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Finance des risques catastrophiques: Le marché américain est en plein bouleversement

Author(s): Erwann Michel-Kerjan


Source: Revue économique, Vol. 64, No. 4 (Juillet 2013), pp. 615-634
Published by: Sciences Po University Press
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23484839
Accessed: 28-02-2019 09:41 UTC

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Finance des risques catastrophiques
Le marché américain est en plein bouleversement

Erwann Michel-Kerjan*

Les catastrophes en série survenues depuis 2001 aux États-Unis ont causé
des pertes historiques et obligent à repenser les fondamentaux de la couverture
financière du risque et le rôle des secteurs public et privé en matière d'assurabi
lité des désastres. Dans un marché fortement régulé, aux intérêts économiques
et politiques locaux importants, les grands assureurs se désengagent des États
américains les plus exposés, faute de pouvoir charger le prix qu 'ils estiment néces
saire, faisant place à un mixte d'assurance publique fortement subventionnée et
de financement ex post à travers des programmes fédéraux d'aides aux victimes
non assurées de plus en plus sollicités. Une situation paradoxale dans un pays
souvent considéré en Europe comme l'antre du « tout marché ». Si l'intervention
gouvernementale dans les marchés d'assurance peut être légitime en cas de limite
d'assurabilité afin de bénéficier d'un coût du capital plus faible pour couvrir des
risques véritablement extrêmes, cette situation est intenable à long terme, car elle
soutient un cercle vicieux de prise de risque qui accroît la vulnérabilité. Des propo
sitions alternatives sont actuellement évaluées par le Congrès américain.

CATASTROPHE RISK FINANCING:


THE ONGOING US MARKET UPHEAVAL

The series of unprecedented catastrophes that occurred in the us since 2001


have triggered historical economic and insured losses. Today there is a strong
national debate about the role and responsibilities of the public and private sectors
in providing financial protection against future disasters. U.S. catastrophe insu
rance markets are highly regulated and, as a result of local political interests,
insurers cannot charge the premiums they consider necessary to continue doing
business in several of the most exposed states of the Union. In the past decade,
state and federal insurance has grown very significantly there, providing artificially
low rates to those living in high risk areas. Federal disaster relief to uninsured and
affected areas has reached record high level too. While public insurance can be
legitimized when private insurers refuse to cover some risks or to access cheaper
capital than through international markets, the path America has taken is unsustai
nable. The us Congress is currently examined several alternative proposals.

Classification JEL : G22, G28, H50, H84

* The Wharton Business School, University of Pennsylvania, Philadelphie, PA, États-Un


Département d'économie, École polytechnique, Palaiseau et OCDE, Paris, France. Correspondan
The Wharton School, University of Pennsylvania, 3730 Walnut Street, Huntsman Hall, Room 55
Philadelphia, PA 19104-6340. Courriel : erwannmk@wharton.upenn.edu
Je remercie Jean-Marc Talion et un arbitre anonyme pour leurs commentaires constructifs s
une version antérieure de cet article, ainsi que Roger Guesnerie, Claude Henry, Marc Henry, Phil
Mongin et les autres participants au séminaire de remise du prix 2012 de la Revue. Je remercie
Chaire AXA à l'École polytechnique, le Wharton Risk Center et la National Science Founda
américaine pour leur support financier.

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Revue économique - vol. 64, N° 4, juillet 2013, p. 615-634

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La situation se passe à Washington, où siège le Congrès américain, durant


l'été de 2011. L'ouragan Irène vient de toucher les États-Unis, balayant les côtes
de la Floride au sud jusqu'à celles des États du Nord. Les dégâts sont impor
tants, même si le pire semble avoir été évité. Décision inédite, le maire de New
York, Michael Bloomberg, a fait évacuer l'ensemble de la ville par mesure de
précaution. L'ouragan diminuera d'intensité avant de toucher la mégalopole,
mais occasionnera tout de même 15 milliards de dollars de dégâts.
Les assureurs et réassureurs privés paieront 4 milliards de dollars d'indem
nités. Mais qu'en est-il des victimes non assurées et des dommages aux infra
structures ? Sur cette question, le débat fait immédiatement rage au Congrès.
Éric Cantor, le très influent majority leader de la House (équivalent, en France,
du président de l'Assemblée nationale) et plusieurs autres députés républicains
demandent à ce que toute aide financière fédérale octroyée aux victimes non
assurées de cette catastrophe soit contrebalancée par une coupe sèche dans
d'autres programmes gouvernementaux. Il s'agit de limiter l'impact sur le défi
cit budgétaire du pays, déjà source de fortes controverses. C'est là une vision
partagée par de nombreux libéraux qui soutiennent une intervention réduite du
gouvernement dans les affaires économiques et sociales (Hernandez [2011]).
Très vite cependant, sous forte pression médiatique, d'autres députés, bien
que du même parti politique, rejettent cette position. Ils représentent les habitants
des zones dévastées par l'ouragan. Pour eux, aider ceux dans le besoin après une
catastrophe est un principe régalien de l'État, qui doit être prioritaire sur toute
obligation budgétaire, même si cela peut créer un aléa moral en réduisant encore
plus la demande d'assurance dans le futur. Plusieurs milliards de dollars d'aide
fédérale seront octroyés aux zones dévastées, sans que la question budgétaire ne
soit plus jamais posée.
Cet épisode s'inscrit dans un revirementplus général, observé outre-Atlantique
depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Souvent peints comme
l'antre du « tout marché », creuset du libéralisme économique, les États-Unis
sont en train de transformer radicalement les rôles et les responsabilités de la
sphère publique et des marchés d'assurance dans le domaine de la couverture
financière des catastrophes. Parce que le pays a connu une série historique de
désastres de grande ampleur extrêmement coûteux en l'espace de dix ans, cette
question est devenue un élément central de politique économique. Pour preuve,
un des récents rapports annuels du président, qui annonce la politique écono
mique de toute l'Administration américaine, consacre un chapitre entier à ce
sujet (White House [2007]).
Au cœur de cet intérêt grandissant se posent les questions suivantes : qui
paiera pour le coût des désastres futurs ? Quelles sont les limites d'assurabilité par
le marché ? Quel partage de risques durable peut être mis en place entre individus,
assureurs privés et gouvernement(s)1 ? Comment mieux inciter à la prévention ?
Bien sûr, la réponse à ces questions dépendra du pays que le lecteur considé
rera, de sa culture gouvernementale, de la maturité de son marché d'assurance
et de réassurance, des systèmes de régulation en place, parmi beaucoup d'autres

1. Cette question est d'actualité non seulement aux États-Unis mais dans un nombre croissant
de pays. Par exemple, le Forum économique mondial, qui réunit tous les ans à Davos en Suisse plus
de deux mille décideurs de la planète, compte désormais de manière régulière un grand nombre de
sessions portant sur les événements extrêmes.

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spécificités nationales. Elle dépendra également du fait que le pays a connu, ou


pourrait connaître dans un avenir proche, plusieurs catastrophes, qu'elles soient
d'origine naturelle, terroriste, technologique, sociopolitique ou financière.
Pour l'économiste, ces réponses ont typiquement à voir avec l'efficacité des
marchés et la légitimité de l'intervention gouvernementale (et sa nature). Cet
article, qui s'inspire de nombreux échanges avec Claude Henry depuis quinze
ans, propose d'aborder cette problématique en utilisant les États-Unis comme
un cas illustratif.

Notons ici plus généralement que le domaine de l'économie des catastrophes


est en plein essor2. La demande d'expertise est croissante pour un très grand
nombre de pays et d'entreprises. En prenant le risque de confronter ses idées
et d'échanger avec les acteurs du marché et les décideurs politiques, l'écono
miste s'offre la possibilité de voir ses propositions adoptées à grande échelle et
ainsi d'affecter positivement des millions de vies3. Mon maître et ami Claude
Henry, qui l'a tant fait avec éclat, y verra sûrement la trace de son enseignement
à l'École polytechnique... Le choix, par la Revue économique, du professeur
Henry comme premier lauréat de son prix démontre d'ailleurs bien l'importance
qu'elle apporte à une recherche rigoureuse qui se veut également transformative.
Cet article se compose de cinq sections. Après cette introduction, la deuxième
section fera un point bref sur une particularité du financement des catastrophes :
cette protection est typiquement onéreuse du fait du coût du capital élevé que
les assureurs doivent mobiliser en cas d'événement extrême. La section suivante
montre que les États-Unis ont été touchés par des catastrophes sans précédent
ces dernières années et discute la nouvelle échelle des pertes économiques. La
quatrième section analyse comment ces coûts historiques ont obligé les assu
reurs et réassureurs privés à reconsidérer l'assurabilité des catastrophes et son
prix. Cela a engendré une transformation du partage de risques entre assurance
privée et sphère publique, cette dernière prenant un rôle plus important que
par le passé, non seulement comme réassureur de dernier ressort, mais aussi
comme assureur de premier ressort. L'intervention gouvernementale se traduit
aussi par des politiques d'aide gouvernementale beaucoup plus généreuses pour
les régions dévastées par les catastrophes que ce n'était le cas il y a une ou
deux générations.
La cinquième section discutera de la rationalité de l'intervention gouverne
mentale dans les marchés d'assurance catastrophe. Celle-ci peut être légitime afin
de rendre l'assurance plus abordable puisque le coût du capital pour le gouver
nement est typiquement bien plus faible que pour les assureurs et réassureurs, a
fortiori quand les queues de distribution des risques à couvrir sont épaisses. Mais
cette intervention ne doit pas se faire aveuglement pour des raisons seulement
politiques car elle a, à terme, des effets négatifs sur la demande d'assurance et

2. Plusieurs travaux plus macroéconomiques ont également été publiés récemment qui traitent
des catastrophes. Voir, par exemple, Barro [2006], Barro et Ursua [2008], Gourio [2008], Martin
[2008], Hallegatte et Ghil [2008], Hallegatte et Dumas [2009], Gabaix [2011], Strobl [2011],
3. Au cours des cinq dernières années, je me suis beaucoup exprimé sur la nécessité de réformer
en profondeur le système d'assurance inondation aux États-Unis qui couvre plus de 1 200 milliards
de dollars de biens. À l'été 2012, le Congrès américain et le président Obama ont signé une réforme
de fond de ce système, très largement inspirée des propositions faites par notre équipe de recherche
à la Wharton School. Voir Michel-Kerjan [2010], Michel-Kerjan et Kousky [2010], Michel-Keijan
et Kunreuther [2011, 2012a, 2012b], Czajkowski et al. [2012],

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peut conduire à une prise de risques excessive. La dernière section conclut en


proposant un programme combinant assurance actuarielle et chèques assurance
pour les plus démunis, qui est actuellement en cours d'évaluation au Congrès
américain.

POURQUOI L'ASSURANCE DES CATASTROPHES


EST-ELLE COÛTEUSE ?

L'assurance traditionnelle (auto, vie) repose sur la diversification du risque


du portefeuille de l'assureur sur un grand nombre d'assurés dont les risques sont
essentiellement indépendants. Cela permet ainsi un prix de marché relativemen
proche de la perte espérée.

Cela est très différent de l'assurance des catastrophes pour laquelle la prim
à la charge de l'assuré peut être un multiple de cette espérance de pertes, ou
prime pure. Comme je le montre ici à l'aide d'exemples simples, cette diff
rence est très largement induite par le coût du capital que l'assureur doit mob
liser pour démontrer aux régulateurs et aux agences de notation qu'il aura les
réserves nécessaires pom honorer ses engagements au lendemain d'un désastre
affectant une large partie de son portefeuille. Cette immobilisation du capita
est onéreuse.

Pourtant, l'importance du capital dans la notion d'assurabilité et la détermi


nation d'une prime garantissant un taux de rendement suffisant pom les action
naires des compagnies d'assurances sont souvent insuffisamment comprises. En
fait, une grande partie du débat public actuellement en cours aux Etats-Unis
entourant l'idée d'un prix de l'assurance catastrophe équitable (fairpremium) s
base implicitement sur la seule prime pure. En d'autres termes, l'assuré devrait
selon cette vision, payer uniquement la perte espérée du risque qu'il transfère à
son assureur (Kunreuther et Michel-Keijan [2011]).

Une notion élargie de la notion de prime équitable peut alors découler de


l'idée d'un «juste » taux de rendement du capital. Un juste retour offre à l'inves
tisseur un rendement concurrentiel sur le capital, de telle sorte que cet investi
seur veut placer ses fonds auprès de l'assmeur plutôt qu'ailleurs. Afin d'offrir
un juste retour, la prime devra donc couvrir tous les coûts (sinistres, frais adm
nistratifs de toutes sortes et les taxes), et aussi produire un rendement attendu
l'investissem égal à ce «juste » retour sur investissement.

Le montant du capital nécessaire dépend bien sûr des caractéristiques de l'as


sureur (portefeuille d'assurés, portefeuille d'actifs) et de l'efficacité de sa straté
gie de gestion des risques. Or, chaque police d'assurance souscrite par l'assureu
a une influence sur le montant de capital auquel il doit pouvoir avoir accès. Ains
si un nouvel assuré entre dans le portefeuille sans que le niveau de capital ne soit
modifié, la probabilité de défaut de celui-ci augmente ; l'augmentation dépend
du risque et de la corrélation de ce nouveau risque avec le reste du portefeuill
et des autres actifs détenus par l'assureur.

Et c'est là une difficulté essentielle de la finance des risques catastrophiques :


ces risques ont non seulement des distributions à queue épaisse (fat-tail en

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anglais)4, mais exhibent aussi un haut niveau de corrélation ou de dépendance.


Cette dépendance peut prendre plusieurs formes. Les pertes lors d'un désastre
majeur sont souvent géographiquement corrélées. Quand une catastrophe frappe
une région, un grand nombre de structures sont toutes affectées simultanément.
Dans la pratique, cette corrélation diminue avec la distance spatiale des biens
assurés. Quand elle approche zéro, cela permet aux assureurs de diversifier
leur portefeuille à travers différentes régions d'exposition. Notons néanmoins
qu'être proche de zéro ne veut pas dire nulle. En fait, même un faible niveau
de corrélation entre polices d'assurance dans un même portefeuille peut poser
problème lorsque les risques sont agrégés (Kousky et Cooke [2012]). C'est parce
que la corrélation entre de telles variables agrégées est croissante, comme nous
pouvons le voir en calculant la corrélation 0 entre deux portefeuilles de taille N
identique, donnée par la formule suivante :

ZX„ £ x,)=
t= 1 / = N+ 1 Net2 + N(N — l)0ct2'

où o est la covariance entre polices d'assurance individuelles


Ce qui se réécrit :

fliVN y V2N y ) - NO ,
Aí'^í = N+1 1 + (N —1)0 N-oo

De plus, quand les catastrophes surviennent, elles affectent sou


lignes d'assurance simultanément (résidences, véhicules, entrep
tion d'activités, etc.), ce qui introduit une autre dépendance, cell
distribution épaisses. Cela signifie que la probabilité qu'une var
certain percentile, étant donné qu'une autre l'a dépassé, est posit
Revenons maintenant à cette notion de «juste » prix de l'assu
fournit un juste taux de rendement des capitaux propres inves
l'exemple hypothétique suivant qui, pour simplifier, ne tient p
taxes et des contraintes réglementaires. Considérons un portef
qui a 1 milliard d'euros d'espérance de pertes, E(L). Notons k le
sur l'espérance de pertes qui permet à l'assureur de maintenir
crédit. Pour cet exemple, prenons k= 1, une valeur utilisée par
assureurs en matière de responsabilité civile (Doherty [2000]).
En plus de payer les pertes assurées, l'assureur met de côté d
couvrir les dépenses supplémentaires (X) sous la forme de comm
agents et courtiers, pour les frais d'estimation des pertes, etc.
exemple X = 200 millions d'euros. Compte tenu des caractéristi
feuille de cet assureur, les investisseurs exigent un rendement su

4. La définition mathématique précise de « distribution à queues épaisses


[2007]), mais une notion simplifiée est que la variable de pertes X a une distribu
si, pour des valeurs x suffisamment grandes, la probabilité que X soit supérieur
a, k > 0. La variable a est appelée indice d'aplatissement. Il a été montré que le
relles suivent souvent une telle loi (voir, par exemple, Zajdenweber [2009] ;
Holmes et al. [2008]).
5. Voir, par exemple, Lescourret et Robert [2006] qui ont montré ce phénomèn
grand nombre de tempêtes en France.

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(roe) de 15 % pour compenser le risque. L'assureur investit ses fonds dans des
produits peu risqués avec un rendement attendu, r, de 5 %.
Quelle prime % l'assureur doit-il facturer à ses assurés pour les couvrir contre
certains risques et garantir un rendement de 15 % à ses investisseurs ?
Cette prime peut être calculée comme suit :

E(L) + X(1 + r)
K (1 + r) ~ À:(ROE - r)'

ce qui donne n = 1,274 milliard d'euros.


L'assureur doit donc ajouter un taux de chargement À de 27,4 % en plus de la
perte espérée de ce risque.
Nous le voyons bien, ce calcul est très sensible au paramètre k. Dans l'exemple
précédent, le rapport était d'un euro de capital pour chaque euro d'exposition.
Pour les risques catastrophiques, avec une distribution à queue épaisse, le ratio
capital-responsabilité doit être plus élevé.
Pour un financement des sinistres de taille moyenne, cela peut se traduire par
un taux de chargement À se rapprochant de 50 %. Quand il s'agit de la couverture
de risques véritablement catastrophiques, le coût en capital relatif est encore
beaucoup plus élevé. Pour les couches supérieures de distributions d'événements
extrêmes6, la perte espérée est souvent assez faible mais la variance est très
élevée. Aussi le capital nécessaire doit-il être beaucoup plus important que celui
utilisé dans l'exemple précédent.
Prenons comme second exemple les mêmes conditions que précédemment
(i.e. E(L) = 1 milliard) mais avec X = 600 millions d'euros et k = 5. La prime
requise est maintenant 2,964 milliards d'euros, plus de deux fois la valeur de
7t calculée dans le premier exemple, et maintenant près de trois fois la perte
espérée.

(1 + À)E(L) = (1 + 1,964) 1 000 000 000


= 2 964 000 000 euros k 3 E(L).

En d'autres termes, pour couvrir cette exposition potentiellement catastro


phique, le taux de chargement est maintenant de 1,964 ( 196,4 %). Cela ne reflète
pas une rentabilité excessive, mais simplement que les assureurs ont besoin de
capitaux plus importants pour fournir cette assurance.
Cet écart, significatif, entre prime pure égale à l'espérance de perte et celle
finalement à la charge des assurés pour les risques véritablement catastrophiques,
sera plus important encore si le marché d'assurance fait face à un plus grand
nombre de catastrophes qui requièrent beaucoup de capital, et augmente son
coût (voir Godard et al. [2002], Charpentier [2007], Zajdenweber [2009], pour
une discussion plus approfondie de la question d'assurabilité des catastrophes).

6. Depuis le milieu des années 1990, plusieurs outils financiers ont été développés de manière
à transférer de l'exposition au risque de catastrophes, non plus aux assureurs, mais directement aux
investisseurs sur les marchés financiers (de types cat bonds, ilws, cat swaps) (voir wef [2008],
Barrieu et Albertini [2009], oecd [2010]). Plusieurs milliards de dollars d'exposition sont ainsi
couverts contre les catastrophes naturelles, les pandémies et les actes de terrorisme.

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UNE SERIE DE CATASTROPHES SANS PRECEDENT


AUX ÉTATS-UNIS

Les pertes économiques directes liées aux catastrophes naturelles survenues


à travers le monde (tempêtes, inondations, séismes, feux de forêts, etc.) sont
en forte augmentation : celles-ci ont coûté 528 milliards de dollars entre 1981
et 1990,1 200 milliards entre 1991 et 2000 et 1 600 milliards de dollars entre 2001
et 20117 (Munich Re [2012]).
Regardant plus particulièrement les montants de pertes assurées liées aux
grandes catastrophes, la figure 1 (données corrigées pour l'inflation ; prix 2012)
démontre très clairement une tendance de fond. Depuis les années 1990, les
catastrophes ont eu un impact beaucoup plus important sur les assureurs que dans
l'histoire de l'assurance avant cela. Entre 1970 et le milieu des années 1980, les
montants annuels de pertes assurées dues à des catastrophes naturelles dans le
monde se situaient entre 3 et 4 milliards de dollars (prix 2012). Les tempêtes de
1987 en Europe et l'ouragan Hugo de 1989 aux États-Unis furent les deux
premiers sinistres à coûter plus d'un milliard de dollars aux compagnies
d'assurances.

Dans les années qui suivirent, l'échelle des montants a changé radicalement.
A lui seul, l'ouragan Andrew de 1992 en Floride coûta plus de 26 milliards de
dollars aux assureurs et réassureurs ; deux ans plus tard, le séisme de Northridge
en Californie engendra 22 milliards de pertes assurées. En d'autres termes, ces

Figure 1. Évolution mondiale des montants assurés des catastrophes, 1980-2012

■ Catastrophes industrielles
■ Catastrophes naturelles
□ Attaques terroristes 11 septembre

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Axe des ordonnées en milliards de dollars, prix 2012 corrigés de l'inflation.

7. Au-delà des pertes économiques, les dernières années ont aussi été marquées par des tragédies
humaines en série : 35 000 morts en 2003 lors de la canicule en Europe, 220 000 en décembre 2004
lors du tsunami dans le Sud-Est asiatique, 140 000 en mai 2008 lors de l'ouragan majeur Nargis
(Myanmar), 70 000 le même mois lors du séisme dans la région de Sichuan en Chine, 250 000 lors
de la suite du séisme de 2010 en Haïti, pour ne citer que quelques exemples.

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deux « super » catastrophes américaines ont causé, à elles seules, autant de pertes
pour les (ré-)assureurs mondiaux que toutes les catastrophes, origines confon
dues, survenues dans le monde au cours de la décennie précédente.
Et, bien que la tendance semblait revenir à la baisse à la fin des années
1990 comme le montre la figure 1, les attentats du 11 septembre 2001 (alors la
catastrophe la plus coûteuse de l'histoire de l'assurance mondiale, avec plus de
38 milliards de pertes assurées ; prix 2012) et une série d'ouragans et d'inonda
tions sans précédent confirmaient cette tendance vers des désastres extrêmement
coûteux. En 2004, quatre ouragans majeurs dévastaient la Floride en l'espace de
quelques semaines (ouragans Charley, Frances, Ivan, et Jeanne) et engendraient
collectivement des dégâts très lourds et des pertes assurées de 35 milliards de
dollars. Il est à noter ici qu'aucun modèle de quantification du risque de tempêtes
disponible en 2004 n'avait prévu l'éventualité que quatre ouragans puissent
survenir, au même endroit, dans un laps de temps si court.
L'année suivante, trois autres ouragans majeurs touchaient à nouveau les
États-Unis. En août 2005, l'ouragan Katrina, le plus dévastateur, causait près
de 200 milliards de dollars de pertes, dont un quart était couvert par les marchés
d'assurance privés8. Plus de 1 300 personnes perdaient la vie - un triste record
pour une catastrophe naturelle aux États-Unis. En 2008, un autre ouragan de forte
intensité touchait l'État du Texas au sud du pays, causant près de 20 milliards
de pertes assurées. Nous le voyons bien ici, nous sommes loin des montants des
années 1970 ou 1980.

En 2011, à ce jour l'année 1a. plus coûteuse de l'histoire des catastrophes,


c'est le Japon, pourtant considéré comme le pays le mieux préparé au risque
sismique, qui affronta une succession d'événements extrêmes en chaîne :
séisme majeur, raz-de-marée historique et catastrophe nucléaire. Près de
20 000 personnes y ont perdu la vie, et des zones entières du pays ont été rava
gées par les eaux ou par les radiations (qui les rendent inhabitables pour des
décennies). L'assurance mondiale paiera 35 milliards de dollars pour cette
catastrophe en chaîne, la pénétration d'assurance catastrophe étant relative
ment faible au Japon. La même année, un autre grand séisme (et des milliers de
répliques) surviennent en Nouvelle-Zélande ; plus de 1 700 tornades, avec des
vents dépassant souvent les 250 km/h, occasionnent des pertes assurées très
importantes dans les États du centre des États-Unis...
Le tableau 1 propose un classement des vingt-cinq catastrophes les plus
coûteuses pour l'assurance mondiale entre 1970 et 2012 (marché privé). Notons
que dix-sept d'entre elles sont survenues depuis 2001, dont douze aux États
Unis9. La France apparaît à trois reprises dans ce tableau. Exception faite des

8. Ce montant exclut les pertes assurées dues aux inondations en Louisiane, au Mississipi et
dans l'Alabama, qui ont coûté 17 milliards de dollars au système fédéral américain d'assurance
inondation (National Flood Insurance Program) (Michel-Keijan [2010]).
9. Il faut aussi considérer l'accroissement de la capacité financière des compagnies d'assu
rances basées aux États-Unis (mesurée en policyholders ' surplus) : 100 milliards de dollars en 1987,
300 milliards de dollars en 1997, 520 milliards de dollars en 2007. La récente crise financière a
néanmoins un impact très important sur cette croissance et donc sur la capacité des assureurs à
faire face à de grandes catastrophes dans un avenir proche. Cette capacité était de 550 milliards en
décembre 2011 (Sources : données de Swiss Re, am Best et Insurance Information Institute).

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Tableau 1. Les 25 catastrophes les plus coûteuses pour l'assurance mondiale -


1970-2012

Milliards de Victimes
dollars Evenements (deces ou Annees Pays principalement touche(s)
(prix 2012) portes disparus)
51,3 Ouragan Katrina ; inondation 1 836 2005 Etats-Unis, golfe du Mexique,
et al.

39,1 Attaques terroristes 3 025 2001 Etats-Unis

35,8 Seisme et raz-de-maree > 20 000 2011 Japon


26,2 Ouragan Andrew; inondation 43 1992 Etats-Unis, Bahamas
23 Ouragan Sandy; inondation > 150 2012 Etats-Unis, Caraibes, et al.

21,7 Seisme de Northridge 61 1994 Etats-Unis

18,9 Ouragan Ike; inondation 348 2008 Etats-Unis, Caraibes, et al.

15,7 Ouragan Ivan ; inondation 124 2004 Etats-Unis, Caraibes, et al.

15,6 Ouragan Wilma ; inondation 35 2005 Etats-Unis, golfe du Mexique,


et al.

13,3 Seisme 181 2011 Nouvelle Zelande

12,0 Ouragan Rita; inondation 34 2005 Etats-Unis, golfe du Mexique,


et al.

11,3 Secheresse majeure


-
Etats-
2012

10,2 Inondations 813 2011 Tha'ilande

9,8 Ouragan Charley; inondation 24 2004 Etats-Unis, Caraibes, et al.

9,5 Typhon Mireille 51 1991 Japon

8,4 Seisme 562 2010 Chili

8,4 Ouragan Hugo ; inondation 71 1989 Porto Rico, USA, et al.

8,2 Tempete Daria 95 1990 France, Royaume Uni (RU), et al.


8,0 Tempete Lothar 110 1999 France, Suisse, et al.

7,5 Tempetes et tornades 350 2011 Etats-Unis

7,2 Ouragan Irene 55 2011 Etats-Unis

6,7 Tempete Kyrill 54 2007 Allemagne, RU, NL, France


6,2 Tempete et inondations 22 1987 France, RU, et al.

6,2 Ouragan Frances 38 2004 Etats-Unis, Bahamas

5,5 Tempete Vivian 64 1990 Europe de l'Ouest/centrale


Prix indexes 2012.

attentats de 2001, toutes ces catastrophes étaient d'origine naturelle. Plus de


85 % d'entre elles étaient d'origine climatique10.

10. Kunreuther et Michel-Keijan [2011] montrent que quatre facteurs expliquent cette crois
sance très forte du coût économique des catastrophes aux États-Unis : (1) accroissement très signifi
catif de la population dans les zones exposées (par exemple, la population de la Floride a augmenté
de 600 % depuis 1950) ; (2) accroissement des valeurs dans ces mêmes zones à risque (plus de
$15 000 milliards de dollars de valeurs assurées se situent aujourd'hui dans les États côtiers améri
cains allant du Texas au Maine) ; (3) dégradation de l'habitat environnemental qui jadis protégeait
mieux ces zones à risque (Académie des sciences [2011]) ; (4) impact possible d'un changement de
climat sur l'occurrence d'événements naturels plus intenses (de nombreux articles ont été publiés
récemment sur cette question ; voir, par exemple, Charpentier [2008], Kunreuther et al. [2013]).

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Revue économique

IMPACTS SUR L'ASSU RABI LITE DES CATASTROPHES

Des assureurs sous multiples pressions

Si l'on regarde spécifiquement le tableau 1, les catastrophes ayant causé plus


de 15 milliards de dollars de montants assurés, toutes à l'exception du tsunami
de 2011 au Japon, sont survenues aux États-Unis. Les tempêtes, ouragans et
inondations sont les premiers responsables.
Le risque d'ouragan {i.e. tempête) est typiquement inclus dans les polices
d'assurance habitation aux États-Unis. On estime qu'en moyenne 40 % des
montants de pertes assurées sur le marché sont couverts par la réassurance mondiale
(Kunreuther et Michel-Kerjan [2011]). Le prix de l'assurance est donc très sensible
à celui de la réassurance (qui, lui-même, est très peu régulé). Guy Carpenter, un
des grands courtiers de la réassurance, estime qu'en réponse aux grandes tempêtes
de 2004/2005 aux États-Unis, le prix de la réassurance catastrophe sur ce marché
a augmenté de 76 % en 2006 (voir fig. 2) (Guy Carpenter [2007]).
Les pertes historiques subies par les réassureurs, une mise à jour des modèles
de quantification du risque sous-jacent et la demande des agences de notation
(telles que Standard and Poor's, Moody's, am Best ou Fitch) d'une plus grande
capitalisation sont autant de facteurs qui ont contribué à cette forte augmen
tation. En réponse à ces nouvelles contraintes, les compagnies d'assurances ont
augmenté très significativement leurs tarifs. Les résidents de Floride ont ainsi
vu leur prime d'assurance, en moyenne, doubler entre 2002 et 2007 (passant de
723 à 1 465 dollars par an) (Klein [2007]). Sur certaines régions côtières, le prix
a triplé, voire quadruplé, malgré une régulation des marchés d'assurance très
contraignante pour les assureurs dans cet État. Certains assureurs ont simple
ment refusé de renouveler leurs polices d'assurance dans les régions jugées trop
exposées au risque d'ouragan, afin de réduire leur surexposition. State Farm,
le plus grand assureur de l'État du Mississippi, qui a subi de plein fouet les
conséquences de Katrina, a arrêté d'y vendre de nouvelles polices d'assurance
habitation. Allstate, l'autre géant de l'assurance habitation aux États-Unis, a fait
de même dans plusieurs autres États américains.

Figure 2. Prix de la réassurance catastrophe aux États-Unis

300

200

100

89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06
* 1989 = 100

Source : Guy Carpenter.

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Erwann Michel-Kerjan

La situation est particulièrement critique en Floride du fait de la croissance


fulgurante des valeurs exposées. Fin 2012, 4 200 milliards de dollars de biens
assurés se situaient en Floride. Une véritable bombe à retardement au regard
d'ouragans potentiellement plus nombreux et plus intenses à l'avenir.
Notons ici que la nécessité pour les assureurs privés de repenser les critères
d'assurabilité après des catastrophes de grande ampleur n'est pas un fait nouveau
ni unique au cas des tempêtes.
À la suite du tremblement de terre majeur de 1994 à Northridge en Californie
(qui a coûté 21,2 milliards de dollars de pertes assurées, voir tableau 1), les
assureurs ont refusé en masse de continuer de vendre cette couverture, même
si la demande était forte juste après la catastrophe. Pour répondre à cette crise,
l'État de Californie a créé la California Earthquake Authority (cea) en 1996,
qui a été le principal fournisseur d'assurance contre les tremblements de terre
en Californie depuis lors. Aujourd'hui, la CEA représente 70 % de toutes les
polices résidentielles contre ce risque vendues en Californie, et possède près de
10 milliards de dollars de capacité de paiement. La série de séismes catastro
phiques survenus en Haïti, au Chili, en Nouvelle-Zélande et au Japon entre 2010
et 2011 a certainement conforté les assureurs privés sur le fait que leur exposition
serait bien trop importante en Californie, compte tenu des prix qu'ils pourraient
être autorisés à pratiquer, s'ils décidaient de revenir sur ce marché aujourd'hui.
Ce fut aussi le cas avec le risque inondation. Contrairement au marché fran
çais, allemand et anglais où l'assurance inondation est d'abord privée, le risque
inondation pour les résidents américains est couvert depuis 1968 par le National
Flood Insurance Program (nfip). Il s'agit d'un programme d'assurance publique
mis en place après que les assureurs privés avaient refusé de couvrir ce risque
qu'ils jugeaient non assurable (Overman [1957] ; Kunreuther et al. [1978]).
A l'époque, on avait pensé qu'une solution gouvernementale pourrait être un
succès parce que l'État aurait les fonds nécessaires pour lancer le programme,
qu'il pourrait mutualiser les risques de façon plus large et subventionner ceux qui
habitaient déjà dans des zones inondables. Le programme aurait aussi la capacité
de répartir les pertes au fil du temps en empruntant de l'argent du gouvernement
fédéral pour compenser un possible déficit ; un atout certain dont les assureurs
privés ne disposent pas.
Ainsi, l'objectif principal du NFIP lors de sa création était de fournir une
assurance contre les inondations aux personnes vivant dans des zones à risque,
avec l'idée qu'il y aurait peut-être des événements tout à fait exceptionnels pour
lesquels le programme aurait à emprunter au Trésor américain (comme il dut
le faire après les inondations de la Nouvelle-Orléans en 2005, j'y reviendrai)11.

11. Le changement de critères d'assurabilité fut également important après les attentats terro
ristes du 11 septembre 2001. Privés des capacités de réassurance dont ils disposaient avant ces
attaques (les réassureurs mondiaux ayant payé les deux tiers des montants de pertes assurées et
ayant conclu que ce risque n'était plus assurable après le 11 septembre), les assureurs ont exclu le
risque terroriste de leurs polices dans 45 des 50 États américains dès 2002. Ils ont recommencé à
couvrir ce risque seulement après que la loi les y oblige avec la création, fin 2002, d'un programme
de couverture fédéral basé sur un partage de risque entre industrie de l'assurance et gouvernement
fédéral (Terrorism Risk Insurance Act of 2002 ; voir Kunreuther et Michel-Kerjan [2004]).

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Revue économique

Le gouvernement désormais assureur de premier ressort

Comme ce fut le cas avec le risque sismique et celui d'inondation, le désenga


gement des assureurs privés de certaines régions côtières exposées aux ouragans
a immédiatement posé un problème politique important d'accès à l'assurance
tempête. Comment expliquer aux vingt millions de résidents de Floride que le
prix de leur assurance pouvait ainsi augmenter si significativement en l'espace
de quelques années, voire ne plus être disponible du tout sur le marché ? Un
prix d'assurance exorbitant serait un obstacle au développement économique
de la Floride, qui repose fortement sur le secteur du bâtiment et sur l'attracti
vité du climat pour de nombreux retraités. Mais comment continuer à offrir de
l'assurance tempête à bas prix ?
Une solution naturelle serait de soutenir des programmes d'investissement dans
la protection contre les catastrophes naturelles et de limiter les constructions dans
les zones les plus exposées. Si cela fait sens pour l'économiste, une telle politique
n'est pas du goût des élus qui voient ici des mesures souvent très impopulaires
localement du fait qu'elles nécessitent des taxes supplémentaires. Pour preuve la
réaction du gouvernement de Floride aux grandes tempêtes de 2004-2005 : plutôt
que d'entreprendre une campagne de communication sur l'exposition au risque
et de tenter de responsabiliser les habitants sur la nécessité d'entreprendre des
investissements importants en prévention, le gouvernement a passé de nouvelles
lois autorisant l'assureur public Citizens à concurrencer les assureurs privés en
vendant des polices d'assurance à des prix artificiellement bas.
Avant 2007, Citizens, assureur de dernier ressort opéré par l'État, ne repré
sentait que 2 à 3 % du marché. Sans surprise, cette nouvelle politique de prix bas
a rapidement fait de Citizens le plus grand assureur de Floride. Or, parce qu'il a
d'abord été conçu comme assureur de dernier ressort, Citizens peut légalement
renflouer l'ensemble de son déficit par un rappel de primes sur l'ensemble des
assurés de l'État de Floride (notamment, donc, ceux couverts par ses concur
rents). De plus, Citizens est largement réassuré auprès du Florida Flurricane
Catastrophe Fund (FHCF), le réassureur public de l'État (à hauteur de 10 milliards
de dollars en 2009), qui peut lui aussi faire un rappel de primes contre tous
les assureurs privés de Floride. Début 2009, l'exposition de Citizens était de
422 milliards de dollars et de plus de 1 500 milliards pour le FHCF.
Aucun ouragan majeur n'a causé de pertes importantes en Floride entre 2004
et 2012, ce qui a permis à ces deux entités de constituer un fonds de réserve ;
mais leurs réserves voleraient probablement en éclats si un autre ouragan de la
taille d'Andrew ou de Katrina survenait demain. Leurs déficits seraient alors
transmis aux autres assureurs, privés, opérant en Floride, à charge pour eux de
récupérer ces sommes sur leurs propres assurés à travers une augmentation de
prime (comme ce fut déjà le cas en 2004 et en 2005)... Il n'est donc pas étonnant
de voir plusieurs grands assureurs privés quitter ce marché.
La croissance de Citizens, combinée avec l'expansion du fonds de réassu
rance catastrophe public, a contribué à une très forte socialisation du risque
de catastrophe dans l'État de Floride. Plusieurs autres États côtiers ont suivi
cet exemple et établi leur propre pool d'assurance (par exemple en Louisiane,
au Mississippi et au Texas). Le principal problème, ici, est que ce sont, le plus
souvent, des montages financiers assez artificiels dont le but premier est de
conforter les électeurs à court terme sur le fait que de l'assurance bon marché

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Erwann Michel-Kerjan

est disponible. Il leur est rarement dit qu'en cas de désastre majeur ils ne seront
indemnisés qu'au prorata des réserves et de la capacité d'emprunt de ces pools,
somme toute assez limitées. Sauf à ce que le gouvernement fédéral intervienne.
Le rôle du gouvernement américain ne s'arrête en effet pas à substituer de
l'assurance publique fortement subventionnée à l'assurance de marché. L'État
fédéral est aussi devenu beaucoup plus généreux envers les victimes des derniers
désastres qui n'étaient pas assurées, comme je le montre maintenant.

Croissance historique de l'aide fédérale américaine

Regardons l'évolution du nombre de déclarations présidentielles d'état de


catastrophe12. La figure 3 décrit cette évolution entre 1953 et 2011 : il y a eu 191
déclarations entre 1961 et 1970, contre 597 pour la période 2001-2010 (Michel
Kerjan et Kunreuther [2011]).
Plusieurs années associées à un nombre élevé de déclarations de catastrophes
correspondent à des années d'élections présidentielles. Cela est cohérent avec
la recherche récente en économie politique qui a mis en évidence que, pour
gagner le cœur de futurs électeurs, les présidents témoignent souvent d'une plus
grande empathie à quelques mois d'une élection. On peut citer quatre exemples
marquants : le tremblement de terre en Alaska (mars 1964), la tempête tropicale
Agnès (juin 1972), l'ouragan Andrew (septembre 1992) et les quatre ouragans en
Floride (août-septembre 2004) (fig. 3)13. En 2008, nouvelle année d'élection, il y
a eu 75 déclarations (ce qui égale le record historique de 1996, une autre année
d'élection présidentielle). Ce record a été dépassé, en 2010, avec 81 déclarations
de catastrophes majeures, puis à nouveau en 2011 avec 99 déclarations.
Du reste, ce n'est pas seulement le nombre de déclarations qui a augmenté très
significativement au cours des soixante dernières années, c'est aussi la propor
tion des pertes économiques couvertes par l'aide fédérale à travers les aides
d'urgence. David Moss, de l'université Harvard, met en perspective historique
la situation actuelle :

« Le Congrès a fourni une assistance aux victimes d'un incendie majeur dans le New
Hampshire dès 1803, et les historiens ont compté 128 actes spécifiques du Congrès four
nissant des aides ad hoc pour aider les victimes de diverses catastrophes au cours des
années 1803 à 1947. Néanmoins, l'aide financière en cas de catastrophe n'a pas été géné
ralement considérée comme une responsabilité permanente du gouvernement fédéral aux
États-Unis jusque dans le XXe siècle. » (Moss [2010], p. 152.)

À titre de référence, les dépenses fédérales liées à l'ouragan Diane de 1955


couvraient 6,2 % du montant total de pertes (Moss [2010]). Mais celles-ci s'éle
vaient à environ 23 % des pertes dues à l'ouragan Hugo en 1989. Pour les atten
tats terroristes du 11 septembre 2001 et les catastrophes naturelles qui ont eu lieu
autour de cette période, la proportion moyenne était de 62 %. Lors de la saison
des ouragans de 2005 et de 2008, l'aide fédérale a représenté, en moyenne, 69 %
des pertes totales (Cummins, Suher et Zanjani [2010]).

12. Aux États-Unis, le gouverneur d'un État touché par un désastre peut demander au président
de le déclarer comme « catastrophe majeure », ce qui permet alors à cet État de recevoir des aides
fédérales dont le montant est voté par le Congrès.
13. L'élection présidentielle américaine se déroule en novembre tous les quatre ans.

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Revue économique

Figure 3. Évolution du nombre de déclarations catastrophes aux États-Unis. 1953-2011

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Source : Auteur avec les données de la Federal Emergency Management Agency (F

Ainsi, les contribuables américains ont payé 95 milliards d


zones sinistrées par les trois ouragans majeurs de 2005 (pr
est supérieur à l'ensemble des remboursements d'assurance
privés pour les dommages dus au vent et par le programm
contre les inondations), qui s'élèvent à 85 milliards de doll
[2010]). Dans le cas de l'ouragan Sandy, 75 % des pertes écon
de dollars) furent ainsi payées par les contribuables américai
fédérales aux États dévastés (Michel-Keijan et Kunreuther
Notre discussion montre clairement que, pour ce qui con
financière des grandes catastrophes, les États-Unis sont au
d'appliquer une politique économique du « laissez-faire ». S
continue de couvrir des milliers de milliards de dollars de biens résidentiels et
commerciaux à travers le pays, le rôle du gouvernement fédéral et de celui des
États les plus exposés est devenu tout à fait majeur. Cela fut d'abord vrai pour le
risque inondation, puis celui du tremblement de terre, et enfin, plus récemment,
pour le risque tempêtes.

Légitimité et limites de l'intervention gouvernementale


dans l'assurance des catastrophes

Une question importante est alors de savoir quand cette intervention gouver
nementale est justifiée, quand elle l'est moins, et comment elle se décline. Cette
question n'est pas nouvelle en soi (voir les travaux de Kunreuther [ 1978]) ; Jaffee
et Russell [1997], Froot [2001] ; Godard et al. [2002] ; von Ungern-Sternberg
[2004]). Ce qui est nouveau, cependant, est la récurrence de catastrophes de

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Erwann Michel-Kerjan

grande ampleur en l'espace de quelques années, qui ont obligé les assureurs
privés à revoir leurs critères d'assurabilité des catastrophes.
La deuxième section de cet article a montré conceptuellement à quel point le
prix de l'assurance catastrophe est dépendant du coût du capital. L'intervention
gouvernementale peut alors être légitimée du fait que les Etats des économies
les plus développées ont typiquement accès à un capital moins onéreux, surtout
pour les risques véritablement extrêmes, et peuvent financer leur exposition ex
post par la dette. Le gouvernement peut alors proposer un financement des catas
trophes bien meilleur marché que ne peut le faire un assureur ou un réassureur
privé. L'intervention gouvernementale est aussi l'alternative financière de fait si
les assureurs refusent de couvrir un risque dans une région donnée comme nous
l'avons montré en Floride.

Cela est vrai aux États-Unis comme dans un grand nombre de pays de l'OCDE
(voirOECD [2008], [2009]). En France, l'intervention du gouvernement se traduit
par la garantie illimitée de l'État à la Caisse centrale de réassurance, dans le cadre
du système Cat.Nat. établi en 1982 pour les catastrophes naturelles, par exemple.
Cela permet aux assureurs couvrant ces risques de bénéficier de réassurance à
un prix bien inférieur à ce qu'ils devraient payer sur les marchés de réassurance
internationaux, et ainsi d'offrir une assurance plus abordable à leurs assurés et/
ou de meilleurs rendements à leurs actionnaires.

La réponse française au financement des risques de catastrophes repose


fondamentalement sur un principe de solidarité nationale (tous les assurés de
taille similaire paient le même taux de surcharge, indépendamment du risque
auquel ils sont exposés) (Godard et al. [2002]). En ce sens, il ne s'agit pas véri
tablement d'un marché d'assurance en tant que tel (le prix de l'assurance n'est
pas fixé par le jeu de l'offre et de la demande). Malgré les tempêtes de 1999 et les
sécheresses à répétition coûteuses, le système n'a pas souffert - jusqu'à présent
du moins - de catastrophes d'ampleur comparable à celle du Japon en 2011,
de l'ouragan Katrina en 2005 ou de Sandy en 2012 (ou des attentats terroristes
du 11 septembre 2001). Un séisme majeur dans le Sud de la France pourrait
néanmoins sérieusement modifier cet équilibre.
Revenant aux États-Unis, il s'agit alors de savoir si le prix pratiqué par le
gouvernement reste tout de même proche de la prime pure actuarielle, ou bien est
artificiellement maintenu à des niveaux encore plus bas (par exemple, pour des
raisons politiques dont j'ai parlé plus haut dans l'article). Le risque inondation
offre un cas d'école important ici.
La taille du programme fédéral NFIP a augmenté considérablement depuis
1968. La valeur totale des biens assurés était de 174 milliards de dollars en
1978, 367 milliards en 1990, et 740 milliards de dollars en 2000 (en prix 2011).
Entre 2001 et 2011, l'exposition totale a augmenté encore de 70 %, pour atteindre
près de 1 280 milliards de dollars fin 2012, faisant du NFIP l'un des plus grands
programmes d'assurance contre les inondations dans le monde.
Or, cette croissance s'est faite, pour l'essentiel, dans les zones côtières forte
ment exposées au risque d'inondation. Par exemple, les États de Floride, de
Louisiane et du Texas représentent aujourd'hui plus de la moitié des polices
d'assurance couvertes par ce programme « national ». En effet, l'assurance
subventionnée a permis à ces régions de continuer d'attirer des millions de
nouveaux résidents qui, au vu du faible prix de l'assurance inondation, pensent
que le risque est faible.

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Revue économique

Et là, la politique de primes subventionnées a trouvé ses limites. Lorsque l'oura


gan Katrina détruisit les digues de la Nouvelle-Orléans en août 2005, les pertes furent
historiques, y compris pour le NFIP. Le programme, déjà en déficit, dut emprunter
près de 18 milliards de dollars au Trésor américain. Mais le nfip ne collecte que
3 milliards de dollars de primes par an. Le paiement de la dette s'annonce bien
difficile et a fait l'objet de plusieurs propositions de loi (Michel-Keijan [2010]).
À l'été 2012, le Congrès américain et le président Obama ont signé une loi
réformant profondément ce programme. Au cours de la période 2012-2017, les
primes d'assurance devront être relevées afin d'être actuarielles fin 2017. La
cartographie des risques devra être entièrement reprise nationalement afin de
mieux représenter l'exposition au risque, en intégrant les changements récents
dans les constructions, le vieillissement des infrastructures (comme les digues
et les systèmes de drainage), ainsi que le niveau des protections naturelles. La
prime devra aussi se baser sur des estimations probabilistes incluant des scénarios
extrêmes en queue de distribution (alors qu'aujourd'hui l'estimation repose sur
des événements associés à des périodes de retour de cinq cents ans seulement).
Plusieurs études ont été confiées aux grandes universités américaines dont les
équipes de recherche ont joué un rôle central dans l'adoption de cette nouvelle
loi, et qui travailleront de concert avec les parties prenantes. Il s'agira aussi de
proposer une solution plus équilibrée entre secteurs public et privé, qui tienne
compte des forces et des faiblesses des deux sphères. La question d'équité sera
aussi centrale. Mais, à ce jour, le NFIP reste une assurance gouvernementale à
prix subventionné. Lorsque l'ouragan Sandy dévasta la région de New York à
l'automne 2012, le NFIP dut emprunter 10 milliards de dollars supplémentaires
au gouvernement fédéral pour payer ses assurés...
Comme indiqué plus haut, l'intervention gouvernementale se fait aussi
après la catastrophe à travers l'aide octroyée aux zones touchées. Le principal
problème est que, dans le sillage immédiat des catastrophes de grande ampleur,
la couverture médiatique est intense et souvent très émotionnelle (Eisensee et
Stromberg [2007]). Le sentiment général est le désir d'aider au plus vite et au
mieux les victimes qui n'avaient pas la couverture assurantielle adéquate et qui
se trouvent alors dans une situation de précarité.
D'un côté, cela peut être souhaitable pour certains au nom de la solidarité
envers les victimes de catastrophes. Mais, à plus long terme, cela crée aussi
un précédent, qui n'est pas sans poser problème ; les victimes d'une prochaine
catastrophe s'attendront à recevoir au moins autant, si ce n'est plus. Suite à
la prochaine catastrophe d'ampleur similaire, les élus devront donner plus
encore pour se démarquer de leurs prédécesseurs. Et ainsi de suite. Ce cercle
vicieux est bel et bien enclenché aux États-Unis comme nous le démontrons
plus formellement avec ma collègue Jacqueline Volkman-Wise (Michel-Kerjan
et Volkman-Wise [2011]).
Depuis les travaux fondateurs de James Buchanan [1975] et de Stephen Coate
[1995], plusieurs économistes se sont intéressés à l'équilibre entre les avan
tages d'une aide financière gouvernementale et les désincitations potentielles
que cette politique peut créer à moyen et à long terme. Dans le contexte du finan
cement des catastrophes, il est certain que nombre de collectivités, d'entreprises
et d'individus outre-Atlantique n'investissent pas dans des mesures de réduction
des risques ou dans l'achat d'assurance puisqu'ils s'attendent désormais à être
secourus quoi qu'il en soit (Kunreuther et Miller [1985]). Harrington [2009] a

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Erwann Michel-Kerjan

aussi analysé l'intervention du gouvernement fédéral américain pour éviter la


faillite du géant de l'assurance AIG et de plusieurs grandes banques d'affaires
pendant la crise de 2007-2008 - un autre type de catastrophes. Si celle-ci a
permis la stabilisation du système financier, elle a aussi créé un précédent impor
tant : il sera très difficile pour les prochains gouvernements de refuser d'aider
des citoyens dans le besoin après avoir renfloué les institutions financières de
plusieurs centaines de milliards de dollars. L'exemple mentionné en introduction
de cet article sur les suites de l'ouragan Irène de 2011 n'est qu'un des derniers
exemples en date ; beaucoup d'autres suivront certainement.
Récemment, mes collègues Carolyn Kousky, Paul Raschky et moi-même
avons analysé sur la période 2000-2010 l'impact des programmes fédéraux
d'aide aux victimes d'inondation non assurées en Floride. L'étude montre un effet
négatif statistiquement significatif sur la demande d'assurance. Une augmenta
tion de 1 000 dollars d'aide fédérale octroyée à une famille diminue sa demande
d'assurance par 4 300 dollars (Kousky, Michel-Ketjan et Raschky [2013]). Cet
« aléa de charité », comme l'ont appelé Browne et Hoyt [2000], n'est pas spéci
fique aux États-Unis bien sûr. D'autres travaux ont montré son existence dans
plusieurs pays européens (Raschky et Weck-Hannemann [2007] ; Botzen et Van
den Bergh [2012]), ainsi que dans le contexte de l'aide internationale apportée à
certains pays en voie de développement qui ont souffert de grandes catastrophes
(voir Linnerooth-Bayer, Mechler et Pflug [2005], Stromberg [2007] et Raschky
et Schwindt [2009] pour une revue de littérature).

PROPOSITION ET CONCLUSION

Peut-on endiguer cette spirale ? Il faudrait pour cela construire un système de


couverture qui repose sur les forces des secteurs privé et public, qui permette un
bien meilleur signal par les prix de l'exposition aux risques et tienne compte des
contraintes économiques de certains ; cela est très différent du système actuel qu
repose sur un transfert systématique d'une grande partie des risques des individu
et des entreprises les plus exposés à l'ensemble des contribuables américains.
Mon collègue Howard Kunreuther et moi-même avons proposé deux prin
cipes de politique économique qui permettraient de changer la situation actuelle.
Le premier principe stipule que l'assurance doit être actuarielle afin, d'une part,
d'informer les personnes exposées du vrai niveau de risques auquel elles font
face et, d'autre part, de les inciter à investir dans des mesures de protection qu
permettraient de payer une prime d'assurance plus basse. Le second principe
reconnaît le souci d'équité (Picard [2008]). Une politique de prix non subven
tionné poserait en effet des problèmes pour un grand nombre d'Américains qui
n'auraientpas les moyens d'acheter cette assurance coûteuse. Nous avons proposé
qu'un programme national de chèques assurance soit mis en place. Ces derniers
seraient donnés aux familles les plus démunies pour leur permettre d'acheter de
l'assurance. Des programmes similaires existent déjà pour les chèques alimen
tation ou bien l'accès gratuit au téléphone (Kunreuther et Michel-Kerjan [2011] ;
Michel-Ketjan et Kunreuther [2011]).
En 2012, le Congrès et la Maison-Blanche, avec qui nous avons collaboré
étroitement sur ce projet de recherche, ont mandaté l'Académie des sciences

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Revue économique

américaine pour effectuer une étude de faisabilité de cette proposition dont les
résultats seront rendus publics en 2014.
Notons, en conclusion, que la nouvelle ère de catastrophes à grande échelle
dans laquelle le monde semble désormais être entré appelle un nouveau modèle
de gouvernance, dont la composante économique est un pilier essentiel. Cet
article porte essentiellement sur les États-Unis qui ont vu une transformation
importante du rôle et des responsabilités des secteurs public et privé en matière
d'assurance des catastrophes.
Dans ce domaine en plein essor, les enjeux financiers, sociaux et politiques
sont de première importance. Cela est vrai dans les pays de l'OCDE, où l'architec
ture d'assurance joue un rôle central (OECD [2008], [2009], [2010], [2011]), mais
aussi dans les pays pauvres pour lesquels tout événement extrême se transforme
en tragédie humaine, interrompant également toute croissance économique
naissante (World Bank [2010] ; Hallegatte et Przyluski [2010]).
En 2012, le président du Mexique, Felipe Calderón, qui assumait la prési
dence tournante du G20, a porté pour la première fois la question de la gestion
et du financement des catastrophes comme une des priorités à l'agenda officiel
du G20 (Michel-Keijan [2012]). L'économie des catastrophes commence à se
construire comme une discipline à part entière.

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