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CRISE FINANCIÈRE :

PREMIERS BILANS
ET PERSPECTIVES
Francisco Padilla, chercheur-associé à Etopia
et conseiller politique à Ecolo

Octobre 2008

www.etopia.be
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Les événements qui ont secoué les marchés financiers depuis deux semaines
marqueront sans aucun doute les annales de l’histoire économique contemporaine. Ils
représentent non seulement une aggravation de la crise financière qui sévit depuis la
mi-2007, mais ils constituent aussi un tournant significatif dont les implications se
feront vraisemblablement sentir pendant de longues années. On trouvera dans cette
analyse quelques premières leçons à tirer, des éléments de diagnostic et des ébauches de
propositions en matière de régulation des marchés financiers.

1 E lément s d e c o nt ext e et de d iagno st ic

Le séisme provoqué en juillet dernier par la nationalisation de facto des deux géants du
marché hypothécaire américains Freddy Mac et Fannie Mae qui détiennent des actifs pour
1,8 trillions de dollars avait constitué un désaveu cinglant des analyses selon lesquelles le
pire de la crise financière était passé. Comme l’affirme l’hebdomadaire The Economist, les
faits survenus entretemps nous montrent que la crise financière est entrée dans une
nouvelle phase extrêmement dangereuse, caractérisée par un très haut degré d’incertitude
quant aux perspectives à venir.

Dix jours de graves turbulences dans les marchés boursiers mondiaux se sont soldés par le
sauvetage in extremis par les pouvoirs publics américains du plus grand assureur mondial,
American International Group dont les actifs étaient évalués quelques jours plus tôt à 1
trillion de dollars américains, ainsi que par la faillite et le rachat des troisième et quatrième
banques d’affaires américaines, Lehman Brothers et Merrill Lynch, dont la valeur des actifs
combinés est estimée à 1,5 trillions de dollars américains. Face à la gravité de la situation,
qui est d’ores et déjà caractérisée par les analystes comme la plus grosse crise financière
depuis 1929, le trésor américain a annoncé le jeudi 18 septembre dernier une vaste
opération de sauvetage du secteur financier à hauteur de 700 milliards de dollars. C’est en
pratique la plus grosse intervention étatique d’urgence économique en temps de paix de
l’histoire. Ces 700 milliards de dollars représentent 5% du PIB américain ! Après une
dizaine de jours d’intenses négociations entre l’exécutif et le législatif, un accord politique
bipartisan sur le contenu de l’opération de sauvetage serait sur le point d’être trouvé au
Congrès.

Sans pouvoir entrer ici dans les détails, le plan a pour objectif de stabiliser les marchés
financiers par le biais du rachat par le trésor américain des actifs financiers « toxiques »
issus de la titrisation, c’est-à-dire, toute une catégorie d’actifs émis par des entités
financières hors bilan (shadow banking system, voir ci-dessous) en contrepartie des paquets
de crédits hypothécaires à très haut risque (subprimes) qu’elles ont racheté aux sociétés de
crédits hypothécaires. Ces actifs titrisés ou dérivés sont devenus pratiquement invendables
depuis l’éclatement de la bulle immobilière américaine au milieu de l’année 2007 1.

Une fois ce plan approuvé, le dilemme auquel sera confronté le trésor américain portera
sur le prix d’achat de ces actifs toxiques. Si ces actifs sont achetés à des prix relativement
proches des prix nominaux, cela reviendra à une pure opération de socialisation des coûts
qui ne pourra qu’alourdir considérablement la dette publique fédérale américaine (qui est
de l’ordre de 70% du PIB des USA) et aggravera le déficit des comptes courants américains
qui tournait en septembre 2008 autour de 5% du PIB sur douze mois. Si en revanche, les

1Pour une analyse rigoureuse et à chaud des mécanismes de la crise des subprimes, je renvoie ici à l’article
de John Kiff et Paul Mills, « Money for Nothing and Checks for free : Recent Developments in US
Subprime Mortgage Markets », Working Paper du FMI, juillet 2007.
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prix d’achat sont relativement proches du prix de marché de ces actifs (qui dans certains
cas sont proches de zéro), cela accentuera la contraction des liquidités et du crédit dans
les marchés américains (credit crunch), exacerbant les tendances à la récession de l’économie
américaine. Le dosage retenu se trouvera sans doute quelque part à mi chemin entre ces
deux cas de figure et dépendra de l’évolution des fondamentaux ainsi que du degré de
confiance insufflé au marché par l’opération de sauvetage dans les jours et semaines qui
viennent.

Alors que la planète financière était en pleine digestion du choc des événements survenus
aux USA, la crise s’est fortement intensifiée en Europe. La Belgique a été touchée de plein
fouet par effet de contagion. Les rumeurs persistantes concernant les niveaux de liquidité
(et donc les capacités honorer les engagements à court terme) et l’exposition aux actifs
toxiques américains de nombreux groupes financiers européens –dont Dexia et Fortis- ont
exacerbé la nervosité des marchés boursiers européens. Toute une série d’éléments
indiquent que selon toute vraisemblance le secteur financier belge a fait l’objet d’attaques
spéculatives prédatrices de grande intensité qui n’ont fait qu’exacerber la volatilité des
marchés boursiers. Face à un risque systémique de plus en plus manifeste, les
gouvernements du Benelux -et postérieurement de la France en ce qui concerne Dexia- ont
déclenché deux opérations de sauvetage sans précédents.

Contrairement aux opérations de sauvetage menées par les pouvoirs publics intervenues
au Royaume-Uni, les opérations de secours à l’intention de Dexia et de Fortis ont eu ceci de
spécifique qu’elles ont été le résultat d’une concertation transfrontalière en étroite
interaction avec la Banque Centrale Européenne et la Commission, mettant ainsi à
l’épreuve les capacités des acteurs européens à faire face à une situation de crise
transfrontalière. Ces opérations de sauvetage se soldent par des prises de participation et
donc par la prise de contrôle et la nationalisation partielle de deux fleurons du secteur
financier belge. Les autorités belges se sont empressées de signaler qu’il s’agit d’une
situation temporaire, mais étant donné le degré d’incertitude qui pèse sur l’ensemble de
l‘économie, force est de constater que ces recapitalisations de facto sont à durée
indéterminées. Cela ne manque pas de soulever toute une série de questions et d’enjeux de
grande importance sur lesquels nous reviendrons dans la dernière partie de cet article.

A ce stade, il est possible de dresser quelques remarques préliminaires :

1. Même si le trésor américain parvient à limiter dans une certaine mesure l’ampleur de la
socialisation des coûts, le plan de sauvetage pose question du point de vue de la justice
redistributive. Le coût de ce plan représente un montant du même ordre que les mesures
de réduction d’impôts concédées par l’administration Bush au cours des huit dernières
années. Or ces réductions ont surtout touché les couches les plus favorisées de la
population, alors que les coûts de la crise seront davantage supportés par les classes
moyennes qui payent proportionnellement plus d’impôts sur leur revenu que les déciles
supérieurs. L’aggravation de l’endettement public entraînera vraisemblablement une
contraction à terme des dépenses publiques qui affectera davantage les catégories de la
population les plus vulnérables. La crise et les mesures mises en place pour y remédier –et
surtout pour éviter une situation encore plus grave- déboucheront donc sur des
externalités négatives de très grande ampleur. La logique du too big to fail est génératrice
d’un aléa moral. L’État se porte au secours d’un secteur de l’économie qui a pris des
risques considérables et irresponsables aux dépens de l’ensemble de la société. Il reste à
voir dans quelle mesure les autorités seront en mesure -et auront la volonté politique- de
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mettre en place des mécanismes de contrôle et régulation autrement plus contraignants


que ceux qui existent actuellement et d’impulser des politiques redistributives susceptibles
d’équilibrer le partage du fardeau en fonction des responsabilités. Cette question ne
manquera pas de se poser également en Europe –et plus particulièrement en Belgique-
suite aux effets de contagion des marchés financiers européens et aux prises de
participation en série et aux garanties octroyées par les pouvoirs publics dans les différents
États membres (Northern Rock, Bradford & Bingley , HBOS, Fortis, Dexia, garanties aux
dépôts des banques irlandaises, qui seront vraisemblablement suivies par plusieurs autres
institutions européennes dans les semaines et mois à venir.)

2. Compte tenu du premier point et contrairement aux diagnostics triomphants de


nombreux analystes qui voudraient voir dans la crise actuelle le crépuscule du capitalisme
financier, ou du capitalisme tout court, ou encore, dans sa version « sarkozyste », une
« moralisation » du capitalisme, la crise risque plutôt de déboucher sur
l’approfondissement d’un certain nombre de tendances lourdes qui vont de pair avec la
financiarisation de l’économie. Celle-ci pourrait déboucher sur une concentration
oligopolistique accrue du secteur financier, une socialisation sans précédents des coûts
comme cela a été le cas lors des autres grandes crises financières en Asie et en Amérique
Latine et un affaiblissement des capacités financières et redistributives de l’État.

3. Se pose également la question de l’éligibilité des institutions financières européennes


au plan de sauvetage américain. Il est à ce stade difficile de dire dans quelle mesure –et
sous quelles conditions- les sociétés européennes implantées aux USA pourront bénéficier
de ce plan. L’incertitude qui pèse en la matière ne va pas sans conséquences sur les
marchés boursiers européens en proie à une très grande fébrilité et volatilité depuis
l’éclatement de la crise financière.

4. La question sous-jacente qu'il y a lieu de se poser face à la crise actuelle est celle de la
soutenabilité du paradigme de la financiarisation. Les exigences de retour des marchés
financiers sont supérieures aux taux de croissance de l’économie depuis une vingtaine
d’années. Cette tendance lourde de régulation par les taux de profit entraîne une
modification de la répartition du PIB entre travail et capital à la faveur du capital. La pleine
intégration des économies émergentes aux marchés mondiaux accentue cette tendance par
la mise en concurrence de la main d’œuvre à l’échelle globale qui fait du coût du travail la
variable d’ajustement par excellence des stratégies d’optimisation des sociétés anonymes
internationales. Michel Aglietta2 a notamment mis en évidence le fait que ces exigences de
retour débouchent à l’heure actuelle sur une difficulté croissante de l’économie réelle à
répondre aux impératifs des marchés des capitaux. La croissance des salaires qui est
restée inférieure à la croissance de la productivité dans la plupart des pays industrialisés et
des économies émergentes n’est pas en mesure de stimuler durablement la demande des
biens et services, ce qui intensifie les tendances à la suraccumulation. Les exigences de
retour à court terme entraînent, par ailleurs, des défaillances du marché au niveau de
l’allocation des ressources dans la mesure où des projets nécessitant des investissements à
longue échéance et à rentabilité limitée susceptibles d’élargir et d’améliorer la base
productive sont délaissés au bénéfice des placements spéculatifs à court terme plus
lucratifs.

5. Les USA sont restés pendant une quinzaine d’années la locomotive de l’économie
mondiale au prix de l’aggravation considérable et totalement insoutenable de ses déficits

2Voir notamment son article, Repenser la régulation financière publié dans la revue Savoir-Agir n° 4 de juillet
2008.
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commerciaux et de sa balance courante3. Cela se traduit par le fait que la consommation


soutenue des ménages américains a été financée ces dernières années par le recours de
plus en plus important à l’emprunt facilité par l’afflux massif des capitaux étrangers.

6. Dans un contexte où une masse considérable de capitaux étaient à la recherche de


placements rentables, les marchés financiers ont suscité la création de toute une série
d’innovations technologiques de gestion du risque et de contournement des dispositifs de
régulation et de contrôle prudentiel. Depuis la moitié des années ’90, on a assisté à la
démultiplication des entités de placements, véhicules et produits structurés hors bilan
(shadow banking system, hedge funds, private equity4) qui empruntent à très court-terme et
investissent dans des actifs financiers à plus longue maturité, ce qui entraîne des effets
levier très significatifs. Ces entités et technologies ont permis aux marchés des capitaux de
contourner les exigences imposées par les régulateurs aux banques commerciales en
matière de capitaux propres et coefficients de réserves obligatoires, exacerbant la prise de
risques et la vitesse de circulation de la masse monétaire. Les conflits d’intérêt générés par
le rôle de juge et partie joué par les agences de notation, qui font en même temps l’analyse
de risque et l’audit des institutions financières, ont été également très pernicieux. La facilité
avec laquelle ces agences ont donné des notations très favorables (AAA) à des produits
dérivés a fortement facilité les flux massifs des capitaux sur les marchés à haut risque. Tous
ces processus conjugués ont entraîné une inflation sans précédents du prix des actifs
financiers dont l’éclatement de la boule immobilière a sonné le glas.

Comme le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Joaquín


Almunia, l’a affirmé ce mercredi 23 septembre en séance plénière du Parlement Européen,
il existe à l’heure actuelle un très haut degré d’incertitude sur l’ampleur de l’impact de la
crise financière sur l’économie réelle. D’autres déclarations plus alarmistes comme celles
exprimées dans Le Monde par Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, invitent
l’opinion publique à se préparer au pire… Dimanche 20 septembre dernier, l’économiste
Nuriel Rubini de l’université de New-York, réputée mondialement par la qualité de ses
analyses de prospective économique –et qui avait prédit dès 2006 dans une conférence du
FMI l’éclatement de la boule immobilière, l’effondrement des subprimes et l’augmentation
spectaculaire des prix des matières premières- a publié un article lapidaire dans le
quotidien Financial Times5[4]. Les conclusions de son article sont saisissantes à plus d’un
titre :

We are observing an accelerated run on the shadow banking system that is leading to its
unravelling. If lender-of-last-resort support and deposit insurance are extended to more of its

3 Le stock de dette extérieure nette des USA est d’environ 2,5 trillions de dollars.
4 Ces fonds sont privés en ce sens qu’ils ne sont pas listés dans des archives publiques et dérivent leur
capitaux d’investisseurs –qui font des placements à court ou moyen terme- en dehors des marchés de
capitaux publics. Ce caractère privé leur permet de contourner les normes de régulation qui prévalent
pour les fonds publics en matière de transparence et de fonds propres. Les fonds capital-investissement
permettent de lancer des nouvelles affaires, d’élargir des affaires existantes ou de prendre le contrôle de
firmes existantes. Les fonds alternatifs font des placements hautement spéculatifs et tentent d’exploiter les
inefficiences des marchés financiers. Parmi les investisseurs qui placent de l’argent dans ces fonds on
trouve des fonds de pensions, des fonds mutuels et des assureurs. Ce qui veut dire que des nombreux
travailleurs et pensionnés sont indirectement exposés aux risques inhérents à ces fonds. Une autre
caractéristique cruciale de ces fonds a trait au fait qu’ils ne payent guère de taxes puisque leur siège social
est en règle générale enregistré dans des paradis fiscaux.
5 L’intégralité de l’article est disponible à l’adresse : http://www.rgemonitor.com/roubini-

monitor/253696/the_shadow_banking_system_is_unravelling_roubini_column_in_the_financial_times_su
ch_demise_confirmed_by_morgan_and_goldman_now_being_converted_into_banks
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members, these institutions will have to be regulated like banks, to avoid moral hazard. Of course
this severe financial crisis is also taking its toll on traditional banks: hundreds are insolvent and will
have to close.
The real economic side of this financial crisis will be a severe US recession. Financial contagion, the
strong euro, falling US imports, the bursting of European housing bubbles, high oil prices and a
hawkish European Central Bank will lead to a recession in the eurozone, the UK and most advanced
economies.
European financial institutions are at risk of sharp losses because of the toxic US securitised
products sold to them; the massive increase in leverage following aggressive risk-taking and
domestic securitisation; a severe liquidity crunch exacerbated by a dollar shortage and a credit
crunch; the bursting of domestic housing bubbles; household and corporate defaults in the recession;
losses hidden by regulatory forbearance; the exposure of Swedish, Austrian and Italian banks to the
Baltic states, Iceland and southern Europe where housing and credit bubbles financed in foreign
currency are leading to hard landings.
Thus the financial crisis of the century will also envelop European financial institutions.

En tout état de cause il est plus que vraisemblable que les dernières estimations en
matière d’activité économique seront revues à la baisse. Ce vendredi 26 septembre,
l’agence de notation Standard & Poor vient de revoir à la baisse les estimations économiques
pour le vieux continent.

A la lumière des événements récents il y a lieu en tout cas de poser les interrogations
suivantes :

1. La dégradation escomptée des finances publiques américaines exacerbe les risques de


dégradation de la cotation de titres du trésor américain6[5]. Si la cotation de la dette
(actuellement AAA) est revue à la baisse, quelles seront les conséquences en matière de
gestion de portefeuille pour les très nombreuses institutions publiques (notamment les
banques centrales) et privées qui ont investi massivement dans les titres du trésor
américain et qui se verraient obligées à dévaluer la valeur des actifs dans leurs bilans?

2. A l’instar de Nuriel Rubini, des nombreux analystes s’inquiètent fortement des reflux
massifs (déjà en cours) des capitaux en dehors du shadow banking system, et plus
particulièrement des hedge funds et des private equity d’ici la fin de l’année 2008. Quel sera
l’impact escompté de ces mouvements pour les marchés des capitaux ?

3. De manière corollaire, quel serait l’impact pour les institutions financières européennes
si d’autres tranches d’actifs financiers créés sur base de produits hypothécaires moins
risqués, mais non dépourvus de risque tels que les actifs ARM (adjustable rate mortgage) et
Alt-A7[6] qui devraient arriver à maturité en 2009 s'avéraient insolvables suite notamment à
la dégradation des perspectives en matière d’emploi aux USA?

4.Les sauvetages qui ont eu lieu dernièrement en Europe (Fortis, Dexia B&B) semblent
confirmer la logique du too big to fail et font état d’une capacité de réaction rapide et

6 Il est à cet égard intéressant de lire à titre rétrospectif l’article publié en avril dernier dans le journal Le
Figaro. L’article porte sur l’éventualité que la dette américaine soit « downgradée » et sur les conséquences
catastrophiques d’une telle situation : http://www.lefigaro.fr/economie/2008/04/15/04001-
20080415ARTFIG00590-les-etats-unis-menacespar-la-dette-.php
7 Ces actifs titrisés ont pour collatéral des crédits hypothécaires donnés à des ménages réputés solvables,

mais pour lesquels des crédits ont été octroyés sans vérification préalable des moyens effectifs de
remboursement des créances.
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concertée des acteurs publics européens dont on ne peut que se réjouir. Cependant,
compte tenu des risques accrus d’éclatement des bulles immobilières en Europe et des
autres risques systémiques conjugués, les dispositifs en vigueur au niveau de l’UE, y
compris la mise en ouevre des règles de la concurrence, semblent mal adaptés pour
répondre de manière cohérente et concertée à une situation où plusieurs institutions
financières transfrontalières connaitraient des graves difficultés de manière plus ou moins
simultanée. En effet, à l’heure où plusieurs institutions financières sont touchées de plein
fouet dans différents pays de l’UE il y a lieu de constater que les réactions se font, à ce
stade, en ordre dispersé. Or elles entraîneront des profonds changements dans le paysage
financier européen avec la disparition ou démembrement de certains pôles et l’émergence
de nouveaux oligopoles de grande envergure. Dans ces circonstances ne risque-t-on pas de
se trouver devant une situation où le secteur financier européen se restructure de
manière plutôt anarchique affaiblissant encore davantage les capacités de l’UE à
répondre de manière concerté et cohérente à une éventuelle aggravation de la crise ? ,

2 Considérat ions p rospectives en m a tière de régu lation

1. Comme en témoignent les vifs débats qui ont eu lieu durant la dernière séance plénière
du Parlement Européen, l’enjeu de la régulation financière se trouve au cœur de l’actualité
politique européenne. Deux résolutions d’initiative législative8 adoptées mercredi au
Parlement Européen obligent la Commission à présenter des propositions en matière de
fonds alternatifs (hedge funds) et fonds capital-investissement (private equity).
Le groupe des verts au PE a déploré que les éléments les plus audacieux de la résolution
aient été supprimés dans le but d’obtenir un accord politique avec la droite9.
Parmi ces éléments on trouve les demandes suivantes :
ƒ instauration d’une agence de supervision européenne des marchés financiers ;
ƒ mise en place d’une agence de notation publique et indépendante ;
ƒ mise en place d’une entité de certification des produits structurés ;
ƒ mise en place d’un cadre européen pour l’enregistrement et l’autorisation des
entités qui contrôlent les investissements des fonds alternatifs et fonds de capital-
investissements ;
ƒ instauration d’exigences en matière d’endettement des fonds capital-
investissements et imposition de limites aux effets leviers pour les fonds alternatifs.

De manière complémentaire à ces propositions en matière de régulation et de transparence,


ECOLO et les Verts européens portent depuis plusieurs années toute une série d’initiatives
visant à reconnecter la sphère financière de l’économie avec l’économie réelle telles que la
taxation des transactions de change et des transactions boursières et des initiatives
législatives10 dans le domaine de l’encadrement des fonds de pension. Il s’avère également
urgent de revoir les normes comptables internationales en vigueur (IFRS) qui obligent les
institutions financières à évaluer leurs actifs –et donc à modifier leurs bilans- en fonction
de la valeur de marché (fair value), ce qui ne manque pas d’entraîner des forts effets pro-
cycliques qui s’avèrent à l’heure actuelle néfastes.

8 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&reference=A6-2008-
0338&language=FR&mode=XML
9 Voir le communiqué de presse du groupe des verts au PE à l’adresse : http://www.greens-

efa.org/cms/pressreleases/dok/250/250749.rapport_rasmussen_crise_financire@fr.htm
10 Voir proposition de loi d’ECOLO en la matière :
http://www.senat.be/www/?MIval=/index_senate&MENUID=12200&LANG=fr
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Parallèlement à l’injonction reçue par la Commission de la part du PE en ce qui concerne


ces fonds, l’agenda législatif de la Commission prévoit deux initiatives importantes en la
matière :

ƒ Paquet « supervision financière ». Ce paquet vise à renforcer les normes existantes


en matière de coordination de la supervision financière au sein de l’UE et à définir
un cadre réglementaire portant sur les agences de notation (divulgation de la
communication attendue pour octobre 2008). Ce paquet en codécision sera
accompagné d’une proposition de révision de la directive du PE et du Conseil sur
les exigences en matière de capitaux propres des entreprises du secteur financier.

ƒ Une proposition de révision de la directive du Conseil sur la fiscalité de l’épargne.


Plusieurs sources annoncent une proposition de révision imminente de cette
directive de 2003 de manière à étendre son champ d’application aux personnes
morales et aux autres sources de revenus financiers. Cependant, cette révision ne
figure pas dans la dernière version du programme d’adoption d’initiatives
législatives de la Commission pour le dernier trimestre de 2008. Il est vraisemblable
qu’elle fera l’objet d’une proposition durant le premier trimestre 2009.

2. Un deuxième axe propositionnel concerne l’enjeu systémique de l’allocation du crédit.


Le recours actuel aux plans de sauvetage des pouvoirs publics pour empêcher certaines
institutions financières privées de sombrer ne doit pas être considéré sous l’angle exclusif
de la socialisation escomptée des coûts. Les formes de contrôle qui découlent des prises de
participation et des autres mécanismes de soutien ouvrent également des nouvelles
perspectives. Ils pourraient constituer des véritables leviers pour faciliter la transition
écologique et la socialisation des bénéfices par une politique de réallocation durable et
citoyenne du crédit. Si l’un des objectif à poursuivre par les écologistes est celui du
rééquilibrage du rapport capital-travail et la réallocation du crédit de manière à assurer un
soutien à des projets de développement durable, à retour modéré et nécessitant des
niveaux importants et stables d’investissements, il s’avère alors judicieux de prôner un
nouveau cadre réglementaire. Ce cadre viserait à moduler les coûts des refinancements des
agents financiers en difficulté en fonction des risques encourus et surtout à canaliser le
crédit vers des projets à haute valeur ajoutée en termes de durabilité sociale et
environnementale. Cet immense chantier s’avérera d’autant plus urgent et incontournable
que la crise prendra de l’ampleur et que les institutions financières auront recours aux
instruments de sauvegarde créés par les pouvoirs publics.

L’enjeu est énorme et doit être soulevé très rapidement. La prise de participation des États
du Benelux à Fortis et de la Belgique et la France à Dexia pourraient être considérés comme
des aides d'État par la Commission européenne. La présence de la commissaire à la
concurrence Nelly Kroes à la réunion de crise de dimanche 28 septembre dans le cadre des
négociations sur l’opération de sauvetage de Fortis porte cependant à croire que si
aide d'État il y a, elle ne sera pas considérée comme une aide illégale. La Commissaire a
elle même déclaré dimanche que "s'il y a un élément d'aide d'État, nous considérerons cela
comme une question d'urgence". Si la CE estime qu'il s'agit d'une aide d'État, il faudra
alors voir de quelle manière cette prise de participation sera notifiée ex-post par la Belgique
et ses voisins. Soit elle sera notifiée comme une aide au sauvetage, auquel cas elle
ne pourra être accordée que pour six mois, soit elle sera notifiée comme une aide à la
restructuration, ce qui implique que la Belgique devra soumettre un plan
de restructuration à la Commission sujet à son approbation.
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Dans ces circonstances la manière dont la CE va considérer ces prises de participation, et


de manière corollaire, le type de notification qui serait présenté par la Belgique dans le cas
où cette participation serait considérée comme une aide d'État revêt la plus haute
importance si l'on vise à saisir ce levier comme un vecteur de socialisation des bénéfices et
d'allocation durable du crédit.

3. A plus court terme, il apparaît opportun de faire des propositions spécifiques dans le
domaine des salaires des patrons et gestionnaires de fonds. Les formes de rémunération en
fonction des résultats des entreprises assorties de parachutes dorés récompensent les prises
de risque.

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