armes de la Fédération transitent par des pays parmi lesquels
figurent la Belgique, la Pologne, l’Algérie et l’Egypte.
Si toutes ces initiatives politiques extérieures ont conféré à la guerre du Biafra ses
enjeux politiques, celle-ci ne reste pas non plus en marge des enjeux idéologiques.

III- LES ENJEUX IDEOLOGIQUES


Déclenchée en pleine période de Guerre froide, la crise biafraise n’y échappe pas.
Elle est ainsi influencée par cette Guerre froide.

III.1- L’influence de la Guerre froide


Dans son ouvrage intitulé «Médiations africaines, Omar Bongo et les défis d’un
continent», Elikia M’Bokolo, parlant du conflit biafrais, écrit : « … le conflit brouilla
aussi les lignes de partage liées à la Guerre froide : les Soviétiques et les Britanniques
se trouvèrent dans le même camp, derrière la Fédération, tandis que le Biafra, un
moment isolé, reçut le soutien de l’Afrique du Sud, de la Rhodésie des colons Blancs
et du Portugal salazariste, mais aussi de la République populaire de Chine »36. Dans
la configuration idéologique des blocs Est et Ouest, le Portugal est dans le monde
occidental. Ce monde peut être élargi à l’Afrique du Sud et à la Rhodésie qui sont des
pays pro-capitalistes. Dans le même esprit, les Soviétiques et les Chinois devraient
se retrouver dans un même camp. Or la guerre du Biafra a regroupé dans chacun
33 BACH (D.), EGG (J.) et PHILIPPE (J.).- (Sous direction de), Nigeria, un pouvoir en puissance, Paris, Editions
Karthala, 1988, p.198.
34 MICHELETTI (P.).- Loc. cit., p.25.
35 BOUTET (R.).-Op. cit., p.121.
36 M’BOKOLO (E.).- Op.cit., p.96.

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GOLÉ Koffi Antoine(2011). L’internationalisation de la guerre du Biafra (1967-1970) : essai d’analyse
des enjeux politiques et idéologiques.

des deux camps antagonistes des pays qui, idéologiquement, ne devraient pas l’être.
En réalité cette guerre n’a fait que traduire dans les actes le contexte idéologique du
moment : le rapprochement entre les Etats-Unis d’Amérique et l’U.R.S.S. d’une part,
puis les crises de leadership au sein de chaque bloc idéologique d’autre part.

III.1.1- Les Etats-Unis d’Amérique et l’U.R.S.S. dans la


dynamique de leur rapprochement
En se rangeant, avec des motivations différentes, du côté de la Grande Bretagne
et des Etats-Unis d’Amérique, qui sont deux pays très liés dans le camp occidental,
l’U.R.S.S. montre sa volonté de demeurer dans la dynamique de la détente amorcée
depuis 1963. Cette relative «complicité» dans la gestion de la crise biafraise a dû
contribuer à éviter de fragiliser davantage les deux « Supers Grands ». Mais elle
n’empêche pas la transposition des querelles de leadership qui minent déjà leurs
blocs idéologiques respectifs.

III.1.2- La transposition des querelles internes de leadership


dans le conflit biafrais
La bonne entente entre la République populaire de Chine et l’U.R.S.S. est par mo-
ment entravée par des brouilles. La signature d’un accord bilatéral en 1950 et le voyage
du Président soviétique Khrouchtchev en Chine dans le mois d’avril 1959 n’ont pas
toujours suffi à évacuer ces brouilles. Mao, le Président chinois reproche à l’U.R.S.S. et
au Parti communiste de l’Union soviétique (P.C.U.S.) le mauvais traitement de l’image
de Staline, le Secrétaire général du PCUS, à la mort de celui-ci le 5 mars 1953. Il leur
reproche en outre la déformation de l’idéologie marxiste-léniniste. Il dénonce enfin le
manque de fermeté de Khrouchtchev face à Kennedy, le Président des Etats-Unis
d’Amérique, durant la crise de Cuba. Dès lors il estime avoir le profil nécessaire pour
être le maître incontesté du monde communiste. Le rappel par l’URSS en 1960 de ses
techniciens chargés d’aider son partenaire à s’industrialiser renforce leur antagonisme.
En effet le marasme économique qui en résulte conduit la République populaire de Chine
à vouloir compter désormais sur ses propres moyens. Le schisme sino-soviétique ou le
divorce entre ces deux pays se traduit en août 1963 par le refus de la Chine de signer
le traité de Moscou. Avec la détention de la bombe A en 1964 et la bombe H en 1967,
la Chine se donne suffisamment de moyens pour contester le leadership soviétique
partout dans le monde. C’est ainsi que dans une déclaration faite en 1968 relative à
la guerre du Biafra, le ministre chinois des Affaires Etrangères dit : « En Afrique les
révisionnistes soviétiques liés aux impérialistes américains et britanniques soutiennent
officiellement le G.M.F. nigérian dans son massacre du peuple biafrais (…) »37.
En prenant le contre-pied des Soviétiques dans cette guerre du Biafra, la Chine
reste dans la logique de ses brouilles avec l’U.R.S.S. dans le monde communiste.
Les relations entre la France et les Etats-Unis d’Amérique restent dans cette même
logique.

37 BOUTET (R.).- Op. cit. , p.119.

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© EDUCI 2011. Rev. iv. hist., ISSN 1718-5627, N° 19, 2011.

Partisan d’une « Europe des patries »38 au détriment d’une Europe élargie, le Gé-
néral de Gaulle incarne la politique internationale de la France au cours des années
1960. Cette politique est axée sur une volonté d’indépendance nationale et le refus
de l’hégémonie américaine. La remise en cause de la suprématie du dollar américain
participe de cette volonté d’autonomie. Et la dotation de la France de son propre outil
de défense avec la bombe A en 1960 et la bombe H en 1968 conforte cette vision
internationale de la politique gaullienne. En Afrique, ayant été informé de ce que le
Président Mobutu du Congo-Kinshasa faisait la promotion du projet des ‘’Etats-Unis
d’Afrique’’ auquel de Gaulle était opposé, ce dernier estime que « ce sont les Belges
et les Américains qui sont derrière… »39.
Ces exemples et faits parmi d’autres permettent de comprendre l’état des relations
entre les deux pays durant l’ère gaullienne. Les rapports entre la France et le Nigeria
ont été certes émaillés d’incidents. Mais au moment de l’éclatement de la guerre, ces
incidents semblent clos : les relations diplomatiques entre les deux pays ont repris
en 1966 par un échange de chargés d’Affaires à la suite d’»une lettre éminemment
déférente du Premier ministre nigérian…»40 Le Général de Gaulle a exigé des autorités
nigérianes la reconnaissance de leur tort avant le rétablissement desdites relations.
Par ailleurs, un soutien français à la Fédération aurait contribué à dissiper l’antago-
nisme franco-britannique. Pourtant le Général de Gaulle est demeuré dans sa position
au cours de la guerre. En réalité l’autonomie de la France recherchée par de Gaulle
s’accommode mal d’un soutien à la Fédération. Car cela suppose que la France serait
dans le même camp que les Etats-Unis d’Amérique dont elle conteste le leadership,
et la Grande Bretagne avec laquelle elle a un contentieux politico-idéologique.
Au demeurant l’implication des principaux animateurs de la Guerre froide confère
une dimension idéologique à la guerre du Biafra : les positions des Etats-Unis
d’Amérique et de l’U.R.S.S., puis celles de la Chine et de la France reflètent bien le
contexte idéologique de cette époque. En Afrique également, les solidarités idéolo-
giques traditionnelles n’échappent pas à ces contradictions internes.

III.2- Les solidarités idéologiques traditionnelles africaines


mises à mal
Jetant un regard sur le fonctionnement des blocs idéologiques africains, François
Constantin fait remarquer que « les clivages idéologiques traditionnels n’ont pas résisté
à la guerre du Nigeria »41. La solidarité systématique à laquelle l’on pouvait s’attendre
entre les pays «modérés» d’une part, et entre les pays «progressistes» d’autre part y
a montré des limites. Si les seconds semblent restés dans leur logique panafricaniste,
les premiers par contre abordent la crise dans une division plus profonde.
38 De Gaulle opte pour une politique prudente à l’égard de la construction européenne. En 1965, la France s’oppose
à des évolutions de la C.E.E. vers la supranationalité.
39 FOCCART (J.).- Le Général en Mai. Journal de l’Elysée II – 1968 – 1969, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1998,
p.53.
40 BOUTET (R.). Op .cit, p.118.
41 CONSTANTIN (F.).- « Les Etats africains face à la guerre du Nigeria », in Année Africaine 1969, Paris, Editions
A. Pedone, 1971, p.126.

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GOLÉ Koffi Antoine(2011). L’internationalisation de la guerre du Biafra (1967-1970) : essai d’analyse
des enjeux politiques et idéologiques.

III.2.1- Les «progressistes» dans leur logique panafricaniste


A l’exception de la Tanzanie, les pays «progressistes» se sont alignés sur la posi-
tion de l’OUA. Il s’agit de la défense du principe du «respect de l’intégrité territoriale
de chaque Etat et son droit inaliénable à une existence indépendante». A priori, un
tel soutien paraît ambigu. Pour Rémy Boutet, cette guerre « introduit une nouvelle
division parmi les Etats. Auparavant les pays se répartissent entre « progressistes-
révolutionnaires » ou « groupe de Casablanca » et « modérés » ou groupe de Monro-
via ». Les premiers se réclament d’une idéologie anti-impérialiste et prônent la rupture
avec les anciennes puissances coloniales et l’Occident en général (…). En revanche
les seconds montrent une certaine sympathie pour l’Occident et se démarquent des
prises de position intransigeantes du premier groupe (…). Or, avec la guerre du Biafra,
ces critères de regroupement s’effritent. On se rend compte que la plupart des Etats
dits révolutionnaires s’associent avec le Nigeria soutenu explicitement par les « im-
périalistes » « britanniques » »42. La première ambigüité viendrait du soutien de ces
pays «progressistes» au Nigeria qui appartient portant à un groupe idéologiquement
opposé. En outre ces pays se présentent comme des adversaires des puissances
occidentales et « impérialistes ». Or dans cette guerre, ils se sont accommodés de
leur soutien au Nigeria. En réalité la thèse d’une Afrique unie, solidaire et indépen-
dante que défendent ces pays constitue l’essentiel de l’idée fondatrice de l’OUA Le
morcellement du Nigeria qui adviendrait avec l’avènement d’une république biafraise
est plutôt de nature à contribuer à la fragmentation du continent. Autant il ne répond
pas à la thèse de l’unité africaine défendue par l’OUA, autant il s’inscrit contre la vision
des ‘’ Etats-Unis d’Afrique’’ prônée par ces pays «progressistes».
La guerre du Biafra offre également l’occasion aux pays africains de se déterminer
par rapport aux principaux acteurs de la Guerre froide. C’est le cas de la Tanzanie
dont l’option peut s’expliquer par les relations étroites que le pays entretient avec la
Chine. Dans la même veine l’Egypte, alliée de l’URSS, opte pour le camp opposé.
A l’exception de la Tanzanie, les pays «progressistes» sont demeurés dans leur
logique idéologique contrairement aux «modérés» profondément divisés.

III.2.2- Les pays «modérés» profondément divisés


Les pays dits «modérés» ne font pas mieux que le « Groupe de Casablanca »
en ce qui concerne la solidarité idéologique que le Nigeria, pays membre, est en
droit d’attendre d’eux. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Gabon ont décidé de
soutenir ouvertement le Biafra. D’autres comme le Cameroun, le Dahomey, le Niger,
le Togo et même l’Ethiopie ne cachent pas leur sympathie pour la Fédération. Tandis
que le troisième groupe de pays s’est montré plus ou moins discret dans ses prises
de position. La Haute-Volta, le Kenya, le Liberia et la Sierra-Leone font partie de ce
groupe. Omar Bongo qui reconnaît plus tard son erreur dit : « C’est une des premières
décisions que j’ai prises en tant que Chef d’Etat et ce fut une erreur. Je manquais
de prudence et d’expérience. Si c’était à refaire, je ne referais pas ce que j’ai fait à
42 BOUTET (R.).- Op.cit., p.179.

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cette époque »43. La réconciliation entre le Gabon et le Nigeria a été difficile. Mais
elle eut lieu. «Dès le 1er octobre 1970, le Président Bongo envoya un signal fort à
Yakubu Gowon : une délégation gabonaise assiste aux fêtes de l’indépendance du
Nigeria»44. Le Togo et le Cameroun ont contribué à cette réconciliation pour avoir
joué les bons offices. Avec la Côte d’Ivoire, les «ambitions régionales»45 de Gowon
ont dû constituer un des facteurs déterminants dans la réconciliation.
Ce déficit de solidarité idéologique trouve en partie sa justification dans les influen-
ces extérieures et les relations particulières que certains pays entretiennent avec des
pays occidentaux. Par exemple sur l’engagement du Président sénégalais Léopold
Sédar Senghor aux côtes des Biafrais, le Général de Gaulle dit : « en ce qui concerne
le Biafra, je lui ai dit que l’identité du peuple biafrais devait être reconnue, et qu’en
ce qui concerne les liens avec Lagos, il fallait peut-être s’orienter vers la recherche
d’un système confédéral »46. Le Président sénégalais ne s’est pas démarqué de cette
vision, affirme Jacques Foccart : « Senghor a bien analysé la question ; dès sa sortie
de l’Elysée, il a adopté cette position et, depuis, il l’a plusieurs fois réaffirmée »47.
Cette position du Président Senghor et de bien d’autres dirigeants africains découle
très souvent des relations étroites, voire privilégiées, qu’ils entretiennent avec les
puissances étrangères. Ces relations ont contribué à affaiblir les blocs africains de
solidarité idéologique au cours de ce conflit biafrais.

CONCLUSION
Menée dans un contexte de Guerre froide et de décolonisation de l’Afrique avec
notamment l’existence de deux tendances idéologiques, la guerre du Biafra épouse ce
contexte des relations internationales. La passion qu’elle suscite à travers le monde,
qui se traduit par des implications extérieures, n’est pas fortuite. Elle obéit en partie
à des enjeux politiques et idéologiques.
Politiquement, la guerre du Biafra a opposé les défenseurs de l’unité du Nigeria et
les partisans de la fragmentation de ce pays. La victoire des premiers sur les seconds
peut s’interpréter également comme celle des défenseurs de l’unité politique de l’Afri-
que et surtout l’unité politique à l’intérieur des frontières héritées de la colonisation.
Au niveau idéologique, cette guerre confirme dans l’ensemble les rapports inter-
nationaux existants. Elle montre en effet encore une fois la volonté des Etats-Unis
d’Amérique et de l’URSS de s’accepter malgré leurs particularismes et des motivations
qui ne sont pas forcément les mêmes. Elle révèle en outre les crises de leadership
que connaissent les deux grands blocs communiste et occidental au cours des an-
nées 1960. La guerre du Biafra montre enfin qu’en Afrique où la plupart des dirigeants
sont encore étroitement liés à ceux des puissances étrangères, il est difficile aux

43 M’BOKOLO (E.).- Op.cit., p.93.


44 M’BOKOLO (E.).- Op.cit., p.102.
45 YAKUBU Gowon est l’initiateur du projet de création de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (C.E.D.E.A.O.). la C.E.D.E.A.O est créée le 28 mai 1975 à Lagos (Nigeria).
46 Foccart (J.).- Op.cit., p.315.
47 Ibid.

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GOLÉ Koffi Antoine(2011). L’internationalisation de la guerre du Biafra (1967-1970) : essai d’analyse
des enjeux politiques et idéologiques.

blocs idéologiques et politiques du continent de résister eux aussi aux contradic-


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