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La légitime défense peut-elle être employée contre des acteurs non étatiques ?

Lors de son discours du 14 novembre 2015, le président français François Hollande


caractérise les attentats ayant eu lieu à Paris le 13 novembre comme une « acte de guerre
réalisé par l’armée terroriste, Daech ». Quelques années auparavant, c’est le président George
W. Bush avait qualifié les attentats du 11 septembre 2001 d’agression armée durant son
discours. Ce choix de qualifier ces actes d’agression armée, a pour objectif de mettre en avant
l’idée de légitime défense. En effet la légitime défense nécessite la présence d’une agression
armée pour être imposable. Tout d’abord la légitime défense désigne, selon Jean Salmon, le
droit de réaction armée dont dispose à titre individuel ou collectif, tout État qui a été victime
d’une agression armée.
Cependant le principe de légitime défense est un principe très récent. En effet l’usage
de la force par un État était, pendant plusieurs centaines d’années, totalement légal. C’est tout
d’abord avec le Pacte de la Société des Nations, signé le 28 juin 1919, sur la lancée de la
Convention de la Haye, qui rend le cadre légal de la guerre plus stricte. Mais le premier pacte
qui a rendu la guerre complètement illégale est le Pacte Briand-Kellog du 27 aout 1928, signé
à Paris. Aujourd’hui l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations unies interdit tout
recours à la force. Cependant il existe deux exceptions : les mesures prises par le Conseil de
Sécurité et pour finir le Légitime défense dispose à l’article 51 de la Charte. La légitime
défense doit donc répondre à une agression armée, et doit obéir aux conditions coutumières
de proportionnalité et de nécessité. Dans le cas contraire c’est une violation de l’interdiction
du recours à la force disposé à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte. Son objectif est de
garantir la stabilité et la paix Internationale.
De plus, les cas de recours à la force sont en pleine évolution. En effet, autrefois, la
majorité des guerres opposaient deux États, la plupart du temps voisins. Alors qu’aujourd’hui,
les conflits ont muté, et ce sont les acteurs non étatiques qui attaquent d’avantages. Noam
Lubelle, professeur à la faculté de droit de l’université d’Essex, définit les acteurs non
étatiques comme étant des individus ou des groupes qui n’agissent pas pour le compte d’un
État. Son identité et son existence sont indépendantes de l’État, il ne fait pas partie d’une
structure étatique. Le nouveau rôle que jouent ces acteurs apporte de nouvelles interrogations
et ainsi de nouveaux débats en ce qui concerne les modalités de la légitime défense. En effet,
est-il possible pour un État de réagir par la voie de la légitime défense contre un acteur non
étatique ? Ce sujet est d’autant plus intéressant qu’il est actuel, un monde en perpétuelle
évolution dans lequel la place des acteurs privés est de plus en plus importante, il est donc
important de savoir quels sont les moyens pour les États de se défendre contre des potentielles
attaques provenant de ces acteurs. Enfin l’interdiction du recours à la force est imposable à
tous les États, y compris ceux qui ne sont pas membres des Nations Unies, car ce principe
d’interdiction désigne un droit coutumier, il n’y a donc pas de limite spatiale.

Au vu du poids important qu’ont pris les acteurs non étatiques dans les relations
internationales, il est intéressant de se demander si les États victimes des agressions armées
faites par les acteurs non étatiques ont la possibilité de recourir à la légitime défense
directement contre eux.

Tout d’abord l’évolution de la place des acteurs non étatiques sur la scène
internationale peut avoir un impact sur les conditions du droit à la légitime défense (I).
Cependant cette évolution reste fragile et les États restent les seules à se voir opposer la
légitime défense (II)
I- l’apparition des acteurs non étatiques sur la scène internationale : L’évolution
du principe de légitime défense 

l’ambiguïté de l’article 51 de la Charte laisse la possibilité aux acteurs non étatiques d’être
visé par le principe de légitime défense (A). Cependant la réelle évolution de la place des
acteurs non étatiques dans le droit de recourir à la force a eu lieu suite aux attentats du 11
septembre 2001 (B).

A- Le cadre légal de la légitime défense : des termes ambigus lassant une chance aux
États attaqués d’utiliser la légitime défense contre des acteurs non étatiques.

La légitime défense est réglementée à l’article 51 de la Charte qui dispose : « Aucune


disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense,
individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une
agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de Sécurité ait pris les mesures nécessaires pour
maintenir la paix et la sécurité internationales. » Cet article décrit les conditions nécessaires à
remplir afin de pouvoir user de la légitime défense. On y retrouve donc le critère selon lequel
l’État doit avoir subi une agression armée, cependant, l’article ne précise pas qui doit être la
source de l’agression. Ainsi le présente article n’exclut en aucun cas la possibilité que cette
agression armée puisse être faite par un État non étatique. Littéralement, l’application de cet
article ne semble pas dépendre de la qualité des acteurs à l’origine de l’agression armée.
De plus l’objectif de l’article 51 est de permettre à l’État victime de se protéger de l’agression
armée, qu’importe la source de celle-ci. D’autre part, la notion de « Droit naturel » ici pour
décrire le droit de la légitime défense lui confère un caractère presque suprême. Ainsi, que ce
soit un État ou un acteur non étatique, la légitime défense apparaît comme inéluctable.
Ainsi l’article 51 de la Charte n’empêche pas les États victimes d’une agression armée dont la
source est un acteur non étatique, d’user de la légitime défense contre ces derniers.
C’est ainsi que les États-Unis, en 2001, ont considéré qu’il était possible d’user son droit de
légitime défense contre un acteur non étatique.

B- Le cas spécifique des attaques du 11 septembre 2001 : la possibilité d’opposer la


légitime défense à des acteurs non étatiques.

Les attaques du 11 septembre 2001 par des terroristes ont marqué un tournant dans la
conception que les États se font du droit à la légitime défense. En effet, pour la première fois,
le terrorisme a été envisagé comme étant-lui même une agression armée qui nécessite un
recours à la légitime défense, pourtant la résolution 3314 de l’Assemblée Générale des
Nations Unies, précise bien que les agressions doivent être faites par un État si la victime de
cette agression peut utiliser la légitime Défense. Cependant les États-Unis ont réussi à se voir
octroyer la possibilité d’avoir recours à la force grâce à la résolution du conseil de sécurité
1368 du 12 septembre 2001, selon laquelle les attaques terroristes contre le Word Trad Center
et le Pentagone constituaient une attaque armée au sens de l’article 51 de la Charte des
Nations Unies. D’autre part, les Etats-Unis ont désigné l’État Afghan en sa qualité d’État qui
avait hébergé le groupe terroriste Al-Qaida responsable des attaques terroristes sur son
territoire. En conséquence ils pouvaient se prévaloir du droit de légitime défense, un principe
issu de la résolution 1373 du Conseil de Sécurité adoptée le 28 septembre 2001. Les États-
Unis ont donc, à ce moment-là, innové les circonstances dans lesquelles il était possible
d’utiliser la légitime défense. Celle-ci ne s’arrêtait plus à un cadre interétatique mais s’ouvrait
à des acteurs non étatiques.
Cependant, cette résolution reste une exception et n’a pas servi d’exemple pour l’avenir,
en effet, lors des attentats du 13 novembre 2015, le principe de légitimité était écarté dans ce
cas, c’est le conseil de Sécurité qui a permis une intervention.

II- La légitime défense : un principe employé désormais seulement contre les


États

La légitime défense repose sur une caractéristique très importante : l’agression armée (A) ;
cette caractéristique a permis à la jurisprudence d’exclure les États non étatiques du principe
de légitime défense (B).

A- La légitime défense : un principe dépendant des caractéristiques de l’agression.

L’article 51 pose le principe de la légitime défense. Cependant il a besoin d’être


complété par d’autres textes afin de pouvoir définir précisément les circonstances dans
lesquels il sera possible pour un État de recourir à la légitime Défense. Tout d’abord l’article
51 dispose que pour qu’un État puisse user de la légitime défense il doit avoir subi une
agression armée. La définition de l’agression est présente dans la résolution 3314, adoptée par
l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre1974, c’est un avis sur les
conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien. Selon cette
résolution l’agression désigne « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté,
l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État ». Cette résolution met donc
en évidence le principe selon lequel il est possible d’employer la légitime défense seulement
contre des États, excluant donc les acteurs non étatiques. Ainsi, l’article 5 qui est très ambigu,
doit être appréhendé avec d’autres textes afin de connaître les règles relatives à l’utilisation de
la légitime défense, dont l’une d’elles est le fait qu’une agression ne peut être définie comme
telle à condition qu’elle soit faite par un État.
D’autre part la légitime défense peut être employée contre un État lorsque celui-ci
commet directement une infraction par le biais de son armée régulière ou lorsqu’il envoie des
mercenaires ou une bande armée. Cette extension de l’agression armée est issue de l’arrêt de
la cour internationale de Justice du 27 juin 1986. Ainsi, le principe de la légitime défense
affirme que l’agression ne peut être caractérisée seulement si elle a été commise par un État.
Et c’est un principe que la jurisprudence va confirmer.

B- Un recadrage jurisprudentiel strict imposant un cadre interétatique

L’agression étant un acte fait par un État, les actes terroristes ne peuvent être qualifiés
d’agression car ils ne sont pas l’œuvre d’un État. Il fallait donc réagir face à la résolution
1368 qui autorise de se prévaloir du droit de légitime défense contre un acteur qui n’est pas un
État. Ainsi la cour de justice internationale a décidé de recadrer la légitime défense dans un
cadre interétatique mettant fin aux résolutions antérieures contraires au principe du cadre
interétatique. Ce principe d’État contre État, excluant les acteurs non étatiques se retrouve
dans l’article 3 de la résolution 3314, qui dans chaque exemple précise que l’agression a été
commise par un État, à travers divers exemples. De plus, l’arrêt du 19 décembre 2005, relatif
à l’affaire des activités armées sur le territoire de la République démocratique du Congo,
rendu par la cour de justice internationale, celle-ci va réaffirmer que la légitime défense doit
s’exercer dans un cadre interétatique. Le recadrage jurisprudentiel est donc clair, même en ce
qui concerne les attaques terroristes, la légitime défense n’a pas lieu d’être, comme ce fut le
cas pour les attentats du 13 novembre 2015 en France où l’intervention contre Daech a pu être
possible grâce à la résolution 2249 du conseil de sécurité et non pas le biais de la légitime
défense. L’évolution de la légitime défense semble donc encore fragile, en effet, elle ne peut
être employée seulement contre des États, rendant ainsi délicat une potentielle attaque d’un
acteur non étatique qui ne sera pas prise en charge par le conseil de sécurité.

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