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Les enseignements de la crise des subprimes

Article · January 2011

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Les enseignements de la crise des subprimes | 1

Si la crise des subprimes est aujourd’hui comparée à la crise de 1929, c’est


notamment par l’ampleur de ses conséquences sur la sphère économique ainsi que son très
grand classicisme (Kindleberger, 1978). Dans la lignée des travaux de Thornton, Wicksell,
Keynes et Minsky, la dynamique de l’instabilité financière permet d’interpréter la crise à
partir de différentes phases successives. C’est tout d’abord la phase euphorique : vague
d’optimisme des investisseurs et des banques, boom du crédit et surendettement, sous-
estimation généralisée du risque, rémunérations élevées des opérateurs et profitabilité
bancaire, apparition d’une bulle. C’est ensuite la phase d’ajustement, généralement brutale :
le choc, endogène ou exogène (choc des taux d’intérêt), provoque un retournement des
anticipations, les prix des actifs chutent, les premières difficultés de remboursement
apparaissent, les opérateurs prennent conscience des risques qu’ils ont pris. Enfin, la phase
de retournement : inversion des prises de position sur les marchés, défauts de
remboursement généralisés créant un risque systémique, dégradation des bilans des
banques, premières faillites, sentiment de défiance et de crainte collective, réduction des
crédits consentis aux ménages et aux entreprises (credit crunch). Au final, on retrouve un
enchaînement bien connu des économistes, une crise financière (monétaire ou immobilière)
qui fait chuter les prix des actifs, une crise économique qui traduit l’ajustement de la sphère
réelle (baisse des investissements nationaux et des investissements directs à l’étranger,
ralentissement de la consommation…) et une crise sociale qui rappelle que la perte d’emplois
précarise la situation sociale des individus (montée des inégalités) et aggrave le niveau de
chômage d’un pays (10% aux Etats Unis et en Europe).
Bien que les regards soient aujourd’hui rivés sur les signes de la reprise économique (la
fameuse sortie de crise), un grand nombre d’économistes, de médias et de commentateurs
de la scène internationale ont souhaité éclaircir les débats et l’esprit de nos concitoyens en
posant les deux questions suivantes : i) Comment la crise a été initiée et comment s’est-elle
propagée à l’ensemble du monde ? ii) Comment se fait-il que la grande majorité des
économistes – hormis quelques exceptions (Maurice Allais, Robert Roubini, Robert Shiller,
André Orléan…) – n’ait pas senti venir la crise financière ? Notons le déplacement
sémantique de ces deux questions. La première, très conventionnelle, se contente de préciser
les caractéristiques de la crise dite des subprimes1. Il s’agit ainsi de comprendre les rouages
et les manifestations d’une crise qui affecte de manière durable l’économie mondiale. La
seconde, plus polémique, s’est immédiatement focalisée sur la responsabilité des
économistes.

1
Contrairement à la crise de 1929 qui est associée à une date, la crise des subprimes renvoie à l’objet, des crédits
hypothécaires à risques élevés.
Les enseignements de la crise des subprimes | 2

La crise des subprimes


Même si les polémiques continuent à faire rage, il convient de signaler que les réponses à la
première question ont mis en lumière les principaux enchaînements de la crise des
subprimes. Dans leur rapport « La crise des Subprimes », Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze,
Christian de Boissieu et Gunther Capelle-Blancard (2008) ont mis en lumière six faits stylisés
susceptibles d’expliquer la crise immobilière. 1° un excès de liquidité au niveau mondial dû à
la progression rapide des réserves de change des banques centrales des pays émergents
(balance commerciale excédentaire de la Chine2) et des pays exportateurs de matières
premières (hausse des cours en 2008), ainsi qu’à l’expansion du crédit (baisse des taux
d’intérêt, innovations financières…). 2° une baisse globale de l’inflation et de sa volatilité
(l’inflation mondiale est passée d’un niveau moyen de 12% à 5% de 1997 à 2007). 3° Une
baisse généralisée des primes de risques entrainant une diminution de l’aversion pour le
risque (le spread entre les obligations notées BAA et celles des pays émergents passe de 500 à
300 points de base de 2000 à 2005). 4° Une baisse des taux d’intérêt à long terme (une
conséquence de la baisse de l’inflation et des primes de risque) malgré un resserrement de la
politique monétaire américaine. 5° Une expansion du crédit (la baisse des taux d’intérêt et
des primes de risques a favorisé l’effet de levier3 des banques commerciales et des Hedge
funds, mais également celui des entreprises et des ménages). 6° Une augmentation des prix
des actifs qui favorise l’expansion des crédits hypothécaires (les emprunts sont gagés sur la
valeur des actifs immobiliers, c’est le principe de l’accélérateur financier) et l’effet richesse
(Carroll, Otsuka et Slacalek [2006] précisent qu’une hausse de 100$ du prix de l’immobilier
engendre une augmentation de la consommation des ménages de 2 $ à court terme et de 9 $ à
long terme).
A ces déséquilibres macroéconomiques, s’ajoutaient des déséquilibres microéconomiques
et des politiques institutionnelles favorables à l’endettement.
Dell’Ariccia, Igan et Laeven (2008) ont insisté tout particulièrement sur l’idée que l’exigence
de rentabilité serait l’un des principaux responsables de la crise de subprimes (il s’agissait de
retrouver des perspectives de profits après une période marquée par la bulle internet de
2000). Plusieurs faits vont dans ce sens : (i) l’augmentation du volume des prêts liée au
relâchement des conditions d’attribution des institutions bancaires (ces critères
s’assouplissent en cas de conjoncture favorable et se durcissent dans le cas d’un
retournement de la conjoncture). On retrouve ici les fameux crédits subprimes4, c'est-à-dire
des crédits hypothécaires accordés à des emprunteurs à risques (par opposition aux crédits
primes5, souscrits par des emprunteurs qui offrent d’excellentes garanties de
remboursement). De 2001 à 2006, les crédits subprimes sont passés de 94 à 685 milliards de $.

2 L’interaction entre les Etats Unis et le continent asiatique constitue la principale pierre d’achoppement du

système financier mondial (Gerbier, 2009). Le déficit commercial américain vis-à-vis de cette région a atteint 700
milliards de $ en 2007. Il a conduit à une dette de plus de 200 000 milliards de $, en majorité souscrite par des
agents publics et privés asiatiques, ainsi que des Etats pétroliers du Golfe, et à l’achat massif de bons de trésor
américains par les partenaires asiatiques excédentaires (dont la Banque Centrale de Chine).
3
Il s’agit notamment des stratégies de rachat d’actions des sociétés américaines en vue d’accroître la rentabilité de
leurs capitaux propres, de l’endettement des ménages pour financer leur investissement immobilier, de la
titrisation utilisée par les banques pour diminuer leur besoin en capital.
4 Le Commercial Bank Examination Manual (manuel bancaire édité par la Reserve Federal) définit la population

subprime de la manière suivante : “Generally, subprime borrowers will display a range of one or more credit-risk
characteristics, such as : two or more 30 days delinquencies in the last 12 months, or one or more 60 days delinquencies in
the last 24 months; judgment, foreclosure, repossession, or charge off in the prior 24 months; bankruptcy in the last five
years; relatively high default probability as evidenced by , for example, a credit bureau risk score (FICO) of 660 or below
(depending on the product or collateral), or other bureau or proprietary scores with an equivalent default probability
likelihood” (Artus et alii, 2008, p. 45).
5 De 2001 à 2004, le spread entre les emprunts des crédits primes et subprimes passe de 2.7% à près de 0.6%.
Les enseignements de la crise des subprimes | 3

Il s’agit de crédits à taux variable (en forte augmentation, 1 à 13%), à taux fixe (en forte
diminution, 41 à 26%), de prêts hybrides (taux fixe et taux variable) ou encore de prêts
« ballons6 » (en forte augmentation, 15% des crédits en 2006 contre 3% en 2005). (ii) la hausse
du volume des prêts associée à une concurrence exacerbée entre les banques. Cette politique
commerciale agressive des banques a introduit un mécanisme d’incitations et de
rémunérations7 (en 2006, ce sont près de 24 milliards de bonus qui ont été distribués par les
cinq principales banques d’affaire à Wall Street) très pervers. (iii) un assouplissement des
critères d’attribution lié au phénomène de titrisation (innovations financières). En soi, cette
technique n’est pas nouvelle, la titrisation est une opération financière qui consiste à
transformer des prêts bancaires illiquides en titres négociables sur des marchés. Elle permet
ainsi aux banques de transférer le risque de crédit sur d’autres intermédiaires8. Dans les faits,
les prêts sont cédés à des trusts (ou fonds communs de créance, FCC) qui financent cet achat
par l’émission de titres. Les premières opérations de titrisation ont vu le jour aux Etats Unis
dans les années 70 sous l’égide de trois agences spécialisées disposant de garanties de l’Etat :
la Federal National Mortgage Association (Fannie Mac), la Federal Home Loan Mortgage
Corporation (Freddie Mae) et la Government National Mortgage Association (Ginnie Mae).
Elles concernaient initialement des prêts hypothécaires (Mortgage Backed Securities, MBS),
cependant, rapidement d’autres produits ont servi de support, les crédits automobiles, les
prêts étudiants, les encours de cartes bancaires (il s’agit des Asset Backed Securities, ABS). En
2007, le marché des MBS et AMS représentait près de 10 000 milliards de $ (multiplié par
trois en dix ans). La crise des subprimes met ainsi en évidence l’apparition de nouveaux
produits, eux-mêmes adossés sur de nouvelles garanties. Il s’agit notamment des
Collateralised Mortgage Obligations (CMO), des collateralised Debt Obligations (CDO), des
Collateralised Synthetic Obligations (CSO)…, structurés par tranches de risque (tranche Senior
notée AAA par les agences de notation, tranche Mezzanine notée BBB, la tranche Equity plus
exposée avec un rendement non précisé mais une espérance de gain élevé) et vendus selon
différents niveaux de risques à des investisseurs. Les Special Investment Vehicules (SIV)
viennent parachever le tout en procédant à une agrégation des CDO. Figurant en général
hors du bilan, ils échappent aux règles prudentielles (les ratios Cooke et McDonough). Ces
innovations financières, à la fois sophistiquées (prêts hybrides, prêts ballons) et
sophistiquées (l’évaluation de la valeur des paquets de crédits repose sur des modèles
mathématiques que peu d’investisseurs comprennent), ont quelque peu fragilisé le système
financier9 : risques de défaillance des processus internes suite à des erreurs ou la
malveillance humaine (affaire Kerviel ?), problèmes liés au système d’information (asymétrie
d’informations), difficultés pour évaluer des produits spécifiques et découvrir le prix, risques
de modèles (notamment des modèles économétriques de marché qui peuvent être inadaptés
ou mal spécifiés), concentration des risques auprès de quelques acteurs susceptibles de
provoquer des défaillances en chaîne… (iv) l’expansion du crédit est corrélée à la hausse des

6 Les prêts ballons prévoient un remboursement d’une partie du capital à la dernière période.
7 En 2005, les patrons des cinq plus grandes banques de Wall Street ont cumulé près de 151 millions de $ de
rémunérations. En tête, Henry Paulson, directeur général de Goldman Sachs, qui a touché 38 millions de $ en
salaires, actions et options (soit 17 000 $ de l’heure alors que le SMIC américain dépasse à peine 5 $). Ensuite,
Stanley O’ Neal qui dirige Merrill Lynch, a reçu 35.4 millions de $. Dick Fuld, patron de Lehman Brothers s’est vu
attribuer 34.5 millions de $. James Cayne, Chez Bear Stearns, a obtenu la somme de 30.2 millions de $. Enfin, John
Macks, patron de Morgan Stanley, a touché 12.3 millions de $ alors qu’il n’a dirigé la banque que la moitié de
l’année.
8
Les banques qui montent ces opérations de titrisation (inscrites en hors bilan) s’engagent à en assurer la liquidité
auprès des sociétés avec lesquelles elles sont en relation, si le marché venait à s’assécher
9 On comprend l’étendue du problème lorsque l’on sait que le détenteur final de la créance n'est plus celui qui l'a

accordée et lorsque les banques ont une incitation moins forte à s'assurer de la solvabilité des emprunteurs ou à
limiter la quantité des crédits à risque.
Les enseignements de la crise des subprimes | 4

prix de l’immobilier. (v) une corrélation entre le cycle des critères d’attribution et celui des
taux d’intérêt directeurs de la FED.
Di Lorenzo (2007) et Liebowitz (2008) ont souligné quant à eux les effets pervers du
Community Reinvestment Act voté en 1977. Destiné à encourager les institutions financières « à
répondre aux besoins de crédit des communautés locales au sein desquelles elles opèrent, y
compris dans les quartiers à revenu faible ou modéré », il aurait poussé les institutions à
prendre plus de risques et alimenté la bulle spéculative immobilière. On peut ajouter que le
Department of Housing and Urban Development (HUD) n’a pas hésité à imposer des cibles
(clientèle la moins fortunée) aux institutions financières de manière à relancer l’accession à la
propriété. En 2005, 52% des hypothèques rachetées par Freddie Mac et Fannie Mae (deux
sociétés cotées en bourse mais qui ont une mission publique de soutenir le secteur du
logement) devaient provenir de ménages gagnant moins que le revenu médian de leur
région, 22% de ces prêts devaient être accordés à des ménages gagnant moins de 60% du
revenu médian.

La responsabilité des économistes


A la question, comment se fait-il que la grande majorité des économistes – hormis
quelques exceptions (Maurice Allais, Robert Roubini, Robert Shiller…) – n’ait pas senti venir
la crise financière ? Plusieurs réponses ont été données.
Dans le Dahlem Report, David Colander, Armin Haas, Michael Golberg, Alan Kirman…
évoquent a « systematic failure of the economics profession » (2009, p. 2). Les raisons de cet échec
seraient à la fois méthodologiques (on préfère étudier la stabilité des marchés confrontés à
des chocs exogènes plutôt que l’instabilité inhérente aux modèles dynamiques, les modèles
linéaires et les fonctions en temps continu sont privilégiés au détriment de modèles plus
chaotiques et de fonctions à temps discret), théoriques (les crises sont des épiphénomènes,
seule la croissance est étudiée ; hypothèses de l’agent rationnel et de l’information parfaite)
et pédagogiques (les économistes ne communiqueraient pas assez sur les limites de leurs
modèles). Ces errements de la science économique sont difficiles à comprendre étant donné
les travaux précurseurs de Clément Juglar (1856), Walter Bagehot (1873), Irvin Fisher (1897),
John Maynard Keynes (1936), James Tobin (1958), John Galbraith (1961), Charles
Kindleberger (1978, 1989), Joseph Stiglitz (1981), Robert Shiller (1981, 1982), George Akerlof
(1981, 1987), Hyman Minsky (1986), Maurice Allais (1999)…
Willem Buiter (2009) note que l’influence de ces économistes « hétérodoxes » a été très
limitée, la théorie monétaire préférant s’appuyer sur l’hypothèse des marchés efficients
(Fama, 1965), à savoir que les prix des actifs financiers reflètent toute l’information
disponible et que chaque agent peut utiliser ces signaux pour estimer son degré d’exposition
au risque. Ainsi, lorsque le risque s’élève, les investisseurs demanderaient une augmentation
des taux d’intérêt (hausse de la prime de risque) ou arrêteraient tout simplement d’acheter
des actifs financiers. Les hausses de prix seraient ainsi maintenues dans des limites
raisonnables grâce à l’efficience des marchés. Malgré les échecs manifestes de cette
hypothèse au cours des années 70, 80, 90 et 2000 (Aglietta, 1994 ; Broussard, 1998), la plupart
des travaux macroéconomiques continuent « to swallow the Efficient Market Hypothesis (EMH)
hook, line and sinker » (2009, p. 3). Pour Paul Krugman (2010), l’Ecole de Chicago, en la
personne d’Eugene Fama (et sa conviction qu’il n’y a pas eu de crise financière, mais juste
une réaction des marches financiers à une crise économique), “just turned inward on itself circa
1982, and stopped paying attention either to the world or to anyone not of its tribe”.
L’efficience des marchés financiers constituerait ainsi le cœur du problème. La crise des
subprimes ne serait pas liée à de prétendus comportements cupides ou irrationnels mais bien
Les enseignements de la crise des subprimes | 5

au strict respect des règles du jeu financier (Orléan, 2008, 2009) et à la confiance aveugle dans
les modèles macroéconomiques de la théorie dominante. Ainsi, comme le souligne Dani
Rodrick (2009, p. 2), la faute n’incombe pas à la science économique, mais bien aux
économistes, « the problem is that economists (and those who listen them) became over-confident in
their preferred models of the moment: markets are efficient, financial innovation transfers risk to those
best able to bear it, self regulation work best, and government intervention is ineffective and harmful
». Au lieu d’être des analystes, les économistes seraient devenus des idéologues, favorisant
tel ensemble d’arrangements socioéconomiques par rapport à d’autres. Ce sentiment est
partagé par bon nombre d’économistes. Jean-Luc Gréau (2009) parle ainsi de « Trahison des
économistes », ces derniers seraient devenus les chantres du néolibéralisme. De leur côté,
Pierre Dardot et Christian Laval (2009) constatent que les économistes ont perdu ce sens de
la critique et de la répartie qui ont fait les beaux jours de l’économie politique au 18ème siècle
(Adam Smith s’opposant aux mercantilistes), 19ème siècle (Marx critiquant les thèses de
Malthus et Ricardo) et 20ème siècle (Keynes remettant en cause la loi des débouchés de Say,
Hayek et Friedman condamnant les idées de Keynes…). Les économistes seraient ainsi
devenus des techniciens, cherchant à améliorer la sophistication de leur boîte à outils. C’est
cette « sécurité théorique » qui leur a permis d’affirmer que tout allait bien, qu’il n’y avait
rien à craindre. Faisant fi de toute considération psychologique, ils ont délaissé le champ des
intérêts passionnés (Latour, Antonin, 2009) pour le raffinement du cadre économique. Dès
lors, les agents agissent pour des motifs purement économiques et font preuve d’un
comportement rationnel en toutes circonstances.

Présentation de l’ouvrage
L’ouvrage que nous présentons aux lecteurs, aborde les questions de l’origine de la crise
et de la responsabilité des économistes à partir d’une réflexion collective mélangeant à la fois
l’histoire des faits et des idées. L’ensemble des sciences humaines a été mobilisée pour
comprendre la nature de la crise des subprimes et en tirer quelques enseignements.
La première partie est consacrée aux leçons de la crise financière. Christian Tutin et Julien
Mendez commencent tout d’abord par tordre le cou à une idée reçue, la crise des subprimes
ne doit pas être rapprochée de la crise de 1929, mais de la crise américaine de 1907. La
panique Roosevelt se présente comme une crise de liquidité bancaire, qui résulte d’un défaut
manifeste de régulation et met en cause un problème de prêteur en ressort. Résolue par des
méthodes non conventionnelles, cette crise a débouché sur un changement institutionnel
majeur, la création de la FED (Banque Centrale américaine) en 1913. De son côté, Jérôme de
Boyer des Roches mobilise l’histoire de la pensée monétaire, une discussion des règles
comptables et l’observation de la gestion française de la crise pour comprendre la nature du
prêteur en dernier ressort qui est a l’œuvre depuis 2007. En s’appuyant sur les notions de
liquidité et de solvabilité, perçues il y a plus de deux siècles par Steuart (1767), Smith (1776)
et Thornton (1802), l’auteur met en évidence deux notions de solvabilité bancaire,
potentiellement divergentes, qui apparaissent à la lecture des états financiers publiés par les
banques conformément aux normes IFRS. La crise de 2007-2009 serait ainsi une crise de
liquidité entretenue et amplifiée par une panique de solvabilité des banques qui n’est pas
fondée. Cette thèse de la fragilité financière est analysée par Asma Amina Boutouizera et
Yasmine Khenniche à la lumière des travaux de Minsky (1985). Nos deux auteurs insistent
sur le caractère endogène de la crise des subprimes. C’est tout d’abord la hausse des prix du
marché immobilier qui enclenche le mécanisme. Les plus values potentielles et les politiques
bancaires attirent à la fois les investisseurs et les ménages les moins aptes à rembourser les
crédits. Tout le monde y trouve son compte. Les banques consentent largement des crédits et
réduisent leurs primes de risque en tolérant des taux d’endettement élevés, de sorte que les
Les enseignements de la crise des subprimes | 6

bilans des agents tendent progressivement à se fragiliser. Les ménages peu solvables
accèdent à la propriété. Cet engouement pour l’immobilier va créer une bulle dans un
contexte de hausses des taux d’intérêt, initiées par la FED. Finalement, le retournement du
marché de l’immobilier et la crise de confiance ressentie à l’encontre des détenteurs de titres
adossés à des crédits subprimes bousculeront la situation des institutions prêteuses.
On connaît la suite, la crise des crédits hypothécaires à risque a entrainé les marchés
financiers dans la tourmente et s’est transformée rapidement en une crise économique sans
précédent. Face à une telle récurrence des évènements et à l’instabilité du capitalisme
financier, David le Bris et Christian Gomez soulèvent quelques pistes de réflexion. David le
Bris propose d’appréhender les krachs à travers le temps, et ce malgré les changements dans
le régime de volatilité, à partir d’une nouvelle méthode. Chaque variation mensuelle est
mesurée en nombre d’écart-types de la période précédente. Les pires variations ainsi ajustées
désignent les krachs. Les résultats obtenus seraient selon lui plus cohérents avec l’histoire
financière. Par exemple, la Première Guerre Mondiale provoque d’importantes variations de
cours ajustées malgré un faible niveau de volatilité antérieure et de faibles variations en
pourcentage. La période récente est plus caractérisée par un niveau élevé de volatilité qu’une
époque de fréquents krachs. De son côté, Christian Gomez s’interroge sur le pouvoir de
création monétaire des banques. Le système bancaire à couverture fractionnaire porterait
selon lui les germes de l’autodestruction des économies de marché. Parmi les projets de
réforme proposés, l’un d’entre eux, le « 100% Money », qui impose aux banques un taux de
réserve de 100% sur les dépôts à vue et assimilés, fait l’objet d’une analyse détaillée. En
réactivant les réflexions sur cette question, Christian Gomez montre que cette idée, déjà
ancienne puisqu’elle remonte aux années 30, peut être à nouveau d’une grande actualité,
maintenant que la crise a rappelé, avec l’acuité que l’on connaît, le vice fondamental de nos
systèmes bancaires : la couverture fractionnaire. Assez facilement applicable aujourd’hui,
elle permettrait en effet de résoudre quelques grands problèmes de notre temps : réguler les
économies plus efficacement qu’à présent, améliorer leur productivité et, par la captation des
gains de la création qu’elle implique, donner une solution aux problèmes budgétaires et de
dette publique qui assaillent nos sociétés, d’une manière plus aigue encore après la crise. En
fait, elle pourrait être la clef d’une nouvelle ère pour les économies de marché, la base d’une
refondation d’un nouveau capitalisme.
La seconde partie propose une relecture de la crise des subprimes au prisme des faits, des
idées et des théories économiques. Elle laisse une large place aux apports de l’histoire, de la
psychologie et de la philosophie. Michel Rocca propose ainsi une lecture régulationniste de
l’intervention publique sur la période 2008 – 2010 à la lumière des enseignements de
l’expérience américaine des années 1929 – 1935. Cette analyse comparative cherche à
déterminer les principaux attributs d’une intervention publique susceptible de favoriser une
reprise économique à moyen terme. Indispensable, cette intervention doit s’avérer pertinente
en évitant l’aggravation de la situation, politique et structurelle, mais surtout disciplinaire,
au sens où la discipline est entendue comme un ensemble de règles à imposer par le
politique. Cédric Durand et Philippe Légé prolongent cette piste de réflexion sur la période
1970 – 2010 en faisant dialoguer différentes approches hétérodoxes (les courants
régulationnistes, marxistes, postkeynésiens et néo-schumpeteriens) qui mettent l’instabilité
du système capitaliste au cœur de leurs analyses. Les effets de la dialectique
suraccumulation /concurrence, le freinage de l’accumulation par la hausse des coûts, et les
difficultés à faire émerger un nouveau paradigme techno-économique engendrant des gains
de productivité élevés donneraient un certain écho contemporain aux analyses de Smith,
Ricardo et Mill.
Les enseignements de la crise des subprimes | 7

Si la crise actuelle interpelle les théoriciens et sème le trouble parmi les plus fervents
défenseurs de l’orthodoxie, elle constitue également un terrain privilégié pour de nouvelles
investigations. Eric Bosserelle pose clairement la question de la pertinence des approches
menées en termes de Kondratiev. A ses yeux, la crise actuelle tend à conforter les critiques
qui avaient été adressées à ses partisans. Dès lors, la problématique des ondes longues serait
une voie plus féconde pour interpréter la crise en cours et, plus généralement, pour analyser
la dynamique et les transformations historiques du capitalisme. Une autre manière de
rappeler que les spécificités de la crise actuelle pourraient bien exprimées les contradictions
structurelles du capitalisme. C’est tout du moins la thèse avancée par Fabien Tarrit qui nous
rappelle que le déclenchement de la crise repose paradoxalement sur les composantes de la
période de croissance relativement longue entre 2002 et 2006. L’explosion de la bulle
immobilière à l’été 2007, qui s’est transformée en crise financière, puis en récession
économique mondiale, serait finalement l’expression d’un phénomène de suraccumulation –
dévalorisation du capital et de la tendance à la baisse du taux de profit. Fabien Tarrit analyse
les mesures mises en œuvre par les différents acteurs pour répondre à cette crise et
s’interroge sur la pertinence des discours présentant la reprise économique. La crise des
subprimes marque ainsi le retour de l’histoire, et plus généralement des sciences humaines,
dans la compréhension et l’analyse des soubresauts du système capitaliste. Arnaud Diemer
s’appuie sur les œuvres de John Maynard Keynes, Maurice Allais, John Galbraith, Daniel
Kahnemann… pour rappeler que les forces psychologiques constituent un principe
fondamental pour comprendre les comportements individuels et collectifs des agents
économiques. La psychologie est en effet mobilisée pour rendre compte de l’apparition des
bulles financières, des effets de contagion et des mouvements de panique. Les notions de
confiance et de mauvaise foi, d’euphorie et d’orgie financière, d’imitation ou de
mimétisme… sont des manifestations qui exacerbent les comportements des agents, qui
sortent du cadre de la théorie de la rationalité économique pour entrer dans le domaine des
Animal Spirits. Il n’y a ainsi qu’un pas à faire pour considérer que les marchés financiers ne
fonctionnement pas comme les marchés de biens et services, pour comprendre que la remise
en cause de l’homo economicus marque le retour à un homo sapiens, plus sensible au
contexte socioculturel et institutionnel de son époque. Un constat que Joseph Schumpeter
n’aurait sûrement pas réprouvé. Au-delà des figures légendaires de l’entrepreneur et des
innovations, Fabrice Dannequin nous rappelle que l’économiste autrichien ne s’est pas
réfugié dans un modèle universaliste pour analyser les rouages du capitalisme. A l’image du
système auquel il adhère, l’homo economicus bourgeois (c’est à dire les entrepreneurs qui
réussissent) se trouve en perpétuel mouvement. Les transformations du capitalisme
bousculent les valeurs des classes. L’éthique et la morale, désormais fondées sur
l’enrichissement, seraient ainsi progressivement condamnées.
La troisième et dernière partie de l’ouvrage aborde la crise des subprimes sous l’angle des
différents modèles économiques. Si la question des finances publiques a marqué une
nouvelle étape dans la crise économique, il convient de souligner que les conséquences de
cette dernière n’ont pas été les mêmes dans tous les pays, certains ont vu leur économie
emportée par un véritable raz de marée (faillite de l’Islande), d’autres ont dû avoir recours
aux institutions européennes et internationales (la Grèce). Pour comprendre la portée et les
conséquences des crises, Guillaume Sarrat de Tramezaigues propose une étude comparée de
l’évolution des stabilisateurs automatiques de la France et de l’Allemagne à travers les crises
de 1992 – 1993, 2000 – 2002 et 2007 – 2010. L’auteur avance l’idée selon laquelle le
comportement d’épargne des ménages français et allemands serait aujourd’hui déconnecté
de ses déterminants classiques. La stabilisation automatique en France serait notamment de
plus en plus handicapée par la montée de l’épargne de précaution. Certaines composantes de
cette stabilisation iraient même jusqu’à s’opposer par des effets d’éviction aux politiques de
Les enseignements de la crise des subprimes | 8

relance par une stimulation de l’effet d’équivalence ricardienne liée à l’accroissement des
déficits structurels. Dans le cas de l’Allemagne, les stabilisateurs automatiques sembleraient
avoir perdu de leur influence du fait de la réorientation significative depuis le début des
années 2000 des principaux facteurs de croissance économique vers la demande extérieure
au détriment de la demande domestique. De son côté, Iuliana Matei a cherché à dépasser
l’explication par les facteurs domestiques en mettant en évidence le phénomène de contagion
internationale. Son papier teste plus précisément la présence de la causalité au sens de
Granger entre quelques pays européens (Allemagne, France, Finlande, Portugal, Royaume-
Uni) et non européen (Japon) sur le marché de la dette souveraine entre 2003 et 2009. Se
plaçant dans la lignée des travaux de Sanders et Kleimeier (2002), l’auteur identifie étudie
deux périodes (une période tranquille du 1er janvier 2003 au 29 juin 2007 ; une période de
crise du 2 juillet 2007 au 1er septembre 2009) et montre que les liens de causalité entre les
pays sont différents entre la période de pré-crise et la période de crise. A ses yeux, ce résultat
suggérerait la présence d’une forme de contagion pure à la Masson (1999). Michael Goujon et
Samuel Guérineau ont également mis en évidence les mécanismes de contagion dans le cas
des pays en transition, en l’occurrence l’Ukraine et la Biélorussie. Sans toutefois retenir
l’hypothèse forte de contagion pure, ils notent que les effets de la crise apparaissent sous la
forme de chocs communs (baisse du prix des commodités) et d’effets de débordement (baisse
de la demande européenne, baisse de la liquidité des investisseurs). Malgré certaines
ressemblances, les crises ne sont pas jumelles. L’expérience ukrainienne met en évidence les
risques associés à la libéralisation des mouvements de capitaux dans un contexte d’instabilité
du système financier mondial alors que le cas biélorusse soulève la pertinence des effets
amortisseurs du budget de l’Etat (accroissement de la dette externe préfigurant une
dépendance forte vis-à-vis de la Russie, utilisation massive de crédits dirigés pouvant
occasionner un gonflement des créances douteuses de banques biélorusses).
Reste le cas de la Chine et de la zone pacifique, Catherine Figuière et Laëtitia Guilhot
reviennent sur cette question en testant l’hypothèse du découplage entre la conjoncture
asiatique et celle des grands pays occidentaux à la suite de la crise des subprimes. Si l’Asie
Orientale s’est engagée dans un processus d’intégration régionale (la Chine et le Japon y
jouent des rôles spécifiques), les auteurs notent que les limites actuelles de ce processus ne
lui permettent pas encore d’échapper aux aléas conjoncturels occidentaux. La zone asiatique
est encore très dépendante de la demande occidentale, la Chine constituant le pivot d’un
commerce triangulaire. Le glissement du centre de gravité du monde vers l’Asie reste donc à
confirmer. La crise semble accentuée ce phénomène, cependant un certain nombre
d’interrogations demeure : Est-ce que la Chine, et plus généralement les pays émergents
(Brésil, Russie, Inde…), seront capables de tirer la croissance mondiale ? La sortie de crise
passe t’elle par un réajustement des forces en présence, un nouveau modèle de croissance
plus soutenable ? Est-ce que les grands déséquilibres macroéconomiques (épargne –
investissement) continueront à persister ?
Autant de questions qui demanderont aux économistes, un peu de pédagogie, beaucoup de
discernement et encore plus d’humilité. Si les caractéristiques, les causes et les mécanismes
de diffusion de la crise déclenchée par les spéculations financières ont fait l’objet d’une vaste
littérature, on manque encore beaucoup de repères sur les capacités de réaction des espaces
économiques internationaux, nationaux et régionaux. Le cas du système économique et
social de la Vénétie, abordé par David Celetti, est symptomatique du débat initié par
Marshall avec les districts industriels. Autrement dit, dans quelle mesure, les arrangements
institutionnels locaux sont-ils susceptibles de réagir de façon originale aux tensions imposées
par les différentes crises conjoncturelles et de se démarquer de la moyenne nationale. Les
conditions d’une économie locale étant le résultat d’un processus de longue durée, s’insérant
dans des spécialisations sectorielles et des structures sociales préexistantes, tout laisse à
Les enseignements de la crise des subprimes | 9

penser que modernisme et tradition ne sont pas antinomiques. Le capitalisme local pourrait
bien tirer son épingle du jeu par une capacité à intégrer l’innovation à partir de valeurs
ancestrales.

Arnaud Diemer
Sylvie Dozolme

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