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L’internationalisation de la guerre du
Biafra (1967-1970) : essai d’analyse des enjeux politiques et idéologiques. Rev. iv.hist., N° 19,
2011.
RÉSUMÉ
La guerre de sécession du Biafra (1967-1970) est l’un des conflits africains qui ont enre-
gistré de nombreuses interventions extérieures. Menée dans un contexte de décolonisation
du continent et de Guerre froide, cette guerre porte des stigmates de cet environnement
politique et idéologique. Politiquement, elle oppose les partisans et les adversaires de l’unité
politique du Nigeria. Idéologiquement, sans être un conflit de la Guerre froide, elle en porte
quelques indices : les positions des Etats-Unis d’Amérique et de l’URSS (Union des Républi-
ques Socialistes Soviétiques) dans le camp de la Fédération, et celles de la France puis de
la Chine dans le camp des sécessionnistes. Des faits qui rappellent la volonté des Etats-Unis
d’Amérique et de l’URSS de s’entendre malgré leurs divergences idéologiques, puis les crises
de leadership à l’intérieur de chaque bloc idéologique. Tandis qu’en Afrique des influences
extérieures fragilisent les solidarités politiques et idéologiques incarnées par les organisations
régionales et continentales.
ABSTRACT
The War of secession of Biafra (1967-1970) is one of African conflicts that have experienced
many external interventions. Conducted in a context of decolonization of the continent and the
Cold War, this war is the stigma of this political and ideological environment. Politically, it is
between supporters and opponents of the political unity of Nigeria. Without being an ideologi-
cal conflict of the Cold War, it bears some hints: the positions of the United States of America
and the USSR (Union of Soviet Socialist Republics) on the side of the federation and that of
France and then China in that of the secessionists. These facts recall the willing of the United
States of America and the USSR to agree despite of their ideological differences and crises
of leadership within each ideological bloc. While in Africa external influences undermine the
political and ideological solidarity embodied by regional or continental organization.
Key words: Nigeria-Biafra-War-Internationalization-Political - Stakes- Ideological
Stakes.
INTRODUCTION
La guerre du Biafra est le conflit qu’a connu le Nigeria de 1967 à 1970 lorsque
la province orientale du pays, le Biafra, a décidé de faire sécession en annonçant
officiellement la création de la République du Biafra.
L’une des particularités de ce conflit, c’est son ‘‘internationalisation’’1.En effet, pour
un conflit interne à un pays africain dont l’accession à l’indépendance date seulement
de sept ans, la guerre du Biafra a pourtant mobilisé de nombreux acteurs extérieurs
africains et non africains.
En scrutant minutieusement le contexte de ce conflit, l’on est marqué par deux faits
d’importance historique : d’abord il intervient en période de Guerre froide. En outre,
la décennie 1960 est celle de la décolonisation d’un nombre important de territoires
africains. Ces pays indépendants, longtemps étouffés par le système colonial, ont
l’occasion dans cette guerre de s’affirmer politiquement et idéologiquement.
Ces faits nous semblent suffisants pour porter notre réflexion sur les enjeux po-
litiques et idéologiques de ces interventions extérieures parallèlement aux enjeux
économiques très souvent évoqués. Comment comprendre que dans le monde
occidental la France, les Etats-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne par exemple
n’aient pas adopté une position commune dans ce conflit ? Comment comprendre en
outre que la Chine et l’URSS (Union des Républiques Socialistes soviétiques) dans le
monde communiste soient dans des camps opposés ? Enfin, pourquoi en Afrique les
acteurs ont-ils adopté dans ce conflit des positions ramant parfois à contre courant
des tendances politiques et idéologiques qui les ont jusque-là caractérisés ?
Sur l’ensemble de ces préoccupations notamment sur la dimension politique et
idéologique de l’attitude de ces acteurs extérieurs, nous pensons qu’une réflexion est
toujours souhaitable. Car elle contribuerait à cerner encore davantage les contours
de ce conflit.
L’objectif de cette étude est donc de tenter d’élargir l’horizon sur la question avec
le concours de nouvelles sources.
Notre démarche pour y parvenir a consisté essentiellement à confronter les infor-
mations recueillies à partir de la documentation sur cette guerre et à en tirer celles
qui nous ont paru nécessaires par rapport à nos préoccupations. Ces informations
ont été enrichies par de nouvelles sources dont certaines sont constituées par des
personnes ressources ou des acteurs de cette guerre. C’est le cas du témoignage
de Bob Denard2 dans Corsaire de la République. Les versions des Présidents
Houphouët-Boigny dans Félix Houphouët-Boigny. La fin et la suite3 et Omar Bongo
1 BOUTET (R.). L’effroyable guerre du Biafra, Paris, Editions Chaka ,1992, pp.101-130.
2 DENARD (B.), Corsaire de la République, Paris, Robert Laffont, 1998,435p.
3 GRAH MEL (F.), Félix Houphouët-Boigny. La fin et la suite, Abidjan, Les Editions du CERAP/Paris, Karthala,
2010, 614p.
GOLÉ Koffi Antoine(2011). L’internationalisation de la guerre du Biafra (1967-1970) : essai d’analyse
des enjeux politiques et idéologiques.
dans Médiations Africaines. Omar Bongo et les défis diplomatiques d’un continent4
figurent parmi ces nouvelles sources.
Quels sont alors ces enjeux politiques et idéologiques ? En d’autres termes, com-
ment la Guerre froide et la décolonisation de l’Afrique ont-elles été traduites en actes
politiques et idéologiques par des acteurs extérieurs dans la crise biafraise ?
Le rappel du contexte politique et idéologique international, de même que l’ana-
lyse des enjeux politiques puis idéologiques de l’internationalisation de cette guerre
constituent successivement les axes majeurs de notre étude.
4 M’BOKOLO (E.), Médiations Africaines. Omar Bongo et les défis diplomatiques d’un continent, Paris, L’Archipel,
2009,411p.
5 WOLF (J.) et BROVELLI (C.).- La guerre des rapaces. La vérité sur la guerre du Biafra, Paris, Albin Michel,
1969. p.92
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S’ajoutent également à cela les prises de position du Nigéria sur la scène politique
internationale.
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des enjeux politiques et idéologiques.
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8 Il s’agit du Gouvernement Provisoire Révolutionnaire d’Algérie (GPRA) car le pays n’était pas encore indépen-
dant.
9 La position du Maroc s’explique en parti par le fait que ce pays qui convoite la Mauritanie n’est pas soutenu par
les pays du Groupe de Monrovia
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Pour sa part, la Chine justifie sa position « au nom du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes »15, ce principe énoncé dans la charte de l’O.N.U constitue le fondement
officiel du soutien au Biafra de la plupart des pays partisans de la province séces-
sionniste. Ceux-ci évoquent également le génocide dont ils estiment être victimes
les populations de ladite province. En témoignent les sentiments de Julius Nyerere
contenus dans sa déclaration suivante : « Quand la Fédération du Nigeria est deve-
nue indépendante en 1960, la même politique a été adoptée par les peuples qui la
constituaient. Ils ont accepté la structure fédérale instaurée sous le système colonial
et déclaré leur intention de collaborer (…). Mais la constitution de la Fédération du
Nigeria fut violée en janvier 1966 par le premier coup d’Etat militaire. Le second coup
d’Etat écarta tout espoir de remettre les choses en ordre et bien plus encore les po-
groms de septembre et octobre 1966. Ces événements ont bouleversé de fond en
comble les bases de la société. Désormais, il devient impossible de rétablir les relations
politiques et économiques entre les différentes parties de l’ancienne Fédération »16
Les motivations du Président Tanzanien sont donc d’ordre humanitaire. Il y a certes
un dysfonctionnement de cette Fédération qui est dénoncé. Mais le gigantisme du
pays semble aussi perturber la sérénité des partisans du Biafra. Le Président Omar
Bongo qui l’évoque dit : « Le Nigeria ? C’est trop vaste. Ce qui serait viable, c’est trois
ou quatre Etats confédérés »17.
Jacques Foccart ne semble pas dire le contraire lorsqu’il affirme : « Pour la France,
le Nigeria était un pays démesuré par rapport à ceux que nous connaissions bien…
La guerre a duré deux ans et demi. Les positions ont évolué. Du début jusqu’à la fin
du conflit, Houphouët-Boigny a tenu le parti du Biafra, ne s’en est pas caché, et a fait
pression constamment sur la France. La position initiale du Général (de Gaulle), je
peux vous dire exactement comment il l’a définie, trois semaines après l’ouverture
du conflit ; nous ne devons ni intervenir, ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais
tout compte fait, le morcellement du Nigeria est souhaitable, si le Biafra réussit, ce
ne serait pas une mauvaise chose. Notez bien le «morcellement du Nigeria» : c’est
la raison essentielle, car c’est stratégique. Quoiqu’on pense de la balkanisation de
l’Afrique francophone, elle existe. Au cœur de cet exemple, le Nigeria est un géant
redoutable »18. Des moyens sont mis en œuvre pour l’aboutissement du projet. Selon
Jacques Foccart, « des milliers de tonnes d’armements sont acheminées ; les armes,
les munitions, les avions affrétés, les pilotes et les mercenaires ont été financés
pompeusement malgré l’austérité budgétaire française après 1968 »19. Ce soutien
français a la particularité d’être discret. Il semble que cette stratégie évite de choquer
la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale du Nigeria.
Les pays de transit connus pour le transport de cette logistique de guerre sont le
Gabon, la Côte d’Ivoire, et Sao Tomé. Concernant l’itinéraire de Sao Tomé, Rémy
Boutet écrit : « Les armes partent dans le Nord du Transvaal, passent par le Botswana,
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l’Angola (car liée aux Portugais) et Sao Tomé avant d’arriver au Biafra »20. Cette voie
serait utilisée pour le transport dans armes légères. Par ailleurs, Elikia M’Bokolo qui
rapporte le témoigne des Gabonais, écrit : « Tout passait par l’aéroport de Libreville
qui ressemble à une ruche. Les avions arrivaient d’Europe le soir, d’autres partaient
la nuit, revenaient au petit matin… Des armes, des munitions, des vivres, du matériel,
des soldats passaient par ici pour aller au Biafra […]. Nous, on voyait tout ce tohu-
bohu sans bien comprendre ce qui nous arrivait »21. L’on estime à cent quatre-vingt-
neuf le nombre de vols d’avions à l’aéroport de Libreville entre 1968 et 1969.Sur le
rôle joué par la Côte d’Ivoire, le mercenaire français Bob Denard fait le témoignage
suivant : « J’ai traité un contrat de livraison d’armes avec la firme tchèque Omnipol.
Afin de régler le coût de ces opérations de grande envergure, la cellule élyséenne
de Jacques Foccart a fait transiter des fonds par la Côte d’Ivoire, dont le Président,
Houphouët-Boigny, est coutumier de ce genre de manipulation. Deux milliards de
francs en liquide, bien serrés dans des malles gardées par des hommes sûrs, ont donc
transité par l’habituelle filière d’une société française, sous la houlette de son direc-
teur »22. En Afrique, le Président Houphouët –Boigny a été un des acteurs importants
de cette crise biafraise. Les autorités sud-africaines ont également fourni des armes
au général Ojukwu, autorité politique et militaire représentant les sécessionnistes sur
les conseils de la France.
Cet appui militaire est complété par des actions diplomatiques. C’est notamment
le cas de la tentative d’inscription du conflit à l’Assemblée générale de l’O.N.U. Mais
cette initiative échoue : «Depuis le 18 juillet 1968, Monsieur U. Thant, Secrétaire Gé-
néral de l’O.N.U. déclare sa confiance à l’O.U.A. pour résoudre la guerre du Biafra. Il
estime en outre que l’O.N.U. ne peut intervenir dans le conflit, si la demande n’émane
pas du Gouvernement fédéral»23.
La Fédération du Nigeria gêne par son importance démographique, ses nom-
breuses potentialités économiques et ses ambitions politiques internationales. La
sécession biafraise apparaît donc comme un moyen de l’affaiblir. Mais elle n’est pas
seule. Elle a également des partisans.
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africains s’était prononcée en faveur d’un Nigeria unitaire et qu’elle recueillerait donc
de solides sympathies en prenant fait et cause pour Lagos »29. Notons que l’Egypte,
un des pays alliés de l’U.R.S.S., fait partie des partisans affichés de la Fédération.
En tout été de cause, la crise biafraise apparaît comme une occasion pour
l’U.R.S.S. de se réhabiliter politiquement en Afrique de l’Ouest après les expériences
presqu’infructueuses avec le Ghana de Kwame N’Krumah et la Guinée ‘’sékoutou-
rienne’’.
De nombreux Chefs d’Etats africains se sont montrés particulièrement actifs dans
leur soutien à la Fédération. C’est le cas d’Hamani Diori du Niger qui affirme le 17
avril 1968 : « Il n’est pas question pour le Niger de reconnaître le Biafra »30. Le Pré-
sident Modibo Kéita de la République du Mali s’est montré hostile à cette sécession
biafraise. Car il estime que « son succès constituerait un précédent très grave pour
l’unité politique de chaque pays. »31. A l’instar de leurs adversaires pro-biafrais, les
partisans de la Fédération vont eux aussi mener des actions diplomatiques et militaires
en vue de faire aboutir leur idéal politique.
Au niveau diplomatique, les premières initiatives sont prises par l’O.U.A. Elle a
réuni un Sommet en septembre 1967 à Kinshasa au Congo-belge. A cette rencontre,
outre la volonté exprimée des Chefs d’Etat qui «adoptent à la majorité absolue une
résolution témoignant de leur soutien total au Gouvernement militaire fédéral»32,
une délégation est constituée. Placée sous l’autorité de l’Empereur Hailé Sélassié
d’Ethiopie, elle a pour mission principale d’œuvrer à un retour de la paix au Nigeria.
D’autres rencontres sont initiées comme celles d’Addis-Abeba d’août-septembre
1968, puis de septembre 1969.
Moins active que l’O.U.A., l’O.N.U. estime que la guerre du Biafra est une crise
interne au Nigeria. Ainsi, confie-t-elle sa gestion à l’O.U.A. après s’être alignée sur la
position de cette dernière. Cette position est le respect du principe de la non ingérence
dans les affaires intérieures d’un pays.
La confiance qu’elle a placée en l’Organisation panafricaine dans le règlement de
la crise et la non inscription de celle-ci dans les débats de son Assemblée générale
apparaissent comme un désaveu à l’endroit des partisans du Biafra.
Concernant la Grande-Bretagne, on peut retenir deux faits majeurs. Le premier
est relatif à l’organisation d’une rencontre entre les fédéraux et les sécessionnistes
à Londres (Grande Bretagne) les 6 et 7 mai 1968. L’objet de cette rencontre est de
négocier la paix entre les belligérants. Le second est la tiédeur avec laquelle les
autorités britanniques accueillent les démarches ivoiriennes visant à soutenir les
sécessionnistes à l’occasion de la visite du ministre ivoirien des Affaires Etrangères
à Londres du 8 au 16 novembre 1968. Une visite qui vise à persuader ces autorités
sur la nécessité de soutenir le Biafra.
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Les Etats africains ne sont pas restés passifs sur cette scène diplomatique inter-
nationale. Le Niger par exemple «a apporté à la cause fédérale un soutien constant
durant les deux années et demie de la guerre civile»33. En début d’année 1969,
Hamani Diori s’est rendu à Paris pour convaincre le Général de Gaulle de modérer
son soutien au Biafra.
Des initiatives militaires complètent ces actions diplomatiques. La Grande Bretagne
et l’U.R.S.S. y jouent un rôle déterminant. Selon Pierre Micheletti, « le Royaume-
Uni et l’U.R.S.S. appuient le Gouvernement fédéral et lui fournissent des armes »34.
Les statistiques montrent qu’en 1967, la Grande Bretagne pourvoit la Fédération en
armes pour 47,84%. Ce pourcentage est passé à 79,19% en 1968, puis 97,36% en
1969. Les Britanniques n’excluent pas d’engager des mercenaires pour compenser la
faiblesse de l’armée fédérale et défendre leurs importants intérêts économiques. La
Grande Bretagne contrôle une grande partie du pétrole nigérian à travers ses sociétés
pétrolières dont BP (British Petroleum). Concernant l’U.R.S.S., elle aurait fourni au
Gouvernement fédéral pour la seule année 1967, 10 Mig-17, 6 Mig-UTI, 3 bateaux
Torpédo, des bombes, munitions et petites armes. Il semble que ce sont les avions
offerts par l’U.R.S.S. aux fédéraux qui leur «donnent le contrôle tactique des airs et
leur permettent aussi d’entreprendre de nombreuses missions de bombardement du
territoire biafrais»35. Les armes de la Fédération transitent par des pays parmi lesquels
figurent la Belgique, la Pologne, l’Algérie et l’Egypte.
Si toutes ces initiatives politiques extérieures ont conféré à la guerre du Biafra ses
enjeux politiques, celle-ci ne reste pas non plus en marge des enjeux idéologiques.
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des deux camps antagonistes des pays qui, idéologiquement, ne devraient pas l’être.
En réalité cette guerre n’a fait que traduire dans les actes le contexte idéologique du
moment : le rapprochement entre les Etats-Unis d’Amérique et l’U.R.S.S. d’une part,
puis les crises de leadership au sein de chaque bloc idéologique d’autre part.
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Partisan d’une « Europe des patries »38 au détriment d’une Europe élargie, le Gé-
néral de Gaulle incarne la politique internationale de la France au cours des années
1960. Cette politique est axée sur une volonté d’indépendance nationale et le refus
de l’hégémonie américaine. La remise en cause de la suprématie du dollar américain
participe de cette volonté d’autonomie. Et la dotation de la France de son propre outil
de défense avec la bombe A en 1960 et la bombe H en 1968 conforte cette vision
internationale de la politique gaullienne. En Afrique, ayant été informé de ce que le
Président Mobutu du Congo-Kinshasa faisait la promotion du projet des ‘’Etats-Unis
d’Afrique’’ auquel de Gaulle était opposé, ce dernier estime que « ce sont les Belges
et les Américains qui sont derrière… »39.
Ces exemples et faits parmi d’autres permettent de comprendre l’état des relations
entre les deux pays durant l’ère gaullienne. Les rapports entre la France et le Nigeria
ont été certes émaillés d’incidents. Mais au moment de l’éclatement de la guerre, ces
incidents semblent clos : les relations diplomatiques entre les deux pays ont repris
en 1966 par un échange de chargés d’Affaires à la suite d’»une lettre éminemment
déférente du Premier ministre nigérian…»40 Le Général de Gaulle a exigé des autorités
nigérianes la reconnaissance de leur tort avant le rétablissement desdites relations.
Par ailleurs, un soutien français à la Fédération aurait contribué à dissiper l’antago-
nisme franco-britannique. Pourtant le Général de Gaulle est demeuré dans sa position
au cours de la guerre. En réalité l’autonomie de la France recherchée par de Gaulle
s’accommode mal d’un soutien à la Fédération. Car cela suppose que la France serait
dans le même camp que les Etats-Unis d’Amérique dont elle conteste le leadership,
et la Grande Bretagne avec laquelle elle a un contentieux politico-idéologique.
Au demeurant l’implication des principaux animateurs de la Guerre froide confère
une dimension idéologique à la guerre du Biafra : les positions des Etats-Unis
d’Amérique et de l’U.R.S.S., puis celles de la Chine et de la France reflètent bien le
contexte idéologique de cette époque. En Afrique également, les solidarités idéolo-
giques traditionnelles n’échappent pas à ces contradictions internes.
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cette époque »43. La réconciliation entre le Gabon et le Nigeria a été difficile. Mais
elle eut lieu. «Dès le 1er octobre 1970, le Président Bongo envoya un signal fort à
Yakubu Gowon : une délégation gabonaise assiste aux fêtes de l’indépendance du
Nigeria»44. Le Togo et le Cameroun ont contribué à cette réconciliation pour avoir
joué les bons offices. Avec la Côte d’Ivoire, les «ambitions régionales»45 de Gowon
ont dû constituer un des facteurs déterminants dans la réconciliation.
Ce déficit de solidarité idéologique trouve en partie sa justification dans les influen-
ces extérieures et les relations particulières que certains pays entretiennent avec des
pays occidentaux. Par exemple sur l’engagement du Président sénégalais Léopold
Sédar Senghor aux côtes des Biafrais, le Général de Gaulle dit : « en ce qui concerne
le Biafra, je lui ai dit que l’identité du peuple biafrais devait être reconnue, et qu’en
ce qui concerne les liens avec Lagos, il fallait peut-être s’orienter vers la recherche
d’un système confédéral »46. Le Président sénégalais ne s’est pas démarqué de cette
vision, affirme Jacques Foccart : « Senghor a bien analysé la question ; dès sa sortie
de l’Elysée, il a adopté cette position et, depuis, il l’a plusieurs fois réaffirmée »47.
Cette position du Président Senghor et de bien d’autres dirigeants africains découle
très souvent des relations étroites, voire privilégiées, qu’ils entretiennent avec les
puissances étrangères. Ces relations ont contribué à affaiblir les blocs africains de
solidarité idéologique au cours de ce conflit biafrais.
CONCLUSION
Menée dans un contexte de Guerre froide et de décolonisation de l’Afrique avec
notamment l’existence de deux tendances idéologiques, la guerre du Biafra épouse ce
contexte des relations internationales. La passion qu’elle suscite à travers le monde,
qui se traduit par des implications extérieures, n’est pas fortuite. Elle obéit en partie
à des enjeux politiques et idéologiques.
Politiquement, la guerre du Biafra a opposé les défenseurs de l’unité du Nigeria et
les partisans de la fragmentation de ce pays. La victoire des premiers sur les seconds
peut s’interpréter également comme celle des défenseurs de l’unité politique de l’Afri-
que et surtout l’unité politique à l’intérieur des frontières héritées de la colonisation.
Au niveau idéologique, cette guerre confirme dans l’ensemble les rapports inter-
nationaux existants. Elle montre en effet encore une fois la volonté des Etats-Unis
d’Amérique et de l’URSS de s’accepter malgré leurs particularismes et des motivations
qui ne sont pas forcément les mêmes. Elle révèle en outre les crises de leadership
que connaissent les deux grands blocs communiste et occidental au cours des an-
nées 1960. La guerre du Biafra montre enfin qu’en Afrique où la plupart des dirigeants
sont encore étroitement liés à ceux des puissances étrangères, il est difficile aux
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